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GRAND SEMINAIRE DE MURHESA

THEOLOGAT SAINT PIE X

BP 2365 BUKAVU

COURS DE THEOLOGIE MORALE SPECIALE :

MORALE SEXUELLE, CONJUGALE ET FAMILIALE

TROISIEME ANNEE DE THEOLOGIE

Professeur : Dr Abbé Dieudonné MUSANGANYA

ANNEE ACADEMIQUE 2021 – 2022

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PLAN DU COURS

Introduction générale

Première partie : Morale chrétienne sur la sexualité

Chapitre premier : L’enseignement biblique et la doctrine classique sur la sexualité 

Chapitre deuxième : La révolution sexuelle, féministe et culturelle occidentale : aux sources de la


crise actuelle de la sexualité

Chapitre troisième : La contribution théologique du pape Jean-Paul II à une morale sexuelle


chrétienne

Deuxième partie : Morale chrétienne sur le mariage

Chapitre quatrième : L’enseignement biblique sur le mariage

Chapitre cinquième : L’enseignement du Magistère de l’Eglise sur le Mariage : la Constitution


pastorale Gaudium et spes du Concile Vatican II : GS 47-52.

Chapitre sixième : L’Enseignement doctrinal sur le mariage chrétien dans le magistère


postconciliaire du pape Paul VI : Humanae Vitae (1968)

Chapitre septième : Quelques menaces contre la morale conjugale après Humanae vitae dans le
sillage de la révolution sexuelle occidentale de mai 1968

Troisième partie : Morale chrétienne sur la famille

Chapitre huitième : L’enseignement magistériel sur la famille d’après l’exhortation post synodale
Familiaris consortio (1981)

Chapitre neuvième : Les mutations socio-culturelles de la famille à l’heure de la Nouvelle Ethique


mondiale : le piège des « nouveaux droits de l’homme » (1990)

Chapitre dixième : La synthèse doctrinale sur la morale familiale d’après l’exhortation post
synodale Amoris laetitia (la joie de l’amour) du pape François (2016)

Conclusion générale

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Introduction Générale

La doctrine sociale de l’Eglise catholique envisage tous les problèmes relatifs à la sexualité,
l’amour et le mariage dans la perspective de la famille, cellule fondamentale de la société et de
l’Eglise. En effet, l’évolution de la société moderne a engendré des profonds changements, dans
tous les domaines de la vie humaine, changements qui révèlent souvent des profondes ambiguïtés.
Car, si sous certains points ces changements présentent des aspects très positifs, par contre, ils
représentent en bien des domaines, des risques de dégradation des valeurs éthiques qui, pour être
traditionnelles, n’en sont pas moins permanentes et constitutives de la nature humaine.

L’un des domaines les plus affectés par ces changements est celui de la famille, dans la
manière de la concevoir et de la vivre, la place qu’elle doit avoir dans la société et finalement son
avenir. Cette préoccupation nous semble plus qu’urgente parce que l’apparition des législations
civiles nuisibles en des domaines qui concernent directement la famille comme celle portant sur
l’avortement, le divorce, la contraception ou la légalisation en de nombreux pays de
l’homosexualité sous le nom de « mariage pour tous » (France), conditionne ces risques. L’Eglise
ne peut rester indifférente face à ces évolutions, c’est la raison pour laquelle elle tient à rappeler
son enseignement à propos de ces problèmes concrets, mais aussi à réaffirmer les vérités
fondamentales sur la famille et en le faisant d’une manière adaptée à notre temps.

C’est bien cela que fait le Pape Jean-Paul II dans son Exhortation apostolique ‫״‬Familiaris
consortio" du 22 novembre 1981. Dans cette dernière, le Pape évoque non seulement la situation de
la famille dans le monde d’aujourd’hui (nn. 4-10) mais aussi et surtout le dessein de Dieu sur le
mariage (nn.11 – 17). Il parle des devoirs concrets de la famille chrétienne, de la place de la femme
dans la société, de l’épreuve de la stérilité, du veuvage, de l’adoption, de la transmission de la vie
et de l’accroissement démographique, de l’éducation sexuelle ou de la prière en famille. Dans une
vision très haute, le Pape rassemble tous ces aspects en ces termes  : ‫״‬le but fondamental de la
famille est le service de la vie, la réalisation, tout au long de l'histoire, de la bénédiction de Dieu à
l'origine, en transmettant l'image divine d'homme à homme, dans l'acte de la génération" (Fc, 28).

Retenons qu’à la base de cette pensée de Jean-Paul II sur la famille, il y a toute une
anthropologie qu’il développe. En effet, le fondement de l’exhortation Familiaris consortio est une
conception de l’homme, celle d’un être unifié : corps-âme-esprit : ‫״‬l'homme est un esprit incarné,
c'est-à-dire une âme qui s'exprime dans un corps et un corps animé par un esprit immortel" (Fc, 11).
Ce en quoi, Jean-Paul II, en parlant de l’unité de l’être humain, se montre moderne en faisant un
dépassement de la conception dualiste du corps et de l’âme, chère à Platon, et  qui n’est d’ailleurs
pas chrétienne.
3
Jean-Paul II, s’inscrit dans la tradition de l’enseignement sociale de l’Eglise sur la famille
tout en renouvelant l’approche ; il tient compte des courants philosophiques du début du XXe
siècle qu’il a beaucoup travaillés. Il s’appui en particulier sur la pensée de l’allemand Max
SCHELER qui a approfondit la question du corps et des relations humaines, de la sympathie, de
l’amitié, de la pudeur, de la tendresse. Cette anthropologie explique l’approche très personnelle de
Jean-Paul II sur la sexualité humaine. Effectivement, c’est parce que l’homme est un esprit incarné
qu’il est appelé à l’amour dans sa totalité unifiée. Pour le Pape, l’amour embrasse aussi le corps
humain et le corps est rendu participant de l’amour spirituel. Et nous retrouverons des passages très
forts dans familiaris consortio sur les liens entre la sexualité et l’ensemble de la personne humaine,
corps et âme. Par exemple : ‫״‬la sexualité, par laquelle l'homme et la femme se donnent l'un à l'autre
par les actes propres et exclusifs des époux, n'est pas quelque chose de purement biologique, mais
concerne la personne humaine dans ce qu'elle a de plus intime. Elle ne se réalise de façon
véritablement humaine que si elle est partie intégrante de l'amour dans lequel l'homme et la femme
s'engagent entièrement l'un vis-à-vis de l'autre jusqu'à la mort. La donation physique totale serait un
mensonge si elle n'était pas le signe et le fruit d'une donation personnelle totale, dans laquelle toute
la personne, jusqu'en sa dimension temporelle, est présente"(Fc, 11).En bref, la sexualité est
présentée positivement et non pas sous la forme d’interdit et de tabou.

Ainsi, dans ce cours, nous exposerons en premier lieu la morale sexuelle, suivie de la morale
conjugale. L’analyse de ces deux problématiques nous permettra d’aborder les principaux
problèmes posés par la morale familiale hier et aujourd’hui dans notre société.

S’agissant de la première partie, celle de la morale sexuelle, nous allons exposer d’abord
l’enseignement biblique suivi de la doctrine classique (enseignement théologique des Pères et de
Thomas d’Aquin) sur la sexualité (chapitre premier). Nous aborderons ensuite la révolution
sexuelle, féministe et culturelle occidentale qui serait responsable de la crise actuelle de la morale
sexuelle depuis mai 1968, une révolution dont les thèses ont été confortées et globalisées à partir de
1990 par l’émergence de l’idéologie de la Nouvelle éthique Mondiale (chapitre deuxième). Enfin,
nous analyserons la contribution théologique du pape Jean-Paul II à une morale sexuelle chrétienne
dans un contexte social d’une sexualité libéralisée et sans normes.

Dans la deuxième partie portant sur la morale conjugale, nous examinerons tout d’abord,
l’enseignement biblique sur le mariage pour avoir à l’esprit l’intention du Créateur (quatrième
chapitre), ensuite, nous passerons en revue l’enseignement du Magistère de l’Eglise sur le mariage
chrétien notamment la doctrine renouvelée du Concile Vatican II qui a actualisé l’enseignement
magistériel sur le sujet, spécialement à travers la Constitution pastorale Gaudium et spes ( 1965)

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(cinquième chapitre), puis, nous aborderons l’enseignement du Magistère postconciliaire sur le
mariage, spécialement à travers l’encyclique Humanae vitae (1968) de Paul VI (sixième chapitre),
enfin, nous examinerons les menaces qui pèsent sur le lien conjugal ainsi que le péché contre la
morale conjugale (septième chapitre).

Dans la troisième familiale, qui traite de la morale familiale, nous aborderons la question sur
la conception chrétienne de la famille, telle qu’elle ressort de l’encyclique Familiaris consortio de
Jean-Paul II (1981) (huitième chapitre), ensuite, nous verrons les attaques que la Nouvelle éthique
mondiale fait subir à la famille (neuvième chapitre), et enfin, nous aborderons le plus récent
enseignement du Magistère sur la famille tel que présenté dans l’exhortation post-synodale ‫״‬Amoris
laetitia" (dixième chapitre).

Quels sont les objectifs que nous visons dans ce cours ?

A travers ce cours, nous voulons que l’étudiant arrive à :

- Connaitre l’enseignement de l’Eglise sur la sexualité, le mariage et la famille ; en maitrisant


leur évolution depuis l’Ecriture sainte, la Tradition de l’Eglise jusqu’aux écrits doctrinaux
récent du Magistère.
- Comprendre les mutations sociopolitiques dans lesquelles la sexualité est passée et le sens
des différentes positions actuellement défendues au sujet d’une sexualité libéralisée et le sort
qui en découle pour le mariage et la famille.
- Comprendre les enjeux multiformes de l’épidémie du VIH SIDA et savoir définir les normes
éthiques à défendre pour une annonce pertinente de l’engagement de l’Eglise à l’homme
d’aujourd’hui vivant au sein d’une société globalisée.
- Etre mieux informé sur la morale que défend l’Eglise catholique dans une société pluraliste
et qui est allergique à des principes éthiques qui doivent rester valables dans la durée malgré
l’opposition affichée par des revendications politiques de certaines personnes et
mouvements dans le domaine de la sexualité.

Bibliographie Sommaire
5
1. VATICAN II, Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps, Gaudium
et spes (7 décembre 1965), dans : AAS (1966), 1025-1120.
2. SYNODE DES ÉVEQUES SUR LA FAMILLE, La vocation et la mission de la famille
dans l’Église et dans le monde contemporain (du 4 au 25 octobre 2015) : DC (octobre
2015) n. 2520, 4-25.
3. PAUL VI, Lettre encyclique Humanae vitae (25 juillet 1968) : DC (1er septembre 1968)
n. 1523, 1441-1457.
4. JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique sur les tâches de la famille chrétienne dans le
monde aujourd’hui familiaris consortio (22 novembre 1981) : DC (3 janvier 1982) n.
1821
5. JEAN-PAUL II, Lettre aux familles Gratissimam sane (2 février 1994) : DC (20 mars
1994) n. 2090, 251-276
6. JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Evangelium vitae (25 mars 1995) : DC (16 avril
1995) n. 2114, 351-404.
7. JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Africa (14 septembre
1995) : DC (1 octobre 1995) n. 2123, 817-852.
8. JEAN-PAUL II, Homme et femme Il les créa. Une spiritualité du corps (Cerf, Paris
2007).
9. BENOIT XVI, ‫״‬À peine conçu mais déjà digne de respect". Discours au congrès
international sur l’embryon humain organisé par l’Académie pontificale pour la vie : DC
(7 mai 2006) n. 2357, 413-415.
10. _____, ‫״‬Etre responsable à l’égard de la vie". Discours pour le 40 ème anniversaire de
l’encyclique Humanae vitae : DC (2 novembre 2008) n. 2411, 934-936.
11. _____, ‫״‬Porter une attention humaine aux enfants malades" : DC (4 janvier 2009) n.
2415, 8-9.
12. _____, Lettre encyclique sur le développement humain intégral Caritas in veritate (29
juin 2009), (Léthielleux/Parole et silence, Paris 2009).
13. SEMEN, Yves, La sexualité selon Jean-Paul II, Presses de la Renaissance, Paris, 2004.
14. FRANÇOIS, Exhortation apostolique post-synodale Amoris laetitia sur l’amour dans la
famille (19 mars 2016), (Artège, Paris 2016).
15. CONSEIL PONTIFICAL POUR LA FAMILLE, Vérité et signification de la sexualité
humaine. Des orientations pour l’éducation en famille (éditions de Laurier, Paris 1996).
16. CDF, ʺLa collaboration de l’homme et de la femme dans l’Église et le monde" : DC (5 et
19 septembre 2004) n. 2320, 775-784.
17. CPJP, Compendium de la Doctrine sociale de l’Église (Cerf, Paris 2005).
6
18. CDF, Instruction Dignidad Personae sur certaines questions de bioéthique (8 septembre
2008) : DC (4 janvier 2009) n. 2415, 23-38.
19. WOTJYLA, Karol., Amour et responsabilité. Étude de morale sexuelle (Parole et
Silence. Paris 22013).
20. RUFFIE Jacques, Le sexe et la mort (éd. Odile Jacob, Paris 1986).
21. COTTIER Georges, Défis éthiques (éd. Saint Augustin, Suisse 1996).
22. BARBELLION Stéphane-Marie, Itinéraire chrétien pour la famille (éd. Droguet-
Ardant, Paris 1993).
23. Conseil Pontifical pour la Famille, Lexique des termes ambigüs et controversés sur la
vie, la famille et les questions éthiques, Pierre TEQUI, Paris, 2005.
24. LAURET, Bernard et REFOULE, François (Sous la direction de), Initiation à la
pratique de la théologie. Tome IV : Éthique, Cerf, Paris, 1984².
25. NTIVUGURUZWA Balthazar, Magistère et vie morale des fidèles: une relecture du
catéchisme de l’Église catholique en ses numéros 2032-2040, Thèse présentée à la
Faculté de Théologie de l’Université Catholique de Louvain, 2009, Promoteur:
Professeur Henri Wattiaux.
26. LOYOLA,Maria-Andréa (Sous la direction de), La sexualité dans les sciences humaines,
L’Harmattan/Paris-L’Harmattan Montréal, (1998), 1999.
27. Mgr MUYENGO MULOMBE, Sébastien-Joseph, Éthique comme esthetique. Critique
de la Postmodernité Liquide et enjeux de la Nouvelle Évangélisation, Médiaspaul,
Kinshasa, 2015.
28. MIKA MFITZSCHE, Ruffi, L.- M., Enjeux éthiques de la régulation des naissances en
Afrique. Sexualité, fécondité, développement, Médiaspaul, Kinshasa, 2013 (2).

PREMIERE PARTIE : LA MORALE SEXUELLE

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Chapitre premier : L’enseignement biblique et la doctrine classique sur la sexualité

0. Introduction

Une des premières impressions que l’on a quand on pense à la sexualité est qu’aujourd’hui, on
parle du sexe un peu trop. Dans ce sens, nous sommes passés d’un silence trop rigoureux dans
lequel la parole ‫״‬sexe" ne pouvait pas se prononcer en public sans susciter un certain embarras, a
une logorrhée de thématiques sexuelles à travers les instruments de communication sociales mais
aussi à travers des recherches scientifiques. D’un coté, la presse, journaux, télévision, musique,
revues, les cinémas semblent opérer une sorte de ‫״‬bombardement sexuel". De l’autre côté, des
œuvres immenses ont été écrites sur le thème de la sexualité. Bref, aujourd’hui nous nous trouvons
dans une situation où l’on parle trop et écrit trop autour du sexe. Nous devons savoir discerner dans
l’immensité des discours sur la sexualité, quelle position adopter.

1.1. La sexualité dans les sciences humaines : une conception réductrice, biologisante et
naturaliste de la sexualité

Le problème qui nous préoccupe ici consiste à voir si les nombreux discours, de réflexions et
d’études qui sont faites sur la sexualité, notamment dans les sciences humaines, ont été capables de
faire comprendre réellement ce qu’est la sexualité. C’est-à-dire ce qu’elle est dans la vie de la
personne humaine et surtout la place qu’elle occupe dans la structure éthique du comportement
humain. La réponse à cette démarche nous semble évidente : la multiplication de débats et
recherches en matière sexuelle parait ne pas nous aider à comprendre de façon profonde et plus
objectif le sens de la sexualité humaine, la place qu’elle occupe dans la dimension éthique de
l’homme.

Toutefois, tout en retenant l’insuffisance de tous ces discours, nous pouvons chercher une
autre réponse à cette même préoccupation en sondant sommairement les contributions offertes au
cours de ces dernières décennies par les sciences humaines1.

Pendant longtemps reléguées à un statut marginal par les milieux scientifiques, notamment
les sciences sociales, les études empiriques sur la sexualité se sont multipliées de façon significative
avec l’apparition du sida, au début des années 1980. Si, dans un certain sens, ces études attirent
notre attention sur quelques aspects de la sexualité contemporaine, d’un autre côté elles ont
contribué à ce que la sexualité soit fréquemment réduite à sa dimension purement comportementale.
Elles ont renforcé une conception non seulement réductrice et rationnelle, mais aussi biologisante et
naturaliste de la sexualité, que quelques travaux d’obédience historique et féministe essayaient de
« déconstruire ». Dans la majeure partie des cas, elles s’appuient directement ou indirectement sur

1
Maria Andréa Loyola (Sous la direction de), La sexualité dans les sciences humaines, 1999, p. 19-187.
8
des schémas théoriques et conceptuels des sciences humaines, qui apparaissent plutôt comme des
présupposés rarement discutés. Aussi nous a-t-il paru essentiel de commencer par revisiter ou revoir
le discours de ces sciences à propos de la sexualité, et essayer d’effectuer un bilan des idées,
thèmes, présupposés, notions, concepts et intérêts liés à la sexualité, qui puissent éclairer, faciliter
ou simplement inspirer de nouvelles recherches dans ce secteur.

