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Évaluation D’impact du Programme D’appui Social à

la Scolarisation « TAYSSIR » : Le Cas de La Préfecture Meknès.


Impact Evaluation of the Social Support Program for Schooling « TAYSSIR »: The Case of
Meknes Prefecture.
SAIDI Abdelmajid
Enseignant Chercheur
FSJES- Meknès, Université Moulay Ismail (UMI)
saidi.abdelmajid@gmail.com

HAMADI Abdelfattah
Chef du Pôle Système d'Information
Observatoire National du Développement Humain.
hamadi@ondh.org.ma

ELKARTOUTI Salah Eddine


Lauréat Diplômé du Master Évaluation des Politiques Publiques
FSJES- Meknès, Université Moulay Ismail (UMI)
kartouti.salah.eddine@gmail.com
Résumé
Pour lutter contre l’abandon scolaire, le Ministère de l’Education Nationale a procédé à un
changement de la méthode de ciblage administratif de « TAYSSIR », un programme de
transferts monétaires conditionnels lancé en 2008. Les réaménagements décidés par le
Ministère à la rentrée de 2018-2019 consistent à substituer au ciblage géographique, basé sur
la commune, du programme TAYSSIR par un ciblage individuel en vue de sa généralisation à
tous les ménages éligibles. Une évaluation d’impact de ce changement, que nous avons
réalisé, sur la scolarisation dans la préfecture de Meknès a révélé que les taux d’abandon et de
redoublement des élèves des familles défavorisées sont toujours élevés.

Mots clés : Programme TAYSSIR, Ciblage individuel, Évaluation d’impact, Meknès.

Abstract
To further combat school dropout, the Ministry of National Education has changed the
administrative targeting method of «TAYSSIR», a conditional cash transfer program launched
in 2008. The changes decided by the Ministry at the start of the 2018-2019 school year,
consist of replacing the geographic targeting of the TAYSSIR program, based on the
commune, with individual targeting with a view to its generalization to all eligible
households. An impact assessment of this change, which we have carried out, on schooling in
the Meknes prefecture revealed that dropout and repetition rates for students from
disadvantaged families are still high in the short term.

Keywords: TAYSSIR Program, Individual Targeting, Impact Evaluation, Meknes.

1. Introduction

Le Maroc est engagé en faveur de la réalisation de l’Objectif de développement durable en


matière d’éducation, l’ODD 4. D’ici à 2030, faire en sorte que toutes les filles et tous les

1
garçons suivent, sur un pied d’égalité, un cycle complet d’enseignement primaire et
secondaire gratuit et de qualité, qui débouche sur un apprentissage véritablement utile.

Pour y arriver, l’État a mis en place des actions destinées à réduire les coûts directs et
indirects de la scolarisation pour les familles défavorisées (ONDH, 2017). Parmi ces
interventions, on trouve «TAYSSIR», un programme de transferts monétaires conditionnels
lancé en 2008, qui a pour objectif de lutter contre l’abandon scolaire en agissant sur les
facteurs tels que le coût de la scolarisation supporté par les familles défavorisées, en les
encourageant à inscrire leurs enfants aux établissements scolaires et à suivre leurs assiduités.

Depuis son lancement, le programme TAYSSIR a déjà fait l’objet de trois évaluations. En
2009, c’est la phase pilote du programme qui a été évaluée. Puis, en 2012-2013, le programme
a subi une évaluation qualitative à l’occasion de l’étude d’évaluation du programme
d’urgence 2009-2012 financée par l’Union Européenne. Enfin, en 2018, l’Observatoire
National du Développement Humain et l’Instance Nationale d’Évaluation du CSEFRS ont fait
le choix d’entreprendre une évaluation scientifique des programmes d’appui social mis en
place par le Département de l’Éducation Nationale afin de mesurer l’impact de cinq
dispositifs sociaux d’appui à la scolarisation, à savoir le transfert direct «TAYSSIR»,
l’initiative «un million de cartables », le transport scolaire, les cantines scolaires et
l’hébergement « Dar Talib(a) et internats ».

Toutefois, les différentes évaluations ont montré une hausse du redoublement, du retard
scolaire et des erreurs d’exclusion et d’inclusion liées aux critères du ciblage des
bénéficiaires. C’est sur la base de ces évaluations, notamment les deux premières, qu’a été
décidé de réaménager le programme TAYSSIR pour élargir la base des bénéficiaires et
améliorer l’efficacité globale de ses mécanismes. Le but est de lutter d’avantage contre les
contraintes socio-économiques et géographiques qui freinent l’accès et la rétention des enfants
dans le système scolaire.

