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LA RUSSIE FACE AUX OCCIDENTAUX Etudes

François Xavier Noah Edzimbi


EN AFRIQUE CENTRALE
Pour un arrimage des Africains africaines Série Relations Internationales
aux enjeux de puissance post-bipolarité

Cet ouvrage présente l’objectif de la République fédérale François Xavier Noah Edzimbi
de Russie en Afrique centrale, qui est de mettre cette région
sous son giron stratégique afin de profiter de ses diverses
ressources et revêtir à nouveau la posture d’une puissance
mondiale tenue à l’époque soviétique par l’URSS. La pleine
conscience du « péril russe » explique les réponses énergiques
des États-Unis et de la France. LA RUSSIE FACE

LA RUSSIE FACE AUX OCCIDENTAUX EN AFRIQUE CENTRALE


L’auteur suggère des pistes pour assurer une autonomie
stratégique aux pays d’Afrique centrale. Il milite pour une
harmonie entre les hommes et les femmes qui composent
AUX OCCIDENTAUX
les différents États centrafricains afin qu’ils se réapproprient
les projets géostratégiques étrangers et la construction de
systèmes productifs locaux garants d’une industrialisation
EN AFRIQUE CENTRALE
durable.
Pour un arrimage des Africains
aux enjeux de puissance post-bipolarité
François Xavier Noah Edzimbi est titulaire d’un Ph.D en science
politique, option Relations internationales et études stratégiques (RIES)
de l’université de Douala au Cameroun. CEO du cabinet d’intelligence
économique (I.E) Lucem Global Consulting S.A.R.L., il est chercheur
associé de plusieurs revues scientifiques et a écrit une vingtaine Préface de Manassé Aboya Endong
d’articles. Postface de Frédéric Lasserre

Etudes africaines
Série Relations Internationales

Illustration de couverture :
© Richard Fabrice Menguele Bengono.

ISBN : 978-2-14-026967-7
25 € 9 782140 269677
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La Russie face aux Occidentaux


en Afrique centrale
Pour un arrimage des Africains
aux enjeux de puissance post-bipolarité
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Collection « Études africaines »


dirigée par Denis Pryen et son équipe

Forte de plus de mille titres publiés à ce jour, la collection « Études africaines »


fait peau neuve. Elle présentera toujours les essais généraux qui ont fait son
succès, mais se déclinera désormais également par séries thématiques : droit,
économie, politique, sociologie, etc.

Dernières parutions

Federica Burini, Cartographie participative et aménagement du territoire en


Afrique subsaharienne, 2022.
Abbé Nestor SALUMU NDALIBANDU, La philosophie au service de la
société en Afrique, Le cas de la RDC, 2022.
Abbé Nestor SALUMU NDALIBANDU, La responsabilité sociale du
philosophe face à la guerre en Afrique, Enjeux et perspectives, 2022.
Gilbert GERMAIN, Non à un plan Marshall pour l’Afrique subsaharienne,
2022.
Azza BCHIR, La tragédie de la performativité, 2022.
Laurent TAGNE, Les TIC dans le système éducatif camerounais. Cas de
l’enseignement secondaire, 2022.
Guila THIAM, Les médias africains à l’heure de la rupture. Vers un grand
rétablissement, 2022.
André NIKWIGIZE, Ethnisme et tragédies au Burundi, De l’identité nationale à
l’identité ethnique, 2022.
Léandre Serge MOYEN, L’impossible État fédéral africain. Les droits
fondamentaux à l’épreuve des identités culturelles nationales, 2022.
Charlie MBALLA (dir.), L’Etat dans les Afriques. Etat des lieux en Afrique
subsaharienne, 2022.
El Hadji Malick NDIAYE, Ce que les GAFAM font aux médias africains. Enjeux
socioéconomiques, éditoriaux et politiques de l'infomédiation, 2022.
Yves-Alexandre CHOUALA, Patrice BIGOMBÉ LOGO et Delmas TSAFACK
(dir.), Le Cameroun et les grandes puissances. Trajectoires et dynamiques de
coopération, 2022.
Jean Christophe TSHIMPAKA BODUMBU, Le numérique et l’enseignement en
RDC, Appropriation des artefacts numériques par les enseignants, 2022.
Axel Presnel AVERROES ACHOUR KORONDO, L’échec du contrat social et le
constat du chaos centrafricain, 2022.
Laurent Falay LWANGA, Histoire de l’éducation en Afrique subsaharienne. Cas
de la RDC, 2022.
Jean-Paul BALGA, Le sens de la dot en pays tupuri, 2022.
Mohamed HARAKAT (dir.), Géopolitique et géoéconomie marocaines en Afrique,
2022.
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François Xavier Noah Edzimbi

La Russie face aux Occidentaux


en Afrique centrale
Pour un arrimage des Africains
aux enjeux de puissance post-bipolarité

Préface de Manassé Aboya Endong

Postface de Frédéric Lasserre


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© L’Harmattan, 2022
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.editions-harmattan.fr
ISBN : 978-2-14-026967-7
EAN : 9782140269677
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À ma fille AMAYENE NOAH Grâce Audrey, et à ma maman NG’ÉLONG


AMBASSA Sabine : qu’aucune frustration, aucune privation, aucune
souffrance endurées ne vous empêche de toujours aimer le Cameroun,
l’Afrique et de les servir toujours, au mieux de vos capacités ! Be always the
best you can and give always the best you having to this Nation, Mainland
and to the humankind.
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SOMMAIRE

PREFACE ..................................................................................................... 11
AVANT-PROPOS ........................................................................................ 17
ABREVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES ......................................... 21
INTRODUCTION GENERALE .................................................................. 23

PREMIERE PARTIE : LES RAISONS D’UN REGAIN D’INTERET


RUSSE POUR L’AFRIQUE CENTRALE .................................................. 47
CHAPITRE 1 : LES CONSEQUENCES D’UNE DISLOCATION DU BLOC
SOVIETIQUE SUR LA STRUCTURATION ET LA COHESION DE
L’ÉTAT FEDERAL DE RUSSIE ................................................................ 49
CHAPITRE 2 : LA MISE EN OEUVRE DE LA POLITIQUE DE
PUISSANCE RUSSE EN AFRIQUE CENTRALE ..................................... 79

DEUXIEME PARTIE : LES CONTRE-STRATEGIES FRANÇAISE ET


AMERICAINE DE LA POLITIQUE AFRICAINE RUSSE EN AFRIQUE
CENTRALE ............................................................................................... 115
CHAPITRE III : L’AFRIQUE CENTRALE, NOUVELLE FRONTIÈRE DU
DUEL ENTRE AMERICAINS, FRANÇAIS ET RUSSES POUR DISPOSER
D’UNE PUISSANCE ULTIME ................................................................. 117
CHAPITRE 4 : DES NECESSAIRES TRANSFORMATIONS EN
AFRIQUE CENTRALE POUR UN DEVELOPPEMENT AUTOCENTRE
ET UNE AUTONOMIE STRATEGIQUE ................................................. 163

CONCLUSION GENERALE..................................................................... 201


POSTFACE ................................................................................................ 205

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PRÉFACE

Les multinationales face à la géopolitique : réflexion sur la place de


l’Afrique centrale dans un contexte de rénovation énergétique, enjeu de
souveraineté et de sécurité d’États sur l’espace mondial.

