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Bellahcène BALI

LE COLONEL
LOTFI
ECRITS, TEMOIGNAGES ET DOCUMENTS

Avec la collaboration de KAZI AOUAL Kemal Eddine


Avertissement aux lecteurs

Ce modeste ouvrage n’ a pas la prétention d’


inventorier tout ce qui à
été écrit sur le regretté colonel Lotfi, ce qui aurait représenté une tâche
titanesque.

Nous avons tenté de présenter toutes les facettes de cette


personnalité extraordinaire et complexe, à travers les témoignages de certains
parmi ceux qui l’ ont côtoyé ou connu, ainsi qu’ à travers de nombreux
documents officiels tant français qu’
algériens.

Nous en avons assurément oublié plusieurs, et nous nous excusons


d’
avance auprès des concernés.
Gloire aux martyrs

C’est pour moi un immense honneur de présenter

aux lecteurs ce second ouvrage sur le regretté Colonel

Lotfi, et ceci à l’occasion du cinquantenaire de sa mort

en Chahid à Djebel Grouze, près de Bechar.

Je ressens en ce jour du souvenir, glorieux entre

tous, une profonde émotion qui, j’en suis certain, et

partagée par l’ensemble de ceux qui l’on côtoyé dans sa

vie de jeune militant enthousiaste ainsi que de ceux qui

ont combattu à ses côtés ou sous ses ordres.

Il est passé comme un éclair dans le ciel de la

Révolution Nationale, et il restera à jamais l’une des

pierres sur laquelle s’est construite l’Algérie

indépendante.

Allah yerham Ec-chouhada


Préface

07 Mai 1934, 27 Mars 1960… une vie trop brève toute entière
au service de sa patrie. Disparu à 26 ans à peine, au sommet de la
gloire.
Octobre 1955, Mars 1960… quatre ans et demi pour une
fulgurante carrière dans les rangs de l’A.L.N, qui s’achèvent dans
la rocaille du grand sud.
Quatre ans et demi qui ont suffit à cet homme d’exception
pour démontrer ses aptitudes tant au niveau de la stratégie du
combat que de la clairvoyance politique.
Un jeune algérien comme tant d’autres, que rien ne
prédestinait au parcours extraordinaire qui fut le sien.
Un jeune algérien comme tant d’autres, qui fit du combat
pour l’indépendance de sa patrie son seul et unique but.
Un jeune algérien comme tant d’autres, qui arrosa de son
sang le sol sacré du pays.
Un jeune algérien comme tant d’autres…
Quel aurait été son destin s’il avait survécu, quel rôle aurait-
il eu dans l’Algérie indépendante pour laquelle il est mort, lui qui
appréhendait, dès 1958, les conséquences sur l’avenir du
comportement de certains responsables militaires?...
Les événements qui ont suivi l’indépendance et l’histoire
mouvementée de notre pays n’ont fait que confirmer ses craintes,
hélas!
L’ENGAGEMENT DU COLONEL LOTFI

Parmi les hommes en Algérie, certains, à travers leurs actes de


bravoure et un sens élevé de patriotisme, ont marqué un pan entier de
l'histoire de l'Algérie. Le Colonel Boudghene Dghine Benali dit Colonel Lotfi
fait partie de cette catégorie de combattants qui ont sacrifié leur vie pour que
le vent de la liberté souffle sur notre patrie malmenée depuis plus d’un siècle.
Tlemcen Septembre 1955, un soleil de plomb pesait implacablement
sur la ville. Il était 15h30. La route menant vers la mosquée de Sidi
Boumediene grouillait de monde. Les femmes, drapées de leur Haïk blanc, se
dirigeaient par groupes : qui vers Sidi Ali Ben N’ Guime, qui vers Sidi
Boumediene pour une Ziara. D'autres se rendaient au cimetière de Sidi
Snouci pour se recueillir sur les tombes de leurs proches. Elles sont là,
dispersées ou par groupes, en train d'enlever les mauvaises herbes ou réciter
la Fatiha. Nouri, un pauvre malheureux, orphelin de son état, prend
régulièrement position à l’ entrée du cimetière dans l'espoir de recevoir une
« baraka ». Les pièces d'argent qu'il reçoit sont déboursées dans l'achat des
cierges pour éclairer les mausolées de Sidi Boumediene ou pour acheter du
pain et une portion de fromage.
Dans les quartiers d'« El Eubad », ou « Sidi Abdelkader » tout le
monde connaît Nouri.
A l'autre bout du cimetière de Sidi Snouci et loin des curieux, un
groupe de jeunes tenait, dans la discrétion la plus absolue, une réunion sous
le feuillage d'un saule pleureur. En fait il s'agit d'un groupe pas comme les
autres. Leur présence à Sidi Snouci avait un but bien précis. Ce sont des
jeunes combattants de Tlemcen encadrés par un militant de la première
heure. Eux, ce sont DGHINE Benali, El Ouchedi Boumediene, Sahi Tidjani,
Achoui Bachir et Rahmoune Djillali. Lui c'est Larbi Benamar, cadre du
PPA.MTLD puis de l'OS. Quant à la prétendue réunion, c'est en fait la
prestation de serment de tous ces jeunes. Un serment de fidélité à la patrie, à
la cause nationale incarnée littéralement par le Front de Libération Nationale.
Selon le témoignage d'El Ouchedi Boumediene, dit Si Abderrezak, le
cérémonial était très impressionnant.
Sur une tombe anonyme, on avait étalé l'emblème national sur lequel
étaient disposés un exemplaire du Coran Sacré ainsi qu’ un revolver de calibre
7,65mm. Tour à tour on mettait la main droite sur le livre sacré et on jurait à

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haute et intelligible voix d'être fidèle jusqu'à la mort à la cause de l'Algérie
combattante ... C’ était si solennel et si émouvant qu'aucun des présents ne
pouvait retenir ses larmes.
Et effectivement, certains sont allés jusqu'au sacrifice suprême,
comme le fit Dghine Benali, alors que d’ autres sont encore en vie et peuvent
heureusement témoigner de cette époque héroïque et difficile. L’ implantation
du FLN dans l’ Ouest algérien était encore à l’ état embryonnaire pour de
multiples raisons. Les arrestations massives, à titre préventif, effectuées par
les services de la police française dans les rangs des nationalistes figurant
déjà sur les fichiers, mais aussi la confusion qui était plus ou moins entretenue
entre le courant « messaliste» et le mouvement engagé par le FLN, ont fait
hésiter plus d'un à rejoindre le maquis. Il faut ajouter aussi que les actions
entreprises par les éléments de l'ALN-FLN dans l’ Ouest du pays n'ont pas été
à la mesure des espoirs placés dans les éléments « précurseurs» de la lutte
armée. Faute d'armement, les actions lancées dès novembre 1954 n'ont eu
qu'un faible retentissement auprès de la population algérienne, traumatisée
encore par les événements tragiques du 08 mai 1945, ainsi que par les
différentes crises qui ont secoué le mouvement national à l'époque. En un
mot, la scène politique algérienne n'était pas préparée à cet événement, qui
deviendra majeur par la suite, à savoir le déclenchement de la lutte armée du
1er novembre 1954.
Cependant, le message libérateur sera heureusement capté et bien
reçu par les jeunes : collégiens, médersiens, ouvriers et paysans
constitueront, grâce à l’ action de Larbi Benamar par exemple à Tlemcen, les
premières cellules pour les actions armées tant en milieu urbain que dans les
campagnes. Ces jeunes ne tarderont pas ainsi à se lancer dans le combat
avec les moyens, rudimentaires au début, pour aller crescendo vers des
opérations au retentissement formidable qui ne manqueront pas
d'impressionner la population d'abord mais aussi et surtout les forces
colonialistes.
Cette jeunesse, fer de lance du combat à Tlemcen, passera tout
naturellement sous la coupe de Dghine Benali puisque malheureusement,
Larbi Benamar, dont il faudra tracer le portrait un jour, sera arrêté le 18
novembre 1955 par la police française et s'évadera plus tard du tribunal de la
même ville le 31 mars 1956.
Dghine Benali, dit « Colonel Lotfi », l'état civil français fait apparaître le
nom patronymique de Dghine alors que cette famille, qui habitait El Kalâa, à
l'allée des sources, est plus connue sous le nom de Boudghène.
Dghine Bénali est né le 07 mai 1934 à Tlemcen. Son père Abdelkrim
dit Abdellah Dghine était employé de mairie et a eu deux épouses. Bénali est

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issu du premier lit et se trouve être l’
aîné de 07 enfants: Sa mère Mansouria
décéda, et son père se remaria avec une européenne convertie à l’ Islam qui
devint Hadja Zohra. Cette deuxième épouse a eu la tâche d'élever le jeune
Dghine. Ce dernier, reconnaissant envers sa marâtre, lui voua beaucoup
d'amour et respect.
Le jeune Benali fit ses études primaires à l'école des Indigènes,
baptisée par la suite école « Décieux », qui est devenue après l'indépendance
école El Abili. Dans cet établissement scolaire, fréquenté exclusivement par
les « Indigènes » (c'est à dire les arabes), exerçaient aussi des instituteurs
algériens qui forgèrent la personnalité du jeune Benali. Ce dernier ne tarda
pas à obtenir fièrement, quelques années après, son certificat d'études.
A ce propos, on peut évoquer toute une pléiade de pédagogues
algériens comme Monsieur Berbar ou encore l'homme à la pipe et au béret,
militant communiste, Cheikh Merad Abdelhamid, enseignant d'arabe décédé
dans un accident de la circulation sur la route de Sidi Bel Abbés, fervent
amateur de musique andalouse, mais aussi de nombreux autres instituteurs
qui surent inculquer à leurs élèves le savoir et leur dispensèrent en plus des
leçons de dignité et de patriotisme.
De 1945 à 1947, Dghine Benali effectua, avec sa famille, un séjour à
Alger. Aussitôt revenu à Tlemcen, Benali, titulaire du certificat d'études,
repartit en 1948 vers Oujda, au Maroc, pour poursuivre ses études en 5ème.
Très vite, dès 1949 il regagna sa ville natale où il fut admis en 1950 à la
« Médersa» (école franco-musulmane). Cet établissement dont les bâtiments
existent toujours au centre ville de Tlemcen, de style mauresque, formait des
« cadres », des Juristes destinés à prendre en charge les « affaires
algériennes », c'est à dire les litiges et/ou contentieux relevant du statut
personnel conformément au droit musulman en exerçant les fonctions de
Adel, Bachadel ou de Cadi. Les études y étaient dispensées très largement en
arabe mais l'on y prodiguait aussi un enseignement en langue française à ces
jeunes, avec des enseignants de qualité certaine, tels Messieurs Zerdoumi,
Foufa, Si-Kaddour Naimi, Chaouch Ramdane, Millecam Ou Roboton. Mais
c'était sans compter sans l'appel du 1er Novembre 1954. En effet, très tôt, les
idées nationalistes investirent cet espace et cet établissement fournit à la
révolution algérienne nombre de militants et de cadres.
Les services de la police française, très vigilants, ne tardèrent pas à
s'intéresser à ce vivier du combat nationaliste, et c'est ainsi que Dghine, qui
était recherché par les renseignements généraux ne dut son salut qu'à une
ruse de ses camarades de quartier. Ces derniers, dont Sid Ahmed Gaouar dit
« Hami », ayant remarqué la présence de policiers autour du domicile de la
famille Dghine, se précipitèrent à la Médersa pour alerter Benali. Hami prit

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l'initiative de s'adresser au Directeur de la Médersa, Monsieur Janier à
l'époque, usant d'un subterfuge en lui déclarant que « la mère de DGHINE
était morte, et qu'il devait immédiatement se rendre à la maison».
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, c'est ainsi que Benali
échappa aux agents de la police colonialiste, et c'est donc le 27.octobre 1955
qu'il passa à la clandestinité. Au maquis, il fut d'abord secrétaire du regretté
Capitaine Djaber, puis nommé responsable du secteur de Turenne
(actuellement Sebra) et dès 1956, il fut chargé de consolider l'organisation
dans la région de Tlemcen.
Ici une précision s'impose : pendant sa scolarité à la Médersa, le jeune
Dghine avait suivi une préparation militaire aussi bien élémentaire que
supérieure, dispensée aux collégiens et Médersiens, tant Européens
qu'Indigènes. Sous la conduite d'officiers de l'armée française, les jeunes
étaient initiés à la discipline militaire, au maniement des armes (en particulier
du « mousqueton ») ainsi qu'au jet de grenades, ou encore au parachutisme
et aux transmissions.
Cette préparation militaire, dispensée par les Français aux jeunes
Algériens après le déclenchement de la guerre de libération, fût mise à profit
par les stratèges de la guérilla pour servir de tremplin à l'action armée. Cette
base fut améliorée et renforcée qualitativement par l'enrôlement des
volontaires issus des rangs des fameux tirailleurs algériens envoyés au front
par la France, lors des campagnes européennes pendant la 2ème guerre
mondiale, ou encore en Indochine, où l'armée française essuya une cinglante
défaite à Dien-Bien-Phu, dans le Haut-Tonkin, après une bataille de quatre
mois.
La victoire du Viêt-Minh en Asie, l'agitation au Maroc et la lutte armée
dans le Rif, les actions des «Fellaghas» tunisiens durant cette période, furent
des éléments déterminants et incitatifs pour la jeunesse d’ Algérie à s'engager
farouchement dans la révolution armée. Et l’ on verra dans le déroulement des
actions armées l’ apport précieux de ces « ex-militaires », enrôlés dans l'armée
française, qui ont déserté avec armes et bagages leurs unités pour rejoindre
les rangs de l'ALN.

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L'expérience de ces recrues, leur formation militaire, leur sens de la
discipline seront déterminants, au même titre que l'armement qu'ils
ramèneront avec eux au maquis où il faisait cruellement défaut aux
clandestins du FLN-ALN.
Dghine, qui prit désormais le pseudonyme de «Brahim», exploitant et
combinant tous ces éléments, ordonna une série d'opérations d'envergure,
Des actions ponctuelles seront exécutées contre les indicateurs, les collabos
français qu'on appelait encore «Mokhaznis» ou «Goumiers». Les cibles
autorisées étaient, conformément aux consignes données par les
responsables du FLN dont «Brahim» (ne pas s'attaquer aux femmes et aux
enfants et, d'une manière générale, ne pas s'en prendre aux civils), les
militaires, les gendarmes et les policiers. Ce qui apporte un démenti cinglant
aux discours de la propagande française et des farouches défenseurs de la
thèse Algérie française !
A l'actif du commando de « Si Brahim », il convient de citer quelques
opérations qui frapperont les esprits comme par exemple l’ attaque des locaux
de la commune mixte de Sebdou, ou encore plus audacieuse, le raid contre le
campement militaire de la MTO, ou enfin, ce qui constituera l'apothéose, «
l'affaire de l'auberge normande» plus connue sous l'appellation de la « fausse
patrouille de Tlemcen» ou encore de « l'Attaque du mess des officiers ».
Un autre fait majeur va marquer l'actualité de la ville de Tlemcen et
fera prendre conscience à d'autres jeunes de la nécessité et de la justesse de
la lutte de libération déclenchée contre le colonialisme français. II s'agit de
l'assassinat du Docteur Benaouda Benzerdjeb; exécuté officiellement le 17
janvier 1956: Des manifestations d'indignation et de colère de la population
ont ébranlé non seulement la ville de Tlemcen, mais aussi tout le pays.
Ces mouvements de foule, qui ont duré trois jours, ont été le prélude à
la lutte politico-militaire contre l'Administration coloniale.
Ainsi, on peut dès lors affirmer, sans risque de se tromper, que la ville
de Tlemcen a fourni à la Révolution Algérienne son premier commando digne
de ce nom, ses premières manifestations populaires, ses foules en colère qui
ont placé l'administration française devant l'obligation de procéder à une
mobilisation accrue de gardes-mobiles et de CRS (compagnies républicaines
de sécurité) et d'imposer, pendant plusieurs jours, un couvre-feu à partir de 16
heures.
A la suite de l'ouverture du front « Sud » en juillet 1956, Si Brahim (qui
deviendra «Lotfi» à la fin de l'année 1957) se porte volontaire pour combattre
dans cette vaste zone désertique où il apprendra très vite, grâce à ses
qualités incontestables, la particularité de ce milieu. Et ses efforts de
restructuration et d'organisation ne tarderont pas à produire leurs effets dans

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cette partie du territoire national réputée «calme» aux yeux des autorités
françaises : les embuscades, les accrochages, les attentats et les actes de
sabotage se succédèrent et semèrent le désarroi chez l'ennemi.
Les armes récupérées comme butin de guerre ne font qu'augmenter la
puissance de feu des maquisards et le nouveau commandant, en l'occurrence
«Si Brahim», saura résoudre les problèmes de liaison et de logistique. Il
réussira même à mettre en place le premier réseau radio, entrant en contact,
ainsi, aussi bien avec le commandement de la Wilaya qu'avec tous les
secteurs de la zone. Avec l'établissement de cette liaison, il solutionnera les
difficiles et épineux problèmes de ravitaillement, dans cette nature hostile et
agressive pour une armée de libération dont les effectifs s'accroissent très
rapidement. Et dès la fin de 1957 cette organisation rationnelle mise sur pied
par «Si Brahim» permettra à l'ALN de livrer d'importantes batailles et d'infliger
à la partie adverse de lourdes pertes en hommes et en matériel. La plus
glorieuse de ces actions d'éclat fut, sans conteste, celle livrée dans la région
d'Aflou.
Le 07 mai 1957, «Si Brahim» est promu au grade de Commandant
dans la région d'Aflou. Par la suite, il rejoint le P.C de la Wilaya et adopte alors
son nouveau nom de guerre « Lotfi ». En mai 1958, il est nommé Colonel,
commandant de la Wilaya V succédant ainsi à Houari Boumediene. Après la
session du CNRA à Tripoli, il décide de rejoindre sa Wilaya.
Pour mieux cerner la forte personnalité du Colonel Lotfi, il est utile de
reprendre des extraits de son interview accordée à l'organe du FLN: «El
Moudjahid» n°41 du 10 mai 1959.
« La Wilaya de l'Ouest algérien est immense, Les limites à l'Ouest sont
celles du Maroc, de la Mauritanie et du Soudan au Sud. Au Nord, la mer, à
l'Est, marque sa limite avec les Wilaya 4 et 6 près de Ténès, puis descend
dans la vallée du Chéliff qu’ elle traverse entre Charon (Boukadir) et Malakoff,
coupe l'Ouarsenis (dont le versant Ouest fait partie de la Wilaya V) puis rejoint
la plaine du Sersou à hauteur de Burdeau. De là notre limite oblique à travers
les hauts plateaux vers Ain El Hamra (50 Km à l'Est d'Aflou) et descend vers
le Sud selon l'axe Laghouat-Ghardaia.
-Ainsi délimitée, vous constaterez que notre Wilaya est constituée sur
plus des 2/3 de son territoire par des plaines dénudées, soit les terres de
colonisation du Nord, soit les terres arides, cailloux et sable du Sahara. Or
nous sommes présents partout ! Cette présence de l'ALN s'appuie, comme
dans le reste de l'Algérie, sur nos massifs montagneux difficilement
accessibles pour l'ennemi.».
Il ajoute un peu plus loin, que «dans les campagnes du Sud oranais en
général, l'évolution politique était presque nulle avant la révolution. Les

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cellules nationalistes ne regroupaient des militants que dans les villes. Les
masses, plongées dans la misère, étaient « tenues» par les Bachaghas et des
« familles maraboutiques »..., Fait significatif, l'effondrement du
maraboutisme : lorsque nous partions en opération, les premiers temps, les
paysans, les villageois nous acclamaient et lançaient des bénédictions, au
nom de Dieu et aux noms des Saints locaux, des marabouts traditionnels. En
moins de 06 mois, les mémoires se sont « raccourcies » et on ne parlait plus
de marabout ni de saint, mais d'armes, de munitions, de mortiers ou de
mitrailleuses..» La mentalité s'était totalement transformée.
A une question posée, concernant les civils, le Colonel Lotfi répond :
«Comme dans toutes les autres Wilayas, depuis le congrès de la Soummam
du 20 Août 1956, l'organisation des civils a été mise en place : cellule de 11
membres dans les campagnes, de 05 membres dans les villes. Au dessus de
la cellule, le groupe, la fédération, l'arch ou sous-secteur et enfin le secteur...
»
Toujours au sujet de la Wilaya V, le Colonel donne un aperçu des
forces ennemies, à savoir «255.000 hommes de troupe, 16 généraux, 130
colonels... »
Sur les aspects économiques, Lotfi explique que «le barrage de
barbelés qui a été édifié l'a été pour protéger cette voie, artère nourricière de
Colomb-Béchar et voie d'évacuation du charbon de Kenadsa et actuellement,
ce sont des raisons politiques qui empêchent la fermeture des mines de
charbon de Kenadsa et de Ksiksou»
Et sur la question des Européens d'Oranie, le Chef de la Wilaya V
donne son analyse que nous reproduisons «in-extenso »: « dans l'ensemble,
la population européenne est à l'écart de la révolution ou franchement hostile.
Ceux qui nous manifestent leur solidarité le font à titre individuel et
quelques médecins européens ont été arrêtés pour avoir soigné des nôtres.
Il y a des gens qui approuvent un Thuvenu ou un Berenguer mais ils
ne le manifestent pas actuellement. Lorsque l'on parle des Européens en
général, il faut distinguer : parmi eux, on a pris l'habitude de ranger les
Israélites (qui sont pourtant des Algériens) parce que leurs réactions ne se
différencient guère de celles des « petits européens » acharnés contre nous,
mais nous, nous considérons ces Algériens Israélites, comme des traîtres, et
c'est pour cela que souvent nous sommes plus sévères pour ceux d'entre eux
qui participent à la répression et nous font du mal (comme interprètes de
l'armée française ou dans les Unités territoriales (UT)). Il faut remarquer qu'il
existe en Oranie, dans une ville comme Tlemcen, par exemple, une
bourgeoisie israélite plus «neutraliste», plus modérée, qui comprend mieux la
situation et refuse de s'engager avec les ultras...»

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Et au sujet des Colons, il ajoute que « les réactions sont variables
selon les régions et que dans la région de Mascara, par exemple, ils paient
l'impôt et circulent avec le laisser passer de l'ALN. Pour la plupart, les colons
avec lesquels nous sommes en contact tiennent à leur sécurité et à celle de
leurs biens. Nous la leur garantissons pendant la durée de la révolution en
fonction de leur loyalisme. Nous leur disons que, demain, ils seront Algériens
comme les autres, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Vous
comprenez, ajouta-t-il encore une fois, nous sommes réalistes; nous savons
que demain, nous aurons des européens en Algérie, que les Israélites
resteront là. Ce que nous voulons, c'est qu'ils soient «Algériens à part
entière… »
Hélas, des hommes de cette envergure, ayant une telle vision humaine
et aussi réalistes, ne survivront pas et n'apporteront pas à l'Algérie
indépendante leur compétence et leur sens élevé du devoir, indépendance qui
arrivera bien plus tard avec la ruine de tous ces espoirs insensés par les
actions abjectes de l'OAS (Organisation de l'Armée Secrète), qui s'acharnera
à rompre tous les liens tissés entre Algériens de souche européenne et
Musulmanes, en dépit de cette « guerre » qui n'a jamais porté son nom mais
connue sous l'expression hypocrite « d'événements d'Algérie ».
La mort prématurée de Lotfi a privé l'Algérie combattante et l'Algérie
post-indépendance d'un homme qui a prouvé son intelligence et qui aurait
certainement fécondé encore plus l'histoire de notre pays après 1962, mais
Dieu, le Maître des mondes, en a décidé autrement!

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DGHINE Abdelkrim dit Abdellah LOKBANI Mansouria
Père de Lotfi Mère de Lotfi

DGHINE Bénali à 9 mois –1935 -

9
DGHINE Bénali et ses camarades à la Médersa –1948 –

DGHINE Bénali et ses sœurs Khadidja, Fadéla, Nadra ainsi que sa mère
et la grand-mère –1949 -

10
« 7 Avril 1950 Souvenir lors de mon séjour à Oujda
pendant les vacances de Pâques »
(Photo adressée par DGHINE Bénali à ses parents

11
DGHINE Bénali et ses camarades de classe –1951 -

DGHINE Bénali à la Médersa –1953 -

12
LAOUD Mohamed dit Commandant Ferradj ou M’Barek

Cheikh Abdelhamid MERAD et son groupe musical et artistique

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L’ATTAQUE DU SIEGE DE LA COMMUNE MIXTE DE SEBDOU

Avant d’ entamer l’ écriture de ce chapitre, nous nous sommes déplacés


sur certains sites comme l’ ancienne base arrière du Commando à Sidi
Otmane. L’ émotion était à son comble à la vue de cette maison qui, tombée
en ruines actuellement, a abrité durant des mois le Commando de Si Brahim
et Si Salah, chef du 2ème groupe des moudjahidines.
Nous nous sommes rendus également à la rue Abdelmalek Ramdan
(ex Rue Tedeschi).
Dans cette rue de Tlemcen se trouvait le siège de cette fameuse
commune mixte de Sebdou (par opposition à une commune de plein exercice
dotée d’ un exécutif comme par exemple Tlemcen, ville plus importante) :
c’était une bâtisse complètement anonyme, mais visiblement retapée avec
plus ou moins de bonheur par la personne qui a acheté ces lieux.
A partir de ce bâtiment situé, répétons-le, en plein centre ville de
Tlemcen, « l’ Administrateur » dirigeait un territoire très vaste qui regroupait
toute la région de Sebdou, de Sebra et de Remchi.
Cela peut donner, à priori, une idée du fonctionnement de ce service
trop éloigné des « administrés » et qui n’ était pas destiné, on le devine
aisément, à la satisfaction des besoins des populations.
Ce fonctionnaire donc, pour ceux qui n’ ont pas connu « La haute
mission civilisatrice de la France en Algérie », était doté de tous les pouvoirs,
et c’est ainsi qu’ il était investi des fonctions de maire, de Juge et même de
Chef de la police. Pour réussir sa mission, il s’ appuyait sur une escouade
de Cadres Indigènes que l’ on affublait des titres de Bachagha au burnous
rouge, d’ Aghas dotés de burnous bleus et enfin de Caïds qui eux n’ avaient
droit qu’à un burnous blanc. Savante combinaison des réminiscences de la
période ottomane en Algérie et de la « haute symbolique » du drapeau
tricolore français, ainsi réparti sur le dos de ces suppôts de l’ Administration
coloniale, haïs par la population locale qui souffrait de leurs turpitudes et de
leurs excès de zèle. Ils seront, d’ ailleurs, les cibles prioritaires des maquisards
qui n’hésitaient pas à les abattre.
Leurs seules qualités, si toutefois ils en avaient, étaient leur servilité
devant de l’ Administrateur (appelé par les Algériens El Hakem), et surtout leur
férocité à l’ encontre de leurs coreligionnaires en matière de brimades,
d’ impôts et de taxes qu’ ils étaient chargés de prélever. Ces vaillants agents du
colonialisme, barbus et moustachus à souhait, arborant avec fierté des
décorations de l’ armée d’ occupation (des séries de médailles « méritées »
pour services rendus à la mère patrie française) avaient bien sûr à leur solde

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des agents d’ exécution dénommés « Mokhaznis », qui parcouraient les
campagnes à cheval.
Ces cavaliers ont été les ancêtres de ceux que l’ on appelait pendant
« les événements d’ Algérie » les GMPR (Groupement Mobile de Police
Rurale) appellation que les paysans ont déformée en « Jeanpierre ».
Cette frange de la population a fourni, plus tard, l’ essentiel des
« Harkis », ces supplétifs qui ont renié leur patrie et qui ont pris fait et cause
pour la France colonialiste ! Ces agents faisaient régner l’ ordre colonial dans
les douars et les dachras (Hameaux) par l’ usage de la cravache et toutes
sortes de brimades et d’ injustice que devaient supporter les populations
livrées à leur triste sort : ne pas se tenir debout ou ne pas saluer l’ une de
ces autorités à son passage, ne pas crier à haute et intelligible voix « vive la
France » et c’ était une bastonnade gratuite, une humiliation de trop .
Ainsi, ce fameux Administrateur avait pour objectif essentiel et
prioritaire la liquidation et la récupération des terres aussi bien privées que
« Arch », qu’ il cédait ensuite aux colons européens par le biais des services
des impôts… Une spoliation.
Chargé de la police aussi, l’ Administrateur devait, en toutes
circonstances, faire la chasse aux éléments jugés subversifs, entendez par là
les nationalistes, les syndicalistes s’ il en existait, en un mot, tous ceux qui
étaient taxés d’ anti-français et ce, particulièrement à la veille de chaque
échéance électorale.
Et quelle farce que ces élections organisées par le système colonial,
que ce soit pour les « Municipales » ou pour « l’ Assemblée Algérienne » de
l’époque, peuplée surtout de « Beni oui oui », support de l’ ordre colonial, le
bourrage des urnes était de règle et les résultats connus d’ avance, ce qui a
fini par donner naissance à la fameuse expression « Elections à la
Naegelen ».
De cette bâtisse, éloignée de 200m du siège de la sous préfecture de
l’époque, cet Administrateur « régnait, gérait et dirigeait » cette commune
mixte extrêmement étendue .
Et pourquoi tout ce long développement à propos de la commune
mixte de Sebdou? se demandera le lecteur. Tout simplement pour le
sensibiliser à l’ importance de la cible visée, cette administration qui était
chargée, entre autres activités, de la tenue du fichier de l’ état civil.
Le renseignement était une tâche essentielle pour les services de
répression, aussi était-il devenu nécessaire, voire impératif pour l’ organisation
FLN- ALN naissante, de détruire le fichier de l’ état civil.
L’attaque eut lieu un soir de Décembre 1955. Y participera, entre
autres, EL Ouchdi Boumediene qui avait à ce moment là, le statut de

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« Fidaï », et c’est un des agents de liaison, que l’ on appelait « Ittissal », qui a
piloté le groupe pour ce raid couronné de succès. Cette action n’ a pu réussir
que grâce à la complicité, et ici, il faut leur rendre un vibrant hommage, de
militants qui étaient « Mokhaznis » par nécessité et non par conviction et qui,
de ce fait, s’ adonnaient à un double jeu, tels les 2 frères Laayouni et
Boudjemàa et les deux cousins Bendahmane. C’ est ainsi que le groupe de
partisans pénétra dans les locaux sans encombre et surtout sans éveiller les
soupçons des habitants de ce quartier peuplé d’ Européens, ce qui, en soi,
était déjà une prouesse. Cette action audacieuse qui sera relatée dans
l’
organe central du FLN « El Moudjahid », et que nous reproduisons « in-
extenso » un peu plus loin, a permis :
a) La destruction complète et définitive de l’ état civil de la commune de
Sebdou.
b) La récupération de l’ armement qui s’ y trouvait. Cet armement
hétéroclite et souvent vétuste permettra au commando de s’ équiper un
tant soit peu et d’envisager pour l’avenir des actions plus décisives et
plus spectaculaires.
c) La prise d’ un butin constitué de quatre machines à écrire ainsi que
d’une ronéo qui seront d’ un appoint considérable pour les actions de
propagande de l’ organisation clandestine (tracts et diverses
correspondances… ).
d) La saisie (et là c’ est un détail peut être négligeable mais ô combien
savoureux) d’ une quantité de drapeaux français remis plus tard aux
Djounouds pour le nettoyage de leurs chaussures ou de leurs armes.

Tout ce matériel a été embarqué sur deux « Renault » de type


« Prairie » qui servaient de véhicules aux Mokhaznis affectés à ce poste. Les
machines à écrire ainsi que la ronéo ont été déchargées au village de Mlilia
dans les environs d’ Hennaya, les armes distribuées immédiatement aux
différents éléments tandis que les véhicules ont été abandonnés puis
incendiés beaucoup plus loin.
Le groupe s’ est alors replié dans la proche banlieue de Tlemcen, plus
exactement à Feddan-Sebaâ, chez les frères Baba.
La mission achevée avec succès, Brahim donna à Ouchedi
Boumédiene son nom de guerre, « Abderrezak », qu’ il garda pendant toute la
durée de la lutte armée et bien après l’indépendance…
Cet épisode de la lutte armée, ou plus exactement de la naissance de
ce qu’ il est convenu d’ appeler maintenant « Commando Si Brahim » est
reproduit, comme annoncé auparavant, dans la collection en 03 volumes de

16
l’organe central du FLN « El Moudjahed » (Tome I, sous la rubrique « Exploits
de l’ALN El Moudjahid n°2, page 25) comme suit :
« Raid contre le bureau de l’ Administration de la commune mixte de
Sebdou en plein centre de Tlemcen : Un important armement est récupéré de
même qu’ une machine duplicateur et 4 machines à écrire, des documents
secrets ont été confisqués par des éléments qui avant de se retirer,
incendièrent les lieux et les véhicules de la commune mixte.
L’ armement saisi à cette occasion comportait 07 mitraillettes, 15 fusils
LEBEL, 3000 balles de 9mm, 200 balles de 8mm, 7 pistolets automatiques et
des équipements, ceintures Etc. »
Cette attaque, en plein centre de la ville de Tlemcen, à quelques
encablures seulement de la sous-préfecture et des locaux de la Gendarmerie
nationale française dans une ville-garnison aux multiples casernes, cette
attaque donc eut un grand retentissement et frappa les esprits des habitants
en dépit des efforts maladroits et embarrassés de l’ Administration coloniale
qui tenait à minimiser les dégâts. Les commentaires au sein de la population
européenne étaient emprunts de peur et de crainte devant l’ audace de ces
« bandits de grand chemin », ces fellaga. Quant à la population algérienne, il
est tout à fait inutile de dire la fierté et la joie que cette opération a suscitée en
elle. Mieux encore, aucune victime n’ est à déplorer puisqu’aucun coup de feu
n’ a été tiré, ce qui contredit la propagande française qui taxait les partisans de
« tueurs » et « d’ égorgeurs ».
En somme, une opération réglée comme du papier à musique, une
véritable action, digne d’ un Commando militaire.
Cette action sera l’ acte de naissance du Commando Si Brahim qui, au-
delà des actions individuelles et ciblées que nous relaterons un peu plus tard,
va alors envisager de passer à un stade supérieur, à des opérations
d’ envergure qui susciteront, auprès de la population Tlemcénienne, admiration
et respect.
L’ attaque qui a visé le siège de la Commune mixte de Sebdou n’ a pas
fini de faire parler d’ elle. En effet la nouvelle s’ est propagée, telle une traînée
de poudre, à travers toute la région et les gens, admiratifs ou dubitatifs, se
lancent dans des commentaires sans fin sur la hardiesse et la rapidité
d’ exécution de cet exploit au cours duquel il n’ a été dénombré aucune victime,
ni d’ un côté ni de l’ autre, et surtout il n’ a été signalé aucune arrestation.
Comme par miracle, les auteurs se sont évanouis dans la nature et les
services de sécurité n’ ont pu retrouver leurs traces… Evanouis dans la
nature? Oui et c’ est le cas de le dire, les éléments qui ont participé à cette
action observant à la lettre, les strictes instructions de leurs supérieurs, ont
regagné, comme nous l’ avons vu, leur base de repli chez les Baba à Fedan

17
Sebaâ. Ce n’ est qu’ une question d’ organisation et de respect des consignes
sur lesquelles l’ ALN ne transigeait guère, car si un des participants ne
rejoignait pas le « Merkez » dans les délais prévus après un acte quelconque
planifié par le Chef, ce dernier prenait immédiatement des mesures de
substitution : il y allait de la sécurité de tous.
Devant la nécessité de renforcer les mesures préventives de sécurité,
le Commandement de l’ ALN avait décidé de multiplier le nombre de
« Péjèro », ces abris souterrains où l’ on étouffait à cause de l’ humidité et du
manque d’ oxygène, mais qui s’ étaient révélés comme des étapes nécessaires
dans le domaine de la protection des partisans… Leur construction et leur
installation étaient devenues une obligation de première urgence pour la
relance du « Fida » et le transfert des réfugiés vers le Maroc… Citadins et
maquisards furent de la sorte engagés dans cette opération d’ envergure et, en
peu de temps, de nombreux gîtes clandestins, disséminés dans toute la
banlieue de Tlemcen, furent réalisés dans la stricte application des mesures
de sécurité et de discrétion, de manière à offrir toutes les garanties possibles
aux fugitifs.
L’important transit, autant que les pénibles conditions de séjour dans
ces cachettes furent inévitablement à l’ origine d’un mouvement intense de va-
et-vient, ce qui ne manqua pas, malheureusement, d’ attirer l’
attention de
l’
occupant français, et ce qui devait arriver arriva.
La plupart de ces maisons (bases) qui abritaient nos Djounoud ont été
dynamitées par l’ armée française. Parfois, l’ ennemi découvrait une, deux,
parfois trois casemates (Péjéro où les commandos trouvaient refuge) lors de
dénonciations, de perquisition ou de ratissages, voire d’ encerclements
impromptus. Néanmoins, ces cachettes ont sauvé des milliers de
Moudjahidine ou de réfugiés recherchés par la police coloniale.
Cela n’ a pas, hélas, toujours réussi, surtout lorsque les traîtres et les
indicateurs s’ en mêlaient. Mettons cela sur le compte de la fatalité. Dans « le
rescapé de la ligne Morice », page 297, la tuerie de 31 éléments FLN-ALN
enfumés dans trois « péjéros » à Sidi-Daoudi à Tlemcen en Octobre 1957, est
relatée fidèlement.
La révolution était faite de sacrifices et de fidélité, citons par devoir de
mémoire et de reconnaissance envers ceux qui ont partagé nos souffrances et
nos joies, nos peurs et nos espoirs, quelques unes des « bases » les plus
fréquentées par l’ ALN durant cette période des années 1955-1957, bien que
cette liste ne soit pas exhaustive, peu s’ en faut.

