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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Séquence Célébrer le monde


Comment l’écriture lyrique de Colette célèbre-t-elle le monde
dans Sido et Les Vrilles de la vigne ?

Étude suivie d’une œuvre au programme de 1re générale


Colette, Les Vrilles de la vigne (1908), Sido (1930)
Parcours associé : La célébration du monde

Sommaire

Étape 1 Comment Colette exprime-t-elle son amour de la nature ?


A. Corpus
• Texte 1 La civilité des jardins (Sido)
• Texte 2 Le pays enchanté (Les Vrilles de la vigne, « Jour gris »)
• Texte 3 La déclaration d’amour au pays natal (Les Vrilles de la vigne, « Printemps de la
Riviera »)
B. Explication linéaire
• Texte 2 Le pays enchanté (Les Vrilles de la vigne, « Jour gris »)
C. Écrit d’appropriation : faire un glossaire de la faune et la flore évoquées par
Colette

Étape 2 Comment Colette célèbre-t-elle les êtres aimés qui composent son monde ?
A. Corpus
• Texte 4 Le portrait de la mère (Sido)
• Texte 5 La réhabilitation du père (Sido)
• Texte 6 L’éloge animal (Les Vrilles de la vigne, « Nonoche »)
• Texte 7 L’héroïsme des femmes (Les Vrilles de la vigne, « Maquillages »)
B. Explication linéaire
• Texte 4 Le portrait de la mère (Sido)

Étape 3 Comment Colette célèbre-t-elle le bonheur de l’enfance retrouvée ?


A. Corpus
• Texte 8 L’enfance retrouvée (Sido)
• Texte 9 Les violettes magiques (Les Vrilles de la vigne, « Le Dernier Feu »)
• Texte 10 L’éloge de l’enfance (Les Vrilles de la vigne, « Le Miroir »)
B. Explication linéaire
• Texte 9 Les violettes magiques (Les Vrilles de la vigne, « Le Dernier Feu »)

Étape 4 Comment le bonheur de vivre et la sensualité de Colette se manifestent-ils


dans ces deux œuvres ?

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

A. Corpus
• Texte 11 L’aube d’été (Sido)
• Texte 12 L’ode à l’amour (Les Vrilles de la vigne, « Nuit blanche »)
• Texte 13 Carpe diem (Les Vrilles de la vigne, « Dialogue de bêtes »)
B. Écrit d’appropriation : imaginer une interview fictive de Colette

Étape 5 Quelle place la musique et le chant occupent-ils dans la vie de Colette ?


Corpus
• Texte 14 Le remède à la mélancolie (Sido)
• Texte 15 Écrire pour survivre (Les Vrilles de la vigne, « Les Vrilles de la vigne »)

Dissertations sur Sido et Les Vrilles de la vigne


• Sujet guidé
• Sujet d’évaluation

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Pour commencer…

1. Quels synonymes du verbe célébrer pouvez-vous donner ?


Chanter, rendre hommage, faire l’éloge.

2. Quel regard portez-vous sur le monde qui vous environne ?

3. Découvrez qui est Colette en écoutant un podcast au choix.


https://www.franceinter.fr/emissions/un-ete-avec-colette

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Étape 1
Comment Colette exprime-t-elle son amour de la nature ?
Objectif
Comprendre le rapport de Colette à la nature.

A. Corpus
• Texte 1 La civilité des jardins (Sido)
• Texte 2 Le pays enchanté (Les Vrilles de la vigne, « Jour gris »)
• Texte 3 La déclaration d’amour au pays natal (Les Vrilles de la vigne, « Printemps de la
Riviera »)

1. En quoi les jardins évoqués dans le texte 1 incarnent-ils pour Colette un art de vivre ?
Dans le quartier natal de Colette, quasiment toutes les maisons ont un jardin ou « une cour
plantée » (l. 2), et c’est ce qui semble assurer le lien entre toutes les maisons : « ces jardins-de-
derrière donnaient le ton au village » (l. 4). Quelle que soit la saison, une activité s’y déroule,
comme le suggère la juxtaposition des propositions aux lignes 4-5. C’est donc une vie tournée
vers l’extérieur, vers la nature. L’usage du pronom personnel indéfini « on » suppose une vie
collective, une sociabilité de jardin, ce qui est confirmé par l’emploi des indices personnels de
la première personne du pluriel « nos jardins se disaient tout » (l. 17). Cela rappelle le jardin
d’éden avant la faute : « pas de mystère » (l. 8), « que me parle-t-on de la
méfiance provinciale ? » (l. 16), « aimable vie policée de nos jardins ! » (l. 18), « courtoisie,
aménité » (l. 18), « quel mal fût jamais venu par-dessus un espalier mitoyen » (l. 20-21). Cette
civilité des jardins apparaît comme un véritable art de vivre, un temps édénique et regretté.

2. Quelle place occupe les saisons dans l’existence de Colette ?


Le rythme naturel biologique des saisons est très important dans l’existence de Colette. Dans
le texte 1, elle évoque les activités menées l’été et celles menées l’hiver (l. 5), pour finir par dire
qu’on besogne dans les jardins « en toute saison » (l. 5). Le texte 2 est, quant à lui, consacré à
l’évocation d’« un jour d’été » (l. 1). Dans le texte 3, Colette déplore « les verdures éternelles »
(l. 1) du Midi qui ne permettent pas de discerner le passage des saisons. Elle fait l’éloge du
printemps qui arrive lentement dans son pays natal avec un champ lexical météorologique :
« jour de dégel » (l. 8), « tiède et frais après-midi de février » (l. 10), « la neige bleuâtre fond
lentement » (l. 10-11). La découverte émouvante des premiers brins de blé et du parfum de la
« terre délivrée » (l. 13) qui renaît et des feuilles « quatre mois triturées par le gel et la pluie »
(l. 14). Cette reverdie produit en elle ce qu’elle nomme « l’amer et incomparable bonheur
printanier » (l. 15). Amer, car cela n’a rien de la douceur d’un paysage du Sud et de son « banal
parfum ».

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3. Relevez dans un tableau les différents sens sollicités dans ces descriptions. Quel effet
leur emploi produit-il ?
Texte 1 Texte 2 Texte 3
La vue Le « chien blanc » teint « noir » (l. 2), « Tes verdures » (l. 1),
en « bleu » et « en « bleuir » (l. 2), « azur « poudre blanche et roc
rouge » (l. 13) mauve » (l. 4), fleuris » (l. 6),
« blanc » (l. 7), « bleuâtre » (l. 11), « vert
« jaune » « rose » (l. émouvant » (l. 12),
15) « l’épine encore noire »
(l. 12)
L’ouïe « Le flanc sonore » (l. « Écoute » (l. 14 et 19) « glougloute
10), « nous entendions » « Le chant » (l. 16) mélodieusement » (l.
(l. 12), « chantait un « bat à tes oreilles » 13), « les notes limpides
petit cantique » (l. 14), (l. 17) et rondes » (l. 13)
« une sonnette triste » (l.
15)
Le toucher « orpin brûlant » (l. 20) « un frisson » (l. 12),
« brûlant » (l. 16),
« velours » (l. 17),
L’odorat « n’embaumes pas » (l.
2), « le banal parfum »
(l. 3), « l’odeur de la
terre, la souveraine
odeur du sol » (l. 4),
« narines ouvertes » (l.
5), « le parfum de la
terre » (l. 13-14),
« l’arôme » (l. 14)
Le goût « à boire l’air glacé » « l’amer » (l. 15)
(l. 11), « la saveur de
l’air enivre » (l. 28)

Le recours à ces notations sensorielles confère une dimension très sensuelle à ces descriptions
et souligne à quel point Colette est ouverte au monde qu’elle cherche à recueillir grâce à tous
ses sens.

4. Quels procédés permettent de mettre en place une tonalité lyrique dans ces trois textes ?
Dans chacun de ces textes, Colette manifeste sa subjectivité et sa présence à l’aide des indices
personnels de la première personne et en particulier de l’adjectif possessif : « mon quartier
natale » (texte 1, l. 1), « mon pays » répété comme un leitmotiv dans le texte 2, « mon âme
forestière » (texte 3, l. 3), « mon cœur » (l. 15). Elle met également en place des dialogues
poétiques, puisque dans le texte 2 elle s’adresse à la femme aimée et dans le texte 3 elle
apostrophe le « joli Midi menteur » qu’elle personnifie. Ces trois textes sont des déclarations
d’amour aux jardins et au pays de l’enfance. Cela se manifeste dans le dernier paragraphe du
texte 1 par des interjections et exclamations lyriques : « Oh ! aimable vie policée de nos
jardins ! ». Dans le texte 2, Colette célèbre par le lexique de l’enchantement le pays de son

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enfance (« sentier enchanté » l. 16, « forêt ancienne […] pareille au paradis » (l. 19), « un pays
de merveilles » (l. 28). Dans le texte 3, elle désigne sa Bourgogne natale par la périphrase « le
pays que j’aime » (l. 10). Enfin, la thématique musicale est aussi présente : « chantait un petit
cantique » (texte 1) ,« chant bondissant des frelons fourrées de velours » (texte 2), le « merle
verni [qui] glougloute mélodieusement, égoutte des notes limpides et rondes » (texte 3). Cette
thématique musicale est mise en valeur par un jeu d’allitérations et d’assonances,
particulièrement dans les textes 2 et 3. Tous ces éléments participent à la mise en place de la
tonalité lyrique qui célèbre les paysages de l’enfance.

5. Quels éléments peuvent rattacher ces extraits à la tradition littéraire du locus amoenus
(voir texte 1, note 6) ?
• Dans le texte 1, les jardins sont présentés comme des lieux protégés où les rapports humains
sont harmonieux (« des rideaux d’arbres protégeaient notre jardin » l. 9). Dans cet éloge des
jardins, Colette reprend le nom « aménité » qui vient du latin amoenus.
• Dans le texte 2, le pays natal apparaît comme un lieu refuge (« une vallée étroite comme un
berceau » l. 6). L’ombrage et l’humidité, l’isolement (« forêt ancienne oubliée des hommes » l.
19) et la sérénité (« pareille au paradis » l. 19), le plaisir des sens visuels et auditifs font du pays
natal un véritable locus amoenus.
• Le texte 3 décrit la renaissance de la nature après l’hiver et s’inscrit donc dans une autre
tradition poétique, celle de la reverdie, qui date du Moyen Âge.

B. Explication linéaire
• Texte 2 Le pays enchanté (Les Vrilles de la vigne, « Jour gris »)

Introduction
Ce texte publié en 1908 dans le recueil Les Vrilles de la vigne a été écrit en 1907. Colette passe
alors quelques jours en baie de Somme avec son amante Missy. À son retour, elle écrit un
ensemble de trois textes autobiographiques dédiés à Missy. Elle y décrit son sentiment
amoureux, mais aussi sa mélancolie. En effet, dans « Jour gris », Colette évoque un jour
venteux et triste au bord de la mer. Elle se réfugie alors dans l’évocation de sa Bourgogne
natale. L’extrait prend la forme d’un dialogue avec l’être aimé, reposant sur l’hypothèse de la
venue de Missy dans le pays natal de Colette. Ce texte narratif s’apparente également à un
poème en prose par sa disposition en paragraphes courts, sa structure répétitive, ses effets de
musicalité et sa tonalité lyrique.
[Lecture du texte à voix haute]
[Projet de lecture] En quoi ce texte propose-t-il une célébration originale du pays natal ?

Premier mouvement (l. 1 à 5) : une nature singulière


En quoi cette évocation du pays natal est-elle singulière ?
Colette partage avec son amante des souvenirs liés au pays de son enfance désigné par le
groupe nominal « mon pays » (l. 1). Elle est en vacances en été au bord de la mer, mais elle se
réfugie dans un tout autre paysage. Elle invite son amante à partager ses souvenirs à l’aide
d’une proposition subordonnée hypothétique : « Et si tu arrivais » (l. 1). Ce dispositif, qui
consiste à imaginer la venue de son amante dans son pays d’enfance, structure tout le texte.
On retrouve en effet de manière répétée la conjonction de subordination « si » pour envisager

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les différentes étapes de la découverte de ce pays. Ce dispositif est déjà en soit assez étrange
car Colette est censée profiter de son séjour avec son amante au bord de la mer, or elle passe
son temps à s’évader ailleurs et malgré l’apparent dialogue avec Missy, on comprend qu’elle
s’enferme et s’isole dans une rêverie solitaire. Le pronom personnel « tu » (l. 1, 2, 4) est un
masque car en fait Colette est en train de définir son ressenti et ses désirs : « tu m’oublierais et
tu t’assoirais là pour n’en plus bouger jusqu’au terme de ta vie » (l. 5). La formulation
hyperbolique célèbre le pouvoir presque magique d’un lieu qui fait tout oublier, même l’être
aimé. Cela n’a bien sûr rien d’appréciable pour Missy. En outre, ce paysage ne paraît pas si
idyllique : « un jardin noir de verdure et sans fleurs » (l. 2). Ici, l’adjectif « noir » et la
préposition privative « sans » donnent l’impression d’un lieu triste. La montagne elle-même
est caractérisée dans un rythme ternaire où seuls les papillons apportent une touche de
légèreté et de beauté, mais ils sont encadrés par des éléments plus rudes : « les cailloux, les
papillons et les chardons » (l. 3). L’azur est « mauve et poussiéreux » (l. 4). Colette ne cherche
pas à idéaliser ce paysage et, pourtant, l’évocation se fait poétique dans cette première phrase
ample qui mêle les rythmes binaires, ternaire et effets d’assonances en [on] créant une chaîne
sonore pour définir les éléments de ce singulier paysage « au fond » (l. 1), « montagne ronde »
(l. 3), « les papillons et les chardons » (l. 3). On a également une symphonie visuelle dans des
teintes un peu mélancoliques qui reflètent l’humeur de Colette : « noir de verdure » (l. 2),
« bleuir » (l. 3), « azur mauve et poussiéreux » (l. 4). Le regard poétique se manifeste également
dans la manière dont la fusion entre la couleur du ciel et des éléments du paysage est exprimée.

