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Introduction
Sommaire
Introduction
Les quatre phases de la crise
La faillite d'un dogme
La finance moderne prise en défaut
Une crise du capitalisme financier
Les racines sociales de la crise
Un mode de développement écologiquement non soutenable
Une crise géopolitique
Quelles voies de sortie de crise ?
BIBLIOGRAPHIE
La très grande majorité des économistes ont vu dans la crise qui a débuté en 2007 un dysfonctionnement majeur de la sphère financière, lié
à un déficit de régulation, à la prolifération des produits dérivés et de la titrisation, à l'irresponsabilité des agences de notation, et au système
pervers de rémunération des dirigeants et des traders. Cette crise s'est en effet déclenchée dans le système financier des États-Unis, sur le
marché des subprimes, et s'est ensuite propagée dans le monde par des mécanismes financiers. Pourtant, une analyse approfondie montre
que, beaucoup plus que d'une crise financière, il s'agit d'une crise globale et systémique, dont les ressorts se trouvent au cœur même du
capitalisme et de la mondialisation. Il convient donc d'aller au-delà d'une lecture purement financière et conjoncturelle de cette crise.
Avant de procéder à une analyse approfondie de la crise des subprimes et d'en tirer les leçons, il est utile d'en retracer les différentes phases
et les principaux mécanismes, ce qui permettra de comprendre comment nous sommes passés d'une crise immobilière née aux États-Unis à
une crise financière internationale, puis à une crise économique à l'échelle mondiale.
Deux séries de facteurs ont contribué à cette situation. En premier lieu, les règles qui protégeaient les emprunteurs surendettés ont été
supprimées, dans le cadre des politiques de déréglementation menées par les pouvoirs publics. En second lieu, des techniques financières
sophistiquées ont été utilisées par les banques américaines pour diminuer leurs risques. La principale est la titrisation, qui permet aux
banques de transformer en titres les crédits risqués, pour les vendre ensuite sur les marchés financiers (ce sont les Mortgage Backed Securities,
ou M.B.S.). En recourant massivement à la titrisation, les banques américaines ont transféré à d'autres acteurs dans le monde entier une
grande partie des risques qu'elles prenaient. C'est ainsi que la crise immobilière née aux États-Unis est devenue, dans une seconde phase,
une crise financière internationale.
Les banques subissent d'importantes pertes, particulièrement aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Espagne, pays où les bulles
immobilières sont les plus importantes. L'ensemble des pertes subies par les banques dans le monde est estimé par le Fonds monétaire
international à 700 milliards de dollars en octobre 2008. Ces pertes sont dues principalement aux défaillances des emprunteurs et à la
dévalorisation des actifs créés en contrepartie des dettes immobilières des ménages américains. Les banques doivent faire face à une crise de
liquidités : elles ne trouvent plus les financements à court terme pour faire face à leur activité quotidienne, ce qui oblige les banques
centrales à leur prêter en urgence des montants considérables. Les gouvernements interviennent également pour renflouer les banques en
difficulté, afin d'éviter une crise systémique, c'est-à-dire un effondrement global du secteur bancaire. Plusieurs centaines de petites banques
font néanmoins faillite aux États-Unis. Mais la faillite la plus retentissante est celle de la cinquième banque d'affaires américaine, Lehman
Brothers, le 15 septembre 2008, journée qualifiée de « lundi noir », car elle a entraîné une panique sur les marchés financiers conduisant à
une baisse des cours de l'ordre de 30 p. 100. La crise déborde alors largement le cadre de la finance et se répercute lourdement sur l'activité
économique à l'échelle internationale, ce qui conduit à la troisième phase de la crise. La plupart des pays développés enregistrent un fort
ralentissement économique en 2008 et sont en récession en 2009 avec des taux de croissance négatifs. La crise économique se propage aux
pays émergents et en développement dont certains sont fortement dépendants des exportations à destination des pays développés.