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« MERKEZ » - « Bases » de repli des Commandos après chaque action Tlemcen
Lieu de situation Nom du Propriétaire

FEDAN SEBAA Les frères BABA Abdelkader et Mohamed


FEDAN SEBAA BNOSMAN Abdallah et Abderrahmane
SIDI BOUMEDIENE AZZOUZ Moulay Boumédiène
MANSOURAH- BENI BOUBLENE Famille BENYELLES
SIDI ABDALLAH BOUYAKOUB Tedjini-Mahmoud et Mohamed
SIDI ABDALLAH MECIFI Salah
SIDI DAOUDI HADJ AMARA Dentiste Maâze
SIDI OTHMANE GHEZLAOUI Bendidjelloul
OUZIDANE HOCINE Garde champêtre
AIN EL HOUTZ BALI Abdelhamid Garde champêtre
SAF-SAF MEDJADJI
SAF-SAF BAROUDI

EL OUCHEDI Boumédiène à la 8ème Zone

19
20
21
22
Docteur BENZERDJEB Inal Sid Ahmed
Pr Histoire - Géographie

Commandos de Tlemcen : Dendidjellou A., Bali B. et Boudjenane


Sidi Boumédiène –Tlemcen –1957 –

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L’ATTAQUE DE LA CASERNE DE LA MTO
(Manufacture de textile de l’
Oranie à Tlemcen)
19 Avril 1956

Dans l’ organe central du FLN « El Moudjahid » Tome I p26, il est fait


mention dans la rubrique des « Exploits de l’ ALN », d’ une autre action du groupe
« Si Brahim » qui a visé le cantonnement militaire de la MTO de Tlemcen, (dite
caserne 503 spécialisée dans le transport des militaires) en ces termes :
« A Tlemcen, attaque du poste de la MTO : 20 mitrailleuses Thomson
et 11 fusils MAS 36 récupérés ».
Ce simple communiqué de guerre, assez laconique, ne donne pas une
idée précise de ce raid audacieux qui a permis au Commando d’ acquérir un
armement appréciable et indispensable à l’ exécution d’ une autre opération
planifiée, à savoir l’ attaque de l’« Auberge Normande » servant de Mess aux
officiers français.
Le groupe, ayant pu se doter d’ un armement plus ou moins fiable,
devait s’ étoffer en hommes aguerris au combat.
Il faut savoir qu’ avec la débâcle de l’ armée française en Indochine
(défaite cuisante à Dien Bien Phu), les soldats avaient été rapatriés dans le
plus grand désordre, certains vers l’ Algérie, d’autres vers le Maroc, pour les
contingents constitués essentiellement de Nord africains.
Et c’ est ainsi qu’un cantonnement avait été aménagé à l’ Est de la ville
de Tlemcen, sur un ancien terrain de football, là où a été édifié l’ actuel stade
de Birouana baptisé « Stade Colonel Lotfi ». Ce terrain était à proximité
immédiate du cimetière musulman et les alentours de ce cantonnement
étaient constitués de terrains en friche Des « Guitounes » (des tentes) avaient
été dressées en hâte pour accueillir les soldats, des tirailleurs algériens dont
l’
encadrement était composé exclusivement d’ officiers français En effet aucun
Algérien ne pouvait espérer accéder à ces grades s’ il ne renonçait pas à son
statut de musulman.
Aucune autre considération ne pouvait entrer en ligne de compte et ce,
en dépit de la valeur militaire amplement prouvée sur les nombreux champs
de bataille où les Algériens étaient placés en première ligne pour défendre les
intérêts de la « Mère patrie », La France.
A cette époque, les rares indigènes qui avaient eu accès à des postes
de responsabilité, soit dans la hiérarchie militaire, soit dans la haute
administration, avaient renoncé à leur statut personnel et de cette manière, le

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système colonial s’ assurait de leur « loyauté et de leur fidélité » car en effet
ces individus étaient aussitôt reniés par leurs coreligionnaires, qui les
affublaient du sobriquet de « M’ tourisi » (naturalisé) ou « M’ tourni » (retourné),
expressions retenues dans le parler populaire algérien, au sens péjoratif
assez appuyé que l’ on pouvait traduire par « Renégat » ou « Traître ».
En plus des hommes rompus au combat, pour mener à bien ce raid, il
fallait aussi des complicités à l’intérieur de ce camp, et c’ est ainsi que certains
soldats algériens avaient été contactés et sensibilisés pour en faciliter
l’accès… Déserter puis aller gonfler les effectifs de l’ ALN était la suite normale
de l’opération pour ces « baroudeurs ».
Et là, l’
on ne peut passer sous silence le rôle majeur de l’ agent de
liaison connu sous le nom de « Tayeb » dit « Moh le graisseur », d’ origine
marocaine, qui avait une dose de ruse paysanne phénoménale grâce à
laquelle il pourra survivre un peu plus longtemps que d’ autres agents de
l’ALN.
La première tentative de nuit échoua pour des raisons assez obscures
en cette période d’ Avril 1956. Ce n’ est que le lendemain soit le 19 avril 1956
que tout le groupe, constitué d’ éléments locaux tels Dghine Bénali, Moh le
graisseur, El Ouchdi Boumédiène, Tabti Mohamed dit Fethi, Aîssa Bendiboun,
Mostéfa Boulenouar, Kouider Boudjelti, El Ouini Boudjemâa et son frère,
réussit vers 11h du soir, alors que les militaires dormaient à poings fermés, à
l’exception de deux sentinelles à s’ infiltrer et à investir « la guitoune » qui
servait de poste de garde et où était entreposé le râtelier d’ armement. C’ est
Aïssa Bendiboun qui, le premier, fit irruption et ordonna aux soldats médusés
de lever les mains, dans un accent inimitable « Hou les mains », digne d’ un
film de Western. Les soldats tremblant de peur et complètement abasourdis
par tant d’ audace et de détermination, s’ exécutèrent sans broncher et tout le
groupe de Fidaiyine pénétra dans la tente. La chaîne retenant l’ armement est
vite cisaillée et les armes récupérées. Du coup, Tabti dit « Fethi », équipé
jusqu’ alors d’un fusil datant de 1886 (7/15) dérobé lors du coup de main
contre le siège de la commune mixte de Sebdou, troqua sa pétoire pour un
MAS 36.
Les soldats qui n’ étaient pas dans le coup, furent réduits à
l’impuissance, bâillonnés et ligotés ; ils ne pouvaient donner l’ alarme après le
départ du commando qui s’ est tout de suite replié en direction du Mefrouche,
c'est-à-dire en direction de la montagne, vers le sud de Tlemcen.
Hélas ! l’
alerte fut quand même donnée et des renforts affluèrent dans
la direction prise par les fuyards. Le groupe, lourdement chargé (armes,
munitions, tenues militaires) se ravise, par tactique guerrière, et prend la

25
direction du nord-ouest pour s’ éclipser à travers les vergers de Saf-Saf et
trouver refuge dans la maison des Benosman) à Feddan-Sebâa.
Cette ruse de guerre sera couronnée de succès car les Français,
lancés aux trousses des fugitifs, s’ éparpilleront sur les hauteurs surplombant
la ville de Tlemcen et continueront à chercher en vain les éléments du groupe
Si Brahim, renforcé, dès lors, par des tirailleurs rompus à tous les combats.
Parmi ces derniers, il convient de citer un certain Abdallah Larbaoui,
plus connu sous le nom de guerre de « Nehru » dans la Wilaya V. Plus tard, il
partit à Moscou pour poursuivre ses études à l’ Université Patrice Lumumba,
où il décrocha un Diplôme d’ ingénieur. Après l’ indépendance, il occupa le
poste de Secrétaire d’ Etat à l’hydraulique dans les années 70-80 et mourut
dans les années 1990 des suites d’ une longue maladie.
Pour clore ce chapitre de l’ attaque de la Manufacture du Textile de
l’
Oranie (MTO), il y a lieu de faire ressortir le fait, encore une fois, que ce coup
de main audacieux n’ a engendré aucune perte en vies humaines, tant du côté
des résistants que de celui des adversaires.
Cela démontre, s’ il en était besoin, le degré et la qualité de préparation
de l’ action à mener dont l’ objectif visé, cette fois-ci, était un armement
moderne et efficace. La planification des opérations du Commando Si Brahim
mettait en évidence le souci de préserver des vies humaines, en priorité celles
des combattants algériens. La propagande française fut, de nouveau, prise en
défaut, elle qui présentait les « fellaghas » comme de vulgaires bandits de
grand chemin assoiffés de sang et incapables de concevoir et de mener des
interventions minutieuses et précises.
Cette attaque fut dissimulée pour ne pas porter atteinte au moral de la
troupe et à celui de la population européenne, mais les tracts diffusés par
l’
ALN-FLN vantant cet exploit vont réduire à néant cette manœuvre et aiguiser
davantage l’ esprit de résistance de la population algérienne tant locale que
nationale.
La réussite de ce raid ouvre au Commando Si Brahim de nouvelles
perspectives et c’ est ainsi qu’ une autre action sera programmée puis
exécutée dans la ville de Tlemcen, connue sous l’ appellation de la fausse
patrouille , prenant pour cible le mess des officiers français et lui infligeant de
sérieuses pertes. Cette action va contribuer à créer un climat de peur et
d’insécurité dans toute la ville.

26
Commandant Ferradj –Commandant Djebbar –Colonel Rachid –Colonel
Mensali - Octobre 1956 -

27
Lotfi le 08-10-1957

28
LA FAUSSE PATROUILLE

Le 07 mai 1956
Le commando Si Brahim a acquis de l’ expérience après ses dernières
sorties. Son organisation se peaufine de jour en jour.
L’heure est à la planification d’une autre opération car désormais, ce
commando dispose de moyens humains et matériels conséquents, et même
de bases de repli plus sécurisées. Dans celle de Sidi Othmane, appartenant à
Bendidjelloul dit Ghezlaoui, régnait Mama, la maîtresse des lieux, femme d’ un
courage extraordinaire, d’ une endurance incroyable et d’ une foi inébranlable
dans le combat libérateur. Elle sacralisait tellement les combattants (réfugiés
ou Djounoud) qui séjournaient chez elle, qu’ un soir elle exigea de sa petite fille
Khadidja qu’ elle boive l’
eau avec laquelle un maquisard venait de se laver les
pieds. Telle était Mama, toujours disponible, dévouée et très vigilante,
donnant l’ alerte au moindre signe suspect. La guerre de libération nationale a
aussi été menée par des citoyens de cette trempe, héros restés dans
l’
anonymat.
Les membres du Commando ne restèrent pas entre temps inactifs et
Tlemcen connut quotidiennement des attentats : jets de grenades dans des
bars ou exécutions, à l’ aide d’
armes de poings, de traîtres ou de policiers.
Par un bel après midi, Aïssa Bendiboun, désireux de reléguer au
second plan les attentats individualisés et ciblés, eut une idée lumineuse qu’ il
exposa aussitôt à Brahim. Il rêvait d’attaquer le Méchouar, ou plus exactement
la soute à munitions du Méchouar, un dépôt régional gardé sévèrement par
l’
armée d’ occupation. Ce site jouxtait pratiquement la résidence du général,
commandant la garnison de Tlemcen, et faisait partie d’ un complexe militaire
englobant d’ autres casernes. Brahim trouva l’ idée tentante, surtout que « Dar
El Génénar », qui abritait le siège de l’ Etat Major de la subdivision, était
devenue depuis le déclenchement de la révolution, un centre de détention et
d’interrogatoires d’ où l’on ne sortait que rarement en vie. La torture y était
pratiquée d’ une manière systématique.
Cependant, ce projet, jugé trop risqué, n’ a finalement pas reçu l’ aval
de Dghine qui argumenta ainsi : a) d’ abord il y a un nombre
impressionnant de militaires français dans les parages. b) la déflagration
détruirait tout le pâté de maisons alentour. Il y aurait comme victimes, non
seulement des militaires français, mais aussi de nombreux civils tant
européens que Musulmans. Il y aurait donc dépassement et inobservation
d’une consigne cardinale du FLN, « Ne pas sacrifier des personnes

29
innocentes ». Approuvé par « Moh le graisseur », Brahim mit fin aux ardeurs
belliqueuses de Aïssa.
Mais au cours de cette discussion mémorable naquit une autre idée
qui fera petit à petit son chemin : choisir une cible, toujours au centre ville de
Tlemcen, qui ne risquait pas d’ avoir d’impact sur les civils, quels qu’
ils soient.
Le choix s’ est porté sur l’attaque d’ un restaurant à l’enseigne de « L’ auberge
Normande », qui accueillait des officiers français : cible stratégique par
excellence, offrant une surface et d’ autres possibilités de repli, mais ô
combien dangereuse et peut être difficile à atteindre car se situant seulement
à une cinquantaine de mètres du Commissariat Central de la police et de
l’hôtel du « Moghreb », fréquenté lui aussi par des officiers supérieurs. Dans
ce genre d’ opérations, l’effet de surprise est vital.
L’idée était donc de mettre sur pied une fausse patrouille de police
militaire constituée d’ éléments du Commando Brahim. Cette fausse patrouille
irait accomplir normalement sa mission en ville à la tombée de la nuit, juste
avant le couvre feu fixe à 20h, contrôler la situation des militaires rencontrés,
rendre le salut, etc… .
Ce mois de mai 1956 coïncidait avec la période du mois de Ramadhan et
l’heure de l’ attaque a été arrêtée à 19h30, juste au moment de la rupture du
jeûne, moment où la ville se vidait de ses habitants musulmans en particulier.
Cela éviterait d’ éventuelles victimes parmi la population algérienne dans le
cas d’ une riposte ou de représailles des soldats ennemis qui évoluaient
constamment dans le secteur. Les patrouilles étaient très nombreuses et
relevaient de corps différents : ce qui a fait naître l’ idée géniale d’ introduire
une fausse patrouille qui aurait beaucoup de chances de passer inaperçue.
Le plan était d’amener à pied d’ œuvre les membres du commando au
bas de la place des Victoires, à laquelle on accédait par une rampe à double
escalier. On venait de la rue basse et on se retrouvait sur cette fameuse
place, hautement symbolique, abritant le monument aux morts et réservée à
la célébration de toutes les cérémonies officielles de l’ armée Française.
Outre les membres du commando qui devaient arriver au bas de ce
double escalier dans une voiture couverte, il était prévu la participation, pour
une manœuvre de diversion, d’ éléments du « fida »local sous la conduite de
Fethi Bendimered : des grenades devaient être lancées en divers points de la
ville.
Le jour « J », soit le 07 mai 1956, les 10 hommes du commando dont
certains présentaient le type Européen, arrivent comme prévu dans un
véhicule bâché fourni par un militant de longue date. Celui-ci, pour ne pas
subir les foudres de guerre des forces de répression françaises, devait se

30
présenter vers le coup de 19h00 au Commissariat du 1er arrondissement et y
déclarer la disparition de son véhicule.
Les hommes du Commando, portant des tenues militaires Françaises
raflées lors des attaques du siège de la commune mixte de Sebdou ou de la
MTO, se préparent dans un calme impressionnant à ce coup de main très
audacieux. Un point noir subsistait cependant pour faire tout à fait vrai : les
volontaires n’ avaient, comme chaussures, ni des brodequins, ni des rangers
réglementaires : seulement des chaussures montantes de sport, des tennis ou
des espadrilles.
Ainsi vétus, les résistants se dirigèrent résolument, vers 19h, dans un
ordre tout à fait digne d’ une vraie patrouille française, vers l’ objectif. Cette
fausse patrouille commença donc à déambuler en répondant aux saluts
obligatoires de soldats français qu’ elle croisait dans la rue. Certains posaient
un regard interrogateur sur leurs chaussures, ne sachant que penser.
La patrouille avançait toujours, l’ air détaché, dans l’ obscurité
grandissante et l’ allure très naturelle de son chef, qui n’ était autre qu’un
déserteur de la MTO, n’ éveilla pratiquement aucun soupçon.
Dans un ordre impeccable, le groupe s’ engagea dans la rue de la
Mouillah, continua par la place de la Mairie, bifurqua par la rue de France et
revint par l’esplanade du Méchouar vers son objectif.
Arrivés sur les lieux et s’ assurant qu’ il n’y avait aux alentours du
restaurant aucun groupe ennemi, chacun des membres, imprégné du rôle qui
lui a été confié, rejoignit immédiatement l’ emplacement qui lui a été désigné à
l’avance. Le restaurant servant de mess aux officiers était assiégé. Il était
convenu que seuls les anciens déserteurs, et à leur tête Abdellah Arbaoui dit
Nehru, rompus au maniement des mitraillettes Thomson, devaient pénétrer
dans le local ciblé et vider deux chargeurs chacun sur les Français. Dès leur
irruption dans la salle, braquant les militaires, ils mirent sans ménagement de
côté les quelques femmes et enfants qui s’ y trouvaient et firent feu, à bout
portant, sur les nombreux gradés attablés.
Dehors, les autres membres du groupe avaient été disséminés autour
de la place, prêts à faire face à toute éventualité et surtout à couvrir la retraite
de leurs camarades qui, ayant exécuté leur action, devaient se diriger vers
l’escalier et la voiture qui attendait dans la rue Basse.
L’ attaque terminée, tous les éléments du Commando se replièrent vers
la camionnette, descendant quatre à quatre les escaliers menant au lieu
convenu. Le chauffeur, Boulenouar Mustapha, un autre membre du
Commando, les attendait, moteur en marche et le pied sur l’ accélérateur.

31
Aussitôt il démarra en trombe, déboucha sur la Kissaria qu’ il dévala à
toute allure, atteignit le quartier Bab Sidi Boumédiene et prit la rue qui
descend vers le Faubourg Agadir.
Les combattants déposés à Kessarine regagneront en toute hâte, à
travers les vergers, leur base de repli de Sidi Othmane. Pour dérouter
l’
ennemi et lui faire perdre tout repère, le véhicule sera abandonné bien loin
du PC, à El Kalâa supérieure, au Sud de la ville.
Le bilan de la fusillade est rapporté par EL MOUDJAHID du mois de
mai 1956, toujours dans la rubrique des exploits de l’ ALN p 27 n°2 tome 1,
comme suit :
« A Tlemcen, une patrouille de moudjahidine pénètre en ville, mitraille
un mess d’ officiers à 20h 30. Résultat : 13 officiers tués et 13 autres
blessés ».
Ce bref communiqué ne déplore aucune perte civile. Du côté du
Commando, rien à signaler : ni mort, ni même un blessé, tellement l’ attaque a
été diligentée de main de maître, ne permettant aucune riposte.
Le groupe s’ étant immédiatement évanoui dans la nature, les renforts
de police et de l’ armée, arrivés sur les lieux dans les instants qui suivirent,
n’ont pu se livrer aux habituelles actions de représailles, les rues étant
désertes en raison de la rupture du jeûne de Ramadhan et du couvre feu
imposé à 20h.
Par contre, d’ autres éléments para-militaires constituant un
groupuscule à la sinistre réputation, dénommé « la main rouge », ne tarderont
pas à réagir. Ils exécuteront les nuits suivantes des Algériens qu’ ils sortiront
de leur lit ou qu’ ils captureront le soir dans la rue.
En tout état de cause, la seule victime à déplorer suite à cette
opération a été un malheureux jeune homme, Benosmane Bénali, qui était
sorti de chez lui juste avant le couvre feu et se dirigeait vers la rue Benziane. Il
a été abattu par une patrouille Française au niveau de la rue Sidi el Yeddoun.
Au lendemain de cet exploit, les répercussions auprès de la population
Algérienne furent extraordinaires, et son moral remonté à fond. Par contre le
sentiment d’ insécurité envahit une large couche de la population Européenne
qui, au-delà des réactions de peur, laissa s’ extérioriser sa haine de l’ Arabe.
Les escadrons de la mort vont se venger, dès la nuit tombée, des
habitants des quartiers populaires.
Le cycle des exécutions sommaires s’ intensifia et les éboueurs
découvraient régulièrement, dans la rue, des cadavres d’ hommes jeunes ou
vieux, criblés de balles et abandonnés bien en évidence pour mieux frapper
les esprits et semer la terreur au sein de la population Tlemcenienne.

32
Des noms de policiers, de militaires, d’ Européens et même de certains
collaborateurs algériens, circulaient et des Meglino, Momo, Settouti, François,
Decoufley, Cascales, Salinas et bien d’ autres étaient réputés faire partie
de ces tueurs nocturnes.
Après une période d’ effroi, la population indigène va réagir et
s’organiser. C’ est ainsi que des « Choufs » (guetteurs) s’ installaient, à la nuit
tombante, sur les terrasses des maisons, armés de pierres, de bouteilles
d’esprit de sel, de sifflets et de récipients divers pour donner l’alerte en faisant
le maximum de bruit au moindre mouvement suspect détecté dans la rue ou le
quartier. Ils étaient aussitôt relayés par les cris stridents des femmes, et tout
ce vacarme gagnait en ampleur et se propageait de terrasse en terrasse, de
quartier en quartier. C’ était la seule parade, plus ou moins efficace, imaginée
par une population traumatisée, sans défense et livrée aux exactions de ces
bourreaux sans foi ni loi.

L’opération de la « fausse patrouille », ce haut fait d’ armes des


combattants Algériens, a obligé l’ armée Française, déconcertée, à
reconsidérer profondément son dispositif sécuritaire, et désormais échaudée,
elle ne fait plus assurer ses prérogatives de police que par une seule
patrouille, habilitée à contrôler les soldats des différents corps (terre, mer, air)
et reconnaissable de loin avec une tenue uniforme et portant, bien en vue,
aussi bien sur un brassard au bras gauche que sur le casque, le sigle P.M.
(Police militaire).
Par la suite, cet épisode de la lutte de libération a même inspiré un
film, tourné à Tlemcen après l’ indépendance. Mais pour des raisons obscures,
ce film n’ a jamais vu sa programmation dans les salles de cinéma
Algériennes.
Les personnes qui ont participé à cette action sont :
1) Larbaoui Abdellah dit Nehrou
2) Caporal Abdellah déserteur caserne MTO
3) Wachimin
4) Ali Quinta
5) Aissa Diboun
6) Gasmi Abdelkrim dit Toubib
7) Boulenoir Mustapha chauffeur
8) Kara Slimane Bénali dit Si Kouider
9) Tabti Mohamed dit « Fethi »
10) El Ouchedi Boumédiène dit « Abderrezak »

33
Participants au 1er Commandos de Tlemcen - Années 1955 –1956

Date
Date de
d’incorporat
Nom et prénoms Surnoms décès Observations
ion au sein
pour les
des
martyrs
commandos
Chef du
DGHINE Bénali Brahim-Lotfi 1955 1960
commando
El Oudjedi
Abderrezak 1955 Vivant
Boumediène
Réda le
Bouchama Réda 1955 Vivant
cycliste
Tayeb-
Mohamed Benseghir 1955 1959 Marocain
Graisseur
Tabti Mohamed Fethi 1955 Vivant
Bénamar Larbi Larbi 1955 Vivant
Déserteur
Ali Quinta Quinta 1955 1956
caserne MTO
Diboun Abdellah Hadj 1955 1958
Déserteur
Nayli Nayli 1955 1956
caserne MTO
Djelti Abdelkader Kader 1955 Vivant
Lâayouni Boudjemâa Boudjemâa 1955 Vivant
Chauffeur de
Lâayouni Boudjemâa Lâayouni 1955 Vivant
Taxi
Déserteur
Caporal Abdellah Abdellah 1955 1956
caserne MTO
Déserteur
Tadj Tadj 1955 1956
caserne MTO
Déserteur
Wachimin Wachimin 1955 1956
caserne MTO
Boulenouar Mostéfa Mostéfa 1955 1959
Nehrou Ex Ministre
Arbaoui Abdellah 1955 1999
mahmoud après l’
indép.
Bekhti Abderrezak Abderrezak 1956 1956
Guerriche Mohamed Houari 1956 1957
Chiali Mustapha Réda 1956 1957
Kara Slimane Bénali Si Kouider 1955 1957

34
Participants au 2ème Commandos de Tlemcen Années 1956 –1958

Date
d’incorpor Date de
ation au décès Observation
Nom et prénoms Surnoms
sein des pour les s
commando martyrs
s
Hamadouche Chef du
Salah 1955 1957
Boumédiène commando
Boulenouar Mostéfa Mostéfa 1955 1959 Adjoint Chef
Bali Bellahcène Hadj 1956 Vivant Secrétaire
Bounnouar Taleb Bounnouar 1956 1958 Djoundi
Moulay Ahmed Ahmed 1956 1958 Djoundi
Inal Sid Ahmed Sid Ahmed 1957 1958 Artificier
Bendi Djelloul
Ghazlaoui 1956 1958
Abdesselam
Gasmi Abdelkrim Toubib 1956 1957 Djoundi
Commissaire
Kheddim Ali Major 1956 1957
politique
Benchekra Sid Cadi.Resp.Sce
Khaled 1956 1957
Ahmed .Religieux
Sabi Mohamed Sabi 1957 1957 Djoundi
Hebri Madjid Madjid 1957 Vivant Djoundi
Briksi Med Bénali Briksi 1957 1957 Djoundi
Ziane Abdelhamid Hamid 1957 Vivant Djoundi
Ben Achour
Boxeur 1957 1957 Djoundi
Mohamed
Tayeb Djoundi Orig.
Mohamed Benseghir 1955 1959
Graisseur Marocain
Yahia
Benyahia Yahia marchand 1956 1958 Artificier
de banane
Omar Kanour Omar 1956 1957 Djoundi
Guerriche Mohamed Houari 1956 1957 Djoundi

35
36
BALI B. et ses 3 adjoints –1957 -

37
L’ENLEVEMENT DE SOLDATS FRANÇAIS
DU POSTE D’EL FEHOUL (SIDI ABDELLI)
Suite à la spectaculaire désertion avec armes et bagages de 18
soldats algériens enrôlés dans l’ armée française en 1955 (affaire MTO),
orchestrée par les combattants Abdellah Larbaoui dit Nehrou, Hadj
Bendiboun, Larbi Ben Amar, Mustapha Chiali dit Réda, une action similaire et
non des moindres a été programmée et exécutée quelques mois plus tard
dans la caserne de Sidi Abdelli, une commune située à une trentaine de
kilomètres de Tlemcen.
Cette opération, qui a vu l’enlèvement de plusieurs soldats Français et
la récupération d’ un lot d’
armement, fait subir à l’ administration coloniale un
sérieux revers.
L’ audace et la clairvoyance avec lesquelles a été menée cette
opération ont manifestement ébranlé les certitudes françaises.
En effet, tout a commencé quand Mansour, un agent civil du FLN
résidant dans la localité d’ El Fehoul (Sidi Abdelli), a été chargé de prendre
contact avec un groupe de militaires algériens enrôlés dans l’ armée française.
Avec une habilité déconcertante, Mansour est arrivé à gagner la
confiance de deux éléments du groupe. Les liens entre eux se sont resserrés
davantage après que Mansour leur ait adressé des invitations et affiché à leur
égard une entière disponibilité.
Un jour, les sentant assez sensibilisés, il leur fit part de l’ opération
envisagée et des objectifs visés par le FLN à l’ intérieur même de la caserne
d’El Fehoul (Sidi Abdelli): procéder à l’ enlèvement de soldats français et
s’emparer d’ un lot d’
armement et de munitions.
Les interlocuteurs de Mansour ont immédiatement souscrit à ce projet.
Dans les semaines qui suivirent, une stratégie été mise en place par
Nehru, qui a dirigé cette opération.
Après avoir établi une liaison avec les agents du FLN, l’ itinéraire vers
le théâtre des opérations a été tracé. Feu Mostefa Boulenouar a décrit,
comme suit, le déroulement de cette expédition : « Le commando de Si
Brahim (Colonel Lotfi) renforcé par les éléments du groupe s’ est mis en branle
en traversant des champs d’ agrumes, des vignobles et des collines.
Le trajet vers El Fehoul (Sidi Abdelli) a nécessité plus de 5 heures de
marche bien pénible, mais nous n’ avons rencontré aucun obstacle majeur.
Nous avons observé une halte chez un certain Lahcen, pour nous reposer et
passer la nuit. Le Merkez est situé à la lisière d’ une forêt dense. Mansour,
l’
agent de liaison, est venu nous voir le lendemain à la première heure.
Il était accompagné, pour la circonstance, du chef de groupe. En bon
patriote, Mansour nous donna de précieuses informations sur :

38
1- le nombre de soldats se trouvant dans la caserne.
2- le type et la quantité d’armement de cette unité.
3- les horaires de la relève des deux postes de garde. Des
renseignements de valeur pour ce genre d’ opération car, selon l’ adage
populaire « un homme averti en vaut deux ».
Outre ces éléments d’ information, le chef du groupe nous confia que
les 38 engagés Algériens sont prêts à déserter la caserne, à l’ exception d’un
seul. Le travail psychologique de Mansour après plusieurs mois de
sensibilisation a donné ses fruits. Le récalcitrant sera neutralisé une fois
l’
offensive lancée.
L’ heure de l’ attaque est fixée à 1h du matin. Cet horaire coïncide avec
la relève de la garde, qui sera assurée à ce moment là par deux Algériens
acquis à la cause. Toutes les dispositions sont prises pour assurer la réussite
de cette action.
Le lendemain, après une marche de prés de 50 minutes, nous nous
sommes cachés derrière le feuillage d’ une rangée de platanes en attendant le
signal de l’ attaque. Il était 1 heure précise quand la section, qui se trouvait
sous la conduite de Nehru, s’ est infiltrée dans la caserne par la porte de
secours laissée ouverte conformément aux consignes données par Mansour.
Le groupe a ainsi pénétré facilement dans le dortoir N°02, où se
trouvaient 19 soldats français plongés dans un profond sommeil. Ils furent
réveillés, l’un après l’ autre, pour être ligotés et dirigés vers un coin du dortoir.
Encore mal réveillés, ils n’ ont manifesté aucune résistance. Puis très vite, ils
réalisèrent qu’ ils étaient gardés par leurs camarades de chambrée. Les deux
autres dortoirs étaient occupés par les engagés algériens armés de pied en
cap et prêts à suivre les consignes des résistants. Parallèlement à cette
action, un autre groupe de résistants s’ est dirigé vers la poudrière pour se
saisir d’ un lot important d’ armes et de munitions. Ainsi l’ effet de surprise a été
décisif, et l’ opération, menée dans un silence religieux, parfaitement
chronométrée. L’ ordre a été donné par le responsable Nehru de se replier. Le
dispositif mis en place par les deux stratèges consistait à contourner la route
ralliant directement le Maroc.
Déplacer les soldats prisonniers et convoyer les lots d’ armement dans
un environnement hostile était loin d’ être une sinécure. On prit brusquement
conscience de la difficulté à mener à bon port cette manœuvre.
Il fallait trouver des axes de contournement pour échapper à l’ armée
coloniale et éviter surtout d’ être repéré. C’ est ainsi que, chargé d’ une
manœuvre de diversion, un groupe de 11 Moudjahidine prit la direction de
Bensekrane, tirant de temps à autre quelques coups de feu et ciblant même

39
sur son passage une ferme de colons, signalant de la sorte bruyamment sa
position.
Nehru décida d’ emprunter un itinéraire opposé menant à Aïn Fezza
puis Terny, Ouled Hammou, Sabra, pour entrer ensuite au Maroc avec les
prisonniers. Avant d’ atteindre Sabra, l’on s’aperçut que l’un des déserteurs
balisait notre trajet en semant les cartouches de son pistolet 11/43. Convaincu
de trahison, il fut condamné, exécuté sur le champ et enterré. L’ exemple était
édifiant. Les responsables du FLN à Oujda, informés, attendaient avec
impatience la remise de ces prisonniers pour les présenter à l’ opinion
internationale et s’ en servir éventuellement comme monnaie d’ échange.
C’est à travers des collines et des montagnes au relief escarpé et
tourmenté que la colonne s’ est mise en marche, se déplaçant de nuit avec
des éclaireurs bien loin devant. Dans toutes les localités traversées, l’
accueil a
été chaleureux. « La révolution capable d’ une telle prouesse se portait bien »
estimaient les habitants des zones traversées.
Le trajet d’ El Fehoul (Sidi Abdelli) vers les limites de la bande
frontalière a duré prés de 10 jours. Sans encombre, la petite troupe avançait
régulièrement, et ce, grâce à la perspicacité, à l’ expérience et à la
connaissance du terrain des différents « Ittissal » (agents de liaison) qui se
relayaient tout au long du parcours, pour nous amener à bon port.
Mais malheureusement, au niveau de Ghar Belghafer près de Sabra,
un avion « mouchard » Français avait repéré le groupe. Le « Piper » effectuait
des survols en rase motte. Excités et pressés de toucher au but, nous nous
sommes engagés, par inadvertance, en terrain découvert.
C’était une zone, semi steppique, dégarnie, agressive, qui n’ offrait
aucune possibilité d’ échapper au « Piper».
L’
alerte sûrement donnée, l’ encerclement de notre troupe était
imminent. Cette situation a conduit Néhrou à ordonner, à contre cœur,
l’
exécution de tous les prisonniers enlevés de la caserne pour pouvoir prendre
la fuite à travers la végétation clairsemée. « A la guerre comme à la guerre »
et chacun devait infliger le maximum de pertes au camp adverse, soupira-t-il.
Et là, le groupe, délesté de son fardeau, a pu affronter une compagnie
ennemie. Des tirs nourris crépitaient de plusieurs endroits à la fois. Cet
échange de coups de feu a duré plus de deux heurs. C’ est à 21 heures
seulement que nos hommes sont arrivés à se frayer un passage et à
échapper à l’ encerclement qui se dessinait. 8 heures après, grâce à la
connaissance du terrain et après avoir puisé dans toute ses ressources, le
groupe s’ est retrouvé non loin des fils de fer barbelés de Touisset-Boubekeur
au Maroc, enfin à l’ abri. La déception était immense. Cependant cette
opération a eu un impact considérable et marqua un tournant dans la lutte

40
armée. Elle désarçonna encore une fois l’ armée coloniale qui a essuyé un
deuxième échec après celui de l’ affaire de la MTO.
Malgré la fatigue et les risques encourus, la fierté était visible sur les
visages de tous les éléments du groupe qui avaient le sentiment d’ avoir
accompli l’
essentiel de leur mission.

Colonel Lotfi, Boumédiène, Taybi Larbi, Djaber, Rachid Boussouf, Gaid


Ahmed, Larbi Benmhidi

41
Cd. Slimane, Col. Boumédiène, Col Lotfi, Nacer

Groupe de Djounoud dans les maquis

42
AU « QUARTIER RESERVE »

Mois de Mars 1956.


La ville de Tlemcen était contenue à l’ intérieur de remparts la
ceinturant entièrement. Pour y entrer ou en sortir, l’ on était tenu de franchir
l’
une des portes prévues à cet effet, telles Bab- El- Hadid, Bab- El- Djied, Bab-
wahran et Bab Sidi-Boumediène. Près des remparts se trouvait le « quartier
réservé », ensemble de maisons closes où les militaires français venaient se
distraire, oubliant le temps d’ une sortie, leur mal-être, et se laissant aller à la
boisson. Ils ne cessaient de plaisanter en disant que « l’ alcool était un
ennemi », mais que « celui qui fuyait l’ ennemi était un lâche. »
A17h 30, Djelti Abdelkader, Tabti Mohamed et El-Ouchedi
Boumediène, trois Fidaï, armés de pistolets 7.65 et 9mm, rôdaient dans ce
quartier chaud peuplé à longueur de journée de militaires français,
déambulant de boîtes en bars, désœuvrés, cherchant à se saouler et
s’amuser. Ils jetèrent vite leur dévolu sur cinq soldats qui paraissaient bien
éméchés. La tâche n’ était pas difficile pour nos jeunes Fidaiyines qui suivirent
ce groupe jusqu’ à la pissotière installée prés de là. Une fois dans cette
pissotière métallique à la forme circulaire, l’ on avait le dos tourné à la rue et
seules les têtes émergeaient. Les patriotes choisirent ce moment précis et,
visant justement la tête, abattirent à bout portant les cinq militaires.
Sans précipitation, nos jeunes audacieux empruntèrent la route qui
descend vers Sidi Lahcene, pour se retrouver, en moins de vingt minutes, à
Sidi Othmane, au PC de la famille Ghezlaoui Bendi djelloul.
Tout fiers du résultat de cette mission, nos jeunes combattants en
dressèrent sur le champ un rapport détaillé à Si Brahim. Ce dernier, en fin
stratège, et désireux d’ engranger un maximum de résultats positifs, sauta sur
l’
opportunité qui se présentait et décida d’ envoyer aussitôt deux autres
résistants pour terminer la besogne.
En effet, pour les besoins de l’ enquête, l’ armée, la PRG et la police
locale, devaient être sur les lieux de l’ attentat, affairés à relever des indices et
procéder à l’ évacuation des cadavres.
C’ est à ce moment-là, à 18h20, que les 2 volontaires lancèrent, de
derrière les remparts, chacun sa grenade dans ce fourmillement d’ agents du
colonialisme. Bilan de cet attentat à la grenade, selon Allal Haddad, ex
membre de la PRG (Police des Renseignements Généraux) : 17 morts et 12
blessés.
Les opérations du Fida et du Commando déstabilisaient en
permanence les forces ennemies qui devaient, par une concentration de

43
troupes, renforcer la surveillance des centres urbains. Mokhtar Bouzidi devait
jubiler: il avait atteint son objectif en affectant le groupe Brahim à Tlemcen :
desserrer l’ étau sur les maquisards dans les campagnes et désarticuler le
potentiel ennemi.