Deuxième mouvement (l. 6 à 13) : le pays des songes


Comment Colette métamorphose-t-elle une vallée humide et étroite en un lieu
merveilleux ?
Le deuxième paragraphe reprend dès la première ligne le groupe nominal « mon pays ». Cela
devient un motif poétique qui donne l’impression d’une célébration. Colette, dans un
mouvement qui ne semble pouvoir s’arrêter, comme l’exprime l’adverbe « encore », ajoute des
éléments à sa description. Elle transforme le paysage vallonné de son enfance en un lieu
magique et merveilleux. Dans ce tableau nocturne, tout est fait pour inviter le lecteur à une
rêverie mélancolique. Les défauts éventuels du paysage sont métamorphosés à l’aide d’images
mélioratives : la « vallée étroite » devient « un berceau » protecteur (l. 6), le brouillard est un
« gracieux spectre de brume » (l. 8). Les nuages créés par la brume prennent des formes
fantaisistes qui renvoient à un monde imaginaire et fantastique : « femme endormie, serpent
langoureux, cheval à cou de chimère… » (l. 9-10). Le brouillard est comparé à la fin à une âme :
« vivant comme une âme » (l. 11). Les rythmes accumulatifs utilisés dans ce paragraphe
semblent mimer le déploiement du brouillard. Ainsi, on a d’abord un groupe ternaire
d’adjectifs pour caractériser ce brouillard personnifié (« ténu, blanc, vivant », l. 7), suivi d’une
expansion plus longue (« un gracieux spectre de brume couché sur l’air humide… », l. 7-8).
Les points de suspension donnent l’impression que cela se répand, mais invitent également le
lecteur à s’imaginer ce brouillard. Dans la phrase suivante, ce brouillard vivant est encore
évoqué à l’aide de quatre compléments de plus en plus longs qui se terminent encore une fois
par des points de suspension. Le lecteur a l’impression d’être lui aussi entouré par le brouillard
dans ces phrases amples où les jeux d’allitérations et d’assonances produisent une prose très
musicale (en [B] : « brouillard », « berceau » « brume », « blanc » ; en [Y] « ténu », brume »
« humide »…). Colette reproduit dans ce paragraphe la même structure que dans le précédent
et la dernière phrase s’adresse donc à l’interlocutrice dans une subordonnée hypothétique, « Si
tu restes » (l. 10), complétant deux propositions principales coordonnées : « un frisson te saisira

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[…] et tes songes seront fous… » (l. 12). Notons toutefois que les temps verbaux ont évolué.
L’utilisation du présent et du futur (dans le premier paragraphe, on avait l’imparfait et le
conditionnel) donne davantage vie à cette hypothèse et on comprend que Colette est sans
doute davantage en train d’évoquer sa propre expérience plutôt que d’imaginer la venue
éventuelle de sa compagne dans la vallée de son enfance un soir d’été. De manière très
sensuelle, elle évoque l’effet produit par ce paysage en s’appuyant sur le goût et le toucher (« à
boire l’air glacé » l. 11, « frisson » l. 12). La dimension fantastique de ce paysage est confirmée
par l’hyperbole finale : « toute la nuit tes songes seront fous », l. 12-13. Finalement, Colette
métamorphose cette vallée étroite, humide, glacée en un paysage digne d’un tableau
romantique.

Troisième mouvement (l. 14-20) : la forêt enchantée


En quoi ce paragraphe est-il particulièrement lyrique ?
La description du pays natal se poursuit avec la reprise de l’adverbe « encore » (l. 14) et du
groupe nominal « mon pays » (l. 14-15) et d’une subordonnée hypothétique « si tu suivais » (l.
14) suivie d’une proposition principale « tu croirais » (l. 16). On retrouve donc la même
structure que dans les deux premiers paragraphes. Toutefois, Colette utilise également deux
impératifs pour inciter sa compagne, mais aussi le lecteur, à se plonger avec elle dans cette
rêverie et cette promenade imaginaire : « Écoute encore, donne tes mains dans les miennes »
(l. 14). La subordonnée relative « que je connais » (l. 15) reprend, dans un écho poétique et
lyrique, celle de la ligne 2. Nous sommes donc invités à emprunter ce petit chemin mis en
valeur par les couleurs éclatantes des fleurs qui le bordent : « jaune et bordé de digitales d’un
rose brûlant » (l. 15-16). Le sentier est ensuite caractérisé par l’adjectif mélioratif « enchanté »
(l. 16), puis par une périphrase hyperbolique : « qui mène hors de la vie » (l. 16). On a donc
l’impression qu’il s’agit du chemin qui mène au paradis. Cette thématique de l’ascension est
reprise par le complément circonstanciel « là-haut, où finit le monde » (l. 18) et devient
explicite avec la comparaison de la forêt au paradis : « toute pareille au paradis » (l. 19). La
description se fait hypotypose avec l’utilisation du présent de l’indicatif qui actualise les
moments évoqués : « t’y entraîne » (l. 17), « et bat à tes oreilles » (l. 17). Colette évoque aussi
des frelons, qui sont décrits de manière lyrique par leur « chant bondissant » (l. 16-17). Colette
transforme ainsi le bourdonnement et le vol frénétique plutôt désagréables des frelons avec
des termes synonymes de beauté et de douceur qui mettent en place une très belle synesthésie
mêlant le son (« chant »), la vue (« bondissant ») et le toucher (« fourrés de velours »).
L’expression particulièrement musicale nous fait entendre ce chant par le jeu d’allitérations et
d’assonances qui bondissent d’un mot à l’autre : « chant »/ « bondissant », « bondissant »/
« frelon », « frelon »/ « fourré », « fourré »/ « velours ». Mais Colette va plus loin et exprime
dans un mouvement lyrique sa fusion avec le monde. Elle emploie une métaphore qui assimile
le chant du frelon au battement du cœur avec l’emploi du verbe « bat à tes oreilles », ce qui
annonce la comparaison « comme le sang même [du] cœur » (l. 17-18). Le son du frelon est
donc en osmose avec le battement du cœur de Colette. C’est ce chant qui conduit Colette sur
les sentiers enchantés de cette forêt qu’elle apprécie particulièrement pour son isolement : « là-
haut, où finit le monde » (l. 18), « forêt ancienne, oubliée des hommes » (l. 19). L’évocation de
cette forêt enchantée aux couleurs et aux sons si agréables et isolée des hommes s’inscrit dans
le topos du locus amoenus. Colette reprend alors l’impératif « écoute » (l. 19) s’apprêtant à
poursuivre son envolée lyrique, mais elle s’interrompt brutalement dans sa phrase, laissant la
conjonction de coordination « car » en suspens comme si elle reprenait pied dans le réel.

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Quatrième mouvement (l. 21 à la fin) : le retour au réel


Comment le retour au réel est-il perceptible dans les deux derniers paragraphes du texte ?
La première phrase du quatrième paragraphe marque une rupture. En effet, Colette sort de
son évocation et de son introspection pour regarder vraiment celle avec qui elle parle et
découvre sa stupéfaction : « te voilà pâle » (l. 21) et « les yeux grands » (l. 21), « avec des yeux
jaloux » (l. 23). La réaction de Missy laisse supposer que Colette était véritablement en transe,
partie en pensée sur ce petit chemin enchanté : « Tu me rappelles à toi, tu me sens si lointaine »
(l. 23). Cet état second est suggéré par les questionnements et les phrases négatives : « Que t’ai-
je dit ? » (l. 21 et 27), « Je ne sais plus » (l. 21). Le rythme est également plus saccadé, avec des
phrases plus brèves contrastant avec les phrases amples des paragraphes précédents. Colette
n’est plus dans la description, mais dans l’analyse rétrospective : « je parlais, je parlais de mon
pays pour oublier la mer et le vent » (l. 21-22). L’usage de l’imparfait prouve que cette phase
est achevée. Le groupe nominal « mon pays » est mis en valeur au centre de la phrase et la
double répétition du verbe « je parlais » vient conjurer le rythme binaire formé par les éléments
du paysage maritime « la mer et le vent » que Colette a cherché à oublier en s’étourdissant
dans son évocation lyrique. La répétition du verbe « parler », quatre fois dans ces deux
paragraphes, désigne ce processus d’envoûtement par la parole. Elle évoque son retour au réel
avec la métaphore du « chemin » (l. 24), cheminement symbolique qui s’oppose au « petit
chemin » de son enfance. Sa nostalgie et son attachement au pays natal transparaissent alors
dans une métaphore filée qui transforme Colette en plante : « j’arrache de mon pays, toutes
mes racines qui saignent » (l. 24-25). Mais le dernier paragraphe marque une évolution,
puisque Colette est totalement revenue de son périple imaginaire, comme le souligne le
présentatif « Me voici ! » (l. 26) et l’usage du présent « je t’appartiens », l’implicite étant qu’elle
n’appartenait plus à Missy, mais à son pays d’enfance dans les moments qui ont précédé. Elle
renouvelle son explication dans une tournure restrictive : « Je ne voulais qu’oublier le vent et
la mer » (l. 26-27). Elle avoue dans une formule poétique le caractère illusoire et poétique de
sa description : « J’ai parlé en songe » (l. 27). Dans ce dernier paragraphe, les tournures
négatives, restrictives, sont omniprésentes pour souligner ce retour à un réel déceptif : « Ne le
crois pas ! » (l. 27 et 28), « n’y va pas », « en vain » (l. 29). La dernière phrase reprend
l’hypothèse de ce voyage au pays natal mais avec un effet de miroir inversé comme l’annonce
la tournure restrictive « Tu ne verrais que… » (l. 29). Les éléments énumérés font écho à ceux
évoqués dans les paragraphes précédents mais sans le processus d’idéalisation : « une
campagne un peu triste », « un village paisible et pauvre » « une vallée humide », « une
montagne bleuâtre et nue » (l. 29-31). Mais, si cette montagne ne nourrit pas même les chèvres,
elle a toutefois bien nourri l’âme de Colette qui ne peut s’empêcher de caractériser son pays
d’enfance dans une dernière hyperbole méliorative et sensuelle qu’elle nuance juste avec le
modalisateur « sans doute » et un point d’interrogation : « sans doute un pays de merveilles,
où la saveur de l’air enivre ? » (l. 28).

Conclusion
[Bilan] Colette célèbre son pays natal de manière originale : elle parvient, par les pouvoirs de
l’écriture, à métamorphoser les aspérités d’un paysage plutôt rude et stérile en éléments
merveilleux. Elle saisit la moindre beauté de son pays natal : les couleurs d’un paysage, le
brouillard humide, les frelons… Mais elle est consciente que cette ode au pays natal est une

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

mystification qui n’est possible que par l’enchantement littéraire. Finalement, Colette célèbre
donc la littérature qui permet de voir le monde autrement et de produire du beau.
[Ouverture] Dans ce texte, elle célèbre donc de manière lyrique son pays et fait comprendre
au lecteur qu’elle est une « âme forestière » (« Printemps de la Riviera ») et sûrement pas une
âme maritime.

Question de grammaire
Repérez et identifiez les différentes formes négatives dans la dernière phrase du texte.
« Tu ne verrais qu’une campagne un peu triste »  négation restrictive que l’on pourrait
reformuler ainsi : « tu verrais seulement une campagne triste ».
« une montagne bleuâtre et nue qui ne nourrit pas même les chèvres »  négation partielle
exprimée pas les adverbes de négation « ne » et « pas » qui encadrent le verbe . La négation
porte sur le complément « même les chèvres ».

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Étape 2
Comment Colette célèbre-t-elle les êtres aimés qui composent son
monde ?
Objectif
Comprendre la commémoration lyrique des êtres aimés.