En prenant l’ouvrage de Marie-Andrea Loyola : La sexualité dans les sciences humaines »


comme guide, nous allons examiner les sujets suivants : 1. Sexe et sexualité en anthropologie ; 2.
Éléments de réflexion sur la place et le sens de la sexualité dans la sociologie ; 3. Quelques
réflexions concernant le sexe, la sexualité et la différence sexuelle dans le discours médical ; 4.
Érotisme, détresse et féminité- une lecture psychanalytique de la sexualité ; 5. Le désir d’une
sexualité innombrable ; 6. Sexualité et identité dans l’historiographie brésilienne.

Dans le panorama actuel de recherche, il existe plusieurs perceptions éthiques dans le


domaine de la sexualité.

L’hédonisme :
C’est une théorie qui fait du plaisir le but de la vie. Cette théorie considère le sexe comme la
machine la plus parfaite du plaisir que l’homme puisse connaitre. L’éthique de l’hédonisme pense
un ‫״‬homme-objet", un ‫״‬homme-machine" sans intelligence ni conscience. En cohérence avec cette
conception, l’on retient que les hommes doivent se procurer le plaisir dans tous les cas, profitant de
toutes les possibilités que possède cette machine. Un homme constitué entièrement d’instincts et qui
vit la sexualité comme pur exercice génital apte à lui procurer le maximum du plaisir.

Dans cette éthique, il n’y a pas de place pour le renoncement, pour l’autocontrôle, pour
n’importe quelle forme de discipline et de censure. L’expérience sexuelle est quelque chose à
consommer comme les autres expériences quotidiennes qui obéissent aussi aux mêmes critères
d’obtention d’une satisfaction sensible et individuelle. Le critère éthique décisif est donné par la
recherche du plaisir dans la multiplicité des expériences. Le bien et mal éthiques sont substitués par
le bien et le mal psycho-sensibles : une chose est bonne ou mauvaise selon qu’elle procure le plaisir
ou la douleur.

Le privatisme utilitariste :
Dans cette théorie, personne ne doit interférer dans le domaine de la sexualité d’autrui : c’est
une sphère de l’intimité subjective que chacun peut organiser moralement comme bon lui semble.
Cette théorie estime que la sexualité ne doit pas avoir des dimensions sociales parce que celles-ci
priveraient les personnes de leur spontanéité et de leur authenticité dans le déroulement de
l’expérience sexuelle. Le mariage qui, hier, était ironiquement défini comme ‫״‬la tombe de l’amour"

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est aujourd’hui considéré comme lieu de répression qui mortifie la spontanéité individuelle en
prétendant instituer ce qui est ‫״‬ininstituable", c’est-à-dire l’amour entre deux personnes.
Avec le privatisme utilitariste, la famille n’est plus constituée de deux personnes qui
s’aiment mais plutôt par un noyau où les rapports du couple se limitent à une préférence de
l’intimité sans assumer la responsabilité et la prise en charge des exigences communes du couple. Je
m’unis à tel (le) pour autant qu’il (elle) me procure du plaisir mais je souhaite qu’il n’entre pas dans
ma vie privée au niveau sexuel, autrement dit, je ne veux pas qu’il me surveille dans les relations
extra-conjugales que je peux entretenir avec telles filles ou femmes ou encore avec tel homme.
Bref, dans le privatisme utilitariste le plaisir est au dessus de l’amour.
L’individualisme sentimental :
Cette théorie regarde la sexualité dans l’optique d’un amour romantique sentimental, capable
d’enlever au sujet tout sentiment d’angoisse et de dépression. La sexualité est prise ici comme un
narcotique (une substance qui procure le sommeil, une drogue), un opium capable de neutraliser
tous les problèmes de l’homme contemporain qui vit une existence de stress et qui risque d’être
submergé par les multiples contre temps de chaque jour et qui lui causent de l’anxiété. C’est donc
une ‫״‬sexualité-calmant" à la manière d’une drogue chargée de faire oublier la douleur. L’expérience
sexuelle y est vue comme un oasis de bonheur dans le désert d’une vie aliénée et sans paix. Parler
de sexe, ici signifie parler de douceur, de délicatesse, de plaisir raffiné d’attention à l’état d’âme de
personnes. La sexualité est considérée comme la tendresse à vivre avec spontanéité sans se poser un
excessif sens de culpabilité.

A y regarder de près, l’individualisme sentimental se range derrière les positions de Jean-


Paul SARTRE sur la liberté ; celle-ci est comprise comme capacité de choix que l’homme se donne
lui-même. Il ne la reçoit de personne, pratiquement le contenu du choix ne compte pas, mais c’est sa
modalité qui compte. L’important n’est pas ce qu’on choisit, mais le « comment » on le fait. Dans
cette optique, on peut comprendre la prétendue légitimité des expériences sexuelles avant le
mariage entre les jeunes qui disent qu’ils s’aiment, dans le sens qu’ils sont bien ensemble sans se
poser la moindre question sur la signification réelle de l’amour et des gestes qui l’expriment. D’où
la fameuse expression : ‫״‬qu’est-ce qu’il y a de mauvais ?". Autrement dit, l’on veut dire : ce
comportement est bon parce qu’il ne nuit à personne et me fait plaisir. L’on se trouve ici en face des
nouvelles formes d’aliénation du sujet à qui l’on propose une expérience sexuelle pré-humaine,
instinctive, vide de toute signification de valeur.

Au regard de ces différences perceptions de la sexualité que nous venons de voir à travers la
triple approche, il s’avère nécessaire de traiter clairement les présupposés anthropologiques qui
règlent la dimension sexuelle dans la vie de l’homme. Dans ce sens on peut affirmer que la

10
sexualité, malgré les exploitations scientifiques faites à son sujet demeure toujours une énigme, un
mystère à cause de ses multiples aspects insondables.

Les différentes perceptions de la sexualité que nous avons examinées précédemment


peuvent être complétées par les thèses suivantes qui ressortent des débats sur les sciences
humaines :

- Toute recherche sur la sexualité humaine est recherche sur le langage symbolique par lequel
les hommes ne cessent, sous des formes diverses, de contrôler et de socialiser le mystère
sexuel.

- La sexualité est le domaine par excellence des règles. Car les sociétés humaines ne peuvent
ni consentir sans autre à l’instinct sexuel, puisqu’à la différence des animaux l’homme ne
peut le régulariser naturellement, ni y renoncer sans mettre en cause leur existence même.

- La sexualité est dangereuse parce qu’elle est grosse d’une violence qui peut subvertir l’ordre
social en réveillant la rivalité mimétique des proches. Il faut donc en ritualiser l’exercice,
afin de détourner sa violence potentielle vers l’extérieur du groupe ou vers des formes
d’activités productrices utiles.

- A la jonction de la nature et de la culture, la sexualité humaine est en son fond irréductible


au langage clair ; elle ne peut être socialisée qu’au prix d’une régulation stricte qui
l’introduit dans le cycle producteur, où le produit à long terme est donné comme préférable à
la satisfaction immédiate. C’est ainsi, du coup, que les rôles masculins et féminins sont
définis.

- Mais la sexualité dit aussi que le désir, comme la vie, est plus riche que l’ordre qui la
socialise. S’il faut ne pas cesser de la contrôler, il faut aussi lui ménager des temps et des
lieux (fêtes et rites) où le désordre soit à la fois reconnu et maitrisé.

- Dans la société occidentale sécularisée, ou en voie de l’être dans d’autres parties du monde,
le contrôle symbolique de la sexualité est toujours aussi serré, quoique d’un autre ordre que
dans les sociétés anciennes : c’est l’instant scientifique, ou ce qui en tient lieu dans
l’imaginaire social, qui est chargé d’assurer ce contrôle.

1.2. L’Enseignement biblique sur la sexualité


1.2.1. Dans l’Ancien Testament 

‫״‬Homme et femme Il les créa" (Gn 1, 27). Aux origines de l’humanité, la Bible nous montre
non point des êtres étrangers à la sexualité mais un couple, un homme et une femme recevant
11
l’ordre exprès du Créateur : ‫״‬soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre" (Gn1, 28). La
bisexualité est une donnée primitive et dans le dessein de Dieu, fondamentale. Le péché est venu
briser cette harmonie (Gn 3, 8). Adam et Eve se sont séparés du Créateur, ils immergent dans la
création et dans les brumes de l’instinct. Ils n’ont pas seulement perdu la liberté de leur accès à
Dieu. Ils ont perdu leur liberté en face de la sexualité. Les relations de l’homme et de la femme se
trouvent désormais sous la malédiction menaçante du péché. La gêne mutuelle, le désir violent,
l’instinct dominateur, les douleurs de ce nouvel état (Gn 3-10. 12.16). Désormais un combat résolu
pourra seul soumettre l’instinct sexuel à la maîtrise de l’esprit. Mais la consigne primitive ‫״‬croissez
et multipliez vous" n’est pas pour autant abolie. Le châtiment n’est point de stérilité, au contraire,
est-il dit : ‫״‬tu enfanteras le fils" (Gn.3, 16).

Bien que beaucoup de peines doivent l’accompagner, la mission première de procréation


n’est pas moins confirmée et avec elle, la valeur positive de la sexualité comme telle. Ainsi,
l’espérance de la rédemption apparait liée à son exercice : c’est par la postérité de la femme que le
salut viendra (Gn 3, 15). Et le Seigneur nait de la femme (Gl 4 ,4), mais c’est de la Vierge Marie. Il
ne renie donc pas la chair. Il en fait l’instrument du salut dans sa passion. Il la magnifie dans sa
résurrection. Nous sommes sauvés en son corps. Désormais la chair et la sexualité même se
trouvent placées par les chrétiens dans le rayonnement de la gloire divine.

D’une part, il devrait nous paraitre sacrilège désormais de faire servir notre corps à
l’impureté (1 Cor 6, 13-20). L’Esprit même a fait de nos corps son temple (1 Cor 6,19), leur
conférant ainsi une ordination cultuelle : ‫״‬Car Dieu ne nous a pas appelés à l’impureté mais à la
sanctification (1Th 4,7). D’autre part, s’il peut être expédiant de ne pas se marier en vue du
Royaume (Mt 10, 10-12), l’usage même de la sexualité se voit promu par le Christ, Sauveur du
corps (Eph 5,22) à une dignité sans pareille : Ne faire légitimement à deux qu’une seule chair
devient ici bas, un symbole de l’union du Christ et de l’Eglise.

En résumé, loin de se révéler être une source de ce pessimisme judéo-chrétien qui aurait
empoisonné le goût de vivre et d’aimer en Occident, l’A.T. nous présente au contraire de l’amour et
de ses conditions d’épanouissement, une vision qui ne manque pas de grandeur. Il faut toutefois
arracher l’homme et la femme aux conceptions qui conduisent à les soumettre en ce domaine
comme en une fatalité : celle de la passion, mais aussi les pesanteurs socioculturelles qui risquent
toujours de faire d’eux des instruments au service des intérêts du clan, de sa reproduction, de sa
vitalité charnelle, de sa puissance économique au service des fins politiques substituées aux
véritables fins qui orientent le couple quand il se cherche pour s’aimer.

1.2.2. Dans le Nouveau Testament

12
Relevons directement que les auteurs du N.T. ne théorisent pas sur la sexualité et la morale
sexuelle. La perspective essentielle qu’ils poursuivent est l’annonce de la Bonne Nouvelle du salut
qui doit régénérer tout l’homme et donc aussi réorienter ses comportements en matière de sexualité.
Les évangélistes nous rapportent donc les attitudes et des paroles de Jésus qui marquent à la fois
l’accomplissement de la loi mais aussi son dépassement qui s’avère souvent être un retour aux
sources (ex. l’indissolubilité du mariage).

L’Apôtre Paul, quant à lui, se trouve confronté avec les situations concrètes des premiers
chrétiens de la diaspora, face à des mœurs païennes, à la sexualité encore sacralisée ou face à une
liberté dont ils s’étaient certes faits les héros, mais qui, interprétée d’une manière aberrante sous
prétexte d’affranchissement de la loi, risquait de retomber au niveau de la permissivité sexuelle.
C’est donc moins la sexualité qui est jugée que l’usage concret qui en est fait à l’occasion d’une
relation au prochain, relation sur laquelle porte le jugement.

- Les Evangiles
- Jésus, interrogé par les Pharisiens, répond à leur question sur la légitimité du divorce par
une citation combinée de deux textes de Gn 1 et 2 auxquels il ajoute un bref commentaire :
« N’avez-vous pas lu que le Créateur au commencement les fit mâle et femelle et qu’il a dit :
C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux
ne feront qu’une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l’homme
donc ne sépare pas ce que Dieu a uni » (Mt 19, 4-6).
- Ce texte placé dans la bouche de Jésus en reçoit évidemment une autorité majeure ; il définit
ce que nous pourrions appeler la tradition évangélique et chrétienne sur la sexualité. Ce
commentaire de la Genèse par Jésus, dans lequel d’ailleurs Jésus choisit ce qui lui paraît le
mieux définir la volonté première, originelle de Dieu, ce au nom de quoi il s’agit de juger de
la validité des interprétations subséquentes d’Israël, met en évidence quatre thèmes.
- Le premier thème : la sexualité est un don de Dieu, elle n’est ni un mal, ni un malheur.
Contre tout pessimisme gnostique dualiste, la tradition évangélique, appuyée sur l’autorité
du Christ, affirme que la sexualité, « bonne création » de Dieu, appartient à l’ordre originel
voulu par le Créateur.
- Deuxième thème : la sexualité a pour finalité l’humanisation de l’homme et de la femme
dans leur rencontre mutuelle. Marqué dans le texte par le passage du qualificatif « mâle-
femelle » à celui « homme-femme », cette humanisation est donnée comme la visée même
de l’acte sexuel. L’expression « une seule chair » dit non seulement la puissance du désir,
plus fort que les liens familiaux de l’homme avec ses parents, son origine, ses racines, mais
encore la promesse liée à la sexualité : l’unité des corps pourra permettre la création d’une

13
nouvelle entité, le couple, qui est décrit ici comme partage de toute l’existence, nouvelle
histoire commune possible.
- Troisième thème : la sexualité suppose et permet le passage de l’état infantile à celui
d’adulte. « C’est pourquoi l’homme quittera son père…. » : force du désir qui arrache
l’homme à la sécurité et à la dépendance de sa famille d’origine, pour le lancer dans
l’aventure d’être à son tour, à ses risques et périls, créateur d’une nouvelle entité familiale.
- Enfin, quatrième thème : Jésus commente le texte biblique par cet avertissement : « Que
l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni ». Affirmation théologique importante,
puisqu’elle enseigne qu’au fondement de la relation qui unit l’homme et la femme, union
dont la sexualité est le signe et le moyen, il y a l’amour créateur de Dieu lui-même. Par là, la
vie humaine et la vie sexuelle en particulier, est appelée à signifier cet amour créateur. C’est
ainsi que la sexualité est revendiquée par un sens théologique qu’à son tour elle enrichit.
- Ce sens théologique, c’est sans nul doute le texte de Gn. 2-3 qui en parle avec le plus de
profondeur. La réflexion s’y approfondit dans une double direction. La sexualité est d’abord
décrite comme le lieu d’une heureuse expérience de la complémentarité de l’homme et de la
femme. « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ». La « bonté » de l’union de l’homme et de
la femme renvoie à la bonté de la création, car la sexualité est le signe de la différence par
laquelle Dieu révèle sa propre altérité.
- Mais la sexualité est aussi décrite comme le lieu de l’expérience malheureuse de la violence
du désir, débouchant sur l’asservissement d’un sexe par l’autre. Lieu aussi de l’expérience
de la peur et de la honte (Gn 3,7) où la conscience de la différence se traduit en agressivité.
La femme en particulier est menacée de ne pouvoir vivre la sexualité que sous le mode de
l’asservissement de l’homme (3,16).
- L’importance théologique de ces textes de Gn 2-3 est de situer l’homme entre la promesse et
la reconnaissance réaliste du drame qui le traverse. Elle est surtout de lier toute la vie de
l’homme, et sa sexualité par conséquent, à son attitude face à Dieu, plus précisément encore
à l’image qu’il se fait de Dieu.
- La sexualité est ainsi décrite par la Bible comme le lieu d’un enjeu proprement théologique.
Ou elle s’inscrit dans une reconnaissance positive de la limite, ouverture possible sur la
relation avec l’Autre, et du coup elle s’ordonne à l’ordre de la création et devient elle-même
créatrice d’histoire et d’amour ; ou bien elle révèle, et souvent par la violence, le refus de
l’homme de consentir à se reconnaitre créature, et elle devient le lieu et le moyen d’une
violence implicite ou explicite qui réduit l’homme à ses pulsions, instrumentalise le corps et
détruit la présence par l’objectivation d’autrui. Dans ce cas la sexualité, pourtant donnée à

14
l’homme pour qu’il expérimente la valeur de la limite, devient le lieu du refus de toute
limite dans l’indifférenciation du plaisir.

Le positionnement de Jésus sur la question du divorce est tel parce que, pour sa part, il savait
plus qu’aucun autre ce qui se joue dans le cœur de l’homme (Jn 2, 25) avant même que le désir se
traduise en parole ou en acte, son attitude est exemplaire. Il remonte à la source qui n’est pas
exclusivement ni principalement le sexe. Dans son environnement immédiat et selon le contexte
général de l’époque, cette puissance du désir charnel aboutit à réduire la femme à sa sexualité, ce
qui autorise à la tenir légalement en minorité pour mieux la sauvegarder contre elle-même et sa
prétendue faiblesse, ou à marginaliser en la femme de mauvaise vie ou en prostituée celle qui a
succombé.

Jésus conteste délibérément cette attitude. Il ne s’empêche pas de scandaliser les pharisiens et
même ses Apôtres étonnés qu’un Rabbi puisse s’adresser en public, qui plus est, à une Samaritaine
(Jn 4, 27). Il restaure de ce fait entre les sexes selon un dessein plus conforme à celui de Dieu, une
égalité qui permet d’associer tous les êtres à l’évangélisation.

Sur le plan de la morale conjugale, on notera que c’est à l’endurcissement du cœur qu’est
attribuée l’ouverture de la loi mosaïque au divorce. Sur le plan de la morale individuelle enfin, Jésus
n’hésite pas à mettre en parallèle les faiblesses de la femme prise en flagrant délit d’adultère (Jn 8,
3-11) et de la pécheresse (Lc 7, 36-50) avec l’état de ceux qui veulent les juger. Où est donc la vertu
des hommes qui ont abusé d’elle, celle de ceux qui voudraient les voir condamnées ?

