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ESD Option B – Milieux et Environnement - Agrégation géographie

Concours blanc janvier 2023


Sujet.
Le feu, objet géographique

Vous répondrez aux questions suivantes. Vous élaborerez au moins une production graphique.

Question 1. Quels sont les facteurs d’apparition et de propagation du feu ?

Question 2. En quoi le feu peut-il être à la fois un risque et une ressource pour les sociétés ?

Question 3. Montrez que la gestion du risque incendie et de la reconstruction post-incendie


peut être conflictuelle.

Question 4. Analysez les liens entre production énergétique et utilisation du feu. En quoi
l’utilisation du feu peut-elle contribuer à la transition énergétique ? Avec quelles limites ?

➢ Document 1. Le feu dans les environnements méditerranéens


-Doc 1.a. Communication autour du risque incendie dans le massif des Calanques. Parc national
des Calanques
-Doc 1.b. Quels risques d’incendie pour quelle forêt ? P. Vilain-Carlotti et A. Da Lage, 2013.
« Forêts et sociétés dans les environnements méditerranéens : une ardente vulnérabilité ? »,
Méditerranée, 121/2013
-Doc 1.c. La vulnérabilité environnementale en question. Idem
-Doc 1.d Les causes recensées des incendies de forêt en Corse pour la période 2008 et 2009.
Idem
-Doc 1.e. Les territoires du risque en Corse. Idem
-Doc 1.f. Le feu, entre nature et culture. P. Vilain-Carlotti, 2015. Perceptions et représentations
du risque d’incendie de forêt en territoires méditerranéens. La construction socio-spatiale du
risque en Corse et en Sardaigne. Thèse de géographie.
-Doc 1.g. Représentations différenciées du risque incendie par une diversité d’acteurs. P. Vilain-
Carlotti, 2016. « Le risque d’incendie de forêt en Corse : de l’approche globale par l’aléa à
une approche locale des vulnérabilités », Espace populations sociétés, 2016/3

➢ Document 2. La déforestation de l’Amazonie brésilienne


-Doc 2.a. Les fronts de déboisement en Amazonie. FM Le Tourneau, 2019. « Le Brésil maîtrise-
t-il (enfin) la déforestation en Amazonie ? », Cybergéo
-Doc 2.b. Types de végétation et principales routes de l’Amazonie légale. Idem.
-Doc 2.c. Les grandes cultures commerciales au Brésil. H. Théry, 2009. « Le Brésil, ferme du
monde ? Les dynamiques de l’agriculture brésilienne ». Géoconfluences
-Doc 2.d. Les feux de la déforestation vus du ciel. Image satellite le long de la rivière Purus,
dans l’état d’Amazonas, le 16 août 2019. INPE Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais

➢ Document 3. Feux et pratique de l’agriculture sur brûlis.


-Doc 3.a. Les représentations occidentales de l’agriculture sur brûlis. G. Rossi, 2000.
L’ingérence écologique. Environnement et développement rural du nord au sud. Paris, CNRS
Éditions
-Doc 3.b. Recolonisation ligneuse d’un champ après culture sur brûlis. S. Bahuchet et JM.
Betsch, 2012. « L’agriculture itinérante sur brûlis, une menace pour la forêt tropicale humide ?
Savoirs et savoir-faire des Amérindiens en Guyane française », Revue d’ethnoécologie.
➢ Document 4. Le feu en milieu urbain
-Doc 4.a. Compilation de Unes de journaux après l’incendie de Notre-Dame-de-Paris, le 16
avril 2019. Les Échos, 16 avril 2019. « Notre-Dame-de-Paris : le drame à la une des journaux
du monde entier »
-Doc 4.b. Reconstruire la ville après l’incendie. S. Le Gallic, 2020. « La ville et le feu :
l’empreinte de l’incendie dans le milieu urbain », blog de recherches Hypothèses, Habiter la
ville. Pour une histoire du paysage urbain du XVIe siècle à nos jours.
-Doc 4.c. Les enjeux de la reconstruction post-incendie en ville. Le Figaro, 23 avril 2019.
« Reconstruction contemporaine ou à l’identique ? La flèche de Notre-Dame à la pointe des
débats »
-Doc 4.d. L’Incendie de la Chambre des lords et des communes, le 16 octobre 1834, par Joseph
Mallord William Turner

➢ Document 5. La filière bois-énergie


-Doc 5.a. La filière bois-énergie en France. Interprofession nationale de la filière Forêt-Bois
-Doc 5.b. Les trajectoires du bois-énergie en Aquitaine : vers une transition énergétique ? V.
Banos et J. Dehez, 2015. « Les trajectoires du bois-énergie en Aquitaine : du développement
local aux territoires de l’énergie ? », Géocarrefour, 90/4, pp. 359-338
-Doc 5.c. « En attendant de tourner au bois, la centrale électrique de Cordemais tourne à fond
au charbon », Ouest France, 12 décembre 2022
-Doc 5.d. Les émissions des énergies pour la production d’électricité en équivalent CO2 (CO2e)
en gramme par kilowattheure d’énergie finale. Groupe Économie d’Énergie, facilitateur de
projets énergétiques

➢ Document 6. Le choix du feu. L. Semal, 2008. Compte-rendu de lecture de l’ouvrage d’Alain


GRAS, 2007. Le Choix du feu. Aux origines de la crise climatique. Fayard, 281 p.

Document 1. Le feu dans les environnements méditerranéens


• Document 1.a. Communication autour du risque incendie dans le massif des
Calanques (Bouches-du-Rhône, Provence-Alpes-Côte d’Azur)
Source : Parc national des Calanques

Depuis 1960, les espaces boisés autour de la ville ont été parcourus par de nombreux feux,
dénaturant les massifs de la Nerthe, de l’Etoile, du Garlaban, de Saint-Cyr et des Calanques.
Les espaces naturels les plus menacés représentant près de 9 000 ha, soit environ 37 % de la
superficie communale. Environ 100 000 habitants se situent en zone périurbaine, plus ou moins
sensibles au risque de feux de forêt. Pendant les périodes critiques (chaleur et vent
exceptionnel), l’ensemble des moyens de surveillance des massifs forestiers est coordonné par
le Bataillon de Marins Pompiers de Marseille. L’action reconnue et efficace du Bataillon de
Marins Pompiers de Marseille peut, dans certaines situations exceptionnelles de feux de forêts, être
renforcée par la flotte d'avions bombardiers d'eau de la Sécurité Civile, les sapeurs-pompiers des
Bouches du Rhône voir des colonnes d'intervention d'autres départements.
Un feu de forêt sur deux est la conséquence d’une imprudence. Pour toujours plus de prévention face au
risque incendie, de bons gestes et comportements sont à adopter aux abords des forêts : un barbecue, un
feu de camp, une cigarette jetée par la fenêtre de la voiture : tous ces comportements peuvent entraîner
des départs de feu. Aujourd’hui, 80 % des incendies se déclenchent à moins de 50 mètres des habitations.

Sept bons comportements à adopter pour ne pas déclencher de feux de forêt :


-Aux abords des forêts : n’allumez ni feu, ni barbecue
-Ne jetez jamais vos mégots en forêt ou par la fenêtre de votre voiture
-Ne réalisez pas de travaux avec des matériels susceptibles de déclencher un feu (disqueuse, soudure)
les jours de fort risque d’incendie
-Ne stockez pas vos combustibles (bois, fuel, butane) contre votre maison
-Si vous êtes témoin d’un début d’incendie, prévenez le 18, le 112 ou le 114 et essayez de localiser le
feu avec précision
-Confinez-vous, ne fuyez pas, votre habitation est le meilleur abri
-Respectez, si vous y êtes tenu, vos obligations légales de débroussaillement

• Document 1.b. Quels risques d’incendie pour quelle forêt ?