A. Corpus
• Texte 4 Le portrait de la mère (Sido)
• Texte 5 La réhabilitation du père (Sido)
• Texte 6 L’éloge animal (Les Vrilles de la vigne, « Nonoche »)
• Texte 7 L’héroïsme des femmes (Les Vrilles de la vigne, « Maquillages »)

1. Repérez les êtres décrits dans ces textes et identifiez leurs qualités.
Textes L’être décrit Les qualités
Texte 4 – Sido, la mère de Colette – Fine et sensible (« rurale sensibilité » l. 4,
« son goût fin de la province » l. 4)
– Intelligente (« la clarté originelle » l. 5)
– Passionnée et joyeuse (« passionnément
immobile » l. 11, « frénésie riante » l. 24,
« allégrement »l. 25)
– Libre et excentrique (à l’opposé des
opinions du « commun des mortels » l. 7,
« elle bannissait les religions humaines » l.
11-12, « universel mépris », « dédain
dansant » l. 24-25)
– Amoureuse de la nature (« rurale » l. 4, « à
la rencontre du ciel » l. 11, admiration pour le
merle noir)
– Belle (« ses yeux couleurs de pluie »l. 22)

– un merle noir – Une belle allure (« oxydé de vert et de


violet » l. 14, « Qu’il est beau ! » l. 16, « les
mouvements de sa tête et cette arrogance » l.
17)
– Intelligence (« ce tour de bec » l. 17, « il
n’attrape que les plus mûres… » l. 18)
Texte 5 Le père de Colette - Un être pudique et secret : « il livra le plus
vrai de lui-même à des étrangers » l. 4,
« étrange silence d’un homme qui parlait
volontiers » l. 6, « Il n’a conté à aucun des
siens » l. 13
– Fausse gaieté (« Gai ? » l. 1, « sa dignité
goguenarde, sa frivolité de commande » l. 20)

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

– Un être amoureux (« envahi et borné par


son grand amour » l. 3)
– Un père aimant (« pleine de mon nom, du
mal de la "petite" » l. 17)
– Un héros (« mourir publiquement » l. 2,
« gloire » l. 3, « la cuisse gauche arrachée,
devant Melagnano » l. 10, « mourir parmi le
tonnerre » l. 14)
Texte 6 Nonoche Sensuelle, mélancolique et « insoucieuse »
(l. 20)

La libellule De belles couleurs (« la bête au long corps de


mosaïques turquoises » l. 4)

La chauve-souris Douceur et rondeur (« le velours roux du


ventre en figue » l. 17)
Texte 7 Les femmes – Énergiques et courageuses (« Ô lutteuses !
C’est de lutter que vous restez jeunes. l. 1,
« valeureux optimisme » l. 7, « l’arrogance
qui point » l. 28, « coup d’œil impatient » l.
28, « vers le risque » l. 29)
- Belles (« une grande paupière brune » l. 25,
« une joue romaine » l. 26, « tout ce beau
terrain à prospecter » l. 26)

2. Par quels procédés Colette rend-t-elle particulièrement vivants ces êtres ?


– Dans tous ces textes, Colette recourt au discours direct pour faire entendre les voix des êtres
aimés. Le texte 4 nous fait découvrir les injonctions exaltées de Sido (« - Chut !... Regarde… »
l. 13), le texte 5 la voix héroïque du père blessé sur le champ de bataille (« - Au milieu de la
place, sous le drapeau ! » l. 12). Colette ne recule pas devant une prosopopée qui fait entendre
la voix de la chatte Nonoche (« Comme je suis faite ! » l. 14) et dans le texte 7, elle rend un
vibrant hommage aux femmes en faisant entendre leur parler familier et populaire : « « Au
boulot ! Au boulot ! » (l. 5), « Et puis le truc à z’yeux » (l. 10)…
– Ces discours s’insèrent dans les anecdotes qui mettent en scène de manière marquante les
êtres aimés : l’anecdote du merle dans le texte 5, celle du père blessé sur le champ de bataille
dans le texte 6.
– Colette utilise fréquemment le présent de narration, ce qui donne l’impression d’assister aux
scènes racontées. Le style de la chronique est particulièrement bien représenté dans le texte 6
où on découvre le quotidien de Nonoche (« Nonoche soupire, baille et enjambe son fils… » l.
1) et dans le texte 7 qui permet de découvrir le quotidien des femmes de la classe moyenne ou
populaire. Cet art de saisir des détails, de raconter des anecdotes et de faire entendre les voix
relève du style de la chronique et rend particulièrement vivants les êtres évoqués.

3. Comment l’amour pour les animaux est-il perceptible dans ces textes ?
Colette célèbre les animaux qu’elle sait observer avec attention. Elle tient cela de sa mère,
comme nous le révèle l’anecdote du texte 4 lorsque Sido observe avec attention un merle dont
elle célèbre la beauté et l’habileté. Le texte 6 est entièrement consacré à Nonoche, la chatte de

© Hatier, Paris 2022 12


Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

la maison natale. Colette décrit avec attention son comportement et sait saisir dans des images
originales les pauses du chat : « la cuisse en l’air, Nonoche, copie cette classique figure de
chahut qu’on appelle "le port d’armes" » (l. 14-15). L’empathie est perceptible dans la constante
personnification de l’animal à qui elle attribue des émotions humaines, qui ne sont d’ailleurs
pas loin de celles que Colette éprouve : « elle s’ennuie » (l. 12), « cette mélancolie agacée, ce
vide et vague désir » (l. 13). Mais Colette célèbre aussi la beauté d’animaux moins prisés telles
la libellule et « son long corps de mosaïques turquoises » (l.4), ou encore la chauve-souris
caractérisée dans une étrange image qui mêle les éléments naturels : « elle nage en zigzag dans
l’air » (l. 16). Cette dernière est aussi évoquée dans une belle synesthésie à la ligne 17 qui
convoque la vue (« roux »), le toucher (« velours ») et le goût, voire même l’odorat avec la
figue. Colette nous invite ainsi à remettre en question le mépris que l’on pourrait avoir pour
certains animaux (« C’est encore une de ces bêtes où on ne comprend rien et dont la
conformation inspire une inquiétude méprisante. » l. 18-19). Enfin, dans le texte 7, on découvre
un procédé récurent chez Colette : elle animalise les humains. Les jeunes filles furtives sont en
effet comparées à la ligne 8 à l’élégante espèce canine des lévriers. Ce va-et-vient permanent
entre l’humain et l’animal révèle le respect et la tendresse de Colette pour les animaux.

4. Quel point commun ces êtres ont-ils en commun ?


Colette aime célébrer des êtres dont on ne saisit pas la beauté et l’intérêt au premier abord : sa
mère est une excentrique, son père un être secret qui n’a pas su communiquer avec sa famille.
Dans le texte 6, elle évoque des animaux banals ou méprisés, et le texte 7 constitue un éloge
des femmes vieillissantes qui cherchent à conserver leur jeunesse à l’aide du maquillage. Mais
Colette parvient à chaque fois, par l’écriture, à saisir des détails singuliers qui mettent en
valeur les êtres décrits et qui les rendent beaux. Son écriture agit donc comme un révélateur.

5. Quelle(s) émotion(s) Colette cherche-t-elle à communiquer à ses lecteurs ?


Colette cherche à provoquer l’admiration et la tendresse pour des êtres qui ne sont pas
absolument parfaits. Elle partage cette admiration grâce à des nombreux procédés lyriques
telles que les métaphores mélioratives, les phrases exclamatives et même des apostrophes
lyriques, comme dans le texte 7 où elle célèbre la valeur héroïque des femmes (« Ô lutteuses ! »
l. 1). Mais, parfois, la tristesse et la nostalgie surgissent, comme dans le texte 5 dont la tonalité
élégiaque est perceptible dans une déploration face au temps perdu (« Trop tard, trop tard… »
l. 18).

© Hatier, Paris 2022 13


Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

B. Explication linéaire
• Texte 4 Le portrait de la mère (Sido)

Introduction
En 1930, Colette, âgée de 57 ans, publie Sido, récit autobiographique, qui poursuit le travail de
remémoration et d’hommage au monde de l’enfance entrepris en 1922 avec La Maison de
Claudine. Elle cherche à retrouver la petite fille qu’elle était, mais surtout sa mère Sido.
Celle-ci est la figure centrale de ce récit autobiographique. La première partie lui est
entièrement consacrée et son influence sur le reste de la famille est perceptible dans la
deuxième et la troisième parties consacrées au Capitaine Colette et à la fratrie. Dans cet extrait,
Colette tente de faire comprendre la singulière personnalité de sa mère à travers une anecdote.
[Lecture du texte à voix haute]
[Projet de lecture] Comment Colette rend-t-elle hommage à sa mère dans ce texte ?

Premier mouvement (l. 1 à 3) : vue d’ensemble


Comment cette présentation générale souligne-t-elle le caractère singulier de Sido ?
Colette évoque sa mère avec une certaine distanciation en la désignant par un déterminant
démonstratif et par son origine « cette Française » (l. 1). Elle nous propose un sommaire de
l’existence de sa mère. En trois lignes elle résume ainsi les principales étapes de son existence :
« son enfance dans l’Yonne » (l. 1), « son adolescence » (l. 1) en Belgique, puis sa vie de femme
mariée dans l’Yonne. Les verbes au passé simple donnent un aspect révolu, mais rappellent
aussi les formulations d’un conte (elle « vécut » l. 1). Au cœur de cette longue phrase, on a une
énumération qui évoque le milieu culturel et artistique dans lequel a évolué Sido en Belgique :
« parmi des peintres, des journalistes, des virtuoses de la musique » (l. 2). Mais cette phrase
est encadrée par le complément circonstanciel « dans l’Yonne » (l. 1 et 3), c’est donc bien la
Bourgogne qui est mise en valeur. Ainsi cette femme a, en toute connaissance de cause, choisit
de retourner en Bourgogne. Elle apparaît triplement singulière par ce choix : elle renonce à la
vie urbaine en Belgique pour la province, elle renonce à vivre proche de ses frères ainés et
enfin elle renonce à un environnement culturel. La dernière et brève proposition « s’y maria
deux fois » (l. 3) intrigue également le lecteur.

Deuxième mouvement (l. 3 à 7) : célébration d’une femme exceptionnelle


Comment Colette exprime-t-elle son admiration pour sa mère ?
Colette renonce à l’apparente distanciation de la première phrase et fait l’éloge de sa mère avec
deux groupes nominaux mis en valeur dans un chiasme « sa rurale sensibilité, son goût fin de
la province » (l. 4). Ainsi, aux extrémités, on retrouve la mention de son appartenance à une
France rurale et au milieu l’évocation de sa finesse et de sa sensibilité comme si elles étaient
le produit de ce lieu. Toutefois, Colette s’interroge elle-même sur l’origine de ces qualités à
l’aide de deux interrogations partielles : « d’où, de qui lui furent remis […] ? » (l. 3-4). Ces
interrogations cultivent le mystère autour de cette singulière personnalité, d’autant plus que
Colette n’a pas d’explication, comme elle l’exprime dans une phrase négative très brève : « Je
ne saurais le dire » (l. 4). Elle évoque avec modestie le cœur de son projet littéraire : il s’agit de
célébrer sa mère (« Je la chante, de mon mieux » l. 5, « Je célèbre » l. 5). Les deux verbes au
présent d’énonciation, définissent l’art de Colette : rendre hommage en utilisant toutes les
ressources musicales du langage. Cet hommage est perceptible dans une métaphore filée qui

© Hatier, Paris 2022 14


Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

oppose « la clarté originelle » (l. 5) de la mère aux « petites lumières péniblement allumées au
contact de ce qu’elle nommait le "commun des mortels" » (l. 6-7). On découvre le caractère sans
doute un peu hautain de Sido qui se considère unique et au-dessus des autres, mais Colette
adhère totalement à ce point de vue, puisqu’elle caractérise les lumières des autres par un
adjectif péjoratif (« petites » l. 6) et par l’adverbe tout aussi négatif « péniblement » (l. 6).
Colette veut signifier que sa mère est un être libre qui ne se laisse pas dicter sa conduite par
les convenances et la médiocrité. La liberté et la sagesse de sa mère sont ainsi caractérisées
dans une métaphore laudative (« clarté originelle » l. 5), qui souligne qu’elle est restée proche
des origines. L’aura et le pouvoir de cette mère sont signalés par les deux verbes (« elle
refoulait, éteignit souvent les petites lumières » l. 6). Encore une fois, il s’agit de dire
métaphoriquement qu’elle ne se laisse pas enfermer dans les normes et les convenances.

