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Contextes Et Interlocutions de La Chanson Kabyle de L'immigration en France (Années 1930 À 1970)
Contextes Et Interlocutions de La Chanson Kabyle de L'immigration en France (Années 1930 À 1970)
2013/1 N° 32 | pages 31 à 37
ISSN 0295-5245
DOI 10.3917/edb.032.0031
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-etudes-et-documents-berberes-2013-1-page-31.htm
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* Je remercie M. Ouahmi Ould-Braham qui a veillé à ce que cette contribution soit réussie, comme
je lui suis reconnaissante d’avoir revu mes transcriptions des termes et phases kabyles.
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quelques écoles françaises implantées en Kabylie ont contribué à ouvrir de nou-
veaux horizons à un certain nombre d’individus pour le problème de leur survie.
Avec l’industrialisation et le développement du mouvement ouvrier contes-
tataire en Europe, le gouvernement français, à la recherche d’une main-d’œuvre
docile, fera venir des ouvriers kabyles pour briser les mouvements de grève
dans diverses usines du pays. Après la Première Guerre mondiale de 1914-1918
qui verra une mobilisation importante d’Algériens, l’émigration algérienne sera
plus diversifiée quant à son origine. Paradoxe : après l’Indépendance de
l’Algérie, le mouvement migratoire va s’accélérer. Mais l’Algérie prend la
décision de l’arrêter en 1973 et la France en 1974, dès lors la destination des
Kabyles n’est plus la France mais les grandes villes du pays.
Pendant longtemps, jusqu’à la fin des années 1960, l’émigré kabyle, comme
les autres émigrés maghrébins, vit sa condition d’émigré comme transitoire car
il était profondément attaché à son pays où il rentrait régulièrement, où il avait
laissé sa famille, sa femme, ses enfants. Mais la France confrontée à un déficit
démographique ne cherchait pas à attirer seulement des travailleurs immigrés,
mais également des familles susceptibles d’être intégrées aisément, par le biais
du regroupement familial qui date de 1975. Le code de la nationalité, relati-
vement ouvert, accordait la nationalité française quasiment à tous ceux qui en
faisaient la demande.
La chanson d’émigration kabyle est née, à partir de 1920, de l’exode et de
l’exil des hommes spoliés de leur terre ancestrale. Des ouvriers, généralement
analphabètes et sans formation musicale savante, se retrouvent dans des cafés-
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I. AU PLAN DU CONTENU : ÉTAT DE LA QUESTION
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À partir de ce corpus réduit de locutions et de lexèmes indexés sur le champ
lexico-sémantique de l’émigration, nous pouvons d’emblée conjecturer sur la
stratégie globale d’illocution qui va servir à nos chanteurs pour construire
utilement, et à titre indicatif et méthodologique, un discours cohérent et bien
singulier, propre à porter le chant migratoire dans le corpus général du chant
berbère (kabyle), exprimant tout aussi bien le chant migratoire que la com-
plainte d’exil. Cela permet, et de manière didactique, de déterminer plus ou
moins les contextes situationnels d’émergence de ce type de chant. En pointant
les valeurs illocutoires des lexèmes et leurs portées lexico-sémantiques et
symboliques, nous pouvons détecter a priori les directions d’ajustement de
l’illocution en même temps que les forces illocutionnaires qui les sous-tendent
dans une perspective pragmalinguistique dans la conception de Searle, ou
encore performatives au sens où l’entend le linguiste Austin.
Quatre concepts-lexèmes clés structurent le champ sémantique migratoire
dans ces textes : abeṛṛani (l’étranger), lmenfi, jaḥeγ (l’exilé), aγrib (émigré),
beεden (ils sont éloignés). Il s’agit dans cette approche, non pas d’une focali-
sation sur l’expérience personnelle des chanteurs, même si elle peut avoir un
intérêt certain, mais d’une problématisation de la représentation et de l’expres-
sion du phénomène migratoire chez les chanteurs qui ont eu à cœur de chanter
cette dure situation vécue par des milliers d’Algériens et de Maghrébins.
En prospectant dans d’autres textes de ces chanteurs, aujourd’hui point focal
de notre intérêt circonstanciel, on constate que certains termes sont plus
occurrents et plus récurrents et signifient en fait de véritables matrices de
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conscience de la condition sociale, qui coloreront surtout ce type de discours. Il y
a dans l’usage de ce mot (avec ses variantes multiples) une tripolarité illocu-
tionnaire qui distribue les fonctionnalités de production, de réception et de
destination. Dans ce discours, le chanteur est omniprésent et s’implique. Il ne
chante pas pour autant sa condition propre mais celle de ceux à qui il s’adresse,
leur rappelant leur attache familiale, leur ancrage tribal, leur solidarité clanique
et même leurs attaches maraboutiques. Le chanteur devient un intermédiaire
entre l’émigré, sa famille restée au pays et son environnement de vie ou de survie
dans les cafés dortoirs. Il joue alors le rôle du vigile qui veille à la tradition et à la
permanence de la mémoire du temps de présence et du lieu de vie.