Ce constant déplacement des actes à leurs racines que Jésus manifeste ainsi dans ce
comportement devient d’ailleurs dans le sermon sur la montagne, un principe de dépassement de la
loi : ‫״‬vous avez appris qu’il a été dit : tu ne commettras point d’adultère. Eh bien moi je vous dis, si
quelqu’un regarde une femme pour la désirer a déjà commis dans son cœur l’adultère avec elle" (Mt
5, 27). Car telle est désormais la règle de discernement de pur et de l’impur dans les relations
humaines. Ce qui sort de la bouche procède du cœur et c’est cela qui rend l’homme impur (Mt 15,
18).

Du cœur en effet procède mauvais dessein, meurtre, adultère, débauche, vol, faux témoignages,
diffamation. Voilà les choses qui rendent l’homme impur (Mt 15, 18-20 ; MC 7, 21-23). De
l’impureté légale, Jésus remonte à l’impureté morale au sein de laquelle les écarts de comportement
sexuels sont cités en même titre que les autres et surtout rattachées à la même origine : l’incapacité
du cœur à s’ouvrir aux autres sinon pour les asservir. Telle est la morale spécifique du Royaume qui
est l’objet d’une explication particulière pour les disciples de Jésus tant, cette ‫״‬nouveauté", cette
‫״‬intériorisation" est très difficile à admettre.

15
- Saint Paul

En partant de Ga 5,13 et Ep 5,5 ainsi que les deux passages de 1Cor 5, 1-13 et 1Cor 6, 13 sur
l’inceste et la fornication, nous voudrons aborder (dans la perspective de saint Paul) les textes les
plus fondamentaux pour la compréhension chrétienne de la sexualité et pour les ressentiments
qu’ils ont eus dans le jugement porté par la tradition postérieure sur la luxure. Il est alors dit que
les œuvres de la chair ne recouvrent pas uniquement des fautes de luxure ou d’intempérance mais
aussi des atteintes à la justice. Les cas de l’incestueux et de fornicateurs de Corinthe posent plutôt
des problèmes de la liberté des chrétiens et leur solution relève donc directement de l’éthique
proprement chrétienne. Paul n’entend pas juger les mœurs des Corinthiens en général (1Cor 5,12),
l’argument de Paul montre l’entreprise trop forte de l’anthropologie biblique assumée dans le cadre
du dogme chrétien. L’homme est désormais jusque dans son corps destiné à la résurrection,
quelqu’un qui ne s’appartient plus. Il est au Seigneur, membre de son corps, temple de l’Esprit et
appelé à glorifier Dieu.

Critiquant les phénomènes ambiants de la prostitution, Paul se demande comment l’union


passagère à une prostituée, rapport dégradé par l’argent, pourrait-il garder encore quelque chose de
sa signification religieuse dans le contexte de l’alliance. Et Paul de dire : celui qui fornique pèche
contre son propre corps. En celle à laquelle il s’unit, c’est l’image de soi qu’il cherche à rejoindre
mais d’une manière telle qu’il ne peut que se manquer, manquant aussi le rapport à Dieu à l’image
duquel lui et sa compagne ont pourtant été créés.

Visant la dimension idolâtrique de la prostitution telle qu’elle s’étalait dans toutes les
grandes villes où il passait, fidèle en cela à la tradition vétérotestamentaire qui identifie idolâtrie et
fornication, Paul en tire une conclusion précieuse pour notre propos. C’est par toutes les activités de
son corps que le chrétien célèbre le nouveau culte en s’offrant tout entier en hostie vivante, sainte et
agréable à Dieu (Rm 12,1).

1.3. La doctrine classique sur la sexualité humaine


1.3.1. Les deux premiers siècles
Jusque vers 200 environ, l’Eglise chrétienne défend avant tout, en matière de sexualité, la
nécessité d’une stricte discipline morale. Elle le fait surtout à l’aide d’arguments tirés des traditions
morales juives et stoïciennes, qui lui offraient à la fois un cadre de références très élaborées et un
langage adapté aux attentes et aux besoins du monde antique. L’idéal chrétien exalte la fidélité et la
pureté dans le mariage. On y sent le souci de sauvegarder par la défense du mariage une éthique
sexuelle dont la plus grande originalité est de veiller à la défense des plus faibles et des plus
menacés : les enfants, les esclaves et surtout les femmes.

16
Les premiers théologiens chrétiens (Clément d’Alexandrie, Irénée, Tertullien) attestent par
leurs écrits qu’un double combat éthique se développe à l’intérieur de l’Eglise. Il faut d’abord lutter
contre un ascétisme exagéré qui rejette toute sexualité par spiritualisme. Il faut donc affirmer la
valeur, morale et spirituelle du mariage. Celui-ci a été institué par Dieu, qui associe ainsi l’homme à
son œuvre créatrice. Du coup, défendre le mariage, c’est défendre la théologie de la création et
rappeler l’unité de la foi au Dieu créateur et au Dieu sauveur. Mais la conséquence est que l’accent
éthique est placé fortement sur la fonction créatrice du mariage.
L’autre front du combat est celui de l’antinomisme que prônent volontiers les gnostiques,
qui enseignent que l’homme spirituel, libéré des contingences charnelles, est au-dessus des lois
communes et qu’il ne peut pécher, quoi qu’il fasse, en particulier de sa sexualité. A ceux-là, il faut
rappeler que la vraie liberté est détachement de l’emprise des passions, et que l’indifférentisme
moral est en réalité un mépris des lois du Dieu créateur. C’est ici que l’argument, pris aux stoïciens,
de la loi naturelle joue à plein. Face aux aberrations gnostiques, cet argument permet de défendre le
mariage, tout en limitant, voire en excluant, l’amour charnel et le désir sexuel.
Durant la même période, l’Eglise ancienne met sur pied une discipline, dont les points
essentiels sont les suivants : autorisation du divorce en cas d’adultère du conjoint, mais refus d’un
remariage pour le divorcé, pour laisser la porte ouverte à une réconciliation avec le conjoint
coupable qui se repentirait. Le remariage des veufs est possible, sinon recommandé ; quant aux
mariages « mixtes », avec des non-chrétiens, ils font l’objet d’une grande réflexion pastorale, mais
pas de mesures juridiques. Enfin, sur un point précis, celui du mariage des esclaves, la pratique de
l’Eglise tranche sur celle du temps, en en reconnaissant la validité.
1.2.3. La doctrine des Pères du IV et Ve siècles
1.2.3.1. Deux caractéristiques majeures de la doctrine des Pères sur la
sexualité
La réflexion plus systématique des grands théologiens des IVe et Ve siècles, en particulier
Grégoire de Nysse, Ambroise, Jean Chrysostome, Jérôme et Augustin qui se sont beaucoup
préoccupés de morale conjugale, aboutit à deux conclusions qui marqueront pour de longs siècles la
morale chrétienne.
10 La première conclusion sépare radicalement sexualité et amour  : La sexualité entretient
avec le péché une connivence, que marquent bien le lien de la sexualité avec l’irrationalité de
l’instinct et la concurrence que le plaisir sexuel fait à l’unique quête de Dieu. C’est pourquoi il faut
se méfier de la sexualité et en limiter le plus possible l’usage. Parmi des centaines possibles, voici
une citation typique de cette théologie morale : « les activités du mariage, si elles ne sont modestes
et ne prennent place, pour ainsi dire, sous le regard de Dieu, en sorte que l’unique intention soit
les enfants, sont impureté et luxure » (Jérôme, Comm.in ep. Ad. Gal. III, 21, PL, 415).
17
2o Une telle dévalorisation de la sexualité, qu’on devient incapable de penser en termes de
tendresse, d’émerveillement ou d’accueil de l’autre, va de pair avec une exaltation de la virginité.
C’est la deuxième ligne de la prédication morale des Pères. Voie royale pour aller à Dieu, car elle
est arrachement aux vicissitudes qui naissent de la chair, la virginité est participation par la chasteté
à une des perfections de Dieu. Le corps est un obstacle dont il faut limiter l’importance. Du coup le
mariage, même s’il n’est pas condamné comme tel, est conçu comme un pis-aller, bon pour ceux
qui ne peuvent accéder à la voie supérieure de la virginité. « Deux états de vie ont été établis dans
l’Eglise du Christ, l’un véritablement supérieur, et dépassant les possibilités habituelles des
hommes(…), l’autre (…) permet un usage modeste du mariage et la procréation d’enfants (Eusèbe
de Césarée, Ad Marinum, PG 22, 1007). Ainsi la relation de l’homme avec la femme lui fait courir
de graves dangers spirituels, en l’ancrant dans son corps charnel et dans les soucis temporels. Seuls
la procréation et le souci d’éviter une impureté plus grande justifient encore le mariage.

1.2.3.2. Ambivalence de la théologie classique sur la sexualité

La question qui nous préoccupe est de comprendre le pessimisme que les pères de l’Eglise
du 4è et du 5è S affichent sur la sexualité. En abordant leur pensée pour tenter de comprendre le
bien fondé de ce pessimisme, nous voudrions répondre à deux questions qui conditionnent le
jugement moral porté par la tradition catholique sur la sexualité :

Pourquoi la condition charnelle et l’usage de la sexualité étaient désormais tenus en


suspicion par les Pères (IV et Ve siècle) au point de faire seulement de la chasteté la sainte vertu
sinon même la vertu par excellence, alors que des fautes de luxure, deviennent des fautes graves de
par leurs matières mêmes ? Pourquoi la doctrine de fin du mariage s’est-elle structurée si longtemps
en reléguant dans l’étroite limite la légitimité de la recherche du plaisir même dans l’usage du
mariage ?

Faisons remarquer que sur ces deux points, un déplacement s’est opéré par rapport à
l’enseignement de l’Ecriture. Les arguments qui sous- tendent cet écart sont les suivants :

- Le milieu intellectuel ambiant :

Presque tous convertis ou baptisés tardivement, les pères de l’Eglise des premiers siècles ont
participé très fortement de part leur formation première à la culture hellénistique et à ses différents
courants de pensée (stoïcisme, Platonisme). Cela se remarque à travers la méthode utilisée par eux :
elle n’est rien d’autre qu’une technique d’interprétation des choses qui les éloigne d’une
compréhension exacte de l’Ecriture et notamment de son anthropologie. En interprétant les

18
événements et les situations de manière allégorique et en s’inspirant beaucoup si pas uniquement de
la pensée des philosophes païens, Platon en l’occurrence, c’est toute l’anthropologie biblique qui
s’en trouve dépréciée et des pages entières de l’Ecriture livrées plus ou moins au contre sens. C’est
le cas de commentaire sur les expressions pauliniennes relatives à la chair et à l’esprit identifiées au
corps et à l’âme. Le Cantique des cantiques ne sera interprété qu’allégoriquement de Philon à saint
Bernard en passant par Origène et saint Ambroise.

La grande source de l’anthropologie chrétienne est le Platonisme. Celui-ci a inspiré à un


point qu’il est difficile d’imaginer, toute la morale sexuelle enseignée par les Pères de l’Eglise. Pour
la comprendre, il faut se replacer dans le contexte de ce bouillonnement religieux qui a
curieusement affecté le monde méditerranéen dans le même temps que la prédication chrétienne
quittait les limites de la Palestine pour se lancer à la conquête de l’Empire.

Comme autre source de la morale sexuelle des Pères de l’Eglise nous pourrons citer le
Stoïcisme dont l’influence sur le reste de la morale chrétienne est connue. Fondée par Zénon de
Cittium (366 – 264), l’école stoïcienne fut dominante dans le monde gréco-romain. Elle prêche le
mépris du corps et la dignité de l’âme. Le corps est source de corruption de l’homme avec le désir
qui l’habite2.

- A l’égard de la sexualité, ces doctrines amènent les Pères à exalter et à faire jouer la norme
de la nature (l’homme à l’état brut) qui domine la procréation dont ils font le but exclusif du
mariage3. Dans ce cas, saint Jérôme condamne les rapports sexuels ardents (fréquents) des
époux en ces termes : ‫״‬Tout amour pour la femme d’un autre est scandaleux ; de même l’est
trop, l’amour pour la sienne propre. Un homme sage devrait aimer sa femme avec
discernement non avec tendresse. Il lui faut contrôler ses désirs et ne pas se laisser entrainer
à la copulation. Rien n’est plus immonde que d’aimer sa femme comme une maîtresse.
Certainement, ceux qui prétendent s’unir à leurs femmes afin d’avoir des enfants pour le
bien de l’Etat et de la race humaine devraient au moins imiter les bêtes et, lorsque les
femmes sont enceintes, ne pas détruire leurs rejetons. Qu’ils se présentent non en amants
mais en maris"4.

Imiter les bêtes, telle est le propre de la nature. Saint Augustin lui-même, emporté dans la
polémique contre Julien, rappelle cette formule de philosophie de saint Ambroise : ‫״‬Intemperans
enim in conjugio quid aliud nisi quidam adulter uxoris est ?" (ne se conduit-il pas comme un amant
adultère, un mari trop ardent à l’égard de sa femme ?).

2
HARRINGTON, Nouvelle introduction à la Bible, Paris 1971, 582-5583.
3
Ne perdons pas de vu que le mariage a comme but l’union et la procréation.
4
G. MATHON, ‫״‬Luxure", in Catholicisme. Hier aujourd’hui et demain, t.8 (1979) Paris, 9.
19
Cette dépendance des Pères de l’Eglise à l’égard de la culture grecque dominante va les
amener à tirer des conclusions de type dualiste à l’égard de l’anthropologie et de la sexualité.
Autrement dit, au niveau de l’anthropologie et de la morale sexuelle, le corps est mis en question.
L’homme est défini comme une âme qui se sert d’un corps (anima utens corpore) ou mieux le corps
qui est un instrument dont se sert l’âme. Même quand les Pères ne font pas du statut actuel de
l’homme la conséquence directe du péché originel, le corps reste pour eux le tombeau, la cage, la
colle ou le clou, toutes images carcérales (prison) ou de contrainte.

Les pères rappellent que l’âme comme image de Dieu est appelée à retourner vers lui,
notamment en empruntant par les degrés de la contemplation le chemin de la vérité. Mais ils disent
qu’aussi longtemps que nous aurons notre corps et que notre âme sera pétrie de cette chose
mauvaise, jamais nous ne posséderons en suffisance l’objet de notre désir : la vérité. Le corps est
donc déprécié mais plus encore sa dimension sexuée. Car si l’homme c’est l’âme, la sexualité entre
encore moins en ligne de compte dans la constitution de la personnalité. Voilà pourquoi elle est
d’abord réduite à la pure fonction de reproduction. Par surcroit, la sexualité est tenue en profonde
suspicion car l’expérience oblige à constater que le plaisir qui accompagne son exercice est d’une
attraction disproportionnée au statut qu’on lui concède.

Voilà pourquoi les Pères sont entrainés presqu’automatiquement à faire porter sur le plaisir
charnel toute la suspicion sinon la culpabilité, par l’interprétation religieuse la seule qu’ils
pouvaient en donner dans le cadre de leur anthropologie. En résumé, la dimension sexuelle de la
corporéité n’apparait guère chez les Pères de l’Eglise pour elle-même et, du fait de l’anthropologie
soutenue par eux ne pouvait qu’être réduite sinon marginalisée. Quant au plaisir charnel, ils
polarisent sur lui tous les éléments qui constituent la situation du pécheur. L’âme n’étant plus
qu’une esclave du corps, a laissé l’instrument devenir le maître. Ce renversement de rôles entraine
l’aveuglement de l’esprit incapable de penser à autre chose et donc tout à fait aliéné dans l’acte
qu’il ne domine plus. Il en résulte pour l’âme une dégradation totale avec sa descente dans un corps
devenu pour elle un bourbier.

1.3.3. La contribution théologique de Saint Thomas d’Aquin au 13 è S.

A la différence de ses prédécesseurs de 4 è et 5 è S, Saint Thomas d’Aquin appliqua à la morale


sexuelle une réflexion inspirée cette fois-ci par une anthropologie plus unitaire : celle héritée
d’Aristote. D’où la question suivante : Comment dans ce nouveau contexte va-t-il interpréter et
juger le comportement sexuel ? Voyons alors les axes de sa morale.

- La sexualité

20
Saint Thomas définit la luxure (le péché contre la sexualité) comme le fait d’outrepasser
l’ordre et la mesure de la raison dans les choses sensuelles (Somme théologique II a II ae, q 153, art.
3). Définition qui deviendra dans la tradition postérieure ‫״‬inordinati appetitus et usus delectationis
venereae" (désir et usage désordonnés du plaisir charnel). Dans cette définition thomiste tous les
mots comptent. ‫״‬désir et usage" fondent la distinction entre péché interne (délectation mauvaise) et
externe. Mais le concept clé est celui d’ordo rationis qui est dans toute la morale de Saint Thomas,
une norme majeur. ‫״‬Ordo rationis" (ordre de la raison) et non plus ‫״‬ordo naturae" comme chez les
Stoïciens et leurs disciples chrétiens.

Avec saint Thomas d’Aquin, dans la sexualité, l’homme est au centre de l’univers : Il est un
microcosme au sein du macrocosme. Par l’usage de la raison intégrant plus ou moins bien et
précisément en matière de sexualité, les données de la sensibilité par laquelle il entre en contact
avec cet univers, l’homme est appelé à comprendre les liens qui l’unissent au Cosmos, à accéder à
la conscience de ses responsabilités individuelles et collectives en fonction des fins hiérarchisées
qui lui ont été présenter par son Créateur.

Or, parmi elles (fins) se situe au-delà des individus, la consécration de tout le genre humain à
quoi est ordonné l’usage des réalités sexuelles. Aussi, l’usage du sexe peut-il être sans péché
lorsqu’il a lieu avec mesure et ordre requis selon ce qui est convenable pour la fin de la génération
humaine. Tel est donc le cadre dans lequel vient s’inscrire la réflexion sur la légitimité du plaisir
chez saint Thomas contrairement à ce que pourrait dire saint Augustin.

