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MIROIRS DU NARCISSISME : CLINIQUES DE LA PSYCHOSE

Anne Brun

Presses Universitaires de France | « Journal de la psychanalyse de l'enfant »

2014/1 Vol. 4 | pages 185 à 207


ISSN 0994-7949
ISBN 9782130629054
DOI 10.3917/jpe.007.0185
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-journal-de-la-psychanalyse-de-l-
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MIROIRS DU NARCISSISME :
CLINIQUES DE LA PSYCHOSE
Anne Brun

L’intérêt croissant de Freud pour le traitement des psy-


choses a motivé pour une part l’introduction en 1914 du
concept de narcissisme, qui va reconfigurer l’ensemble de la
théorie psychanalytique et permettre la découverte de nou-
veaux points de vue métapsychologiques. À l’appui de ce
constat, cette contribution propose de partir des perspec-
tives freudiennes concernant l’impact de la psychose dans
la naissance du concept de narcissisme, pour dégager les
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enjeux de cette question du narcissisme dans les cliniques
des psychoses, selon une double perspective, métapsycho-
logique et thérapeutique. Sur le plan métapsychologique,
quelques moments heuristiques pour la théorisation du nar-
cissisme seront dégagés dans l’histoire de la psychanalyse,
en particulier autour de la question du narcissisme primaire :
alors que Freud a avancé le concept de narcissisme primaire
dans une perspective solipsiste, Winnicott a introduit une
véritable révolution métapsychologique, en mettant en évi-
dence le rôle de miroir joué par l’objet dans la structuration
du narcissisme primaire, et ouvert de ce fait à une compré-
hension de la problématique psychotique. Puis, à l’appui de
psychanalystes contemporains, confrontés par la clinique de
la psychose à la nécessité d’introduire des concepts spéci-
fiques pour pouvoir penser corrélativement la problématique
psychotique et les premières expériences sensori-affectivo-
motrices dans la relation à l’objet, nous soulignerons, dans le
contexte d’un narcissisme primaire qui ne peut pas se pen-
ser indépendamment de l’objet, le rôle essentiel joué par les
sensorialités primitives échoïsées par les réponses de l’envi-
ronnement, qui permettent la progressive mise en place de
la différenciation entre moi et non-moi et l’accès aux formes
primaires de symbolisation. Le fil rouge de cette exploration
sera le rôle joué par l’appel à la sensori-motricité, au registre
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corporel et à la réactualisation des sensorialités primitives


dans la psychothérapie psychanalytique fondée sur des
médiations thérapeutiques.

PERSPECTIVES FREUDIENNES :
IMPACT DE LA PSYCHOSE DANS LA NAISSANCE
DU CONCEPT DE NARCISSISME

Freud fait référence, dans les Leçons d’introduction à


la psychanalyse (1915-1917), aux premières conceptions
d’Abraham qui a énoncé dès 1908, suite à un échange d’idées
avec lui, précise le fondateur de la psychanalyse, l’hypothèse
que la démence précoce se caractérise par l’absence de la
fixation de la libido aux objets, car elle est retournée vers
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le moi. Ce retournement réflexif est la source du délire des
grandeurs dans la démence précoce. Freud souligne que ces
thèses d’Abraham, dans « Les différences psychosexuelles
entre l’hystérie et la démence précoce » (1908), sur le rôle du
narcissisme, sont devenues le fondement de la position psy-
chanalytique par rapport aux psychoses. Dans la seconde
section du texte sur le narcissisme de 1914, Freud soulignera
à nouveau que l’analyse des psychoses est la voie privilégiée
de l’accès au narcissisme.
Rappelons que le narcissisme correspond à l’investisse-
ment du moi par la libido, et que Freud propose en 1914 l’idée
d’une opposition et d’un balancement entre la libido narcis-
sique et la libido d’objet : cette avancée théorique novatrice,
qui marque en 1914 le second pas de la théorie pulsionnelle,
introduit une nouvelle façon de penser la théorie de la libido,
qui ne sera plus exclusivement centrée sur l’objectalité mais
aussi sur l’investissement de soi-même ; Freud établira une
sorte de balance entre libido du moi et libido d’objet. Il postule
un investissement originaire du moi, le narcissisme primaire,
temps premier de complétude narcissique, préalable à toute
différenciation d’avec l’objet, et considère donc le moi comme
un grand réservoir de libido, qui est en partie envoyée vers les
objets. Autrement dit l’investissement de la libido sur le moi
est constant et dans un second temps dérivé vers les objets.
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L’introduction du concept de narcissisme pose la ques-


tion de son articulation avec l’autoérotisme, décrit précé-
demment par Freud comme un état de la libido à son début.
En 1911, il décrit le narcissisme comme une phase intermé-
diaire entre l’autoérotisme et le choix d’objet :

[…] l’individu en voie de développement rassemble en une


unité ses pulsions sexuelles, qui, jusque-là, agissaient sur le
mode autoérotique, afin de conquérir un objet d’amour, et il
se prend d’abord lui-même, il prend son propre corps, pour
objet d’amour, avant de passer au choix objectal d’une autre
personne (Freud, 1911, p 306).
Cette première définition du narcissisme comme étape
intermédiaire entre les auto-érotismes et l’amour d’objet
s’accompagne de l’idée d’une régression possible de la
libido à cette phase narcissique et met l’accent sur le rôle
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joué par l’investissement du corps propre, en quelque sorte
préalable nécessaire au choix objectal.
Alors que les pulsions auto-érotiques existent depuis
l’origine, le moi n’est pas présent depuis le début chez l’indi-
vidu mais il doit subir un développement, comme l’indique
cette formulation célèbre du fondateur de la psychanalyse :
« […] il faut donc que quelque chose, une nouvelle action
psychique, vienne s’ajouter à l’auto-érotisme pour donner
forme au narcissisme » (Freud, 1914, p. 221).
Cette nouvelle action psychique, correspondant à
l’émergence du moi, initie une modification majeure dans la
Métapsychologie, qui jouera désormais sur la complémen-
tarité et l’opposition de la libido d’objet, où le sexuel vise
l’objet, et de la libido du moi, où le sexuel est tourné vers le
moi.
Freud propose l’image évocatrice du narcissisme comme
un animalcule protoplasmique qui envoie ses pseudopodes
sur les objets et peut les ramener à lui ; cette image forte
désigne donc la représentation d’un investissement libidinal
originaire du moi, dont « une partie est cédée plus tard aux
objets », mais qui persiste fondamentalement. Freud souligne
alors l’interaction entre libido du moi et libido d’objet : « Plus
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l’une se déploie, plus l’autre s’appauvrit. » La distinction