Source : VILAIN-CARLOTTI Pauline et DA LAGE Antoine, 2013. « Forêts et sociétés dans
les environnements méditerranéens : une ardente vulnérabilité ? », Méditerranée, 121/2013

D’aucuns affirment que plus de 90 % des forêts méditerranéennes sont dégradées et que plus de 50 %
(Bonnier, 1980) le sont gravement, au point que, souvent, la dégradation est dite intrinsèque à la forêt
méditerranéenne. Cette dégradation, la forêt méditerranéenne la devrait surtout au feu qui serait, pour
l’opinion publique, la première cause de sa disparition (Boutefeu, 2008) et les médias entretiennent cette
croyance.
La figure 1 incite à discuter la vulnérabilité « en soi » de la forêt méditerranéenne car les superficies
brûlées sont loin d’être homogènes à cette échelle. Les sources de données utilisées, multiples et
relativement anciennes, relèvent de la compilation et leur précision est discutable : ces séries statistiques
doivent être interprétées avec prudence car des événements politiques ont pu affecter un État et modifier
la façon de comptabiliser les feux. De plus, les définitions des incendies de forêt varient d’un pays à
l’autre, en fonction des définitions nationales du terme forêt (Alexandrian et Esnault, 1998).

Figure 1. Incendies de forêt en Méditerranée : l’échelle zonale, une échelle appropriée pour l’étude
de ces phénomènes ?

Les superficies annuelles incendiées sont plus importantes pour les pays de la Méditerranée nord-
occidentale. Un premier facteur explicatif pourrait être le déclin des activités agricoles et pastorales et
son corollaire l’emboisement des friches agricoles, combustibles potentiels. Cependant, appréhendées à
l’échelle zonale ou nationale (figure 1), les valeurs des incendies laissent présager des conséquences
dramatiques pour la végétation. Pour peu que l’on s’intéresse aux paysages végétaux et aux espèces qui
les composent, il devient possible de nuancer le propos sur le danger que représentent les feux pour ces
espaces boisés.
Considérant la construction sociale et culturelle de ce donné naturel menacé, nous tenterons de savoir si
cette végétation méditerranéenne pâtit nécessairement de chaque incendie ou si elle n’est pas adaptée
plus que dégradée ? Cette idée de dégradation, si souvent évoquée par les « experts » mérite d’ailleurs
d’être prise avec circonspection, car elle peut s’aborder notamment en termes de dynamique
biogéographique, de valeur économique, de qualité paysagère... D’où l’intérêt de prendre en compte les
adaptations au climat, au terrain et au feu.

*L’invention de la forêt méditerranéenne menacée…


Toujours présentée comme dégradée, la forêt méditerranéenne est perçue et montrée comme un milieu
menacé à protéger de la folie incendiaire de l’homme. Pourtant, parler de forêt méditerranéenne
menacée relève presque du pléonasme puisque le concept même de forêt méditerranéenne tire son
essence de cette mise en danger (Chalvet, 2001). En effet, l’histoire de la végétation méditerranéenne a
presque toujours été interprétée dans une perspective « dégradationniste » (ONF, 2009), l’homme étant
tenu pour principal agent de cette dégradation, à travers l’usage du feu et le pastoralisme. Cette
conception qui oppose l’homme à la nature repose sans doute sur une interprétation réductrice des
interactions complexes entre les hommes et les espaces boisés dans les sociétés traditionnelles et leurs
conséquences sur l’évolution du couvert végétal. C’est en s’en tenant à la fameuse notion de climax que
les adeptes de la dégradation affirment que « normalement », sur la majorité du territoire de la Corse,
les forêts de chênes devraient constituer la norme de la végétation évoluée. Pourtant les chênes verts
sont attribuables en grande partie à l’action de l’homme (Gamisans, 2010).
Avant d’être un écosystème, cette forêt méditerranéenne est une construction sociale.
La silva devient foresta quand l’homme la transforme en ressource et en tire profit. La première fait
référence à la nature sauvage, celle contre laquelle l’homme doit se battre, celle peu productive et peu
rentable qui reconquiert les terres agricoles abandonnées alors que la seconde représente la nature
domestiquée, la bonne forêt ou la forêt fonctionnelle (Labrue, 2007). Jadis, le qualificatif
« méditerranéen » désignait un ensemble homogène d’un point de vue culturel et non écologique. Il était
utilisé alors pour résoudre le problème de limite qui se posait entre ceux qui sont culturellement
méditerranéens et les autres (Aspe, 2008). C’est pourquoi Seigue (1985) préfère le terme de forêt
circumméditerranéenne qui se fonde sur des critères climatiques et floristiques et comprend autant les
forêts du bassin méditerranéen que celles de Californie ou d’Afrique du Sud.
En outre, si l’installation humaine et les pratiques sont anciennes dans cette région, le concept de forêt
méditerranéenne est récent. Il commence à germer au XIXe siècle, quand les anciennes interactions
entre les sociétés locales et les espaces boisés se délitent. La forêt méditerranéenne est alors présentée
comme un patrimoine naturel à sauvegarder, des feux notamment (Chalvet, 2001). Pourtant, toute
l’histoire de ces forêts est traversée par la périodicité des incendies. L’homme y a d’abord mis le feu de
façon accidentelle, puis à dessein, en instrumentalisant le feu en fonction de différents usages des
ressources et de l’espace. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que les incendies sont devenus un problème
pour les forêts (Métailié, 1981). On commence à critiquer le feu spontané quand le couvert forestier
conditionne l’appréciation touristique. Le politiquement correct instauré par des élites dites éclairées
stipule l’amour des espaces boisés et la peur du feu. L’indifférence face aux feux est blâmée ainsi que
la passivité ou le stoïcisme des habitants. « Le couple infernal du bois et du feu n’est pas une création
paysanne, mais une construction élitiste » (Corvol, 2008).
Mais si la végétation méditerranéenne n’est pas si menacée et si elle semble même adaptée aux feux et
à la sécheresse, que dire de cette adaptation ? Elle serait, sans doute, davantage héritée de l’action de
l’homme et notamment de l’usage du feu et des pâturages.

*… qui occulte les adaptations anatomiques et physionomiques des espaces boisés méditerranéens
Pour Renaudo (1988, cité par Schnitzler et Génot, 2012) « la forêt n’est plus depuis longtemps, un
espace naturel » en raison des influences notables que l’homme a exercées sur elle. La végétation
méditerranéenne et notamment « la nature sclérophylle » (Schnitzler et Génot, 2012) dominante aux
étages inférieurs sont le résultat d’activités humaines millénaires. En outre, ce qu’on sait des origines de
la végétation méditerranéenne reste, pour l’essentiel, du domaine de la spéculation (Quézel et
Médail, 2003). Pourquoi alors parler d’écosystème forestier méditerranéen si celui-ci est en réalité un
géosystème où l’homme a tenu (voire tient toujours) un rôle important ? La littérature scientifique
préfère user à loisir du terme d’écosystème dégradé et préconise de restaurer cette « forêt relique »
(Schnitzler et Génot, 2012) comme une antiquité.
Loin de disparaître après chaque incendie, les espèces végétales méditerranéennes ont trouvé des
réponses anatomiques. Les pyrophytes, par exemple, sont des végétaux qui résistent à la flamme ou dont
la multiplication est stimulée par le feu : espèces peu combustibles comme le chêne-liège (qui, s’il n’a
pas été démasclé ce qui est fréquent étant donné le déclin de la subériculture, retrouve sa jeunesse
environ cinq ans après l’incendie grâce à sa carapace de liège et à ses feuilles coriaces et persistantes) ;
espèces ayant une aptitude à rejeter de souche, à se régénérer végétativement (à partir d’organes
résistants à la chaleur). Différente selon le substrat, la régénération est plus rapide sur sols siliceux,
propices au maquis, que cristallins (Tassin, 2012).
Et s’il existe des pyrophytes qui supportent le passage du feu, il existe également des espèces pyrophiles,
assez répandues parmi la végétation méditerranéenne, qui ont besoin du feu pour se reproduire et se
développer. Par exemple, les pins (notamment le pin d’Alep, qualifié « d’expansionniste ») se sont
multipliés massivement à la faveur des incendies (Schnitzler et Génot, 2012). Les graines du pin
germent rapidement après un incendie car elles sont protégées par la sérotinie, la capacité des cônes à
rester fermés pour les conserver.
C’est pourquoi, plus qu’une adaptation, certains évoquent même une prédisposition à des régimes
particuliers d’incendie. Nicolas Faivre (2011) parle de pyrodiversité pour décrire la capacité des espèces
pyrophytiques à résister voire à encourager les incendies, dans les biomes méditerranéens. La
pyrodiversité qui peut se définir comme « la part de la biodiversité d’une végétation ou d’un territoire
donné, liée au passage des feux » (Da Lage et Métailié, 2014) invite à s’interroger sur la vulnérabilité
supposée de la forêt méditerranéenne.
Au regard des arguments précédents, la vulnérabilité de l’environnement méditerranéen est à nuancer.
En outre, cette approche holistique du risque d’incendie repose sur des représentations savantes qui ne
prennent pas en compte le risque dans sa dimension humaine et territoriale.