Dans un article publié en octobre 2021, l’économiste Jean Pisani-Ferry


constatait que : « de l’affaire Huawei à l’épisode AUKUS et au-delà, une
nouvelle réalité secoue l’économie mondiale : la prise de contrôle, le plus
souvent hostile, de l’économie internationale par la géopolitique. Ce
processus n’en est probablement qu’à ses débuts. Il va falloir s’accommoder
de ce nouveau contexte ». Les multinationales constituent aujourd’hui les bras
armés de l’influence des États. Souvent oubliées des analyses géopolitiques,
ces dernières en sont pourtant l’un des acteurs clés. Elles représentent, en effet,
les sources principales de production de biens et de services. L’argent étant le
nerf de la guerre, leur activité constitue un déterminant parmi d’autres, mais
un déterminant non négligeable de la richesse des nations, donc de leur
puissance. Les multinationales ont su et pu asseoir leur expansion et leur
développement à l’international sur leur nationalité et leur lien à l’État qui
abrite leur maison mère. Elles ont ainsi su jouer de leur influence pour orienter
les politiques publiques dans leur intérêt propre, se révélant dans certains cas
plus puissantes que les États. S’il est discutable de comparer la puissance des
États à celle des multinationales et de classer telle ou telle grande firme
comme la sixième puissance mondiale en raison de son chiffre d’affaires ou
de sa capitalisation, leur taille peut, face à de « petits » pays, créer un rapport
de force qui leur est favorable. Cette importance stratégique des
multinationales est également perceptible dans le débat qui s’est intensifié
depuis le début de la pandémie de Covid-19 autour des vulnérabilités que
constituent les dépendances des économies à l’égard des approvisionnements
étrangers. En Europe, il est apparu que cette dépendance était particulièrement
forte vis-à-vis de la Chine, limitant de fait, au-delà de la seule économie, les
souverainetés, nationales comme Européenne. La guerre en Ukraine engagée
par la Russie, depuis le 24 février 2022, dont l’Europe est particulièrement
dépendante pour ses approvisionnements en gaz, vient aussi souligner
combien de tels schémas économiques peuvent amplifier le coût d’une
déstabilisation géopolitique.
Depuis la révolution industrielle, l’énergie constitue le moteur du dévelop-
pement économique, la révolution numérique en cours ne changeant rien à
cette donnée fondamentale. Avec plus de 30,37 millions de km² en intégrant
les espaces insulaires, une population de plus de 1,1 milliard d’habitants,
l’Afrique, de par ses richesses et son potentiel humain, dispose de multiples
atouts pour son développement. Parallèlement, depuis les années 1960, le
processus de décolonisation n’occulte pas la pérennité des politiques

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

d’influence des grandes puissances. Les marchés qui y sont porteurs sont
évidemment ceux inhérents aux matières premières à haute valeur ajoutée,
matières premières énergétiques et minérales, d’importance stratégique :
l’uranium, le pétrole, le gaz ou encore le bois. On peut y ajouter le coltan, ou
colombo-tantalite, omniprésent dans les vecteurs de communication (ordina-
teurs, téléphone mobile, etc.). Les impératifs géoéconomiques post-bipolarité
incitent donc à la captation des ressources naturelles autant que de matières
premières qui attisent convoitise et concurrence entre grandes puissances et
émergentes via les multinationales.
Dans cette guerre économique qui structure les relations internationales
post-guerre froide, l’ouvrage de M. NOAH EDZIMBI analyse le phénomène
du retour de la politique d’influence russe en Afrique, plus particulièrement
en Afrique centrale. Cette production scientifique retrace le déploiement
d’une stratégie bien différente de celle mobilisée par Moscou à l’époque
soviétique, pour mettre celle-ci en perspective et fournir les bases d’une solide
politique de puissance. En dépit de sa mise au ban de la scène internationale,
depuis les sanctions occidentales adoptées contre elle après l’annexion de la
Crimée, la Russie reste un acteur essentiel dans la production et la livraison
des sources énergétiques pour l’Union européenne (28 % du pétrole, 30 % du
gaz et 18 % du charbon) et la France (15 % du pétrole, 21 % du gaz et 27 %
du charbon). Fort de sa posture dans le « doux commerce » cher à
Montesquieu, et motivé à la fois par des considérations de politique intérieure
et par une volonté de puissance, le Kremlin s’est engagé dans une quête tous
azimuts de partenaires alternatifs. L’objectif principal est de restaurer une
égalité stratégique et géopolitique avec Washington, et sortir du déclassement
stratégique émis à son égard par l’ancien président américain Barack Obama
dans la conduite des affaires et les prises de décisions internationales. L’intérêt
de Moscou pour l’Afrique centrale s’inscrit donc dans cette perspective, bien
que cette dernière soit déjà un espace d’intense compétition entre les
anciennes puissances coloniales et les pays émergents. La Russie exploite
habilement la conjoncture du système international caractérise d’incertitudes
où, par ailleurs, s’affirme sa volonté de jouer son propre jeu en Afrique.
Moscou intervient activement en Syrie certes, mais déploie aussi, selon des
mécanismes décrits par M. NOAH EDZIMBI, une offre complémentaire de
celle de la Chine, proposant soutien politique, paramilitaire et économique à
des régimes séduits par la possibilité de se dégager de la tutelle occidentale,
française en particulier.
Derrière les sanctions américaines et européennes à l’encontre de la Russie
depuis le 24 février 2022, en raison de « l’opération militaire spéciale » lancée
en Ukraine, se jouent des batailles aux enjeux économiques et politiques
importants : celles du pétrole, du gaz et du nucléaire entre puissances
mondiales et émergentes. En effet, bien qu’autonome en matière énergétique,
les États-Unis entendent toutefois accroître leur puissance. Pour ce faire,

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

l’énergie a toujours été au cœur de la politique américaine, « parce qu’elle est


un enjeu de richesse et de pouvoir », comme le rappelait Hillary Clinton en
2012. Les Américains ont modifié leur politique énergétique dans les
années 1950 pour préserver leurs gisements face au risque d’une crise majeure
avec l’URSS à l’époque de la bipolarité. Ils privilégient alors l’importation
d’hydrocarbures, et l’Arabie Saoudite devient leur principal partenaire.
Toutefois, le 11 septembre 2001 et les attentats d’Al-Qaïda amènent les États-
Unis à douter de la fiabilité de l’allié saoudien. Parallèlement Vladimir
Poutine, président de la République fédérale de Russie, bloque les ambitions
anglo-saxonnes de prendre le contrôle d’Ioukos, la principale compagnie
pétrolière russe. Le nouveau maître du Kremlin ne cache pas sa volonté de
devenir un acteur majeur sur le marché mondial de l’énergie. Confrontés à un
Moyen-Orient peu fiable, à une Russie désireuse de retrouver son rang de
puissance mondiale et à une Chine aux ambitions planétaires, les États-Unis
vont changer de politique énergétique. Inaugurée sous George Walker Bush,
la nouvelle stratégie, baptisée « energy independence », sera mise en œuvre
par Barack Obama et Hillary Clinton. Objectif : devenir non seulement
autosuffisants, mais encore exportateurs nets d’hydrocarbures d’où, en plus
d’hydrocarbures non conventionnels, gaz et pétrole de schiste abondamment
présents dans le sous-sol américain, l’intérêt dévolu à l’Afrique subsaharienne
en général, et la région Afrique centrale en particulier.
Les retours de la Russie et des États-Unis en Afrique centrale renseignent
sur les ambitions géopolitiques et géoéconomiques qui les portent, expression
la plus aboutie du fait que Russes et Américains s’imaginent un destin africain,
dans un environnement stratégique longtemps contrôlé par Paris. Il est
révélateur du désir de Moscou et de Washington de contester les positions
dominantes de la France, en suscitant une importante reconfiguration des
rapports de force dans cette partie du continent africain. Dès lors, au-delà des
prises de position discursives de certains responsables politiques français
relatives à la nécessité pour la France de se départir des logiques et des réseaux
France-Afrique, les insubmersibles intérêts économiques de la France
semblent avoir pris le dessus sur la volonté, supposée ou réelle, de rupture.
Consciente de l’importance stratégique que revêtent les partenaires africains
pour sa survie économique, la France n’est pas disposée à tolérer les
empiétements des autres puissances porteuses de projets de domination,
susceptibles de contrebalancer son influence, mieux de contester les mono-
poles traditionnels des multinationales dans cette partie du continent
hautement stratégique. Ainsi, la riposte stratégique de la France vise à contenir
les offensives russe et américaine et à châtier les partenaires africains qui,
attirer vers le large, ont ouvertement exprimé leurs velléités indépendantistes
ou ont été surpris en « flagrant délit de collusion avec l’ennemi ».
Aujourd’hui, le système international se caractérise donc par davantage
d’incertitudes que de certitudes, mais surtout de préoccupations immédiates

