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CONTEXTES ET INTERLOCUTIONS DE LA CHANSON KABYLE DE

L’IMMIGRATION EN FRANCE (ANNÉES 1930 À 1970)

Karima Aït Méziane

La Boite à Documents | « Études et Documents Berbères »

2013/1 N° 32 | pages 31 à 37
ISSN 0295-5245
DOI 10.3917/edb.032.0031
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Études et Documents Berbères, 32, 2013 : pp. 31-37

CONTEXTES ET INTERLOCUTIONS DE LA CHANSON


KABYLE DE L’IMMIGRATION EN FRANCE
(ANNÉES 1930 À 1970)*
par
Karima Aït Méziane

La chanson de l’immigration algérienne en France particulièrement, et ce, sur


une période de près d’un demi siècle (1930-1980) revêt une importance évidente
au regard de ce que représente cette pensée organisée et diffusée par des textes
originaux et quelquefois d’une facture qui confère à la spontanéité de la poésie
orale et également par des voix livrées à elles-mêmes hors contraintes et à l’abri
de procédures draconiennes de contrôle (au sens foucaldien du terme).
Cette chanson a commencé par être exclusivement masculine pour chanter
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l’arrachement au sol natal, l’exil loin du pays des ancêtres, la séparation d’avec
les parents, la rupture des liens culturels traditionnels pour s’étoffer au fil des
ans d’une épaisseur mélodramatique amoureuse adossée à un fort sentiment de
nostalgie d’abord, puis de dépit ensuite et enfin de résignation.
Cette chanson, bien qu’essentiellement marquée par les usages culturels
(chants d’amour, chants de prières et d’espoir, chants à consonance sacrée,
chants revendicatifs divers) et linguistiques (langue amazighe, surtout dans
sa variante kabyle, mais également la langue arabe suivant son usage social le
plus large) régionaux va traduire à travers ses répertoires et ses registres les
préoccupations multiples des travailleurs immigrés algériens vivant le plus
souvent dans la proximité voire la promiscuité avec d’autres travailleurs
immigrés maghrébins, européens et africains.
Si, pour les précurseurs, l’immigration kabyle en France remonte au lendemain
de l’insurrection de 1871, elle ne deviendra, toutefois, significative qu’au début du
e
XX siècle. Le déséquilibre socio-économique est la raison principale du départ des
hommes en quête de ressources pour subvenir aux besoins de leurs foyers. Les

* Je remercie M. Ouahmi Ould-Braham qui a veillé à ce que cette contribution soit réussie, comme
je lui suis reconnaissante d’avoir revu mes transcriptions des termes et phases kabyles.

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quelques écoles françaises implantées en Kabylie ont contribué à ouvrir de nou-
veaux horizons à un certain nombre d’individus pour le problème de leur survie.
Avec l’industrialisation et le développement du mouvement ouvrier contes-
tataire en Europe, le gouvernement français, à la recherche d’une main-d’œuvre
docile, fera venir des ouvriers kabyles pour briser les mouvements de grève
dans diverses usines du pays. Après la Première Guerre mondiale de 1914-1918
qui verra une mobilisation importante d’Algériens, l’émigration algérienne sera
plus diversifiée quant à son origine. Paradoxe : après l’Indépendance de
l’Algérie, le mouvement migratoire va s’accélérer. Mais l’Algérie prend la
décision de l’arrêter en 1973 et la France en 1974, dès lors la destination des
Kabyles n’est plus la France mais les grandes villes du pays.
Pendant longtemps, jusqu’à la fin des années 1960, l’émigré kabyle, comme
les autres émigrés maghrébins, vit sa condition d’émigré comme transitoire car
il était profondément attaché à son pays où il rentrait régulièrement, où il avait
laissé sa famille, sa femme, ses enfants. Mais la France confrontée à un déficit
démographique ne cherchait pas à attirer seulement des travailleurs immigrés,
mais également des familles susceptibles d’être intégrées aisément, par le biais
du regroupement familial qui date de 1975. Le code de la nationalité, relati-
vement ouvert, accordait la nationalité française quasiment à tous ceux qui en
faisaient la demande.
La chanson d’émigration kabyle est née, à partir de 1920, de l’exode et de
l’exil des hommes spoliés de leur terre ancestrale. Des ouvriers, généralement
analphabètes et sans formation musicale savante, se retrouvent dans des cafés-
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bars, tenus principalement par des Kabyles, pour jouer de la musique. Les
thèmes principaux, qui se sont imposés à la chanson kabyle avant et après la
Seconde Guerre mondiale jusqu’aux années 1970, ont souvent trait à l’expé-
rience du quotidien, la désolation des campagnes, l’éclatement de la cellule
tribale, l’anonymat des villes, les départs massifs vers la métropole coloniale, les
dures conditions de travail dans les usines de France et, surtout, la nécessité de
réveiller les consciences. Cette chanson est l’expression des paysans émigrés en
France. Ces émigrés entendaient rester « paysans » malgré toutes les épreuves de
l’exil qui les arrachaient du sol natal en les envoyant dans un monde inconnu. Ils
restaient liés à leur communauté par un contrat d’une implacable rigueur avec
des échéances draconiennes : garantir la construction d’une maison, réunir la
somme d’argent nécessaire à un mariage, rembourser des dettes... et c’était
d’ailleurs à ces seules conditions que la communauté laissait partir quelques-uns
des siens. Pendant la guerre de libération, ces cafés servent de lieu de réunion
des villageois et accueillent les tournées d’artistes. Des collecteurs de fonds du
FLN y passent souvent pour réclamer « l’impôt révolutionnaire » aux artistes.

