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VIOLENCE ET POLITIQUE

A ROME DE 133 A 44 AVANT J.-C.

La mémoire du fratricide sur lequel fut, selon la légende, fondée Rome ne cessa de hanter les
Romains pour qui le spectre de la guerre civile fut une menace constante sous la république.

Le recours à la force à des fins de destruction ou de pression contre des adversaires politiques
rythma de l’assassinat de Tiberius Gracchus en 133 avant J.-C. à celui de Jules César en 44 la
période au cours de laquelle la république romaine s’enfonça dans une crise dont elle ne
devait pas se relever.

L’exacerbation de la violence à Rome dans cette période s’explique par l’impossibilité


d’adapter les institutions politiques à la conquête et à la montée des rivalités personnelles qui
en résulta.

La crise des Gracques ouvrit une phase de contestation politique à laquelle le Sénat encore
maitre de la Ville répondit par la violence contre des réformateurs considérés comme aspirant
à la tyrannie (133 – 100av. J.-C.)

La première guerre civile (88 – 82 avant J.-C.) vit le premier affrontement entre imperatores
en quête de gloire, de butin et de pouvoir.

L’affrontement entre César et les Pompéiens étendit la violence politique de Rome à son
empire et aboutit à un ultime tyrannicide qui ne résolut rien.

I – L’ASSASSINAT DES TRIBUNS DE LA PLEBE SOUPCONNES D’ASPIRATION


A LA TYRANNIE

1 – Le meurtre de Tiberius Sempronius Gracchus, une atteinte à l’inviolabilité


tribunicienne

Le tribunat de la plèbe fut créé en 494 av. J.-C. au terme d’un violent affrontement entre la
plèbe et le patriciat. Pour protéger les magistrats de la plèbe, la sacro-sainteté leur garantit
l’inviolabilité : quiconque portait la main sur un tribun de la plèbe était condamné à mort.

La réforme agraire proposée par Tiberius, tribun de la plèbe en 133 av. J.-C. souleva
l’opposition du Sénat qui dressa contre lui un autre tribun de la plèbe, M. Octavius qui bloqua
le projet. C’est pour lever cet obstacle que Tiberius menaça son collègue d’une déposition
votée par les comices tributes, puis se représenta au tribunat de la plèbe pour l’année suivante.
Ces deux mesures, jugées contraires à la constitution par les sénateurs lui valurent d’être
soupçonné de vouloir aspirer à la tyrannie, régime détesté de l’aristocratie romaine qui
redoutait l’alliance d’un seul homme avec la plèbe.
Le Grand Pontife, Cornelius Scipio Nasica (parent de Ti Gracchus) somma le consul M.
Scaevola de « sauver la république » en faisant exécuter le tribun de la plèbe. Devant son
inaction, il prit l’initiative de marcher, avec ses partisans, sur le Capitole où Ti Gracchus fut
massacré avec 300 de ses partisans.

Scipio Nasica revendiqua et justifia ce meurtre au nom du tyrannicide, prenant comme


modèle les tyrannoctones athéniens (Harmodios et Aristogiton en 514 av. J.-C.)

2 – La légalisation du meurtre de Caius Gracchus par le sénatus-consulte ultime

Dix ans plus tard, C. Gracchus reprit le programme réformateur de son frère. Elu tribun de la
plèbe en 123, il se heurta à la même opposition sénatoriale appuyée par un autre tribun de la
plèbe. Réélu en 122 grâce à l’ascendant que sa maitrise de l’art oratoire lui valait sur la plèbe,
il rassembla ses partisans sur le Capitole où un de ses partisans tua un citoyen qui l’interpelait.
Le consul L. Opimius rassembla alors le Sénat autour de la dépouille de la victime et en obtint
le vote d’un sénatus-consulte ultime, procédure exceptionnelle qui donne les pleins pouvoirs
aux consuls.
Fort de cet acte légal, il leva ensuite une milice contre C. Gracchus et ses partisans réfugiés
sur l’Aventin, et promit une récompense pour la mort du tribun. Celui-ci trouva ainsi la mort
avec ses 3000 partisans. A la différence du meurtre de son frère, elle pouvait passer pour une
exécution légalement ordonnée par un magistrat, même si elle violait la sacro-sainteté du
tribun de la plèbe. Aux yeux de la majorité des sénateurs, le sénatus-consulte ultime
l’emportait sur l’inviolabilité tribunicienne.

