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information et responsabilité
dossier
L
e titre même de ce dossier traduit les dif- précisions sur les distinctions juridiques à opérer,
coordonné par ficultés à inscrire les droits des malades sur les étapes qui ont précédé la loi sur les
Étienne Caniard dans une démarche équilibrée, garantissant droits des malades, démontre que l’opposition
Co-secrétaire des une traduction concrète, quotidienne au-delà de entre droits individuels et droits collectifs des per-
États généraux l’affirmation des principes. Mettre en évidence la sonnes est appelée à s’estomper, autorisant ainsi
de la santé nécessité d’outils pour faciliter la mise en œuvre, l’emploi du terme « démocratie sanitaire ».
dégager les bases d’une éthique de la responsabi- L’information est l’une des premières conditions à
lité pour tous les acteurs ont été les choix retenus l’implication des patients dans le fonctionnement
pour la construction de ce dossier. même du système de santé. Véronique Ghadi
Étienne Caniard rappelle la filiation entre les États décrit la forme qu’elle peut prendre, le contenu
généraux de la santé et la loi sur « les droits qu’elle doit avoir >p. 36. Ce regard est complété
des malades et la qualité du système de santé » par une fenêtre largement ouverte par Diane
>p. 20 tout en soulignant combien l’émergence Lequet-Slama en direction de nos partenaires
de la démocratie sanitaire peut constituer un puis- européens >p. 39.
sant levier d’amélioration de l’ensemble du disposi- Le souci d’inscrire ce dossier dans les préoccupa-
tif sanitaire. Véronique Fournier présente un outil tions concrètes des Français a conduit Michka
>p. 21 concret d’aide à la décision médicale, de Naiditch à s’interroger sur l’intérêt des palmarès
respect des droits de la personne malade, d’amélio- ou des démarches d’accréditation comme outil
ration de la relation médecin–malade : le développe- d’une meilleure information des usagers >p. 41.
ment d’équipes d’éthique clinique au lit du malade. Nous avons parlé d’éthique de la responsabilité,
Philippe Bataille >p. 24 montre comment l’identité terme peut-être trop ambitieux mais qui rejoint un
du malade a émergé, du sida à l’expression nou- sujet de préoccupation et de débat majeur dans
velle des malades du cancer. La reconnaissance nos sociétés. Dominique Broclain >p. 44 aide à
de la position de faiblesse du malade interroge comprendre comment information, consentement
l’ensemble de la société sur la place qu’elle ou partage de la décision posent la question de la
accorde au faible. Une réponse partielle est appor- responsabilité des soignants comme des patients.
tée par Caroline Rey et Marc Dupont >p. 25 par Pour autant, risque, responsabilité et éthique ne
leur regard sur les droits de l’enfant en matière s’accordent pas spontanément, comme le mon-
de santé. L’évolution de la réflexion sur la respon- trent >p. 46 Jean-Jacques Amyot et Alain Villez
sabilité médicale et sur les droits des malades ne dans le cadre des pratiques gérontologiques. Le
peut être comprise sans une lecture historique des rôle du patient ne doit pourtant pas être négligé,
décisions jurisprudentielles à laquelle nous invite l’exemple du diabète, dont Pierre-Yves Traynard et
Guy Nicolas >p. 28. Rémi Gagnayre présentent l’évolution et la situation
Parler de droits des malades tout en ayant cons- actuelle, étant l’un des plus significatifs >p. 48.
cience de la sensation de faiblesse qu’ils peuvent Enfin, un tel dossier ne pourrait exister sans un
ressentir conduit à réfléchir au rôle des associa- espace de débat. Bernard Glorion >p. 51 plaide
tions dans le respect et l’observation des droits pour un développement des droits des malades et
individuels et collectifs. Yann Le Cam >p. 30, un meilleur partage de l’information comme facteur
fort de l’expérience acquise dans le monde des d’amélioration du système de soins, alors que René
dossier
maladies rares, explique l’apport des associations Caquet fait le point sur la conciliation à l’hôpital
et souligne l’importance de l’enjeu que constitue en s’appuyant sur son expérience de Bicêtre >p.
l’indépendance des acteurs. 53, et un responsable associatif, Michel Delcey,
Pour mieux comprendre les changements en explique sa conception du partage du savoir, voire
cours, Dominique Thouvenin >p. 33, à partir de des décisions et des responsabilités >p. 56.
C
Étienne Caniard e dossier paraît au moment où les parlementaires la demande des victimes et en même temps lancer un
Co-secrétaire des débattent du projet de loi « droits des malades signe aux professionnels de santé pour distinguer l’ac-
États généraux et qualité du système de santé », qui a notam- cident médical fautif et non fautif, mais les modifications
de la santé ment pour objectif le développement de la démocratie introduites dans ce projet de loi — le plus ambitieux en ce
sanitaire. qui concerne le monde sanitaire depuis les ordonnances
de 1996 — vont au-delà, inversant le regard porté sur
Un changement fondamental le système, des institutions vers les usagers. Nous
La nécessité de légiférer sur ce sujet est-elle un constat avons voulu, dans ce dossier, respecter ce regard, tout
d’échec pour des élus qui n’ont pas toujours su débattre en analysant les conditions dans lesquelles les droits
et décider des orientations de la politique de santé, des malades pouvaient devenir effectifs, l’information
ou la reconnaissance des particularités d’un secteur qui, peut être partagée et la responsabilité de chaque acteur
au-delà de la démocratie représentative, a besoin d’autres identifiée.
modes participatifs pour rendre effectifs des droits
individuels et collectifs souvent mal appliqués ? Des États généraux de la santé à la loi sur les droits
Pour autant est-il sûr qu’une place différente, reconnue, des malades et la qualité du système de santé
des usagers dans le système de santé soit un facteur Les États généraux de la santé ont débuté à l’automne
d’amélioration ; ne risque-t-on pas plutôt d’assister à 1998 dans l’indifférence et l’incrédulité générales.
une instrumentalisation de ce nouvel acteur ? Pourtant, lorsque le Premier ministre les a clôturés, en
Autant de questions qui ne trouveront de réponse juin 1999, plus de 1 000 réunions s’étaient tenues,
qu’à travers la mise en œuvre d’une nouvelle logique mobilisant 200 000 personnes dans 80 villes différentes.
qui dépasse largement le seul accès direct au dossier Une telle mobilisation diffuse, parfois confuse, multiforme
médical ou l’indemnisation des accidents médicaux non n’a pas attiré l’attention des médias nationaux, mais
fautifs, pour citer les dispositions du projet de loi les plus elle a fortement marqué le paysage sanitaire de notre
commentées par la presse. C’est pourquoi nous avons pays. C’est aujourd’hui une référence qui tient à la
choisi, dans ce dossier, de ne pas traiter spécifiquement forme des manifestations, leur spontanéité, mais aussi
de ces deux questions ; il nous a semblé que beaucoup à l’homogénéité de l’expression des attentes de la
avait été écrit sur les conditions dans lesquelles pouvait population.
être amélioré l’accès aux informations concernant le Quel qu’ait été le thème traité, quel qu’ait été le
malade et qu’il s’agissait maintenant de faire vivre public, les cinq mots « clefs » sont revenus, lancinants,
concrètement ces nouvelles dispositions en développant omniprésents : information et transparence, relation
des espaces de dialogue pour résoudre les difficultés et respect de la personne, prévention, accessibilité,
qui seront assurément nombreuses. Les changements participation. Il ne faut pas s’y tromper, cette exigence
dont il est question dans ce dossier nous semblent n’est pas le fruit des États généraux. Ils ont simplement
dépasser les aspects symboliques, mais ponctuels, que permis, parce qu’ils ont en grande partie échappé à
sont l’accès à l’information individuelle ou la réparation leurs promoteurs, une prise de parole trop longtemps
de l’aléa thérapeutique. Bien sûr, il fallait répondre à contenue.
Depuis, cet élan perdure, relayé par des acteurs divers crise du paritarisme qui pourrait se réduire à quelques
du monde associatif, mutualiste, et l’on voit se développer changements institutionnels vite classés au rang des
un double mouvement, à la fois d’expression des droits péripéties. Il s’agit en réalité, là aussi, d’une interrogation
individuels et de formalisation d’une expression collective sur la finalité de nos dispositifs sociaux, construits à
qui peu à peu imprègne le débat public. Bien sûr ce une époque où la perception des risques n’était pas la
mouvement souligne la différence qui demeure entre même qu’aujourd’hui.
les perceptions individuelles, seul face à la maladie, Nous connaissons les mêmes bouleversements dans
et le débat plus général, plus collectif, plus « citoyen ». la perception du progrès médical. Lorsque l’on s’interroge
Mais cette différence de perception elle-même devient pour savoir si les perspectives biologiques ouvertes par
objet de débat, au même titre que l’appréciation de l’utilisation des cellules souches dans des processus
notre système de santé, très satisfaisant lorsque l’on réparateurs ne vont pas dépasser les espoirs nés du
considère les moyennes mais qui ne s’améliore pas, décryptage du génome humain, avant même que nous
voire se dégrade lorsque l’on regarde les écarts, les n’en ressentions les conséquences concrètes, il est
inégalités au sein de la population. difficile de rendre audibles les discours sur la prévention,
On ne peut pas non plus occulter le contexte général sur l’importance des comportements ou des détermi-
dans lequel est né ce mouvement. nants sociaux.
Nous vivons une crise sans précédent de la repré- Comment faire accepter des politiques souvent contrai-
sentation sociale, qui va bien au-delà d’une simple gnantes qui ne produisent leurs effets qu’à plus ou moins
long terme alors que nous rêvons à des perspectives Des transformations majeures en perspective
thérapeutiques que nous n’imaginions même pas il y Plusieurs lectures peuvent être faites des évolutions
a seulement quinze ans ? actuelles et notamment de la loi sur les droits des
Comment faire pour intéresser le grand public à la malades et la qualité du système de soins.
« transition épidémiologique », pour reprendre le terme Certains y voient une étape de plus dans la construc-
utilisé en santé publique depuis les années soixante-dix tion engagée par la création des agences de sécurité
pour décrire le passage d’une médecine qui traite des sanitaire, qui privilégie la prévention et la réparation des
épisodes aigus, souvent infectieux, à une médecine qui risques, en transférant sur l’État des responsabilités
accompagne des états chroniques sans guérir au sens de plus en plus mal assurées par la protection sociale.
propre ? Aujourd’hui, pourtant, l’organisation de notre D’autres espèrent, par la naissance d’une démocratie
système de santé, la formation des professionnels de vivante et évolutive, créer les leviers de la transformation
santé sont encore fondées sur un modèle dépassé depuis et de l’adaptation du système à un contexte nouveau. En
trente ans. C’est probablement ce même phénomène d’autres termes, ira-t-on vers une société où le risque est
de passage à la chronicité des pathologies qui explique refusé par l’individu et la collectivité, transféré vers l’État,
et justifie le rôle nouveau du malade qui vit de plus en accepté seulement dans la mesure où il est indemnisé ?
plus longtemps avec « sa » maladie. Qu’il n’attende Ou la représentation des usagers permettra-t-elle, avec
plus la même chose du système de santé ne devrait d’autres mécanismes de responsabilisation, de mieux
étonner personne ! définir les enjeux, de faire des choix collectifs qui per-
mettront de lutter contre les spécificités françaises que les usagers. Peut-être est-ce d’ailleurs l’utilisation de ce
sont la surmortalité évitable et les inégalités ? verbe « représenter » qui est source du malentendu ?
Aujourd’hui beaucoup de signes laissent espérer une Il ne s’agit pas, en agréant des associations, de leur
reconnaissance du caractère éminemment transversal confier une légitimité représentative qui peut difficilement
du sanitaire. Peut-être est-ce d’ailleurs pour cela que trouver sa source ailleurs que dans un processus électif,
l’on accepte aussi facilement l’expression « démocratie mais de leur permettre de faire entendre une voix qui était
sanitaire » alors que le mot démocratie supporte mal trop souvent négligée. Leur « représentativité » ne pourra
les qualificatifs. Il est en tout cas une certitude, c’est venir que de leur diversité et de leur indépendance,
le dépassement de la conception selon laquelle la poli- notamment financière, mais aussi par une formation de
tique de santé se limite à la fourniture de soins aux leurs membres. Cette distinction entre une légitimité
malades. représentative née de l’élection au suffrage universel et
C’est pourquoi des sujets nouveaux émergent désor- l’organisation d’un mouvement d’expression qui passe
mais dans le débat sanitaire, comme la représentation forcément par des corps intermédiaires structurés est
des usagers, l’information ou la responsabilité tant essentielle si l’on ne veut pas diluer les responsabilités
individuelle que collective. davantage qu’elles ne le sont déjà aujourd’hui.
On oppose parfois la démocratie représentative que L’information devient à l’évidence un autre sujet essen-
nous connaissons dans nos institutions politiques et tiel. Quel que soit l’angle sous lequel on y réfléchisse, on
le rôle qui est confié aux associations pour représenter mesure l’importance des progrès à accomplir.
sier et des critères de qualité nécessaires traversons, qui ré-interroge les fondements besoins et spécificités, la démarche devrait
pour que l’hôpital soit conforme aux normes de la relation soignante. être utile pour répondre aux questions qui
d’accréditation de la JCAHO (l’équivalent D’abord par le positionnement intellectuel sont les nôtres :
de notre Anaes). Le suivi fait aussi partie et professionnel qu’il suppose. La démar- ● elle est au service de la relation méde-
de la prestation rendue. Les consultants che est une démarche d’interpellation per- cin-malade en ce sens que l’appel au centre
continuent de voir régulièrement LK et de manente : Qu’est-ce que la médecine ? a généralement lieu lorsque l’une des deux
rencontrer sa mère et l’équipe soignante au Qu’est-ce que soigner veut dire ? Quelle est parties est mal à l’aise vis-à-vis de l’autre du
moins jusqu’à la sortie de l’hôpital : pour la différence entre la déontologie et l’éthi- fait de la décision médicale à prendre. Une
vérifier qu’il est tenu compte de l’évolution que médicale ? Qui est l’autre, le malade ? consultation d’éthique clinique réussie est
des positions des uns et des autres avec Qu’est-ce qu’une personne ? Sur quels prin- une consultation qui permet de restaurer le
le temps ; pour le cas où surgiraient de cipes doit être fondée la décision médicale ? dialogue, les éléments l’ayant entravé ayant
nouvelles questions problématiques ; et Je n’ai pas décrit ici les activités de formation été mis à plat et dénoués ;
pour observer la façon dont les différents et de recherche du Mac Lean Center. Elles ● elle aide à ce que soient pris en compte
intervenants s’approprieront ou non leurs sont ainsi organisées qu’elles irriguent per- les droits de la personne malade et de ses
recommandations. pétuellement et réciproquement la réflexion proches puisqu’elle permet, en faisant inter-
Pour finir, l’équipe d’éthique clinique pré- et l’activité clinique. Le cas particulier renvoie venir un tiers, que ceux-ci soient systémati-
sentera l’histoire de LK au cours du staff à la question fondamentale et vice versa : quement rappelés, alors que la situation est
hebdomadaire du Mac Lean Center. Le but les fondements de l’éthique médicale et de parfois inégalitaire aux dépens du patient,
est une révision collective du cas et des la philosophie morale aident à résoudre le placé, du fait des circonstances, en état de
enjeux éthiques qu’il soulève. Sont pré- cas particulier. vulnérabilité ;
sents : l’équipe pluridisciplinaire du centre, Le modèle est également intéressant en ● elle aide à dénouer l’écheveau des dif-
constituée d’une quinzaine de membres cela que les prestations qu’il rend sont non férentes questions souvent douloureusement
venus d’horizons hospitaliers et universitai- pas théoriques, mais parfaitement pratiques. intriquées que posent telle ou telle situation
res divers : médecins, infirmières, psycho- Les interventions se font au cas par cas et individuelle ;
logues, assistantes sociales, mais aussi ont pour but d’aider à la résolution de situa- ● elle a pour but d’aider à une décision
juristes, philosophes, sociologues, anthro- tions concrètes. Cette approche, casuistique médicale difficile en essayant d’apaiser son
pologues. S’y adjoignent au cas par cas les et pragmatique, est très complémentaire contexte dramatique et de lui donner du
membres de l’équipe soignante concernés de ce qui existe déjà dans le domaine de champ dans le temps et dans l’espace ;
par le patient en discussion. l’éthique médicale ou des outils d’accom- ● en faisant appel à d’autres savoir-faire
pagnement à la relation de soins que sont, que strictement médicaux, elle contribue
Le modèle est-il pertinent pour nous ? par exemple, les recommandations de bonne à donner à la décision médicale l’ampleur
Le modèle est à mon sens susceptible d’être pratique. humaniste et sociale qui est ontologique-
d’une grande aide dans la période que nous Enfin, revue à la lumière de nos propres ment la sienne.
Usager, citoyen ou
consommateur ?