L’Etat Major (La grande équipe) Lotfi, Rachid, Nacer, Boumédiène…

Le 15 juin 1957 : Lotfi et son assistant à Béchar

44
Okbi, Medeghri et Bouteflika A.

Avril 1958 : L’Etat Major à Oujda lors d’un spectacle

45
46
LE FIDA ET TLEMCEN

A la fin de l’
année1955, la Révolution et son corollaire, la résistance
populaire, prennent une ampleur considérable. Continuellement, les bateaux
accostent en Algérie pour débarquer un nombre impressionnant de soldats
coloniaux.
L’Algérie s’
embrase de la frontière tunisienne à la frontière marocaine.
Des actions de rébellion sont menées à travers tout le territoire national par
nos valeureux combattants.
Chaque jour apporte son lot de sabotages, embuscades, attentats,
destruction des domaines coloniaux et exécutions de traitres. Après sa
cinglante défaite en Indochine, l’ armée française, redéployée pour sa plus
grande part en Algérie, ne parvint pas à contenir le soulèvement. Les colons
ne cessent de réclamer à la métropole des renforts pour protéger leurs vies et
les biens dont ils avaient spolié les authentiques propriétaires.
En réponse à cet appel, les autorités prennent un certain nombre de
dispositions. Le 24 février 1955, un arrêté permet le rappel des réservistes. Le
gouvernement d’ Edgar Faure va proroger deux décrets datés des 24 et 28
avril 1955, ordonnant l’ envoi des appelés en Algérie. Le service militaire verra
sa durée s’ allonger successivement de 18 à 24, 27 puis 30 mois. Ces
mesures feront que les effectifs atteindront 415 000 hommes en 1957. En
totalité, la guerre d’Algérie aura mobilisé 2 millions d’hommes dont 15 000
de la marine, 86 000 de l’ armée de l’ air1 et 120 000 harkis.
Et dire que cette armada n’ avait en face d’ elle qu’ une poignée
d’ hommes dont la force venait de l’ invisibilité mais aussi, il faut le dire, de la
Foi en un Islam millénaire. Leur stratégie reposait sur la guérilla. Cependant
ils étaient mis en échec par les postes militaires situés près des fermes
européennes, et distants l’ un de l’autre de 10 kilomètres (km) à peine. Ce
réseau faisait qu’ à chaque action des moudjahidine, l’ armée répondait
rapidement par des rafles et des ratissages.
Face à cela une décision fut prise par nos supérieurs. Le
Commandement de la Wilaya avec à sa tête Boussouf, Bouzidi et Djaber,
adressa une circulaire à toutes les zones, régions et secteurs, leur ordonnant

1
J.O. assemblée Nationale, débat 25 Janvier 1982, p.263

47
d’ouvrir un deuxième front à l’ intérieur des villes et des villages. C’
est ainsi
que ce deuxième front put voir le jour.
Cette guérilla urbaine prit le nom, ô combien symbolique de « Fida »,
terme arabe qui signifie payer de sa vie la liberté de son pays ou de tout objet
que l’on vénère. La connotation religieuse était toujours présente dans notre
esprit.

Avant de relater les événements extraordinaires qui eurent lieu à


l’
époque je voudrais éclairer le lecteur sur le rôle du Fida en général dans la
Révolution Algérienne par un article du Moudjahid (organe central du FLN)
que je vais citer :

« Le Fida : Sentinelle avancée de la Révolution


Le 26 juillet 1956, un fidaï a abattu un policier à Tlemcen
Que cache cette information ? Qu'est-ce qu'un fidaï ? Quel est son rôle
dans la Révolution ?
Le fidaï est d'abord un militant. Sa formation politique estélevée et ses
qualités personnelles le préparent aux missions délicates. Cette maturité
exclut toute révolte stérile et tout mécontentement vide de contenu.
Le fidaï est un soldat, mais c'est un soldat installé au cœur même du
dispositif ennemi. Son rôle est multiforme. Tour à tour désigné pour abattre un
traitre ou pour détruire une installation militaire, il représente l’ALN dans la
ville ou dans le village. Avec son groupe, il soutient et prolonge l'action de nos
unités.
Son existence pose à l'ennemi des problèmes insurmontables: Pour le
neutraliser les forces de police sont d’ abord multipliées. Dans une deuxième
phase, les militaires viennent renforcer la surveillance dans les centres
urbains. Par l'ampleur des moyens mis en œuvre, l'ennemi montre le rôle
important que joue le fidaï dans la lutte révolutionnaire. Le filaï fixe et
immobilise de grandes unités dans les centres. L'effort militaire demandé à
l'adversaire est de plus en plus important. Malgré les patrouilles et les
contrôles multiples, malgré les tortures, les fidaïyine continuent à remplir
méthodiquement leurs missions,
La plupart du temps, le révolver est l'arme du fidaï. En plein jour, dans
la rue ou dans un café, le fidaï s'avance et abat le policier qui se vante d'avoir
torturé jusqu'à la mort plusieurs dizaines de patriotes.
Parfois, tout un groupe est chargé d'une mission de diversion. Le
commando, profitant de la panique causée par l'action de nos fidaïyine peut
réaliser son objectif : sabotage d'une centrale électrique ou évasion de
militants détenus dans les locaux mêmes de la police ennemie,

48
Importance stratégique du Fidaï
Mais l’importance du fidaï réside surtout dans le climat d'insécurité que
son action fait régner dans les centres urbains. Dans une guerre classique,
l'ennemi est localisé. Il existe des zones de feu et des zones de repos. Or, le
fidaï contribue à faire du territoire national une immense zone de feu. Il n’ ya
pas de repos pour l'adversaire. Après de dures rencontres avec nos unités,
l'ennemi se retire dans les villes avec l'espoir de .se détendre dans des
conditions moins périlleuses. Or, le fidaï veille. L'ennemi n'a droit ni au calme
ni à l’oubli. L'armée algérienne, partout présente, frappe dans tous les coins
de rue.
L'adversaire s'aperçoit alors que c'est tout le pays qu'il faut combattre.
Le désarroi, et bientôt le défaitisme, s'installent au cœur même de l'ennemi.
Pareillement, les colons des campagnes, qui avaient organisé les
premières battues à l'Algérien, désigné aux mitraillettes des militaires comme
ennemi personnel, ont « commandé » des ratissages auxquels ils ont participé
parfois. Après quelques mois, ils commencèrent à se réfugier dans les villes,
sentant que la révolte était en réalité une guerre de longue haleine ; ils
espéraient ainsi échapper aux Algériens qui les connaissaient et fuir une
atmosphère de plus en plus dangereuse.
Or, à peine installés, plusieurs de ces colons sadiques vont être
abattus. Le fidaï enlève aux tortionnaires de notre peuple tout espoir de se
sentir en sécurité sur le territoire national. Le repli des colons ou des
fonctionnaires trop exposés ne règle pas le problème. Chacun de ces
ennemis du peuple a son dossier. Et mission est donnée aux fidaïyine de
venger nos frères torturés et abattus. On voit que l'ennemi s'illusionne lorsqu'il
fait du fidaï un révolté, un affamé, ou même un objet docile entre les mains de
chefs fanatiques.
Le fidaï, toujours volontaire, lorsqu'il est choisi pour abattre un ennemi,
reçoit en communication tous les renseignements concernant la victime.
Ce n'est pas un homme dans la rue qui doit être abattu, « Mais bien
cet homme précis qui, à Ménerville, a dirigé une opération de représailles
contre la population civile. » Le bilan de cette inqualifiable opération, les morts
et les blessés, les douars incendiés, tout cela, le fidaï doit le savoir Enfin est
lue la condamnation à mort pour crimes contre le peuple, prononcée au nom
du Front de Libération Nationale. »2

2
El Moudjahid, N°09 du 20 Août 1957

49
En décembre 1955, Abdelhafid Boussouf affecta Dghine Benali, sous
le pseudonyme de Brahim, à Tlemcen pour y organiser et lancer des cellules
de Fidaïyine et mettre en place un groupe de Commandos opérant dans les
banlieues de Tlemcen. Il allait devenir ensuite le fameux Colonel Lotfi. En
l’
espace de cinq mois, de décembre 1955 à mai 1956, Dghine Bénali tissa un
réseau très important de fidas. Avant sa mutation à la 8 ème zone, il installa un
nouveau groupe de commandos à la suite de la fin tragique des premiers
djounouds tombés au champ d’ honneur, lors d’
un accrochage dans le verger
de la famille Benosman, le 18 mai 1956.
Seulement, dans la nouvelle organisation, le commando était réduit à
une unité de cinq éléments, afin de permettre une circulation plus fluide,
moins repérable, et de réduire « le choc », en cas d’ arrestations. A la tête de
la pyramide, se trouvait Hamadouche Boumédiène, dit Si Salah. Les autres
éléments étaient les suivants ;
- Boulenouar Mostefa, dit El Ouarnichi, adjoint
- Bali Belahsène, dit El Hadj, secrétaire
- Chelda Boulenouar, djoundi
- Abdelli Moulay Ahmed, djoundi
- Khedim Ali, dit Major, Commissaire politique (armé mais ne
participe pas aux actions)
- Benchekra Sid Ahmed, dit Si KHALED, Commissaire religieux
(armé mais ne participe pas aux actions).

D’autres Djounoud rejoignirent nos rangs. En mars 1957, arrivent


Zerga, Inal Sid Ahmed et Ghezlaoui Abdeslem. En juin 1957, nous rejoignirent
Habri Madjid, Ziane Abdelhamid, Benachour Mohammed. A la même date,
Abdeldjebar est nommé Chef de secteur. Tlemcen se trouvant à la 1ère zone.
La zone I était découpée en quatre régions, chacune dirigée par un
sous lieutenant assisté par trois aspirants, le Commissaire politique et le
responsable militaire. Elle couvrait toute la région de Béni-Snous, les Ouled
N’Har, Ouled Ouriach avec Sebdou, Maghnia avec Béni Ouassine et Béni-
Boussaïd, Sabra avec Bouhlou, le Kef, Ouled Riah, Béni Mester, Tlemcen
avec toute sa région jusqu’ à Bensekrane, Remchi, Hennaya Saf-Saf, Chouly,
Ouled Sid-El-Hadj, Béni Ghazli, Aïn Fezza, Ouled Mimoun à Béni Smayyal.
Elle couvrait tous les monts de Tlemcen qui étaient devenus l’ un des bastions
de la révolution, vu leur relief et leur situation stratégique frontalière avec le
Maroc, devenu importante base arrière.

De nombreuses cellules de civils furent installées notamment pour les


renseignements, et pour collecter les contributions financières des citoyens.

50
Ces auxiliaires que nous appelions des « Moussebiline », furent aussi de
précieux agents de liaison chargés de faire le guet pour les unités militaires.
Ils étaient utilisés comme guides dans les maquis. L’ ensemble de ces
3
Moussebiline fut intégré par la suite à l’
OCFLN . Les opérations de Fida furent
organisées au niveau de Tlemcen. Je me souviens très bien de ses
instructions lors des réunions des Commandos du 3ème secteur :
« Il faudra organiser continuellement des actions en ville afin que le
gros de l’ armée coloniale se concentre à l’intérieur de la cité ce qui desserrera
l’étau sur nos unités armées combattant dans les zones rurales. Pour qu’ on
nous prenne au sérieux, il faut que Tlemcen et ses environs bougent, qu’ on
parle de nous. Un pétard rue de France fera plus de bruit qu’ une embuscade
meurtrière dans la montagne. Ici tout le monde en parlera. La presse en fera
sa « une ». Ces actions feront les gros titres des presses, écrite et parlée,
ainsi que des actualités cinématographiques. C’ est dans la ville que tout devra
se passer. C’ est l’
ouverture d’
un deuxième front dans les villes que je veux ».
Cette visite remonta à fond le moral des combattants et Tlemcen
s’ embrasa selon le schéma suivant : de jour, la ville était le théâtre d’ actions
d’ éclat quotidiennes organisées par le fida : grenades lancées dans les bars
ou les terrasses occupées par des militaires, exécutions sommaires des
indicateurs et des colons.
De nuit, les commandos en uniforme entraient en action : sabotage de
voies ferrées, déraillement des trains pour couper les communications et le
ravitaillement des troupes d’ occupation, destruction des transformateurs
électriques et des fermes coloniales, embuscades et harcèlement des troupes
militaires.
Parallèlement, les destructions des fermes étaient opérées par des
civils encadrés par des membres de l’ ALN. Ce fut d’ ailleurs à cette occasion
que je fis mon baptême du feu dans le maquis lors de la destruction de la
ferme fourneau.
Ainsi, deux fronts complémentaires s’ embrasèrent simultanément, en
ville et à la campagne.

3
Organisation Civile du Front de Libération Nationale

51
Elèves et professeurs de la Médersa de Tlemcen

Lotfi et un groupe de Djounoud

52
Infirmières portant assistance à des civils

53
Bab Sidi Boumédiène –Tlemcen -

1946 : Bab el Djiad, Ex rue de Bel Abbes


Actuellement Rue du 1er Novembre

54
Dahou Ould Kablia parle du colonel Lotfi
(« Le Quotidien d’Oran » du : 27/03/2006)

Lotfi, de son vrai nom Dghine Bénali, est né le 07 Mai 1934 à Tlemcen,
dans une famille relativement aisée. Il fit ses premiers pas dans le monde
scolaire successivement à Tlemcen, Oujda, Alger, au gré des pérégrinations
de sa famille avant de retourner à Tlemcen et d’ intégrer le lycée Franco-
musulman ou Medersa, comme l’ appelaient certains.
Cette Médersa dispensait un enseignement de grande qualité en
français et en arabe, ce qui permettait l'acquisition d'une vaste culture ouverte
sur l'universalité mais ouverte aussi sur l'esprit critique à la faveur des débats
les plus libres.
L'éveil à la politique:
Son éveil à la politique fut précoce, au contact, en dehors de la
Médersa, du mouvement scout dont il déclamait fréquemment les chants
patriotiques (témoignage de Djamel Brixi) puis, un peu plus tard, au sein d'une
cellule réduite de camarades proches, affiliés clandestinement au MTLD
(témoignage de Mohamed Lemkami).
Le déclenchement de la Révolution, le 1er Novembre 1954, ne
surprend pas à Tlemcen où le sentiment nationaliste était profondément
ancré. Ce sera cette région d'ailleurs qui fournira au FLN et à l'ALN naissants,
des combattants valeureux et des cadres d'élite.
Lotfi ne tardera pas à prendre sa décision puisque le 17 octobre 1955,
il quitte furtivement la Médersa et la ville pour le maquis sans contact
préalable et sans orientation précise. Recueilli par des militants dans la région
de Snous, il est dirigé vers le capitaine Djaber, responsable du secteur 4, qui
le garde momentanément auprès de lui, puis remarquant son engagement et
sa volonté d'être utile, il le renvoie sur Tlemcen, une ville qu'il connaît bien,
pour y organiser les cellules du FLN et les groupes de Fida. Il s'y emploie
avec énergie et intelligence, se permettant même de créer un véritable
commando d'une trentaine de volontaires qui agira non seulement en ville
mais à Terny et Sebdou, localités de la grande périphérie.
Les résultats dépassent les prévisions et le lecteur pourra trouver plus
de détails dans les témoignages publiés par les compagnons de cette grande
épopée, tels Bali Belhcène et Boumediene Ouchedi.
Son ambition pour la continuité de son action fut telle qu'il s'autorisa à
suggérer que la ville de Tlemcen soit érigée en secteur autonome, ce qui ne

55
fut pas du goût du responsable du secteur 5 dont dépendait Tlemcen, le
capitaine Bouzidi Mohamed dit «Mokhtar» dit «Ogb Ellil ».
Devant l'imminence d'un conflit ouvert entre ces deux responsables, le
colonel Boussouf fit appeler Lotfi auprès de lui, ce sera le prélude à une autre
grande aventure que je me propose de rapporter. Pour en revenir donc à la
seconde partie de la vie du Chahid Lotfi, mon propos ne doit pas être
considéré comme œuvre d'historien mais simplement un témoignage sur Lotfi
le combattant et le politique, sur son parcours et son vécu au milieu de ses
hommes et en face de l'ennemi ainsi que quelques réflexions sur ses relations
avec ses pairs, quant à la conduite de la lutte, la conception du pouvoir et
l'avenir de la Révolution.
Notre rencontre à Oujda:
Ma première rencontre avec lui date du mois de juillet 1958, lorsque le
Colonel Boussouf, ex-chef de la wilaya V, membre depuis août 1957 du
comité de coordination et d'exécution (CCE), responsable des liaisons, de la
communication et du renseignement, l'a invité à visiter à Oujda le centre du
service de renseignement et de liaison (SRL) où j'activais avec d'autres
cadres. Je rappelle que ce service a été créé par Boussouf, en septembre
1956, dès sa nomination par le premier CCE en qualité de commandant de la
wilaya V, avec le grade de Colonel en remplacement de Larbi Ben M'hidi
promu au CCE à une responsabilité nationale.
Ce service avait été créé en complément à d'autres organes et
structures rendus nécessaires par l'étendue de sa mission. En effet, le Colonel
Boussouf n'était pas seulement le commandant d'un territoire intérieur, la
Wilaya V historique, mais aussi et surtout l'architecte effectif et unique, après
l'arrestation de Mohamed Boudiaf le 22 octobre 1956, de l'ensemble des
actions de soutien à la lutte de Libération menées sur toute l’ étendue territoire
marocain limitrophe.
C'est ainsi qu'il contrôlait et gérait toutes les opérations de logistique,
de liaison, de recrutement et de formation, les centres de repos et de transit et
prioritairement les transmissions, l'écoute et la radio, enfin le renseignement;
le tout évidemment au service du combat intérieur. Autant d'atouts qu'il voulait
exposer et montrer au nouveau chef de wilaya Lotfi afin qu'il puisse bénéficier
de leur apport. Cette première visite au siège du SRL ne sera pas la seule,
que ce soit dans la base clandestine de Dar Benyeklef à Oujda ou celle de
Dar El-Fassi à Lazaret. Il marquait, à chaque visite ou réunion de travail, un
intérêt évident à s'informer, à partir de nos études et synthèses, sur la
situation politique générale du pays et ne manquait pas de nous interroger sur
les aspects militaires liés au renforcement du potentiel de défense ennemi,
notamment les points forts et les points faibles des dispositifs techniques du

56
barrage électrifié (ligne Morice) dont la mise en place avait été achevée le
long de la frontière ouest. En marge de cela, il affectionnait également de
partager avec les cadres du SRL, des échanges d'idées au cours de longs
débats sur des questions politiques, économiques et même philosophiques,
laissant transparaître une grande culture et une grande maturité d'esprit.
Une collaboration étroite, confiante et fructueuse s'établira et se
consolidera entre le SRL et le responsable de la wilaya, durant toute la
période de son commandement, puisqu'il nous déléguera une partie de ses
prérogatives pour communiquer directement avec les chefs de zone de
l'intérieur et leur transmettre, sous son intitulé (SRL/CGWO) informations et
orientations.
Lotfi dans le sud du pays:
Permettez-moi maintenant de remonter dans le temps pour vous
apporter mon témoignage sur quelques points du parcours de cet homme
exceptionnel avant cette date et de mettre, en particulier, l'accent sur les
conditions de sa désignation en 1956, à la tête des maquis du Sud et sur le
rôle prépondérant qu'il y a joué pour organiser et dynamiser la lutte dans cette
vaste région au relief difficile et aux hommes d'un tempérament totalement
différent; autant de choses inconnues de lui. Je tiens mes informations, tant
des documents disponibles au PC de la wilaya archivés au SRL, que des
déclarations ultérieures de ses proches collaborateurs de la période
concernée, ou des informations contenues dans les rapports de l'autorité
militaire française locale (commandement militaire du territoire d'Ain Séfra)
dont le service se procurait des exemplaires.
Sa désignation en qualité de coordinateur des secteurs de Méchéria,
Ain Séfra, Béchar, Géryville (El-Bayadh) et Aflou, fut décidée suite à la
demande introduite par des cadres de ces régions, en l'occurrence Si Ali
Laïdouni responsable du secteur d'Ain Séfra et Si Ferhat responsable du
secteur de Béchar qui se déplacèrent au Nord, au PC du Colonel Boussouf,
en mars 1956, pour lui exposer la situation de la résistance dans le Sud,
caractérisée, certes, par des actions éclatantes, mais manquant de tutelle, de
moyens et de cohésion.
Trois grands chefs militaires: Yousfi Bouchrit, Mohamed Ben
Abdelkader «Lamari» et Moulay Brahim «Abdelwahab» commandaient
chacun une unité efficace de 35 à 40 hommes, sans stratégie claire
cependant et sans orientation politique définie. Chacun agissait librement
autour de Géryville dans un espace géographique limité essentiellement sur le
support tribal. Ces trois responsables avaient déclenché la résistance et la
lutte armée, dès novembre 1954. Ils avaient porté des coups très durs à

57
l'armée ennemie en francs-tireurs, car le contact avec le FLN n'avait pu être
établi.
Il y a lieu de signaler néanmoins, qu'avant le déclenchement du 1er
Novembre 1954, la présence du MTLD à Béchar, Géryville ou Ain Séfra était
conséquente et les rapports des autorités françaises signalent les passages
fréquents de Ben Bella, de Khider venu à Géryville soutenir le candidat MTLD
aux élections, du militant Baki Boualem et même, extrême surprise, de
Chihani Bachir, le futur adjoint de Ben Boulaïd à la wilaya 1, arrêté en 1952 à
Ain Séfra où il était en mission pour le compte du MTLD, ainsi que Ben
Abdelmalek Ramdane, futur adjoint de Ben M'hidi, arrêté à Géryville en 1953.
Ceci pour dire que le sentiment nationaliste préexistait déjà mais il fallait le
développer, le canaliser et l'organiser dans un contexte nouveau unificateur et
militant.
Ces deux émissaires insistaient auprès de Boussouf pour l'envoi d'un
ou plusieurs responsables avisés ainsi que des renforts en armes et en
hommes. C'est donc cette mission qui fut confiée par le Colonel Boussouf à
Lotfi, dont il avait pu apprécier les qualités intellectuelles, la haute rigueur
morale, le sens des responsabilités et les aptitudes militaires.
Lotfi quitte donc la zone nord en avril 1956, accompagné d'une
trentaine de djounoud, suivis quelque temps après, par un groupe de
déserteurs algériens de l'armée française stationnée au Maroc et d'une
deuxième colonne dirigée par Moussa Ben Ahmed «Si Mourad», avec une
bonne dotation en armes prélevée sur les stocks constitués par les apports
des bateaux «Al- Farouk» et «Dina», en mars 1955. Lotfi, devenu Si Brahim,
arrive en zone sud, début mai 1956. Il est reconnu rapidement et sans
réserve, et va développer sa mission selon trois axes principaux :
1) Une mission politique, par la prise en main énergique des
populations qu'il fédérera autour du FLN et en même temps la lutte contre les
velléités des groupes «bellounistes» qui s'étaient aventurés dans les régions
de Laghouat et Aflou à partir de Djelfa, Ksar Chellala, Djebel Nador.
2) Une mission militaire, en constituant de nouvelles compagnies, en
les armant et en orientant leurs actions vers des objectifs précis:
casernements, postes militaires, cibles stratégiques telles que les voies de
chemin de fer Saïda/Béchar et Oujda/Béchar.
3) Une mission organique, enfin, après le Congrès de la Soummam qui
divise la wilaya V en 8 zones, les secteurs 11-12-13 et 14 deviennent la zone
8. Il en devient le chef politico-militaire avec le grade de Capitaine à 22 ans (il
faut le souligner). Il doit donc la subdiviser, à son tour, en 4 régions et en de
nombreux secteurs dont il désignera les responsables.
L'armée française culbutée:

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L'activité militaire ayant pris une tournure nouvelle suffisamment
menaçante pour le commandement de la Xe région militaire, celui-ci réoriente,
à la mi-56, sa stratégie pour renforcer sa présence. C'es ainsi que face aux
coups de boutoir des nouvelles katibate de Lotfi-Brahim, l'armée française
mettra en place et en œuvre de très gros moyens en provenance du Nord soit
deux divisions: la 4ème DIM et la 13ème DI respectivement à Tiaret et à
Méchéria. Ces deux divisions viennent compléter le dispositif militaire
antérieur du commandement du territoire du Sud placé sous les ordres du
général de Crèvecœur qui disposait du 2ème régiment étranger d'infanterie, du
44ème régiment d'infanterie, de quatre compagnies sahariennes portées de la
légion étrangère et la compagnie disciplinaire rayonnant sur les villes de
Béchar, Ain Séfra, Kenadsa, Géryville et Djenien Bourezg. Ces différentes
forces sont naturellement assistées par d'autres unités spécifiques de service
que sont les groupes d'artillerie, les unités du génie, les compagnies de
transport et surtout l'aviation de reconnaissance, d'appui ou de
bombardement. Cette présence ne gène pas le Capitaine Brahim qui
accentue la pression, de jour en jour, sur une large étendue de la zone. Il
déploie les nouvelles katibate, multiplie les embuscades, les sabotages et les
coups de main, au point où le commandant en chef du territoire militaire d'Ain
Séfra, le général Quenard, fait part de son inquiétude dans son rapport
mensuel du 30 mai 1956, adressé au commandant en chef de la 10e région
militaire à Alger, écrivant ce qui suit: «Durant ces derniers mois, la zone
d'action rebelle semblait limitée à une partie du territoire de fa commune mixte
de Géryville. En quelques jours l'insécurité a gagné l'annexe de Tindouf, les
communes de Colomb Béchar et d'Ain Séfra, celle de Méchéria est menacée
et l'ensemble de la commune de Géryville est aujourd'hui pourri. De nouvelles
bandes sont signalées, celles déjà connues à Géryville semblent comprendre
des effectifs plus nombreux». Brahim-Lotfi se déplace constamment à travers
sa zone, de Béni-Smir à l'Ouest jusqu'au Djebel EI-Melh à l'Est. Dans cette
dernière région en particulier, où ses hommes repoussent les unités
«bellounistes» des Meftah, Ziani, Achour jusqu'aux limites de Djelfa et
Messad. Au début de l'année 1957, il installe son PC au Kherieg
Abderrahmane dans la gàada d'Aflou et de là il envoie de nombreux
émissaires et reçoit de nombreuses délégations venues de Djelfa, Laghouat,
Metlili, El-Menaà, Timimoun: ce qui renforce l'autorité du FLN au détriment
des «bellounistes». Le coup de grâce sera donné à ces derniers lorsqu'il
arrivera à attirer à lui deux importants responsables militaires des Hauts
Plateaux du centre, Amor Driss «Fayçal» et Ferhat Tayeb «Chawki». Au cours
de l'entrevue qu'il leur accorde, il réussit à les convaincre de rallier le FLN. Il
les équipe en armes et leur fournit deux compagnies d'appoint pour leur

59
permettre d'asseoir leur autorité définitivement sur la zone sud de la wilaya 6,
baptisée zone 9 pour la circonstance, ce qui fera réagir d'ailleurs le
commandement de celle-ci disant que la wilaya V avait annexé une partie de
son territoire. Les va-et-vient incessants vers Le pôle de Kheneg
Abderrahmane ne vont pas manquer d'alerter l'ennemi qui monte une
opération de grande envergure. Un accrochage très violent s'en suit d'où les
combattants de la zone 8, appuyés par une compagnie de transit de la wilaya
3, en route vers sa wilaya d'origine, sortent victorieux. Craint par l'ennemi,
admiré par ses hommes et respecté par ses proches collaborateurs, parmi
lesquels de vieux ténors de la politique à l'image de Kaid Ahmed, ex-
responsable UDMA à Tiaret et Moussa Ben Ahmed ex-responsable PPA à
Oran, il augmente considérablement le potentiel militaire de sa zone où le
nombre de combattants passe de quelques centaines, à son arrivée, à plus de
2.500 convenablement équipés, 6 mois plus tard. De nombreux cadres
provenant de toutes parts viennent renforcer son état-major. En plus des
responsables militaires précédemment cités, il n'est pas superflu de
mentionner les noms de Akbi Abdelghani dit «Amar», Mohamed Ben Ahmed
dit «Abdelghani», Mali Kouider dit «Youb», Nemiche Djelloul dit «Bakhti», Kadi
Mohamed dit «Boubeker», Ahmed Saàdoun, etc... Autant de cadres qui
occuperont de hautes responsabilités au sein de l'ALN.
La promotion de Lotfi:
Cette évolution exceptionnelle donne à la Zone 8 qu'il dirige ses titres
de noblesse et à Si Brahim-Lotfi I’ occasion logique d'une promotion au grade
de Commandant à la mi-57 en remplacement du Commandant Hansali,
(Sayeh Miloud) tombé au champ d'honneur, en Zone 2, quelques semaines
auparavant. Il devient donc l'adjoint militaire du Colonel Boussouf, à côté des
commandants Houari Boumediene et Touati Ahmed dit «Chaàbane». Il
accède aussi de droit au Conseil National de la Révolution Algérienne
(CNRA), en tant que membre du Commandement de wilaya. Il cède son poste
au Capitaine Slimane (Kaid Ahmed) et rejoint les bases arrières pour assurer
la coordination de la totalité des zones intérieures en s'occupant en particulier
de la logistique et de la structuration des centres de transit pour
l'acheminement des armes et des hommes à travers la région qu'il connaît le
mieux, à savoir par la piste des Ksour à partir des Djebels M'zi, Grouz, Beni-
Smir.
De ces bases arrières de Figuig, Bouarfa, Tendrara, Boudnib, il mène
un autre combat politique, en marge de sa mission première, plus précisément
contre les interférences des forces résiduelles de l'ex-Armée de Libération
Marocaine qui maintient, à l'initiative du Parti de l’
Istiqlal, une tension très vive,
assise sur une revendication territoriale infondée sur les territoires du Sud,

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générant et entretenant une agitation constante de Tabelbala au nord-ouest
de Béchar, jusqu'à Hassi Mounir, au nord de Tindouf. C'est d'abord la guerre
des cartes d'identité marocaines imposées, sous la contrainte, aux tribus des
Doui Menii, des Amours, des Ouled Djerir, puis des escarmouches et même
des accrochages violents. Jusqu'à décembre 1957, il s'acquitte de sa mission
avec résolution, tact et fermeté. Sa préoccupation première, la recherche
d'armes, le poussera à explorer toutes les voies y compris en s'y impliquant
personnellement. Il se déplace, à cette fin, en février 1958, en Espagne avec
le responsable de la logistique Djaâfar Skenazène. Il est arrêté à Algésiras, le
véhicule qu'ils avaient utilisé étant recherché, à l'insu du FLN, pour un trafic
d'armes antérieur à partir d'une base militaire espagnole à Barcelone.
Transféré et emprisonné quelque temps dans cette ville, il est libéré, et de
retour au Maroc, il est informé de sa nomination en qualité de Colonel
Commandant la Wilaya V, en remplacement du Colonel Boumediene, lui-
même nommé à ce même poste, en septembre 1957 après la désignation du
Colonel Boussouf en qualité de membre du Comité de Coordination et
d'Exécution (CCE). Boumédiène est donc nommé chef du Commandement
Opérationnel Ouest qui coiffait les trois Wilayate de l'Ouest: la IV, la V et la VI.
Il conserve son PC à Oujda et Lotfi installe le sien à Bouarfa près de ses
hommes et loin du climat «délétère» d'Oudja.
Le 19 septembre 1958, la création du GPRA est décidée, Boussouf y
obtenant le poste de ministre des Liaisons générales et de la Communication
(MLGC); il se doit d'organiser sa structure. Il cède la formation, la santé, les
centres de transit et la logistique de proximité au Colonel Boumédiène et
conserve les transmissions, les liaisons, le renseignement et le contre-
renseignement qu'il érige en directions de son ministère. La fidèle amitié et la
confiance réciproque qui liaient ces trois hommes a fait que leur
complémentarité a été cimentée et qu'aucune perturbation n'a été apportée à
l'accomplissement de leurs missions propres. Bien que relevant
organiquement du ministère des Liaisons Générales, la Direction des
Transmissions, la Direction de la Documentation et Recherche et la Direction
de la Vigilance et le Contre-Renseignement, qui remplacent l'ex-SRL,
continuent, pour leur emploi, à répondre aux sollicitations et aux besoins de
l'ALN à l'Ouest comme à l'Est du pays, où elles sont également installées.
La DDR en particulier détache des «officiers traitants» auprès du chef
de la Zone opérationnelle Nord, tenue par le Capitaine Tayebi Larbi, auprès
du Commandement des Frontières (CDF) tenu par le Commandant Rachid
Mosteghalmi et du PC de la Wilaya V à Bouarfa tenu par Lotfi. Les éléments
de la DDR sont chargés de fournir à ces responsables les rapports d'écoute,
les bilans opérationnels (BRQ) et les activités au niveau du barrage. La

61
DVCR, quant à elle, renseigne le COM Ouest et le PC de la Wilaya V sur le
moral des djounoud et sur toutes tentatives visant la sécurité de l'armée, de
ses cadres, de ses moyens ou de ses biens.
La responsabilité, politique:
La création du GPRA dope le FLN qui développe une action politique
et diplomatique dans tous les sens, au dedans comme au dehors. C'est
l'occasion aussi pour le Colonel Lotfi d'étrenner ses premières responsabilités
politiques au sein du Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA).
Ses déplacements à Tunis, au Caire et à Tripoli lui permettent de mieux
connaître les autres dirigeants nationaux, et de s'imprégner rapidement de
l'ambiance qui prévaut au sommet de la direction. Ses inclinations
intellectuelles et politiques le rapprochent naturellement du Président du
GPRA, Ferhat Abbas, dont il partage la vision politique aiguë, le réalisme, le
sens tactique au service du consensus et surtout la ligne modérée excluant
toute forme d'extrémisme. Il entretient les meilleurs rapports avec les
responsables modérés tels le Colonel Ali Kafi, le Colonel Benaouda, le
Commandant Lamine Khène qui lui rendent fréquemment visite au Maroc. Il
avait, tout comme Ali Kafi, refusé de cautionner et de participer à une réunion
des Colonels de l'Intérieur tenue en Wilaya Il du 6 au 12 décembre 1958 et qui
regroupait Hadj Lakhdar représentant la W.1, Amirouche la W.3, Si M'hamed,
la W.4 et Si Haouès la W.6 pour définir leur position vis-à-vis du GPRA.
Légaliste, il contestait le principe d'une réunion quasi secrète sans que
l'autorité supérieure ne soit informée. Il avait déjà fait part au Président Ferhat
Abbas, avec beaucoup de franchise, de cette préoccupation lorsqu'il l'avait
accompagné, le 6 juin 1959, en voyage officiel en Yougoslavie puis au Caire.
Il est profondément marqué de nouveau, durant l'été 1959, par les
comportements négatifs et les manœuvres équivoques de certains chefs
militaires contre l'autorité politique installée. Cette crainte se confortera en
septembre 1959, lorsque le Président Ferhat Abbas, en butte à la pression de
Krim Belkacem qui lui reprochait sa modération mais qui, en fait, souhaitait le
remplacer, demande donc au CNRA de confier une mission d'arbitrage aux
Colonels de l'Intérieur. C'est la fameuse rencontre des dix Colonels (Krim
Belkacem, Boussouf, Bentobbal, Boumediene, Mohammedi Saïd, Lotfi
représentant la W.5, Ali Kafi la W.2. Hadj Lakhdar la W.1, Slimane Dehiles
«Sadek» la W.4 et Saïd Lazourène la W.3).
Cette commission qui se réunit pendant plus de trois mois au siège du
MALG à Tunis, déborde le cadre étroit du contentieux politique pour
s'employer à redéfinir toute la stratégie du FLN au regard de l'action politique,
l'action diplomatique et l'action militaire, cette dernière centrée sur le
renforcement du front intérieur. La réunion se termine, début décembre 1959.