Notre objectif dans ce papier est d’évaluer l’impact de ces reformes, en se demandant dans
quelle mesure le ciblage individuel du programme « TAYSSIR», des transferts monétaires

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conditionnels, a réellement amélioré la lutte contre la déperdition scolaire et l’accès à la
scolarisation ?

Pour y répondre, nous avons choisi d’étudier et d’évaluer son impact au niveau du champ
d’action de la Direction du Ministère de l’Education Nationale à la Préfecture de Meknès.
Nous avons décidé de comparer deux années scolaires consécutives : 2017/2018 avec le
ciblage géographique qui touche tous les ménages d’une commune bénéficiaire, y compris
ceux non éligibles au programme TAYSSIR et 2018-2019 avec le ciblage individuel et
l’identification de « manière fiable » les ménages éligibles.

Sur le plan méthodologique, la recherche des réponses à la problématique a été


principalement fondée sur le traitement d’un outil quantitatif d’évaluation sous forme d’une
base de données indexée par le temps (sur deux années), considéré comme une série
chronologique incluant la totalité des élèves bénéficiaires et non bénéficiaires de TAYSSIR
dans la Préfecture, cycle primaire et collège.

En plus du traitement de la base de données susmentionné, un questionnaire a été conçu et


destiné aux directeurs des écoles bénéficiaires du programme TAYSSIR au niveau de Meknès,
constitué d’un échantillon aléatoire de 20 écoles. Pour traiter cette base de données et le
questionnaire, nous avons fait appel à des logiciels spécifiques (Spss, Excel, ArcGis) et à la
codification des variables, la réalisation des analyses croisées et le calcul des indicateurs (taux
des bénéficiaires, taux d’abandon…)1. Avant de présenter et discuter les principaux résultats
de l’étude, nous allons exposer brièvement, dans un premier temps, la méthode ancienne de
ciblage versus l’actuelle.

2. Méthode de ciblage du programme TAYSSIR

Les réaménagements décidés par le Ministère de l’Education Nationale consistent à substituer


au ciblage géographique, basé sur la commune, du programme TAYSSIR un ciblage individuel
avec une extension géographique, en vue de sa généralisation à tous les ménages éligibles. On
passera ainsi d’un ciblage géographique, basé sur la commune, à un ciblage individuel.

Le ciblage géographique avant, touche toutes les communes qui répondent aux critères
suivants :
1
Nous ne pouvons pas faire appel à la méthode de la régression par discontinuité(RDD) et double différence en
raison de l’absence des données sur la scolarisation et les déperditions scolaires des élèves avant le lancement du
programme. L’absence de la diversité et la multitude des caractéristiques des sujets a rendu également difficile
l’utilisation la méthode d’appariement.

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• un taux de pauvreté supérieur à 30%,
• un taux d’abandon scolaire dépassant 8%
• une éligibilité aux actions de l’Initiative nationale du développement humain.

En conséquence tous les ménages dont leurs enfants fréquentent une école installée dans une
commune bénéficiaire, peuvent être attributaires au programme TAYSSIR quel que soit leur
milieu social. Le ciblage individuel, en revanche, cherche à identifier de manière fiable les
ménages éligibles en se reposant sur un adossement du programme TAYSSIR au Régime de
l’assistance médicale pour les économiquement démunis (RAMED), avec une extension
géographique à toutes les écoles basées dans les communes rurales pour le cycle primaire
et parallèlement pour le cycle secondaire la couverture géographique du programme
est étendue à tous les établissements du secondaire collégial basés dans les communes rurales
et urbaines. Il y aurait ainsi rationalisation des ressources permettant d’augmenter
le nombre de bénéficiaires.

3. Principaux résultats de l’analyse quantitative et qualitative

Avant d’entamer l’analyse, il est important de préciser que cette base de données (anonyme)
comporte un ensemble d’information (commune, genre, bénéficiaires ou non du programme
TAYSSIR, résultats scolaires,…) pour presque l’ensemble des élèves du cycle primaire et
collège de la préfecture sur les deux années scolaires 2017/2018 et 2018/2019. De ce fait, le
traitement et l’analyse de cette base a permis de dégager un ensemble d’informations et
données essentielles à cette évaluation.

L’évolution du nombre de bénéficiers

Le tableau ci-dessous présente la répartition des élèves par genre et par cycle d’étude pour les
années scolaire 2017/2018 et 2018/2019. On remarque que la proportion des garçons dépasse
légèrement celle des filles sur les deux années pour le cycle primaire et collège avec une
différence globale approximative de 2%, les filles représentent 47,8% en 2019 contre 52,2%
pour les garçons.