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

et d’ambitions d’acteurs souvent fort éloignées les unes des autres. Pour des
raisons multiples, il n’existe plus un modèle de la mondialisation, mais une
diversité de visions et d’aspirations. Longtemps peu conscients de leurs atouts
et avantages géopolitiques dans la grammaire politique et internationale de
l’espace mondial, les États africains ont du mal à intégrer jusqu’ici cette
dimension de leur action à l’international. Ils se retrouvent ainsi pris en étau
dans des relations interétatiques, des crises ou des conflits internationaux,
voire des guerres économiques, ou même parfois au cœur d’économies de
guerre. Réalisant que l’Afrique est un véritable « grenier de matières
premières » dont la qualité, la diversité et l’accessibilité contrastent avec la
cécité stratégique de ses dirigeants, les puissances mondiales et émergentes y
déploient depuis la fin de la Guerre froide des projets géopolitiques et
géostratégiques hautement concurrentiels, qui sont décryptés par M. NOAH
EDZIMBI. Dans leurs objectifs de développements respectifs, l’auteur de cet
ouvrage suggère alors aux autorités républicaines d’Afrique centrale de faire
preuve de réflexion stratégique dans un environnement concurrentiel post-
bipolaire. Selon l’auteur, il est judicieux que ces managers étatiques soient
créatifs et capables d’initiatives dans des engagements de plus en plus
complexes, en d’autres termes, qu’ils soient entreprenants. En effet, face aux
différentes incertitudes qui caractérisent le monde post-guerre froide, l’État
reste l’ultime recours de la Nation face aux menaces existentielles souvent
imprévisibles, le point d’appui des populations face au chaos. Aussi doit-il
disposer, dès le temps de paix, de profils d’entrepreneurs capables d’agir dans
l’incertitude, de prendre leurs responsabilités face à l’imprévisible, d’accepter
le risque pour surprendre l’adversaire ou pour développer une innovation.
Autrement dit, l’État doit disposer de citoyens qui sachent faire preuve
d’« esprit éclectique », dans la préparation de l’avenir comme dans la conduite
d’opérations diverses. L’État, plus que toute autre organisation, doit sur-
monter une tension permanente entre un « esprit entrepreneurial » qui
nécessite une forme d’autonomie et de liberté, et un « esprit de corps » qui
repose sur un système politique solide et un sens du collectif développé.
Promouvant et usant de réflexion stratégique, les pays d’Afrique centrale
pourront alors capitaliser leurs intérêts selon un contexte de croissance
importante de la demande en ressources stratégiques et une concurrence
existante entre les pays importateurs desdites matières premières. La
naissance industrielle et le développement des États de la région Afrique
centrale passent, dès lors, par la construction de systèmes productifs locaux
pour espérer une industrialisation durable.
Dans ce monde en mouvement rapide, les chercheurs, surtout ceux du
continent africain, sont continuellement contraints à réexaminer leur rôle dans
la société et dans les transformations qui y ont cours. Ce livre doit pouvoir
aider les uns et les autres à penser de nouvelles questions, pour l’auteur ou
pour d’autres chercheurs africains, en vue de contribuer à l’amélioration des

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affaires et des conditions de vie des populations en Afrique. En conclusion, il


faut espérer que cette fenêtre, désormais ouverte par M. NOAH EDZIMBI,
soit maintenue comme telle par d’autres ; fenêtre qui donnera finalement aux
Africains davantage de clarté sur le fonctionnement de la scène internationale
où il n’y a pas d’amis, mais juste des intérêts qui s’adaptent selon les
conjonctures et les alliances établies.

ABOYA ENDONG Manassé

Professeur titulaire de science politique,


Université de Douala,
Vice-Recteur chargé du Contrôle interne
et de l’Évaluation à l’Université de Yaoundé I

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AVANT-PROPOS

Selon Amina OMRANE, Alain FAYOLLE et Olfa Zeribi BEN-


SLIMANE, dans leur article « Les compétences entrepreneuriales et le
processus entrepreneurial : une approche dynamique », publié en 2011,
tout « processus entrepreneurial ne se déclenche que si l’entrepreneur se situe
au niveau de la zone de cohérence de sa Configuration Stratégique
Instantanée Perçue (CSIP) pour que son projet puisse apparaître et se
développer ». La CSIP correspond ici à des actions qui sont appréhendées par
l’individu comme étant souhaitables et possibles. Ce déclenchement du
processus entrepreneurial survient suite à un changement interne à l’entre-
preneur (désir d’indépendance, insatisfaction humaine, sociale ou profession-
nelle) et/ou externe, provenant de l’environnement (rencontre/échange avec
une personne, un client potentiel, licenciement), se traduisant par des tensions
au niveau de la CSIP de l’entrepreneur. Ces tensions doivent être suffisam-
ment fortes et menaçantes pour que l’action de créer soit perçue positivement
par l’entrepreneur. Bien avant la proposition à nous faite par le ministre d’État,
monsieur ATANGANA MEBARA Jean-Marie, ceci après une longue
discussion, le projet rédactionnel de cet ouvrage est survenu lors d’un
« échange » avec notre fille juste âgée de quatre (4) ans, AMAYENE NOAH
Grâce Audrey, de retour des classes durant le mois d’octobre 2021.
Débordante d’énergie, et questionnant tout adulte sur des préoccupations qui
pourraient lui tarauder l’esprit, comme tout enfant de son âge, celle-ci, à peine
entrée dans la concession familiale, accourut vers nous et avança :

– Papa, est-ce que le pays est dur (le Cameroun à l’occurrence ici) ?
À la fois surpris et interloqués, nous ne sûmes quoi lui présenter comme
argumentaire spontané. Cherchant à trouver une explication préalable à lui
présenter, la petite enchaîna :
– La maitresse a dit que tu envoies l’argent de la craie demain parce que
« le pays est dur, on va faire comment ?! » Elle disait aussi à l’autre maîtresse
qui était là en classe que « le pays c’est le ndem » (le ndem en argot
camerounais — francamglais — signifie la malchance), et « qu’il faut sortir
pour aller falla le nyama ailleurs ! » (Cette expression renvoie, pour tout
individu, à trouver fortune hors du pays afin de pouvoir subvenir à ses besoins
propres et à ceux de sa famille).
Après lui avoir mimé « j’ai compris », elle prit congé en accourant vers la
cuisine où se trouvait sa génitrice. Cet « échange », révélateur des maux qui
minent la plupart des sociétés africaines, et du contexte socioéconomique
délétère dans lequel elles se trouvent, nous rappela notre enfance passée
majoritairement auprès d’aînés sociaux dans les années 1990 à MIMBOMAN,
un quartier périphérique de la ville de YAOUNDÉ. Pour la plupart d’entre

