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ESD Option B - Le Feu - Janvier 2023
ESD Option B - Le Feu - Janvier 2023
Vous répondrez aux questions suivantes. Vous élaborerez au moins une production graphique.
Question 2. En quoi le feu peut-il être à la fois un risque et une ressource pour les sociétés ?
Question 4. Analysez les liens entre production énergétique et utilisation du feu. En quoi
l’utilisation du feu peut-elle contribuer à la transition énergétique ? Avec quelles limites ?
Depuis 1960, les espaces boisés autour de la ville ont été parcourus par de nombreux feux,
dénaturant les massifs de la Nerthe, de l’Etoile, du Garlaban, de Saint-Cyr et des Calanques.
Les espaces naturels les plus menacés représentant près de 9 000 ha, soit environ 37 % de la
superficie communale. Environ 100 000 habitants se situent en zone périurbaine, plus ou moins
sensibles au risque de feux de forêt. Pendant les périodes critiques (chaleur et vent
exceptionnel), l’ensemble des moyens de surveillance des massifs forestiers est coordonné par
le Bataillon de Marins Pompiers de Marseille. L’action reconnue et efficace du Bataillon de
Marins Pompiers de Marseille peut, dans certaines situations exceptionnelles de feux de forêts, être
renforcée par la flotte d'avions bombardiers d'eau de la Sécurité Civile, les sapeurs-pompiers des
Bouches du Rhône voir des colonnes d'intervention d'autres départements.
Un feu de forêt sur deux est la conséquence d’une imprudence. Pour toujours plus de prévention face au
risque incendie, de bons gestes et comportements sont à adopter aux abords des forêts : un barbecue, un
feu de camp, une cigarette jetée par la fenêtre de la voiture : tous ces comportements peuvent entraîner
des départs de feu. Aujourd’hui, 80 % des incendies se déclenchent à moins de 50 mètres des habitations.
D’aucuns affirment que plus de 90 % des forêts méditerranéennes sont dégradées et que plus de 50 %
(Bonnier, 1980) le sont gravement, au point que, souvent, la dégradation est dite intrinsèque à la forêt
méditerranéenne. Cette dégradation, la forêt méditerranéenne la devrait surtout au feu qui serait, pour
l’opinion publique, la première cause de sa disparition (Boutefeu, 2008) et les médias entretiennent cette
croyance.
La figure 1 incite à discuter la vulnérabilité « en soi » de la forêt méditerranéenne car les superficies
brûlées sont loin d’être homogènes à cette échelle. Les sources de données utilisées, multiples et
relativement anciennes, relèvent de la compilation et leur précision est discutable : ces séries statistiques
doivent être interprétées avec prudence car des événements politiques ont pu affecter un État et modifier
la façon de comptabiliser les feux. De plus, les définitions des incendies de forêt varient d’un pays à
l’autre, en fonction des définitions nationales du terme forêt (Alexandrian et Esnault, 1998).
Figure 1. Incendies de forêt en Méditerranée : l’échelle zonale, une échelle appropriée pour l’étude
de ces phénomènes ?
Les superficies annuelles incendiées sont plus importantes pour les pays de la Méditerranée nord-
occidentale. Un premier facteur explicatif pourrait être le déclin des activités agricoles et pastorales et
son corollaire l’emboisement des friches agricoles, combustibles potentiels. Cependant, appréhendées à
l’échelle zonale ou nationale (figure 1), les valeurs des incendies laissent présager des conséquences
dramatiques pour la végétation. Pour peu que l’on s’intéresse aux paysages végétaux et aux espèces qui
les composent, il devient possible de nuancer le propos sur le danger que représentent les feux pour ces
espaces boisés.
Considérant la construction sociale et culturelle de ce donné naturel menacé, nous tenterons de savoir si
cette végétation méditerranéenne pâtit nécessairement de chaque incendie ou si elle n’est pas adaptée
plus que dégradée ? Cette idée de dégradation, si souvent évoquée par les « experts » mérite d’ailleurs
d’être prise avec circonspection, car elle peut s’aborder notamment en termes de dynamique
biogéographique, de valeur économique, de qualité paysagère... D’où l’intérêt de prendre en compte les
adaptations au climat, au terrain et au feu.
