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Stratégique, 7e édition

ENCG
Gerry MARRAKECH
Johnson, - 2019 Whittington, Frédéric Fréry
Kevan Scholes, Richard

Jurassic Toys

Etude de cas du chapitre 2

Début 2005, le marché mondial du jouet était estimé à près de 50 milliards d’euros. Produits en grande
majorité en Asie, les jouets étaient conçus pour la plupart aux États-Unis et destinés principalement
aux 130 millions d’enfants occidentaux. Le marché européen connaissait une croissance annuelle de
10% alors que rien qu’en France, le budget moyen annuel en jouets dépassait les 250 euros par enfant.
Les jouets étaient des produits très internationaux, car les goûts des enfants, nivelés par de vastes
campagnes publicitaires relayées par des films à gros budget (Star Wars, Harry Potter, Le seigneur des
anneaux, productions Disney, etc.) et des séries télévisées américaines et japonaises (Pokémon, etc.),
variaient très peu d’un pays à l’autre. L’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest et l’Asie du Sud-Est
absorbaient chacune environ un tiers du marché mondial.
Les dix premiers fabricants mondiaux contrôlaient 70 % du marché total, avec à leur tête les
Américains Mattel (5 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2003) et Hasbro (3,1 milliards), et le
Japonais Bandai (1,8 milliard). Le seul Européen présent dans ce palmarès était le groupe familial
danois LEGO® (1,1 milliard d’euros de chiffre d’affaires), qui connaissait cependant de graves
difficultés : devant le recul de ses ventes (en baisse de 30 % entre 2002 et 2004) et des pertes qui
s’élevaient à près d’un quart de son chiffre d’affaires, son président et propriétaire avait démissionné
fin 2004.
La main d’œuvre représentait en moyenne 60 % du coût d’un jouet, voire 70 % pour les peluches ou
les poupées. C’était la raison pour laquelle ni Mattel ni Hasbro, qui réalisaient les deux tiers de leurs
ventes à l’international (surtout en Europe), ne possédaient pas la moindre usine aux États-Unis. Par
exemple, les poupées Barbie (Mattel) étaient conçues à Los Angeles, vendues à raison de une toutes les
deux secondes dans le monde entier (dont plus de trois millions d’exemplaires en France chaque
année), mais étaient toutes fabriquées en Asie (où d’ailleurs une copie en était fabriquée toutes les trois
secondes). À l’inverse, grâce à l’utilisation de procédés d’injection plastique très perfectionnés et à une
marque universellement reconnue, 90 % de la production de LEGO était réalisée en Europe et aux
États-Unis.

Le poids de la Chine
Avec plus de 1 200 firmes de jouets recensées, Hongkong n’était plus, comme par le passé, un centre
de production, mais plutôt une plate-forme de réexportation d’articles en provenance de Chine
continentale, pour un volume représentant un quart du marché mondial, soit près de 10 fois la
production française. Les usines chinoises (il y en avait officiellement plus de 2 000) exportaient
également sans passer par Hongkong (les groupes américains y possédaient leurs propres
implantations). Au total, un jouet sur deux dans le monde était fabriqué en Chine, par des ouvrières
âgées – officiellement là-encore – de plus de 17 ans, et payées environ 60 euros net par mois, pour des
semaines de 54 heures. On estimait ainsi à près de 1 million le nombre de personnes employées par
l’industrie du jouet en Chine. Au cours des années 1990, les usines avaient quitté Hongkong et la
région de Shenzhen, où les salaires des ouvriers dépassaient désormais les 150 euros mensuels, pour

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s’installer dans la province de Guangdong, où l’on trouvait une main-d’œuvre à moins de 0,25 euro de
l’heure. Par ailleurs, la Chine était une pépinière de nouveaux concurrents : d’anciens sous-traitants
hongkongais des multinationales américaines, comme V Tech (jouets électroniques), Playmates (jouets
sous licences du type Star Wars) ou Manley (peluches, petites voitures), avaient pris leur indépendance
et produisaient désormais pour leur propre compte, avec un niveau de qualité comparable à celui des
Occidentaux (ils figuraient tous les trois dans les 10 premières marques mondiales). D’autres
producteurs chinois allaient vraisemblablement les imiter dans leur émancipation.