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I. AU PLAN DU CONTENU : ÉTAT DE LA QUESTION

Il est significatif de constater cette même évolution dans l’œuvre du poète Si


Mohand Ou Mhand. Œuvre qu’il a payée au prix d’une vie errante. Un demi-
siècle environ après la mort de Si Mohand, le terme timura acquiert une
dimension idéologique par l’ajout de la particule n-medden (= des autres),
qui renforce ainsi l’idée de l’exclusion de soi chez l’Autre. Cette expression
fortement récurrente dans la chanson kabyle sera ensuite élargie par le concept
de lγwerba dont les images imprimeront au texte chanté des connotations
métaphoriques. Cela est notamment sensible dans le répertoire chanté de
Slimane Azem.
Dans les textes, présentés et composés de strophes, nous relevons cinq mots-
clés qui investissent le champ lexical de l’émigration et qui donnent une idée
large de la conception de l’émigration chez Slimane Azem (D aγrib d abeṛṛa-
ni), Akli Yahiatene (Jaḥeγ bezzaf d ameẓẓyan) et Allaoua Zerrouki (A tesekkurt,
a tasekkurt). Ces mots-clés sont, par ordre d’entrée dans le corps même du
corpus, les suivants :
Lγwerba, abeṛṛani, timura n medden, lmenfi, chez Slimane Azem.
Aγrib, jaḥeγ, di tmura, abeṛṛani, ibeεden, n tmurt, lγwerba, chez Akli
Yahiatene.
Lγwwerba, yenfan, tamurt, chez Allaoua Zerrouki.
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Ces mots-clés sont inscrits contextuellement dans des structures phrastiques
fortement illocutoires (contexte textuel).
Dans le texte Aγrib d abeṛṛani de Slimane Azem, nous avons :
– Strophe 1, vers 1 : D aγrib d abeṛṛani
– Strophe 1, vers 2 : Di tmura n medden
– Strophe 3, vers 3 : Semman-i medden lmenfi
Et dans Jaḥeγ bezzaf d ameẓẓyan d’Akli Yahiatene :
– Strophe 1, vers 1 : Jaḥeγ bezzaf d ameẓẓyan
– Strophe 1, vers 3 : Di tmura ṛwiγ lemḥan
– Strophe 2, vers 1 : Kerhen-iyi medden irkwelli
– Strophe 2, vers 3 : Qqarn-as d abeṛṛani
– Strophe 4, vers 2 : Wigad ibeεden fell-i
En dernier, nous avons A tasekkurt, a tesekkurt de Allaoua Zerrouki où nous
trouvons :
– Strophe 4, vers 2 : D neţţa i-yenfan seg-gwexxam
– Strophe 4, vers 3 : Di lγwerba leεqel-iw meslub

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À partir de ce corpus réduit de locutions et de lexèmes indexés sur le champ
lexico-sémantique de l’émigration, nous pouvons d’emblée conjecturer sur la
stratégie globale d’illocution qui va servir à nos chanteurs pour construire
utilement, et à titre indicatif et méthodologique, un discours cohérent et bien
singulier, propre à porter le chant migratoire dans le corpus général du chant
berbère (kabyle), exprimant tout aussi bien le chant migratoire que la com-
plainte d’exil. Cela permet, et de manière didactique, de déterminer plus ou
moins les contextes situationnels d’émergence de ce type de chant. En pointant
les valeurs illocutoires des lexèmes et leurs portées lexico-sémantiques et
symboliques, nous pouvons détecter a priori les directions d’ajustement de
l’illocution en même temps que les forces illocutionnaires qui les sous-tendent
dans une perspective pragmalinguistique dans la conception de Searle, ou
encore performatives au sens où l’entend le linguiste Austin.
Quatre concepts-lexèmes clés structurent le champ sémantique migratoire
dans ces textes : abeṛṛani (l’étranger), lmenfi, jaḥeγ (l’exilé), aγrib (émigré),
beεden (ils sont éloignés). Il s’agit dans cette approche, non pas d’une focali-
sation sur l’expérience personnelle des chanteurs, même si elle peut avoir un
intérêt certain, mais d’une problématisation de la représentation et de l’expres-
sion du phénomène migratoire chez les chanteurs qui ont eu à cœur de chanter
cette dure situation vécue par des milliers d’Algériens et de Maghrébins.
En prospectant dans d’autres textes de ces chanteurs, aujourd’hui point focal
de notre intérêt circonstanciel, on constate que certains termes sont plus
occurrents et plus récurrents et signifient en fait de véritables matrices de
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sens et de constructions de logiques expressives et illocutionnaires.