• Document 1.c. La vulnérabilité environnementale en question


Source : VILAIN-CARLOTTI Pauline et DA LAGE Antoine, 2013. « Forêts et sociétés dans
les environnements méditerranéens : une ardente vulnérabilité ? », Méditerranée, 121/2013

Si la nécessité de protéger ces forêts menacées semble fallacieuse d’un point de vue écologique, peut-
être est-elle en revanche utile à la préservation d’un cadre de vie agréable aux locaux plutôt urbains et
aux touristes. Cependant, ces efforts en matière de préservation de la « nature » et notamment de la
« nature arborée » ne sont pas sans conséquence et peuvent devenir facteurs de vulnérabilités.
Si l’on observe des photographies anciennes ou des cartes postales de la Corse, du temps où la
civilisation touristique n’avait pas encore étendu son empire, on constate une organisation spatiale des
villages adaptée et préparée à la possibilité d’occurrence d’un incendie. Les villages s’organisaient de
manière concentrique. Au centre le bourg, puis une première périphérie, l’hortus, pare-feu que
constituaient les jardins potagers et d’ornement. Ensuite venait le saltus, l’espace défriché réservé à
l’élevage, où de temps à autre le maquis se développait de nouveau subséquemment à l’abandon de
l’activité pastorale. Cet espace défriché, souvent brûlé, paradoxalement, constituait un rempart contre le
feu, faute de combustible. Et enfin, la foresta, réservoir de chasse et domaine des bandits.
Mais il est vrai que bien qu’en partie forestier ce paysage pouvait sembler ne pas l’être assez : trop
anthropisé et entouré d’une nature maîtrisée, contrainte même. Peut-être n’avait-il plus l’heur de plaire
aux touristes et aux esthètes citadins avides d’une nature sauvage et pittoresque, plus proche de la Corse
de Mérimée qu’ils espéraient observer. Le désir de forêt a supplanté le désir de village ; ou du moins le
village doit-il être entouré d’une végétation maquisée si ce n’est arborée ou boisée. La forêt, non plus
réservoir de chasse et de ressources, devient une rente foncière. La forêt méditerranéenne récupère son
importance économique, mais la nature de celle-ci n’est plus multifonctionnelle. Elle concerne
seulement la qualité de l’habitat. Que ces espaces boisés puissent disparaître semble impensable ! De
valeur d’existence, la forêt méditerranéenne est devenue une valeur de legs, un patrimoine écologique,
mais aussi social et culturel, à protéger (Aspe, 2008).
En raison des bouleversements socio-économiques et à la littoralisation des activités, l’organisation
socio-spatiale des villages se transforme. Dépeuplé et habité seulement par quelques habitants âgés, le
bourg central est désormais encerclé par des jardins abandonnés, des friches embroussaillées.
Le saltus qui n’est plus pâturé a laissé place aux maquis bas ou hauts, selon l’ancienneté de l’abandon.
La forêt s’accroît et ferme le paysage autour des villages. Néanmoins, si ce scénario s’observe dans la
plupart des villages de l’intérieur, la situation est différente aux abords des grandes villes littorales. En
effet, là, les anciens bourgs s’étendent de manière dispersée, dans une logique de périurbanisation. Le
mitage sévit : des villas isolées jaillissent au milieu d’espaces boisés en augmentation. La végétation fait
le prix des terrains, la valeur de l’immobilier. Qui n’a jamais rêvé d’une villa surplombant la côte
entourée d’arbousiers et de chênes verts, au milieu du « palais vert ». Cependant, en protégeant trop la
forêt, les élites dirigeantes ont accepté sans le voir, ou occulté, la création de structures spatiales
vulnérables.
Le passage d’une nature-ressource à une nature-ressourcement a entraîné le changement de statut du feu
et modifié l’organisation spatiale, et sociale, des villages. Aujourd’hui, dans le discours des acteurs
locaux, apparaît un regret des jardins, qui constituaient un pare-feu, mais ces mêmes jardins n’étaient
que les éléments d’un système dans lequel le feu avait une place prépondérante. Les élites, relayées par
les médias qui font de chaque incendie un événement exceptionnel, ont construit un nouveau risque, un
risque majeur : le risque d’incendie. La stigmatisation des anciens usages du feu a aggravé les
vulnérabilités.

• Document 1.d. Les causes recensées des incendies de forêt en Corse pour la période
2008 et 2009.
Source : Pauline Vilain-Carlotti, 2015. Perceptions et représentations du risque d’incendie
de forêt en territoires méditerranéens. La construction socio-spatiale du risque en Corse
et en Sardaigne. Thèse de géographie, Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis, 670 p.
• Document 1.e. Les territoires du risque en Corse
Source : VILAIN-CARLOTTI Pauline et DA LAGE Antoine, 2013. « Forêts et sociétés dans
les environnements méditerranéens : une ardente vulnérabilité ? », Méditerranée, 121/2013

Cette réalité occultée se remarque lorsqu’on s’intéresse à « qui » dénonce le risque d’incendie de forêt.
S’intéresser à l’énonciation du danger, de ses causes et de ses conséquences permet d’envisager la
question des perceptions et des représentations des événements incendies, leur anormalité et
exceptionnalité (Métailié, 2006) et de poser la question du risque et de sa construction sociale et
territoriale.
Au regard de la figure 2, on constate qu’en Corse, les zones les plus forestières ne sont pas celles qui
brûlent le plus.

Figure 2. Les forêts de Corse, des espaces vulnérables et menacés par les incendies ?

En effet, les superficies les plus gravement incendiées depuis les vingt dernières années se concentrent
dans des communes littorales et davantage peuplées (comme Ajaccio, Sartène, etc.). Ainsi, peut-on
observer que la forêt, au sens strict, brûle peu. Cependant, compte tenu de la fréquence des incendies et
de la réactivité de certaines espèces après incendie, la distinction forêt-maquis est particulièrement
délicate en Corse. C’est pourquoi la nouvelle définition considère les maquis comme des forêts
(Hamza, 2008).
On observe également un décalage entre le risque recensé, celui qu’indiquent les superficies incendiées,
et le risque institutionnel, celui qui est pris en considération dans l’aménagement du territoire par le biais
des Plans de prévention des risques d’incendies de forêt (PPRIF). En effet, les PPRIF correspondent aux
aires urbaines et pas forcément aux zones les plus incendiées. Par ailleurs, ils ne concernent pas toutes
les zones urbaines, de manière indifférenciée, mais particulièrement les deux principales agglomérations
et leur périphérie et les zones urbaines touristiques. Serait-ce parce que les élites administratives
considèrent que les populations rurales connaissent mieux la réalité du risque d’incendie que les touristes
ou serait-ce justement une manière de protéger cette rente foncière ?
C’est pourquoi, face à ce décalage entre les politiques publiques de gestion du risque et la réalité
objective, on peut se poser la question de la construction sociale du risque d’incendie de forêt en Corse.
Pourtant certains territoires sont fréquemment endommagés et certaines populations peuvent être
qualifiées de vulnérables. Cependant, pour identifier et analyser les vulnérabilités locales, un
changement d’échelle, du global aux territoires du quotidien, est utile, mais également un changement
de considérations : le passage d’une approche technique et quantitative à une approche plus humaine et
sociale, prenant en compte la part du symbolique. Cela implique également un changement
méthodologique : prendre en compte les acteurs locaux, leur vécu, leurs perceptions et leurs
représentations des territoires sur lesquels ils vivent.

• Document 1.f. Le feu, entre nature et culture


Source : Pauline Vilain-Carlotti, 2015. Perceptions et représentations du risque d’incendie
de forêt en territoires méditerranéens. La construction socio-spatiale du risque en Corse
et en Sardaigne. Thèse de géographie, Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis, 670 p.