62
Ses conclusions sont transmises au CNRA qui se réunit à Tripoli du 16
décembre 1959 au 18 janvier 1960.
Les recommandations du Conseil des Colonels sont entérinées et se
résument comme suit:
- Maintien de Ferhat Abbas à la tête du GPRA.
- Le Ministère des Forces Armées est dissout et est remplacé par un
directoire de trois ministres, le Comité Interministériel de la Guerre (CIG) qui
se compose de Krim Belkacem, Beussouf et Bentobbal.
- Dissolution des deux commandements opérationnels Est et Ouest et
création d'un Etat Major général de l'ALN, confié au Colonel Boumediene.
- Développement de l'effort militaire par l'envoi d'armes à ''intérieur.
- Enfin une mesure très importante: tous les commandants de Wilaya
se trouvant à l'extérieur sont tenus de rejoindre le territoire national.
Le Colonel Lotfi, qui a publiquement soutenu le maintien de Ferhat
Abbas à la tête du GPRA contre les velléités de ses concurrents, accueille
favorablement cette dernière décision qu'il a probablement souhaitée et
encouragée.
Le retour au combat:
Cela ressort, en tout cas, de ses propos lors la visite d'adieu qu'il rend
au Président Ferhat Abbas et que celui-ci reprend dans ses mémoires
«Autopsie d'une guerre» P 283:
«Avant de quitter Tunis, Lotfi m'avait renouvelé ses craintes.
L'atmosphère au sein de la délégation extérieure lui faisait peur. Les luttes
sourdes des Colonels ne lui avaient pas échappées, Il en était épouvanté».
Cela ressort également d'une lettre très amicale, qu'il adresse au colonel Ali
Kafi qui la met en une place dans ses mémoires. D'autres lettres connues, ont
celle adressée à son épouse, publiée récemment, confirment cet engagement
irrévocable à rejoindre l'intérieur.
La suite est connue: au lieu des Colonels, ce sont les Comandants Ali
Souei puis Tahar Zbiri qui entrent, à partir de la frontière Est, pour prendre le
commandement de la Wilaya I. Le commandant Bencherif rejoint par le même
chemin la wilaya IV, le Commandant Abderrahmane Mira la Wilaya Ill et enfin
le Commandant Ali Rejdaï, qui tombe au champ d'honneur juste après le
franchissement du barrage Est.
Durant son absence à Tunis une grave sédition avait éclaté à Oujda,
menée par le Capitaine Zoubir. Celui-ci, en conflit avec quelques
responsables du commandement local, se rebella en octobre 1959, entraînant
dans sa suite plus d'une centaine de djounoud. Informé, le Colonel Lotfi
envoya de Tripoli une lettre d'orientation d'une grande sagesse qui si elle avait
été soigneusement appliquée, aurait évité à Zoubir la fin tragique qu'il connut.

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Le Colonel Lotfi regagne le Maroc, en janvier 1960 pour préparer son retour à
l'intérieur du pays, avec son adjoint le Commandant Faradj, de son vrai nom
Louadj Mohamed. On a beaucoup glosé sur le manque de secret qui aurait
entouré l'entrée du Colonel Lotfi par la voie du Sud. Je peux affirmer, pour
l'avoir vécu personnellement, que plusieurs options avaient été étudiées pour
cette entrée.
1) Par une voie « normale» avec de faux papiers via Marseille et
Oran.
2) L'utilisation de caches spécialement aménagées dans un
wagon de la SNCF ou dans un camion civil, d'Oudja vers Oran. Ce travail a
été engagé par son principal ami et confident Rouai Mohammed dit «Hadj
Barigou» assisté de Mourad Seddiki et de Rahmoun mohamed, chef du parc
matériel du FLN, à Oujda.
3) Un passage secret par le barrage nord connu du seul Guenadi
Ouassini dit «Tantano», guide attiré de la wilaya V.
4) La traversée par le Sud. Le Colonel Lotfi, après mûre réflexion, avait
refusé les trois premières options arguant de la difficulté à disposer des
moyens de liaisons susceptibles de l'amener à son point de destination final.
Ce raisonnement tient tout à fait la route puisque Hocine Medghri, qui était
son secrétaire général au PC de Bouarfa m'avait affirmé, bien après
l'Indépendance, que le Colonel Lotfi avait choisi la région de Béchar parce
qu'il la connaissait bien et qu'il y disposait de guides sérieux d'une part et
d'autre part parce qu'il devait obligatoirement transiter par la Gaada d'Aflou
avant de remonter vers le Nord et installer son PC dans l'Ouarsenis.
Quittant la région de Boudnib, le 26 mars 1960, en compagnie du
Commandant Faradj et d'un groupe de 3 djoundi, Lotfi était parvenu
rapidement au Djebel Béchar en contournant le barrage électrifié à son
extrémité, le 27 mars.
La fin d'un juste:
Leur présence a été détectée, non pas comme certains officiers
français l'ont soutenu, suite à l'écoute de sa liaison par transmission, là encore
je peux le démentir sur la foi d'informations fournies par les responsables des
transmissions qui s'étaient imposés, bien avant cette date, un silence radio
complet. Elle l'a été par l'exploitation de traces laissées par la caravane,
traces relevées par des pisteurs au service de l'armée française.
Pour en revenir à l’ événement, le fait est qu'une fois détecté, le groupe
fut encerclé dans l'après- midi du 27 mars par les troupes du 2ème Régiment
Étranger d'Infanterie appuyées par un escadron blindé du 8 ème Régiment
d'Infanterie Motorisée et les éléments de la Compagnie Saharienne Portée de
la Légion Etrangère de Béchar. Bien protégés au milieu des rochers Lotfi et

64
ses compagnons résistent aux assauts des troupes françaises qui se replient
rapidement pour demander l'intervention de l'aviation et de l'artillerie. En fin
d'après-midi le déluge de feu a raison de leur résistance. Lotfi, Faradj et leurs
courageux compagnons venaient d'ajouter leur nom à la longue liste des
martyrs du Djihad. Lotfi avait un peu moins de 26 ans, Faradj 24 ans. Je ne
voudrais pas manquer l'occasion d'associer à l'hommage à Lotfi celui que
mérite ce fidèle compagnon dont l'engagement révolutionnaire et le courage
sont légendaires. Leur destin s'est arrêté au moment où la lutte prenait une
tournure politique favorable, caractérisée par les prémices de négociations qui
déboucheraient inéluctablement sur l'Indépendance.
La forte personnalité de Lotfi et son audience parmi ses collègues
auraient, peut-être, tempéré les ambitions des uns et des autres dans la lutte
fratricide pour la prise du pouvoir à la veille de l'Indépendance. Malgré cela,
son sacrifice n'a pas été et ne sera jamais vain car il reste une mémoire
vivante, une véritable école de patriotisme, d'idéalisme, de rectitude morale et
de dépassement de soi où s'abreuveront les générations montantes. Pour
cette raison, il ne faut jamais cesser de témoigner à ce héros l'hommage qu'il
mérite.

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Debouts : Boumediene, Lotfi et Djaber

66
Casse-croûte après la réunion

La grande équipe d’
Oujda

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Le colonel Lotfi raconté par Mohammed Lemkami
(« Les hommes de l’ombre» de Mohamed Lemkami)

Vers fin février ou début mars 1960, Lotfi avait fêté avec nous, dans le
centre de Dar El-Fassi, l'Aïd El Adha (la fête du sacrifice). Nous avions Djilali
et moi préparé un grand méchoui dans le jardin. Il était très content de se
retrouver parmi nous et il était agréable avec tout le monde. Des photos-
souvenir avaient été prises en sa présence (malheureusement je n'en ai
retrouvé aucune dans mes archives). Tard dans l'après-midi, nous avions fait
les cent pas à nous deux dans le jardin et c'était là qu'il m'avait informé
confidentiellement qu'il allait rentrer en Algérie. Devant mon inquiétude, il
m'avait annoncé que tous les dirigeants des Wilayas et l'état-major général
allaient suivre. C'était une décision du CNRA lors de sa dernière session à
Tripoli. Il tenait personnellement à être parmi les premiers à rentrer et à
donner l'exemple aux autres.
Bénali Dghine (le colonel de la Wilaya V dit Si Lotfi), né à Tlemcen en
1934, d'une famille très modeste dont le père était un simple employé de
mairie, avait grandi principalement dans le quartier d'El Kalaâ, plus
exactement dans l'Allée des Sources, longue au plus de 100 mètres. Cette
allée et celle perpendiculaire qui menait vers le Parc d'El-Hartoun, qui
n'étaient occupées que par quelques vieilles familles tlemcéniennes et
quelques pieds- noirs, avaient contribué plus qu'honorablement à la lutte de
libération nationale en offrant en martyrs Bénali Dghine, les frères KahiaTani,
Meghili Mounir, les frères Gaouar, les frères Kara Terki et Dali Yahia.
En dehors d'un séjour à Alger en famille, où il avait été scolarisé au
primaire d'abord, et d'un bref séjour à Oujda où il avait pris des cours d'arabe
au collège Abdelmoumen, c'était surtout à Tlemcen qu'il avait suivi en grande
partie son cursus scolaire. Il avait fini par entrer à la medersa de Tlemcen,
devenue lycée franco-musulman par la suite où il était dans la même classe
que Mohamed Dib, Hocine Mahrez, Ali Rebib et Ahmed Elghazi de Khémis
ainsi que d'autres élèves originaires de Tlemcen ou d'autres villes d'Oranie
dont Hocine Senoussi de Ouled Sidi El-Hadj et Djamal Brixi. Il s'asseyait à la
même table que Ali Rebib et le jour de son départ au maquis, sa place avait
été occupée par Hocine Senoussi. Ce dernier, qui allait rejoindre I'ALN lui
aussi, était devenu un brillant aviateur (pilote d'hélicoptère) de l'Algérie encore

69
en guerre. Boussouf l'avait chargé avec d'autres combattants de mener une
opération commando héliportée pour faire parvenir des armes aux maquis les
plus éloignés de l'intérieur, opération qui avait été stoppée en dernière minute
malgré sa très minutieuse préparation.
Pour revenir à Bénali, peu de gens savaient qu'il avait commencé à
militer au sein du PPA très tôt avec Larbi Benammar, Ahmed Djelad, Ali
Khédim, Abderrazak Bakhti et moi-même. Il avait tout seul et sans liaison
rejoint le maquis à Khémis Béni Snous, où il avait été pris en charge par Si
Jaber, le chef du secteur 4 de l'époque. Il avait été chargé immédiatement de
l'organisation politico-militaire dans la ville et sa proche banlieue. Pour cela il
avait commencé par faire appel aux camarades garçons et filles de son
quartier avant d'élargir son action dans toute la ville et même au-delà. Il avait
densifié cette organisation et multiplié les actions contre l'ennemi.
Après le lâche assassinat le 18 janvier 1956 du docteur Benzerdjeb,
Bénali et ses compagnons avaient décidé de donner une leçon inoubliable
aux forces coloniales. C'est ainsi qu'en février ou mars de la même année, il
avait organisé la fameuse patrouille de la police militaire. Ayant démontré sa
compétence et sa capacité d'organisation et de direction, il avait été choisi par
Si Mabrouk pour prendre en charge la colonne de pénétration de tout le sud-
ouest oranais, les premiers combattants de cette région issus de "Djich
Bouchrit" dont Laïdouni et Brahim Moulay, ayant demandé des renforts avec
insistance auprès du commandement général de la Zone d'Oran.
Après une année de pénétration, d'organisation et de combats contre
l'ennemi et ses supplétifs de Bellounis, Bénali et ses hommes contrôlaient tout
ce vaste territoire qui va de la frontière marocaine à l'ouest aux confins
sahariens avec le Mali, la Mauritanie et le Sahara occidental. Même la région
de Laghouat et Ghardaïa, définie comme Zone 9 de la Wilaya V (avant d'être
intégrée à la Wilaya VI) avait été implantée par l'ALN.
En 1958, il allait succéder au colonel Boumediene à la tête de la
Wilaya. C'était à ce titre qu'il avait participé à la fameuse longue réunion du
Comité des dix au cours de laquelle il avait joué un rôle prépondérant dans
l'unification des forces de I'ALN par la création de l'état-major général. Il avait
également participé à la session du CNRA au cours de laquelle il avait été
décidé que tous les responsables militaires des Wilayas devaient rejoindre
leurs unités de l'intérieur. Il allait faire partie de ceux qui avaient
immédiatement exécuté cette décision.
Le 27 mars 1960, la mort de Si Lotfi et de ses compagnons avait été
annoncée et captée par les transmissions nationales. Pour le commandant
Farradj, il était signalé comme blessé et transporté à l'hôpital de Béchar où il
devait succomber à ses blessures. Sa mort allait encore être annoncée et

70
assombrir davantage la situation. C'était la plus mauvaise et dure nouvelle
que nous avions apprise ce jour-là. Tous mes compagnons de la clandestinité,
qui connaissaient bien le colonel et son principal adjoint, avaient les larmes
aux yeux. L'Algérie venait de perdre l'un de ses meilleurs fils. Ce mois de
mars avait, durant la Révolution du 1" Novembre 1954, enregistré la mort de
nombreux héros: Larbi Ben M'hidi, Amirouche, Haouès et Lotfi pour n'en citer
que quelques-uns. Les anonymes étaient beaucoup plus nombreux.

Délégation algérienne en Yougoslavie - Juin 1959

71
Les architectes de la Révolution Algérienne

27 novembre 1957 à Berkane :


Boussouf et Lotfi passent en revue une promotion d’
artificiers

72
Le colonel Lotfi vu par Mohamed Chafik Mesbah
Officier Supérieur de l’ANP en retraite, Docteur d’Etat en sciences
Politiques, diplômé du Royal Colege of defence studies

1- L'enfance tlemcènienne du Colonel Lotfi et son impact sur la


formation de sa personnalité.
Il est évident que la vie quotidienne dans le quartier d'enfance de
Boudghen Benali a déteint sur la personnalité du Colonel Lotfi. II faut se
remémorer le caractère vivant, chaleureux et naturel de la vie dans l’ allée des
sources, quartier traditionnel de Tlemcen où les communautés vivaient en
bonne intelligence, même si la mythologie nationaliste y était ressassée
presque à profusion. Quel rôle a joué dans le murissement de la personnalité
du Colonel Lotfi, sa marâtre, Hadja Zizette, pied-noir convertie à l'islam, qui
coexistait harmonieusement avec la mère biologique du défunt dans un même
foyer, sans que cela ait nui au futur chef révolutionnaire. Cet épisode de la vie
du Colonel Lotfi nécessite des recherches plus approfondies, mais nous
disposons déjà, fort heureusement, de pistes intéressantes à prospecter, à la
lecture de la description savoureuse et détaillée de la vie quotidienne dans le
quartier familial du Colonel Lotfi, l’allée des sources d'El Kalaa, que nous a
dressé Madame Z'Hor Lemkami.
2- L'adolescent interpellé par les singuliers enseignements du
lycée franco musulman.
L'historien ne pourra guère comprendre les fondements de la
personnalité romantique, profondément humaniste et fortement imprégnée de
l'idéal patriotique, qui fut celle du Colonel Lotfi, s'il ne s'intéresse pas à la
Medersa ou le lycée franco-musulman comme il fut dénommé par la suite. Il
s'agissait d'un véritable melting-pot de couches sociales diverses, réceptacle
du terroir et passerelle vers la cité, un lieu de savoir éclectique, où le
romantisme lyrique de la poésie arabe antique s'allie harmonieusement à la
philosophie rationaliste du siècle des lumières.
L'empreinte personnelle de maitres prestigieux de la Medersa est, en
effet, pour le moins perceptible. Quelle fut, sur la personnalité du futur colonel
Lotfi, l'influence du cheikh Kaddour Naimi, professeur de littérature arabe, du
cheikh Zerdoumi, professeur de fiqh (droit musulman), ou du professeur
Roboton, cet enseignant de lettres francaises, royaliste de droite,
affectueusement lié aux medersiens qui le lui rendaient bien, lui qui
s'exclamait : « La France est un pays de contradictions : lorsqu'on apprend

73
aux élèves la Révolution de 1789, comment les empêcher d'en faire autant ? »
Comment ne pas évoquer l'influence probable de Pierre Milcam, professeur
de lettres et de latin à la Medersa qui, animateur de ciné-club, fut un veritable
compagnon débats pour les medersiens dont il contribuait à élargir " la
conscience du monde". II y réussit bien, lui qui, avec force persuasion, fitd’ un
film consacré à la lutte pour l'indépendance de l'Irlande une source
d'inspiration pérenne pour la flamme patriotique des jeunes medersiens. A
propos de ce film, justement, voici ce que consigne, malgré tout ce temps
passé, Djamal Bereksi Reguig : «Nous avions compris que le cinéma qu'on
aimait n'était pas seulement un loisir, mais un message qui pouvait être lourd
de sens. Nous étions fiers d'être les élèves de ces maitres. Nous remontions
àla maison gonflés en quête d'un devoir grandiose à accomplir un jour.» c'est
Hocine Senoussi, cet autre camarade de classe du jeune Boudghene Benali,
qui nous rapporte cette apostrophe incroyable pour l'époque entre le futur
colonel Lotfi et le professeur d'histoire Mouchoux. Celui-ci, rendant grâce à
Charles Martel «d'avoir arrêté les Arabes à Poitiers», se fit vertement répliquer
par le jeune Boudghene Benali : «(...) au moment où les Arabes sont arrivés
devant Poitiers, ils étaient porteurs d'une grande civilisation alors que les
manuels scolaires révèlent que l'Europe baignait dans l'obscurantisme du
Moyen-âge !». Un tel échange aurait été inimaginable dans un établissement
ordinaire autre que la Medersa. Les lectures tout à fait variées mais presque
instinctivement décryptées dans un sens lié au contexte algérien ont nourri la
vigueur intellectuelle du jeune Boudghene Benali. Même l'œuvre des "poètes
brigands", sorte de bandits d'honneur, n'échappait pas à la règle. Jugez-en
par le témoignage de Djamal Bereksi Reguig : «C'est sans doute les poètes
brigands inspirateurs du concept de "volonté de puissance" qui ont influencé
la personnalité de Boudghene Benali, qui a saisi le coté utilitariste de la
démarche jusqu'à vouloir en faire une sorte de doctrine». Pour expliquer
l'admiration du jeune Boudghene Benali pour Lotfi Elmanfalouti — qui lui
inspira son nom de guerre "Lotfi" — Boualem Bessaih, medersien et officier de
la Wilaya 5 lui aussi, affirme que notre héros avait découvert, dans les
Nadharates de cet illustre écrivain, le souvenir de la narration faite par
Chateaubriand de la fin pitoyable du dernier roi de Grenade, l'infortuné
Bouabdil, raillé par sa mère «de pleurer comme une femme sur ce qu'il n'a su
défendre comme un homme». Ce n'est pas fortuitement que les lectures du
lycéen Boudghene Benali se rapportaient aux œuvres de Voltaire,
Montesquieu, Descartes, Pascal autant qu'à El Moutanabbi, El Maari, Abou
Firas El Hamadani, Saad Zaghloul, Chawki Gibran Khalil Gibran et Hafez
Ibrahim... Djamal Bereksi Reguig complète son observation attentive de la vie
au lycée du jeune Boudghene Benali en soulignant qu'«il excellait dans les

74
matières littéraires, lisait beaucoup et s'intéressait, au-delà du programme
scolaire, à l'histoire... avec une mémoire hors du commun». Mais ce survol de
la jeunesse du colonel Lotfi serait incomplet à ne pas évoquer sa conduite
scolaire parfaite, son comportement social rigoureux, la discipline de fer à
laquelle il s'astreignait dans sa vie de tous les jours. Madame Benammar, sa
sœur, témoin autorisé s'il en fut, relate que «les professeurs (de Boudghene
Benali) le décrivaient comme un élève studieux, intelligent, brillant et réservé».
Ce témoignage est corroboré par Hocine Senoussi, son compagnon de
classe: «Boudghene Benali n'a jamais subi de sanction pour un quelconque
retard ou absence, obtenant, par ailleurs, les meilleurs résultats scolaires».
Son port physique remarquable lui a-t-il procuré un charisme qui lui aurait
permis de s'imposer naturellement à ses pairs et de gravir facilement la
hiérarchie des grades au sein de I'ALN ? La question n'est pas saugrenue.
Analysez bien les photographies dont nous disposons. II est facile de relever
la position privilégiée que semble occuper naturellement le colonel Lotfi dans
tous les rassemblements des chefs de la Wilaya 5. La description que dresse
Hocine Senoussi de son compagnon de classe Boudghene Benali conforte
cette hypothèse : "Elégant, élancé, teint blanc, yeux bleus, nez légèrement
aquilin, front large, cheveux très courts, tenue vestimentaire stricte,
Boudghene Benali dégageait l'apparence d'un veritable aristocrate (... ) un
aristocrate du cœur et de la vertu".
L'engagement nationaliste éprouvé dans la mobilisation politique de la
population de Tlemcen.
Derrière son caractère discret et réservé, la personnalité du colonel
Lotfi était en réalité perceptible dès son enfance. Cette personnalité que nous
pourrions appeler personnalité de base a été consolidée le long de ses études
à la medersa, cet établissement qui lui procura un terrain propice pour
l'éclosion de ses convictions nationalistes. Boudghene Benali fréquentait en
outre Dar El Hadith, l'école libre fondée par l'Association des Oulemas
Musulmans Algériens dont le discours religieux réformateur semble avoir
laissé une empreinte sur la personnalité de notre jeune lycéen. Il fut
probablement plus fortement marqué par l'influence de ses oncles par
alliance, Mustapha et Hamid Benrezzoug, militants actifs et chevronnes du
PPA. C'est probablement l'exemple de son ainé à la Medersa, Larbi
Benammar qui, en dernier ressort, agit comme catalyseur sur la personnalité
de Boudghene Benali. C'était un fameux personnage que ce Larbi Benammar,
plein de conviction et de témérité, jusqu'à vendre publiquement en pleine rue
de France, au cœur de la ville, la presse du PPA-MTLD. Mais, à l'évidence
cette partie de la trajectoire du colonel Lotfi qui explique le mieux son itinéraire
futur nécessite, sans doute, des recherches plus approfondies, qu'il faudra

75
recouper par les archives disponibles en Algérie et en France. Des documents
existent au niveau des archives militaires en France, qui décrivent la cellule du
FLN à laquelle appartenait Boudghene Benali — où figure en bonne place le
fameux Larbi Benammar — et les conditions de sa découverte. C'est
probablement cette découverte qui a provoque le départ précipite du colonel
Lotfi qui abandonna sa scolarité a la Medersa pour rejoindre le maquis. Nous
disposons déjà de quelques témoignages qui attestent que le jeune
Boudghene Benali, lorsqu'il s'engagea dans l'action révolutionnaire au sein du
FLN, réunissait déjà des atouts dignes d'un chef capable d'assumer de hautes
responsabilités. L'appartenance du jeune Boudghene Benali à l'UDMA, ce
parti réformiste algérien, semble relever de la fiction. Certes, le père du jeune
Boudghene Benali fréquentait des militants de I'UDMA, certes, Tlemcen
procura à ce parti d'éminentes figures emblématiques, à l'instar de Abdelkader
Mahdad. Mais cela ne permet pas d'affirmer que le futur colonel Lotfi milita au
sein de ce parti. II est plus probable que ses sympathies soient allées plutôt
vers le PPA-MTLD. En tout état de cause, Mohamed Lemkami affirme l'avoir
rencontre la veille du déclenchement de la guerre de Libération Nationale,
dans les réunions d'une cellule du PPA-MTLD. Il en fait, d'ailleurs, cette
description éloquente : «Dès mes premiers contacts avec Benali, j'avais
remarqué qu'il était très posé. II semblait très mûr pour son âge et paraissait
mieux informé que nous des problèmes politiques». Boumediene El Ouchdi,
son subordonné dans le commando militaire qu’ il venait de mettre en place à
Tlemcen raconte, à son tour, que Si Brahim — nom de guerre pris par
Boudghene Benali «avait un esprit bien rigoureux pour son âge. Blanc de
peau, regard luisant, il mesurait environ 1,80 m et était sévère, discipliné sans
être coléreux». Sid Ahmed Gaouar, qui a rejoint le FLN en même temps que
le colonel Lotfi, dans le même groupe, se rappelle enfin que le jeune Benali «a
émergé (dans ce groupe) grâce à son intelligence, son savoir-faire et son
esprit d'initiative». Probablement, la découverte par les autorités coloniales de
ce groupe de jeunes Algériens qui avait rejoint l'organisation civile du FLN a-t-
elle hâté l'engagement au maquis du jeune Boudghene Benali. Quoi qu'il en
soit, cet engagement dans la lutte armée lui permit d'accéder rapidement,
sous le pseudonyme de «Si Brahim» à des responsabilités éminentes dans la
région. Sa mission définie selon toute vraisemblance par Abdelhafidh
Boussouf lui-même, consistait à assurer la mobilisation politique de la
population de Tlemcen et à réussir la mise en œuvre des techniques de
guérilla urbaine contre le dispositif répressif français. Incontestablement, les
débuts de la Révolution à Tlemcen doivent beaucoup à Boudghene Benali, qui
est parvenu rapidement à mettre en place l'organisation politique de la ville, à
monter un groupe de fidaï et à créer un commando militaire qu'il dirigeait

76
personnellement. Cet épisode de la guerre à Tlemcen est brillamment évoqué
par El Ouchdi Boumediene dit Abderezzak sous le titre " Et pourtant la ville de
Tlemcen a eu son commando ALN entre 1955 et 1956 avec pour chef Si
Brahim Lotfi". Ce témoignage confirme l'aptitude politique de Si Brahim et sa
maturité puisqu'il a su mobiliser efficacement et rapidement la jeunesse de
Tlemcen. Sa maitrise psychologique et opérationnelle de la situation est
attestée par un bilan substantiel qui avait engagé irréversiblement Tlemcen
dans la guerre de Libération Nationale. Ce bilan, pour mémoire, comportait
aussi bien l'exécution d'une matrone accusée de collaboration avec l'ennemi,
la liquidation d'agents de la répression coloniale et certains de leurs auxiliaires
ainsi que l'attaque de la poudrière de Tlemcen, qui se solda par la mort de
nombreux militaires français. Lorsqu'il parvient à ce bilan éloquent qui atteste
du potentiel révolutionnaire de la ville de Tlemcen, le jeune Boudghene Benali
prend conscience que celle-ci peut être érigée en secteur de l'ALN. Il est
confronté alors à l'attitude hostile de Mohamed Bouzidi dit "Ogb Ellil", le chef
de secteur de l'ALN de rattachement. Si Brahim est rappelé alors à l'état-
major de la zone où il prend en charge le secrétariat.
Les aptitudes au commandement du colonel Lotfi à travers son
parcours dans la hiérarchie de la Wilaya 5.
3- Le colonel Lotfi manifesta d'emblée de véritables aptitudes
au commandement
Ces aptitudes peuvent être examinées par rapport à trois données
essentielles : le charisme personnel qui se reflète également dans la capacité
de persuasion psychologique de la population, la maitrise des techniques
militaires qui procure un avantage certain sur les autres maquisards et enfin -
confortée par une curiosité intellectuelle infinie- cette lucidité politique
implacable qui permet d'anticiper les événements. Lorsque à l'initiative des
chefs révolutionnaires de ces régions eux-mêmes, s'était posé le problème de
l'organisation politique et militaire des régions sahariennes et de leur
rattachement à une tutelle légitime au sein de la Révolution, Dahou Ould
Kablia, moudjahid de la Wilaya 5 et ancien cadre du MALG, qui a effectué des
recherches sur cet épisode, affirme que c'est Abdelhafidh Boussouf lui-même
qui confia cette mission au futur colonel Lotfi car il avait détecté chez cet
officier «les qualités intellectuelles, la haute rigueur morale, le sens des
responsabilités et les aptitudes militaires». Rappelons pour la clarté de
l'exposé que cette mission s'articulait autour de trois axes principaux. Selon la
narration de Dahou Ould Kablia, la mission principale confiée au futur colonel
Lotfi se décomposait comme suit : «Une mission politique à travers la prise en
main énergique des populations (... ) et la lutte contre les velléités des
groupes "bellounistes" (...) une mission militaire avec la constitution de

77
nouvelles compagnies armées et orientées sur des objectifs détermines (...)
une mission organique avec la réorganisation de la zone sud, subdivisée en
quatre régions regroupées en zone 8 confiée d'ailleurs à Si Brahim qui accède
au grade de capitaine». Si l'on s'en tient cependant au charisme de
Boudghene Benali, comment ne pas citer Boualem Bessaih qui, officier de la
Wilaya 5 et figure de proue du MALG, compagnon, naturellement, du défunt
qui apporte dans sa préface aux actes des journées consacrées au colonel
Lotfi un témoignage pour le moins autorisé : «Cet homme jeune, à la longue
silhouette et aux yeux bleus, aurait pu passer, n'était-ce la tenue de
maquisard, pour un touriste européen (...) il dégageait une autorité morale
toute naturelle, il imposait le respect. » Boualem Bessaih ajoute que «dans les
moments graves, (Lotfi) arborait un calme olympien et après avoir réfléchi,
donnait ses instructions comme le ferait un général sorti des grandes écoles
militaires». Ce témoignage est corroboré par la description de Kouider Allali,
compagnon des premiers pas de Boudghene Benali dans la mise en place du
dispositif révolutionnaire à Tlemcen : «Il avait comme arme un caractère
trempé et une volonté d'une grande fermeté.» Ce charisme s'accompagne
d'une capacité de persuasion psychologique avérée. Les témoignages en
apportent amplement la démonstration. Citons de nouveau ce compagnon de
la première heure, Kouider Allali, qui affirme que «doté de beaucoup de bon
sens et d'un esprit d'analyse aigu, Si Brahim avait su, au contact des
émissaires sahariens, jauger leur loyauté et leur bonne foi». Boualem Bessaih
confirme de son cote : «Lotfi s'est attaché au grand Sud algérien et à ses
habitants. Il aimait, sous la tente, converser avec les nomades de leur
existence rude et de leur rectitude morale (...) il finissait par séduire son
auditoire et mobiliser les énergies.» Même les femmes ne sont pas en reste
pour apporter leur témoignage. Ainsi, Khadidja Brixi qui, dans cette fameuse
zone 8, servit sous les ordres de Si Brahim, relate que celui-ci disait « qu'il ne
faut pas utiliser la religion pour la déformer (...) ou en tirer un bénéfice
personnel ». Pendant ses réunions, Si Lotfi expliquait tout cela aux
populations du Sud et nous demandait (les moudjahidate) « d'expliquer aux
femmes du Sud la nécessite de s'éloigner des marabouts c'est-à-dire des
personnes qui utilisent la religion pour obtenir de l'argent et des richesses de
personnes malades ou non instruites.» Abdelghani Akbi, beau-frère du colonel
Lotfi et officier de l'ALN en zone 8 de la Wilaya 5, apporte un témoignage
complémentaire presque d'initié : «Il se montre toujours déterminé à régler
tous les problèmes qui surgissent et à réduire les zizanies nées de conflits
personnels. Rien ne l'arrêté : son pouvoir de persuasion obtient un profond
retentissement sur le moral et le comportement des autres responsables de la
Révolution.» M. C. M.

78
79
1959 : Ferhat Abbas, Boussouf et Lotfi à Belgrade pour des achats d’
armes

80
LOTFI EN ACTION
Par ABDELGHANI AKBI
(Ecolymet « colonel Lotfi » juin 2004)

Le colonel si Lotfi commandant la wilaya v


Nom: Dghine
Prénom: Benali
Fils de Dghine Abdelkrim dit Si Abdallah et de : Lokbani Mansouria
Nom de guerre: Si Lotfi
Né le 7 mai 1934 à Tlemcen
Elève de 6eme année de la Medersa ou Collège franco-musulman de
Tlemcen.
A participé activement à la mise en place des cellules F.L.N. Tlemcen
avant de rejoindre le maquis en octobre 1955 dans la région de Beni-Snous.
Successeur de Larbi Ben M'hidi, de Boussouf, puis de Boumediene, à
la tête de la Wilaya V.
Un pur produit de la Révolution Algérienne.
Tombé au champ d'honneur le 27 mars 1960 au Djebel Bechar avec le
commandant Tahar Ferradj.
Enterré à Bechar avec ses compagnons d'armes par la population du
lieu.

Si Lotfi, le Chef politico-militaire :


Avant la tenue du Congrès de la Soummam, Si Lotfi a assumé
plusieurs responsabilités politiques ou militaires, d’ abord au niveau de
Tlemcen, puis de Sabra. C'est ainsi qu'il a organisé et mené plusieurs actions
fida et attaques de postes ennemis à Tlemcen, qui dérouteront l'ennemi par
leur vigueur et leur intensité. A étendu de telles actions à la région de Sabra.
S'est distingué par "la fausse patrouille", action armée qui permit au
groupe de Lotfi, déguisé en patrouille de police militaire française, d'atteindre
sans encombre le mess des officiers de la place des victoires et de mitrailler à
bout portant les officiers qui y étaient attablés.
Au cours du premier trimestre de 1956 et après ces actions d'éclat et
d'autres encore accomplies en un temps record, le Colonel Si Mabrouk
(Boussouf Abdelhafid) le désigna pour pénétrer le Sud oranais (Territoires
Militaires d'Aïn Sefra) s'étendant de Laghouat Aïn-Madhi jusqu'à Tindouf et
de Sidi EI-Djilali (Wilaya de Tlemcen) jusqu'à la frontière malienne.

81
Au cours du premier semestre 1957, Si Lotfi assume trois missions de
la plus haute importance:
1-Organisation de la pénétration par l'ALN de la zone 7 de Tiaret.
2-Donner un coup d'arrêt définitif à la tentative d'envahissement du
territoire de la grande zone 8 par les troupes contre-révolutionnaires MNA
menées par Bellounis.
3- Obtention du ralliement des chefs zianistes Amor Driss et Ferhat
Tayeb puis création de la Zone 9 (Région des Oulad Nail et Djelfa) qui servira
de base de départ pour la Wilaya VI. Suivra le ralliement de Djeghaba qui était
à Metlili.
Si Lotfi gagne, en juillet 1957, après un très dur affrontement avec les
troupes de l’ armée française menées par le général Gilles à Kheneg
Abderrahmane dans la Gaada d'Aflou, ses étoiles de Sagh Aouel ou
commandant, membre du commandement de la Wilaya V et par conséquent
membre du C.N.R.A.
Il pousse ses avantages jusqu'à Djelfa pour entreprendre des
discussions avec les Messalistes en vue d'en obtenir le ralliement au F.L.N. et
avant que n'éclate au grand jour leur trahison avec l'ennemi.
En avril 1958, après la désignation du Colonel Boumediene à la tête du
C.O.M. ouest, l’ état major général des wilayate IV- V- VI, Si Lotfi prend le
commandement général de la Wilaya V et devient à 24 ans le plus jeune
colonel de l' A.L.N. C'est un pur produit du F.L.N. et de I'A.L.N. qui portera la
guerre même dans le Grand Erg Occidental au grand dam du Haut
Commandement français.
Le Colonel Si Lotfi prend le commandement et relève tous les défis.
L'année 1958 est l'une des plus dures de la révolution armée d'abord parce
que l’ armée française s'est particulièrement renforcée en armements et en
encadrement. L'arrivée de De Gaulle au pouvoir fera envisager sérieusement
aux colonialistes une victoire militaire par la liquidation de l' A.L.N.
Le barrage électrifié et miné est achevé, le quadrillage est opéré, les
populations musulmanes sont regroupées. Les grandes opérations militaires
françaises sont organisées et se déroulent de façon systématique : elles
couvrent tout le territoire algérien. Le gouvernement français use de fortes
pressions pour amener les pays voisins à réviser leur soutien à la révolution
algérienne. C'est ainsi que le Maroc, par l’ istiqlal de Allal el-Fassi et son
programme de Grand Maroc, soulève les problèmes des frontières et crée
pour ce faire une Armée de Libération Marocaine active dans le Sud, c'est-à-
dire en Zone 8. Suivra la Tunisie qui réclame les champs pétrolifères.
Si Lotfi œuvrant à la solution de problèmes nationaux :

82
Si Lotfi participe à de nombreux conclaves du F.L.N. de combat à
Tunis, le Caire et Tripoli. II apportera une contribution hautement positive et
appréciée appuyée par les colonels Boumediene et Ali Kafi. Le colonel LOTFI
est auréolé de sa parfaite qualité de Moudjahid ayant une vision très lucide de
l'avenir de l'Algérie. Il agit en apportant sa propre expérience et sa parfaite
connaissance du terrain. II se montre toujours déterminé à régler tous les
problèmes qui surgissent et à réduire toutes les zizanies nées de conflits
personnels. Rien ne l'arrête : son pouvoir de persuasion obtient un profond
retentissement sur le moral et le comportement des autres responsables de la
révolution.
Si Lotfi, le visionnaire :
C'est ainsi qu'il arrive à dégager la direction de la Révolution du
fameux carcan de la primauté de l'intérieur sur l'extérieur et du politique sur le
militaire. Lotfi sort du lot grâce à sa largesse de vues et prend de la hauteur
suivi par Boumediene et dans une moindre mesure par Ali Kafi. Ses réflexions
ressortent des expériences connues dans le monde ; ses positions affirment la
primauté et le respect des choix du Peuple algérien libre et souverain, d'un
peuple digne qui n'accepte aucune tutelle ni soumission à un corps ou
institution.
Quand il s'agira de parfaire l'indépendance politique par un
développement économique, social et culturel, ou d'instituer un Etat prenant
en charge la vie de tout un peuple, Lotfi se montre intransigeant et refuse de
mettre le destin du peuple qui s'est lourdement sacrifié entre des mains
incompétentes ou inexpertes. En témoignage de cette attitude, lire sa dernière
lettre datée du 16 mars 1960 adressée à son collègue et ami Ali Kafi,
commandant la Wilaya II du Nord Constantinois.
Tous ces points d'ancrage se trouvent réunis et développés dans un
ouvrage intitulé « Les perspectives économiques de l'Algérie, l'avenir se
décide aujourd'hui ».
Si Lotfi avait sa nette vision de l'Algérie indépendante élaborée à partir
des documents les plus récents, murement réfléchis après discussions avec
ce que l'Algérie comptait d'éléments d'élite engagés dans le combat libérateur.
Si Lotfi qualifiait la guerre de libération de révolution ce qui signifiait
qu'avec l'indépendance, il fallait procéder à la destruction complète des
structures coloniales rétrogrades et leur remplacement immédiat par des
institutions faisant appel aux énergies algériennes les plus vives.
Si Lotfi était convaincu que le combat libérateur du peuple algérien,
soutenu alors par les trois quarts de l'humanité, allait déboucher
impérativement sur la libération et que la place de l'Algérie dans le concert

83
des nations devait être soutenue par un travail ayant conquis sa pleine dignité
pour arrêter l'agonie de notre peuple.
Si Lotfi avait engagé l’ A.L.N. à aborder la phase constructive de
l'Algérie future, d’une Algérie affranchie de toute dépendance politique,
économique, administrative et culturelle; il rejetait toute idée d'indépendance
purement nominale.
Si Lotfi mérite que ses réflexions soient exposées à présent que
l'Algérie s'est dotée d'universités nombreuses, que ses fils sont capables et
jouissent de la liberté totale de parler, de lire, d'écouter et de penser, de se
pencher sur cet écrit, d'en mesurer les effets possibles et d'en discuter en
milieu académique pour ne serait-ce qu'analyser l'esprit qui a présidé à son
élaboration et à saluer la mémoire d'un Chahid qui n'a pas hésité à sacrifier sa
jeunesse et sa vie pour que vive l'Algérie dont rêvait un jeune colonel tombé
au champ d'honneur à l’ âge de 26 ans.