entre une énergie sexuelle, la libido, et une énergie des pul-
sions du moi est d’abord indiscernable dans l’état du narcis-
sisme et elle n’apparaît qu’avec l’investissement d’objet. Le
processus par lequel le moi transforme la libido qui l’investit
en libido d’objet apparaît réversible car la libido d’objet peut
redevenir libido du moi (ou libido narcissique).
Cette distinction entre libido du moi et libido d’objet appa-
raît à Freud comme le prolongement de son hypothèse de la
séparation des pulsions sexuelles et des pulsions du moi :
même si elle s’appuie en grande partie sur la biologie et peu
sur le fait psychologique, elle s’impose à partir de la clinique
des névroses de transfert et des paraphrénies (démence
précoce et paranoia). C’est ce qu’il réaffirme avec force, à
l’appui de sa discussion avec Jung, qui défend la concep-
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tion d’un monisme libidinal, autrement dit d’un type unique
d’énergie psychique. Freud discute donc par l’introduction
de l’analyse du moi1 (Ichpsychologie) la thèse de Jung selon
laquelle le concept de libido ne pourrait pas s’appliquer à la
schizophrénie, de même que le retrait de la libido ne pourrait
pas être la cause de la perte de la réalité dans la psychose.
Le fondateur de la psychanalyse développera cette concep-
tualisation du repli narcissique et du désinvestissement des
objets dans la schizophrénie, en 1915, dans l’Inconscient.
L’étude de la schizophrénie où la libido se retire des objets
du monde extérieur apparaît donc, selon Freud, comme l’une
des origines de son questionnement sur le narcissisme.
L’omnipotence narcissique, le sentiment de toute-
puissance et de complétude autosuffisante  typiques des
pathologies psychotiques apparaît alors en lien avec la ques-
tion du narcissisme primaire. Freud postule un narcissisme
primaire, difficile à saisir à partir de l’observation directe, à
l’appui d’une compulsion parentale à attribuer à leur enfant
toutes les perfections : His Majesty the baby accomplira les
rêves de désir non réalisés des parents tant et si bien que

1.  L’utilisation du terme « analyse du moi » paraît préférable à celle de « psy-


chologie du moi » qui renvoie aux polémiques historiques sur les tenants américains
de la « sphère libre de conflits ».
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« l’amour des parents n’est rien d’autre que leur narcissisme


qui vient de renaître » sous la forme de l’amour d’objet, dans
lequel on reconnaît la reviviscence de leur narcissisme. Ce
narcissisme primaire renvoie, ce que Freud précisera en en
1915 dans « Pulsions et destin des pulsions », à une illusion
première d’indifférenciation entre le nourrisson et le monde
extérieur, autrement dit à un état subjectif précoce anob-
jectal, indifférencié, dans la mesure où l’enfant n’aurait pas
encore construit de lien subjectif à un autre, vécu comme
différent de lui.
On pourrait souligner que cette théorie du narcissisme
primaire, conçue de façon solipsiste, relève d’une « péné-
tration agie » (Donnet, 2007) de la problématique narcissique
dans une théorisation qui tend justement à tout rapporter à
soi, à effacer ce qui vient de l’autre et aussi à effacer que
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le processus narcissique consiste précisément à effacer :
tel est le constat de Roussillon (2011) qui examine la contri-
bution de Winnicott à l’analyse du narcissisme et des formes
du postulat d’auto-engendrement qu’il abrite.

WINNICOTT OU UNE RÉVOLUTION MÉTAPSYCHOLOGIQUE :


UN NARCISSISME PRIMAIRE OBJECTAL

Pour Winnicott, le narcissisme primaire ne peut pas se


penser indépendamment de l’objet, autrement dit de l’autre
sujet : un des apports fondamentaux de sa théorisation
consiste, en effet, à souligner la part de l’objet dans la struc-
turation du narcissisme primaire. En introduisant la fonction
des soins maternels et de la présence de l’environnement
dans la construction du narcissisme premier, Winnicott
« dé-narcissise la théorie du narcissisme », selon une for-
mulation de R. Roussillon (2011), et impose un double, un
« miroir » de soi qui médiatise la construction de l’identité.
Winnicott réintroduit donc la part historique de l’objet-miroir
premier et reconstruit le lien archaïque entre l’objet et le
sujet pour décrire la configuration narcissique actuelle du
sujet. Autrement dit, il ne saurait être seulement un psycha-
nalyste développementaliste mais il procède à un repérage
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clinique après coup des traces de l’impact sur le sujet des