- Le plaisir dans la morale sexuelle de saint Thomas

Nous commençons par rappeler la signification du plaisir selon la philosophie aristotélicienne


reprise par saint Thomas. Le plaisir est un état spécifique qui couronne toute activité à laquelle on
se livre en tous domaines. Il relève aussi de la cause formelle en ce sens qu’il y aura des plaisirs
différents selon les activités et les formes de sensibilité qui en sont affectées. Mais il relève aussi de
la cause finale : le plaisir perfectionne l’action comme une fin qui s’y ajoute. Il est au niveau de la
sensibilité la forme sous laquelle lui apparait le bien vers lequel tend sa volonté éclairée par la
raison. Pendant que les pères de l’Eglise considèrent l’acte sexuel comme un acte brut, saint
Thomas y voit l’œuvre de la raison et qui donne une fin heureuse quand il est discerné, il faut que
ce soit pour la reproduction et le plaisir des époux.

Relevons cependant que le plaisir sexuel fonde en fait un double problème touchant d’une
part à sa force, sinon à sa violence et d’autre part aux significations qui s’y attachent. Le plaisir
charnel est violent. De l’avis d’Aristote, il aliène la raison en ce sens qu’il est impossible de
réfléchir à quelque chose à ce moment là. Ceci s’explique par l’importance du bien qui

21
l’accompagne. Or, l’usage du sexe est extrêmement nécessaire au bien général qui est la
conservation du genre humain.

CONCLUSION

Au terme de ces analyses, on peut dégager deux points principaux :

1. La morale sexuelle du christianisme, qui fait aujourd’hui figure de bouc émissaire, s’est
constamment affrontée d’une lutte qui ne marquait pas de grandeur à des tentatives de
sacralisation de la sexualité dont l’effet le plus évident eut-été l’asservissement des hommes
à la fatalité aveugle. Il n’en a pas été ainsi le contraire et même les historiens commencent à
témoigner de ce que la rigueur morale du Chrétien a apporté à l’Occident tout entier.
Néanmoins, dès les premières décennies de l’ère chrétienne, cette morale s’est désormais
exprimée sur ce sujet de la sexualité à partir d’une anthropologie qu’on pourrait assimiler au
platonisme et qui a pour effet de l’apporter à des jugements pessimistes surtout en ce qui
concerne la sexualité.
2. Heureusement que dans le chapitre sur le mariage et la famille dans GS, le Vatican II a fait
sienne désormais une anthropologie très unitaire fondée sur la reconnaissance de l’homme
personnel et où l’amour humain devient le lien de la reconnaissance et de
l’épanouissement réciproque : ‫״‬Éminemment humain puisqu’il va d’une personne vers une
autre personne en vertu d’un sentiment volontaire, cet amour enveloppe le bien de la
personne tout entière ; il peut donc enrichir d’une dignité particulière les expressions du
corps et de la vie psychique et les valoriser comme les éléments et les signes spécifiques de
l’amitié conjugale. Cet amour, par un don spécial de sa grâce et de sa charité, le Seigneur a
daigné le guérir, le parfaire et l’élever. Associant l’humain et le divin, un tel amour conduit
les époux à un don libre et mutuel d’eux-mêmes qui se manifeste par des sentiments et des
gestes de tendresse et il imprègne toute leur vie ; bien plus, il s’achève lui-même et grandit
par son généreux exercice. Il dépasse donc de loin l’inclination simplement érotique qui,
cultivée pour elle-même, s’évanouit vite et d’une façon pitoyable"5.

Manifestement, le Concile Vatican II a pris ses distances par rapport au réel pessimisme de
la morale classique et aux conséquences très dures qu’elle se croyait autorisées à tirer étant
donné que le concile a opté pour une morale sexuelle résolument ouverte et dynamique, il
reste à en développer les harmoniques cosmiques pour les générations actuelles et futures qui
sont plongées au milieu d’un ‫״‬déferlement d’érotisme" en tout et partout. Le second chapitre va
esquisser les grande étapes de la révolution sexuelle féministe et culturelle occidentale qui a
donnée naissance à ce ‫״‬déferlement érotique" précité.
5
VATICAN II, Gaudium et spes 49,1
22
Chapitre deuxième :

LA REVOLUTION SEXUELLE, FEMINISTE ET CULTURELLE


OCCIDENTALE : AUX ORIGINES DE LA CRISE ACTUELLE DE LA SEXUALITE

Dans le chapitre précédent, nous avons traité de la morale sexuelle et des normes qu’elle
reçoit de la part de l’Eglise catholique afin notamment des instructions sur le mariage
sacramental. On y a donc fait largement allusion aux conceptions héritées au moins au temps
de la culture hellénistique que de l’Ecriture sainte. En ayant en face la culture occidentale
actuelle de la sexualité humaine, nous avons souligné le lien que la doctrine catholique entend
maintenir entre l’amour en son expression génitale et la fécondité.

Pour MATHON G. toutes ces considérations faites précédemment n’ont abordé que les
aspects individuels de comportements sexuels, approche privilégié par la morale chrétienne
classique centrée sur les normes de la vie conjugale à l’intérieur de l’institution du mariage. Or,
c’est là que gît une des causes les plus profondes de l’incompréhension qui s’est installée entre
la parole officielle du Magistère catholique et sa réception par l’opinion publique dont il voulait
pourtant se faire entendre6.

Nous savons que de tout temps, les comportements sexuels n’ont jamais été laissés à la libre
disposition des individus mais ont été instaurés, édictés, réglés au sein des cultures propres aux
diverses sociétés qui se sont succédées. Par exemple, l’Africain noir ne vit pas sa sexualité et
donc aussi les rapports homme – femme comme l’Hindou ou le Japonais en Orient et l’homme
d’occident aujourd’hui. Et même ce dernier ne vit pas la sienne comme ses propres ascendants
d’il y a seulement un siècle. C’est donc que la compréhension de la sexualité qui donne sens au
comportement a changé en fin des évolutions de cette société.

Dans ce chapitre, il s’agira pour nous de voir comment on est passé dans les sociétés
traditionnelles d’un vécu sexuel fortement encadré par l’institution matrimoniale, quelles
qu’en soient par ailleurs les formes commentées et des discours adéquats, à un vécu qui se
prétend libéré et appelé à s’exprimer autrement, selon d’autres normes où le mariage,
notamment ne joue plus le rôle central de référence qui était le sien. ‫״‬Notre ventre nous
appartient et donc aussi notre sexualité". Tel était le message des femmes qui réclamaient la
libéralisation de l’avortement en 1973. Il a été reprit par d’autres groupes qui ne se veulent plus
minoritaires ou marginalisés (Homosexuels/Gays, Lesbiennes et Transsexuels) alors qu’on
commence à apercevoir le prix à payer pour une telle libération qui fait penser davantage à
l’anomie selon E. DURKHEIM et à ses conséquences tragiques à terme dont le suicide.
6
Cf. G. MATHON, ‫״‬Sexualité", in Catholicisme (1993), t. 13, col. 1204 – 1205.
23
A cette dissociation sexualité-mariage, s’ajoute celle déjà évoquée entre sexualité et
fécondité. Donc sexualité libérée parce que moins intégrée aux fins sociales auxquelles elle était
soumise. De là une série d’interrogations qui nous renvoie à une histoire récente : comment cela
s’est produit ? A partir de quelles évolutions et aussi à partir de quel discours et même de quelle
politique ? Quel sens donner à la sexualité humaine, à partir duquel on puisse attacher de
nouveau aux institutions et aux comportements, une valeur qui corresponde à la dignité de la
vocation à la quelle ensemble les hommes et les femmes ont été appelés dès les origines.

2.1. L’encadrement de la sexualité dans les sociétés traditionnelles : de l’interdit


fondateur aux institutions et aux normes

Parmi les interdits fondateurs dont les ethnologues ont repéré l’existence et le
fonctionnement à l’origine de quasi toutes les sociétés humaines figure celui de l’inceste. Il
prohibe les relations sexuelles entre proches en ligne directe (père-fille, mère-fils, frère-sœur) ou
collatérale à des degrés proches. En mainte reprise, la Bible elle-même nous fait part de son
existence et plus encore les peines qui frappaient les coupables. La sévérité du droit romain est
passée dans le droit canonique dont la législation sur les empêchements de consanguinité visait
essentiellement à favoriser l’exogamie et à travers elle, l’échange entre clans et la structuration
des liens sociaux durables qui favorisent la paix.

Le désir sexuel éveillé par la présence d’un autre sexe est celui qui par exemple durablement
différé s’il est correctement intégré à la personne selon l’éducation qu’il a reçu ou pas à son
propos. Cette affirmation débouche sur deux conséquences immédiates : la première, mise en
relief par Levis STRAUSS, est l’ouverture à un processus d’échange : il faut renoncer au
commerce instinctif avec un parent proche, c’est pour entrer dans un même échange conduit
selon les règles de la réciprocité : la femme qu’on refuse ou qu’on vous refuse est par cela
même offerte. Dès lors la prohibition débouche sur l’instauration des rapports entre clans
différents. La seconde conséquence liée à la précédente est le passage obligé de l’état de
nature à la culture. Cela veut dire que c’est dans l’élan d’un même mouvement que s’effectue
la renonciation à l’instinct et l’acte d’offre et d’échange réciproque. La femme cesse d’être un
stimulant pour devenir un signe.

2.2. Les facteurs contemporains du déconditionnement de la sexualité

La désintégration de la famille traditionnelle et sa recomposition se sont accompagnées


depuis les années 60 d’évolutions touchant aussi les mentalités individuelles et le statut de deux
catégories sociales qui entretiennent avec la sexualité, un rapport plus sensible : les jeunes et les
femmes. Nous devons à tout prix les évoquer sous peine de ne pas comprendre le bien fondé et

24
la teneur de nouveaux discours tenus sur la sexualité en contradiction avec les conceptions
défendues par la morale chrétienne sur le sujet.

2.2.1. L’émancipation de l’individu

Commençons par évoquer les étapes de l’émergence du sens des libertés individuelles
comme expression de la liberté.

- Dans les sociétés traditionnelles, l’homme ne peut vivre en dehors du groupe. Sa liberté est
alors purement intérieure.
- A partir du 12 è S, avec la naissance de la classe de marchands-bourgeois et le mouvement
communal contre les féodalités politiques et religieuses apparait le sens de la personne qui
revendique et le droit de la conscience (Abélard) et les libertés publiques : la renaissance
au plan culturel, la réforme au plan religieux, la philosophie dégagée de la tutelle
théologique est devenue très anthropocentrique (ex : Descartes ‫״‬Cogito ergo sum"), la
Révolution française qui consacre la séparation de l’Eglise et l’Etat sont autant des grandes
étapes d’un développement du sens et de la primauté de l’individu.
- Au 19 è S, contre le discours idéaliste des plusieurs socialistes français, Karl Marx
dénoncera la liberté purement formelle (théorique) des masses laborieuses écartées de
libertés politiques et de chrétien de vivre concrètement les libertés publiques que seule une
nouvelle révolution celle de prolétaires précisément leur donnera.
- Parallèlement s’en est suivi un affaiblissement du sens de solidarité des communautés et de
leurs expressions institutionnelles : ainsi l’on comprend le rejet fait par Luther d’une Eglise
catholique décrite comme redevenue captive au sein de la nouvelle Babylone, des structures
pontificales, du droit, tout cela a alimenté la critique faite contre l’Eglise au cours de la
révolution ainsi que la critique de la législation portée contre les congrégations naissantes.
Défense était faite au citoyen d’aliéner sa liberté dans une communauté de quelque type que
ce soit.
- Cette lente dérive de mentalité a fini par aboutir à une exaltation de l’autonomie 7 et de la
valorisation des différences qui amène les individus à privilégier désormais dans tout
engagement, le choix en fonction des attentes personnelles plutôt qu’en fonction des intérêts
du groupe que l’un rejoint.
2.2.2. Statuts personnels : Les hommes et les femmes
a. Statuts des jeunes dans la société :
Contrairement aux sociétés occidentales qui scrutent beaucoup l’apparition de l’adolescence
chez les jeunes, les sociétés traditionnelles en parlent très peu. Le passage de l’enfance à l’âge

7
Cf. J.M. AUBERT, Abrégé de la morale catholique, 131.
25
adulte s’opère par diverses formes de l’initiation pour les garçons comme pour les filles. Or dans le
même temps, suite aux meilleures conditions de vie en Occident, la puberté est devenue plus
précoce. Comment gérer dès lors une sexualité en pleine effervescence ? Il faut remarquer tout de
suite que trois grandes évolutions interfèrent chez l’adolescent : tout d’abord, il passe par une
réelle incertitude quant à son image, à ses possibilités, à son statut, à sa vocation future qui doit
évoluer vers le choix décisif ; ensuite une affectivité en plein développement mais qui ne sait
encore ni en quoi ni en qui s’investir ; enfin une génitalité en pleine force dont il faut maitriser les
pulsions afin de les subordonner à cette relation à autrui à l’intérieur de la quelle elles trouveront
leur sens.

Les hésitations au niveau de deux premières évolutions expliquent qu’au niveau de la troisième
puissent s’instaurer des comportements sexuels transitoires tels que la masturbation ou
l’homosexualité. C’est ici qu’interfèrent les conditions sociales qui rendent plus difficile
l’intégration des pulsions génitales au sein d’une personnalité en voie de structuration faute de lieux
où découvrir progressivement ce que l’on vaut sans se polariser sur la seule expression génitale de
jeunes mâles pressés de faire leur preuve et d’abord à leurs propres yeux.

b. Statuts des femmes

Dans son livre : L’aventure hommes – femmes, 1992, 117, M. Aumont affirme que : les femmes
ont accompli leur révolution dans nos pays occidentaux. De ce fait, la transformation de leurs
statuts est radicale et irréversible ». Cette évolution des femmes s’est faite par la pensée successive :
la première dans la mentalité, elle avait pour objectif la conquête des droits sociaux et politiques.
La seconde a lieu sur le terrain du travail où les ont appelées les exigences de production liées aux
guerres mondiales. Il fallait que les femmes remplacent de plus en plus massivement les hommes
partis sur le front à l’Est comme à l’Ouest. Et elles firent preuve de leurs capacités. Celles-ci
allaient trouver à s’impliquer de mieux à mieux avec le développement du secteur tertiaire (celui de
service) et dans tout ce qui relevait en outre de l’action sanitaire et sociale. On peut aussi y ajouter
leur succès à l’enseignement secondaire et à l’université. La troisième évolution est la plus
essentielle à notre cours et restera comme une conquête essentielle des femmes au XX è S : grâce
aux découvertes biologiques, et à la mise au point des technique simples et efficaces de la
contraception, les jeunes femmes d’aujourd’hui, ont acquis la maitrise de la maternité. La
subordination à leur ‫״‬nature" signifiée par le rythme biologique de l’ovulation par exemple,
désormais suspendue à la volonté qu’elles en ont de s’y soumettre ou d’y échapper et de se
retrouver libres pour des maternités désormais volontaires et programmés. Ce sont elles qui en
décideront parce que la science leur en donne les moyens.

26
En effet, la généralisation de la contraception (inventée par PINCUS (1950)) est trop récente
pour que nous ayons eu le temps d’en percevoir toutes les conséquences. Depuis lors se sont
ajoutées les possibilités offertes par les Procréations Médicalement Assistées (P.M.A.) qui ont
bouleversé toutes les interprétations que nous pouvons accorder depuis des siècles aux biens
aussi fondamentaux que ceux de la maternité et de la paternité. La femme n’accédait jusqu’alors
– au moins légalement – à la maternité qu’en qualité d’épouse d’un mari dont elle portait le nom
et le transmettait. Il en va désormais tout autrement : toute grossesse passe par son libre choix,
qu’il s’agisse du moment, du choix du père : mari, compagnon de service, partenaire régulier ou
provisoire, à moins de recourir aussi à l’insémination artificielle à partir d’un donneur anonyme.
Ainsi se trouve tout à fait bouleversés les rapports hommes – femmes et affirmé le pouvoir de
ces dernières sur ce point. Elles deviennent les maitresses du jeu. La prééminence de l’homme
dans la société, du mari dans le couple, du père dans la famille appartiennent au passé.
C’est la relation qui doit se vivre autrement. Les femmes en ont bien conscience et attendent en
tirer bien des conséquences. Il n’est pas sûr que les hommes dans la société comme dans les
églises en aient pris toute la mesure. Dans ces conditions, alors que la famille se voit appelée à
se remodeler totalement, c’est la formation même du couple qui est remise en cause.

c. Les statuts des couples

Le pluriel désormais s’impose. On ne connait guère jusqu’à présent que deux situations : le
mariage hétérosexuel (couple d’un homme et d’une femme) et sa forme antithétique de
concubinage. Désormais l’indépendance de chacun des partenaires sur tous le plans :
économique (travail salarié pour la femme aussi), social (la femme peut occuper le postes
disponibles sans discrimination aucune liée au sexe), parental (accession à la paternité maternité
grâce à la P.M.A. et autres), reconnue progressivement par les législations fait que des situations
nouvelles apparaissent, dont les cohabitations des jeunes sont un exemple au départ en attendant
un éventuel engagement. Mais on commence à décrypter d’autres situations (couples
homosexuels, couples de lesbiennes) au sein des couples libérés qui présentent des cas des
figures dont le dénominateur commun reste l’extrême fragilité.

2.3. La sexualité comme facteur de l’évolution des sociétés

Sous ce titre, nous allons voir comment s’est mise en œuvre cette prétention subversive de la
sexualité, les éléments qui ont structuré cette subversion et les justifications qui ont été avancées
par cela. La révolution sexuelle a été un des slogans scandés pour exprimer les attentes des
foules d’étudiants en ébullition en mai 1968 : ‫״‬faites l’amour et pas la guerre" a-t-on lu sur les
murs. C’est à partir de là que sont apparues les revendications, tendant à libéraliser la législation
en matière des mœurs. Ces revendications étaient soutenues par des thèses qui tentaient
27
effectivement à faire de la libération sexuelle, un grand axe d’ébranlement d’une société
jugée abusivement répressive. Ces interprétations issues de la philosophie ou de la
psychologie sociale venaient ainsi à la rescousse de la désintégration de la famille et du mariage.
C’est pourquoi on doit les évoquer même si elles n’ont plus aujourd’hui le même impact.