84
Lotfi entre Taibi Larbi et Boumediene

85
Accroupis : au milieu Lotfi à l’
extrême droite Faradj

86
ACTIVITES DU COLONEL LOTFI
DANS LES ZONES SAHARIENNES
Par Kouider Allali (Ecolymet « colonel Lotfi » juin 2004)

Nous sommes au début de l'année 1956.


Le moudjahid Benali Dghine qui activait au secteur 5 a été rappelé en
base arrière, mettant un terme provisoire à quelques mois d'activité. Les
raisons auraient été liées à une incompatibilité entre lui et le chef du secteur
Mokhtar dit « Ogb Ellil ». Ce dernier, brutal, borné mais intrépide ne pouvait
faire bon ménage avec un intellectuel qui « raisonnait ». On avait besoin alors
de «casseurs » et non de raisonneurs. Du reste Mokhtar n'allait pas tarder à
son tour à être rappelé mais lui, c'était pour répondre de son comportement
dans de graves affaires.
A cette époque, l'Ouest algérien, récemment doté d'armement, venait
à son tour de s'embraser, hormis les territoires du sud ou en dehors des
foyers allumés localement à El Bayadh, de leur seule et propre initiative, par
Lamari et Boucherit. Il ne se passait pratiquement rien depuis les premiers
évènements de 1954, faute d'armement.
Les régions sahariennes, toujours sous administration militaire depuis
l'occupation, semblaient, dans l'esprit de l'occupant, être bien tenues et
sécurisées, pour la simple raison qu'il se croyait parfaitement informé des
activités des nationalistes de tout bord du fait que le responsable P.P.A. était
son agent, agent particulièrement intelligent et adroit, le fameux « djoudem »,
qui était parvenu à s'infiltrer à travers une cellule de base et à parvenir au
sommet du parti au point où il fut même question de lui confier la direction de
la wilaya VI. Il s'agit de Larbi El Hadj qui continua à combattre l'Algérie au sein
des harka.
Mais aussi adroit qu'il ait été, Djoudem n'est cependant pas arrivé à
surprendre la vigilance de quelques militants de base dont les regrettés
Bendjoudi Cheikh et Belkhedim Slimane, qui allèrent chercher au Maroc le
contact avec les dirigeants de la révolution et leur demander des armes et
dans leur grande simplicité....un Chef.
Leur contact n'était autre que Abdelhafid Boussouf et à ses côtés se
trouvait, par un de ces hasards de l'histoire, le moudjahid Benali Dghine.
« Voulez-vous de moi comme chef ? » demanda Benali.

87
L'accord fut scellé et les émissaires s'en retournèrent chez eux dotés
d'armes, d'argent et la promesse d'un futur chef prestigieux qui n'allait pas
tarder à les rejoindre.
Brahim sera son premier nom de guerre. Il n'avait pas 22 ans et il allait
avoir à charge un territoire immense et déshérité qu'il ne connaissait pas, où il
n'avait aucune attache, et où il devait semer la révolte avec peu de moyens.
Mais il croyait en son étoile, et aux destinées de son pays et du combat dans
lequel il s'était engagé. Il avait comme arme un caractère trempé et une
volonté d'une grande fermeté. Doté de beaucoup de bon sens et d'un esprit
d'analyse aigu, il avait su, au contact des émissaires sahariens, jauger leur
loyauté et leur bonne foi. C'est ce qui allait les lui faire aimer et considérer.
Arrivé à Figuig, grosse bourgade de sept ksars dont plusieurs en
ruines, il opte tout naturellement pour le sommet de la montagne Béni-Smir de
la chaîne des Monts des Ksours, qui constitue la frontière entre l'Algérie et le
Maroc et qui culmine à plus de 2000 mètres d'altitude pour y installer son P.C.
Mais si Béni-Smir répondait parfaitement sur le plan stratégique aux
besoins militaires, il était pratiquement coupé de l'arrière dont dépendait la
survie de toute organisation, du fait de l'éloignement des agglomérations
nationales dont la plus proche se situait à plus de cinquante kilomètres et que
partout ailleurs c'était le désert. Par ailleurs la présence, à la lisière de Figuig,
à mi-chemin entre Béni-Smir et cette localité, d’ une base militaire ennemie
pouvait interdire toute activité. C'est ce qui fit opter pour l'installation du P.C.
dans Figuig, avec toutes les contraintes que cela devait poser.
Un des vieux ksars en ruines, pratiquement inhabité si ce n'est par
quelques misérables familles, et qui avait nom de El Maïz fut choisi pour
l'implantation du P.C. de Si Brahim le nouveau chef du secteur qui allait
devenir rapidement région puis zone, suite aux décisions du Congrès de la
Soummam.
Si Brahim n'avait apporté dans ses bagages qu'un poste radio et un
opérateur, ce qui lui permettait d'être en liaison avec le commandement. Le
ravitaillement, le matériel, l'armement, tout venait d'Oujda. Tous les
mouvements se faisaient de nuit et en secret. La clandestinité était totale. Les
liaisons locales se faisaient par l'intermédiaire de nationaux habitant le pays et
strictement triés sur le volet. Des agents circulant sous identité marocaine
assuraient la liaison avec le P.C. de la wilaya, pourchassés constamment par
l'ennemi qui s'autorisait même à les poursuivre à l'aide de ses engins blindés
en plein territoire marocain. Le premier agent de liaison a été leur première
victime, tué au volant de son véhicule par le tir d'un engin blindé ennemi.
Parallèlement à l'organisation de ses services, l'activité de Si Brahim
tendait essentiellement à l'implantation des maquis. Béni-Smir devint, de par

88
sa position stratégique, une base de transit pour tous les mouvements de
matériels, d'armement et de troupes vers l'intérieur. Le regroupement et la
constitution des unités pour les différentes missions ou destinations s'y
faisaient. En dehors de son rôle de base de transit, Béni-Smir avait une
mission opérationnelle. Les unités qui y résidaient menaient régulièrement des
actions de sabotage sur la voie ferrée et les gares de la ligne de chemin de fer
reliant Saïda à Béchar, longeant le flanc Est des monts des Ksours,
contraignant ainsi l'ennemi à y maintenir en permanence des troupes.
Parti pratiquement seul, bien que comptant sur les militants du cru qui
avaient recherché eux-mêmes le contact, Si Brahim allait bénéficier d'un
apport important en cadres fuyant la répression, venant généralement de
l'Ouest du pays et que le calme existant alors au Sud avait enclin à utiliser
cette voie pour se réfugier au Maroc. Cela lui a permis de renforcer ses
équipes et de lui donner les moyens de s'occuper de l'organisation des
secteurs opérationnels devenus à leur tour des régions.
Lamari, Boucherit et leurs compagnons, dont le nombre a grossi au fur
et à mesure des actions victorieuses menées contre l'ennemi, furent conviés à
une rencontre dans les environs de Aïn-Sefra à Hammam Ouerka. Ils y
reçurent une importante dotation en armement ainsi qu'un fort contingent de
combattants ayant rallié la révolution après avoir déserté l'armée française
cantonnée au Maroc.
La région d'El Bayadh où ils activaient reçut comme responsable
politico-militaire Si Mourad, qui venait de se réfugier au Maroc. Les régions de
Méchéria, d'Aïn-Sefra et de Béchar bénéficièrent à leur tour d'encadrement et
de dotation en combattants aguerris. Elles étaient encadrées par des
éléments du pays sauf Aïn¬Séfra dont les combattants étaient placés sous le
commandement de feu Si Mansour, tombé au Champ d'Honneur en décembre
1956 au djebel Mekter, et dont l'ennemi a exposé la tête sanguinolente sur la
place publique pour impressionner le peuple, alors que cela n'a eu pour effet
que d'augmenter sa haine et son mépris pour l'utilisation de méthodes
barbares des siècles passés.
A la fin de l'année 1956, la zone 8, sous le commandement du
capitaine Si Brahim, reçut pour mission d'aller combattre les troupes
messalistes placées sous la direction de Bellounis qui, chassées de Kabylie,
s'étaient installées sur le territoire de la wilaya VI. D'autres wilayas ont étés
sollicitées pour cette opération, mais en définitive seules les unités de la
wilaya V s'y sont engagées, pratiquement celles de la zone 8 limitrophe. Mais
en guise de messalistes, il s'agissait de combattants qui, pour des raisons
obscures, avaient quitté les Aurès afin de combattre librement et en toute

89
autonomie sous la direction de si Ziane dit Boulahia. Ils n'avaient aucune
attache avec les messalistes. Contact pris, ils se sont ralliés au F.L.N.
Si Brahim, promu au grade de commandant, vint effectuer une
inspection dans la zone jusqu'à Aflou, où il a reçu personnellement le
ralliement des zianistes dirigés par le commandant Amor Dris lors d'une
cérémonie organisée sur la base de Kheneg Abderahmane.
Peu de jours après, sur ce même site de Kheneg Abderahmane, s'est
déroulée sous le commandement de si Brahim une des plus grandes batailles
qu'ait connues la révolution, bataille qui opposa nos unités fortes de plus de
cinq cents combattants à l'ennemi, lui infligeant d'énormes pertes et la
destruction de deux hélicoptères Sikorski.
Il a en outre initié, avant son départ de la zone, le fameux raid sur le
Touat-Gourara, enlevant la totalité des soldats des compagnies sahariennes,
qui rejoignirent avec armes et bagages le F.L.N., ce qui contraignit l'ennemi à
envoyer en catastrophe une opération aéroportée sous le commandement du
général Bigeard en personne.
En quittant la zone 8 pour rejoindre le PC de la wilaya, si Brahim
pouvait à bon droit s'enorgueillir d'avoir laissé une zone bien organisée, bien
structurée, s'étendant des confins sahariens aux limites des monts du djebel
Amour sans compter la partie sud de la wilaya VI, qu'occupaient les zianistes
et qui porta un temps le nom de zone 9.
La liquidation des bellounistes permit de mettre en échec l'ultime
tentative de l'ennemi de semer la division au sein du mouvement
révolutionnaire.
Puisse le regretté colonel Lotfi reposer en paix sur ce coin de terre
saharienne qu'il a aimé et sur lequel il est tombé en compagnie des hommes
qu'il a considérés et admirés.

90
Le Colonel Lotfi au PC de la zone 8

91
Le Colonel Lotfi à cheval avec son escorte

La pause café

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Le Colonel Lotfi et l’affaire Zoubir
(Messaoud Maadad, « Guerre d’Algérie,
chronologie et commentaires », Edition ENAG)

La dissidence du capitaine Zoubir en territoire marocain, marque une


étape particulièrement douloureuse dans les rapports Inter-ALN et rappelle
certaines autres péripéties vécues aux frontières tunisiennes, notamment « le
complot des colonels » et la reddition de Hamhli. Pourtant d'après les maigres
informations que nous avons pu obtenir, cette affaire était sur le point d'être
réglée par l'intermédiaire du Colonel Lotir, comme le corrobore son message
au Ministère de l'Armement et des Liaisons Générales (MALG) (voir annexe).
La grave décision prise par Zoubir de se mettre en dissidence serait due aux
agissements de certains responsables du commandement des frontières à
l'encontre de ses hommes, ce qui poussa le capitaine à remettre en question
les structures du commandement des frontières (C.D.F). Le Colonel Lotfi de
retour du Congrès du C.N.R.A à Tripoli, tenta de ramener Zoubir à la
discipline et à l'obéissance et réussit à détendre la situation en attendant une
solution définitive. .Néanmoins, la zone où se déroulait l'événement, les Beni-
Ounif, était contrôlée par un Caïd marocain acquis à l'influence française. Il
réussit à s'infiltrer dans l'affaire et à envenimer la situation.

Guerre d'Algérie
Nous ignorons les détails qui conduisirent ce Caïd à présenter un
détachement de l'ALN, sous les ordres de Zoubir à une com-mission
consulaire française venue enquêter sur certains débordements des forces
françaises à la frontière marocaine. « L'erreur voulue » par le Caïd fit donc
passer Zoubir pour un « rallié » en puissance. De là. la question prit une
dimension difficile à contrôler. Finalement. Zoubir accepta de se soumettre à
l'Etat-major de l'ALN qui le jugea, le condamna et l'exécuta.

93
Message du Colonel Lotfi au MALG relatif à l’affaire Zoubir
Ai en ce jour 2è entrevue avec Zoubir, Suis parti avec médecin et
infirmier ainsi qu'un chargement de fruits pour les Djounoud-Stop. Sommes
accueillis chaleureusement par tous les Djounoud -stop -Ali reconnu
beaucoup parmi les anciens. - stop .
En ai profité pour se remémorer le passé et rappeler les premiers
principes qui nous ont guidés et qui sont la raison de votre résistance Si
longue -Stop- Zoubir était arrivé, je lui exposai à nouveau la façon de voir pour
régler cette affaire appel à ses sentiments patriotiques et à sa conscience
nationale. Stop - lui demandant de m'aider dans ma mission de fraternisation
des cœurs et d'apaisement des esprits - stop - je lui fis savoir que pour la
structure de C.D.F. dont il se plaint la réunion de Tripoli a tout prévu - stop - et
envisage la réponse et la révision de toutes les structures de la révolution
militaire -stop- politique et économique -stop- qu'il lui était donné à lui comme
à tous les frères de faire des suggestions et des propositions et ceci en
réunion qui aura lieu bientôt -stop- il répondit directement que si c'est la seule
que je vois, il est prêt pour sa part à se soumettre - stop- tout ce qu'il décide
c'est qu'on lui accorde sa démission et qu'on lui permette de se retirer -stop-
parce qu'après ce qui s'est passé il ne lui est plus possible de travailler avec
les frères du C.D.F. stop bien entendu je rejetai immédiatement cette
hypothèse. Lui faisant valoir que j'avais personnellement besoin de lui ainsi
que la révolution -stop. De plus son travail n'est pas le C.D.F, mais avec moi -
stop- il n'y avait absolument rien entre lui et moi -stop- il répondit par
l'affirmative tout en disant cependant qu'il aura quand même des contacts
avec le C.D.F - stop. Je le rassurai à nouveau que ces contacts ne pourront
qu'être fraternels -stop- le retour à la confiance s'impose ainsi que l'oubli de
nos malentendus -stop- il m'a dit alors que ce sera quand même la victoire de
personne contre personne mais la victoire de tout le peuple qui aura opposé
un démenti si brutal aux prétentions de l'ennemi -stop- mais la victoire des
sacrifices de tous --stop. J'ajoutai qu'en ce qui me concerne je considérais
l'incident comme presque clos -stop- je lui demandai en conséquence
d'entreprendre dès à présent une campagne psychologique dans les rangs
des Djounoud et chez le peuple qui l'entoure dans le sens de l'apaisement des
esprits et du pardon réciproque -stop- il me demanda comment il devait dire -
stop- je lui indiquai -stop- enfin il essaya de revenir sur la question de sa

94
démission -stop- à mon tour je lui avançai des arguments contraires -stop.
Concernant cette question je crois surtout qu'il essayait de me sonder sur son
avenir dans l'A.L.N stop- je lui recommandai enfin de ne rien entreprendre qui
puisse retarder la solution -stop- de rester sur mes positions, la situation se
normalisant petit à petit d'une façon sensible jusqu'à ce qu'elle devienne tout à
fait normale stop - l'entretien se termine d'une façon cordiale -stop- le médecin
ayant terminé nous repartîmes en promettant ma visite pour le lendemain -
stop- mon impression générale après cette rencontre est que plus jamais les
chances d'une solution facile, rapide et honorable pour tous se trouvent
renforcée stop - Je veux espérer que je pourrais le régler seul -stop- Je
demande a Dieu de m'aider -stop- parce qu'on l'a trop compliquée et qu'elle
est demeurée une affaire passionnelle et sentimentale -stop- Respects -stop -
LOTFI stop- fin .

Origine : Colonel Commandant Wilaya 5


à MALG/ Chef d'Etat Major D/A
Destination (information) Colonel Commandant Wilaya 5
Date et heure de départ 28 Janvier à 19.15
L.R.5 11/5. 12

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Gaid Ahmed (Cdt Slimane) en zone 8

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De droite à gauche : Bouzina, Lotfi, Rachid et Hadjadj

Lotfi à Djebel Grouze

98
La mort du Colonel Lotfi
et du Commandant Ferradj
(Ahmed Bensadoune, « Guerre de Libération, parcelles de vérité de la
Wilaya 5 Oranie », Edition El Boustane)

Revenons au colonel et son adjoint. Ces valeureux hommes sont


morts à djebel Béchar, au cours de leur trajet en direction de l'intérieur.
L'accrochage a eu lieu à la 2è étape de leur périple, en territoire national, fin
de matinée. Dans ces conditions, on peut avancer que l'adversaire ignorait
l'importance et la valeur du groupe qu'il avait intercepté. On peut aussi se
poser la question de savoir si c'était réellement un pur hasard.
Ils avaient tenté en vain, la première fois, de traverser la frontière par
le Nord, la région d'El Aricha, puis par les monts des Ksours au sud d'Ain
Sefra, et finalement, ils décidèrent de traverser par le Sud de Béchar. Ils ont
perdu entre trente et quarante jours entre les deux premières tentatives.
Connaissant bien la région, nous reconstituons l'itinéraire de la petite
escorte.
- 1ère nuit : Le trajet a été accompli à dos de méharis à partir de
Boudenib, sud marocain, aux falaises qui forment le versant Ouest de
Hamadat - El-Braber, limite du territoire Maroc -Algérie. Ils arrivent vers
l'aurore et campent toute la journée dans une ambiance relativement calme.
- 2ème nuit : Lotfi, Ferradj et leur petite escorte parcourent la Hamada
toujours à dos de méharis, sens Ouest-Est. Vers minuit, ils descendent sur la
plaine qui est traversée par la vallée de l'oued Guir, qu'ils franchissent à
hauteur du sud de Kenadza. Ils progressent tout droit sur djebel Béchar, le
contournent par le sud et, au lever du jour, ils campent sur le versant Est de
cette montagne qui domine la ville de Béchar située au Nord-Ouest.
Parcourant la veille un itinéraire de 70-80 Kms à dos de méharis, j'estime par
expérience qu'ils sont arrivés très fatigués.

Des légionnaires en patrouille, alertés par une reconnaissance


aérienne qui fut renforcée ces jours-ci, aperçoivent des traces suspectes. Ils
continuent leurs investigations et observent, de loin des chameaux accroupis,
les quatre pattes ligotées. Le doute s'installe. Dès que les légionnaires arrivent
à la hauteur de la petite escorte, l'accrochage commence.
Indépendamment des pertes ennemies, sur les cinq hommes
composant l'équipe, quatre sont mortellement atteints, dont le colonel et son

99
adjoint, et le cinquième, blessé, mi-conscient, fait prisonnier. Le combat cessa
vers la mi-journée faute de combattants. Nos frères ont été tous neutralisés.
Nous sommes le 27 mars 1960, début d'après-midi.
C'est le blessé qui confirme la qualité de ceux tombés au champ
d'honneur.
Il n'y avait pas de poste de transmission réception, ni opérateur et
déchiffreur avec le Colonel et son adjoint, à part les trois djounouds d'escorte.
Tout ce qu'ont déclaré les officiers français et plus particulièrement le
colonel Jacquin est pure imagination. Comme d'habitude !
Dommage que notre colonel Ali Kafi, ex-commandant de la Wilaya
deux a rapporté des informations erronées sur son livre traduction française
(du militant politique au dirigeant militaire, page 209 et 211 ) qui relate
presque le complot sur la mort de Lotfi , Ferradj et leur petite escorte.
Le soir même, la nouvelle s'est répandue, alors que l'information a été
donnée quelques heures avant, par une femme de joie qui fréquentait des
légionnaires.
Toujours est-il que plusieurs questions restent sans réponses :
Comment se fait-il que ces officiers expérimentés aient emprunté
l'itinéraire le plus court, et bien entendu le plus exposé ?

Etaient-ils pressés ? Rien ne permet de l‘ affirmer. Cependant, ils ont


perdu beaucoup de temps d'avoir essayé par le Nord, ensuite par les monts
des Ksours et enfin par le Sud. Si j'avais bien compris, le colonel, au cours de
notre entretien d’ Octobre, m'avait laissé entendre qu'il devait me rejoindre en
janvier où les nuits sont relativement longues. Peut-être que la réunion des
colonels à Tunis ou l'affaire Zoubir, ou les deux l'avait retardé ?
Pour essayer de comprendre, je me suis référé à la confession du
président Ferhat Abbès qui déclarait, dans ses mémoires, que Lotfi, à Tunis,
lui avait paru désespéré et résigné à ne pas vivre avec la horde qui se
préparait à s'entretuer pour le pouvoir.
Nous témoignons, en notre âme et conscience, que ce sentiment
s'était répandu chez de nombreux combattants honnêtes qui priaient et
souhaitaient mourir en face de cette dérive prise par une partie des
responsables extérieurs et intérieurs.
Avait-il compris que la décision prise à Tunis, de rejoindre l'intérieur,
était mort née ? Autrement, on lui a laissé comprendre qu'il était libre d'aller
mourir s'il en avait envie.
Etait-il témoin des prémices de l'ingratitude de Boumediene à l'égard
de son protecteur, Boussouf ?

100
Etait-il revenu de la réunion de Tunis avec des idées et perspectives
décourageantes ? Toujours est-il que Lotfi et Ferradj ne faisaient qu'un seul.
D'autre part Ali Kafi témoigne dans son livre, page 208, Je le cite : « A
la veille de la réunion du 3° CNRA, à Tripoli, 16 décembre-18 Janvier 1960, la
situation autant à l'intérieur qu'à l'extérieur, était préoccupante voir
menaçante. A l'intérieur, l'ALN, isolée et abandonnée, résistait avec courage
contre un ennemi qui avait peu à peu, repris l'initiative. A l'extérieur, les unités
gelées sur les frontières de l'Est et l'Ouest, observaient passivement le
douloureux spectacle.
Les responsables étaient occupés par leurs propres ambitions, par le
règlement de compte, les alliances nouées et dénouées sans cesse. Cette 3°
session du CNRA, qui dura plus d'un mois, révéla un profond désaccord
autour de la question de la conduite de la révolution et autour des problèmes
d'organisation ».

Moi je dirais que toute la question (problématique) de la conduite de la


révolution et autour des problèmes d'organisation sont exclusivement liés aux
refus catégoriques des capitaines, commandants et colonels de rejoindre les
premières lignes. Tout le chahut que faisaient les militaires aux civils, s'est
pour détourner le sujet de leur présence physique à l'intérieur.
Le colonel Ali Kafi hésite d'appeler un chat un chat. POINT FINAL.
C'est pour cela que Lotfi, plus prêt du spectacle s'est résigné à se
démarquer des roublards. Et puis, la décision prise par Lotfi et Ferradj, de
pénétrer et installer leur PC à l'intérieur, n'est pas obligatoirement sanctionnée
par la mort . On peut bien la réaliser, vivre, et finalement damer le pion aux
pantouflards planqués aux frontières.
A ma connaissance, Lotfi a effectué une dizaine de séjours dans les
maquis de l'intérieur, de un à deux mois chacun, sous le nom de Brahim et,
entant que commandant la zone 8, il a dirigé trois accrochages de grande
envergure à El-Gâada d'Aflou, au Khnag Abderahmane, Il a participé à
plusieurs accrochages aux Khengaouate d'El-Bayadh et tout ce que j'ai cité
précédemment.
Quant à Ferradj, c'est un homme qui a fourbi ses premières armes en
zone 5, Sidi Bel-Abbés, qu'il dirigea de main de maître depuis sa créatio1956,
intelligemment. Au temps où cette zone foisonnait de colons ultras, elle était
un véritable coupe-gorge pour l'adversaire. Il a mené, avec succès, plusieurs
affrontements contre l'ennemi, fort en cela de deux de ses hommes qui étaient
loin d'être des débutants dans la pratique de la guérilla.

101
Ces chefs ont eu un comportement transparent, limpide, n'ayant rien à
cacher. La discussion avec eux n'était jamais entachée d'hypocrisie. Bien au
contraire, les relations entre supérieurs et subordonnés étaient empreintes de
modestie et d'humilité. Des qualités qui caractérisent justement les grands
hommes. Leur principal objectif était la victoire du peuple et rien d'autre.
Lotfi était médersien et avait une double culture, tandis que le
commandant Ferradj était arabisant.
Voici une autre version de la mort de Lofi, de son adjoint Ferradj et de
leurs compagnons, qui a son importance :
Avant leur départ de Boudenib, agglomération marocaine, lieu par
lequel j'ai entamé mon trajet sur Saïda, quatre mois auparavant, par un jour
de marché aux bestiaux, le Caïd du lieu, Slimane s'aperçoit que le
responsable du poste algérien achetait de beaux chameaux méharis, à tel
point que le prix des bêtes ait légèrement augmenté ce jour-là. Il apostropha
le responsable algérien :
- Vous devez avoir une importante mission à entreprendre à partir de
Boudenib ? » Effectivement, les bêtes étaient destinées à Lotfi et ses
compagnons.
Le caïd rencontrait quotidiennement le consul de France local,
fonctionnaire chevronné et professionnel. Boudenib est une agglomération où
il n'y avait pas de citoyens français. L'installation d'un consulat sert à autre
chose. Il lui transmit la nouvelle toute fraîche, selon laquelle les Algériens
étaient en quête de chameaux valides.
Sans doute, cette information avait-elle été sérieusement analysée et
transmise à qui de droit. A-t-elle été prise en considération ? Possible !
Une erreur par inadvertance a sans doute été commise, alors qu'il
existait d'autres moyens plus discrets de se procurer des chameaux solides.
Au lieu de cela, on a préféré prospecter dans un souk de petit bourg, où tout
événement se lisait dans les yeux et faisait le tour du souk et de
l'agglomération en un clin d'œil.

Est-ce que le caïd marocain, en informant le consul français, a fait


déclencher le renforcement de la surveillance de la frontière par laquelle Lotfi
et ses compagnons allaient passer et tomber dans la confrontation avec
l'adversaire cinquante fois plus nombreux , plus l'aviation et les hélicoptères ?
Toujours est-il que le commandement du sud-ouest de l'armée
française avait placé en permanence une unité de légionnaires sur djebel
Bechar et ses environs, qui tenait bivouac, apparemment sans but précis.
Mais sait-on jamais ? En même temps, les Français avaient renforcé les
patrouilles d'observation aérienne.

102
L'autre erreur s'est d'avoir emprunté l'itinéraire le plus court et le plus
exposé.
La probabilité par laquelle le colonel Ali Kafi pense que la mort de Lotfi
a été causée par son utilisation de la radio est dénué de tout fondement.
Quant à la précision de l'endroit ou fut tendu l'embuscade fatale, cette
imagination est autant que tout ce qui a été dit sur les circonstances de la
mort de nos camarades est, elle aussi dénuée de vérité (voir documents
pages suivantes).

Il existe une autre version de la décision de Lotfi d'emprunter la route


la plus courte et la plus exposée pour pénétrer dans les maquis intérieurs, et
que l'on verra plus loin dans son contexte.
Bien entendu, après la mort de Lotfi et du commandant Ferradj, le
deuil fut observé aux frontières par quelques-uns, et versant quelques larmes
de crocodile et sans doute aussi de joie par d'autres.
La décision de rejoindre l'intérieur allait être définitivement enterrée
ainsi que la neutralisation de deux générations de républicains démocrates
(Les plus âgés siégeant dans les instances du GPRA et nous les jeunes de
l'intérieur et ceux qui sont à l'extérieur).
Des officiers de la W 5, mis à l'écart par Lotfi et dégradés, parce qu'ils
manifestaient ouvertement leurs hostilités à rejoindre leurs postes à l'intérieur,
pour des motifs divers, reprirent du poil de la bête. On s'empressa de
distribuer des promotions. Par qui? Mystère ? Sûrement pour consolider le
clan des pantouflards de l'armée de terre réfugiée aux frontières.
Des analphabètes« bilingues »se partageront l'héritage de la wilaya
cinq avec la complicité de quelques lettrés qui vantaient les chefs, comme à
l'accoutumée, dans l'espoir d'une promotion imméritée, mais tout à fait
probable dans ce contexte vicié.
Des intellectuels médersiens ou bacheliers à l'époque, et baroudeurs
en même temps, constituaient une denrée très rare.
Les éléments existants ont été accaparés par le MALG, laissant
l'armée de terre, le gros morceau nécessaire et indispensable à la guerre,
entre les mains d'ignares.
La gestion de la guerre menée par le peuple entier et dirigée par de
bons stratèges de la guérilla, après leurs disparitions, va être usurpée par des
ignorants et des analphabètes qui, plus tard, après l'indépendance exerceront
leur même médiocrité sur les institutions et autres organisations de masse du
parti unique.

103
Nous nous excusons auprès des lecteurs de la

mauvaise impression des documents ci-après, qui ne

sont que des copies de copies des originaux. Merci.

Pièces jointes :

- Carte itinéraire du dernier voyage de Lotfi et ses

compagnons.

- Documents extraits des archives françaises.

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Colonel Lotfi Commandant Faradj
Indéfectibles compagnons de combat.

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Les tombes des deux martyrs à Béchar

116
UN DEVOIR DE MEMOIRE
Allocution prononcée par Mr BALI Bellahcène
à BECHAR Le : 27/03/2006

J'ai longtemps hésité avant de consentir à présenter cette intervention,


bien qu’ elle ne soit imputable ni au manque d'idées ni à l’
oubli puisque tout est
gravé dans ma mémoire. Aucun autre événement ne peut effacer ce passé
toujours présent, d’ autant plus que je suis toujours gèné de me remémorer
que nous avons failli à notre devoir envers ceux qui se sont sacrifiés pour la
liberté de l’ Algérie. Nous nous contentons d'honorer leur mémoire en
observant une minute de silence en lisant quelques versets du saint Coran et
le tour est joué, jusqu'à la prochaine commémoration.
Selon la tradition de notre prophète, un Hadith assure « qu'une goutte
d'encre utilisée par un savant vaut mieux qu'une goutte de sang versée par un
martyr ». Alors que dire si le sang versé sur les champs de bataille de notre
vaste pays est aussi celui des intellectuels qui ont mis fin à leurs études pour
répondre à l'appel de la patrie ?
Avouez maintenant que la gène devient plus oppressante. Faut-il
parler de rendez- vous manqué ou de mauvais départ ? Mon intervention
porte sur les comportements exemplaires de deux de nos glorieux chouhada,
tombés les armes à la main sans que les soldats français les plus aguerris ne
puissent les approcher, et qui seront finalement abattus par des bombes
lâchées par l'aviation de chasse venue à la rescousse : II s'agit du colonel
Lotfi et de son adjoint le commandant Ferradj.
Qui sont-ils?
- Le colonel Lotfi, ou le sage révolutionnaire :
Que devrai-je ajouter à ce qui a été déjà dit par ceux ou celles qui l’
ont
côtoyé?
De son vrai nom Benali Dghine (Boudghène), né à Tlemcen le 7 mai
1934 dans une modeste famille citadine, son père (Abdelkrim) était
fonctionnaire municipal. II suivit ses études primaires à l'école Décieux (El
Abili actuellement), les continua à Alger jusqu'à l'obtention du CEP, puis
passa une année à Oujda avant de revenir dans sa ville natale où il fut admis
à la Medersa. Cette institution, qui devait initialement former les agents du
culte musulman, dispensait dans les deux langues un programme aussi
chargé que diversifié. Le jeune Benali va bénéficier ainsi d'une double culture

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qui lui permettra de façonner sa personnalité et par delà améliorer ses
capacités intellectuelles et élargir le champ de ses relations humaines.
Le moudjahid Hocine Senouci, un de ses camarades de classe et plus
tard compagnon d'armes, nous raconte cette petite anecdote qui en dit long
sur ses capacités intellectuelles et surtout sur la justesse et la spontanéité de
ses réponses.

Un jour notre professeur d'Histoire, Mr. Mouchoux, avait dit :


- « Heureusement que Charles martel a arrêté les Arabes
à Poitiers !
Dghine, qui était d'une grande maturité, interrompit le professeur pour
lui dire :
- Pourquoi dites-vous heureusement? Pourquoi ne dites-vous pas
malheureusement? Vous savez qu'à cette époque les Arabes étaient porteurs
d'une grande civilisation, alors que l'Europe baignait dans l'obscurantisme du
haut moyen- âge !
- Mais parce que les Arabes étaient des envahisseurs répondit le
professeur.
- Alors que faites-vous en Algérie ? lui rétorqua Dghine.
II faut dire aussi que la Medersa n'a fait qu'épanouir la personnalité du
jeune Dghine. Sa réelle formation, qu’ il a acquis au quotidien, lui a permis
d'avoir une conscience politique dès son jeune âge. En fait, II fait partie de
cette génération des années cinquante qui n'a pas connu de jeunesse propre
à elle, puisqu'elle avait pour unique but de se réapproprier sa culture et par
delà son destin.
Que dire aussi de ses qualités de responsable, si ce n'est qu'entre la
fin 1955 et la fin 1957, il avait gravi tous les échelons de la hiérarchie militaire
pour être nommé comandant de la wilaya V. Bien qu'il ait rejoint très tôt le
maquis, l'on remarqua ses qualités et ses aptitudes de meneur d'hommes, et
pour ce, il fut chargé par Abdelhafid Boussouf (Si Mabrouk) alors adjoint de
Larbi Ben Mhidi, de consolider l'organisation politico - militaire de Tlemcen et
sa banlieue. C'est ainsi et à I'insu de I'oppresseur qu’ il va revenir militer à
Tlemcen, sous le pseudonyme de si Kaddour d’ abords puis celui de si Brahim.
Les actions qu'il va initier resteront dans les annales Algériennes, preuve
d'une abnégation sans limites pour le bien être de son peuple. Citons les plus
spectaculaires d'entre elles :
- Décembre 1955: I'attaque du siège de la commune mixte de
Sebdou (elle se trouvait à quelques mètres de la garnison de gendarmerie et
à 200m du siège de la sous préfecture).

