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Revue Langues, cultures et sociétés, volume 7, n° 2, juin 2021

L’approche technolectale comme cadre conceptuel


pour l’enseignement en domaine spécialisé

Leila MESSAOUDI
Laboratoire Langage et société
Université Ibn Tofail
lmessaoudi@gmail.com

Résumé – L’objectif de cet article est de mener une réflexion sur l’approche technolectale et
sa relation à l’enseignement en domaine spécialisé. Pour commencer, des précisions seront
fournies sur le terme de « technolecte », en focalisant sur ses principaux traits et en rappelant
la définition que nous en avions donnée antérieurement. Puis, nous exposerons l’approche
technolectale à cinq paliers que nous avons préconisée avec l’idée qu’elle pourrait constituer
un cadre conceptuel pour aborder l’enseignement en domaine spécialisé et en contexte
plurilingue
Mots clés – Approche technolectale, technolecte, formation, langue d’enseignement, milieu
plurilingue
Title – The Technolectal Approach as a Conceptual Framework for the Specialized
Education
Abstract - The aim of this article is to consider the technolectal approach and its relationship
to specialized education. We will begin by providing details about the term "technolect"
focusing on its main features and recalling the definition we had given previously. Then we
will outline the five-level technolectal approach that we have advocated with the idea that it
could provide a conceptual framework for specialized education in plurilingual context
Keywords-Technolectal Approach - Technolect – Training - Language of Teaching,
Multilingual Environment

Introduction
Cette contribution a pour objectif de proposer l’approche technolectale pour les langues
d’enseignement en milieu plurilingue.
Pour rappel, le terme de technolecte a été employé par certains linguistes comme Hagège
(1982) mais dont on ne peut pas affirmer qu’il fût le seul à l’avoir utilisé ; en fait, il aurait été
l’un des premiers à avoir essayé d’en donner une définition.
Ayant essayé de documenter le terme de « technolecte » à travers des recherches réalisées sur
la toile (Internet), nous avons pu repérer l’usage de ce terme chez plusieurs auteurs, depuis
1970, en linguistique appliquée, contrastive ou comparée et en sociolinguistique.
Le point commun entre les différents usages du terme de technolecte est la référence à des
ensembles langagiers spécifiques à des domaines donnés et à des pratiques sociales
déterminées. Ce sont des productions langagières spécialisées, exprimées au moyen de
différents supports oraux ou oralisés (conférences, échanges verbaux entre spécialistes, cours,
exposés, séminaires, etc.) et écrits (ouvrages spécialisés, dictionnaires, lexiques, vocabulaires,
glossaires, manuels, guides d’utilisation de machines, notices pharmaceutiques, etc.).

