Vous êtes sur la page 1sur 12

… Or, en ces années 880, une grande armée viking menace fortement

le royaume franc. Chassée du Wessex par le roi Alfred le Grand, elle


débarque, à l'été 879, aux environs de Calais et se scinde en deux
parties : l'une opère dans la vallée de la Somme tandis que l'autre part
s'installer dans la vallée de l'Escaut. Durant deux années, la région
comprise entre les deux rivières est dévastée et pillée : Thérouanne,
Arras, Cambrai, Saint-Omer, les abbayes de Saint-Bertin, Saint-
Valéry, Saint-Riquier sont attaquées. Amiens, Eu sont inquiétés. Louis
III le Jeune affronte et défait cette armée à Saucourt-en-Vimeu le 31
août 881. Les rescapés de l'armée viking se replient alors sur la Meuse
et établissent un camp à Elsloo, non loin de Maastricht. De cette base,
ils attaquent Cologne, Aix-la-Chapelle, Coblence.

En juillet 882, Charles le Gros, accompagné d'une forte armée, met le


siège autour de ce camp. Mais, après douze jours d'attente, il entame
des négociations, verse 2 800 livres d'or contre la promesse des Danois
de ne plus attaquer son royaume Les Vikings acceptent et vont établir
une nouvelle base a Condé, dans le royaume de Carloman, fils de
Louis le Bègue. Laon, Noyon. Soissons sont attaqués ; l'abbaye de
Saint-Quentin et la cathédrale d'Arras sont réduites en cendres.
Carloman finit par payer 12 000) livres d'argent pour acheter le départ
des pillards. Des otages sont échangés. Mais lorsque le prince décède
en décembre 884, deux mois après le versement du ifancycM, les chefs
vikings estiment l'engagement caduc. Sigfrid, l'un des chefs de l'armée
danoise, amène alors sa flotte sur la Seine. Le pont fortifié de Pont-de-
l'Arche ne résiste pas à l'assaut de ses hommes. Pontoise est pillée. Le
24 novembre 885, la flotte du Danois, forte de sept cents navires aux
dires du moine Abbon, parait sous les murs de Paris.

PARIS AU IXe SIÈCLE


Autrefois Lutèce, chef-lieu de la «rite de la tribu gauloise des Parisii,
place fortifiée, soumise à Rome en 52 avant. J.C par le général romain
Lablenus, résidence de deux empereurs romains, Julien dit l'Apostat
(331-363) et Valenticien 1' (321-375), ancienne capitale du royaume de
Clovis, Paris est délaissée par les rois carolingiens qui préfèrent
résider dans les terres d'Austrasie dont ils sont originaires. Le pouvoir
dans la ville est aux mains du comte et de l'évêque.
la ville s'est recentrée sur l'ile de la Cité, la seule alors habitée. Elle est
protégée d'une muraille élevée initialement au IV siècle, à laquelle a
été ajouté un pont fortifié de pierre et de bois à l'entrée gardée par de9
tours, édifié dans le cadre de l'Édit de Pitres par lequel le roi Charles le
Chauve (823-876), ordonne la construction de fortifications sur la
Seine afin de barrer la route aux flottes Scandinaves.
Deux pôles importants font vibrer la ville. Dans sa partie occidentale
s'élève le palais comtal, ancien palatium de» empereurs romains, à
l'emplacement de l'actuel Palais de la Cité. Dans sa partie orientale, se
dressent les bâtiments du quartier épiscopal, la monumentale
basilique-cathédrale Saint-Étienne 36 mètres de long, 36 mètres de
large, une nef et quatre collatéraux portés par des colonnes de marbre
- le baptistère Saint-Jean-le-Rond, situe près du chevet de la basilique,
et la demeure de l’évêque.
Il est probable que, face à la cathédrale Saint-Étienne, se dresse déjà
une église placée sous le vocable de ND.
L'ile est coupée, du nord au sud par la « cardo » (actuelles rue Saint-
Jacques de la Cité puis rue Saint-Martin), deux ponts de bois,
défendus par des ouvrages fortifiés, la relient à chacune des rives de
la Seine, le Petit Pont à la rive gauche, le Grand Pont à la rive droite.
Outre les bâtiments des quartiers comtal et épiscopal, l'ile contient de
nombreux édifices religieux. tels que l'église Saint-Germain et encore
deux monastères de femmes, Saint-Christophe et Saint-Martial. Des
jardins et des parcelles cultivées jalonnent cet espace urbain, composé
en outre de maisons parfois en pierre, mais plus souvent en bois et
tordus.
Les deux rives de la Seine restent très agricoles avec des champs de
céréales, des bois et des vignes, mais, là aussi, de nombreux édifices
religieux sont implantés. Sur la rive gauche, où coule la Bièvre, aux
côtés des ruines des thermes et théâtres de la ville gallo-romaine,
s'élève notamment la puissante abbaye de Saint-Germain-Des-Prés
fondée au VI* siècle par 1e roi Childebert I" (497-558), les églises
Saint-Julien-le-Pauvre et Notre-Dame-des-Champs. La rive droite,
marécageuse et inondable en raison du bras mort de la Seine (7Mi-
Wa) qui la traverse, abrite- Saint-Germain l'Auxerrois. Un bourg
s'élève autour du Port de Grève, à l'emplacement de l'actuel hôtel de
Ville.
La vie, dans la ville de Parts, s'articule autour des deux pouvoirs
qu'elle héberge, le comte et l'évêque, résidant chacun dans leur
quartier, peuplé de l'ensemble de la familia de ces deux aristocrates,
artisans, commerçants, clercs, leudes attaches à leur service.