Auparavant, on se rappellera en quel sens on peut affirmer que la sexualité humaine est
porteuse d’élans qui peuvent déboucher sur des comportements au moins contestateurs sinon
révolutionnaires à proprement parler.

2.3.1. Le pouvoir subversif de la sexualité

La sexualité charrie en effet en elle-même un pouvoir de contestation lié à la dimension du


plaisir et du dépassement de soi dans la jouissance aigue que procure l’orgasme au moment où il
se produit. Le désir érotique et le plaisir qui l’accompagne donnent aux hommes et aux femmes
l’illusion de pouvoir dépasser leur limite en atteignant en fin la plénitude de la condition
humaine puisque la différence sexuelle est alors et pour quelques instants surmontée. Les
conduites sexuelles tendent à un assouvissement tendre et immédiat.

C’est pourquoi toutes les cultures s’en sont méfiées en en cantonnant l’exercice ou en
organisant dans des limites institutionnelles strictes, ainsi d’abord et avant tout celle du mariage,
mais aussi hors mariage dans les lieux réservés à la prostitution profane ou sacrée. A l’opposé,
l’exigence de la vie sociale, économique et politique introduit le temps et la durée, et forcent à
tenir compte du possible : la satisfaction du désir est nécessairement retardée. Comme toute
drogue, l’acte sexuel et la satisfaction intense qu’il procure ont donc cette première dimension
de contestation de condition commune de la vie ordinaire à la quelle ils permettent d’échapper
même si c’est pour un instant hors du temps.

Des auteurs avaient bien repéré et mis en valeur ces différents aspects de la fonction de
contestation de la sexualité sans rencontrer l’audience qu’ils auront au cours des années 1970.
Leurs idées se vulgariseront alors sous couvert d’une justification a posteriori à la quelle ils
n’avaient sans doute pas songé.

2.3.2. L’utilisation politique de la sexualité : en quel sens peut-on parler d’une


‫״‬révolution sexuelle ?"

Il s’agit ici de souligner les retombées dans ce champ social des thèses de Marx et de Freud
qui ont été actualisées par les œuvres de Wilhelm REICH (1897 – 1957) et d’Herbert
MARCUSE (1898 – 1979).

28
Karl MARX (1818 – 1883)

- On lui doit la mise en valeur des interactions qui s’exercent entre les structures de
production qui commandent toute l’économie et les superstructures juridiques et politiques
(et donc l’institution familiale et la sexualité), culturelle et religieuse.
- Pour Marx, modifier les rapports de production change nécessairement la structure familiale.
Wilhelm Reich inversera le rapport ainsi défini par Marx en disant : ‫״‬la révolution sexuelle
est de nature à modifier les structures économico-politiques". Freud a manifesté le
mécanisme de cette révolution sexuelle par son interprétation de la figure paternelle en
terme de ‫״‬pouvoir" : la sexualité en acte fait accéder à la fonction paternelle (plus que
parentale et du même coup elle se retrouve en quelque sorte contestatrice de toutes formes
d’autorité : cela est confirmé par des nombreuses déficiences sexuelles où le passage à l’acte
s’est opéré moins en fonction du partenaire que par rapport aux parents avec lesquels on est
désormais à égalité notamment dans le rapport d’une fille à sa propre mère.
- S. FREUD (1856 – 1939). Son apport au sujet de la révolution sexuelle est considérable :
Il a montré notamment comment se structure la personnalité de l’enfant en fonction des ses
rapport successifs puis simultanées avec sa mère d’abord, son père ensuite. La présence de celui-ci,
réelle ou fantasmée, vient alors introduire au sein du désir éprouvé par l’enfant envers sa mère, une
séparation qui va l’obliger à refreiner, à limiter et à rééquilibrer ce désir narcissique de fusion dont
il l’avait investie.
D’une manière ou d’une autre, affirme Freud, toute institution à commencer par la famille,
traditionnelle ou moderne s’est symbolisée en fonction de cette articulation primitive qui fait jouer à
l’image du père le rôle de l’autorité, de la loi. Celle-ci vient alors dicter à chacun les limites qu’il
doit fixer à son désir d’expansion, originellement illimité y compris à son désir sexuel, aspect
particulier de cette volonté de réalisation de soi qui habite tout les êtres humains quels qu’ils soient.
Le principe de plaisir selon lequel s’épanouit le désir voit surgir devant lui avec la loi quelle qu’en
soit la forme, le principe de réalité qui lui fait sentir ses limites et qui ne peut donc être que
répressif.
- Wilhelm REICH (1897 – 1957)
Reich s’est aperçu que les tentatives de guérison de névroses se heurtaient moins aux difficultés
personnelles des sujets que celles qui découleraient de leur situation sociale. Il en rend responsable
tout à la fois les structures d’économie capitaliste, ce en quoi il rejoint Marx, mais il met en cause
les structures familiales.
Par sa constitution hiérarchique, la morale fondée sur l’obéissance et la répression sexuelle
donne lieu à des familles qui préparent des générations de jeunes prêts à devenir pour l’économie

29
capitaliste, le personnel soumis dont il a besoin. Reich met donc en lumière les liens entre la
révolution économico-politique prôné par Marx et la révolution sexuelle qui passe par la destruction
de la famille comme lieu de répression sexuelle au mépris bénéfique de la production capitaliste.
- Herber MARCUSE (1898 – 1979)
Il est le maître de la révolution culturelle des années 1960 ; Révolution culturelle fondée sur
l’érotisme, le plaisir, l’éros. Marcuse annonce sans détour que son objectif est de faire la révolution
sociale. Comme Freud, il croit que la civilisation est répressive, qu’elle affaiblit les pulsions en les
civilisant. Rappelons que Freud avait créé trois instances de la personne : le Id (le ça) à savoir
l’inconscient, qui ne connait ni le bien ni le mal et, est libre et fondamental ; le Ego (le moi) le
médiateur entre le Id et le monde extérieur qui coordonne les pulsions du Id pour minimiser les
conflits avec la réalité et le Super Ego (le sur moi) à savoir l’influence des parents, des maitres, de
l’Etat, des institutions, des lois.

Marcuse préconise une révolution culturelle pour rendre la civilisation non répressive. Il veut
remplacer le système en place par une civilisation permettant à l’individu d’être lui-même libéré de
toute pression sociale et institutionnelle. Le nouveau système doit selon lui être formé et déterminé
par les pulsions sexuelles elles-mêmes. Marcuse, selon son idéologie, la force motrice de la
révolution n’est pas la lutte de classes ou le développement économique mais la psychologie, la
configuration psychologique de l’homme individuel, la nature des instincts. Il fait la synthèse de
Marx et de Freud.

2.3.3. La démocratisation de la sexualité

Ce titre veut souligner ce passage des analyses théoriques (les auteurs vus précédemment) sur la
sexualité aux décisions politiques qui concrétiseront progressivement leur mise en œuvre sous
l’influence de différents groupes de pression (les homosexuels et les lesbiennes notamment) qui en
avaient perçu les opportunités. Cette démocratisation de la sexualité s’explique à travers trois
assertions que voici :

2.3.3.1. La sexualité sans procréation : contraception et avortement

Les premières revendications de la sexualité sans procréation concernent la libération de la


femme de contraintes ou de peurs liées à la maternité. Le féminisme combat acharnement l’ordre
social de ces valeurs ; la famille et le mariage considérés comme des formes d’agression féminine.

Aux USA, nous avons deux grandes figures : Margaret SANGER (1879 – 1966) et Emma
GOLDMAN (1869 – 1940). Elles ont lancé des campagnes anticonceptionnelles et abortives et
commençaient alors à parler de sexualité féminine célibataire (Lesbianisme). Nous allons examiner

30
deux grandes figures de ce féminisme notamment celle de Margaret Sanger et celle de Simone de
BEAUVOIR (1908 – 1986).

1. Margaret SANGER
Elle est la figure de proue de la révolution féminine et sexuelle. Son influence culturelle et celle
de la Fédération Internationale de Planification Familiale (IPPF) qu’elle a fondée, son rôle dans la
déconstruction morale de l’Occident sont incommensurables. Il est nécessaire de s’attarder sur sa
pensée et ses objectifs pour comprendre le radicalisme qui est au cœur de programmes actuels de
santé dite de reproduction et même au centre des programmes des populations gérées par le Fonds
de Nations Unies pour les Activités des Populations (FNUAP) et de développement (OMD)
Objectifs du Millénaire pour le Développement.
Sanger voulait ‫״‬libérer" la femme de ce qu’elle appelait ‫״‬l’esclavage de la reproduction".
Selon elle, la femme doit pouvoir posséder son corps et sa sexualité. Elle doit pouvoir en disposer
comme elle le veut, jouir de la liberté de son corps et de ses droits, et contrôler sa vie : "aucune
femme, dit-elle, ne peut se dire libre tant qu’elle ne possède pas et ne contrôle pas son propre corps,
tant qu’elle ne peut choisir consciemment d’être mère ou non, tant qu’elle laisse la maternité au
hasard. Chaque enfant doit désormais être ‫״‬voulu", choisi, planifié car selon Sanger, une race libre
ne peut naître de mère esclave"8.
Pour atteindre cette liberté, Sanger s’est rebellée aussi bien que contre l’Eglise que contre l’Etat,
contre tous ceux qui, selon elle, oppriment la femme en maintenant un contrôle sur son corps en tant
que instrument de reproduction : Institution sociale de la famille, loi civile, morale religieuse,
dogme, les traditions culturelles, moralistes conservateurs, systèmes patriarcaux, domination
masculine, injustices sociales et économiques, pauvreté, manque d’éducation et de formation,
manque d’accès à la contraception et l’avortement.
L’Eglise catholique était pour Sanger le plus grand obstacle à la réalisation de ses objectifs
subversifs. Pour s’emparer du pouvoir, la révolution sexuelle a relié ses objectifs individualistes
(amour libre, recherche du plaisir, libre cour donné à la libido) à des objectifs géopolitiques. Ainsi
pour promouvoir la contraception et l’avortement, ses agents ont d’abord évoqué l’argument
Démographique (la surpopulation menace le bien être et la survie de l’humanité). Ensuite,
l’argument Environnemental (reliant la surpopulation à la dégradation environnementale), et
dernièrement l’argument Sécuritaire (le SIDA, l’avortement dit à risque, l’avortement clandestin, la
pauvreté sont présentés comme des menaces à la sécurité aussi bien individuelle que mondiale). La
communauté internationale est ainsi passée du contrôle démographique au développement durable
et enfin à la sécurité humaine.

8
Cf. Marguerite A. Peeters, La mondialisation de la révolution culturelle occidentale, janvier 2007, 12.
31
2. Simone de Beauvoir

Les revendications concernant la libération de la femme des contraintes liées à la maternité


se diffusent dès 1949 en France grâce au succès connu par le ‫״‬deuxième sexe‫״‬, un livre de Simone
de Beauvoir, un essai existentialiste et féministe. Ce livre deviendra le bréviaire des féministes du
monde entier. Puis en 1956, madame Weil HALLE fonde l’association ‫״‬MATERNITE
HEUREUSE" qui deviendra en 1960, mouvement français pour le planning familial dans
l’intention de faire connaitre à toutes les adhérentes les moyens modernes de maîtriser leur
fécondité.

Dès 1956, la revendication passe au plan d’ordre politique lors d’élection présidentielle
française et le 17 janvier 1975, le parlement français vote la loi légalisant l’avortement. En 1982,
elle sera complétée par une loi prévoyant la couverture par la sécurité sociale des frais de
l’interruption volontaire de grossesse (IVG). L’IVG est une nouvelle expression devenue courante
mais manifestant le déplacement de l’aspect négatif d’atteinte à la vie de l’embryon avorté à
l’aspect revendicatif d’une liberté s’affirmant contre lui et contre l’Etat que son apparition a induit.

2.3.3.2. La sexualité sans âge et sans entrave

Elle vise l’évolution des mœurs touchant cette fois, avec la revendication à l’éducation
sexuelle de jeunes générations, l’accès à toutes les formes d’un ‫״‬érotisme libéré". Ici, on vulgarise
rapidement les idées de W. Reich qui demande qu’on détruise la famille parce qu’elle exercerait une
répression sur l’éveil des jeunes à l’activité sexuelle (cf. le parlement d’enfants).

2.3.3.3. La sexualité sans norme

Après mai 1968, des fronts de combats homosexuels sont ouverts réclamant qu’il y ait un
traitement sans discrimination à l’égard des homosexuels. Ainsi, la loi du 25 juillet 1985, interdit
toute discrimination à l’égard de qui que ce soit à cause de sa situation de famille, de son sexe, de
ses mœurs, de son appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une race ou une religion
déterminée.

2.3.3.4. La Nouvelle Ethique mondiale (1989-1991).

Retenons d’ores et déjà qu’un bouleversement complet de la vision du monde et de l’homme


s’est propagé depuis la fin de la guerre froide sous l’influence de groupes de pression. Inspirés par
les révolutions féministes, sexuelles et culturelles, ces groupes semblent être parvenus à leur fin en
Occident et avoir instauré une éthique nouvelle et laïciste qui signe l’avènement de la

32
postmodernité. C’est désormais la planète tout entière qu’il s’agit de convertir à cette révolution.
Ces groupes de pression se sont infiltrés dans les instances internationales, l’ONU en premier lieu,
mais également les organismes européens, afin de promouvoir leurs idéologies révolutionnaires.
Révolutionnaires elles le sont en effet dans la mesure où c’est à un bouleversement complet de la
société qu’elles appellent en intervenant sur celles qui en constituent la matrice, à savoir les
femmes. Il s’agit d’abord de déconstruire les valeurs traditionnelles communes à l’humanité entière
et dont elles sont porteuses.

Comment ? En supprimant le rôle traditionnel de la femme pour lui substituer le stéréotype


féministe : une femme « citoyenne », partenaire de l’éthique mondiale, pleinement engagée dans
son application, protagoniste du développement durable, revendiquant ses droits et son pouvoir,
célébrant la diversité des choix, ‫״‬libérée" de son rôle de mère. Autant de clichés réductionnistes
imposés de l’intérieur des instances internationales par des membres d’ONG organisés en groupes
de pression farouchement résolus.

Cette réflexion est comme un appel vibrant à l’attention des habitants des pays en voie de
développement dont l’attachement aux valeurs traditionnelles, s’il perdure, pourrait bien les sauver
de la contagion occidentale. Ainsi, cet appel vibrant qui invite à la plus extrême vigilance nous
évitera de tomber comme en occident à la disparition de structures sociales fondées sur le noyau
familial constitué d’un homme et d’une femme mariés, de leurs enfants, interagissant au sein d’un
monde à l’égard duquel ils se reconnaissaient des droits, mais surtout des devoirs, moraux qui plus
est.

2.3.3.5. La position du Magistère sur la sexualité.

Le sexe pour le sexe n’est pas l’amour du sexe, mais une fascination pour la mort. La pulsion
sexuelle que l’on déchaîne devient pulsion de mort en détruisant la sexualité. On peut tuer la
sexualité à force de vouloir la libérer.

Il existe aujourd’hui des projets visant à redéfinir totalement l’identité de l’humanité dans le but
de la délivrer des maux qui pèsent sur elle. Le premier de ces projets propose de désolidariser
totalement la procréation de la sexualité et donc de faire fabriquer désormais des enfants en
laboratoire. Le second propose, lui, d’en finir avec la différence sexuée homme-femme, afin de la
remplacer par la distinction hétérosexualité-homosexualité, voir par la disparition de toute
distinction. On mettrait fin ainsi au machisme.

33
Cependant, ce que l’on doit savoir est que la libération sexuelle n’est pas une affaire de liberté,
mais une affaire de personne. Tant que celle-ci n’existe pas, il ne peut y avoir de liberté, la liberté
n’étant pas une affaire de droit extérieur mais d’épanouissement intérieur à partir d’une force issue
des profondeurs de soi. D’où la nécessité d’une nouvelle révolution sexuelle liée à la personne et
pas simplement au sexe. Il a été à un certain moment de notre histoire de référer la personne au sexe
et à la sexualité. Il est important aujourd’hui de référer le sexe et la sexualité à la personne. Faute de
quoi, le sexe que l’on veut libérer ne libère pas. Il enchaîne.

La tradition chrétienne authentique, loin de réprimer la sexualité, la place au centre de la vie en


envisageant l’existence comme une immense noce entre le Ciel et la Terre, Dieu et l’humanité. Les
textes fondateurs le montrent à commencer par celui de la Genèse. Dieu aurait pu rester seul. Il ne
l’a pas fait. Dieu n’est pas hors sexualité. Il en est le cœur en se posant comme époux. Ce qui est
vrai pour Dieu l’est aussi pour l’homme. Celui-ci n’est pas un être asexué dans son essence. Il est au
contraire profondément sexué. Comme le dit le récit de la Genèse au chapitre 2, Dieu le crée mâle et
femelle (voir Mt 19, 4).

La sexualité est donc un don divin. Il n’y a rien de honteux en elle. La sexualité est vie parce
qu’elle s’enracine dans la relation qui unit l’humanité à Dieu, source ineffable de toute vie. Si la
sexualité doit être délivrée des chaînes qui pèsent sur elle, ce n’est pas la libération sexuelle qui la
délivre, mais un retour aux sources mêmes de ce qui donne à la vie sa dignité infinie, à savoir le
mystère qui la traverse. Notre monde a un discours sur le sexe. Il n’a plus un discours sur l’amour.
En voulant séparer la sexualité de l’amour sous prétexte de délivrer la sexualité, on la condamne à
n’être plus qu’une sexualité mécanique et sans vie.

Chapitre troisième : LA CONTRIBUTION THEOLOGIQUE DU PAPE JEAN PAUL II


A UNE MORALE SEXUELLE CHRETIENNE

L’enseignement de Jean-Paul II tranche résolument au plan méthodologique avec la doctrine


traditionnelle de l’Eglise sur le mariage et la sexualité. Alimenté à la source d’une expérience
pastorale d’une richesse peu commune, cet enseignement intègre la question du corps et de la
sexualité dans une radicalité théologique totalement nouvelle et lui confère une ampleur jusqu’alors
ignorée.

