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Leila MESSAOUDI
Laboratoire Langage et société
Université Ibn Tofail
lmessaoudi@gmail.com
Résumé – L’objectif de cet article est de mener une réflexion sur l’approche technolectale et
sa relation à l’enseignement en domaine spécialisé. Pour commencer, des précisions seront
fournies sur le terme de « technolecte », en focalisant sur ses principaux traits et en rappelant
la définition que nous en avions donnée antérieurement. Puis, nous exposerons l’approche
technolectale à cinq paliers que nous avons préconisée avec l’idée qu’elle pourrait constituer
un cadre conceptuel pour aborder l’enseignement en domaine spécialisé et en contexte
plurilingue
Mots clés – Approche technolectale, technolecte, formation, langue d’enseignement, milieu
plurilingue
Title – The Technolectal Approach as a Conceptual Framework for the Specialized
Education
Abstract - The aim of this article is to consider the technolectal approach and its relationship
to specialized education. We will begin by providing details about the term "technolect"
focusing on its main features and recalling the definition we had given previously. Then we
will outline the five-level technolectal approach that we have advocated with the idea that it
could provide a conceptual framework for specialized education in plurilingual context
Keywords-Technolectal Approach - Technolect – Training - Language of Teaching,
Multilingual Environment
Introduction
Cette contribution a pour objectif de proposer l’approche technolectale pour les langues
d’enseignement en milieu plurilingue.
Pour rappel, le terme de technolecte a été employé par certains linguistes comme Hagège
(1982) mais dont on ne peut pas affirmer qu’il fût le seul à l’avoir utilisé ; en fait, il aurait été
l’un des premiers à avoir essayé d’en donner une définition.
Ayant essayé de documenter le terme de « technolecte » à travers des recherches réalisées sur
la toile (Internet), nous avons pu repérer l’usage de ce terme chez plusieurs auteurs, depuis
1970, en linguistique appliquée, contrastive ou comparée et en sociolinguistique.
Le point commun entre les différents usages du terme de technolecte est la référence à des
ensembles langagiers spécifiques à des domaines donnés et à des pratiques sociales
déterminées. Ce sont des productions langagières spécialisées, exprimées au moyen de
différents supports oraux ou oralisés (conférences, échanges verbaux entre spécialistes, cours,
exposés, séminaires, etc.) et écrits (ouvrages spécialisés, dictionnaires, lexiques, vocabulaires,
glossaires, manuels, guides d’utilisation de machines, notices pharmaceutiques, etc.).
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Pour désigner ces productions spécialisées, plusieurs appellations ont été utilisées comme
langue de spécialité (désormais LSP) ou langue technoscientifique, ou langue spécialisée
(désormais LS), etc. 1
En réalité, ces différentes dénominations ne font pas l’unanimité parmi les chercheurs dont les
choix reposent sur différentes conceptualisations et sur divers soubassements théoriques que
nous n’aborderons pas ici, même si certains aspects de ce débat sont encore d’actualité.
Œuvrant en contexte plurilingue2, nous avions opté dès 19903 pour l’emploi du terme de
technolecte qui nous a paru d’emblée comme le plus approprié pour rendre compte des
productions linguistiques spécialisées.
En résumé, un technolecte a pour caractéristiques :
- de servir à la communication entre spécialistes de tel ou tel domaine scientifique ou
technique, le plus souvent en situation professionnelle
- de ne pas être réduit à un vocabulaire, à un jargon, à un argot ou à une terminologie
- d’être en continuité avec la langue générale dont il utilise les ressources linguistiques ;
notamment, un lexique spécialisé (normalisé ou non), des tours de syntaxe préférentiels et
des usages discursifs (caractéristiques des textes spécialisés).
- d’exprimer un degré de technicité dont la formulation est variable· selon les besoins de la
communication qui va de la haute technicité à la vulgarisation, en passant par la banalisation.
- de prendre en compte aussi bien les aspects écrits qu’oraux, émanant de telle ou telle variété
linguistique ou même de mélanges de langues
- d’appartenir à un domaine du savoir humain (scientifique, technique, technologique). La
référence au domaine serait même le trait le plus pertinent pour la définition du technolecte.