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eux, le pays était une prison à ciel ouvert, l’Afrique, un continent essentielle-
ment pauvre et maudit, les images d’alors de la télévision nationale Cameroon
radio television (CRTV) sur le génocide rwandais, entre 1994-1995, et les
clichés d’enfants éthiopiens atteints du kwashiorkor corroboraient, selon eux,
cette réalité. Aussi était-il urgent pour ces derniers de quitter cet « enfer » pour
« l’eldorado » qu’était l’Europe !
Durant notre éducation secondaire, supérieure et, parallèlement, notre
socialisation politique, cette représentation arbitraire de l’Afrique et des
Africains a alors été la nôtre, jusqu’à ce qu’il nous soit permis de la modifier
au travers de lectures constructives, de déplacements à l’étranger par le biais
des bourses de recherches octroyées d’une part, et, d’autre part, que nous
ayons l’occasion de participer à des conférences, des plateformes et des
séminaires scientifiques sur le continent. Ces différentes expériences ont
favorisé une restructuration cognitive de notre environnement proche et
lointain, de même que des schèmes de pensées internes de l’entrepreneur
scientifique, mieux du « sciencepreneur » que nous sommes aujourd’hui, qui
a d’ailleurs pour ambition de participer, à son humble niveau, à la modification
d’une représentation fortement arbitraire qu’ont les Africains d’eux-mêmes et
du continent, et de leur donner les outils nécessaires afin qu’ils s’arriment aux
enjeux de puissance qui caractérisent le monde post-bipolaire.
Le linguiste, historien et anthropologue Georges DUMEZIL souligne que
les sociétés se structurent par la division de l’activité humaine en trois
fonctions : religieuse, guerrière et économique. Aux côtés de celles-ci, nous
ajouterons une quatrième qui nous parait primordiale : la fonction cognitive et
réflexive, dans la mesure où elle a une influence durable sur les perceptions
de toute civilisation, en dépit des révolutions politiques, économiques et
sociales. Depuis la fin de la Guerre froide, le monde se globalise et les rapports
de force s’avèrent plus mouvants, suscitant une attention renouvelée des
mécanismes de la puissance par différents acteurs de la scène internationale.
L’ambition d’une redistribution du jeu international est aujourd’hui affichée
par les « Émergents », l’irruption de ces derniers faisant ressurgir les craintes,
déjà exprimées par les puissances occidentales dans les années 1950-1960, à
l’égard des Non-Alignés. Avec la fin de la bipolarité, des coalitions
diplomatiques, à l’exemple du groupe BRICS, réunissant Brésil, Russie, Inde,
Chine et Afrique du Sud matérialisent frustrations et ambitions des pays
exclus, ou se considérant comme tels, des centres de décisions internationaux.
Dès lors, ces constructions intergouvernementales interpellent les Africains
dans une prise en main de leur développement et la construction de leur
autonomie stratégique.
Ainsi, ce modeste travail s’adresse à chaque citoyen d’États qui constituent
la région Afrique centrale et, entre autres, à tout Africain qu’il soit historien,
juriste, chercheur, commentateur social, politicien, membre de l’administra-
tion publique ou de la société civile et professionnel des médias. Il a pour

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objectif, partant de l’exemple d’une reconstruction par la République fédérale


de Russie, de son identité nationale et de sa puissance, de leur montrer qu’avec
l’amour de soi/de la patrie, de la volonté, de l’abnégation, de la témérité, une
rigueur dans le travail, de la maïeutique intellectuelle, le respect de principes
et de l’ossature juridique/réglementaire institués dans une entité étatique, un
développement et une construction de puissance pour l’épanouissement des
populations locales est possible. Ce leitmotiv nous a été inculqué, malgré les
vicissitudes et les expériences à la fois frustrantes et difficultueuses vécues
jusqu’ici dans notre parcours social, humain et professionnel par nos pères,
aînés et mentors, le Professeur FOGUE TEDOM Alain et le ministre d’État
ATANGANA MEBARA Jean-Marie, pour qui : « il faut toujours viser à faire
mieux que ses parents, ses prédécesseurs et veiller à laisser les choses en
meilleur état qu’on ne les a trouvées ». Dès lors, nous espérons que cette
modeste contribution inspirera tout Africain dans ses domaines social et
professionnel respectifs d’une part et, d’autre part, les décideurs africains sur
des changements qu’ils pourraient apporter au fonctionnement de leur
République, en vue d’en améliorer l’efficacité et l’efficience. Ceci en
favorisant, chez les jeunes, les fonctions sociales, psychologiques et procé-
durales de l’entrepreneuriat, à savoir la destruction créatrice, l’aventure et
l’émergence.
Enfin, à ce stade, nous voudrions exprimer notre gratitude à tous ceux qui
ont accepté de nous accompagner dans cette nouvelle aventure scientifique,
par leurs conseils ou simplement en acceptant de lire ou de relire ce document.
Nous citerons en particulier le ministre d’État ATANGANA MEBARA Jean-
Marie, les professeurs ABOYA ENDONG Manassé et LASSERRE Frédéric,
aux Docteur.e.s NOAH NOAH Fabrice et MENDOMO Rosalie Michelle,
Messieurs OWONA Simon Julien, NAMA Lucien, ÉTIA KOKO Jean-
Baptiste et MESSI Nicolas Hervé, Mesdames NG’ÉLONG AMBASSA
Sabine et GUENANG NOUKELAG Christèle. Nous tenons à exprimer une
gratitude spéciale à ces personnes dont nous ne pouvons citer les noms et qui,
pourtant, ont apporté des contributions déterminantes aux orientations finales
de cet essai. Elles se reconnaîtront, où qu’elles se trouvent en ce moment.
Enfin, malgré les apports des uns et des autres, nous assumons l’entière
responsabilité des insuffisances et des erreurs éventuelles qui pourraient être
relevées dans ce travail.