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Pour désigner ces productions spécialisées, plusieurs appellations ont été utilisées comme
langue de spécialité (désormais LSP) ou langue technoscientifique, ou langue spécialisée
(désormais LS), etc. 1
En réalité, ces différentes dénominations ne font pas l’unanimité parmi les chercheurs dont les
choix reposent sur différentes conceptualisations et sur divers soubassements théoriques que
nous n’aborderons pas ici, même si certains aspects de ce débat sont encore d’actualité.
Œuvrant en contexte plurilingue2, nous avions opté dès 19903 pour l’emploi du terme de
technolecte qui nous a paru d’emblée comme le plus approprié pour rendre compte des
productions linguistiques spécialisées.
En résumé, un technolecte a pour caractéristiques :
- de servir à la communication entre spécialistes de tel ou tel domaine scientifique ou
technique, le plus souvent en situation professionnelle
- de ne pas être réduit à un vocabulaire, à un jargon, à un argot ou à une terminologie
- d’être en continuité avec la langue générale dont il utilise les ressources linguistiques ;
notamment, un lexique spécialisé (normalisé ou non), des tours de syntaxe préférentiels et
des usages discursifs (caractéristiques des textes spécialisés).
- d’exprimer un degré de technicité dont la formulation est variable· selon les besoins de la
communication qui va de la haute technicité à la vulgarisation, en passant par la banalisation.
- de prendre en compte aussi bien les aspects écrits qu’oraux, émanant de telle ou telle variété
linguistique ou même de mélanges de langues
- d’appartenir à un domaine du savoir humain (scientifique, technique, technologique). La
référence au domaine serait même le trait le plus pertinent pour la définition du technolecte.
En outre, au regard de LS et de LSP, la notion de technolecte se caractérise par sa neutralité et
sa généricité. D’une part, elle est de nature neutre car elle renvoie à toute production
linguistique spécialisée exprimée dans une langue ou plusieurs (en contexte plurilingue).
D’autre part, elle revêt un caractère générique en présentant l’avantage d’englober tous les
usages linguistiques des domaines spécialisés, qu’ils soient normalisés ou non, écrits, oralisés
ou oraux, savants ou populaires, traditionnels ou modernes, techniques, scientifiques ou
technologiques.
En synthétisant ces traits et au vu de ces particularités, nous avions élaboré une définition que
nous reproduisons ci-après : « un technolecte est un savoir dire, écrit ou oral, verbalisant par
tout moyen linguistique adéquat, un savoir ou un savoir-faire dans un domaine spécialisé ».
(Messaoudi 2010 :134).
Cette définition conduit à s’interroger sur le mode de repérage du technolecte. Des éléments
identificatoires existent et nous ont permis de concevoir les paliers de l’approche
technolectale que nous préconisons et qui peut constituer un cadre conceptuel pour
l’enseignement en domaine spécialisé. Voici les cinq paliers en question.

1. Premier palier - Contextualisation sociolinguistique et identification du statut des


langues dans le système éducatif
Ce premier palier sera réservé à la politique linguistique éducative et à la place réservée à la
langue d’enseignement considérée.Pour illustrer notre propos, nous avons retenu le cas du

1
MESSAOUDI Leila « Langue spécialisée et technolecte : quelles relations ? », META, 2010, volume 55,
p127-135.
2
Le Maghreb et surtout le Maroc ont été notre terrain de prédilection.
3
MESSAOUDI, Des technolectes : présentation, identification, fonctionnement ; application linguistique à
l'arabe standard, Thèse de doctorat d’Etat, Paris, Université René Descartes, 1990.

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Maroc dont la politique linguistique éducative connaît un changement important4 qui accorde
une place de choix à la maîtrise des langues, tout en s’appuyant sur une architecture
linguistique qui préconise le plurilinguisme5, l’alternance des langues6 et la diversification des
langues d’enseignement à l’université7.
Ainsi, la nouvelle politique linguistique marocaine instaure un système éducatif plurilingue où
les langues en présence bénéficient d’une reconnaissance de droit (et non plus de fait) avec un
statut obligatoire pour l’arabe, l’amazighe, le français, l’anglais en tant que langues
enseignées tandis que les langues d’enseignement sont l’arabe (sur tous les cycles du
fondamental et du secondaire et partiellement à l’université dans les filières des lettres, des
langues, des sciences humaines et sociales et certaines branches juridiques), le français (à
partir du collège dans les branches d’économie et de la formation professionnelle et dans
toutes les filières scientifiques et techniques de l’université) et l’anglais (à partir du lycée).
En fait, le français continue d’être la langue d’enseignement majoritaire à l’université et tend
même à l’exclusive dans les disciplines scientifiques et techniques.
Ainsi, il convient d’identifier le statut des langues dans le système éducatif considéré et de
savoir s’il s’agit de langue obligatoire ou facultative et s’il est question de « langue
enseignée » ou « langue d’enseignement ».
Il est intéressant de relever qu’une distinction est faite entre les « langues enseignées » et les
« langues d’enseignement »8 .
Toutefois, ces deux dimensions ne semblent pas bénéficier d’un intérêt égal de la part des
chercheurs.
Jusqu’à présent, l’intérêt a surtout porté sur l’enseignement des langues et donc sur les
« langues enseignées » auxquelles plusieurs études ont été réservées et ont abouti à des
approches et méthodes d’enseignement/apprentissage diversifiées. Par exemple, pour le
français, plusieurs approches sont proposées : celle du français langue maternelle (FLM), du
français langue étrangère (FLE), du français langue seconde (FLS) ou encore du français
professionnel (LP), du français sur objectifs spécifiques (FOS)9, du français sur objectifs
universitaires (FOU) ; etc.
Le souci majeur des tenants de ces approches est de cibler au mieux les objectifs retenus et de
répondre de manière précise aux besoins des apprenants.
L’on ne peut renier l’utilité de toutes ces approches qui peuvent être concurrentes ou
complémentaires, selon l’ancrage théorique de leurs auteurs, selon les objectifs visés, selon le
contexte éducatif et linguistique et surtout, en fonction des besoins des étudiants et des
réponses à apporter.

