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MENDICITÉ, VAGABONDAGE ET CONTRÔLE SOCIAL DU MOYEN ÂGE AU

XIXE SIÈCLE : ÉTAT DES RECHERCHES

Antony Kitts

Comité d'histoire de la sécurité sociale | « Revue d'histoire de la protection sociale »

2008/1 N° 1 | pages 37 à 56
ISSN 1969-9123
DOI 10.3917/rhps.001.0037
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Antony Kitts
Doctorant en histoire contemporaine
à l’université de Rouen

Mendicité,
vagabondage
et contrôle sociaL
du moyen âge
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au XIXe siècLe :
état des recherches

Revue d’Histoire de la Protection SociaLe n°1 décembre 2008


page 38

P
armi les figures historiques du monde des marginaux, les mendiants
et les vagabonds ont traversé les siècles sans jamais cesser d’inquié-
ter les autorités qui, au gré des perceptions sociales, ont oscillé en
permanence entre assistance et répression. Si jusqu’au XIVe siècle
l’image du pauvre mendiant errant s’incarne encore le plus souvent dans le pau-
vre christique, recevant l’aumône et jouant le rôle d’intercesseur auprès de Dieu
pour ses donateurs, celle-ci se dégrade dans un contexte de crise (Guerre de cent
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ans, peste noire), au point de distinguer de plus en plus le « faux » pauvre valide
du « vrai » pauvre malade et infirme. À partir du XVIe siècle, cette stigmatisation
s’impose durablement dans une société où leurs comportements remettent en
cause des valeurs comme la sédentarité et le travail. « Demeurant partout » et
nulle part, ces marginaux sont en effet perçus comme des êtres oisifs, des « inu-
tiles au monde » sans attache communautaire ou territoriale.
Ces diverses représentations révèlent ainsi l’ambivalence des attitudes d’une
société, hésitant entre la compassion et la peur ce dont témoigne l’abondante
littérature qui leur a été consacrée depuis le moyen âge1. D’une manière géné-
rale, on assiste à une pénalisation croissante de la mendicité et du vagabon-
dage, même si la société porte un regard plus indulgent à l’égard du mendiant.
Paradoxalement ces visages de la marginalité sont demeurés longtemps à l’écart
de la recherche historique, car l’histoire de la mendicité et du vagabondage reste
une histoire par définition difficile à saisir, incertaine, pour des hommes et des
femmes qui s’expriment peu et dont les sources émanent toujours ou presque
des représentants du pouvoir. Pourtant, depuis les années 1970, plusieurs
travaux ont été menés surtout pour le moyen âge et l’époque moderne, travaux

1  Chartier Roger, Figures de la voet Guido, Godding Philippe et Kalifa Dominique (sous la direction
gueuserie, Paris, Montalba, 1982 ; van den Auweele Dirk, Langage et de), Les Exclus en Europe 1830-
Geremek Bronislaw, Les fils de droit à travers l’histoire, réalités 1930, Paris, Les Éditions de l’Atelier,
Caïn. L’image des pauvres et des et fictions, Louvain, Paris, Peeters, 1999, p. 49-58 ; Dauven Bernard,
vagabonds dans la littérature 1989, p. 147-183 ; Carcamo Juan « La genèse d’une législation sur
européenne du XVe au XVIIe siècle, Gracia, Mendigos y vagabundos le vagabondage en Brabant et en
Paris, Flammarion, 1991. en Vizcaya (1766-1833), Bilbao, Hainaut aux XVe et XVIe siècles »,
2  Rousseaux Xavier, « L’incrimina- Universidad del Pais Vasco, 1993 ; Bulletin des anciennes lois et
tion du vagabondage en Brabant Fatela Joao, « Les milles visages du ordonnances de Belgique, 2004,
(XIVe-XVIIIe siècles) », in van Die- vadio portugais », in Gueslin André, n° 45, p. 11-98.
Mendicité,
vagabondage
qui ne sont d’ailleurs pas propres à la France puisque des historiens européens2 et contrôLe sociaL
et nord-américains3 ont aussi travaillé sur cette question sociale. du moyen âge au
xIXe siècle
Antony Kitts

Mendiants et vagabonds :
un moment dans l’historiographie française 39

Depuis plusieurs décennies, l’histoire de la pauvreté et des marginaux s’est en


effet enrichie de nombreux travaux. Pourtant, il a fallu attendre la fin des années
1960 et le mouvement de Mai 1968 pour voir l’attention des historiens se porter
vers de nouveaux sujets d’études. Ce puissant mouvement de contestation trouve
alors un écho particulier dans l’historiographie française, qui réévalue le rôle des
marges et des marginaux4. Des pans entiers de la société, délaissés jusque-là,
investissent ainsi le champ de la recherche historique, qu’il s’agisse de l’histoire
des sorcières (Robert Muchembled), de la folie ou des prisons (Michel Foucault,
Michelle Perrot), de la violence (Arlette Farge), de la prostitution (Alain Corbin)
ou de la pauvreté (Michel Mollat, Bronislaw Geremek, Alan Forrest)5. À l’Univer-
sité de Paris VII-Jussieu, on voit même s’organiser pendant plusieurs années,
sous la direction de Bernard Vincent, un enseignement sur « les marginaux et
les exclus de l’histoire »6. Cette nouvelle histoire sociale ne se contentait plus de
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reproduire les discours des représentants du pouvoir, mais donnait la parole à
ces gens ordinaires. Aujourd’hui, cette histoire sociale présente une multitude
de visages7.
À cet égard, même s’ils sont longtemps restés absents de l’historiographie fran-
çaise, les mendiants et les vagabonds émergent à nouveau depuis une dizaine
d’années comme objets d’histoire. Situés au carrefour de l’histoire de la pau-
vreté et de la marginalité, ils ont été particulièrement étudiés pour le moyen âge
(Bronislaw Geremek) et la période moderne (Jean-Pierre Gutton)8. Mais pour la
période contemporaine, rares ont été les études sur ces marginaux, les historiens

3  Vandal Gilles, « Le vagabondage l’histoire », in Serge Paugam (sous la 7  « L’histoire sociale en mouve-
et la loi : les classes dangereuses à direction de), L’exclusion, l’état des ment », Le Mouvement social,
la Nouvelle-Orléans, 1850-1885 », savoirs, Paris, La Découverte, 1996, juillet-septembre 2002, n° 200 ;
Canadian Review of American p. 32-41 ; Schmitt Jean-Claude, Pigenet Michel, « L’histoire sociale en
Studies, automne 1991, n° 22-2, p. « L’histoire des marginaux », in Jac- question ; perspectives et enjeux »,
153-171 ; Laberge Danielle, Margi- ques Le Goff (sous la direction de), Histoire et sociétés. Revue européen-
naux et marginalité. Les États-Unis La Nouvelle Histoire, Bruxelles, Édi- ne d’histoire sociale, 2ème trimestre
aux XVIIIe et XIXe siècles, Paris, tions Complexe, 2006, p. 344-369. 2004, Hors série n° 1, p. 6-14.
l’Harmattan, 1997 ; Aranguiz Marcela, 5  Mollat Michel, Les Pauvres au 8  Geremek Bronislaw, aux XIVe
Vagabonds et sans abri à Montréal. Moyen Age, Bruxelles, Éditions et XVe siècles, Paris, Flammarion,
Perception et prise en charge de Complexe, 2006 (1ère édition : 1978) ; collection « L’histoire vivante »,
l’errance (1840 à 1925), Montréal, Geremek Bronislaw, La potence ou 1976 ; Gutton Jean-Pierre, La société
RCHTQ, 2000 ; Fecteau Jean-Ma- la pitié : l’Europe et les pauvres et les pauvres. L’exemple de la
rie, La liberté du pauvre. Crime et du Moyen Age à nos jours, Paris, généralité de Lyon, 1534-1789, Paris,
pauvreté au XIXe siècle québécois, Gallimard, 1987 ; Forrest Alan, Les PUF, 1971 ; L’État et la mendicité
Montréal, VLB éditeur, 2004. Pauvres et la Révolution, Paris, dans la première moitié du XVIIIe
4  Farge Arlette, « Marginaux », in Perrin, 1988. siècle, Auvergne, Beaujolais, Forez,
Burguière André (sous la direction 6  Les marginaux et les exclus Lyonnais, Lyon, Centre d’Études
de), Dictionnaire des Sciences histo- dans l’histoire, Cahier Jussieu, foréziennes, 1973 ; La société et les
riques, Paris, PUF, 1986, p. 436-438 ; printemps 1979, n° 5, Paris, UGE, pauvres en Europe (XVIe-XVIIIe
Castel Robert, « Les marginaux dans collection 10/18. siècles), Paris, PUF, 1974.

