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Île de Gorée

Entre souvenir douloureux et espoir de liberté


Située à 4 kilomètres de Dakar, Gorée la belle île, classée Patrimoine Mondial de
l’Humanité par l’Unesco en 1978, continue d’arracher des larmes aux visiteurs qui y
viennent découvrir l’Histoire de quatre siècles de traite négrière.

Par Kadje Kamga, du côté de Gorée

Ce samedi du début du mois de juillet, un soleil peu clément étend ses rayons sur
Dakar, la capitale sénégalaise. « C’est bon signe », me lance Bodian Sheick, un
confrère du Walf-Grand-Place, l’un des nombreux quotidiens de Dakar. « Nous
aurons une merveilleuse visite », ajoute-t-il, ignorant mon étonnement que l’on
puisse bien accueillir une telle canicule. A la Liaison Maritime Dakar Gorée (LMDG),
qui abrite l’embarcadère, de centaines de personnes, toutes races confondues, se
bousculent pour prendre place à bord de la chaloupe qui les amènera à Gorée. Les
prix de la traversée varient, que l’on soit national, africain ou d’ailleurs : 1500, 2500,
et 5000 F Cfa. Il est 10 heures, heure locale, nous avons raté les départs de 07, 08
et 09 heures. Dans la salle d’attente où nous prenons place, nous entrevoyons par la
vitre la chaloupe « Beer », qui nous fera traverser. Nous sommes à bord quarante
minutes après. La chaloupe à moteur baptisée « Beer » et battant pavillon
sénégalais à trois étages, avec une capacité de 350 personnes au maximum. Ce
samedi, beaucoup de touristes européens découvrent l’Afrique, avec de nombreux
écoliers qui pimentent la traversée avec leurs cris quand le bateau est secoué par les
vagues. Un gaillard d’une vingtaine d’années, juste en face de nous au troisième
étage ne cesse de se tenir l’estomac : « Il a le mal de mer», me souffle avec
discrétion Bodian à l’oreille.

Gorée et la Maison des Esclaves

La belle petite île est déjà visible, une vingtaine de minutes après le départ de Dakar.
L’excitation est perceptible à bord, et les appareils photos et cameras ne loupent rien
de ce que la nature d’ici offre. Nous débarquons, et le reporter peut immédiatement
faire un constat : Certains bâtiments de l’île sont menacés par une corrosion
maritime. Que deviendront ces bâtiments dans quelques années, s’ils ne sont pas
rénovés ? Ces immeubles font la fierté de la Commune de Gorée, avec ses 1500
habitants et ses activités commerciales et touristiques. Nous prenons la route de la
Maison des esclaves. L’une des voies pour y accéder passe par la Rue Saint
Germain, où est bâti la Statue de la Libération de l’esclavage, offerte par la
Guadeloupe le 31 juillet 2002 avec le message « Les frères guadeloupéens à leurs
frères d’Afrique. » Traversant les rues avec ses hauts bâtiments à l’architecture
homogène. Si l’on écartait les enfants noirs qui jouent à la plage et les gros baobabs,
on se croirait dans un Provençal français. L’un des nombreux guides de l’île
s’approche pour annoncer que « la présentation va commencer, faites vite. » La foule
multicolore se presse, et est accueillie par une grande plaque à l’entrée : Ministère
de la culture : Maison des Esclaves. A ce moment, tous ceux qui ont lu Racines de
Alex Haley ou qui ont regardé le film tiré de ce livre sont saisis d’émotion. Joseph
Diagne n’est plus là. Grâce à son charisme et à sa persévérance, la Maison des
Esclaves est le passage obligé pour tous ceux qui viennent à Gorée pour la première
fois. « Il a quelques soucis de santé », nous dira plus tard M. Coly, qui
manifestement le remplace valablement bien à cette tâche de « griot de l’histoire de
l’esclavage. » L’allure imposante, M Coly engage la présentation de l’édifice, bâti
vers 1786, pour enfermer les Nègres en attendant que l'on vienne les chercher afin
de les emmener, pour les vendre, de l'autre côté de l'Atlantique. « Un centre de
transit en somme », ajoute-t-il. Pour ce faire, la disposition de la « maison rose »
répond à une organisation minutieuse qui ne tient pas compte de l’humanité des
Noirs, du bébé jusqu’au vieillard. L’Histoire de quatre cents ans de traite est contée
avec des rappels émouvants, dans un Français limpide qui arrachent des réactions
diverses au public qui écoute religieusement, appareil photo à la main ou même la
caméra et le portable. Ainsi, au rez-de-chaussée et de gauche à droite, la Chambre
de pesage pour les nouveaux esclaves. C’est de là qu’on déterminait où irait le
captif. Dans la Cellule des enfants ou des jeunes filles, donc « la vigueur et la
virginité étaient déterminées par la dureté de leurs seins. Celles qui avaient les seins
aplatis n’étaient pas considérées comme vierge, et envoyées dans la cellule des
femmes», insistera M. Coly. (Le taux de mortalité dans ces deux cellules était le plus
élevé), Il y avait aussi la cellule des hommes. Les têtus parmi eux étaient envoyés
dans « La grande cellule des récalcitrants.» Un couloir exigu où l’on étouffe dès
qu’on y passe quelques minutes. L’histoire dit que lors d’une visite à Gorée, Nelson
Mandela s’est assis dans l’une de ces cellules pour grands récalcitrants pendant
cinq minutes, silencieusement, avant de continuer la visite. On mentionnera aussi la
Cellule des inaptes temporaires, les malades sur le point de décéder ou ceux n’ayant
pas pu résister au traitement de la longue route vers Gorée. Au fond du rez-de-
chaussée, une porte qui donne sur la mer : la porte du voyage sans retour, par
laquelle plus de 15 millions de noirs ont été vendus.
A l’étage supérieur de la « maison rose », sont conservés des documents historiques
liés à la traite des noirs, pour rappeler à la terre entière le mal que ce commerce a
fait à l’Afrique. Des textes, une carte géante de l’île, et surtout les chaînes, les
menottes, et une vielle carabine qui servait à tenir en respect tous les récalcitrants
qui tentaient de s’évader. Il n’y avait pourtant pas d’issue, puisque la moindre
tentative était sévèrement punie, et la mer aux abords de l’île était infestée de
requins, que les corps des décédés ou d’assassinés avaient attiré en grand nombre.
Pour terminer, M. Coly rappelle que la Maison des Esclaves n’a plus rien d’avilissant,
elle est devenue « un lieu de célébration entre les peuples, l’expression de la
démocratie véritable. »

Voyage retour

La présentation terminée, la foule se dirige vers l’embarcadère, avant d’apprendre


que la chaloupe qui vient de déverser un autre groupe ne part qu’une heure plus
tard. Moment pour certains de visiter d’autres sites historiques de Gorée ou de
prendre un pot : La Place des Droits de l’Homme, l’Eglise St Charles de Boromée
(1830), l’Ecole communale Léopold Angrand, le Musée historique (1852), la Mairie
(1787), le Jardin Botanique Adanson, qui sert de terrain de basket aujourd’hui…
Sur le chemin du retour, c’est le silence. Les passagers ressassent le discours de M.
Coly, qui a demandé aux touristes de porter le message de la liberté de l’Afrique au
monde. Certains ne maîtrisent pas leur dégoût de tout ce qui a été entendu. Et cette
dame, à l’accent du sud de la France, de regretter alors qu’elle monte à bord du
« Beer » pour retourner à Dakar : « Malheureusement, l’esclavage se poursuit
encore de nos jours sous plusieurs formes. »
KK

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