4
On peut se référer à deux textes officiels : Vision stratégique 2015-2030, Conseil supérieur de l’éducation, de la
formation et de la recherche scientifique et la loi-cadre n° 51-17 relative au système d’éducation, de formation et
de recherche scientifique Bulletin Officiel.Nº 6944 – 2 Joumada I, 1442 (17-12-2020)
5
« la mise en place progressive et équilibrée du plurilinguisme permettant à l’apprenant titulaire du baccalauréat
de maîtriser les langues arabe et amazighe et d’être capable d’utiliser au moins deux langues étrangères »
6
– « l’alternance linguistique : une approche pédagogique et un choix éducatif progressif, investi dans
l’enseignement plurilingue, en vue de la diversification des langues d’enseignement, en sus des deux langues
officielles de l’Etat, à travers l’enseignement de certaines matières notamment les matières scientifiques et
techniques, ou certains contenus ou modules, en une ou plusieurs langues étrangères »
7
« la diversification des choix linguistiques dans les filières, les spécialités, les formations et la recherche au
niveau de l’enseignement supérieur, et l’ouverture de parcours permettant la poursuite des études en langues
arabe, française, anglaise et espagnole et ce, dans le cadre de l’autonomie des universités et selon leurs besoins
en matière de formation et de recherche et compte tenu des moyens disponibles »
8
Cf. Vision stratégique, idem
9
A noter que l’appellation (FOS) n’est pas sans analogie avec celle de English for Specific Purposes (ESP) et
Language for Specific Purposes (LSP).