Troisième mouvement (l. 7 à la fin) : une anecdote éclairante


En quoi l’anecdote racontée est-elle à la fois comique et lyrique ?
Colette, dans une démarche déductive, raconte une anecdote qui vise à illustrer le caractère de
sa mère. L’anecdote cocasse permet de comprendre comment Sido se démarque du « commun
des mortels ». En l’occurrence, il s’agit d’un voisin caractérisé de manière comique, dans une
métonymie qui le réduit à sa localisation « l’Ouest » (l. 8) et à ses salves « d’éternuements » (l.
8). Ce personnage déjà comique en soi s’efforce de protéger son verger contre les merles à
l‘aide d’épouvantails, qui prennent l’allure de « vieux chemineaux » (l. 9) et en coiffant ses
groseilliers de gibus poilus. Cela fait surgir un tableau grotesque. Dans un premier temps, la
mère de Colette semble séduite par cette lumineuse idée et elle installe aussi « un épouvantail
à effrayer les merles » pour les dissuader de picorer ses cerises. Voici donc la situation initiale
qui nous dévoile comment la mère de Colette semble se conformer « aux petites lumières » (l.
6) de son voisinage. Après une ellipse (« Peu de jours après» l. 10), nous découvrons comment
Sido a éteint ces « petites lumières » et a retrouvé « la clarté originelle ». En effet, elle est sous
un arbre la tête levée vers le ciel. La caractérisation élogieuse de Sido contraste avec le
personnage ridicule du voisin : l’adverbe « passionnément » qualifie de manière oxymorique
l’adjectif « immobile » (l. 11) pour signifier l’intensité de son observation. Le lexique de
l’élévation transforme quasiment Sido en déesse « à la rencontre du ciel » (l. 11). Pour finir,
Colette explique que sa mère « bannissait les religions humaines… » (l. 11-12). Elle apparaît
comme une athée plus intéressée par les phénomènes naturels que par les inventions
humaines. Colette nous fait comprendre la raison de cet état extatique en rapportant au
discours direct un dialogue comique entre elle et sa mère. En effet, Sido est en train de
s’extasier devant la beauté d’un merle qui dévore ses cerises, ce qui déclenche
l’incompréhension de la petite fille (« – Mais maman, l’épouvantail… » l. 19, « – Mais, maman,
les cerises !... » l. 21). En effet, Sido ne pense plus à chasser les oiseaux, mais s’oublie dans la
contemplation du merle et, dans un renversement comique, elle déclare : « l’épouvantail ne le
gêne pas… » (l. 20), « Les cerises ?... Ah !oui, les cerises... » (l. 23). L’insertion de ce dialogue
aux répliques courtes dynamise ce petit récit qui montre de manière cocasse la véritable nature
de Sido n’obéissant pas à la logique du commun des mortels. Elle manifeste avec
enthousiasme son admiration pour la beauté de ce petit oiseau, d’abord dans une phrase
exclamative (« Qu’il est beau ! » l. 16), puis dans une question rhétorique (« les mouvements
de sa tête et cette arrogance ? » l. 17). Elle poursuit sa célébration du petit merle en évoquant
son habileté à manger les cerises au lieu de la déplorer : « Et tu vois comme il se sert de sa
patte ? » (l. 16) « Et ce tour de bec pour vider le noyau ? » (l. 17). Elle finit par évoquer

© Hatier, Paris 2022 15


Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

l’intelligence du petit oiseau : « Et remarque bien qu’il n’attrape que les plus mûres… » (l. 18).
Sido invite sa fille au silence et à la contemplation de ce spectacle à l’aide d’injonctions et de
questions rhétoriques qui sont des ordres déguisés : « Chut !... Regarde… » (l. 13), «Et tu
vois… » en anaphore aux lignes 16 et 17, « Et remarque » (l. 18) « Chut ! » (l. 20). Les
chuchotements (« chuchotait ma mère » l. 16) et l’immobilité de la mère contrastent avec
l’attitude du bruyant voisin de l’Ouest. Mais surtout Sido transmet à sa fille un véritable art
d’être au monde : écouter, regarder, saisir la beauté d’un petit oiseau. Colette prouve qu’elle a
compris cette leçon en insérant une description pleine de sensualité et de poésie du petit merle
en train de picorer les cerises aux lignes 14 et 15. Elle parvient en effet à saisir les subtiles
couleurs du petit oiseau noir dans une expression musicale où se rencontrent allitérations et
assonances « oxydé de vert et de violet » (l. 14). Le plumage contraste avec l’évocation de « la
chair rosée » (l. 15) des cerises, gravant dans l’esprit du lecteur un tableau coloré. Le rythme
ternaire souligne poétiquement l’enchaînement parfait des actions avec la juxtaposition des
verbes tout en poursuivant l’allitération en [e] : « piquait les cerises,/ buvait le jus,
/déchiquetait la chair rosée… » (l. 14-15). Lorsque sa mère cesse d’observer le merle, Colette
écrit qu’elle ramène « sur la terre ses yeux » (l. 22). Cette formulation fait écho à la ligne 11 où
sa tête était « à la rencontre du ciel ». Ainsi Colette nous raconte l’envolée de sa mère, puis son
retour à la réalité. Elle finit par évoquer la couleur des yeux de sa mère dans une formulation
qui souligne la fusion de Sido avec la nature : « ses yeux couleur de pluie » (l. 22). La dernière
phrase du texte est enfin une célébration du caractère unique de Sido où se mêlent la gaieté
(« riante » l. 24, « dansant » l. 25, « allégrement » l. 25), l’énergie (« frénésie » l. 24, « qui me
foulait » l. 25), mais aussi un mépris affirmé pour le conformisme (« un universel mépris » l.
24, « un dédain » l. 24-25). Les trois compléments d’objets directs mettent en place un rythme
ascendant qui renforce l’expression de l’admiration de Colette pour le caractère de cette mère
unique.

Conclusion
[Bilan] Dans ce portrait, Colette peint sa mère comme un esprit libre, prompt à s’écarter des
sentiers battus. Elle évoque aussi sa capacité à s’émerveiller devant le spectacle quotidien de
la nature. Elle célèbre « sa clarté originelle », c’est-à-dire sa capacité à voir la beauté du monde
dans une anecdote pétillante. Cet hommage est original car Colette ne masque pas les aspects
plus contestables de la personnalité de sa mère : son indifférence aux autres, sa singularité
assumée.
[Ouverture] Mais ce texte, dans lequel s’exprime l’admiration de Colette pour sa mère, nous
permet également de comprendre d’où Colette tient son regard sur le monde. Dans ses
œuvres, elle applique les injonctions maternelles : elle se tait, elle regarde et cherche à saisir la
beauté du monde. Dans « Maquillages », Colette observe avec tendresse les femmes en mettant
en application les préceptes maternels : « J’écoute, mais surtout je regarde. »

Question de grammaire
Identifiez le type d’interrogation employée dans le passage ci-dessous. La formulation vous
paraît-elle correcte ?
« Et tu vois comme il se sert de sa patte ? Et tu vois les mouvements de sa tête et cette
arrogance ? » (l. 16-17)

© Hatier, Paris 2022 16


Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Il s’agit d’une interrogation directe et totale identifiable par le point d’interrogation et par le
fait que l’interrogation porte sur l’ensemble de la proposition et appelle une réponse par
« oui » ou « non ». Toutefois, on ne trouve pas l’inversion habituelle sujet/verbe (Et vois-
tu… ?).

© Hatier, Paris 2022 17


Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Étape 3
Comment Colette célèbre-t-elle le bonheur de l’enfance retrouvée ?
Objectif
Comprendre la célébration de l’enfance et le processus de la mémoire affective.

A. Corpus
• Texte 8 L’enfance retrouvée (Sido)
• Texte 9 Les violettes magiques (Les Vrilles de la vigne, « Le Dernier Feu »)
• Texte 10 L’éloge de l’enfance (Les Vrilles de la vigne, « Le Miroir »)

1. Faites le portrait de Colette enfant telle qu’elle se décrit dans ces trois textes.
Colette se décrit comme une enfant amoureuse de la nature. Elle livre une magnifique
description des saisons de son enfance dans le texte 8 : « aucun été sauf ceux de mon enfance
ne commémore le géranium écarlate et la hampe enflammée des digitales » (l. 4-5). Un peu
plus loin, elle se décrit en train d’arpenter le jardin « happant la neige volante » (l. 11) et dans
le texte 9 elle explique que « le printemps [l’]enchantait » (l. 14). Dans ce même texte, elle
évoque cette nature aimée dans une longue énumération (l. 10 à 14) : « des prés, des bois
profonds… ». Elle explique aussi qu’elle se sentait « prisonnière, le jour » à l’école, sous-
entendant que le véritable bonheur résidait dans le fait de parcourir la campagne et les bois.
Dans ce texte 9, on découvre une petite fille amoureuse des fleurs, primevères et surtout
violettes : elle était prête à changer ses jouets et images « contre les premiers bouquets de
violettes » (l. 16-17). Dans le texte 10, elle définit son enfance en mettant en avant son « goût
passionné pour tout ce qui respire à l’air libre et loin de l’homme – arbre, fleur, animal peureux
et doux, eau furtive des sources inutiles » (l. 16-17).
Colette est également une petite fille exaltée et pleine d’imagination comme le révèle la
métaphore filée où lors d’une tempête de neige, elle se transforme en mousse (texte 8, l. 15)
d’un « navire natal » dont le capitaine serait sa mère. Le champ lexical de l’exaltation est
omniprésent dans ces extraits : « je m’élançais, claquant des sabots, enthousiasmée » (texte 8,
l. 15), « goût passionné » (texte 10, l. 16), « exaltation sans cause » (l. 18) , « mon bel orgueil »
(l. 19), « mon âme extraordinaire d’homme intelligent » (l. 20), « une âme à faire éclater mon
petit corps » (l. 21).
Mais Colette est aussi une enfant mélancolique « silencieuse » (texte 9, l. 14) qui se sent
prisonnière à l’école (l. 15), elle évoque son cœur « obscur et pudique » (l. 15) et sa « gravité »
(l. 18).
Elle apparait aussi comme un être paradoxal pétri de contradiction, exaltée et mélancolique
à la fois, ce que résume bien l’oxymore sa « triste et mystérieuse joie » (texte 9, l. 15).

2. Par quels procédés Colette parvient-elle à faire revivre son enfance ?


Colette fait revivre son enfance grâce à des anecdotes, comme celle de la tempête de neige
(texte 8) ou celle de l’échange des bouquets de violettes à l’école (texte 9). Elle célèbre
également la nature de son enfance avec des descriptions poétiques des végétaux et des
phénomènes météorologiques. Retenons l’énumération lyrique des fleurs qui se terminent par
un rythme ternaire, véritable ode aux violettes : « des primevères de Pâques, des jeannettes
jaunes au cœur safrané, et des violettes, des violettes, des violettes… » (texte 9, l. 12-14). Elle

© Hatier, Paris 2022 18


Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

met en place des dispositifs variés pour introduire ses souvenirs d’enfance. Si l’extrait de Sido
(texte 8) s’apparente à un récit rétrospectif assez traditionnel, la plongée dans le passé se fait
de manière plus originale dans les deux autres textes. Le texte 9 est un dialogue avec la femme
aimée à qui Colette décrit son enfance qu’elle parvient véritablement à faire renaître grâce au
parfum et à la couleur des violettes qui lui rappellent celles de son enfance. Elle illustre le
processus de la mémoire affective, mémoire réveillée par des odeurs et couleurs similaires à
celles de l’enfance. Le dernier texte est encore plus original. En effet, Colette imagine un
dialogue avec son double littéraire – Claudine – pour faire son portrait enfant.

3. Relevez le champ lexical du temps et de l’enfance dans ces textes. Que révèle-t-il ?
Texte 8 : « dans ce temps-là » (l. 1), « mon enfance » (l. 4), « ne commémore » (l. 4).
Texte 9 : « ne te souviens-tu pas » (l. 4), « le philtre qui abolit les années » (l. 7-8), « ressusciter
et grandir devant toi les printemps de ton enfance !... » (l. 9-10), « Ô violettes de mon
enfance ! » (l. 22).
Texte 10 : « Ô notre enfance… » (l. 1), « ne résiste jamais à une évocation du passé » (l. 2),
« vous souvenez-vous ? » (l. 3 et 4), « quand nous étions petites » (l. 7), « je me souviens » (l.
14), « c‘est moi enfant et moi à présent… » (l. 18-19), « Hélas, Claudine, j’ai perdu presque tout
cela » (l. 21-22).
Ce lexique du souvenir et de l’enfance révèle la nostalgie d’un temps heureux dans lequel
Colette aime se plonger. La tonalité se fait élégiaque pour célébrer l’enfance perdue, ce qui est
particulièrement perceptible avec la répétition du verbe « souvenir », les apostrophes à
l’enfance et l’interjection « Hélas ».

4. Pourquoi le texte 10 se distingue- t-il des textes 8 et 9 ?


Le texte 10 se distingue des deux autres car Colette, dans un habile dispositif autofictionnel,
se dédouble : la narratrice Colette discute avec son double littéraire Claudine afin de se
moquer d’elle-même et de ses penchants à la mélancolie. Non sans ironie, Colette décrit une
Claudine qui se complaît et se délecte du passé : « Claudine ne résiste jamais à une évocation
du passé » (l. 2), « elle se détend, se confie, s’abandonne toute… » (l. 3), « encore une fois le
charme opère » (l. 5-6). Colette, dans une analyse lucide et réflexive, prend ces distances face
à cette facile et complaisante nostalgie. Elle explique qu’elle a conservé adulte les mêmes
caractéristiques que dans son enfance, elle a juste perdu une partie de sa confiance en elle-
même en devenant une femme. Il s’agit d’une discrète manière d’attaquer la société, ses
convenances et les hommes, et de faire un bel éloge de l’enfance, âge de tous les possibles.

© Hatier, Paris 2022 19


Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

B. Explication linéaire
• Texte 9 Les violettes magiques (Les Vrilles de la vigne, « Le Dernier Feu »)

Introduction
Colette a 35 ans lorsqu’elle écrit ce récit, « Le Dernier Feu », qu’elle publie ensuite dans le
recueil Les Vrilles de la vigne. Elle commence sans doute à se sentir vieillir et elle vient de
connaître une séparation douloureuse. Après avoir été abandonnée par son mari, elle a une
relation amoureuse avec une femme à qui ce texte est dédié. L’écriture et la plongée dans le
passé apportent à Colette un apaisement salvateur. Cet extrait dévoile en effet une triple
célébration : celle de la femme aimée, celle de l’enfance et celle du printemps naissant. Tout
commence avec une banale conversation entre les deux amantes à propos de la couleur des
violettes.
[Lecture du texte à voix haute]
[Projet de lecture] Comment Colette parvient-elle à partager avec le lecteur la beauté d’un
moment précieux ?