L'ÉVÊQUE GAUZLIN
En 885, l'évêque de la ville se prénomme Gauzlin. Né aux alentours
de 834, il est le fils de Rorgon 1", comte du Maine.
Moine, il est ordonné prêtre à Poitiers en 815, alors qu'il est nommé
également abbé de Saint-Maur-de-Glanfeuil
II entre comme notaire au service du roi Charles II le Chauve, puis
devrait chancelier. Par ailleurs, il accumule les charges abbatiales :
Saint-Maur- de-Glanfeuil, Jumiêges, Saint Amand, Saint-Germain-des-
Pres et Saint-Denis. En 858, il est fait prisonnier avec son demi-frère,
Louis abbé de Saint-Denis, par une bande de Vikings qui ne les
libèrent qu'en échange du versement d'une forte rançon Gauzlin
devient évêque de Paris en 884. Cette charge le rend responsable de la
défense de la ville. Dès l'entrée de la flotte viking dans l'estuaire de la
Seine, il a veillé à la restauration des remparts de la cité. Comme
d'autres évêques de son temps, c'est un aristocrate qui n'hésite pas, si
nécessaire, à combattre. Aux côtés de l'évêque, se trouve son neveu,
Ebles, abbé de Saint-Germain-des-Prés depuis 881. Son père, le comte
de Poitou Ramnulf Ier, est mort à Brissarthe aux côtés de Robert le
Fort. C'est un farouche homme de guerre ; cependant, aux dires du
moine Abbon, il est quelque peu cupide et libertin.

LE COMTE EUDES
Eudes, comte de Paris, est le fils aîné de Robert le Fort, mort en 866 à
Brissarthe en affrontant les Danois menés par Hâsteinn, qui sont venus
ravager la vallée de la Loire et la ville du Mans. A ses côtés, se trouve
Robert son jeune frère.
Eudes est né aux alentours de 860. Il a épousé Théodrate, sans doute
une fille du comte de Troyes.
Les origines de Robert le Fort sont restées longtemps obs¬cures :
Richer, moine de Saint-Rémi de Reims, écrivant à la fin du Xe siècle,
le donne comme le fils d'un chef saxon nommé Witichin, rebelle à
Charlemagne et déporté avec d'autres com¬patriotes en territoire
franc. Le chroniqueur Aimoin de Fleury, moine de Saint-Benoit sur
Loire, semble également abonder en ce sens. Cependant, Robert le
Fort est le fils d'un noble franc, le comte Robert III de Hesbaye, comte
de Worms, appartenant à une grande famille du Rhin moyen, liée aux
Carolingiens et dont les plus lointains ancêtres gravitaient déjà dans
l'entou¬rage des maires de palais mérovingiens. Cette famille compte
en son sein, Cancor, le fondateur de l'abbaye de Lorsch. En 852,
Robert le Fort est abbé de Marmoutier. En 853, devenu comte de
Tours, il est également missus dominicus pour le Maine, l'Anjou, la
Touraine.
En 861, Charles le Chauve lui confie un vaste comman¬dement contre
les Bretons auquel s'ajoutent les titres de comte d'Anjou et de Blois,
puis d'abbé de Saint-Martin-de-Tours. De 861 à 866, Robert le Fort
combat tant les Bretons que les Vikings, jusqu'à tomber en 866, à
Brissarthe. Les circonstances de cette mort sont bien connues grâce au
récit que Réginon de Prüm en fait dans ses chroniques.
Paris a déjà été attaquée quatre fois par les Vikings : en 845, 856, 861
et 865, les faubourgs des rives droite et gauche ont été mis à sac.