*… qui occulte les adaptations anatomiques et physionomiques des espaces boisés méditerranéens
Pour Renaudo (1988, cité par Schnitzler et Génot, 2012) « la forêt n’est plus depuis longtemps, un
espace naturel » en raison des influences notables que l’homme a exercées sur elle. La végétation
méditerranéenne et notamment « la nature sclérophylle » (Schnitzler et Génot, 2012) dominante aux
étages inférieurs sont le résultat d’activités humaines millénaires. En outre, ce qu’on sait des origines de
la végétation méditerranéenne reste, pour l’essentiel, du domaine de la spéculation (Quézel et
Médail, 2003). Pourquoi alors parler d’écosystème forestier méditerranéen si celui-ci est en réalité un
géosystème où l’homme a tenu (voire tient toujours) un rôle important ? La littérature scientifique
préfère user à loisir du terme d’écosystème dégradé et préconise de restaurer cette « forêt relique »
(Schnitzler et Génot, 2012) comme une antiquité.
Loin de disparaître après chaque incendie, les espèces végétales méditerranéennes ont trouvé des
réponses anatomiques. Les pyrophytes, par exemple, sont des végétaux qui résistent à la flamme ou dont
la multiplication est stimulée par le feu : espèces peu combustibles comme le chêne-liège (qui, s’il n’a
pas été démasclé ce qui est fréquent étant donné le déclin de la subériculture, retrouve sa jeunesse
environ cinq ans après l’incendie grâce à sa carapace de liège et à ses feuilles coriaces et persistantes) ;
espèces ayant une aptitude à rejeter de souche, à se régénérer végétativement (à partir d’organes
résistants à la chaleur). Différente selon le substrat, la régénération est plus rapide sur sols siliceux,
propices au maquis, que cristallins (Tassin, 2012).
Et s’il existe des pyrophytes qui supportent le passage du feu, il existe également des espèces pyrophiles,
assez répandues parmi la végétation méditerranéenne, qui ont besoin du feu pour se reproduire et se
développer. Par exemple, les pins (notamment le pin d’Alep, qualifié « d’expansionniste ») se sont
multipliés massivement à la faveur des incendies (Schnitzler et Génot, 2012). Les graines du pin
germent rapidement après un incendie car elles sont protégées par la sérotinie, la capacité des cônes à
rester fermés pour les conserver.
C’est pourquoi, plus qu’une adaptation, certains évoquent même une prédisposition à des régimes
particuliers d’incendie. Nicolas Faivre (2011) parle de pyrodiversité pour décrire la capacité des espèces
pyrophytiques à résister voire à encourager les incendies, dans les biomes méditerranéens. La
pyrodiversité qui peut se définir comme « la part de la biodiversité d’une végétation ou d’un territoire
donné, liée au passage des feux » (Da Lage et Métailié, 2014) invite à s’interroger sur la vulnérabilité
supposée de la forêt méditerranéenne.
Au regard des arguments précédents, la vulnérabilité de l’environnement méditerranéen est à nuancer.
En outre, cette approche holistique du risque d’incendie repose sur des représentations savantes qui ne
prennent pas en compte le risque dans sa dimension humaine et territoriale.
Si la nécessité de protéger ces forêts menacées semble fallacieuse d’un point de vue écologique, peut-
être est-elle en revanche utile à la préservation d’un cadre de vie agréable aux locaux plutôt urbains et
aux touristes. Cependant, ces efforts en matière de préservation de la « nature » et notamment de la
« nature arborée » ne sont pas sans conséquence et peuvent devenir facteurs de vulnérabilités.
Si l’on observe des photographies anciennes ou des cartes postales de la Corse, du temps où la
civilisation touristique n’avait pas encore étendu son empire, on constate une organisation spatiale des
villages adaptée et préparée à la possibilité d’occurrence d’un incendie. Les villages s’organisaient de
manière concentrique. Au centre le bourg, puis une première périphérie, l’hortus, pare-feu que
constituaient les jardins potagers et d’ornement. Ensuite venait le saltus, l’espace défriché réservé à
l’élevage, où de temps à autre le maquis se développait de nouveau subséquemment à l’abandon de
l’activité pastorale. Cet espace défriché, souvent brûlé, paradoxalement, constituait un rempart contre le
feu, faute de combustible. Et enfin, la foresta, réservoir de chasse et domaine des bandits.