RHPS n°1 décembre 2008


privilégiant les recherches sur les mondes rural et ouvrier. Pourtant, après le
fameux article de Michelle Perrot9 et un ancien numéro des Cahier des Annales
de Normandie (l981)10, voire depuis l’essai de Jean-Claude Beaune11, l’historio-
graphie s’est enrichie, depuis la fin des années 1990, de nouveaux travaux. On
page 40 pense ici aux travaux de José Cubéro12 qui, dans une perspective multiséculaire, a
retracé l’évolution des politiques et des regards portés sur le monde de l’errance
depuis le moyen âge ou à Jean-François Wagniard13, qui a judicieusement choisi
le dernier tiers du XIXe siècle où l’angoisse face au vagabondage atteint alors son
paroxysme. Étudiant une région à forte identité culturelle comme la Bretagne
au XIXe siècle, Guy Haudebourg a, lui aussi, apporté sa contribution à cette his-
toire, mettant en évidence les différences de perception et de traitement de cette
pauvreté entre une Basse-Bretagne plus tolérante et une Haute-Bretagne beau-
coup plus répressive14. On ne doit pas oublier l’étude de Paul Dartiguenave, centrée
essentiellement sur le Calvados15. Plus récemment, on doit des recherches sur
cette question aux travaux de Guy Thuillier16, mais aussi à des historiens du droit,
des juristes et des sociologues17. D’une manière générale, l’étude de la pauvreté et
de la marginalité, au siècle de l’industrialisation et de l’apogée des campagnes, a
longtemps souffert dans le paysage historiographique français. C’est là le mérite
d’André Gueslin d’avoir mené deux études sur les pauvretés en France au XIXe et au
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XXe siècles18, constituant une contribution majeure à l’histoire contemporaine de
la pauvreté19, mais également de Yannick Marec dont les travaux font aujourd’hui
autorité dans le champ historiographique de l’histoire de la protection sociale, et
particulièrement ses dernières publications, fruit d’une longue recherche menée
depuis trente ans20. En définitive, il existe encore peu de travaux sur le sujet.
Toutes ces études s’inscrivent, plus largement, dans le cadre d’une réflexion sur
l’état de la société française au tournant des XXe et XXIe siècles, et notamment

9  Perrot Michelle, « La fin des 15  Dartiguenave Paul, Vagabonds gens de rien. Une histoire de la
vagabonds », L’Histoire, juillet-août et mendiants en Normandie entre grande pauvreté dans la France
1978, n° 3, p. 23-33. assistance et répression : histoire du du XXe siècle, Paris, Fayard, 2004 ;
10  Marginalité, déviance, pauvreté vagabondage et de la mendicité du Pierrard Pierre, Les pauvres et leur
en France XIVe-XXe siècles, Cahier XVIIIe au XXe siècle, Condé-sur-Noi- histoire. De Jean Valjean à l’abbé
des Annales de Normandie, 1981, reau, Éditions Charles Corlet, 1997. Pierre, Paris, Bayard, 2005.
n°13. 16  Thuillier Guy, La mendicité en 19  Voir le dossier « Au nom des
11  Beaune Jean-Claude, Le Va- Nivernais : débats et pratiques pauvres », coordonné par Jean-
gabond et la machine. Essai sur (1840-1860), Paris, Comité d’histoire François Wagniart, Cahiers d’His-
l’automatisme ambulatoire. Méde- de la Sécurité sociale, 2001 ; Préfets toire. Revue d’Histoire critique,
cine, Technique, Société (1880- et mendiants : le dépôt de mendi- n° 101, 2ème trimestre 2007.
1910), Seyssel, Éditions du Champ cité de la Nièvre (1808-1820), Paris, 20  Marec Yannick, Pauvreté et
Vallon, collection « Milieux », 1983. Comité d’histoire de la Sécurité protection sociale aux XIXe et XXe
12  Cubéro José, Histoire du vaga- sociale, 2002. siècles. Des expériences rouennaises
bondage du Moyen Age à nos jours, 17  Des Vagabonds aux SDF. aux politiques nationales, Rennes,
Paris, Imago, 1998. Approches d’une marginalité Presses universitaires de Rennes, Col-
13  Wagniart Jean-François, Le (textes rassemblés par Avon-So- lection « Carnot », 2006 ; Bienfaisan-
Vagabond à la fin du XIXe siècle, letti Marie-Thérèse), Saint-Étienne, ce communale et protection sociale
Paris, Belin, 1999. Publications de l’Université de à Rouen (1796-1927). Expériences
14  Haudebourg Guy, Mendiants Saint-Étienne, 2002. locales et liaisons nationales, Paris,
et Vagabonds en Bretagne au XIXe 18  Gueslin André, Gens pauvres. La Documentation Française et Asso-
siècle, Rennes, Presses universitaires Pauvres gens dans la France au ciation pour l’étude de l’histoire de la
de Rennes, 1998. XIXe siècle, Paris, Aubier, 1998 ; Les Sécurité sociale, 2002, 2 volumes.
Mendicité,
vagabondage
sur l’existence d’une très grande pauvreté, parfois errante, et née avec les années et contrôLe sociaL
du moyen âge au
de crise. Cette réflexion s’est nourrie des travaux de sociologues, d’ethnologues xIXe siècle
et de géographes21, qui ont prolongé, à leur manière, les recherches pionnières du Antony Kitts

sociologue Alexandre Vexliard, menées au milieu des années 195022. Ce regain


d’intérêt ne peut se comprendre que si l’on se rappelle qu’au milieu des années 41
1990, plusieurs municipalités, de toutes tendances politiques, prirent des arrê-
tés contre la mendicité23. La mendicité et le vagabondage revinrent donc sur le
devant de la scène publique, suscitant de nombreuses polémiques, relayées par
les médias, particulièrement par la presse24. D’ailleurs, chaque hiver, la question
des SDF se pose à nouveau avec acuité25. Finalement, aucune réponse satisfaisante
n’a été prise de façon définitive pour régler le problème des sans-abri. Cependant,
« depuis le nouveau code pénal (1er mars 1994), les infractions de vagabondage
et de mendicité ont disparu »26. Il est vrai que, depuis les années 1950, les délits
de vagabondage et de mendicité avaient baissé fortement27. Ce qui ne veut pas
dire qu’ils ont disparu dans la société française, en témoignent les récents arrêtés
municipaux pris contre les attroupements et la mendicité28. Car, aujourd’hui c’est
la question des SDF qui préoccupe les pouvoirs publics29 et plus généralement ce
que certains appellent les « nouvelles classes dangereuses »30.
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21  Damon Julien, Des hommes en p. 137-154. Les premiers arrêtés ont 27  Ils sont passés de 9 298 condam-
trop : essai sur le vagabondage été pris durant l’été 1993, surtout nations en 1953 à 1 431 infractions en
et la mendicité, La Tour d’Aigues, dans des villes du sud (Montpellier, 1993, avant de tomber à une seule
Éditions de l’Aube, 1996 ; Gaboriau Carcassonne, Cannes, Perpignan), infraction l’année suivante.
Patrick, Les SDF à la Belle Époque : puis l’été suivant dans d’autres villes 28  En août 2007, le maire d’Argen-
l’univers des mendiants vaga- (Avignon, Toulouse), et surtout lors teuil, Georges Mothron, avait pris
bonds au tournant des XIXe et XXe de l’été 1995 (La Rochelle, Banuyls, un arrêté anti-mendicité de longue
siècles, Paris, Desclée de Brouwer, Pau, Mende, Tarbes, Valence, Car- durée (jusqu’en 2011) et décidé
1998 ; Declerck Patrick, Les naufra- pentras). l’achat d’un produit répulsif - le
gés. Avec les clochards de Paris, 24  Damon Julien, « La question SDF Malodor - contre la « gêne olfactive
Paris, Plon, Collection « Terre hu- au prisme des médias », Espaces et anormale » provoquée par les SDF.
maine », 2001 ; Zeneidi-Henry Dje- sociétés, 2004/1-2, n° 116-117, p. 93-110. Devant le tollé général, il fut
mila, Les SDF et la ville. Géographie 25  Durant l’hiver 2006-2007, sous contraint, quelques semaines plus
du savoir-survivre, Paris, Éditions l’impulsion de l’association Les En- tard, de retirer ses deux mesures.
Bréal, Collection « D’autre part », fants de Don Quichotte, un campe- 29  Dans le cadre du plan d’action
2002 ; Rullac Stéphane, Et si les ment de tentes fut organisé le long renforcé en faveur des sans abri
SDF n’étaient pas des exclus ? Essai du canal Saint-Martin à Paris et dans (PARSA), le gouvernement de
ethnologique pour une définition plusieurs villes de province. Plus Dominique de Villepin a prévu la
positive, Paris, L’Harmattan, 2004 ; récemment, dans la nuit du 21 au 22 création de plus de 27 000 places
André Lacroix, Des rues et des février 2008, une manifestation des d’hébergement et a fait voter une
hommes. Les SDF : une question 28 associations de solidarité avec loi sur le droit au logement opposa-
de société, Paris, Dunod, Collection les sans-abri et les mal-logés s’est ble le 5 mars 2007.
« Action sociale », 2006. déroulée à Paris. 30  Le gouvernement de Jean-Pierre
22  Vexliard Alexandre, Le Clochard, 26  Renaut Marie-Hélène, « Vaga- Raffarin fit adopter le 18 mars 2003 une
Paris, Desclée de Brouwer, 1998 (1ère bondage et mendicité : délits péri- loi sur la sécurité intérieure entérinant
édition en 1955) ; Introduction à la més, réalité quotidienne », Revue un durcissement de la législation à
sociologie du vagabondage, Paris, Historique, avril-juin 1998, n° 606, l’égard des marginaux et particuliè-
L’Harmattan, 1999 (1ère édition : 1956). p. 287 ; Damon Julien, « Vagabon- rement des mendiants. Elle réprime
23  Bertrand Valérie, « La mendicité dage et mendicité : délits périmés et « l’exploitation de la mendicité » de
et l’état dangereux : l’historicité des contrôle persistant », in Mucchielli trois ans de prison et d’une amende
représentations sociales dans le Laurent et Robert Philippe (sous de 45 000 euros, peines qui peuvent
discours juridique », Connexions, la direction de), Crime et sécurité, aller jusqu’à dix ans de prison et 1 500
« Mémoires collectives et représen- l’état des savoirs, Paris, La décou- 000 euros lorsque la mendicité est «
tations sociales », 2004/1, n° 80, verte, 2002, p. 120-129. commise en bande organisée ».