Le Rithmus Teutonicus célèbre la victoire de Louis III sur les


Normands à Saucourt-en-Vimeu le 3 août 881. Il a été rédigé dans
l'entourage du roi, peu après la bataille.
Mais Dieu eut enfin pitié ; voyant toutes ces calamités Il ordonna au
roi Louis de monter à cheval.
«Louis, mon roi (dit-il), secourez mon peuple,Si durement opprimé
par les Normands. »
Louis répond: «Je ferai, Seigneur, si la mort ne m'arrête, tout ce que
vous me commanderez. » Prenant congé de Dieu, il hissa le gonfanon,
Et se mit en marche, à travers le pays, contre les Normands. Dieu fut
loué par ceux qui l'attendaient pour être secourus ;
Ils dirent : « Seigneur, nous vous attendons depuis longtemps. » Ce
bon roi Louis leur dit alors :
« Consolez-vous, mes compagnons, mes braves défenseurs ! Je viens
envoyé par Dieu, qui m’a envoyé ses ordres. Je réclame vos conseils
pour le combat, Sans m'épargner moi-même jusqu'à ce que vous soyez
délivrés. Je veux que ceux qui sont restés fidèles à Dieu me suivent.
La vie nous est donnée, aussi longtemps que Christ le permet; S'il veut
notre trépas, il en est bien le maître. Quiconque viendra avec ardeur
exécuter les ordres de Dieu Sera récompensé par moi dans sa
personne s'il survit, Dans sa famille s'il succombe. »
Alors il prit son bouclier et sa lance, poussa son cheval, Et brûla
d'ardeur de se venger sur ses ennemis.
En peu de temps il trouva les Normands Et rendit grâce à Dieu, voyant
ce qu'il cherchait. Le roi s'avança vaillamment, entonna un cantique
saint, Et toute l'armée chantait avec lui Kyrie eleison!
Le chant finissant, le combat commençant, On vit le sang monter au
visage des Francs et couler parmi eux. Chacun fit son devoir, mais
personne n'égala Louis En adresse et en audace. Il tenait cela de sa
naissance ; Il renversait les uns, il perçait les autres, Et versait dans
ce moment à ses ennemis Une boisson très amère. Malheur à jamais
à leur existence !
Dieu soit loué, Louis fut vainqueur. Gloire à tous les saints la victoire
fut à lui.
(Extrait de la Rithmus teutonicus ou Lugwigslied [chant de Louis],
traduction de Wiliems, d'après une transcription établie en 1837 par
Hoffmann von Fallersleben, bibliothèque de Valenciennes.)

Les Vikings, pourchassés, se sont réfugiés dans l'église de Brissarthe.


Enfermés, ils voient les Francs, qui les croient à leur merci, se délasser,
ôter casque et cuirasse. Ils osent alors une sortie. Robert le Fort se rue
au combat sans prendre le temps de se réarmer. Il tombe mortellement
blessé et son corps est tiré à l'intérieur de l'église par les Vikings.
Ramnulf, comte de Poitiers, est lui aussi grièvement touché et meurt
quelques jours plus tard. Adélaïde, la mère d'Eudes et de Robert, est
la fille du comte de Tours, Hugues le Peureux. Elle a épousé Robert le
Fort en second mariage, après la mort de son premier mari, le Welf
Conrad Ier, abbé de Saint-Gall, auquel elle a donné plusieurs enfants,
dont un fils, Hugues l'Abbé.
C'est ce demi-frère qui reçoit à la mort de Robert le Fort, les charges
de celui-ci et le commandement contre les Vikings.