Qu’est-ce qu’un feu ? C’est un processus physique : la résultante d’une combustion (…). Un feu, c’est
la production d’une flamme et la dégradation visible d’un corps, laquelle nécessite un combustible qui
va brûler (dans le cas qui nous intéresse ici, il s’agit souvent d’espaces boisés, de biomasse végétale),
un comburant (l’oxygène), lequel va permettre la combustion grâce à une source de chaleur, énergie
d’activation nécessaire à la production du feu. Ces trois éléments constituent ce qui est communément
appelé le triangle du feu. L’histoire du feu est donc l’histoire de ces trois éléments et de leur
combinaison. Il n’y a pas le feu mais des feux, aux causes et aux conséquences variables selon les
contextes sociaux et locaux qui participent à sa production (Pyne, 1997). En matière d’espaces boisés,
cette combustion peut toucher différents éléments qui déterminent le type de feu. Les feux de forêt
peuvent ainsi être de différente nature : feux de sols qui consument la litière et l’humus et ne produisent
pas de flammes apparentes, feux de surface qui brûlent les strates basses et qui constituent le gros des
feux de forêt et, enfin, feux de cime qui consument les houppiers (Trabaud, 1989).
Cependant, le feu n’est pas seulement un phénomène chimique, mais aussi un élément fortement lié à
l’anthropisation. La maîtrise du feu par l’homme est un élément clé pour l’hominisation, voire la
civilisation (…). Les raisons de sa domestication sont nombreuses (cuisson, chaleur), mais la première
de toutes est certainement la lumière qui fut interprétée comme source de la connaissance. Le feu dépasse
alors sa qualité première d’outil, qualité nécessaire mais pas suffisante. En effet, par-delà le
développement technique, les pratiques assujetties à un outil ont toujours un fondement symbolique
(Guille-Escuret, 2003). Le feu est l’un des quatre éléments, ce qui en fait un objet de culte ou de rite,
lequel possède un fort pouvoir symbolique (…).
Une fois cela posé, a-t-on pour autant résolu le dilemme du feu et de l’incendie ? N’y a-t-il aucune
différence entre ces termes ? Sont-ils parfaitement substituables ? La réponse est évidemment « non ».
Le feu est le substantif générique pour tout résultat d’une combustion et ne présente pas de connotation
péjorative comme l’incendie. Il peut exprimer un instrument contrôle et contrôlable par l’homme. A
l’inverse, l’incendie définit l’ingouvernementalité du phénomène et la calamité de l’évènement (Beccu,
1986 ; Delogu, 2013). Ainsi peut-on reprendre le proverbe éculé, prétendument scandinave, « l’incendie
est mauvais maître quand le feu est le bon serviteur » (Dumez, 2010 ; Delogu, 2013). On perçoit alors
la différence entre le bon et le mauvais feu, et, derrière celle-ci, l’opposition entre nature et culture. Le
feu n’est bénéfique que gouverné par la main de l’homme et lorsqu’il se libère du joug humain, il se
déchaîne et ravage bois et villages. Derrière le problème du feu en général et du risque d’incendie en
particulier, c’est la question du « maître du feu » qui semble alors cruciale.
• Document 1.g. Représentations différenciées du risque incendie par une diversité
d’acteurs
Source : Pauline Vilain-Carlotti, 2016. « Le risque d’incendie de forêt en Corse : de
l’approche globale par l’aléa à une approche locale des vulnérabilités », Espace populations
sociétés, 2016/3

Document 2. La déforestation de l’Amazonie brésilienne


• Document 2.a. Les fronts de déboisement en Amazonie
Source : François-Michel LE TOURNEAU, 2019. « Le Brésil maîtrise-t-il (enfin) la
déforestation en Amazonie ? », Cybergeo.
• Document 2.b. Types de végétation et principales routes de l’Amazonie légale
Source : François-Michel LE TOURNEAU, 2019. « Le Brésil maîtrise-t-il (enfin) la
déforestation en Amazonie ? », Cybergeo.

• Document 2.c. Les grandes cultures commerciales au Brésil


Source : Hervé THÉRY, 2009. « Le Brésil, ferme du monde ? Les dynamiques de
l’agriculture brésilienne ». Géoconfluences.
• Document 2.d. Les feux de la déforestation vus du ciel. Image satellite le long de la
rivière Purus, dans l’état d’Amazonas, le 16 août 2019
Source : INPE Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais

Document 3. Feux et pratique de l’agriculture sur brûlis


• Document 3.a. Les représentations occidentales de l’agriculture sur brûlis
Source : George ROSSI, 2000. L’ingérence écologique. Environnement et développement
rural du nord au sud. Paris, CNRS Éditions
Les premières descriptions de l’intérieur des continents considèrent unanimement les savanes comme
résultant de la destruction des forêts tropophiles ou mésophiles par les agriculteurs ou les pasteurs, et
les formations moins denses de type pseudo-steppes comme provenant de l’évolution régressive de la
savane par suite des brûlis répétés. Les explorateurs de la fin du siècle passé ont immédiatement vu dans
l’incendie un mal absolu, responsable de la déforestation, puis de la dégradation constante du couvert
végétal. De la même manière, l’érosion, le cuirassement, et donc la destruction définitive du milieu, ont
été, nous l’avons vu, immédiatement associées à cette « déforestation ». La mosaïque forêt-savane et la
présence de forêts denses plus ou moins proches suggéraient cette interprétation qui acquit rapidement
la force de l’évidence, grâce, en particulier, à des travaux d’une ampleur exceptionnelle. Aubreville
(1937) affirme que les feux de brousse entraîneront « la transformation de l’Afrique occidentale en une
immense savane nue, vraisemblablement impropre à la culture et à l’habitat humain ». Thèse qu’il
confirmera en 1949. Il est tout à fait frappant de constater que l’influence de ce schéma, qui n’est, somme
toute, qu’une théorie, va se perpétuer et se renforcer à travers toute une série de travaux considérables,
de grande qualité intrinsèque mais se situant strictement dans le cadre de ce qu’il faut bien appeler une
pensée unique. Personne ne mettant en doute le postulat de base, les résultats seront interprétés dans le
cadre conceptuel préalablement admis. Ils ne pouvaient que le justifier.
Désormais, et pour un siècle, l’essentiel du décor était planté : les forêts, quasi inhabitées, fouillis végétal
non ordonné, étaient « originelles », donc elles n’avaient pas été et n’étaient pas exploitées. D’ailleurs,
leurs habitants ne les géraient pas, se contentant de profiter des bienfaits d’une nature luxuriante et
généreuse dont ils abusaient en pratiquant le nomadisme agricole, destructeur, à l’origine de formation
secondaires, « dégradées ». Les savanes, dont certaines, comme en Afrique, étaient, à la fin du XIXème
siècle, tout aussi vides, résultaient de l’agriculture sur brûlis, pratique destructrice, qui grignotait petit à
petit les îlots encore forestés. Les incendies répétés par les agriculteurs et les pasteurs conduisaient petit
à petit la savane vers un cycle régressif qui s’achevait par la stérilisation complète du milieu. La
conception des Européens qui, notons-le, ont presque toujours commencé à aborder, au propre et au
figuré, le monde tropical par la forêt, est donc linéaire et suit les itinéraires d’exploration. Chaque type
de paysage étant interprété comme un stade de dégradation du précédent essentiellement sous l’influence
humaine. Peu après avoir fait ses premiers pas en Europe occidentale, le « cercle vicieux de
dégradation » amplifié par la vision coloniale des sociétés indigènes, débarquait sous les tropiques.
Cette opinion sera reprise dans tous les travaux et il faudra attendre les années 70 pour que l’on
commence à avoir une vision un peu plus réaliste des différentes origines possibles de ces formations et
de leur dynamique qui ne sont pas toutes, tant s’en faut, le résultat d’une déforestation ou d’une «
dégradation ». Actuellement, la mosaïque forêt-savane peut être une formation stable, liée à la
distribution des sols ou à des variations dans l’alimentation en eau. Mais, pour cela, il nous aura fallu
commencer par comprendre qu’il n’existe au sein d’une biocénose que d’équilibre dynamique et
temporaire. Et ce n’est que très récemment que l’on recommence à trouver que le feu peut être un mode
de gestion rationnel non obligatoirement prédateur, même dans des milieux fragiles comme les forêts
méditerranéennes (Cahiers du Conservatoire du littoral, 1998), encore que cette idée choque tellement
nos croyances qu’elle semble étrange à beaucoup et chemine très lentement vers la vulgarisation.
(…) Par ailleurs, l’irréversibilité de la savanisation en milieu forestier n’est pas absolue et elle ne dépend
pas uniquement de l’action de l’homme. Une importante étude palynologique et sédimentologique
(Schwartz et al., 2000) montrent qu’en Afrique centrale atlantique, la savane est apparue voici 3000 ans
par conjonction de l’assèchement climatique de l’Holocène supérieur et du brûlis sur les sols à faible
capacité de rétention en eau. Mais surtout, cette étude indique que depuis 500 ans au moins, en dépit de
la mise en valeur, la forêt reconquiert la savane, à la fois par progression sur ses marges et par
recolonisation des îlots.
(…) En Europe, l’agriculture sur brûlis a été considérée comme une technique destructrice car le but
recherché était une disparition rapide et définitive du couvert forestier pour le remplacer par l’agriculture
permanente. L’histoire des grands défrichements des XIIème et XIIIème siècles, c’est l’histoire des
fronts pionniers (Bertrand, 1975), tels que l’on peut les observer actuellement en Amazonie et dans le
Sud-est asiatique, ou que l’on a pu le faire récemment en Côte d’Ivoire. Mais ce n’est pas celle de
l’agriculture itinérante sur brûlis qui est un système totalement différent dans lequel l’essartage est une
étape indispensable à sa reproduction et à son équilibre. Comme le rappelle Condominas (1997), qui
l’un des premiers, décrivit, voici exactement quarante ans, la réalité de ce mode de production, le brûlis
est conçu et perçu comme un stade de la régénération de la forêt. Objectivement il n’est pas destructif
et il est pour le moins aventureux de l’assimiler à de la déforestation.
Seulement, les occidentaux ont très longtemps assimilé les deux systèmes sans en percevoir non
seulement les fonctions différentes, mais aussi les logiques opposées. Les clichés sont, dans ce domaine,
particulièrement vivaces. Il s’agirait d’une technique « primitive », solution de simplicité liée à
l’incapacité ou à l’inconscience, à la paresse, peu productive et, de surcroît, destructrice. Il faudra
attendre pour que la recherche redécouvre progressivement la logique, les justifications et les avantages
de systèmes dont on s’accorde aujourd’hui à reconnaître la complexité et l’efficacité. Chez l’essarteur
des régions intertropicales, il s’agit avant tout de maximiser le rendement du travail investi, seul facteur
limitant dans un contexte d’abondance de terre et de faible technicité, tout en assurant la reproduction
du groupe et la pérennité du système en utilisant au mieux le potentiel et les complémentarités offerts
par l’écosystème. Car l’essarteur traditionnel n’a ni les moyens techniques, ni le besoin, ni l’envie de se
passer de la forêt dont il dépend. Mais cette évidence a du mal à faire son chemin, et encore tenace est
l’idée que l’agriculture sur brûlis, le pâturage des troupeaux dans les forêts, entraîne irréversiblement la
déforestation et une spirale de dégradation des écosystèmes, en faisant parfois l’une des causes du sous-
développement, tandis que l’exploitation commerciale, coloniale ou actuelle est ignorée ou exonérée.
• Document 3.b. Recolonisation ligneuse d’un champ après culture sur brûlis
Source : Serge BAHUCHET et Jean-Marie BETSCH, 2012. « L’agriculture itinérante sur
brûlis, une menace pour la forêt tropicale humide ? Savoirs et savoir-faire des Amérindiens
en Guyane française », Revue d’ethnoécologie.
Schémas comparés de la recolonisation ligneuse d’un champ abandonné après culture sur brûlis, en
agriculture permanente (ou en front pionnier) et en culture itinérante traditionnelle.
Document 4. Le feu en milieu urbain

