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CRISE DES SUBPRIMES

Composition de l'article : 9 pages imprimées

Introduction
Sommaire
Introduction
Les quatre phases de la crise
La faillite d'un dogme
La finance moderne prise en défaut
Une crise du capitalisme financier
Les racines sociales de la crise
Un mode de développement écologiquement non soutenable
Une crise géopolitique
Quelles voies de sortie de crise ?
BIBLIOGRAPHIE

La très grande majorité des économistes ont vu dans la crise qui a débuté en 2007 un dysfonctionnement majeur de la sphère financière, lié
à un déficit de régulation, à la prolifération des produits dérivés et de la titrisation, à l'irresponsabilité des agences de notation, et au système
pervers de rémunération des dirigeants et des traders. Cette crise s'est en effet déclenchée dans le système financier des États-Unis, sur le
marché des subprimes, et s'est ensuite propagée dans le monde par des mécanismes financiers. Pourtant, une analyse approfondie montre
que, beaucoup plus que d'une crise financière, il s'agit d'une crise globale et systémique, dont les ressorts se trouvent au cœur même du
capitalisme et de la mondialisation. Il convient donc d'aller au-delà d'une lecture purement financière et conjoncturelle de cette crise.

Avant de procéder à une analyse approfondie de la crise des subprimes et d'en tirer les leçons, il est utile d'en retracer les différentes phases
et les principaux mécanismes, ce qui permettra de comprendre comment nous sommes passés d'une crise immobilière née aux États-Unis à
une crise financière internationale, puis à une crise économique à l'échelle mondiale.

Les quatre phases de la crise


La crise débute par un effondrement du marché de l'immobilier des États-Unis à partir de l'été de 2007. De 1996 à 2006, le prix de
l'immobilier résidentiel a triplé. Cette bulle immobilière a explosé à partir de 2007 avec l'augmentation des taux de défaut de
remboursement des prêts par les ménages. Ce retournement brutal a été provoqué par le changement de cap de la politique monétaire de la
banque centrale des États-Unis, la Réserve fédérale (la Fed). Depuis 2001, en réaction à l'éclatement de la bulle Internet et aux attentats du
11 septembre, la Réserve fédérale menait une politique monétaire très accommodante se traduisant par une forte baisse des taux d'intérêt.
De nombreux ménages en ont profité pour s'endetter à des conditions qui semblaient alors avantageuses. Mais ceux qui ont emprunté à
taux variable subissent de plein fouet la remontée des taux d'intérêt décidée à partir de 2004 par la Fed pour freiner la bulle immobilière.
Une spirale négative se produit alors, qui correspond à la première phase de la crise : la hausse des taux d'intérêt met les ménages en
difficulté, ceux-ci ne pouvant plus faire face à la charge de leur dette. Les défaillances touchent plus particulièrement le marché des crédits
subprimes, crédits immobiliers proposés à des ménages vulnérables, à faibles revenus et déjà endettés, qui ne présentent pas les garanties
financières suffisantes pour accéder aux emprunts normaux, dits primes. Ce type de crédit s'est fortement développé aux États-Unis, passant
de 35 milliards de dollars en 1994 à 600 milliards en 2006, ce qui représentait 10 p. 100 de la dette hypothécaire américaine et concernait
6 millions de ménages. En juin 2007, 17 p. 100 de ces ménages étaient défaillants, et un grand nombre d'entre eux ont été expulsés par les
créanciers désireux de revendre leurs maisons pour se rembourser, ce qui a précipité l'effondrement du marché immobilier.