Mais il est vrai que bien qu’en partie forestier ce paysage pouvait sembler ne pas l’être assez : trop
anthropisé et entouré d’une nature maîtrisée, contrainte même. Peut-être n’avait-il plus l’heur de plaire
aux touristes et aux esthètes citadins avides d’une nature sauvage et pittoresque, plus proche de la Corse
de Mérimée qu’ils espéraient observer. Le désir de forêt a supplanté le désir de village ; ou du moins le
village doit-il être entouré d’une végétation maquisée si ce n’est arborée ou boisée. La forêt, non plus
réservoir de chasse et de ressources, devient une rente foncière. La forêt méditerranéenne récupère son
importance économique, mais la nature de celle-ci n’est plus multifonctionnelle. Elle concerne
seulement la qualité de l’habitat. Que ces espaces boisés puissent disparaître semble impensable ! De
valeur d’existence, la forêt méditerranéenne est devenue une valeur de legs, un patrimoine écologique,
mais aussi social et culturel, à protéger (Aspe, 2008).
En raison des bouleversements socio-économiques et à la littoralisation des activités, l’organisation
socio-spatiale des villages se transforme. Dépeuplé et habité seulement par quelques habitants âgés, le
bourg central est désormais encerclé par des jardins abandonnés, des friches embroussaillées.
Le saltus qui n’est plus pâturé a laissé place aux maquis bas ou hauts, selon l’ancienneté de l’abandon.
La forêt s’accroît et ferme le paysage autour des villages. Néanmoins, si ce scénario s’observe dans la
plupart des villages de l’intérieur, la situation est différente aux abords des grandes villes littorales. En
effet, là, les anciens bourgs s’étendent de manière dispersée, dans une logique de périurbanisation. Le
mitage sévit : des villas isolées jaillissent au milieu d’espaces boisés en augmentation. La végétation fait
le prix des terrains, la valeur de l’immobilier. Qui n’a jamais rêvé d’une villa surplombant la côte
entourée d’arbousiers et de chênes verts, au milieu du « palais vert ». Cependant, en protégeant trop la
forêt, les élites dirigeantes ont accepté sans le voir, ou occulté, la création de structures spatiales
vulnérables.
Le passage d’une nature-ressource à une nature-ressourcement a entraîné le changement de statut du feu
et modifié l’organisation spatiale, et sociale, des villages. Aujourd’hui, dans le discours des acteurs
locaux, apparaît un regret des jardins, qui constituaient un pare-feu, mais ces mêmes jardins n’étaient
que les éléments d’un système dans lequel le feu avait une place prépondérante. Les élites, relayées par
les médias qui font de chaque incendie un événement exceptionnel, ont construit un nouveau risque, un
risque majeur : le risque d’incendie. La stigmatisation des anciens usages du feu a aggravé les
vulnérabilités.
• Document 1.d. Les causes recensées des incendies de forêt en Corse pour la période
2008 et 2009.
Source : Pauline Vilain-Carlotti, 2015. Perceptions et représentations du risque d’incendie
de forêt en territoires méditerranéens. La construction socio-spatiale du risque en Corse
et en Sardaigne. Thèse de géographie, Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis, 670 p.
• Document 1.e. Les territoires du risque en Corse
Source : VILAIN-CARLOTTI Pauline et DA LAGE Antoine, 2013. « Forêts et sociétés dans
les environnements méditerranéens : une ardente vulnérabilité ? », Méditerranée, 121/2013
Cette réalité occultée se remarque lorsqu’on s’intéresse à « qui » dénonce le risque d’incendie de forêt.
S’intéresser à l’énonciation du danger, de ses causes et de ses conséquences permet d’envisager la
question des perceptions et des représentations des événements incendies, leur anormalité et
exceptionnalité (Métailié, 2006) et de poser la question du risque et de sa construction sociale et
territoriale.
Au regard de la figure 2, on constate qu’en Corse, les zones les plus forestières ne sont pas celles qui
brûlent le plus.
Figure 2. Les forêts de Corse, des espaces vulnérables et menacés par les incendies ?