LE SIÈGE
Le 24 novembre 885, une flotte de Danois, forte de sept cents navires
aux dires du moine Abbon, menée par le Viking Sigfrid, paraît donc
sous les murs de Paris. Cette troupe prend ses quartiers au niveau de
l'église Saint-Germain l'Auxerrois. A l'aube, Sigfrid est reçu en
audience par l'évêque Gauzlin et le comte Eudes, dans le palais
épiscopal. Le Danois demande le libre passage des ponts ainsi que le
passage vers la Bourgogne où ses hommes et lui souhaitent hiverner,
menaçant sinon de réduire la ville en cendre, dès le lever du jour.
Comte et évêque refusent ; le Danois se retire.
Dès que l'aube point, ses hommes se portent sur la ville, plus
particulièrement sur la tour qui, sur la rive droite, garde l'entrée du
Grand Pont Fortifié. Le combat dure tout le jour et éprouve fortement
les hommes ainsi que les fortifications couvertes d'une pluie de flèches
De chaque côté, les hommes sont armés d'une épée, d'une lance, d'un
arc et de flèches ; ils portent pour se protéger un casque, une broigne:l>
et un bouclier rond fait de bols et de métal. Les Vikings brandissent
leur redoutable hache, maniable à une seule main, à tranchant double
et terminée par une poignée isolée de la lame par deux gardes
parallèles La nuit venue, les combats cessent enfin. L'évêque Gauzlin
profite de l'obscurité pour faire rehausser la tour en y ajoutant des
ouvrages de bois.

L'assaut reprend avec le jour nouveau. Les Vikings assaillent la tour,


la criblant de dards et de projectiles. Ils tentent par ailleurs de combler
les fossés qui l'entourent. Les Francs répliquent, déversant sur les
attaquants, poix, eau bouillante et flèches. Les catapultes disposées sur
le pont projettent des pierres qui écrasent les ennemis. Bientôt, la to*ir
s'ébranle ; une brèche s'ouvre. Le combat s'engage : Eudes, Eblcs et
Robert se battent tels îles lions pour repousser la menace ; l'abbé
transperce de son javelot sept ennemis d'un coup, relate Abbon. Les
Danois, alors, amassent herbe sèche et bois puis ils y boutent le feu. le
tour disparaît dans la fumée épaisse ; une heure durant, elle demeure
invisible, jusqu'à ce que le vent tourne et repousse la fournaise sur les
assaillants. Surgissent alors de la ville deux porte-enseigne qui
brandissent au sommet de la tour des étendards safran. L'ennemi,
épouvanté selon Abbon, sc retire alors.
Ces deux jours se soldent, de part et d'autre, par de nombreux morts «
blessés. Sigfrid comprend qu'il ne prendra pas facilement la cité. Il
s'apprête alors à mener un siège- Four commencer, il installe
définitivement son campement dans les murs de l’église Saint-
Germain l'Auxenois et entoure le sanctuaire d'une palissade complétée
d’un fossé. Ses hommes débarquent des bateaux et dressent leurs
tentes. L'hiver s’installe. Les Vikings s'affairent à construire des
machines de siège, béliers, tortues, mantelets. Ils dévastent la région.
Font des prisonniers parmi les femmes et les enfants, pillent les
richesses et les troupeaux qu'ils installent dans l’église transformée en
étable et écurie. De leur côté, les Francs réparent les fortifications
éprouvées par les combats de novembre et disposent sur le pont
fortifié, catapultes et mangonneaux.

Le 31 janvier 886, Sigfrid lance l'assaut général. Les combats durent


trois Jours. Ses hommes se divisent en trois corps de troupe. L'un se
dirige vers la tour fortifiée tandis que les deux autres, embarqués sur
les bateaux, se portent sur le pont. Les assaillants sont une multitude,
au point que la terre est cachée sous leurs écus peints.