Deux séries de facteurs ont contribué à cette situation. En premier lieu, les règles qui protégeaient les emprunteurs surendettés ont été
supprimées, dans le cadre des politiques de déréglementation menées par les pouvoirs publics. En second lieu, des techniques financières
sophistiquées ont été utilisées par les banques américaines pour diminuer leurs risques. La principale est la titrisation, qui permet aux
banques de transformer en titres les crédits risqués, pour les vendre ensuite sur les marchés financiers (ce sont les Mortgage Backed Securities,
ou M.B.S.). En recourant massivement à la titrisation, les banques américaines ont transféré à d'autres acteurs dans le monde entier une
grande partie des risques qu'elles prenaient. C'est ainsi que la crise immobilière née aux États-Unis est devenue, dans une seconde phase,
une crise financière internationale.
Les banques subissent d'importantes pertes, particulièrement aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Espagne, pays où les bulles
immobilières sont les plus importantes. L'ensemble des pertes subies par les banques dans le monde est estimé par le Fonds monétaire
international à 700 milliards de dollars en octobre 2008. Ces pertes sont dues principalement aux défaillances des emprunteurs et à la
dévalorisation des actifs créés en contrepartie des dettes immobilières des ménages américains. Les banques doivent faire face à une crise de
liquidités : elles ne trouvent plus les financements à court terme pour faire face à leur activité quotidienne, ce qui oblige les banques
centrales à leur prêter en urgence des montants considérables. Les gouvernements interviennent également pour renflouer les banques en
difficulté, afin d'éviter une crise systémique, c'est-à-dire un effondrement global du secteur bancaire. Plusieurs centaines de petites banques
font néanmoins faillite aux États-Unis. Mais la faillite la plus retentissante est celle de la cinquième banque d'affaires américaine, Lehman
Brothers, le 15 septembre 2008, journée qualifiée de « lundi noir », car elle a entraîné une panique sur les marchés financiers conduisant à
une baisse des cours de l'ordre de 30 p. 100. La crise déborde alors largement le cadre de la finance et se répercute lourdement sur l'activité
économique à l'échelle internationale, ce qui conduit à la troisième phase de la crise. La plupart des pays développés enregistrent un fort
ralentissement économique en 2008 et sont en récession en 2009 avec des taux de croissance négatifs. La crise économique se propage aux
pays émergents et en développement dont certains sont fortement dépendants des exportations à destination des pays développés.

La quatrième phase de la crise prend la forme d'une crise des dettes publiques. Les finances publiques des principaux pays industrialisés se
sont en effet fortement dégradées à la suite des politiques de sauvetage des banques et de soutien à l'activité économique. C'est ainsi, par
exemple, que le ratio dette/P.I.B. a augmenté de 60 p. 100 à 80 p. 100 en France et de 100 p. 100 à 160 p. 100 en Grèce de 2008 à 2011. La
crise de la dette privée, qui est à l'origine de la crise financière, a été « socialisée » par les gouvernements et s'est transformée en crise de la
dette publique. Le paradoxe est que ce sont les acteurs financiers (banques, agences de notation...), largement responsables de la crise
financière par leur mauvaise gestion des risques, qui ont joué un rôle moteur dans la crise de la dette publique, par leurs attaques
spéculatives contre les pays endettés. Une fois sauvés par l'action des gouvernements, les acteurs financiers n'ont pas hésité à spéculer
contre ces derniers, en prenant pour prétexte une hausse brutale de la dette publique dont ils sont responsables. La crise des dettes
souveraines est particulièrement grave dans la zone euro où les pays les plus fragilisés par la crise économique et financière – Grèce,
Irlande, Portugal – connaissent de graves difficultés qui ont révélé les insuffisances de la gouvernance et des politiques économiques dans
l'Union économique et monétaire européenne. Les plans de sauvetage successifs décidés en 2010 et 2011 ne parviennent pas à endiguer la
crise de la dette. De lourdes menaces pèsent sur l'avenir de la zone euro.

La crise des subprimes est ainsi devenue, en quatre phases successives, une crise globale qui va bien au-delà d'un dysfonctionnement du
système financier. En réalité, il s'agit d'une crise de nature systémique qui prend ses racines au cœur même du capitalisme financier et
mondialisé. Cette crise est multidimensionnelle – intellectuelle, financière, économique, écologique, sociale et politique. Chacune de ces six
dimensions donne un fil conducteur pour tirer les principales leçons de la crise.