Premier mouvement (l. 1 à 9) : un dialogue amoureux


Comment le lien amoureux et la tendresse sont-ils perceptibles dans ce premier mouvement
du texte ?
Ce passage relate un moment tendre entre Colette et son amante Missy. Elles contemplent les
premières violettes du printemps qui viennent d’apparaître durant la nuit. Cette éclosion est
présentée de manière méliorative grâce au complément circonstanciel de manière « par
magie » (l. 1). La complicité qui unit les deux femmes est perceptible dans la question posée
par Colette à Missy qui suppose une expérience partagée (« les reconnais-tu ? » l. 1-2) et dans
la similitude des attitudes : « Tu te penches, et comme moi tu t’étonnes » (l. 2). Le tutoiement
exhibe également l’intimité de la relation, encore perceptible dans l’interrogation de Missy :
« ne sont-elles, pas ce printemps-ci, plus bleues ? » (l. 2-3), sous-entendant que les deux
femmes étaient ensemble lors du dernier printemps. Toutefois, dans cette tendre querelle
amoureuse autour de la couleur des violettes, il est parfois difficile d’identifier qui pose les
questions, car le dialogue est rapporté de manière assez libre et elliptique sans mention du
nom des locutrices. Néanmoins, on comprend que Colette défend la thèse selon laquelle les
violettes étaient « moins obscures, d’un mauve azuré » (l. 3-4) l’année précédente. Elle relance
Missy dans une dernière interrogation totale « ne te souviens-tu pas ? » (l. 4). Colette rapporte
la suite du dialogue sous forme de sommaire en juxtaposant deux verbes caractérisant
l’attitude de Missy (« Tu protestes, tu hoches la tête » l. 4) et en abrégeant la conversation en
ne reprenant que des bribes suivies de points de suspension « Plus mauves… non, plus
bleues… » (l. 5-6) . Elle met un terme à ce badinage amoureux, qualifié tendrement « de
taquinerie » à l’aide d’un impératif à la ligne 6 : « Cesse cette taquinerie ! ». L’échange sur la
couleur des violettes permet également d’insérer un éloge de la femme aimée, dont Colette
évoque « le rire grave » (l. 4-5) mais surtout le regard : « le vert de l’herbe neuve décolore l’eau
mordorée de ton regard » (l. 5). Dans une fusion lyrique, les éléments de la nature et ceux du
corps se mêlent pour célébrer à la fois la beauté des couleurs d’un printemps naissant et celle
des yeux de la femme aimée dans une tradition digne d’un blason. Colette finit par dépasser

© Hatier, Paris 2022 20


Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

ce différend sur la couleur des violettes en sollicitant un autre sens, l’odorat : « narines » (l. 6),
« parfum » (l. 6), « respirant » (l. 7). En effet, si les couleurs des violettes sont changeantes
d’une année sur l’autre, le parfum lui reste le même, « invariable » (l. 7). Cette antithèse permet
de mettre en œuvre le processus de la mémoire affective. En effet, ce parfum identique, qui ne
change pas, ramène Colette à l’année précédente, et même encore plus loin. Elle retrouve son
enfance en respirant le parfum des violettes. Le bonheur éprouvé est perceptible dans la
métaphore qui transforme les violettes en « philtre qui abolit les années » (l. 7-8) et l’on
comprend mieux l’emploi du nom « magie » à la première ligne du texte. L’impératif du verbe
« regarde », en anaphore aux lignes 7 et 8, est une invitation à partager ce voyage dans le passé.
Cette réminiscence est si vive qu’elle emploie deux verbes hyperboliques, « ressusciter et
grandir » (l. 8), pour la qualifier et une tournure exclamative pour évoquer au pluriel tous les
printemps de l’enfance. Les points de suspension confirment cette invitation à contempler les
printemps de l’enfance qui s’adresse aussi au lecteur.

Deuxième mouvement (l. 10 à 18) : le tableau de l’enfance retrouvée


Comment la narratrice nous fait-elle découvrir son enfance ?
Dans ce deuxième mouvement, le dialogue cesse pour laisser place à une introspection
solitaire. C’est comme si l’évocation des couleurs des violettes avait fait renaître tous les
printemps de l’enfance. C’est ce que semble suggérer la reprise des bribes de la conversation
précédente (« Plus mauves…non, plus bleues… » l. 10). À partir de là, on a la reprise en
anaphore du verbe « je revois » aux lignes 10 et 14. Le préfixe itératif « re » souligne qu’il s’agit
d’un retour en arrière. La narratrice, dans une belle hypotypose, décrit les paysages de son
enfance. Le champ lexical de la nature printanière se déploie dans une ample phrase au rythme
accumulatif : l’énumération commence par évoquer les grands ensembles que sont les prés et
les bois en s’attachant aux hauteurs (« les bourgeons » l. 11) pour finir sur les minuscules
violettes qui tapissent les sous-bois. Cette évocation rassemble tous les éléments du locus
amoenus (ombre, humidité, lieu protégé) en convoquant différents éléments : végétation, eau,
sable, bois, fleurs. La présence du tiret à la ligne 11 est comme une invitation à suspendre
véritablement la lecture pour se laisser envahir par ce paysage de mots. La diversité des
couleurs contribue à la beauté des lieux décrits : « le vert insaisissable » (l. 11) « les jeannettes
jaunes au cœur safrané » (l. 13). L’image très belle également des « sources perdues, bues par
le sable aussitôt que nées » (l. 13) donne l’impression d’un paysage protégé et oublié du
monde. L’énumération se termine par un rythme ternaire qui célèbre la profusion des violettes
si chères au cœur de la narratrice : « et des violettes, des violettes, des violettes… » (l. 13-14).
Mais Colette fait également revivre la petite fille qu’elle était, une petite fille que le printemps
« enchantait déjà d’un bonheur sauvage » (l. 14-15). L’adverbe temporel « déjà » laisse
entendre qu’elle n’a pas changé et qu’elle est toujours amoureuse du printemps. Mais l’enfant
qui se dessine dans cet autoportrait est « silencieuse » (l. 14), « prisonnière le jour dans une
école » (l. 15-16). Son bonheur est « sauvage » (l. 15) ; étymologiquement, cet adjectif
caractérise ce qui est en relation avec la forêt. L’oxymore « triste et mystérieuse joie » (l. 15)
nous fait également découvrir la personnalité d’une petite fille dont l’enthousiasme pour la
nature est teinté de mélancolie, une petite fille qui n’aspire qu’à la liberté et sans doute à courir
avec « les petites bergères des fermes environnantes » (l. 17-18). L’anecdote racontant
l’échange des jouets et images contre les premières violettes est aussi particulièrement
significative. Le lecteur visualise ce premier petit bouquet de violettes des bois grâce à un

© Hatier, Paris 2022 21


Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

détail : « le fil de cordon rouge » (l. 17) noué autour du bouquet. La multiplication des points
de suspension dans ce passage invite à se laisser aller à cette rêverie champêtre.

Troisième mouvement (l.18 à la fin) : l’ode aux violettes


Comment ce dernier mouvement constitue-t-il une ode aux violettes?
Cette dernière partie du texte est entièrement consacrée aux violettes ; le mot est répété sept
fois comme un leitmotiv poétique. La première phrase est composée d’une juxtaposition de
groupes nominaux scandée par l’anaphore du nom « « violettes » dans une sorte d’hommage.
Cette envolée lyrique énumère toutes les violettes existantes, mais les points de suspension
laissent entendre que c’est inépuisable. L’enthousiasme lyrique de la locutrice est perceptible
avec des groupes nominaux de plus en plus longs. Le dernier est complété par une
subordonnée relative, expansion du nom permettant de détailler une étrange variété de
violettes « qui haussent sur de longues tiges leurs pâles corolles inodores » (l. 20). On est ainsi
passé des « violettes à courtes tiges » (l. 18), évoquées au début dans un groupe nominal bref,
aux violettes à hautes tiges à la fin de l’énumération, décrites dans une unité syntaxique plus
longue comme pour suggérer la longueur des tiges. Dans cette ode aux violettes, on a une
véritable symphonie de couleurs où se décline toute la palette des possibles : « blanches » (l.
18), « bleues » (l. 19), « blanc bleu veiné de nacre mauve » (l. 19), « pâles » (l. 20). La phrase
suivante poursuit l’accumulation de groupes nominaux juxtaposés pour caractériser les
violettes, premières fleurs à émerger alors que la neige n’a pas encore disparu. Le paradoxe de
cette floraison est restitué dans des expressions oxymoriques qui allient les contraires :
« fleuries sous la neige» (l. 21) , « roussies de gel » (l. 21). Plus d’actants humains dans ce
passage, mais des violettes personnifiées de manière hypocoristique comme des « laideronnes,
pauvresses parfumées » (l. 21-22). La beauté étrange et délicate de ces petites fleurs n’est pas
sans rappeler la caractérisation de Colette enfant. Après ces longues énumérations, la brève
apostrophe lyrique exprime de manière éclatante l’amour et la vénération de Colette pour ces
fleurs : « Ô violettes de mon enfance ! » (l. 22). Mais le pouvoir de cette évocation est tel que
Colette, dans un délire poétique, s’imagine une treille de violettes sur fond de « ciel laiteux »
(l. 23). La personnification se poursuit puisque qu’elle s’adresse directement aux fleurs (« Vous
montez devant moi » l. 22) et leur attribue des « petits visages innombrables » (l. 23-24) et
palpitants. Elle termine par l’évocation sensuelle de l’ivresse provoquée par cette vision. Ainsi
ces violettes ont fait naître chez Colette une vision qui la submerge de bonheur en ravivant
tous les printemps de son enfance. On notera le mouvement d’élévation qui mène ces « petites
fleurs écloses par magie dans l’herbe » (l. 1) à une envolée, à une apothéose dans « un ciel
laiteux d’avril » (l. 23). Tout cela grâce au pouvoir de l’écriture lyrique de Colette.

Conclusion
[Bilan] Dans ce texte poétique et lyrique, Colette célèbre le bonheur d’aimer et le bonheur de
retrouver les impressions d’enfance en se laissant porte par ses sens, en l’occurrence, la vue et
l’odorat. Mais elle célèbre aussi la beauté étrange, discrète et paradoxale de ces petites violettes
déchiquetées, qui, à son image, parviennent à renaître après le dur hiver.
[Ouverture] Si Colette « abolit les années » grâce au parfum retrouvé des violettes de son
enfance, Proust retrouve quant à lui, dans Du côté de chez Swann, publié en 1913, le temps passé
grâce au goût d’une madeleine trempée dans du thé.

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Question de grammaire
Analysez la construction de la phrase complexe suivante :
« Porte plutôt à tes narines le parfum invariable de ces violettes changeantes et regarde, en
respirant le philtre qui abolit les années, regarde comme moi ressusciter et grandir devant toi
les printemps de ton enfance !... » (l. 6 à 9)
– Dans cette phrase complexe, on repère quatre verbes conjugués qui nous permettent de
distinguer quatre propositions.
– La première proposition « porte plutôt à tes narines le parfum invariable de ces violettes
changeantes » est coordonnée à une seconde proposition grâce à la conjonction de
coordination « et ».
– Dans cette deuxième proposition, le complément d’objet direct « philtre » est complété par
une proposition subordonnée relative (« qui abolit les années ») introduite par le pronom
relatif « qui ». On pourrait très bien supprimer cette subordonnée relative ou la remplacer par
un groupe nominal équivalent, par exemple « le philtre destructeur d’années ».
– On a enfin une dernière proposition qui est simplement juxtaposée sans mot de liaison :
« regarde comme moi ressusciter et grandir devant toi les printemps de ton enfance !... ».

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Étape 4
Comment le bonheur de vivre et la sensualité de Colette se manifestent-
ils dans ces deux œuvres ?
Objectif
Comprendre l’art de vivre de Colette

A. Corpus
• Texte 11 L’aube d’été (Sido)
• Texte 12 L’ode à l’amour (Les Vrilles de la vigne, « Nuit blanche »)
• Texte 13 Carpe diem (Les Vrilles de la vigne, « Dialogue de bêtes »)

1. Comment la thématique du sommeil est-elle traitée dans ces textes ?


– Dans Sido (texte 11), Colette raconte comment, petite fille, elle se levait l’été à l’aube pour
savourer l’éveil de la nature : « étés presque sans nuits… » (l. 2), « car j’aimais tant l’aube » (l.
2), « j’obtenais qu’elle m’éveillât à trois heures et demie » (l. 3), « À trois heures et demie, tout
dormait » (l. 6), « J’allais seule » (l. 9).
– Le titre « Nuit blanche » (texte 12) est en soi déjà révélateur, puisqu’il évoque une nuit sans
sommeil. La jeune femme agitée ne parvient pas à s’endormir et se remémore les bonheurs de
la journée : « Ah ! si je pense à toi, c’en est fait de mon repos » (l. 17), « Quelle heure vient de
sonner ? » (l. 17), « J’entends bourdonner mon sang » (l. 18), « Tu dors ? non » (l. 19), « Tu
m’abrites contre les mauvais songes » (l. 20-21), « et nous feignons […] un paisible sommeil »
(l. 21-22), « cette aube bleue si prompte à grandir » (l. 24).
– Dans « Dialogue de bêtes » (texte 13), le chat Kiki-la-doucette décrypte le comportement de
sa maîtresse, Colette, qui malgré les apparences, ne dort jamais vraiment ; son esprit est
toujours en train de divaguer : « Tu crois qu’elle dort ? » (l. 5), « Ainsi immobile et les yeux
clos, elle habite chaque pelouse » (l. 7-8), « son esprit court comme un sang subtil, le long des
veines » (l. 10).
Colette se présente comme un être éveillé au monde, toujours en action. N’oublions pas que
« Les Vrilles de vigne », texte conférant son titre au recueil, met en scène un petit rossignol qui
reste éveillé toute la nuit pour survivre.