3 – La mort de Saturninus : la fin de l’agitation tribunicienne

Elu tribun de la plèbe en 103 av. J.-C. Saturninus fit voter une série de lois favorables à la
plèbe (loi frumentaire) et qui limitaient et contrôlaient le pouvoir des magistrats. Il proposa en
outre une loi organisant la distribution de terres en Cisalpine aux vétérans de Marius. Cette loi
qui déplaisait à la plèbe urbaine fut adoptée dans un climat de violence à Rome, au terme
d’affrontements entre citoyens issus des tribus urbaines et rurales.
Cette politique populaire était menée grâce au soutien de Marius reconduit au consulat entre
104 at 100 av. J.-C.
La violence monta d’un cran en 100 av. J.-C. avec l’assassinat d’un candidat à la préture
hostile aux réformes à l’instigation de Saturninus. Marius se désolidarisa alors des populares
et laissa le Sénat voter un sénatus-consulte ultime contre Saturninus.
Marius renonça à faire entrer l’armée dans Rome pour exécuter la sentence : le
franchissement du pomerium par une légion en armes demeurait un interdit religieux qu’il
refusa de transgresser. Mais des armes furent distribuées aux partisans du Sénat qui formèrent
une milice.
Saturninus assiégé avec les siens sur le Capitole négocia sa reddition en échange d’une
promesse de sauvegarde. Mais l’émeute qui éclata se termina par la lapidation de Saturninus
et de ses partisans.
La mort de Saturninus mit fin à un premier cycle de violences politiques par lesquelles
l’oligarchie sénatoriale parvint à maintenir sa domination sur la plèbe, mais la conquête
Suscitait de nouveaux appétits de pouvoir dangereux pour la paix civile.
II – LES GENERAUX ET LA PREMIERE GUERRE CIVILE

1 – Marius contre Sylla

Marius fut le premier romain qui fonda sa carrière politique sur ses victoires militaires. Il fut
ainsi le premier à transformer ses légions en force politique au moment où la conquête ouvrait
aux ambitieux de nouvelles perspectives : gloire militaire, butin et pouvoir acquis autour du
bassin méditerranéen transformèrent complètement la vie politique romaine en faisant de la
force un instrument déterminant de la compétition politique.

Le proconsulat accordé par le Sénat à Sylla en 88 av. J.-C. était lourd de promesses : la guerre
contre Mithridate permettait à l’ancien légat de Marius en Afrique d’espérer revenir à Rome
auréolé de la victoire, chargé d’un butin qui lui achèterait des soutiens politiques, et à la tête
d’une armée dévouée à son chef plus qu’à la république.
C’est aussi ce que pensa Marius qui profita du départ de Sylla pour Capoue à la tête de ses six
légions pour faire voter par l’assemblée tribute la démission de Sylla de son commandement.
Celui-ci, loin de s’incliner, harangua ses légionnaires, éveillant chez eux la frustration de la
victoire et de ses avantages. Ayant convaincu ses légions, il les conduisit à Rome pour y
affronter ses adversaires marianistes.
La marche sur Rome et le franchissement du pomerium par des légions en armes fut pour les
Romains un événement inouï et sacrilège. Des combats opposèrent pour la première fois des
Légions à des citoyens romains au cœur de la Ville. Marius et ses partisans vaincus durent
abandonner Rome à Sylla qui obtint du Sénat un sénatus-consulte décrétant ses adversaires
« ennemis du peuple romain » ordonnant à quiconque les rencontrait de les tuer. Marius et ses
partisans furent ainsi désignés et condamnés à la confiscation de leurs biens.
Vainqueur de son rival réfugié hors de Rome, Sylla reprit le commandement de ses légions et
partit pour l’Orient sans s’assurer la conservation du pouvoir à Rome.

2 – La guerre civile et la dictature de Sylla

Les années de 87 à 84 av. J.-C. furent qualifiées par Cicéron de « triennum sine armis ».
Tandis que Sylla poursuivait sa guerre en Orient, les marianistes reprirent le pouvoir à Rome.
C’est donc au retour de Sylla que la guerre civile reprit.
Au printemps 83, Sylla débarqua à Brindisi avec ses légions victorieuses et affronta les
partisans de Marius (mort entre temps) qui avaient levé des légions. La nouvelle forme de la
guerre civile fut donc le combat entre légions formées de citoyens romains ayant fait
allégeance à des chefs et motivés par la perspective de récompenses qu’ils en attendaient.
Sylla a, sur ses adversaires, un très net avantage, renforcé par le ralliement du jeune Pompée
(23 ans) qui a levé dans le Picenum, parmi ses clients, trois légions, tandis que Crassus a levé
pour lui aussi une armée en Espagne.
La guerre se déroule en Italie entre le printemps 83 et le 1er novembre 82, quand deux armées
romaines de 50 000 à 70 000 homes chacune s’affrontent devant Rome : la bataille de la Porte
Colline, très meurtrière, est remportée par Sylla qui entre à nouveau dans Rome à la tête de
ses légions.
La répression qui s’ensuit a laissé aux Romains un souvenir traumatisant : elle prend la forme
des proscriptions, c’est-à-dire de l’affichage public de la liste des citoyens condamnés à mort.
80 sénateurs et 440 chevaliers sont désignés comme devant être exécutés, leurs biens
confisqués et leurs descendants exclus de tous les offices publics. Les citoyens qui les
protègeraient s’exposent à la même peine ; ceux qui les dénoncent obtiendraient en revanche
une partie de leurs biens. De telles dispositions encouragent les délations et règlements de
comptes, créant dans Rome un climat de terreur et de suspicion.
Sylla profite de la proscription des deux consuls en exercice pour se faire désigner dictateur
sans limite de temps par une loi votée sans liberté de suffrage.
Après avoir rétabli le fonctionnement des magistratures, il se retire du pouvoir en 81.
La restauration institutionnelle n’est cependant qu’apparente : les institutions républicaines
sont sorties très affaiblies de la guerre civile et sont soumises à de nouvelles pressions et la
dissidence marianiste contrôle toujours l’Espagne.