L’
Philippe Bataille identité du malade est entrée dans un débat
qui paraissait marginal il y a encore peu. Il y a
Chercheur au sein
vingt ans, ce thème n’intéressait que quelques
du Centre d’analyse
La gestion du retrait de la cerivastatine cet été pour- rares professionnels de la médecine, critiques de leur
rait être un excellent cas d’école… de ce qu’il ne faut et d’intervention pratique. L’ampleur réelle n’intervient que dans le courant
pas faire. De l’absence de toute information vers les sociologique (Cadis), des années quatre-vingt avec l’émergence de collectifs
professionnels à la négligence des données pourtant maître de conféren- de malades, en particulier en réaction au sida. D’autres
disponibles qui auraient permis d’anticiper, en passant par ces à l’Université associations se sont constituées depuis en prenant
le désarroi dans lequel ont été plongés des utilisateurs de Lille-III comme modèles celles sur le sida. Aujourd’hui, ce tissu
du produit, tout démontre que l’enjeu essentiel est associatif d’un genre nouveau est suffisamment affirmé
moins la quantité d’informations que les conditions pour soutenir la comparaison avec d’autres, comme les
auxquelles on y accède et leur validation. Comment en consommateurs.
effet développer une pédagogie du risque sans réfléchir à De nature plus politique et institutionnelle, une autre
l’organisation de l’expertise et au passage de l’expertise impulsion a également favorisé l’expression des attentes
à la décision ? identitaires des malades. En effet, à la fin des années
C’est du développement des lieux de dialogue et de quatre-vingt-dix, le gouvernement dit sa volonté de placer
rencontre entre acteurs qu’émergeront des solutions. le malade au centre du dispositif de soins. L’idéal de la
Si l’on en appelle souvent à la responsabilité des démocratie sanitaire parvenait à son expression politi-
acteurs, on oublie fréquemment de se doter des outils que. On trouve la trace de cette intention politique et
qui, en amont, peuvent réduire l’asymétrie d’informa- institutionnelle dans la synthèse des États généraux de la
tion. C’est pourtant ainsi que l’on peut sortir du débat santé (1998-1999) ; la lecture du rapport Caniard (2000) ;
réducteur entre ceux qui ne croient qu’aux mécanismes l’écriture de la loi sur le droit des malades (2001).
de responsabilisation financière individuelle et ceux qui À partir de là, il est possible de dire que des conver-
refusent tout mécanisme régulateur au nom du droit à gences ont été permises entre la volonté associative
la santé. La responsabilité partagée, de plus en plus et l’intention politique et gouvernementale de la fin des
souvent évoquée dans les réflexions sur les réformes à années quatre-vingt-dix. Cette rencontre aurait surtout
mettre en œuvre, mérite pourtant mieux que de rester permis d’écrire le projet de loi sur « les droits des malades
une formule vide de sens. et la qualité du système de santé ». Étape importante,
Au-delà de la contribution à la réflexion, ce dossier car la fonction du droit est aussi de figer dans la loi et
insiste sur les outils qu’il faut dorénavant développer pour les règlements les avancées idéologiques du moment.
passer du discours à une mise en œuvre quotidienne Considérons pourtant qu’une seule loi ne saurait résou-
auprès des malades. dre l’immense diversité des questions posées par les
L’exemple du Mac Lean Center illustre parfaitement ce collectifs de malades. Cette réserve étant émise, reste
que peut être, dans le domaine éthique, une démarche à décrire les attentes auxquelles elle répond, comme
concrète au chevet du malade. En complément des les identités qu’elle légitime dans leur droit de paraître,
indispensables réflexions du Comité consultatif national avant d’évoquer les pratiques sociales que la loi réforme
d’éthique ou des recommandations de bonne pratique, ou que son application fera naître.
nous avons besoin de tels outils, concrets, permettant Nommer le malade autrement, parlant selon les cas
de répondre aux problèmes qui se posent tous les jours d’un usager, d’un consommateur ou d’un citoyen, est
dans notre système de soins. C’est de notre capacité de ce point de vue révélateur de la difficulté de prendre
à créer ces outils que dépendra le devenir de cette en charge toutes les questions posées par un malade
démarche nouvelle qui transforme la personne malade contestataire, revendicatif et organisé en collectifs.
d’objet en sujet.
Le cloisonnement, la spécialisation, souvent jugée Une confrontation permanente et des convergences
excessive mais conséquence du progrès des connais- ponctuelles
sances, nécessitent le développement d’approches Il existe une communauté d’intérêts qui permet occa-
transversales. C’est une évidence constamment rappelée sionnellement aux logiques associatives de se rapprocher
mais peut-être a-t-on parfois tendance à oublier que le de celles de l’État, y compris après des périodes de
meilleur vecteur de cette transversalité, c’est le malade vives tensions ou dans des situations de crise. L’histoire
lui-même. récente de la lutte contre le sida le rappelle. Durant une
Il apporte ainsi une expertise indispensable à l’évo- décennie au moins, de 1985 à 1995, les associations
lution et à la transformation du système de santé. de malades du sida, tant à Paris qu’en province, ont
placé l’État face à ses responsabilités dans sa capacité retenus pour une campagne de prévention nationale.
à mobiliser tous les moyens dont il disposait pour arrêter Dans ce cas, l’intention de faire de la prévention et
ou au moins ralentir la contamination. La succession d’endiguer la diffusion du virus ne saurait être mise en
des majorités gouvernementales n’a jamais changé cette cause, mais chacun intervient avec une telle différence
donne. Durant cette période, tous les responsables de la de sensibilité identitaire, et aussi de connaissance du
santé publique ont eu à composer avec les associations de malade, que l’accord en devient impossible.
malades du sida. Ce faisant, ces dernières ont à plusieurs Aujourd’hui se met en place une même trame de rela-
reprises suppléé au déficit de l’État en menant des actions tions ambivalentes entre l’État et les associations de
de politique publique. Par exemple en conduisant de malades, mais à une échelle beaucoup plus vaste. Pro-
véritables campagnes d’information pour des populations poser de réaliser la démocratie sanitaire séduit, certes,
sur lesquelles l’État ne disposait d’aucun relais sociaux. mais n’y change rien, voire accélère le processus. Comme
Il en va de même aujourd’hui avec les organisations l’ont mis en évidence avec une certaine force les États
humanitaires qui suivent les rave parties et proposent généraux de la santé, le malade cherche à occuper l’avant
sur place du matériel stérile à des consommateurs de scène d’un débat sur les politiques publiques de santé.
drogue, voire qui analysent sur place la qualité des produits Le propre de son intervention dans cette période et au
échangés afin d’éviter des accidents graves. cours de cette manifestation nationale restera d’avoir
Toutefois, les associations de malades du sida ont su parler en son nom, sans intermédiaire administratif,
très tôt deviné les limites du rôle de relais. Elles ont médical, syndical ou mutualiste. Les collectifs de malades
explicitement refusé de s’y cantonner. Dès lors, leur ont profité de l’occasion pour rappeler le drame social
posture a été plus contestataire et revendicative, augurant humain que continue de représenter dans notre pays
du fossé qui allait bientôt séparer la direction des services l’entrée dans la maladie grave ou chronique. Par la res-
de santé publique et les associations de malades qui source qu’elles offrent pour qui sait travailler avec elles,
ne cessaient pas, de leur côté, de croître. Par exemple, ces catégories de l’humain et du social restent aujourd’hui
s’agissant de la lutte contre le sida, les conflits entre centrales pour interpréter les attentes des malades.
les pouvoirs publics et les associations ont toujours Dès lors, ce malade ne saurait être ramené à l’iden-
éclaté au moment de définir les concepts et les images tité d’un consommateur de santé, alors que d’autres
préfèrent le terme d’usager du système de soins, en l’action gouvernementale, nous avons sous les yeux les
soi déjà plus précis bien qu’il englobe les non-malades. principaux éléments et acteurs qui font débat dans le
D’autres encore parlent plus volontiers du citoyen, champ sanitaire et médical. Surtout, on comprend que
définissant les malades par des droits et des devoirs la réponse possible aux débats qui se sont tramés au
dans leur rapport à la collectivité nationale. De toute fil des avancées vers l’idéal de démocratie sanitaire
évidence, mieux comprendre la dynamique de l’identité passe aussi par la loi et le droit, sans pourtant que
du malade qui se met en forme sous nos yeux oblige à cette expression de l’action publique résolve toutes
retenir ce dernier axe. Plus que les autres, il nous resitue les attentes.
au cœur des relations entre l’État et les associations Retenons l’exemple récent des malades du cancer*.
de malades. D’une part, parce qu’il est nouveau que ces malades
interviennent dans l’espace public avec des revendica-
Du citoyen au sujet tions qui leur sont propres, mais sur des intentions qui
Le projet de démocratie sanitaire s’appuie sur, et con- les font se rapprocher des malades du sida. D’autre part,
tribue à produire, une conscience citoyenne. Agir avec un parce que les malades du cancer posent les principales
tel objectif revient à introduire les valeurs de la république questions qui interrogent les ordres sanitaires aujourd’hui.
dans le rapport aux soins et l’organisation sanitaire, Il s’agit alors de relever une dynamique avant qu’elle
en particulier l’égalité de traitement, donc des rapports n’apparaisse dans sa forme organisée, c’est-à-dire reprise
égaux entre le soignant et le soigné et la lutte contre les par un collectif de malades qui aurait nécessairement
inégalités sociales de la prise en charge. De ce dernier à résoudre ces problèmes d’organisation pour parvenir
point de vue, la loi qui incarne la démocratie sanitaire à leur expression.
reste la couverture médicale universelle (CMU). Cette dynamique est à l’œuvre. Elle interroge au-
Avec la santé pour objet, donc une valeur culturelle, delà des acteurs du monde de la santé, soignants ou
la démocratie sanitaire pour objectif politique et les
associations de malades comme formes organisées * Recherche en cours réalisée en partenariat avec la Ligue nationale
reflétant les attentes des soignés, mais aussi les poli- contre le cancer, le PRS « Challenge » du Nord-Pas-de-Calais et le
tiques publiques de santé comme manifestation de comité du Nord (59) de la Ligue contre le cancer.
institutionnels. Elle atteint l’ensemble de la société, C’est en suivant le parcours accompli par ces derniers
comprise comme un ensemble organisé qui repose sur malades que l’on comprend mieux l’interpellation plus
des ordres sociaux dans lesquels évolue tout malade. générale que des collectifs lancent à la société tout
Pour les uns, il peut s’agir du monde du travail, pour entière, dans son rapport non plus seulement à la maladie
d’autres du monde scolaire, pour tous du marché dont qui fait peur, mais aux malades trop souvent ramenés
tout malade peut se sentir soudainement exclu car ne aux représentations en circulation sur leur maladie, y
s’y retrouvant pas en terme d’image de soi ou, plus compris lorsqu’ils se sont dégagés de la maladie ou
radicalement, parce qu’il en est objectivement exclu dès qu’elle s’est stabilisée. Dans ces temps de forte activité
lors qu’il se voit refuser un prêt bancaire en raison d’une psychique, doublée du constat de sa possible relégation
information livrée sur son état de santé. Percevant son et discrimination, les attentes à l’égard du médical
entrée dans le monde de la maladie et de son traitement, gagnent en importance sur des registres qui ne sont pas
qui lui était la plupart du temps inconnu jusqu’alors, strictement médicaux car ils deviennent aussi sociaux
la personne atteinte d’une maladie grave, ici le cancer, et psychologiques. Or, plus l’institution sanitaire tarde
se soumet à des protocoles de soins lourds, parfois à prendre la mesure de l’introduction de ces données
invalidants, dans tous les cas perturbants psychologi- subjectives dans la relation médicale entre un soigné et
quement et socialement. Mais aussi, se trouver aussi un soignant qui font le vécu de la maladie, par exemple
soudainement dans un état de faiblesse, avec la peur en réformant la formation des médecins, plus la crise
de la mort à la clé, et entrer dans une réalité désormais prend de l’ampleur. De ce point de vue, l’institution
faite d’incertitude révèlent une sensibilité sociale et sanitaire est atteinte des mêmes maux que les autres
psychologique ignorée, voire négligée jusqu’alors. Tous institutions républicaines, notamment l’école, la police
les malades n’acceptent pas cette perturbation majeure, ou la justice, y compris si elle s’est construite différem-
beaucoup la nient et se forcent à la réintégration sociale, ment historiquement. Le citoyen qui agit en sujet ne
parfois dissimulent purement et simplement le choc qu’ils se conforme plus à des rôles attendus, alors qu’ils ont
viennent de ressentir, alors que d’autres, à l’inverse, longtemps été structurés par des rapports au pouvoir.
admettent que le désordre qu’ils vivent les oblige à un Il se place au centre et plus en périphérie de la relation
travail de reconstruction du soi psychologique et social. institutionnelle, estimant en être l’acteur principal. Cela
peut être amené à observer le secret vis-à- de trouver un nouvel équilibre entre les en matière sanitaire. Il prévoit, dans les
vis des parents (rapport du conseil national règles de capacité applicables aux person- circonstances où un mineur désire être
de l’Ordre des médecins sur la conduite à nes mineures et les revendications toujours soigné sans l’accord de ses parents et où
tenir face à la découverte d’une séroposi- plus fortes des « grands adolescents ». l’absence de soins peut entraîner des ris-
tivité au VIH chez un adolescent mineur, Ainsi, la récente loi du 4 juillet 2001 relative ques graves pour sa santé, que le médecin
190e session, 2 avril 1993). à l’interruption volontaire de grossesse puisse, après avoir tenté de le convaincre
Ce droit au secret ne doit pas être une et à la contraception, tout en disposant d’informer ses parents et de recueillir leur
entrave à la protection du mineur en danger qu’en principe le consentement de l’un consentement, intervenir sans le consen-
et plus généralement aux obligations d’as- des détenteurs de l’autorité parentale doit tement parental. L’accompagnement d’une
sistance à personne en péril. Le Code pénal être recueilli, prévoit un régime dérogatoire personne majeure serait dans ce cas recher-
(art. 226-14) et le Code de déontologie lorsque la mineure (quel que soit son âge) chée. D’autre part, les mineurs en rupture
médicale (art. 44) ont ainsi explicitement désire garder le secret. Le médecin doit avec leur famille devraient pouvoir se faire
prévu une dérogation au secret dans les d’abord s’efforcer d’obtenir qu’un des titu- soigner de leur propre initiative, en cohé-
cas de mauvais traitements et d’agression laires de l’autorité parentale soit consulté. À rence avec le droit à la protection sociale
sexuelle sur mineur. D’autres situations où défaut, « l’interruption volontaire de grossesse personnelle qui leur est ouverte dans le
respecter strictement la confidentialité ris- ainsi que le actes médicaux et les soins cadre de la CMU. L’ensemble de ces dispo-
querait de mettre en péril la santé du mineur qui lui sont liés peuvent être pratiqués à la sitions, si elles aboutissaient, marqueraient
(menace suicidaire explicite, découverte demande de l’intéressée », la mineure devant une inflexion importante de l’exercice de
d’une grossesse…) doivent inviter le méde- cependant se faire accompagner dans sa l’autorité parentale dans le domaine de la
cin à jouer un rôle de médiateur entre le démarche par une personne majeure qu’elle santé.
mineur et ses parents. Il est exceptionnel en choisit.
pratique que cet aménagement ne permette Le projet de loi « les droits des malades
pas la résolution de problèmes délicats. et la qualité du système de santé » (août
2001) s’inscrit dans la même perspective
Les évolutions visant à attribuer à l’adolescent une plus
Le législateur s’efforce progressivement grande autonomie et un droit spécifique
L
a Cour de cassation, dans un tion peut être apportée par tout moyen » médicale administrative, celle des hôpi-
arrêt désormais célèbre, a établi (17 octobre 1997), « l’information doit taux publics, la jurisprudence du Conseil
le 20 mai 1936 la responsabilité porter non seulement sur les risques d’État a également évolué au cours de la
médicale sur une base contractuelle graves de l’intervention mais aussi sur dernière décennie. Elle a parfois précédé
obligeant le médecin à délivrer à son tous les inconvénients pouvant en résul- la jurisprudence civile, par exemple en
malade des soins « non pas quelconques ter » (17 février 1998), « le médecin est matière d’infection nosocomiale (1988),
mais attentifs, consciencieux, conformes tenu de donner une information sur les parfois suivi en ce qui concerne l’infor-
aux données acquises de la science ». risques graves afférant aux investigations mation (5 janvier 2000). L’arrêt le plus
Sur cette base, il faut, pour que la res- et soins proposés et il n’est pas dispensé spectaculaire a été rendu en avril 1993
ponsabilité d’un médecin soit engagée, de cette obligation par le seul fait que ces dans l’affaire Bianchi puisque, ce jour-là,
la présence d’un triptyque : une faute risques ne se réalisent qu’exceptionnel- le Conseil d’État a reconnu la respon-
(soins non conformes), un dommage et lement » (7 octobre 1998). Ce faisant, la sabilité de l’établissement en l’absence
un lien de causalité entre la faute et le cour rompt avec la position antérieure qui de faute, lorsque, et seulement si, des
dommage. La doctrine de la cour n’a pas tenait avant tout compte de la fréquence conditions strictes sont présentes : acte
varié depuis, elle est périodiquement de la complication et non de sa gravité. nécessaire, risque connu mais excep-
rappelée, souvent avec force comme Elle reste par contre dans la règle du tionnel, absence de ce risque chez ce
dans le récent arrêt du 8 novembre 2000 contrat qui comporte une obligation d’in- malade, relation certaine entre l’acte
où, en l’absence de faute, le médecin formation, et l’absence de celle-ci est et le dommage, et enfin gravité excep-
ne pouvait être tenu responsable du alors considérée comme une faute en tionnelle des séquelles. Les situations
dommage subi par le malade au cours cas d’accident. remplissant tous ces critères sont rares,
d’une intervention chirurgicale. Le 29 juin 1999, la Cour de cassation la jurisprudence est donc pauvre, et le
En contraste avec cette apparente a rendu trois arrêts en matière d’infection dernier arrêt date du 27 octobre 2000.
