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LES AMBIANCES ET LEUR TRAITEMENT DANS LES GROUPES EN

INSTITUTION

Christophe Bittolo

ERES | « Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe »

2008/1 n° 50 | pages 47 à 55
ISSN 0297-1194
ISBN 9782749208992
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-de-psychotherapie-psychanalytique-de-
groupe-2008-1-page-47.htm
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Revue de psychothérapie
psychanalytique de groupe
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LES AMBIANCES ET LEUR TRAITEMENT


DANS LES GROUPES EN INSTITUTION

CHRISTOPHE BITTOLO

Les groupes de parole, quel que soit le contexte institutionnel dans


lequel ils prennent place, témoignent, à certains moments non seule-
ment de ce que peuvent vivre ceux qui y participent, mais aussi des
dimensions les plus institutionnelles et collectives des individus réunis.
La tâche du groupe, ce pour quoi les personnes sont réunies, se trouve
alors affectée, troublée et parfois envahie par une « teinte » ou une
« coloration » particulière qui va toucher autant le fonctionnement
psychique individuel que ce qui apparaît au travers de la dynamique de
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groupe et relève du fonctionnement psychique groupal.
Ces dimensions collectives, qui se manifestent par des phéno-
mènes d’ambiance, interrogent différents niveaux d’articulation de la
vie psychique : s’ils se manifestent préférentiellement à l’intérieur de
certains dispositifs groupaux, ils n’en demeurent pas moins le témoin
d’un état global de l’institution dans son ensemble, lui-même entrant
en résonance à l’intérieur de chacun.
C’est dans le cadre d’une pratique des groupes de parole en milieu
psychiatrique intra-hospitalier qu’est né un questionnement initial sur
les ambiances : leur poids et leurs effets m’ont amené à en chercher les
ressorts et en étudier les logiques de construction et d’évolution. L’in-
tensité des éprouvés corporels que les patients pouvaient faire vivre
aux soignants et le poids d’une sensorialité groupale rejoignaient la
façon dont, dans l’ensemble de la structure, quelque chose de diffus
pouvait circuler et imprégner le travail de chacun quelles que soient sa
place et sa fonction.

Christophe Bittolo, 78120 Rambouillet ; psychologue clinicien, analyse de groupe (association


Transition), docteur en psychologie, chargé d’enseignement à l’université Paris-Descartes.
christophe.bittolo@neuf.fr
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Nous rappellerons rapidement dans cette présentation que les


ambiances de groupe témoignent de l’état sensori-affectif de l’institu-
tion dans son ensemble. Mais nous soulignerons plus particulièrement
qu’elles peuvent aussi témoigner de l’état de l’institution interne d’un
individu en groupe. C’est ce qu’une vignette introduira avant d’envi-
sager les différentes propositions qui nous permettent de comprendre
en quoi ces manifestations relèvent de mouvements transférentiels, et
lesquels.
En quoi une ambiance est-elle porteuse de certaines formes de
souffrance psychique ? Comment traverse-t-elle l’activité psychique
du clinicien ? Qu’est-ce que celui-ci peut en faire et par quelles voies
cette souffrance peut-elle être transformée ? Voilà quelques-unes des
questions qui seront abordées ici.

UNE CONFIGURATION GROUPALE DE LA MÉLANCOLIE

Afin d’introduire les différentes propositions qui répondent très


partiellement à ces questions, je vous propose une très courte vignette
clinique que je ne commenterai qu’un peu plus tard, laissant « reposer
le tout », à l’image du repos de la pâte à crêpes, ou « infuser », pour
ceux qui préféreraient la saveur du thé.
Il s’agit de la séquence d’une psychothérapie de groupe pratiquée
dans un CMP adulte 1. Le groupe se compose à ce moment-là de quatre
patients réunis chaque semaine depuis quelques mois ; le noyau du
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groupe s’est constitué initialement sur un choix de personnes ayant une
demande de psychothérapie mais associant peu, plusieurs présentant
par ailleurs des troubles psychosomatiques.
La séance est marquée ce jour-là par le profond malaise d’une des participantes.
Celle-ci, nous l’appellerons Évelyne, est en dépression depuis plusieurs années,
et nous fait régulièrement part dans les séances de son impuissance à vivre, son
impossibilité à travailler, ses difficultés à être la mère qu’elle aurait souhaitée
pour ses enfants placés en famille d’accueil…
Le travail thérapeutique avait déjà fait apparaître, notamment dans le transfert,
une violence et une haine intenses, mal contenues et prenant une forme reven-
dicative par moments, plus adressées à une figure imagoïque qu’une image indi-
viduée et différenciée.
La séance, ce jour-là, commence d’emblée sur le profond malaise qu’elle
éprouve : certaines circonstances angoissantes pour elle sont noyées dans une
sorte de bilan exécrable de l’année dans lequel elle s’enlise. La vision qu’il a de
son avenir est noire et désespérée, redoutant tout ce qui se profile pour elle et
plus particulièrement sa solitude.