En effet, les superficies les plus gravement incendiées depuis les vingt dernières années se concentrent
dans des communes littorales et davantage peuplées (comme Ajaccio, Sartène, etc.). Ainsi, peut-on
observer que la forêt, au sens strict, brûle peu. Cependant, compte tenu de la fréquence des incendies et
de la réactivité de certaines espèces après incendie, la distinction forêt-maquis est particulièrement
délicate en Corse. C’est pourquoi la nouvelle définition considère les maquis comme des forêts
(Hamza, 2008).
On observe également un décalage entre le risque recensé, celui qu’indiquent les superficies incendiées,
et le risque institutionnel, celui qui est pris en considération dans l’aménagement du territoire par le biais
des Plans de prévention des risques d’incendies de forêt (PPRIF). En effet, les PPRIF correspondent aux
aires urbaines et pas forcément aux zones les plus incendiées. Par ailleurs, ils ne concernent pas toutes
les zones urbaines, de manière indifférenciée, mais particulièrement les deux principales agglomérations
et leur périphérie et les zones urbaines touristiques. Serait-ce parce que les élites administratives
considèrent que les populations rurales connaissent mieux la réalité du risque d’incendie que les touristes
ou serait-ce justement une manière de protéger cette rente foncière ?
C’est pourquoi, face à ce décalage entre les politiques publiques de gestion du risque et la réalité
objective, on peut se poser la question de la construction sociale du risque d’incendie de forêt en Corse.
Pourtant certains territoires sont fréquemment endommagés et certaines populations peuvent être
qualifiées de vulnérables. Cependant, pour identifier et analyser les vulnérabilités locales, un
changement d’échelle, du global aux territoires du quotidien, est utile, mais également un changement
de considérations : le passage d’une approche technique et quantitative à une approche plus humaine et
sociale, prenant en compte la part du symbolique. Cela implique également un changement
méthodologique : prendre en compte les acteurs locaux, leur vécu, leurs perceptions et leurs
représentations des territoires sur lesquels ils vivent.
Qu’est-ce qu’un feu ? C’est un processus physique : la résultante d’une combustion (…). Un feu, c’est
la production d’une flamme et la dégradation visible d’un corps, laquelle nécessite un combustible qui
va brûler (dans le cas qui nous intéresse ici, il s’agit souvent d’espaces boisés, de biomasse végétale),
un comburant (l’oxygène), lequel va permettre la combustion grâce à une source de chaleur, énergie
d’activation nécessaire à la production du feu. Ces trois éléments constituent ce qui est communément
appelé le triangle du feu. L’histoire du feu est donc l’histoire de ces trois éléments et de leur
combinaison. Il n’y a pas le feu mais des feux, aux causes et aux conséquences variables selon les
contextes sociaux et locaux qui participent à sa production (Pyne, 1997). En matière d’espaces boisés,
cette combustion peut toucher différents éléments qui déterminent le type de feu. Les feux de forêt
peuvent ainsi être de différente nature : feux de sols qui consument la litière et l’humus et ne produisent
pas de flammes apparentes, feux de surface qui brûlent les strates basses et qui constituent le gros des
feux de forêt et, enfin, feux de cime qui consument les houppiers (Trabaud, 1989).
Cependant, le feu n’est pas seulement un phénomène chimique, mais aussi un élément fortement lié à
l’anthropisation. La maîtrise du feu par l’homme est un élément clé pour l’hominisation, voire la
civilisation (…). Les raisons de sa domestication sont nombreuses (cuisson, chaleur), mais la première
de toutes est certainement la lumière qui fut interprétée comme source de la connaissance. Le feu dépasse
alors sa qualité première d’outil, qualité nécessaire mais pas suffisante. En effet, par-delà le
développement technique, les pratiques assujetties à un outil ont toujours un fondement symbolique
(Guille-Escuret, 2003). Le feu est l’un des quatre éléments, ce qui en fait un objet de culte ou de rite,
lequel possède un fort pouvoir symbolique (…).
Une fois cela posé, a-t-on pour autant résolu le dilemme du feu et de l’incendie ? N’y a-t-il aucune
différence entre ces termes ? Sont-ils parfaitement substituables ? La réponse est évidemment « non ».