La faillite d'un dogme


La première leçon qui s'impose est que nous sommes en présence d'une crise idéologique et intellectuelle. Pendant les trois dernières
décennies, les autorités et les élites ont été guidées par le « fondamentalisme du marché », selon l'expression de George Soros : la croyance
que les marchés tendent vers l'équilibre et que les déviations par rapport à ce dernier sont temporaires. Les politiques de dérégulation et les
innovations financières sont fondées sur cette croyance. Or celle-ci est remise en cause par la crise en cours, dans le monde tant
académique que professionnel. Les innovations sont restées non régulées par les autorités à cause de cette hypothèse fallacieuse selon
laquelle les marchés s'autorégulent. En fait, les autorités devraient savoir que les grandes crises (1987, 2000...) ont été évitées jusqu'ici du fait
de leurs interventions et non de la capacité des marchés à retrouver leur équilibre. Les autorités et les acteurs financiers, aveuglés par leur
fondamentalisme de marché, n'ont pas vu venir la crise en cours. Il serait essentiel que, dans les salles de marché comme dans les
universités, on admette qu'il existe une autre représentation théorique des marchés, plus proche de la réalité, comme le reconnaissent les
professionnels les plus éclairés. Les marchés fonctionnent sur la base du mimétisme et des interactions entre des acteurs travaillant en
information incomplète et avec une rationalité limitée, ce qui peut conduire – en l'absence de régulation appropriée – à des équilibres
multiples, ainsi qu'à une évolution chaotique et désordonnée des prix d'actifs dont la crise des subprimes donne une illustration éclatante. Il
convient de procéder à un aggiornamento du paradigme néolibéral qui a abouti à une dérégulation excessive des marchés financiers et de
leurs acteurs. Si les autorités américaines n'avaient pas supprimé les règles de protection des ménages surendettés, il est probable que la
crise des subprimes n'aurait pas eu lieu. Il faut corriger une grande erreur commise par la théorie économique classique à propos du
fonctionnement et de la nature des marchés. Selon cette dernière, le fonctionnement des marchés se réduirait à une interaction entre l'offre
et la demande conduisant à la détermination de prix d'équilibre. Il suffirait de laisser jouer la concurrence sur les marchés pour qu'ils
fonctionnent d'une manière optimale. Cette conception des marchés est contestable. Le paradoxe des marchés est en effet que ceux-ci ont
besoin d'être encadrés par un ensemble d'institutions. Ce qui est très différent du laissez-faire qui est au cœur de la doctrine néolibérale.
Des historiens tels que Fernand Braudel ont montré que, depuis des siècles, le bon fonctionnement des marchés est directement lié à la
qualité des institutions publiques chargées de les organiser et de les contrôler.

La finance moderne prise en défaut


La crise qui a débuté en 2007 conduit à une deuxième leçon : la remise en cause des vertus supposées de la finance moderne. La crise a en
effet révélé que la finance contemporaine n'est pas en mesure de remplir ses trois fonctions principales, telles qu'elles sont énoncées dans la
plupart des manuels d'économie : permettre l'allocation optimale des ressources financières, évaluer les entreprises et favoriser la gestion
des risques. Dans ces trois domaines, il y a un fossé considérable entre la réalité et cette vision théorique erronée enseignée dans les
meilleures universités, sous l'expression « efficience des marchés ». La finance internationale contribue à polariser les flux financiers sur un
nombre limité d'acteurs et de pays avancés, alors qu'elle devrait se diriger vers les pays en développement où la rareté du capital est la plus
grande. C'est ainsi que moins de 40 p. 100 des investissements directs à l'étranger (I.D.E.), qui servent à la construction d'usines et au rachat
d'entreprises, vont vers les pays en développement (y compris les pays émergents) qui représentent 80 p. 100 de la population mondiale.
L'un des chefs de file de l'économie néoclassique, le Prix Nobel Robert Lucas a qualifié de « paradoxe » cette contradiction entre les faits et
la théorie en ce qui concerne l'allocation du capital dans l'économie mondiale... Concernant la capacité des marchés à évaluer les
entreprises : nombreux sont les travaux, menés notamment dans le cadre de l'économie expérimentale, qui montrent que les prix des
actions qui se forment sur les marchés boursiers ne convergent pas en général vers leur valeur d'équilibre fondamental. Les prix financiers
(c'est vrai aussi pour les taux de change) sont systématiquement en décalage par rapport à leur valeur économique fondamentale, ce qui
signifie que leur capacité à évaluer les entreprises (ou les monnaies) est presque toujours prise en défaut. Si l'on s'intéresse maintenant à la
troisième vertu supposée des marchés financiers – leur capacité à gérer les risques –, la crise actuelle apporte là encore un démenti cinglant.
La titrisation et les produits dérivés ont transformé les banques en courtiers qui ont transféré une part croissante de leurs risques aux
marchés, comme on l'a vu plus haut. Sachant qu'elles ne porteraient pas les risques liés à leurs opérations de financement, les banques
commerciales ont eu tendance à s'exposer à des prises de risques excessives. Les banques d'investissement en charge de la titrisation se sont
mises à mixer des risques de nature différente, créant des produits complexes dont le risque est difficile à évaluer. L'opacité des opérations
s'est trouvée renforcée du fait que les produits titrisés sont échangés sur des marchés de gré à gré non régulés. Il faut ajouter à ce tableau les
agences de notation qui n'ont pas joué leur rôle : piégées par des conflits d'intérêts, elles ont été amenées à donner la même note AAA à des
bons du Trésor sans risque et à des produits structurés contenant des actifs « toxiques ». La titrisation, innovation phare de la finance
moderne, n'a pas pour rôle de faire porter les risques par les agents supposés être les plus aptes à les porter, comme on l'affirme souvent.
Elle tend plutôt à accroître le niveau global du risque dans le système financier. La crise financière a précisément résulté d'une
concentration extraordinaire de risques par une minorité de banques et de fonds d'investissement (notamment les hedge funds). Ce qui s'est
produit dans le système financier international est tout simplement le contraire d'une gestion efficace des risques, laquelle doit être fondée
sur les principes d'évaluation, de couverture et de diversification des risques.