réponses premières des objets.
Une révolution métapsychologique considérable a ainsi
été opérée par Winnicott : la fonction de l’objet dans la cons-
truction du soi et l’insistance sur la réponse de l’objet aux
mouvements libidinaux du sujet introduisent l’idée que la pul-
sion est porteuse d’un message adressé à l’objet, message
en attente d’une réponse de l’objet : R.  Roussillon (2010,
pp. 97-102) propose ainsi d’accorder à la pulsion la dimension
d’un sens, de la considérer comme porteuse d’une valeur de
communication avec l’objet, désignée comme valeur messa-
gère. Tel est l’enjeu objectalisant de la vie pulsionnelle, cette
valeur messagère en direction de l’objet se dialectisera avec
celle plus classique de décharge et de traitement des ten-
sions, enjeu narcissique de la vie pulsionnelle.
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Toujours dans la perspective winnicottienne, les réponses
que l’objet primaire apportera à la destructivité du sujet per-
mettront un processus d’objectalisation ou un retrait dans
une problématique narcissique. Si en effet l’objet exerce
des représailles, des rétorsions ou un retrait en réponse aux
mouvements pulsionnels de l’enfant, le lien sera détruit et le
narcissisme de l’enfant restera enfermé dans le solipsisme.
À l’inverse, si l’objet survit aux mouvements de destructi-
vité, s’il se montre atteint par ceux-ci sans se retirer de la
relation, le lien sera maintenu avec l’objet : une topique psy-
chique commencera à s’organiser, avec une différenciation
entre l’objet interne détruit par le fantasme et l’objet externe
survivant à la destructivité du sujet. On sort donc du solip-
sisme narcissique primaire, de l’illusion narcissique première
grâce à la réponse de l’objet, qui joue de sa fonction miroir
et permet son utilisation, à la source de la reconnaissance
de l’altérité de l’objet. Tel est le paradoxe de la destructivité
originaire (Winnicott, 1971, pp. 120-131). Dans la psychose,
la tendance à la destruction serait ainsi liée à un impossible
détachement de l’objet primaire, car tout se passe comme si
le sujet psychotique avait « expérimenté la réalité de la non
survivance de l’objet », qui « réalise le fantasme de destructi-
vité et du même coup, lui fait perdre sa localisation intrapsy-
chique, son caractère potentiel » (Roussillon, 1991, p 129).
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Ce processus apparaît dans la séquence clinique sui-


vante, qui rend compte d’un moment mutatif d’émergence
du retrait narcissique solipsiste, dans lequel un enfant était
enfermé :

Pierre, neuf ans, atteint d’une psychose symbiotique, avec des


défenses autistiques, est pris en charge, dans le cadre d’un
hôpital de jour, dans le cadre d’une médiation picturale indivi-
duelle, avec deux cliniciennes. Au début de son travail théra-
peutique en médiation picturale, Pierre entre dans le langage,
et commence à s’organiser sur le plan spatio-temporel. À l’âge
de sept ans, il a connu une difficile période de grande violence,
qui s’est caractérisée en particulier par des attaques corpo-
relles répétées sur sa référente, très investie. Pierre a été placé
à quatre mois dans une famille d’accueil, du fait des difficultés
psychiques de sa mère, seule avec cet enfant dont le père
n’était pas présent ; il vit toujours au sein de la même famille,
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dans un investissement réciproque, et il va de temps en temps
en visite chez sa mère biologique. Le cadre de médiation pic-
turale est animé à la fois par sa référente et par une stagiaire
psychologue, choix effectué dans l’idée de réintroduire deux
mères potentielles au sein de l’atelier.
Cet enfant incite rapidement les animatrices de l’atelier à fonc-
tionner en miroir, miroir gestuel et sonore en particulier. L’atelier
constitue un véritable bain sonore, qui accompagne les traces,
avec un jeu de reprise et de scansion rythmée de différentes
onomatopées, comptines, chansons, ainsi qu’avec un jeu de
doublage des gestes et des traces picturales, de formes peintes
reprises en écho, en particulier avec la stagiaire psychologue
qui fut amenée par l’enfant à se positionner régulièrement à
côté de lui devant la feuille. C’est dans le contexte de cette
chorégraphie autour de la feuille qu’apparurent les premiers
visages, après six mois ; dans un premier temps, l’enfant efface
les visages en les recouvrant de peinture, il fait apparaître et
disparaître ces visages en les effaçant.
Lors d’une séance particulièrement significative, Pierre repré-
sente sur sa feuille un visage et le griffe avec ses mains. Sa
référente, crie alors « Aïe ! » ; Pierre rit, griffe à nouveau la
feuille, en regardant sa référente, dans l’attente d’une nouvelle
exclamation, puis il caresse doucement le visage sur la feuille,
pour effacer les griffures. Le jeu se répète, l’enfant entre dans
une grande excitation, rit et jubile. À la séance suivante, Pierre
éclate de rire dès qu’il voit sa référente, en la regardant il peint
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un nouveau visage, le biffe, elle pousse à nouveau un cri et


Pierre sans la perdre alors du regard engloutit le visage, en pas-
sant sa main sur la peinture. Pierre a ensuite poursuivi, au fil de
son activité picturale, cette représentation des visages, mais
les visages figurés n’ont progressivement plus été effacés.
Cette phase de travail autour des visages a été mutative
pour l’enfant car il a ainsi pu intérioriser une différence entre
le visage perçu dans la réalité et le visage représenté sur la
feuille : sa jubilation provient du fait qu’il peut griffer et attaquer
le visage sur la feuille, réactualisant ainsi sa destructivité origi-
naire à l’égard du visage de la mère, tout en vérifiant immédia-
tement que le visage de sa référente reste intact dans la réalité
et que celle-ci reste bienveillante à son égard. En d’autres ter-
mes, il peut détruire le visage sur la feuille sans le détruire dans
la réalité, et peut ainsi accéder à la dimension du fantasme
inconscient décrit par D. W. Winnicott (1971, p. 125) :
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Hé l’objet, je t’ai détruit. Je t’aime. Tu comptes pour moi parce
que tu survis à ma destruction de toi. Puisque je t’aime, je te
détruis tout le temps dans mon fantasme (inconscient).
C’est d’autant plus important que Pierre a soudainement
perdu le visage de sa mère, à cinq mois, avec le placement :
tout s’est donc passé comme si, en réponse à la destructi-
vité originaire de l’enfant, le visage de la mère avait effecti-
vement disparu dans la réalité, et que l’écart entre fantasme
et réalité n’avait pas pu s’instaurer. Cet enfant avait d’ailleurs
réellement essayé, deux années auparavant dans le cadre
institutionnel, de mettre à mort en quelque sorte sa référente,
par de violentes attaques physiques. On passe donc de « Je
te tue et te détruis dans la réalité » à « Je te détruis dans ma
figuration, dans mon fantasme, mais tu restes vivante dans
la réalité ».
La soignante renvoie, en la théâtralisant, la destructivité
de l’enfant : c’est cette théâtralisation qui permet à l’enfant
d’adresser sa destructivité dans le transfert à la soignante,
donc de reprendre le processus du détruit/créé dans le lien à
l’objet originaire. De façon générale, l’exagération mimétique
du comportement de l’enfant par le thérapeute lui permet de
prendre conscience de son émotion, de se « sentir senti ». Ce
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type d’interaction évoque des recherches récentes sur l’inte-