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ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES

AEF : Afrique équatoriale française


AFD : Agence française de développement
AFRICOM : Commandement des États-Unis pour l’Afrique
AGOA: African Growth and Opportunity
AGCI: African Growth and Competitiveness Initiative
AOF : Afrique occidentale française
APD : Aide publique au développement
BAL : Basketball Africa League
BCEAO : Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest
BCEAC : Banque centrale des États d’Afrique centrale
BITD : Base industrielle et technologique de défense
BRICS : Brésil-Russie-Inde-Chine-Afrique du Sud
C2D : Contrat de désendettement et de développement
CAE : Conseil d’analyse économique
CAPED : Centre africain d’études stratégiques pour la promotion de la paix
et du développement
CEEAC : Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale
CEI : Communauté des États indépendants
CEMAC : Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale
CENI : Commission nationale des élections
CMT : Conseil Militaire de Transition
CS : Conseil de sécurité
EMIA : École Militaire Inter armées
EMIAC : École Militaire Inter armées du Cameroun
FCFA : Franc des colonies françaises d’Afrique
FCFP : Franc des colonies françaises du Pacifique
FMI : Fonds monétaire international
FSB : Service fédéral de sécurité
GLF : Grande Loge de France
GLNF : Grande Loge nationale française
GODF : Grand Orient de France
IDE : Investissements directs étrangers
MONUSCO : Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilité
en République démocratique du Congo
NBA : National basketball association
OCDE : Organisation pour la coopération et le développement en Europe
ONG : Organisation non gouvernementale
ONU : Organisation des Nations Unies
OMC : Organisation mondiale du commerce
OPEP : Organisation des pays exportateurs du pétrole
OSCE : Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

OTAN : Organisation du traité de l’Atlantique


OUA : Organisation de l’unité africaine
PACE: Programme d’appui au cycle électoral
PAM: Programme alimentaire mondial
PDG : Président directeur général
PWC: PricewaterhouseCoopers
R&D : Recherche et développement
RDC : République Démocratique du Congo
RIM: Renseignement d’intérêt militaire
ROEM : Renseignement d’origine électromagnétique
ROIM : Renseignement d’origine image
ROTEC : Renseignement d’origine technologique
ROHUM : Renseignement d’origine humain
SED: Secrétariat au développement
SGPR : Secrétaire général à la présidence de la République
SNH : Société nationale des hydrocarbures
TIC : Technologies de l’information et de la communication
UA : Union africaine
UE : Union européenne
UEE : Union économique eurasiatique
UNC : Union nationale du Cameroun
URSS : Union des républiques socialistes et soviétiques
USAID : Agence américaine pour le développement international
PTF : Productivité totale des facteurs
RCA: République centrafricaine
VTB : Valve trombone

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

I- Contexte et justification

Depuis 1945 existe une confrontation discursive entre les concepteurs


d’une « démocratie imposée » d’une part et, d’autre part, le point de vue
d’auteurs qui pensent contraire de la démocratie. C’est en partant de ce
contexte que les Occidentaux essayent de faire prévaloir le modèle d’une
démocratie libérale au reste du monde. La fin de la Seconde Guerre mondiale
consacre le partage du monde entre les États-Unis et l’URSS, seuls détenteurs
de l’arme atomique entre 1945 et 1949, au détriment des anciennes puissances
européennes. Alliés contre l’Allemagne hitlérienne, les deux Grands
deviennent des adversaires et, deux ans après la fin de la guerre, constituent
deux blocs politiques et idéologiquement hostiles. Le risque d’une
conflagration nucléaire dissuade les deux superpuissances de s’affronter
directement. Cette opposition indirecte, qui ne débouche pas sur la guerre au
sens clausewitzien ou bouthoulien, est appelée Guerre froide1. Par la suite,
l’effondrement de l’URSS crée une période d’euphorie au cours de laquelle
l’Occident, ses valeurs, son modèle ont paru s’être imposés au monde en
l’absence d’alternative. Ce fut le temps de l’hyperpuissance, celui du modèle
philosophique de la fin de l’Histoire2. En effet, pour Francis Fukuyama,
l’effondrement de l’Empire soviétique rend moins pertinentes les questions
idéologiques et géopolitiques. Avec l’universalisation de la démocratie
libérale comme forme de gouvernement s’achève l’évolution idéologique de
l’humanité et, selon le point de vue de l’auteur, les conflits finiraient par
décroître. Tel fut tout le sens de la poussée des institutions « euro-atlantiques »
vers l’Est, laquelle s’est heurtée au refus de la Russie de se soumettre au
capitalisme américain après la chute de l’Union soviétique à la fin de
l’année 19913.

1 Pour le sociologue Raymond Aron, la guerre froide est une période ni de guerre ni de paix.

C’est d’une certaine façon la teneur de sa définition du terme, car il pense que la guerre froide
est la période de « guerre improbable » et de « paix impossible ». La guerre était improbable
dans le sens où la dissuasion nucléaire dissuadait les grandes puissances de transformer la
guerre froide en guerre véritable. En d’autres mots, les armes nucléaires, empêchant tout conflit
les deux protagonistes, sont restées au stade de l’invective et de la guerre de propagande. Le
rapport des forces entre Américains et Soviétiques a permis sans doute de contrôler leur hostilité
réciproque. La paix était impossible dans la mesure où les buts des deux acteurs majeurs étaient
divergents. L’URSS pensait établir son système au niveau de la planète, le camp occidental
voulait la fin du communisme par conversion ou extinction. Ndimina-Mougala, Antoine-Denis,
« Les manifestations de la guerre froide en Afrique centrale (1961-1989) », Guerres mondiales
et conflits contemporains, N° 233, 2009/1, pp. 53-65.
2 Girard, Christian, « Défense et sécurité : du renversement de la hiérarchie des concepts à la

stratégie de sécurité nationale », Revue Défense Nationale, N° 830, 2020/5, pp. 78-84.
3 Douzet, Frédérick et Kaplan, David H., « Geopolitics: la géopolitique dans le monde anglo-

américain », Hérodote, N° 146-147, 2012/3, pp. 237-252.

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Nous situons cette période d’effacement du Bloc soviétique, et d’unipo-


larité au profit des États-Unis, entre la première guerre du Golfe en 1990 et
les attentats du World Trade Center en 2001. Parallèlement, durant cette
époque, sont apparues de par le monde des « zones grises » qui correspondent
à des États dits « faillis », ou à des espaces maritimes, dans lesquels se
constituent ou se développent de multiples trafics et activités illicites. Ces
situations mettent en exergue la théorie de Samuel Huntington sur le choc des
civilisations. Selon l’auteur, la civilisation « occidentale » est menacée avant
tout par son propre déclin et l’illusion de transmettre, par la mondialisation de
l’économie et de la culture de consommation, ses valeurs politiques comme la
démocratie, l’individualisme, la suprématie du droit, etc. Dès lors se présage
une confrontation entre elle et les autres civilisations4. Pour sa part, John
Mearsheimer démontre que la recherche par la Chine d’une hégémonie en
Asie est également une menace à la préservation des intérêts occidentaux dans
la région. Selon lui, la montée en puissance de l’Empire du Milieu conduit à
l’émergence d’une deuxième superpuissance et, par ricochet, au retour d’un
monde bipolaire5. Chacune de ces théories a rencontré un écho dans l’opinion
publique internationale, en partie accréditée par l’effondrement de l’Union
soviétique.
Depuis la fin de l’année 2019, la pandémie à Coronavirus plonge le monde
dans les moments les plus difficultueux enregistrés depuis la fin de la bipo-
larité. Elle entraîne des perturbations économiques d’une ampleur considé-
rable, crée une instabilité sur de multiples fronts (politique, sociale, géopoli-
tique) et suscite de profondes préoccupations environnementales6. Cette crise,
à la fois sanitaire et économique, dévoile le manque d’anticipation de la
communauté internationale et de ses institutions, qu’il s’agisse des États, des
organisations onusiennes ou des institutions régionales et sous régionales7. La
pandémie met en exergue les limites du libéralisme, spécifiquement
l’approche institutionnelle pour laquelle l’individu est au cœur de la sécurité,
notamment sa sécurité physique et sa propriété, tout en contestant la
prééminence (puissance) de l’État8. L’année 2020 a illustré, quant à elle, que
la compétition stratégique et la concurrence militaire redevenaient la
grammaire des affaires étrangères9. Ainsi, pour éviter tout déclassement

4 Ibid.
5 Ibid.
6 Schwab, Klaus et Malleret, Thierry, Covid-19 : la grande réinitialisation, Cologny/Genève,

Forum Économique Mondial, 2020, pp. 11-12.