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- Mars 1956 : I'attaque du quartier réservé : bilan 17morts du
cote français sans aucune perte du cote algérien.
- 19/4/1956 : I'attaque du cantonnement militaire de la MTO,
dans le but de récupérer l’ armement nécessaire à l'action révolutionnaire.
- 7/5/1956 : La fameuse « fausse patrouille ». Le quotidien
«I'Echo d'Oran » titre le lendemain : un exploit d'une rare audace a été
exécuté hier à 19h50 par les fellaghas en plein centre ville.
Après ce dernier acte de bravoure Si Brahim, devenu Lotfi, est affecté
au sein de l'Etat major de la wilaya V installé à Oujda. Si à Tlemcen il a
démontré ses qualités de chef de guerre, il va démontrer en zone sud de la
wilaya V ses qualités de stratège politico-militaire: tout en portant de rudes
coups aux troupes d'occupation, il va par sa sagesse précipiter le ralliement
d'une partie des troupes pro-bellounistes à la cause du FLN. Il accueille aussi
au djebel Grouz, près de Bechar, le groupe des Mêharistes du 5° régiment de
tirailleurs algériens ayant déserté les rangs de l'armée coloniale. Après un
repos forcé pour maladie et une convalescence au Maroc, il se déplace en
Espagne, pour l'achat d'armements. Arrêté dans ce pays et emprisonné
pendant 4 mois et demi pour trafic d'armes, iI est relâché, après intervention
du FLN.
C'est en Espagne qu'il apprend qu'il est nommé commandant de la
Wilaya V en remplacement du colonel Houari Boumediene, nommé lui-même
chef d'Etat-major de l'Armée Nationale de Libération. Cette nomination va
démontrer qu'il était devenu un chef militaire aguerri et un homme politique
accompli. Sa clairvoyance et sa rationalité ont fait de lui un homme politique
écouté et respecté par ces collègues et par tous ceux qui travailleront à ses
cotés. C'est à ce titre que l'on parle de Lotfi le visionnaire. En effet, non
content de mener à bien sa tache de responsable politico-militaire, il fait des
projections pour l'Algérie de demain. Pour ce, il élabore, en 1958 déjà, une
étude socio-économique de l'Algérie. Etude qui nous permet de cerner de
près la stature d'un homme qui ne pense qu'à une Algérie libre et prospère.
De par les thèmes traités dans cette étude, Lotfi nous fait part de son
attachement à la nation Algérienne. Il avait conscience qu'elle pouvait, par ses
innombrables ressources et ses potentialités, rivaliser avec les autres nations.
C'est dire toute l'expression de son amour pour sa patrie.
Le commandant Si M'barek ou le civisme révolutionnaire :
De son vrai nom Mohammed Louadj, né le 1er mai 1936 à Ain Ghoraba
dans le territoire de Terny Beni Hediel, commune de Sebdou. C'est une
agglomération très ancienne qui plonge ses racines dans la période
protohistorique, leur sédentarisation donnant à ses habitants un sens civique
trés aigu, dont hérita notre héros. C'est dans une atmosphère sereine et

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pleine de dévotion que se développa la personnalité du futur Si M'barek. Ain
Ghoraba fut la première agglomération, après Tlemcen, à demander à
l'association des Oulemas la construction d'une Médersa ; celle-ci fut
construite par les habitants eux -mêmes, grâce à une « Touiza » ; c'est dire
toute l'attention que portaient les humbles habitants du village à
l'enseignement et l'éducation de leurs enfants. C'est dans cette mèdersa que
Louadj fit ses classes et qu'il fit, à partir de 1952, ses premiers pas d'élève-
maitre. Au cours de cette année, il adhéra au parti du MTLD mais, suite à la
crise qui divisa les militants, il décida, en compagnie de quelques amis réunis
à Tlemcen en 1953, de ne plus cotiser au MTLD et d'adhérer au Comité
Révolutionnaire d'Unité et d'Action (CRUA). Le jeune combattant sera désigné
en décembre 1954 chef du secteur 6, zone 6, wilaya V.
A 18 ans il est déjà membre actif et prêt à [action armée. Ses premiers
faits d'armes remontent au 1er octobre 1955. II est à l’ origine de plusieurs
coups de main dans les secteurs 6 et 7. Son ardeur au combat le fera
rapidement remarquer. II sera promu le 1er janvier 1957 capitaine
commandant de la zone V, wilaya V. En mai 1958, il est promu au grade de
commandant et siège dorénavant comme membre du commandement de Ia
wilaya V, au coté du nouveau chef de la dite wilaya.
Le hasard faisant bien les choses, les deux personnalités de la wilaya
V vont se rencontrer. Ils conjugueront ainsi leurs efforts dans le but de porter
des durs coups à l'armée d'occupation. La logique de l'occupation du terrain,
permettant d'acculer l'occupant dans ses derniers retranchements, germait
depuis longtemps dans Ia tête de Lotfi, qui, dit-on, I'a proposée durant le
dernier congrès du CNRA. C'est pour cela qu'iI décida, dès son retour à son
PC d'Oujda de rejoindre les moudjahidine de l'intérieur.
Si M'barek, tout acquis à l'action directe, et entièrement disposé à
honorer son serment de sacrifice suprême, ne se fit pas prier. En effet, il
pouvait en temps que second assurer l'intérim du chef de la wilaya à Oujda,
mais étant de la trempe de Lotfi, il décida de I'accompagner. Ils lièrent ainsi et
à tout jamais leurs destins à une cause commune, celle de libérer la patrie. Ils
avaient tacitement choisi d'être aux cotés de tous ceux qui luttent pour
l'indépendance. Cet acte en Iui-même va faire évoluer Ia lutte armée pour Ia
libération en révolution.
Ce qui suivra est connu de tout le monde. Allah a exaucé leur souhait :
celui de mourir pour Ia Patrie. II est vrai qu'ils ont succombé au nombre, à la
technologie, mais ils se sont vaillamment comportés lors de leur ultime
bataille, tenant tête durant des heures aux soldats d'élite dépêchés
spécialement d'Ain Sefra. L'armée coloniale ne viendra à bout de la résistance
de ce petit groupe qu'en faisant appel à l'aviation. Vivants et morts, ils ont

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servi leur patrie. Ils ont été, avec tant d'autres héros, le symbole d'une
génération qui s'est volontairement sacrifiée pour une Algérie libre.

Je voudrais terminer mon intervention par des citations prises d'un peu
partout, qui approfondissent l'image du colonel Lotfi, entré de plain pied dans
la légende.
« Avec Lotfi disparaissait un rare colonel, aux idées généreuses et
libérales, respectueux des droits de l'homme. Il avait le plus grand respect
pour le peuple dont il est issu. ll est mort en emportant avec lui ses angoisses
et ses fragiles espérances». (Ferhat Abbes)
«S'il était resté en vie, le colonel Lotfi aurait certainement contribué à
donner à l'Algérie un destin différent, tant par sa forte influence que par son
raisonnement clairvoyant, sa vision sur la démocratie économique en
harmonie avec l'évolution mondiale. Le colonel Lotfi était certainement en
avance sur son temps ». (Djafar Skinazene, Responsable politique et
compagnon de cellule de Lotfi en Espagne).
« Notre révolution exige de nous le sacrifice suprême, mais que notre
mort ne soit pas vaine. Elle doit évidemment tendre à la victoire, mais elle doit
surtout servir d'exemple au sacrifice. C'est à vous les jeunes, de réaliser le
serment que nous avons prêté ensemble. Nous avons juré de mourir pour que
vive notre patrie ». (Le colonel Lotfi).
Il avait a peine 26 ans à sa mort.

Lotfi et Faradj au milieu de leurs pairs

121
Bentobbal, Ali Kafi, Lotfi et Krim Belkacem

122
ETUDE SOCIO ECONOMIQUE
LE SYSTEME ECONOMIQUE DE L’ALGERIE INDEPENDANTE
VU PAR LE COLONEL LOTFI EN 1958.

A- PRESENTATION
Le Colonel Lotfi, au delà de ses capacités dans les techniques de
guerre, est considéré comme l'un des plus brillants stratèges qu'a connu la
révolution armée. Outre ce potentiel, ce fils de Tlemcen consacrait également
son temps à l'écriture,
Au maquis, il réalise l'exploit d'éditer une étude socio-économique de
199 pages articulée autour des grands chantiers qui devront singulariser
l'Algérie post-indépendance.
Le développement de l'Agriculture et la généralisation de l'utilisation
des systèmes d'irrigation de goutte à goutte, les ressources en eau
souterraines, les réserves de la nappe hydrique du continental intercalaire du
Sahara, l'énergie hydro-électrique, les richesses du sous-sol Algérien
(notamment le pétrole, le charbon, le fer, le gaz etc....) ont été largement
épluchés, étudiés et bien développés. Pour cette dernière; « l’ énergie de
gaz » en l’ occurrence, et c'est un fait surprenant, le Colonel Lotfi en avait, à
l’époque, une vision lointaine.
Dans les extraits expurgés de cette étude socio-économque, il n'a pas
manqué de mettre en relief les richesses de l'Algérie dans le domaine
énergétique, Cette vision en perspective a ciblé les réserves de gaz d'Orléans
ville, (Chlef actuellement). Aujourd'hui, c'est une société de la République de
Chine qui explore la région à travers des blocs sédimentaires localisés dans
les zones de Sendjas, El Karimia et Ténès (le permis d'explorer lui a été remis
en décembre 2003),
Dans cette étude le Colonel Lotfi s'attarda également sur
l'ordonnancement du gouvernement, les prérogatives des Ministères, la
parité du dinar, la préservation de la monnaie nationale contre toute forme
d'érosion et enfin il n'a pas manqué de tracer les grandes lignes de la
politique extérieure de l'Algérie et son intégration dans les grands
ensembles économiques et sociaux mondiaux notamment l’ ONU, l’OMC ;
Le GATT etc…
C’est ainsi que le militaire qui est aussi intellectuel voyait une Algérie
indépendante, prospère; profitant de ses richesses et assurant le bien être du
citoyen. L’ introduction ainsi que la conclusion que nous reproduisons

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intégralement et les extraits que nous avons retenus de ce remarquable
ouvrage permettront certainement aux lecteurs d’ avoir une idée bien arrêtée
sur Lotfi « L’
Algérien », Lotfi « Le Maghrébin », Lotfi « L’
Africain », en un mot
Lotfi « au grand cœur » qui rêvait de voir l’
Algérie indépendante jouer un rôle
prépondérant et occuper une place privilégiée dans le concert des Nations…

Délégation Algérienne à Belgrade : Farhat Abbas, Lotfi et


Boussouf

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B- INTRODUCTION

"C'est donc une révolte !


Dites une révolution, Sire"

"Ce coup de tonnerre dans un ciel serein " qui éclata le 1er Novembre
1954 aura été une véritable tempête puisque, depuis prés de quatre ans, elle
gronde toujours plus fort, pour balayer de cette terre algérienne, le dernier
bastion colonial en Afrique du Nord.
Un peuple unanime plus résolu que jamais à arracher son
indépendance, quel qu'en soit le prix, la justesse de la cause pour laquelle
combat le Front Algérien de la Libération Nationale, une armée sans cesse
plus forte, mieux équipée et mieux organisée, et la compréhension, sinon le
soutien des trois quarts de l'humanité, sont les gages infaillibles d'un succès
aussi proche que certain.
A l'unanimité, toutes les instances internationales tant politiques
(O.N.U., Internationale Socialiste, Conférences de Bandoeng et du Caire) que
syndicales (C.I.S.L., F.S.M. ) ou estudiantines (C.O.S.E.C. et U.I.E.) ont
soutenu les aspirations du peuple algérien et, à des degrés divers, condamné
l'expédition coloniale française du plus pur, style XIX° siècle.
Cette agression anachronique, machiavélique et sauvage ne saurait
trouver place en cette deuxième moitié du XIX° siècle qualifié déjà de siècle
de libération des peuples coloniaux. L'Algérie, au même titre que la dizaine de
nations qui ont acquis leur indépendance depuis la fin de la deuxième guerre
mondiale, entend, et rien ne l'en empêchera, acquérir un siège dans le concert
des nations libres. L'issue finale de la lutte du peuple algérien pour sa
libération ne fait désormais aucun doute.
Conscient de ce que l'édification d'un pays ne peut valablement être le
fruit de la précipitation ou de l'improvisation, le F.L.N. a déjà abordé la phase
constructive de l'Algérie, qu'il veut affranchir de toute domination, fut elle
politique, administrative ou économique. La libération économique est, non
seulement, complément indispensable de la souveraineté politique, mais
encore, elle en est la condition péremptoire; au point qu'une indépendance
purement nominale, au lieu d'apporter le travail, la prospérité et une juste
répartition du revenu national, entraîne la substitution d'un régime où

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l'exploitation économique sera poursuivie avec une pareille outrecuidance, et
les richesses du pays seront toujours extraites et dirigées vers ces centres de
transformation étrangers et où les produits de ces richesses continueront à
fuir le territoire, pour grossir les capitaux des trusts, groupes et cartels
internationaux.
Aucune industrie, aucune amélioration sociale, aucun changement
dans les conditions d'existence des citoyens si ce n'est la possibilité,
nouvellement acquise, de mourir de faim "en toute liberté" le colon-gendarme
laissera la place au patron-financier qui, au lieu de détenir l'ensemble des
pouvoirs, aura entre les mains tout ou partie des ressources du pays et
partant, les cordons de la bourse. Ainsi, il constituera, à n'en pas douter, un
frein à toute émancipation véritable. Est-il utile de rappeler que la révolution
algérienne est sociale, en même temps que démocratique? Dés son
déclenchement, elle s'est tracée pour objectif la reconquête de la souveraineté
politique, mais aussi la libération économique de l'emprise coloniale et son
corollaire indispensable, l'émancipation sociale. Il s'agira de panser les plaies
brûlantes, creusées par le colonialisme et ses massacres, de relever
d'extrême urgence le niveau de vie des citoyens en leur procurant du travail et
en luttant à la fois contre la faim, la misère et la maladie. Le but du F.L.N. est
d'abattre les oligarchies d’où qu’ elles viennent et de mettre à la disposition des
nationaux après une équitable répartition, le revenu national du pays, sans
cesse accru par l'essor considérable que l'économie algérienne est appelée à
prendre.
L'aide étrangère, croit-on, pourrait permettre aux jeunes nations de
parer aux besoins les plus urgents et d'assurer le démarrage du nouveau
système. Rien de plus erroné, car l'intérêt dominant le monde, un service en
vaut un autre, et que pourraient ces jeunes nations, offrir d'autre qu'une
aliénation plus ou moins profonde d'une souveraineté politique acquise au prix
de tant de deuils, de sacrifices et de souffrances? Inutile de changer de maître
puisque nous avons décidé de lutter pour vivre en hommes libres maîtres de
leurs destinées.
Bien sûr, les temps ne sont plus aux nationalismes étroits, limités par
des périmètres géographiques parfois exigus; les grandes puissances elles-
mêmes s'efforcent, depuis des décennies, de se regrouper au sein d'alliances
économiques, politiques ou militaires. Le monde est divisé en deux blocs
géants qui risquent, d'un moment à l'autre, d'entrer en collision; une option est
donc à faire, comme on peut, tout aussi bien, choisir la voie du neutralisme. Il
faut également se prononcer pour ou contre tel ou tel système économique, le
capitalisme ou le socialisme, ou formule s'inspirant de l'un et l'autre à la fois.

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L'on comprendra aisément que des options d'une telle gravité ne
puissent être faites dans le cadre de cette étude. LE caractère démocratique
de l'Algérie que nous voulons construire nous interdit même d'éliminer à priori
l'une des composantes du choix. Seul le peuple algérien libre et souverain
sera à même, demain, de choisir la voie dans laquelle il entend s'engager.
Quoiqu'il en soit, l'Algérie fait partie d'un ensemble géographique et
ethnique qu'elle ne saurait omettre. D'ailleurs elle a toujours appelé de ses
vœux les plus ardents la naissance de cette communauté Nord Africaine,
sans laquelle resterait chacun des pays membres vulnérable et par la même
l'objet de convoitises étrangères. De part sa situation stratégique clé, la
confédération Nord Africaine serait une réalité avec laquelle il faudra
désormais compter.
Sur le plan économique, comme nous le verrons tout au long de cet
ouvrage, l'avenir florissant qui s'ouvre devant chacune de nos nations,
dépasse l'imagination. La simple coopération ne suffirait pas ; des liens
économiques plus étroits devraient permettre au peuple maghrébin tout entier
de retrouver, en même temps que sa dignité, une réelle prospérité.
Dans la première partie de cette étude, le lecteur trouvera un bilan
rapide, mais combien édifiant, des méthodes employées par l’ une des
colonisations les plus cruelles du monde et de l’ histoire. C’
est le drame d’ un
pays qui, durant 128 ans, a subi toutes les exploitations et toutes les
humiliations.
La population européenne, résultante d’ un amalgame, aussi hétéroclite
que cupide, de réfugiés et d’ aventuriers de toutes sortes, est maîtresse de
tous les rouages économiques. Au moyen de la force et d’ une législation
idoine, elle s’
appropriera les biens des Algériens, les ressources de l’ Algérie,
au point de faire de l’ autochtone , non seulement un misérable, mais encore,
et c'est le plus grave, un paria, un étranger dans sa propre patrie. Il fallait
accepter de se convertir pour avoir droit à une petite part dans le partage du
gâteau.
La quasi-totalité des richesses du pays est destinée à l'exportation,
tandis que la sous-alimentation des nationaux est une règle générale.
Aussi, l'économie de l'Algérie sera-t-elle caractérisée, par la présence
de deux systèmes hostiles et inconciliables, puisque l’ un puissant impudique,
chassera l'autre, sans aucun ménagement, vers les régions les plus
inhospitalières et les plus déshéritées.
Tout se passe en somme, comme si l'existence de ce pays sur la
mappemonde ne se justifiait qu'en tant que grenier ou trésor privé ou le maître
de céans irait puiser à satiété, au moment voulu. Et cela sans avoir même à
se salir les mains, puisqu'il se trouve sur place une main-d'oeuvre abondante,

127
poussée par la misère et la nécessité à accepter de travailler à des
« salaires » toujours plus bas.
Une telle situation ne pouvait logiquement durer plus longtemps. Le
seul moyen d'y mettre fin, est conformément aux règles de l'histoire, la
révolution armée. Mais la tâche du peuple ne s'arrêtera pas là; il lui faudra non
seulement faire table rase des anciennes structures, mais encore, en édifier
de nouvelles appropriées à son idéal liberté et. de justice.
Ce sera l'objet de la deuxième partie qui constituera la phase
constructive de l'économie algérienne. En fonction d'un inventaire forcément
incomplet, des richesses nationales, nous nous efforcerons de tracer les
grandes lignes de la construction économique, les nouvelles physionomies de
l'agriculture et de l'industrie nationale. Créée ex nihilo, cette dernière retiendra
le lecteur plus longuement, car c'est à travers elle que se mesure aujourd'hui
l'état d'évolution d'un pays. Mais son édification n'en sera que plus facilitée par
la présence de considérables ressources en énergie et, en matières
premières de toutes sortes. Contrairement à ce qui a souvent été avancé, la
main-d'oeuvre sera à peine suffisante pour mettre en place ce programme.
Quant aux capitaux, ils ne sauront faire défaut.
Tous les facteurs de production sont donc réunis; mais comme « toute
transformation s'enracine dans la réalité de ce qu'il faut transformer", le peuple
algérien montrera qu'il est en mesure de faire preuve d'imagination, de
caractère et de clairvoyance.
La construction d'une économie devant être inscrite dans un vaste
programme d'ensemble, la troisième partie aura pour objet de poser les
premières pierres d'une politique économique cohérente et suivie, sans
laquelle les réalisations projetées seraient soit désordonnées, c'est-à-dire de
rentabilité limitée, soit lettre morte en raison de la. présence d'un colonialisme
déguisé, c'est-à-dire le maintien du statut économique, avec tout ce qu'il
comprend comme humiliation, misère, sous-alimentation, chômage,
analphabétisme et exploitation pure et simple des nationaux.
Le lecteur y trouvera aussi une réponse au néo-colonialisme, cette
ébauche de doctrine relativement récente, qui présente ses adeptes comme
des libéraux du point de vue politique, mais qui en réalité` sont intraitables
quant au domaine économique. Si on les suivait en effet le partage serait fait,
une fois pour toutes: pour eux la richesse, pour nous la misère. Les
expropriations subies par les Algériens, les vols de leurs biens auraient été
éteints et absous par on ne sait quelle prescription imaginaire. Il ne s’ agit, au
demeurant, pour les néo-colonialistes que de conserver des biens qui ne leur
appartiennent pas et, dont la possession prolongée ne peut en aucun. cas
valoir titre de propriété.

128
Il est évident qu'il ne se trouverait personne en Algérie pour parapher
ce contrat léonin, ni. pour souscrire un tel a abandon.
De même, il sera démontré que l'Algérie indépendante n'aura aucun,
intérêt à rester accrochée à une France dont I'économie est en régression
constante, dont la monnaie est la plus faible d’ Europe, et qui en est réduite à
la mendicité. Accepterons-nous de lier notre destin à celui d'un pays que les
Français eux-mêmes qualifient, non sans nostalgie, de "beau navire en
perdition"? La nostalgie de « l'empire » reste chez eux le thème dominant de
tous les discours et de toutes les entreprises officielles. Elle transpire de
beaucoup d'écrits. Aussi avons-nous le devoir de nous préparer à contrecarrer
toute nouvelle servitude !!
Il apparaît, dès lors, que l'œuvre à accomplir dans le domaine
économique est gigantesque. Des efforts considérables, qui ne peuvent se
mesurer qu'en fonction du retard imposé à. notre pays par une trop longue
occupation, doivent être fournis. En quelques années, il ne s'agira, ni plus ni
moins, que de combler le lourd passif de l'héritage colonial et de développer
une économie nouvelle, dynamique et prospère. Et puisque le choix du
système économique de l'Algérie indépendante reste du seul ressort du
peuple algérien, on s'efforcera de situer l'étude entreprise dans le cadre de
l'économie fondamentale, ce qui lui permettrait de rester valable, quelque soit
le système dans lequel elle aura à s'exercer.
Ce sera là, « l'orgueil modeste d’ hommes qui ont retrouvé leur dignité
quand leur pays a reconquis son indépendance ».'

129
C- PRINCIPAUX THEMES TRAITES
I- L’AGRICULTURE ET L’HYDRAULIQUE DEUX LEVIERS
ECONOMIQUES STRATEGIQUES
Mamelles nourricières de toute économie, les secteurs de l'agriculture
et de l'hydraulique constituent, à plus d'un égard, des leviers qui assurent de
profondes transmutations dans le développement d'un pays.
A titre tout à fait illustratif, le programme de soutien à la relance
économique (PSRE) lancé par l'Algérie depuis l'investiture du Président de la
République en Avril 1999, accorde une place de choix aussi bien au secteur
de l'hydraulique qu’ à celui de l'agriculture.
La mobilisation de la ressource conventionnelle, la réalisation de
stations de dessalement d'eau de mer, la récupération des eaux usées à
travers la construction de stations d'épuration, la réalisation de forages, et les
grands transferts à partir des barrages pour réduire le déficit en eau des
régions déshéritées, ce sont là, en gros, les grandes actions vers lesquelles
se sont orientés les efforts de l'Etat actuellement.
Concernant le secteur de l'agriculture, les réformes opérées par les
pouvoirs publics ont donné une nouvelle ardeur à ce secteur clé de
l'économie. Cet élan a été également « booster » par la mise en place de
soutien financier initié dans le cadre de l'investissement privé agricole connu
sous l'appellation FNDRA.
Connaissant parfaitement le rôle que peuvent jouer ces deux secteurs
dans l’ économie d’ un pays, le Colonel Lotfi, s'est longuement attardé sur cette
source de richesse pour l'Algérie post- indépendance, libre et souveraine.
«Le territoire national s'étend sur une superficie de 220.486.000
hectares, c'est à dire 4 fois, en importance, celle de la France. Sur ce vaste
territoire agricole, 6 millions d'hectares seulement sont travaillés,
actuellement.
Les possibilités agricoles de notre pays restent, de la sorte,
improductives à plus de 97% par le fait de l'occupant. Mais les terres agricoles
récupérables, après quelques aménagements légers, qui s'élèvent à une
centaine de millions d'hectares, montrent que la remise en valeur totale du
pays est, sinon une tâche immense, du moins, une œuvre de longue haleine.
Des étapes devront donc nécessairement jalonner les réalisations. Dans
l'immédiat, cette remise en valeur peut porter sur quelques centaines de
milliers d'hectares, à la fois dans le Nord et dans le Sud du pays.
Quant au potentiel hydraulique, il dépasse toutes les espérances
imaginables, Du Nord au Sud, l'Algérie regorge d'eau et plus particulièrement
les zones sahariennes, qu'aujourd'hui encore, sillonnent d’ innombrables
rivières souterraines; les régions des Ouled-chikh d'Ouargla, des Zibans sont

130
bien connues pour leur richesse en cet élément vivifiant. Les gisements
aquifères que nos pères avaient soigneusement délimités ne couvrent pas
moins de 750.000 Km' (une fois et demie l'étendue de la France) ; leur
capacité hydraulique a été appréciée à quelques 10.000 milliards de M3,
captable sur une longueur de plus de 1000 Km, alors que l'Algérie des colons
emploie à peine 450 millions de mètres cubes d'eau récupérée péniblement
au moyen de barrages vétustes, depuis longtemps en voie de disparition. Les
milliers de puits utilisés dans la zone de Ghardaïa, comme dans la vallée de la
Saoura avec sa célèbre « rue des palmiers » témoigne de l'état prospère du
pays dans le passé.
Ces richesses qui n'ont rien d'un mirage, ont été entrevues également
par un élément de la colonisation, J. De Savornin qui en fit, en 1947, un
exposé à l'Académie des Sciences Morales. De cette puissance hydraulique,
l'État colonial n'est pas arrivé à utiliser le millionième.
Aussi, dans le cadre de l'Algérie indépendante, l'irrigation sera-t¬elle
l'une des premières armes à employer pour relever le niveau de vie des
populations nord-africaines. Pour utiliser l'eau, le plus rationnellement
possible, nous nous inspirerons, n'en déplaise à notre ennemi, des méthodes
et des techniques de nos frères égyptiens de même que nous imiterons les
exemples fructueux de nos anciens (puits artésiens, foggaras, etc ....)

Système goutte à goutte


Quoiqu'il en soit, les perspectives économiques raisonnables
permettent de songer en 10 ans, à la remise en culture de 6 millions
d'hectares dont 2 seront récupérés au moyen de l'irrigation. Mais faute de
moyens financiers et mécaniques, au départ, les ambitions devront
nécessairement être plus modestes ; elles porteront sur la mise en valeur de
1.500.000 hectares dont un peu moins de la moitié relèveront de l'irrigation ».
Parlant des terres qui pourront faire l'objet d'une récupération, le
Colonel Lotfi souligne : « comme dans tous les pays disposant de grands
espaces, l'avenir agricole de l'Algérie ne réside donc pas dans la culture
intensive. De grands espaces doivent être préparés pour permettre l'action
des tracteurs et de machines, seuls capables de venir à bout des grandes
étendues, et de vastes plans de défrichage, entrepris pour récupérer
1.500.000 hectares dont une majeure partie sera consacrée aux céréales.
L'entreprise parait considérable, puisqu'elle porte sur l'équivalent du quart des
terres actuellement enclavées.
Les zones à mettre en valeur par l'action de la mécanisation et du dry-
farming se situeront dans les zones Sud des hauts plateaux, dans l'arrière-
pays de Tébessa, de Khenchela, de Batna, du Hodna, dans le Sud et à

131
l'Ouest de Biskra, au Nord de Djelfa et Géryville, dans le voisinage du Chott
Chergui et dans la région septentrionale d'Aïn Sefra. L'irrigation, par ailleurs,
rendra très prospère dans le Nord du pays la vallée de la Mina, une grande
partie de celle de la Soummam, les régions de M'Sila, de Bône, la vallée de
l'Oued Fellag au Nord-Ouest de Tébessa, et le Sud toute la zone de l'Oued
Ghir, depuis Ouargla jusqu'à Biskra en passant par Touggourt, la région de
Ghardaïa-Beriane dans le Mzab, les zones de Béchar et d'Abadla, dans la
vallée inférieure du Guir ».
Elément clé du secteur agricole, l'irrigation des terres a fait l'objet
également du traitement suivant :
«Actuellement, 25.000 colons occupent toute la zone irrigable (170.000
hectares) et se partagent les 450 millions de mètres cubes recueillis par 11
barrages. Pour l'Algérie indépendante, l'irrigation devra porter sur une étendue
de 200,000 hectares dans la zone du Chott Chergui, 50,000 hectares dans la
vallée du Guir (région de Béchar), 20.000 hectares du côté des Beni Abbés,
20.000 ha dans la région de Ghardaiia, 500.000 ha chez les Ouled-Ghir et
environ 100.000 ha en divers points d'eau des hauts plateaux ainsi que dans
certaines oasis du Sud, en particulier, la mise en valeur du Chott Chergui qui
sera l'une des réalisations les plus urgentes. L'Etat colonial parle de cette
réalisation depuis 20 ans et n'a jamais entrepris les moindres travaux sérieux.
Ce réservoir grandiose a récupéré à l'heure actuelle plus d'un milliard de
mètres cubes d'eau par an. En chutant l'eau du niveau du Chott (1.000
mètres) à la côte 150, située à 150 Km dans la vallée de l'Oued Mina, il serait
possible de rendre extrêmement riches 200.000 hectares et de récupérer par
la même voie l'équivalent d'un milliard de Kwh par an. En importance,
l'énergie ainsi captée, sera l'équivalent de celle que procure actuellement le
fameux barrage de Génissiat et qui fait la fierté des Français. D'un seul coup,
en un seul endroit, les Algériens feront donc, dans le domaine de l'irrigation
plus que toute l'œuvre de la colonisation, en 130 ans. L'irrigation rendra très
fertile toute une région jusqu'à présent vouée à la sécheresse. Les
investissements indispensables, à cet effet, (environ 100 milliards) ne seront
qu'à la mesure des réalisations envisagées.
Par ailleurs, la construction d'un canal reliant Gabés à la zone des
Chotts des Ouled-Ghir (située à 20 mètres au-dessous du niveau de la mer)
pourrait conférer à la région Tuniso-Algérienne du Sud, une physionomie tout
à fait nouvelle et prospère, grâce à l'énorme quantité d'énergie qu'elle rendra
possible. La chute aménagée au niveau du Chott Chorsa, en territoire frère,
créerait à cet endroit en effet; une source d'énergie, pour le moins équivalente
à celle de Donzére-Mondragon, susceptible de transformer rapidement une
zone étendue sur une superficie d'un million d'hectares, en un gigantesque

132
foyer de richesses agricoles de valeur inestimable, Toutefois, les Algériens
n'attendront pas l'installation d'un tel équipement hydraulique, nécessitant du
temps et des capitaux, et qui dépend, au surplus, beaucoup plus du pays frère
que de l'Algérie indépendante, pour mettre en valeur quelques régions de ce
grand espace, en recourant à l'énergie provenant du pétrole et du gaz de
Hassi R'mel (100.000 hectares pourraient ainsi être récupérés en 5 ans).
D'autres mises en valeur moins spectaculaires auront aussi leur place
dans le cadre de l'aménagement hydraulique du pays ; il en est ainsi de
quelques autres barrages situés en divers points du territoire, Celui du Guir,
par exemple, fournira à la région de Béchar qui se verra bientôt dotée d'un
grand complexe sidérurgique, l'énergie et l'eau douce utiles à l'industrie
comme à l'irrigation de 30 à 50.000 hectares. Des puits équipés d'éoliennes et
doublés de moteurs diesel seront les pivots de 2.000 points d'eau susceptibles
d'assurer à la fois l'abreuvement et la nourriture du cheptel, plus nombreux
dans un bref avenir, tout en permettant l'irrigation d'une centaine de milliers
d'hectares environ.
Disposant de la sorte, à la fois de nouvelles terres et de nouvelles
superficies irrigables, l'économie agricole verra bientôt s'accroître
quantitativement et qualitativement ses productions.

133
II- LES RICHESSES DU SOUS-SOL
(Charbon, Pétrole, Gaz, Métaux ferreux et non ferreux)

Evoquant les ressources du sous-sol algérien, le Colonel Lotfi, dans


son étude, s'étale longuement sur les minerais dont regorge le pays,
Ces richesses sont l'une des raisons de l'acharnement actuel de notre
ennemi à vouloir demeurer, au prix de grands sacrifices, dans notre pays.
Certes, quelques gisements ont été épuisés par l'action coloniale, mais cela
n'est rien en comparaison avec le potentiel considérable dont dispose encore
la nation.
 Les réserves de pétrole et de gaz dépassent l'imagination, tant
par leur quantité que par leur qualité, Les ressources minérales du fer, des
produits non ferreux et autres, se chiffrent de la même manière, par milliards
de tonnes.
Si, toutefois, le charbon ne semble pas exister en quantité aussi
importante que les autres ressources énergétiques, il peut néanmoins faire
l'objet d'une exploitation, susceptible de servir de base à une industrie
sidérurgique pouvant s'étendre sur plusieurs décennies. Quand aux
possibilités en hydrocarbure, leur importance explique le prolongement de la
guerre actuelle. L'Algérie ne réserverait pas d'ailleurs à son seul usage toutes
ces fabuleuses richesses; celles-ci serviront, par priorité au relèvement du
niveau de vie des populations d'Afrique du Nord, en même temps que, dans
des conditions à déterminer, au ravitaillement de l'Europe.
 Apprécions d'abord rapidement les charbonnages avant de
passer aux réserves pétrolières et à leur exploitation. Nous ne parlerons pas
de l'autre richesse énergétique dont les pays d'Afrique du Nord sont
naturellement et abondamment pourvus, l'énergie solaire qui, dans l'état
actuel d'avancement des techniques, pourrait être captée à raison de 15
tonnes d'équivalent - charbon par hectare et par jour, soit 5,000 tonnes par
hectare/an : celle-ci est, comme on le voit aujourd'hui plutôt une forme de
richesse prometteuse pour l'avenir.
Le potentiel en charbon est estimé actuellement à quelques 250
millions de tonnes probables, dont la moitié constitue des réserves prouvées,
d'une qualité indéniable. L'exploitation coloniale qui extrait 300.000 tonnes est
concentrée notamment dans deux bassins situés à Kénadsa-Bechar, où le
rendement est insignifiant (700 Kg par ouvrier et par jour) et à Ksiksou, oû les,
les réserves sont beaucoup plus abondantes (2/3 des réserves prouvées) et
où le charbon se présente sous forme de filons plus larges. On peut espérer
dans ce cas que le rendement devienne au moins égal à celui de la plupart

134
des pays européens tels que la Grande-Bretagne (1500 Kg par ouvrier et par
jour), l'Allemagne (1400 Kg), etc ....
Le bassin étendu sur quelques 8.000 Km², contient en outre un certain
nombre de gisements qui ne font pas encore l'objet d'exploitation et que les
Algériens ne manqueront pas de mettre en valeur ; le gisement de Mézarif
situé à 70 Km à l'Est de Bechar et celui de Sfaia possèdent des réserves
dépassant 150 millions de tonnes et présentant un charbon identique à celui
de Ksiksou.
Il ne fait plus de doute, par ailleurs, que d'autres réserves existent
également en plusieurs points du territoire algérien, plus particulièrement dans
le bassin minier de Tindouf.
Dans ces conditions, les réserves susceptibles qui devront être mises
en valeur, dés aujourd'hui, permettront indiscutablement une exploitation
pouvant s'étendre sur une durée minimum de 40 ans.
 L'abondance du pétrole saharien fait couler assez d'encre pour
qu'elle puisse être mise en doute. L'Algérie du Nord, comme l'Algérie du Sud
en regorgent, c'est le moins que l'on puisse dire. Si à l'heure actuelle, la
prospection est menée plus activement dans les régions sahariennes, c'est
tout simplement parce que le colonialisme français espère conserver une
certaine influence sur cette partie du territoire national. Les régions du Nord,
indépendamment du gisement d'Aumale qui fait l'objet d'une exploitation
insignifiante, en contiennent également : c'est le cas notamment des zones du
Hodna, du constantinois, d'Orléans-ville et de Mostaganem. Les spécialistes
estiment que le pétrole doit se trouver dans la plupart des terrains
sédimentaires qui recouvrent notre territoire, dans la partie Nord, comme dans
sa partie Sud.
Deux zones sédimentaires retiendront, demain, plus particulièrement
l'attention, en vue d'une prospection plus poussée et éventuellement d'une
exploitation. Ce sont, d'une part, le synclinal de Tindouf et, d'autre part, celui
que l'on peut délimiter au Nord par l'Atlas Saharien, au Sud par le Hoggar, à
l'Ouest par la Tanezrouft et é l'Est par la frontière libyenne. Les réserves les
plus fréquemment admises présentement sont évaluées à 2 milliards de
tonnes; sur cette quantité, environ la moitié est d'ores et déjà prouvée et peut
faire l'objet d'une exploitation intensive, rationnelle et méthodique.
Les lieux où une production rentable ne fait plus l'ombre d'un doute se
situent dans les régions d'Oued Mya (Hassi-Messaoud) d'Ed jlé,
Tiguentourine; Zarzaitine, de l'Oued Gharbi, d'El Goléa et du Sud- Est
d'Ouargla,
L'Algérie indépendante se penchera, il va de soi, sur ce problème
capital, car les attributions faites par l'occupant ne l'engagent nullement. Elle

135
peut aussi s'attendre à obtenir d'une exploitation normale, une production
annuelle de 50 millions de tonnes, au terme d'un premier quinquennal. Sans
préjuger de l'avenir, il semble à priori qu'il n'y avait pas d'empêchement
majeur à une collaboration dans cette exploitation avec d'autres pays amis.
Mais, dans une telle perspective, si l'Algérie admet le principe de l'association
en vue de l'exploitation de ses énormes richesses, elle estime parfaitement
légitime aussi d'en retirer de substantiels revenus.
Une production de 50 millions de tonnes peut laisser à l'économie
nationale, suivant l'importance de l'apport en capitaux étrangers, entre un
minimum de 500 millions de dollars par an et la quasi-totalité de la valeur de
cette production. Dans l'état actuel, la France n'est en mesure de fournir ni les
capitaux, ni le matériel, ni les techniciens nécessaires à la mise en valeur des
richesses pétrolières du pays : il faut, toutefois, lui rendre cette justice, qu'elle
ne fait aucun mystère de son incapacité en la matière. Une production de 50
millions de tonnes par an, au terme d'un premier quinquennal, est un objectif
qu'il est possible d'atteindre sans difficultés.
Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler le cas de l'Emirat de
Koweït, dont la production est passée, entre 1950 et 1956, de 0 à 60 millions
de tonnes, tandis que dans le Qatar, où participe la compagnie française des
Pétroles (CFP), l'exploitation commencée en 1950 n'atteignait pas 6 millions
de tonnes en 1956.
Ici, comme ailleurs, une collaboration étroite sera mise sur pied, dès
l'an 1 de l'indépendance algérienne entre les quatre pays frères du Maghreb
arabe, en vue de l'élévation du niveau de vie générale, grâce à ces richesses
fabuleuses.
 Le Gaz naturel a occupé une place dans la réflexion du Colonel
Lotfi et qu’ il n'omet pas de souligner.
Là aussi, les réserves sont abondantes, tant dans le Nord du pays, que
dans les zones situées plus au Sud, Tous les spécialistes les considèrent
comme illimitées. Les Gisements les plus importants se trouvent à Hassi-
R'mal et à Berga, où les réserves ne seraient pas inférieures à 20 ou 30
milliards de M3 annuellement.
Des réserves ont été constatées également dans différents endroits du
pays et plus particulièrement à El-Goléa et dans la zone de Tébessa (Djebel
Foua). Les possibilités annuelles de ce dernier gisement se chiffrent aussi à
une vingtaine de milliards de mètres- cubes.
En définitive, il n'y aurait pas moins d'une centaine de milliards de M3
de possibilités annuelles à travers les gisements reconnus à ce jour. Cette
considérable richesse dépasse, de très loin, les besoins énergétiques
nécessaires à l'industrialisation du pays.