La quatrième phase de la crise prend la forme d'une crise des dettes publiques. Les finances publiques des principaux pays industrialisés se
sont en effet fortement dégradées à la suite des politiques de sauvetage des banques et de soutien à l'activité économique. C'est ainsi, par
exemple, que le ratio dette/P.I.B. a augmenté de 60 p. 100 à 80 p. 100 en France et de 100 p. 100 à 160 p. 100 en Grèce de 2008 à 2011. La
crise de la dette privée, qui est à l'origine de la crise financière, a été « socialisée » par les gouvernements et s'est transformée en crise de la
dette publique. Le paradoxe est que ce sont les acteurs financiers (banques, agences de notation...), largement responsables de la crise
financière par leur mauvaise gestion des risques, qui ont joué un rôle moteur dans la crise de la dette publique, par leurs attaques
spéculatives contre les pays endettés. Une fois sauvés par l'action des gouvernements, les acteurs financiers n'ont pas hésité à spéculer
contre ces derniers, en prenant pour prétexte une hausse brutale de la dette publique dont ils sont responsables. La crise des dettes
souveraines est particulièrement grave dans la zone euro où les pays les plus fragilisés par la crise économique et financière – Grèce,
Irlande, Portugal – connaissent de graves difficultés qui ont révélé les insuffisances de la gouvernance et des politiques économiques dans
l'Union économique et monétaire européenne. Les plans de sauvetage successifs décidés en 2010 et 2011 ne parviennent pas à endiguer la
crise de la dette. De lourdes menaces pèsent sur l'avenir de la zone euro.
La crise des subprimes est ainsi devenue, en quatre phases successives, une crise globale qui va bien au-delà d'un dysfonctionnement du
système financier. En réalité, il s'agit d'une crise de nature systémique qui prend ses racines au cœur même du capitalisme financier et
mondialisé. Cette crise est multidimensionnelle – intellectuelle, financière, économique, écologique, sociale et politique. Chacune de ces six
dimensions donne un fil conducteur pour tirer les principales leçons de la crise.
Le fonctionnement du capitalisme financier et mondialisé à l'échelle internationale peut être caractérisé de la manière suivante : la
mondialisation néolibérale, fondée sur la libre circulation des marchandises et des capitaux, a mis en concurrence les travailleurs des pays
riches et des pays en développement, pesant ainsi sur les salaires dans les pays avancés ; le partage de la valeur ajoutée s'est déplacé dans la
plupart des pays en faveur des profits et au détriment des rémunérations salariales ; par ailleurs, le partage des profits s'est modifié en faveur
des actionnaires, au détriment de l'épargne (autofinancement) des entreprises. Les détenteurs du capital financier sont les grands
bénéficiaires de cette nouvelle répartition des richesses, ce qui a contribué à creuser les inégalités au profit d'une minorité de ménages, avec
un développement parallèle des bas salaires. La mondialisation a mis en concurrence non seulement les salariés, mais également les États,
leurs systèmes fiscaux et sociaux, entraînant une dégradation de la protection sociale et une remise en cause des politiques de redistribution
des revenus dans les pays avancés.
Le déclenchement de la crise aux États-Unis vient de ce que le recours massif à l'endettement des ménages, destiné à pallier l'insuffisance
du pouvoir d'achat de leurs revenus, a atteint ses limites à partir de 2007. Il en est résulté un effondrement de la demande des ménages, ce
qui a entraîné un fort ralentissement de la croissance non seulement dans les pays avancés directement frappés par la crise, mais aussi dans
les pays émergents, privés de leurs débouchés aux États-Unis, en Europe et au Japon.
Une leçon importante est que les racines profondes de cette crise se trouvent dans l'inégalité du partage des revenus dans les pays avancés.
Il y a là une contradiction interne majeure du capitalisme financier. Pour extraire leur rente, les détenteurs du capital financier ont besoin
d'un partage des revenus défavorable aux salariés. Mais la montée de la dette des ménages qui en résulte ne peut être durable, ce qui conduit
fatalement à une crise de surendettement. Cette analyse, qui montre les racines sociales de la crise économique et financière contemporaine,
rejoint celle développée par deux économistes américains dont les analyses font autorité, John Kenneth Galbraith et Paul Krugman. Le
premier a montré que la crise de 1929 était également liée à de fortes inégalités de revenus et de patrimoines, d'une ampleur analogue à celle
de la période actuelle. De son côté, Paul Krugman, Prix Nobel d'économie 2008, compare les crises de 1929 et de 2007, et montre
comment la montée des inégalités sociales et de la dette est au cœur de ces deux crises majeures du capitalisme. Des travaux statistiques
récents indiquent ainsi qu'aux États-Unis la part du revenu national allant au décile (10 p. 100) des ménages les plus riches approche le
sommet de 50 p. 100 à la veille de la crise en 2007, c'est-à-dire le même niveau exceptionnel atteint au moment de la crise de 1929.