La distribution
En France, la grande distribution contrôlait 60 à 70 % du marché des jouets (même si cela ne
représentait que 1 à 2 % de son chiffre d’affaires). Soucieux d’optimiser la rentabilité de leurs linéaires,
les hypermarchés cherchaient à limiter le nombre de références en rayon : ils réalisaient 50 à 70 % de
leurs ventes avec seulement 150 à 200 produits. Pour être référencé dans les centrales d’achat, il fallait
donc être connu, ce qui passait nécessairement par la publicité à la télévision, dont l’impact sur les
ventes était énorme : la télévision devait représenter au moins 10 % du chiffre d’affaires d’une marque.
Le Français Smoby avait ainsi consacré 600 000 euros au parrainage de la populaire émission Le Juste
Prix sur la chaîne TF1. Cependant, ce n’était qu’une goutte d’eau par rapport au budget publicitaire de
Hasbro en France, qui dépassait 22 millions d’euros (dont 95 % à la télévision) ou à celui de Mattel,
qui atteignait les 15 millions (dont 90 % en spots télévisés). Dès 1995, le budget publicitaire mondial
de Hasbro s’était d’ailleurs élevé à 380 millions d’euros. Il atteignait désormais plus de 15 % de ses
ventes, soit 7 euros par enfant et par an ou encore l’équivalent du chiffre d’affaires cumulé des cinq
premières entreprises françaises du secteur. Une telle boulimie publicitaire imposait une assise
financière de plus en plus vaste, ce qui entraînait une concentration croissante. Pour exister sur le
marché mondial, on estimait qu’un fabricant de jouet généraliste devait dépasser les 300 millions
d’euros de chiffre d’affaires. Mattel, après avoir vainement tenté d’acheter Hasbro en 1996 pour plus
de 4,8 milliards d’euros, avait ainsi acquis le numéro trois américain, Tyco (voitures miniatures
Matchbox), ainsi que Fisher Price. De son côté, Hasbro avait racheté Playskool, Atari, Microprose et
Kenner Parker. Cette concentration était d’ailleurs encouragée par la concurrence de plus en plus
féroce avec les fabricants de consoles de jeux vidéo (Microsoft, Sony, Nintendo), qui tentaient de
détourner les enfants des jouets classiques en utilisant des moyens publicitaires tout aussi colossaux.
Face à cette menace, certains fabricants de jouets classiques développaient d’ailleurs des jeux vidéo
(jeux Barbie chez Mattel, jeux de simulation chez LEGO, etc.).
En dehors de la grande distribution généraliste, de quelques magasins de quartier en perte de vitesse
et de la vente par correspondance (classique ou sur Internet), les jouets étaient diffusés par la chaîne
américaine Toys ‘R’ Us, qui possédait près de 1 000 magasins dans le monde, dont une trentaine en
France. Ouvert en 1992 avec 6 700 mètres carrés et plus de 18 000 références, le magasin de La
Défense, près de Paris, était alors le plus grand du monde. Toys ‘R’ Us, qui détenait fin 2000 plus de
30 % de la distribution de jouets aux États-Unis et comptait atteindre rapidement ce taux de pénétration
en Europe, poussait ses fournisseurs à développer la publicité télévisée, non pour réduire ses références
(la profusion faisait partie de sa stratégie), mais pour limiter le nombre de vendeurs et le service à sa
jeune clientèle, déjà largement conditionnée par les campagnes publicitaires. Cependant, depuis 2001,
Toys ‘R’ Us était en perte de vitesse, notamment du fait de la concurrence du distributeur généraliste
Wal-Mart sur le marché américain. Contraint de vendre une partie de ses magasins, il avait laissé la
place à des concurrents tels que la chaîne La Grande Récré en France. Fin 2004, Toys ‘R’ Us avait
annoncé la mise en vente de la totalité de son activité jouets pour se recentrer sur sa division de
meubles et vêtements pour enfant, Babies ‘R’ Us, en forte croissance.

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Une industrie européenne sinistrée


À la demande des fabricants espagnols et portugais, l’Union européenne avait établi dès 1994 des
quotas d’importation sur certains jouets en provenance de Chine (peluches notamment). Cependant, les
industriels européens ne présentaient pas un front uni, puisque les Britanniques et les Néerlandais – qui
avaient déjà fait le choix de sous-traiter en Asie – étaient opposés aux quotas. Au total, la moitié des
entreprises françaises du secteur avait disparu entre 1985 et 2000 : en 2004, plus de 80 % des jouets
étaient importés (c’était 66 % en 1990), dont 60 % en provenance d’Asie. Depuis que le groupe
français Idéal Loisir avait été racheté par le Hongkongais Playmates, les deux principales entreprises
qui produisaient effectivement en France (Smoby et Berchet) étaient implantées dans le Jura, autour de
la petite ville de Moirans-en-Montagne (2 200 habitants). Le Jura assurait ainsi 55% de la production
française de jouets. Le coût de la main d’œuvre y était 40 à 50 fois plus élevé qu’en Chine et les deux
entreprises réalisaient 70 à 80 % de leur chiffre d’affaires sur le dernier trimestre de l’année, avec des
fluctuations mensuelles qui pouvaient atteindre 600 % : « Nous expédions une quarantaine de camions
en décembre et seulement cinq en janvier » rappelait le directeur industriel de Berchet.

Quelle stratégie pour les Jurassiens ?