continuité, et sans renier le dogme du nosocomiale faisant mention, pour le L’arrêt Bianchi fait date par le fait que
contrat, la jurisprudence a profondément médecin ou l’établissement de santé, pour la première fois un pas est franchi
modifié la situation du « malade/victime » d’une obligation de sécurité. En d’autres en direction de la couverture du risque.
en lui reconnaissant des droits dans termes, il est retenu une responsabilité Depuis 1993, il existe donc une diffé-
deux domaines : droit à l’information, alors qu’aucune faute d’asepsie n’a été rence pour le malade qui, pour la même
droit à la sécurité. mise en évidence, mais la faute est pré- intervention et le même dommage, voit
Le 25 février 1997, la Cour de Cas- sumée puisque le malade était indemne celui-ci indemnisé uniquement si l’inter-
sation impose au médecin d’apporter la de toute infection avant l’intervention. vention s’est déroulée dans le secteur
preuve qu’il a bien fourni à son malade Contrairement au devoir d’information public hospitalier puisque, le 8 novembre
les informations lui permettant de donner qui entre dans le cadre de la déonto- 2000, la Cour de cassation a bien spé-
Guy Nicolas un « consentement éclairé » avant tout logie médicale (article 35 du Code de cifié « l’aléa n’entre pas dans le champ
Professeur, con- acte médical, c’est-à-dire des informa- déontologie) et dont on comprend que des obligations dont un médecin est con-
seiller médical tions « simples, accessibles et loyales », l’absence soit assimilée à une faute, tractuellement tenu à l’égard de son
auprès du direc- selon les termes d’un arrêt plus ancien on se trouve ici face à une véritable patient ».
teur de la direc- de 1961. Cet arrêt de 1997 est un ren- brèche dans la doctrine de l’obligation On voit bien, au travers de ces exem-
tion des Hôpitaux versement de situation puisque, aupa- de moyens, d’autant que le groupe des ples, que les magistrats cherchent avant
l’apprentissage d’un quotidien nouveau. Dans le même On comprend alors que les dimensions humaines des
temps, le rapport des autres à soi malade provoque relations sociales prennent brusquement le pas sur
une sensibilité sociale qui pouvait être restée inconnue toutes les autres considérations, ou du moins que la
jusqu’alors. L’attention est vive, au point disent de perception de son état de santé mêlera à l’infini des
nombreux malades du cancer qu’ils ont eu à faire le considérations strictement sociales et subjectives à
tri autour d’eux, éloignant certains qu’ils ne voulaient des données médicales objectives. Se sentir projeté
plus voir ou qui s’éloignaient de leur propre chef, se dans l’incertitude, vivre désormais avec des peurs
rapprochant ou se laissant approcher par d’autres. fondamentales, notamment celle de mourir, bouleversent
immanquablement les représentations du monde, de
soi et des autres, avec lesquelles on peut être parvenu
à agir jusqu’alors.
des malades Or, là est l’essentiel. Le malade qui accepte sa posi-
tion de faiblesse, non pas simplement pour conquérir
tout à secourir les victimes, surtout lors- la guérison en se soumettant à des traitements qu’il
qu’elles sont gravement atteintes, parfois supporte difficilement, mais dans sa vie sociale, interroge
au prix de quelques contorsions juridi- en retour les organisations sociales instituées sur la
ques. Il est bien difficile en effet de rester place qu’elles accordent au faible.
sur quelques principes fondamentaux Faire la démocratie sanitaire revient, dès lors, à accor-
établis en 1936, même s’ils demeu- der la plus grande place à cette parole et ce regard du
rent toujours valables, il faut aussi tenir faible sur le fort, ici celui qui contrôle politiquement
compte de l’évolution de la médecine et scientifiquement le système de soins, et, au-delà,
et de la société. En 1936, la médecine celui qui établit les lois et les règlements qui protègent
était purement clinique, la thérapeutique le faible.
pauvre et peu efficace et de ce fait peu Aussi, la logique du droit ne saurait s’apparenter
dangereuse, alors que, maintenant, la seulement à une entreprise de protection des victimes,
technologie occupe une grande place, la comme cela tend par exemple à être le cas avec les
thérapeutique est abondante, l’ensem- infections nosocomiales. Elle est de promouvoir les
ble est efficace mais non dépourvu de droits du sujet, compris ici comme l’expression en
risques. Les pratiques étaient autrefois application des droits fondamentaux de la personne
solidement implantées et durables, elles humaine. D’où le succès évident auprès des malades
sont actuellement éphémères et mou- d’un certain nombre de thèmes comme l’appel à la
vantes et les contours de la formule dignité, au respect, l’accès à l’information, la transpa-
« donnée acquise » deviennent difficiles à rence du système de décisions. Il s’agit là d’exemples
cerner. Dans un autre domaine, peut-on déjà connus, mais dont on comprend désormais qu’ils
sérieusement prétendre que la relation nourrissent le réflexe qui place le sujet malade au cœur
médecin/malade soit restée insensible de la relation médicale.
aux mouvements de la société pendant Dès lors, réaliser la démocratie sanitaire ne revient
soixante-cinq ans ? On est passé du pas seulement à faire du malade un acteur autonome
paternalisme bienveillant au partage du qui se libérerait des dépendances de la maladie, pas
savoir puisque le malade peut obtenir plus un consommateur de soins raisonnable, à peine
en temps réel les dernières nouveau- un usager responsable, mais un citoyen respecté et
tés scientifiques et que la médecine reconnu dans son droit à être malade, donc protégé
est devenue l’un des sujets favoris des et garanti. Plus encore, faire la démocratie sanitaire
médias. Danger plus présent, connais- suppose d’accorder la plus vive attention à des malades
sances plus accessibles, principes de brusquement entrés dans des désordres psychologiques
précaution évoqués à tout propos sont et sociaux qui abîment. Alors que l’expérience de la
autant de facteurs qui expliquent la crois- maladie peut aussi enrichir et renforcer ceux qui ont
sance des contentieux. la liberté d’exploiter les registres de l’incertitude dans
Face à cette dérive, légiférer sur l’aléa lesquels ils ont été plongés. Dans tous les cas, il y a
devient une nécessité pour retrouver une aide à apporter, qui, à défaut de guérir, soulage
une certaine sérénité et éviter les iné- malgré tout.
galités pour les victimes entre les deux Rechercher l’égalité du droit à être soi-même et
secteurs, public et privé, mais à condition favoriser les chances de se reconstruire personnellement
de veiller à ce que cette couverture de après l’immense perturbation que suppose l’entrée
solidarité ne conduise pas à une réaction dans la maladie grave sont les principales difficultés
de déresponsabilisation de la part des auxquelles se confronte l’idéal de démocratie sani-
professionnels de santé. taire, mais c’est aussi ce qui fait son originalité et son
actualité.
L
Yann Le Cam a promotion des droits des malades est soutenue la transfusion sanguine, de l’amiante, de Creutzfeld-
par les associations de santé en capacité de Jakob, de cancers pédiatriques) ou sur une approche
Directeur général de
représenter les usagers, les consommateurs, les plus transversale, non spécifique à une pathologie, sur
l’Organisation euro- personnes atteintes par un handicap ou une maladie, les problèmes d’accès et de qualité dans le système
péenne pour les et leurs proches, et en premier lieu par les associations de santé (infections nosocomiales, usagers d’hôpitaux,
maladies rares, vice- de patients qui fondent leur démarche revendicative sur migrants).
président du comité l’expérience de terrain acquise à proximité des personnes
des médicaments concernées par le système de santé. Le patient informé L’émergence d’un mouvement associatif de défense
orphelins à l’Agence devient un acteur de sa santé et de ses soins. Les des droits des malades
européenne du médi- patients organisés deviennent des acteurs du système La nébuleuse des associations de patients est en voie
cament, membre du de santé. Les associations de patients agissent avec de structuration grâce à une dynamique d’alliance au
conseil d’administra- et auprès des malades et entreprennent une démarche sein de réseaux verticaux et horizontaux de mieux en
tion de l’Anaes. citoyenne de participation et de prise de responsabilité mieux connectés entre eux, sous la double impulsion des
collective dans la politique de santé. nouvelles technologies d’information (Internet en premier
lieu) et de la professionnalisation de ces associations.
Les associations de patients Cette structuration s’effectue à trois niveaux :
Le monde associatif des patients est en forte crois- ● européen ou international en collectifs ou fédérations
sance, à la fois en nombre d’associations, en nombre autour d’une maladie ou d’un groupe de maladies comme
d’adhérents et sympathisants, en actions conduites et en le European Aids Treatment Group et le réseau Change
moyens humains et financiers. Toutefois ce monde forme pour le sida, la European Federation of Crohns and
un ensemble très hétérogène, avec des associations Ulcerative Colitis Associations, l’International Herpes
diverses en termes d’objet social, de nature des actions, Alliance, Alzheimer Europe ou l’International Osteoporosis
d’histoire, de composition et de représentativité, de Foundation ;
moyens, de vocation locale, nationale ou européenne. ● national, sous la forme de collectifs réunis autour
Les associations de patients ont toutes été créées par d’une problématique commune, avec en France le Col-
et pour des malades ou les familles concernées par une lectif inter-associatif sur la santé et l’Alliance maladies
pathologie précise ou un ensemble de maladies. Leur rares ;
création est liée soit à une urgence de santé publique ● européen ou international en regroupements très
(épidémies du VIH/sida et des hépatites), soit à des large, comme l’Alliance internationale des organisations
avancées scientifiques (description, localisation et iden- de patients, ou des réseaux ciblés sur une problématique
tification des maladies génétiques, notamment pour comme la European Organisation for Rare Disorders
les maladies rares) ou médicales (rémission dans les pour les maladies rares, la European Coalition for Mental
traitements de certains cancers et de certaines maladies Illness pour les maladies mentales, la European Against
cardiovasculaires), soit à des stratégies de recherche Pain Campaign pour la douleur.
(maladies immunitaires, maladies de l’œil) ou encore à la À des degrés divers, toutes ces unions d’associations
prise en compte d’enjeux sociaux dans le champ sanitaire agissent dans le champ des droits individuels et col-
(usagers de drogues, transsexuels). Ces associations lectifs des malades. Une culture commune nourrie du
conduisent des missions très diverses : information, partage d’expériences acquises dans des maladies, des
accueil, entraide, soutien des personnes concernées, modes d’action ou des politiques et systèmes nationaux
sensibilisation du public, formation des malades, des différents est en cours de construction. Les actions
familles et des professionnels, développement et gestion communes de promotion ou de défense des droits sont
de programmes sociaux, d’information et d’éducation de plus en plus fréquentes et prioritaires dans l’action
thérapeutiques, d’accompagnement et d’accès aux soins de ces unions.
D
epuis les États généraux de la représentation collective. Avec quelles tions de malades s’apprêtent à renfor-
santé, les débats publics ont ressources financières les associations cer leur rôle citoyen grâce à la volonté
ouvert la voie à une nouvelle pourront-elles développer ces nouvelles politique gouvernementale et des légis-
étape de ré-appropriation des enjeux missions ? D’autre part, leurs moyens lateurs soutenus par l’opinion publique,
sanitaires et sociaux par les citoyens en sont sans lien direct avec l’importance ne serait-il pas dommageable que les
général et de participation des repré- de la maladie représentée en termes laboratoires pharmaceutiques soient
sentants des malades et des usagers de santé publique, ni en nombre de plus prompts que les pouvoirs publics
en particulier. La volonté politique de malades représentés, ni en termes de à reconnaître publiquement ce nouveau
promouvoir la démocratie sanitaire va qualité des actions juridiques ou publi- rôle des associations et à leur octroyer
bientôt être inscrite dans la loi. La ques conduites. Sans transparence des les moyens nécessaires à leur action ?
représentation des malades et des acteurs eux-mêmes et sans régulation Il serait dommage de reproduire avec
usagers va devenir plus explicite, plus par les pouvoirs publics, la légitimité les malades et les usagers (en matière
permanente, plus exigeante aussi, plus et la crédibilité de ces nouvelles repré- d’information, formation et représen-
institutionnelle dans le bon sens du sentations pourraient rapidement être tation) les mêmes erreurs qu’avec les
mot. Cette nouvelle étape peut-elle être questionnées. médecins en laissant se développer
franchie sans moyens ? Quels moyens En particulier, les laboratoires phar- une relation quasi exclusive avec les
financiers publics sommes-nous prêts maceutiques ont parfaitement identifié laboratoires, à bon compte. Les moyens
à lui consacrer ? Quelle reconnaissance les malades et les consommateurs nécessaires sont raisonnables.
et quel prix accordons-nous aux acteurs comme des acteurs du marché et des Les associations de malades et
de la défense des droits individuels et acteurs politiques. Depuis cinq ans, ils d’usagers sont prêtes à saisir les nou-
collectifs des malades ? consacrent des moyens significatifs et velles opportunités pour construire
Les moyens budgétaires des associa- croissants au financement des actions ensemble un modèle de démocratie
tions de santé sont de niveaux très dis- des associations, à la constitution des sanitaire. Elles souhaitent le faire dans
parates. Dans l’ensemble, ils sont sans réseaux associatifs en un mouvement des conditions économiques réalistes
commune mesure avec les besoins mieux organisé et potentiellement plus pour être crédibles et efficaces, avec
et la détresse de ceux qu’elles repré- influent au niveau national et inter- des ressources financières diversifiées,
sentent. Les ressources financières de national. Partout dans le monde, y équilibrées, dans la transparence des
ces associations sont constituées de compris en Europe et en France, les informations financières et des objectifs
l’appel à la générosité publique (dons laboratoires soutiennent (modestement poursuivis. Il relève de l’intérêt général
individuels, legs, produits des manifes- pour l’instant) l’action de certaines que les pouvoirs publics s’interrogent,
tations), de subventions privées (fon- associations ou unions en faveur de dès à présent, sur les moyens finan-
dations et entreprises), de subventions l’accès aux soins, de la qualité des ciers à consacrer aux acteurs de la
publiques (État, collectivités territoriales, soins et des droits individuels et col- démocratie sanitaire afin de ne pas
organismes sociaux) ou de la vente lectifs des malades. Ces nouvelles prendre le risque d’autres financements
de services à but non lucratif (prix de collaborations ne sont pas coupables, disproportionnés ou mal adaptés qui nui-
journée…). Les subventions publiques elles sont louables. Elles vont dans raient aux intérêts mêmes du système
sont accordées pour mettre en œuvre le sens d’une meilleure collaboration de santé, des associations, des indus-
Yann Le Cam des actions d’information, des actions entre les différents acteurs de la santé, triels et des malades eux-mêmes.
un besoin d’organisation du secteur associatif de la prise en charge. Six actions au moins permettent de
santé. Il est un interlocuteur représentatif des usagers les mettre en œuvre :
vis-à-vis des pouvoirs publics et développe une mission ● une réponse individuelle personnalisée,
d’information des usagers, de formation de leurs repré- ● un accompagnement des personnes dans l’exercice
sentants dans les établissements de santé et dans les de leurs droits individuels,
lieux de débats, et fait des propositions concrètes pour ● une ligne téléphonique de conseils juridiques, sur
renforcer les droits des malades (assurances, fichiers des tranches horaires dédiées chaque semaine, en
informatique et libertés, accès au dossier médical, partenariat avec Sida info service pour Aides (avec des
aléas thérapeutiques…), améliorer la représentation des juristes volontaires et des salariés formés), en partenariat
usagers et les conditions de son exercice. avec des avocats du barreau de Paris pour la LNCC,
L’Alliance maladies rares, créée dans la dynamique des ● un juriste à temps plein pour coordonner et mener
États généraux de la santé et de l’action en faveur d’une ces actions,
politique européenne sur les médicaments orphelins ● l’édition de documents d’information ou de guides
au début 2000, regroupe 76 associations en France. sur les droits,
L’Alliance est membre du CISS et a contribué activement ● une sensibilisation de publics ciblés par des actions
au volet droits des malades du projet de loi « droits des d’information et l’aide des médias.
malades et la qualité du système de santé ». L’Alliance À travers leurs actions, ces associations exercent une
diffuse une information sur les droits des malades, forme fonction de veille et de vigilance, avec un recueil des
ses membres, anime des groupes de travail internes, données qui permet la constitution d’un observatoire
participe à des groupes de travail publics, organise encore embryonnaire.
régulièrement des forums nationaux d’information et Ces actions rencontrent trois limites :
des débats ouverts au-delà de ses membres, auxquels ● l’impossibilité d’agir directement en justice, soit
participent 100 à 150 représentants d’associations. par l’exercice d’un droit de substitution, une action en
L’action de promotion de nouveaux droits et de respect représentation conjointe ou un droit d’ester en justice
des droits existants est une activité au cœur de ces pour représenter collectivement les malades,
deux collectifs. ● une faible culture juridique des personnes concer-
L’émergence de ce mouvement pour les droits des nées : la priorité est au soin plutôt qu’à la revendication
malades n’est pas une spécificité française. Il en existe des droits individuels,
dans la plupart des pays de l’Union européenne, dont ● des moyens financiers insuffisants : seuls Aides,
les plus influents sont en Hollande, au Danemark, au depuis plusieurs années, et la LNCC, depuis cette année,
Royaume-Uni, en Allemagne et plus récemment en Espa- bénéficient d’une subvention de l’État pour soutenir
gne et au Portugal. En Italie, le Tribunal des patients partiellement ces actions.
a été l’association aiguillon pour créer le collectif des
patients atteints de maladies chroniques qui réunit plus Rôle et limite pour les droits collectifs
de 60 associations. À Chypre ce collectif porte le nom La représentation institutionnelle des personnes malades
de Mouvement pour les droits des patients. est récente et limitée. Cette représentation permet
L’Alliance internationale des organisations de patients, aux associations de patients d’exercer une fonction de
créée en 1998 et dont le siège est à Londres, est le médiation entre les besoins des malades, l’exercice
réseau des réseaux d’associations de patients. Sa priorité des droits individuels et les lieux où s’élaborent les
actuelle est de renforcer la capacité des associations politiques publiques et la gestion de la politique de
de patients à participer à l’élaboration des politiques santé. Les usagers apportent une expertise à travers
de santé et à la gestion du système de soins tant au leur expérience. Ils rediffusent une information vers
niveau local, national, qu’européen et international. d’autres usagers et éventuellement accompagnent les
Elle bénéficie notamment du soutien de la Commission orientations prises. Les associations de patients et
européenne. Son nouveau site Internet, « Patients on les collectifs effectuent de fait une mission d’auto-
Line », a été inauguré depuis le Parlement européen formation et d’acculturation des responsables associatifs
en juin dernier. Elle édite un magazine trimestriel The à la défense des droits des malades et à l’exercice de
Patient’s Network en anglais, espagnol et japonais qui mandats de représentation. Trois rôles distincts, tous
est consacré à ces questions. utiles et nécessaires, apparaissent :
● la participation à la gestion et à la décision à travers
Rôles et limites pour les droits individuels les conseils d’administration,
À partir de l’analyse d’Aides, de la Ligue nationale contre ● la participation à l’expertise à travers les conseils,
le cancer et de l’Association française contre les myo- collèges, etc.,
pathies, se dégagent les rôles communs d’information, ● la participation aux débats.