Le feu est le substantif générique pour tout résultat d’une combustion et ne présente pas de connotation
péjorative comme l’incendie. Il peut exprimer un instrument contrôle et contrôlable par l’homme. A
l’inverse, l’incendie définit l’ingouvernementalité du phénomène et la calamité de l’évènement (Beccu,
1986 ; Delogu, 2013). Ainsi peut-on reprendre le proverbe éculé, prétendument scandinave, « l’incendie
est mauvais maître quand le feu est le bon serviteur » (Dumez, 2010 ; Delogu, 2013). On perçoit alors
la différence entre le bon et le mauvais feu, et, derrière celle-ci, l’opposition entre nature et culture. Le
feu n’est bénéfique que gouverné par la main de l’homme et lorsqu’il se libère du joug humain, il se
déchaîne et ravage bois et villages. Derrière le problème du feu en général et du risque d’incendie en
particulier, c’est la question du « maître du feu » qui semble alors cruciale.
• Document 1.g. Représentations différenciées du risque incendie par une diversité
d’acteurs
Source : Pauline Vilain-Carlotti, 2016. « Le risque d’incendie de forêt en Corse : de
l’approche globale par l’aléa à une approche locale des vulnérabilités », Espace populations
sociétés, 2016/3
Les incendies sont définis par l’historien Pierre Grapin comme « le feu non maîtrisé, le feu sauvage,
dévastateur, l’incendie, qui a de tout temps causé une légitime frayeur » dans son ouvrage Les incendies.
Ce sont des évènements brutaux et traumatisants qui marquent les esprits et qui peuvent laisser des traces
visibles dans le paysage urbain. Notre étude est inspirée par les travaux de Valérie November, directrice
de recherche au CNRS, qui écrit à ce sujet l’article « L’incendie créateur de quartier ou comment le
risque dynamise le territoire » paru dans Cahiers de Géographie du Québec en 2004. Elle y développe
l’exemple de Saint-Sauveur à Québec et déclare qu’il provoque « la création de nouvelles unités
urbaines ». Elle fait de la reconstruction des bâtiments un enjeu majeur en affirmant qu’elle peut être
envisagée selon deux perspectives différentes : la première a pour but « d’effacer efficacement les traces
de la catastrophe » alors que la seconde repose sur « la menace permanente » qui pèse sur les villes.
Nous allons nous reposer sur cette analyse pour développer plusieurs exemples et étudier les différentes
réponses qui peuvent être apportées à ces questions.
Disparu dans l’incendie de la cathédrale, ce fleuron du XIXe siècle est à l’origine de nombreuses
crispations. Doit-il être fidèle à la création de Viollet-le-Duc ou faut-il céder au geste architectural en
rupture avec son inspiration initiale ? La question enflamme les esprits depuis qu’un concours
d’architectes a été annoncé.
Des montages photos de Notre-Dame surmontée d’un pommeau de douche, d’un rayon vert, d’un
château de conte de fées style Disneyland, d’un croissant musulman, d’une bouteille de champagne,
d’une nouvelle pyramide en verre et même... de la Tour Eiffel. Sur les réseaux sociaux, humour et
provocation s’en donnent à cœur joie dans une surenchère débridée. Ce déferlement pour le moins
fantaisiste répond à l’imprécision de l’exécutif quant à la reconstruction de la flèche de Notre-Dame. Le
premier ministre Édouard Philippe a estimé que ce concours « permettrait de trancher la question de
savoir s’il faut reconstruire la flèche à l’identique ou s’il faut doter la cathédrale d’une nouvelle flèche
adaptée aux techniques et aux enjeux de notre époque ». Et le président Emmanuel Macron d’évoquer
« un geste architectural contemporain ». Un tel « geste » qui vise le monument le plus visité de Paris a
de quoi faire rêver les architectes : celui dont le projet serait retenu se verrait accorder un juteux contrat
mais surtout un nom à jamais, à l’égal d’un Pei avec la Pyramide du Louvre ou d’un Renzo Piano avec
le Centre Pompidou.
Bataille de pétitions
Les pétitions se multiplient depuis plusieurs jours sur internet pour demander une restauration à
l’identique du monument, provenant de milieux identitaires catholiques mais aussi d’internautes laïcs.
