Vous êtes sur la page 1sur 14

 36-304-A-10

Principes de pharmacocinétique appliqués


à l’anesthésie
J.-P. Haberer

La pharmacocinétique étudie le devenir des médicaments dans l’organisme. La pharmacodynamie


décrit la relation entre la dose ou la concentration plasmatique et l’effet pharmacologique. La phar-
macocinétique descriptive identifie les paramètres, volumes de distribution et clairance plasmatique,
qui caractérisent la distribution et l’élimination. L’élimination des anesthésiques se fait principalement
par métabolisme hépatique et excrétion rénale et biliaire. Les modèles pharmacocinétiques décrivent
l’évolution des concentrations plasmatiques en fonction des modalités d’administration de l’anesthésique.
Le modèle tricompartimental est le plus adapté aux anesthésiques. La précision prédictive des modèles
standard est améliorée par certaines méthodes telles la cinétique initiale (front-end kinetic) et la
pharmacocinétique des populations associée à l’analyse bayésienne. L’effet pharmacodynamique est
lié principalement à la concentration de l’anesthésique au site d’action. Le concept pharmacociné-
tique/pharmacodynamie (PK/PD) décrit la relation entre la concentration au site d’action et l’effet
clinique. Ce principe est appliqué à l’administration des anesthésiques par les techniques d’anesthésie
intraveineuse à objectif de concentration (AIVOC). L’interaction entre deux anesthésiques est le plus
souvent synergique. Le modèle des surfaces de réponse optimise l’administration simultanée de deux
anesthésiques. La pharmacogénétique décrit la variabilité inter-individuelle de l’effet des anesthésiques
liée surtout au polymorphisme de certaines enzymes du métabolisme.
© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Pharmacocinétique ; Pharmacodynamie ; Modèles pharmacocinétiques compartimentaux ;


Pharmacogénétique ; Métabolisme hépatique ; Cytochrome P450

Plan  Introduction
■ Introduction 1 La pharmacocinétique est l’étude quantifiée du devenir des
■ Pharmacocinétique descriptive 2 médicaments dans l’organisme depuis leur administration jusqu’à
Distribution 2 leur élimination [1–5] . Ainsi, elle s’intéresse directement à la
Élimination des médicaments 3 relation entre la dose administrée et la concentration du médi-
Effet de premier passage pulmonaire 5 cament dans le sang et au site d’action. La pharmacodynamie
Clairance plasmatique totale et aire sous la courbe 6 décrit la relation entre la dose administrée ou la concentration
Demi-vie d’élimination 6 plasmatique du médicament et son effet pharmacologique [6] .
Fixation aux protéines 6 L’intensité et la durée de cet effet dépendent de la concen-

tration du médicament au site d’action et de son évolution
Concepts pharmacocinétiques 7
dans le temps. L’objectif de la pharmacocinétique est d’améliorer
Processus d’ordre zéro et d’ordre 1 7
l’administration des agents anesthésiques en adaptant les doses
Modèles pharmacocinétiques 8
et les modalités d’administration (bolus, perfusion continue)
Cinétique terminale et demi-vie contextuelle 10
aux nécessités de la procédure chirurgicale (profondeur de
Pharmacocinétique de population 10
l’anesthésie, de la myorelaxation, de l’analgésie). Les modèles
■ Pharmacodynamie 10 pharmacocinétiques sont une aide à l’ajustement des doses
Interactions pharmacologiques des agents anesthésiques 11 des anesthésiques, permettant de réduire les risques de sous-
■ Pharmacogénétique 12 dosage ou de surdosage et les effets secondaires qui y sont
■ Conclusion 13 liés. En anesthésie, du fait de l’administration des médica-
ments pendant une durée limitée et de la nécessité de modifier

EMC - Anesthésie-Réanimation 1
Volume 13 > n◦ 2 > avril 2016
Téléchargé pour moncef alawi (alawimoncef@gmail.com) à University of Tunis El Manar Faculty of Medicine of Tunis à partir de ClinicalKey.fr par Elsevier
http://dx.doi.org/10.1016/S0246-0289(16)53310-6
sur mars 21, 2023. Pour un usage personnel seulement. Aucune autre utilisation n´est autorisée. Copyright ©2023. Elsevier Inc. Tous droits réservés.
36-304-A-10  Principes de pharmacocinétique appliqués à l’anesthésie

souvent la concentration plasmatique, les modèles pharmaco- Tableau 1.


cinétiques conventionnels ont certaines limites. Pour optimiser Propriétés physicochimiques impliquées dans la diffusion passive des
l’administration des anesthésiques, la pharmacocinétique et médicaments.
la pharmacodynamie sont intégrées dans des modèles dits Poids moléculaire : le taux de diffusion passive est inversement
« pharmacocinétique/pharmacodynamie » (PK/PD) qui décrivent proportionnel à la racine carrée du poids moléculaire (loi de Graham)
la relation temporelle entre la dose, la concentration plasmatique
Ionisation : l’ionisation d’une molécule dépend de sa structure et du pH
ou au site d’action et l’effet pharmacologique [7] . Ces modèles sont
du milieu. La plupart des anesthésiques sont des acides ou des bases
indispensables lorsque les anesthésiques sont administrés selon faibles et le rapport forme ionisée/forme non ionisée varie avec le pH
la technique à objectif de concentration (target-controled infu- selon l’équation de Henderson-Hasselbalch
sion [TCI], anesthésie intraveineuse à objectif de concentration, accepteur de proton
 :
pH = pKa + log10 donneur de proton
[AIVOC]) [8–10] .  –
Pour un acide AH : pH = pKa + log10 AAH
 B

Pour une base B : pH = pKa + log10 BH+

“ Point fort Liaison aux protéines : seule la fraction libre non ionisée diffuse à travers
la membrane cellulaire
Liposolubilité : le taux de diffusion augmente avec la liposolubilité qui
Pharmacocinétique : ce que l’organisme fait au médica- est exprimée par le coefficient de partage entre la phase lipide
(membrane cellulaire) et la phase aqueuse
ment.
Pharmacodynamie : ce que le médicament fait à
l’organisme. Tableau 2.
Facteurs impliqués dans la distribution tissulaire des agents anesthésiques.
Diffusion passive (Tableau 1)
Gradient de concentration : le taux de diffusion est proportionnel au
gradient de concentration de part et d’autre de la membrane (loi de Fick)
 Pharmacocinétique descriptive Débits sanguins régionaux : la quantité de médicament transférée par
unité de temps augmente avec le débit sanguin de l’organe
En anesthésie, les médicaments sont pour la plupart admi-
nistrés par voie intraveineuse, ce qui supprime la phase
d’absorption et s’accompagne d’une biodisponibilité proche de sans nécessité d’énergie). Pour les agents anesthésiques c’est essen-
100 %. L’évolution de la concentration plasmatique en fonction tiellement le transport passif qui est en jeu et il dépend du gradient
du temps est le résultat de la distribution et de l’élimination du de concentration entre le sang circulant et les organes périphé-
médicament. Ces phénomènes de distribution et d’élimination riques. Pour les médicaments hydrosolubles, la diffusion passive
sont décrits par les concepts de volume de distribution et de clai- selon le gradient de concentration se fait par des canaux pro-
rance [3, 5] . téiques hydrophiles (par exemple, curares et canal ionique des
récepteurs cholinergiques).
En anesthésie, cette étape de distribution a une importance par-
Distribution ticulière : c’est elle qui est à l’origine des variations les plus rapides
de la concentration plasmatique de l’agent, et donc de la quantité
Après l’injection intraveineuse d’un anesthésique, la concen- d’agent qui est présentée à chaque instant devant les sites d’action.
tration plasmatique décroît selon une courbe exponentielle [11] Les variations de la concentration plasmatique modulent directe-
(Fig. 1). Injecté dans le sang circulant, le médicament quitte ment la cinétique d’action du médicament. Ainsi, deux agents
la circulation pour être fixé par les organes périphériques. Les dont la vitesse d’élimination est proche, par exemple le fentanyl
principaux facteurs qui régissent cette distribution tissulaire sont et le sufentanil, ont une cinétique d’action très différente par le
résumés dans les Tableaux 1, 2. Pour atteindre son site d’action, simple fait de leur distribution : le sufentanil distribué rapidement
l’agent anesthésique doit traverser les membranes cellulaires, et de façon extensive voit sa concentration plasmatique décroître
endothélium vasculaire et membrane de la cellule cible, par très vite au-dessous du seuil de concentration efficace, alors que la
exemple neurones du système nerveux central. Le transport à tra- concentration plasmatique du fentanyl distribué plus lentement
vers les membranes cellulaires peut se faire par trois mécanismes, reste plus longtemps dans la zone thérapeutique, même si secon-
passif, actif, et facilité (intervention d’une protéine de transport dairement les concentrations résiduelles des deux agents dimi-
nuent à la même vitesse du fait d’une élimination comparable.
Après un temps variable, en fonction du médicament, de la
8 dose et du mode d’administration (injection unique, perfusion),
Concentration plasmatique (µg ml-1)

Propofol 2,0 mg kg–1 la concentration tissulaire dépasse la concentration plasmatique,


7 le gradient de diffusion s’inverse et le médicament quitte les
organes périphériques. Dans les années 1960, la cinétique de
6
la distribution vers les organes périphériques a été décrite pour
5 le thiopental en regroupant les organes en trois groupes selon
l’importance de leur débit sanguin et de leur capacité de cap-
4 tage du médicament (Fig. 2) : organes richement vascularisés
Zone thérapeutique (vessel-rich group [VRG] : cerveau, poumons, reins), groupe des
3
muscles et circulation splanchnique, et organes faiblement vas-
2 cularisés (vessel-poor group [VPG] : tissu adipeux, os) [2, 11, 12] . Très
rapidement, c’est-à-dire quelques minutes après l’injection intra-
1 veineuse, les phénomènes de distribution et de redistribution se
déroulent simultanément. Après une injection unique, la redistri-
0
bution se fait essentiellement vers les muscles, le tissu adipeux
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20
captant une fraction plus faible du médicament. En revanche,
Temps (min) lors des réinjections ou d’une perfusion continue, l’accumulation
Figure 1. Évolution de la concentration plasmatique du propofol après périphérique du médicament touche aussi le tissu adipeux. Cer-
l’injection d’un bolus de 2 mg kg−1 . La fourchette des concentrations tains médicaments, par exemple le fentanyl qui est une base faible,
nécessaires pour un acte chirurgical se situe entre 2 et 5 ␮g ml−1 . Le subissent un cycle entérohépatique, cette réabsorption digestive
réveil est habituellement observé pour une concentration inférieure à 1,5 pouvant s’accompagner d’une remontée de la concentration plas-
␮g ml−1 . matique.

