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Les romans de l’énergie : création et destruction
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Eh bien ! n’ayant jamais trouvé d’oreilles à qui confier mes propos passionnés, de
100 regards où reposer les miens, de cœur pour mon cœur, j’ai vécu dans tous les tourments
d’une impuissante énergie qui se dévorait elle-même, soit faute de hardiesse ou
d’occasions, soit inexpérience. Peut-être ai-je désespéré de me faire comprendre, ou
tremblé d’être trop compris. Et cependant j’avais un orage tout prêt à chaque regard poli
que l’on pouvait m’adresser. Malgré ma promptitude à prendre ce regard ou des mots en
105 apparence affectueux comme de tendres engagements, je n’ai jamais osé ni parler ni me
taire à propos. À force de sentiment ma parole était insignifiante, et mon silence était
stupide. J’avais sans doute trop de naïveté pour une société factice qui vit aux lumières,
et rend toutes ses pensées par des phrases convenues, ou des mots que dicte la mode.
Puis je ne savais point parler en me taisant, ni me taire en parlant. Enfin, gardant en moi
110 des feux qui me brûlaient, ayant une âme semblable à celles que les femmes souhaitent
de rencontrer, en proie à cette exaltation dont elles sont avides 1, possédant l’énergie
dont se vantent les sots, toutes les femmes m’ont été traîtreusement cruelles. Aussi,
admirais-je naïvement les héros de coterie2 quand ils célébraient leurs triomphes, sans
les soupçonner de mensonge. J’avais sans doute le tort de désirer un amour sur parole,
115 de vouloir trouver grande et forte dans un cœur de femme frivole et légère, affamée de
luxe, ivre de vanité, cette passion large, cet océan qui battait tempêtueusement dans
mon cœur. Oh ! se sentir né pour aimer, pour rendre une femme bien heureuse, et ne
pas avoir trouvé même une courageuse et noble Marceline3 ou quelque vieille
marquise ! Porter des trésors dans une besace et ne pouvoir rencontrer personne, pas
120 même une enfant, quelque jeune fille curieuse, pour les lui faire admirer. J’ai souvent
voulu me tuer de désespoir.
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Un cri terrible sortit du gosier de la jeune fille, ses yeux se dilatèrent, ses sourcils
violemment tirés par une douleur inouïe, s’écartèrent avec horreur, elle lisait dans
les yeux de Raphaël un de ces désirs furieux, jadis sa gloire à elle ; et à mesure que
grandissait ce désir, la Peau en se contractant, lui chatouillait la main. Sans
5 réfléchir, elle s’enfuit dans le salon voisin dont elle ferma la porte.
— Pauline ! Pauline ! cria le moribond en courant après elle, je t’aime, je t’adore,
je te veux ! Je te maudis, si tu ne m’ouvres ! Je veux mourir à toi !
Par une force singulière, dernier éclat de vie, il jeta la porte à terre, et vit sa
maîtresse à demi nue se roulant sur un canapé. Pauline avait tenté vainement de
10 se déchirer le sein, et pour se donner une prompte mort, elle cherchait à
s’étrangler avec son châle. — « Si je meurs, il vivra », disait-elle en tâchant
vainement de serrer le nœud. Ses cheveux étaient épars, ses épaules nues, ses
vêtements en désordre, et dans cette lutte avec la mort, les yeux en pleurs, le
visage enflammé, se tordant sous un horrible désespoir, elle présentait à Raphaël,
15 ivre d’amour, mille beautés qui augmentèrent son délire ; il se jeta sur elle avec la
légèreté d’un oiseau de proie, brisa le châle, et voulut la prendre dans ses bras.
Le moribond chercha des paroles pour exprimer le désir qui dévorait toutes ses
forces ; mais il ne trouva que les sons étranglés du râle dans sa poitrine, dont
chaque respiration creusée plus avant, semblait partir de ses entrailles. Enfin, ne
20 pouvant bientôt plus former de sons, il mordit Pauline au sein. Jonathas se
présenta tout épouvanté des cris qu’il entendait, et tenta d’arracher à la jeune fille
le cadavre sur lequel elle s’était accroupie dans un coin.
— Que demandez-vous ? dit-elle. Il est à moi, je l’ai tué, ne l’avais-je pas prédit !
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