1. La théologie traditionnelle du mariage

Longtemps, la pensée de l’Eglise s’est limitée à une théologie du mariage qui relevait
davantage d’une philosophie naturelle que d’une réelle réflexion théologique. Concernant
les fins du mariage, il était habituel de distinguer, à la suite de Thomas d’Aquin, entre la fin
34
première du mariage : la procréation et l’éducation des enfants, et les fins secondaires : le
secours mutuel et le remède à la concupiscence.

DEUXIEME PARTIE : MORALE CHRETIENNE SUR LE MARIAGE

Chapitre quatrième : L’enseignement biblique sur le mariage

Chapitre cinquième : l’enseignement doctrinal sur le mariage au Concile Vatican II :


Gaudium et spes (n° 47-52)

Chapitre sixième : LES PRINCIPAUX DEVOIRS DES EPOUX DANS LE MARIAGE


CHRETIEN

Nous précisons ici qu’il s’agit de deux devoirs principaux. Le premier est de former une
communauté de personnes qui implique des droits réciproques des époux, et imposent des
conditions pour une convivence familiale. Le second est le service de la vie ou paternité et
maternité responsable.

6.1. LE DEVOIR DE FORMER UNE COMMUNAUTE DES PERSONNES

Quand on se marie, ce n’est pas seulement un homme et une femme qui s’aiment mais deux
enfants de Dieu qui s’associent sacramentellement pour former une communauté des personnes, un
foyer de mise en commun de leur être.

Les droits et les devoirs réciproques des époux se résument en un seul effet du mariage à
savoir que : chaque conjoint possède devoirs et droits égaux en ce qui concerne la communauté de
vie conjugale (can. 1135). Ils fondent le droit et le devoir de la convivence conjugale qui
s’expriment par la charité conjugale, le sens de l’autre, le don de soi, le respect de l’autre fondé sur
la maîtrise de soi et non sur l’individualisme jouisseur ; et le bien commun familial non seulement
dans le domaine de la sexualité mais aussi de l’économie, du civil et de l’éducation des enfants.

Pour que la mise en commun soit harmonieuse dans un couple et dans une famille, la morale
chrétienne préconise de préparer les époux à prendre conscience de cinq dimensions de la
convivence que voici :

1. Bien connaître la psychologie des époux ;


2. L’administration du foyer et de ses six qualités de garantie : le réalisme, l’esprit de
pauvreté et de simplicité comme la colombe (Mt 10, 16 ; Lc 10, 3), le sens de
35
l’économie ou le dialogue sur l’équilibre de revenus et de dépenses, le sens de
responsabilité et la maturité administrative, le courage, la franchise.
3. Le partage : pour unir des époux dans la routine du compagnonnage des époux ;
4. Les convictions religieuses des époux et la question de la spiritualité conjugale ;
5. Le comportement adulte avec quatre caractéristiques que voici : la lucidité, la liberté, la
responsabilité et la lecture des signes de temps.
6.2. Le service de vie ou paternité et maternité responsable9

La paternité – maternité responsable résume le devoir de service de la vie qui comporte un


double devoir de transmettre la vie (familiaris consortio 28 – 35) et éduquer les enfants (familiaris
consortio 36 – 41).

Ce droit de service de la vie exige un itinéraire moral des époux, par la loi de la gradualité.
Selon cette loi de la gradualité, l’homme appelé à vivre de façon responsable, le dessein de Dieu
empreint de sagesse ou d’amour, est un être situé dans l’histoire. Jour après jour, il se construit par
ses choix nombreux et libres. Ainsi, il connait, il aime et accomplit le bien moral en suivant les
étapes d’une croissance.

a. Les philosophes et les théologiens antinatalistes

Le devoir de la paternité maternité responsables et le droit de service de la vie sont les droits
et les devoirs de l’homme les plus mis en doute dans le monde contemporain par les philosophes et
les théologiens anti natalistes prônant et libéralisant la contraception et l’avortement.

On appelle contraception, l’ensemble de moyens chimiques (la pullule) ou mécanique


(préservatif féminin ou masculin) employés pour provoquer l’infécondation chez la femme ou chez
l’homme, ou pour rendre infécond les rapports sexuels. Il y a trois sortes de contraceptions
coupables s’attaquant aux valeurs de la famille en réduisant le mariage à l’acte sexuel, mais surtout
généralisant la dépravation morale dans la société et l’hypocrisie de la prostitution clandestine chez
les jeunes filles.

- La contraception d’infirmité : moyen auquel le coupable recourt faute de mieux pour ne pas
offenser le caprice libidineux d’un conjoint faible affectivement. On l’appelle aussi,
contraception de faiblesse ou de pis-aller conjugal. Usage des préservatifs.
- Contraception de pure jouissance : qui met en péril la valeur même d’amour et expose le
corps humain aux effets secondaires de la pullule. Elle est due à une obsession sexuelle et à
la luxure.

9
Familiaris consortio, n. 28 – 41.
36
- Contraception de puissance : celle pratiquée comme un droit par le pouvoir public, et
reconnue, même préconisée, et mise en application et en planification officiellement dans un
pays10 (cf. surtout Am 1, 13 ; 2, 7 ; Ex,1, 3-22). Celle préconisée par la Nouvelle éthique
mondiale.
Quand la contraception échoue, on recourt à l’avortement. Celui-ci est condamné aussi par
l’Eglise car non seulement l’avortement est une infanticide, mais aussi la contraception est une
idolâtrie du sexe et un fétichisme ; la personne humaine existe et a droit à la vie dès sa conception
jusqu’à sa mort naturelle. ‫״‬La vie humaine est sacrée et inviolable dans tous les moments de son
existence, même dans le moment initial qui précède sa naissance11". L’embryon a droit à la
protection.
Dans l’apostolat familial, il faut avertir les époux de six thèses des philosophies et des
théologies antinatalistes qui polluent la mentalité contemporaine et propagent la contraception en
généralisant les mœurs prostitutionnelles dans les couples :
1. Les théologies antinatalistes :
Ce sont celles qui corroborent les thèses malthusiennes en permettant et en fondant la
contraception à partir de la Bible et surtout de l’interprétation de deux péricopes Si 16, 1 – 4 (ne
désire pas une foule d’enfants bons à rien…) et Gn 38, 1 – 11 (l’onanisme permet le coït interrompu
ou éjaculation interrompue pour éviter la prospérité ou le surpeuplement qui est une catastrophe
cosmique). Toutes ces exégèses et herméneutiques antinatalistes fondées sur la Bible sont fausses et
trop tendancieuses : l’aventure de Tamar et d’Onân en Gn38, 1 – 11 montre l’importance de la
fécondité et la situation dramatique de la stérilité dans un couple. Par ailleurs, la péricope de Si 16,
1 – 3 montre et vise dans le couple la qualité de vie, l’espacement naturel des enfants, la question du
mal physique, le problème de l’éducation des enfants, la responsabilité des parents vis-à-vis de leur
progéniture et la problématique de la responsabilité du bien et du mal. L’homme et la femme sont
appelés par Dieu à être parents et par là une participation spéciale à son œuvre créatrice (Gn 1, 28).
2. Le matérialisme jouisseur 
Il prône le plaisir de la chair sans limite dans le temps et l’espace. Il fatigue les gens et crée des
étourdis.
3. L’eugénisme 
C’est une qui prétend supprimer l’enfant malade ou chétif. Elle est insoutenable car tout est
digne, image de Dieu.
4. Les philosophies d’honneur et de moralité 

10
KIKASA MWANA LESA, Le problème de planning familial et naissance désirable au Zaïre, in zaïre-Afrique
(1984).
11
JEAN-PAUL II, Evangelium vitae, 61.
37
Permettant la contraception et l’avortement si on est déshonoré par des viols, adultère et
séduction. Elles sont insoutenables car elles prônent le meurtre d’un innocent incapable de se
défendre (qui ne sait pas parler).

Le premier droit de l’enfant est le droit à la vie. Ce sont ces philosophies qui soutiennent le
protocole de Maputo adopté le 11 juillet 2003 en son article 14, et aussi l’article 4. Le 11 juillet
2003 lors de la seconde session ordinaire de l’union africaine, les Etats membres de cette
organisation régionale ont adopté un protocole sur le droit de la femme en Afrique. Sous la pression
de lobbies occidentaux ayant d’ores et déjà pris le pouvoir au niveau de l’union africaine, le
protocole incorpore tous les objectifs idéologiques de la conférence de l’ONU à Pékin sur les
femmes en 1995 (où a été élaborée la théorie du ‫״‬Gender" ou Parité) et en particulier le droit à
l’avortement. Son article 14 intitulé droit à la santé et au contrôle de fonctions de reproduction",
énonce que les Etats l’ayant ratifié sont tenus de ‫״‬protéger les droits reproductifs des femmes,
particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé en cas d’agression sexuelle, de viol,
d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de
la mère ou du fœtus". Cette formulation fait de l’accord, l’instrument juridique le plus favorable au
droit à l’avortement qui existe au monde.

En ces jours 36 des 54 Etats membres de l’Union Africaine ont déjà ratifié le protocole de
Maputo introduisant par le fait même le droit à l’avortement dans leur législation nationale. Or, les
populations africaines n’ont pas été consultées et restent aujourd’hui ignorantes de ce qui s’est
passé. Ce sont encore une fois de plus les minorités au pouvoir dans la gouvernance mondiale qui
ont déjà pris en otage les populations africaines pour leur imposer leur agenda contraire aussi bien
aux valeurs africaines de base qu’aux valeurs universelles sachant encore que la démocratie, l’Etat
de droit et le droit de l’homme n’ont pas encore vu le jour sur le continent africain.

Ces groupes de pression largement occidentaux travaillent maintenant à sensibiliser le public


africain à travers les médias, la distribution d’information sur le protocole auprès des gouvernants,
juges, avocats, étudiants en droit et politiciens sur ce qu’ils appellent le ‫״‬droit de la femme" à savoir
le droit reproductif et le droit à l’avortement. Ils cherchent à former ceux qui jouent un rôle dans la
protection, dans la promotion et la défense de droits de la femme.

Concernant les critiques à ce protocole de Maputo, lire le flash spécial de la CDJP de Bukavu,
n°14 de juin 2007 intitulé/ la RD-Congo en voie de ratifier le protocole de Maputo ; quels enjeux
pour les femmes et les filles congolaises (4 pages), nous avons également le mémorandum des
citoyennes et citoyens du Sud-Kivu contre la ratification du protocole de Maputo par le parlement
congolais.

38
5. La philosophie économique démagogique qui impose à la population une contraception
de puissance pour des motifs de développement. C’est la politique des naissances
désirables. Se fixer un nombre limite d’enfants, n’est-ce pas une fausse question qui veut
distraire les gens et leur refuser le droit à l’effort, à la maîtrise de soi, et au sacrifice ?
6. La philosophie thérapeutique en nature de contraception :
La question est de savoir de quel virus ou de quelle maladie la contraception serait-elle le
remède. La contraception, quand elle n’est pas thérapeutique est une déviation sexuelle et un poison
qui s’attaque à la vie de l’enfant et à celle de la mère. L’utilisation thérapeutique de la pullule et du
préservatif n’est pas adéquate pour guérir des maladies économiques. Au problème médical, une
réponse médicale ; au problème affectif une réponse affective, et au problème économique, une
réponse économique. Malgré sa naissance dans une famille qui était dégénérée, Beethoven est
devenu un virtuose et un grand savant.
b. Paternité et maternité responsables
Etre responsable est une réalité très complexe, c’est répondre de quelque chose, c’est remplir
une mission. La paternité et la maternité responsables se fondent sur l’impératif divin exigé des
parents d’être féconds (Gn 1,28) et sur le rôle paternel créateur principal de Dieu, le Maître et
Source Suprême de la vie ‫״‬de qui toute paternité au ciel et sur la terre tire son nom" (Eph. 3, 15).
Saint Jean-Paul II a défini la paternité/la maternité responsable comme un double devoir de
transmission de la vie et de l’éducation des enfants 12. Il a explicité en profondeur la définition de la
paternité/maternité responsable devenue classique en théologie morale qui se trouve esquissée au n°
10 de Humanae vitae de Paul VI et qui signifie à la fois quatre choses :
1. Connaissance et respect des processus biologiques de l’homme et de la femme.
2. La nécessaire maîtrise de soi que la raison et la volonté doivent exercer sur les tendances
de l’instinct sexuel et les passions en vue de faire mûrir l’amour chez le couple.
3. La décision d’éviter temporairement ou même pour un temps indéterminé une nouvelle
naissance en l’articulant dans le respect de la loi morale. La méthode préconisée par les
chrétiens est le Planing Familial Naturel (P.F.N.).
4. La reconnaissance des devoirs des conjoints envers Dieu, envers eux-mêmes, envers la
société.
c. Le problème éthique de foyers sans enfants
La stérilité est une épreuve redoutable. Cependant pour les chrétiens, la stérilité involontaire
est avant tout un signe de Dieu : un appel à une vocation spéciale dans la grande vocation du
mariage. La stérilité n’empêche pas d’être un foyer, un centre de rayonnement dans la société par un
travail social et dans l’Eglise par le dévouement apostolique au service des déshérités ou par
12
JEAN-PAUL II, Familiaris consortio, n°28-41.
39
l’adoption d’un enfant. Adopter un enfant a un sens très noble, c’est une vocation chrétienne (cas de
la Sainte Famille et d’autres cas dans la Révélation : Ex 2, 10 ; du peuple d’Israël par Dieu Ex 6,7 ;
Esth.2, 7 ; Ps 26, 10).

Chapitre septième : QUELQUES MENACES CONTRE LA MORALE CONJUGALE

Il s’agit de voir : 1. Les cas de déviation dans le mariage (adultère, polygamie, la


contraception, l’avortement et la procréation artificielle). 2. Il s’agira ensuite de voir les
phénomènes sociaux posant des cas particuliers de déviances (les divorcés remariés ou famille
recomposée ; la cohabitation juvénile et extraconjugale ; la pornographie ; l’homosexualité13).

Il s’agira enfin d’examiner les menaces qui pèsent actuellement sur le lien conjugal dans le
contexte d’une société globalisée. Autrement dit, nous verrons comment la société étatique (de
pouvoir public) fragilise le lien conjugal :

a. Le PACS (Pacte civil de solidarité).


b. La théorie de Gender et ses conséquences sur le mariage
1.1. Cas de déviation dans le mariage

Dans certains cas, un couple qui souhaite avoir un enfant et qui se trouverait dans
l’impossibilité de réaliser ce vœux par exemple à cause d’une stérilité de l’un ou de l’autre
conjoint ; un tel couple n’avait qu’une solution qui reste valable, notamment l’adoption d’un enfant.
Mais les difficultés d’adopter sont telles que bien de couples se tournent vers la solution que leur
offre la technique biologique moderne.

Toutes ces techniques, objet de la bioéthique ont ceci de particulier – et c’est ce qui explique
les réserves ou la méfiance de l’Eglise catholique à leur égard, elles ne respectent pas une des
vérités fondamentales de la paternité maternité responsable exprimée en ces termes : l’acte
procréateur ne peut être séparé de l’acte amoureux, union de deux parents. Il doit en être le fruit.

Donc une technique qui effectuerait la fécondation hors du sein maternel ou plus grave qui
ferait féconder l’ovule féminin par un germe masculin étranger, cette technique poserait des graves
problèmes éthiques. Il est souhaitable de désirer un enfant mais ce désir ne peut être un absolu
jusqu’à recourir à n’importe quel moyen. Voyons à présent quelques techniques pour obtenir une
procréation qui est naturellement impossible.

1.1.1. L’insémination artificielle

13
Tony ANATRELLA, ‫״‬Question autour du mariage homosexuel", in communio XXIX, 5-6(septembre – décembre),
139 – 154.
40
Elle consiste à introduire le liquide séminal dans l’utérus de la femme par tout autre moyen
que celui du coït. L’insémination ainsi faite tend à compenser mais non à supprimer la stérilité
masculine. Il faut en distinguer deux cas :

- L’Insémination artificielle homologue : C’est celle qui est pratiquée à l’intérieur du


couple. On l’appelle aussi Insémination artificielle dans le couple (IAC). Elle est dite
homologue, c’est le sperme du mari qui est utilisé, il est recueilli généralement par
masturbation, phénomène déjà considéré comme immoral en soi. L’Eglise refuse cette
pratique à travers l’instruction romaine ‫״‬Donum vitae" (février 1987). L’acte fondateur de
l’enfant n’est plus un acte sexuel ordinaire mais plutôt un acte technique. Masturbation,
recueil de sperme, injection à l’aide d’une seringue dans l’utérus. La procréation n’est
morale que si elle se réalise par une copulation normale. Dans ce cas, il ne peut être question
d’un acte de jouissance solitaire mais d’amour de l’épouse et en union intime avec elle.
- L’Insémination artificielle hétérologue : Lorsque le sperme utilisé est celui d’une
personne étrangère au couple qu’on appelle Insémination Artificielle avec le sperme d’un
Donneur (IAD) connu ou anonyme. L’Eglise rejette à priori cette technique dont l’anonymat
ne change rien au désordre moral introduit par le recours à un sperme d’un homme connu ou
inconnu, étranger à couple. Or le biologique n’est pas neutre. Le sperme a une généalogie ;
il est source, histoire, mémoire et donc promesse. L’IAD condamne l’enfant à naître
psychologiquement amputé de la connaissance d’une partie de ses origines.

Les membres du couple receveur du sperme du Donneur (connu ou inconnu) ne se trouvent


pas à égale relation devant lui. L’homme est relégué au rôle de figurant. Quelle que soit sa
générosité, il se voit frustré de droit fondamental auquel il ne peut renoncer même volontairement :
le droit à l’exclusivité du corps de sa femme c’est-à-dire ici le droit d’exiger que sa femme ne soit
pas enceinte d’un autre homme que lui. Enfin, les bons sentiments du Donneur ne doivent pas
dissimiler la vraie question morale : est-il recevable de contribuer à mettre au monde un enfant sans
le connaitre et le prendre en charge c’est-à-dire en l’abandonnant ? Il n’est pas digne pour un
homme de confier à des inconnus sa propre lignée familiale. Sinon, il pose un acte qui le démembre.
On réclame de lui le sexe et non pas le visage alors que tout enfant a droit à une double référence
parentale afin de garder harmonieuse la construction de sa personnalité.