Elles circulent sur les réseaux sociaux, et notamment sur Twitter sous le hashtag
#TouchePasANotreDame. L’animateur Stéphane Bern, qui défend le patrimoine ancien, a repris les
propos de la tête de liste des Républicains aux élections européennes, François-Xavier Bellamy, appelant
à « un peu d’humilité » devant un édifice dont les bâtisseurs étaient restés anonymes (…).
Pour beaucoup, le concours d’architectes devra se faire plus tard et à tête reposée. Audrey Azoulay,
directrice générale de l’UNESCO, estime que la « doctrine » qui préside à la restauration d’un monument
« n’est pas figée ». « Les principes (de la rencontre) de Varsovie (organisée par l’Unesco en mai, NDLR)
encouragent chaque génération à participer à ce travail d’édification », a-t-elle dit. Tout en reconnaissant
toutefois que la charte de l’UNESCO demandait que l’on restaure selon le dernier état « complet,
cohérent et connu » du monument détruit.
• Document 4.d. L’Incendie de la Chambre des lords et des communes, le 16 octobre
1834, par Joseph Mallord William Turner
Dans la nuit du 16 octobre 1834, Turner assiste depuis un bateau sur la Tamise à l’incendie du Parlement
à Londres qui détruit la Chambre des lords.
Alors que la notion de « transition » tend à s’imposer au cœur des agendas politique et scientifique, de
nombreux travaux appellent à prêter davantage attention aux dynamiques territoriales pour mieux
appréhender la diversité des configurations et trajectoires d’innovation. Ces propositions semblent
particulièrement pertinentes pour des énergies renouvelables (EnR) dont les « gisements » spatialement
dilués contrastent avec les stocks concentrés des énergies fossiles. La décentralisation, la proximité et
l’autonomie figurent ainsi au cœur des opportunités associées à la transition énergétique. Tel est le cas
du bois-énergie (BE) qui, en plus d’être la première EnR consommée, se voit prêter de nombreuses
vertus territoriales tant en termes de valorisation des ressources locales, que d’emploi ou
d’aménagement. Pour autant, célébrer la transition énergétique comme la « revanche des territoires » ne
pas non plus de soi car les EnR sont enserrées dans des technologies aux capacités et finalités variables.
Les chaudières biomasse peuvent produire de la chaleur mais aussi de l’électricité pour les plus
imposantes (cogénération). Elles sont utilisées par des particuliers, des collectivités ou des
industries et tolèrent un éventail plus ou moins large de produits selon leurs tailles et leurs
usages : bois bûche, plaquettes voire granulés pour les plus petits appareils, auxquels s’ajoutent
divers déchets verts et industriels pour les équipements de plus grande puissance. De plus, le
déploiement de ces technologies est dimensionné par des orientations sociales, économiques et
politiques qui engagent une pluralité d’échelles. Il relève autant de la dérégulation du marché
de l’énergie au niveau européen, de l’adoption de politiques publiques par les États que
d’initiatives locales. Le potentiel territorial des EnR se joue donc au carrefour de multiples
dispositifs et les formes de développement empruntées restent d’autant plus incertaines que ce
cadrage composite évolue dans le temps (Poupeau et Schlosser, 2010 ; Tabourdeau, 2014).
Questionner la territorialisation des EnR invite ainsi à développer un regard attentif à l’espace,
à la singularité des milieux et des formes d’organisations héritées, tout en restant ouvert aux
logiques pluri-scalaires et aux séquences temporelles de la transition énergétique.