• Document 4.a. Compilation de Unes de journaux après l’incendie de Notre-Dame-


de-Paris, le 16 avril 2019.
Source : Les Échos, 16 avril 2019. « Notre-Dame-de-Paris : le drame à la une des journaux
du monde entier »

• Document 4.b. Reconstruire la ville après l’incendie.


Source : Stéphanie Le Gallic, 2020. « La ville et le feu : l’empreinte de l’incendie dans le
milieu urbain », blog de recherches Hypothèses, Habiter la ville. Pour une histoire du
paysage urbain du XVIe siècle à nos jours.

Les incendies sont définis par l’historien Pierre Grapin comme « le feu non maîtrisé, le feu sauvage,
dévastateur, l’incendie, qui a de tout temps causé une légitime frayeur » dans son ouvrage Les incendies.
Ce sont des évènements brutaux et traumatisants qui marquent les esprits et qui peuvent laisser des traces
visibles dans le paysage urbain. Notre étude est inspirée par les travaux de Valérie November, directrice
de recherche au CNRS, qui écrit à ce sujet l’article « L’incendie créateur de quartier ou comment le
risque dynamise le territoire » paru dans Cahiers de Géographie du Québec en 2004. Elle y développe
l’exemple de Saint-Sauveur à Québec et déclare qu’il provoque « la création de nouvelles unités
urbaines ». Elle fait de la reconstruction des bâtiments un enjeu majeur en affirmant qu’elle peut être
envisagée selon deux perspectives différentes : la première a pour but « d’effacer efficacement les traces
de la catastrophe » alors que la seconde repose sur « la menace permanente » qui pèse sur les villes.
Nous allons nous reposer sur cette analyse pour développer plusieurs exemples et étudier les différentes
réponses qui peuvent être apportées à ces questions.

Le Grand incendie de Londres


L’incendie de Londres de 1666 est l’un des événements les plus marquant que l’Europe ait connu par
son ampleur sans précédent. Il naît le 2 septembre dans une boulangerie de Pudding Lane, un quartier
situé au nord de la Tamise et embrase le centre historique de la ville pendant environ 3 jours. Près d’un
tiers de la ville est alors détruite, soit plus de 13 000 habitations et 90 églises, dont la cathédrale Saint-
Paul. L’importance des flammes devient si grande que le roi Charles II ordonne la destruction de
plusieurs maisons par explosion pour maîtriser le feu. En effet, son expansion est favorisée par un des
maisons principalement en bois organisées en rues étroites.
Cet événement tragique causa 8 décès et laissa près de 100 000 sans-abris. Il reste encore aujourd’hui
dans les mémoires et pour rendre hommage aux sinistrés, le Monument au Grand Incendie de Londres
est érigé au début des années 1670. Situé dans la Cité de Londres, il est devenu un lieu touristique à part
entière. On se demande alors l’impact de cet événement sur le paysage urbain londonien. La
reconstruction est entreprise très rapidement et s’étend sur près de quarante ans. Au-delà de cette
reconstruction globale, l’incendie permet une transformation de la ville marquée par d’autres
monuments comme la cathédrale Saint-Paul. Elle est entièrement détruite en 1666 et sa reconstruction
fut confiée à l’architecte Christopher Wren. Les travaux du nouvel édifice débutèrent en 1675 pour créer
une cathédrale plus imposante et majestueuse.

Chicago : une renaissance de la ville par les cendres


Le fort attrait pour Chicago et sa région favorise sa rapide expansion dès les années 1830. En effet, sa
position géographique sur les rives du lac Michigan fait de la ville une passerelle entre la côte Atlantique
et l’Ouest. Elle attire de nombreux immigrants européens qui font de cet espace une « ville
champignon », où la croissance démographique et économique augmente fortement dès le milieu du
XIXème siècle. Pour répondre aux besoins de cette population nouvelle, on construit rapidement des
habitations, des bureaux, des commerces et mêmes des trottoirs en bois.
Dans la nuit du 8 octobre 1871, le feu se déclare dans une grange du quartier actuel de Little Italy.
Pendant près de 30 heures, l’incendie se propage vers le quartier nord, traversant la Chicago River à
deux reprises. On compte près de 300 victimes et 100 000 sans-abris dans un incendie qui détruit près
d’un tiers de la ville. Face à l’ampleur du sinistre et au nombre de victimes, la reconstruction devient un
enjeu capital pour la ville. On note que cet événement a eu un impact direct sur la conception de l’espace
urbain aux Etats-Unis. L’entière reconstruction de Chicago est amorcée dans la volonté de prévenir les
incendies : on développe des plans avec des rues larges et en utilisant des matériaux plus sûrs tels que
les métaux. Ces innovations engendrent un nouveau modèle urbain qui est par la suite reproduit dans le
pays.