Ies uns accablent les Francs de boules de plomb et de flèches tandis


que les autres, dissimulés sous les tortues, s'approchent de la tour dont
ils comblent les fossés à l'aide de terres, d'herbes, puis de bétail abattu
et enfin, des corps de leurs prisonniers égorgés. Puis ils mettent en
action des béliers contre la tour. Dans la ville, l'effroi règne, les
trompettes Sonnent, les cloches sonnent le glas. Le tumulte est intense
; les armes s'entrechoquent au milieu des cris et des râles des blessés
tandis que les ennemis battent leur bouclier de leur épée. Le comte et
l'évêque exhortent les hommes à tenir bon. /Mors, les Francs et les
fortifications résistent. Sigfrid enrage.
Il ordonne de haler trois bateaux sur la Sente, de les couvrir d'herbes
sèches et d'v mettre le feu. Avec terreur, les Francs voient avancer les
embarcations vers le pont, qu'elles menacent d'embraser. Les Vikings
jubilent, ns frappent de plus en plus fort leurs écus de leurs amtes et
leurs cris s'enflent démesurément. Désespérés, les Parisiens tombent à
genoux et invoquent Germain et Geneviève, les saints patrons de la
ville.
Alors, les navires virent et se bloquent contre l'éperon d'une culée du
pont. Les Francs, soulagés, éteignent l'incendie. La nuit vient et,
comme les deux nuits précédentes, les ennemis restent dans la plaine,
empêchant les Francs de réparer les fortifications. Mais, à l'aube, ils
se retirent une nouvelle fois. Les Vikings laissent de nouveau la ville
en paix. Us reprennent leurs rapines dans la région, investissent
notamment l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, puis portent leurs
exactions plus loin, dans la région de Troyes et de Reims.

Dans la nuit du 6 février 886, le Petit Pont reliant l'île à la rive gauche
s'effondre, emporté par la Seine en crue. La tour, qui
le défend sur la rive, ainsi que les douze braves qui v montent la garde
se trouvent subitement isolés. Leurs noms sont gravés sur la plaque de
marbre posée à l'entrée de la crypte archéologique, sur le parvis de
Notre Dame de Paris : Ermenfroi, Hervé, Herland, Ouacre, Hervi,
Arnoud, Seuil, Jobert, Gui, Hardre, Aimard et Gossouin.

Sous le commandement d'Eudes et de Gauzlin, les Francs passent la


nuit à tenter de rétablir le passage, en vain. À l'aube, Sigfridr et ses
hommes traversent le fleuve et se portent sur la tour pour l'encercler.
Ils l'accablent de flèches auxquelles les douze guerriers répondent par
des jets de pierre. Puis, les Danois disposent devant la porte de la tour,
un chariot empli d'herbes sèches et de broussailles qu'ils enflamment.
Impuissants, les Francs, dans l'île, voient le brasier atteindre la tour et,
bientôt, l'épaisse fumée qui s'en dégage le fait disparaître à leurs yeux.
À l'intérieur, les douze braves tentent d'étouffer le feu, mais ils
disposent de très peu d'eau. La tour gémit ; le feu l'a totalement investi.
Avant qu'elle ne s'effondre, les guerriers francs l'abandonnent et se
replient sur l'extrémité restante du pont. Le combat s'engage ; ils
luttent à l'épée, frappent de taille et d'estoc. Les Francs résistent
vaillamment.
Voyant leur ténacité, les hommes de Sigfrid leur proposent de se
rendre. Les héros, épuisés, pensent pouvoir sauver leur vie et être
rachetés pour une forte rançon. Ils jettent leurs armes pour se
soumettre. Alors, les Danois les abattent cruellement. Puis ils
dépouillent les corps de leurs armes et bijoux avant de les jeter dans la
Seine. Pour finir, ils achèvent de détruire la tour.

De nouveau, une partie des Vikings part piller les régions alentour,
situées entre la Seine et la Loire. Le 16 février, ils attaquent Chartres,
mais le comte de la ville les repousse, tuant nombre d'entre eux. Ils
échouent également devant Le Mans, mais parviennent à prendre et
piller Evreux.

La situation dans la ville de Paris commence cependant à se dégrader.


Il faut imaginer, même si le blocus de la ville n'est pas total, que les
vivres commencent à manquer et que la promiscuité favorise les
maladies. L'évêque se décide alors à demander de l'aide. Mais,
l'empereur Charles est en Italie. Hugues l'Abbé, alité, est mourant. Il
s'adresse alors au comte Henri de Saxe, comte du pays de Fulda, ayant
reçu de Charles le Gros, un commandement contre les Vikings.

En 882, ce comte conduit l'avant-garde de l'armée que l'empereur


Charles le Gros lève contre les Vikings d'Elsloo. Puis, il continue de
lutter contre les Vikings établis dans la vallée du Rhin. En 883, il défait
l'une de leurs troupes près de Prum et, en 884, ils les empêchent
d'envahir la Saxe.