2 EMC - Anesthésie-Réanimation

Téléchargé pour moncef alawi (alawimoncef@gmail.com) à University of Tunis El Manar Faculty of Medicine of Tunis à partir de ClinicalKey.fr par Elsevier
sur mars 21, 2023. Pour un usage personnel seulement. Aucune autre utilisation n´est autorisée. Copyright ©2023. Elsevier Inc. Tous droits réservés.
Principes de pharmacocinétique appliqués à l’anesthésie  36-304-A-10

(Vc ) lorsqu’il est utilisé pour le calcul de la dose à administrer


70 pour atteindre une concentration plasmatique donnée selon
Quantité métabolisée
Muscle l’équation :
60 Graisse
VRG Dose de charge = Vc × concentration cible
Sang

Dose administrée (%)


50
Cette relation est une approximation car le volume qui permet le
calcul de la dose de charge avec le plus de précision est le volume
40 de distribution au pic de l’effet clinique (Vd peak-effect [Vdpe ]).
Au moment du pic de l’effet clinique, on observe un pseudo-
30 équilibre avec une égalité entre la concentration plasmatique et
la concentration au site effet (cf. infra) [8, 10, 13–15] .
20 Volumes de distribution périphériques
Le médicament injecté dans le volume sanguin circulant est dis-
10 tribué aux organes périphériques. Cette distribution est décrite par
l’adjonction au volume central de compartiments périphériques.
0 La liaison du volume central aux volumes périphériques est repré-
1 3
30 10100 300 sentée par un modèle dénommé modèle mamillaire (à l’image
Temps d’un système central de canalisation alimentant en dérivation
d’autres tuyaux et par analogie avec les mamelles d’une femelle
Figure 2. Distribution tissulaire, en % de la dose administrée, d’un
allaitante). La distribution du débit cardiaque détermine la vitesse
bolus de thiopental dans le groupe vessel-rich group (VRG), les muscles
à laquelle les différents organes sont exposés au médicament. Les
et les organes faiblement vascularisés (vessel-poor group), essentiellement
VRG sont les organes qui s’équilibrent le plus rapidement avec la
la graisse. Parallèlement aux phases de distribution et de redistribution, le
concentration plasmatique. Puis, l’équilibre se fait avec les organes
thiopental est métabolisé (d’après [12] ).
comme les muscles et le foie, et en dernier avec les VPG. L’équilibre
avec le VRG se fait en minutes, avec les muscles en heures et avec
le VPG en jours.
Dose = 100 mg
Le volume des compartiments périphériques reflète la solubilité
tissulaire du médicament. Plus un médicament est liposoluble,
plus important est son volume de distribution dans les tissus.
En pratique, la solubilité tissulaire exacte n’est pas connue et elle
est assimilée à la solubilité dans le sang. Une telle extrapolation
explique que le volume de distribution périphérique des médi-
Réservoir = 5 l caments liposolubles est très élevé et sans rapport avec la réalité
physiologique (par exemple 5000 l pour le propofol). Un volume
de distribution tissulaire très élevé s’explique aussi par la fixation
sur les protéines tissulaires. Il faut se rappeler que le volume de
Sang ou plasma distribution périphérique calculé est le volume virtuel dans lequel
Concentration = 20 mg l–1 le médicament devrait être dilué pour y être à la même concen-
tration que dans le plasma. À l’inverse, pour un médicament
Volume de distribution =
hydrosoluble, curares par exemple, le volume de distribution est
100/20 mg l–1 = 5 l
proche des volumes extracellulaires.
Au cours d’une perfusion intraveineuse, lorsque la concen-
Figure 3. Distribution du médicament dans un modèle à un compar- tration plasmatique reste constante, un état stable est atteint. À
timent. Un bolus de 100 mg est injecté dans un réservoir de 5 l. l’état stable, la quantité de médicament administrée est égale à la
La concentration, après distribution homogène, est de 20 mg l−1 ou quantité éliminée. Le volume de distribution à l’état stable (Vdss )
20 ␮g ml−1 . est le volume qui relie la concentration plasmatique à l’état stable
à la quantité totale de médicament présente dans l’organisme.

Volumes de distribution Qss


Vdss =
Cp
Le volume de distribution se définit comme le volume apparent
d’un réservoir dans lequel se dilue le médicament, le volume du Qss = quantité de médicament présente dans l’organisme à l’état
réservoir étant celui pour lequel la concentration est identique stable ; Cp = concentration plasmatique.
à la concentration plasmatique (Fig. 3). La concentration dans Vdss est égal au volume central plus les volumes périphériques.
le réservoir est la quantité de médicament injecté divisée par le En anesthésie, la durée d’administration est relativement brève
volume. Si le volume est inconnu, mais que la concentration (C) par rapport au temps nécessaire à l’obtention de l’état stable, ce
peut être mesurée, le volume (Vd) est calculé selon la formule : qui nécessite le recours à une approximation pour définir un état
volume = quantité (dose)/concentration : pseudostable.
dose
Vd = Élimination des médicaments
C
L’élimination désigne l’ensemble des processus qui abou-
Volume de distribution central tissent à la disparition du médicament de l’organisme [1, 16] . Le
C’est le volume dans lequel se dilue le médicament au tout médicament peut être éliminé sous forme inchangée ou après
début de son injection. Le volume central est calculé en extra- métabolisme. Le foie et les reins sont les organes principaux de
polant la courbe de concentration en fonction du temps et en l’élimination. Néanmoins, d’autres organes et tissus participent
appliquant la concentration plasmatique qui serait mesurée si au métabolisme (poumons, globules rouges, intestin).
la circulation avait une vitesse infinie, c’est-à-dire si le mélange Pour la plupart des anesthésiques, le métabolisme aboutit à des
était instantané. En pratique, cette dernière hypothèse n’est pas métabolites inactifs. Le métabolisme peut aussi aboutir à des méta-
vérifiée puisque le médicament n’apparaît dans le sang artériel bolites qui conservent une activité pharmacologique proche de
que 30 à 40 secondes après son injection intraveineuse. La notion la molécule mère (hydroxymidazolam, morphine-6-glucuronide).
de volume central est utile au plan didactique, mais sa mesure Enfin, le métabolisme peut transformer une prodrogue en médi-
précise est difficile. Ceci explique les limites du volume central cament actif (déméthylation de la codéine en morphine).

EMC - Anesthésie-Réanimation 3
Téléchargé pour moncef alawi (alawimoncef@gmail.com) à University of Tunis El Manar Faculty of Medicine of Tunis à partir de ClinicalKey.fr par Elsevier
sur mars 21, 2023. Pour un usage personnel seulement. Aucune autre utilisation n´est autorisée. Copyright ©2023. Elsevier Inc. Tous droits réservés.
36-304-A-10  Principes de pharmacocinétique appliqués à l’anesthésie

Tableau 3. Tableau 4.
Élimination des anesthésiques par métabolisme. Principales enzymes de la famille des cytochromes P450 (CYP) et méta-
bolisme des médicaments utilisés en anesthésie (classement en fonction
Enzymes des réactions de phase I
de leur importance quantitative dans le foie).
Cytochrome P450 (CYP450) : oxydation (hydroxylation, O- et
N-désalkylation, désamination), réduction CYP3A4 : fentanyl et dérivés (sauf rémifentanil), benzodiazépines
(midazolam), anesthésiques locaux, méthadone, codéine, inhibiteurs
Estérases : hydrolyse par les carboxylestérases, les cholinestérases
calciques, ondansétron et dérivés
Enzymes des réactions de phase II (conjugaison)
CYP2D6 : codéine, dextrométorphan, oxycodone, tramadol,
Glucuronyltransférases : adjonction d’un radical acide glucuronique à ondansétron et dérivés, antidépresseurs tricycliques, inhibiteurs de la
des médicaments lipophiles qui comportent un résidu phénol, alcool, recapture de la sérotonine, neuroleptiques, bêtabloquants, flécaïne
amine, carboxyle ou sulfhydrile. Il y a une quinzaine de
CYP2B6 : propofol, kétamine, benzodiazépines, méthadone,
glucuronyltransférases dénommées UGT1, UGT2, etc.
mépéridine, lidocaïne, clopidogrel
– UGT1A9 : propofol
CYP1A2 : ropivacaïne
– UGT2B7 : morphine, codéine, naloxone, buprénorphine,
CYP2A6 : halothane
oxymorphone, hydromorphone ; 1-hydroxymidazolam
CYP2C : barbituriques, diazépam
Glutathion-S-transférase : intervient dans la formation du composé A
lors de la dégradation du sévoflurane par certains absorbeurs de CO2 CYP2E1 : paracétamol, éthanol, anesthésiques halogénés
Sulfotransférases : chez le nouveau-né, métabolisme du paracétamol et
de la morphine
Tableau 5.
Inducteurs et inhibiteurs du CYP3A.
Réactions de biotransformation
Inducteurs : rifampicine, phénobarbital, phénytoïne, carbamazépine,
La plupart des médicaments anesthésiques sont lipophiles et dexaméthasone, nelfinavir, éfavirenz, millepertuis
nécessitent leur transformation pour être éliminés. Les réactions Inhibiteurs : macrolides (troléandomycine, érythromycine,
enzymatiques qui transforment les médicaments sont classées en clarithromycine), antifongiques (kétoconazole, miconazole,
réactions de phases I et II (Tableau 3). La phase I transforme le itraconazole, fluconazole), agents anti-VIH (indinavir, ritonavir,
médicament en un ou plusieurs composés polaires, plus faciles à saquinavir, amprénavir, delavirdine), jus de pamplemousse
éliminer. La phase II rend le métabolite encore plus hydrophile en
conjuguant les sites polaires avec divers composés endogènes. La VIH : virus de l’immunodéficience humaine.
plupart des médicaments subissent successivement les réactions
de phase I, puis de phase II. Néanmoins, certains médicaments Certaines enzymes (CYP3A4 et CYP2B6) subissent une induc-
ne sont soumis qu’à un type de réaction, soit de type I, soit de tion ou une inhibition par divers xénobiotiques, dont des
type II [16] . médicaments (Tableau 5). Ces phénomènes d’induction ou
Réactions de type I d’inhibition peuvent influencer la pharmacocinétique des anes-
Les principales réactions de type I sont l’hydrolyse, l’oxydation thésiques. Ainsi, la troléandomycine diminue la clairance de
ou la réduction de la molécule mère. L’hydrolyse qui dégrade l’alfentanil de près de 88 % [16, 17] . Néanmoins, dans la plupart des
la molécule en deux métabolites par adjonction d’une molécule cas, l’incidence clinique de ces modifications n’est pas majeure
d’eau est le mode de métabolisme des esters comme les anesthé- car c’est la phase terminale d’élimination qui est prolongée alors
siques locaux, la succinylcholine et le rémifentanil. L’oxydation, que l’effet pharmacologique est surtout observé durant la phase
réaction la plus fréquente, introduit un groupe OH dans la initiale de distribution. De plus, ces modifications sont en partie
molécule. L’hydroxylation initiale précède souvent une seconde masquées par les variations inter-individuelles de la pharmacoci-
réaction qui est une désalkylation (suppression d’un radical car- nétique.
boné), une désamination (suppression d’un radical azoté), une Autres enzymes. D’autres enzymes interviennent dans les
oxydation d’un radical azoté, une désulfuration, une déshalogé- réactions de type I. Ce sont les estérases, carboxylestérases et
nation ou une déshydrogénation. cholinestérases. Les carboxylestérases sont des enzymes micro-
Cytochrome P450. Le cytochrome P450 (CYP) est une somiales présentes dans de nombreux tissus, dont le foie. Elles
superfamille d’enzymes qui catalysent la plupart des réactions comportent deux types principaux, hCE-1 et hCE-2. La hCE-
de type I [16] . Le CYP est aussi appelé oxydases à fonction mixte 1 métabolise la cocaïne, la mépéridine et l’héroïne. La hCE-2
ou mono-oxygénases. Le CYP est intégré au réticulum endo- hydrolyse l’héroïne en 6-monoacétylmorphine puis en morphine.
plasmique lisse (microsomes) des hépatocytes et à la membrane Les cholinestérases comportent l’acétylcholinestérase (AchE) et
des entérocytes de l’intestin grêle. Il existe aussi au niveau des la butyrylcholinestérase ou pseudocholinestérase plasmatique.
poumons, des reins et de la peau. Les isoenzymes du CYP oxydent Cette dernière intervient dans le métabolisme de la succinylcho-
leur substrat essentiellement par insertion d’un atome d’oxygène line, du mivacurium, des anesthésiques locaux de type esters dont
sous forme de radical hydroxyle. La réaction d’oxydation typique la cocaïne et l’héroïne. Le rémifentanil est hydrolysé par des esté-
implique une hydroxylation initiale, le nicotinamide adénine rases plasmatiques et surtout tissulaires, non spécifiques.
dinucléotide phosphate (NADPH) fournissant deux électrons Réactions de type II
pour réduire un atome d’oxygène moléculaire en eau et insérer Les réactions de type I introduisent des groupes polaires
un autre électron dans le substrat selon la réaction suivante : dans la molécule, ce qui permet les réactions de conjugai-
son. La morphine comporte d’emblée des groupes polaires et
RH + O2 + NADPH + H+ → ROH + H2 O + NADP+
elle subit une conjugaison directe. Les principales enzymes de
conjugaison sont les méthyltransférases, les sulfotransférases, les
RH = substrat ; ROH = métabolite oxydé.
acétyltransférases, les acyltransférases, les glucuronosyltransfé-
Plus de 50 isoformes du CYP ont été identifiées, mais seules
rases ou glucuronyltransférases et les glutathion-S-transférases
quelques-unes sont responsables du métabolisme de la majo-
(Tableau 3). Les métabolites conjugués sont hydrosolubles et
rité des médicaments. Les CYP ont une plus ou moins grande
peuvent être éliminés par le rein et la bile.
spécificité vis-à-vis de leurs substrats. Dans le métabolisme des
anesthésiques, les CYP les plus importants sont les CYP2B6, 2D6,
2E1 et 3A. Le CYP3A4 est l’enzyme quantitativement la plus
Clairance
importante, elle représente 40 à 45 % du métabolisme médié par La clairance quantifie l’élimination du médicament du sang cir-
le CYP. Le CYP3A4 métabolise un large éventail de médicaments culant. Deux processus participent à cette clairance : la clairance
dont plusieurs anesthésiques (Tableau 4). Chez certains sujets, systémique et la clairance intercompartimentale. La clairance sys-
c’est le CYP3A5 qui assure une grande partie des fonctions du témique correspond à l’élimination définitive du médicament
CYP3A4. de l’organisme, soit sous forme inchangée, soit sous forme de