La question de la reconstruction : les débats autour de Notre-Dame de Paris


Les incendies sont des sinistres particulièrement destructeurs qui laissent derrière eux la problématique
de la reconstruction. Dans les cas de Londres et de Chicago, plusieurs propositions ont été présentées et
témoignent d’une volonté d’amélioration ou de nouveauté dans le paysage urbain. Ces discussions
tournent alors autour de la question : comment reconstruire ?
Nous pouvons prendre l’exemple plus récent de Notre-Dame de Paris pour comprendre les enjeux
contemporains de cette question. Survenu dans la soirée du 15 avril 2019, l’incendie a sous le regard du
monde entier détruit une grande partie de l’édifice. Le feu s’est propagé de la charpente vers la flèche
de Viollet-le-Duc construite au XIXème siècle. Les débats s’animent alors : faut-il reconstruire à
l’identique ou adopter un projet nouveau ? Des propositions innovantes ont déjà par le passé été adoptées
comme la pyramide du Louvre initiée par le président Mitterrand qui bouleverse le paysage architectural
du musée. Un concours d’architectes est alors organisé par le gouvernement afin de sélectionner les
projets qui pourraient selon Emmanuel Macron apporter « un geste architectural contemporain ». Cette
annonce provoque un engouement sur les réseaux sociaux avec des propositions plus ou moins
extravagante et montre l’intérêt des Français pour cette question partagé entre une volonté d’innovation
et le respect du patrimoine culturel.
En somme, ces exemples nous permettent d’affirmer que les incendies peuvent devenir des événements
moteurs pour le renouvellement du paysage urbain. La reconstruction modifie en effet profondément et
durablement la ville dans sa structure ou ses symboles.
• Document 4.c. Les enjeux de la reconstruction post-incendie en ville
Source : Le Figaro, 23 avril 2019. « Reconstruction contemporaine ou à l’identique ? La
flèche de Notre-Dame à la pointe des débats »

Disparu dans l’incendie de la cathédrale, ce fleuron du XIXe siècle est à l’origine de nombreuses
crispations. Doit-il être fidèle à la création de Viollet-le-Duc ou faut-il céder au geste architectural en
rupture avec son inspiration initiale ? La question enflamme les esprits depuis qu’un concours
d’architectes a été annoncé.
Des montages photos de Notre-Dame surmontée d’un pommeau de douche, d’un rayon vert, d’un
château de conte de fées style Disneyland, d’un croissant musulman, d’une bouteille de champagne,
d’une nouvelle pyramide en verre et même... de la Tour Eiffel. Sur les réseaux sociaux, humour et
provocation s’en donnent à cœur joie dans une surenchère débridée. Ce déferlement pour le moins
fantaisiste répond à l’imprécision de l’exécutif quant à la reconstruction de la flèche de Notre-Dame. Le
premier ministre Édouard Philippe a estimé que ce concours « permettrait de trancher la question de
savoir s’il faut reconstruire la flèche à l’identique ou s’il faut doter la cathédrale d’une nouvelle flèche
adaptée aux techniques et aux enjeux de notre époque ». Et le président Emmanuel Macron d’évoquer
« un geste architectural contemporain ». Un tel « geste » qui vise le monument le plus visité de Paris a
de quoi faire rêver les architectes : celui dont le projet serait retenu se verrait accorder un juteux contrat
mais surtout un nom à jamais, à l’égal d’un Pei avec la Pyramide du Louvre ou d’un Renzo Piano avec
le Centre Pompidou.

Plancher vitré, toit végétalisé


Quelques architectes sont sortis du bois pour reconstruire la flèche qui surmontait la forêt de Notre-
Dame, du nom donné à son exceptionnelle charpente partie elle aussi en fumée. Jean-Michel Wilmotte,
qui a construit l’église orthodoxe russe à Paris, verrait bien la prochaine flèche en verre, comme un écho
visuel à la Pyramide. Certains projets apparus sur internet ne se contentent pas de la flèche mais exposent
leur vision de toute la toiture. Ainsi le cabinet Godart + Roussel de Dijon a proposé d’aménager une
toiture de vitres et tuiles de cuivre. Un plancher vitré s’ouvrirait sur l’intérieur de l’église. Les touristes
pourraient déambuler avec vue imprenable sur le vieux Paris. Circule aussi sur internet un projet
anonyme montrant un toit entièrement végétalisé avec un circuit pour les promeneurs (…).

Bataille de pétitions
Les pétitions se multiplient depuis plusieurs jours sur internet pour demander une restauration à
l’identique du monument, provenant de milieux identitaires catholiques mais aussi d’internautes laïcs.
Elles circulent sur les réseaux sociaux, et notamment sur Twitter sous le hashtag
#TouchePasANotreDame. L’animateur Stéphane Bern, qui défend le patrimoine ancien, a repris les
propos de la tête de liste des Républicains aux élections européennes, François-Xavier Bellamy, appelant
à « un peu d’humilité » devant un édifice dont les bâtisseurs étaient restés anonymes (…).
Pour beaucoup, le concours d’architectes devra se faire plus tard et à tête reposée. Audrey Azoulay,
directrice générale de l’UNESCO, estime que la « doctrine » qui préside à la restauration d’un monument
« n’est pas figée ». « Les principes (de la rencontre) de Varsovie (organisée par l’Unesco en mai, NDLR)
encouragent chaque génération à participer à ce travail d’édification », a-t-elle dit. Tout en reconnaissant
toutefois que la charte de l’UNESCO demandait que l’on restaure selon le dernier état « complet,
cohérent et connu » du monument détruit.
• Document 4.d. L’Incendie de la Chambre des lords et des communes, le 16 octobre
1834, par Joseph Mallord William Turner
Dans la nuit du 16 octobre 1834, Turner assiste depuis un bateau sur la Tamise à l’incendie du Parlement
à Londres qui détruit la Chambre des lords.

Document 5. La filière bois-énergie

• Document 5.a. La filière bois-énergie en France


Source : Interprofession nationale de la filière Forêt-Bois
NB : L’interprofession nationale de la filière Forêt-Bois a été créée en décembre 2004 sous l’égide du
ministère de l’Agriculture en charge des Forêts. Elle cofinance des actions collectives de promotion, de
communication et de valorisation de la forêt française.
Le bois représente 40 % des énergies renouvelables produites en France, soit 9 millions de tonnes
équivalent pétrole (Mtep). La dénomination « bois-énergie » désigne l’utilisation du bois comme
combustible pour produire de la chaleur, de l’électricité ou du biocarburant de 2ème génération après
transformation.
Il existe trois formes principales de bois-énergie :
-la bûche ou rondin (35 millions de tonnes / an)
-la plaquette forestière ou industrielle (4 millions de tonnes / an)
-les granulés (1 million de tonnes / an)
Environ 7,4 millions de résidences sont équipées d’un chauffage au bois, et près de 400 000 logements
disposent d’un chauffage et d’eau chaude sanitaire à travers des réseaux de chaleur au bois. La
combustion du bois est exploitée comme productrice non seulement de chaleur, mais aussi d’électricité
pour chauffer de l’eau dans une chaudière : la vapeur engendrée mise sous pression fait tourner des
turbo-alternateurs. Cette opération couplée à de la production de chaleur est appelée cogénération.
Le bois peut également être utilisé pour produire des biocarburants de 2ème génération. Il est composé
de trois types de molécules organiques : la cellulose, l’hémicellulose et la lignine. Par un procédé
d’hydrolyse, la cellulose est transformable en glucose, puis fermentable en éthanol.
• Document 5.b. Les trajectoires du bois-énergie en Aquitaine : vers une transition
énergétique ?
Source : Vincent BANOS et Jeoffrey DEHEZ, 2015. « Les trajectoires du bois-énergie en
Aquitaine : du développement local aux territoires de l’énergie ? », Géocarrefour, 90/4, pp.
359-338