1. Une communication expose en détail le contexte de la psychiatrie contemporaine ainsi que


les présupposés théoriques et méthodologiques du dispositif (C. Bittolo, 2008).
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Elle entraîne assez rapidement le groupe dans une plainte d’allure mélancolique
teintée d’hostilité manifeste et d’une culpabilité quelque peu empruntée. L’atmo-
sphère est lourde et tendue. Personne n’ose prendre la parole ou lui répondre mal-
gré mes sollicitations. Sa plainte envahissante ne suscite aucune évocation per-
sonnelle, ni aucune association. Seule une personne, réputée dans le groupe pour
son courage, ose apporter sa sollicitude mais elle est rapidement attaquée et
contredite par celle-là même qu’elle voulait aider. Une autre personne propose à
Évelyne de se débarrasser de ces problèmes au plus vite et de façon expéditive…
Son isolement dans l’hic et nunc de la situation, ainsi que les attaques de la pen-
sée et des liens dans le groupe qui se manifestent alors, m’amènent à faire part
au groupe de mon impression qu’elle s’isole pour ne pas faire subir aux autres
ce qu’elle vit, ayant par ailleurs en tête des questions de contagion de la mala-
die qui avaient été abordées dans les séances précédentes et dont plusieurs per-
sonnes avaient eu à souffrir directement et indirectement.
La séance se termine de façon un peu plus vivante et mobile mais je reste avec
le sentiment d’avoir été exclue et l’impression que le groupe, dans ses fonctions
de pensée associative et de liens, a été mis en échec par une centration sur une
seule personne, comme si le reste du groupe et moi-même, dans cette monopo-
lisation de l’expression, avions été tenus tout à la fois sous emprise et à l’écart.
Cette situation « atmosphérique » se répétera plusieurs fois pour disparaître
totalement alors que l’état d’humeur de cette personne s’améliorera nettement,
amélioration soutenue notamment par plusieurs interventions de ma part rela-
tives à sa relation aux autres dans le groupe, attaqués ou violemment envahis
pour leur prise de distance réelle ou supposée.
Mais cette situation atmosphérique correspond en outre à une configuration
groupale rencontrée à plusieurs reprises avec des patients présentant des
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troubles dépressifs graves, configuration qui pourrait se formuler de la façon
suivante : un parent dépressif, mélancolique ou absent psychiquement focalise
vers lui toute l’attention du groupe familial, aspirant comme un puits sans fond
tous les investissements convergeant vers lui alors qu’il s’attaque en retour à
toute forme de vivant. Je crois que pour Évelyne, c’est cette configuration grou-
pale qui est à l’œuvre dans cette séquence, celle-ci ayant eu à souffrir d’une
mère mélancolique, emblème obscur d’une honte familiale, apparaissant
comme omniprésente tout en attaquant toute forme de croissance et d’évolution
de ses enfants par une emprise mortifère, condition de sa survie sans avenir.
Que penser dès lors de l’ambiance de cette séquence et son articulation aux
mouvements transférentiels ?

AMBIANCE, AMBIANCES…

Avant d’envisager les hypothèses qui nous permettent de mieux


saisir cette séquence clinique, je vous propose de préciser un peu plus
ce que recouvre sur le plan clinique la réalité mobile et fugace des phé-
nomènes d’ambiance.
On peut considérer qu’il y a de l’ambiance partout : dans les lieux
architecturaux remarquables autant que dans les lieux les plus banals
et usuels de notre quotidien. L’ambiance nous situe en effet au cœur du
caractère charnel et situé de l’expérience sensible : « Pas de lieu sans
corps, ni de corps sans lieu », soulignent les architectes, dont certains
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ont fait des ambiances architecturales et urbaines un objet d’étude et de