éducation, de défense des droits, de promotion d’un L’avancée la plus significative a été la nomination
accès pour tous à ces droits définis tant en termes de de représentants des associations de patients ou de
respect, de dignité, d’écoute, d’information adaptée santé dans les conseils d’administration des hôpitaux
qu’en termes de qualité de diagnostic, de soins et de et les commissions de conciliation depuis la réforme
S
i la question des droits des patients est devenue Dominique
sanguine, un enjeu social au début des années quatre-
Thouvenin
● le conseil d’administration de l’Établissement fran- vingt-dix, cela ne signifie pas pour autant que ces
Professeur de droit,
çais des greffes. droits n’existaient pas auparavant. Ce n’est pas leur
Les deux agences françaises de sécurité sanitaire des reconnaissance qui est l’objet du débat actuel, mais bien Université Paris-7,
produits de santé et des aliments ont des représentants la prise en considération du patient comme une personne Denis-Diderot
des consommateurs dans leurs conseils d’administra- qui peut légitimement défendre ses intérêts.
tion. Encore faut-il liminairement prendre le soin de préciser
Au-delà, la représentation par les associations de que ces questions sont abordées en évoquant soit les
patients ou d’usagers dans les instances de consultation droits du malade, soit ceux du patient ou encore de
et de débat, d’expertise ou de décision existe par la l’usager, voire du client ; ces termes ne sont pas équi-
nomination de représentants au titre des personnes valents et méritent d’être précisés. Les mots « malade »
qualifiées pour : ou « patient » désignent une situation de fait : est malade
● le conseil d’administration et certaines sections du celui dont la santé est altérée (par des troubles orga-
conseil scientifique de l’Agence nationale d’accréditation niques ou fonctionnels) ; le terme « patient » — étymo-
et d’évaluation en santé, logiquement celui qui souffre — permet de désigner des
● les conférences nationale et régionales de santé. situations où la personne n’est pas nécessairement
Pour être complet et juste, il convient de mentionner atteinte d’une pathologie, mais est prise en charge
les nombreuses participations explicites ou comme par le système de soins (tel est le cas, par exemple,
personnes qualifiées dans les différentes instances des femmes qui demandent une IVG, des couples qui
publiques de conseil ou les groupes de travail, comités souhaitent bénéficier d’une assistance médicale à la
de pilotage etc., auprès du ministère de l’Emploi et de procréation).
la Solidarité. En revanche, les mots « client » ou « usager » renvoient
L’amélioration et l’extension de ces pratiques de à des catégories juridiques, qui sont celles des deux
représentation sont limitées par trois facteurs qui peuvent secteurs de soins privé et public : dans le premier cas,
guider l’action publique à venir : la personne contracte avec l’établissement de soins
● la représentation est souvent ambiguë dans sa privé et/ou avec les médecins ; elle est un client. Dans
légitimité et sa représentativité : les représentations le second cas, elle est un usager du service public, ce
doivent être explicites (et prévues par les textes) pour qui signifie qu’elle est dans une situation statutaire,
assurer le lien entre les représentants et leurs man- c’est-à-dire dont le contenu ne peut pas être négocié. À
dants (transparence des désignations, compte rendu la différence du secteur privé, la personne hospitalisée
de mandat…), n’a pas de relation juridique avec les médecins et les
● l’efficacité de la représentation actuelle est limitée autres professionnels de santé. Cela est dû au fait
par les conditions mêmes d’exercice : un statut reconnu qu’elle entre en relation avec le service public, dont le
de représentation des malades doit être mis en place, fonctionnement est assuré par l’ensemble des person-
accompagné d’un congé de représentation, d’une pro- nels. Or ces deux positions ne sont pas équivalentes car
tection des droits des bénéficiaires, d’une indemnisation les règles applicables ne sont pas les mêmes.
adaptée et d’une information-formation appropriée, Si on aborde les problèmes en mettant en avant l’état
● l’absence ou la faiblesse des ressources financiè- de santé péjoratif de quelqu’un, on devra alors prendre
res de ces associations, notamment pour exercer ces en considération les droits liés à cet état, notamment
mandats d’intérêt collectif : une reconnaissance formelle les droits sociaux. En revanche, si on prend en consi-
par un agrément différencié sur la base de critères et de dération le fait que la personne est soignée dans un
procédures transparents, une politique de subventions établissement, ce sont les règles organisant les rapports
publiques pluriannuelles pour l’exercice de ces missions de la personne avec ce dernier qui sont à prendre en
de représentations collectives. considération. Or, tel est bien l’objet du projet de loi sur
« les droits des malades et la qualité du système de santé », et la seconde « à l’évaluation et à l’analyse de
santé ». Celui-ci se propose d’énoncer dans un ensemble l’activité des établissements de santé », sachant que
cohérent un certain nombre de prérogatives dont est l’évaluation est pensée comme un moyen d’assurer des
titulaire la personne soignée, et cela quel que soit le soins de qualité ;
cadre de la relation. Par exemple, le respect de sa vie ● décret n° 91-1415 du 31 décembre 1991, faisant
privée sera identique qu’elle séjourne dans une clinique obligation à tous les établissements sociaux et médico-
privée ou à l’hôpital public. sociaux d’instituer (avant le 7 juillet 1992) un conseil
Historiquement, les rapports entre les patients et les d’établissement dans lequel les usagers de l’établis-
soignants se sont construits sur le modèle de la prise sement et les familles sont représentés ;
en charge : les professionnels de santé évaluent les ● lois dites bioéthiques, notamment loi n° 94-653
besoins des patients et y répondent avec leur savoir-faire du 29 juillet 1994 (intégrée dans le Code civil) et loi
en appréciant ce qu’ils estiment utile pour ces derniers. n° 94-654 du 29 juillet 1994 (intégrée dans le Code de
La décision prise est fondée sur le présupposé suivant : la santé publique) qui reconnaît la possibilité pour les
elle ne peut l’être que dans l’intérêt du patient, d’où patients qui en ont besoin d’obtenir des éléments du
paradoxalement un modèle de relation non pas bilatéral, corps humain prélevés sur d’autres personnes ; un tel
mais unilatéral, le professionnel de santé pouvant ne droit, pour être effectif, dépend la plupart du temps de
pas se soucier du point de vue de la personne objet personnes elles-mêmes malades, d’où la nécessité,
de soins, puisque celui-ci sait ce qui est bon pour le pour reconnaître l’intérêt thérapeutique d’autrui, de
patient. La prise en considération des droits dont est ménager les droits de chacun ;
titulaire la personne reçue dans un établissement de ● septembre 1994 : création d’un groupe de travail
soins est l’indicateur d’un renversement de ce modèle, sur les droits des patients à la division sida ;
en ce sens qu’elle se voit reconnaître la possibilité de ● création du Haut Comité de la réforme hospitalière
déterminer ce qu’elle estime être son intérêt. en 1995, comprenant des représentants d’associations
Les établissements hospitaliers ont été régis succes- de patients ;
sivement par la loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 ● circulaire DGS/DH n° 95-22 du 6 mai 1995 relative
portant réforme hospitalière (plusieurs fois modifiée), aux droits des patients hospitalisés et comportant une
puis par la loi n° 91-748 du 31 juillet 1991, dite loi hos- charte du patient hospitalisé qui prend acte du fait que
pitalière, laquelle a confirmé que les missions dévolues la maladie ne prive pas la personne de ses droits ; après
aux établissements de santé (qu’ils soient publics ou avoir dressé une liste des textes reconnaissant de tels
privés) sont d’une manière générale les soins médicaux droits, dans le but de les faire connaître concrètement,
de toute nature. Ces droits existent depuis fort long- elle invite les directeurs d’établissement à prendre les
temps ; en revanche, ce qui est nouveau c’est bien dispositions nécessaires pour assurer la diffusion de
« la volonté affichée de les prendre en considération la charte auprès des patients accueillis et suggère de
comme un élément de la règle du jeu instaurée par les poursuivre une réflexion sur ces droits associant le plus
établissements vis-à-vis de leurs usagers ». largement possible tous les professionnels concernés
De ce point de vue, le rappel des étapes successives et les associations ;
dont l’aboutissement envisagé devrait être la loi sur ● ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996, portant
« les droits des malades et la qualité du système de réforme de l’hospitalisation publique et privée qui fait
santé » n’est pas sans intérêt : obligation aux établissements d’avoir à informer les
● 30 avril 1980 : le comité européen de santé publique patients sur leurs droits et à assurer leur respect. Par
suggère aux États membres « d’encourager les malades à ailleurs une commission de conciliation est instaurée.
participer, de façon active, aux traitements, à la prévention Enfin, des représentants des usagers de santé font partie
ainsi qu’au maintien, à la formation et au rétablissement du conseil d’administration des établissements ;
de leur santé et de celle des autres » ; ● juin 1996 : rapport Evin sur les droits de la personne
● juin 1986 : la commission pour la réforme hos- malade (Conseil économique et social) ;
pitalière organise la première audition nationale des ● novembre 1998 : premiers États généraux des
associations de patients ; malades atteints de cancer : le fait d’avoir organisé une
● loi n° 90-527 du 27 juin 1990, relative aux droits et prise de parole de ces malades a contribué à permettre
à la protection des personnes hospitalisées en raison d’aborder les revendications des personnes en termes
de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitali- collectifs ;
sation qui inclut « un représentant d’une organisation ● 30 juin 1999 : clôture des États généraux de la
représentative des familles de personnes atteintes de santé : ils ont débuté en octobre 1998 et été l’occasion
troubles mentaux » dans la commission départementale d’une prise de parole dans environ 1 000 réunions ;
des hospitalisations psychiatriques ; celle-ci a permis de dégager un certain nombre d’axes
● loi n° 91-748 du 31 juillet 1991, dite loi hospitalière, prioritaires, notamment la nécessité de voter une loi
qui introduit dans un premier chapitre I.A intitulé « princi- consacrant « les droits de la personne malade » ;
pes fondamentaux » deux sections, la première consacrée ● loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit
aux « droits du malade accueilli dans l’établissement de à l’accès aux soins palliatifs : ce texte prévoit un certain
nombre de droits généraux, dont celui de s’opposer à aux choix pris en concertation entre pouvoirs publics
toute investigation ou thérapeutique ; et professionnels de santé, des décisions qui devront
● loi n° 99-641 du 27 juillet 1999, portant création de prendre en considération les revendications des utili-
la couverture maladie universelle, dans ses dispositions sateurs du système de santé. De tiers objets des soins,
relatives à la protection des données personnelles ; mais largement exclus des discussions les concernant,
● 24 février 2000 : recommandation n° R (2000) 5 ceux-ci vont devenir des interlocuteurs à part entière ;
du Comité des ministres aux États membres sur « le c’est pour cette raison que l’on peut parler de démocratie
développement de structures permettant la participation sanitaire, ce qui contribuera dans un avenir plus ou
des citoyens et des patients au processus décisionnel moins proche à cesser d’opposer les droits individuels
concernant les soins de santé » : est explicitement envi- et les droits collectifs des personnes qui ont recours
sagée la participation des patients aux processus de au système de santé.
décision en matière de santé ;
● juin 2000 : rapport Étienne Caniard sur « la place des
usagers dans le système de santé » : réflexion sur la mise
en place d’un processus de démocratie sanitaire.
Reconnaître que les droits des personnes séjournant
dans des établissements de santé sont à prendre en
considération constitue une évolution centrale des pra-
tiques sociales. En effet, ainsi que nous l’avons fait
remarquer, la relation de la personne soignée avec
l’institution qui s’occupe d’elle a été pensée sur le mode
de la prise en charge par les professionnels des intérêts
de la personne qui leur est confiée. La reconnaissance
de droits à cette dernière constitue une remise en cause
de ce modèle. En effet, un droit est une prérogative
positive dont une personne est titulaire et qui s’exerce
contre autrui. C’est donc un avantage dont bénéficie
une personne et qui lui est reconnu par la loi. Cette
construction juridique implique :
● que l’existence d’un droit reconnu à l’un restreint
la liberté de l’autre ;
● que ce droit confère à son titulaire un pouvoir légitime
contre cet autrui, c’est-à-dire qu’il dispose des moyens
nécessaires à le faire respecter. Toutefois, ce modèle
n’implique nullement que celui qui est en relation avec
une personne reconnaisse et respecte spontanément
les droits de cette dernière parce qu’ils existent. C’est
au titulaire des droits à en demander le bénéfice et
le respect, d’où la nécessité de leur revendication par
l’intéressé. Cette situation fragilise les personnes qui,
seules, n’ont souvent pas la possibilité d’exiger leur
application. C’est pour cette raison que le rôle des éta-
blissements est central et que l’ordonnance n° 96-346 du
24 avril 1996 prévoit que leurs règles de fonctionnement
doivent être « propres à faire assurer le respect des droits
et obligations des patients hospitalisés ».
Mais dorénavant la question des droits de la personne
ne se limite plus seulement au respect d’un certain
nombre de prérogatives d’un individu en particulier
reçu dans un établissement. Il est clair que c’est la
participation des patients en tant que citoyens qui va se
construire progressivement. Est ainsi reconnue l’idée
que les personnes étant directement concernées par
les questions de santé ont, de ce fait même, une apti-
tude légitime à exprimer leur point de vue ; mieux, leur
participation active à la prise de décisions en matière
de santé est recherchée.
Autrement dit, vont se substituer progressivement
L’information des patients, au-delà de leur relation avec les soignants, doit
permettre une implication dans le fonctionnement même du système de santé.
Aussi est-il important de réfléchir à son contenu et sa forme.
Véronique Ghadi
Information résultats.