3 – La liquidation des derniers marianistes et la conjuration de Catilina

A la mort de Sylla, le conflit entre ses partisans et les anciens marianistes ressurgit. L’un des
deux consuls, pourtant ancien syllanien, Lepidus, remet en cause l’œuvre syllanienne,
suscitant par ses projets des troubles en Etrurie, puis, finit par prendre la tête d’une révolte
contre le Sénat. Déclaré ennemi public par un sénatus-consulte ultime, il est vaincu avec ses
partisans dans une bataille près du Champ de Mars et meurt après s’être retiré en Sardaigne.
Mais le parti marianiste contrôle l’Espagne où Sertorius a constitué un Etat romain dissident
soutenue par une armée de 8000 hommes.
La défaite de Sertorius n’est obtenue que par l’envoi de Pompée qui fait entrer les provinces
espagnoles dans sa clientèle en 72.
Pompée s’impose par ses victoires, contre Sertorius, contre les pirates, enfin contre
Mithridate, accumulant les ressources utiles à sa carrière politique : butin, gloire, popularité.
Obtenant du Sénat et du peuple les honneurs et les pouvoirs qu’il demande, il ne représente
pas une menace pour la paix publique.
Celle-ci est en revanche troublée par l’ambition d’un patricien infortuné qui voit dans
l’accession au pouvoir le moyen de relever sa fortune : Catilina, après s’être présenté sans
succès au consulat en 64 complote pour s’emparer du pouvoir l’année suivante. Déjouée par
le consul Cicéron, la conjuration de Catilina est abattue par le recours au sénatus-consulte
ultime que Cicéron obtient du Sénat pour faire exécuter ses complices restés à Rome tandis
que Catilina a déclenché une révolte en Etrurie. Vaincu et tué, Catilina démontre par son
échec la nécessité pour s’imposer de disposer d’une force militaire conséquente. C’est ce
qu’ont déjà compris Pompée et César.

III – LA DEUXIEME GUERRE CIVILE : CESAR CONTRE POMPEE

1 – De la conquête à la guerre civile

Les triomphes de Pompée ont démontré que la détention du pouvoir dépendait désormais de la
capacité d’un individu à concentrer entre ses mains les ressources nécessaires à sa conquête :
l’argent, la gloire militaire et le contrôle personnel des légions.
Pompée ayant licencié son armée à son retour s’Orient en janvier 61, il s’est privé du moyen
d’imposer sa volonté au Sénat qui lui refuse une loi attribuant des terres à ses vétérans. Absent
de Rome pendant trois ans, il s’entend avec ses potentiels rivaux pour s’aider mutuellement
dans la réalisation les ambitions de chacun : c’est le premier triumvirat qui l’associe à Crassus
et à César.
Celui-ci bénéficie à César qui reçoit un commandement en Gaule en 58. Mais fort de
l’expérience de Sylla, puis de Pompée, il s’assure pendant son absence de Rome d’une
position dominante de ses partisans dans la Ville.
Cette tâche incombe à Clodius, tribun de la plèbe qui renoue avec la politique populaire de
distribution de blé et s’appuie sur les collegia, associations de quartiers initialement à
vocation professionnelles et religieuses, qu’il transforme en bandes armées militairement
organisées en centuries et décuries, et qu’il utilise pour faire régner dans Rome un climat de
violence et d’intimidation. Il pousse ainsi Cicéron à un exil volontaire, à la suite de quoi sa
maison est pillée par ses hommes.
Pompée, inactif dans un premier temps, suscite contre Clodius un rival, Milon, dont les
bandes armées affrontent régulièrement celles de Clodius dans les rues de Rome.
Cette situation de guerre civile larvée se prolonge au-delà de l’année 58 ; elle témoigne de
l’affaiblissement des institutions républicaines, notamment du Sénat, autant qu’elle y
contribue.
En 52 av. J.-C. Clodius est tué lors d’une rixe avec les hommes de Milon. Ses funérailles
provoquent un incendie sur le forum. S’ensuivent des épisodes de guerres civiles dans Rome :
meurtres de partisans de Milon par des hommes de Clodius, pillages de maisons et désordres
auxquels se joignent des esclaves. Rome est en proie à une insécurité quotidienne qui trouble
le fonctionnement normal des institutions. Les sénateurs impuissants finissent par faire appel
à Pompée pour rétablir l’ordre.