4 EMC - Anesthésie-Réanimation

Téléchargé pour moncef alawi (alawimoncef@gmail.com) à University of Tunis El Manar Faculty of Medicine of Tunis à partir de ClinicalKey.fr par Elsevier
sur mars 21, 2023. Pour un usage personnel seulement. Aucune autre utilisation n´est autorisée. Copyright ©2023. Elsevier Inc. Tous droits réservés.
Principes de pharmacocinétique appliqués à l’anesthésie  36-304-A-10

Tableau 6.
Coefficient d’extraction hépatique (CE) des principaux médicaments CE
anesthésiques. 2,5 1,0

Clairance hépatique (l min–1)


CE élevé (≥ 0,7) CE intermédiaire CE faible (< 0,3) 0,9
(0,3–0,6) 2,0
0,8
Lidocaïne, bupivacaïne Alfentanil Diazépam
Morphine Midazolam Lorazépam 1,5 0,7
Fentanyl, sufentanil Vécuronium Thiopental 0,6
Propofol Rocuronium Méthadone 1,0 0,5
Kétamine, étomidate Méthohexital 0,4
Naloxone Hydromorphone 0,5 0,3
Bêtabloquants : propranolol Mépivacaïne 0,2
alprénolol, métoprolol Ropivacaïne 0,1
0
0 0.5 1.0 1.5 2.0 2.5
métabolites. La clairance intercompartimentale représente les Débit sanguin hépatique (l min–1)
transferts du médicament entre le sang et les organes périphé-
Figure 4. Relation entre le débit sanguin hépatique (Qh ) et la clairance
riques. La clairance systémique ou plasmatique totale, définie en
hépatique pour des médicaments ayant un coefficient d’extraction hépa-
unité de flux, est le volume totalement épuré du médicament
tique (CE) variable. Les flèches indiquent la fourchette physiologique du
par unité de temps (l min–1 ). La quantité de médicament réelle-
Qh . Les CE sont pour un Qh normal de 1,5 l min−1 . D’après [20] .
ment éliminée par unité de temps est obtenue en multipliant la
clairance plasmatique totale par la concentration plasmatique. La
clairance plasmatique totale est souvent indexée au poids ou à rieur à 0,3 (thiopental) ou intermédiaire (alfentanil), la clairance
la surface corporelle (ml min−1 kg−1 ou ml min−1 m−2 ). Cette clai- est peu dépendante du Qh , mais elle dépend des capacités méta-
rance est la somme de toutes les clairances des différents organes boliques des hépatocytes (métabolisme capacité-dépendant). Les
périphériques. Pour la plupart des médicaments anesthésiques, le médicaments capacité-dépendants sont divisés en deux catégo-
foie est l’organe d’élimination principal, d’où l’importance de la ries selon leur taux de fixation aux protéines. Si la fixation aux
clairance hépatique. protéines est importante (fraction libre faible), leur métabolisme
Clairance hépatique hépatique est sensible aux variations de la fixation aux pro-
Le foie est le principal organe d’élimination des médicaments, téines (capacité-dépendant et fixation sensible). Les médicaments
les exceptions notables étant les agents métabolisés par des capacité-dépendants, mais peu fixés aux protéines, ne sont pas
enzymes plasmatiques ou tissulaires (succinylcholine, rémifen- sensibles aux variations de la fixation aux protéines. Le triangle
tanil, curares benzylisoquinolines) et ceux excrétés par le rein de Blashke [20] permet de situer les anesthésiques selon leur CE et
(rocuronium, néostigmine). Pour la plupart des anesthésiques, le leur taux de fixation aux protéines (Fig. 5).
taux de métabolisme hépatique est proportionnel à la concentra- Clairance rénale
tion du médicament dans le sang afférent (concentration qui est Le rein élimine la forme inchangée des médicaments hydroso-
la moyenne des concentrations dans l’artère hépatique et dans lubles (vécuronium, rocuronium) et les métabolites hydrosolubles
la veine porte). Ceci veut dire que la clairance métabolique est des médicaments liposolubles. L’élimination se fait par filtration
habituellement constante et indépendante de la dose, c’est-à-dire glomérulaire et par sécrétion tubulaire. La pharmacocinétique de
qu’il n’y a pas de saturation des sites de métabolisme (cf. infra). la plupart des anesthésiques est peu influencée par une modifi-
Cette hypothèse est vraie pour la plupart des situations et des cation de la fonction rénale. Seuls les curares non dépolarisants
anesthésiques. stéroïdes sont partiellement éliminés par le rein. Certains médica-
La quantité (R) d’un médicament éliminée par le foie corres- ments comme le midazolam et la morphine ont des métabolites
pond au débit sanguin hépatique multiplié par la différence de conjugués (␣-hydroxymidazolam, morphine-6-glucuronide) qui
concentration entre le flux d’entrée (concentration afférente) et sont éliminés plus lentement en cas d’insuffisance rénale et dont
de sortie (concentration efférente) [18–20] : l’accumulation peut induire des effets secondaires.
Le rein contient de nombreuses enzymes dont le CYP (CYP3A4,
R = Qh (Caff − Ceff ) CYP3A5), la glutathion-S-transférase, les estérases et les glu-
curonyltransférases. Le rein contribue pour près de 30 % au
Qh = débit hépatique afférent (somme des débits de l’artère hépa- métabolisme du propofol par glucuronoconjugaison.
tique et de la veine porte), valeur moyenne chez l’adulte :
1,4 l min−1 ; Caff = moyenne de la concentration dans l’artère hépa- Clairance tissulaire
tique et la veine porte ; Ceff = concentration dans les veines D’autres tissus tels le sang, les muscles, le poumon et l’intestin
sus-hépatiques. possèdent les différentes enzymes (CYP, estérases, glucuronyl-
Si tout le médicament était capté par le foie lors d’un seul transférases, sulfotransférases, glutathion-S-transférases) capables
passage, la clairance hépatique serait égale au débit sanguin hépa- de métaboliser les médicaments. À l’exception de certains médi-
tique. Mais le plus souvent, une certaine fraction du médicament caments comme le rémifentanil, ces tissus ont un rôle limité dans
n’est pas captée et quitte le foie par les veines sus-hépatiques. l’élimination des anesthésiques.
La fraction captée par le foie est exprimée par le coefficient
d’extraction (CE) qui est le rapport :
Effet de premier passage pulmonaire
Caff − Ceff
CE = Lorsqu’un médicament est administré par voie intraveineuse, il
Caff
doit traverser le filtre pulmonaire avant d’atteindre la circulation
La clairance hépatique est : artérielle systémique. Le poumon doté de fonctions métabo-
C − C  liques intervient dans le métabolisme de substances endogènes
aff eff
Clh = Qh × CE = Qh comme l’angiotensine et les catécholamines. Son rôle dans le
Caff métabolisme des anesthésiques est plus limité. En revanche, il
Le CE des anesthésiques est résumé dans le Tableau 6. La relation capte certains médicaments et les relargue secondairement dans
entre la clairance, le débit hépatique et le coefficient d’extraction la circulation systémique par les veines pulmonaires. Cette cap-
est décrite dans la Figure 4 [18] . Si le CE est élévé (> 0,7) (proche tation transitoire réalise un véritable effet de premier passage
de 1 pour le propofol), la clairance est proportionnelle au Qh pulmonaire. Ce phénomène qui a été identifié pour les opiacés
(médicament à métabolisme débit-dépendant). Si le CE est infé- et les anesthésiques locaux modifie la cinétique initiale de ces

EMC - Anesthésie-Réanimation 5
Téléchargé pour moncef alawi (alawimoncef@gmail.com) à University of Tunis El Manar Faculty of Medicine of Tunis à partir de ClinicalKey.fr par Elsevier
sur mars 21, 2023. Pour un usage personnel seulement. Aucune autre utilisation n´est autorisée. Copyright ©2023. Elsevier Inc. Tous droits réservés.
36-304-A-10  Principes de pharmacocinétique appliqués à l’anesthésie

Débit-dépendant (propofol) Figure 5. Triangle de Blashke. En fonction de leur


coefficient d’extraction hépatique (CE) et de leur fixa-
tion aux protéines, les médicaments peuvent être
placés sur ce triangle selon trois classes : débit-
C dépendant, capacité-dépendant et fixation sensible,
o 0,8 capacité-dépendant et fixation insensible. Les agents
e
f sont d’abord positionnés de bas en haut selon leur CE :
f en haut, pour les molécules fortement extraites dont la
i
c clairance est dépendante du débit, la liaison protéique
i 0,6 a peu d’influence sur l’élimination : la clairance est dite
e
n « non restrictive », débit-dépendante (exemple : propo-
t fol). Pour un médicament ayant un CE faible et une
d' 0,4 fixation faible aux protéines, la clairance hépatique est
e capacité-dépendante et insensible à la fixation aux pro-
x
t téines. À l’inverse, si le CE est faible et la fixation aux
r protéines importante, la clairance hépatique est sen-
a
c 0,2 sible aux variations du taux de fixation aux protéines
t (exemples : diazépam, alfentanil) (d’après [20] ).
i
o
Capacité-dépendant n Capacité-dépendant
et fixation insensible et fixation sensible
0 20 50 80 100
Fixation aux protéines (%)

médicaments. De plus, ce captage pulmonaire transitoire limite la Tableau 7.


toxicité systémique en cas d’injection intravasculaire accidentelle Liaisons aux protéines plasmatiques des anesthésiques (valeurs
d’anesthésiques locaux [21–25] . moyennes). Les médicaments acides faibles se lient surtout à l’albumine,
les bases faibles à l’alphaglycoprotéine acide (orosomucoïde).

