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16D112 Diachronie : phonétique historique du français (F.

LESAGE)

Objectifs

L'objectif de ce cours est d’initier l’étudiant à la linguistique diachronique à


travers une première approche de l’histoire du français depuis ses origines jusqu’à
nos jours. Il doit permettre d’acquérir des connaissances de base en linguistique
diachronique à travers un panorama des grandes évolutions que le français a
connues au cours des siècles, du point de vue phonétique, morphologique,
syntaxique et lexical. Il s'agit plus précisément d'analyser la manière dont notre
langue actuelle est le résultat d'une évolution continue depuis le latin parlé en
passant par l'ancien et le moyen français. Nous nous attarderons sur les grandes
évolutions morphologiques et syntaxiques du français afin de découvrir comment la
langue moderne s'est peu à peu construite. Il ne s'agit en aucun cas de circonscrire
de façon exhaustive des états synchroniques successifs du français mais
véritablement d'appréhender la langue française dans son histoire, dans son
mouvement évolutif et dans ses changements structurels.

Bibliographie

Les références suivantes sont celles d’ouvrages à consulter en complément de


ce cours. D’autres ouvrages pourront être cités dans la suite du cours pour permettre
d’approfondir telle ou telle partie du cours.
Michel BANNIARD, Du latin aux langues romanes, Paris, Nathan, coll. « 128 »,
1997.
Claude BURIDANT, Grammaire nouvelle de l'ancien français, Paris, SEDES,
2000.
Gaston CAYROU, Le français classique : lexique de la langue du XVIIe siècle,
Paris, Didier, 1924 (réédité en livre de Poche).
Bernard CERQUIGLINI, La naissance du français, Paris, PUF, coll. « Que sais-
je ? », 1991.
Jacques CHAURAND, Histoire de la langue française, Paris, PUF, coll. « Que
sais-je ? », 1998.
Nathalie FOURNIER, Grammaire du français classique, Paris, Belin, 1998.
Georges GOUGENHEIM, Les mots français dans l'histoire et dans la vie (3 vol.),
Paris, Picard, 1966-1975.
Georges GOUGENHEIM, Grammaire de la langue française du seizième siècle,
Paris, Picard, 1974.
Laurence HELIX, Histoire de la langue française, Paris, Ellipses, 2011.
Mireille HUCHON, Histoire de la langue française, Paris, Le Livre de Poche, coll.
« Références », 2002.
Noëlle LABORDERIE, Précis de phonétique historique, Paris, Nathan, coll.
« Lettres 128 », 1994.
R. Anthony LODGE, Le français. Histoire d'un dialecte devenu langue, Paris,
Fayard, 1997.

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Christiane MARCHELLO-NIZIA, Le français en diachronie : douze siècles


d'évolution, Paris, Ophrys, coll. “ L'essentiel ”, 1999.
Christiane MARCHELLO-NIZIA et Jacqueline PICOCHE, Histoire de la langue
française, Paris, Nathan, 1998.
Christiane MARCHELLO-NIZIA, L'Évolution du français : ordre des mots,
démonstratifs, accent tonique, Paris, Armand Colin, 1995.
Robert MARTIN et Marc WILMET, Syntaxe du moyen français, Bordeaux, Bière,
1988.
Michèle PERRET, Introduction à l'histoire de la langue française, Paris,
Armand Colin, coll. “ Campus ”, 2001.
Alain REY, dir., Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaire
Le Robert, 1992.
Jean-Pierre SEGUIN, La langue française au XVIIIe siècle, Paris, Bordas, 1972.
Danielle TRUDEAU, Les inventeurs du bon usage (1529-1647), Paris, éditions
de minuit, 1992.

Je vous conseille de consulter les ouvrages de Christiane MARCHELLO-NIZIA


(1999) de Michèle Perret (signalés en caractère gras) ; ce dernier vous fournira des
exemples d’études de linguistique diachronique appliquées à des textes ; vous
pouvez vous inspirer de ces modèles pour la rédaction des devoirs et de l’examen où
vous aurez un texte à commenter en classant les faits saillants touchant à l’histoire
de la langue. Il ne s’agira donc pas d’un commentaire littéraire mais d’un
commentaire purement linguistique et dans une perspective diachronique.

Les devoirs devront être écrits à la main et envoyés par voie postale à
l’adresse du CFOAD - 4 bd Gabriel – BP17270- 21072 DIJON CEDEX (sauf réelle
impossibilité d’utiliser la voie postale – pour les étudiants résidant en Colombie ou au
Mexique notamment) ; par sécurité, avant de l’envoyer par la Poste, scannez
votre devoir en pdf (fusionné en un seul document) et le déposer sur la
Plateforme), les commentaires concernant la phonétique historique utiliseront le
système de transcription en alphabet des romanistes qui sera présenté dans le
prochain envoi du cours (vous pouvez déjà le voir dans l’ouvrage de Noëlle
Laborderie cité dans la bibliographie ci-dessus). Ces transcriptions utilisent des
signes diacritiques et doivent impérativement être écrites à la main. En effet,
l’écriture en machine n’est pas utilisable pour des transmissions électroniques, les
polices phonétiques n’étant pas compatibles entre Mac et PC et même entre
ordinateurs PC utilisant des systèmes différents ou des versions différentes de Word.
En outre, le jour de l’examen, vous devrez écrire à la main, il convient de s’y
entraîner au préalable. Les devoirs ne sont pas obligatoires puisque cette U.E.
est évaluée en contrôle terminal, mais il est conseillé de les faire afin de se
préparer à l’examen. L’expérience des années antérieures prouve que les
étudiants qui s’entraînent en rédigeant les devoirs réussissent mieux à