2 – César contre Pompée : la marche sur Rome

Pompée, nommé consul unique, fait entrer ses troupes dans Rome pour y rétablir l’ordre.
Plusieurs incendiaires sont jugés. Milon lui-même est jugé ; défendu par Cicéron, il n’est
condamné qu’à l’exil.
A la fin de l’année 52, Pompée rend ses pouvoirs au Sénat. Il apparait désormais comme le
protecteur des optimates. Mais l’équilibre demeure instable du fait de l’achèvement de la
conquête des Gaules par César.
Rentré à Ravenne pendant l’été 50, César voit arriver l’échéance de son proconsulat que ses
adversaires à Rome attendent pour lui donner un successeur et le priver du bénéfice politique
de sa victoire en Gaule.
La décision prise par le Sénat en décembre 50 de lui donner un successeur le pousse à violer
une frontière que son proconsulat lui interdisait de franchir : le Rubicon.
L’entrée dans le territoire italien déclencha immédiatement une guerre civile dont le cadre fut
d’abord l’Italie. Les souvenir de Sylla souleva à Rome un vent de panique.
Mais dès son premier succès César montra qu’il voulait en user autrement la prise de
Corfinium défendue par un chef et des sénateurs pompéiens fut suivie de leur libération :
César accompagna sa marche à travers l’Italie de démonstration de clémence à l’égard de ses
adversaires de manière à rallier les hésitants et à faciliter les ralliements. Le départ de Pompée
pour l’Orient lui ouvrit les portes de Rome. Il s’installa d’abord au Champ de Mars (donc hors
du pomerium) où il reçut les sénateurs qui par leur vote légalisèrent son entrée dans Rome. A
l’inverse de celle de Sylla, l’entrée de César dans Rome ne s’accompagna d’aucune violence.
L’enjeu de la guerre civile, il est vrai, était ailleurs, dans les provinces.

3 – César, de la victoire dans la guerre civile aux ides de Mars

La guerre civile se déploya à nouveau, et plus encore que les précédentes, à l’échelle de la
Méditerranée. César quitta rapidement Rome pour l’Espagne pompéienne qu’il rallia par sa
victoire et sa clémence.
L’affrontement contre Pompée eut lieu le 8 août 48 av. J.-C. lors de la bataille de Pharsale :
vaincu, Pompée s’enfuit en Egypte où il fut tué sur l’ordre de conseillers du roi Ptolémée
voulant s’attirer les bonnes grâces de César.
La victoire de César fut parachevée par les batailles de Thapsus (avril 46) en Afrique, puis de
Munda (en 45) en Espagne, contre les derniers partisans de Pompée.
Au cours de la guerre civile, César voulut limiter les violences entre Romains. Son
programme de restauration de la cité comportait au contraire des mesures d’amnistie en faveur
des descendants des proscrits de Sylla rétablis ans leurs droits et leurs propriétés, puis en
faveur des citoyens condamnés après la mort de Clodius.
Ces efforts pour rassurer et rallier les derniers de ses opposants se heurta cependant à
l’inquiétude que faisait naitre dans les esprits sa propension à cumuler les pouvoirs. Comme
les Gracques dont il pouvait passer pour l’héritier politique, il réveilla la crainte, dans une
partie de l’élite politique, de l’instauration d’un pouvoir personnel de type tyrannique.
C’est le même exemple des tyrannoctones athéniens qui inspira Brutus et Cassius dans leur
projet de sauver la république.
L’assassinat de César le 15 mars 44 av. J.-C. frappait cependant le détenteur d’un pouvoir
personnel très étendu ; alors que les institutions républicaines qui devaient être restaurées par
cet acte avaient perdu toute vigueur et étaient incapables de retrouver le pouvoir.

De cela on peut conclure que la victime politique des violences répétées perpétrées à Rome
dans le dernier siècle de la république a été la république elle même et ses institutions, le
Sénat en tête, incapable de retrouver son pouvoir perdu. La violence politique à Rome dépassa
l’enjeu des luttes de personnes pour manifester la crise profonde du régime républicain.

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