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Toutefois, le reproche que l’on pourrait faire à ces approches est celui de demeurer dans le
monolinguisme puisque toutes portent sur le français et ne présentent pas une dimension
plurilingue.
Or, une langue baigne dans un milieu social, souvent pluriculturel et diversifié et il est
aventureux de raisonner en vase clos, à l’intérieur d’une seule et même langue, sans prendre
en compte sa variation interne ainsi que les relations entretenues avec les autres variétés
linguistiques en présence dans l’environnement linguistique.
Ayant observé durant des décennies le fonctionnement de l’enseignement DU français, notre
constat est que les paramètres sociolinguistiques ont rarement été considérés.
En effet, dans cet enseignement, se préoccupe-t-on de la langue maternelle de l’apprenant et
de l’incidence de cette dernière sur l’apprentissage du français ? Par exemple, est-on attentif
au fait qu’un Marocain arabophone en situation d’apprentissage du français effectuerait sans
cesse des interférences avec l’arabe10 ? Qu’il aurait du mal à discriminer des sons qui
n’existent pas dans son système vocalique ? Qu’il aurait des difficultés à assimiler le système
des temps du français qui diffère totalement de ce qu’il avait admis tout naturellement à
l’occasion des aspects-temps de l’arabe 11?... etc. Les exemples d’interférence avec L1 sont
nombreux y compris chez un Marocain amazighophone.
En fait, la règle quasi universelle est que le locuteur projette les structures de sa propre langue
sur sa perception et son apprentissage de la langue étrangère. Souvent ces projections sont
interprétées comme des erreurs et sanctionnées lors de l’évaluation ; pourtant, si des
explications étaient données aux apprenants, en leur faisant prendre conscience des
différences d’avec leurs langues natives, ils assimileraient plus facilement les nouvelles
structures et les distingueraient de celles auxquelles ils ont été habitués.
Une vérité est à rappeler même si elle semble être une lapalissade : pour un enseignement
réussi d’une langue étrangère, le système (phonique, morphologique et syntaxique) de la
langue maternelle ne doit pas être ignoré.
Une sensibilisation des enseignants des langues étrangères aux langues maternelles (et aux
langues d’origine en milieu d’immigration) s’avère nécessaire, le principe étant que l’on ne
peut construire rien de nouveau sans s’appuyer sur ce qui est déjà acquis. Ainsi, l’on ne peut
enseigner le français de la même manière au Vietnam et au Maroc. En réalité, le plus souvent
dans l’enseignement DU français, l’on s’installe dans une logique monolingue où la langue
maternelle de l’élève ou de l’étudiant semble rarement prise en compte.
Malgré l’intérêt évident à considérer « la langue enseignée » en relation avec L1 et avec les
langues en présence dans le paysage linguistique, nous ne nous attarderons pas ici à cette
réflexion en dépit de son importance ; en revanche, nous nous intéresserons davantage à la
notion de « langues d’enseignement » qui n’a pas à notre connaissance bénéficié d’études
approfondies permettant d’aboutir à des approches facilitant l’identification de ces langues, en
relation avec les domaines spécialisés au sein desquels elles sont mobilisées, dans le but de
transmettre différents savoirs. Convoquant le cas du français, nous pouvons rappeler que des
approches comme celles du français professionnel, du FOS ou du FOU ont abordé certains
domaines spécialisés (scientifiques ou techniques) mais elles n’ont pas pour autant réfléchi
sur la langue d’enseignement (notamment en milieu plurilingue) et ce qu’elle requiert comme
connaissances pour pouvoir répondre aux attentes des étudiants dont l’objectif principal est
d’acquérir des savoirs spécialisés via un accès facilité par la langue d’enseignement à tel ou
tel domaine spécialisé. Ce qui met en exergue l’importance du domaine.

2. Deuxième palier - Appartenance à un domaine spécialisé


10
Messaoudi Leila (2017) « La grammaire française chez des arabophones : le cas d’étudiants marocains » dans
L’information grammaticale, volume 154
11
Messaoudi (1985) Temps et aspect . Approche de la phrase simple en arabe écrit, Paris, Geuthner

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Ce palier est primordial et constitue en quelque sorte l’assise pour l’identification du