Clairance plasmatique totale et aire Pourcentage de fixation (%)

sous la courbe Albumine


Thiopental 80–84
La clairance (Cl) plasmatique totale peut être calculée par
Propofol 98
la méthode de l’aire sous la courbe (ASC) (area under the curve
[AUC]) qui utilise l’aire sous la courbe de la concentration du Kétamine 26
médicament au cours du temps. L’aire sous la courbe correspond à Étomidate 71–75
la mesure de l’intégrale des concentrations instantanées pendant Midazolam 94
un intervalle de temps, par exemple de 0 à l’∞. Pour un modèle Alphaglycoprotéine acide
monocompartimental, l’équation est :
Anesthésiques locaux
∞ −kt X Cl
AUC = 0 C0 e dt ; en remplaçant C0 par V0 et k par V Lidocaïne 60–80
Bupivacaïne 95
AUC = V0 × Cl = Cl0 soit Cl = AUC
X V X X0
Ropivacaïne 94
x0 = dose de médicament administrée au temps 0 ; Opiacés
C0 = concentration au temps 0 ; V = volume de distribution Morphine 20–40
initial ; k = constante d’élimination.
Fentanyl 84
Le calcul de l’aire sous la courbe s’applique aussi aux modèles
multicompartimentaux pour les médicaments dont l’élimination Alfentanil 92
est d’ordre 1, c’est-à-dire dont la clairance est constante. Le calcul Sufentanil 92
de l’aire sous la courbe est indispensable pour définir la biodispo- Rémifentanil 80–92
nibilité d’un médicament administré par voie orale.

Demi-vie d’élimination
La partie terminale de la courbe de décroissance de la concen- Fixation aux protéines
tration plasmatique est linéaire et elle définit la demi-vie
d’élimination (t1/2 ␤ ou t1/2 ␥ selon que le modèle est à deux ou La plupart des anesthésiques se lient peu ou prou aux protéines
à trois compartiments) qui est le paramètre pharmacocinétique plasmatiques (Tableau 7). L’albumine lie les molécules faiblement
couramment utilisé pour préciser la vitesse d’élimination du acides (thiopental, midazolam, propofol) et l’␣1-glycoprotéine
médicament. La demi-vie est le temps nécessaire pour que la acide lie les molécules basiques (anesthésiques locaux, fenta-
quantité de médicament présente dans l’organisme diminue de nyl et dérivés). D’autres constituants plasmatiques (lipoprotéines)
50 %. Les variations de la demi-vie d’élimination sont dépen- et cellulaires (globules rouges) fixent à un moindre degré les
dantes non seulement des processus d’élimination, mais aussi du médicaments [20, 26–28] . Dans la période périopératoire, les concen-
volume de distribution selon la formule : trations plasmatiques de ces deux protéines évoluent de façon
indépendante et souvent opposée, l’albumine baisse alors que
t1/2 = 0, 693 × Vd /Cl l’␣1-glycoprotéine, protéine de l’inflammation, augmente. La
concentration plasmatique de l’albumine (35 à 50 g l−1 ) est plus
Vd = volume de distribution ; Cl = clairance plasmatique totale. élevée que celle de l’␣1-glycoprotéine acide (0,4 à 1 g l−1 ) et
En anesthésie, cette demi-vie d’élimination a moins d’intérêt donc ses capacités de fixation sont plus importantes. Dans une
puisqu’elle ne décrit pas la dissipation de l’effet pharmacologique. même situation clinique, on peut donc observer une augmenta-
Ainsi, la demi-vie d’élimination d’un bolus de propofol est de plu- tion de la fraction libre des anesthésiques fixés par l’albumine
sieurs heures alors que son effet clinique n’est que de quelques et une diminution de la fraction libre de ceux fixés par l’␣1-
minutes. glycoprotéine.

6 EMC - Anesthésie-Réanimation

Téléchargé pour moncef alawi (alawimoncef@gmail.com) à University of Tunis El Manar Faculty of Medicine of Tunis à partir de ClinicalKey.fr par Elsevier
sur mars 21, 2023. Pour un usage personnel seulement. Aucune autre utilisation n´est autorisée. Copyright ©2023. Elsevier Inc. Tous droits réservés.
Principes de pharmacocinétique appliqués à l’anesthésie  36-304-A-10

Effets sur la pharmacodynamie


“ Point fort En théorie, l’augmentation de la forme libre s’accompagne d’un
effet clinique augmenté. Néanmoins, pour les anesthésiques dont
l’effet pharmacologique est surtout lié à la phase initiale de dis-
L’augmentation de la fraction libre a surtout une impor- tribution, cette influence est limitée en raison de la dissociation
tance clinique pour les anesthésiques fortement fixés à rapide de la forme liée selon la loi d’action de masse :
l’albumine et dont le coefficient d’extraction hépatique k1
est élevé, comme c’est le cas pour le propofol. Cette aug- [médicament libre] + [sites des protéines] −

mentation de la fraction libre peut s’accompagner d’une ← k2
modification de l’effet pharmacologique. Cette action [médicament fixé ]
est cependant difficile à identifier car l’état physiolo-
gique (nourrisson, grossesse) ou l’affection qui modifie la k1 et k2 sont les constantes de dissociation. Lorsque la concen-
concentration plasmatique de l’albumine induit des varia- tration du médicament libre diminue, la réaction se déplace de la
tions (circulatoires, métaboliques, rénales) qui influencent droite vers la gauche, c’est-à-dire dans le sens de la dissociation de
la forme liée, et ainsi alimente le pool de la forme libre.
plus nettement la pharmacocinétique que les variations de
Un effet pharmacodynamique peut être observé pour les
la fraction libre de l’anesthésique. médicaments fortement fixés aux protéines, ayant un CE élevé
et une équilibration pharmacocinétique/pharmacodynamique
rapide comme c’est le cas des anesthésiques (propofol par
exemple). Dans les modèles PK/PD intégrés dans les seringues
Effets sur la pharmacocinétique électriques pour l’administration des anesthésiques sur le mode
AIVOC, les équations pharmacocinétiques devraient utiliser
Un effet bien identifié de la liaison aux protéines est la modi- les concentrations sanguines libres et non les concentrations
fication des paramètres pharmacocinétiques calculés, volume de totales. Peu de travaux ont évalué la précision améliorée de tels
distribution, clairance et demi-vie d’élimination. Si la fraction modèles.
libre augmente, le gradient de diffusion du médicament entre
le sang et les tissus augmente. La quantité de médicament
captée par les tissus augmente et il en résulte une augmentation
apparente du volume de distribution si celui-ci est calculé avec
 Concepts pharmacocinétiques
la concentration plasmatique totale du médicament et non sa
fraction libre (fu , u pour unbound). L’augmentation du volume de
Processus d’ordre zéro et d’ordre 1
distribution calculé est surtout nette si la distribution tissulaire Lorsque la variation d’un processus est constante en fonc-
est importante, c’est-à-dire si le Vdss est élevé, ce qui est le cas des tion du temps, le processus est dit « d’ordre zéro » (par exemple
anesthésiques intraveineux. métabolisme de l’alcool éthylique). La dénomination « ordre
fu p zéro » signifie que la variation est proportionnelle à la puissance
Vdss = × Vtiss + Vp zéro de la variable, c’est-à-dire que la variation est constante :
[fu tiss ] dx/dt = kx0 = k. La quantité de médicament éliminée est constante
fu p = forme libre plasmatique ; fu tiss = forme libre tissulaire ; et ne dépend pas de la concentration.
Vtiss = volume des tissus ; VP = volume plasmatique. La plupart des médicaments anesthésiques sont soumis à un
Si le volume tissulaire est nettement plus élevé que le volume processus d’ordre 1, ce qui signifie qu’une fraction constante
plasmatique, la formule montre que toute variation de fu p du médicament est éliminée pendant une période déterminée
entraîne une variation du Vdss . et ceci indépendamment de la dose ou de la concentration du
En revanche, le volume de distribution de la forme libre (fu p ) médicament. Un processus d’ordre 1 indique que les enzymes du
reste stable : métabolisme ne sont pas saturées. La fraction de médicament éli-
minée étant proportionnelle à la concentration plasmatique, la
Vd (fu ) = Vd (total) /fu p quantité éliminée est élevée quand la concentration est élevée et
plus faible lorsque la concentration est basse. La fraction éliminée
fu p = fraction libre plasmatique ; Vd(fu ) = volume de distribution est équivalente à la constante de vitesse d’élimination (rate cons-
de la forme libre ; Vd(total) = volume de distribution de la forme tant) du processus. Les constantes d’élimination sont indiquées
totale (libre et liée). par la lettre k et ont comme unité l’inverse du temps, min−1 ou
Par exemple, pour le thiopental, chez des patients en insuffi- h−1 . Ainsi, si 10 % du médicament sont éliminés par minute, la
sance rénale chronique avec hypoalbuminémie, la fu augmente constante d’élimination k est égale à 0,1 min−1 .
de 15,7 à 28 %. Le volume de distribution calculé est de 3,0 l kg−1 La valeur de la concentration x au temps t, x(t), est une
si le calcul utilise la concentration plasmatique totale, mais de intégrale du temps 0 au temps t :
1,5 l kg−1 si on utilise la fu , c’est-à-dire un Vd identique aux sujets
à fonction rénale normale [29] . x (t) = x0 × e–kt
La variation de la fraction fixée aux protéines influence aussi
la clairance calculée. Si le coefficient d’extraction hépatique est xo = valeur de x au temps zéro.
élevé, la fraction libre n’a pas d’influence sur le captage du médi- Si k est supérieur à zéro, x(t) augmente exponentiellement, si k
cament par le foie. En effet dans ce cas : Clint u × fu p >>> Qh est inférieur à zéro, x(t) diminue exponentiellement. En pharma-
(Clint u = clairance intrinsèque de la forme libre ; fu p = fraction plas- cocinétique, k est négatif car la concentration diminue (Fig. 6, 7).
matique libre) et la Clh ≈ Qh . En coordonnées semi-logarithmiques, la courbe est une droite
Si le CE est bas (Qh >>> Clint u × fu p ) la relation est : dont la pente est –k. Le temps nécessaire pour que la concentration
Clh = fu p × Clint ; c’est-à-dire que la clairance dépend de la fu p et xo diminue de 50 % est la demi-vie. En utilisant les logarithmes
de la capacité intrinsèque du foie à métaboliser le médicament. naturels, l’équation x(t) = xo × e–kt permet d’obtenir la relation :
Si la fu p augmente, la clairance augmente (médicaments dits t1/2 = 0,693/k
« capacité-dépendants » et clairance restrictive). Pour les processus d’ordre 1, la décroissance de la concentration
Les variations de Vd et de la clairance se répercutent sur la demi- plasmatique du médicament étant exponentielle, l’élimination
vie d’élimination. Pour les médicaments à CE élevé et si le volume atteint 97 % de la dose administrée en cinq demi-vies (Tableau 8).
de distribution tissulaire est important, la t1/2 dépend de la fu p Les phénomènes de distribution entre les compartiments
selon l’équation : t1/2 ≈ [0,693 (fu p /fu tiss ) × Vtiss ]/Qh obéissent aussi aux lois des processus d’ordre 1 et le concept des
Pour les médicaments à CE bas, la t1/2 est indépendante de fu p : constantes de distribution et de demi-vie s’appliquent avec les
t1/2 ≈ [0, 693 (Vtiss /fu tiss )] /Clint mêmes équations.