Alors que la notion de « transition » tend à s’imposer au cœur des agendas politique et scientifique, de
nombreux travaux appellent à prêter davantage attention aux dynamiques territoriales pour mieux
appréhender la diversité des configurations et trajectoires d’innovation. Ces propositions semblent
particulièrement pertinentes pour des énergies renouvelables (EnR) dont les « gisements » spatialement
dilués contrastent avec les stocks concentrés des énergies fossiles. La décentralisation, la proximité et
l’autonomie figurent ainsi au cœur des opportunités associées à la transition énergétique. Tel est le cas
du bois-énergie (BE) qui, en plus d’être la première EnR consommée, se voit prêter de nombreuses
vertus territoriales tant en termes de valorisation des ressources locales, que d’emploi ou
d’aménagement. Pour autant, célébrer la transition énergétique comme la « revanche des territoires » ne
pas non plus de soi car les EnR sont enserrées dans des technologies aux capacités et finalités variables.
Les chaudières biomasse peuvent produire de la chaleur mais aussi de l’électricité pour les plus
imposantes (cogénération). Elles sont utilisées par des particuliers, des collectivités ou des
industries et tolèrent un éventail plus ou moins large de produits selon leurs tailles et leurs
usages : bois bûche, plaquettes voire granulés pour les plus petits appareils, auxquels s’ajoutent
divers déchets verts et industriels pour les équipements de plus grande puissance. De plus, le
déploiement de ces technologies est dimensionné par des orientations sociales, économiques et
politiques qui engagent une pluralité d’échelles. Il relève autant de la dérégulation du marché
de l’énergie au niveau européen, de l’adoption de politiques publiques par les États que
d’initiatives locales. Le potentiel territorial des EnR se joue donc au carrefour de multiples
dispositifs et les formes de développement empruntées restent d’autant plus incertaines que ce
cadrage composite évolue dans le temps (Poupeau et Schlosser, 2010 ; Tabourdeau, 2014).
Questionner la territorialisation des EnR invite ainsi à développer un regard attentif à l’espace,
à la singularité des milieux et des formes d’organisations héritées, tout en restant ouvert aux
logiques pluri-scalaires et aux séquences temporelles de la transition énergétique.
(…)
L’Aquitaine constitue un cas d’étude intéressant pour étudier les technologies du BE car elle
dispose de « gisements » forestiers conséquents et variés. Le Massif des Landes de Gascogne,
plus grande forêt cultivée d’Europe Occidentale, côtoie les Massifs Dordogne-Garonne et
Adour-Pyrénées, moins structurés par des filières industrielles. Dans cette région qui conserve
un fort caractère rural malgré l’extension continue des aires urbaines, le BE contribue au
développement territorial depuis le milieu des années 1980 (…). Tandis qu’on observe une
concentration d’équipements industriels liés à la filière bois-papier dans les Landes de
Gascogne, le département de la Dordogne se singularise par la prédominance des chaufferies
collectives de communes rurales. Par ailleurs, la présence de « gisements » forestiers ne
constitue pas un préalable indispensable aux initiatives. Tandis que l’Entre-deux-Mers, espace
situé « en marge » des massifs forestiers précités, est maillé par de nombreux projets, le
département des Pyrénées-Atlantiques se caractérise par un faible taux d’équipement malgré un
potentiel abondant. Enfin, les derniers équipements collectifs installés tendent à se concentrer
dans des aires urbaines telles que Bordeaux, Périgueux ou Bayonne. (…)

Des projets portés par la transition énergétique ?


En tant que registre de justification du BE, le développement local tend, si ce n’est à s’effacer, du moins
à se teinter fortement d’objectifs environnementaux et énergétiques : « Il y a 20 ans, l’exemplarité,
c’était de mettre une filière locale sur les rails ; aujourd’hui, c’est plutôt par rapport aux énergies
vertes, aux déchets et au climat » (Conseil général des Landes, 2013). Cette évolution n’est pas sans
effet sur les modalités de territorialisation du BE, comme tend à l’indiquer l’initiative portée par le
Syndicat mixte Interterritorial du Pays du Haut Entre-deux-Mers (SIPHEM). Initié au tournant des
années 2000 par un leader local, également énergéticien, ce projet a pour ambition « de faire revenir les
énergies dans un territoire rural dépendant à 96 % d’approvisionnements extérieurs » et « de reprendre
la main sur ces sujets en s’appuyant sur l’existence d’une régie autonome ». S’inscrivant dans le
prolongement d’une Opération Programmée d'Amélioration Thermique et Énergétique des
Bâtiments (OPATB) menée en 2003, le recours au BE s’accompagne ainsi d’une expertise technique
poussée : « Dès le départ, on a voulu que les réseaux fonctionnent de façon optimum avec les bons
indicateurs. On a mis des compteurs pour contrôler combien d’énergie rentre et sort des chaudières.
Nous voulons montrer que nos installations ont un bon rendement et émettent peu de particules »
(SIPHEM, 2012).
La diffusion de ces bilans permet d’informer et d’associer l’ensemble des usagers à la démarche. Mais,
ce souci de performance répond aussi à des enjeux d’efficacité économique : « Sur nos premières
chaufferies, on avait des taux de 75 % pour amorcer la dynamique. Maintenant nous visons plutôt des
taux compris entre 55-65% maximum » (SIPHEM, 2012). Ce type de raisonnement traduit parfaitement
les inflexions souhaitées par l’ADEME et par les référentiels qui ont trouvé à s’incarner dans le « Fonds
Chaleur » institué dans le sillage du Grenelle de l’environnement (2009). Dans ce dispositif, les
demandes de subvention sont évaluées et classées sur la base du montant d’aide en €/Tep produite.
L’objectif est de garantir un prix de la chaleur produite inférieur d’environ 5 % à celui obtenu avec des
énergies conventionnelles

• Document 5.c. En attendant de tourner au bois,


la centrale électrique de Cordemais tourne à fond au charbon
Source : Ouest-France, journal quotidien régional de l’Ouest, édition de Nantes, article écrit
par Philippe ECALLE, 12 décembre 2022

Elle était vouée à une disparition programmée. Mais la très décriée centrale de Cordemais, en Loire-
Atlantique, est toujours debout, et tourne même à plein régime, pour éviter les coupures d’électricité.
Plus nécessaire que jamais, même si elle carbure exclusivement au charbon.
C’est le cœur battant de la machine. Le centre nerveux de la centrale de Cordemais (…). Devant les
écrans, des opérateurs EDF, présents 24 heures sur 24, pour faire tourner la bête et la contrôler, qui
interprètent chiffres et graphiques. Ce sont eux les vrais maîtres à bord, les pilotes de cet immense
paquebot, posé en rase campagne, sur un site de 130 hectares. Comme les vrais paquebots, ceux de
Saint-Nazaire, celui-ci dégage une formidable impression de puissance. Il est précieux, celui que certains
appellent aussi le « chauffage d’appoint », parce qu’il n’est utilisé qu’en dernier recours, quand la
situation l’impose. Il alimente en énergie électrique « l’équivalent d’un peu plus que la ville de
Rennes », compare Michel Durand, le patron du site (…). « Seize heures seulement sont nécessaires
pour relancer la machine lorsqu’elle est à l’arrêt », explique Grégory Leray, chef de service
exploitation. « C’est plus rapide qu’une centrale nucléaire, mais un peu moins qu’une centrale gaz
», compare l’énergéticien. « On l’arrête et on la relance à peu près comme on veut, en fonction des
besoins et de la demande », ajoute le technicien. Elle est « pilotable », comme l’on dit dans le métier,
comparée à d’autres énergies, le vent ou l’atome. Ce vendredi-là, la tranche quatre fournit 519 MW
(mégawatt), sa voisine, la tranche cinq, 532 MW. Mais elles peuvent monter à 1 200 MW chacune.

La fin du charbon, pas de la centrale


Mais la centrale a un vilain défaut dans la cuirasse. Elle se nourrit exclusivement, encore aujourd’hui,
de charbon, cette énergie fossile, adorée hier, honnie aujourd’hui, depuis que le monde sait qu’elle
asphyxie la planète, à cause des gaz à effet de serre. Le président de la République, Emmanuel Macron,
a fait de la fermeture de ces centrales « sales » l’un des symboles de sa politique verte. Le symbole s’est
fait rattraper par la réalité : un parc nucléaire en partie à l’arrêt pour cause de révision d’une partie des
réacteurs et, surtout, un marché de l’énergie totalement chamboulé par la guerre en Ukraine.
La fermeture de la centrale de Cordemais, prévue en 2022, n’est plus d’actualité. Depuis un arrêté du 3
octobre, elle peut même à nouveau produire pour éviter la pénurie. Et même recracher – presque – sans
scrupule ce CO2 issu de la combustion. Elle brûle entre 8 et 10 000 tonnes par jour. La centrale est
gorgée jusqu’à la gueule du minerai noir. 400 000 tonnes sur place, plus 300 000 entreposées à Montoir.
Une montagne noire indispensable, arrachée aux sous-sols d’Afrique du sud, d’Amérique du Sud ou
encore d’Australie.