Henri de Saxe et ses troupes paraissent devant les murs de Paris début
mars. Il amène du ravitaillement pour la ville, sans doute aussi des
renforts. Le comte demeure jusqu'à début avril, sans mener d'actions
d'éclat, si ce n'est l'attaque, une nuit, du camp des Danois, où les
prenant par surprise, il parvient à en tuer un grand nombre et à voler
bœufs et chevaux. Henri parti, Sigfrid fait traverser la Seine à ses
hommes. Abandonnant leur camp de Saint-Germain l'Auxerrois, ils
vont occuper le terrain de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Des
négociations s'ouvrent alors entre les Francs et les assiégeants. Après
d'âpres discussions, Eudes et Gauzlin versent finalement la somme de
soixante livres d'argent à Sigfrid en échange de son départ. Cependant,
cet accord ne remporte pas l'adhésion des guerriers du chef danois.
Une partie d'entre eux se ruent alors sur la ville pour l'attaquer, mais
une vigoureuse sortie des Francs les repousse dans la Seine et
plusieurs des ennemis se noient. Sigfrid s'éloigne alors, entraînant
donc avec lui une part seulement de ses hommes. Il fait voile vers
Bayeux qu'il assiège.
Malgré ce départ la position de la ville ne s'améliore pas. Les Danois,
qui demeurent encore en grand nombre, attaquent quotidiennement et
chaque escarmouche amène sa poignée de tués. De surcroît, le 16 avril
886, l'évêque Gauzlin, malade, décède. Le 12 mai, c'est Hugues l'abbé
qui meurt à Orléans. Eudes se retrouve soudain bien isolé. L'empereur
est toujours en Italie. Le comte décide alors de quitter clandestinement
la ville afin d'aller lui-même mander du secours, auprès des seigneurs
de Francie Occidentale, sans doute les comtes et vicomtes des
territoires autrefois sous l'autorité de son père et la parentèle de sa
femme. 11 laisse la garde de la cité à l'abbé Èbles.

Un mois passe, durant lequel l'abbé repousse vaillamment plusieurs


attaques de Vikings qui harcèlent maintenant directement les remparts
de l'île. À la faveur de la nuit, des habitants de la ville, vêtus à la mode
des Danois, se glissent à l'extérieur et assaillent les Vikings, gardiens
des troupeaux paissant sur la rive droite, pour leur voler des bêtes.

Enfin, fin juin, Eudes, accompagné d'un corps de troupe menés par le
comte de Troyes Aleaume, paraît sur les hauteurs de Montmartre.
L'aube point lorsqu'il paraît ; casques et boucliers des renforts
étincellent dans le soleil levant. Aussitôt, les Danois traversent la
Seine et se portent dans la plaine pour barrer le passage au comte et
interdire l'entrée de la ville. Les Francs chargent et forcent le passage
; les troupes danoises plient devant la redoutable cavalerie tandis
qu'Aleaume poursuit les ennemis sur plus de deux lieues, nous dit
Abbon, jusqu'à les forcer à repasser le fleuve. Eudes est rentré dans la
ville et les habitants l'accueillent avec joie et ferveur. Revenant
d'Italie, l'empereur entend enfin la nécessité de porter ses troupes sur
Paris. Sans doute, le comte Henri et d'autres seigneurs de Francie
occidentale ont-ils plaidé la cause d'Eudes. Un conseil est tenu au mois
de juillet mais c'est seulement fin août, alors qu'il atteint Quierzy, qu'il
dépêche Henri de Saxe en avant-garde.
Les Vikings, avant eu connaissance de l'approche de l'armée de
l'empereur, creusent, sur la rive droite, de larges fossés qu'ils
dissimulent sous la paille et les branchages. Lorsqu'Henri approche, il
chevauche sans méfiance pour repérer les positions de l'ennemi.
Soudain, le sol cède sous les jambes de son cheval ! Les Danois,
dissimulés alentour, se précipitent dans le fossé où le guerrier est
tombé et le tue. L'escorte du comte a fui ! Heureusement, une sortie
d'une troupe franque permet non sans difficulté de chasser l'ennemi et
de récupérer le corps qu'il s'apprêtait à dépouiller de ses armes et
bijoux. Henri est inhumé à Soissons, dans la basilique Saint-Médard.

Enfin l'empereur arrive sous les murs de Paris, mi-septembre 886. Une
grande armée l'accompagne, forte de six cents hommes. Il établit son
campement sur la rive gauche, face au camp des Vikings.
Impressionnés par l'importance de ces troupes franques, les Danois
restent tranquilles et engagent des négociations qu'ils font traîner en
longueur. Durant ce temps, Charles le Gros confirme Eudes dans les
honneurs de son père et lui confie le commandement contre les
Vikings à la place d'Hugues l'Abbé. Ansery, frère du comte de Meaux,
est désigné pour succéder à Gauzlin comme évêque.