L’analyse de la double articulation permet de révéler les situations de
productions et les constellations discursives, comme elle permet d’aider à
repérer dans l’ensemble du corpus la circulation des stratégies linguistiques et
pragmatiques qui constituent l’écheveau du texte du chant migratoire et ce à
travers ses différentes variantes. Elle permet du même coup de distinguer
entre ce qui relève de l’argument fondamental, et de ce qui relève de
l’argument secondaire, et d’en déceler les manifestations et les articulations
complexes.
Pour ce qui est de l’illocution, à proprement parler, l’actant illocutionnaire
organisateur du discours se laisse identifier. Contrairement à la stratégie de
l’écrivain qui se profile à peine derrière le rideau de ses personnages, le
chanteur s’assume entièrement et parfois se cite. Cela a pour fonction non
pas d’exprimer un narcissisme mais d’appuyer la vérité, et d’appuyer la
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Le terme lmenfi a une très faible occurrence par rapport au terme aghrib.
Mais sa charge illocutionnaire est très forte et suffit à elle seule à lui conférer un
statut singulier. En effet, à la différence des termes précédents qui renvoient à
l’émigration au sens serré du terme, le mot lmenfi, réfère explicitement à la
sphère politique. Il s’agit de l’exil qui n’est l’expression ni d’un choix ni d’une
volonté délibérée comme c’est le cas dans jaḥeγ. De ce fait, la signification du
lexème va, dès lors, se moduler sur les lieux de réalisation contextuelle. Ainsi le
mot sera à portée de nostalgie affective dans un contexte textuel déterminé par
l’expérience heureuse ou malheureuse des rapports amoureux. Mais il sera de
portée idéologico-politique dans un autre contexte déterminé par les rapports
de force et de conflits de nature diverse. Dans le texte de Slimane Azem, il y a
une dimension d’ambiguïté qui ne permet pas de trancher. Pourtant le contexte
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textuel parle de l’émigration mais l’illocution semble, ici, prendre en charge
une portée d’ordre politique qui s’adresse aux émigrés et, de ce fait, distingue
entre sa situation et celle des émigrés, entre son statut et le leur. Dans son texte
Jaḥeγ bezzaf d ameẓẓyan, Akli Yahiatene, avec des mots très simples, se plaint
de sa situation d’amjaḥ (l’exilé), et d’être blâmé par medden (les autres) qui lui
causent mal et souffrance. En effet, rompre avec l’impératif de l’exil était aussi
considéré comme une véritable trahison. Il est aisé de comprendre tous les
regrets, ainsi que le désespoir de l’émigré qui n’a pu rester fidèle à ses
engagements.
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une sphère de signification déterminée par le statut économique d’actant sujet
de discours en situation d’interlocution avec d’autres actants discursifs objets.
Le discours met en perspective des stratégies à forte intentionnalité et à
densité intense d’intersubjectivité, nécessitant une attention singulière de
souci d’adaptation, adossée à une judicieuse et délicieuse stratégie illocutoire
à force illocutionnaire savamment dosée.
*
* *
Telles sont les études de cas de chanteurs qui nous paraissent les
plus représentatifs de cette problématique (contexte et interlocutions), en
l’occurrence Slimane Azem, Allaoua Zerrouki, Akli Yahiatene (d’autres col-
lègues, de leur côté, ont étudié entre autres El Hasnaoui, Hanifa ou Bahia
Farah). Cette chanson née dans les cafés dortoirs des grandes métropoles
industrielles françaises, tout particulièrement dans la région parisienne qui
connaît la plus dense concentration d’immigrés maghrébins, est un genre
esthétique qui va changer fondamentalement de caractère en passant assez
rapidement de son statut de discours de conjoncture vers un discours de
structure. En devenant structurelle, l’immigration va produire un texte et un
corpus qui sont marqués eux aussi par la logique du permanent structurel.
Karima AÏT MEZIANE
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RÉFÉRENCES
AUSTIN, John, Quand dire c’est faire, Paris, Seuil, 1970, 189 p. (Traduction par Gilles Lane
de How to do things with Words. The William James Lectures delivered at Harvard
University in 1955, Oxford, Urmson, 1962).
MAHFOUFI, Méhenna, « La chanson kabyle en immigration : une rétrospective », in
Hommes et Migrations, no 1179, septembre 1994, pp. 32-39.
SEARLE, John Rogers, Les actes de langage, 1972, 2e éd., Paris, Hermann, 2009, 213 p.
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