raction primaire du bébé avec son environnement dans les
neurosciences du développement : ainsi Gergely (Gergely et
al., 1999) montrent que c’est l’exagération de l’expression de
l’émotion du bébé dans l’imitation parentale qui permet au bébé
de saisir que c’est bien son propre affect qui lui est renvoyé par
les parents. La théâtralisation du thérapeute fait ainsi prendre
conscience à l’enfant de son impact sur l’environnement : de
même, la disposition du bébé à exercer une prise active sur
l’environnement dépend de sa possibilité de modifier l’autre et
de se sentir agent du déroulement de la scène.
Cette séquence clinique rend compte du travail thérapeu-
tique de construction du narcissisme primaire en lien avec
l’objet, passage obligé des psychothérapies avec les enfants
psychotiques.
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RETOUR AU MYTHE : AU MIROIR DES NARCISSES

Le rôle de miroir joué par l’objet, indispensable à la cons-


truction du narcissisme primaire, comme l’a montré cette
séquence clinique, était déjà omniprésent dans le mythe de
Narcisse. Revenons donc au mythe pour éclairer l’une des
problématiques centrales non seulement dans les patho-
logies psychotiques, mais, plus généralement dans l’en­-
semble des pathologies narcissiques identitaires, selon le
terme générique proposé par R. Roussillon. Dans le récit
d’Ovide, Narcisse est condamné à ne rencontrer que le
fantôme de sa propre image et à ne pas pouvoir saisir un
autre que lui-même, mythe qu’on pourrait interpréter comme
la mise en scène d’un objet primaire insaisissable ou de
l’absence d’un double de lui-même suffisamment autre, qui
oblige Narcisse à replier ses investissements sur lui-même.
Alors que la nymphe amoureuse de Narcisse, Écho lui répète
« Unissons-nous », Narcisse la fuit avec ces mots : « Plutôt
mourir que tu ne me touches », témoignant bien du dan-
ger de mort lié pour lui à une éventuelle rencontre primaire
avec l’objet, sur le mode du toucher. Le chagrin d’avoir été
repoussée épuise le corps misérable d’Écho, la maigreur
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dessèche sa peau, il ne lui reste que la voix et les os. Ses


os ont pris la forme d’un rocher, elle disparaît mais tout le
monde l’entend : un son, voilà tout ce qui survit en elle, écrit
Ovide. Miroirs croisés de Narcisse et d’Écho, qui pourraient
renvoyer à la non-rencontre de l’altérité, avec le miroir pre-
mier du visage de la mère, dans lequel s’identifie l’enfant
(Winnicott, 1971) : on dépérit de la déception première d’un
appel repoussé, non entendu, ou mal reflété, telle serait l’une
des implications possibles du mythe, mis en scène par les
différentes formes de la psychopathologie du narcissisme.

IMPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES DE LA THÉORIE


DU NARCISSISME DANS LES PSYCHOSES
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Freud n’a jamais donné une suite directe à son texte fon-
dateur de 1914 sur le narcissisme, en écrivant ce fameux
ouvrage consacré au narcissisme, dont il avait le projet.
Mais, paradoxalement, son petit texte de 1914 sera le point
de départ de la majeure partie des développements actuels
de la psychanalyse, les analystes ne cessant de contribuer
au prolongement et au renouvellement des intuitions freu-
diennes, dans le contexte des nouvelles formes de la psy-
chopathologie contemporaine rassemblées sous le terme
générique de souffrances identitaires narcissiques.
En 1915, Freud reprendra la question du narcissisme
dans les Leçons d’introduction à la psychanalyse, dans un
chapitre intitulé « La théorie de la libido et le narcissisme ».
Le fondateur de la psychanalyse reformule les thèses de son
texte de 1914 mais il en relève de façon nouvelle les impli-
cations thérapeutiques : dans les névroses narcissiques, qui
englobent pour lui les psychoses, à la différence des névro-
ses de transfert, la résistance est insurmontable. La libido
tente de faire retour vers ses objets mais elle n’atteint que
des ombres, les représentations de mot. Freud souligne la
nécessité de remplacer les méthodes techniques habituelles
de la psychanalyse par d’autres, et il avance qu’il ne sait
pas encore si la psychanalyse réussira à opérer ce rempla-
cement. C’est donc l’ampleur du narcissisme qui constitue
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Miroirs du narcissisme : cliniques de la psychose 195

une limite au succès thérapeutique, particulièrement dans le


champ de la psychose.
Depuis l’époque freudienne, on constate que le rempla-
cement, selon la formulation freudienne, des méthodes tech-
niques habituelles de la psychanalyse par d’autres, pour le
traitement des pathologies graves du narcissisme et notam-
ment la psychose, s’est en partie effectué et développé avec
l’essor considérable des médiations thérapeutiques, qui
s’enracinent précisément dans l’histoire de la psychothé-
rapie psychanalytique des psychoses (Brun, 2007 ; Brun et
al., 2013). La question est de savoir comment ces thérapies
à médiation, référées à la psychothérapie psychanalytique,
permettent aux psychotiques d’émerger de leur repli narcis-
sique et d’investir à nouveau les objets. J’avancerai d’abord
l’hypothèse que, pour sortir du narcissisme omnipotent, il
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est nécessaire de remettre en jeu les modalités des premiè-
res interactions avec l’environnement et d’engager un travail
thérapeutique fondé sur l’appel à la sensori-motricité, sur les
sensorialités primitives, pour réamorcer le lien à l’objet et les
processus de différenciation moi/non-moi. Autrement dit, il
s’agit de mettre en jeu des processus de symbolisation à
partir précisément de ce registre sensori-moteur. On se sou-
vient que Freud (1911) a précisément mis l’accent sur le rôle
joué par l’investissement du corps propre dans la construc-
tion du narcissisme, en tant que phase intermédiaire entre
l’auto-érotisme et le choix d’objet :

Les théories « classiques » de la psychose insistent sur


l’impossible ou difficile accès au symbolique pour ces patients,
qui semblent immergés dans le registre sensorimoteur, ce qui
expliquerait en partie les impasses de psychothérapies fondées
sur le langage verbal. Mais il est possible d’engager un tra-
vail thérapeutique fondé sur l’appel à la sensorimotricité, pour
mettre en jeu des processus de symbolisation à partir précisé-
ment des vécus sensoriels et moteurs. Dans cette perspective,
les psychothérapies psychanalytiques réputées efficaces en
pratiques institutionnelles relèvent des médiations thérapeu-
tiques, justement fondées sur un médium sensoriel, comme
la peinture, la musique, le modelage, le collage. Mon propos
consistera désormais à montrer comment les médiations
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196 Anne Brun

thérapeutiques permettent de mobiliser les formes primaires


de symbolisation, pour enclencher le processus thérapeutique
(Brun, 2007, p. 124).