RHPS n°1 décembre 2008


Mendiants, vagabonds :
des marginaux par nature difficiles à définir

Des définitions littéraires


page 42
À l’égard des mendiants et des vagabonds, la plupart des spécialistes s’accordent
sur la difficulté à définir cette population flottante, par nature difficile à saisir.
Aussi, avant de tenter une définition de la mendicité et du vagabondage au XIXe
siècle, convient-il de remonter à l’origine de ces mots. Emprunté au latin mendici-
tas, le terme de mendicité est attesté vers 1278, définissant un « état d’indigence
extrême, état de celui qui demande l’aumône ». Mais le verbe mendier, « deman-
der l’aumône » (du latin mendicare), est déjà utilisé au début du XIIe siècle,
tandis que le terme de mendiant, « personne qui mendie », lui, n’apparaît qu’à la
fin du siècle. Pour ce qui est de l’histoire du mot vagabondage, il faut attendre
la deuxième moitié du XVIIIe (vers 1767) pour qu’il prenne place, sous sa forme
moderne, dans la langue française. Jusque-là, on disait plutôt vagabonage31. Cette
« habitude de vagabonder » existait déjà au moyen âge, l’adjectif vagabond étant
attesté vers 1382, issu du latin vagabundus, signifiant « vagabond, errant » ou
« personne qui mène une vie errante ». Puis, vers 1502, le vagabond désigne une
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personne sans domicile fixe32. Plus tard, dans sa vaste entreprise de collecte de
l’information et de vulgarisation scientifique et philosophique, l’Encyclopédie
s’est également intéressée aux problèmes de la pauvreté, consacrant notamment
des articles aux mots mendiant et vagabond33, rédigé respectivement par Louis
de Jaucourt et par Boucher d’Argis.
Ces premières définitions ont d’ailleurs perduré. À quelques nuances près, elles
sont reprises par l’ensemble des dictionnaires du XIXe siècle. Pour le Dictionnaire
universel de la langue française de Boiste comme pour le Dictionnaire de la lan-
gue française de Littré, le mendiant est celui « qui mendie », le vagabond est
celui qui « erre çà et là », qui est « sans aveu, sans état, sans domicile », défini-
tions que l’on retrouve dans le Dictionnaire de l’Académie française ou le Grand
Larousse universel du XIXe siècle34. Au-delà des définitions littéraires, l’histoire
de la mendicité et du vagabondage va de pair avec une importante législation,
qui, elle aussi, a essayé de proposer une définition juridique de ces individus
vivant en marge de la société.

31  Articles : « Vagabonage », particulier l’encadré sur « men- 34  Boiste Pierre-Claude-Victor,
« Vagabond », in Lachiver Marcel, diants et mendicité », p. 526-527, Dictionnaire universel de la langue
Dictionnaire du monde rural. Les volume 3. française, Paris, 1834 ; Littré Émile,
mots du passé, Paris, Fayard, 1997. 33  Articles « mendiant » (vol. 10) Dictionnaire de la langue française,
32  Pour plus de détails, voir Rey et « vagabond » (vol. 16), in Le Rond Paris, Hachette, 1863-1872, 4 vol. ;
Alain (sous la direction de), Dic- d’Alembert Jean, Diderot Denis, Dictionnaire de l’Académie fran-
tionnaire historique de la langue (sous la direction de), Encyclopé- çaise, Paris, Firmin Didot, 1884 (7ème
française, Paris, Dictionnaires Le die ou dictionnaire raisonné des édition) ; Larousse Pierre, Grand
Robert, 1998, 3 tomes ; Dictionnaire arts, des sciences et des métiers dictionnaire universel du XIXe
culturel en langue française, Paris, par une société de gens de lettres, siècle, Paris, Lacour éditeur, 1866-
Le Robert, 2005, 4 volumes, en Paris-Neufchâtel, 1751-1772, 28 vol. 1875, 15 vol.
Mendicité,
vagabondage
Des définitions juridiques et contrôLe sociaL
du moyen âge au
xIXe siècle
À ce propos, l’Ancien Régime a, en effet, produit de nombreux textes de loi, parti- Antony Kitts

culièrement aux XVIe35 et XVIIIe siècles36, témoin des inquiétudes persistantes de


la monarchie face à ces « présences inquiétantes ». Une des premières tentatives 43
de définition, si l’on suit Robert Castel, est présentée dans une ordonnance de
François Ier de 1534 : « tous vagabonds, oisifs, gens sans aveu et autres qui n’ont
aucun bien pour les entretenir et qui ne travaillent ni labourent pour gagner
leur vie »37. Cette définition repose sur deux critères propres au vagabond : le
manque de travail, et donc de ressources pour vivre, et l’absence d’appartenance
à une communauté. Les définitions suivantes continueront de reprendre ces
deux caractéristiques du vagabond, non sans apporter des éléments de précision.
Ainsi, à l’absence de métier et de caution morale pouvant répondre d’un individu
la déclaration royale du 27 août 1701 ajoute l’absence de domicile : « Déclarons
vagabonds et gens sans aveu ceux qui n’ont ni profession, ni métier, ni domicile
certain, ni bien pour subsister, et qui ne sont avoués, et ne peuvent certifier
de leurs bonnes vies et mœurs, par personnes dignes de foi »38. Jusque-là, les
déclarations royales se contentaient de qualifier seulement le vagabond. Mais,
à partir de la déclaration royale du 10 mars 1720, la confusion entre vagabond et
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mendiant devient manifeste. Ce qui les différenciait jusqu’alors, à savoir l’exis-
tence d’un domicile et d’un métier, n’apparaît plus comme un caractère distinctif.
Ce texte de loi n’est pas sans rappeler une déclaration royale du 10 février 1699,
qui assimilait déjà le mendiant au vagabond39. Plus tard, la déclaration du 3
août 1764 n’est pas également dénuée de toute ambiguïté. Du fait de l’impréci-
sion des termes juridiques employés, les mendiants peuvent être soupçonnés de
vagabondage. Cependant, ce texte apporte une précision importante sur le statut
du vagabond, en y ajoutant la notion de « chômage ». Cette nouvelle définition
cherche à distinguer le vagabond oisif de celui qui serait privé pour un temps
(depuis plus de six mois) d’un travail.
À l’égard de ce monde de l’errance, la législation révolutionnaire renouvelle les
mêmes définitions. Ainsi, une loi du 1er février- 28 mars 1792 considère comme
vagabond toute personne trouvée hors de son canton et incapable de justifier
dans les vingt jours de son inscription sur le tableau de sa commune de domi-
cile. La loi du 24 vendémiaire an II (15 octobre 1793), « pour l’extinction de la
mendicité », accorde un secours à toute personne dans le besoin, à la condition
d’avoir un domicile connu depuis « un an dans une commune », plus commu-
nément appelé « domicile de secours ». Ce qui signifie que celui qui ne possède
pas de lieu d’habitation ne peut pas être secouru. Il court même le risque d’être

35  Dauven Bernard, « Les vaga- justice prévôtale de Lyon », in Des 39  Depauw Jacques, « Pauvres,
bondes : des inconnues aux XVe et Vagabonds aux SDF. Approches pauvres mendiants, mendiants vali-
XVIe siècles ? », Genèses, septembre d’une marginalité), op. cit. , p. 121-146. des ou vagabonds ? Les hésitations
2006, n° 64, p. 5-25. 37  Cité dans Castel Robert, op. de la législation royale », Revue
36  Grand Catherine, « Le délit de cit., p. 141. d’Histoire Moderne et Contempo-
vagabondage au XVIIIe siècle : une 38  Cité par Catherine Grand, op. raine, juillet-septembre 1974,
illustration jurisprudentielle de la cit., p. 124. p. 401-418.

RHPS n°1 décembre 2008


arrêté. La loi du 10 vendémiaire an IV (2 octobre 1795) ne dira pas autre chose,
précisant toutefois l’obligation de disposer d’un passeport pour tout individu
circulant hors de son canton.
Plus généralement, ces définitions juridiques du vagabond et du mendiant
page 44 préfigurent les dispositions du Code pénal napoléonien. Selon Jean-François
Chassaing, le délit de vagabondage semble « se rattacher plus à la logique de
l’Ancien Régime qu’à celle du tout nouveau principe de légalité criminelle »40.
Dans le Code pénal de 181041, l’article 270 précise que « Les vagabonds ou gens
sans aveu sont ceux qui n’ont ni domicile certain, ni moyens de subsistances,
et qui n’exercent ni métier ni profession », reprenant d’ailleurs à son compte la
phraséologie médiévale de l’absence d’aveu42. Curieusement, la mendicité n’a
fait l’objet d’aucune définition, le législateur se contentant de rappeler les dis-
positions pénales à son encontre (articles 274-282). Il faudra attendre les effets
de la jurisprudence pour que soit définie juridiquement la mendicité : il s’agit
de « s’adresser à la charité ou à la bienfaisance, dans le but d’obtenir un secours
tout à fait gratuit et pour lequel on n’offre en échange aucune contre-valeur
appréciable »43.
Malgré ces précisions et les difficultés pour distinguer dans la réalité le men-
diant du vagabond, en raison de conditions d’existence très proches, il semble
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possible d’envisager une définition, aussi modeste soit-elle, de cette population
flottante.

Une définition pour en finir ?

En soi, cette démarche ne fait pas preuve d’originalité. Des historiens tels que
Michel Mollat ou André Gueslin se sont déjà penchés sur la question, donnant
respectivement une définition de la pauvreté au moyen âge44 et au XIXe siècle45.
Incontestablement, les mendiants et les vagabonds appartiennent à ce monde
de la grande pauvreté, incapables d’assurer leur minimum vital, et donc placés
dans une situation de dépendance et d’exclusion. En constituant « la frange la
plus marginale de la société »46, ces pauvres errants appartiennent à ce monde
des marginaux, vivant en dehors des normes dominantes de la société47. Dans
une société comme celle du XIXe siècle, qui valorise peu à peu le travail et le
domicile fixe, ils apparaissent alors comme des individus à part, des oisifs, le
plus souvent stigmatisés comme des « inutiles au monde ». Mis à l’écart de la
société, ils le sont d’autant plus qu’ils ne peuvent participer pleinement à la vie

40  Chassaing Jean-François, chose publique. Chapitre III. Crimes 43  Cité par Renaut Marie-Hélène,
« Vagabondage et histoire du droit et délits contre la paix publique. op. cit., p. 304.
pénal. Synthèse sur le problème Section V. Association de malfaiteurs, 44  Mollat Michel, op. cit., p. 14.
du vagabondage du Moyen Age au Vagabondage et Mendicité. Paragra- 45  Gueslin André, op. cit., p. 49.
XIXe siècle », in Des Vagabonds aux phe II. Vagabondage. Paragraphe III. 46  Castel Robert, op. cit., p. 140.
SDF. Approches d’une marginalité, Mendicité. Dispositions communes 47  Garnot Benoît (sous la direction
op. cit., p. 15. aux Vagabonds et Mendiants. de), Normes juridiques et pratiques
41  Code pénal de 1810 : Livre III. Des 42  Cette définition du Code pénal de judiciaires du Moyen Age à l’époque
crimes, des délits et de leur punition. 1810 n’est pas sans rappeler celle de la contemporaine, Dijon, Éditions
Titre 1er. Crimes et délits contre la déclaration royale du 27 août 1701. universitaires de Dijon, 2007.
Mendicité,
vagabondage
de la Cité puisque l’exercice de la citoyenneté suppose le rattachement à une com- et contrôLe sociaL
mune. Déjà effective sous la Révolution française48, cette obligation renaîtsous du moyen âge au
xIXe siècle
la Seconde République. La loi électorale du 31 mai 1850 modifie celle du 15 mars Antony Kitts