technolecte par l’appartenance du sujet ou thème traité à tel ou tel domaine spécialisé. Ce
critère dépend de plusieurs facteurs ayant trait à la catégorisation des champs du savoir, des
métiers et activités professionnelles qui peuvent varier d’un pays à un autre, d’une
communauté à une autre, voire d’une culture à une autre. Petit (2010 : 9) note : « (…) nous
appellerons domaine spécialisé tout secteur de la société constitué autour et en vue de
l’exercice d’une activité principale qui, par sa nature, sa finalité et ses modalités particulières
ainsi que par les compétences particulières qu’elle met en jeu chez ses acteurs, définit la place
reconnaissable de ce secteur au sein de la société et d’un ensemble de ses autres secteurs et
détermine sa composition et son organisation spécifiques. »
Si la référence à un domaine semble aller de soi sur le plan pratique, il n’en va pas de même
sur le plan théorique. La notion de domaine a reçu, selon les chercheurs, diverses appellations
comme le constate Bordet (2013) qui relève : « La terminologie utilisée pour désigner le
domaine fait l’objet de nombreuses variations : domaine notionnel ou d’activité (Rey 1979 :
83 ; Petit 2010 : 23), domaine de connaissance, d’activité et de discours (Bessé 2000 : 183-
185) (…). ». Ainsi, la référence au domaine peut être intrinsèque comme cela ressort des
appellations domaine notionnel, de connaissance, de discours ou extrinsèque comme dans
domaine d’activité.
En fait, il s’agit d’avoir une double appréhension du domaine auquel appartient tel ou tel
technolecte, à la fois comme une donnée liée de manière explicite à un secteur d’activité (ou
à une discipline donnée) qui se trouve mentionné soit dans le titre du texte, soit dans
l’introduction qui inscrit le propos dans le cadre d’une spécialité , d’une discipline, etc., tout
en s’appuyant sur l’une des classifications internationales des domaines (par exemple, celle
de Dewey) ou bien sur celle des bibliothèques, thesaurus, dictionnaires, bases de données,
etc. mais aussi, sur des découpages institutionnels, ayant reçu le consensus des autorités
académiques comme les classements des filières universitaires selon les spécialités (sciences
et techniques, langues et arts, sciences humaines et sociales, etc…) mais qui peuvent changer
d’un pays à l’autre et selon les périodes historiques considérées.
En somme, l’on se rend compte que l’identification d’un domaine de spécialité ne va pas de
soi et n’est pas toujours aisée à saisir - d’autant que l’interdisciplinarité et le croisement des
savoirs, de plus en plus prépondérants autour d’une même thématique, complexifient les
choses dans la mesure où il est possible que plusieurs domaines se trouvent mobilisés dans
une même production linguistique. L’on peut tirer un exemple fort éclairant de l’actualité,
celui de la pandémie du virus Corona 19 qui sévit dans le monde entier et où la plupart des
productions linguistiques qui abordent cette thématique relèvent de plusieurs
domaines comme la santé, la médecine, la pharmacie, la sociologie, la psychologie, la
terminologie, etc. Ainsi, plusieurs disciplines peuvent être mobilisées dans une même
production linguistique et l’on peut penser qu’il y aurait peut-être une discipline dominante à
laquelle en seraient accrochées d’autres qui seraient secondaires.
Cela confirme la difficulté de saisir d’emblée le domaine d’appartenance d’un technolecte
donné, par référence à une catégorisation pré existante, relativement aux domaines des savoirs
et des activités.
Une fois le domaine et sous domaine déterminés, l’étape suivante sera d’aborder la production
linguistique (texte, ouvrage, article, manuel, etc.) dans sa globalité en en définissant le type. Il
faudrait donc identifier le type qui constituera le troisième palier de l’approche proposée.

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3. Troisième palier - Type de production spécialisée


Parler de type suppose d’inscrire la production spécialisée dans un genre. Rastier(2001 :231)
note à ce propos : « Tout texte est donné dans un genre, et perçu à travers lui »
Dans un travail antérieur, nous avions avancé l’idée que le technolecte constituerait un genre
à part entière12 qui se décline en types savants et ordinaires.
Les technolectes savants sont le plus souvent sollicités au cours d’une communication
spécialisée, se déroulant dans un cadre formel, soit à l’université ou dans des instituts de
recherche, laboratoires, etc. et ayant pour support dominant l’écrit ou l’écrit oralisé. Les
technolectes ordinaires sont utilisés, en général, dans des situations d’application : par
exemple, les TP et TD des filières scientifiques et techniques ou encore dans des lieux
professionnels comme les ateliers, les garages de mécanique automobile, etc. avec pour
caractéristique de recourir à l’oral.
Des chevauchements entre les deux types, savant et ordinaire, ne sont pas à exclure car cette
typologie binaire peut connaître une gradation, allant de l’expression hautement spécialisée à
celle banalisée.
En outre, il convient d’indiquer à quels documents supports on est confronté au sein d’une
production spécialisée. S’agit-il de documents primaires, écrits de première main, impliquant
l’expression directe dans la langue d’origine, employée par l’auteur de la découverte
scientifique ? S’agit-il de documents secondaires, de seconde main, destinés au transfert et à
la vulgarisation de connaissances, via la traduction comme par exemple les ouvrages de
synthèses ?
De plus, il faudrait aussi déterminer le genre académique auquel appartient la production
linguistique spécialisée : s’agit-il d’un article ? D’une thèse ? D’un manuel ? D’un compte
rendu ? etc.
Une fois précisés les éléments relatifs au type de la production spécialisée examinée, il
conviendra de s’attaquer à un volet important, celui de la présence d’un lexique spécialisé
voire une terminologie spécifique à un domaine donné.
Ceci nous conduit au quatrième palier, celui du lexique spécialisé et de la terminologie.