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l’examen. Inversement ceux qui ne rendent aucun devoir et imaginent réviser le


cours trois jours avant la session d’examen n’ont à peu près aucune chance de
réussir : on ne peut pas improviser ni pallier l’absence de connaissances précises qui
sont à acquérir en travaillant régulièrement à partir du cours et des corrigés de
devoirs.
L’évaluation de ce cours n’est pas du type restitution de connaissances apprises
par cœur, mais acquisition d’une capacité d’utilisation des connaissances apportées
par le cours en les appliquant à un texte qui sera à commenter en classant les faits
d’histoire de la langue : les remarques attendues concerneront les relations entre les
graphies et la phonétique, la morphologie, la syntaxe et le lexique. Les textes soumis
à l’étude en devoir comme à l’examen ne seront pas des textes en français moderne
mais des textes correspondant à un état ancien du français ; dans le cas du devoir
n°1, il s’agit d’un texte en français médiéval et vous aurez donc le texte en ancien
français accompagné de sa traduction en langue moderne. Vous trouverez dans le
cours un exemple d’étude d’un texte médiéval qui pourra vous servir de modèle pour
la rédaction du devoir n°1. Dans le cas du devoir n°2 et en général pour l’examen
aussi, le texte est en français de la Renaissance (XVIe s.) donc assez
compréhensible sans traduction, comme pour ceux en français classique, il n’y aura
donc pas de traduction donnée avec le texte, mais éventuellement des notes de
vocabulaire dans le cas où l’explication de certains mots serait nécessaire à la
compréhension du texte. Comme pour le devoir n°1, vous trouverez dans le cours un
exemple d’étude d’un texte en français du XVIe siècle qui pourra vous servir de
modèle pour la rédaction du devoir n°2. Cet exemple ainsi que le corrigé du devoir
n°2 seront particulièrement à réviser en vue de l’examen. Il est conseillé d’adopter le
même plan et de faire des fiches sur chacun des phénomènes commentés afin de
repérer rapidement dans le texte les occurrences similaires à citer et à commenter.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Les pages qui suivent sont une introduction à l’histoire du français. Nous nous
intéresserons d’abord à la reconstruction de ses origines qui a pu être faite par le
passé avant d’exposer ce que nous en savons aujourd’hui.
Nous préciserons son appartenance à la famille des langues romanes qui est
issue d’une des branches de l’indo-européen.
Enfin nous proposerons une périodisation de l’histoire du français en présentant
brièvement chacune des périodes auxquelles seront successivement consacrés les
envois suivants.
Les envois 2, 3 et 4 seront complétés par des éléments de phonétique historique
qui permettent de mieux comprendre les évolutions non seulement phonétiques mais
aussi morphologiques.

Pour nous, au XXIe siècle, après deux siècles de recherches en linguistique


comparée et en linguistique historique, il est clair que le français provient du latin –
comme les autres langues romanes d’ailleurs.
Mais cette connaissance des origines que nous avons aujourd’hui n’a pas
toujours été aussi claire. Bien sûr au moyen âge déjà, on avait quelque idée de la
parenté entre les langues romanes et le latin. Au XIVe siècle, en Italie, le poète
Dante, aussi grammairien, reconnaît l’origine latine de certaines langues romanes ; il
expose ses idées dans un ouvrage intitulé De vulgari eloquentia (« De la façon de
parler du vulgaire ») : il y est donc question des langues véhiculaires, des langues
parlées par les gens, par opposition à la langue savante qui était toujours le latin à
cette époque en Europe. Dans cet ouvrage, il dénomme ces langues parentes selon
leur façon de dire « oui » : langues de si (italien et espagnol) ; langue d’oïl (français) ;
langue d’oc (occitan). Et il oppose ces langues issues du latin aux langues du nord
de l’Europe qu’il appelle « langues de yo ».
En France, au XVIe siècle, la première grammaire du français de quelque
importance est celle de Sylvius, de son vrai nom Jacques Dubois, elle s’intitule : In
linguam gallicam isagoge, una cum eiusdem grammatica Latino-Gallica (1531)
(« Introduction à la langue française avec une grammaire latin-francais de cette
même langue »). Il s’agit d’une grammaire étymologique c’est-à-dire que l’auteur
cherche à retrouver le système latin qui est, selon, lui, sous-jacent dans la langue
française.
Quelques années plus tard, une grammaire d’un auteur moins connu, Drosai,
Grammaticae quadrilinguis partitiones (1544) présente des parallèles entre des
structures du francais, du latin, du grec, et de l’hébreu.
Le grammairien Henri Estienne est l’auteur d’un Traité de la conformité du
langage françois avec le grec (1565), dans lequel il établit des parallèles entre le
français et le grec. Dans un ouvrage pédagogique destiné aux étrangers qui veulent
apprendre le français, Hypomneses de lingua gallica (1582) (« Memento de langue
française », il fait ressortir les ressemblances et les différences avec le latin qui est
considéré comme la langue canonique, et il fait aussi de multiples référence au grec

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et à l’hébreu. Il a comme ses contemporains le souci de légitimer la langue française


en la rapprochant des langues anciennes considérées comme prestigieuses.
Toujours au XVIe siècle, Pierre de la Ramée, dit Ramus, un des grands penseurs
de cette époque, à la fois philosophe et grammairien, fait paraître en 1572 la
deuxième édition de sa Grammaire. Dans sa dédicace « A la reine », apparaît le
souci de légitimer la langue française mais lui croit y voir un héritage gaulois : « La
grammaire Gaulloyse nous est demeurée en nombres et cas des noms : es 1
personnes et coniugaisons des verbes : en toute terminaison de chacun mot : au
bastiment et structure de l’oraison2 » En réalité, nous savons que l’héritage gaulois
en français est très limité : d’une part une influence sur la prononciation du latin parlé
en Gaule, influence qui a déterminé l’évolution phonétique ayant abouti au français ;
d’autre part un héritage lexical du substrat gaulois ayant laissé de nombreuses
traces dans le lexique français3. Par contre, ce que Ramus appelle « nombre et cas
des noms », c’est-à-dire les marques du pluriel et la déclinaison de l’ancien français,
nous vient essentiellement du latin même si ponctuellement on a pu déceler une
influence de la déclinaison gauloise. Même chose pour les conjugaisons des verbes :
l’origine est à rechercher dans la morphologie latine.
Autre exemple de rapprochement erroné représentatif des idées linguistiques
ayant cours aux XVIe et XVIIe siècles : l’ouvrage d’Estienne Guichard (1606) intitulé :
L’harmonie étymologique des langues Hébraïque, Chaldaïque, Syriaque, Grecque,
Latine, Françoise, Italienne, Espagnole, Allemande, Flamande, Angloise, etc. où se
démontre que toutes les langues sont descendues de l’hébraïque. Montrer que
toutes les langues proviennent de l’hébreu correspond à l’interprétation de l’épisode
biblique de la tour de Babel (Cf. Genèse XI, 1-9) : selon cet épisode, les hommes, à
l’origine, parlaient tous la même langue et, lorsqu’ils furent dispersés sur toute la
terre, ils se sont mis à parler des langues différentes. La langue pré-babélique, étant
identifiée à l’hébreu, il semblait logique à l’époque de chercher à montrer que toutes
les autres langues en dérivaient. En réalité, on sait que la langue de la Bible, l’hébreu
appartient en fait à la famille des langues sémitiques, tout comme les différents
dialectes araméens et l’arabe. D’ailleurs cette parenté avait déjà été perçue dès le Xe
siècle au Moyen-Orient par les grammairiens juifs et arabes qui avaient observé des
similitudes entre l’hébreu et l’arabe.
Pour revenir au français et à la question de ses origines, nous venons de citer un
certain nombre de rapprochements erronés qui ont été faits aux XVIe et XVIIe siècles
mais, dès cette époque, on trouve aussi des grammairiens qui ont une vision assez
exacte des origines du français : ainsi Ménage qui est considéré comme un des
premiers historiens de la langue avec son ouvrage Origines de la langue française
(1650) où il considère que l’essentiel du français vient du latin et précise que pour
comprendre la formation du français, c’est le bas latin, le latin tardif qui est à prendre
en compte et non le latin classique. Cette idée que le latin vulgaire est à l’origine du
français sera développée dans la thèse de Bonamy un siècle plus tard, en 1750.
1 es = en + les.
2 L’oraison au 16e signifie « la phrase ».
3 Cf. Michèle Perret, Introduction à l’histoire de la langue française, exemples cités p. 25-26.