Paul Krugman
Paul Krugman, qui dès 2005 avait mis en garde contre le risque d'éclatement de la bulle
immobilière, considère la crise financière contemporaine comme une crise systémique du
capitalisme et de l'ultralibéralisme. Préconisant une hausse de la fiscalité et un interventionnisme
public plus important, l…
En ce qui concerne le système financier, une réforme profonde apparaît indispensable pour réduire le risque de crises futures. Cette
réforme de la finance est la priorité affichée par le G20, au début de la crise. L'un des grands dangers pour le système financier international
est constitué par les grands groupes bancaires dits « systémiques » – au nombre de vingt-neuf et dont quatre sont français –, dont la faillite
peut déstabiliser le système financier international, comme l'a montré la défaillance de Lehman Brothers en septembre 2009. Les réformes
décidées dans les principaux pays du G20, notamment le Dodd & Frank Act voté aux États-Unis en juillet 2010 et la loi de séparation et de
régulation des activités bancaires votée en juin 2013 en France, sont d'une grande prudence et ne s'attaquent pas au pouvoir des grandes
banques. Aucun pays n'a décidé de démanteler les grands conglomérats financiers pour séparer la banque de détail de la banque
d'investissement, à la différence des mesures décidées par Roosevelt en 1933 et supprimées par le président Clinton en 1999. Le pouvoir
considérable du lobbying financier fait barrage à toute réforme financière permettant de contrôler la finance pour la mettre au service de
l'intérêt général.
Dans le domaine de l'énergie, l'un des grands défis est de réduire le réchauffement climatique par une réduction des gaz à effet de serre
émis par les énergies fossiles. Des investissements considérables sont nécessaires pour développer des sources d'énergie alternatives non
polluantes. Les négociations internationales organisées par les Nations unies (Copenhague en 2009, Cancún en 2010 et Durban en 2011)
n'ont pas permis d'aboutir à un accord contraignant pour les pays industrialisés conduisant à répartir équitablement entre les pays du Nord
et du Sud les efforts d'investissement qui permettraient de réduire les émissions des gaz à effet de serre et de maintenir le réchauffement
climatique de la planète au-dessous du seuil critique de 2 0C.
Enfin, la question de la distribution des revenus et des richesses, dont on a vu qu'elle est une des racines de la crise de la dette, est au centre
des débats politiques : les opinions publiques sont scandalisées par les revenus indécents perçus par les cadres de la finance, d'autant plus
que ces derniers ont une grande part de responsabilité dans la crise. Dans les pays démocratiques, la fiscalité est le principal instrument de
redistribution des revenus. Sera-t-il possible au XXIe siècle, dans le contexte de la mondialisation et de la concurrence fiscale, de procéder à
une réforme de la fiscalité de manière à rendre celle-ci plus redistributive et équitable, ainsi que l'avait fait Roosevelt au lendemain de la
crise de 1929 ? La dimension sociale, qui était au cœur du New Deal, est largement absente des politiques menées dans les pays avancés les
plus touchés par la crise économique des années 2010. Dans l'Union européenne, les politiques d'austérité mises en œuvre par les
gouvernements pour tenter d'enrayer la crise des dettes souveraines sont à la fois inefficaces et injustes. Inefficaces, car elles aggravent la
récession et compromettent la capacité des pays à rembourser leurs dettes. Injustes, car, en privilégiant la réduction des dépenses publiques
plutôt que des réformes fiscales redistributives, ces politiques frappent plus particulièrement les couches sociales les plus vulnérables. Ainsi
s'expliquent les mouvements sociaux importants et inédits, nombreux en Europe, tels que celui des Indignados en Espagne qui concerne
les jeunes, durement touchés par un taux de chômage insoutenable supérieur à 50 p. 100 ! De même, un grand nombre d'économistes se
sont mobilisés pour réagir contre les politiques menées dans les pays de la zone euro, jugées économiquement inefficaces et socialement
injustes. Dans leur Manifeste d'économistes atterrés signés par 7 500 d'entre eux, il est montré que d'autres politiques sont possibles et
nécessaires pour une sortie de crise « par le haut », fondées notamment sur un contrôle strict du système financier et une politique
ambitieuse d’investissements publics d’avenir à l’échelle européenne dans les domaines clés du savoir et de l’énergie .
Dominique PLIHON
Auteur de l'article
Dominique PLIHON
Professeur d'économie à l'université de Paris-XIII-Villetaneuse.
BIBLIOGRAPHIE
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