Le débat sur l’information destinée aux usagers oblige
Chargée d’études,
Développement inno-
des usagers : donc à s’interroger sur les conditions de faisabilité de
la construction d’un système d’informations fiable et
valide qui leur serait proposé. L’objet de la présente
vation évaluation
santé (DIES) pourquoi ? contribution n’est pas de s’interroger sur cette faisabilité
(en partie traitée par la contribution de M. Naiditch et
quel intérêt ? qui fait l’objet d’une recherche en cours), mais « de
réfléchir à ce qu’on peut attendre a priori d’une telle
démarche d’information publique et des conditions de
L
ors des États généraux de la santé, les usagers sa réussite ».
ont manifesté combien leurs attentes étaient On peut dans un premier temps se situer d’un point
fortes en matière d’informations sur le système de vue général, politique et éthique, en considérant
de soins. Cette demande d’informations s’exprime aussi qu’informer le citoyen constitue une condition indis-
bien au niveau individuel : « Quelle est la maladie dont pensable au bon fonctionnement démocratique et
je souffre ? Quel est mon traitement ? » qu’à un niveau qu’informer le malade participe du souci de respecter
plus général : « Comment savoir où moi ou l’un de mes son autonomie et sa dignité. On peut aussi partir
proches peuvent être bien soignés ? » d’un point de vue plus pragmatique et considérer
En réponse aux demandes du premier type, Lionel l’intérêt d’informer l’usager ou le consommateur à
Jospin, en clôture de ces États généraux, s’était notam- partir de la contribution potentielle de cette informa-
ment engagé à garantir un libre accès des malades à tion à l’amélioration de la qualité des soins et des
leur dossier médical*, initiant ainsi un processus dont établissements médicaux et médico-sociaux, mais aussi
on sait combien il est long à se concrétiser. En ce qui de façon plus globale, à la régulation du système de
concerne les demandes d’informations plus générales soins. Cela étant selon qu’on s’adresse aux citoyens,
portant sur l’offre de soins, la réflexion et les études aux consommateurs éclairés, aux utilisateurs d’un
engagées en particulier par un groupe de profession- dispositif ou d’un service de soins, ou à des malades,
nels travaillant avec la direction de la Recherche, des l’information ne sera pas de même nature car elle ne
Études, de l’Évaluation et des Statistiques (Drees) visera pas les mêmes effets [17, 19]. C’est ce que
Les références nous allons voir en rappelant les différentes positions
entre crochets
renvoient à la * Prévu dans la future loi sur « les droits des malades et la qualité que peut occuper l’usager dans le système de santé
bibliographie p. 58. du système de santé ». (lire l’article de Ph. Bataille, p. 24), pour ensuite inter-
roger les différentes fonctions attendues de l’infor- Les recommandations de l’Anaes destinées aux médecins
mation.
En mars 2000, le groupe de travail mis en place
L’information à destination du citoyen par l’Anaes sur la question de l’information des
Elle vise d’abord à favoriser le débat public portant sur
des enjeux politiques, économiques ou sociaux. Celui-ci
patients rend publiques ses recommandations.
peut concerner la régulation générale du système et
de son financement (cf. l’expérience des jurys citoyens
anglais qui ont travaillé sur la priorisation des dépenses L’ information au patient comprend des explications
sur la maladie et son évolution, sur les démar-
ches diagnostiques et thérapeutiques, sur les effets
de santé [27]) ; il peut aussi se focaliser sur des élé-
ments plus techniques de son fonctionnement : nous indésirables et les risques éventuels même les plus
citerons l’expérience de l’Oregon, de hiérarchisation exceptionnels. Des principes concernant les modalités
des biens et services à rembourser par l’assurance de diffusion de cette information sont énoncés :
maladie [12]. ● l’information doit être adaptée et personnalisée
experts et groupes d’intérêts concernés par le sujet. faire l’objet de synthèse par un médecin unique.
L’organisation de débats publics plus ou moins for- Enfin, l’Anaes rappelle que l’information doit être
malisés a donc pour finalité soit d’aboutir à une meilleure régulièrement évaluée, tant dans son contenu que
décision du fait d’un apport supplémentaire issu de ces dans ses modalités de diffusion, et que les usagers
collectifs profanes, soit de favoriser l’adéquation entre doivent être associés à ces évaluations.
la décision publique et la position de la population avec
pour conséquence in fine, dans les deux cas, de mieux
asseoir la légitimité des décisions.
Ainsi, au Danemark, ces méthodes ont été utilisées
pour réaliser une évaluation des nouvelles technologies. pourrait également constituer une incitation pour les
Et en France, le Sénat s’en est inspiré pour organiser professionnels de santé à s’autoréguler afin de préser-
la confrontation autour des organismes génétiquement ver leur autonomie mais aussi leur réputation vis-à-vis
modifiés. Ce sont des techniques similaires qui ont été des consommateurs en produisant une médecine de
utilisées par une équipe de chercheurs français pour faire meilleure qualité. Par ailleurs, l’information doit éduquer
émerger d’un groupe d’usagers les informations qu’ils les consommateurs et leur donner les moyens d’effec-
souhaitaient avoir sur le fonctionnement des hôpitaux tuer des choix plus adéquats dans leurs recours aux
[6, 38]. prestataires de soins, tout en leur permettant de mieux
faire entendre leurs préférences globales au sein du
L’information à destination du consommateur système.
Très en vogue dans les pays anglo-saxons, elle est censée Dans les faits, toutes les études menées pour évaluer
faire pression sur les offreurs de soins en utilisant comme l’impact de ces expériences d’informations du consom-
levier la demande des consommateurs [36]. Il s’agit mateur ont abouti à des conclusions plutôt négatives :
d’essayer de mieux contrôler l’activité des professionnels celui-ci est rare, son effet sur le comportement des con-
en diminuant l’asymétrie d’informations qui joue en leur sommateurs et des professionnels est faible, limité dans
faveur. Les informations fournies aux clients sont censées son champ et dans le temps. Le seul impact constaté
leur permettre de juger de la qualité des prestations ne concerne pas la qualité des soins mais la politique
offertes et favoriser ainsi la création d’un véritable marketing des établissements de soins [16]. Certains
marché où jouerait la concurrence. Mais cette information auteurs s’interrogent même sur les effets délétères de
ce type d’information : augmentation de la tendance mais par ailleurs ne répondent pas aux attentes des
à consommer sans lien avec l’efficacité ; perte de con- usagers : un certain nombre de travaux tendent en effet
fiance vis-à-vis du système ; phénomènes d’écrémage à montrer que « ce que les malades souhaitent, c’est
de clientèle [26]. une information qui soit personnalisée et à forte valeur
d’usage ». Autrement dit, c’est une information qui ne
L’information sur l’offre de soins destinée à se cantonnerait pas à la description bio-clinique d’une
l’utilisateur pathologie, de ses thérapeutiques et des risques dont
Elle a pour objectif de le rendre plus autonome dans la elles sont potentiellement porteuses ; cette information
gestion de sa trajectoire de soins, en lui offrant d’abord doit pouvoir être traduite en termes de conséquences
une information descriptive sur le système, de manière à au quotidien des traitements proposés, en termes de
lui en faciliter l’usage. Cela doit aboutir à une circulation handicap, de gêne passagère, d’adaptation nécessaire
de l’usager dans le système et au sein des structures de du mode de vie, des conditions professionnelles que la
soins qui soit plus fluide et plus adaptée à ses attentes. maladie ou son traitement impliquent. Cela veut dire que
On peut alors espérer un fonctionnement plus efficient l’information devrait d’abord leur permettre de « faire, au
du système de soins. Cette information « générique » sur long terme, avec la maladie » et ainsi de construire de
l’offre de soins serait par ailleurs susceptible de favoriser nouvelles modalités de vie adaptées à leur environnement
une plus grande égalité dans l’accès au système de social.
soins : avec la mise en place de la couverture maladie
universelle, les inégalités dans l’accès aux soins vont Conclusion
en effet avoir tendance à s’exprimer moins en fonction Au terme de cette exploration des effets attendus de
d’inégalités financières qu’en termes d’inégalités des l’information destinée au public, nous ferons quatre
connaissances [28] : diffuser largement de l’information remarques conclusives :
sur le système d’offre serait alors l’un des moyens de Le fait d’informer les usagers ne constitue pas une fin
permettre aux plus démunis de pouvoir accéder, eux en soi : il s’agit « d’abord » d’un moyen permettant aux
aussi, à l’ensemble du système. Encore faut-il que cette usagers d’exercer leurs différents rôles face aux autres
information ait une forme appropriable par le public acteurs concernés, notamment les professionnels de
visé. santé et les gestionnaires.
L’information devrait les aider à élaborer leurs points
L’information destinée aux malades de vue sous une double facette individuelle et collective,
Enfin, on ne peut parler de l’information sans aborder leur fournir des éléments pour améliorer leurs choix
celle destinée aux malades, ce qui oblige à aborder de santé et de soins ; faciliter leur qualité de vie avec
le cadre de l’interaction entre soignants et soignés leur maladie.
dont l’information constitue l’une des modalités les Aujourd’hui, le mouvement, visant à construire une
plus fondamentales. Avec les récentes évolutions de la véritable « démocratie sanitaire », s’inscrit dans une
jurisprudence, l’information à destination du malade a dynamique qui touche des secteurs autres que celui de
suscité des interrogations, réflexions et réactions d’une la santé [41]. Les professionnels et pouvoirs publics
grande diversité. L’information dispensée dans le cadre souffrent d’un certain discrédit suite aux différents
de la prise en charge diagnostique et thérapeutique scandales sanitaires. Cela explique en partie les inter-
d’une pathologie, par un médecin ou une équipe médi- rogations sur la légitimité des experts, des professionnels
cale, trouve sa justification essentielle (en dehors des et des pouvoirs publics à décider seuls, entre eux, du
considérations éthiques) par sa contribution positive à devenir et des orientations du système de santé et sur
l’adaptation optimale des traitements ou interventions à leur capacité à élaborer de façon optimale un système
la vie au quotidien du malade. En informant son malade, de santé et de soins qui permette une égalité dans
le médecin cherche à obtenir du patient la meilleure l’accès et une bonne adéquation entre les demandes et
congruence entre ce qu’il juge que la médecine, par son les attentes de la population et les réponses du système
intermédiaire, peut lui proposer de mieux en matière de cible. Mais si un certain nombre d’acteurs s’accorde
traitement et ce que le malade, lui, en attend. Aujourd’hui, sur ce diagnostic, cela ne les amène pas nécessaire-
on constate que la réponse à cette exigence d’informa- ment tous à considérer que l’usager a de ce fait un rôle
tions tend à se réduire à une information sur les risques nouveau à jouer dans les orientations du système de
plus que sur les bénéfices. Dans un grand nombre de santé, et encore moins qu’il soit nécessaire d’infor-
cas, l’élaboration de documents écrits que le malade mer précisément cet usager et de l’impliquer dans
doit signer vise davantage à « protéger » le médecin des la construction du système d’information qui lui est
conséquences judiciaires de la réalisation éventuelle destiné. L’usager ne recouvrera pas confiance dans les
de ces risques qu’à informer clairement le malade. Les professionnels, les experts et les pouvoirs publics s’il
recommandations de l’Anaes se veulent un contrepoids n’est pas impliqué dans le choix des orientations du
à ces formes de pratiques d’information (cf. encadré), système ou dans le choix des modalités de traitement
qui non seulement ont des effets pervers en termes de de sa maladie. Or cette implication ne peut se faire
judiciarisation des rapports entre malades et soignants, qu’avec des usagers « éclairés, informés ».
D
epuis le début des années qua- relations malades–médecins qui pré- y a intérêt « le droit de consulter les
tre-vingt-dix, le partenariat entre valent au sein du système de santé. documents détenus par un autre et
praticiens et patients reste un qui ont été établis dans l’intérêt de la
des thèmes centraux des politiques Les informations fournies au première ». Ce droit d’accès n’inclurait
nationales de santé dans bon nombre patient doivent-elles être pas, selon les tribunaux allemands,
de pays européens. Cependant, en mai exhaustives ? les données subjectives mais seule-
2000, soit six ans après la déclaration À l’occasion d’un colloque à l’Assem- ment les éléments objectifs du dossier,
d’Amsterdam concernant la promotion blée nationale portant sur « l’accès à savoir les résultats d’examen, les
des droits des patients en Europe, au dossier médical et les droits de la radiographies. Un médecin peut, par
l’OMS Europe constatait avec une cer- personne malade », en mars 2000, les contre, refuser de montrer à un malade
taine amertume que sur les 55 pays journaux Libération et Le Quotidien des commentaires d’analyses. La Cour
adhérents, seuls 9 pays — à savoir du médecin avaient consacré des arti- fédérale suprême va même plus loin
le Danemark, la Finlande, la Géorgie, cles à ce thème, montrant clairement puisqu’elle conseille aux médecins
la Grèce, l’Islande, Israël, la Lituanie, les divergences des patients et des d’avoir deux dossiers pour chaque
les Pays-Bas et la Norvège — avaient médecins en la matière. Ainsi, alors patient, l’un consultable par le malade
consacré une législation spécifique que Libération titrait « 88 % des mala- et l’autre pour leurs besoins pro-
aux droits du patient et 4 pays, dont des sont pour un accès libre » à leur pres.
la France, mais aussi le Portugal, l’Ir- dossier médical, Le Quotidien souli- Aux Pays-Bas, si la loi sur l’accord en
lande et le Royaume-Uni, promulgué gnait que près de 60 % des médecins matière de traitement médical, entrée
une charte des patients. Ce qui ne étaient contre. en vigueur en 1995 et intégrée depuis
signifie pas pour autant que, dans les L’étude de la littérature internatio- au Code civil, prévoit un accès large
autres pays, les patients soient entiè- nale menée par N. Moumjid-Ferdjaoui du patient à son dossier médical et
rement dénués de tout droit. Dans et M.-O. Carrère met bien en relief le ce sans exception d’âge, la Société
la plupart des pays de l’Union euro- souhait des patients d’être clairement néerlandaise de médecine n’en a pas
péenne, une mosaïque de réglementa- informés sur leur état de santé [3], moins recommandé aux médecins
tions diverses ainsi que les tribunaux, même si l’affirmation de leurs désirs d’éviter de faire figurer leurs annota-
en l’absence de textes spécifiques, ne se traduit pas forcément par un tions personnelles dans le dossier
ont souvent dessiné les contours d’un comportement actif de recherche d’in- transmis au malade.
véritable droit des malades. formation au moment de la rencontre Mais aussi bien au Danemark
Les droits du patient sont multiples. avec le médecin et encore moins par qu’aux Pays-Bas, les données suscep-
Ils vont du droit à des soins de qualité, une volonté de participer à la déci- tibles de nuire à la vie privée d’un tiers
en passant par celui du choix du pra- sion. ne sont pas, en principe, consultables
Diane ticien, du nécessaire consentement, Mais que doit exactement contenir le par le malade.
Lequet-Slama du droit à la protection de la vie privée, dossier médical auquel le patient peut
à la médiation, mais aussi du droit accéder ? Sur ce point, les positions L’obligation du médecin d’informer
Chargée de mis-
à l’information concernant sa santé. retenues divergent selon les pays. son malade s’applique-t-elle en cas
sion sur les dos- Concernant ce dernier droit, la décla- Ainsi, au Danemark, la loi de 1998 de pronostic grave, voire fatal ?
siers internatio- ration de l’OMS de 1994 précise que sur le statut juridique du patient, qui Jusqu’à quelle limite un médecin est-il
naux, direction de les malades « doivent être pleinement remplace la loi de 1993 sur l’accès tenu d’informer son malade ? La ques-
la Recherche des informés de leur état de santé, y com- aux informations médicales, considère tion est particulièrement difficile en
Études, de l’Éva- pris des données médicales… des que le patient a le droit, dès l’âge de cas de pronostic grave, voire fatal. Sur
luation et des actes médicaux envisagés avec les ris- quinze ans, de recevoir la totalité des ce point encore, il est intéressant de
Statistiques ques et avantages qu’ils comportent, informations concernant son état de se référer aux enquêtes menées dans
(Drees) des possibilités thérapeutiques alter- santé et les possibilités de traitement. plusieurs pays sur les souhaits des
L
Michka Naiditch es palmarès classant les hôpitaux selon leur mérite juger de leur adéquation avec les attentes des usagers
Chargé d’études, et l’acuité des débats qu’ils ont suscités ont été pour autant que celles-ci puissent être objectivées ?