EMC - Anesthésie-Réanimation 7
Téléchargé pour moncef alawi (alawimoncef@gmail.com) à University of Tunis El Manar Faculty of Medicine of Tunis à partir de ClinicalKey.fr par Elsevier
sur mars 21, 2023. Pour un usage personnel seulement. Aucune autre utilisation n´est autorisée. Copyright ©2023. Elsevier Inc. Tous droits réservés.
36-304-A-10  Principes de pharmacocinétique appliqués à l’anesthésie

10 x0 = 10 Dose injectée Dose injectée

8
Dose injectée k12
Compartiment Compartiment
k = 0,5 Volume de
périphérique central
X (dose)

6 distribution k21

4 k k10

Modèle monocompartimental Modèle bicompartimental


2

0 Dose injectée
0 2 4 6 8 10
t (temps)
Figure 6. Décroissance de la concentration plasmatique en fonction Compartiment k12 k13 Compartiment
du temps. En coordonnées arithmétiques, la courbe est une exponen- Compartiment
d'équilibration d'équilibration
tielle dont l’équation est x(t) = xo × e–kt . Dans cet exemple avec des unités k21 central k31
rapide lente
arbitraires, x0 = 10 et k = 0,5.
k10

10 x0 = 10 Modèle tricompartimental
k = 0,5 Figure 8. Modèles compartimentaux. Le modèle bicompartimental
comporte un compartiment central et un seul compartiment périphé-
rique. Le modèle tricompartimental est le plus adapté à la description de
la cinétique des anesthésiques. Ce modèle comporte un compartiment
X (dose)

périphérique à distribution rapide et un compartiment à distribution lente


1 (cf. texte).

Modèles physiologiques
La pharmacocinétique peut être décrite en utilisant un modèle
anatomique et physiologique basé sur la distribution du débit
0.1 cardiaque vers les différents organes périphériques. Il est ainsi pos-
0 2 6 4 8 10 sible d’analyser les volumes et les clairances pour chaque organe
t (temps) et de construire un modèle pharmacocinétique pour l’organisme
entier en associant les différents organes [3, 5] . Ces modèles sont
Figure 7. La courbe de la Figure 6 est une droite de pente –k en
complexes et difficiles à mettre en œuvre car les mesures de tous les
coordonnées semi-logarithmiques (dose x = ordonnées en unités logarith-
débits sanguins régionaux et des concentrations afférentes et effé-
miques et temps = abscisses arithmétiques).
rentes ne sont pas réalisables chez l’homme [2, 5] . De plus, il a été
montré que la précision de ces modèles physiologiques n’était pas
Tableau 8. plus grande que celle des modèles compartimentaux. Un modèle
Pourcentage de médicament éliminé en fonction du temps (demi-vies). physiologique simplifié est décrit (cf. supra) (Fig. 2).
Demi-vies (n) % de médicament restant % de médicament
éliminé
Modèles pharmacocinétiques des compartiments
0 100 0
Les modèles compartimentaux simplifient les modèles phy-
1 50 50
siologiques. Dans ces modèles, les compartiments n’ont pas
2 25 75 d’équivalents anatomiques stricts. Le modèle le plus simple est
3 12,5 87,5 monocompartimental (Fig. 8) et contient un seul volume et une
4 6,25 93,75 seule clairance. Pour les médicaments anesthésiques, le modèle bi-
5 3,125 96,875
ou tricompartimental est plus adapté (Fig. 8). Ces modèles multi-
compartimentaux, appelés modèles mamillaires, comportent un
volume central sur lequel sont branchés des volumes périphé-
riques. La somme des volumes est le volume de distribution à
Modèles pharmacocinétiques l’état stable, Vdss .
L’objectif des modèles pharmacocinétiques est de prédire chez
un patient donné le plus précisément possible l’évolution des Modèle monocompartimental
concentrations du médicament dans l’organisme en fonction L’organisme est représenté par un réservoir unique et homogène
de la dose et du mode d’administration. Même si les modèles dans lequel est injecté en bolus une quantité de substance xo (x
pharmacocinétiques sont établis à partir d’études réalisées chez au temps zéro) (Fig. 3). La concentration initiale est xo /V (V est le
des patients représentatifs d’une population chirurgicale cou- volume du réservoir). Si l’on veut obtenir la concentration cible
rante, il existe une discordance d’importance variable selon le Ct (target), la dose à administrer est : dose = Ct × V
modèle entre les concentrations prédites et celles réellement Si la substance est éliminée du réservoir à un taux constant
mesurées [10, 11, 14, 15] . Néanmoins, les modèles décrits ci-dessous (clairance), on a l’équation suivante :
ont une précision acceptable en clinique pour le calcul de la dose
(en bolus ou en perfusion) nécessaire pour atteindre et mainte- dx x
= Cl
nir une concentration plasmatique prédéfinie. La prédiction de dt V
la cinétique des concentrations plasmatiques et au site d’action dx/dt est le taux d’élimination de la substance en fonction du
est encore améliorée par des ajustements appliqués aux modèles temps, x est la quantité de médicament présente dans l’organisme
pharmacocinétiques classiques (cf. infra). et Cl est la clairance.

8 EMC - Anesthésie-Réanimation

Téléchargé pour moncef alawi (alawimoncef@gmail.com) à University of Tunis El Manar Faculty of Medicine of Tunis à partir de ClinicalKey.fr par Elsevier
sur mars 21, 2023. Pour un usage personnel seulement. Aucune autre utilisation n´est autorisée. Copyright ©2023. Elsevier Inc. Tous droits réservés.
Principes de pharmacocinétique appliqués à l’anesthésie  36-304-A-10

Dose initiale = 100 mg Dose initiale = 100 mg Figure 9. Modèle monocompartimental avec une élimina-
tion linéaire d’ordre 1. À deux minutes et à quatre minutes
Temps = Temps = après un bolus de 100 mg, la concentration dans le réservoir
2 min 4 min est respectivement de 10 et de 5 mg l−1 . En tenant compte
de l’élimination (50 % de la dose à 2 min, 75 % de la dose à
4 min), le volume du réservoir est de 5 l.
Volume du réservoir = 5 l

Sang ou plasma Sang ou plasma


–1
Concentration = 10 mg l Concentration = 5 mg l–1
Volume de distribution = Volume de distribution =
50 mg/10 mg l–1 = 5 l 25 mg/5 mg l–1 = 5 l

100
100
Rapide
Concentration (ng ml–1)

Concentration
10
C(t ) = Ae–αt
10
C(t ) = Be–βt

C(t ) = Ce–γ t
Intermédiaire C(t ) = Ae–αt + Be–βt + Ce–γ t

Lent
1 1
0 60 120 180 240
0 120 240 360 480 600 Temps après le bolus (min)
Temps après le bolus (min) Figure 11. Courbe de décroissance en fonction du temps avec trois
Figure 10. Courbe de décroissance en fonction du temps de la concen- parties et leur expression mathématique.
tration plasmatique après injection d’un bolus de fentanyl. La courbe
comporte trois parties correspondant à la distribution, à la redistribution Le modèle tricompartimental peut être décrit par un modèle
et à l’élimination. Le modèle hydraulique visualise ces trois phases. La hydraulique à trois réservoirs (Fig. 10). Ce modèle, très didac-
hauteur dans chaque réservoir correspond à la concentration du fentanyl. tique, a été développé par Mapleson pour les anesthésiques
Le tuyau partant du réservoir central vers l’extérieur représente la clai- halogénés [30, 31] . Il visualise l’évolution des concentrations et les
rance métabolique (élimination) (cf. texte). Durant la phase terminale, la directions des flux entre les compartiments au cours du temps, la
courbe devient linéaire car la diminution de la concentration plasmatique taille des réservoirs et le diamètre des tuyaux de connexion étant
est essentiellement liée à l’élimination par métabolisme. proportionnels, respectivement aux volumes des compartiments
et aux débits sanguins régionaux.
Dans le modèle tricompartimental, la courbe de décroissance
Le processus d’élimination étant d’ordre 1 (Fig. 9), la pharmaco- de la concentration plasmatique en fonction du temps est décrite
cinétique est linéaire et le volume et la clairance sont constants : par la somme de trois exponentielles :
Cl/V = k
k = constante de vitesse d’élimination. C (t) = Ae–␣t + Be–␤t + Ce–␥t
En introduisant la demi-vie (équation t1/2 = 0,693/k), on obtient
la relation : t = temps depuis le bolus ; C(t) = concentration au temps t après
une dose bolus ; et A, ␣, B, ␤, C, ␥ sont les paramètres du modèle
V V
t1/2 = 0, 693 soit t1/2 ≈ pharmacocinétique.
Cl Cl Au temps 0 (t0 ) l’équation se simplifie : C0 = A + B + C
Modèles multicompartimentaux La somme des coefficients A, B et C est égale à la concentration
La pharmacocinétique des anesthésiques nécessite un modèle immédiatement après l’injection d’un bolus.
plus complexe que le modèle à un compartiment. La courbe Dans sa représentation figurée, ce modèle comporte des micro-
exponentielle qui décrit l’évolution de la concentration plasma- constantes de transfert qui définissent le taux de transfert entre
tique après l’administration d’un bolus comporte trois parties les différents compartiments (Fig. 8). Le compartiment 0 est
dont la pente diminue en fonction du temps (Fig. 10, 11). Les en dehors du modèle et correspond à l’élimination : k10 est la
trois phases correspondent schématiquement à une phase de microconstante de transfert qui définit l’élimination, c’est-à-dire
distribution rapide, une phase intermédiaire et une phase ter- la sortie définitive du médicament de l’organisme. Les micro-
minale. La phase initiale correspond à la distribution à partir constantes k12 et k21 , k13 et k31 décrivent les transferts entre les
du compartiment central (volume sanguin circulant et premier compartiments périphériques et le compartiment central. Dans
passage pulmonaire) vers les tissus périphériques richement vas- le modèle hydraulique, les microconstantes de transfert corres-
cularisés. La phase intermédiaire correspond à la distribution plus pondent aux tuyaux qui relient les réservoirs.
lente vers les tissus moyennement vascularisés et au retour du La raison principale de l’utilisation en clinique de l’équation
médicament à partir des tissus à équilibration rapide (début de la triexponentielle est qu’elle décrit assez exactement l’évolution
redistribution). La phase terminale est essentiellement la phase temporelle de la concentration plasmatique du médicament
d’élimination, mais la redistribution a aussi lieu lors de cette administré en bolus. Cependant, ce modèle tricompartimental
phase. Durant cette phase d’élimination, la concentration plas- est peu précis dans sa prévision de la concentration plasmatique
matique est inférieure à la concentration tissulaire, le médicament au tout début de l’injection (bolus ou perfusion). Durant cette
est transféré des tissus vers le plasma et du plasma il est éliminé phase initiale, la concentration plasmatique varie rapidement et
par le métabolisme et l’excrétion. le concept de cinétique précoce (front-end kinetics) introduit les