2. Quelles sont les formes de plaisir et de bonheur évoqués dans ces textes ?
Dans le texte 11, Colette décrit l’éveil de ses sens au contact d’une nature estivale généreuse,
alors qu’elle est enfant. Elle évoque les « terres maraîchères » (l. 4), « la rivière » (l. 5) et dans
une énumération, toutes les baies susceptibles d’émoustiller ses papilles : « les fraises, les
cassis, les groseilles barbues » (l. 5). Ainsi, cette nature stimule tout son corps : « mes lèvres,
mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps » (l. 8-9). Dans « Nuit
blanche » (texte 12), on découvre une Colette adulte, toujours aussi réceptive aux plaisirs
sensuels offerts par l’existence. Le champ lexical des sens y est omniprésent : l’odorat (« fleurs
enchantées dont le cœur velu embaume l’abricot » l. 8-9), le goût avec sa gourmandise qui
transparaît dans l’évocation des nourritures (« la crème du petit pot de lait » l. 9, « l’heure du
goûter où ma faim féroce te faisait sourire » l. 9-10, « le pain le plus doré » l. 10), la vue (« ta
main transparente dans le soleil » l. 11), l’ouïe (« la guêpe qui grésillait » l. 11, « j’entends

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

bourdonner mon sang » l. 18, « le murmure des jardins » l. 18-19), et enfin le toucher (« j’ai
frissonné » l. 13 , « je sentirais tes cils frémir » l. 19-20). Elle définit ce plaisir sensuel en le
comparant à celui des bêtes : « le plaisir ingénu des bêtes heureuses dans le printemps » (l. 14-
15). Dans ce texte, Colette est allongée auprès de son amante et elle suggère également de
manière subtile et détournée par des métaphores et des litotes le désir charnel : « Ah ! si je
pense à toi , c’en est fini de mon repos » (l. 17), « Tu épies ma fièvre » (l. 20), « Si j’approchais
ma joue de la tienne » (l. 19), « tu penses à moi comme je pense à toi » (l. 21), « tout mon corps
s’abandonne, détendu et ma nuque pèse sur ta douce épaule » (l. 22-23), « nos pensées s’aiment
discrètement » (l. 23-24). Le nom « pensées » vient pudiquement se substituer au nom
« corps », qui reste présent à l’esprit du lecteur tant le champ lexical du corps est présent dans
ce passage. Ainsi, de manière poétique et subtile, Colette évoque deux femmes en train de
s’aimer. L’érotisme discret du texte apparaît lorsqu’elle se dit « toute moite, toute ivre d’un
plaisir sans nom parmi les hommes » (l. 13-14) . Certes ce passage est censé décrire son bonheur
de la journée, à l’image d’un animal heureux et innocent, mais « le plaisir sans nom parmi les
hommes » (l. 14) pourrait aussi se lire comme une périphrase pour désigner les amours
lesbiennes.
Le dernier texte (texte 13) convoque encore une fois tous les sens aux aguets de Colette,
capteurs fins et subtils de la beauté du monde qu’elle parvient à retranscrire dans de belles
images et synesthésies : « roche tiède » (l. 4), « branche odorante et basse du pin argenté » (l.
4-5), « la fraise blanche qui sent la fourmi écrasée » (l. 5-6), « l’odeur orientale et comestible de
mille roses, vineuses, mûres » (l. 6-7), « Son esprit […] se caresse au velours des géraniums, à
la cerise vernie et s’enroule à la couleuvre poudrée » (l. 10-12).

3. Comment Colette fait-elle ressentir sa communion avec la nature ?


Dans Sido (texte 11), Colette fait une déclaration d’amour à l’aube d’été, amplifiée par l’adverbe
d’intensité « tant » : « j’aimais tant l’aube » (l. 2). Les hyperboles et le lexique mélioratif mettent
en valeur le ressenti de Colette qui éprouve « un état de grâce indicible » (l. 11) et une
« connivence » avec le monde qui s’éveille (l. 11) et qui lui fait prendre conscience de sa valeur
(« je prenais conscience de mon prix » l. 10-11). Elle compare de manière hyperbolique cette
aube à la naissance du monde en utilisant un champ lexical de la naissance : « un bleu
originel » (l. 6), « premier souffle » (l. 12), « premier oiseau » (l. 12), « son éclosion » (l. 12-13).
On a ainsi l’impression d’assister à la naissance au monde de Colette, à un baptême, comme
le suggère l’image du bouillard qui baigne le corps de l’enfant (l. 7-9). On ne peut s’empêcher
de penser au poème d’Arthur Rimbaud, « Aube » : on a l’impression que Colette embrasse elle
aussi l’aube d’été.
Le texte 12 fait également sentir cette communion avec la nature : la couleur de « l’herbe
juteuse » (l. 1) imprègne la robe de Colette (l. 1), la guêpe grésille dans ses cheveux (l. 11-12).
Le lexique de l’humain et le lexique de l’animal s’entremêlent dans des images poétiques : elle
compare son plaisir à celui « des bêtes heureuses dans le printemps » (l. 14-15), son sang
bourdonne (l. 18) et elle ne parvient pas à le distinguer du « murmure des jardins » (l. 18-19),
les cils de la femme aimée frémissent « comme l’aile d’une mouche captive » (l. 20).
La communion atteint son apothéose dans le texte 13 où Kiki-la-Doucette déclare, à l’aide d’un
rythme ternaire très lyrique, que sa maîtresse « habite chaque pelouse, chaque arbre, chaque
fleur » (l. 8). Colette semble se fondre dans ce paysage tant aimé : métaphoriquement, les
feuilles ont « des veines » (l. 10) et l’esprit de Colette est comparé au sang qui coulerait dans
ces veines végétales, cet esprit se caresse également « au velours des géraniums » (l. 11) et

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

« s’enroule à la couleuvre poudrée » (l. 11-12) comme s’il était lui-même devenu serpent
comme le suggère le choix du verbe.
Le bonheur de Colette est profondément lié à l’amour de la nature qu’elle a hérité de sa mère,
Sido.

4.En quoi le texte 12 s’apparente-t-il à un chant d’amour ?


Le texte 12 prend la forme d’un dialogue qui s’adresse à la femme aimée pour faire l’éloge de
sa « tranquille joie » qui veille sur la « folie » (l. 2) de Colette. La générosité, la nature
protectrice et attentionnée de Missy sont célébrées grâce à l’anaphore du pronom personnel
« tu » et plus particulièrement par l’anaphore « tu m’as donné » qui scande le texte donnant
l’impression d’un chant d’amour. Cela rappelle Le Cantique des cantiques, livre de la Bible,
considéré comme l’un des plus beaux chants d’amour. Deux amants célèbrent, à tour de rôle,
l’amour et la beauté de l’être aimé grâce à des images sensuelles et des hyperboles. Colette
célèbre aussi pudiquement le corps de sa maîtresse (sa « main transparente » l. 11, ses cils qui
frémissent l. 20) et l’union de leurs pensées, à défaut de pouvoir explicitement signifier l’union
des corps (« tu penses à moi comme je pense à toi » l. 21, « une étrange pudeur sentimentale »
l. 22, « nos pensées s’aiment discrètement » l. 23-24).

5. Faites une recherche sur le Carpe diem et expliquez en quoi le texte 13 en est une
illustration.
Carpe diem est une devise latine, signifiant littéralement « Cueille le jour », ce qui est une
métaphore pour signifier qu’il faut profiter de tous les instants de la vie et les savourer. Cette
devise a été formulée par le poète latin Horace au Ier siècle. Elle immortalise la pensée du
philosophe grec Épicure, dont la philosophie, l’épicurisme, est donc une invitation à jouir des
plaisirs de l’existence. Colette, par son approche sensuelle du monde et sa célébration des
moindres instants de l’existence, peut être qualifiée d’épicurienne. Dans le texte 13, on la
découvre songeuse en train de cueillir en imagination les fraises de son enfance, mais une
dernière métaphore méliorative nous dévoile que chaque instant est une petite graine qu’elle
savoure pleinement : « ses mains pendantes, qui semblent vides, possèdent et égrènent tous
les instants de ce beau jour lent et pur » (l. 13-14).

B. Écrit d’appropriation
Imaginer une interview fictive avec Colette.
On pourrait par exemple formuler des questions sur :
– l’enfance de Colette ;
– sur sa famille ;
– sur sa vie sentimentale ;
– sur son lieu ou son animal préféré ;
– sur la condition des femmes ;
– sur le music-hall ;
– sur sa philosophie de vie.

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Étape 5
Quelle place la musique et le chant occupent-ils dans la vie de Colette ?
Objectif
Comprendre le rôle de la littérature dans l’existence de Colette

Corpus
• Texte 14 Le remède à la mélancolie (Sido)
• Texte 15 Écrire pour survivre (Les Vrilles de la vigne, « Les Vrilles de la vigne »)

1. Quels traits de caractère Colette et son père partagent-ils dans le texte 14 ?


Colette comme son père masquent leur tristesse derrière une apparente gaieté qui prend la
forme de chansonnettes ou de récits rythmés. Ainsi Colette décrit la gaieté apparente et le don
de conteur de son père : « [Sido] le croyait gai parce qu’il chantait » (l. 2,) « il nous fit souvent
rire, sauf qu’il contait bien, qu’emporté par son rythme il "brodait" avec hardiesse, sauf cette
mélodie qui s’élevait de lui, l’ai-je vu gai ? » (l. 10-12). Colette remet en cause cette gaieté à
l’aide des modalisateurs (« croyait » l. 2) et de la question « l’ai-je vu gai ? », avant d’affirmer
la nature véritable et profondément triste du Capitaine : « je sais qu’il eut, mieux que toutes
les séductions, la vertu d’être triste à bon escient, et de ne jamais se trahir. » (l. 7-9). Colette
s’inscrit dans cet héritage paternel : « Mais, moi qui siffle dès que je suis triste, moi qui scande
les pulsations de la fièvre ou les syllabes d’un nom dévastateur sur les variations sans fin d’un
thème… » (l. 3 à 5). Cette filiation est amplifiée par l’emploi du pronom personnel « nous » et
du déterminant possessif « notre » qui soulignent leur communauté de destin : « Mon père et
moi, nous n’acceptons pas la pitié. Notre carrure la refuse. » (l. 6).

2. Quels sont les obstacles de la vie évoqués dans ces deux textes ?
– Dans le texte 14 sont évoqués les soucis financiers : le fermier Laroche qui ne paye pas son
fermage met en difficulté la famille de Colette. Le champ lexical de l’argent met en évidence
cette réalité matérielle : « payer son fermage » (l. 16), « sept pour cent d’intérêts pour six mois »
(l. 17), « une somme indispensable » (l. 17).
– Dans le texte 15, les obstacles de la vie sont abordés plus métaphoriquement avec l’image
des vrilles de la vigne qui emprisonnent le rossignol, un oiseau au chant magnifique et qui
traditionnellement est associé à l’amour. Colette décrit de manière très péjorative ces vignes
comme une prison dont elle a réussi à s’échapper : « le premier chant naïf et effrayé du
rossignol pris aux vrilles de la vigne » (l. 7-8), « Cassantes, tenaces, les vrilles d’une vigne
amère m’avaient liée » (l. 10), « Mais j’ai rompu d’un sursaut effrayé, tous ces fils tors » (l. 11-
12), « le printemps menteur où fleurit la vigne crochue » (l. 17). Il s’agit d’une allégorie qui
représente ses déboires sentimentaux, sa souffrance de jeune fille naïve, enfermée dans un
mariage décevant, trompée par un mari volage.

3. Comment Colette met-elle en valeur la musique et le chant dans ces deux textes ?
Le chant est au cœur de l’existence de Colette : il est sa réponse à la tristesse et à la souffrance,
sa façon de les détourner et de les sublimer. Dans Sido (texte 14), elle explique qu’elle siffle dès
qu’elle est triste et qu’elle scande les pulsations de la fièvre (l. 3-4). Les Vrilles de la vigne
prennent pour titre le titre du premier récit, qui met en scène un rossignol, évidente allégorie

© Hatier, Paris 2022 27


Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

de Colette qui chante sa douleur. Le champ lexical de la chanson et de la musique est mis en
valeur par un lexique mélioratif et par des procédés de répétition. Le verbe « chanter » revient
quatre fois, relayé également par sa forme nominale « le premier chant naïf » (l. 7) : « chanter »
(l. 1), « il chante pour chanter » (l. 4), « il chante de si belles choses » (l. 4). Colette décrit aussi
les notes de musique : « une note éteinte… » (l. 3), « les notes d’or, les sons de flûte grave, les
trilles tremblés et cristallins » (l. 5-6). Dans cette dernière expression, le trille désigne le chant
d’un oiseau, mais constitue dans un effet de paranomase un rappel du mot « vrille ». Colette
désigne également la découverte de sa propre voix, qui lui a permis de se libérer. Elle passe
ainsi du cri au murmure apaisé : « les cris purs et vigoureux » (l. 6), « j’ai jeté tout haut une
plainte qui m’a révélé ma voix !... » (l. 14), « j’écoute le son de ma voix … » (l. 17), « je crie
fiévreusement ce qu’on a coutume de taire » (l. 18), « puis ma voix languit jusqu’au murmure »
(l. 18-19), « et mon cri qui s’exaltait redescend au verbiage modéré, à la volubilité de l’enfant »
(l. 22-23). La nuit elle-même devient « sonore » (l. 22) dans ce texte où les verbes « entendre » »
et « écouter » sont omniprésents.
Colette et son père assignent la même fonction au chant : se protéger du monde et se rassurer.
Ainsi, dans le texte 14, le Capitaine « allait précédé, protégé par son chant » (l. 12), « ce baryton
[…] pousse devant lui sa romance comme une blanche haleine d’hiver » (l. 20-21). Colette,
quant à elle, « parle haut pour se rassurer et s’étourdir » (texte 15, l. 24). Tout comme le
rossignol qui survit aux vrilles en chantant toute la nuit, Colette a survécu à son chagrin de
femme trompée en écrivant et en chantant sa vie, le plus souvent de manière lyrique, alliant
fantaisie et mélancolie. Le Capitaine se contentait de chanter les airs d’opéra connus de
l‘époque, Colette, elle, trouve ses propres mots pour se protéger de son chagrin, ce qui lui
permet chemin faisant de conquérir son indépendance financière et d’accomplir la vocation
ratée de son père : devenir écrivain.