En outre, au regard de LS et de LSP, la notion de technolecte se caractérise par sa neutralité et
sa généricité. D’une part, elle est de nature neutre car elle renvoie à toute production
linguistique spécialisée exprimée dans une langue ou plusieurs (en contexte plurilingue).
D’autre part, elle revêt un caractère générique en présentant l’avantage d’englober tous les
usages linguistiques des domaines spécialisés, qu’ils soient normalisés ou non, écrits, oralisés
ou oraux, savants ou populaires, traditionnels ou modernes, techniques, scientifiques ou
technologiques.
En synthétisant ces traits et au vu de ces particularités, nous avions élaboré une définition que
nous reproduisons ci-après : « un technolecte est un savoir dire, écrit ou oral, verbalisant par
tout moyen linguistique adéquat, un savoir ou un savoir-faire dans un domaine spécialisé ».
(Messaoudi 2010 :134).
Cette définition conduit à s’interroger sur le mode de repérage du technolecte. Des éléments
identificatoires existent et nous ont permis de concevoir les paliers de l’approche
technolectale que nous préconisons et qui peut constituer un cadre conceptuel pour
l’enseignement en domaine spécialisé. Voici les cinq paliers en question.
1
MESSAOUDI Leila « Langue spécialisée et technolecte : quelles relations ? », META, 2010, volume 55,
p127-135.
2
Le Maghreb et surtout le Maroc ont été notre terrain de prédilection.
3
MESSAOUDI, Des technolectes : présentation, identification, fonctionnement ; application linguistique à
l'arabe standard, Thèse de doctorat d’Etat, Paris, Université René Descartes, 1990.
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Maroc dont la politique linguistique éducative connaît un changement important4 qui accorde
une place de choix à la maîtrise des langues, tout en s’appuyant sur une architecture
linguistique qui préconise le plurilinguisme5, l’alternance des langues6 et la diversification des
langues d’enseignement à l’université7.
Ainsi, la nouvelle politique linguistique marocaine instaure un système éducatif plurilingue où
les langues en présence bénéficient d’une reconnaissance de droit (et non plus de fait) avec un
statut obligatoire pour l’arabe, l’amazighe, le français, l’anglais en tant que langues
enseignées tandis que les langues d’enseignement sont l’arabe (sur tous les cycles du
fondamental et du secondaire et partiellement à l’université dans les filières des lettres, des
langues, des sciences humaines et sociales et certaines branches juridiques), le français (à
partir du collège dans les branches d’économie et de la formation professionnelle et dans
toutes les filières scientifiques et techniques de l’université) et l’anglais (à partir du lycée).
En fait, le français continue d’être la langue d’enseignement majoritaire à l’université et tend
même à l’exclusive dans les disciplines scientifiques et techniques.
Ainsi, il convient d’identifier le statut des langues dans le système éducatif considéré et de
savoir s’il s’agit de langue obligatoire ou facultative et s’il est question de « langue
enseignée » ou « langue d’enseignement ».
Il est intéressant de relever qu’une distinction est faite entre les « langues enseignées » et les
« langues d’enseignement »8 .
Toutefois, ces deux dimensions ne semblent pas bénéficier d’un intérêt égal de la part des
chercheurs.
Jusqu’à présent, l’intérêt a surtout porté sur l’enseignement des langues et donc sur les
« langues enseignées » auxquelles plusieurs études ont été réservées et ont abouti à des
approches et méthodes d’enseignement/apprentissage diversifiées. Par exemple, pour le
français, plusieurs approches sont proposées : celle du français langue maternelle (FLM), du
français langue étrangère (FLE), du français langue seconde (FLS) ou encore du français
professionnel (LP), du français sur objectifs spécifiques (FOS)9, du français sur objectifs
universitaires (FOU) ; etc.
Le souci majeur des tenants de ces approches est de cibler au mieux les objectifs retenus et de
répondre de manière précise aux besoins des apprenants.