(…)
L’Aquitaine constitue un cas d’étude intéressant pour étudier les technologies du BE car elle
dispose de « gisements » forestiers conséquents et variés. Le Massif des Landes de Gascogne,
plus grande forêt cultivée d’Europe Occidentale, côtoie les Massifs Dordogne-Garonne et
Adour-Pyrénées, moins structurés par des filières industrielles. Dans cette région qui conserve
un fort caractère rural malgré l’extension continue des aires urbaines, le BE contribue au
développement territorial depuis le milieu des années 1980 (…). Tandis qu’on observe une
concentration d’équipements industriels liés à la filière bois-papier dans les Landes de
Gascogne, le département de la Dordogne se singularise par la prédominance des chaufferies
collectives de communes rurales. Par ailleurs, la présence de « gisements » forestiers ne
constitue pas un préalable indispensable aux initiatives. Tandis que l’Entre-deux-Mers, espace
situé « en marge » des massifs forestiers précités, est maillé par de nombreux projets, le
département des Pyrénées-Atlantiques se caractérise par un faible taux d’équipement malgré un
potentiel abondant. Enfin, les derniers équipements collectifs installés tendent à se concentrer
dans des aires urbaines telles que Bordeaux, Périgueux ou Bayonne. (…)
Elle était vouée à une disparition programmée. Mais la très décriée centrale de Cordemais, en Loire-
Atlantique, est toujours debout, et tourne même à plein régime, pour éviter les coupures d’électricité.
Plus nécessaire que jamais, même si elle carbure exclusivement au charbon.
C’est le cœur battant de la machine. Le centre nerveux de la centrale de Cordemais (…). Devant les
écrans, des opérateurs EDF, présents 24 heures sur 24, pour faire tourner la bête et la contrôler, qui
interprètent chiffres et graphiques. Ce sont eux les vrais maîtres à bord, les pilotes de cet immense
paquebot, posé en rase campagne, sur un site de 130 hectares. Comme les vrais paquebots, ceux de
Saint-Nazaire, celui-ci dégage une formidable impression de puissance. Il est précieux, celui que certains
appellent aussi le « chauffage d’appoint », parce qu’il n’est utilisé qu’en dernier recours, quand la
situation l’impose. Il alimente en énergie électrique « l’équivalent d’un peu plus que la ville de
Rennes », compare Michel Durand, le patron du site (…). « Seize heures seulement sont nécessaires
pour relancer la machine lorsqu’elle est à l’arrêt », explique Grégory Leray, chef de service
exploitation. « C’est plus rapide qu’une centrale nucléaire, mais un peu moins qu’une centrale gaz
», compare l’énergéticien. « On l’arrête et on la relance à peu près comme on veut, en fonction des
besoins et de la demande », ajoute le technicien. Elle est « pilotable », comme l’on dit dans le métier,
comparée à d’autres énergies, le vent ou l’atome. Ce vendredi-là, la tranche quatre fournit 519 MW
(mégawatt), sa voisine, la tranche cinq, 532 MW. Mais elles peuvent monter à 1 200 MW chacune.
Alain Gras est professeur de socio-anthropologie des techniques à Paris 1 (…). Dans Le Choix du feu,
il analyse les choix techniques qui ont fait de notre société une société thermo-industrielle (c’est-à-dire
fondée sur la puissance du feu) et qui sont à l’origine de la crise climatique actuelle. Car selon lui, il
s’agissait bien d’un choix, qui n’avait rien d’inéluctable : Alain Gras s’oppose fermement à l’idée d’un
déterminisme technique (ou d’une fatalité technique) qui imposerait l’utilisation des énergies fossiles à
l’humanité.
La première partie du livre est un constat de l’omniprésence du feu dans notre société. Le feu, c’est
l’énergie que nous tirons de la combustion des ressources fossiles : pétrole, gaz naturel, charbon,
uranium, etc. Et ce feu est partout : dans nos communications (prétendument dématérialisées mais dont
les infrastructures sont très polluantes), dans notre agriculture (machines, engrais et pesticides), dans
notre alimentation (carnée et industrialisée), dans nos transports… Cette omniprésence du feu est une
première dans l’Histoire de l’humanité : en effet, les sociétés pré-industrielles utilisaient la puissance
des quatre éléments, qui leur fournissaient des énergies renouvelables (moulins à eau, à vent, chauffage
au bois, etc.) Si le feu était utilisé, il était surtout alimenté par des combustibles renouvelables et ne
prenait jamais le pas sur les trois autres éléments. Généralement, il avait même un statut culturel
particulier, qui en faisait un élément réputé dangereux, à manier avec précaution. En faisant du feu notre
principale source d’énergie, nous avons renoncé à cette sorte de principe de précaution avant l’heure, et
nous avons fait de notre société la première société thermo-industrielle, c’est-à-dire entièrement fondée
sur la puissance du feu et dépendante de lui. L’évincement des énergies renouvelables par la puissance
du feu fut une véritable rupture dans l’Histoire des techniques et dans l’Histoire de l’humanité.