CORPS ET NARCISSISME DANS LA PROBLÉMATIQUE


PSYCHOTIQUE

Les travaux sur les formes primaires de la symbolisation


ont été particulièrement développés chez les psychanalystes
contemporains, ce qui pose la question de savoir pourquoi la
plupart des théoriciens analystes du xxe siècle ont été confron-
tés à la nécessité d’introduire des concepts spécifiques pour
pouvoir penser les premières expériences sensori-affectivo-
motrices dans la relation à l’objet, comme le protomental
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(Bion), l’objet agglutiné (Bleger), le pictogramme (Castoriadis-
Aulagnier), les protoreprésentations (Pinol-Douriez), le signi-
fiant formel (D. Anzieu) et bien d’autres encore. On peut certes
constater que la plupart de ces psychanalystes avaient une
expérience clinique de la psychose et que l’approche théra-
peutique de ces cliniques nécessite donc des conceptuali-
sations permettant de penser l’importance du sensoriel, du
corps et de la motricité. Ce sont les modalités d’évolution de
la psychopathologie contemporaine, notamment la clinique
des fonctionnements limites et psychotiques, qui imposent un
affinement des outils conceptuels depuis Freud, car l’appro-
che thérapeutique de ces cliniques nécessite des conceptua-
lisations permettant de penser l’importance du sensoriel, du
corps et de la motricité.
Pour traiter ces questions, la référence à la clinique des
bébés s’impose, car elle nous en apprend beaucoup sur
l’articulation des sensorialités primitives du bébé avec son
environnement. Les travaux actuels, montrent que c’est
l’échoisation du bébé par son entourage, ce que Stern (1985)
nomme les accordages de l’environnement, qui permettent
au bébé d’accéder aux premières formes de la symbolisation.
L’ensemble de la clinique du premier âge montre, en effet,
que c’est à partir d’un partage de sensations corporelles, de
ce que Stern désigne comme une chorégraphie première,
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Miroirs du narcissisme : cliniques de la psychose 197

l’ajustement des gestes, des mimiques et des postures entre


l’enfant et l’objet primaire, que va se constituer le fond sur
lequel s’établit la possibilité d’un accordage émotionnel.
Stern insiste sur le phénomène de transposition sensorielle,
au cœur des accordages (le fait que la mère transpose ce
que fait son bébé dans une autre modalité sensorielle : par
exemple le bébé essaie d’attraper un ballon en rampant et
la mère l’accompagne non pas en imitant son mouvement
mais par la voix, par ses intonations, par le registre sonore).
Dans la clinique des bébés, les sensorialités primitives
deviennent donc messagères en lien avec la réponse de
l’environnement. Une sensorialité échoisée par l’environne-
ment donne des formes primaires de symbolisation, sinon elle
dégénère et perd sa virtualité symbolisante. Ces processus
concernant le sexuel infantile ont des implications majeures
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dans la psychopathologie de l’enfant comme de l’adulte.
C’est l’articulation entre la sensorialité du bébé et la virtualité
potentielle d’un avènement de formes primaires de symbo-
lisation par les réponses de l’environnement qui se trouve à
l’origine des processus de symbolisation. Cette émergence
des formes premières de la symbolisation est liée aux pre-
mières formes de langage qui se mettent en place au sein de
la relation du bébé avec son environnement. En définitive,
les « formes primaires de symbolisation » renvoient à la fois à
des expériences précoces, à la fois à un processus structural
de symbolisation, à l’œuvre tout au long de la vie psychique.
Dans ce contexte, nous allons voir à partir d’exemples cli-
niques comment les médiations thérapeutiques permettent
particulièrement de relancer la virtualité symbolisante de ces
formes primaires de symbolisation.

MÉDIATIONS THÉRAPEUTIQUES ET ÉMERGENCE DE FORMES


PRIMAIRES DE SYMBOLISATION : VERS LA CONSTRUCTION
DU NARCISSISME PRIMAIRE

De précédents travaux (Brun, 2007, 2013) ont montré que


la rencontre avec le medium malléable (Milner, 1955) dans
un cadre-dispositif de médiations thérapeutiques, comme la
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198 Anne Brun