4. Quatrième palier - Lexique spécialisé et terminologie


L’idée est de procéder par une approche interne de la production linguistique examinée en
tant que telle, en repérant le niveau lexical spécialisé, englobant aussi bien les éléments
terminologiques normés (les termes) que ceux non normés (les mots) qu’il s’agira de
répertorier, en reconstituant le réseau conceptuel isotopique qui y est à l’œuvre. Cela montre
l’étroite dépendance de la notion de domaine de celle de lexique spécialisé, le postulat étant
que chaque domaine possède une terminologie qui lui est propre. Autrement dit, l’identité du
domaine dont traite le technolecte est à dégager à la fois par référence à une catégorisation
(institutionnelle, documentaire, etc.) mais aussi au travers de la production linguistique elle-
même, en veillant à l’extraction de la terminologie spécifique qui y est utilisée. Ainsi, le
caractère spécialisé d’un technolecte peut être inféré à partir du lexique spécialisé et de la
terminologie qui y est mobilisée, en tant que construction notionnelle contribuant à la
cohérence dudit technolecte et n’excluant pas la variation (Cabor, 2019) ou la polysémie. Une
fois, cette opération effectuée, le passage se fera au dernier palier composé des niveaux
linguistiques.

12
Messaoudi Leila (2015) « le technolecte, un genre à part entière ? » Les genres textuels, une question
d’interprétation ? Limoges, Lambert Lucas, p. 169-178

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5. Cinquième palier - Niveaux linguistiques