Développement inno- l’un des premiers signes tangibles attestant de Pour répondre à ces différentes interrogations, nous
vation évaluation l’émergence d’une demande du grand public pour des nous fonderons sur la contribution de Véronique Ghadi
informations médicalisées et portant sur l’hôpital. Cette concernant les différentes fonctions de l’information et
santé (DIES)
demande traduit l’évolution profonde qui s’est produite sur les principaux résultats d’une recherche entreprise
au cours des quinze dernières années, concernant l’ap- par un groupe d’experts réunis par la Drees et qui a porté
préhension que le grand public a d’une part de l’efficacité d’une part sur la mesure de la performance hospitalière
du fonctionnement du système de soins et d’autre part et sur la nature des informations que les usagers sou-
de la place et du rôle que les usagers et les malades haiteraient avoir sur l’hôpital. Cela dans le but d’aboutir
pourraient y occuper dans le futur. Jusqu’à une date à terme à un système d’information cible destiné aux
récente, en effet, le progrès des connaissances et des usagers. La place de l’accréditation sera discutée à la
technologies auquel un nombre croissant de nos con- lumière de ces résultats et nous conclurons en émettant
citoyens pouvait accéder en droit, grâce à l’extension de trois couples de remarques/suggestions quant aux
la couverture sociale obligatoire, avait suffi à construire évolutions possibles et souhaitables, réflexions qui
une représentation largement positive des effets du n’engagent que leur auteur.
système. Dans ce contexte, la délégation de fait aux
professionnels du soin de l’évaluation de leurs pratiques, Les palmarès
à l’abri de tout regard externe, traduisait la force du Les différents palmarès « français » sont des versions
contrat collectif entre les médecins et l’État, ainsi que la simplifiées d’outils du même genre qui ont fleuri essen-
confiance de chaque usager dans l’éthique personnelle tiellement outre-Atlantique. Comme eux, ils poursuivent
des professionnels, confiance relayée par une croyance un objectif : classer les hôpitaux par ordre de mérite,
dans les bienfaits naturels du progrès scientifique. notamment en termes de qualité des soins afin de
Cette situation a évolué pour de multiples raisons. permettre aux consommateurs, ainsi mieux informés, de
La complexité croissante de l’organisation et du fonc- faire des choix plus rationnels et conformes à leur utilité.
tionnement du système de soins en a rendu la lecture Ce qui renvoie précisément à l’une des fonctions de
de plus en plus difficile par les usagers profanes. À cela l’information décrite par Véronique Ghadi (lire p. 36).
s’est ajouté le sentiment des malades de ne pas être Les différents fabricants de palmarès ne considèrent
suffisamment écoutés et/ou associés aux décisions en fait implicitement qu’une seule dimension de la
les concernant collectivement, et respectés en tant performance : celle de la qualité des soins, celle-ci
que personne, du fait d’une pratique médicale trop étant par ailleurs examinée sous ses seuls versants
centrée sur une approche par organe, techniciste et techniques et productifs. Ainsi, l’activité serait un reflet de
déshumanisante. La prééminence de cette approche l’entraînement des équipes, la mortalité intra-hospitalière
bio-médicale a été remise en question par une perception (ajustée sur l’âge) et la « notoriété » celui de leur efficacité
plus critique des conséquences potentiellement négatives technique, la « technicité » et la « spécialisation » des
des biotechnologies qui a contribué à relativiser les paramètres garantissant des pratiques de qualité. De la
certitudes en matière de progrès médical sur lesquelles même manière, une durée de séjour réduite (productivité)
cette approche s’appuyait. Enfin et surtout, les affaires du et la part de l’activité ambulatoire pour certains actes
sang contaminé et de la « vache folle » (encéphalopathie chirurgicaux (efficacité technique) complètent ce tableau
spongiforme), avec pour dénominateur commun un déficit des critères de mesure qui s’appliquent majoritairement
de transparence dans les processus d’information du à l’activité chirurgicale.
public, ont généré des craintes portant sur les consé- Ce type d’outil appelle trois réserves quant à leur
quences sanitaires réelles ou perçues, des décisions valeur d’usage comme outil d’information :
prises. Tous ces éléments ont contribué à nuancer la
confiance de la population vis-à-vis du fonctionnement Réserve de nature métrologique
du système de soins et envers les professionnels et D’une part la pertinence de la plupart des indicateurs
à faire émerger corrélativement chez les usagers une utilisés, lorsqu’on les examine un à un, est problématique.
On pourra se référer à différentes études étrangères desservir. Cette notion de contingence de la performance
et aux travaux du groupe cité plus haut qui montrent implique d’analyser l’hôpital au sein d’un territoire et
que les conditions de maîtrise des données servant à l’activité hospitalière comme une étape particulière de la
construire les différents indicateurs et permettant de trajectoire des malades ou de leurs maladies, notamment
rendre les comparaisons valides ne sont pas réunies. en cas d’affections multiples et/ou chroniques, et dans
Le score unique permettant de classer résulte direc- la mesure où la qualité des soins délivrés à l’hôpital
tement de l’agrégation de ces différents indicateurs, dépend largement de la qualité des services prodigués
affectés préalablement d’un coefficient spécifique. Cela en aval et en amont. Ainsi la mortalité hospitalière liée à
pose des problèmes majeurs de validité : d’une part la l’asthme est fortement conditionnée par l’accessibilité
qualité est une notion multidimensionnelle complexe : aux services ambulatoires [23], tout comme le taux de
selon la définition de l’OMS, qui fait référence dans le mortalité néonatale des nouveau-nés est dépendant de
domaine, des soins de qualité sont ceux qui garantissent la qualité du suivi de grossesse en amont de l’hôpital
« à chaque patient de recevoir la combinaison d’actes [18]. Par ailleurs, la qualité du service rendu par l’hôpital
diagnostiques et thérapeutiques qui lui assurera le meilleur ne saurait s’apprécier uniquement par le service rendu
résultat en termes de santé, conformément à l’état actuel à ceux qui y ont accès (sa clientèle), mais mérite d’être
de la science médicale, au meilleur coût, pour un même appréciée sur l’ensemble de la population qui pourrait
résultat, au moindre risque iatrogène et pour sa plus grande bénéficier de ses services, ce que certains appellent
satisfaction en termes de procédures, de résultats et de qualité épidémiologique des soins [35], ce dernier concept
contacts ». On ne saurait donc se contenter d’approche renvoyant indirectement à la notion d’accessibilité. Dès
partielle, privilégiant telle ou telle dimension, dans la lors, mesurer la bonne performance d’un hôpital, c’est
mesure ou aucune composante de la qualité ne peut aussi être capable, « au-delà de son fonctionnement
être considérée comme secondaire. pris isolément, d’apprécier sa capacité à travailler “en
Les différentes entités que sont censés mesurer ces réseau” avec l’ensemble des partenaires concernés et
indicateurs, « la satisfaction des patients », « l’absence à optimiser ainsi les filières de soins » (guide Anaes ;
de complications », « l’état de santé », « la pertinence guide Credes/Image sur les réseaux).
des actes » ou « leur coût » sont incommensurables. Ce Quoi qu’il en soit, cette approche par les classements
qui implique l’impossibilité d’établir une hiérarchie de ne semble pas avoir recueilli l’assentiment du groupe
valeurs et donc l’existence d’un système de pondération d’usagers à qui il avait été demandé de construire
valide. D’où, in fine, l’impossibilité de construire un score collectivement la nature des informations qu’il souhaitait
global qui ait du sens. Mais si classer des hôpitaux n’a avoir sur l’hôpital. Sans faire de leur position une figure
aucun sens, la nécessité d’études comparatives dans intangible, il est intéressant de constater que le groupe,
des conditions correctes demeure. dans ses conclusions, a eu tendance à privilégier une
approche dans laquelle l’information délivrée sur l’hôpital,
Réserve de nature conceptuelle en partie comparative, devrait leur permette de mieux
Les indicateurs utilisés tendent à fournir une représen- comprendre les liens de l’hôpital avec son environnement,
tation de la « performance » de l’hôpital d’une part et ce de façon à la fois plus large et plus précise que les
excessivement réductrice, et d’autre part biaisée du professionnels n’en jugent (ce qui renvoie aux critiques
fait que celle-ci est considérée comme une propriété précédentes), mais surtout elle devrait leur permettre de
intrinsèque de la structure, isolée de son environnement. s’assurer de l’existence de prises en charge caractérisées
Or cette position ne rend pas compte de la forte dépen- par des pratiques respectueuses de leurs attentes et
dance de la nature et de la qualité des services fournis de leurs points de vue.
par l’hôpital eu égard au contexte dans lequel il se Les évaluations plutôt négatives de l’effet de ses
situe ; « la performance hospitalière » est une propriété palmarès outre-Atlantique et donc de sa valeur d’usage
contingente* et il est vain de la mesurer indépendamment font par ailleurs douter de la capacité des usagers
de son environnement (notamment économique et géo- profanes à utiliser de façon immédiate une information
graphique**) et des caractéristiques (épidémiologiques, comparative et/ou à l’intégrer aux autres critères de
sociales, culturelles) de la collectivité qu’il est censé choix dont ils disposent. À tout le moins, elles obligent à
s’intéresser aux conditions qui le leur permettraient.
* « Les enjeux de la définition et de la mesure de la performance de
l’hôpital renvoient donc à son fonctionnement propre, mais aussi à Réserve d’ordre méthodologique
sa position, dans un ensemble qu’il ne peut plus ignorer » C’est en
Le modèle implicite sur lequel ces palmarès s’appuient
ces termes que Alain Letourmy conclut son résumé du séminaire
organisé les 5 et 6 octobre 1998 par l’INSERM sur « la performance pour décrire l’activité hospitalière est celui de l’industrie
hospitalière : du malade au système hospitalier » (IA n° 162, décembre et de ses produits (par exemple le groupe homogène de
1998, p. 10-11).
** Par exemple dans un programme de recherche financé par la
Mire (Les disparités interrégionales de l’offre de soins sont-elles que, dans les zones densément peuplées, la proximité facilite les
légitimes ? Le cas de la périnatalité), E. Combier et coll. se proposent économies d’échelle sans compromettre la sécurité ; dans les zones
d’étudier les externalités positives d’agglomération et les externalités « désertes », maintenir des structures de proximité pour faire face
négatives de « désertification ». En bref, l’hypothèse à tester est aux urgences coûte cher.
malades, GMH, comme produit de l’hôpital) plutôt que autrefois les malades. Ceux-ci, au contraire, présentent
celui des activités de type « service ». Or ce qui oppose leur demande d’information comme une des conditions
ces deux notions de « produit » et de « service » réside préalables à la restauration de cette confiance. S’il est
dans le fait que, contrairement au premier cité (une abusif d’attendre de la qualité de l’information délivrée
voiture, par exemple), un service est coproduit, c’est-à- aux malades qu’elle ait cette capacité à elle seule, il faut
dire produit par l’entreprise mais aussi par celui auquel néanmoins aider et soutenir tous les professionnels,
il s’adresse et que sa qualité en dépend fortement. Or soignants et non-soignants, à répondre plus efficacement
la production ultime de l’hôpital, à savoir « la prise en à cette exigence légitime mais à laquelle ils semblent
charge des malades », est précisément le résultat d’une peu préparés.
« coproduction » (au sens où le malade va « injecter dans ● Un moyen possible pour améliorer l’efficience globale
le processus de production » à la fois ses connaissances du système serait de travailler à la construction d’une
et son point de vue — notamment au moment de la information générique sur celui-ci qui puisse rehausser le
phase diagnostique — mais aussi ses réactions spé- niveau global de connaissance de la population française
cifiques durant la phase des traitements). en matière de soins et de santé. Ainsi, dans une récente
Il s’ensuit que tout modèle, nécessairement multi- recherche sur la prescription d’antibiotiques, il est apparu
dimensionnel, de la performance hospitalière devrait que, dans certaines situations, les généralistes étaient
s’efforcer de prendre en compte cette caractéristique amenés à prescrire des antibiotiques sous la pression
de sa production. Mais cette approche de l’hôpital incite de leurs malades et ce en dépit de leurs explications.
alors à intégrer de façon plus forte, dans la construction On peut s’interroger sur le fait de savoir si une informa-
des indicateurs de performance, le point de vue des tion plus globale des malades sur les antibiotiques et
patients en allant au-delà de l’analyse de leur satisfaction leurs effets « écologiques » n’aurait pas pu contribuer à
ou de leur qualité de vie. C’est d’ailleurs le souhait améliorer le dialogue et la compréhension au niveau du
manifesté par le groupe d’usagers cité plus haut. colloque singulier, et partant à construire en commun
une décision différente. On conçoit alors l’intérêt de
L’accréditation dispositifs collectifs d’information et de prise de décision
Cela nous amène à discuter alors de la place de l’ac- qui puissent contribuer à l’élaboration d’un point de vue
créditation comme outil d’information. Dans le modèle plus informé des usagers sur le système de soins.
de la performance développé par la Drees, une place très ● On peut envisager que des usagers soient associés
importante est dévolue à l’organisation des pratiques et de façon active non seulement à l’ensemble des recher-
du travail étayée par la notion de « culture commune ». À ches actuelles pour tout ce qui concerne la construction
cet égard les différentes dimensions de l’accréditation, de dispositifs d’information nouveaux les concernant mais
qui globalement doit permettre de juger de l’efficacité de aussi soit mieux informés sur et intégrés aux processus de
la démarche d’amélioration permanente de la qualité des construction des outils institutionnels majeurs participant
soins existant au sein d’un établissement, peuvent fournir au fonctionnement (projets médicaux d’établissement)
des éléments de repère, notamment sur la manière dont ou à l’évaluation globale de celui-ci (accréditation).
le processus d’information générale est organisé dans Cela apparaît en conformité avec la ligne générale de
l’établissement, sur sa capacité à faciliter le circuit du conclusion du rapport du HCSP.
malade en son sein, sur la tenue et la disponibilité du
dossier médical, sur l’information concernant l’organi-
sation de la sécurité et des vigilances et sur leur valeur
d’usage respective. Or ces dimensions rejoignent en
grande partie ce que souhaitent savoir les usagers sur
l’hôpital. Si l’accréditation n’a donc pas vocation à fournir
des éléments de comparaison entre des structures, les
éléments et les critères de jugement dont elle dispose
en font un outil potentiellement utile à l’information
des usagers. Mais on peut penser que la situation
d’aujourd’hui est largement perfectible.
Conclusion
Comment faire pour que l’information destinée à l’usager
puisse contribuer à une meilleure efficience des soins
délivrés à chacun et en même temps à l’efficience globale
du système ?
Nous ferons trois remarques et trois suggestions :
● Une grande partie des professionnels ont tendance
à vivre cette exigence d’information comme une mani-
festation de la fin de la confiance que leur témoignaient
Responsabilité
D
ans l’ensemble des pays industrialisés, les textes compte tenu des informations et préconisations des
Dominique Broclain réglementaires donnant clairement la primauté professionnels de santé, les décisions concernant sa
Président de au principe éthique de respect de l’autonomie santé. Aucun acte médical, aucun traitement ne peut
l’Association pour le du patient se sont multipliés dans les années quatre- être décidé et pratiqué sans son consentement libre et
partage de l’informa- vingt-dix, témoignant d’un nouveau regard sur la rela- éclairé. »
tion médecin-malade (charte du patient hospitalisé, Entre les modèles extrêmes représentés par un pater-
tion médicale (APIM)
nouveau code de déontologie médicale, arrêt Hédreul nalisme et un autonomisme absolus, d’autres modèles
de la Cour de cassation, référentiels d’accréditation ont été proposés. Deux exemples de ces modèles inter-
et recommandations sur l’information des patients de médiaires sont donnés par le modèle du garant, dans
l’Anaes, recommandations du Comité consultatif national lequel le médecin, après avoir fait exprimer ses préfé-
d’éthique sur le consentement aux soins, etc.). rences au malade, décide seul en tant que représentant
Ces textes ont en commun une tonalité universelle, fidèle des intérêts du patient, et le modèle de la décision
rassemblant dans un champ d’application unique tous partagée, où l’information médicale est partagée et les
les types de décisions médicales, tous les médecins et décisions sont élaborées conjointement [11].
la quasi-totalité des usagers du système de soins.
La décision partagée plébiscitée
Les textes réglementaires à l’épreuve du réel En juin 2001, un échantillon national représentatif de la
Le principe de respect de l’autonomie implique que population française était interrogé par téléphone sur le
seul le patient peut savoir ce qui est bien pour lui- type de médecin vers lequel allait sa préférence. Trois
même : en vertu de ce principe, en citoyen adulte, libre et options étaient proposées. Alors que les deux variantes
responsable, celui-ci est en droit de refuser de consentir du modèle paternaliste (« Un médecin qui ne vous donne
aux décisions de son médecin et, sous réserve d’une pas d’explication et qui décide seul de ce qui est bien
information appropriée, peut assumer le rôle de décideur pour vous » et « Un médecin qui vous explique l’essentiel
final des soins qui le concernent. sans entrer dans les détails et qui décide seul ») ne
Ce modèle autonomiste s’est progressivement subs- recueillaient respectivement que 1 % et 5 % des suffra-
titué, du moins dans les textes réglementaires, au modèle ges, le modèle de la décision partagée (« Un médecin
qui, si vous le souhaitez, vous explique précisément requérant l’expression du consentement du patient avant
la situation, vous présente les choix possibles et vous tout acte technique [29].
associe à la décision ») était plébiscité par 93 % des Pour les procédures invasives majeures, les auteurs
personnes interrogées [21]. constatèrent que la signature du formulaire de consen-
Chacune des options proposées à ces bien-portants tement était certes accomplie, mais comme une simple
les questionnaient à la fois sur leur désir d’être informés formalité administrative. Les procédures diagnostiques
et sur le rôle qu’ils souhaitaient jouer dans la décision « de routine » (radiographies, échographies, prises de
médicale. Or il a été démontré de manière répétée que, sang, analyses d’urine, électrocardiogrammes, etc.) et
si la majorité des patients expriment, lorsqu’ils sont les prescriptions médicamenteuses ne faisaient par
interrogés sur les lieux de soins, un fort désir d’être contre jamais l’objet d’une recherche de consentement :
informés, seule une minorité manifeste le désir de jugées, tant par les médecins que par les patients,
prendre une responsabilité dans la décision médicale comme relevant de la prérogative exclusive des médecins,
[8, 15]. elles n’étaient en général accompagnées d’aucune
Dès lors que l’on entre dans l’univers autrement délivrance d’information.
réel des médecins et des malades en interaction, le Les auteurs remarquaient qu’à tout moment, en fonc-
paradigme autonomiste soulève de sérieuses questions tion de l’évolution naturelle de la maladie, des résultats
de fond [37]. des investigations diagnostiques et des traitements
Le modèle du patient décideur sous-jacent aux textes mis en œuvre, de nouvelles options décisionnelles
réglementaires ne prend actuellement en compte ni les s’offraient au médecin : tenir le patient informé de ces
contraintes sociales, organisationnelles et institution- options mouvantes devenait souvent vite compliqué. Ils
nelles, ni la volonté individuelle et l’aptitude concrète concluaient leur étude en écrivant que « tout se passe
des patients à prendre, seuls ou avec leur médecin, les comme si les procédures médicales sont mises en œuvre,
décisions concernant leur santé. La volonté et l’aptitude non sur la base d’un consentement préalable aux soins,
des médecins à associer leurs malades au processus mais en l’absence d’objection de la part des patients, les
décisionnel apparaissent, elles aussi, comme un facteur médecins possédant implicitement le droit de transgresser
déterminant. Kaplan a mesuré le style plus ou moins l’intégrité corporelle de leurs malades tant que ceux-ci
participatif de 300 médecins de diverses spécialités ne s’y opposent pas explicitement » [29].