4. Quels détours Colette utilise-t-elle pour parler d’elle ? Comment l’expliquez-vous ?


Dans ces deux textes, Colette nous livre un autoportrait et un art poétique, mais elle le fait de
manière détournée d’abord en faisant le portrait de son père (texte 14) et ensuite par le biais
d’un conte allégorique qui met en scène un rossignol prisonnier qui survit et se libère par son
chant (texte 15). Ces détours révèlent une forme de pudeur et de refus de se laisser submerger
par la mélancolie et la tristesse. Elle les met donc à distance grâce à ces procédés littéraires et
poétiques. Dans une très belle image, Colette évoque son père qui pousse devant lui sa
romance comme une blanche haleine d’hiver, afin qu’elle détourne de lui l’attention (texte 14,
l. 21-22). Sido et Les Vrilles de la vigne ne forment-ils pas également une belle haleine blanche
dissimulant la tristesse intime de Colette qui préfère exhiber la beauté du monde pour mieux
vivre ?

© Hatier, Paris 2022 28


Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Sujet de dissertation guidé


« Toute présence végétale agissait sur elle comme un antidote » écrit Colette à
propos de sa mère adorée dans Sido. La célébration du monde dans la littérature
peut-elle aussi agir comme un antidote ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur les deux œuvres au
programme Sido et Les Vrilles de la vigne ainsi que sur les textes étudiés dans le
parcours associé « La célébration du monde ».

NB : une version guidée pour l’élève, sans corrigé, est également proposée.

Colette publie en 1908 un recueil de récits intitulé Les Vrilles de la vigne, écrits souvent
intimistes qui reflètent sa vie agitée après l’échec de son mariage. En 1930, elle livre un récit
autobiographique, Sido, dans lequel elle se penche sur son enfance en rendant hommage à la
figure marquante de sa mère. Ces deux œuvres ont pour point commun d’exprimer une
célébration du monde qui prend sans doute sa source dans le rapport si particulier de sa mère
à la nature : « Toute présence végétale agissait sur elle comme un antidote ». Colette a bien
besoin aussi d’un antidote, c’est-à-dire d’un remède qui la soigne, qui la fortifie, qui la
réconforte, qui l’apaise. L’écriture semble jouer ce rôle. Mais comment la littérature peut-elle
agir comme un antidote ? Voyons d’abord comment Colette célèbre le monde dans ces deux
œuvres, pour ensuite comprendre quel antidote cela lui offre à elle, mais aussi aux lecteurs.

Dans Sido et Les Vrilles de la vigne Colette rend hommage à ce qui l’entoure. Elle préfère ne
retenir que les éléments positifs et ne pas se laisser envahir par des souvenirs négatifs. Cela
s’applique tout d’abord aux êtres qui constituent son monde, son univers. Cette vision du
monde s’exprime dans Sido, qui n’est rien moins qu’un chant d’amour dédié à sa mère. Colette
idéalise la figure maternelle : « je la chante de mon mieux » nous dit-elle. Dans la première
partie consacrée à cette mère, celle-ci est représentée comme une figure tutélaire, une déesse
au centre de son jardin. L’amour fou du père pour cette femme extraordinaire renforce la
célébration et même la dernière partie, consacrée aux frères et à la sœur, reste marquée par la
présence de Sido, puisque Colette explique qu’elle ne fait que reprendre « les récits
maternels ». Mais Colette souhaite aussi rendre hommage aux figures moins solaires, qui
pourraient passer pour des ratés, tels le père « mal connu, méconnu » ou les « Sauvages », ses
frères et sa sœur, dont elle loue le rapport unique à la nature et l’attitude libre. Elle idéalise
ainsi Léo, qui pour elle n’est pas un inadapté social mais « un sylphe de soixante-trois ans ».
Les Vrilles de la Vigne révèlent également cette célébration des êtres : Colette évoque avec
tendresse l’« héroïsme de poupée » de son amie Valentine (« De quoi est-ce qu’on a l’air ? »).
Mais Colette aime tous les êtres vivants et en particulier les animaux. Cet amour est perceptible
dans la description si précise du comportement de Nonoche – sa chatte – et dans les dispositifs
narratifs qui consistent à mettre les animaux au premier plan en leur donnant la
parole : « Dialogue de bêtes », « Toby-chien parle »… Ainsi elle ne cesse, dans un va-et-vient
permanent, de personnifier les animaux et d’animaliser les humains.
Colette vit à Paris, mais « ses yeux de l‘âme » sont tournés vers sa province natale et vers
la nature. Sido propose de merveilleuses descriptions du jardin de la mère, s’inscrivant dans
la pure tradition du locus amoenus dont Virgile, dans Les Bucoliques, pose les principales
caractéristiques : un lieu refuge, tranquille, beau et agréable. Les apostrophes lyriques ne
manquent pas pour louer la beauté tranquille des jardins de l’enfance : « Oh ! aimable vie

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

policée de nos jardins ». L’évocation des fleurs colorées telles le « le géranium écarlate et la
hampe enflammée des digitales » (Sido) marque l’esprit du lecteur. La tonalité lyrique et
poétique est encore plus enflammée dans Les Vrilles de la vigne lorsque Colette célèbre la forêt
de son enfance « toute pareille au paradis » et déclare qu’« elle a vécu dans un pays de
merveilles, où la saveur enivre » (« Jour gris »). Dans « Printemps de la Riviera », elle fait une
magnifique et sensuelle déclaration d’amour à ce pays que son « âme forestière » aime.
Toutefois, elle évoque très clairement le caractère fantasmé et idéalisé de tout cela en finissant
par dire à son interlocutrice Missy, et par ricochet aux lecteurs : « ne le crois pas ! ». Ainsi elle
avoue explicitement être dans un processus de célébration, c’est-à-dire un hommage qui
transforme et métamorphose les paysages de son enfance pour les rendre plus beaux.
Mais Colette ne se contente pas de célébrer les vivants et la nature. Chaque instant de sa
vie, même le plus banal et le plus quotidien, est prétexte à une célébration. Elle se souvient
sans doute des injonctions de sa mère qui l’invitait à voir, à regarder le monde et à s’en
émerveiller. L’anecdote du petit merle qui mange les cerises en est l’incarnation : « Chut !...
Regarde… » lui enjoignait sa mère. Colette a retenu cette invitation à regarder et à écouter le
monde qui l’entoure. Elle dédie d’ailleurs initialement Les Vrilles de la vigne à son contemporain
Jules Renard ; or celui-ci se présente dans ses Histoires naturelles comme « un chasseur
d’images », quelqu’un qui capte et cherche à garder une trace du monde. À son instar, tous les
sens de Colette sont donc en éveil, prêts à saisir la beauté du monde et à la restituer dans une
écriture poétique qui sublime et métamorphose le quotidien. Que cela soit « l’harmonie
modeste de la bouilloire, grillonne tapie dans les cendres ardentes, petite sorcière ventrue,
bienveillante » (« Toby-Chien et la musique ») ou encore le plaisir de marcher pied nu sur une
terrasse en vacances : « mon pied nu tâte amoureusement la pierre chaude de la terrasse »
(« En marge d’une plage blanche II »). Savoir capter la sensualité du monde par le pouvoir de
l’écriture est sans doute un bon remède contre la morosité.

Cette célébration, dont nous venons de définir les principales caractéristiques, témoigne
d’un regard généreux sur le monde et fonctionne sans doute comme un antidote sur Colette.
Ainsi elle peut mettre à distance les éléments douloureux de son existence. Les Vrilles de la vigne
constituent un ensemble de récits écrits principalement en 1908. Colette a trente-cinq ans et vit
un changement d’existence radical : son mariage est un échec, son mari Willy la trompe,
l’exploite et lui fait perdre une bonne partie de ses illusions sur l’amour. Même si le divorce
n’est pas encore prononcé, ils vivent séparés et Colette doit subvenir à ses besoins.
L’autofiction est le moyen de mettre à distance cette période douloureuse. Elle évoque avec
une douce ironie son déclassement social à travers les conversations fictionnelles avec une
amie imaginaire, Valentine, qui incarne les convenances sociales afin d’affirmer sa propre
liberté conquise dans cette période difficile. Mais le lecteur comprend également en creux le
mépris de la bonne société pour cette femme qui se donne en spectacle presque nue. Les
amours allégoriques de Nonoche (double animal de Colette), qui ne résiste pas à l’appel du
vieux Matou (représentation de Willy), sont des masques qui permettent de transposer de
manière humoristique ses propres amours. Le texte d’ouverture « Les Vrilles de la vigne »
évoque un rossignol qui a failli mourir, prisonnier des vrilles. Ce conte donne véritablement
la clé de l’œuvre : l’oiseau a survécu car il a chanté toute la nuit. Comme lui, Colette survit aux
épreuves car elle a sublimé, dompté sa souffrance en la transformant en matériau littéraire.
Son cri est devenu un « verbiage modéré » comparé à « la volubilité d’un enfant qui parle haut
pour se rassurer et s’étourdir ». L’écriture devient véritablement l’antidote qui permet de
surmonter la souffrance personnelle. Dans « Amours », texte rajouté aux Vrilles de la vigne en

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

1933, elle commence le récit par une brève phrase très symbolique qui peut aussi se lire comme
un bilan : « Le rouge-gorge triompha ». On peut y voir là un éloge du chant de ce petit oiseau
qui triomphe de tous les obstacles.
Sido, publié en 1930, est une œuvre de la maturité, qui agit comme un baume sur une
Colette âgée de 57 ans et qui souhaite retrouver les êtres disparus. Elle exprime le désir
commun « à tous ceux qui vieillissent » de posséder « les secrets d’un être à jamais dissous »
(« Les Sauvages »). Elle ne se contente pas d’une approche élégiaque, elle fait revivre les êtres
aimés grâce à la puissance évocatrice de petits récits remplis d’anecdotes. Le style incisif,
entrecoupé de nombreux discours directs, fait revivre les jeux sauvages et les chansons des
enfants. Le chapitre consacré à Sido commence in medias res en faisant entendre sa voix et
permet de découvrir le caractère affirmé de cette mère charismatique : « Et pourquoi cesserai-
je d’être de mon village ? ». Les anecdotes ne manquent pas pour célébrer les « prodiges
familiers » qui émaillent l’existence de cette mère singulière, comme l’épisode de la victoria
envahie par des grenouilles après une pluie diluvienne. À la fin du chapitre, Colette nous dit
qu’elle a vu sa mère en 1928 dans son jardin, comme si l’écriture et le travail de remémoration
qu’elle exige avait permis de ressusciter Sido. Colette fait également revivre son père en
écrivant. Sa vocation d’écrivaine semble être l’accomplissement du projet paternel raté. Elle a
choisi comme pseudonyme le nom du père, celui qui aurait voulu être écrivain. Elle rappelle
avec émotion les carnets vierges retrouvés dans la bibliothèque. En écrivant, elle s’inscrit dans
le sillage du « lyrisme paternel », dont son écriture porte la trace.
Mais surtout Colette cherche un antidote à la nostalgie qui la guette devant le passage du
temps. Elle a hérité de la nature mélancolique de son père, mais celui-ci avait trouvé un
remède : il « allait précédé, protégé par son chant. ». À son instar, Colette semble avancer dans
l’existence protégée par ses œuvres. Dans Les Vrilles de la vigne, on la découvre souvent penchée
mélancoliquement sur ses souvenirs. Missy, dans « Jour gris » ou « Le Dernier Feu », s’étonne
de la sentir parfois si absente et lointaine. Toby-Le Chien dit qu’« elle se délecte d’une tristesse
et d’une solitude plus savoureuse que le bonheur ». Mais Colette explique qu’elle crée « ce qui
lui manque et s’en repaît » (« Le Dernier Feu »). Elle est une créatrice qui parvient à recréer par
les mots le monde de son enfance. L’écriture est donc le remède absolu à sa mélancolie et elle
célèbre les pouvoirs de l’enchantement littéraire : « enchantée encore de mon rêve, je m’étonne
d’avoir changé, d’avoir vieilli pendant que je rêvais… » (« Rêverie de nouvel an »). Elle relate
également l’expérience magique qui lui permet de retrouver son enfance grâce au parfum des
violettes, véritable « philtre qui abolit les années » (« Le Dernier Feu »). Proust évoque cette
même expérience de la mémoire affective avec l’épisode de la madeleine qui le replonge dans
son enfance à Combray. En célébrant le monde grâce au pouvoir magique de la littérature,
Colette a trouvé un remède personnel pour surmonter ses épreuves, le chagrin face à la perte
des êtres aimés et aussi la mélancolie profonde qui est la sienne. Mais cet antidote est aussi
offert aux lecteurs.