136
Une partie du gaz naturel pourrait 'être mise en valeur et exportée en
direction de certains pays et, en premier lieu évidemment, vers les pays frères
du Maghreb. Dans un premier quinquennal, le programme d'industrialisation
nécessitera seulement l'extraction de 5 milliards de mètres- cubes.
Ultérieurement, la production pourrait être multipliée encore par trois ou
quatre. Le gaz naturel est une source d'énergie d'autant plus précieuse qu'il
s'extrait facilement et que son prix de revient en fait une énergie à bon marché
(les calculs actuels laissent souligner que le mètre cube ne coûtera pas plus
de 3,50 Fr). Ces richesses en hydrocarbures, qu'il est possible de mettre en
exploitation, dès l'an 1 de l'indépendance, n'empêcheront pas, bien au
contraire, l'organisation plus poussée de la prospection de l'ensemble du
territoire, aussi bien pour le gaz que pour le pétrole,
L'oeuvre hydraulique coloniale qui, se traduit sur le plan agricole par
l'irrigation de la maigre superficie de 170.000 hectares, s'exprime dans le
domaine industriel d'une manière aussi dérisoire.
Ces barrages, dont s'est tant vantée l'administration coloniale, ne
fournissaient en 1954 que 350 millions de Kwh, soit 230.000 tonnes
d'équivalent en charbon.
La mise en valeur du Chott Chergui fournira, demain, d l'économie
industrielle un milliard de Kwh, celle du barrage du Guir et des autres
installations hydrauliques. 200 à 250 millions de Kwh. Dans ce domaine,
l'Algérie prouvera, en l'espace de 5 ans, qu'elle peut rattraper le retard de plus
d'un siècle d'occupation ; I' énergie hydro-électrique quadruplera en effet, en
peu de temps.
En définitive, si le bilan énergétique colonial s'exprime par quelques
centaines de milliers de tonnes d'équivalent - charbon (300.000 tonnes en
charbon et 230.000 tonnes pour l'énergie hydraulique), celui de l'Algérie
indépendante, au terme du seul premier quinquennal, s'exprimera déjà en
millions de tonnes.
Cette capacité de production dépasse de beaucoup les possibilités de
consommation de l'avenir aussi les 5/6 de cette production serviront-ils à
procurer à l'économie un revenu minimum annuel de 500 millions de dollars,
nécessaires à son équipement.
 Le volet lié aux matières premières a occupé une partie importante
dans cette étude socio-économique où le Colonel Lotfi a souligné avec fracas
son importance dans le sens ou elles servent de base à l'installation d'une
industrie lourde.
 Qu'il s’agisse de métaux ferreux ou non ferreux, des métaux
nécessaires à la sidérurgie ou stratégiques, des métaux rares ou précieux,
des éléments radioactifs ou chimiques, le Nord du pays rivalise avec le Sud et

137
les réserves sont partout abondantes et la qualité de ces matières premières
ne le cède en rien à la quantité.
 Concernant les produits ferreux, ces derniers sont plus exploités
que les autres et ont servi à produire, au profit de l'occupant dans une certaine
mesure, la matière première nécessaire à son industrie en lui générant de
précieuses devises par des exportations vers la Grande¬Bretagne et
l'Allemagne.
Les réserves sont, ici, particulièrement considérables : près de 200
millions de tonnes sont situées dans les principaux gisements suivants Djebel
Ouenza (Constantinois); Beni-Saf (Oranie), Zaccar (Algérois) ; gisements des
PK (points kilométriques sur la ligne Méditérannée- Niger) prés de Bechar, la
chaîne d'ougarra (dans la Jaour) et enfin, à Tindouf (dans l'Ouest du pays),
Ce dernier gisement, de loin le plus important, est évalué à plus de 2
milliards de tonnes d'un minerai riche à 54% se présentant en banquettes
puissantes, d'environ 15 mètres d'épaisseur, exploitables à ciel ouvert. II s'agit
là d'une richesse véritablement importante; d'autant plus que, selon toute
probabilité, des possibilités de charbon voisinent avec le fer.
Mentionnons également l'existence de quelques autres gisements plus
éparpillés, qui à l'heure actuelle, font l'objet d'une exploitation plutôt
lamentable de la part de l'Etat colonial. (80.000 tonnes) dans les babors,
Timzit (80.000 tonnes), Beni Aquil (50.000 tonnes) Djebel Bou Amrane
(40,000 tonnes), Gouraya, prés de Cherchell (50,000 tonnes), Fendek (15,000
tonnes), II faudra demain élever l'extraction des produits ferreux de 32 millions
de tonnes à 10.000,000 de tonnes. Un tel volume de production permettrait de
faire face aux besoins nouveaux de l'industrialisation et de conserver la
clientèle extérieure.
Pour aboutir à de tels résultats, il convient non seulement de pousser
l'extraction dans les gisements exploités à l'heure actuelle, mais aussi d'en
ouvrir d'autres demeurant inexploités à ce jour, Parmi ces derniers, il y a lieu
de mentionner ceux de la région de Béchar (gisements des P,K et de
l'Ougara) et de Tindouf. Le fer de ces gisements, en même temps que celui de
Beni-Saf, , alimenteront demain, un complexe industriel dont le centre sera
situé à Bechar,
D'autre part, le gisement d'Ouenza-Boukhadda servira de support à un
autre complexe sidérurgique pour lequel l'énergie utilisée sera composée de
coke importé et de gaz naturel provenant du Djebel Foua ou du gisement de
Hassi- Messaoud.
Quoiqu'il en soit, sur les dix millions de tonnes produites, la moitié
environ sera réservée à l'exportation. La plus grande partie pourrait être
dirigée sur la Ruhr qui, on le sait, doit importer le minerai de fer pour alimenter

138
ses industries, et en échange duquel, elle fournirait éventuellement une partie
de l'équipement sidérurgique nécessaire. En particulier, après enrichissement,
le fer de Tindouf serait à même de concurrencer celui de Suède comme celui
de Lorraine.
Enfin, il n'est pas impossible de concevoir, au cours d'un quinquennal
suivant, la transformation sur place du minerai de fer de Tindouf, au moyen de
charbon, sinon du gaz ou du pétrole, dont la présence en cette région ne fait
plus de doute, à l'heure actuelle.
 Plus que le fer, les métaux non précieux saturent le sous-sol
algérien, leurs réserves, évaluées à plusieurs millions de tonnes sont
répandues dans le Nord, comme dans le Sud du pays. Nous allons les citer
brièvement; en commençant par les plus courants d'entre eux,
 Les métaux non ferreux lourds
Ces métaux font l'objet actuellement d'une exploitation annuelle
s'élevant à 65000 tonnes (minéral de zinc 50000 tonnes, de plomb 1500
tonnes, de cuivre 1000 tonnes), et comme ils manquent à son territoire,
l'ennemi en a fait à certains moments, une exploitation abusive.
Depuis le Constantinois, jusqu'en Oranie, le sol algérien en recèle
d'appréciables quantités ; dans l'OUARSENIS, à Guerrouma, prés de
Palestro, on trouve à la fois du zinc et du plomb-, ces derniers sont présents,
tout aussi bien à Mesloula qu'à Sidi Kamber, Le cuivre voisine avec le plomb
et le zinc dans les mines de Boudoukha et du Djebel Gustar près de Cavallo.
Une exploitation rationnelle et suffisante de ces trois minerais fera
doubler nos exportations, tout en assurant dans des conditions normales, les
besoins de la future industrie algérienne, Sur une production de l'ordre de 150
à 200000 tonnes, on pourrait prélever pour l'exploitation une centaine de
milliers de tonnes ; d'un point de vue technique, l'opération n'offrira d'ailleurs
aucune difficulté dans les premières années, puisque les mines ouvertes
actuellement ont déjà produit dans le passé près de 100000 tonnes. Quant au
métaux lourds, situés dans le Sud du pays, ils ne pourraient faire l'objet d'une
exploitation qu'ultérieurement,
* Aussi tous les gisements contenant ces minéraux d'alliage sont à
l'heure actuelle inexploités. Le manganèse est, pourtant particulièrement
abondant sur tout le territoire: à lui seul, le gisement de Guettara contient une
réserve évaluée à 1,5 million de tonnes d'une teneur de 44%. II serait
susceptible de produire 0 à 100000 tonnes par an, au moyen d'investissement
ne dépassant pas 2 à 3 milliards de francs et de fournir un chiffre d'affaires
annuel d'au moins un milliard, les traces d'arsenic qu'il contient ne paraissent
pas, dans l'état actuel des progrès techniques, présenter un handicap sérieux.
On en trouve aussi à Brézina,

139
* Du Wolfram se rencontre également non loin de là. Des gisements
particulièrement riches de cobalt et surtout de nickel se situent dans le Sud
algérien.
* De tous ces métaux d'alliage, un seul fait l'objet d'exploitation près de
Bône, le tungstène qui, avec une production annuelle de 60 tonnes, est
exporté en totalité vers la France.
 Les gisements de métaux légers, la bauxite et les mines de
magnésium, sont d'autres richesses présentes dans le pays. Si, dans
l'immédiat, la première ne pourra peut-être pas faire l’ objet d’une exploitation
importante, il n'en sera pas de même du magnésium dont la production devra
répondre avant tout aux besoins industriels du pays.
* L'Algérie est, en outre, particulièrement riche en divers métaux tels
que le mercure, l'antimoine, etc ... susceptibles de donner lieu à une
exploitation intensive dans un proche avenir, Aujourd'hui, l'occupant retire des
gisements de ces métaux rares, près de 30000 tonnes de mercure et presque
autant d'antimoine.
* Pour ce qui est des matières premières chimiques et quoique
disséminé sur tout le territoire, le soufre ne fait pas l'objet d'une grande
exploitation de la part de l'occupant. II en est de même des pyrites, L'un et
l'autre cependant existent en quantité suffisante dans le pays. Les pyrites
produites ne dépassent pas aujourd'hui, trente mille tonnes par an exportées,
du reste, dans leur totalité. Dans le cadre de la nouvelle politique économique,
il faudra produire en plus grandes quantités ces deux matières premières
utilisées dans la fabrication d'un grand nombre de produits chimiques; acide
sulfurique, engrais, produits anticryptogamique, etc ... en produits salins, on
n'exploite guère plus de soixante mille tonnes aujourd'hui de même que
l'extraction du sulfate de baryum ne dépasse pas une dizaine de milliers de
tonnes ; l'extraction de ces derniers sera augmentée en fonction des
nouveaux besoins de l'économie algérienne.
* Quant aux gisements du phosphate, ils ont été nettement plus
exploités que les autres gisements de produits chimiques, plus de sept cents
mille tonnes sont, chaque année exportées, et avant de quitter le territoire
algérien, l'occupant aura épuisé l'un des plus importants gisements du monde,
celui du Djebel Kouif. Mais grâce aux gisements du Djebel Onk, il sera
possible de produire encore dans l'avenir d'importantes quantités de
phosphate, ce dernier se révèle aussi riche que le précédent, puisqu'on
estime sa réserve à quelques 500 millions de tonnes. Dans la région de Sétif,
les mines de Mazaïita fournissent actuellement un minerai apprécié
particulièrement par les métallurgistes d'Europe. On trouve également du
phosphate dans d'autres régions, comme la cuvette de Bordj-Rédir, le versant

140
Sud du Djebel Maadid, etc .... L'exploitation à venir pourrait élever le niveau
de la production à deux ou trois millions de tonnes, c'est à dire un tonnage
égal à celui du pays frère marocain: L'Algérie recèlerait également dans ses
territoires du Sud d'importantes quantités d'uranium et de minerai radioactif :
le massif du Hoggar en serait particulièrement pourvu. Du platine et du
diamant ont été décelés aussi dans ce massif, les gisements des gorges de
l'Arak et de la région de Silet en seraient très riches. Auprès de ces minéraux,
on trouve aussi du nickel en quantités particulièrement importantes; du cuivre
dans la zone d'Ain Ouzan, de l'amiante à Ain Rallès. Tous ces gisements
connus depuis longtemps, mais sciemment entourés d'un silence stratégique
n'ont été étalés, ces dernières années, avec fracas, que pour des raisons
politiques évidentes.

III- LE SYSTEME MONETAIRE ET FINANCIER

 Qu'il s'agisse d'économie capitaliste ou socialiste, il est difficile


de séparer les problèmes monétaires des problèmes du crédit voire même
des questions de finances publiques. C'est pourquoi, dans ce chapitre, nous
sommes conduits à étudier à la fois l'ensemble des questions monétaires et
financières de l'Algérie future. Cela s’ impose d'autant plus que l'économie
algérienne est appelée à se reconstruire entièrement et sur tous les plans. En
premier lieu, elle aura besoin d'une monnaie saine, neuve, reposant sur de
solides institutions. L'investissement d'importants capitaux par ailleurs
requerra une organisation du crédit simple, souple et efficace. La création d'un
système bancaire spécialisé, qui n'aura évidemment rien de comparable avec
ce qui existe à l'heure actuelle.
* Aussi, il y a lieu de noter que la monnaie nationale intéresse non
seulement la vie économique mais aussi l'homme d'Etat comme l'homme de
la rue. Toutefois c'est, en définitive, ce dernier qui est le plus directement
intéressé par les phénomènes monétaires, car il constitue le soubassement et
la base la plus large de la vie économique. De nos jours, la monnaie ne peut
plus s'appuyer, comme par le passé, sur la référence à un métal précieux et
pourtant il faut donner à l'homme de la rue, porteur de la monnaie une
confiance absolue dans sa monnaie nationale.
L'Algérie saura s'accommoder peut-être, pour un temps, de
l'inexistence d'une référence à un métal précieux, en l'espèce à l'or, en
s’ inspirant de l'exemple des Allemands qui, après le désastre monétaire de
l'entre-deux-guerres, se sont bien passés d'un tel appui.

141
Dans ces conditions, l'Algérie, sans or au début, pourra de même
disposer demain d'une monnaie forte, dans la mesure où cette dernière
recevra la confiance pour le présent et pour l'avenir, du peuple algérien et
reposera sur les richesses du patrimoine national.
Le dinar sera donc bientôt une réalité gagée par une hypothèque prise
par la collectivité nationale sur tous les biens immeubles de la nation et
l'ensemble de l'émission proportionnée à la valeur de cette hypothèque. II est
évident que de telles dispositions n'ont de valeur que pour donner à la
monnaie nationale une valeur matérielle susceptible de lui assurer la
confiance intérieure mais, sur le plan extérieur, une telle définition ne saurait
suffire. Les échanges internationaux de l'Algérie qui devant porter sur une
importante partie du revenu national, rie pourront lui permettre de vivre en
vase-clos, comme ce fut le cas du régime national-socialiste. Il faudra donc au
dinar algérien une définition extérieure, faute de pouvoir lui donner, dans
l'immédiat, un régime de convertibilité. La parité avec les autres monnaies
sera alors recherchée par confrontation avec les échanges internationaux
mais résultera d'une décision des seuls pouvoirs publics algériens,
Indépendamment de cette raison d'ordre pratique, une autre raison,
juridique, conduira l'Algérie à définir sa monnaie, conformément aux accords
de Bretton-Woods, établissant les bases monétaires du commerce
international. Si, en fonction de ces accords; elle s'interdira toute manipulation
unilatérale de sa parité monétaire, elle n'autorisera pas de libre transfert des
monnaies sur son territoire, pas plus que la convertibilité avec le franc
d'ailleurs et devra recourir, comme les autres pays, à l'institution d'un contrôle
des changes très strict. C’ est à cette seule condition, qui sauvegardera à la
fois son économie et sa monnaie, qu'elle pourra devenir membre du fonds
monétaire international, La parité de la monnaie nationale se définira, par
conséquent, par référence au dollar, en attendant une définition éventuelle par
un poids d'or , en outre, une parité croisée la définira par rapport aux autres
monnaies,
Dans ce qui précède; nous avons étudié d'une manière stationnaire ce
que pourrait être la future monnaie algérienne, il convient, dans ce qui va
suivre, de l'étudier dans son aspect dynamique; en précisant les divers
instruments du système monétaire et financier.
* Dans sa réflexion liée à l'analyse financière et le système monétaire,
le Colonel Lotfi évoqua aussi le rôle de la banque d'Algérie.
A ce sujet, il devait souligner : les normes de cette banque centrale ne
seront pas très différentes de celles qui régissent actuellement le
fonctionnement de la plupart des établissements centraux étrangers. Cette
banque sera un établissement public unique, disposant de la personnalité

142
juridique, chargé de la fonction clearing vis-à-vis des autres établissements
bancaires, de l'émission des billets de banque et de l'octroi du crédit à
l'intérieur de cette banque d'Etat, des subdivisions spécialiseront les fonctions,
par correspondance aux différentes tâches ministérielles de même qu'un
département plus spécialisé se chargera de la coordination de l'action
économique. A l`extérieur; une vingtaine de succursales lui seront adjointes,
pour distribuer les crédits, dans les différentes régions territoriales. Celles-ci
auront une organisation intérieure comparable à la banque-mère, sauf que
l'existence d'un département spécialisé de coordination économique ne sera
plus nécessaire.
Des règles précises viendront codifier le monopole absolu de
l'émission qui lui sera reconnu. Le total des passifs, ou grosso modo la masse
monétaire, recevra comme contrepartie, des créances sur l'économie, sur
l'Etat et sur l'étranger. L'encaisse-or qui pourrait être comprise dans cette
dernière créance ne servira pas comme nous l'avons signalé à la définition du
dinar. Outre l'émission de signes fiduciaires, la banque se chargera de la
frappe de la monnaie métallique nationale. D'autres règles détermineront les
conditions dans lesquelles seront faites les avances à l'Etat, La préférence ira,
par exemple, à l'adoption d'un taux de l'ordre de 25% par rapport au montant
des recettes fiscales perçues l'année précédente,
Le crédit à court terme qui est une autre fonction de l'institut
d'émission, sera appelé à prendre une importance considérable étant donné
l'ampleur des projets de reconstruction économique de la Nation. Tous les
secteurs en seraient bénéficiaires, en raison du considérable volume de leurs
échanges. La durée et l'importance des avances sur les effets publics
agricoles ou industriels, de même que la durée des effets commerciaux, à
l'escompte et au réescompte, feront l'objet d'études sérieuses, pour être
appropriées à l'expansion économique et permettre le plus grand roulement
des capitaux,
Etant à la fois institut d'émission et établissement de crédit, la Banque
d'Algérie assurera, de ce fait, une fonction de régulateur de la circulation
monétaire et de trésorerie centrale, chargée des opérations de régularisation
entre les différentes assises publiques. Enfin, en tant qu'organisme de
clearing, elle fera la compensation des comptes des administrations; des
entreprises, des banques spécialisées, etc ....
 Ainsi, donc, la Banque d'Algérie sera véritablement le maître
essentiel du système monétaire nouveau et du crédit à court terme. Mais la
reconstruction économique projetée nécessitera également l'institution
d'importants établissements financiers de crédit à long terme. Concernant le
crédit bancaire, ce dernier se spécialisera pour assurer une meilleure

143
utilisation des investissements. Des banques spécialisées, alimentées par les
fonds de l'Etat, les produits de l'emprunt et les profits des entreprises, verront
le jour dans les différents secteurs de l'économie. Les prêts à long terme
consentis ne donneront pas lieu à remboursement. Si les crédits à court terme
fournis par les succursales de la Barque d'Algérie doivent être utilisés le plus
souvent comme fonds de roulement, les crédits à long terme devront être
réservés exclusivement aux investissements, Qu'il s'agisse de fonds de
fonctionnement ou de fonds d'investissement, le principe dominant de
l'appareil bancaire futur sera celui de la spécialisation.
Si, pour le crédit à court terme, celle-ci présente l'avantage d'accroître
la rotation des fonds de roulement de la Banque d'Etat elle permet, dans le
cas du crédit à long terme, de s'assurer une utilisation conforme aux nouvelles
perspectives économiques.
* En premier lieu, une Banque de l'industrie unique remplacera tous les
organismes de crédit industriel existant actuellement. Elle sera habilitée à
effectuer tous les investissements dans le domaine industriel, à fonds perdu
pour les entreprises de l'Etat, à fonds remboursables à l'égard des autres. Des
filiales installées dans le territoire recevront la mission de distribuer ce crédit
et d'assurer un contrôle très strict de son utilisation. La distribution des
investissements devra être, dans tous les cas, conforme aux projets
économiques de la Nation. Les fonds de la Banque viendront, en majeure
partie de dotations budgétaires (revenus pétroliers etc ...) et des produits
réalisés par les entreprises de l'Etat, La Banque de l'Industrie centralisera
toutes les opérations industrielles et constituera l'établissement bancaire le
plus important après la Banque d'Algérie, étant donné la masse considérable
des investissements destinés à l'industrie (900 à 1,000 milliards).
* Une autre banque unique se chargera également de l'émancipation
du secteur agricole, Comme la Banque de l'Industrie, elle disposera de
nombreuses agences et succursales sur le territoire. Ses fonds viendront
d'une dotation budgétaire, mais cette part sera faible compte tenu de la
moindre intervention des capitaux de l'Etat dans ce secteur de l'économie ;
l'essentiel des fonds aura pour origine les emprunts ou les dépôts effectués
par les agriculteurs. Un intérêt sera versé, dans ce cas, pour les comptes
créditeurs.
Mais les crédits attribués aux entreprises de l'Etat (centres de
machines et de tracteurs, centres de reboisement, centres zootechniques, etc
...) ne comporteront évidemment pas d'intérêts. Que la distribution des
capitaux soit destinée au secteur privé agricole ou au secteur public, les
crédits à long terme seront effectués d'après le plan financier qui
accompagnera le programme de reconstruction nationale.

144
* Une troisième banque unique, avec filiales, pour le commerce
distribuera de la même manière les investissements, à fonds perdus, aux
entreprises chargées de la vente des produits fabriqués par l'Etat et le crédit à
l'ensemble de l'appareil commercial privé. L'importance des fonds de l'Etat
sera dans ce cas aussi relativement moins grande qu'en ce qui concerne
l'industrie.
* Une autre banque sera spécialisée dans le domaine des travaux
publics, elle s'occupera aussi de la construction de l'habitat et des bâtiments
d'intérêt social (médical, scolaire, etc ...). Des succursales installées dans les
régions économiques et dans la plupart des localités soutiendront la
reconstruction de I'infrastructure économique et sociale du pays. Le
financement de cette banque sera fourni essentiellement par le budget et par
les dépôts municipaux.
Les crédits publics, permettront entre autres, la construction des
maisons d'habitation selon les plans d'urbanisme, mais la faculté de construire
sa maison individuelle ne sera pas interdite pour autant, tout au contraire, les
futurs propriétaires se verront encouragés dans cette voie par l'attribution de
prêts et de subventions dont les modalités restent évidemment à déterminer.
La réalisation des autres constructions appartiendra entièrement à l'Etat. Sur
ce point, la répartition des crédits se fera dans les mêmes conditions que pour
la Banque d'Industrie.
* Enfin, des caisses d'épargne d'un type comparable à celui qui existe
aujourd'hui chez notre ennemi viendront compléter le dispositif, en recueillant
les dépôts à vue et terme des particuliers auxquels un intérêt sera servi.

145
D- C O N C L U S I O N -

Au terme de ce tour d'horizon économique volontairement bref il est


utile de rappeler ici au lecteur que notre but n'était pas de traiter tous les
caractères de l'économie algérienne, mais seulement de mettre en évidence
certaines de ses possibilités. Si nous voulions décrire l'ensemble économique
que pourrait constituer demain notre pays, ce serait un autre ouvrage,
beaucoup plus volumineux en raison de la diversité des biens de la nation,
qu'il faudrait en la circonstance. C'est à peine si nos richesses ont été citées
et situées alors qu'il aurait fallu les étudier minutieusement; c'est seulement
sous forme d'esquisse que le programme de reconstruction de la nation a été
entrevu.
Aussi sommaire qu'il puisse être, l'inventaire auquel nous nous
sommes limités permet de montrer la désastreuse situation actuel--le de
l'économie, comparée à l’ époque prospère de 1830 Le potentiel national
considérable peut autoriser, en effet, tous les espoirs dans une Algérie
indépendante, féconde et industrieuse. Bien entendu, des précautions sont à
prendre, sinon les richesses du sol et du sous-sol demeureront à l'état de
virtualité et l'industrialisation une simple velléité.
Il a été possible de mesurer, en termes clairs et chiffrés, la "prétendue"
œuvre française dont les traces funestes sont partout inscrites dans le
territoire, tant du point de vue matériel que du point de vue humain. Un siècle
d'asservissement de l'homme et d’ exploitation honteuse se traduisant par des
conséquences douloureuses " L'œuvre française", c'est la famine
scientifiquement organisée pour tout un peuple et l'extension des épidémies.
C'est l’ instauration méthodique d'un régime d'obscurantisme et de
dépersonnalisation. C'est l'abaissement du niveau de vie au terme le plus
inhumain. C'est l'enfance qui erre dans les rues et l'analphabétisme
généralisé, alors qu’ en I830, il y avait, dans le pays, relativement moins
d'illettrés qu'en France. C'est le taudis et le bidonville où s'entassent des
Algériens, pendant que les immeubles modernes sont uniquement réservés
aux européens. C'est la terre grasse à l'Européen et la steppe infertile à
l'Algérien. C'est plusieurs millions d'Algériens tués en un siècle, auxquels
s'ajoutent depuis I954 d'autres centaines de milliers de tués, de veuves,
d'orphelins et des milliers de blessés. C'est cela l'héritage que lèguera la
France à l'Algérie indépendante et les résultats de " l'œuvre française".
Aussi l'Algérie est-elle arrivée à un tournant de son histoire. Ses
habitants ont acquis l'expérience et la maturité dans le combat, aux prix de
lourds sacrifices; une ère nouvelle d'entreprises s'ouvre à eux, ils sauront
l'aborder avec foi et esprit d'initiative.

146
Ils iront sans cesse d'entreprise en entreprise dans la voie de la
Renaissance de la patrie à laquelle ils assureront bientôt une reconstruction
économique à la mesure de leur ardeur révolutionnaire; il suffira de quelques
années seulement pour que le prestige du passé, la prospérité agricole et
industrielle en même temps que de solides assises économiques soient
retrouvées. En 10 ans, la nation sera plus équipée dans tous les secteurs que
l'ennemi lui-même qui s'est acharné aveuglément à la détruire pendant un
siècle. En même temps que l'Algérien retrouvera un niveau de vie plus élevé,
il .bénéficiera de conditions d'existence notablement améliorées. En 5 ans des
écoles seront ouvertes à toute la population scolarisable, l'hygiène publique
sociale étendue à tous les besoins et en 10 ans un logement confortable offert
à chaque foyer. La prospérité ira à tous les citoyens sans distinction aucune,
qu'il s'agisse de l'habitant de la ville ou de celui de la campagne.
Des chiffres calculés sont venus, dans tous les cas, étayer et donner
un support à nos affirmations qui n'ont pas été avancées à la légère, pas plus
qu'elles ne constituent une simple vue d'esprit. L'ensemble des prévisions
recouvre non seulement une réalité, mais aussi une détermination
inébranlable pour tout un peuple qui s'inscrira bientôt dans l'action et dans les
faits.
Il est évident que l'édifice ne sera qu'un château en Espagne, si
certaines conditions n'étaient pas réunies. En effet, il ne suffit pas à l'Algérie
de posséder des richesses matérielles et humaines prêtes à se transformer en
de véritables torrents de forces vives il faut encore libérer ces richesses,
supprimer les attaches qui les emprisonnent. En termes chiffrés, ces forces
contraires ont été appréciées, déterminées de la manière la plus exacte, enfin
dénudées pour montrer quelles arrières pensées elles cachent.
Même libérées de leurs bourreaux, ces forces vives algériennes se
contrarieraient et s'annihileraient très vite, si elles n'étaient orientées,
canalisées, en vue de la réalisation d'objectifs précis. C'est pourquoi, nous
avons montré aussi le cadre général dans lequel leur action pourrait s'insérer
et indiqué de quelles méthodes économiques et sociales les plus saines, les
acteurs de l'économie algérienne auront à s'inspirer demain.
Nous avons dit aussi que l'Algérie indépendante ne s'isolera pas du
reste du monde; elle tendra la main aux nations sœurs pour reconstruire et
rebâtir l'ensemble maghrébin, sur le plan économique, elle tendra également
une main toujours amicale à toutes les nations d'Afrique et d'Asie envers
lesquelles, elle restera toujours reconnaissante, comme à celles des pays
d'Europe ou des autres continents qui accepteront de respecter sa
souveraineté et de traiter avec elle sur un pied d'égalité.

147
Le Colonel Lotfi et ses compagnons à Tunis 20-03-1960
(une semaine avant sa mort)

Négociations d’
achat d’
armes à Belgrade

148
ANNEXE 1 : CORRESPONDANCES

Le colonel Lotfi, homme clairvoyant et perspicace s’ il en fut, avait déjà


décelé dans son entourage et sur le terrain nombre de ces déviances
alarmantes, comme en attestent plusieurs de ses correspondances que nous
citerons in extenso (extrait de « La problématique des rapports de
l’
intellectuel à la guerre de libération nationale en Algérie, illustration à travers
l’
itinéraire du colonel Lotfi » de Chafik Mesbah) :

1/ 8 août 1958, à Abdelhafid BOUSSOUF, « Mais le colonel Lotfi se


distinguait aussi par un réalisme aigu qui lui permettait de garder le sens de la
mesure et de voir les choses avec sérénité. Nous disposons de la copie d’ une
lettre que le défunt avait envoyée le 8 août 1958 à Abdelhafid BOUSSOUF,
alors membre du CCE, pour appeler son attention sur la situation jugée,
dramatique, en Wilaya 5 : "Très cher frère Mabrouk. La situation dans la
Wilaya : je ne te cache pas qu’ il ne m’a pas fallu très longtemps à mon retour,
pour constater que nous frisions la catastrophe (… ) Une seule zone a perdu
en l’espace de quatre mois quelques 300 hommes. L’ ennemi n’ a pas manqué
d’ exploiter cette situation, car il la connaît parfaitement. Il a multiplié
opérations sur opérations avec acharnement, nous ne laissant pas de répit,
nous acculant au combat pour nous épuiser les dernières cartouches dont
nous disposons encore. Nos hommes comprenant très bien le but visé font
toujours le vide devant lui (quand il le peuvent) ce qui fait qu’ ils sont comme
des hommes traqués,… encor les principes de la tactique de la guérilla alors
que celle-ci est dépassée depuis fort longtemps ; alors qu’ une révision de
notre tactique s’ imposait déjà depuis presque un an. Je ne veux pas te
cacher que nous sommes en train d’ assister impuissants à un véritable
massacre et de notre armée et de notre peuple, J’ ai essayé par ces quelques
lignes de te faire connaître la réalité chez nous (de même qu’ en Wilaya 4 et
6 ).Je te sais très réaliste; ces vérités t’amèneront à la conclusion que nous
sommes dans une phase très critique, tragique " ».
1-La dernière lettre du colonel Lotfi à sa femme (Le quotidien
d’ Oran, 21 juillet 2004)
Il est salutaire de rappeler aux cités qui l'oublient qu'elles ne vivent que
par le génie et la vaillance de quelques-uns de leurs enfants». La citation est
de Louis Pasteur et serait à juste titre comme un devoir de mémoire, une halte

149
commémorative pour mettre en exergue la dimension nationale de Dghine
Benali: le Colonel Lotfi.
C'est Mme Dghine Benali, même génération, même passé déraciné,
même volonté d'indépendance, qui a tenu, avant son retour dans son pays
d'adoption, à remettre la derrière lettre écrite par le Colonel Lot- fi au
Quotidien d'Oran, qu'elle félicite pour sa très bonne couverture des deux
journées à la mémoire de l'homme organisées par l'Ecolymet, dont elle
remercie le président, M. Taleb Bendiab Sid Ahmad.
Chaleureuse, enthousiaste et intraitable sur sa mémoire, Mme Dghine
Benali, cette blonde aux yeux de velours, a su mieux que personne émouvoir
un auditoire de proches et d'amis lors de la remise de la lettre (en notre
possession) et qu'elle souhaiterait être lue par tous les Algériens. Parlant
doucement, elle s'exprimera longuement sur son engagement dans la
Révolution:
C'est en octobre 1956 que 4 jeunes filles de l'EPS (actuellement lycée
Maliha Hamidou) seront portées absentes. C'était la première fois que des
femmes prenaient le maquis. Elles seront recherchées dans toute la cité et
condamnées à mort par contumace. Elle, Fatéma Bechiche, devenue Mme
Dgnine, et une autre jeune fille, Farida Benguella, seront, grâce à un contact à
El-Eubbad, les premières moudjahidate dirigées vers le Maroc, à Oujda plus
exactement, où elles devaient suivre une formation d'infirmières pour servir au
front. Elle sera blessée à Angad, entre deux lignes de fils barbelés, par une
mine. Elle subira trois opérations qui ne suffiront pas à lui ôter tous les éclats
qu'elle a encore dans la cuisse droite. C'est chez le Docteur Haddad à Oujda
qu'elle rencontrera le Colonel Lotfi, complètement déshydraté, pesant à peine
40 kg. Elle l'épousera le 5 septembre 1958. «C'est un mari merveilleux, j'ai
l'impression d'avoir vécu 100 ans avec lui», dira-t-elle pudiquement. Et c'est
toute tremblante d'émotion qu'elle nous remettra cette dernière lettre, une
lettre presque prémonitoire d'une disparition certaine, dont voici intégralement
le contenu.
Le 16/3/1960
A ma très chère femme,
Je m'excuse à l'avance de n'avoir pas osé t'annoncer de vive voix ce
que je vais t'écrire. J'espère que lorsque tu recevras cette lettre, je serais bien
loin en Algérie, ma patrie chérie.
En effet, je suis en pleins préparatifs et je dois rejoindre l'intérieur dans
les plus brefs délais. Je crois ne t'apprendre rien de neuf en te disant que c'est
la seule place possible pour moi en ce moment. Il m'est devenu impossible,
intolérable, insoutenable de continuer à vivre à l'extérieur, ceci en dehors de
toute considération de quelque ordre que ce soit. Ensuite, en tant que chef,

150
que Révolutionnaire, qu'idéaliste imbu de principes, je dois être aux côtés de
mes hommes pour les soutenir et du Peuple pour le réconforter et renforcer
son moral.
De ton côté, je crois avoir tout fait pour t'ôter dès le premier jour toute
illusion concernant ma présence à tes côtés tant que durerait la Révolution. Je
t'ai toujours dit que je n'ai été et que je ne suis que par la Révolution et pour la
Révolution. Il est même difficile pour moi d'envisager une autre vie que la vie
de Révolutionnaire. Je te demanderai donc de faire preuve de beaucoup de
courage et de patience: je sais que tu en es capable.
De mon côté, j'espère que tout se passera bien. Dans le cas contraire,
j'aurais connu la plus belle fin qu'aurait pu souhaiter et rêver un jeune
Révolutionnaire.
Alors, il faudra que tu fasses preuve de beaucoup de courage encore.
Tu pourras être très fière de ton mari et celui que je te confie, mon fils, le sera
également beaucoup de son père. Au nom de l'Algérie pour laquelle j'aurai
vécu et j'aurai tout donné, et au nom de notre amour, je te recommande
instamment de veiller sur mon fils, sur son éducation, de lui donner une très
solide instruction et d'en faire surtout un grand Nationaliste et un grand
Révolutionnaire, ce que son père n'aura pas pu faire, parce que la vie ne lui
aura pas accordé assez de temps.
En ce qui te concerne personnellement, je te recommande encore une
dernière fois de t'améliorer, dei te perfectionner, d'approfondir tes
connaissances et d'être toujours àl'avant-garde des jeunes femmes
algériennes et un exemple sans reproche aucun. C'est tout. Embrasse pour
moi toute la famille.
Je t'embrasse.
Quinze jours après avoir écrit cette lettre, le 27/03/1560, Lotfi mourra.
Mme Dghine Benali, enceinte d'une fille qu'elle nommera Chahida, restera à la
frontière, où elle s'occupera à soigner les malades jusqu'à l'indépendance.
A l'indépendance, elle sera députée jusqu'en 1965 où elle
démissionnera, avant la venue de feu Houari Boumediène à la tête de l'Etat.
2-Confidence à Ferhat Abbès :
« C’ est, probablement, cette même veine romantique qui le laisse
étaler auprès du Président du GPRA, Ferhat Abbes, son dégoût du
relâchement qui affecte le comportement des chefs militaires de l’ ALN établis
à Tunis:"J’ aime mieux mourir dans un maquis que de vivre avec ces loups".
Ferhat Abbes "Autopsie d’ une guerre" Garnier Paris. »

151
3-Lettre à Ali Kafi :

Voici, à titre d’
exemple, ce qu’ il écrivait à Ali Kafi au moment ou il
s’
apprêtait à rejoindre, de nouveau, le maquis : "Consentir un important effort
pour découvrir des cadres qui soient dans l’ avenir capables d’assurer les
grandes responsabilités, afin que l’
Algérie n’ait pas des "gens bornés" au lieu
de "responsables".

A propos de la contestation du CCE par les Wilayate de l’


intérieur, il
est tout à fait symptomatique de relever cette démarche, qui peut paraître
ambivalente, du colonel Lotfi.