La deuxième partie du livre expose comment la Révolution industrielle a constitué ce moment de
rupture, ce moment décisif où nous pouvions choisir entre différentes trajectoires techniques possibles,
dont celle des énergies renouvelables, et où nous avons finalement choisi le feu. En insistant ainsi sur la
notion de choix, Alain Gras s’oppose à l’idée (souvent tacitement admise) d’une évolution autonome
des techniques qui s’imposerait à l’humanité : non, la tronçonneuse n’est pas le prolongement « naturel »
de la hache de pierre, et la société thermo-industrielle n’est pas le prolongement « naturel » de la société
pré-industrielle. Pour passer de l’une à l’autre, il a fallu la Révolution industrielle, qui ne fut pas une
évolution naturelle, mais une rupture. Or cette rupture n’était pas inéluctable : à un moment donné, une
conjonction de facteurs a rendu possible (mais pas nécessaire) le choix du feu, et c’est ce choix qui a
été fait : celui de la puissance facile et dangereuse du feu. À cette époque, l’humanité aurait encore pu
choisir de persister dans la précaution et de continuer à n’utiliser que la puissance limitée des énergies
renouvelables… En revanche, une fois le choix du feu effectué, l’humanité s’est engagée dans
une trajectoire technique qui s’apparente à une fatalité : une fois le feu choisi, les machines thermiques
offraient une telle puissance qu’elles étaient vouées à s’imposer, à se multiplier, à devenir
omniprésentes… et finalement à provoquer la crise climatique.
Enfin, la troisième partie du livre analyse comment, dès qu’il fut choisi, le feu a modelé la réalité et
l’imaginaire de notre société, en lui offrant puissance et vitesse. Le dernier chapitre, consacré à
l’aviation, montre combien notre mobilité est fondée sur le feu, et donc entièrement dépendante des
énergies fossiles… ce qui posera nécessairement problème à moyen terme, face à la crise climatique
(…).
En résumé, selon Alain Gras, nous nous situons actuellement dans une trajectoire technique qui a débuté
avec la Révolution industrielle et qui aboutit maintenant à la crise climatique. La trajectoire technique
n’est qu’un segment de l’Histoire, qui peut obéir à un déterminisme interne, mais qui a nécessairement
un début et une fin : elle succède à une autre trajectoire et cède la place à une troisième (la tendance
technique, en revanche, défendue par les tenants de l’évolutionnisme technique, s’impose à l’humanité
et se confond avec son Histoire : elle n’a ni début, ni fin, et obéit à une totale fatalité).
Comment sortir de la trajectoire technique actuelle, fondée sur le feu et qui aboutit aujourd’hui à la crise
climatique ? D’abord en acceptant l’idée qu’il n’y a pas que des fatalités dans l’Histoire des techniques,
mais aussi des moments de choix. Alain Gras propose avec ce livre une forme d’anamnèse, « c’est-à-
dire l’obligation de revenir sur les origines pour se libérer des chaînes du présent et de la prison d’un
avenir déjà là » (p. 242.) La crise climatique est la fin logique de la société thermo-industrielle. Pour
sortir de cette impasse, Alain Gras avance l’idée de « catastrophe éclairante » (p. 246) : si une
catastrophe (par exemple, une crise pétrolière) bouleverse la situation, peut-être parviendrons-nous à
remettre en cause notre croyance en la fatalité technique et à reprendre notre liberté face à elle. Peut-
être pourrons-nous alors achever la trajectoire technique fondée sur la puissance du feu et en débuter
une nouvelle, fondée sur l’utilisation d’énergies renouvelables alimentées par les quatre éléments, et de
manière adaptée à chaque territoire. Cette nouvelle rupture, celle de la décroissance, paraît aujourd’hui
aussi impossible que l’aurait semblé la Révolution industrielle avant qu’elle ait lieu ; mais face à la crise
climatique et à l’épuisement des ressources pétrolières, ce qui nous semble aujourd’hui impossible
pourrait devenir, demain, une solution envisageable.