1849 : la liste électorale comprendra dorénavant tous les Français âgés de vingt
et un ans « qui ont leur domicile dans la commune ou dans le canton depuis 45
trois ans au moins » (article 2) au lieu de six mois. Cette privation de leurs droits
civiques ne peut que les exclure encore un peu plus de la société.
Fort de ces constatations, il est dès lors possible de proposer une définition de
ces marginaux. Situés tout en bas de l’échelle sociale, ces « désespérés »49 se
trouvent dans une situation d’extrême pauvreté. Privés de travail, donc sans
moyens d’existences suffisants, et le plus souvent sans domicile, ils ne peuvent
entretenir, dans ces conditions, que des relations familiales et sociales fragiles,
voire quasi inexistantes. Dans une société où ils se sentent de moins en moins
intégrés, voire exclus, les seuls liens qui les rattachent encore à celle-ci, les pla-
cent, de par leurs modes de vie ou leurs comportements marginaux, dans une
situation de dépendance à l’égard des institutions d’assistance et/ou de suspi-
cion à l’égard des institutions policières, judiciaires et pénitentiaires. Ce sont
autant d’handicaps qui en font des « citoyens » à part et pas comme les autres.
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Mendiants et vagabonds : de la pénalisation à la relégation

Depuis le moyen âge, le phénomène de marginalité s’est construit, en partie, à


travers le paradigme du vagabond et du mendiant. La peur sociale qu’ils susci-
tent est telle que la réaction des pouvoirs publics devient de plus en plus répres-
sive, sans qu’il y ait cependant véritablement de cohérence et de logique dans
l’application des législations mises en place contre ces individus. À partir du
XIVe siècle50 et surtout depuis le XVIe siècle51, le pouvoir royal a tenté à plusieurs
reprises d’éradiquer cette masse errante, soucieux qu’il était de maintenir la
sécurité publique. Aussi assiste-t-on à un durcissement de cette répression avec
la multiplication des déclarations royales qui instituent en particulier la peine
de galères pour les vagabonds et les mendiants (déclarations du 18 avril 1588,
du 28 janvier 1687, du 27 août 1701, du 18 juillet 1724 et enfin, la déclaration du
3 août 1764)52. Malgré cet arsenal répressif, l’envoi aux galères de mendiants et
de vagabonds reste très marginal. Sur les 60 401 personnes envoyées aux galè-
res entre 1680 et 1748, André Zysberg a seulement dénombré 2 021 mendiants

48  Bart Jean, « Vagabondage et ci- economiche in memoria di Corrado de sciences politiques et de gestion,
toyenneté », in Des Vagabonds aux Barbagallo, tome II, Napoli, Edizioni Dimensions historiques du droit
SDF. Approches d’une marginalité, scientifiche italiane, p. 211-236. européen, septembre 2003, n° 8,
op. cit., p. 147-159. 51  Fontaine Juliette, Hubschwerlin p. 125-167 ; Schnapper Bernard, « La
49  Chauvaud Frédéric, Les crimi- Marie-Odile, Rose Jonathan, Stein- répression du vagabondage et sa
nels du Poitou au XIXe siècle. Les metz Thomas, « La répression pé- signification historique du XIVe au
monstres, les désespérés et les nale de la mendicité du XVIe siècle XVIIIe siècle », Revue d’histoire du
voleurs, La Crèche, Geste éditions, à nos jours », in Jeanclos Yves (sous droit français et étranger, avril-juin
Collection « Pays d’histoire », 1999. la direction de), Les délinquances 1985, n° 2, p. 143-157.
50  Geremek Bronislaw, « La lutte urbaines en France du XVIe siècle 52  Tournerie Jean-André, Crimi-
contre le vagabondage à Paris aux XIVe à nos jours, Strasbourg, Université nels et vagabonds au siècle des
et XVe siècles », in Ricerche storiche ed Robert Schuman, Faculté de droit, Lumières, Paris, Imago, 1997.

RHPS n°1 décembre 2008


et vagabonds, même si les condamnations ont été deux fois plus nombreuses
entre 1716 et 1748 qu’entre 1680 et 171553.
Malgré la détermination du pouvoir royal, ces marginaux n’ont pas pour autant
disparu de la société française au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Même si
page 46 le code pénal du 25 septembre 1791 ne contient aucune disposition à leur égard,
deux décrets du 24 vendémiaire et du 11 brumaire an II condamnent les men-
diants et les vagabonds récidivistes, âgés entre 18 et 60 ans, à la peine de trans-
portation pour une durée minimum de huit années. Pour les autres, ils devront
rester en détention. Le contrôle de cette population mouvante devient également
un impératif majeur de la politique intérieure du nouveau régime napoléonien.
Ainsi, par le décret impérial du 5 juillet 1808 sur « l’extirpation de la mendicité »,
la mendicité est interdite « sur tout le territoire de l’Empire » (article 1). Dès lors,
« tout individu qui sera trouvé mendiant dans ledit département sera arrêté
d’après les ordres de l’autorité, et par les soins de la gendarmerie ou de toute
autre force armée. Il sera aussitôt traduit au dépôt de mendicité » (article 4), créé
dans chaque département (article 2)54 et destiné à accueillir « tous les individus
mendiants et n’ayant aucun moyen de subsistances » (article 3).
Cette politique s’accompagne de nouvelles dispositions pénales à l’égard du men-
diant et du vagabond. Selon l’article 269, « le vagabondage est un délit », mais à la
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condition que les trois critères retenus et définis par l’article 270 soient réunis :
à savoir l’absence d’un domicile certain, d’une profession et de suffisamment
de ressources pour vivre. Le délit de mendicité est, lui, fixé par les articles 274
et 275. Toutefois le Code pénal ne définit pas les caractères de la mendicité55.
Punis par la loi, les mendiants et les vagabonds encourent des peines de trois
à six mois d’emprisonnement, qui peuvent aller jusqu’à cinq ans, voire dix ans
dans les cas de circonstances aggravantes (articles 277-282). À l’expiration de
leurs peines, ils seront « conduits au dépôt de mendicité » pour y effectuer une
peine de travail ou mis à la « disposition du Gouvernement pendant le temps
qu’il déterminera, eu égard à leur conduite ». Pourtant, en y regardant de plus
près, ces peines apparaissent beaucoup moins sévères que celles appliquées
sous l’Ancien Régime, même si, dans certaines circonstances (article 279), le
délit de mendicité ou de vagabondage devient un crime. Dans la plupart des cas,
le délit de mendicité ou de vagabondage reste un délit mineur. Mais, derrière
cet arsenal répressif se cache, en réalité, la volonté du législateur de réprimer
les comportements supposés délinquants du mendiant et du vagabond. Ils ne
sont plus coupables d’avoir seulement des mauvaises mœurs, mais suspectés
de commettre des actes délictueux tels que le vol56.
Cette présomption de délinquance des mendiants et des vagabonds est reprise
avec la loi de relégation des multirécidivistes du 27 mai 1885. L’accroissement du
nombre des récidivistes inquiète en effet les autorités et suscitent de nombreux

53  Zysberg André, Les Galé- 1987, p. 66-74. 55  Pour l’application de l’article
riens. Vies et destins de 60 000 54  Sur 65 dépôts de mendicité 274, la jurisprudence donnera une
forçats sur les galères de France, créés entre 1809 et 1813, seule- définition de la mendicité.
1680-1748, Paris, Éditions du Seuil, ment 37 seront effectivement en 56  Chassaing Jean-François, op.
Collection « L’Univers historique », activité. cit., p. 19-20.
Mendicité,
vagabondage
débats dans les milieux médicaux57. Pour les seuls vagabonds, les statistiques et contrôLe sociaL
du moyen âge au
criminelles sont encore plus préoccupantes : pour les seules années 1881-1885, xIXe siècle
la récidive des vagabonds atteint 73 %. Aussi, le 12 mai 1885, la loi sur les réci- Antony Kitts

divistes est adoptée à une large majorité à la Chambre des députés par 385 voix
contre 52. Elle décide l’internement permanent des récidivistes « sur le territoire 47
de colonies ou possessions françaises »58. Parmi les multirécidivistes à reléguer,
les vagabonds ou les mendiants n’échappent pas à la règle prévue par l’article
4 de la loi59. Pourtant, la relégation se révèle rapidement inefficace tant sur le
plan pénal qu’économique60, le nombre de récidivistes continuant de s’accroître
et les magistrats n’appliquant que très peu la loi61, lui préférant le dispositif
Bérenger.

Mendiants et vagabonds : entre assistance et répression

Mener une recherche sur ce monde marginal suppose d’abord une étude quanti-
tative de cette délinquance, à la fois dans ses dimensions sociologiques et géo-
graphiques. Elle demande de prendre en considération les facteurs d’évolution
de cette grande pauvreté. Au-delà des représentations dont ils font l’objet depuis
le moyen âge, il est également nécessaire d’étudier les politiques de traitement
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de cette pauvreté, en sachant que les autorités ont le plus souvent mené de front
une politique répressive et une politique d’assistance.