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Mais c’est à la fin du XVIIIe siècle et surtout au XIXe siècle que des progrès
décisifs vont être accomplis dans cette quête des origines. Même si des voyageurs,
à la fin de XVIe siècle, avaient déjà observé telle ou telle ressemblance entre les
langues de l’Inde et le grec, le latin, l’italien ou les langues germaniques, les études
systématiques ne commencent qu’à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle.
Contexte favorable en effet à cette époque : l’expansion coloniale et les activités
missionnaires. Cela a entraîné à Paris l’ouverture de cours de langues diverses
destinés aux missionnaires ou aux diplomates envoyés dans des pays lointains. On
crée même des enseignements de chinois, d’arabe (cf. Napoléon en Egypte) et
d’arménien (recherche d’alliance avec l’Arménie, Napoléon 1er ayant des vues sur la
Russie).
Ainsi au début du XIXe siècle, Paris était le seul lieu au monde où l’on pouvait
apprendre non seulement le latin, le grec et l’hébreu, mais aussi l’arabe, le persan, le
turc, l’arménien, le chinois et même le sanscrit grâce à un Anglais, Hamilton,
prisonnier de guerre « dispensé des rigueurs carcérales en échange d’explications
littéraires des textes sacrés de l’Inde »4

La découverte de l’indo-européen et les débuts de la grammaire comparée


Dès le XVIIIe siècle, quelques missionnaires ayant étudié le sanscrit, langue de
l’Inde datant du 1er millénaire avant notre ère, avaient remarqué des ressemblances
entre le sanscrit, le grec et certaines langues européennes.
Et les Anglais qui avaient colonisé l’Inde étaient bien placés pour l’étudier. C’est
donc un savant anglais, William Jones qui, en 1787, reconnaît l’existence d’une
famille de langue qui regroupe le sanscrit, le latin, le grec, les langues germaniques,
les langues celtiques et le persan :
« La langue sanscrite, quelle que soit son antiquité, est d’une structure
admirable, plus parfaite que le grec, plus riche que le latin et plus raffinée que
l’un et l’autre ; on lui reconnaît pourtant plus d’affinité avec ces deux langues,
dans les racines des verbes et dans les formes grammaticales, qu’on ne pourrait
l’attendre du hasard. Cette affinité est telle, en effet, qu’un philologue ne pourrait
examiner ces trois langues sans croire qu’elles sont sorties d’une source
commune, qui peut-être n’existe plus. Il y a une raison semblable [...] pour
supposer que le gothique et le celtique, bien qu’amalgamés avec un idiome très
différent, ont eu la même origine que le sanscrit ; et l’on pourrait ajouter le persan
à cette famille... »5

La source commune dont Jones fait ici l’hypothèse, c’est l’indo-européen qui en
effet n’existe plus mais qui a pu être reconstruit grâce aux recherches de la
grammaire comparée. C’est un Allemand, Franz Bopp, qui est considéré comme le
fondateur de la grammaire comparée. Il a fait ses études à Paris où il a suivi des
cours de sanscrit, de persan, notamment en plus des langues anciennes qu’il avait

4 G. Bergounioux, Aux origines de la linguistique française. Paris, Pocket, coll. « Agora », 1994, p. 16).
5 W. Jones, On the Hindus. Third discourse, 1788, cité par Michèle Perret, Introduction à l’histoire de
la langue française, p. 14.

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déjà étudiées préalablement, le latin, le grec et le gothique (état ancien des langues
germaniques, attesté par des transcriptions). Il pose les principes du comparatisme
dans un premier ouvrage publié en allemand en 1816 : Über das Conjugations
System der Sanskritssprachen (« Système de conjugaison du Sanscrit comparé avec
celui des langues grecque, latine, persane et germanique »), puis dans un deuxième
ouvrage publié à partir de 1833 Vergleichende Grammatik (« Grammaire
comparative »). Il met au point un type de démonstration fondé sur l’observation des
faits phonétiques : en comparant des formes attestées dans différentes langues, il
essaie de reconstruire la forme unique qui serait à l’origine des différentes formes. Il
raisonne sur des transcriptions phonétiques. Cela lui permet de poser des séries de
correspondances entre phonèmes de langues différentes. Par exemple, il observe
que le [v] germanique (w dans la graphie) correspond au [g] francais, ce qui permet
de rapprocher : wehr et guerre ; Wilhem et Guillaume ; wasp et guêpe ; wasten et
gâter, etc. La démonstration ne s’appuie pas sur une vague ressemblance des
formes mais sur le caractère systématique de la correspondance entre les phonèmes
[v] et [g]6.
Pour retrouver le plus grand nombre d’attestations permettant de rapprocher des
langues de même origine mais ayant abouti à des formes assez différentes, les
comparatistes, à partir de Bopp, entreprennent de rassembler les moindres
témoignages, les moindres attestations des langues anciennes, l’épigraphie
(archaïque ou tardive), les inscriptions funéraires ou votives, les graffiti (comme ceux
retrouvés à Pompéi), etc. Certains vont aussi recueillir des témoignages oraux
contemporains, ils réalisent des enquêtes linguistiques dans des villages isolés
auprès de paysans de régions reculées qui sont supposés garder l’état ancien d’une
langue, l’isolement étant considéré comme un facteur de conservatisme linguistique.
Entre différentes langues anciennes, on découvre un ensemble de
correspondances que seules des relations de parenté peuvent expliquer. Le travail
comparatif s’appuie sur la forme la plus ancienne de chacune des langues
considérées. Toutes ces langues doivent être des formes diverses prises au cours
du temps par une seule et même langue antérieure à l’histoire, langue hypothétique
à laquelle on donne le nom d’indo-européen. Aucun texte n’existe dans cette langue,
on ne sait pas exactement quand elle a été parlée (au plus tard au IIIe millénaire
avant notre ère, peut-être plus tôt), on ignore où exactement elle a été parlée (elle a
pu être parlée dans les plaines du nord ou plutôt du sud-est de l’Europe, – cela fait
encore débat). Mais la méthode comparative conduit à en affirmer l’existence et
permet d’en restituer la structure, au moins dans ses grandes lignes.
Les traits communs dégagés par les comparatistes font de l’indo-européen
ancien ou proto-indo-européen une langue où les noms se déclinaient, avaient deux
genres, l’animé (plus tard réparti en masculin et féminin) et l’inanimé (plus tard le
neutre), trois nombres, singulier, duel et pluriel. La morphologie verbale distinguait
deux voix, la voix active et la voix medio-passive, et trois modes principaux,
l’indicatif, le subjonctif et l’optatif, auxquels ont pu s’ajouter différentes formes