Bientôt les premiers pellets de bois


Si elle brûle toujours du charbon, par nécessité, la centrale poursuit sa mue vers une production
d’électricité décarbonée. Demain, elle brûlera du bois dit de classe B (des déchets de bois). Une
ressource plus propre, à portée de main et abondante. « On estime qu’il y a un potentiel de six millions
de tonnes de bois de classe B par an en France », commente Bertrand Guidier, directeur de la
transformation industrielle sur le site. Un gâchis énergétique, avec une ressource enfouie, alors qu’elle
pourrait servir de combustible. Demain, dans le cadre du projet Ecocombust (porté aujourd’hui par
Paprec, il emploiera près de soixante-dix salariés), cette ressource sera transformée à Cordemais en
pellets pour alimenter la centrale. Deux cents millions sont mis sur la table, dont 80 de subvention
espérés de l’État, la décision étant attendue début 2023. « On est dans une démarche de
décarbonation », rappelle le patron du site, Michel Durand.
En attendant cette future usine, en 2026, sur le site de la centrale, des travaux sont en cours (8 millions
d’investissement) pour modifier le cœur de l’installation industrielle, afin d’engloutir, « dès le premier
trimestre 2023, jusqu’à 20 % de pellets de bois ». Avant de monter en puissance, avec l’ambition de se
passer, un jour, totalement de charbon. Ce n’est pas encore le cas, même si la centrale a stocké environ
4 500 tonnes de pellets de bois de Norvège. Le charbon reste encore moteur. Pour chaque tonne de gaz
carbonique envoyée dans les airs, la centrale « compense », en versant 40 € à un fonds de compensation,
pour financer opérations de reboisement et autres projets d’agriculture durable. Le prix à payer,
provisoirement, pour produire de l’énergie électrique en carburant plein pot au charbon.

• Document 5.d Les émissions des énergies pour la production d’électricité en


équivalent CO2 (CO2e) en gramme par kilowattheure d’énergie finale.
Source : Groupe Économie d’Énergie, facilitateur de projets énergétiques
Document 6. Le choix du feu
Source : Luc SEMAL, 2008. Compte-rendu de lecture de l’ouvrage d’Alain GRAS, 2007. Le Choix
du feu. Aux origines de la crise climatique. Fayard, 281 p.

Alain Gras est professeur de socio-anthropologie des techniques à Paris 1 (…). Dans Le Choix du feu,
il analyse les choix techniques qui ont fait de notre société une société thermo-industrielle (c’est-à-dire
fondée sur la puissance du feu) et qui sont à l’origine de la crise climatique actuelle. Car selon lui, il
s’agissait bien d’un choix, qui n’avait rien d’inéluctable : Alain Gras s’oppose fermement à l’idée d’un
déterminisme technique (ou d’une fatalité technique) qui imposerait l’utilisation des énergies fossiles à
l’humanité.
La première partie du livre est un constat de l’omniprésence du feu dans notre société. Le feu, c’est
l’énergie que nous tirons de la combustion des ressources fossiles : pétrole, gaz naturel, charbon,
uranium, etc. Et ce feu est partout : dans nos communications (prétendument dématérialisées mais dont
les infrastructures sont très polluantes), dans notre agriculture (machines, engrais et pesticides), dans
notre alimentation (carnée et industrialisée), dans nos transports… Cette omniprésence du feu est une
première dans l’Histoire de l’humanité : en effet, les sociétés pré-industrielles utilisaient la puissance
des quatre éléments, qui leur fournissaient des énergies renouvelables (moulins à eau, à vent, chauffage
au bois, etc.) Si le feu était utilisé, il était surtout alimenté par des combustibles renouvelables et ne
prenait jamais le pas sur les trois autres éléments. Généralement, il avait même un statut culturel
particulier, qui en faisait un élément réputé dangereux, à manier avec précaution. En faisant du feu notre
principale source d’énergie, nous avons renoncé à cette sorte de principe de précaution avant l’heure, et
nous avons fait de notre société la première société thermo-industrielle, c’est-à-dire entièrement fondée
sur la puissance du feu et dépendante de lui. L’évincement des énergies renouvelables par la puissance
du feu fut une véritable rupture dans l’Histoire des techniques et dans l’Histoire de l’humanité.
La deuxième partie du livre expose comment la Révolution industrielle a constitué ce moment de
rupture, ce moment décisif où nous pouvions choisir entre différentes trajectoires techniques possibles,
dont celle des énergies renouvelables, et où nous avons finalement choisi le feu. En insistant ainsi sur la
notion de choix, Alain Gras s’oppose à l’idée (souvent tacitement admise) d’une évolution autonome
des techniques qui s’imposerait à l’humanité : non, la tronçonneuse n’est pas le prolongement « naturel »
de la hache de pierre, et la société thermo-industrielle n’est pas le prolongement « naturel » de la société
pré-industrielle. Pour passer de l’une à l’autre, il a fallu la Révolution industrielle, qui ne fut pas une
évolution naturelle, mais une rupture. Or cette rupture n’était pas inéluctable : à un moment donné, une
conjonction de facteurs a rendu possible (mais pas nécessaire) le choix du feu, et c’est ce choix qui a
été fait : celui de la puissance facile et dangereuse du feu. À cette époque, l’humanité aurait encore pu
choisir de persister dans la précaution et de continuer à n’utiliser que la puissance limitée des énergies
renouvelables… En revanche, une fois le choix du feu effectué, l’humanité s’est engagée dans
une trajectoire technique qui s’apparente à une fatalité : une fois le feu choisi, les machines thermiques
offraient une telle puissance qu’elles étaient vouées à s’imposer, à se multiplier, à devenir
omniprésentes… et finalement à provoquer la crise climatique.
Enfin, la troisième partie du livre analyse comment, dès qu’il fut choisi, le feu a modelé la réalité et
l’imaginaire de notre société, en lui offrant puissance et vitesse. Le dernier chapitre, consacré à
l’aviation, montre combien notre mobilité est fondée sur le feu, et donc entièrement dépendante des
énergies fossiles… ce qui posera nécessairement problème à moyen terme, face à la crise climatique
(…).
En résumé, selon Alain Gras, nous nous situons actuellement dans une trajectoire technique qui a débuté
avec la Révolution industrielle et qui aboutit maintenant à la crise climatique. La trajectoire technique
n’est qu’un segment de l’Histoire, qui peut obéir à un déterminisme interne, mais qui a nécessairement
un début et une fin : elle succède à une autre trajectoire et cède la place à une troisième (la tendance
technique, en revanche, défendue par les tenants de l’évolutionnisme technique, s’impose à l’humanité
et se confond avec son Histoire : elle n’a ni début, ni fin, et obéit à une totale fatalité).
Comment sortir de la trajectoire technique actuelle, fondée sur le feu et qui aboutit aujourd’hui à la crise
climatique ? D’abord en acceptant l’idée qu’il n’y a pas que des fatalités dans l’Histoire des techniques,
mais aussi des moments de choix. Alain Gras propose avec ce livre une forme d’anamnèse, « c’est-à-
dire l’obligation de revenir sur les origines pour se libérer des chaînes du présent et de la prison d’un
avenir déjà là » (p. 242.) La crise climatique est la fin logique de la société thermo-industrielle. Pour
sortir de cette impasse, Alain Gras avance l’idée de « catastrophe éclairante » (p. 246) : si une
catastrophe (par exemple, une crise pétrolière) bouleverse la situation, peut-être parviendrons-nous à
remettre en cause notre croyance en la fatalité technique et à reprendre notre liberté face à elle. Peut-
être pourrons-nous alors achever la trajectoire technique fondée sur la puissance du feu et en débuter
une nouvelle, fondée sur l’utilisation d’énergies renouvelables alimentées par les quatre éléments, et de
manière adaptée à chaque territoire. Cette nouvelle rupture, celle de la décroissance, paraît aujourd’hui
aussi impossible que l’aurait semblé la Révolution industrielle avant qu’elle ait lieu ; mais face à la crise
climatique et à l’épuisement des ressources pétrolières, ce qui nous semble aujourd’hui impossible
pourrait devenir, demain, une solution envisageable.

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