La mesure de la mendicité et du vagabondage

En dépit de son désir de mieux appréhender l’évolution de la mendicité et du


vagabondage dans une longue perspective historique, l’historien doit faire face
à de nombreux obstacles pour les évaluer le plus précisément. D’ailleurs, à plu-
sieurs siècles d’intervalles, les chiffres les plus farfelus ont circulé : au milieu du
siècle des Lumières, le royaume aurait compté jusqu’à 200 000 pauvres errants ;
quant au début du XXe siècle, on en annonçait 400 000 ! Les sources médiévales
et modernes se révèlent en effet moins riches et plus fragmentaires que celles du
XIXe siècle d’où la difficulté à reconstruire des séries sur la longue durée à partir

57  Mucchielli Laurent, « Crimino- française aux XVIIe et XVIIIe siècles », et récidivistes du Moyen Age au
logie, hygiénisme et eugénisme en Annales de Bretagne et des pays de XXe siècle, Genève, Droz, 2006, p.
France (1870-1914) : débats médicaux l’Ouest, 1978, Tome 85, p. 67-94. 289-308.
sur l’élimination des criminels 59  Schnapper Bernard, « La réci- 60  Bérard Alexandre, « La reléga-
réputés « incorrigibles », Revue dive, une obsession créatrice au tion. Résultats de la loi du 27 mai
d’histoire des sciences humaines, XIXe siècle », in Schnapper Bernard, 1885 », Archives d’anthropologie
2000/2, n° 3, p. 57-88. Voies nouvelles en histoire du droit, criminelle, de criminologie et de
58  Les mendiants vagabonds et la justice, la famille, la répression psychologie normale et pathologi-
gens sans aveu multirécidivistes pénale (XVIe-XXe siècles), Paris, PUF, que, 1897, tome 12, p. 245-264.
avaient déjà fait l’objet d’une dépor- 1991, p. 313-351 ; Tanguy Jean-Fran- 61  En 1907, la relégation des
tation vers l’Amérique au début du çois, « Ceux qu’il faut renoncer femmes est abolie. Puis par la loi du
XVIIIe siècle, qui fut ensuite interdite à amender ? La loi de 1885 sur la 18 mars 1955, la peine de relégation
par les déclarations royales des 5 Relégation : origines et implications pour vagabondage est supprimée.
juillet 1722 et du 18 juillet 1724. À politiques », in Briegel Françoise et Mais il faut attendre la loi du
ce sujet, voir Frostin Charles, « Le Perrot Michelle (sous la direction 17 juillet 1970 pour que soit définiti-
peuplement pénal de l’Amérique de), Le criminel endurci. Récidive vement supprimée la relégation.

RHPS n°1 décembre 2008


d’archives essentiellement judiciaires. Si l’on suit Michel Mollat, la population
des villes médiévales comprendrait environ 10 % de mendiants62. Vers 1650, la
capitale compterait environ 30 000 mendiants. En 1694, ce chiffre atteindrait
40 000. Entre 1764 et 1777, la maréchaussée arrête 106 839 vagabonds et men-
page 48 diants sur l’ensemble du territoire.
À propos du XIXe siècle, l’évaluation quantitative de ces individus semble plus
aisée. Parmi les sources disponibles, le Compte général de l’administration de
la justice criminelle constitue la série administrative la plus complète et la plus
homogène depuis 1826. Ainsi, entre 1826 et 1880, les délits de vagabondage et
de mendicité ont augmenté respectivement de 258 % et de 640 %, passant de
2 910 à 10 429 prévenus pour le nombre de vagabonds et de 966 à 7 152 prévenus
pour celui des mendiants63, avant d’atteindre des niveaux records au tournant
du XIXe et du XXe siècles : les années 1880-1914 voient, en effet, leur nombre s’ac-
croître considérablement, passant de 20 456 en 1880 à 34 678 condamnations
en 1894, date de l’apogée du phénomène64, avant de diminuer à partir du milieu
des années 1910. On doit aussi compter sur les enquêtes lancées par les autorités
ministérielles et préfectorales ou celles des observateurs sociaux, sans oublier
la correspondance échangée entre les maires, les sous-préfets et les préfets ainsi
que les rapports des commissaires et des gendarmes. Ces renseignements sup-
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plémentaires fourmillent de détails propres à compléter les données offertes par
les jugements et les dossiers correctionnels ainsi que par les registres d’écrou
des prisons.
Toutefois, il ne serait question de voir dans ces archives judiciaires que la solu-
tion miracle pour qui voudrait mesurer avec exactitude ce type de délinquance.
En effet, devant la difficulté à qualifier parfois le délit de vagabondage, la pra-
tique judiciaire a tendance à retenir d’autres incriminations telles que le vol65,
l’outrage à agent ou le trouble à l’ordre public, tendance qui s’accentue lorsque le
jeune vagabond a moins de 16 ans. Il faut d’ailleurs rappeler que ces délits étaient
souvent commis en même temps que ceux de mendicité et/ou de vagabondage66.
Aussi, convient-il de dépouiller les registres d’écrou67 et les jugements correc-
tionnels relatifs à cette petite délinquance afin de réévaluer les phénomènes
de mendicité et de vagabondage. Mais, en y regardant de plus près, il faut se

62  Mollat Michel, op. cit., p. 297. and social crisis in France, 1880- Des Vagabonds aux SDF. Appro-
63  Perrot Michelle, Robert Phi- 1914 », Journal of Social History, ches d’une marginalité, op. cit.,
lippe, Compte général de l’admi- summer 1999, volume 32, n° 4, p. 213-229 ; Luther Viret Jérôme,
nistration de la justice criminelle p. 821-846. « Vagabonds et mendiants dans
en France pendant l’année 1880 65  Berger Virginie, « Le vol néces- les campagnes au Nord de Paris
et rapport relatif aux années 1826 saire au XIXe siècle. Entre réalité dans le premier tiers du XVIIIe
à 1880, Genève-Paris, Slatkine sociale et lacune juridique, une siècle », Annales de Démogra-
Reprints, 1989, p. CXLII-CXLIII. histoire en construction », Le Temps phie Historique, 2006, n° 1,
64  Wagniart Jean-François, « La de l’histoire, revue d’histoire de p. 12-16.
pénalisation du vagabondage et la l’enfance « irrégulière », Hors-série, 67  Berlanstein Leonard R.,
répression de la pauvreté errante à 2001, p. 241-251. « Vagrants, Beggars and Thieves :
la fin du XIXe siècle », Cahier d’His- 66  Peccoud Patricia, « La délin- Delinquent Boys in Mid-Nineteenth
toire, 1996, n° 64, p. 77-90 ; Smith quance des vagabonds en Isère Century Paris », Journal of Social
Timothy B., « Assistance and repres- au XIXe siècle. Les formes de la History, 1979, volume 12, n° 4,
sion : rural exodus, vagabondage répression de la marginalité », in p. 531-552.
Mendicité,
vagabondage
garder de voir dans ces statistiques l’unique réponse à une étude quantitative et contrôLe sociaL
du moyen âge au
de cette délinquance, qui serait le plus fidèle reflet de l’activité des appareils xIXe siècle
répressifs. Antony Kitts

Logiques et processus de marginalisation 49

En étudiant le phénomène de mendicité et de vagabondage en France, on ne


pourra échapper à la tentation d’émettre quelques hypothèses sur les facteurs
qui rendront compte de son évolution depuis le moyen âge.
La plus évidente trouve son explication dans l’évolution socio-économique. La
misère pousse souvent à la délinquance. Dans une période jalonnée par de nom-
breux soubresauts économiques, les plus pauvres sont les premiers touchés. Ils
apparaissent ainsi comme des « pauvres conjoncturels » (Jean-Pierre Gutton). Ce
processus de marginalisation s’aggrave, en effet, en périodes de crises économi-
ques. Gabriel Désert a ainsi démontré les relations entre la courbe des délits et
celle des fluctuations économiques68 : le nombre de prévenus diminue durant les
phases de prospérité (Second Empire, 1895-1905), alors qu’il augmente pendant
les phases de dépression (années 1830-1840 et 1873-1897). Pour l’essentiel, la
délinquance correctionnelle est l’œuvre des représentants des couches les plus
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modestes de la société, corrélation particulièrement nette dans les régions indus-
trielles69. La précarité sociale, le chômage, l’absence de domicile sont autant de
difficultés qui les poussent à commettre des délits pour subsister, contraints
le plus souvent de voler, de mendier pour se nourrir70. On ne doit pas non plus
négliger l’influence de la démographie (exode rural, épidémies, etc.) et des guer-
res sur l’évolution de la mendicité et du vagabondage.
Plus généralement, d’autres éléments d’explications ont été mis en avant par les
historiens. On pense ici à l’urbanisation et au développement des migrations.
À l’origine de cette réflexion, on trouve le livre de Louis Chevalier, Classes labo-
rieuses et classes dangereuses à Paris, publié en 1958 et réédité récemment71.
Étudiant la criminalité à Paris pendant la première moitié du XIXe siècle, il
observe une augmentation du crime dont attestent l’importance des faits divers
dans la presse et le nombre considérable de romans abordant ce thème, pour
l’essentiel ceux de Victor Hugo et de Balzac. La misère ouvrière est telle que les
classes laborieuses, en menaçant l’ordre social, sont devenues dangereuses aux
yeux des contemporains. Pour lui, la prolifération des crimes s’explique surtout
par l’arrivée massive des migrants qui viennent s’entasser dans la capitale. Le
nombre d’habitants à Paris passe, en effet, de 600 000 en 1800 à plus de 1 million

68  Désert Gabriel, « Aspects de la Saint-Étienne, Centre d’Études à la fin du XIXe siécle : le vagabon-
criminalité en France et en Norman- foréziennes, 1981 ; Desmars Bernard, dage ou la solitude des voyages
die », Marginalité, déviance, pau- La Délinquance en Loire-Inférieure incertains », Genèses, mars 1998,
vreté en France XIVe-XXe siècles, entre 1800 et 1830, thèse de doc- p. 30-52
Cahier des Annales de Normandie, torat d’histoire (sous la direction de 71  Chevalier Louis, Classes labo-
1981, n°13, p. 221-316. Nouailhat Yves-Henri), Université rieuses et classes dangereuses à
69  Chatelard Claude, Crime et de Nantes, 1990. Paris pendant la première moitié
criminalité dans l’arrondissement 70  Wagniart Jean-François, « Les du XIXe siècle, Paris, Plon, 1958 ;
de Saint-Étienne au XIXe siècle, migrations des pauvres en France réédition, Perrin, 2002.