Tableau 1 : Répartition des élèves sur les deux années scolaires : 2017/2018-2018/2019

Année
2017/2018 2018/2019

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Genre Genre
Fille Garçon Fille Garçon
Effectif % Effectif % Effectif % Effectif %
Primaire 36112 31,70% 40049 35,15% 37658 32,24% 41324 35,38%
CYCLE Collège 18116 15,90% 19653 17,25% 18152 15,54% 19658 16,83%
Total 54228 47,60% 59702 52,40% 55810 47,79% 60982 52,21%

Les résultats de l’étude ont montré que la proportion des élèves bénéficiaires du programme
TAYSSIR a connu une augmentation très significative allant de 6,17% pendant l’année
2017/2018 à 12,95% pour l’année scolaire 2018/2019, ce qui montre sa multiplication par
deux entre les deux années. Le nombre de bénéficiaires chez les garçons reste toujours plus
élevé que celui des filles sur les deux années (cf. Tableau 2).

Tableau 2 : Répartition des bénéficiaires et non bénéficières de TAYSSIR par année

Année
2017/2018 2018/2019
Genre Genre

Fille Garçon Total Taux Fille Garçon Total Taux


Programme Non 51059 55841 106900 93,83% 48605 53060 101665 87,05%
TAYSSIR Oui 3169 3861 7030 6,17% 7205 7922 15127 12,95%

Sur le plan territorial, nous constatons qu’en plus des communes qui bénéficient du
programme l’année 2017-2018 (cf. Carte1), des nouvelles communes ont rejoint le
programme à savoir : Dkhissa avec 620 bénéficiaires, Toulal avec 565, Ouislane avec 374,
Ain Orma avec 190. Cependant, l’augmentation la plus marquante est celle de la commune de
Meknès qui a passé de 5 bénéficiaires à 4394. Ceci a fait doubler le nombre total des
bénéficiaires de TAYSSIR dans la Préfecture pour atteindre le seuil de 15127 au total
en 2018-2019 contre7030 en 2017-2018 (cf. Tableau 2). La carte (1) ci-dessous montre
clairement que le passage au ciblage individuel a permis une évolution positive du nombre de
bénéficiaires du programme TAYSSIR notamment dans le périmètre urbain (la Commune de
Meknès).

Carte 1 : Distribution Géographique des bénéficiaires années 2017/2018 et 2018/2019

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Bénéficiaires du programme TAYSSIR selon le Cycle

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D’après le graphe suivant, c’est le cycle collège qui s'est accaparé la plus grande part de cette
augmentation en passant de 846 à 8235 bénéficiaires, soit une différence de 7 389 contre
seulement 708 pour le cycle primaire (cf. Figure 1). Ceci peut être expliqué par l’ouverture du
droit d’inscription au programme à la fois au milieu rural et urbain.

Figure 1 : Bénéficiaires du programme TAYSSIR selon le Cycle

9000
8000 6892 8235
7000 6184
6000
5000
4000
3000
2000 846 CYCLE
1000 primaire
0
Bénéficiaire Bénéficiaire CYCLE
Oui Oui collège
2017/2018 2018/2019
Année

L’évolution de la réussite, de l’abandon et du redoublement

Entre 2017-2018 et 2018-2019, l’étude a révélé que le taux de réussite pour le primaire
connait une hausse plus significative (+ de 2 points) que celle du collège. En revanche, le
taux d’abandon a été augmenté de 3 points pour le collège et resté pratiquement stable pour le
primaire. Ceci pourrait être expliqué par la baisse du redoublement de près de 3 points pour
le collège (cf. Tableau 3).

Tableau 3 : Résultats des élèves par cycle

Année
2017/2018 2018/2019
CYCLE CYCLE
primaire Collège Primaire Collège

Résultat % % % %
La réussite 86,24% 63,84% 88,07% 63,96%
L’abandon 2,06% 11,05% 1,99% 14,03%
Redoublement 11,70% 25,11% 9,94% 22,01%

Cependant, les résultats des bénéficiaires du programme TAYSSIR n’ont connu aucune
amélioration entre 2017-2018 et 2018-2019 (cf. Tableau 4, Figure 4). La réussite a baissé de
plus de 7 points tandis que les taux de l’abandon et du redoublement ont augmenté
respectivement de 3.85 et 3.35 points. Pour les non bénéficiaires du programme TAYSSIR,
leurs résultats ont été améliorés pratiquement sur tous les niveaux. Il est évident que le ciblage
individuel a augmenté le nombre des bénéficiaires et par contre le niveau général a baissé.