6 Voir d’autres exemples dans Michèle Perret, Op. cit. p. 14-15.

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d’impératif. Les formes reconstituées par les comparatistes sont précédées d’un
astérisque qui indique qu’elles ne sont pas attestées mais qu’elles sont le produit
d’une reconstitution. Les dictionnaires étymologiques indiquent parfois une racine
indoeuropéenne en amont de l’étymon latin qui est à l’origine de tel ou tel mot
français.
Les arborescences proposées pour regrouper la famille et les sous-familles des
langues indo-européennes font apparaître un regroupement d’un grand nombre de
langues, pour la plupart des langues d’Europe. Dans cette famille, la branche italique
est principalement représentée par le latin qui va connaître une grande expansion,
grâce aux conquêtes romaines qui ont constitué l’Empire romain dans le domaine
géographique que l’on appelle la Romania7.
La figure ci-dessous, empruntée à l’ouvrage de Christiane Marchello-Nizia, Le
français en diachronie : douze siècles d’évolution (p. 15), montre les différentes
branches de la famille des langues issues du proto-indo-européen :

Le français, langue romane


La famille des langues romanes regroupe l’ensemble des idiomes constitués à
partir de la langue latine. Elle comprend notamment, aux côtés du français, et pour
ne citer que les plus connues d’entre elles, le portugais, l’espagnol, l’occitan, le
catalan, le sarde, l’italien, et le roumain. Toutes ces langues possèdent en effet un
lien génétique qui tient à leur ancêtre commun, le latin.
Le tableau suivant, tiré de l’ouvrage de Michèle Perret, Introduction à l’histoire de
la langue française, (p. 20), présente des exemples de ressemblance existant entre
des mots de différentes langues romanes et leur étymon latin :

7 Terme apparu au Ve siècle chez Orose, il a d’abord un sens politique avant de désigner l’ensemble
des populations parlant la langue de Rome. Les linguistes adopteront ce terme pour désigner
l’ensemble des territoires de langue romane.

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Les liens de parenté apparaissent clairement à l’examen de ce tableau, ainsi que


certaines régularités dans les correspondances :
– le f- latin en position initiale s’est conservé dans la majorité des langues
romanes tandis qu’en espagnol, il est devenu h- (hacer, hija) ;
– le groupe consonantique initial latin sch- s’est maintenu sous la forme sc- en
italien et en roumain, tandis que dans les autres langues romanes, l’apparition d’une
voyelle prothétique à l’avant de ce groupe aboutit à esc- (en français, l’ancienne
graphie du mot école était escole) ;
– le groupe consonantique initial pl- latin a été conservé en français et en
roumain tandis qu’il a évolué, aboutissant à ll- en espagnol et à ch- en portugais.
La découverte de correspondances systématiques a ainsi permis de reconstituer
les étapes successives des évolutions depuis les formes (attestées ou supposées)
du latin parlé tardif jusqu’à leur aboutissement dans les différentes langues romanes.
Pour le français, nous verrons des exemples de ces évolutions dans la partie du
cours consacré à la phonétique historique.

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La préhistoire du français

L’installation des Gaulois est approximativement datée : vers 500 ans avant
notre ère. Mais le territoire qui correspond à la France était déjà peuplé auparavant.

1. Les populations néolithiques


Les fouilles archéologiques ont montré que, vers –10000, un peuple appelé
« magdalénien » était installé dans la vallée de la Vézère (en Dordogne), dans des
grottes dont la plus connue est celle de Lascaux ornée de peintures rupestres. On
suppose que des migrations se sont produites peut-être liées à des changements
climatiques. Toujours est-il qu’on constate l’existence, vers le IVe ou le IIIe millénaire
avant notre ère, d’une civilisation qui a construit des mégalithes, les dolmens et les
menhirs, d’abord en Bretagne, puis dans d’autres zones géographiques, jusqu’en
Espagne, en Angleterre et sur le pourtour de la Méditerranée. Mais nous ne savons
rien de la ou des langues parlées par ces peuples préhistoriques.

2. Les Ligures et les Ibères


Les premières populations que nous pouvons nommer grâce au témoignage des
historiens grecs ou romains sont les Ligures et les Ibères.
Les Ligures correspondent à une population qui a vécu dans le Sud-Est de la
France, dans la région sud des Alpes, actuelle côte d’Azur jusqu’à la côte génoise.
Dans la mesure où la langue des Ligures ne semble pas avoir eu d’écriture, les
seules sources qui mentionnent leur présence sont des auteurs grecs dont le
témoignage permet d’en identifier quelques traces linguistiques : quelques éléments,
essentiellement toponymiques, en provençal et en français. On peut citer le mot
calanque emprunté au provençal et le mot alpin avalanche ou les villes de Tarascon
et de Manosque. L’héritage de la langue des Ligures apparaît donc extrêmement
limité.
Les Ibères semblent être venus d’Espagne et avoir remonté jusqu’à la Loire vers
600 avant notre ère. Quelques inscriptions subsistent dans leur langue,
malheureusement non déchiffrée. Quelques rares mots ont pu être transmis au
français, dans le domaine agricole, comme le terme artigue, « champ défriché ».

3. Les colonies grecques


Des colonies grecques ont été fondées vers 600 avant notre ère par des marins
phocéens venus d’Asie Mineure pour faire du commerce sur la côte
méditerranéenne. Phocée, Foça dans l’actuelle Turquie, était une ville maritime
d’Ionie (région située à l’Ouest de l’Asie Mineure), fondée par des Grecs entre le Xe
et le VIIIe siècle avant notre ère. Ces Phocéens, établis sur la côte méditerranéenne,
notamment du côté de Marseille et de la Côte d’Azur, ont laissé des toponymes
comme Marseille (de Massilia), Monaco (ainsi nommé parce qu’Heracles Monoikos
« Hercule le Solitaire » avait là un temple qui lui était dédié), Nice (de Théa Nikaia,
« la déesse de la victoire »), Leucate (de leukas, « la blanche », etc.
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Quelques noms communs sont entrés dans la langue provençale et certains sont
passés au français, comme dôme (« maison » en grec), enter (« greffer ») ou trèfle.