Ce palier comprend les niveaux linguistiques (englobant les particularités phonétiques,
morphologiques, syntaxiques) du technolecte en question ainsi que ses aspects discursifs.
Selon le domaine et le type de la production linguistique considérée, certains traits paraîtront
comme saillants : par exemple, l’appareil de l’énonciation (Benveniste, 1968) en usage dans
un texte juridique ne sera pas identique à celui dans un texte médical car le jeu des pronoms,
des temps des verbes y seront sollicités de manière différente. De même, les structures des
phrases diffèrent (simples ou complexes, à la voie active ou passive, etc.). Aussi, paraît-il
nécessaire d’envisager le technolecte dans sa globalité discursive et pas seulement
terminologique. Le niveau syntaxique et discursif fonctionne à l’aide d’énoncés dont le
noyau est la phrase simple, constitué d’un prédicat verbal le plus souvent mais il existe aussi
des structures en juxtaposition sans lien syntaxique apparent de l’ordre de la parataxe.
Il nous paraît utile de rappeler que dans notre définition du technolecte13, nous avons utilisé
l’expression « tout moyen linguistique adéquat » par laquelle nous entendons tout contenu
linguistique en relation avec un domaine spécialisé. Contenu qui peut se présenter sous la
forme d’une unité minimale (le terme simple ou complexe (phraséologie)), d’une unité
intermédiaire (la phrase ou l’énoncé) et pour finir, d’une unité maximale (le texte) qui toutes
les trois constituent les composants du technolecte comme ensemble langagier englobant ces
unités. Ainsi l’architecture générale sur le plan linguistique d’un technolecte comprend un
ordre de trois unités technolectales : minimale, intermédiaire et maximale qui peuvent faire
l’objet d’exercices utiles pour les apprenants.
Il est à noter, cependant, que les aspects sémiologiques et socioculturels ne sont pas pris en
compte dans cette approche qui reste exclusivement attachée aux seuls aspects linguistiques et
qui pourrait constituer un apport à la consolidation de la langue d’enseignement en domaine
spécialisé, en diversifiant les exercices écrits et oraux, en concertation entre l’enseignant de
langue et le spécialiste du domaine. De plus, on ne peut ignorer l’importance du rôle que
l’entraînement à l’identification des technolectes pourrait jouer dans la formation scientifique
et technique ainsi que dans les différentes opérations relatives aux littéracies universitaires.
Conclusion
Pour conclure mais sans pour autant clore la réflexion au sujet de l’approche technolectale à
cinq paliers qui pourrait être poursuivie dans des travaux futurs. Un champ de recherche est
ainsi ouvert et l’exploitation de cette approche serait d’une grande pertinence pour les langues
d’enseignement en domaine spécialisé et ces paliers aideront à la conception de référentiels et
de programmes de formation élaborés ad hoc, en fonction du contexte sociolinguistique, des
savoirs à transmettre et des besoins des apprenants. Ainsi, des horizons se profilent pour la
recherche sociolinguistique à visée didactique et il serait heureux que des chercheurs
s’intéressent à la problématique des technolectes articulée à celles des langues
d’enseignement en milieu plurilingue comme c’est le cas au Maroc et au Maghreb en général.

Références

13
Cf ici même

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BORDET, Geneviève. (2013) « Brouillage des frontières, rencontres des domaines : quelles
conséquences pour l’enseignement de la terminologie et de la traduction spécialisée ». ASp.
DOI: 10.4000/asp.3851
BESSÉ de, Bruno 2000. Le domaine, in Béjoint, H. & P. Thoiron, dir., Le sens en
terminologie, Lyon : P.U.L., 182-197.
HAGEGE, Claude « Voies et destins de l'action humaine sur les langues ». La réforme des
langues, histoire et avenir. Claude Hagège & Istvan Fodor, dir. ; Hambourg : Buske, Burke
Verlag, 1982, p. 11-67.
KÓBOR Márta « Nouveaux moteurs de la variation terminologique et du concept de
technolecte dans la traduction de sites web publics » Revue Langues, cultures et sociétés,
volume 5, n°1, 2019, p. 70-79
MESSAOUDI Leila (2017) « La grammaire française chez des arabophones : le cas
d’étudiants marocains » dans L’information grammaticale, volume 154
MESSAOUDI Leila(2015) « le technolecte, un genre à part entière ? » Les genres textuels,
une question d’interprétation ? Limoges, Lambert Lucas, 2015, p. 169-178
MESSAOUDI Leila (2010) « Langue spécialisée et technolecte : quelles relations ? »,
META, 2010, volume 55, p127-135
MESSAOUDI Leila (1990) « Des technolectes : présentation, identification, fonctionnement.
Application linguistique à l'arabe standard », Thèse de doctorat d’Etat, Paris V, Université
René Descartes
MESSAOUDI Leila, (1985) Temps et aspect. Approche de la phrase simple en arabe écrit,
Paris, Librairie orientaliste Geuthner
PETIT Michel, 2010 « Le discours spécialisé et le spécialisé du discours : repères pour
l’analyse du discours en anglais de spécialité » , E-rea [Online],
8.1 https://doi.org/10.4000/erea.1400 (consulté le 4 janvier 2021)
RASTIER, François Arts et sciences du texte. Paris, PUF, 2001.
REY Alain, La terminologie : noms et notions, collection « Que sais-je ? », P.U.F. Paris 1979.

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