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En termes de genre, on retrouve pratiquement la même configuration sauf pour le taux
d’abandon des garçons qui a augmenté de plus 5 points entre 2017-2018 et 2018-2019
(Figure 2, Figure 3).

Tableau 4 : Résultats des bénéficiaires et non bénéficiaires de TAYSSIR: 2017-2018 et


2018-2019
année
2017/2018 2018/2019
Programme TAYSSIR Programme TAYSSIR
Non Oui Non Oui
Résultat % % % %
Réussite 78,64% 81,41% 81,16% 74,21%
D’abandon 5,19% 2,77% 5,78% 6,62%
Redoublement 16,17% 15,82% 13,06% 19,16%

Figure 2: Résultats des bénéficiaires et non bénéficiaires de TAYSSIR par genre 2017-2018

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Figure 3: Résultats des bénéficiaires et non bénéficiaires de TAYSSIR par genre 2018-2019

Cela montre que le coût de la scolarisation ne peut pas expliquer entièrement la déperdition
scolaire et le redoublement. En effet, d’autre facteurs pourraient expliquer d’avantage cette
situation tels que : le niveau scolaire des parents, l’accompagnement familial, le travail des
enfants.
Les limites institutionnelles du programme TAYSSIR

Pour compléter l’analyse et essayer de comprendre les résultats présentés ci-dessus, nous
avons adressé, dans une deuxième phase, un questionnaire destiné aux directeurs des écoles
primaires et des collèges bénéficiaires du programme TAYSSIR de la Préfecture. Au-delà de la
confirmation des conclusions de la première phase, le traitement du questionnaire a mis en
évidence les limites institutionnelles et les difficultés liées à la gouvernance du programme.
Ainsi, selon les directeurs interrogés, le programme est principalement confronté aux
faiblesses et contraintes suivantes :

• Faible aide financière aux familles par élève.


• Granulation de l'échec pour les enfants, en particulier le sixième niveau.
• Non implication des parents.
• Le besoin d'adopter le programme dans le monde rural sans la carte Ramed (Pour
certaines familles défavorisées n'ayant pas pu avoir ou renouveler leurs cartes Ramed).
• Le retard de paiement.
• Les élèves issus de certaines familles aisées bénéficient toujours du programme.

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4. Conclusion

En se référant aux résultats issus de la base de données pour les années scolaires successives
2017/2018 et 2018/2019, on constate que le nombre des bénéficiaires du programme TAYSSIR
a connu une multiplication par deux grâce au ciblage individuel. Une augmentation qui
s’explique par l’intégration des bénéficiaires du Ramed dans le programme TAYSSIR avec
l’extension géographique du programme. En revanche, malgré ces résultats importants issus
du nouveau mode de ciblage, certains obstacles et faiblesses entravent encore le programme.
Ce dernier touche encore des familles non éligibles et exclue en même temps d’autres
défavorisées qui ne sont pas capables de fournir tous les papiers exigés par l’administration.

L’étude a également révélé que malgré l’effort de l’État en matière de scolarisation, les taux
du redoublement et de l’abandon sont toujours élevés, notamment chez les bénéficiaires du
programme TAYSSIR. Il est primordial d’accompagner cette stratégie par des mesures non
monétaires telles que :
- Les tutorats pour les élèves en difficulté d’apprentissage scolaire.
- Pour les territoires où la déperdition est très élevée, il vaut mieux opter pour le
choix de l’internat pour héberger les élèves afin de lutter contre les absences et
les retards liés aux difficultés de transport scolaire et aux intempéries.
- Sensibiliser et informer les ménages sur l’importance de la scolarisation des
filles surtout dans les zones rurales et diffuser la culture d’éducation au
publique.

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Bibliographie :

Cour des Comptes. (2017), Rapport Compte d’affectation spéciale intitulé « Fonds d’appui à
la cohésion sociale».

El Kartouti, S.E. (2020), Évaluation D’impact du Programme D’appui Social à la


Scolarisation « TAYSSIR » : Le Cas de La Préfecture Meknès, FSJES Meknès

MENFPESRS. (2014), Evaluation du programme Tayssir : Transferts Monétaires Conditionnels.

MENFPESRS. (2019), Livrable phase 3 : Manuel de procédures du programme « Tayssir ».

ONDH. (2017), Rapport d’activités.


https://www.ondh.ma/sites/default/files/documents/ra_ondh2017_vf.pdf

ONDH. (2020), Évaluation d’impact des programmes d’appui social à la scolarisation.


http://www.ondh.ma/sites/default/files/documents/appui_social_ondh.pdf.

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