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en 1850. Marquant profondément la grille de lecture de la criminalité du XIXe
siècle, son travail a été repris par de nombreux historiens72.
Or l’idée d’une identification des classes laborieuses aux classes dangereuses,
sous l’effet d’une croissance démographique mal maîtrisée par une ville dont les
page 50 structures se trouvent inadaptées, n’est pas totalement convaincante. Comme
l’ont démontré récemment plusieurs historiens à l’image de Paul-André Rosental
et d’Isabelle Couzon73 ou de Barrie Ratcliffe et de Christine Piette74, cette thèse
repose sur une interprétation qui reprend au pied de la lettre le discours de peur
des élites, à travers ses normes dominantes et sa fonction de contrôle social. En
outre, elle ne présente aucune évaluation quantitative de la criminalité. Des étu-
des sur la criminalité en milieu urbain ont pris d’autres directions. Elles relèvent
une criminalité et une délinquance beaucoup plus élevées dans la ville qu’à la
campagne, car ce n’est pas la ville qui est criminogène, comme l’a démontré Jean-
Claude Farcy75, mais son organisation économique. Des inégalités sociales plus
criantes, des rapports sociaux différents de la campagne, des ressources plus
nombreuses et plus tentantes, des groupes de populations plus importantes (les
jeunes, les célibataires) constituent en effet autant de facteurs criminogènes. À
cela s’ajoutent des changements dans le contrôle social fondés sur des conditions
nouvelles de vie et de travail moins collectives et sur une surveillance policière
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accrue76, en relation avec le développement d’une importante réglementation
de la vie urbaine et parfaitement mise en lumière par Patricia Peccoud pour la
ville de Grenoble77.
Beaucoup plus proche de notre sujet d’étude est la relation étroite qui peut
exister entre les migrations et la criminalité. Inspirée des réflexions d’un des
spécialistes du crime, Henri Joly78, qui s’inquiétait à la fin du XIXe siècle de l’ac-
croissement considérable de la mobilité sociale et géographique des populations
sous l’effet des mutations économiques, la théorie du déracinement a été reprise
par la suite par nombre d’historiens, à commencer par Gabriel Désert, partisan

72  Gegot Jean-Claude, « La crimi- Christine, Vivre la ville. Les classes 76  Milliot Vincent, « Une ville
nalité urbaine dans l’Hérault sous populaires à Paris (1ère moitié du malade de son espace ? Paris et le
le Second Empire : Montpellier, XIXe siècle), Paris, La Boutique de lieutenant général de police Lenoir
Béziers, Sète », in La ville en pays l’Histoire éditions, 2007, et en parti- (1775-1785) », in Marec Yannick (sous
languedocien et catalan, Colloque, culier le chapitre II : « Déconstruire la direction de), Villes en crise ? op.
Perpignan, Société languedocienne la représentation dominante : la cit., p. 32-53 ; Nugues-Bourchat (A.),
de géographie, Bulletin, 1982, série thèse de Louis Chevalier », « Les ajustements du quadrillage
3, n° 3-4, tome 16, p. 345-353 ; Pas- p. 53-86 ; Ratcliffe Barrie M., « Clas- policier à Lyon (1800-1852) », in
sion Luc, « Conjoncture et géogra- ses laborieuses et classes dangereu- Marec Yannick (sous la direction de),
phie du crime à Paris sous le Second ses à Paris dans la première moitié du op. cit., p. 54-64.
Empire », Fédération des sociétés XIXe siècle ? The Chevalier Thesis 77  Peccoud Patricia, Villes et dé-
historiques et archéologiques de Re-examined », French Historical linquance : l’exemple de Grenoble
Paris et de l’Île-de-France. Mémoi- Studies, 1991, n° 17, p. 542-574. au XIXe siècle (1789-1914), thèse de
res, 1982, tome 33, p. 187-224. 75  Farcy Jean-Claude, « La ville doctorat d’histoire du droit (sous
73  Rosental Paul-André et Couzon contemporaine (XIXe et XXe siècles) la direction de Gérard Chianéa),
Isabelle, « Le Paris dangereux de est-elle criminogène ? », in Marec Université Pierre-Mendès-France,
Louis Chevalier : un projet d’histoire Yannick (sous la direction de), Villes Grenoble II, 2001.
utile », in Lepetit Bernard et Topalov en crise ? Les politiques municipa- 78  Joly Henri, « L’émigration
Christian (eds), La Ville des sciences les faces aux pathologies urbaines provinciale et les arrestations dans
sociales, Paris, Belin, 2001, p. 191-226. (fin XVIIIe-fin XXe siècles), Grâne, Paris », Revue encyclopédique, 1898,
74  Ratcliffe Barrie M., Piette Créaphis, 2005, p. 20-31. 2ème semestre, p. 795 et s.
Mendicité,
vagabondage
de cette vision pessimiste des mouvements migratoires79. D’autres historiens et contrôLe sociaL
ont également conclu à une délinquance plus forte parmi les migrants80. Dans le du moyen âge au
xIXe siècle
département de l’Hérault81, 21 % des délinquants jugés en 1845 par les tribunaux Antony Kitts

correctionnels sont nés hors du département ; puis ils sont 40 % en 1865 et 56 %


en 1885, proportions que l’on retrouve dans l’arrondissement de Chartres82. 51
Cependant, plusieurs critiques ont été émises à l’égard de cette théorie. À partir
de l’étude du casier judiciaire, Jean-Claude Farcy et Alain Faure ont montré, à
travers l’exemple des migrations provinciales vers Paris à la fin du XIXe siècle,
que le taux de déviance des migrants, s’il est plus élevé que celui des populations
restées en province, est nettement inférieur à celui des Parisiens de naissance83.
Par ailleurs les comportements des migrants lors de leur arrivée en ville consti-
tuent également une des conditions de leur réussite ou non à s’intégrer. Ainsi,
si certains profitent des réseaux d’accueil des travailleurs saisonniers - que l’on
songe aux maçons - et parviennent à s’insérer facilement, d’autres, en revanche,
connaissent une intégration beaucoup plus difficile84. On pense ici à toute cette
population flottante, en situation d’échec, très mobile, qui représente une part
importante de la population criminelle et délinquante, à l’image des mendiants
et des vagabonds. Plus récemment, la recherche a montré que les migrations
vers les villes, loin d’être toutes vouées à l’échec, peuvent constituer un moyen
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de promotion sociale, surtout à partir du dernier quart du XIXe siècle85.
Au-delà de ces multiples facteurs socio-économiques qui rendent compte de
l’évolution de la mendicité et du vagabondage, on ne peut passer sous silence
le fait que pour une partie de ces marginaux, ce mode de vie peut se révéler
être aussi un choix personnel, choix qu’il est toutefois difficile d’approcher de
près. D’ailleurs on peut se poser la question de savoir jusqu’à quel point ces
marginaux ont conscience de leur inadaptation aux normes sociales dominan-
tes. Majoritairement analphabètes et illettrés, les mendiants et les vagabonds
écrivent et parlent peu, même s’ils peuvent produire exceptionnellement des
graffiti86 ou des récits de leur vie87. Ce sont sur ces écrits autobiographiques que
l’historien peut s’appuyer pour retracer les heurs et malheurs d’un quotidien

79  Désert Gabriel, op. cit., p. 249. d’Eure-et-Loir, 1989, p. 990. 86  Vimont Jean-Claude, « Les graf-
80  Donovan James M., The 83  Farcy Jean-Claude, Faure Alain, fiti de la colonie pénitentiaire des
relationship between migration La mobilité d’une génération de Douaires », in Chauvaud Frédéric,
and criminality in Marseille Français. Recherche sur les migra- Petit Jacques-Guy (sous la direction
1825-1880, Doctoral Dissertation, tions et les déménagements vers et de), L’histoire contemporaine et
Syracuse University, 1982 ; Sewell dans Paris à la fin du XIXe siècle, les usages des archives judiciaires
William H., Structure and mobility. Paris, INED, 2003, p. 477-519 : « La (1800-1939), Histoire et archives,
The men and women of Marseille, migration, école du crime ? ». hors série n° 2, Paris, Honoré Cham-
1820-1870, Cambridge, Cambridge 84  Piette Christine et Ratcliffe pion Éditeur, 1998, p. 139-155.
University Press, 1985. Barrie M., « Les migrants et la ville : 87  Yvorel Jean-Jacques, « Errance
81  Santucci Marie-Renée, Dé- un nouveau regard sur le Paris de juvénile et souffrance sociale au
linquance et répression au XIXe la première moitié du XIXe siècle », XIXe siècle d’après les récits
siècle. L’exemple de l’Hérault, Paris, Annales de démographie histori- autobiographiques », in Chauvaud
Économica, 1986, p. 86-104 : « Les que, 1993, p. 263-302. Frédéric (sous la direction de),
aléas des migrations ». 85  Rosental Paul-André, Les Histoires de la souffrance sociale
82  Farcy Jean-Claude, Les Pay- sentiers invisibles. Espace, familles XVIIe-XXe siècles, Rennes, Presses
sans beaucerons au XIXe siècle, et migrations dans la France du XIXe universitaires de Rennes, 2007,
Chartres, Société archéologique siècle, Paris, Éditions de l’EHESS, 1999. p. 87-109.