7 De la Messuzière, Yves Aubin, « La géopolitique de la pandémie », Revue internationale et

stratégique, 2020/2, no 118, p. 89.


8 Cohen, Avner, The worst-Kept secret. Israel’s bargainwith the bomb, New York (N. Y.),

Colombia University Press, 411p.


9 Dumas, Francis, « Éviter le déclassement stratégique en se préparant aux conflits qui

viennent », Revue Défense Nationale, N° 838, 2021/3, pp. 5-10.

24
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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

stratégique10, s’inscrire dans la quête de la puissance décisive et s’arrimer à la


rude concurrence économique qui structure les relations internationales post
Guerre froide, tout État stratégiquement mature initie, entre autres mesures,
une révision de ses dispositifs de puissance.
À l’arrivée au pouvoir de l’ancien président Barack Obama en 2009, la
représentation de l’État qu’a le chef d’État est celle d’un pays en phase de
déclin relatif. Il considère que l’événement le plus important des dix années
précédentes est l’émergence de nouvelles puissances, en particulier la Chine,
mais aussi le Brésil et l’Inde, puis l’Indonésie, la Turquie et d’autres. Aussi
estime-t-il que les États-Unis n’ont pas mesuré l’ampleur de ce phénomène
nouveau parce qu’ils étaient concentrés sur la guerre contre le terrorisme,
l’Afghanistan et l’Irak détournant leur attention et leurs ressources. Partant de
ce bilan, le président Obama reformule le leadership américain et le rapproche
à cette période du centre de gravité du monde, à savoir les pays émergents,
d’où l’idée de « pivot » conçu par Justin Vaïsse11. Le pivot au sens propre, est
le rééquilibrage à la fois militaire et politique des États-Unis vers l’Asie, mais
c’est aussi le rééquilibrage vers les puissances émergentes en général12.
Partant de cette politique de rééquilibrage, et compte tenu de leurs
engagements sur d’autres théâtres d’opérations, les États-Unis ont « relative-
ment » délaissé le continent africain13. Si dès 2010, l’administration et les
centres de recherche états-uniens ont commencé à s’intéresser à la progression
des intérêts chinois sur le continent, la Chine, étant alors encore considérée
comme un pays émergent, donc non concurrent14, était perçue comme une
opportunité de partenariats, voire de coopération. Ce n’est qu’avec la
réaffirmation de la puissance chinoise, sous la présidence de Xi Jinping, et la
dégradation des relations commerciales, et in fine politiques, entre les deux
puissances se disputant le monopole de « superpuissance », qu’un regain
d’intérêt pour le continent s’est imposé comme grille de lecture dans la
politique étrangère américaine15. En effet, en 2019, Sébastien Le Belzic,
correspondant au Monde Afrique, affirmait, au regard de la guerre économique

10 Ibid.
11 Vaïsse, Justin, Barack Obama et sa politique étrangère, 2008-2012, Éditions Odile Jacob,
Paris, 2012.
12 Douzet, Frédérick et Vaïsse, Justin, « Obama, le président du pivot », Hérodote, N° 149,

2013/2, pp. 7-21.


13 Roussy, Caroline, « L’Afrique, nouvelle frontière du duel sino-états-unien ? », Revue

internationale et stratégique, N° 120, 2020/4, 137-147.


14 « Les États-Unis ont tardé à réagir au défi extra-occidental, en particulier chinois, en Afrique.

Durant les dernières années de l’administration Clinton et les quatre premières années de
l’administration Bush, ils semblent n’en avoir pas même pris conscience. Quand, au cours du
second mandat de Bush, ils se rendirent enfin compte de l’ampleur du phénomène, ils
n’accordèrent pas pour autant une plus grande priorité à la politique afro-américaine, un terrain
traditionnellement secondaire », in Shinn, David H., « Les États-Unis reconsidèrent les relations
sino-africaines », Outre-Terre, N° 30, 2011/4, p. 273.
15 Roussy, Caroline, Op. cit.

25
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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

que se livrent les États-Unis et la Chine depuis 2018, que « l’Afrique s’affirme
[…] comme l’échiquier d’une guerre froide où les deux plus grandes
économies de la planète avancent leurs pièces16 ». Cette qualification, qui
renvoie à une guerre par procuration, est de plus en plus usitée comme
paradigme d’analyse des relations entre les deux pays.
Engagé depuis 2001 dans la lutte contre le terrorisme, AFRICOM continue
d’intervenir sur des théâtres d’opérations, comme au Mali. La Chine,
conformément à sa doctrine de non-ingérence, s’avance quant à elle à pas
feutrés17. En investissant dès 2014, et tout particulièrement dans le secteur des
infrastructures (routes, réseaux ferrés à grande vitesse, ports, etc.) en vue de
connecter les 54 capitales entre elles ainsi qu’avec le reste du monde, la Chine
répond aux attentes de l’« Agenda 2063 », qui met l’accent sur « la nécessité
pour l’Afrique de se doter d’infrastructures de classe mondiale18 ». Elle donne
à voir, en somme, une forme de concrétisation potentielle du rêve de
construction des États-Unis d’Afrique. Si la stratégie de Pékin est souvent
vilipendée (centrales thermiques à charbon polluantes, Loan To Own Program
considéré comme une « trappe à dettes », etc.), celle de Washington peine,
pour sa part, à se montrer cohérente.
En difficulté dans les années 1990, la Russie s’est inscrite depuis les
années 2000 dans une quête de retour à la puissance19. La figure du « triangle
stratégique » Washington-Moscou-Pékin20, mobilisée par Henry Kissinger, ne
lui est pas étrangère. En effet, depuis Ivan III, l’aigle à deux têtes qui
symbolise l’existence d’un État russe fort21 tout en regardant vers l’Orient et
vers l’Occident, contribue à la projection de la puissance de Moscou et la
préservation de ses intérêts nationaux22. Toutefois, après la montée en
puissance de la Chine dès les années 2000, le Kremlin affaibli sait qu’il ne
constitue plus un des sommets du triangle formé par les trois pays23. Moscou

16 Le Belzic, Sébastien, « L’Afrique devient un échiquier où les États-Unis et la Chine avancent


leurs pièces », Le Monde, 9 janvier 2019.
17 « La Chine décupla sa participation aux OMP sous Hu Jintao, envoyant des Casques bleus

dans 80 % de ces opérations, notamment en RDC et au Liberia. Le président de l’époque décida


aussi de l’envoi de troupes en Côte d’Ivoire, au Burundi, au Soudan […] et au Darfour », in
Genevaz, Juliette, « La Chine et les opérations de maintien de la paix de l’ONU : Défendre la
souveraineté », Politique étrangère, IFRI, 2015, pp. 134-135. Voir également Lebœuf, Aline,
« La compétition stratégique en Afrique. Approches militaires américaine, chinoise et russe »,
Focus Stratégique, N° 91, IFRI, août 2019.
18 Lire à ce sujet, Union africaine, « Développement des infrastructures et de l’énergie ».
19 Pour plus de développements, lire à ce sujet « Les nouveaux intérêts géostratégiques de la

Russie contemporaine », document consulté le 19/11/2020 sur https://www.diploweb.com/-


Russie-9-.html
20 Kissinger, Henry, Diplomacy, New York, Simon & Schuster, 1994, 904 p.
21 Perroud, Hélène, Un Russe nommé Poutine, Éditions du Rocher, Monaco, 2018, pp. 11-21.
22 De Gliniasty, Jean, « La Russie dans la rivalité Chine/États-Unis », Revue internationale et

stratégique, N° 120, 2020/4, pp. 109-117.