peinture, la terre, le modelage, le collage, active chez l’enfant


des sensations hallucinées ; les sensations procurées par la
matérialité du medium actualisent, en effet, des vécus psy-
chocorporels qui renvoient souvent, dans la psychose, à des
vécus originaires, impensables comme les angoisses primi-
tives évoquées par M. Klein, les terreurs sans nom de Bion
ou les expériences d’agonie primitive décrites par Winnicott
en 1974, telles que le sujet se retire de cette expérience de
mort psychique, pour pouvoir survivre. Ces expériences pri-
mitives catastrophiques n’ont jamais pu être représentées
car elles n’ont, en quelque sorte, pas été éprouvées par le
sujet. Or, elles peuvent justement se réactualiser et se figurer
au gré de la rencontre avec tel ou tel matériau, telle ou telle
technique, de façon singulière et différente, et sans qu’il soit
possible d’anticiper ce qui mobilisera chaque enfant.
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Ces sensations hallucinées proviennent d’un effet miroir
entre le medium et l’enfant. Dans la psychose, en effet, une
relation spéculaire s’établit entre l’enfant et le medium, une
continuité existe entre le corps de l’enfant et le médium, qui
peuvent être indifférenciés. Ces dispositifs de médiation
thérapeutique permettent donc de réactualiser des expé-
riences primitives d’ordre sensoriel, affectif et moteur, expéri­-
mentées avant l’apparition du langage verbal, donc non
symbolisées, non inscrites dans l’appareil de langage, mais
inscrites selon des modalités autres que langagières, tels
que le langage du corps, le langage de l’affect et la mise
en jeu de la sensori-motricité. Le medium sensoriel mobilise
une mémoire perceptive évoquée par Freud, composée de
traces sensori-affectivo-motrices d’expériences archaïques.
Ainsi, la perception, dans la réalité, des sensations pro-
curées par la matérialité du médiateur, la liquidité, le trouage
ou l’arrachement de la feuille, active le processus halluci-
natoire chez l’enfant, et, réciproquement, l’enfant met en
forme dans le matériau ses propres sensations hallucinées,
liées à des expériences antérieures, qu’il associera aux sen-
sations données par le médiateur. La sensation hallucinée va
prendre forme dans l’objet médiateur et devenir ainsi figu-
rable et transformable : telle est la symbolisation primaire,
conceptualisée par R. Roussillon (2010), comme le passage
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Miroirs du narcissisme : cliniques de la psychose 199

du perceptif à la représentation de la chose sensorielle. Le


travail du medium malléable dans un cadre de psychothéra-
pie psychanalytique à médiation pour patients psychotiques
permettra de réactualiser et de faire évoluer dans la dyna-
mique transférentielle2, sur le matériau, sur le cadre, comme
sur les thérapeutes, le lien à l’objet primaire, et de (re) consti-
tuer un narcissisme primaire en lien avec l’objet.

RÉACTUALISATION DES PREMIERS LIENS À L’OBJET


DANS LE RAPPORT AVEC LE MEDIUM MALLÉABLE :
D’UN NARCISSISME SOLIPSISTE À UN NARCISSISME
EN LIEN AVEC L’OBJET

En lien avec la réactualisation des sensations hallucinées,


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le travail du médium malléable par les patients, adultes ou
enfants, va permettre l’émergence et la mise en forme de
proto-représentations (Pinol-Douriez, 1984), qui renvoient à
une inscription des premières expériences de la relation à
l’objet, expériences d’ordre sensoriel et affectif. L’exploration
des formes primaires de symbolisation permet de prendre
en compte les aspects les plus primitifs de l’expérience
subjective, dans toute rencontre clinique quelle qu’elle soit,
mais les médiations thérapeutiques offrent un cadre privi-
légié pour favoriser l’émergence de ces formes primaires de
la symbolisation car elles vont pouvoir se mettre en forme
dans une matière. Le travail des cliniciens va s’effectuer
justement à partir de la prise en compte de l’émergence de
ces proto-représentations, qui seront la source de toute une
dynamique de symbolisation, en activant un processus de
métabolisation du registre sensorimoteur en figurable.
Dans les dispositifs de médiation thérapeutique, appa-
raissent donc sous la forme de traces pré-figuratives ces
éléments matriciels de l’activité de symbolisation, proto-
représentations (Pinol-Douriez, ibid.), qui se caractérisent

2.  Sur la constellation transférentielle à l’œuvre dans un dispositif de média-


tions thérapeutiques, voir Brun A. et al, 2013, pp. 159-187.
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200 Anne Brun

par une indissociabilité entre corps, psyché et monde, ou


entre espace corporel, espace psychique et espace extérieur.
C’est la façon dont P. Castoriadis-Aulagnier (1975) définit les
pictogrammes, proches aussi des formes autistiques, décri-
tes par F. Tustin (1984). L’émergence de formes pri­maires
de symbolisation ne relève pas seulement du registre des
pictogrammes, mais aussi souvent des signifiants formels,
qui constituent selon D. Anzieu (1987) la première étape
de la symbolisation des pictogrammes. Cette énumération de
formes primaires de symbolisation n’est pas exhaustive mais
la réflexion présente se limitera à ces principaux concepts.
D. Anzieu définit le signifiant formel comme une configu-
ration du corps en proie à une transformation qui s’impose
sous la forme d’un vécu hallucinatoire. Il insiste sur le fait que
le signifiant formel n’est pas un fantasme mais une impres-
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sion corporelle, une sensation de mouvement et de trans-
formation, qui ne suppose aucune distinction entre le sujet
et l’espace extérieur, et qui est ressentie par le sujet comme
étrangère à lui-même. Les signifiants formels sont constitués
d’images proprioceptives, tactiles, coenesthésiques, kines-
thésiques, posturales d’équilibration et ne se rapportent pas
aux organes des sens à distance, la vue, l’ouïe. Bref, ils ren-
voient à des proto-représentations de l’espace et à des états
du corps ; ce sont des représentations des configurations du
corps et des objets dans l’espace, ainsi que de leurs mouve-
ments. En définitive, il s’agit de représentations d’enveloppes
et de contenants psychiques. L’enjeu des signifiants formels
pour D. Anzieu est une lutte pour la survie psychique.
Dans le cadre par exemple de la médiation picturale avec des
enfants psychotiques ou autistes, il peut s’agir d’une sensation
d’arrachement d’une peau commune, en lien avec le décollage
d’une peinture plastifiée, ou encore d’un vécu de glissade sans
fin sur la feuille. On trouve fréquemment les signifiants formels
suivants, qui correspondent à différentes configurations du tra-
vail de la peinture avec le support de la feuille, par l’enfant :
« Ça se déforme et se détruit/ça se dilue et s’efface/une surface
plane ondule/ça se plie et se déplie/un corps se liquéfie. »
Comme le souligne D. Anzieu, alors que le scénario fan-
tasmatique est construit sur le modèle de la phrase, avec
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Miroirs du narcissisme : cliniques de la psychose 201

un sujet, un verbe, un complément d’objet, présentant une


action qui se déroule dans un espace à trois dimensions, le
signifiant formel est énoncé par un syntagme verbal limité à
un sujet et à un verbe, avec une action se déroulant dans un
espace bidimensionnel, sans spectateur. Dans le signifiant
formel au contraire, la forme est ressentie comme étrangère,
ce qui implique une formulation sans sujet humain. Le travail
des cliniciens va s’effectuer justement à partir de la prise en
compte de l’émergence de ces formes primaires de sym-
bolisation, qui seront la source de toute une dynamique de
symbolisation.
Je propose de montrer, à partir de mon expérience de
la médiation picturale avec des enfants psychotiques, que
l’enchaînement des signifiants formels au fil du travail thé-
rapeutique correspond à un processus de structuration du
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narcissisme primaire de l’enfant, en lien avec son impact sur
la matière (ici matière picturale) et sur les thérapeutes : rap-
pelons que le concept de medium malléable désigne pour M.
Milner (1955) à la fois le matériau, et le thérapeute présentant
et représentant le medium dans sa matérialité.