Il admet, volontiers, les insuffisances apparues dans


l’
approvisionnement de guerre des Wilayate de l’ intérieur, il note, avec effroi,
le comportement despotique des membres militaires du CCE. Nous
disposons, sur ce point, du témoignage indiscutable du regretté Ferhat Abbes.
Relatant, en effet, son voyage en Yougoslavie, le président du GPRA écrit :
"Au cours de ce voyage, un jour, au petit matin, le colonel Lotfi entra
dans ma chambre triste et abattu. Il me confia ses inquiétudes : "Notre Algérie
va échouer entre les mains des colonels, autant dire des analphabètes. J’ ai
observé, chez le plus grand nombre d’ entre eux, une tendancieuse méthode
fasciste. Ils rêvent tous d’
être des "sultans" au pouvoir absolu. Derrière leurs
querelles, j’ aperçois un grave danger pour l’ Algérie indépendante. Ils n’ ont
aucune notion de la démocratie, de la liberté, de l’ égalité entre les citoyens. Ils
conserveront du commandement qu’ ils exercent le goût du pouvoir et de
l’
autoritarisme. Que deviendra l’ Algérie entre leurs mains? (Ferhat Abbes
Autopsie d’ une guerre Garnier Paris).

4-Lettre à Akbi Abdelghani

République Algérienne démocratique et populaire


Front de libération nationale
Armée de libération nationale

Commandement Général de la Wilaya d’


Oran

Frère Amar,
Après un temps si long, où il ne me fut pas permis de
correspondre avec toi, et ceci tu le comprendras facilement, pour des raisons
majeures j’
ai pris aujourd’hui la plume pour t’
écrire non pas en tant que chef,

152
mais en tant que frère, en tant qu’ ami. L’
estime, la confiance et les grands
espoirs que j’ ai placés en toi, me donnent le droit de penser que cette
modeste missive me permettra de te tirer de la situation angoissante dans
laquelle tu te laisses sombrer, et te rassurer que tu me trouveras toujours à
tes cotés pour te soutenir et t’
encourager tant que je te saurai allant toujours
de l’avant dans la voie révolutionnaire que nous nous sommes tracée et
respectant ses principes sacrés.

Je tiens seulement à te faire savoir que chacun de nous, à un moment


donné de sa vie révolutionnaire, a connu la crise que tu traverses, crise qui
peut se répéter. Les raisons de celle-ci sont diverses, nombreuses toutes plus
complexes les unes que les autres. C’ est le moment le plus critique pour un
révolutionnaire dont il peut changer le cours de la vie et bouleverser tous les
plans, sans qu’ il puisse trop se rendre compte comment cela est arrivé. Il faut
alors résister avec ténacité, lutter jour et nuit contre soi-même pour ne pas
fléchir et sombrer totalement. Si dans ces moments l’ on n’est pas soutenu, par
une foi immense dans les objectifs qu’ on poursuit, par un idéal très fort et
totalement désintéressé, par une confiance totale en ses chefs, par une
conviction à priori solide que nous sommes des sacrifiés, que nous sommes
voués à la souffrance et à toutes les misères, à entendre les critiques et les
calomnies de tout genre, que nous sommes appelés à ne jamais connaître
d’autre bonheur que celui, de la récompense morale du repos de l’ âme et la
paix de la conscience, alors on est déchu de notre qualité de révolutionnaire
et l’
on devient une loque.

Tout ce que tu m’ as écrit sur la nouvelle orientation que semble


prendre notre révolution, sur cet esprit de conservation de nos officiers, sur
cet état d’
esprit anti-militariste que l’
on voit naître et grandir, tout cela dis-je, a
été constaté depuis assez longtemps déjà et je n’ ai pas manqué de lancer
l’
alarme à plusieurs reprises. Le fait que tu me l’ aies signalé toi-même ainsi
que d’autres frères, m’a confirmé que je ne m’ étais pas trompé.

Je ne te cacherai pas que depuis environ un an nous sommes entrés


dans la véritable phase révolutionnaire de notre lutte. C’est un véritable
déchaînement de toutes les passions, bonnes et mauvaises.

Bref, revenons à notre sujet qui te semblera moins doctrinaire que


celui qui vient d’
être évoqué ci-dessus.

153
Quant à moi, il ne m’ est jamais venu à l’ idée que le fait de demander
d’aller se soigner pouvait être considéré comme une fuite devant les
responsabilités ou une lâcheté.
Loin de moi cette pensée. J’ ai toujours pensé, au contraire, que c’est
une obligation vis-à-vis de soi-même et de la patrie qui n’a pas du tout intérêt
à voir ses fils totalement épuisés, physiquement et moralement. Mais il n’ est
pas toujours possible de remplir toutes les obligations de cet ordre, car il en
existe d’autres plus impératives, plus sacrées et qui exigent notre présence,
non pas qu’ elle soit tout à fait indispensable, mais il arrive par moment
(comme celui que nous vivons aujourd’ hui) que les événements de l’ heure
imposent la présence de chacun à son poste.

Mais cela n’ a pas encore un caractère définitif. Car il ne faut pas


oublier que tout est provisoire en période de révolution, révolution qui est et
qui doit être par principe, toujours dynamique et jamais statique. Donc, il
viendra un proche avenir où tu seras appelé, d’ abord pour te soigner, et
ensuite assumer d’ autres fonctions. Tout ce que je suis en droit d’exiger d’
un
jeune comme toi en lequel de grands espoirs sont placés, c’ est de ne pas
fléchir, d’
aller toujours de l’
avant vers les buts que nous nous sommes fixés,
de sorte que tous les sacrifices n’ aient pas été inutiles ; nous ne pouvons
l’abandonner entre des mains inconnues.

En espérant que cette lettre sera pour toi un réconfort, un


encouragement et t’ aidera à supporter le poids de tes responsabilités, je te
quitte en te disant comme dans le temps :

Salut Révolutionnaire,
Ton frère et ami,
Lotfi

154
Lotfi et des compagnons à Tunis

155
Lotfi et Medeghri à Rome

156
Annexe 2
Une heure d’entretien avec le Colonel Lotfi
(Journal El-Moudjahid n°41 du 10-05-1959)

ORANIE, WILAYA 5, Lorsqu'on évoque ce nom, une multitude de


souvenirs, de faits, de visages, viennent à l'esprit. Des noms tout d'abord :
Larbi Ben M'Hidi, le fondateur de la wilaya, prisonnier de guerre assassiné par
Bigeard à Alger en février 1957; Abdelhafid Boussouf, son successeur,
Benallah Hadj, fait prisonnier à Oran et condamné à mort. Des villes et des
montagnes de chez nous : Ain Sefra, Djebel Amour, Aflou, Mascara, Ammi
Moussa, que l'on retrouve chaque jour dans les communiqués militaires.
Thiersville, que la propagande française vient de mettre en vedette pour salir
l'A.L.N., l'Oranie et ses monts sans cesse « pacifiés » : Sud Oranais en
Novembre 1958; monts de Saida, Frenda en Mars 1959 ; l'Oranie aux 400.000
Européens... Que s'y passe-t-il ?
L'entretien que « El-Moudjahid » vient d'avoir avec le colonel Lotfi,
Commandant de la Wilaya V , et un des officiers supérieurs de la Wilaya,
éclaire d'un jour nouveau la Révolution dans l'Ouest algérien.
Q: Colonel, un dos thèmes actuels des discours politiques français,
qu'il s'agisse des déclarations du Général Challe ou de celles du Général De
Gaulle, est constitué par « Démentellement de la Wilaya 5 » grâce à l'action
de Bigeard dans la zone des monts de Saida-Frenda depuis deux mois.
Que s'est-il passé exactement ?
R. La zone des Monts de Saida-Frenda -notre zone 6 - vient d'être
soumise à un ratissage par 10 à 15.000 hommes qui ont massacré les civils :
l'ennemi prétend avoir mis hors de comtat 200 fellaghas et diminué notre
potentiel de 50%. La zone 6 a subi des pertes comme d'autres zones avant
elle; mais les actions se poursuivent. D'ailleurs pour bien comprendre
l'importance relative de cette zone 6, il faut lu replacer dans l'ensemble de la
Wilaya.
… /…
Q : Quelles sont nos régions de forte implantation militaire ?
R. : Il n'y a pas de mystère à cacher. Ces régions sont bien connues
de l'ennemi. Elles s'inscrivent en clair sur la carte des opérations. Elles
s'articulent autour des deux axes montagneux qui barrent la wilaya; c'est
d'ailleurs autour de ces axes que vivent les populations, passent les grandes
routes économiques.

157
Au Nord : d'Ammi Moussa à Tlemcen
Au nord, nous avons, en zone 4, des groupes dans la partie ouest du
Dahra; vous trouvez souvent dans les communiqués les noms de Cassaigne,
Renault, Rabelais.
Puis en zone 7, la partie ouest de l 'Ouarsenis où séjournent des
éléments très aguerris, experts dans le minage et l'embuscade. La région d
'Ammi Moussa-Guillaumet est un nœud de communication pour l'ennemi ; il
ne se passe pas de semaine sans embuscade ou explosion de mines sur
cette route. En suivant cette ligne de relief, plus à l'Est, nous avons la zone 6
qui ceinture littéralement la riche plaine de Mascara par les monts de Saida et
de Frenda au sud, les monts les Beni Chougran au nord. C'est dans cette
région que nous avons la plus forte participation des colons ; ils paient
régulièrement leurs impôts, circulent avec des laissez-passer délivrés par I
'ALN : cela les français le savent, mais ne peuvent l'empêcher.
Autour de Sidi Bel Abbes
Poursuivons notre randonnée à travers la wilaya. Autour de Sidi Bel
Abbés, nous avons de solides bataillons dans les monts de Daïa au Sud, les
monts de Tessala au nord. Ces bataillons comportent des éléments entraînés
: c'est une des zones (la « 5» entre Bedeau et Sidi Bel Abbés), les plus
anciennes avec des militants du début, des cadres avertis, des déserteurs «
anciens d’ indochine ». Plus à l'Ouest, deux autres zones s'accrochent à des
montagnes « interdites », monts de Traras et Djebel fillaousséne pour la zone
2, Monts de Tlemcen avec leurs épaisses forêts pour la zone 1. Ces deux
zones Sont des bases d'implantation, anciennes, très solidement encadrées et
équipées.
Dans l'Atlas Saharien
Dans les hauts plateaux, nous sommes présents : les liaisons, les
passages sont constants dans le sens nord-sud. Mais dans le sud, notre
implantation militaire, active, appuyée sur des effectifs de l'ordre du bataillon
au minimum suit l’ Atlas Saharien.
A partir de la frontière marocaine, nous avons une base très active,
dans la région de Colomb Béchar, Kenadsa sur le versant algérien du Djebel
Grouze et le Djebel Béchar. Ces Massifs surplombent la voie ferrée, sur
laquelle ils font peser une menace permanente. Le barrage « de l’ ouest», qui
encadre la voie ferrée à partir de Mécheria, ne nous gêne pas pour passer
vers les monts des Ksours .
Ce barrage est constitué de 700 KMS de réseau barbelé proche de la
frontière au nord de Port Say et Sidi Aissa. Il s'en écarte pour aller protéger la
voie ferrée de Mécheria à Ain Sefra, au-delà à Colomb Béchar et remonter
vers la frontière marocaine pour protéger « le Méditerranée-Niger ». Le

158
barrage est quotidiennement franchi par nos éléments qui trouvent des abris
sûrs dans les monts des ksours.
Vers le Djebel Amour
Plus à l’
est, ce sont les monts de Geryville solidement tenus. Puis, les
monts du Djebel Amour, région du sud ou nous sommes implantés très
anciennement et très solidement.
C'est vers le Djebel Amour qu'a été envoyé une mission d’ élite des
l’été 1956.
Le 2 octobre 1956, une grande bataille a eu lieu, mettant en jeu de
notre côté l'effectif d'un bataillon, dirigé par Si Abdallah et le Lieutenant
Abdelwahab. C’ est à partir du Djebel Amour qu'ont opéré, à partir de février
1957, les unités qui ont contribué à la réduction du Bellounisme.
Nos éléments de cette zone 3 sont en contact constant avec les
éléments de la wilaya VI. Certains de nos commandos évoluent dans les
environs de Laghouat, où ils sont signalés. Ainsi à Ghardaia, vers la mi-avril,
le chantier de matériel pétrolier a été attaqué à Bérriane.
C’est en raison de notre présence constante dans ce secteur que le
camp de concentration d’ Aflou (d'où plusieurs, frères se sont évadés pour
nous rejoindre) a été supprimé en 1957 et transféré à Bossuet et à St-Leu.
Le peuple dans la Révolution
Q. Dans la vie de l'intérieur, dans votre expérience du maquis, quels
sont les faits- qui paraissent les plus importants ?
R. A côté de ce réseau militaire de l’A. L. N., tendu sur toute l'Oranie,
l’épaulant constamment, ce sont les réactions populaires des masses rurales
qui me paraissent le plus significatives. Je vais vous parler d'une région que je
connais très bien pour y avoir travaillé longtemps : le sud.
Dans les campagnes du sud Oranais en général, l’ évolution politique
était presque nulle avant la révolution ; les cellules nationalistes ne
regroupaient des militants que dans les villes. Les masses rurales, plongées
dans la misère, étaient tenues par Bachaghas et des familles maraboutiques.
Les confréries étaient nombreuses, la superstition développée ; dans
l'ensemble, la population était très conservatrice, traditionnaliste.
Dans ces régions, la révolution a commencé avec l'arrivée des
premières unités de l'A.L.N. J'ai assisté à des scènes émouvantes : les
paysans venaient en masse, avec leurs fusils et nous demandaient de
participer au combat. Un vieux de 65 ans nous a menés un jour ses trois fils
en nous suppliant de les enrôler : pour lui, c'était un jour béni. Cette révolution,
il la souhaité depuis longtemps et n'avait qu'un regret : ne pas avoir 20 ans de
moins pour y participer ; ceci s'est déroulé dans la région de Beni-Smir, prés

159
d'Ain-Sefra. Mais j'ai vu des scènes semblables dans les monts de Geryville et
dans le Djebel Amour.
Quelques mois après notre arrivée, les femmes s'étaient organisées en
comités de soutien.
Q. Ce ralliement massif n'était il pas un danger pour la Révolution ?
Ces anciens cadres ne risquaient-ils pas de conserver leurs pratiques vis-à-
vis des masses rurales ?
R. Pas du tout, car ces notables avaient perdu tout prestige. Ils
n'étaient ni hais, ni méprisés. D'ailleurs redevenus « simples citoyens »,
certains hommes de ces familles se sont intégrés à la Révolution, et s'ils ont
acquis une responsabilité dans tel ou tel secteur, c'est à leur courage et à leur
action patriotique qu'ils le doivent.
Q. Comment sont organisés les civils ?
R. Comme dans toutes les autres Wilayas, depuis le congrès du 20
aout 1956, l'organisation des civils a été mise en place. Cellules de 11
membres, dans les campagnes, de 5 membres dans les villes. Au-dessus de
la cellule, le groupe, la fédération, I'Arch ou sous-secteur ... et le secteur.
Chaque douar a élu son « Assemblée du peuple » de 5 membres,
représentant la population du douar. Assemblée « coiffée » par « le comité
des 3 » représentant l'autorité du FLN, l’ articulation entre le peuple et son
armée. Parallèlement à cette organisation masculine, les femmes se sont
organisées dés le début :
Elles n'ont jamais été mises à l'écart des réunions politiques. Elles
participent activement aux conférences tenues par les commissaires
politiques. Bien plus, je connais des douars où ce sont des militantes qui ont
été élues présidentes d'Assemblée du peuple donc chefs de douar. Ceci vous
montre bien les bouleversements extraordinaires apportés par notre
Révolution.
Présence de l'ennemi
Q. Comment se présente la situation des français dans votre wilaya ?
R. L'Oranais est la région d'Algérie qui compte proportionnellement le
plus grand nombre d'Européens : 400.000 environ, trés peu vivent dans le
Sud .
Par contre, ils sont trés nombreux dans les riches terres du Nord :
Sersou, région de Mascara, Chélif, Ain Temouchent et Rio Salado. L'armée
française a établi son quadrillage sur toute l’
Oranie, mais particulièrement là
où vivent les colons. Lorsque la ferme ou la grosse exploitation agricole n'est
pas à proximité d'un poste, elle est elle-même transformée en block¬haus,
avec tours de guet, emplacement du tir, armes parfois automatiques.

160
En face de nous, en wilaya 5, nous avons 255.000 hommes de troupe
français, 16 généraux, 130 colonels. Dans le Sud, pour les zones 3 et 8, qui
sont très vastes, mais où il y a peu de colons, 55.000 soldats français, tous les
autres sont immobilisés dans le nord.
En général, toutes leurs unités sont prises dans ce quadrillage. Les
fameuses réserves opérationnelles sont prises tantôt dans de grosses
garnisons (comme Sidi Bel-Abbés, Mascara par exemple) tantôt, pour une
opération limitée, dans les bordjs (qu’ ils ont construits dans le sud) ou dans
les postes importants comprenant l'effectif d'un bataillon comme le poste de
Béni¬Bahdel, dans les monts de Tlemcen, affecté à la garde du barrage. Ainsi
le poste de Bab El Assa prés de la frontière. Le quadrillage est évidemment
très serré le long de la frontière, au Nord, et au Sud, prés d’
Ain Sefra.
La vie actuelle des civils algériens
Q. Dans ces conditions, comment vivent nos civils? Se réfugient-ils au
maquis? Y a-t-il des zones libérées?
R : La plupart du temps, nos civils vivent prés des villages, et dans les
camps de regroupement. La politique du regroupement a été faite de façon
intensive et forcée.
Ainsi, dans la région de Bahloul, entre Saida et Frenda, se trouve Arch
Khoualed : ce sont des gens très patriotes et depuis longtemps : ils ont
combattus avec l’ Emir, et en gardent le souvenir. Depuis 1955; ils se sont
battus et ont revisité pendant 3 ans au regroupement. Aujourd'hui, la moitié du
Arch est regroupée, les autres om pris la montagne.
Dans le nord, c'est ainsi que cela s'est passé, il était impossible de
lutter contre le regroupement. Alors, nous nous y sommes adaptés: nos unités
combattantes circulent partout librement dans les montagnes, suivies de
moussebilline (civils recherchés, agents de liaisons). Le ravitaillement, les
médicaments nous parviennent régulièrement des villes et des villages de
plaines et de centres de regroupement. Car dans les montagnes, nous
n'avons pas de terres fixes, nous ne pouvons pas cultiver : tout nous est fourni
par les civils, et le service d'intendance de chaque zone fonctionne
parfaitement avec l'aide des civils de la plaine.
Il y a des endroits ou nos djounoud sont hébergés par un douar à
l'intérieur d'un camp de regroupement : il y a même eu un accrochage dans
un de ces camps en janvier dernier, dans la région de Chouli, prés de
Lamoricière.
Dans le sud, les montagnes sont inhabitables : elles ont toujours été
désertes. Les habitants sont dans les plaines, font parvenir le nécessaire au «
maquis » et assurent l'infrastructure à nos groupes de commandos itinérants.

161
Dans toute l'Oranie, il y a un fait sur lequel il faut insister, le rôle
irremplaçable des femmes qui ont assuré et assurent les tâches de liaisons et
d'organisation avec courage et ténacité.
Dans les villes, la population continue à manifester son patriotisme dés
qu'elle en a l'occasion : ainsi à Tlemcen la manifestation organisée par les
collégiens et collégiennes à l'occasion de « la journée de l’ Algérie » ou plus
récemment encore, les abstentions massives aux élections municipales des
français.
La guerre économique
Q. Quelles sont les répercussions de la guerre sur l'économie ?
R. Dans un certain hombre de secteurs, nos actions de sabotage
entravent sérieusement l'activité économique. Ainsi, dans le Sud oranais, en
1956-57, sur les 17 locomotives Diesel dont disposaient les CFA (Chemins de
Fer Algériens) 13 ont été totalement détruites en moins de 6 mois, et c'est
pour protéger cette voie, artère nourricière de Colomb Béchar, et voie
d’ évacuation du charbon de Kenadsa, que le barrage de barbelé a été édifié .
Actuellement, ce sont des raisons politiques qui empêchent la fermeture des
mines de charbon de Kenadsa et Ksi-Ksou.
De même, la production des mines de fer Béni-Saf a baissé en 1958
en raison de I'insécurité. La société algérienne de Zinc qui exploite plusieurs
gisements le long de la frontière a fermé ses portes en décembre 1958.

Perspectives d'avenir
Q Pour terminer comment voyez-vous l'avenir de la wilaya V ?
R. Pour nous les perspectives sont simples. Sur le plan militaire, nous
tenons et développons nos actions. Pour passer à un stade supérieur de la
guerre, il nous faut des armes, et nous les aurons.
Sur le plan politique, la propagande ennemie parle facilement de «
l'affaissement de l’intérieur», de la sensibilité des combattants à «la paix des
braves». Il n'en est rien. Nous luttons pour l'indépendance, une' indépendance
que nous voulons réelle et nous avons une totale confiance dans notre
Gouvernement.
La constitution du G.P.R.A. a été pour nous une étape concrète
importante, irréversible dans la marche vers l’ indépendance.

162
ANNEXE 3 :
Abane Ramdhane et la stratégie militaire de la guerre de
libération nationale
(« Le Quotidien d’Oran » 24 août 2008 : extraits)

… La réalité du terrain devait rapidement prouver que la stratégie


militaire imposée par Abane Ramdane ne pouvait déboucher que sur la
décimation de l'ALN. L’ installation par l'ennemi d'un barrage électrifié et fortifié
aux frontières de l'Est et de l'Ouest, à partir de février 1957, ne fit que rendre
encore plus évident le caractère mortel de cette stratégie. La mise en œuvre
de cette stratégie à travers toutes les wilayas du pays dans les premiers mois
de 1957 aboutit à l'accroissement des pertes humaines et matérielles au sein
de l'ALN. Une illustration des effets de cette stratégie peut être donnée par les
évènements qui se déroulèrent dans la zone Il, wilaya V, après sa mise en
œuvre.
Le fait est qu'en mars 1957, après l'assassinat de Larbi BenM'hidi, qui
avait eu lieu le 4 du même mois, Abdelhafid Boussouf, passé colonel
commandant la wilaya V, décida de mettre en application les
recommandations de Abane Ramdhane, et donné l’ ordre au commandant de
zone de constituer des katibas de 120 hommes en moyenne avec les sections
d'une quarantaine de jounoud, qui étaient les structures adoptées jusqu'à
cette période. Le capitaine Rachid, (de son vrai nom Mosteghanemi Rachid,
ancien mineur en France et maître d'école coranique dans la région des
Djabala) qui commandait alors la zone Il de cette wilaya (couvrant les Beni
Khaled, les Beni Abed, les Beni-Mnir, Souahlia, Msirda. Djabala, le mont
Fillaoucène et Nédroma) créa 3 katibas avec les quelque quatre cents
hommes de sa zone. Cette nouvelle structure était complètement en place
début avril. Mais l'équipement mis à la disposition de ces nouveaux
regroupements n'avait pas suivi, rendant la nouvelle organisation militaire
quelque peu inefficace: l'armement était disparate, essentiellement des armes
légères de toutes marques et de toutes origines, utilisant des munitions de
toutes dimensions, rendant quasi impossible l'approvisionnement cohérent en
munitions.
Cette disparité de l'armement constituait un handicap mortel,
maintenant que l'ALN voulait passer, suivant la doctrine militaire de Abane

163
Ramdane, à l'affrontement direct avec l'ennemi; les jounoud disposaient
d'armes légères de tous types et de tous âges, depuis le chassepot français
datant d'avant la Première Guerre mondiale, en passant par le MAS 36 de
l'entre deux guerres mondiales, le BSA anglais du début du vingtième siècle,
le fusil Garant américain et la carabine légère américaine datant de la
Seconde Guerre mondiale, le Mauser allemand de l'entre deux guerres,
fabriqué en Tchécoslovaquie, des fusils de chasse sans grande efficacité pour
les combats intenses, peut-être quelques Stati italiens récupérés des dépôts
de l'armée italienne en Libye; chacune de ces armes avait son propre calibre
de munitions, et l'armée la plus sophistiquée aurait été incapable de
concevoir, avec les techniques informatiques ultramodernes actuelles, un
système d'approvisionnement adéquat en munitions de cet armement
hétéroclite.
En termes d'armes à tir rapide, mitraillettes, fusils mitrailleurs et
mitrailleuses armes destinées à accroître la puissance de feu disponible en
cas de combat violent, c'était le même niveau de disparité, associé à la rareté:
quelques MAT 49 récupérés sur l'ennemi, deux à trois mitraillettes Thomson
Marines américaines, quelques MP 34 allemands reçus début 1957, une
mitrailleuse Lewis modèle 1911, calibre 7.62 avec chargeur cylindrique, lourde
de 13 kg, se bloquant quand elle chauffait, c'est-à-dire quand on avait le plus
besoin d'elle, un fusil mitrailleur BREN de conception tchèque et de fabrication
anglaise, un MG34 allemand, tous deux pesant 12 kg, l'une et l'autre, utilisant
des chargeurs à rubans, un fusil mitrailleur BAR belge, la seule arme lourde
pouvant être considérée comme de l'artillerie, était un mortier anglais de 5
pouces pour lequel il n'y avait plus de munitions. Quant à l'équipement de
transmission, il consistait en un RCA marine américain destiné à l'équipement
des bateaux de plaisance: son transport exigeait la mobilisation de deux
mulets, puisqu'il était alimenté par deux grandes batteries de camions elles-
mêmes chargées par un chargeur fonctionnant à l'essence et pesant dans les
20 kg.
C'était là donc l'armée régulière de l'ALN : elle ne faisait pas le poids
devant la puissance de feu et les effectifs de l’ armée coloniale, dotée
d’ armement de tous calibres normalisé, ayant en nombre appréciable des
mortiers et des canons de campagne, des véhicules blindés de tous types,
sans problème d'approvisionnement, capable de mobiliser une force de frappe
aérienne et héliportée efficace contre les regroupements de I'ALN, faisant
intervenir même la grosse artillerie de la marine dans les régions côtières.
Face à cette armada, la seule supériorité dont disposait l'ALN était le
courage de ses jounoud et la mobilisation de la population.

164
La bataille de Fillaoucène devait donner, de manière catégorique, la
preuve de l'ineptie de la stratégie militaire de Abane Ramdane. Entre le 9 et le
19 avril 1957, les trois katibas de l'ALN, composées de quelque trois cent
soixante jounoud, et coordonnées par un certain Tétouan, ancien caporal de
l'armée d'occupation, qui avait déserté l'année précédente du poste de Bab el-
Assa, se fortifièrent dans le djebel Fillaouacène, dans l'attente d'une attaque
ennemie: Tétouan, qui avait reçu sa formation et son expérience militaire dans
les rizières indochinoises, pensait pouvoir infliger à l'ennemi le type de défaite
qu'il avait subi de la main des révolutionnaires vietnamiens.
Les tirailleurs algériens n'étaient que de la chair à canon pour leurs
commandants qui les jetaient à la mort sans hésitation, ni remords: et
Tétouan, qui avait déjà passé une année dans l'ALN, n'arrivait pas à se
débarrasser de la tournure d'esprit qui lui avait été inculquée par ses anciens
supérieurs. Bien qu'il lui ait été vivement conseillé de renoncer à provoquer
l'ennemi et lui permettre, ainsi, de mobiliser sa puissance de feu, Tétouan
insista qu'il pouvait l'emporter sur les troupes ennemies les mieux équipées.
Accusé de mollesse par son adjoint militaire Si Mahmoud, de son vrai nom
Abdallah Arbaoui, ancien enfant de troupe qui avait fait sa formation à l'école
d'infanterie de Cherchell, puis avait pris part à des combats en Indochine, le
capitaine Rachid laissa faire Tétouan, mais il retira une katiba du Djebel
Fillaoucène et alla, par prudence, se réfugier dans le Djebel Trara, avec son
adjoint politique nouvellement arrivé, Mohammed Ziani, dit si Belkacem,
ancien instituteur au Maroc (ce dernier devait être, avec deux de ses
compagnons, victime d'une trahison dans la région de Msirda, le 11 juillet
1957, et tué avec eux dans une cache par l'ennemi, sans avoir la possibilité ni
de tirer une balle ni de lancer une grenade). Le 20 avril 1957, le deuxième
bataillon du 5ème régiment de tirailleurs sénégalais, conduit par un certain
commandant Aussudre, appuyé par un bataillon du 5ème régiment étranger
d'infanterie, stationné à Maghnia, et d'autres troupes ennemies, dont des
commandos de la DBFM (demi brigade de fusiliers marins) stationnée à
Ghazaouet et ses environs, (et dont Jacques Chirac avait fait partie) soit en
tout un effectif d'au moins mille soldats ennemis, furent envoyés pour déloger
les deux katibas. Le combat commença à l'avantage de l'ALN, qui avait ouvert
le feu sans attendre l'attaque ennemie. L’ aviation d'appui au sol fut appelée et
les avions de fabrication canadienne T6, armés de deux mitrailleuses et d'un
lance-roquettes, se ruèrent sur les jounoud. Un avion de bombardement B26,
pouvant lancer des bombes d'une tonne huit cents, fut appelé également à la
rescousse; les deux canons 155 stationnés dans le poste militaire de Ouled
Hasna (connu également sous le nom de Ain el-Kebira) intervinrent également
contre les deux katibas. Le combat dura quatre jours et s'étendit de l'autre

165
côté de la l'ancienne route de Tlemcen à Nédroma jusqu'à Oued el Sbaâ où la
katiba dans laquelle je me trouvais fut accrochée, perdit 8 jounoud et eut 12
blessés ; moi-même ne dus la vie sauve qu'au fait qu'un obus de mortier
ennemi tomba près sans exploser! Tétouan et une soixantaine de jounoud
perdirent la vie à Fillaoucène même; une cinquantaine furent blessés et
évacués vers un hôpital de fortune installé dans une grotte du djebel Sidi
Sofiane, où ceux atteints de blessures graves moururent rapidement faute de
soins, le seul infirmier dont disposait la zone ayant été tué au cours de la
bataille, sans compter l'absence quasi-totale de médicaments.
L'ALN n'aurait jamais dû accepter ce combat qu'elle n'était nullement
forcée de provoquer ou d'accepter, car cela n'avait aucun sens sur le plan
militaire et était perdu d'avance, car il ne changeait rien à la situation militaire
dans la zone frontière avec le Maroc ou dans la wilaya V, à moins,
évidemment, que l'on ne considère que l'objectif de la guerre de Libération fût
d’avoir autant de «chouhada» que possible, ce qui est le comble de l'absurdité
militaire. Après cette bataille, le capitaine Rachid eut le bon sens de dissoudre
la katiba qui était restée intacte et de retourner à l'ancienne stratégie fondée
sur de petites unités, ce qui évita à la zone V l'annihilation totale par l'ennemi!
La bataille de Fillaoucène, un haut fait d'armes, dont on ne peut être que fier,
constitua, néanmoins, un exemple particulièrement tragique du non-sens
militaire qui découlait de la stratégie erronée de Abane Ramdane. En
conclusion, il ne s'agit nullement de porter le blâme de cette triste et inutile
bataille sur Tétouan, qui y perdit la vie, ni sur les jounoud, qui firent preuve
d'un courage hors du commun, mais sur une stratégie mal pensée et que,
dans des conditions d'intendance et de logistique optimales, il était impossible
de mettre en pratique à l'intérieur du pays; l'une des conséquences de ce
cette stratégie, fut la création de l'armée des frontières.

166
167
Commandos au maquis

168
Annexe 4
Cinquante ans après, la parole se libère.

(El Watan, du: 03/11/2004, spécial 1er Novembre 1954).

L'histoire glorieuse de la Wilaya V se confond fortement d'abord avec


le colonel Lotfi et son adjoint le commandant Farradj, nous dira Ahmed
Bensadoun, ancien officier de l'ALN et proche compagnon des 2 héros de la
guerre de Libération tombés au champ d'honneur en mars 1960 à Djebel
Béchar. La wilaya en question, géographiquement la plus vaste par rapport
aux 6 autres, a été créée en 1954 sous l'appellation «secteur 5». Elle acquiert
le statut de wilaya après l'adoption de la plateforme de La Soummam en août
1956, nous apprendra notre interlocuteur. A sa naissance: cette wilaya est
placée sous le commandement de Larbi Ben M'hidi (jusqu'à son arrestation en
1957).

Le leader de la lutte de Libération avait comme adjoints Hadj Benalla


et Boussouf. Ce dernier sera désigné par le FLN comme deuxième chef de
cette wilaya après la mort, sous la torture, de Ben M'hidi et l'emprisonnement
à la maison d'arrêt d'Oran du second adjoint : Hadj Ben Alla. C'est le colonel
Lotfi qui ouvrira le front du Sud en septembre 1958. Une route q que les
médias français appelaient à l'époque «la route du pétrole», nous dira Ahmed
Bensadoun, capitaine de l'ALN en 1960. Les responsables de la Wilaya V
n'échapperont pas néanmoins aux convoitises des «frères moujahids» et
autres «guerres» des wilayas, et ce, dès 1957, nous informera Ahmed
Bensadoun qui nous apprend par ailleurs que «l'affaire» dite des
commandants Salah et Mohamed, dont parle Saïki dans son livre (une affaire
on des dizaines de djounoud, en grande partie des lettrés, passeront de vie à
trépas sous de fallacieuses accusations hissées par des frères de combat
infiltrés), est en partie due à ces luttes d'influence que se livraient des chefs
plus motivés par des intérêts personnels sordides que par une extinction de
la présence coloniale. Notre interlocuteur nous informe que le général de
Gaulle avait pensé un certain temps soustraire cette wilaya combattante du
reste du pays pour une «autonomie» qui arrangerait les affaires de la France
coloniale et de la minorité européenne exploitante. Une wilaya qui a
également payé le prix fort à la lutte de Libération après l'installation de la
ligne Morice, une ligne électrifiée qui a décimé des centaines, voire des
milliers de frontaliers et de djounoud et qui s'étend de la ville côtière de
Ghazaouet au sud de Béchar, sur pratiquement 1200 km. Ahmed Bensadoun

169
va prochainement éditer un «livre-brulot», avertira-il, sur son itinéraire de
combattant dans cette wilaya.

Il dit avoir assisté personnellement à des dépassements horribles et


inqualifiables à l'intérieur même des camps de l'ALN. Il compte aussi «dévoiler
avec des preuves», précisera-t-il, une partie de la face cachée de ce qu'on
appelle communément «le complot de la bleuite». «Mon témoignage
engendra un chaud débat sur la guerre de notre résistance armée dans la
Wilaya V et, partant, dans le pays tout entier», conclura-t-il.

B. B.A.

170
CONCLUSION

Deux ans presque jour pour jour avant le 19 Mars 1962


s’éteignait le colonel Lotfi, l’un des personnages les plus marquants de
la lutte pour l’indépendance.
Que dire de plus que ce qui l’a déjà été, qu’ajouter à cette masse
de témoignages de ses proches, de ses compagnons de combat, de tous
ceux qui l’on côtoyé ou combattu?
Sa carrière fulgurante au sein de l’ALN (colonel à 25ans en
seulement 03 ans), connue de tous, nous est confirmée par des archives
photographiques nombreuses et indiscutables.
Il a été beaucoup dit, parfois même trop. Il a été beaucoup
épilogué, parfois à tort. Mais ce que l’on peut affirmer avec certitude,
sans risque de se tromper, c’est l’envergure du personnage, son
incontestable culture, sa profonde intelligence et surtout son inaltérable
conviction en l’avenir de son pays.
Sa connaissance des hommes et ses clairvoyantes analyses
l’avaient amené à s’interroger sur les motivations profondes de certains
de ses compagnons, et la suite des événements, à laquelle il n’a pas
assisté, n’a fait que confirmer ses craintes.
Si ce n’était son sens de la discipline, qui l’a poussé à obéir à
l’ordre intimé à tous les colonels commandants de wilaya de rejoindre
l’intérieur, il serait peut être encore de ce monde.
Son martyr lui a peut être évité de profondes déceptions, mais qui
aurait pu, à l’époque, augurer de l’avenir?
Il a gardé intactes ses illusions en l’avenir de l’Algérie.

Paix à son âme.

171
Table des matières

Avertissement au lecteur
Préface
L’engagement du colonel Lotfi .............................................................................................1
Le Fida et Tlemcen .............................................................................................................47
Dahou Ould Kablia parle du Colonel Lotfi ...........................................................................55
Le colonel Lotfi raconté par Mohammed Lemkami .............................................................69
Le colonel Lotfi vu par Mohamed Chafik Mesbah ...............................................................73
Lotfi en action par Abdelghani Akbi ...................................................................................81
Activités du colonel Lotfi dans les zones sahariennes (par Allali).........................................87
Le Colonel Lotfi et l’affaire Zoubir (Messaoud Maadad)......................................................93
La mort du Colonel Lotfi et du Commandant Ferradj .........................................................99
Un devoir de mémoire (Bali B.).........................................................................................117
Etude socio économique (par le Colonel Lotfi)..................................................................123
Annexe 1 : Correspondances du Colonel Lotfi...................................................................149
Annexe 2 : Une heure d’entretien avec le Colonel Lotfi ....................................................157
Annexe 3 : Abane Ramdhane et la stratégie militaire de la guerre de libération
nationale .......................................................................................................163
Annexe 4 : Cinquante ans après la parole se libère ...........................................................169
Conclusion .......................................................................................................................171
Bellahcène BALI,
auteur des ouvrages suivants :

Série « Années sanglantes de la guerre de libération de l’Algérie »

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