recherche très actuel 2.
Il n’y a pas en effet d’espace habité ou construit sans son ambiance
propre, ni de regroupement humain sans un climat singulier, même si
le définir verbalement relève d’un exercice délicat, notamment lorsque
l’ambiance sort de ces formes les plus caractéristiques.
J’ai tenté dans une recherche initiale 3 d’en identifier un certain
nombre, d’en préciser les composantes et leurs effets sur la vie psy-
chique, notamment pour les ambiances dont les formes étaient les plus
remarquables : les ambiances tendues ou électriques, conviviales, dis-
tendues, délétères, paranoïdes et lourdes sont caractéristiques de cer-
tains états groupaux mais il existe en fait d’infinies variations toujours
à la limite du perceptible.
L’ambiance est une sensation d’ensemble, bien plus qu’un
ensemble de sensations, éprouvées « in situ » propre au moment et au
lieu dans lequel on se trouve. Elle est omniprésente, indivisible, évo-
lutive, se communique de façon directe, immédiate et diffuse et pré-
sente la triple caractéristique d’être à la fois :
– « SSF » sans sujet fixe, « hors sujet », volatile et « en quête de conte-
nance » ;
– sans forme déterminée : ni de forme perceptive, ni de forme soma-
tique, ni de forme psychologique ou émotionnelle ;
– dans un état indistinct, n’appartenant ni au domaine de l’animé, ni à
celui de l’inanimé, et participant de ce fait à une « météo » sensori-
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affective des espaces habités.
Cette sensation d’ensemble va définir un rapport particulier à l’es-
pace environnant et au temps, c’est-à-dire une façon singulière d’habi-
ter son propre corps et de laisser l’espace du lieu et du groupe nous
habiter.
Cette articulation étroite et peu différenciée entre l’environnement,
l’espace psychique et le corps nous situe à l’aube du « mantèlement »
(G. Haag 4), c’est-à-dire là où le rapport à l’espace selon chaque moda-
lité sensorielle trouve un certain degré d’unité et de cohésion en
chacun.
L’ambiance traduit ainsi des états d’accordage psychique et corpo-
rel divers : de bien-être, de syntonie, de congruence, de tension, d’ex-
citation, de contraction, mais aussi de distension, de discontinuité,
d’incongruité, de dispersion, d’oppression, d’insécurité.
On peut ajouter des états dans lesquels des impressions diverses,
diffuses ou informes se font sentir, comme de l’étrangeté, de l’inau-
thenticité, de la somnolence ou des souffrances et des traumas en deçà

2. À lire le débat très éclairant : P. Amphoux et coll., 2004.


3. C. Bittolo, 2004.
4. Meltzer et coll., 1975.
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de l’individuation et/ou en héritage (anxiétés et terreurs primitives,


angoisses sans nom, de chute sans fond, secret, crypte, incorporats…).
Par ses modes privilégiés d’apparition, l’ambiance est la traduc-
tion sensible, selon moi, d’une réalité psychique transsubjective, cor-
respondante à un état des fondations groupales du psychisme ; elle
témoigne à un moment donné de la qualité de l’institution primitive de
la psyché (Bleger, 1966) ou encore des fondations protomentales
(Bion, 1961) ou cosoïques (Abraham, 1994) de l’appareil psychique.
Ces états, selon leurs modalités structurelles du moment, laissent ou
non apparaître des éléments sensoriels constitutifs des ambiances.
J’ai ainsi montré (Bittolo, 2004) que les phénomènes d’ambiance
trouvaient des points d’articulation à d’autres champs auxquels ils
étaient connexes :
– bien que couramment contenue sous le terme d’« émotionalité grou-
pale », ou « affectivité groupale », l’ambiance se différencie nettement
d’une circulation des affects ou de l’émotion : je pense là à des moda-
lités de communication de l’émotion dans les groupes, à ce qui est évo-
qué en termes d’induction psychique, de résonance affective, notions
conjointes de l’inter-fantasmatisation pour laquelle l’émotion organise
les liens de groupe ;
– j’ai par ailleurs mis en évidence que l’ambiance était au niveau grou-
pal ce que les états d’esprit et les états d’humeur étaient sur le plan
individuel. On pourrait presque dire que l’ambiance est une humeur de
groupe et que l’humeur est une ambiance individuelle et il existe dans
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les groupes des modes d’articulation complexe entre notamment l’hu-
meur du leader d’un groupe et l’ambiance de ce groupe ;
– il existe une configuration groupale des troubles de l’humeur remar-
quable notamment par la dimension familiale de la mélancolie. C’est
cette configuration que nous souhaiterions souligner à partir de notre
vignette.

UNE AMBIANCE PATHOLOGIQUE

Je vous propose maintenant de revenir sur notre vignette et de nous


intéresser aux ambiances que j’appelle pathologiques dans le sens où
elles traduisent un état de souffrance psychique au niveau ambiant.
C’est le plus souvent une ambiance lourde, délétère, distendue, char-
gée d’un malaise diffus ou d’impressions perturbantes.
Ces moments s’observent dans les groupes de parole en raison de
l’immobilité corporelle, la mobilité des corps, certaines formes d’activité
comportementale et même des façons d’être et de se mouvoir dans l’es-
pace apparaissant comme des substituts à l’éprouvé sensori-affectif 5.