L’on ne peut renier l’utilité de toutes ces approches qui peuvent être concurrentes ou
complémentaires, selon l’ancrage théorique de leurs auteurs, selon les objectifs visés, selon le
contexte éducatif et linguistique et surtout, en fonction des besoins des étudiants et des
réponses à apporter.
4
On peut se référer à deux textes officiels : Vision stratégique 2015-2030, Conseil supérieur de l’éducation, de la
formation et de la recherche scientifique et la loi-cadre n° 51-17 relative au système d’éducation, de formation et
de recherche scientifique Bulletin Officiel.Nº 6944 – 2 Joumada I, 1442 (17-12-2020)
5
« la mise en place progressive et équilibrée du plurilinguisme permettant à l’apprenant titulaire du baccalauréat
de maîtriser les langues arabe et amazighe et d’être capable d’utiliser au moins deux langues étrangères »
6
– « l’alternance linguistique : une approche pédagogique et un choix éducatif progressif, investi dans
l’enseignement plurilingue, en vue de la diversification des langues d’enseignement, en sus des deux langues
officielles de l’Etat, à travers l’enseignement de certaines matières notamment les matières scientifiques et
techniques, ou certains contenus ou modules, en une ou plusieurs langues étrangères »
7
« la diversification des choix linguistiques dans les filières, les spécialités, les formations et la recherche au
niveau de l’enseignement supérieur, et l’ouverture de parcours permettant la poursuite des études en langues
arabe, française, anglaise et espagnole et ce, dans le cadre de l’autonomie des universités et selon leurs besoins
en matière de formation et de recherche et compte tenu des moyens disponibles »
8
Cf. Vision stratégique, idem
9
A noter que l’appellation (FOS) n’est pas sans analogie avec celle de English for Specific Purposes (ESP) et
Language for Specific Purposes (LSP).
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Toutefois, le reproche que l’on pourrait faire à ces approches est celui de demeurer dans le
monolinguisme puisque toutes portent sur le français et ne présentent pas une dimension
plurilingue.
Or, une langue baigne dans un milieu social, souvent pluriculturel et diversifié et il est
aventureux de raisonner en vase clos, à l’intérieur d’une seule et même langue, sans prendre
en compte sa variation interne ainsi que les relations entretenues avec les autres variétés
linguistiques en présence dans l’environnement linguistique.
Ayant observé durant des décennies le fonctionnement de l’enseignement DU français, notre
constat est que les paramètres sociolinguistiques ont rarement été considérés.
En effet, dans cet enseignement, se préoccupe-t-on de la langue maternelle de l’apprenant et
de l’incidence de cette dernière sur l’apprentissage du français ? Par exemple, est-on attentif
au fait qu’un Marocain arabophone en situation d’apprentissage du français effectuerait sans
cesse des interférences avec l’arabe10 ? Qu’il aurait du mal à discriminer des sons qui
n’existent pas dans son système vocalique ? Qu’il aurait des difficultés à assimiler le système
des temps du français qui diffère totalement de ce qu’il avait admis tout naturellement à
l’occasion des aspects-temps de l’arabe 11?... etc. Les exemples d’interférence avec L1 sont
nombreux y compris chez un Marocain amazighophone.
En fait, la règle quasi universelle est que le locuteur projette les structures de sa propre langue
sur sa perception et son apprentissage de la langue étrangère. Souvent ces projections sont
interprétées comme des erreurs et sanctionnées lors de l’évaluation ; pourtant, si des
explications étaient données aux apprenants, en leur faisant prendre conscience des
différences d’avec leurs langues natives, ils assimileraient plus facilement les nouvelles
structures et les distingueraient de celles auxquelles ils ont été habitués.
Une vérité est à rappeler même si elle semble être une lapalissade : pour un enseignement
réussi d’une langue étrangère, le système (phonique, morphologique et syntaxique) de la
langue maternelle ne doit pas être ignoré.