23 Ibid.

26
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s’efforce de ce fait à tirer parti du Nouveau Monde multipolaire au sein duquel


il dispose de différents atouts, malgré la prééminence des Américains et la
puissance montante chinoise24. Prise dans le cercle hostile que l’OTAN
referme chaque jour un peu plus sur elle, la Russie a décidé de briser son
isolement en nouant des partenariats avec des pays qui lui permettront à terme
à enfermer ceux qui l’encerclent, ce qui se justifie par les objectifs poursuivis
par les différents mandats présidentiels de son leader Vladimir Poutine.
Le premier mandat Poutine I (1999-2004) a servi à la restauration de
l’autorité de l’État à l’intérieur de ses frontières, le deuxième, Poutine II
(2004-2008), a été celui de la prospérité ; et le troisième mandat Poutine III
(2008-2018) a été celui de la modernisation des forces armées qui s’est
concrétisée par la victoire militaire russe en Ukraine et en Syrie25. Cependant,
le redressement économique de la Russie ne peut l’amener à prétendre à la
place de superpuissance en parité avec les États-Unis comme à la période
soviétique, d’où son optique de s’inscrire dans la quête des réformes
économiques à des fins hégémoniques26, objectif du quatrième mandat
Poutine IV (2018-2024). Cette quête de leadership économique amène
Moscou à s’intéresser à nouveau à l’Afrique qui occupe une place centrale
dans l’économie mondiale. Avec plus de 30,37 millions de km² en intégrant
les espaces insulaires, une population de plus de 1,1 milliard d’habitants, le
continent rassemble quelque 2 500 groupes communautaires et, surtout,
bénéficie de richesses naturelles considérables. L’Afrique, de par ses richesses
et son potentiel humain, dispose de multiples atouts. Depuis les années 1960,
le processus de décolonisation n’occulte pas la pérennité des politiques
d’influence des grandes puissances. Celles-ci mettent en avant leurs impératifs
géostratégiques, la raison d’État au profit de l’assurance de leur rayonnement
international. Et la France, en particulier, œuvre depuis des décennies pour
préserver ses intérêts face à la concurrence anglo-saxonne, et face à l’influence
de l’URSS durant la période bipolaire27. D’où une floraison de concurrences
mutuelles et plurisectorielles sur le continent : obtention des marchés destinés
à l’exploitation des ressources minières, énergétiques ; politiques contrac-
tuelles pour vendre des technologies et savoir-faire, des armes, aéronefs et
équipements industriels, etc.
Les marchés porteurs sont évidemment ceux inhérents aux matières
premières à haute valeur ajoutée, matières premières énergétiques et miné-
rales, d’importance stratégique : l’uranium, le pétrole, le gaz et le bois. On
peut y ajouter le coltan, ou colombo-tantalite, omniprésent dans les vecteurs

24 Ibid.
25 Embiede Eballa, Marguerite Chantal, « L’Afrique Centrale et la renaissance géopolitique de
la Russie », Dialectique des intelligences, n° 005, 2019, pp. 43-58.
26 Ibid.
27 Le Pautremat, Pascal, « L’Afrique : entre défis et succès potentiels, loin des fatalités »,

Diploweb.com : la revue géopolitique, 3 octobre 2015, 14 p.

27
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de communication (ordinateurs, téléphone mobile, etc.). Les impératifs


géoéconomiques incitent donc à la captation des ressources naturelles autant
que de matières premières qui attisent convoitise et concurrence entre grandes
puissances et émergentes via leurs multinationales. Dans l’optique de réaliser
les divers objectifs mis en exergue dans ses mandants présidentiels, la
réémergence de l’axe Russie/Afrique, est de plus en plus perceptible avec le
président Vladimir Poutine, principal artisan d’une reprise progressive de
rapports coopératifs entre Moscou et l’Afrique. Ainsi, avec la rencontre en
octobre 2017 à Sotchi entre le président centrafricain Faustin Archange
Touadéra, et le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, la
Russie apporte et renforce non seulement son soutien militaire dans ledit pays,
mais aussi dans d’autres États de l’Afrique centrale comme le Cameroun28. En
effet, la présence russe y semble bien perçue par les populations locales qui,
se sentant humiliées29 par les États occidentaux durant les situations conflic-
tuelles qu’elles rencontrent, atteints selon elles d’un « complexe de
supériorité30 », trouvent ici une possibilité de reprofiler des rapports jusqu’ici
majoritairement entretenus avec leurs anciennes puissances colonisatrices et
tutélaires. L’Afrique centrale, en tant que zone d’intérêts stratégiques pour les
nouvelles puissances émergentes (BRICS) dont fait partie la Russie, bénéficie
de ce fait de ses engagements diplomatico-économiques et militaires31, d’où
la mise en œuvre d’une politique de puissance.

II- Clarification conceptuelle

Comme l’affirme Max Weber, un travail de recherche nécessite la


disposition d’un motif et d’une idée originale. Toutefois, être animé de
curiosité intellectuelle et d’un désir de vérité n’est pas suffisant32. Ainsi, la
recherche ne peut être effectuée séparément du travail de clarification des
concepts de base utilisés comme catégories de lecture, d’explication, de

28 Voir, « Ambazonie : l’armée camerounaise appelle la Russie à l’aide », article consulté le

11/02/2019 sur www.sputniknews.com


29 La notion d’humiliation est introduite dans les relations internationales par Bertrand Badie.

Il la définit comme « toute prescription autoritaire d’un statut inférieur à celui escompté et non
conforme aux normes construites dans les relations internationales ». Lire à ce sujet Badie,
Bertrand, Le temps des humiliés : pathologie des relations internationales, Odile Jacob, 2014,
p. 13.
30 Conçu par Alfred, Adler dans ses séries d’ouvrages intitulés Understanding Human Nature

and Social Interest, le complexe de supériorité est un mécanisme de défense psychologique


dans lequel les sentiments de supériorité d’un individu comblent ses sentiments d’infériorité.
Transposé dans les rapports entre acteurs internationaux, il pourrait exprimer la sensation de
domination qui habite un acteur vis-à-vis d’un autre.
31 Arkhangels Kaya, Alexandra, « Le retour de Moscou en Afrique Subsaharienne ? », Afrique

Contemporaine, N° 248, 2013/4, pp. 61-74.


32 Schemeil, Yves, Introduction à la science politique : objets, méthodes, résultats, 2e édition

revue et augmentée, Presses de sciences politiques et Dalloz, 2012, p. 221.

28
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construction de l’objet, considéré comme domaine de définition, et de


vérification des hypothèses33. Dès lors, entamer l’étude par quelques
précisions conceptuelles semble indispensable, dans la mesure où Émile
Durkheim conseille au « savant » de clarifier préalablement les concepts clés
de son objet, afin que nul ne se trompe sur son itinéraire34.
Clarifier, c’est littéralement tracer des limites à un objet d’étude, qui
devient un objet fini avec une frontière entre ce qu’il est et ce qu’il n’est pas.
Comme les frontières sont toujours artificielles, elles se déplacent au fur et à
mesure que l’investigation progresse35. Les mots ne renvoyant pas à la même
réalité partout et pour tous, cette démarche peut sembler d’autant plus
légitime. Les concepts sont en effet liés à l’objet et n’ont de sens que par
rapport à un domaine ou à un contexte d’étude bien précis. Ils sont par
conséquent censés délimiter l’objet, organisez et guidez la recherche36. La
clarification permet ainsi de circonscrire le domaine d’enquête37. C’est alors
que pour une meilleure compréhension de l’étude, les clarifications des
expressions politiques de puissance et réflexion stratégique paraissent
indispensables à la circonscription de l’objet de cette étude ainsi qu’à son
intelligibilité.