Une crise du capitalisme financier


La crise qui a débuté en 2007 va au-delà d'un dérèglement de la finance et revêt une dimension systémique. Il s'agit en effet d'une crise
globale du système économique dominant. Plusieurs facteurs sous-tendent cette troisième conclusion. En premier lieu, cette crise a frappé
en priorité les pays les plus avancés de la planète, à commencer par les États-Unis, qui constituent le centre du capitalisme mondial. C'est là
une différence majeure avec les crises financières des années 1990 qui avaient principalement ébranlé les pays de la périphérie nouvellement
ouverts à la finance internationale, souvent qualifiés de « marchés émergents ». En second lieu, la crise qui a débuté en 2007 résulte des
contradictions internes du régime de croissance qui s'est mis en place dans les pays avancés à partir des années 1980, et que les économistes
ont qualifié de capitalisme financier mondialisé. En Europe, les pays les plus ébranlés par la crise sont ceux dont les caractéristiques se
rapprochent le plus du capitalisme financier tel qu'il fonctionne aux États-Unis, en particulier le Royaume-Uni, l'Espagne ou l'Irlande. Les
caractéristiques communes à ces différents pays sont notamment l'importance des secteurs immobiliers (30 p. 100 du P.I.B. en Irlande,
11 p. 100 du P.I.B. en Espagne), l'hypertrophie de systèmes financiers largement dérégulés, ainsi que le niveau très élevé d'endettement des
ménages.

Le fonctionnement du capitalisme financier et mondialisé à l'échelle internationale peut être caractérisé de la manière suivante : la
mondialisation néolibérale, fondée sur la libre circulation des marchandises et des capitaux, a mis en concurrence les travailleurs des pays
riches et des pays en développement, pesant ainsi sur les salaires dans les pays avancés ; le partage de la valeur ajoutée s'est déplacé dans la
plupart des pays en faveur des profits et au détriment des rémunérations salariales ; par ailleurs, le partage des profits s'est modifié en faveur
des actionnaires, au détriment de l'épargne (autofinancement) des entreprises. Les détenteurs du capital financier sont les grands
bénéficiaires de cette nouvelle répartition des richesses, ce qui a contribué à creuser les inégalités au profit d'une minorité de ménages, avec
un développement parallèle des bas salaires. La mondialisation a mis en concurrence non seulement les salariés, mais également les États,
leurs systèmes fiscaux et sociaux, entraînant une dégradation de la protection sociale et une remise en cause des politiques de redistribution
des revenus dans les pays avancés.