Pour résister aux Asiatiques, les Jurassiens misaient sur la réactivité et l’innovation : « Nous sommes
capables de livrer en 15 jours un produit complexe que nous n’avons pas en stock. Les pays asiatiques,
eux, ne peuvent répondre que sur des commandes prévues de longue date, car ils sont obligés d’utiliser
le fret maritime, plutôt qu’aérien, pour ne pas annuler les bénéfices de leurs coûts de production »,
soulignait le directeur industriel de Berchet (par bateau, le transport revenait à environ 20 % du coût
total, et durait quatre semaines). La survie passait également par le renouvellement continu des
gammes : « Pour séduire le consommateur, nous devons changer chaque année 25 % à 35 % de notre
gamme. C’est toujours un peu casse-cou, car cela implique parfois le lancement simultané de
350 nouveautés », expliquait le président de Smoby. En effet, lorsqu’un nouveau modèle apparaissait
sur le marché, il était copié en quelques mois par les fabricants asiatiques. Plus généralement, les
Français se retranchaient dans des gammes de produits étroites, peu intéressantes pour les Chinois :
« Nous avons tous le même problème. Les articles de petit format ou à fort taux de main-d’œuvre nous
sont interdits », résumait le P-DG de Clairbois, une des filiales de Berchet. Ainsi, les Jurassiens se
spécialisaient dans les véhicules porteurs en plastique (chevaux, voitures), les gros jouets d’éveil et de
plein air ou encore les parcs pour bébés, qui tous étaient des articles dont le rapport encombrement/prix
les empêchait d’être importés de Chine par conteneurs à des tarifs intéressants. De même, grâce à
l’utilisation d’outils industriels automatisés, principalement de plasturgie (injection, soufflage,
extrusion, rotomoulage), les frais de personnel ne représentaient en moyenne que 25 % du chiffre
d’affaires des fabricants jurassiens (soit 150 000 euros de C.A. par employé), alors que leurs
investissements industriels étaient de plus en plus élevés (une unité de rotomoulage revenait à plus de
3 millions d’euros) et qu’ils étaient certifiés ISO. Ces compétences technologiques et ce niveau de
qualité étaient d’ailleurs identiques à ce qui était requis dans d’autres industries beaucoup moins
soumises à la concurrence à bas prix et à la saisonnalité des ventes, comme l’emballage (fabrication de
bidons, réservoirs et jerricans en plastique). Smoby avait d’ailleurs fait le choix de se diversifier dans la
fabrication de ce type de produits sous la marque Mob.
Les fabricants jurassiens ne s’étaient cependant pas résignés à subir la concurrence américaine et
asiatique. Même si leurs moyens financiers ne leur permettaient pas d’obtenir les licences de films ou
de séries TV les plus coûteuses, ils n’hésitaient pas à investir sur certaines opérations ponctuelles.
Smoby avait ainsi lancé avec succès une gamme de jouets sous licence de l’émission de variétés Star
Academy, alors que Berchet utilisait l’image de la chanteuse pour préadolescentes Priscilla. Par
ailleurs, en 2003, Smoby avait racheté à l’entreprise allemande de produits bureautiques Triumph
Adler le fabricant de petites voitures Majorette, pour 25 millions d’euros. Ce rachat lui avait permis
d’atteindre une part de marché de 7 % en France et de figurer, avec ses onze filiales, son chiffre

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d’affaires de 300 millions d’euros et sa présence dans 100 pays, parmi les dix premiers groupes
mondiaux de l’industrie du jouet. En 2001, le précédent propriétaire de Majorette avait délocalisé la
totalité de la production depuis le site historique de Rillieux-la-Pape, près de Lyon, vers la Thaïlande,
où une usine employait 600 personnes. Cette implantation asiatique constituait certainement un nouvel
atout pour le développement de Smoby. À l’occasion du rachat, son président du directoire avait
d’ailleurs annoncé : « Il y aura des synergies en Asie, en termes de sourcing comme de dynamique
commerciale. » Pour autant, dès la fin 2003, Smoby avait annoncé qu’une nouvelle usine de
rotomoulage serait construite à Moirans-en-Montagne (les deux tiers de la production du groupe restant
ainsi localisés dans le Jura). Parallèlement, suite à un investissement de 320 000 euros, Smoby avait
mis au point en 2004 une nouvelle technique d’injection plastique par eau et non plus par gaz, ce qui
permettait un gain de 50% sur le délai de production de certaines pièces.

Sources : sites Internet des fabricants et distributeurs ; Les Echos, 18 juin 2003.

Questions
1. En utilisant le modèle PESTEL, identifiez les influences structurelles qui affectent l’industrie
mondiale du jouet
2. Effectuez une analyse des 5(+1) forces de la concurrence de l’industrie du jouet. Quels facteurs
clés de succès en déduisez-vous ?
3. Identifiez les groupes stratégiques en présence dans l’industrie mondiale du jouet.
4. En vous appuyant sur les analyses menées lors des trois questions précédentes, proposez une
série de stratégies possibles pour les fabricants jurassiens.

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