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Explication linéaire : Voltaire, « Femmes, soyez soumises à vos maris »

in Mélanges, pamphlets et œuvres polémiques, 1759-1768

Situation de l’extrait (l.19 à 42)


Il s’agit d’un récit de Voltaire dans lequel il met en scène un dialogue entre un prêtre, l’abbé de
Châteauneuf, et une femme, la maréchale de Grancey, au sujet de la célèbre phrase de saint
Paul : « Femmes, soyez soumises à vos maris. » (Epître aux Ephèsiens – thème de la famille
chrétienne).
Il n’y a pas de véritable dialogue en réalité, car l’abbé reste silencieux, la maréchale de Grancey
développe un discours de femme libre et éclairée, la présence du prêtre est un prétexte à la
dénonciation de l’éducation religieuse des filles et au blâme de la domination masculine.

Progression du texte
l.19 à 25 : la maréchale réfute l’idée d’infériorité naturelle de la femme ;
l.26 à 28 : elle affirme la complémentarité homme-femme ;
l.28 à 34 : elle dénonce avec humour la prétendue supériorité masculine ;
l.34 à 42 : elle réfute les prétentions masculines en présentant un modèle de réussite féminine.

Projet de lecture / questionnement du texte


- Quel portrait de la maréchale de Grancey découvrons-nous dans ce texte ?
- Comment dénonce-t-elle la domination masculine ?
- En quoi donne-t-elle une image positive de la femme et du couple ?

l.19 à 25 : la maréchale réfute l’idée d’infériorité naturelle des femmes ; les


relations du couple sont décrites comme une lutte hommes / femmes
Cette partie du discours de la maréchale suggère une séparation entre les hommes et les
femmes : une lutte entre ennemis. Tout le passage est formulé par des questions rhétoriques qui
invitent le destinataire à la réflexion, l’argument est celui des désavantages naturels des
femmes.
- (l.19) esclaves : terme fort qui associe l’idée de soumission à l’idée de propriété. Dans les
discours de lutte pour les droits des femmes, celles-ci sont souvent assimilées à des esclaves,
propriété de leur père, puis de leur époux.
- (l.19, 21, 22) N’est-ce pas assez que / N’est-ce pas assez que / Ne suffit-il pas que, l’anaphore
de la formule interronégative insiste sur le fait que les femmes sont accablées par les souffrances
naturelles. La succession des questions rhétoriques insiste sur le courage et la résistance des
femmes aux épreuves qu’elles doivent subir, sans pour autant les transformer en inférieures.
Comme l’oratrice est une femme de qualité (l.23), elle formule ces désagréments par des
périphrases dans un désir de se montrer digne face aux contraintes de la nature : une maladie
de neuf mois ; mette au jour avec de très grandes douleurs un enfant ; des incommodités très
désagréables ; la suppression d’une de ces douze maladies.
L’argument fait appel à l’émotion et à la persuasion : la nature a particulièrement desservi les
femmes comme le montre le lexique de la morbidité de la souffrance et de la mort : maladie,
mortelle, douleur, donner la mort.
- (l.19 à 21) Elle fait de tout homme un ennemi potentiel : qu’un homme … ait le droit de me
donner une maladie de neuf mois, qui quelquefois est mortelle ; y compris son enfant : un enfant
qui pourra me plaider3 quand il sera majeur (l.21, 22).
- (l.24, 25) sans qu’on vienne me dire encore : Obéissez ? : le rythme ternaire des questions
rhétoriques amplifie le sentiment d’indignation.

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l.26 à 28 : la maréchale affirme la complémentarité homme-femme
- (l.26) Certainement la nature ne l’a pas dit : certainement est un adverbe modalisateur qui
insiste sur la certitude de la maréchale (= il est certain que).
- (l.26 à 28) des termes forts sont mis en opposition : organes différents (concession) / mais
nécessaires les uns aux autres ; union (égalité) ≠ esclavage (soumission). L’idée de réciprocité
est renforcée par le parallélisme : les uns aux autres.
La maréchale insiste sur le fait qu’un couple peut exister en dehors de l’affrontement homme /
femme.