Une sensibilisation des enseignants des langues étrangères aux langues maternelles (et aux
langues d’origine en milieu d’immigration) s’avère nécessaire, le principe étant que l’on ne
peut construire rien de nouveau sans s’appuyer sur ce qui est déjà acquis. Ainsi, l’on ne peut
enseigner le français de la même manière au Vietnam et au Maroc. En réalité, le plus souvent
dans l’enseignement DU français, l’on s’installe dans une logique monolingue où la langue
maternelle de l’élève ou de l’étudiant semble rarement prise en compte.
Malgré l’intérêt évident à considérer « la langue enseignée » en relation avec L1 et avec les
langues en présence dans le paysage linguistique, nous ne nous attarderons pas ici à cette
réflexion en dépit de son importance ; en revanche, nous nous intéresserons davantage à la
notion de « langues d’enseignement » qui n’a pas à notre connaissance bénéficié d’études
approfondies permettant d’aboutir à des approches facilitant l’identification de ces langues, en
relation avec les domaines spécialisés au sein desquels elles sont mobilisées, dans le but de
transmettre différents savoirs. Convoquant le cas du français, nous pouvons rappeler que des
approches comme celles du français professionnel, du FOS ou du FOU ont abordé certains
domaines spécialisés (scientifiques ou techniques) mais elles n’ont pas pour autant réfléchi
sur la langue d’enseignement (notamment en milieu plurilingue) et ce qu’elle requiert comme
connaissances pour pouvoir répondre aux attentes des étudiants dont l’objectif principal est
d’acquérir des savoirs spécialisés via un accès facilité par la langue d’enseignement à tel ou
tel domaine spécialisé. Ce qui met en exergue l’importance du domaine.
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12
Messaoudi Leila (2015) « le technolecte, un genre à part entière ? » Les genres textuels, une question
d’interprétation ? Limoges, Lambert Lucas, p. 169-178
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Références
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Cf ici même
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BORDET, Geneviève. (2013) « Brouillage des frontières, rencontres des domaines : quelles
conséquences pour l’enseignement de la terminologie et de la traduction spécialisée ». ASp.
DOI: 10.4000/asp.3851
BESSÉ de, Bruno 2000. Le domaine, in Béjoint, H. & P. Thoiron, dir., Le sens en
terminologie, Lyon : P.U.L., 182-197.
HAGEGE, Claude « Voies et destins de l'action humaine sur les langues ». La réforme des
langues, histoire et avenir. Claude Hagège & Istvan Fodor, dir. ; Hambourg : Buske, Burke
Verlag, 1982, p. 11-67.
KÓBOR Márta « Nouveaux moteurs de la variation terminologique et du concept de
technolecte dans la traduction de sites web publics » Revue Langues, cultures et sociétés,
volume 5, n°1, 2019, p. 70-79
MESSAOUDI Leila (2017) « La grammaire française chez des arabophones : le cas
d’étudiants marocains » dans L’information grammaticale, volume 154
MESSAOUDI Leila(2015) « le technolecte, un genre à part entière ? » Les genres textuels,
une question d’interprétation ? Limoges, Lambert Lucas, 2015, p. 169-178
MESSAOUDI Leila (2010) « Langue spécialisée et technolecte : quelles relations ? »,
META, 2010, volume 55, p127-135
MESSAOUDI Leila (1990) « Des technolectes : présentation, identification, fonctionnement.
Application linguistique à l'arabe standard », Thèse de doctorat d’Etat, Paris V, Université
René Descartes
MESSAOUDI Leila, (1985) Temps et aspect. Approche de la phrase simple en arabe écrit,
Paris, Librairie orientaliste Geuthner
PETIT Michel, 2010 « Le discours spécialisé et le spécialisé du discours : repères pour
l’analyse du discours en anglais de spécialité » , E-rea [Online],
8.1 https://doi.org/10.4000/erea.1400 (consulté le 4 janvier 2021)
RASTIER, François Arts et sciences du texte. Paris, PUF, 2001.
REY Alain, La terminologie : noms et notions, collection « Que sais-je ? », P.U.F. Paris 1979.
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