5. Ce constat interroge les différentes modalités de régulation de la sensorialité groupale,


modalités qui feront l’objet d’une prochaine communication.
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Trois circonstances nous semblent ici remarquables :


– lorsque l’institution dans son ensemble est perturbée (soit qu’elle est
en crise, soit que la composition d’une équipe change…) l’ambiance
d’un groupe et d’un dispositif est d’abord celle de l’institution qui les
accueille ;
– lorsqu’une ou plusieurs personnes accueillies dans un groupe sont en
crise ou à proximité d’un état de crise, ce qui est couramment le cas
dans les services psychiatriques intra-hospitaliers ;
– enfin, lorsque quelque chose de l’institution interne du patient est en
évolution, alors que ni le groupe, ni l’institution, ni le patient ne sont
(apparemment) en crise. C’est le cas de notre vignette où on peut se
demander si l’ambiance pathologique témoigne d’une crise contenue
dans le processus thérapeutique.
Ce sont ces moments particuliers qui ont attiré mon attention car
l’atmosphère « pathologique » de la séance rend compte alors d’une
souffrance d’un ou de plusieurs. Elle vient nous signifier quelque chose
de l’institution interne d’un patient et/ou du groupe dans son ensemble
à des niveaux syncrétiques, protomentaux et peu différenciés.
Nous énoncerons ici trois propositions nous permettant de mieux
comprendre ces manifestations et pouvant donner lieu à des dévelop-
pements et argumentations cliniques plus amples. Ces propositions
témoignent de la complexité et de la densité des différents niveaux mis
en activité par la situation groupale…, propositions non exhaustives
donc, compatibles entre elles et probablement juxtaposables.
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L’ambiance pathologique est un mouvement transférentiel du
groupe interne d’un patient dans et sur le groupe thérapeutique

Selon cette première proposition, un patient viendrait communi-


quer au groupe l’ambiance de son groupe interne qui apparaît alors
comme une manifestation du cadre interne du sujet. Son institution pri-
mitive dans ses aspects les plus adhésifs viendrait en quelque sorte
épouser la part la plus instituée du dispositif en affectant la tonalité de
la séance. On aurait ainsi affaire à une sorte de commerce entre l’ins-
titution du sujet et l’institution du groupe.
On peut se demander alors si le sujet ne ferait pas ressentir l’équi-
valent d’une ambiance parmi probablement celles dans lesquelles il a
grandi et s’est construit psychiquement. La transposition et la répétition
d’une ambiance familiale introduisent dès lors, dans le processus théra-
peutique, un accès sensible à la préhistoire du sujet à travers une culture
du groupe familial, dépositaire d’éléments peu psychisés et non méta-
bolisés, ceux-là mêmes couramment « immobilisés » à l’intérieur du
cadre en situation individuelle et qui en analyse de groupe trouvent de
façon particulière un espace de mobilisation possible et de traitement.
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Selon cette proposition, le groupe interne d’Évelyne serait au cœur


de la séance, celle-ci nous faisant vivre une ambiance qui correspond
à celle qu’elle décrit de son univers familial et dont elle a souffert en
tant qu’enfant.

L’ambiance pathologique accompagne un mouvement


transférentiel dans le groupe

Selon cette seconde proposition, c’est l’intensité d’un mouvement


transférentiel dans le groupe qui mobilise en même temps une
ambiance apparaissant alors comme la marge accompagnant ce mou-
vement relationnel inconscient, comme une sorte de reliquat diffus ou
de halo sensori-affectif non contenu dans le lien mais néanmoins atta-
ché à celui-ci et situé à la périphérie de la relation d’objet fantasma-
tique.
L’ambiance serait, selon ce schéma, la traduction sensorielle d’un
environnement groupal des liens intersubjectifs que l’actualisation
transférentielle rend sensible, rejoignant ce que Salomon Resnik
évoque en termes d’« écologie du transfert ».
Dans notre vignette et selon cette proposition, c’est dans une iden-
tification à sa mère interne qu’Évelyne fait vivre, aux autres et à moi-
même, ce qu’elle a subi enfant. L’ambiance lourde accompagne une
attaque contre sa propre descendance, marquée par la haine et une
destructivité intense. « Vous mourrez avec moi et personne ne me sur-
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vivra », semble-t-elle dire en substance à cette position identificatoire.