4. Les Gaulois
L’invasion celte est supposée s’être produite vers – 500 pour la vague la plus
importante. Les populations celtes sont venues d’une aire géographique
correspondant à la Bohême et à la Bavière et se sont répandues vers l’Europe de
l’ouest. Certains s’installent sur ce qui deviendra le territoire de la France (on les
appelle les Gaulois), d’autres repartent vers le nord de l’Italie, vers le nord de la
péninsule ibérique (Celtibères), d’autres encore vers l’Angleterre (Bretons).
Au moment de la conquête de la Gaule par les armées romaines, elle était
divisée en trois parties selon le témoignage de César : « La Gaule entière se divise
en trois parties, l’une habitée par les Belges, une autre par les Aquitains, la troisième
par les peuples nommés Celtes dans leur langue et Gaulois dans la nôtre »8. La
langue gauloise qui connaissait différents dialectes a pu subsister jusqu’au IVe siècle,
voire un peu au delà dans les zones montagneuses mais elle a disparu, supplantée
par le latin, la langue des colonisateurs romains.

Les origines du lexique français

La principale source de la langue française est le latin, répandu en Gaule à partir


de la conquête romaine : 86,5 % du lexique français serait d’origine latine 9 en
comptant à la fois les mots de formation populaire – c’est-à dire résultant d’une
évolution phonétique continue depuis le latin parlé tardif jusqu’au français, par ex. le
mot cheval (< caballum désignant en latin un vieux cheval) – et les mots de formation
dite savante – c’est-à-dire calqués sur le latin et empruntés à l’époque du Moyen
Français et au XVIe siècle pour la plupart, voire plus tard, jusqu’à l’époque
contemporaine, par ex l’adjectif équestre (attesté en 1355) qui est un calque de
l’adjectif latin equester, equestris ou le nom équitation (attesté en 1503) qui est un
emprunt savant au latin impérial equitatio.
Pour le reste du lexique, il y aurait 1,35 % d’origine francique (suite aux invasions
franques), 0,12 % d’origine scandinave (invasions normandes), 0,08 % d’origine
celtique (substrat gaulois) et les 12 % restants proviendraient d’emprunts à des
langues diverses.

1. Le lexique d’origine latine


– De formation dite populaire c’est-à-dire résultant de l’évolution phonétique
régulière du latin parlé à l’époque impériale au français :
ex. insula > AF isle > île fragilis > frêle
hospitalem > AF ostel > hôtel captivum > chétif

8 Commentaires de César sur la Guerre des Gaules, I,I.


9 Selon Dieter Messner, Essai de lexicochronologie française. Salzburg, 1975.

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– De formation dite savante :


ex. insulaire, insularité fragile, fragilité
hôpital, hospitalier captif, captivité
Le mot hôpital (autrefois écrit hospital) est un emprunt savant au mot latin
hospitalem ; on dit qu’il est le doublet savant du mot hôtel qui, lui, est de formation
populaire.
Pour différentes raisons, il s’est avéré nécessaire de former de nouveaux mots
qu’on a calqués sur le modèle latin :
• Changement de sens des mots de formation populaire :
Par exemple, le mot captivum en latin signifie « prisonnier » mais son résultat
phonétique en AF, le mot de formation populaire chaitif signifie « une personne de
faible constitution » ; alors, au XVe siècle, captif apparaît, formé sur le modèle de
l’étymon latin pour assumer le sens originel de « prisonnier ».
• Manque de mots existant en français pour traduire les auteurs latins ou des
ouvrages didactiques écrits en latin :
Les traducteurs ont ainsi introduit beaucoup de néologismes à l’époque du
Moyen Français (cf. cours sur le Moyen Français).
Environ 40% du vocabulaire français courant résulte ainsi de formations
savantes : élection, limitation, réflexion, déduction, spéculation, digestion, causalité,
évidence, existence, certitude, aptitude, etc.

Le lexique hérité du substrat gaulois


Substrat (définition) : langue préexistante dans un pays lorsqu’une autre langue,
en général celle d’un peuple conquérant, s’y impose. C’est le cas des dialectes
gaulois qui ont été supplantés par le latin, langue des conquérants romains à la suite
de la conquête de la Gaule par les armées de Jules César (milieu du premier siècle
avant notre ère). Le gaulois a peu à peu disparu mais a laissé au français un certain
nombre de termes, notamment dans le domaine de la vie rurale et dans la
toponymie.
L’héritage du substrat gaulois est assez limité : environ une centaine de mots,
surtout dans le domaine rural, référant :
• aux travaux des champs (sillon, soc, charrue ; glaner, javelle ; ruche...)
• à des éléments du paysage (chemin, dune, lande, talus...)
• à des végétaux (bouleau, chêne, if, sapin, bruyère) et à des animaux
(mouton, alouette, lotte, saumon) ;
• à des unités anciennes de distance (lieue), de superficie (arpent) et de
mesure (boisseau) ;
• à d’autres réalités gauloises (braies, cervoise).
On peut aussi relever des traces du gaulois dans la toponymie (noms de lieux) :
• noms finissant en -ac dans le sud de la France (par ex. Savignac) ;
• noms finissant en -y dans le nord (par ex. Savigny) ;

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16D112 Diachronie : phonétique historique du français (F.LESAGE)

• suffixes -dunum signifiant « colline » dans les noms latins des villes Lugdunum
(Lyon) et Augustodunum (Autun) ; -magus signifiant « marché » dans Rotomagus
(Rouen) ; -lan signifiant « plaine » dans Mediolanum (Meulan).
Enfin, nous pouvons considérer comme un héritage gaulois la numérotation par
vingt qui se retrouve dans d’autres langues celtiques. En français classique, on
employait encore trois-vingt pour « soixante » et six-vingt pour « cent-vingt ».
L’hôpital ophtalmologique des Quinze-vingt à Paris fut fondé par Saint-Louis et ainsi
appelé car il était destiné à recevoir 300 aveugles. En français moderne, nous disons
encore quatre-vingt et quatre-vingt-dix alors que les Belges emploient les nombres
d’origine latine, octante et nonante.