l.28 à 34 : elle dénonce avec humour la prétendue supériorité masculine


- (l.29) : l’argument consiste à réfuter une citation de Molière qui fait dire au personnage
d’Arnolphe dans L’Ecole des femmes : Du côté de la barbe est la toute-puissance. La barbe est
ici métonymie de l’homme (on appelle d’ailleurs Arnolphe le « barbon »).
- (l.30) les tournures exclamatives expriment avec ironie (plaisante raison est une antiphrase)
l’indignation de la maréchale.
- (l.30 à 32) le raisonnement par l’absurde dans une question rhétorique fait sourire le lecteur,
car il réduit la prétendue supériorité de l’homme à la pilosité de son menton : un homme a le
menton couvert d’un vilain poil rude ≠ mon menton est né rasé => (conclusion absurde) il
faudra que je lui obéisse très humblement ? L’ironie voltairienne repose sur une fausse candeur
du personnage.
La synecdoque la barbe empruntée à Molière est ici prise au sens propre et devient
dévalorisante : la périphrase vilain poil rude, ou l’expression est obligé de se tondre rappellent
l’animalité.
- (l. 32 à 34) le raisonnement fait ici une concession pour dénoncer la violence masculine envers
les femmes qui serait leur seul gage de supériorité : Je sais bien qu’en général les hommes ont
les muscles plus forts que les nôtres (concession), et qu’ils peuvent donner un coup de poing
mieux appliqué (image de la violence masculine) => (conclusion) j’ai peur que ce ne soit là
(précaution oratoire ironique) l’origine de leur supériorité.
Argument : aucune explication naturelle n’est suffisante pour fonder la supériorité des hommes
sur les femmes.

l.34 à 42 : la maréchale réfute les prétentions masculines en présentant un modèle


de réussite féminine
- (l.35, 36) Ils prétendent avoir aussi la tête mieux organisée, et, en conséquence, ils se vantent
d’être plus capables de gouverner : la vanité de l’attitude des hommes est suggérée par des
verbes à connotation péjorative ils se vantent, prétendent, qui traduisent le caractère illusoire
de leur domination.
- (l.36, 37) mais je leur montrerai des reines qui valent bien des rois : l’évocation de la
souveraine idéale est un contre-exemple à la supériorité masculine en matière de gouvernement.
Catherine II de Russie, évoquée par la périphrase une princesse allemande, est considérée par
les philosophes des Lumières comme une représentante du « despotisme éclairé ».
- (l.37 à 39) qui se lève à cinq heures du matin pour travailler à rendre ses sujets heureux, qui
dirige toutes les affaires, répond à toutes les lettres, encourage tous les arts, et qui répand
autant de bienfaits qu’elle a de lumières : l’éloge de la souveraine est exprimé par
l’énumération de subordonnées relatives comprenant des verbes d’action dont elle (la princesse
allemande) est sujet ; on reconnaît d’admiration que Voltaire (par le biais de la double
énonciation) porte à cette reine.
- (l.39, 40) Cet hommage sert de référence pour l’égalité des hommes et des femmes : Son
courage égale ses connaissances.

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- (l.40, 41) aussi n’a-t-elle pas été élevée dans un couvent par des imbéciles qui nous
apprennent ce qu’il faut ignorer, et qui nous laissent ignorer ce qu’il faut apprendre : le
discours de la maréchale se termine par un blâme de l’éducation religieuse reçue par les jeunes
filles dans les couvents (imbéciles désigne les religieux).
Le programme éducatif est évoqué avec ironie dans le chiasme : qui nous apprennent ce qu’il
faut ignorer ≠ et qui nous laissent ignorer ce qu’il faut apprendre. L’éducation idéale est le
contre-pied de cet état de fait. La maréchale, qui s’exprimait jusque-là à la première personne,
emploie ici le pronom nous qui généralise le propos à toutes les femmes.
- (l.41, 42) Pour moi, si j’avais un État à gouverner, je me sens capable d’oser suivre ce modèle.
La dernière phrase exprime l’énergie du personnage et son rêve (utopie) d’un monde où
hommes et femmes partageraient les mêmes responsabilités.

Conclusion
La maréchale que Voltaire fait parler dans ce pamphlet est une femme des Lumières : son
audace et sa liberté sont associées à une réelle culture, elle met son éloquence au service d’une
cause. Les propos de la maréchale sont polémiques dans le sens où ils attaquent les institutions
religieuses et morales. Mais ils sont aussi didactiques et formulent certains des idéaux des
Lumières comme l’égalité hommes - femmes ; l’éducation des filles hors des couvents.
Quelques années plus tard, Olympe de Gouges tentera d’associer les femmes à la révolution
française par la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne.

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