Les racines sociales de la crise


La stagnation des revenus bas et moyens aux États-Unis aurait dû entraîner un ralentissement de la demande des ménages. Mais, en
favorisant leur endettement, le système financier américain a permis aux ménages d'accroître leurs dépenses. La dette a temporairement
joué le rôle de substitut à la hausse du pouvoir d'achat des revenus. C'est ainsi que les ménages américains, dont la dépense est passée de
60 p. 100 à 70 p. 100 du P.I.B., ont joué le rôle de « consommateurs en dernier ressort » de l'économie mondiale. La progression soutenue
de la consommation américaine a en effet tiré la croissance mondiale depuis le début des années 2000, ce dont ont largement profité les
pays émergents, Chine en tête. Or cette évolution a entraîné une montée vertigineuse de la dette interne et externe des États-Unis. Ce
régime de croissance mondial, fondé sur la consommation et la dette américaines, a pu fonctionner durablement dans la mesure où le dollar
joue le rôle de devise clé dans les relations monétaires internationales. Ce qui a amené tous les pays créanciers des États-Unis à accepter les
dollars émis par ces derniers, permettant ainsi un « financement sans pleurs » de leur balance des paiements, selon l'expression de Jacques
Rueff.

Le déclenchement de la crise aux États-Unis vient de ce que le recours massif à l'endettement des ménages, destiné à pallier l'insuffisance
du pouvoir d'achat de leurs revenus, a atteint ses limites à partir de 2007. Il en est résulté un effondrement de la demande des ménages, ce
qui a entraîné un fort ralentissement de la croissance non seulement dans les pays avancés directement frappés par la crise, mais aussi dans
les pays émergents, privés de leurs débouchés aux États-Unis, en Europe et au Japon.

Une leçon importante est que les racines profondes de cette crise se trouvent dans l'inégalité du partage des revenus dans les pays avancés.
Il y a là une contradiction interne majeure du capitalisme financier. Pour extraire leur rente, les détenteurs du capital financier ont besoin
d'un partage des revenus défavorable aux salariés. Mais la montée de la dette des ménages qui en résulte ne peut être durable, ce qui conduit
fatalement à une crise de surendettement. Cette analyse, qui montre les racines sociales de la crise économique et financière contemporaine,
rejoint celle développée par deux économistes américains dont les analyses font autorité, John Kenneth Galbraith et Paul Krugman. Le
premier a montré que la crise de 1929 était également liée à de fortes inégalités de revenus et de patrimoines, d'une ampleur analogue à celle
de la période actuelle. De son côté, Paul Krugman, Prix Nobel d'économie 2008, compare les crises de 1929 et de 2007, et montre
comment la montée des inégalités sociales et de la dette est au cœur de ces deux crises majeures du capitalisme. Des travaux statistiques
récents indiquent ainsi qu'aux États-Unis la part du revenu national allant au décile (10 p. 100) des ménages les plus riches approche le
sommet de 50 p. 100 à la veille de la crise en 2007, c'est-à-dire le même niveau exceptionnel atteint au moment de la crise de 1929.

Paul Krugman
Paul Krugman, qui dès 2005 avait mis en garde contre le risque d'éclatement de la bulle
immobilière, considère la crise financière contemporaine comme une crise systémique du
capitalisme et de l'ultralibéralisme. Préconisant une hausse de la fiscalité et un interventionnisme
public plus important, l…

photographie Crédits: D. Applewhite/ Princeton University Office of Communications

Un mode de développement écologiquement non soutenable


L'aggravation de la crise écologique constitue une autre composante essentielle de la crise contemporaine. Même si leurs temporalités sont
différentes (la question écologique est ancienne et liée à la société industrielle née à la fin du XIXe siècle), les différentes dimensions –
 financière, économique, sociale, écologique – de la crise actuelle sont étroitement imbriquées. Ainsi, l'accélération récente du processus de
réchauffement climatique, mise en lumière par les travaux du G.I.E.C. (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat),
est concomitante à l'émergence du capitalisme financier à la fin des années 1970. La recherche de rendements financiers élevés a été
satisfaite en grande partie par une surexploitation, non seulement du travail, mais également de la planète et de son écosystème. Or cette
surexploitation de la planète a atteint ses limites, comme le montrent notamment les perspectives prochaines d'épuisement des ressources
naturelles non renouvelables. Proposée aux Nations unies dans les années 1980 par le rapport Bruntland, la notion de développement
durable, qui « répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », est d'une grande
actualité. Un nouveau mode de développement, respectueux de l'environnement, s'impose d'une manière critique pour faire face à
l'augmentation prévue de 50 p. 100 de la population mondiale à l'horizon de 2050. On ne sortira pas de la crise sans un changement
profond de l'édifice économique et social en crise en ce début de XXIe siècle.