EMC - Anesthésie-Réanimation 9
Téléchargé pour moncef alawi (alawimoncef@gmail.com) à University of Tunis El Manar Faculty of Medicine of Tunis à partir de ClinicalKey.fr par Elsevier
sur mars 21, 2023. Pour un usage personnel seulement. Aucune autre utilisation n´est autorisée. Copyright ©2023. Elsevier Inc. Tous droits réservés.
36-304-A-10  Principes de pharmacocinétique appliqués à l’anesthésie

450 1,0
Fentanyl

Probabilité de l'effet analgésique


0,9
400 Alfentanil
Sufentanil 0,8
350 Propofol 0,7 Effet
Demi-vie contextuelle (min)

Midazolam analgésique γ
Thiopental 0,6 50 %
300
0,5
250 0,4

200 0,3
0,2
150
0,1
C50
100 0,0
0 1 2 3 4 5 6
50 Concentration de fentanyl (ng ml–1)
Figure 13. Relation entre la concentration plasmatique de fentanyl et
0
l’effet analgésique (0,0 = pas d’effet, 1,0 = effet analgésique maximal). La
4 60 82 10
courbe a une forme sigmoïde. La C50 est la concentration pour laquelle
Durée de la perfusion (h) l’effet analgésique est égal à 50 % de l’effet maximal. La pente de la courbe
Figure 12. Demi-vies contextuelles des principaux anesthésiques (cf. est ␥.
texte). D’après [33] .
écart entre les paramètres prédits et ceux réellement mesurés,
phénomènes de recirculation précoce et décrit la pharmacociné- une variation de près de 100 % n’étant pas rare. La variabilité
tique dans les premières minutes, période essentielle puisque c’est pharmacodynamique est même plus importante puisqu’il est
la phase d’installation de l’effet pharmacologique [32] . Le modèle fréquent d’observer que pour un effet donné, la concentration
classique admet que le médicament introduit dans le volume cen- plasmatique nécessaire varie de 1 à 5, voire plus chez certains
tral (Vc) est dilué presque instantanément et de façon homogène sujets [14, 15] . Cette variabilité n’est pas gênante pour les anesthé-
dans ce volume. Si initialement le volume central peut être assi- siques ayant une marge de sécurité importante. En revanche,
milé au volume sanguin circulant, dans la réalité il varie dans le lorsque l’anesthésique a des effets secondaires (dépression car-
temps et augmente en fonction des conditions physiologiques et diovasculaire, dépression ventilatoire), une titration plus précise
des propriétés physicochimiques du médicament. Ceci explique est nécessaire. Diverses solutions sont proposées pour amélio-
que plus la mesure de la concentration sanguine est précoce, plus rer la prévision statistique des modèles pharmacocinétiques.
petit est le volume central calculé. La plupart des modèles pharma- Parmi celles-ci, il y a la pharmacocinétique de population et
cocinétiques surestiment le Vc car ils ne prennent pas en compte la méthode bayésienne [34–36] . L’analyse de population a pour
la complexité de la mixique initiale. Si ces modèles où le Vc est objectif d’intégrer les variations inter-individuelles des para-
surestimé sont utilisés dans les logiciels de l’AIVOC, la concentra- mètres pharmacocinétiques et des effets pharmacodynamiques.
tion sanguine réelle dépasse la concentration cible au début de la L’approche bayésienne (Bayes 1702–1761) est une méthode
mise en route, mais aussi ultérieurement. Les modèles pharmaco- statistique qui pondère la contribution de chaque individu à
cinétiques qui tiennent compte de la recirculation précoce se sont l’estimation des paramètres de la population globale. La méthode
révélés plus précis pour une utilisation en mode AIVOC [32] . bayésienne utilise un modèle de régression non linéaire, dont
un logiciel d’application, dénommé par l’acronyme NONMEM
(non-linear mixed effects modeling), a été introduit par Sheiner et
Cinétique terminale et demi-vie contextuelle Beal en 1979 [37] . Cette méthode, très largement utilisée, analyse
En clinique, il est intéressant de connaître la cinétique de une population comportant un nombre important de sujets
décroissance de la concentration plasmatique à l’arrêt d’une per- et a pour avantage de ne nécessiter qu’un nombre réduit de
fusion continue car elle permet de prédire le délai de réveil. Cette mesures de la concentration sanguine du médicament chez
cinétique terminale (back-end kinetics) est représentée par le temps un sujet donné. En revanche, son inconvénient est de recourir
de décroissance ou temps nécessaire pour que la concentration à des calculs complexes. Néanmoins, cette méthode est très
plasmatique atteigne une certaine valeur, par exemple pour le pro- utilisée pour l’analyse des études pharmacocinétiques et leurs
pofol, la concentration pour laquelle le sujet répond aux ordres applications cliniques.
simples. Le temps de décroissance dépend de la durée de per-
fusion et s’allonge avec celle-ci. Cet allongement est le témoin
d’une accumulation du médicament dans les tissus périphériques.  Pharmacodynamie
Le temps de décroissance de 50 %, temps nécessaire pour que la
concentration plasmatique au moment de l’arrêt de la perfusion Ce qui intéresse le clinicien, c’est le profil cinétique de
diminue de moitié, est la demi-vie contextuelle (Fig. 12) [33] . Plus l’action pharmacodynamique de l’anesthésique, c’est-à-dire le
la demi-vie contextuelle est courte, plus rapide est le réveil. En délai d’installation, l’intensité de l’effet et sa durée. En grande par-
pratique, il est souvent plus intéressant de connaître le temps de tie ce profil cinétique dépend de l’évolution de la concentration
décroissance à 90 %, concentration plus proche de celle nécessaire efficace (CE ou EC effective concentration) de l’anesthésique au site
à la dissipation de l’effet clinique. d’action. Cette concentration n’étant pas mesurable en pratique,
elle est assimilée à la concentration plasmatique.
Pour la plupart des médicaments, dont les anesthésiques, la
Pharmacocinétique de population relation entre la concentration plasmatique et l’intensité de
Un des objectifs des modèles pharmacocinétiques est l’effet est décrite par une courbe sigmoïde (Fig. 13). L’équation
l’utilisation optimale des anesthésiques selon leurs diverses standard qui décrit cette relation est l’équation de Hill :
modalités d’administration (bolus unique, bolus itératifs, perfu- Cy
sion intraveineuse avec ou sans objectif de concentration). Les Effet = E0 + (Emax − E0 ) y
modèles pharmacocinétiques et leurs équations d’application C50+ Cy
décrits ci-dessus sont dérivés de mesures réalisées chez des sujets E0 = effet en l’absence du médicament ; Emax = effet maximal ; C
sains ou chez des groupes de patients définis. Lorsque ces modèles est la concentration ou la dose ; ␥ est le coefficient de Hill qui
sont appliqués à tous les patients chirurgicaux, on constate un représente la pente de la courbe dans sa partie dynamique ; C50

10 EMC - Anesthésie-Réanimation

Téléchargé pour moncef alawi (alawimoncef@gmail.com) à University of Tunis El Manar Faculty of Medicine of Tunis à partir de ClinicalKey.fr par Elsevier
sur mars 21, 2023. Pour un usage personnel seulement. Aucune autre utilisation n´est autorisée. Copyright ©2023. Elsevier Inc. Tous droits réservés.
Principes de pharmacocinétique appliqués à l’anesthésie  36-304-A-10

est la concentration pour laquelle l’effet est égal à 50 % de l’effet


maximal.
À la phase initiale de l’administration d’un anesthésique (en
bolus ou en perfusion continue), il y a un délai dans l’installation
“ Point fort
de l’effet clinique qui est lié à la distribution de l’agent, à sa
Les caractéristiques (délai d’installation, régression, inten-
pénétration tissulaire, sa fixation au récepteur et à l’induction
des processus intracellulaires qui déclenchent l’effet pharmaco- sité) de l’effet pharmacodynamique d’un anesthésique
logique. sont en grande partie dépendantes de l’évolution de sa
concentration au site d’action (concentration au site effet
Ce ). La Ce est dépendante de la pharmacocinétique de
l’anesthésique. En pratique, pour adapter les doses de
“ Point fort l’anesthésique à l’effet pharmacodynamique recherché, les
données cinétiques et dynamiques sont associées dans des
modèles désignés par le sigle PK/PD.
Trois types principaux de récepteurs, localisés au niveau de
la membrane cellulaire, sont impliqués dans l’action des
agents anesthésiques. Ce sont les récepteurs liés à la pro- Ce = concentration au site d’action ; Cp = concentration plasma-
téine G (opioïdes), les canaux ioniques ligand-dépendants tique, ke0 = constante d’élimination du site d’action.
(hypnotiques, benzodiazépines, kétamine, myorelaxants), La demi-vie d’équilibration entre le plasma et le site d’action est
les canaux ioniques voltage-dépendants (anesthésiques 0,693/ke0 . Ainsi, la constante ke0 influence de façon importante la
locaux). cinétique d’installation de l’effet clinique, la dose requise pour un
certain effet clinique et le délai de dissipation de l’effet (Fig. 16).
L’évolution des concentrations plasmatiques et des concentra-
tions au site d’action du fentanyl et de la morphine objective les
Ce décalage entre concentration plasmatique (Cp) et effet est propriétés PK/PD très différentes des deux opioïdes (Fig. 17).
aussi observé dans la phase de régression de l’effet clinique.
Ce décalage entre Cp et effet clinique se traduit sur la courbe
concentration–effet par un hystérisis, c’est-à-dire que pour une Interactions pharmacologiques des agents
même concentration plasmatique, l’effet est plus important au
moment de la décroissance de la concentration plasmatique
anesthésiques
(Fig. 14). L’interaction entre deux anesthésiques, habituellement de
Le site d’action, le plus souvent un récepteur, est situé dans la classes pharmacologiques différentes, en fonction de leur dose est
biophase qui est en dehors des compartiments du modèle phar- illustrée de façon graphique par la méthode isobolographique.
macocinétique standard. Les isobologrammes sont les courbes des isoboles qui repré-
Pour décrire la relation PK/PD, il est nécessaire d’adjoindre sentent l’évolution de l’effet pharmacologique en fonction des
au modèle tricompartimental un compartiment supplémentaire
appelé compartiment « site effet » (Fig. 15). Les transferts de
l’anesthésique entre le compartiment « site effet » et le compar-
Dose injectée
timent central sont décrits avec des microconstantes de transfert
k1e (transfert du volume central vers le site effet) et ke0 (élimi-
nation du site effet). La concentration au site d’action (Ce ) est
une concentration théorique car le compartiment « site effet » n’a Compartiment k12 k13 Compartiment
pas de volume estimé et la quantité de médicament transférée du Compartiment
d'équilibration d'équilibration
volume central vers le site effet est négligeable. L’équation qui relie k21 central k31
rapide lente
la concentration plasmatique à la concentration au site d’action
est : k10
dCe   k1e
= ke0 × Cp − Ce ke0
dt Site effet