Le lexique hérité du superstrat francique


Superstrat (définition) : langue apportée par le peuple conquérant mais qui ne
parvient pas à s’imposer au peuple conquis dans son ensemble. C’est le cas du
francique, langue des Francs qui conquièrent le nord de la Gaule romane au Ve
siècle : ceux-ci ont continué à parler leur langue jusqu’au Xe siècle mais dans un
cercle restreint qui était celui de la cour et des dirigeants civils et militaires. Le
francique a finalement disparu, laissant un certain nombre de termes qui ont été
latinisés et dont le français a hérité, notamment dans les domaines des institutions,
de la guerre et de la chasse.
L’héritage du superstrat francique comprend plus de 400 mots provenant de la
langue des Francs désignant :
• des végétaux, arbres et animaux (blé, gerbe, jardin, haie, aulne, houx,
cresson, bois, forêt, troène, hêtre, aulne, frêne, tilleul, saule, roseau, troupeau,
épervier, mésange, hanneton)
• des couleurs (blanc, bleu, gris, blond, brun)
• des parties du corps et des vêtements (échine, flanc, téton, écharpe, poche,
gant, froc, feutre)
• d’autres realia (banc, fauteuil, soupe)
• l’équipement équestre (éperon, étrier)
• des armes de chasse et de guerre (flèche, épieu, brand (=“épée”), hache) ;
l’équipement du guerrier (heaume, haubert)
• du vocabulaire lié à la guerre (guerre, guet, trêve, bande, gagner)
• des institutions et des titres (fief, féodal, marquis, baron, maréchal, sénéchal,
chambellan, échanson)
• des qualités ou sentiments souvent liés à la chevalerie (gai, hardi, orgueil,
félon, honte, laid, honnir, haïr, garder)

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16D112 Diachronie : phonétique historique du français (F.LESAGE)

Le lexique hérité de l’adstrat scandinave

Adstrat (définition) : langue qui coexiste pendant une certaine période avec la
langue préexistante sans pour autant la remplacer. C’est le cas du vieux norois,
langue des Vikings qui se sont établis en Normandie aux IXe–Xe siècles : cet adstrat
scandinave a laissé au français quelques termes en rapport avec le domaine
maritime et des traces dans la toponymie normande.
L’héritage de cet adstrat norois consécutif à l’invasion des Vikings entre le IXe et
le Xe siècle est assez limité, il est resté :
• Des termes maritimes :
Hauban, hune, agrès, carlingue, étrave, quille, cingler, garer, crique, varech,
vague
• Des noms de poissons ou crustacés :
Marsoin, homard, turbot, crabe
• Des suffixes dans les toponymes : -tot (< toft = « ferme, village ») dans Yvetot ;
-bec (= « ruisseau ») dans Bolbec, Caudebec ; -fleur (= « baie ») dans Honfleur,
Harfleur.

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Périodisation de l’histoire du français

1. Proto-français
Le proto-français naît progressivement en se dégageant du latin parlé tardif dans
l’ancienne Gaule romaine ; la langue évolue après la chute de l’Empire Romain et
subit diverses influences : influence locale des langues préexistantes comme le
gaulois et influences extérieures des langues parlées par les populations qui
envahissent la Gaule romane après la chute de l’Empire romain.
Le texte qui est considéré comme le premier témoignage écrit du français – en
fait du proto-français – est un document que l’on appelle les Serments de
Strasbourg, daté de 842. Il s’agit d’un acte diplomatique, entre descendants de
Charlemagne, en langue romane et en langue germanique.

2. Français médiéval
Cette période s’étend sur quatre siècles et correspond globalement à la période
que les historiens appellent le Moyen Âge. Pour l’histoire de la langue, elle se
subdivise en deux périodes :
2.1. L’ancien français (AF), du IXe au XIIIe siècle
L’AF désigne l’ensemble des dialectes parlés et écrits au nord de la Loire entre
le IXe et le XIIIe siècle : picard, champenois, morvandiau, bourguignon, berrichon,
saintongeais, angevin, poitevin, wallon, lorrain, normand, anglo-normand, dialecte de
l’Ile-de-France...10
L’AF est, en phonétique, l’époque des nasalisations des voyelles suivies par une
consonne nasale ; la morphologie nominale se caractérise par une déclinaison à
deux cas, cas sujet et cas régime, seuls restes de la déclinaison latine ; les formes
de démonstratifs se répartissent en deux séries marquées par une opposition
sémantique (proximité vs éloignement) et non catégorielle (déterminants vs
pronoms) ; l’ordre des mots, grâce au marquage casuel apparaît encore assez libre
même s’il correspond en fait à des configurations assez précises11...
Par les manuscrits, nous n’avons accès qu’à la langue écrite et pas au dialecte
parlé dans telle ou telle région. On sait seulement que les différences entre les
dialectes étaient assez tranchées au point que la communication entre locuteurs de
provinces différentes était parfois difficile. Par contre, la langue écrite, plus ou moins
marquée de traits dialectaux restait lisible dans tout le domaine d’oïl.

10 Voir la carte reproduite page suivante.


11 Voir Christiane Marchello-Nizia, Le français en diachronie, p. 40-41.

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16D112 Diachronie : phonétique historique du français (F.LESAGE)

Il existait donc une scripta, langue commune écrite que l’on appelle le français
central, parfois identifiée au francien (langue écrite dans la région de Paris). Cette
scripta commune s’est développée grâce à la circulation des textes écrits en langue
romane : vies de Saints à partir du IXe siècle, chansons de gestes aux XIe et XIIe
siècles, roman d’abord en vers à partir de la seconde moitié du XIIe siècle, puis en
prose à partir du second tiers du XIIIe siècle. Quant aux écrits à caractère didactique,
ils restaient rédigés en latin.
Le développement de la littérature en langue romane entraîne la fixation
progressive d’une langue commune qui peut être comprise par tous dans toutes les
régions.
A cela s’ajoute, à la fin du Moyen Âge, l’accroissement du pouvoir royal et la
centralisation de l’appareil judiciaire – deux facteurs qui favorisent aussi l’expansion
de ce français central dans l’écriture, au détriment des différents dialectes.