Dans les débuts d’un dispositif à médiation peinture avec des


enfants souffrant de pathologies lourdes, la matière picturale
relève souvent d’un magma, les formes semblent ne pas pou-
voir s’inscrire sur la feuille support et les activités des enfants
peuvent donner lieu aux signifiants formels suivants : « une
feuille est traversée » ou « un corps liquide s’écoule » ou « ça
s’écoule sans fin », « un corps se liquéfie ou « ça se liquéfie sans
fin », « un corps liquide est agité » ou « ça s’agite », « un corps
explose » ou « ça explose », « ça se déforme et se détruit ». Par
ailleurs, voici quelques figures d’une « irréversibilité et d’une
destruction de la forme ». « Ça se lèche, ça s’avale », « ça se
disperse », « ça se dilue et s’efface », « ça se dissout », « ça
se noie », « ça disparaît », « ça part et ne revient pas ». On relève
aussi fréquemment les signifiants formels suivants, qui corres-
pondent à différentes configurations du travail de la peinture
avec le support de la feuille, par l’enfant : « un appui s’effondre »,
« un trou aspire », « ça s’arrache, c’est arraché », « moi/feuille
peau trouée, arrachée », « ça se perce/ça pique/ça suppure ».
Une partie de ces signifiants formels à l’œuvre pourrait s’inscrire
sous le paradigme évoqué par D.  Anzieu (1987) : « Une peau
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202 Anne Brun

commune est arrachée. » L’ensemble de ces signifiants formels


renvoie à la position adhésive pathologique, qui se définit dans
la médiation picturale par la non constitution du fond, au sens
où les enfants ne représentent aucune forme différenciée sur un
fond. Il leur est en effet impossible de représenter des formes
sur le fond de la feuille, ils peuvent déchirer, perforer la feuille ou
lancer des traces sans retour, selon une formulation de G. Haag
(1995). En ce qui concerne l’enveloppe psychique, elle n’est pas
constituée, l’enfant n’a pas intégré le sentiment d’enveloppe, et
notamment la première enveloppe, de nature rythmique. Le trai-
tement des feuilles de peinture par les enfants témoigne donc
des états des enveloppes psychiques individuelles et groupales
(A. Brun, 2014a).
Cette première phase, fréquente dans le travail théra-
peutique des enfants psychotiques en médiation picturale,
témoigne d’un narcissisme solipsiste, sans renvoi, ni boucle
de retour, selon l’expression de G. Haag, avec l’objet. On
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verra que l’évolution des signifiants formels au fil du travail
thérapeutique correspondra au processus de constitution du
fond dans la peinture des enfants psychotiques.
Afin de dégager les logiques de l’émergence et de la trans-
formation des formes primaires de symbolisation, autrement
dit les logiques de la symbolisation primaire, j’ai proposé
(Brun, 2014b) l’hypothèse d’une chaîne associative formelle
à l’œuvre dans le cadre des médiations thérapeutiques,
essentiellement constituée de signifiants formels (D. Anzieu).
Cette chaîne associative formelle s’avère à l’œuvre pour tout
sujet dans le cadre des médiations thérapeutiques, dans une
prise en charge individuelle ou groupale : il s’agit de repérer
l’enchaînement des formes à la fois dans les productions
proprement dites, dans la mise en forme de la matière pictu-
rale, mais aussi dans l’ensemble du langage sensorimoteur
des patients confrontés au médium.
À partir de l’évolution de l’associativité sensorimotrice
dans des dispositifs individuels ou groupaux de médiation
picturale avec des enfants psychotiques et autistes, référés
à la psychothérapie psychanalytique, il apparaît en effet
possible de dégager quelques éléments caractéristiques
des chaînes associatives formelles, essentiellement consti-
tuées de signifiants formels, dans la dynamique des ateliers
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Miroirs du narcissisme : cliniques de la psychose 203

thérapeutiques pour enfants psychotiques et autistes, indi-


viduels ou groupaux.
Dans la position adhésive pathologique, une partie des
signifiants formels à l’œuvre s’inscrit sous le paradigme « une
peau commune est arrachée ». On trouve fréquemment les
signifiants formels suivants : « un trou aspire »/ « ça s’arrache,
c’est arraché »/  « moi feuille peau trouée, arrachée » et le
pictogramme de l’agrippement.
Ensuite, les « États de base de la matière », qui relèvent
souvent d’un magma, peuvent donner lieu aux signifiants
formels suivants : « ça se déforme et se détruit »/ « un corps
se liquéfie » ou « ça se liquéfie sans fin »/« ça se déforme et
se détruit » et aussi « un corps explose ».
Enfin, la position adhésive pathologique correspond
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généralement à l’irréversibilité et la destruction de la forme.
En voici quelques figures : « ça se disperse »/ »ça se dilue
et s’efface »/ « ça disparaît »/« ça part et ne revient pas » ou
« traces sans retour » (Haag, 1995).
Dans la position adhésive pathologique, le fond n’est
donc pas constitué au sens où les enfants ne représentent
aucune forme différenciée sur un fond. Il leur est impossible
de représenter des formes sur le fond de la feuille, ils peuvent
déchirer, perforer la feuille ou lancer des traces sans retour.
L’enveloppe psychique n’est pas constituée, l’enfant n’a pas
intégré le sentiment d’enveloppe, et notamment la première
enveloppe, de nature rythmique.
Dans la position de détachement du fond, un premier
fond est constitué avec la possibilité cette fois d’un jeu entre
figure et fond. Il s’agit de formes sensori-affectivo-motrices et
non pas de formes figuratives ou représentatives. Dans cette
position de détachement du fond, apparaît un Fantasme de
peau commune, caractérisé par les signifiants formels sui-
vants : « un trou se bouche »/« ça se recolle »/« une surface
plane ondule »/« un appui résiste ».
On relève ensuite, de façon tout à fait notable, une pos-
sible Transformation des états de la matière, qui peut s’expri-
mer par exemple de la façon suivante : « différenciation des
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204 Anne Brun