II. LES TERMES AγRIB PUIS LγwEṚBA

Les termes sont spécifiques à l’éloignement plus ou moins volontaire du lieu


de souche ou de source et partant par extension sémantique référant essentiel-
lement à l’espace, ils ont désigné depuis le début du vingtième siècle le
mouvement migratoire vers la France d’abord, puis vers l’Europe ensuite
(contextualisation situationnelle). Ces termes sont inséparables de l’expérience
de la condition ouvrière car l’émigration était avant tout d’origine économique,
surtout au lendemain de la Première Guerre mondiale (1914-1918). Cette
contextualisation spatio-temporelle conditionne la production illocutoire et
détermine la force illocutionnaire. Il s’agit de chanter la condition de celui qui
s’est éloigné de sa famille et de son village pour aller gagner de quoi faire vivre
ses parents, les ascendants comme les descendants. La charge symbolique de ce
terme est, et restera longtemps, une charge fortement émotionnelle. Elle surdé-
terminera dans presque tous les textes les références nostalgiques, vécues sur le
mode de la fatalité, car ce sont les conditions économiques, et la modeste prise de

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conscience de la condition sociale, qui coloreront surtout ce type de discours. Il y
a dans l’usage de ce mot (avec ses variantes multiples) une tripolarité illocu-
tionnaire qui distribue les fonctionnalités de production, de réception et de
destination. Dans ce discours, le chanteur est omniprésent et s’implique. Il ne
chante pas pour autant sa condition propre mais celle de ceux à qui il s’adresse,
leur rappelant leur attache familiale, leur ancrage tribal, leur solidarité clanique
et même leurs attaches maraboutiques. Le chanteur devient un intermédiaire
entre l’émigré, sa famille restée au pays et son environnement de vie ou de survie
dans les cafés dortoirs. Il joue alors le rôle du vigile qui veille à la tradition et à la
permanence de la mémoire du temps de présence et du lieu de vie.
L’analyse de la double articulation permet de révéler les situations de
productions et les constellations discursives, comme elle permet d’aider à
repérer dans l’ensemble du corpus la circulation des stratégies linguistiques et
pragmatiques qui constituent l’écheveau du texte du chant migratoire et ce à
travers ses différentes variantes. Elle permet du même coup de distinguer
entre ce qui relève de l’argument fondamental, et de ce qui relève de
l’argument secondaire, et d’en déceler les manifestations et les articulations
complexes.
Pour ce qui est de l’illocution, à proprement parler, l’actant illocutionnaire
organisateur du discours se laisse identifier. Contrairement à la stratégie de
l’écrivain qui se profile à peine derrière le rideau de ses personnages, le
chanteur s’assume entièrement et parfois se cite. Cela a pour fonction non
pas d’exprimer un narcissisme mais d’appuyer la vérité, et d’appuyer la
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véracité et la réalité des situations décrites et des épreuves endurées. La
chanson de l’émigration ne relève plus, à ce moment, de la fiction. Elle a un
tout autre statut. Elle est un témoignage sur le vif et à vif.

III. LE SECOND LEXÈME, UN MORPHÈME COMPLEXE, LMENFI, JAḤEγ

Le terme lmenfi a une très faible occurrence par rapport au terme aghrib.
Mais sa charge illocutionnaire est très forte et suffit à elle seule à lui conférer un
statut singulier. En effet, à la différence des termes précédents qui renvoient à
l’émigration au sens serré du terme, le mot lmenfi, réfère explicitement à la
sphère politique. Il s’agit de l’exil qui n’est l’expression ni d’un choix ni d’une
volonté délibérée comme c’est le cas dans jaḥeγ. De ce fait, la signification du
lexème va, dès lors, se moduler sur les lieux de réalisation contextuelle. Ainsi le
mot sera à portée de nostalgie affective dans un contexte textuel déterminé par
l’expérience heureuse ou malheureuse des rapports amoureux. Mais il sera de
portée idéologico-politique dans un autre contexte déterminé par les rapports
de force et de conflits de nature diverse. Dans le texte de Slimane Azem, il y a
une dimension d’ambiguïté qui ne permet pas de trancher. Pourtant le contexte