Les jours passent, sans combattre. L'hiver approche. Le mauvais


temps s'installe. Sigfrid, après avoir pillé Bayeux, a repris le chemin
de Paris. Début novembre 886, l'empereur, brusquement, cède. Il
octroie le passage vers la Bourgogne et promet, de plus, le versement
d'un danegeld de sept cents livres d'argent. Il lève ensuite son armée
et part. Sans combat.

Il est difficile d'imaginer ce qu'a pu être la déception des Francs de


Paris ! Avoir résisté si longtemps pour parvenir à ce dénouement !
L'empereur avait octroyé le passage vers la Bourgogne, mais pas
précisément celui des ponts de la ville. Les Parisiens bloquent ceux-ci
et les Vikings, pour passer au-delà de la ville, doivent traîner leurs
bateaux sur la rive ou les porter sur leur dos, afin de les remettre à flot
en amont. Le siège est terminé. Les Danois partent hiverner en
Bourgogne ; ils s'engagent dans l'Yonne, attaquent Sens sans parvenir
cependant à prendre la ville. A Auxerre, le monastère Saint-Germain
est livré aux flammes. Le pays de Nevers est ravagé ; le monastère de
Flavigny tombe entre leurs mains. Ils reviennent à Paris en mai 887,
réclamer la somme promise par l'empereur Charles, que l'évêque
Ansery est allé chercher auprès de celui-ci. La rançon perçue, ils
repartent et, violant leur promesse de dédaigner le cours de la Marne,
s'engagent sur cette rivière. Les otages laissés dans la ville en gage de
leur parole sont massacrés ; seuls ceux hébergés par l'évêque Ansery
parviennent à s'enfuir.
Jusqu'en 889, ils continuent d'écumer la Neustrie et l'Auxerrois.
Troyes est brûlé ; Dijon et Meaux sont assiégés.

Deux fois encore, les Vikings reviennent aux alentours de Paris, mais
Eudes, devenu roi de Francie Occidentale, les maintient éloignés de la
ville, la première fois en ayant recours aux armes, la seconde fois en
versant le « danegeld ».

La ville est libérée. Cependant, elle est durablement affectée par ce


siège et de nombreux édifices religieux de ses rives resteront
longtemps en ruine.

LES CONSÉQUENCES DU SIÈGE

À l'issue de ce siège où la ville a tenu bon face à ses ennemis, Eudes,


son comte, a acquis un immense prestige. L'évêque Gauzlin décédé,
c'est lui qui a su mener la défense de la ville ; c'est lui qui est sorti
clandestinement chercher du renfort ; c'est lui qui a su amener Charles
le Gros à venir sous les murs de la ville avec son armée. La lâcheté de
l'empereur, qui en deux mois de face à face avec les Vikings, n'a pas
osé mener une seule bataille et finalement a capitulé à toutes leurs
exigences, renforce encore ce prestige. Eudes est l'homme fort du
moment en Francie Occidentale. Sans doute, les Grands du royaume
se souviennent-ils aussi de la vaillance de son père Robert. L'empereur
Charles, malade, subit une trépanation au début de l'année 887. En
novembre 887, lors d'une diète réunie à Tribur, il est destitué de ses
fonctions. Les Grands de Francie Orientale choisissent pour roi, non
pas Bernard le fils naturel de Charles, mais Amulf, son neveu, fils
illégitime de Carlo-man. En Francie Occidentale, les Grands attendent
le décès de l'empereur qui survient le 13 janvier 888, pour le
remplacer. Le fils posthume de Louis le Bègue, Charles, n'est encore
qu'un enfant de huit ans. De nouveau, les Grands du royaume de
Francie Occidentale jugent l'enfant trop jeune et inapte à résister à la
menace viking, toujours présente. Naturellement, leur choix se porte
sur celui qui a su, plus d'un an, résister à ce farouche ennemi. Le 29
février 888, Eudes est élu roi de Francie Occidentale et couronné, à
Compiègne, par Gautier, archevêque de Sens. ■
Joëlle Delacroix a publié en février 2013, aux éditions l’Harmattan,
un roman historique en deux tomes, portant sur le siège de Paris.

Vous aimerez peut-être aussi