couleurs et des textures »/« ça se solidifie »/« ça s’agglo-


mère », « ça s’agglutine »/ou « ça glisse ».
Enfin, une Réversibilité de la transformation se dessine,
sous différentes formes : « ça se colle et se décolle »/« ça
se plie et se déplie »/« ça apparaît, ça disparaît et ça réap-
paraît ». Une mise en jeu d’une gestualité rythmique sous
la forme par exemple de frappe rythmique ou de projection
rythmique apparaît, souvent accompagnée du signifiant for-
mel « trace qui part et revient ».
Dans la Position de figuration ou de réflexivité, appa-
raissent de nouvelles figures, qui souvent ne correspondent
plus à des signifiants formels car on ne se situe plus dans
un espace bidimensionnel sans sujet et des scénarios fan-
tasmatiques apparaissent. C’est une phase qui se définit par
la Constitution d’une enveloppe différenciée, qui se marque
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souvent par le signifiant formel « une limite s’interpose », ou
« une structure encadrante apparaît », selon une formulation
d’A. Green (1993, p 282).
Le  « JE » devient acteur et sujet des transformations et
enfin des scénarios fantasmatiques apparaissent, figurés sur
la feuille et/ou verbalisés. Il s’agit donc de l’émergence de
formes représentatives avec contenu figuratif.
De façon générale, dans le cadre des médiations théra-
peutiques référées à la psychothérapie psychanalytique, le
travail thérapeutique s’effectue non seulement à partir de
la matérialité du médiateur mais aussi à partir de la dyna-
mique transférentielle. La mise en forme du medium va en
effet susciter des messages corporels, visuels, kinesthé-
siques, mimo-gestuo-posturaux et on constate que si les
thérapeutes prennent en compte comme des messages ces
pictogrammes ou signifants formels, qui, par définition, sont
vécus par le sujet comme étrangers à lui-même, ne sont pas
appropriés, il sera possible de les transformer au décours du
travail thérapeutique en véritables messages dont les enfants
seront les sujets et qu’ils pourront adresser aux autres, au
groupe et aux thérapeutes, dans les interrelations au sein de
l’atelier, avec les thérapeutes mais aussi le cas échéant avec
le groupe d’enfants. L’objectif est de donner une valeur de
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Miroirs du narcissisme : cliniques de la psychose 205

message aux éprouvés de l’enfant psychotique, notamment


par le partage d’affects, et les doter d’un sens partageable,
processus qui rend possible la transformation des sensa-
tions en émotions. À travers la sensorialité, la motricité, le
mouvement, le processus thérapeutique consiste à mettre
en forme, en figure, en rythme, des impressions sensorielles,
qui vont pouvoir devenir des représentations de choses que
l’enfant peut s’approprier dans un processus de réflexivité.
En définitive, le travail thérapeutique à partir de média-
tions sensorielles, dans un cadre référé à la psychothérapie
psychanalytique, vise à faire évoluer l’enfant d’une probléma-
tique psychotique d’un corps solipsiste, avec un narcissisme
omnipotent et un enkystement dans le corps de stéréotypies
sensorielles, à un corps messager, avec un narcissisme rela-
tionnel, construit dans l’intersubjectivité.
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Résumé

L’intérêt croissant de Freud pour le traitement des psycho-


ses a motivé pour une part l’introduction en 1914 du concept
de narcissisme. Cet article propose de dégager les enjeux de
cette question du narcissisme dans les cliniques des psycho-
ses, selon une double perspective, métapsychologique et thé-
rapeutique. L’évolution dans l’histoire de la psychanalyse du
concept de narcissisme primaire sera envisagée, à la lumière
de Winnicott et des apports des psychanalystes contem-
porains sur les formes primaires de symbolisation. Freud a
souligné que l’ampleur du narcissisme constituait un obstacle
à la dimension thérapeutique de la psychanalyse et annoncé
une modification des méthodes habituelles de traitement pour
traiter ces pathologies du narcissisme, et notamment la psy-
chose. Dans cette perspective, le fil rouge de l’exploration cli-
nique sera le rôle joué par l’appel à la sensori-motricité et au
registre corporel dans la psychothérapie psychanalytique des
psychoses, fondée sur des médiations thérapeutiques.
Mots clés : Médiations thérapeutiques, Narcissisme pri-
maire, Psychose, Sensorimotricité, Symbolisation primaire.
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206 Anne Brun

Summary

Freud’s increasing interest in the treatment of psychoses


partly motivated the introduction of narcissism in 1914. This
paper suggests an emphasis on what is at stake about nar-
cissism in the clinical approach of psychoses following two
points of view, metapsychological and therapeutic. The author
addresses the historical evolution of the concept of pri­mary
narcissism in the light of Winnicott’s ideas and of the contem-
poraneous psychoanalysts’ contributions about the primary
aspects of symbolization. Freud underlined that the impor-
tance of narcissism is an obstacle to the therapeutic power of
psychoanalysis and foresaw some modifications of the usual
therapeutic methods in the treatment of narcissistic patholo-
gies, especially psychoses. From this viewpoint, the common
theme for the clinical exploration will be the role played in the
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psychoanalytically oriented psychotherapies of psychoses by
the call to sensorimotor experience and bodily register, lying
on therapeutic mediations.
Key words: primary narcissism, primary symbolization,
psychosis, sensorimotor experience, therapeutic media-
tions.

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