L’ambiance pathologique signale une perturbation


des rapports syncrétiques et adhésifs dans le groupe et signale
une modification de l’enveloppe contenante du groupe

Je pense que l’ambiance pathologique est une manifestation que


l’on peut rapprocher de certaines attaques du cadre et des phénomènes
à la marge et sur le seuil des séances, dans lesquels des traces et des
dépôts non métabolisés trouvent des voies d’expression et de symboli-
sation. Ces manifestations correspondent à la mobilisation et l’inclu-
sion des incorporats pathologiques (Rouchy, 1998) dans le processus
thérapeutique ; cette intégration modifiant l’enveloppe globale du
groupe.
Selon cette dernière proposition, ce sont les rapports bidimention-
nels et adhésifs que chacun entretient au groupe, à une sorte de
maillage symbiotique normal du groupe, qui se trouvent bouleversés,
ce qui se traduit par l’intensité ou l’émergence d’éléments inélaborés
et démétaphorisés, auparavant immobilisés dans le rapport que chacun
entretient au cadre du dispositif ou au cadre institutionnel.
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C’est donc à la fois d’une évolution personnelle que l’ambiance


rend compte mais aussi d’une évolution groupale affectant un change-
ment de forme de l’enveloppe contenante du groupe.
Pour reprendre notre vignette et selon cette proposition, la confi-
guration familiale interne organisée autour de l’aspiration centripète
et mortifère de cette mère mélancolique préfigure une transformation
du groupe dans lequel Évelyne devient la porte-parole des deuils non
faits, objets morts, disparus ou absents-présents dans le groupe interne
de chacun. Elle prendrait en quelque sorte le rôle qui serait celui, à
l’intérieur de chacun, de la « mère morte 6 », du « père mort », d’un
objet encrypté, encapsulé, mis au secret… C’est ce que montrera la
poursuite du travail dans lequel apparurent, pour plusieurs et plus
ouvertement, des mouvements de haine et de colère intenses ; l’élabo-
ration groupale ayant rendu en quelque sorte psychiquement vivant et
de ce fait attaquable ce qui auparavant demeurait intouchable à
l’image de la crypte ou d’un mausolée.

EN CONCLUSION…

L’ambiance, comme nous l’avons vu, n’a pas de sens en elle-


même. Elle modèle, module, stimule ou inhibe l’activité psychique ;
elle offre une forme contextuelle, sensorielle et affective à la pensée, je
crois sans intentionnalité consciente ou inconsciente. Si l’on considère
néanmoins qu’elle manifeste une souffrance psychique relevant de
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processus et de mécanismes inconscients plusieurs questions se posent
alors : Comment et à quelles conditions ce qu’une ambiance contient
peut-il devenir pensable ? Sur quoi repose le travail de transformation
de la souffrance qui apparaît à des niveaux ambiants ?
Plusieurs pistes peuvent nous permettre de répondre à ces ques-
tions. Sans pouvoir les développer, je conclurai cette présentation par
quelques réflexions qui pourraient, chemin faisant et restant à faire,
nous y conduire.
On sait assez bien aujourd’hui à quel point la présence plurielle
des autres dans les groupes analytiques mobilise le groupe interne au
plan individuel ; encore faut-il préciser ce que recouvre cette pré-
sence : celle d’une prédisposition offerte à chacun qu’un ou plusieurs
autres soient des supports de transfert, de projection, d’identification
projective, celle de permettre des nouages relationnels inconscients qui
sont des objets d’analyse et de changement… On peut aussi penser que
la présence d’un objet, tout à la fois externe et pensant, dans sa qualité
singulière d’accordage psychique et corporel témoigne d’un état grou-
pal du psychisme, et plus spécifiquement d’un état protomental, plus

6. En référence au syndrome de la mère morte (A. Green, 1980).


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ou moins favorable à l’évolution psychique. Des états d’être-au-monde


et d’être-ensemble produiraient pour les uns et les autres réunis des
effets de mobilisations esthétiques et somato-psychiques correspon-
dantes, que l’on pourrait par certains aspects relier aux « effets de pré-
sence » mis en évidence par O. Avron et qui constituent selon moi les
prémisses de la « fonction alpha » (Bion).
L’objet externe et son intériorité plurielle mettraient ainsi para-
doxalement le sujet en relation avec ses propres intériorisations et leurs
déficiences, celles-ci donnant lieu dans certaines conditions à des
troubles psychopathologiques. Je pense là plus particulièrement aux
troubles hallucinatoires, psychosomatiques et aux troubles de l’hu-
meur.

BIBLIOGRAPHIE

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MELTZER, D. et coll. 1975. Exploration du monde de l’autisme, Paris, Payot, 1980,
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ROUCHY, J.C. 2008. Le groupe, espace analytique, clinique et théorie, Toulouse, érès.

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