Liste des plus anciens textes en AF :


• La cantilène de sainte Eulalie : fin IXe
• Sermon sur Jonas : 2e quart du Xe (probablement entre 938 et 950)
• La Passion de Clermont : fin du Xe
• La vie de Saint Alexis : milieu du XIe
• Les lois de Guillaume le Conquérant : fin du XIe
• La Chanson de Roland : 1080 qui est considéré comme le premier monument
de la littérature française

2.2. Le moyen français (MF), langue des XIVe et XVe siècles


A cette époque, on traduit en français beaucoup d’auteurs latins, des historiens
comme Tite-Live et des auteurs didactiques traitant d’agriculture, de médecine, de

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16D112 Diachronie : phonétique historique du français (F.LESAGE)

philosophie. Cette entreprise de traduction, faite à l’initiative des rois comme Jean le
Bon ou Charles V (fondateur de la Bibliothèque nationale) ou commanditée par de
grands seigneurs, n’a pas été sans conséquence sur le français : de nombreux mots
nouveaux ont été introduits dans la langue à cette époque pour les nécessités de la
traduction : souvent calqués sur le latin, ils appartiennent à la catégorie du lexique
que l’on appelle les « mots savants » et ils ont contribué à enrichir le vocabulaire
français.
Voir les nombreux exemples cités par Christiane Marchello-Nizia dans Le
français en diachronie, p. 132-133.
Pierre Bersuire traduit dans les années 1354-56 une partie des œuvres de
l’historien latin Tite-Live et, en tête de sa traductions des Histoires, il présente un
lexique de 70 mots nouveaux, en général calqués sur le mot latin, par exemple :
augur, cirque, comice, colonie, magistrat, inaugurer, transfuges, plébiscite,
inauguration...
Une autre traducteur, Nicole Oresme traduit plusieurs œuvres latines ainsi que
des œuvres du philosophe grec Aristote, à partir de leur version latine : La Politique,
Les Economiques, L’Ethique à Nicomaque. Pour mener à bien cette entreprise de
traduction, il fait environ trois cents emprunts direct au latin, par exemple :
abnégation, abus, abstraction, anarchie, aristocratie, arctique, atténuer, austral...
définir, démocratie, détermination...
« Grâce à cette intense activité néologique, environ 40% du vocabulaire
actuel datent des 14e et 15e siècles, dont une très grande partie du vocabulaire
abstrait et savant : nombreux composés en -ion, -tion, -ité, -ence : causalité,
déduction, évidence, existence, réflexion... »12

N.B. Retenir cette distinction déjà évoquée entre les mots de formation dite
« populaire » de ces mots de formation dite « savante ».
Les mots de formation populaire sont le résultat de l’évolution phonétique
normale et continue depuis le latin parlé tardif jusqu’au français alors que les
mots de formation dite « savante » sont empruntés au latin et leur forme est
calquée sur celle du latin.
Exemples :
Le mot latin insula connaît une évolution phonétique qui aboutit à l’AF isle
(FM île), nom de formation populaire. En revanche, l’adjectif insulaire est de
formation savante, on reconnaît bien l’adjectif latin insularis.
Le mot latin lacrima aboutit phonétiquement à l’AF lairme (FM larme), nom
de formation populaire, tout comme l’espagnol lagrima qui est resté assez
proche du latin.
Quant à l’adjectif lacrimal, il est visiblement de formation savante.
Dans la seconde moitié du XVe siècle, l’apparition de l’imprimerie (qui se
développe en France en 1460-70) favorise la diffusion de l’écrit.

12 Christiane Marchello-Nizia, Le français en diachronie, p. 133.

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16D112 Diachronie : phonétique historique du français (F.LESAGE)

Par rapport à l’AF, la langue a évolué : en phonétique, certaines consonnes


finales ne se prononcent plus, les hiatus sont réduits au XIVe siècle par effacement
de la première voyelle en hiatus (ex. eage > aage (FM âge) ; veoir > voir) ; en
morphologie, les déclinaisons nominales ont disparu, de nombreux paradigmes
verbaux qui comportaient deux bases sont homogénéisés en étant alignés sur une
seule base ; en syntaxe, l’ordre des mots se structure en Sujet - Verbe - Objet (ordre
dit canonique SVO)...

3. Le français de la Renaissance ou langue française du XVIe siècle


A cette époque, le lexique continue à s’enrichir, par emprunts non seulement au
latin, mais aussi à l’italien et, dans une moindre mesure, à l’espagnol, aux différents
dialectes et aux langues régionales.
L’activité néologique s’intensifie avec la dérivation dite impropre ou conversion
qui est un changement de catégorie grammaticale, une recatégorisation du terme
sans changement de forme (par ex. infinitif et adjectifs substantivés) et la
composition savante aussi appelée interfixation qui recourt à des éléments grecs ou
latins et les associe.
Le XVIe siècle est surtout une période de réflexion sur la langue. Les titres des
ouvrages comme celui de Joachim Du Bellay, Défense et Illustration de la Langue
Française (1549), ou celui de Pierre de Ronsard, Art Poétique Français (1565)
reflètent cette préoccupation. Beaucoup de grammaires sont éditées, certaines
rédigées en latin, d’autres en français comme celles de Louis Meigret en 1550, celle
de Robert et Henri Estienne en 1569 et celle de Ramus en 1572. On commence à se
préoccuper de l’orthographe, différents systèmes sont proposés comme celui de
Meigret qui a pour objectif de transcrire la prononciation mais dont la complexité
empêchera qu’il soit suivi.
Le XVIe siècle est aussi le siècle où paraissent un grand nombre de dictionnaires
bilingues, à commencer par le Dictionnaire François latin (1539) de Robert Estienne,
régulièrement réédité et augmenté au cours du siècle. On publie aussi des
dictionnaires plurilingues comme celui de l’Italien Calepino.
En 1539, l’édit de Villers-Cotterêts, promulgué par François 1er renforcera
l’institutionnalisation de la langue française en imposant son usage exclusif pour les
arrêts de justice et les actes notariés qui étaient précédemment rédigés en latin. Cet
affermissement de la position du français se fera, semble-t-il, aux dépens des
langues régionales13.

4. Le français classique14
Cette longue période s’étale sur les XVIIe siècles et XVIIIe siècles, allant, pour
certains auteurs, jusqu’à la parution de l’Encyclopédie de Diderot (1777)15 , pour
d’autres, jusqu’à la Révolution française, voire au delà.

13 Voir R. Anthony LODGE, Le français. Histoire d'un dialecte devenu langue, p. 173.
14 Depuis les années 1990, certains linguistes proposent de regrouper la langue du XVIe siècle et celle
de la première moitié du XVIIe sous l’étiquette de « Français préclassique ». C’est ainsi que la revue,
intitulée Le français préclassique regroupe des études sur la période 1501-1650.