En effet, cette célébration du monde agit également sur les lecteurs. Ils peuvent y trouver
un plaisir esthétique lors de la lecture de ces textes souvent poétiques et lyriques. Le regard de
Colette enchante le réel dans des images surprenantes et produit une prose musicale qui
charme les lecteurs. Les trois textes dédiés à Missy, la femme aimée, s’apparentent à de
véritables poèmes en prose par leur rythmique et leur dimension incantatoire. Dans « Nuit
blanche », les anaphores « tu m’as donné » célèbrent ainsi les dons de la femme aimée dans un
chant digne du Cantique des cantiques. Très poétiquement, Colette parvient à transformer le
réel : elle évoque « le chant bondissant des frelons fourrés de velours » dans une synesthésie

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

qui sollicite les sens du lecteur, l’expression très imagée et musicale charme le lecteur par son
originalité. Les points de suspension et les tirets si caractéristiques de son écriture sont une
invitation à la rêverie, à l’évasion : « – Fleurs impérissables effeuillées en pétales de nacre rose,
ô coquillages… » (« Jour gris »). Le lecteur est ainsi invité à poursuivre cette énumération
poétique et à se remémorer la beauté des moments vécus.
Mais Colette offre davantage encore à ses lecteurs : elle partage avec eux un art de vivre,
un art d’être au monde, visible dans son appréhension sensuelle de la vie : « un de mes grands
plaisirs, c’est la découverte […]. J’écoute, mais surtout je regarde ». Colette a soixante ans
lorsqu’elle écrit ces mots, mais on a l’impression qu’elle est encore la petite fille qui se levait
tôt pour embrasser l’aube d’été : « c’est sur ce chemin, c’est à cette heure que je prenais
conscience de mon prix, d’un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier
souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion… » (Sido).
Cette connivence avec le monde est pour elle la clé du bonheur. Albert Camus la rejoint dans
son recueil Noces où il décrit cette « science de vivre » en communion avec le monde. Pour lui,
il s’agit des bords de la Méditerranée à Tipasa. Cette manière d’envisager l’existence
s’apparente à une philosophie qui permet d’aborder sereinement l’approche de la mort :
« d’une danse involontaire et chaque jour ralentie, je saluerai la lumière qui me fit belle et qui
me vit aimée ». Ainsi Colette partage avec son lecteur l’antidote suprême face à l‘angoisse de
la mort : saluer le monde, le célébrer est le suprême apaisement face aux angoisses
existentielles.
Mais ces deux œuvres célèbrent également le monde par une approche fantaisiste et
divertissante. Colette n’hésite pas à se mettre en scène de manière comique et décalée. Elle
rapporte dans Sido les propos de sa mère qui se moque de son arrogance parisienne : « Te voilà
comme un pou sur ses pieds de derrière parce que tu as épousé un Parisien ». Les aventures
croustillantes de madame Loquette (anagramme comique de Colette) nous sont également
racontées dans « Music-halls ». Elle est amenée progressivement par son patron à dévoiler sur
scène un sein : « Lâchez un sein ! crie-t-il ». Elle n’hésite pas également à se moquer de son
exaltation décrite dans les conversations de Kiki-la-doucette et Toby-chien qui s’étonnent de
cette maîtresse fantasque, qui désire surtout jouir de l’existence : « je veux…, je veux… Je veux
faire ce que je veux… ! » (« Toby-Chien parle »). La diversité des formes littéraires présentes
dans ces deux œuvres est l’illustration de cette liberté. Les Vrilles de la vigne commencent ainsi
par des textes assez intimistes pour dilater un peu plus l’espace avec des chroniques au ton
journalistique qui relatent des vacances en baie de Somme : les enfants jouent, les pécheurs
sont au café… Elle n’hésite d’ailleurs pas, dans un mouvement complice, à apostropher son
lecteur de manière comique : « « Ô lecteur vicieux, qui espérez une anecdote dans le goût
grivois et suranné, détrompez-vous » (« En marge d’une plage blanche I »). Ces instants saisis
sur le vif et offerts au lecteur témoignent de cette capacité à s’ouvrir sur le monde et à en saisir
toute la diversité et le dynamisme.

Colette, en célébrant le monde dans ses récits fantaisistes et plein d’anecdotes, transfigure
son existence et maîtrise ainsi sa souffrance intime. Ses textes poétiques charment également
le lecteur, invité à capter la beauté du monde. La littérature devient alors un véritable antidote
à la mélancolie et aux épreuves du réel. Toutefois, certains pourraient reprocher à Colette de
fuir les réalités sociales et historiques. La littérature engagée ne serait-elle pas plus à même de
jouer ce rôle d’antidote ?

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Évaluation : sujet de dissertation


Pensez-vous que la célébration du monde dans Sido et Les Vrilles de la vigne soit
l’expression d’un regard naïf sur le monde ? Vous vous efforcerez de saisir
l’originalité de cette célébration en vous appuyant sur les deux œuvres au
programme, Sido et Les Vrilles de la vigne, ainsi que sur les textes étudiés dans le
parcours associé « La célébration du monde ».

► Analyse du sujet
• La célébration = éloge, enthousiasme face au monde.
• L’adjectif « naïf » : vient de nativus qui signifie « naturel », du verbe latin nasci (« naître »).
Cela signifie, dans un sens premier, que l’on est proche de l’origine du monde, où la vie est
simple, naturelle. Par extension, l’adjectif désigne quelqu’un d’innocent, de pur, mais un peu
plus négativement quelqu’un de trop crédule et confiant.
• Le présupposé de la célébration est-il l’ignorance d’une partie du monde, des problèmes
sociaux, de la diversité du monde ?
• Peut-on célébrer le monde en étant lucide et en acceptant toute sa diversité ?

► Type de plan attendu


Plan dialectique qui invite à discuter l’affirmation :
–thèse : Les Vrilles de la vigne et Sido expriment un enthousiasme pour le monde qui peut
paraître naïf :
– antithèse : mais certains aspects de l’œuvre dévoilent le regard expérimenté et lucide de la
narratrice ;
– dépassement : l’art de célébrer le monde est le meilleur moyen de surmonter les douleurs et
difficultés de l’existence qui ne sont absolument pas niées, mais sublimées et transcendées.

► Connaissances attendues
• Des connaissances sur les deux œuvres au programme.
• Des textes du parcours associé pour confirmer que la célébration du monde n’est
pas une ignorance du monde, mais un art de vivre.

► Problématique : En quoi la célébration du monde est-elle loin d’être naïve


dans les deux œuvres au programme ?

► Introduction
[Amorce] Colette publie en 1908 un recueil de récits intitulé Les Vrilles de la vigne, écrits
souvent intimistes qui reflètent sa vie agitée après l’échec de son mariage ; elle a alors
35 ans. En 1930, âgée de 57 ans, elle livre un récit autobiographique, Sido, dans lequel
elle se penche sur son enfance en rendant hommage à la figure marquante de sa mère.
Ces deux œuvres ont pour point commun d’exprimer une célébration du monde à
travers le regard d’une femme qui a vécu. [Sujet et problématique] Peut-on alors
vraiment considérer que ces deux œuvres proposent une célébration naïve du monde ?
[Analyse du sujet] L’adjectif « naïf » laisse supposer une forme de crédulité et
d’aveuglement sur le monde. [Annonce du plan] Nous tenterons d’abord de

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

comprendre pourquoi la célébration du monde peut paraître naïve dans Les Vrilles de
la vigne et dans Sido, avant de découvrir les nombreux aspects qui dévoilent une
connaissance lucide et subtile du monde, pour enfin saisir comment Colette nous
propose un art d’écrire qui permet de se protéger et de mieux vivre.

► PROPOSITION DE PLAN DETAILLÉ


I. Certes, Colette célèbre le monde d’une manière qui pourrait paraître naïve…
1. Des formes narratives divertissantes
– Conte : « Les vrilles de la vigne »
– Saynette avec les dialogues animaliers de « Toby-Chien parle », « Dialogue de
bêtes »
– Anecdotes cocasses de l’enfance dans Sido : les Sauvages et leurs jeux

2. Une idéalisation des êtres


Commémoration de la mère dans Sido, mais aussi du père. Les défauts des êtres sont
estompés. Colette souhaite rendre hommage à sa mère qu’elle présente comme la
déesse tutélaire de son enfance et à son père, source de son lyrisme. La tonalité
épidictique avec les procédés qui lui sont associés (hyperboles, exclamation, lexique
mélioratif…) peut donner une impression de naïveté.

3. Une exaltation lyrique : naissance du monde et communion avec le monde


Colette souligne son amour de la nature et des animaux dans les deux œuvres, ce qui leur
confère une dimension naïve au sens où elle est proche de ce monde naturel.
– Épisode de la promenade à l’aube dans Sido.
– Éloge de la nature dans les poèmes en prose qui sont situés au début et à la fin des Vrilles de
la vigne ( « Jour gris », « Le Dernier feu », « Printemps de la Riviera »).

II. Mais pour autant elle ne méconnait pas la complexité du monde


1. Les masques fictionnels laissent percevoir une femme libre dont la vie n’a rien
d’un conte pour enfants
– La sexualité libre est évoquée dans « Nuit blanche », véritable ode sensuelle à
l’amour pour une femme.
– « Nonoche », « Amours », « Les Vrilles de la vigne » évoquent les désillusions
sentimentales de Colette.

2. La difficile condition des femmes


– Colette propose une réflexion sur la place des femmes et leur obligation d’obéir aux
convenances avec le personnage de Valentine (« Belles de jour », « De quoi est-ce qu’on
a l’air ? » « La Guérison »).
– Elle aborde également la question du vieillissement de la femme et même de la mort
avec des textes comme « Maquillages », « Rêverie de nouvel an » , « Chanson de la
danseuse », textes qui n’ont rien de naïf.

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

3. La chronique journalistique qui saisit le quotidien


– L’univers du music-hall est évoqué sans concession : vie douloureuse de labeur et de
marginalité (« Music halls », « Belles-de jour »).
– « En marge d’une plage blanche I », « En marge d’une plage blanche II » évoquent
les vacances en Baie de Somme et permettent aussi de capter de manière assez
journalistique les événements, le langage des enfants, des pêcheurs…

III. Une célébration qui permet de mieux vivre


1. Le chant et la musique comme bouclier et refuge face à l’adversité
– Dans Sido, Colette explique que son père avançait « protégé par son chant ».
– Dans « Les Vrilles de la vigne », le rossignol survit parce qu’il chante toute la nuit.
Ce conte allégorique permet de comprendre que l’écriture est un moyen de sublimer
la souffrance personnelle et la douleur. L’écriture lyrique et sensuelle de Colette
charme le lecteur et lui permet de ne pas sombrer.

2. La fantaisie et l’humour pour tempérer et mettre à distance la mélancolie


– Colette n’hésite pas à faire preuve d’humour, d’ironie sur elle-même pour tempérer sa
mélancolie. Elle se décrit à travers le regard naïf des animaux qui s’étonnent de son exaltation
ou de sa mélancolie.
– Elle se dédouble dans « Le Miroir » et met en scène un dialogue avec son double littéraire,
Claudine.
– Colette n’est pas naïve, c’est une artiste qui rend le réel plus supportable en le maquillant
grâce aux couleurs de la fiction. À ce titre, le texte « Maquillages » peut également se lire
comme une allégorie de la création littéraire.

3. L’enfance retrouvée
– Enfin, les évocations du pays natal permettent à Colette de faire revivre son passé, d’abolir
le passage du temps. Dans « Le Dernier Feu », elle décrit les violettes magiques de son enfance
comme un « véritable filtre qui abolit le temps ».
– Sido commence d’ailleurs en faisant résonner la voix de sa mère. L’écriture la fait renaître.

► Conclusion
[Bilan] Colette choisit de célébrer le monde de manière lyrique. Elle chante le monde,
la nature, les êtres... Mais cette célébration n’est pas naïve, elle est tout au contraire
l’attitude d’une femme expérimentée, mais aussi mélancolique qui a réussi à capter la
beauté du monde pour mieux vivre. Elle ne se détourne pas pour autant des réalités :
la solitude, le passage du temps, les désillusions amoureuses, la condition des femmes
sont subtilement évoquées dans des dispositifs narratifs divers. Colette n’est donc pas
naïve ; bien au contraire, elle maquille ce réel qu’elle connaît trop bien, non pour
tromper son lecteur mais pour lui rendre la vie plus belle. [Ouverture] Tout comme
Albert Camus, elle veut transmettre aux lecteurs cette « difficile science de vivre » qui
consiste à savoir apprécier le monde.

© Hatier, Paris 2022 35

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