Une crise géopolitique


« Last, but not least », la crise en cours a également une dimension géopolitique majeure. En effet, les graves soubresauts qui se produisent
depuis 2007 ont conduit à un affaiblissement des économies les plus riches, et en particulier des États-Unis, relativement aux grands pays
émergents – Brésil, Russie, Inde, Chine, désignés couramment par l'abréviation B.R.I.C., dont la montée en puissance est spectaculaire en
ce début de XXIe siècle. Mais, en même temps, ces deux groupes de pays se trouvent étroitement liés les uns aux autres. Comme on l'a vu,
c'est la consommation des ménages américains qui a largement tiré la croissance des pays émergents. Et ce sont ces derniers pays qui ont
financé le déficit extérieur des États-Unis. La faiblesse de l'épargne des ménages américains a été compensée par le niveau élevé, et en partie
contraint, de l'épargne des pays asiatiques. La relation complémentaire États-Unis - Chine, la ChinAmerica, a fait système depuis le début des
années 2000. Mais la crise des subprimes et ses prolongements dans les pays de la périphérie ne remettent-ils pas en cause les fondements
financiers et macroéconomiques de ces relations internationales ? Les déclarations des dirigeants chinois, inquiets pour la valeur future de
leurs créances sur les États-Unis, à la veille du sommet du G20 de Londres du 2 avril 2009, reflètent ces tensions internationales d'un genre
nouveau. La crise apparaît ainsi comme un révélateur des insuffisances du système de gouvernance mondiale, construit dans l'après-guerre
sous la domination des États-Unis – dont les deux piliers principaux sont les Nations unies et le Fonds monétaire international –, et qui
n'est plus adapté aux nouveaux rapports de force internationaux. Il n'est pas sûr que l'entrée en lice du G20 en 2008, au début de la crise,
soit la meilleure solution pour refonder la gouvernance de la planète, ainsi que le montre l'incapacité où se trouve ce club des États les plus
puissants de promouvoir une réforme pourtant nécessaire du système financier international.

Quelles voies de sortie de crise ?


La sortie de crise et l'avenir de l'économie mondiale dépendront largement des réformes et des politiques qui seront mises en œuvre. De ce
point de vue, l'expérience historique est riche d'enseignements. Les économistes s'accordent en effet pour considérer que la crise qui a
débuté en 2007 est la plus profonde depuis celle de 1929. Une comparaison avec les politiques menées après la grande dépression de 1929
est instructive. Pour lutter contre la crise, l'administration Roosevelt a mis en œuvre une politique ambitieuse fondée sur des réformes
radicales de 1933 à 1938, le New Deal. Trois séries de réformes méritent d'être mentionnées. Tout d'abord, le New Deal a pris la forme
d'investissements publics de grande ampleur, notamment dans le domaine de l'énergie, avec un vaste programme de construction de
barrages (notamment la création de la Tennessee Valley Authority qui construisit toute une série de barrages hydroélectriques dans sept
États. Ensuite, un contrôle strict du système bancaire et financier a été mis en œuvre avec le Banking Act et le Steagal Act de 1933, qui a
abouti au démantèlement des grandes banques en séparant les banques de dépôts des banques d'investissement. Enfin, une réforme fiscale
a été décidée aux fins de réduire les inégalités de revenus, dont on a vu qu'elles étaient une des racines de la crise en 1929, comme en 2007.
Roosevelt a en effet mis en place un impôt sur les revenus fortement progressif qui a largement contribué à ce que les économistes
américains ont appelé « la grande compression » des inégalités de revenus. Les trois domaines stratégiques des réformes du New Deal qui
viennent d'être mentionnés – finance, énergie, fiscalité – devraient également être les axes prioritaires des politiques de sortie de la crise des
subprimes.