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16D112 Diachronie : phonétique historique du français (F.LESAGE)

Au début du XVIIe siècle, en 1606, paraît le premier dictionnaire consacré


uniquement à la langue française et rédigé entièrement en français (et non plus en
latin) : le Thresor de la langue française tant ancienne que moderne de Jean Nicot.
C’est une période de normalisation, de fixation des règles de grammaire.
Richelieu crée en 1635 l’Académie Française, l’article 24 de ses statuts lui assigne la
mission suivante :
« La principale fonction de l’Académie sera de travailler avec tout le soin et la
diligence possible à donner des règles certaines à notre langue, et à la rendre
pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ».16
Sont ici visées l’établissement d’une norme grammaticale et aussi la capacité du
français à s’imposer dans les domaines précédemment réservés au latin. Le tournant
se situe à cette période où, par exemple, le philosophe Descartes, qui a d’abord
publié ses premiers ouvrages en latin, fait paraître en français en 1637 Le discours
de la Méthode.
Quant à la mission de « la rendre pure », elle est explicitée dans le discours
préalable de Faret, l’un des membres de cette Académie Française :
« nettoyer la langue des ordures qu’elle avoit contractée, ou dans la bouche
du peuple, ou dans la foule du Palais et dans les impuretés de la chicane, ou par
les mauvais usages des courtisans ignorants, ou par l’abus de ceux qui la
corrompent en l’écrivant, et de ceux qui disent bien dans les chaires, mais
autrement qu’il ne faut »17

Au cours de cette période, l’expansion du français se poursuit en imposant le


français face au latin mais aussi au détriment des langues régionales. Juste après la
Révolution française, l’abbé Grégoire est chargé de mener une enquête sur l’état
linguistique de la France. Cette enquête réalisée entre 1790 et 1793 est un constat
de la diversité linguistique mais conclut à la nécessité d’éradiquer les « patois » afin
d’unifier la langue de la nation issue de la Révolution française.

5. Le français moderne et contemporain


Dernière période de l’histoire du français, le français dit « moderne » comprend
les XIXe et XXe siècles et s’étend jusqu’à nos jours pour ce qu’on appelle « le
français contemporain ». Même si le français du XIXe siècle est parfaitement
compréhensible pour un locuteur contemporain, il est clair que la langue a évolué
tout au long de cette période, ce que nous préciserons dans le dernier chapitre du
cours.

15 Voir Christiane MARCHELLO-NIZIA et Jacqueline PICOCHE, Histoire de la langue française, p. 348.


16 Cité par C. Marchello-Nizia, Le français en diachronie : douze siècles d’évolution, p. 30.
17 Cité par C. Marchello-Nizia, Le français en diachronie : douze siècles d’évolution, p. 30-31.

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16D112 Diachronie : phonétique historique du français (F.LESAGE)

Glossaire

Vous trouverez ici un glossaire des principaux termes linguistiques utilisés dans
ce cours.

Adstrat : langue qui coexiste pendant une certaine période avec la langue
préexistante sans pour autant la remplacer. C’est le cas du vieux norois, langue des
Vikings qui se sont établis en Normandie aux IXe–Xe siècles : cet adstrat scandinave
a laissé au français quelques termes en rapport avec le domaine maritime et dans la
toponymie normande.

Diachronie : Linguistique historique qui étudie l’évolution de la langue à travers


le temps aux différents niveaux de l’analyse linguistique, phonétique, morphologie,
syntaxe et lexique. S’oppose à synchronie (voir plus loin).

Doublet : Deux mots français remontant au même ancêtre latin, l'un de formation
populaire, l'autre de formation savante (ex. à partir du latin captivum : formation
populaire : chétif qui est le résultat de l’évolution phonétique continue depuis le latin
jusqu’au français ; formation savante : captif directement emprunté au latin. Chétif
est un mot hérité, captif est un emprunt, un latinisme.)

Emprunt : Mot issu d'une autre langue venant enrichir le lexique de la langue qui
intègre l’emprunt.

Étymon : Forme attestée ou restituée d’un mot de la langue mère qui est à
l'origine d'un mot de la langue fille : insulam est l’étymon de île.

Étymologie : Étude des relations des mots avec les étymons dont ils
proviennent.

Gallo-roman : ancêtre du français et de l’occitan.

Ibéro-roman : ancêtre de l’espagnol, du portugais et du catalan.

Latin : langue indo-européenne, de la branche italique, d'où sont issues les


langues romanes.

Langues romanes : langues issues du latin (italien, rhéto-roman, sarde, occitan,


catalan, français, espagnol, portugais, roumain).

Langues indo-européennes (vivantes) : langues celtiques (gallois, breton,


irlandais), langues germaniques (allemand, anglais, flamand), langues scandinaves

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16D112 Diachronie : phonétique historique du français (F.LESAGE)

(danois, norvégien, suédois, islandais), langues baltes (letton, lithuanien)18, langues


slaves (polonais, russe, tchèque, bulgare, serbo-croate, ukrainien), langues indo-
iraniennes (langues indiennes19, iranien, arménien), langue grecque moderne issue
du grec ancien, langues romanes issues du latin (voir ci-dessus).

Mot hérité ou héréditaire : Mot du fond ancien de la langue (pour le français :


latin, gaulois, francique) et qui a subi l'évolution phonétique.

Substrat : langue préexistante dans un pays lorsqu’une autre langue, en général


celle d’un peuple conquérant, s’y impose. C’est le cas des dialectes gaulois qui ont
été supplantés par le latin, langue des conquérants romains à la suite de la conquête
de la Gaule par les armées de Jules César (milieu du premier siècle avant notre ère).
Le gaulois a peu à peu disparu mais a laissé au français un certain nombre de
termes, notamment dans le domaine de la vie rurale et dans la toponymie.

Superstrat : langue apportée par le peuple conquérant mais qui ne parvient pas
à s’imposer au peuple conquis dans son ensemble. C’est le cas du francique, langue
des Francs qui conquièrent le nord de la Gaule romane au Ve siècle : ceux-ci ont
continué à parler leur langue jusqu’au Xe siècle mais dans un cercle restreint qui était
celui de la cour et des dirigeants civils et militaires. Le francique a finalement disparu,
laissant un certain nombre de termes qui ont été latinisés et dont le français a hérité,
notamment dans les domaines des institutions, de la guerre et de la chasse.

Synchronie : Linguistique qui étudie la langue à une époque donnée de son


histoire sans relier son système à ce qui a précédé ou suivi l’état de langue
considéré (s’oppose à diachronie).

18 Voirhttp://www.axl.cefan.ulaval.ca/monde/langues_baltes.htm
19 Les langues indiennes sont assez nombreuses, les principales sont l’hindi, le bengali, le marathi,
l’ourdou, le pendjabi, l’assamais, le singhalais et le népali, voir la liste complète sur la page Web
suivante : http://www.axl.cefan.ulaval.ca/monde/langues_indo-iran.htm

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