à l’aide d’un score calculé à partir des informations Nous avons récemment réalisé une étude qualitative
fournies par 8 000 de leurs patients : les médecins dans un service de cardiologie dirigé par un médecin
ayant le style le plus participatif avaient bénéficié plus manifestant depuis quinze ans la volonté authentique
souvent d’une formation à la relation au cours de leurs d’associer ses malades aux décisions. Un cas « exem-
études, avec un volume d’activité plus modéré que les plaire ». Toutes les interactions entre 32 malades et les
médecins peu participatifs [25]. médecins du service ont été enregistrées au magnéto-
La participation du malade ou de l’usager à la déci- phone, transcrites, et les décisions prises au cours de
sion a été étudiée empiriquement pour des situations l’hospitalisation (20 par patient en moyenne) analysées,
pathologiques particulières, où la meilleure des options afin de déterminer au cas par cas la place du patient
ne peut être distinguée par un rapport bénéfices/risques dans le processus décisionnel [10].
nettement avantageux (traitements des cancers de la Nous avons retrouvé la même absence d’information
prostate, traitement hormonal substitutif, angioplastie et de recherche de consentement pour les examens
versus pontage coronarien, etc.). Ces pratiques expéri- de routine que Lidz et col., il y a vingt ans, aux États-
mentales de la décision partagée ne concernent qu’une Unis.
fraction marginale des soins courants visés par les Mais deux groupes de décisions ont pu être différen-
textes réglementaires. La conception et l’évaluation ciés : les décisions où une option unique est présentée
d’instruments d’aide à la décision destinés aux patients au patient (91 %) ; les décisions où le médecin expose
(decision aids) est cependant un domaine de recherches plusieurs options (9 %).
en plein essor*. Les médecins ne décrivent pas aux patients toutes les
possibilités décisionnelles envisageables en théorie à un
La doctrine juridique du consentement à l’épreuve moment donné. Dans la plupart des cas, les médecins
du terrain n’informent ou ne mettent à la discussion qu’une seule
En 1982, le gouvernement américain commandita une option, laissant alors les malades face à la possibilité
étude qualitative destinée à mesurer l’écart entre la de consentir, de subir ou de refuser la décision. Ce n’est
doctrine théorique du consentement aux soins et sa que lorsque les médecins prennent l’initiative d’exposer
mise en pratique à l’hôpital. Lidz et coll. observèrent les les avantages et inconvénients de plusieurs options
interactions médecin-patients dans un hôpital universitaire qu’ils offrent réellement aux patients la possibilité d’ex-
primer leurs préférences et ouvrent un espace virtuel
de participation à la décision médicale.
* Un registre de ces instruments est consultable à l’adresse La distinction conceptuelle entre décisions « à une
www.ohri.ca/programs/clinical_epidemiology/OHDEC/decision_aids.asp. option » et décisions « à plusieurs options » apparaît
Responsabilité et
droit au risque
dans les pratiques
gérontologiques
L
Jean-Jacques Amyot a réflexion conduite ici est directement issue d’un
Psychosociologue, dispositif mis en œuvre par la Fondation de France
directeur de l’Office sur le thème « dignité des personnes âgées, droit
aquitain de recher- au choix, droit au risque et responsabilité » auquel 140
professionnels et retraités ont participé sous couvert
che, d’études, d’infor-
de huit groupes* dont les responsables ont, dans un
mation et de liaison
second temps, constitué un groupe national.
sur les problèmes
fondamentale. Exposés à une seule option décisionnelle, des personnes âgées De la prise en charge et des soins
les patients ont exprimé oralement leur consentement (Oareil) Une organisation trop rigide alliée à un souci d’écarter
dans 10 % de ces situations dépourvues de choix. En Alain Villez tout risque de mise en cause de la responsabilité des
contraste, quand les médecins leur ont proposé plusieurs Directeur adjoint de professionnels peut conduire à la négation progressive
alternatives, les malades ont explicité leur préférence l’Uriopss Nord- de la liberté, du droit au risque et du droit au choix
ou leur accord pour l’une des options dans 60 % de ces Pas-de-Calais et des personnes âgées vivant en établissement ou à
situations « à choix » [10]. conseiller technique leur domicile, mettant à mal la dignité même de ces
à l’Uniopss (Union personnes comme expression d’un droit fondamental
Le défaut est-il dans la médecine, dans les médecins reconnu à tout être humain.
régionale [nationale]
ou dans la doctrine ? Le droit au choix est celui de l’exercice de la liberté.
Il est troublant de constater que les études qualitatives
interfédérale des
La notion de liberté ne peut être dissociée de celle de
effectuées dans des contextes de soins courants variés œuvres et organis- la responsabilité. Il est difficile d’admettre que la liberté
(médecine générale, unités spécialisées diverses) en mes privés sanitaires puisse être un exercice dangereux et nuisible pour soi ou
arrivent régulièrement à mettre la doctrine juridique du et sociaux) pour les autres. L’appréciation de ce qui est acceptable
consentement aux soins en défaut [14, 37]. et de ce qui ne l’est plus est une affaire délicate parce
La conception juridique de l’autonomie apparaît ratio- que subjective, tout en étant liée aux valeurs sociales.
naliste et réductrice dans la mesure où elle traduit mal Le regard des professionnels est-il, lui, responsable ou
la complexité, la technicité et la réalité interactive des abusif ? Responsable, c’est-à-dire conforme aux lois
décisions médicales qui s’inscrivent toujours dans « la et aux obligations professionnelles déontologiques.
rencontre et le dialogue entre plusieurs personnes aux Abusif, c’est-à-dire utilisant une position dominante pour
histoires, aux attentes, aux responsabilités et aux savoirs imposer sa propre conception des choses en fonction
différents » [4]. de préférences, de répulsions, d’habitude, de routine,
À l’intérieur de la profession médicale, les médecins de surprotection, etc.
reconnaissent relativement volontiers les insuffisances Le grand âge est aussi marqué par la faiblesse, l’an-
de leur formation initiale et continue, et l’impossibilité de goisse, la douleur, les maladies. Ces circonstances
se tenir en permanence à jour sur les réels avantages influencent les attitudes de la personne et peuvent
et inconvénients de toutes les options diagnostiques et obérer son jugement. Il appartient aux professionnels
thérapeutiques possibles en médecine. à qui ces personnes âgées malades se confient, ou
L’information du patient, le consentement aux soins sont confiées, de discerner si l’expression de la volonté
et le partage des décisions médicales reposent pourtant est altérée par ces circonstances pathologiques, si une
directement sur les efforts de formation des profes- action sur la pathologie peut changer l’expression de la
sionnels de santé, et impliquent l’acceptation, par les volonté ou si, au contraire, il y a lieu d’en prendre acte
médecins et par les patients, tant des incertitudes Article extrait de : et d’agir en conséquence.
inhérentes à la médecine que des limites individuelles Jean-Jacques Amyot,
intrinsèques à l’exercice professionnel [14]. Alain Villez. Risque, res- * Benoît Fromage (Angers), Pierre-Yves Malo de l’Association psy-
Il est évident qu’un long chemin reste à faire et que ponsabilité, éthique dans chologie et vieillissement (Rennes), Annie Mollier du Centre pluridis-
les pratiques gérontologi- ciplinaire de gérontologie sociale (Grenoble), Jean-Louis Bascoul d’Aire
ce qui est requis pour que le paradigme autonomiste ques. Paris : Ed. Dunod/ (Montpellier), Germaine Chanut de l’OSPA (Saint-Étienne), Nicolas
passe dans les pratiques de soins n’est ni plus ni moins Fondation de France, Daniel d’Arfege (Lyon), Sylvie Fontanet du Cipa (Limoges), Marc Berthel
qu’une véritable révolution culturelle. 2001, 216 p. du Centre hospitalier universitaire de Strasbourg.
L’évolution du droit et des mentalités gnants ont spontanément tendance à hiérarchiser les
Les États-Unis vivent depuis une quinzaine d’années à risques auxquels eux-mêmes et les personnes dont
l’heure de la judiciarisation de la vie quotidienne. Cette ils s’occupent sont exposés : les risques de chutes
évolution nous inquiète plus qu’elle nous attire, et devant et de fugues sont généralement surévalués alors que
elle nous avons tendance à limiter prématurément le ceux liés à la perte d’intégrité psychique et sociale sont
risque imaginé, à nous déresponsabiliser. À ceci s’ajoute facilement minimisés. À l’évidence, la sensibilité des
la frilosité des professionnels qui mesurent avec cir- professionnels se porte davantage sur les conduites à
conspection leur niveau de risque avant d’agir. Cette risque accidentel dans lesquelles le défaut de surveillance
recherche de sécurité, cette volonté de sécurisation ne et leur responsabilité pourraient être plus facilement
va pas dans le sens du bien-être des personnes âgées mis en cause.
et des professionnels, de l’innovation et d’une évolution Le maintien à domicile d’une personne âgée dite
positive des droits. « dépendante » tend de plus en plus à être assimilé
Les pratiques sécuritaires prennent source et se nour- comme une conduite à risque ; risque pour elle-même,
rissent des craintes liées aux responsabilités, souvent risque pour son entourage.
sans pouvoir les mesurer à l’aune du droit. D’autant plus Pour une personne jouissant de toute son autonomie
que la notion de responsabilité est générale, morale, la décision de prendre des risques interviendra en toute
avant d’être juridique. À ces différentes responsabilités, indépendance et demeurera l’expression de la singularité
il nous faut associer des risques, des formes et des de sa personnalité ; pour ceux qui n’ont plus la jouissance
niveaux de risques. En fonction des conditions dans de toutes leurs facultés intellectuelles, la décision
lesquelles s’exerce le risque et selon la conscience que devra nécessairement impliquer les aidants tant formels
nous en avons, nous calculons plus ou moins intuitive- qu’informels. Au risque, dans le cas contraire, que les
ment notre responsabilité. aidants soient soupçonnés de négligence. Les personnes
La société a de plus en plus de difficultés à accepter âgées sont dans le même temps exposées aux risques
qu’un préjudice demeure sans réparation. On assiste, du maternage et aux effets iatrogènes de l’excès de
d’une manière générale et par de multiples moyens soins prodigués par des personnels refusant de prendre
qu’il s’agisse du droit européen, de la loi ou de la juris- le risque de voir leur responsabilité engagée.
prudence, à un passage de la responsabilité fondée
sur la faute à une responsabilité fondée sur le risque. Les droits : entre revendication et affirmation
Développer l’activité crée le risque et par la même la La personne âgée, celle qui nous côtoie, celle que nous
responsabilité. Le nouveau Code pénal a marqué une serons, ne peut s’apprécier que comme un citoyen libre
étape importante dans cette évolution en adoptant le parmi les autres. La première étape est de lui reconnaître
délit de mise en danger d’autrui. Les soignants, quelles ce statut intangible, et de lui garantir l’accès aux droits
que soient leurs fonctions, doivent s’investir dans cette politiques et civils les plus essentiels : liberté de pensée,
lecture du risque. À l’égard de la personne âgée, ce liberté d’aller et venir, sécurité, liberté religieuse, accès
serait un non-sens que d’exclure le risque des pratiques à la culture, respect des droits économiques et sociaux,
soignantes ou des pratiques relationnelles. Le respect le droit de vote. Jusqu’où s’étend le droit au choix de la
de la personne âgée et de sa liberté suppose un risque personne âgée en institution ? Peut-elle décider de sa
assumé. Sur le plan du soin, la personne âgée est sou- thérapeutique ? « Souscrire à l’autonomie absolue du
vent dans un état de fragilité et tout acte thérapeutique malade et lui laisser en conséquence toutes les initiatives
accroît potentiellement le risque. serait nier l’obligation de compétence », qui fonde et
Par ailleurs, le droit administratif oblige les respon- assoit la pratique médicale. Par ailleurs, laisser le sujet
sables de structures « à ne pas mettre en danger les âgé choisir son mode de vie risque de faire dériver la
personnes qui leur sont confiées ». Le directeur est donc pratique du soignant vers la négligence coupable. D’un
invité à faire preuve de « précaution ». La précaution autre côté, refuser toute autonomie au malade serait
n’est pas la prévention. Dans la prévention, on a iden- enfreindre un autre principe éthique universellement
tifié ce dont on voulait se protéger, alors que dans la reconnu, le respect de la personne. Nous sommes là au
précaution, la référence au danger est beaucoup plus cœur des problèmes éthiques, c’est-à-dire des conflits
large et indéterminée. de valeur permettant de définir une pratique de soins.
La personne doit être consentante et doit pouvoir
Pratiques sécuritaires et risque décider pour elle-même ; l’exercice de ce droit suppose
Les conduites sécuritaires développées par les soignants qu’elle ait bénéficié d’une information claire, intelligible,
et les professionnels, loin de réduire les risques auxquels loyale et appropriée (Code de déontologie médicale).
s’exposent ou sont exposées les personnes âgées, Le consentement est libre ou non selon l’existence de
contribuent à déplacer le risque et parfois à l’accroître la capacité de discernement, de la capacité juridique
en transformant sa nature : ainsi l’enfermement pour et de la capacité physique d’expression ou non de sa
éviter les fugues qui peut inciter certaines personnes volonté. S’il n’est pas libre, il doit être recherché par l’as-
désorientées à se défenestrer. sociation permanente d’informations concernant la prise
De façon inconsciente, les professionnels et les soi- en compte de la personne (soins suite p. 50
fois de plus que cet apprentissage doit Compétences d’auto-soins catives intégrés dans les institutions de
être supporté par un dispositif spécifique Réaliser une injection d’insuline, planifier soins existantes. On regroupe sous le
d’accès aux soins. Cette activité participe la prise de médicaments parfois nom- terme de formule toutes les organisations
donc aux enjeux actuels sur les modifi- breux, assurer les premiers gestes de issues d’une réflexion éducative. Elles
cations du système de santé. pansements, corriger un malaise hypo- relèvent parfois d’une transformation en
Dans le cadre de la diabétologie on glycémique ne s’improvisent pas. Seuls profondeur du système de santé. Au plan
peut répertorier plusieurs catégories de des ateliers pratiques d’entraînement à hospitalier, on peut répertorier :
compétences que chaque patient devra ces gestes peuvent aider à surmonter ● les « unités d’éducation » dépen-
pouvoir mobiliser. les peurs, lever les croyances et aboutir dantes d’un service spécialisé au sein
à une dextérité permettant d’atténuer desquelles sont développés des program-
Compétences d’auto-observation leurs contraintes. mes d’éducation thérapeutique, mono-
Il existe tout un ensemble de signes qu’il Toutes ces compétences concourent thématique, sur une semaine, une ou
faut pouvoir reconnaître et interpréter : à l’efficacité du traitement. Elles doivent deux journées, une nuit ;
symptômes d’hypoglycémie, d’hypergly- être régulièrement évaluées tant par le ● les « unités d’éducation dites trans-
cémie, recherche de plaies, de lésions patient lui-même (le carnet de bord d’auto versales » permettant la mise en commun
cutanées, caractérisation de douleurs, surveillance est l’un des outils disponi- de moyens humains, matériels, pour la
mesures de la glycémie, de la tension bles) que par les soignants. réalisation de programmes d’éducation
artérielle, etc. Nombre de ces signes et thérapeutique concernant plusieurs patho-
leur perception même sont souvent pro- Compétences sociales logies.
pres à chacun, ce qui aboutit à définir avec Ces compétences de gestion du traite- Il existe également des formules rele-
le patient son « catalogue sémiologique ». ment incluent également l’acquisition vant du secteur hospitalier mais dont les
Cet apprentissage du corps, ce regard de compétences sociales. Elles permet- programmes d’éducation se déroulent
sur soi-même est une aide à la conser- tent au patient de vivre dans une com- à l’extérieur de l’hôpital : par exemple
vation de l’estime de soi. Il vise à rendre munauté. C’est ainsi qu’il est amené à au domicile des patients, dans des lieux
le patient auto-vigilant, c’est-à-dire capable expliquer, former son entourage proche d’éducation spécifiques (appartement,
d’apprécier, de décrire les modifications sur les caractéristiques de sa maladie et espace-santé dans le centre-ville…) ou au
de son état et de distinguer les signes aux conduites à tenir en cas d’incident cours de sorties collectives (restaurant,
d’alerte. En ce sens il devient ce que nous aigu nécessitant l’aide d’autrui. supermarché, marche, promenade…).
appelons un « patient sentinelle » [39]. Les conduites d’acceptation, de négo- Au plan extra-hospitalier, les formules
ciation, de défense de ses droits sont sont développées à partir du tissu asso-
Compétences de raisonnement et de autant de dimensions dans lesquelles il ciatif soignant ou patient (maison du
décisions doit être capable d’affirmer sa singularité. diabète, réseaux d’éducation, associa-
Le nombre de problèmes quotidiens à Nombre de ces patients développent des tions de patients…) ou à partir du secteur
résoudre (choix d’une dose d’insuline, compétences de recherche d’informations privé : espaces d’informations proposés
prise en compte de l’alimentation, pré- en santé, d’engagement associatif, leur par l’industrie pharmaceutique (agence,
cautions en cas d’activité physique, plani- conférant un véritable statut « d’usager site Internet…).
fication d’un amaigrissement, soins corpo- de santé » [1]. Ainsi, depuis trente ans, les études, les
rels en cas de lésion cutanée, décalages expériences conduites dans le domaine
horaires, oublis de traitement, gestion L’intégration de l’éducation de l’éducation thérapeutique du patient
d’incident hypo- ou hyperglycémique…) thérapeutique dans l’organisation des diabétique ont permis d’affirmer son
est impressionnant. Leur résolution ne soins importance. La détermination des com-
peut être acquise uniquement par l’appli- Il est évident que les patients n’acquièrent pétences pour le patient ainsi que la mise
cation de protocoles systématiques, tant pas ces compétences immédiatement en œuvre de programmes d’éducation
la variabilité individuelle et contextuelle et au cours d’une seule rencontre avec thérapeutique structurés et accessibles
est grande. Il faut donc s’appuyer sur les soignants. Leur maîtrise demande au plus grand nombre seront probable-
un entraînement au raisonnement réa- du temps et de suivre des programmes ment les exigences minimales pour la
lisé de façon progressive, individualisée, d’éducation spécifiques [22, 40]. D’où reconnaissance financière de cette acti-
continue, itérative. La prise en compte de cette notion fondamentale que l’éducation vité d’éducation (lire p. 11). C’est à cette
l’expérience du patient est un élément thérapeutique est continue. Ce principe condition que l’éducation thérapeutique
majeur de cet apprentissage qui vise garantit à chaque patient les conditions sera durablement intégrée dans le sys-
à l’aider à optimiser ses propres procé- pour maintenir, améliorer ses compéten- tème de soins.
dures. C’est à ces conditions que des ces ou en acquérir de nouvelles.
compétences de décisions peuvent être Mais cela suppose également la créa-
réellement opératoires. tion de dispositifs et de ressources édu-
suite de la p. 47 impératifs par exemple ou recueil de ● les valeurs de la personne sont considérées comme
souhaits, émotions, ressentis), ou par des systèmes prioritaires,
de représentation ou de recueil des valeurs et souhaits ● l’ensemble des partenaires accepte la décision et
ayant pu être émis à un moment antérieur. ses conséquences.