1.1.2. Fécondation extra-corporelle ou in vitro (FIV)

La fécondation extra-corporelle est une fécondation artificielle qui est comme


l’insémination, aux groupes de procréation artificielle désignée sous l’expression de procréations

41
médicalement assistés (PMA). Elle a été pratiquée pour la première fois en Angleterre en 1978 avec
la naissance du premier bébé éprouvette du nom de LOUISE BROWN (cf. mémoire de licence/
Emile).

Quand la stérilité est le fait de l’épouse par anomalie anatomique, ses ovules ne peuvent pas
parvenir au point de leur trajet où ils peuvent être fécondés par les spermatozoïdes. Dans ce cas, la
solution est une véritable opération chirurgicale, extraire un ovule parvenu à la maturité, ensuite cet
ovule doit être mis en contact avec le sperme masculin du mari généralement qui a du subir un
traitement pour le mettre dans les conditions de capacitation permettant à un des milliers de
spermatozoïdes de féconder l’ovule dans un récipient de laboratoire (in vitro). L’œuf se développe
et au moment optimal, il sera transféré dans l’utérus maternel, c’est la nidation.

1.1.3. Les menaces qui pèsent sur le lien conjugal dans les sociétés globalisées

Sous l’influence de la théorie du Gender, le mariage est mis en péril et il est même
dévalorisé. Il est présenté par la nouvelle éthique mondiale comme une contrainte épouvantable.
Pour cela, il a été dévalorisé et vidé de sa substance. Il se rapproche de plus en plus du PACS. Ce
dernier est une concession du code civil français de la loi du 15 novembre 1999 qui est un contrat
conclu par deux personnes physiques majeures de sexes différents ou de même sexes pour organiser
leur vie commune (art. 515§1). Il a été une concession faite aux homosexuels qui souhaitaient être
reconnus socialement dans leur union : Il peut se contracter et peut se défaire dans un cas comme
dans l’autre par consentement mutuel voir par une volonté unilatérale. Dans le texte, il est toujours
présenté comme une institution, alors que dans la pratique, son statut est constamment transgressé à
commencer par le législateur, pour en faire un simple contrat sur le modèle de la société libérale et
marchande. Il devient comparable à un contrat de location.

Les droits qui étaient inhérents au mariage ont été étendus au concubinage puis au PACS à
diverses situations affectives. Dans ces conditions, quel est l’intérêt du mariage ? La loi ne lui
réservant plus rien de particulier, est déserté ou bien chacun y met ce qu’il veut. Devant un tel
appauvrissement anthropologique, certaines personnes homosexuelles qui sont en mal d’identité
personnelle et de reconnaissance sociale se précipitent sur cette institution dévitalisée par des
mœurs entérinées par les législateurs. Le mariage qui est une institution associant l’homme et la
femme est réduit avons-nous dit à un simple contrat mais en plus dépouillé de ses valeurs
structurantes : engagement, fidélité, responsabilité, filiation et lien juridique à la société.

Des nombreux jeunes qui veulent se marier sont profondément angoissés et paralysés à
l’idée de s’engager ; ils portent en eux le brouillage de repères de la société. Ils le perçoivent sans
avoir toujours le langage pour exprimer ce malaise de la société. Ils le regrettent et sont en attente

42
d’autres exigences plus réalistes et plus humanisantes qui les aident à construire leur vie conjugale
et familiale en participant au lien social.

Nous tenons à rappeler que deux personnes de même sexe ne forment pas un couple mais un
duo (duo homosexuel) qui met en présence deux semblables. Ils peuvent avoir des intérêts affectifs
et matériels en commun, mais ce duo est du domaine du privé car il ne représente pas une valeur à
partir de laquelle la société peut s’organiser. A la différence du duo, le couple implique la
dissymétrie sexuelle de l’homme et de la femme pour constituer une communauté de vie, qui
symbolise l’altérité sexuelle dont la société a besoin et qui représente le mieux la parenté et la
succession de générations. Ainsi donc, tous ‫״‬les amours" ne sont pas égaux. L’amour est le propre
d’un couple formé entre un homme et une femme. L’attachement homosexuel (lesbienne) est aux
antipodes de ce type d’amour qui implique d’être dans l’altérité sexuelle. Deux personnes
homosexuelles peuvent éprouver des attraits et des sentiments qui ne sont pas automatiquement
significatifs de l’amour. Ce mot presque suit la réalité des choses quand on affirme, dans le déni de
toute analyse que l’amour qui existe entre deux personnes de même sexe est le même que dans un
couple formé par un homme et une femme.

L’amour n’est pas un sentiment ; même s’il implique les sentiments, l’attachement à l’autre
et l’attrait sexuel, mais une structure relationnelle entre homme et femme à laquelle on accède en
développant le sens de l’altérité. La question est de savoir comment y parvenir. C’est en renonçant à
une part de son narcissisme et à la toute puissance d’un sexe unique, en intériorisant la différence
sexuelle, que le sens de l’autre dans toute son étrangeté peut apparaître.

TROISIEME SECTION : LA MORALE FAMILIALE

Cette section aborde la conception chrétienne de la famille. Elle commence par faire une
présentation de la famille, ainsi que principales variantes notamment dans la famille africaine (ch.
1) (cf. Michel SCHOOYANS, l’Evangile face au désordre mondial, Fayard 1997 ; Id, la face
cachée de l’ONU, Fayard, Sarment 2000).

Au second chapitre nous aborderons le thème sur la conception chrétienne de la famille en


jetant un regard sur la famille dans l’histoire du salut, la mutation socioculturelle moderne de la
famille. Au troisième chapitre, nous rappellerons les droits de la famille chrétienne (Familiaris
consortio) d’une part et d’autre part les menaces de la nouvelle éthique mondiale sur la famille avec
les ‫״‬nouveaux droits de l’homme" prônés par l’ONU grâce à des idéologies dévastatrices
notamment le Gender.

Chapitre huitième : PRESENTATION DE LA FAMILLE

43
1.1. Une réalité sociale
L’histoire et l’anthropologie nous apprennent que la famille fondée sur le mariage est une
institution naturelle très ancienne, dont les historiens de la préhistoire constatent déjà la réalité. La
famille est le groupe issu, par filiation, des conjoints unis dans le mariage. La famille est donc une
institution fondée sur l’union conjugale, sur le mariage. Comme le mariage, la famille est une réalité
publique ; elle est distincte de la réalité de chacun des membres qui la composent ; elle est
l’interface entre le privé et le public ; elle joue un rôle dans la société. C’est pourquoi la famille est
sujet de droit, et des politiques spécifiques lui sont consacrées.
Lorsqu’on dit que la famille est une institution naturelle, on signifie aussi que ce n’est pas la
société politique qui crée la famille ou encore que la famille n’est pas une création des juristes. La
famille est antérieure à la société politique. Aristote écrivait qu’elle est la cellule de base de la
société politique. ‫״‬L’amour entre mari et femme semble être bien conforme à la nature, car l’homme
est un être naturellement enclin à former un couple, plus même qu’à former une société politique,
dans la mesure où la famille est quelque chose d’antérieure à la cité et de plus nécessaire qu’elle, et
la procréation des enfants une chose plus commune aux êtres vivants"14.
Chaque mariage est donc l’origine d’une réalité sociale nouvelle, la famille. Il fonde une
société nouvelle où les Romains voyaient déjà le principium urbis, l’origine de la Cité, le
seminarium rei publicae, le germoir de la société civile, la pusilla republica, le condensé de la
République, la pierre fondamentale de la civitas et de toute la société humaine.

1.2. Deux fonctions de la famille


Traditionnellement, deux fonctions sont reconnues à la famille. La première est
procréative : c’est dans le cadre de la famille fondée sur le mariage que se transmet la vie, que se
renouvellent les générations. Par sa fonction procréative, la famille permet à la société de durer,
c’est-à-dire de continuer à exister, à agir, à s’affirmer. La procréation présente donc deux facettes.
Elle procède de la tendance naturelle des conjoints à la communication de la vie, à sa conservation,
mais elle correspond également à la nécessité de survivre, caractéristique de toute société
dynamique. La contestation actuelle de la finalité procréative de la famille entraine donc non
seulement les répercussions que l’on sait au niveau de la famille proprement dite, mais elle met
aussi en péril la survivance de la société.
La procréation humaine comporte l’éducation des enfants, la formation, à tous les niveaux,
d’un nouvel être humain. L’éducation reçue dans la famille n’est pas simplement la base de toute
éducation ultérieure, mais elle est le point de départ de toute éducation et de toute socialisation. Dès
sa naissance, l’enfant est accueilli dans sa différence et, progressivement, il reconnait et accueille
14
Cf. Ethique à Nicomaque, VIII, 14
44
lui-même les autres dans leurs différences. L’éducation reçue dans la famille prépare donc l’enfant
à son insertion dans une société démocratique, où il sera reconnu et où il reconnaîtra les autres.
La seconde fonction de la famille est souvent appelée unitive : les époux s’unissent sur le
long terme, ils se manifestent durablement leur amour. Ici apparaît la spécificité humaine, qui n’est
pas réductible à un processus physiologique. Lorsque les époux s’unissent, ils se manifestent de la
tendresse, de l’affection, des sentiments profondément humains. Les époux forment pour ainsi dire
‫״‬un seul être, une seule vie". Cette union matrimoniale qui s’épanouit dans la famille, était saluée à
Rome par des expressions pour ainsi dire lyriques, qui surprennent dans le vocabulaire austère du
droit : conjunctio maris et feminae (l’union du mari et de la femme), consortium omnis vitae (un
engagement à partager toute la vie), etc. Entre les conjoints, il y a interdépendance, plus encore :
solidarité. Et cette solidarité s’étend à l’ensemble de la famille.
Issue du mariage, la famille est donc une réalité naturelle qui se vit dans la longue durée.
C’est une union à la fois féconde et stable. Les caractères essentiels de cette union sont résumés par
une expression devenu courante : amour et fécondité. La famille est le lieu par excellence où les
époux participent activement à l’amour créateur et sanctificateur de Dieu. La famille n’est pas
seulement la cellule de base de la société ; elle est une Eglise en miniature, une ecclesiola. Dans sa
lettre aux familles de 199415, le pape Jean-Paul II utilise l’expression ‫״‬communauté ecclésiale de
base" pour parler de la famille.
Pour ces diverses raisons, l’Eglise recommande que soit pris en compte le principe d
subsidiarité en faveur de la famille. L’autorité politique doit protéger celle-ci et l’aider à réaliser sa
double mission : d’une part, assurer le renouvellement des générations, ce qui inclut l’éducation des
enfants ; d’autres part, respecter l’intimité des conjoints et les aider dans la rechercher du bonheur.
1.3. La contestation de la famille : dissocier procréation et union
L’histoire et l’anthropologie révèlent aussi que la famille a été contestée. La façon habituelle
de contester la famille consiste à en dissocier ce qu’on appelle traditionnellement les deux fins :
procréative et unitive, et à briser ce qu’on appelle la connexion entre le ‫״‬lien conjugal" et le ‫״‬lien
de filiation". Dans la foulée, ce qui est menacé, ce sont les liens entre générations et les liens de
parenté, donc les solidarités familiales. Pour Platon ; c’est la Cité qui devrait contrôler les nombre
de ses habitants ainsi que l’éducation donnée aux enfants. De leur côté, les épicuriens développaient
une morale hédoniste, c’est-à-dire exaltant le plaisir individuel. De part et d’autre il ya séparation de
deux fins traditionnelles du mariage et de la famille. Pour Platon, seule importe la production des
enfants ; pour les épicuriens, le plaisir.
Plus près de nous, la famille a été contestée quand on prône une large apologie de l’amour
libre. Les régimes totalitaires du XX è siècle ont également voulu faire échec à la famille. Le
15
JEAN-PAUL II, ‫״‬Lettre aux familles", in DC (20 mars 1994) n°2090, 251 – 277.
45
nazisme est intéressé par la production des enfants de qualité raciale irréprochable, et en nombre
suffisant pour les besoins de l’Etat, de sa production et de ses conquêtes. Dans le deux cas, la
famille est totalement subordonnée aux intérêts de l’Etat et dispose que les conjoints pourront être
séparés si l’Etat le requiert. Dans la logique du totalitarisme, avant de fabriquer les hommes, il faut
détruire la famille.
1.4. La famille à l’épreuve de l’Etat
Tout le monde s’accorde à reconnaitre qu’aujourd’hui la famille est en difficulté, même si
elle conserve une place essentielle dans le monde. Il suffit de regarder autour de soi pour constater
le nombre de foyers détruits. L’institution famille comme telle est même mise radicalement en
question. Voyons quelques unes des causes de cette crise.
1.4.1. Quelques causes de la crise familiale
Il faut commencer par mentionner ce qui est le plus évident : les mesures anti-famille. On
songe ici d’abord à la réduction des aides publiques à la famille, notamment des allocations
familiales, aux politiques de logement qui discriminent les familles avec enfants ; aux régimes
fiscaux qui prévoient parfois des taux d’imposition progressifs selon le nombre d’enfants, à des
nouveaux impôts qui ne tiennent pas compte de la capacité contributive de la famille.
On est également frappé par le climat général défavorable à la famille. La chute de la
nuptialité est un des déterminants de la chute de la fécondité. Non seulement les couples se marient
moins et, s’ils se marient, se marient plus tard, mais en outre ils tendent à avoir moins d’enfants.
Inversement, les couples mariés divorcent et, le cas échéant, se remarient avec une facilité
déconcertante. Les lois en la matière sont de moins en moins dissuasives. C’est ce qu’on appelle la
famille ‫״‬recomposée".
L’avortement et la contraception précipitent également la crise de la famille en disjoignant
les deux finalités de l’union conjugale. L’avortement supprime carrément l’enfant procréé ; la
contraception chimique bloque l’ouverture à la procréation, inscrite dans l’union des conjoints. La
contraception prédispose donc non seulement à la cohabitation et à la chute de la nuptialité, mais
aussi à la multiplicité des relations sexuelles pré- et extra-matrimoniales.
A cette première rubrique, il faut hélas rattacher la dévalorisation de la maternité. Les
femmes n’ont guère de vraie liberté de choix. La pression sociale tend à les culpabiliser si elles
n’exercent pas une profession rémunérée et si elles ne contribuent pas, par leur travail, aux recettes
fiscales, au service des pensions, des mutuelles et autres caisses de chômage.
1.4.2. Du désengagement de l’Etat à l’exclusion
Excessivement interventionniste dans les multiples domaines, l’Etat tend à se distancer, voir
même à se désintéresser de l’institution familiale. Dans ce domaine, l’Etat tend à ne connaître et à
ne reconnaître que des individus. En conséquence, il affaiblit les dispositions juridiques qui,
46
traditionnellement, protégeaient l’institution familiale. Dans le même temps, il fait une place de plus
en plus grande aux vouloirs individuels. Entre ces vouloirs individuels s’établissent des consensus
dont l’Etat doit se borner à prendre acte puisqu’ils ne sont pas constitutifs de l’institution familiale.
On constate ici que l’évolution du droit et de la jurisprudence contribue à affaiblir l’institution
familiale.
Paradoxalement, le désengagement de l’Etat vis-à-vis de l’institution familiale a amené ce
même Etat à intervenir davantage dans les questions familiales causées par la désaffection vis-à-vis
de cette institution. En effet, la précarité familiale augmente le risque d’exclusion. Les séparations
et divorces sont cause d’appauvrissement.
L’Etat est ici pris à son propre piège. En un premier temps voulant laisser libre cours à la
liberté individuelle, il se met en retrait par rapport à l’institution familiale ; au niveau juridique, ce
retrait se traduit par une ‫״‬déprotection" de l’institution familiale. Toutefois, ce faisant, l’Etat crée de
nouveaux risques de désinsertion, de marginalisation. Ce qui l’incite à développer l’assistanat.
L’Etat doit intervenir pour remédier aux malheurs qu’il a lui-même induits en créant des risques
d’exclusion qui résultent de sa propre désaffection vis-à-vis de l’institution familiale.

1.5. Famille à l’épreuve de l’ONU


Ici nous trouvons deux pièges contre la famille :

1.5.1. Les pièges de soi-disant ‫״‬nouveaux droits"


Les tendances anti-famille ne se retrouvent pas seulement au niveau de l’Etat. Les récentes
conférences de l’ONU ont mis en question le sens traditionnel du mot famille. Ce sens apparaît dans
l’article 16 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948. Cet article porte : ‫״‬la
famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de
l’Etat". La genèse de cet article ne laisse aucun doute sur la signification que les rédacteurs et les
signataires de la Déclaration entendaient donner au mot ‫״‬famille". Dans cet article, il et bel et bien
question de la famille traditionnelle, monogamique et hétérosexuelle. C’est ce que confirme
l’exégèse des autres articles de la Déclaration, où il est aussi question de la famille.
Or, surtout depuis la conférence de Pékin (1995), l’ONU s’ingénie à employer le mot
famille pour désigner toute sorte d’unions consensuelles : unions homosexuelles, lesbiennes,
‫״‬familles" recomposées, ‫״‬familles" monoparentales masculine ou féminine, en attendant les unions
incestueuses ou pédophiliques. De multiples réunions organisées depuis 1995 par l’ONU et ses
agences (l’OMS, la Banque mondial, le PNUD, etc.) révèlent le rôle néfaste que jouent cette
organisation et ses OGN satellites à propos de la famille.