Figure 15. Modèle tricompartimental avec adjonction d’un comparti-


ment effet (cf. texte).
100
Variation EEG (% du maximum)

90
80 8
70 ke0 0,2
Concentration au site effet (µg ml–1)

60 ke0 0,4
50 Régression 6
ke0 0,8
Installation
40
30
20 4

10
0
0 10 20 30 40 50
0 60 2
–1)
Concentration plasmatique ou au site d'action (ng ml
Figure 14. Courbe concentration–effet du fentanyl à l’installation et
à la régression de l’effet sur l’électroencéphalogramme (EEG). Pour un 0
même effet sur l’EEG, la concentration est très différente au début et à 4 6 0 8 2 10
la régression de l’effet clinique (hystérésis) (cf. texte). Les cercles bleus Temps (min)
correspondent aux dosages réalisés chez plusieurs sujets. La courbe mar- Figure 16. Effet de la constante ke0 sur le délai d’installation de l’effet
ron est la réponse moyenne obtenue par association des deux courbes, pharmacologique maximal. Lorsque ke0 diminue de 0,8 à 0,2, ce délai
ascendante et descendante (d’après [5] ). s’allonge et la concentration maximale au site d’effet diminue (d’après [5] ).

EMC - Anesthésie-Réanimation 11
Téléchargé pour moncef alawi (alawimoncef@gmail.com) à University of Tunis El Manar Faculty of Medicine of Tunis à partir de ClinicalKey.fr par Elsevier
sur mars 21, 2023. Pour un usage personnel seulement. Aucune autre utilisation n´est autorisée. Copyright ©2023. Elsevier Inc. Tous droits réservés.
36-304-A-10  Principes de pharmacocinétique appliqués à l’anesthésie

1
1
Fentanyl (concentration normalisée)

Morphine (concentration normalisée)


0,5 0,5

0,1
0,2
Site effet
0,03 Plasma
0,1
0,01 Site effet
Plasma
0,05
0,003

0.02 0,001
30 40 50 60 0 10 0
20 15 30 45 60 75 90 105 120
Temps (min) A Temps (min) B
Figure 17. Propriétés pharmacocinétique/pharmacodynamie (PK/PD) du fentanyl (A) et de la morphine (B). La concentration de l’opiacé est normalisée
par le rapport Ce /Cpmax (Ce concentration au site d’action ; Cpmax = concentration plasmatique maximale après un bolus). Pour le fentanyl, la Ce atteint en
quelques minutes la valeur de la Cp et lui reste ensuite constamment supérieure. À l’inverse, la Ce de la morphine augmente lentement et ne dépasse la Cp
qu’après 105 minutes. On constate aussi que la morphine n’atteint que 1 % de la Cpmax . Néanmoins, malgré cette faible Ce , la morphine est un analgésique
efficace. La connaissance de la cinétique de la concentration au site d’action est dans ce cas plus utile que l’évolution de la Cp (d’après [17] ).

10
1,0
0,75
8
Concentration sanguine de

Effet
0,50
rémifentanil (ng ml–1)

0,25
6
0,00
3
Mé 2 6,0
4 dic 4,5
am
en 1 3,0
tA 1,5 nt B
0 icame
Méd

%
2

t 50
3
effe
0
Médicament A

ole

2 4 6 8 10 0 2
Isob

Concentration sanguine de propofol (µg ml–1)


Figure 18. Effet de l’association propofol et rémifentanil sur la sup-
pression de la réponse à la laryngoscopie. La courbe est l’isobole des 1
concentrations des deux anesthésiques administrés simultanément qui
suppriment la réponse chez 50 % des patients (isobole 50 %). Chaque
carré correspond à un patient ; carrés pleins = pas de réponse ; carrés 0
clairs = réponse (d’après [38] ). 3,0 4,5 6,0 0 1,5
Médicament B
Figure 19. Interaction pharmacodynamique entre deux médicaments,
concentrations plasmatiques (par exemple les CE50, concentra- analysée par la méthode des isobologrammes et celle des surfaces de
tion efficace 50 %) des deux anesthésiques. L’isobole représente réponse. Dans le cas de la figure, l’analyse par isobologramme ne four-
les différentes doses (ou concentrations) des deux anesthésiques nit que l’effet 50 % (courbe du bas). La forme de la courbe indique que
qui lorsqu’ils sont associés aboutissent au même effet (Fig. 18) [38] . l’interaction est synergique. La représentation tridimensionnelle des sur-
La forme de la courbe isobole identifie la nature de l’interaction faces de réponse fournit la fourchette complète des réponses possibles
entre les deux anesthésiques : interaction additive si la relation (aucun effet jusqu’à effet 100 %) (d’après [10] ).
est une droite et synergique si la courbe est une hyperbole.
L’association propofol–rémifentanil est synergique comme le
montre la Figure 18.
La représentation tridimensionnelle du concept des isoboles  Pharmacogénétique
est la méthode des surfaces de réponse (response surface). Celle-ci
en regroupant différentes isoboles objective la relation entre une La variabilité interindividuelle de l’action des médicaments
variable dépendante (effet pharmacodynamique) et deux entrées est expliquée par de nombreux facteurs, pharmacocinétiques et
(concentrations plasmatiques de deux anesthésiques adminis- pharmacodynamiques. Dans certains cas, cette variabilité est liée
trés simultanément). Cette représentation graphique précise les au polymorphisme génétique des enzymes du métabolisme ou
concentrations plasmatiques de deux anesthésiques, qui lorsqu’ils des protéines régulant l’activité des récepteurs (Tableau 9) [39–41] .
sont administrés simultanément, permettent d’obtenir l’effet Les variations des pseudocholinestérases plasmatiques ou butyryl-
pharmacologique souhaité (Fig. 19, 20). Ce modèle est appliqué à cholinestérases, responsables de curarisations prolongées lors de
l’administration de deux anesthésiques en mode AIVOC. Il permet l’administration de succinylcholine, sont connues depuis 1956.
d’adapter les doses aux différents temps opératoires (intubation, En anesthésie, les variations génétiques ayant un impact pratique
incision, maintenance et réveil) en évitant les sous- ou surdosages. sont surtout celles qui modifient l’activité du système des CYP,
Ce modèle est très pratique pour utiliser l’association optimale dont le CYP3A4. Celui-ci est le CYP le plus abondant dans le foie
permettant un réveil rapide [9, 13, 38] . et l’intestin et il intervient dans le métabolisme de nombreux

12 EMC - Anesthésie-Réanimation

Téléchargé pour moncef alawi (alawimoncef@gmail.com) à University of Tunis El Manar Faculty of Medicine of Tunis à partir de ClinicalKey.fr par Elsevier
sur mars 21, 2023. Pour un usage personnel seulement. Aucune autre utilisation n´est autorisée. Copyright ©2023. Elsevier Inc. Tous droits réservés.
Principes de pharmacocinétique appliqués à l’anesthésie  36-304-A-10

“ Points essentiels

Probabilité de non-réponse
100
• Les processus pharmacocinétiques fondamentaux sont
75 la dilution dans des volumes de distribution et la clairance.
Ces processus sont dépendants des propriétés physicochi-
50 miques des médicaments et de la capacité métabolique de
l’organisme. La plupart des médicaments anesthésiques
10 sont métabolisés au niveau du foie.
25
8 • La pharmacocinétique des anesthésiques est décrite
de par des modèles mathématiques qui comportent un
6 ine
0 n gu–1 ) compartiment central et un ou plusieurs compartiments
10 4 a
s ml
8 6 on
4 2 2 t r ati l (µg périphériques. Ces compartiments ne correspondent pas
Conce en pofo
n nc à une structure anatomique ou physiologique précise. La
de rém tration sang 0
Co pro
ifentan uin simulation par ordinateur permet de prédire l’évolution
il (ng m –1e
l ) temporelle de la concentration plasmatique en fonction
Figure 20. Effet de l’association propofol et rémifentanil sur la suppres- des différents modes d’administration (bolus ou perfusion
sion de la réponse à la laryngoscopie. Le modèle des surfaces de réponse intraveineuse continue).
est une représentation tridimensionnelle des relations entre d’une part les • La précision prédictive des modèles pharmacociné-
concentrations de propofol et de rémifentanil et d’autre part l’effet cli- tiques standards est améliorée par certaines méthodes
nique (probabilité de non-réponse à la laryngoscopie). Les isoboles 25, telles la cinétique initiale (front-end kinetic) et la pharmaco-
50 et 75 % sont identifiées (cf. texte) (d’après [38] ).
cinétique des populations associée à l’analyse bayésienne.
• Les médicaments induisent leur effet en se liant à des
récepteurs. L’intensité et la durée de l’effet pharmacolo-
gique dépendent de la concentration au site d’action et
Tableau 9.
Polymorphisme génétique modifiant la pharmacocinétique et la pharma- de son évolution en fonction du temps.
codynamie des anesthésiques. • La relation PK/PD décrit la relation entre la concentra-
tion au site d’action et l’effet clinique. Ce principe est
Modifications pharmacocinétiques
appliqué à l’administration des anesthésiques par la tech-
Polymorphisme des CYP3A4 et CYP3A5 : élimination ralentie du nique d’AIVOC.
midazolam
• L’interaction entre les agents anesthésiques peut être de
Polymorphisme du CYP2C19 : action prolongée et effet exagéré du
nature pharmacocinétique (induction ou inhibition enzy-
diazépam
matique, liaison aux protéines) ou pharmacodynamique
Polymorphisme du CYP2D6 : métabolisme ralenti de la codéine et du
(effet additif ou synergique). Les techniques anesthé-
tramadol
siques tirent avantage de la synergie entre les hypnotiques
Polymorphisme de la UDP-GT2B7 (glucuronyltransférase) :
glucuronation plus rapide de la morphine
et les opioïdes pour induire un niveau de profondeur
d’anesthésie pour des doses d’anesthésiques inférieures
Modifications pharmacodynamiques
aux doses nécessaires si chaque agent était utilisé seul.
Modification des récepteurs mu des opiacés : mutation du gène OPRM1, • La pharmacogénétique, essentiellement le polymor-
mutation A118G : moindre efficacité des opiacés dans la douleur aiguë
et chronique phisme des enzymes du métabolisme, explique certaines
des variabilités interindividuelles de l’effet des agents anes-
thésiques.

anesthésiques (opiacés, benzodiazépines, anesthésiques locaux).