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marqué par les privations et les souffrances, mais aussi par les stratégies de
survie, fondées souvent sur de vraies ou fausses infirmités88 et bien décrites
par les historiens Bronislaw Geremek89 et Kellow Chesney90, mais encore trop
peu étudiées.
page 52
Le contrôle social de ces migrants

Cette réflexion sur les logiques et les processus de marginalisation doit égale-
ment conduire à s’interroger sur les moyens qu’une société met en place pour
contrôler et parfois soumettre ces marginaux. Au préalable, il faut, cependant,
revenir sur ce que sous-tend, selon nous, le terme de contrôle, et plus particu-
lièrement l’expression « contrôle social ». Il faut remonter au XIVe siècle pour
en retrouver la trace : le terme « contrôle » tirait son origine de l’expression
« contre-rôle », qui concernait un registre tenu en double pour la vérification.
Sous l’influence de la sociologie américaine, est apparu, dès les années 1920,
le concept de contrôle social. Au départ, il a désigné la capacité d’une société à
s’autoréguler, à assurer sa stabilité. Puis on est passé à une acception négative
du contrôle social, considéré comme une réaction aux comportements déviants.
Le contrôle social est alors entendu comme « l’ensemble des ressources maté-
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rielles et symboliques dont dispose une société pour assurer la conformité du
comportement de ses membres à un ensemble de règles et principes prescrits et
sanctionnés »91. C’est cette dernière définition que l’on retiendra pour qualifier
les différentes politiques d’assistance et de coercition mises en œuvre dans la
lutte contre la mendicité et le vagabondage.
En cela, le XIXe siècle fait apparemment preuve de peu d’originalité. Il y a,
en effet, toujours eu une forte intervention du pouvoir sur ces problèmes.
Sans remonter jusqu’au moyen âge, il faut rappeler qu’à partir du XVIe siècle,
on assiste progressivement à la mise en place d’une politique d’enferme-
ment des pauvres, dans des institutions comme les hôpitaux généraux ou les
dépôts de mendicité92. Entre 1764 et 1767, trente-trois dépôts de mendicité
sont créés dans tout le royaume, soit un dans chaque généralité 93. Jugés trop
coûteux, ils sont supprimés deux ans plus tard, puis de nouveau rétablis
en 1777 devant la recrudescence de la mendicité, avant de renaître avec les

88  Veysset Nicolas, « Le mendiant Paris, Éditions Tallandier, Collection Poor in Eighteenth-Century France,
infirme au XIXe siècle », in Gueslin « Texto », 2007, et plus particulière- Chapelle Hill et Londres, University
André et Stiker Henri-Jacques (sous ment le chapitre VII : Les mendiants, of North Carolina Press, 1988 ; Mcs-
la direction de), Handicaps, pau- p. 269-314. tay Adams Thomas, Bureaucrats
vreté et exclusion dans la France 91  Cité dans l’article « Contrôle and Beggars. Franch Social Policy
du XIXe siècle, Paris, Les Éditions de social », in Barreyre Jean-Yves, Bou- in the Age of the Enlightenment,
l’Atelier/Éditions ouvrières, 2003, quet Brigitte (sous la direction de), New York-Oxford, Oxford University
p. 33-51. Nouveau Dictionnaire critique d’ac- Press, 1990.
89  Geremek Bronislaw, Les Mar- tion sociale, Paris, Bayard Éditions, 93  Castan Nicole, Zysberg André,
ginaux parisiens aux XIVe et XVe collection « Travail social », 2006. Histoire des galères, bagnes et pri-
siècles, op. cit., p. 208-237. 92  Gutton Jean-Pierre, La société sons en France de l’Ancien Régime,
90  Chesney Kellow, Les Bas- et les pauvres en Europe ( XVIe- Toulouse, Éditions Privat, collection
Fonds de Londres. Crime et pros- XVIIIe siècles), op. cit., p. 122-157 ; « Hommes et communautés »,
titution sous le règne de Victoria, Schwartz Robert M., Policing the 2002, p. 57-87.
Mendicité,
vagabondage
lois du 10 septembre 1790 et du 24 vendémiaire an II (15 octobre 1793) sous et contrôLe sociaL
la forme de « maisons de répression »94. Marquée par de profonds boulever- du moyen âge au
xIXe siècle
sements politiques et sociaux, la Révolution ne pouvait par conséquent ne Antony Kitts

pas se préoccuper de ces problèmes au moment où la misère était générale95.


Mais, il faut attendre le Directoire pour assister à une nouvelle organisation 53
de l’assistance : la loi du 16 vendémiaire an V (7 octobre 1796) sur l’organisa-
tion hospitalière et celle du 7 frimaire an V (27 novembre 1796) sur la création
de bureaux de bienfaisance chargés des secours à domicile, posent ainsi les
fondations d’une bienfaisance communale dont les principes, en dépit de
quelques modifications ultérieures, resteront en vigueur pendant plus d’un
siècle. Tout au long du XIXe siècle, il existe ainsi un système d’assistance
publique, fondé sur les établissements hospitaliers (hôpitaux et hospices),
les bureaux de bienfaisance et les ateliers de charité, système complété par
les dépôts de mendicité (relancés en 1808, mais très rapidement ineffica-
ces96, avant de disparaître sous la Troisième République)97 et par toute une
multitude d’œuvres charitables privées, d’inspiration religieuse pour la
plupart d’entre elles. Cette politique sociale s’est surtout développée dans
le cadre de la ville ce qui explique que la plupart des travaux historiques se
soient portés sur l’assistance en milieu urbain98, au dépens des campagnes
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encore assez mal connues. Par ailleurs, on ne doit pas passer sous silence
les différentes lois d’assistance mises en place à la charnière des XIXe et XXe
siècles : loi sur l’assistance médicale gratuite du 15 juillet 1893 et la loi sur
les vieillards, infirmes et incurables du 14 juillet 1905, lois qui sont encore
peu étudiées sur le plan local. Mais derrière ces préoccupations sociales, ne
doit-on par voir, en définitive, ici le désir sécuritaire des élites99 de renforcer
le contrôle policier de ces marginaux à un moment où l’État-nation naissant
considère comme une priorité le contrôle des étrangers ?100
Au regard de la société, le vagabondage et la mendicité constituent en effet
des délits sanctionnés par la loi. Dans ces conditions, ils restent soumis à un
contrôle policier et judiciaire particulièrement contraignant. Depuis long-
temps, le contrôle de la mobilité est demeuré un enjeu majeur pour les pouvoirs

94  Petit Jacques-Guy, Faugeron 97  Gros Nicolas, Les dépôts ouvrières, 1996.
Claude, Pierre Michel, Histoire de mendicité (1808-1905). Un 99  Kalifa Dominique, « Délin-
des prisons en France (1789- exemple de la politique sociale au quance et insécurité urbaine
2000), Toulouse, Éditions Privat, XIXe siècle, mémoire de maîtrise en France (XIXe-XXe siècles) :
collection « Hommes et commu- d’histoire, Université de Paris X un contrepoint », in Fourchard
nautés », 2002, p. 26-29. Nanterre, 1994 ; Veysset Nicolas, Laurent et Olawale Albert Isaac
95  Imbert Jean (sous la direction « La fin des dépôts de mendicité (sous la direction de), Sécurité,
de), La protection sociale sous la au début de la IIIe République », in crime et ségrégation dans les
Révolution française, Paris, Asso- Gueslin André, Kalifa Dominique villes d’Afrique de l’Ouest du
ciation pour l’étude de l’histoire (sous la direction de), Les Exclus XIXe siècle à nos jours, Paris/
de la Sécurité sociale, 1990. en Europe 1830-1939, op. cit., Ibadan, Karthala-IFRA, 2003,
96  Thuillier Guy, « Le désordre de p. 112-123. p. 73-84.
l’administration napoléonienne : 98  Petit Jacques-Guy, Marec 100  Noiriel Gérard, Immigra-
l’échec des dépôts de mendicité Yannick (sous la direction de), Le tion, antisémitisme et racisme
(1808-1815) », La Revue adminis- social dans la ville en France et en France (XIXe-XXe siècles).
trative, janvier-février 2002, en Europe (1750-1914), Paris, Les Discours publics, humiliations
n° 325, p. 30-36. Éditions de l’Atelier/ Éditions privées, Paris, Fayard, 2007.

RHPS n°1 décembre 2008


publics101 dans sa volonté de catégoriser, d’identifier et de recenser les migrants
pour mieux les surveiller et finalement les arrêter. On assiste à un perfectionne-
ment des pratiques administratives d’identification et de contrôle des mendiants
et des vagabonds, à l’instar de la législation sur les passeports. En effet, l’Empire
page 54 reprend l’essentiel de la législation révolutionnaire, distinguant les passeports
pour l’intérieur obligatoires pour toute personne se déplaçant en dehors de son
canton et les passeports pour l’étranger pour sortir du territoire national. Avec
le retour de Fouché à la tête du ministère de la Police générale, en juillet 1804, le
droit de circuler devient beaucoup plus restrictif102, même si un assouplissement
de la législation permet de remettre aux plus pauvres des « feuilles de route »
pour voyager légalement103. Cette politique impériale fixe ainsi durablement le
cadre réglementaire de la législation sur les passeports au XIXe siècle104.
Sur le terrain, cette politique est assurée à la campagne par la gendarmerie105,
héritière de la maréchaussée d’Ancien Régime106 et en ville par la police107 dont
les histoires connaissent depuis quelques années une relecture intense108. En
ville, la question du contrôle des migrants se pose avec acuité avec l’arrivée
de nouveaux venus, originaires de la province ou de l’étranger. L’essentiel du
travail des policiers repose sur la surveillance et le contrôle des divers points
d’accueil (hôtels, auberges, garnis)109, en particulier la nuit110, ou de certaines
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activités particulièrement recherchées par les migrants111. En effet ces activités