Nos manières de traiter le droit au choix et le droit au
De la liberté au choix risque dans l’action gérontologique sont d’authentiques
Perpétuellement écartelés entre soupçon de négligence, indicateurs, dans cet espace de vulnérabilité, de la
déni de soin et excès de pouvoir, les soignants sont en capacité à transformer des valeurs sociales proclamées
recherche de repères et de référentiels. Leur quête est en des pratiques profondément humaines.
d’autant plus forte qu’ils se sentent particulièrement
exposés au risque de devoir répondre de leurs actes,
autant que de l’absence d’actes.
Non contents de s’immiscer dans l’intimité des rési-
dents, les personnels des institutions se réfèrent souvent
aux familles pour arbitrer des aspects de la vie des
résidents qui ne devraient a priori ne regarder qu’eux-
mêmes. Ainsi c’est souvent le désir des familles qui
prévaut sur celui des personnes, sorte de mise sous
tutelle de fait, que rien ne justifie, pas plus en droit
qu’en éthique. Ce processus d’aliénation des personnes
âgées est à l’œuvre de façon sourde dans toutes les
institutions, les personnels le constatent, le déplorent
et finalement en souffrent sans qu’ils soient en mesure
de le déjouer. C’est davantage le projet de l’institution
qui doit être interrogé que les seules pratiques de ses
agents ; il n’existe pas, sauf exception, de volonté
délibérée de bafouer la dignité des vieux, de les infan-
tiliser. Il existe en revanche des personnels isolés,
confrontés à des situations lourdes qui les dépassent
et qui improvisent des solutions semblant les protéger
en réduisant, de leur point de vue, les risques encourus
par les personnes dont ils ont « la charge ». Ils sont
encouragés par les familles qui renversent assez rapi-
dement la situation en devenant le « parent de leur
parent » et sont souvent aliénés elles-mêmes par leur
souci de surprotection.
tribunes
Droits des malades et
amélioration des soins
ceux qui avaient simplement oublié leurs connues. Elles contribuent à l’efficacité du Le développement et la mise en commun
devoirs inscrits depuis longtemps déjà dans traitement et facilitent l’organisation des de tous les moyens à notre disposition pour
les serments et dans les codes. Appelé à soins pour tous les professionnels qui y sont protéger ou pour restaurer la santé est une
décider, le patient doit pouvoir s’informer et associés. réponse à l’épanouissement d’une société
cette information doit être pour lui « claire, Ainsi éclairé, le patient devient un par- humaine.
loyale et appropriée », mais surtout acces- tenaire responsable par son implication Il faut y veiller et rappeler sans cesse que,
sible. Elle repose sur un dialogue franc et active dans les limites de ses possibilités et de les uns et les autres, nous avons des droits,
sincère, suivi d’une aide à la décision, même sa volonté. C’est ainsi que, bien informé des mais ils n’existent que si l’on reconnaît aussi
si le patient accepte avec confiance ce qui choix proposés, il acceptera en confiance la avoir des devoirs.
lui est communiqué et proposé par son solution la plus économique, contribuant C’est la base même de toute solidarité.
médecin. Pour cela, il est indispensable ainsi à l’équilibre solidaire qui est le fonde-
qu’il ait pu entendre et comprendre les ment de notre protection sociale.
informations sur son état pathologique et Cet engagement incite au respect des
les mesures qu’il nécessite. prescriptions et à la bonne conduite d’un
Ce droit fondamental à l’information traitement en sachant en apprécier les effets
nécessite une volonté réciproque de com- positifs ou parfois négatifs.
munication et peut revêtir des formes dif- Cette démarche nouvelle de participation
férentes adaptées à chaque interlocuteur. Il justifie la proposition faite récemment de
inclut de plus le corollaire incontournable l’accès direct au dossier médical. Sous réserve
du consentement. La marque la plus pro- de quelque cas particuliers dans le domaine
fonde de l’autonomie de l’individu est de de la psychiatrie et de la cancérologie, cette
pouvoir, sinon décider, au moins participer ouverture vers le dossier médical, réalité
à la mise en route d’un traitement, d’en jusqu’alors réservée aux professionnels de la
comprendre les avantages et les inconvé- santé, est un nouvel outil qui doit contribuer
nients. à optimiser la démarche de soins. Cet accès
Ce droit fondamental de la personne, qui géré et organisé par le médecin traitant ou
lui est conféré par sa liberté, s’impose au simplement un médecin choisi est un ins-
médecin au même titre qu’à tous les acteurs trument irremplaçable de l’information.
qui participent à la démarche de soins, et se Enfin, au-delà des avantages individuels
trouve formalisé dans le Code de déontologie dont chaque patient peut bénéficier, cette
médicale (art. 35 et 36), confirmant ainsi nouvelle conception du partage de l’in-
cette cohérence parfaite entre le droit des formation a des implications collectives.
uns et le devoir des autres. Cette conception L’organisation de la prévention dans le
n’est d’ailleurs pas la propriété de la relation cadre d’une politique publique de santé
de soins qui caractérise l’acte médical, c’est est également un droit fondamental des
une affirmation solennelle contenue dans patients. Les médecins et l’ensemble des
la Déclaration des droits de l’homme et professionnels de santé sont aussi engagés
reprise dans la Charte du malade hospitalisé, dans cette démarche collective, comme
ainsi que dans le projet de loi « les droits des le rappelle à plusieurs reprises le Code de
malades et la qualité du système de santé » déontologie. Ce devoir professionnel s’ac-
qui sera proposé au vote du Parlement à compagne d’un devoir de citoyen qui con-
l’automne prochain. tribue à fonder une démocratie sanitaire où
chacun doit, dans les limites de sa compé-
Droit des malades et qualité des soins tence, contribuer à entretenir cet aspect de
En dehors des principes éthiques clairement solidarité indispensable à la mobilisation
exprimés, cette notion du droit des malades de cet objectif commun : la protection de
peut-elle contribuer à la qualité des soins et la santé.
à leur meilleure organisation ? Ainsi conçu, le développement des droits
Le développement des associations de des malades est un facteur d’amélioration
patients porteurs d’une même pathologie de la protection sociale. Pour cela, ils ne
et bénéficiant du même traitement a été un peuvent s’exercer que dans un climat de
excellent terrain pour exercer leurs droits confiance et dans une volonté de bienfai-
fondamentaux et pour évaluer l’efficacité sance.
de ce partenariat librement consenti. Si le respect de ces droits venait à s’orga-
Les explications données par le médecin niser dans un esprit offensif débouchant
sur le choix d’un traitement, sur la nécessité sur des procédures visant à sanctionner et
de respecter les protocoles, sur le signale- à condamner les responsables de la santé,
ment des effets secondaires sont des notions cette nouvelle démarche serait un échec.
tribunes
Conciliation à l’hôpital :
où en est-on ?
ne sauraient empiéter sur les prérogatives largement ouvert au malade par un code soient révélés, après la mort, à l’épouse, au
d’autres instances. Des recommandations d’accès personnel unique. mari, à la fille, aux parents.
d’ordre budgétaire (refaites les cuisines, Il n’empêche… le débat en cours sur Et puis, toutes les soignantes, tous les
monsieur le directeur !) seraient de la com- l’accès au dossier médical, propriété du soignants le savent : l’ayant droit n’est pas
pétence du conseil d’administration, des patient, comme le proclame le Conseil toujours le plus proche du malade. En
propositions touchant au personnel (chan- national de l’Ordre, propriété de l’hôpital, ces temps de familles recomposées, est-ce
gez de cuisinier, monsieur le directeur !) comme le disent, depuis 1943, les règle- l’époux parti mais non divorcé ou le com-
seraient du domaine du directeur et du ments administratifs, n’a de sens que si pagnon de tous les jours, l’amie chère, la
comité technique d’établissement, etc. sa tenue et ses fonctions sont clairement femme indifférente ou le fils lointain qui
Aussi est-il permis de penser que les définies. sont les plus proches du malade et devraient
recommandations de la commission pren- Il n’en est pas ainsi aujourd’hui. L’article être accueillis, reconnus comme tels par les
dront le plus souvent la forme de vœux R 710-2 du Code de la santé publique qui conciliateurs ?
pieux, le directeur répondant qu’il fait de son traite du dossier médical est obsolète (pas Une façon sinon de lever du moins d’at-
mieux avec les moyens dont il dispose. un mot sur l’imagerie), imprécis (quelle ténuer ces difficultés serait d’introduire dans
différence entre « une exploration para- le droit des malades la notion de mandataire.
À propos du dossier médical clinique » et « un examen complémentaire » ?) C’est un mandataire, librement choisi par
Sans doute plus nombreuses sont les plaintes et ouvre la voie à toutes les interprétations le patient de son vivant, qui serait chargé de
témoignant d’un manque d’information. (qu’est-ce qu’un examen « significatif » ?). faire valoir ses droits en cas d’inaptitude ou
S’il est un domaine où le droit des malades Il conviendrait de le mieux rédiger et de d’incapacité à s’exprimer et de poursuivre ou
s’est le plus affirmé ces dernières années prendre — par voie législative au besoin d’entreprendre une démarche contentieuse
— au prix, il est vrai, de véritables retour- — les dispositions nécessaires pour que en cas de décès.
nements de la jurisprudence —, c’est bien soient introduites dans le dossier médical Si cette mesure était adoptée, il ne serait
dans celui du droit à l’information. les techniques nouvelles de stockage et de pas très difficile de demander à toute per-
Le sujet est largement développé dans traitement de l’information. sonne entrant à l’hôpital de désigner un
ce numéro. Aussi ne sera-t-il traité ici que Conciliateur, médecin traitant, ou toute mandataire, comme elle désigne aujourd’hui
des demandes qui concernent au premier personne à laquelle il plaira à la loi de une « personne à prévenir ». Dans la plupart
chef le médecin conciliateur : les demandes donner la possibilité de consulter le dossier des cas ce serait un membre de la famille.
d’accès au dossier médical. Demandes fré- médical pourront alors en tirer le meilleur Si le patient avait d’autres préférences, elles
quentes et d’autant plus insistantes qu’el- parti. Le droit du patient à l’information, seraient respectées.
les sont formulées par des proches de tant réclamé, y gagnera.
patients décédés ou qu’elles s’inscrivent Les réticences face à la médiation
(que le malade soit ou non décédé) dans Ayant droit ou mandataire ? La commission de conciliation (avec son
une démarche pré-judiciaire. Lorsqu’il consulte le dossier d’un malade médecin conciliateur) résume, en l’état
Pour bien des plaignants, le dossier médi- décédé, le médecin conciliateur doit « obte- de la réglementation, les possibilités de
cal a quelque chose de sacré. Il conserve, nir au préalable l’accord de ses ayant droit ». conciliation offertes par l’hôpital à l’usager.
tapie au fond de lui, une vérité — la vérité Si le patient est décédé il n’y a plus de con- Elles sont finalement assez minces, car le
— que médecins et infirmières ont cachée ciliation possible et tout contentieux est décret de 1998 se borne à donner mission
ou mal exposée. éteint, à moins justement que la procédure au médecin conciliateur de rencontrer les
Objectivement, tel n’est pas le cas. Très soit reprise par ses ayant droit. Ce serait patients ou leurs ayant droit lorsqu’ils for-
souvent, le dossier médical, lointain des- donc les ayant droit qui demanderaient mulent une réclamation mettant en cause
cendant de l’observation anatomo-clinique, l’ouverture du dossier, plutôt que le médecin l’activité médicale et fait principalement de
n’a pas les vertus qui lui sont prêtées. Ce n’est conciliateur dont on ne voit pas bien quelle la commission une instance d’information
qu’un outil assez désuet, objet de beaucoup curiosité le pousserait à consulter un dossier (information du directeur, du conseil d’ad-
d’égards de la part des soignants, mais peu à propos duquel on ne lui demande plus ministration, de la commission médicale
performant. S’y entassent sans autre logi- rien. d’établissement, du CTE, etc.).
que que celle de l’empilement : feuilles de L’ayant droit, c’est, disons le mot, l’hé- Certes, rien de ce qui permet au malade
température (intérêt ?), remarques des infir- ritier. Ayant accès au dossier, l’héritier ne de s’exprimer n’est inutile, et tout ce qui
mières, documents administratifs, photos au peut donc se voir opposer un droit pour- facilite le dialogue entre usager et institution
polaroïd (échographies), images numérisées tant fondamental du malade : le droit au est bienvenu. Mais, il est bon de le souli-
commentées ou non, résultats d’examens secret. gner, la commission ne dispose d’aucune
de laboratoire non interprétés, et même… Il est peu respecté aujourd’hui, ce droit prérogative contentieuse. Dans ce domaine,
dossier de recherche clinique ( !). au secret médical, du moins vis-à-vis des les compétences du directeur et du conseil
Ce dossier « papier » pléthorique et impo- proches (ou de ceux qui passent pour tels) et d’administration restent inchangées.
tent vit, il est vrai, ses derniers jours. Il sera il est loin le temps où l’on pouvait proclamer Sans doute le législateur de 1996 (dont
remplacé — il est déjà remplacé — par un du haut des chaires de médecine ou de droit il est difficile de connaître les intentions,
dossier électronique fiable contenant des que le malade « emportait le secret dans sa la commission de conciliation ayant été
informations classées de façon cohérente, tombe ». Pourtant, ils ne sont pas si rares créée par voie d’ordonnance, donc sans
susceptibles d’être traitées intelligemment, ces secrets dont on ne voudrait pas qu’ils débat parlementaire) n’a-t-il pas souhaité
introduire à l’hôpital une véritable média- (qui sera peut-être créé lors d’une prochaine
tion. session parlementaire) les dédommage.
La médiation est la mal-aimée des juristes Semblable démarche n’est pas à la portée
français qui, bien qu’ils s’en défendent, de l’actuelle commission de conciliation,
voient souvent en elle un contournement d’autant que le médiateur ne saurait être,
du droit et craignent qu’elle tombe dans les comme c’est le cas aujourd’hui, un médecin
mains inexpertes des non-professionnels. de l’établissement.
Il est certes légitime de veiller à ce que Réfléchissons aux moyens de mettre en
la pratique de la médiation n’ait pas pour place à l’hôpital une véritable médiation qui
objet principal, en évitant les voies juridic- nous permettra d’avoir un regard lucide sur
tionnelles classiques, d’écarter ou d’atténuer les réalités de l’exercice médical, faillible par
la responsabilité de l’hôpital ou des soignants définition, et de reconnaître les souffrances
en cas de faute. Elle ne doit pas être une de celles et ceux qu’il n’a pu guérir.
justice au rabais, mais un mode alternatif de
résolution des conflits moins lourd, moins
impersonnel, plus proche de l’usager que
ceux proposés par l’institution judiciaire.
C’est en cela qu’elle mériterait d’être d