Parmi les nombreuses mutations du CYP3A4, seule la mutation
CYP3A4*18 qui diminue le métabolisme et le CYP3A4*19 qui aug-
mente le métabolisme ont une importance clinique. Des variants Déclaration d’intérêts : l’auteur n’a pas transmis de déclaration de liens
d’intérêts en relation avec cet article.
génétiques ont été décrits pour le CYP2C19 et le CYP2D6 (aussi
appelé débrisoquine hydroxylase). Environ 10 % des sujets sont
homozygotes pour un variant inactif du CYP2D6. Chez ces indivi-
dus, la codéine, l’oxycodone et l’hydrocodone n’ont pas d’action
analgésique du fait de l’absence de transformation en métabolite
 Références
actif par O-méthylation. Une autre mutation du CYP2D6 accélère [1] Gupta DK, Henthorn TK. Pharmacologic principles. In: Barash PG,
le métabolisme (métaboliseurs rapides) de ces opiacés, aboutis- Cullen BF, Stoelting RK, Cahalan MK, editors. Clinical Anesthesia.
sant à une concentration plasmatique augmentée et à un risque Philadelphia PA: Wolters Kluwers, Lippincott-Williams and Wilkins;
de surdosage. 2009, p. 137–64.
[2] Shafer SL, Flood P, Schwinn DA. Basic principles of pharmacology.
In: Miller RD, Eriksson LI, Fleisher LA, Wiener-Kronish JP, Young
WL, editors. Miller’s Anesthesia. Philadelphia: Churchill Livingstone-
 Conclusion Elsevier; 2010, p. 479–513.
[3] Schnider TW, Minto CF. Principles of drug action. Principles of phar-
Les modèles pharmacocinétiques et leur application pratique macokinetics. In: Evers AS, Maze M, Kharasch ED, editors. Anesthetic
permettent l’utilisation optimale des anesthésiques adminis- pharmacology. Basic principles and clinical practice. Cambridge:
trés en bolus ou en perfusion continue. L’introduction de Cambridge University Press; 2011, p. 57–71.
diverses modifications dont la pharmacocinétique des popula- [4] Servin F, Sear JW. Essential drugs in anesthetic practice. Pharmaco-
tions et l’application du concept PK/PD a amélioré la précision kinetics of intravenous anesthetics. In: Evers AS, Maze M, Kharasch
des techniques d’administration, notamment selon le mode ED, editors. Anesthetic pharmacology. Basic principles and clinical
AIVOC. practice. Cambridge: Cambridge University Press; 2011, p. 420–43.

EMC - Anesthésie-Réanimation 13
Téléchargé pour moncef alawi (alawimoncef@gmail.com) à University of Tunis El Manar Faculty of Medicine of Tunis à partir de ClinicalKey.fr par Elsevier
sur mars 21, 2023. Pour un usage personnel seulement. Aucune autre utilisation n´est autorisée. Copyright ©2023. Elsevier Inc. Tous droits réservés.
36-304-A-10  Principes de pharmacocinétique appliqués à l’anesthésie

[5] Kim TK, Obara S, Johnson KB. Basic principles of pharmacology. [21] Tucker GT, Boas RA. Pharmacokinetic aspects of intravenous regional
In: Miller RD, Neal NH, Eriksson LI, Fleisher LA, Wiener-Kronish anesthesia. Anesthesiology 1971;34:538–49.
JP, Young WL, editors. Miller’s Anesthesia. Philadelphia: Saunders [22] Löfström JB. Tissue distribution of local anesthetics with special refe-
Elsevier; 2015, p. 590–613. rence to the lung. Int Anesthesiol Clin 1978;16:53–71.
[6] Forman SA. Principles of drug action. Pharmacodynamic principles of [23] Jorfeldt L. Lung uptake of lidocaine in healthy volunteers. Acta Anaes-
drug action. In: Evers AS, Maze M, Kharasch ED, editors. Anesthe- thesiol Scand 1979;23:567–74.
tic pharmacology. Basic principles and clinical practice. Cambridge: [24] Roerig DL, Kotrly KJ, Vucins EJ, Ahlf SB, Dawson CA, Kampine JP.
Cambridge University Press; 2011, p. 1–16. First pass uptake of fentanyl, meperidine and morphine in the human
[7] Egan TD, Minto CF. Principles of drug action. Pharmacodynamic drug lung. Anesthesiology 1987;67:466–72.
interactions in anesthesia. In: Evers AS, Maze M, Kharasch ED, edi- [25] Boer F. Drug handling by the lungs. Br J Anaesth 2003;91:50–60.
tors. Anesthetic pharmacology. Basic principles and clinical practice. [26] Wood M. Plasma drug binding: implications for anesthesiologists.
Cambridge: Cambridge University Press; 2011, p. 147–65. Anesth Analg 1986;65:786–804.
[8] Shafer SL, Gregg KM. Algorithms to rapidly achieve and main- [27] Benet LZ, Hoener BA. Changes in plasma protein binding have little
tain stable drug concentrations at the site of drug effect with clinical relevance. Clin Pharmacol Ther 2002;71:115–21.
a computer-controlled infusion pump. J Pharmacokinet Biopharm [28] Schmidt S, Gonzalez D, Derendorf H. Significance of protein bin-
1992;20:147–69. ding in pharmacokinetics and pharmacodynamics. J Pharm Sci
[9] Struys MM. Optimizing iv. drug administration by applying phar- 2010;99:1107–22.
macokinetic/pharmacodynamic concepts. Br J Anaesth 2011;107: [29] Burch PG, Stanski DR. Decresased protein binding and thiopental
38–47. kinetics. Clin Pharmacol Ther 1981;30:636–43.
[10] Struys MM, Absalom AR, Shafer SL. Intravenous drug delivery [30] Mapleson WW. Circulation-time models of the uptake of inha-
systems. In: Miller RD, Neal NH, Eriksson LI, Fleisher LA, Wiener- led anaesthetics and data for quantifying them. Br J Anaesth
Kronish JP, Young WL, editors. Miller’s Anesthesia. Philadelphia: 1973;45:319–34.
Saunders Elsevier; 2015, p. 920–57. [31] Davis NR, Mapleson WW. Structure and quantification of a physiologi-
[11] Vuyk J, Sitsen E, Reekers M. Intravenous anesthetics. In: Miller RD, cal model of the distribution of injected agents and inhaled anaesthetics.
Neal NH, Eriksson LI, Fleisher LA, Wiener-Kronish JP, Young WL, Br J Anaesth 1981;53:399–406.
editors. Miller’s Anesthesia. Philadelphia: Saunders Elsevier; 2015, p. [32] Avram MJ, Krejcie TC. Using front-end kinetics to optimize target-
821–63. controlled drug infusions. Anesthesiology 2003;99:1078–86.
[12] Price HL. A dynamic concept of the distribution of thiopental in the [33] Hughes M, Glass P, Jacobs R. Context-sensitive half time in multicom-
human body. Anesthesiology 1960;21:40–5. partment pharmacokinetic models for intravenous anesthetic drugs.
[13] Shafer SL, Varvel JR. Pharmacokinetics, pharmacodynamics, and Anesthesiology 1992;76:334–41.
rational opioid selection. Anesthesiology 1991;74:53–63. [34] Maitre PO, Stanski DR. Bayesian forecasting improves the prediction
[14] Minto CF, Schnider TW, Egan TD, Youngs E, Lemmens HJ, Gambus of intraoperative plasma concentrations of alfentanil. Anesthesiology
PL, et al. Influence of age and gender on the pharmacokinetics and phar- 1988;69:652–9.
macodynamics of remifentanil. I. Model development. Anesthesiology [35] Minto CF, Schnider TW. Expanding clinical applications of population
1997;86:10–23. pharmacodynamic modeling. Br J Clin Pharmacol 1998;46:321–33.
[15] Minto CF, Schnider TW, Shafer SL. Pharmacokinetics and pharma- [36] Wright PM. Population based pharmacokinetic analysis: why do we
codynamics of remifentanil. II. Model application. Anesthesiology need it; what it is; and what it has told us about anaesthetics. Br J
1997;86:24–33. Anaesth 1998;80:488–501.
[16] Kharasch ED. Principles of drug action. Principles of drug biotrans- [37] Sheiner LB, Beal S, Rosenberg B, Marathe VV. Forecasting individual
formation. In: Evers AS, Maze M, Kharasch ED, editors. Anesthetic pharmacokinetics. Clin Pharmacol Ther 1979;26:294–305.
pharmacology. Basic principles and clinical practice. Cambridge: [38] Mertens MJ, Olofsen E, Engbers FH, Burm AG, Bovill JG, Vuyk J. Pro-
Cambridge University Press; 2011, p. 72–89. pofol reduces perioperative remifentanil requirements in a synergistic
[17] Gupta DK, Krejcie TC, Avram MJ. Essential drugs in anesthetic prac- manner: response surface modeling of perioperative remifentanil-
tice. Pharmacokinetics of opioids. In: Evers AS, Maze M, Kharasch propofol interactions. Anesthesiology 2003;99:347–59.
ED, editors. Anesthetic pharmacology. Basic principles and clinical [39] Hogan K. Principles of drug action. Principles of pharmacogenetics.
practice. Cambridge: Cambridge University Press; 2011, p. 509–30. In: Evers AS, Maze M, Kharasch ED, editors. Anesthetic pharmaco-
[18] Wilkinson GR, Shand DG. A physiologic approach to hepatic drug logy. Basic principles and clinical practice. Cambridge: Cambridge
clearance. Clin Pharmacol Ther 1975;18:377–90. University Press; 2011, p. 132–46.
[19] Nies AS, Shand DG, Wilkinson GR. Altered hepatic blood flow and [40] Landau R, Bollag LA, Kraft JC. Pharmacogenetics and anaesthesia:
drug disposition. Clin Pharmacokinet 1976;1:135–55. the value of genetic profiling. Anaesthesia 2012;67:165–79.
[20] Blaschke TF. Protein binding and kinetics of drugs in liver diseases. [41] Vuilleumier PH, Stamer UM, Landau R. Pharmacogenomic considera-
Clin Pharmacokinet 1977;2:32–44. tions in opioid analgesia. Pharmacogenomics Pers Med 2012;5:73–87.

J.-P. Haberer, Professeur honoraire d’anesthésie–réanimation (jeanpierre.haberer@gmail.com).


Faculté de Médecine, Université René-Descartes Paris V, 15, rue de l’École-de-Médecine, 75006 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Haberer JP. Principes de pharmacocinétique appliqués à l’anesthésie. EMC - Anesthésie-Réanimation
2016;13(2):1-14 [Article 36-304-A-10].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

14 EMC - Anesthésie-Réanimation

Téléchargé pour moncef alawi (alawimoncef@gmail.com) à University of Tunis El Manar Faculty of Medicine of Tunis à partir de ClinicalKey.fr par Elsevier
sur mars 21, 2023. Pour un usage personnel seulement. Aucune autre utilisation n´est autorisée. Copyright ©2023. Elsevier Inc. Tous droits réservés.

Vous aimerez peut-être aussi