101  Noiriel Gérard, « Les prati- 106  Lorgnier Jacques, Maréchaus- parisiens au Siècle des Lumières »,
ques policières d’identification sée. Histoire d’une révolution in Blanc-Chaléard Marie-Claude,
des migrants et leurs enjeux pour judiciaire et administrative, tome I, Douki Caroline, Dyonet Nicole, Mil-
l’histoire des relations de Pouvoir. Les juges bottés et tome II, Quand liot Vincent (sous la direction de),
Contribution à une réflexion en le gendarme juge, Paris, L’Harmat- op. cit., p. 315-331 ; « La surveillance
longue durée », in Blanc-Chaléard tan, 1995. des migrants et des lieux d’accueil
Marie-Claude, Douki Caroline, 107  Merriman John, Police Stories. parisiens du XVIe siècle aux années
Dyonet Nicole, Milliot Vincent, Po- Bulding the French State, 1815- 1830 », in Roche Daniel (sous la
lice et migrants. France 1667-1939, 1851, Oxford, Oxford Univer- direction de), La ville promise. Mo-
p. 115-132. sity Press, 2006 ; Aubouin Michel, bilité et accueil à Paris (fin XVIIe-
102  Denis Vincent, « Le contrôle de Teyssier Arnaud, Tulard Jean, début XIXe siècles), Paris, Fayard,
la mobilité à travers les passeports Histoire et dictionnaire de la police 2000, p. 21-76 ; Levy-Vroelant
sous l’Empire », in Blanc-Chaléard du Moyen Age à nos jours, Paris, Claire, « Un siècle de surveillance
Marie-Claude, Douki Caroline, Robert Laffont, Collection « Bou- des garnis à Versailles : 1830-1930 »,
Dyonet Nicole, Milliot Vincent, op. quins », 2005 ; Berlière Jean-Marc, in Blanc-Chaléard Marie-Claude,
cit., p. 75-90. Le Monde des polices en France Douki Caroline, Dyonet Nicole,
103  Marec Yannick, « Des pas- XIXe-XXe siècles, Paris, Éditions Milliot Vincent (sous la direction
seports pour indigents à Rouen Complexe, 1996. de), op. cit., p. 333-363.
(1813-1852) », in Gueslin André, Kalifa 108  Milliot Vincent, « Histoire des 110  Delattre Simone, Les douze heu-
Dominique (sous la direction de), polices : l’ouverture d’un moment res noires. La nuit à Paris au XIXe
op. cit., p. 73. historiographique », Revue d’His- siècle, Paris, Albin Michel, 2000.
104  Noiriel Gérard, « Surveiller toire Moderne et Contemporaine, 111  Bernard Daniel, « Surveillance
les déplacements ou identifier les avril-juin 2007, n° 54-2, p. 162-177 ; des itinérants et ambulants dans
personnes ? Contribution à l’histoire Luc Jean-Noël (dir.), Histoire de la le département de l’Indre au XIXe
des passeports en France de la Ière maréchaussée et de la gendarme- siècle et au début du XXe siècle »,
à la IIIe République », Genèses, mars rie. Guide de recherche, Maisons- in Maintien de l’ordre et polices en
1998, n° 30, p. 77-100. Alfort, Service Historique de la France et en Europe au XIXe siècle,
105  Luc Jean-Noël (sous la Gendarmerie Nationale, 2005. Société d’Histoire de la Révolution
direction de), Gendarmerie, État et 109  Milliot (V.), « Migrants et de 1848 et des Révolutions du XIXe
société au XIXe siècle, Paris, Publi- étrangers » sous l’œil de la police : siècle, Paris, Créaphis, 1987,
cations de la Sorbonne, 2002. la surveillance des lieux d’accueil p. 235-247.
Mendicité,
vagabondage
sont perçues - dans les discours des autorités ou de la presse - à travers le prisme et contrôLe sociaL
du moyen âge au
du vagabondage. La rue est également sous une surveillance étroite. À la fois lieu xIXe siècle
de passage et lieu de vie des marginaux, la rue offre souvent le spectacle de la Antony Kitts

pauvreté et de la violence auxquels les mendiants et les vagabonds ne sont pas


totalement étrangers112. À la campagne, l’une des missions de police essentielles 55
de la gendarmerie est de surveiller et de contrôler ces migrants113. Aussi, lors de
leur tournée, les gendarmes doivent-ils privilégier certains points névralgiques :
les grands axes de communications, les lieux de foire et de marché, les cabarets,
etc. Lieux d’échanges et de rencontre, les foires et les marchés attirent bien évi-
demment les plus pauvres, à la recherche notamment de nourriture : les vols à
l’étalage et dans les poches y sont considérables. Au village, le cabaret est l’autre
lieu de rencontre où l’on se rend pour retrouver de vieilles connaissances ou
nouer de nouvelles amitiés, pour y boire un verre, y préparer des mauvais coups,
etc. L’alcool aidant, les disputes et les bagarres ne sont pas rares. Ce sont autant
d’éléments de désordre qu’il faut veiller à contrôler. Cette police des campagnes
est également dévolue aux gardes champêtres114 dont les relations avec les bri-
gades de gendarmerie ne sont pas sans poser parfois des problèmes115. Dans ces
conditions, les mendiants et les vagabonds constituent, à la campagne comme
à la ville, des cibles privilégiées des forces de l’ordre et des arrêtés d’interdiction
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contre la mendicité et le vagabondage.
Arrêtés par les représentants de l’ordre, ils sont dès lors pris en charge par l’ap-
pareil judiciaire. Ne relevant normalement d’aucune juridiction spécifique sous
l’Ancien Régime, les mendiants et les vagabonds dépendent ainsi de la juridic-
tion dans lesquelles ils ont été arrêtés, à l’instar des prévôts des maréchaux. Au
XIXe siècle, ces délits relèvent des tribunaux correctionnels au sein du tribunal
de Première Instance (loi du 27 ventôse an VIII). À partir de l’étude des juge-
ments correctionnels116 ou des registres d’écrous, des historiens, comme Guy
Haudebourg pour la Bretagne et Patricia Peccoud pour l’Isère, ont montré que
les magistrats étaient plus sévères pour les vagabonds que pour les mendiants117.
On ne doit pas non plus négliger le rôle de certaines institutions (l’école, l’Église
ou l’armée) comme lieu d’éducation et de régulation de cette marginalité.
Faire l’histoire de ces marginaux, c’est donc d’abord se heurter à un problème

112  Leguay Jean-Pierre, La rue Vincent (sous la direction de), op. et gardes champêtres, de 1795 à
au Moyen Age, Rennes, Éditions cit., p. 51-62 et 235-249 ; Wagniard 1854 : une relation ambiguë », in Luc
Ouest-France Université, 1984 ; Jean-François, « La gendarmerie et Jean-Noël (sous la direction de), op.
Arlette Farge, Vivre dans la rue à les gendarmes face à la question du cit., p. 81-90.
Paris au XVIIIe siècle, Paris, Jul- vagabondage (1870-1914) », in Luc 116  Flori Juliette, « Les vagabonds de-
liard-Gallimard, 1992. Jean-Noël (sous la direction de), op. vant les tribunaux correctionnels à la
113  Dyonet Nicole, « La maré- cit., p. 289-299. fin du XIXe siècle », Labyrinthe. La re-
chaussée et la population mobile 114  Gaveau Fabien, L’ordre aux vue des étudiants-chercheurs, 1999,
dans l’Orléanais au XVIIIe siècle » champs. Histoire des gardes cham- n° 2, p. 19-39 ; Wagniart Jean-François,
et Houtte Arnaud-Dominique, « Le pêtres en France de la Révolution à « La pénalisation du vagabondage et
migrant du gendarme. Le quotidien la Troisième République. Pour une la répression de la pauvreté errante à
de la surveillance dans le départe- autre histoire de l’État, thèse de la fin du XIXe siècle », Cahier d’His-
ment du Nord pendant la première doctorat d’histoire (sous la direction toire, 1996, n° 64, p. 77-90.
moitié du XIXe siècle », in Blanc- de Berlière Jean-Marc), Université 117  Haudebourg Guy, op. cit., p.
Chaléard Marie-Claude, Douki de Dijon, 2005, 3 volumes. 331-339 ; Peccoud Patricia, op. cit.,
Caroline, Dyonet Nicole, Milliot 115  Gaveau Fabien, « Gendarmes p. 223-229.

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récurrent de l’histoire de la pauvreté : celui de reconstituer la voix de ces « sans
visages »118, considérés depuis longtemps comme « les muets de l’Histoire »119.
En dehors de leur cadre de vie habituel, où l’usage de la parole peut se faire
dans la confiance, parfois dans un langage qui leur est propre, ces marginaux
page 56 s’expriment le plus souvent sous la contrainte, lors d’une arrestation par la gen-
darmerie ou lors d’un interrogatoire devant la justice, forcés d’expliquer un délit
ou de justifier une façon de vivre120. Il faut cependant se garder de voir dans ces
mots le fidèle reflet de la pensée du marginal car ils témoignent avant tout du
bon fonctionnement des institutions assistancielles, policières, judiciaires et
pénitentiaires, qui se sont la plupart du temps révélées impuissantes à régler
cette question sociale. Même en dépassant ces discours stéréotypés et en son-
dant les nombreux fonds de ces « archives de la peur »121, on ne peut que constater
combien il est souvent difficile de s’approcher au plus près de cette vie marginale
incertaine122, comme l’ont fait en leur temps un Jack London, vagabondant à tra-
vers les États-Unis en 1894123 ou s’immergeant dans les bas-fonds de Londres au
début du XXe siècle124 ou un Amédée Fraigneau125, décrivant les quartiers populai-
res et miséreux de Rouen à la fin des années 1880 où vivaient ces clochards plus
connus sous le nom de « soleils ». Par ces dimensions politiques, économiques,
sociales et culturelles, cette histoire de la pauvreté et de la marginalité offre
© Comité d'histoire de la sécurité sociale | Téléchargé le 13/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 89.84.81.163)

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ainsi de multiples visages qui n’ont aujourd’hui malheureusement pas disparu
de notre société.

118  Farge Arlette, Laé Jean-François, direction de), Archives de la peur. 2, 2005, p. 80-89 (Chapitre IX : La
Cingolani Patrick, Magloire Franck, Les « populations à risque » dans mendicité) et 90-101 (Chapitre X :
Sans visages. L’impossible regard la Franche-Comté au XIXe siècle, Probabilisme et mendicité).
sur le pauvre, Paris, Bayard, 2004. Besançon, Presses universitaires 123  London Jack, La Route. Les
119  Wagniart Jean-François, « À la franc-comtoises/Annales littéraires Vagabonds du rail, Paris, Éditions
recherche de la parole errante (1871- de l’université de Franche-Comté, Phébus, Collection « Libretto »,
1914) », Revue d’Histoire du XIXe 2000. 2001.
siècle, 2000, n° 20-21, p. 217-230. 122  Thuillier Guy, L’histoire de la 124  London Jack, Le peuple d’en
120  Chauvaud Frédéric, « La parole protection sociale. Orientations bas, Paris, Éditions Phébus, Collec-
captive. L’interrogatoire judiciaire au de recherche sur la pauvreté et la tion « Libretto », 1999.
XIXe siècle », Histoire et Archives, souffrance, Paris, Comité d’His- 125  Amédée Fraigneau, Rouen
1997, n°1, p. 33-60. toire de la Sécurité sociale, Cahier bizarre, Rouen, Éditions PTC, 2003,
121  Stora-Lamarre Annie (sous la d’Histoire de la Sécurité sociale, n° p. 13-72.

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