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textuel parle de l’émigration mais l’illocution semble, ici, prendre en charge
une portée d’ordre politique qui s’adresse aux émigrés et, de ce fait, distingue
entre sa situation et celle des émigrés, entre son statut et le leur. Dans son texte
Jaḥeγ bezzaf d ameẓẓyan, Akli Yahiatene, avec des mots très simples, se plaint
de sa situation d’amjaḥ (l’exilé), et d’être blâmé par medden (les autres) qui lui
causent mal et souffrance. En effet, rompre avec l’impératif de l’exil était aussi
considéré comme une véritable trahison. Il est aisé de comprendre tous les
regrets, ainsi que le désespoir de l’émigré qui n’a pu rester fidèle à ses
engagements.

IV. LE LEXÈME ABEṚṚANI

Le terme, en une unique inscription comme le précédent, ne renvoie pas


explicitement et exclusivement à la réalité migratoire. Il réfère à la sphère
représentationnelle de la relation de différence. Ce qui ajoute à la force
illocutionnaire du lexème, c’est l’idée de l’exclusion et du déni de reconnais-
sance. La définition de l’immigration n’est plus économique ni explicitement
politique. Elle gagne en extension morale et psychologique ce qu’elle perd en
serrage de sens par rapport à la logique et au champ migratoire. L’intention
illocutoire est ici habilement ciblée et très fortement référentielle culturelle-
ment. La déclinaison du statut d’étranger du chanteur poète en présence de ses
auditeurs leur fait obligation de l’adopter, car il est de règle d’accueillir selon
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les normes ancestrales et traditionnelles de l’hospitalité. La charge émotion-
nelle est ici au summum.

V. LE QUATRIÈME LEXÈME BEεDEN, UNE SORTE D’INDICATEUR


D’ESPACE ET DE LIEU

Il est intimement lié au champ lexico-sémantique de l’émigration dans ces


textes. Mais il est, lui aussi, faiblement occurrent comme les deux précédents.
Ce terme est un simple indicateur spatial. Il ne se rend pas compte d’un statut ou
d’une situation sociale ou politique quelconque. Dans ces textes chantés, il
traduit une incitation à la prise de conscience nostalgique et au rappel de
l’éloignement des parents et des proches. Sa force illocutionnaire tient à sa
portée morale et psychologique déterminée par le contexte textuel de ces chants
de complainte. Il cible directement l’émotion des émigrés qui écoutent le chant
en méditant sur leur expérience de la séparation d’avec leurs proches. Ces
textes sur les chants migratoires de Slimane Azem, d’Akli Yahiatene et
d’Allaoua Zerrouki, présentent les caractéristiques du chant kabyle qui exprime
la rupture du lien ombilical avec la famille et le pays. Il se construit sur quatre
lexèmes-clés qui tissent une constellation de discours mettant en interaction

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une sphère de signification déterminée par le statut économique d’actant sujet
de discours en situation d’interlocution avec d’autres actants discursifs objets.
Le discours met en perspective des stratégies à forte intentionnalité et à
densité intense d’intersubjectivité, nécessitant une attention singulière de
souci d’adaptation, adossée à une judicieuse et délicieuse stratégie illocutoire
à force illocutionnaire savamment dosée.

*
* *

Telles sont les études de cas de chanteurs qui nous paraissent les
plus représentatifs de cette problématique (contexte et interlocutions), en
l’occurrence Slimane Azem, Allaoua Zerrouki, Akli Yahiatene (d’autres col-
lègues, de leur côté, ont étudié entre autres El Hasnaoui, Hanifa ou Bahia
Farah). Cette chanson née dans les cafés dortoirs des grandes métropoles
industrielles françaises, tout particulièrement dans la région parisienne qui
connaît la plus dense concentration d’immigrés maghrébins, est un genre
esthétique qui va changer fondamentalement de caractère en passant assez
rapidement de son statut de discours de conjoncture vers un discours de
structure. En devenant structurelle, l’immigration va produire un texte et un
corpus qui sont marqués eux aussi par la logique du permanent structurel.
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Université Alger 2

RÉFÉRENCES

AUSTIN, John, Quand dire c’est faire, Paris, Seuil, 1970, 189 p. (Traduction par Gilles Lane
de How to do things with Words. The William James Lectures delivered at Harvard
University in 1955, Oxford, Urmson, 1962).
MAHFOUFI, Méhenna, « La chanson kabyle en immigration : une rétrospective », in
Hommes et Migrations, no 1179, septembre 1994, pp. 32-39.
SEARLE, John Rogers, Les actes de langage, 1972, 2e éd., Paris, Hermann, 2009, 213 p.

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