47
Ce rôle est joué à partir d’un détournement du sens du mot famille. Ce mot est désormais
équivoque ; ses significations fluctuent au gré des intérêts en cause. Selon le jargon reçu, le mot
famille est un concept ‫״‬polysémique", qui renvoie à des réalités ‫״‬polymorphes".
Ces multiples significations que l’on décide d’attribuer au mot famille sont la conséquence
directe de la nouvelle conception des droits de l’homme. Par l’individualisme qui imprègne les soit
disant ‫״‬nouveaux droits de l’homme", l’ONU piège l’institution familiale traditionnelle. Cette
dernière est en effet le lieu où des personnes s’engagent à construire ensemble une communauté
nouvelle ouverte à la vie. La famille est le lieu de solidarité, d’interdépendance consentie, de
fidélité. Quand on appelle un couple d’homosexuels ‫״‬famille", ses membres n’appellent nullement à
l’existence une réalité sociale nouvelle ; ils n’instituent pas une famille ; ils n’ont aucune capacité,
eux, de transmettre la vie.
1.5.2. Une culture anti-famille
Divulguée également par l’ONU et ses agences, l’idéologie du ‫״‬gender" vise également à
détruire la famille. Cette idéologie a deux sources principales : le marxisme et le structuralisme.
Cette idéologie a subi en outre des influences multiples. Nous avons ici celle de Wilhelm Reich :
rejet de toute discipline sexuelle ; et celle d’Herbert Marcuse : rejet de tout le pouvoir (politique,
religieux et social).
L’idéologie du ‫״‬gender" reprend l’interprétation que donne Friedrich Engels de la lutte des
classes. On sait que, selon Marx, la lutte des classes était, par excellence, la lutte opposant le
capitaliste et le prolétaire. Pour Engels, cette lutte est d’abord celle qui oppose l’homme et la
femme. La famille monogamique et hétérosexuelle est, selon Engels, est le lieu par excellence où la
femme est exploitée et opprimée par l’homme. La libération de la femme, passe donc par la
destruction de la famille. Une fois ‫״‬libérée", la femme pourra occuper sa place dans la société de
production.
Toutefois, s’inspirant aussi du structuralisme, l’idéologie du ‫״‬gender" considère en outre que
chaque culture produit ses règles de conduites. La culture traditionnelle doit être dépassée ‫״‬car elle
opprime la femme". Les femmes doivent prendre la tête d’une nouvelle révolution culturelle, et
celle-ci fournira de nouvelles règles de conduite. Cette nouvelle culture considère que les
différences de rôles entre les sexes n’ont aucun fondement naturel ; elles apparues à une certaines
époques de l’histoire et le moment est venu qu’elles disparaissent, car cet épisode de l’odyssée
humaine est révolu.
La nouvelle culture, quant à elle, nie toute importance à la différence génitale de l’homme et
de la femme. Elle la déclare dépourvue de toute importance. Pour elle, cette nouvelle culture, les
rôles de l’homme et de la femme sont interchangeables. Puisque les rôles liés aux différences
génitales sont condamnés, des mots comme mariage, maternité ou paternité n’ont plus aucune
48
importance. Même à la Conférence de Pékin, le mot maternité a été balayé du document final
(1995). L’hétérosexualité en est ainsi réduite à être un cas de pratique sexuelle à côté de divers
autres cas et sur le même pied que ceux-ci : homosexualité, lesbianisme, unions consensuelles
diverses qui peuvent être dénoncées à la demande, etc. Le droit au plaisir sexuel individuel doit être
proclamé, il ne doit être ressorti d’aucune contrainte, d’aucune limitation, d’aucun devoir.
L’influence de l’idéologie du ‫״‬gender" ne saurait être surestimée. Avec elle, la famille est
non seulement l’objet d’une contestation radicale mais d’une volonté déclarée de destruction. En
elle se conjuguent les ferments pervers du fatalisme violent qu’on trouve dans le marxisme et dans
l’individualisme absolu du néolibéralisme.
Le caractère pervers de cette idéologie peut être mis en évidence par deux exemples ; le
premier concerne l’avortement. Les idéologues du ‫״‬gender" considèrent comme dépassée les
discussions portant sur la dépénalisation et/ou libéralisation de l’avortement. Ces deux vocables
suggéraient l’idée d’un permis légal mais non d’un droit. Dans le cadre de la culture nouvelle –
celle qui s’inspire de l’idéologie du ‫״‬gender" – l’avortement apparaît explicitement comme un
‫״‬nouveau droit de l’homme" ; le deuxième concerne l’homosexualité.
Nous constatons enfin que, l’idéologie du ‫״‬gender" est désastreuse pour la famille parce
qu’elle entend propulser de ‫״‬nouveaux droits de l’homme". Ceux-ci ne seraient réduits à n’être, en
fin de compte, que l’expression de revendications individuelles les plus aberrantes. On voit par là
que l’idéologie ne se borne pas à mettre en péril la famille traditionnelle ; si elle devait poursuivre
ses ravages, elle détruirait tout le tissu social. La sociabilité naturelle de l’homme serait prise en
relais par une régression vers une culture de la violence et de la barbarie.

CH. 2. LA FAMILLE : UN GISEMENT DE VALEURS

Lorsqu’on étudie la famille, on a souvent tendance à considérer qu’il s’agit d’une réalité
privée, impliquant le père, la mère, les enfants. Et l’on ne peut s’en douter que pour chacun des
membres de cette cellule, la famille est un bien. Cependant, si la famille est un bien pour ses
membres, elle est en outre un bien, et même un grand bien, pour la société. La qualité de la famille a
un impact direct sur la qualité de la société.

1.1. La famille : la plus petite démocratie

L’apport de la famille à la société politique mérite d’être mentionné en premier. Cet apport
ressort des études récentes sur le totalitarisme. De ces études, il ressort que l’essence du
totalitarisme consiste dans la volonté de détruire le moi dans ses deux dimensions : physique et
surtout psychologique. Ces mêmes études montrent que c’est dans la famille que se forment des
personnalités fortes, libres, autonomes, capables de jugement personnel. Ces personnes-là sont

49
capables de résister aux techniques aliénantes, à la colonisation idéologique. Comme c’est le cas,
par exemple, après soixante-dix ans de totalitarisme beaucoup qui conservaient une lueur de foi,
s’étaient justifiés en disant, si nous avons conservé un minimum de dignité, de foi et de liberté, nous
le devons à notre grand-mère.

Ainsi, le rôle joué par la famille dans la société politique est confirmé par tous, sauf ceux qui
veulent détruire la famille come c’est le cas de tous les régimes totalitaires. On voit des projets
visant à priver les parents de leur responsabilité vis-à-vis de leurs enfants qui s’affichent de plus en
plus ouvertement dans les réunions internationales. C’est le cas, en particulier, en ce qui concerne
l’éducation sexuelle. A la racine de ces projets, il y a la volonté totalitaire de déprogrammer-
reprogrammer le moi des enfants. Avec le totalitarisme éclairé de l’ONU, le contrôle va plus loin
encore puisqu’il porte sur la sexualité, ou plus précisément sur un aspect essentiel de la sexualité, à
avoir la reproduction. Ce totalitarisme comporte une utopie démographique : il rêve de contrôler le
nombre et la ‫״‬qualité" des hommes et des femmes. C’est la guerre anticipée : on n’attend pas que les
hommes soient adultes pour les tuer ; on les tue dans le sein de leur mère ou on les empêche de
naître.

1.2. La famille : lieu de fraternité et de solidarité

De ce qui précède, il ressort que la famille mérite d’être protégée et soutenue parce qu’elle
est le lieu où se forme le tissu de la société politique. Elle n’est pas simplement la cellule de base de
la société politique en général ; elle est la cellule indispensable à toute société politique
démocratique. C’est dans la famille que l’homme et la femme apprennent à s’accueillir dans leurs
différences, à reconnaître qu’ils sont égaux en dignité, à s’ouvrir aux autres. C’est dans la famille
que la fraternité s’épanouit en solidarité. L’interdépendance qu’acceptent les conjoints au point de
départ de leur union s’épanoui en effet en solidarité entre parents et les enfants, entre les différentes
générations, et donne lieu à divers degrés de parenté. La raison profonde pour laquelle la
famille est essentielle à la qualité de la société politique se trouve dans la subsidiarité. La réalité
sociale originale constituée par la famille, est le premier lieu de la subsidiarité. C’est l’institution
familiale, et non pas l’école ni encore moins l’Etat, qui primordialement, aide les membres de la
famille à accéder à la plénitude de leur personnalité. Cela est déjà vrai des conjoints, premiers
bénéficiaires de ce surcroît d’être que leur apporte l’institution qu’ils ont eux-mêmes fondée.

Tous ces bénéfices procurés par la famille ont leur retentissement dans la société civile.
Celle-ci est bénéficiaire de l’action familiale à un double titre. C’est la famille qui, par la
transmission de la vie, assure la durée de la société civile. Mais la vie ainsi transmise ne se borne
pas à la vie physique puisque la famille est le sol où s’enracine toute l’éducation d’un être humain.
50
1.3. La famille : rempart contre la marginalisation

Là où sont déficientes les caisses de chômage, les mutuelles de santé, les pensions de
vieillesse, etc., la famille est un lieu naturel de solidarité. Jeunes ou vieux, handicapés ou malades,
les plus faibles et les plus vulnérables sont protégés par l’environnement familial. Cette situation
peut s’observer aujourd’hui dans les milieux les plus défavorisés des pays riches où certains acquis
de l’Etat-Providence sont mis en question sous la double pression de la chute de la fécondité et d’un
néolibéralisme impitoyable. Mais c’est ce qui s’observe davantage dans les pays du tiers-monde, où
la solidarité familiale protège ceux que la société ignore, leur permettant de vivre dans une dignité
reconnue au moins par tous les membres du foyer. Il est fréquent, par exemple, que tous les
membres d’une famille se regroupe en une maisonnée. Les parents âgés y sont recueillis et rendent
bien des services ; réciproquement, ils font l’objet de la sollicitude des membres des générations
plus jeunes.

Ainsi, la famille est perçue comme une richesse, ‫״‬un capital social", comme une protection
rapprochée, comme un lieu de solidarité, voir même un lieu de survie, alors que l’Etat-Providence
est défaillant. Car l’Etat échoue à maîtriser une marginalisation dont il accroit lui-même les risques
en décimant l’institution familiale. Or, la famille est capable de résoudre des problèmes sociaux
que l’Etat maîtrise de moins en moins : marginalisation, ‫״‬désaffiliation", ‫״‬désinsertion", exclusion,
etc.

Les observations que nous venons de présenter, sont confirmées par d’autres chercheurs qui,
à travers leur rapport, mettent en relief la fragilisation des enfants issus de familles monoparentales
ou recomposées. Ce rapport montre aussi l’impact, favorable ou défavorable, des situations
familiales sur la santé des jeunes. Constatation confirmée par l’endocrinologie qui relève que les
enfants concernés par l’obésité sont souvent seuls, sans frère ni sœur, issus de cellules familiales
éclatées. Ils trouvent une maison vide quand ils rentrent de l’école et mangent seul le soir. Pour se
déculpabiliser de rentrer tard, les parents, laissent des friandises dans le frigo et incite ainsi leur
progéniture à manger.

Enfin psychiatres, éducateurs, juristes sont unanimes à reconnaître qu’un environnement


familial délabré ou inexistant favorise la violence, l’usage de la drogue, l’alcoolisme. Les coûts
sociaux de la délinquance et de la criminalité ont une de leurs sources principales dans les
difficultés que connaissent les familles. Il va donc de soi que la prévention de la délinquance et de
la criminalité passe par la protection et la promotion de la famille par l’Etat.

51
Il s’impose donc une leçon que l’Etat doit promouvoir et protéger l’institution famille. C’est
son intérêt, puisqu’il se révèle totalement incapable de rivaliser avec le rôle providentiel que peut
exercer l’institution familiale. C’est aussi du devoir de l’Etat, puisqu’à force de demander au droit
de célébrer de ‫״‬nouveaux droits" individuels au détriment de l’institution familiale, on ne peut
aboutir qu’à une société anti-solidaire, où triomphent l’anarchie, l’individualisme et l’exclusion.

1.4. La famille est le capital humain

S’il est vrai que trop d’économistes ne connaissent que la notion de ménage, quelques-uns,
parmi les plus brillants, ont consacré à la famille des études qui corroborent les conclusions
auxquelles nous ont conduits la contribution de la science politique et de la sociologie.

Par des recherches indépendantes, et des méthodes différentes, ces trois économistes, Gary
Becker, Gérard-François Dumont et Jean-Didier Lecaillon, qui sont aussi démographes, arrivent à
des conclusions étonnamment convergentes. Ils d’abord que la crise de la famille est une des causes
principales des inégalités dans notre société. Positivement, ils démontrent, avec toutes les
ressources de la discipline scientifique la plus pointue, la corrélation entre le rôle de la famille et la
formation du capital humain. Pour enfin arriver à une conclusion majeure : la famille est le lieu
primordial où se forme le capital humain. Or, le capital humain représente aujourd’hui plus de 80 %
de la richesse d’une nation moderne, le capital physique représentant à peine 20 %.

Sans doute, la prospérité des peuples dépend-elle aussi d’autres déterminants. On ne saurait
oublier le rôle du système de gouvernement, sa compétence, son honnêteté, etc., ni le rôle du
système économique, libéral, ouvert au marché, ou bien planifier, dirigiste, etc.

Toutefois, de tous les déterminants, le plus important est la famille. C’est là que l’enfant est
d’abord éveillé aux qualités humaines qui seront plus tard hautement appréciées dans la société en
général, économique et politique en particulier : sens de l’initiative, de la ponctualité, de l’ordre, de
la solidarité, etc. Michel Duyme constate que des enfants adoptés, alors qu’ils avaient entre 4 et 6
ans, par des familles de niveau socio-économique plus élevé que celui de leur milieu d’origine, ont
un quotient intellectuel nettement augmenté. Ce qui confirme l’influence du milieu familial sur
l’éducation de l’enfant et la formation de la personnalité.

Gary Becker a en outre eu la curiosité de mesurer l’apport de la mère de famille à la


formation du capital humain. C’est souvent elle qui contribue le plus à nourrir, soigner, éduquer,
instruire ses enfants ; elle cuisine, lessive, coud, nettoie ; elle réconcilie, enseigne à épargner et à
économiser, aide dans les études, initie au beau, sensibilise au bien, oriente les loisirs. Pour lui, au

52
moins 30% du Produit Interne Brut (PIB) d’une nation provenait du travail de la mère, contribution
totalement négligée et ignorée dans les comptabilités nationales.

Il ressort de ces études que ce bien qu’est la famille, dans et pour la société d’aujourd’hui, a
une importance toujours fondamentale, et cela malgré l’existence des systèmes de sécurité sociale.

1.5. Le devoir et l’intérêt de l’Etat face à la famille

Les études politiques, sociologiques et économiques convergent vers un ensemble de


conclusions : premièrement l’Etat doit Protéger la famille contre les programmes de caractère
totalitaire que l’ONU veut imposer et dont l’objectif est la destruction de l’institution familiale. Au
premier rang figurent des injustices fiscales qui pénalisent l’institution familiale. Il y a aussi le
détournement organisé d’une grande partie de la richesse créée par les familles au profit de ceux qui
n’en supportent pas la charge. Et l’économiste parisien ajoute : ‫״‬l’essentiel de la charge de
formation de formation du capital humain … est supporté par les familles (60% en moyenne) tandis
que les parents n’obtiendront, sous forme de droits à la retraite, qu’une très faible part des
ressources que leurs enfants contribueront à créer en utilisant la formation qu’ils auront reçue" 16. Le
vrai remède pour cette catégorie d’injustice, est que l’Etat arrive à reconnaitre l’activité parentale et
son apport à la société. Une reconnaissance qui doit aboutir à l’élaboration d’un statut parental, car,
rendant service à leurs enfants, les parents rendent service à la société.

La moindre des choses serait que l’Etat offre aux femmes les conditions d’un choix vraiment
libre entre l’engagement à temps plein au service de la famille et l’engagement professionnel
intégral ou partiel.

La seconde conclusion est que la valorisation de la famille provient du fait qu’elle est la clé
du bien être et du bonheur dont le bien commun de la société future a besoin. Or avec la baisse de la
fécondité, ce qui risque de manquer le plus à cette société, c’est le capital humain, qui se forme
d’abord dans la famille. D’où, les pouvoirs publics doivent promouvoir la famille non seulement
parce qu’elle est un bien pour les membres qui la composent, mais aussi parce qu’elle est un bien
pour la communauté politique et économique.

CONCLUSION GENERALE

A la fin de notre cours, nous découvrons que l’homme ne peut pas faire abstraction de la
sexualité la considérant comme obstacle sur le chemin de la perfection, oubliant que le ‫״‬je suis mon

16
J.-D. LECCAILLON, Le rôle économique de la famille, 30.
53
corps"17 de Merleau-Ponty, doit être appliqué aussi sur le sexe. ‫״‬Je suis mon sexe" dirait l’homme
car la sexualité est, comme nous l’avons dit une dimension constitutive de la personne humaine.

En effet, ‫״‬nous devons considérer la sexualité comme une force voulue, créée par Dieu,
merveilleuse, positive : il faut nous libérer du sentiment de honte, au sens péjoratif du mot, que nous
éprouvons souvent. En général, on considère la sexualité comme de l’égoïsme. Selon moi et de par
son origine, c’est tout le contraire : elle est la source de la générosité" 18. Ainsi, nous pouvons dire
que l’éthique de la sexualité a un objet : connaitre la vérité sur le bien intelligible de la sexualité
humaine. Aussi, le terme sexualité a une signification ambivalente ; il peut signifier soit la faculté
sexuelle, soit l’activité de cette faculté.

Enfin, dans la mesure où la sexualité se réfère à la personne humaine, elle devra considérer
la personne dans sa globalité et surtout s’intéresser à la recherche de sa maturité intégrale. Dans ce
sens, comme dans d’autres aspects de la vie humaine, la sexualité doit être comprise comme une
réalité dynamique, toujours invitée à suivre la courbe de croissance de la personne. Et pour que cela
soit réel, le masculin et le féminin vivront leur sexualité dans le dialogue et la complémentarité
parce que la sexualité humaine signifie ouverture ontologique de l’être humain aux autres.
Ouverture qui permet la manifestation intime de l’être de la personne de chacun dans cette double
manière d’être dans le monde : la masculinité et la féminité. Ainsi, la réciprocité entre homme et
femme naît de cette identité dans la différence.

17
M . MERLEAU-PONTY, Fenomenologia de la percepcion, Planeta-De Agostini, Barcelona 1984, 167.
18
HORTELANO, Moi-toi, communauté d’amour, éd. Paulines, Canada 1972, 105.
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