En ce qui concerne le système financier, une réforme profonde apparaît indispensable pour réduire le risque de crises futures. Cette
réforme de la finance est la priorité affichée par le G20, au début de la crise. L'un des grands dangers pour le système financier international
est constitué par les grands groupes bancaires dits « systémiques » – au nombre de vingt-neuf et dont quatre sont français –, dont la faillite
peut déstabiliser le système financier international, comme l'a montré la défaillance de Lehman Brothers en septembre 2009. Les réformes
décidées dans les principaux pays du G20, notamment le Dodd & Frank Act voté aux États-Unis en juillet 2010 et la loi de séparation et de
régulation des activités bancaires votée en juin 2013 en France, sont d'une grande prudence et ne s'attaquent pas au pouvoir des grandes
banques. Aucun pays n'a décidé de démanteler les grands conglomérats financiers pour séparer la banque de détail de la banque
d'investissement, à la différence des mesures décidées par Roosevelt en 1933 et supprimées par le président Clinton en 1999. Le pouvoir
considérable du lobbying financier fait barrage à toute réforme financière permettant de contrôler la finance pour la mettre au service de
l'intérêt général.

Dans le domaine de l'énergie, l'un des grands défis est de réduire le réchauffement climatique par une réduction des gaz à effet de serre
émis par les énergies fossiles. Des investissements considérables sont nécessaires pour développer des sources d'énergie alternatives non
polluantes. Les négociations internationales organisées par les Nations unies (Copenhague en 2009, Cancún en 2010 et Durban en 2011)
n'ont pas permis d'aboutir à un accord contraignant pour les pays industrialisés conduisant à répartir équitablement entre les pays du Nord
et du Sud les efforts d'investissement qui permettraient de réduire les émissions des gaz à effet de serre et de maintenir le réchauffement
climatique de la planète au-dessous du seuil critique de 2 0C.

Enfin, la question de la distribution des revenus et des richesses, dont on a vu qu'elle est une des racines de la crise de la dette, est au centre
des débats politiques : les opinions publiques sont scandalisées par les revenus indécents perçus par les cadres de la finance, d'autant plus
que ces derniers ont une grande part de responsabilité dans la crise. Dans les pays démocratiques, la fiscalité est le principal instrument de
redistribution des revenus. Sera-t-il possible au XXIe siècle, dans le contexte de la mondialisation et de la concurrence fiscale, de procéder à
une réforme de la fiscalité de manière à rendre celle-ci plus redistributive et équitable, ainsi que l'avait fait Roosevelt au lendemain de la
crise de 1929 ? La dimension sociale, qui était au cœur du New Deal, est largement absente des politiques menées dans les pays avancés les
plus touchés par la crise économique des années 2010. Dans l'Union européenne, les politiques d'austérité mises en œuvre par les
gouvernements pour tenter d'enrayer la crise des dettes souveraines sont à la fois inefficaces et injustes. Inefficaces, car elles aggravent la
récession et compromettent la capacité des pays à rembourser leurs dettes. Injustes, car, en privilégiant la réduction des dépenses publiques
plutôt que des réformes fiscales redistributives, ces politiques frappent plus particulièrement les couches sociales les plus vulnérables. Ainsi
s'expliquent les mouvements sociaux importants et inédits, nombreux en Europe, tels que celui des Indignados en Espagne qui concerne
les jeunes, durement touchés par un taux de chômage insoutenable supérieur à 50 p. 100 ! De même, un grand nombre d'économistes se
sont mobilisés pour réagir contre les politiques menées dans les pays de la zone euro, jugées économiquement inefficaces et socialement
injustes. Dans leur Manifeste d'économistes atterrés signés par 7 500 d'entre eux, il est montré que d'autres politiques sont possibles et
nécessaires pour une sortie de crise « par le haut », fondées notamment sur un contrôle strict du système financier et une politique
ambitieuse d’investissements publics d’avenir à l’échelle européenne dans les domaines clés du savoir et de l’énergie .
Dominique PLIHON

Pour citer cet article


Dominique PLIHON, « CRISE DES SUBPRIMES  ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 17
novembre 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/crise-des-subprimes/

Auteur de l'article
Dominique PLIHON
Professeur d'économie à l'université de Paris-XIII-Villetaneuse.

BIBLIOGRAPHIE
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