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CLASSE DE 3ème

DICTÉES DNB (2)

Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes
yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire  : « Je m’endors. » Et, une
demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait ; je
voulais poser le volume que je croyais avoir encore dans les mains et souffler ma
lumière ; je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de
lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j’étais
moi-même ce dont parlait l’ouvrage : une église, un quatuor, la rivalité de François Ier et
de Charles Quint.

M. Proust, Du côté de chez Swann, 1re partie, 1913.

Si je suis destiné à vivre, je représenterai dans ma personne, représentée dans mes


Mémoires, les principes, les idées, les événements, les catastrophes, l’épopée de mon
temps, d’autant plus que j’ai vu finir et commencer un monde, et que les caractères
opposés de cette fin et de ce commencement se trouvent mêlés dans mes opinions. Je
me suis rencontré entre les deux siècles, comme au confluent de deux fleuves ; j’ai
plongé dans leurs eaux troublées, m’éloignant à regret du vieux rivage où j’étais né, et
nageant avec espérance vers la rive inconnue où vont aborder les générations nouvelles.

F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, préface testamentaire, 1832.

Vingt ans sont passés et l’homme que je suis, depuis longtemps abandonné de sa
jeunesse, se souvient avec beaucoup moins de gravité et un peu plus d’ironie de celui
que je fus alors avec tant de sérieux, tant de conviction. Nous nous sommes tout dit et
pourtant il me semble que nous nous connaissons à peine. Était-ce vraiment moi, ce
garçon frémissant et acharné, si naïvement fidèle à un conte de nourrice et tout entier
tendu vers quelque merveilleuse maîtrise de son destin ? Ma mère m’avait raconté trop
de jolies histoires, avec trop de talent [...], nous nous étions fait trop de promesses et je
me sentais tenu. Avec, au cœur, un tel besoin d’élévation, tout devenait abîme et chute.

R. Gary, La Promesse de l’aube, 1960.

Ce sont de petits carrés de papier, misérables. Des feuilles mal venues, imprimées ou
tapées à la diable. [...] On fabrique comme on peut. [...] Mais le journal paraît. Les articles
suivent des routes souterraines. Quelqu’un les rassemble, quelqu’un les agence en
secret. Des équipes furtives mettent en page. Les policiers, les mouchards, les espions,
les dénonciateurs s’agitent, cherchent, fouinent, flairent. Le journal part sur les chemins
de France. Il n’est pas grand, il n’a pas bel aspect. Il gonfle des valises usées,
craquantes, disjointes. Mais chacune de ses lignes est comme rayon d’or. Un rayon de la
pensée libre.

J. Kessel, L’Armée des ombres, 1943.

Antigone est au fond de la tombe pendue aux fils de sa ceinture, des fils bleus, des fils
verts, des fils rouges qui lui font comme un collier d’enfant, et Hémon, à genoux qui la
tient dans ses bras et gémit, le visage enfoui dans sa robe. On bouge un bloc encore et
Créon peut enfin descendre. On voit ses cheveux blancs dans l’ombre, au fond du trou. Il
essaie de relever Hémon, il le supplie.
Hémon ne l’entend pas, puis soudain [...] il lui crache au visage, et tire son épée. Créon a
bondi hors de sa portée. [...] Hémon regarde ce vieil homme tremblant à l’autre bout de
la caverne et, sans rien, dire, il se plonge l’épée dans le ventre et il s’étend contre
Antigone, l’embrassant dans une immense flaque rouge.

J. Anouilh, Antigone, 1944.

Combien de temps faudrait-il qu’il dure leur délire, pour qu’ils s’arrêtent épuisés, enfin,
ces monstres ? Combien de temps un accès comme celui-ci peut-il bien durer ? Des
mois ? Des années ? Combien ? Peut-être jusqu’à la mort de tout le monde, de tous les
fous ? Jusqu’au dernier ? Et puisque les évènements prenaient ce tour désespéré, je me
décidais à risquer le tout pour le tout, à tenter la dernière démarche, la suprême, essayer,
moi, tout seul, d’arrêter la guerre ! Au moins dans ce coin-là où j’étais.
Le colonel déambulait à deux pas. J’allais lui parler. Jamais je ne l’avais fait. C’était le
moment d’oser. Là où nous en étions il n’y avait presque plus rien à perdre.

L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932.

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?


Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ?
Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d’une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d’airain, tout est de fer.
Jamais on ne s’arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
V. Hugo, « Melancholia », Les Contemplations, 1856.
Le maître avait une voix persuasive. Tous les matins, il présentait les cours du jour avant
de lancer le programme. La puce supplémentaire insérée dans leurs cerveaux [...] plaçait
les élèves dans un état de réceptivité absolue [...]. Le flot d’informations [...] déferlait
pendant une vingtaine de minutes, puis maître Moda donnait des exercices qui, tout en
validant les connaissances, sollicitaient la mémoire, la logique, l’esprit d’analyse et de
synthèse. C’était à cette occasion que se gagnaient ou se perdaient les places à
l’évaluation [...]. Si elle n’était pas la meilleure dans la résolution des problèmes
mathématiques [...], Emna montrait une efficacité inégalable en histoire et en sciences
physiques.

P. Bordage, « La classe de Maître Moda », Nouvelle vie et autres récits, 2013.

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