A- Politique de puissance
Il est question de clarifier le terme politique publique de défense et de
sécurité premièrement, secondement celui de puissance et, finalement, la
notion de politique de puissance.

1- Politique de défense et de sécurité


L’émergence des politiques publiques est consécutive à la naissance de
l’État westphalien38. Une question devient une politique publique à partir du
moment où il se pose aux autorités un problème politique à résoudre. On peut
donc définir les politiques publiques sans nier que cet exercice revêt un aspect
problématique en raison de sa variation dans le temps et dans l’espace, de la
pluralité des champs d’intervention de l’État et de la diversité de ses
compétences.
Cette définition présente ainsi trois idées : une politique publique est tout
ce qu’un gouvernement décide de faire, ou de ne pas faire ; les politiques
33 Sindjoun, Luc, L’État ailleurs. Entre noyau dur et case vide, Paris, Éditions Économia, 2002,

p. 4.
34 Grawitz, Madeleine, méthodes des sciences sociales, Paris, 10e édition, Dalloz, 2001, p. 381.
35 Schemeil, Yves, Op. cit., p. 218.
36 Nzeugang, Albert, « Les États-Unis en Afrique après le 11 septembre : dynamiques locales

d’une puissance globale », thèse de Doctorat en science politique, Université de Yaoundé II,
2010, p. 3.
37 Schemeil, Yves, Op. cit., p. 221.
38 Okala Ebodé, Joseph Thierry, « Le système de sécurité camerounais à l’épreuve de la

gouvernance démocratique », Thèse de Doctorat en science politique, Université de Yaoundé II,


en attente de soutenance, p. 270.

29
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publiques sont un ensemble de décisions reliées entre elles, prises par un


acteur ou un groupe d’acteurs avec pour caractéristiques fondamentales de
définir les buts à atteindre ainsi que les moyens nécessaires pour remplir les
objectifs fixés ; les politiques publiques sont à la fois un construit social et un
construit de recherche39. En résumé, une politique publique « est un phéno-
mène social et politique spécifique, empiriquement fondé et analytiquement
construit40 », « en théorie, un objet relativement simple à définir. En pratique,
sa caractérisation est en soi un problème pour la recherche41 » et « la capacité
qu’ont les systèmes publics à gérer des demandes et des problèmes publics, et
à fabriquer du politique : Policy matters42 ».
Durant la période allant de la première guerre du Golfe aux attentats du
World Trade Center, le concept de « nouvelles menaces » émerge dans les
préoccupations étatiques. Ces menaces sont d’un caractère composite, mais
de nature sécuritaire, c’est-à-dire susceptible d’attenter à la sécurité intérieure
du pays. Elles n’émanent pas de politiques étatiques identifiées et ne
paraissent donc pas justifier un traitement militaire. Elles sont traitées selon
les lois et les règles du droit national et international en temps de paix, l’outil
militaire ne pouvant venir qu’en appoint. Les frontières de la sécurité
intérieure des États ne sont dès lors plus conformes à celles de la géographie.
Cette réalité a pu se vérifier lors des attentats sur le sol français en 2015 en
passant par le 11 septembre 2001, et durant les multiples autres attentats dans
différents pays européens43. Les concepts de défense et de sécurité étaient
alors systématiquement associés, comme si leur relation, le fameux conti-
nuum, était une évidence sans conséquence. Cette situation n’est pas cepen-
dant sans créer de graves risques de confusion. Les deux concepts doivent
continuer à être nettement distingués44.
On se mit toutefois à parler de sécurité extérieure à côté de la sécurité
intérieure, la sécurité prenant progressivement le pas sur la défense. Pour ce
qui est de la France, la défense se trouvait certes privée d’un ennemi bien
identifié, mais elle oubliait le caractère global et interministériel défini par
l’ordonnance de 1959 fondant son organisation. Ce glissement va s’opérer
institutionnellement avec le Livre blanc sur la défense de 2008. On observe
alors, selon l’expression de Bertrand Warusfel, « un glissement des mots vers
un retournement des concepts45 ». Le Livre blanc introduit le concept de
« sécurité nationale » directement décalquée de la National Security

39 Ibid., p. 272.
40 Thoenig, Jean-Claude., « Politique publique » in Dictionnaire des politiques publiques, Paris,
4e édition, Les PFNSP, 2014, p. 420.
41 Ibid., p. 421.
42 Ibid., p. 425.
43 Girard, Christian, « Défense et sécurité : du renversement de la hiérarchie des concepts à la

stratégie de sécurité nationale », Revue Défense Nationale, N° 830, 2020/5, pp. 78-84.
44 Ibid.
45 Ibid.

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américaine. Le Code de la défense article L 11-11-1 montre que désormais la


notion de sécurité nationale coiffe bien celle de la défense, réduite à sa
dimension militaire. Dès lors, la sécurité est civile, sociale, industrielle,
intérieure, extérieure, informatique, etc. Elle désigne un état final positif, être
en sécurité, qui est d’abord un ressenti. Mais le mot est également employé
pour qualifier l’ensemble des mesures ou des moyens qui concourent, dans un
domaine donné, à la recherche de cet état final46. Il couvre un large champ et
n’est pas véritablement conceptualisé.
La sécurité représente bien le domaine des mesures et des moyens que
l’État peut prendre et mettre en œuvre pour assurer l’état final « en sécurité »
de la société et des citoyens. À ce titre, il ne paraît pas illogique qu’il englobe
les actions spécifiques de défense dans ce qu’elles contribuent à l’obtention
de cet état final. Le mot défense, bien que pouvant prendre un champ
d’extension large au-delà du seul champ de l’action militaire ouverte, signifie
désormais dans la terminologie actuelle préparation et emploi des forces
armées dans les contextes géopolitiques d’intervention en opération extérieure
et, depuis le développement du terrorisme et des crises de nature diverse sur
le territoire national, soutien des forces de sécurité intérieure47.
Partant de ces modifications liées à l’environnement international, la
politique de défense et de sécurité d’un État se présente comme l’ensemble de
grands options et principes politiques, stratégiques et militaires qu’il définit et
adopte en vue d’assurer sa sécurité. Complètement indissociable de la
politique étrangère, son élaboration fait une large place à la prospective
géopolitique, démographique et économique dans les domaines scientifiques
et techniques, afin d’estimer l’évolution des menaces, des forces et faiblesses
de la Nation et des opportunités qui s’offrent à elle48. Elle est une stratégie
globale de défense dans laquelle « un État, ou un groupe d’États fixe des
objectifs de sécurité à l’échelon national ou multinational, et déploie des
ressources nationales, notamment militaire, pour les atteindre ». La politique
de défense et de sécurité d’un État traduit l’expression de sa volonté d’avoir
la maitrise sur son destin, d’être souverain en toutes circonstances49.

46 De La Maisonneuve, Éric, « Concept de sécurité et “haute intensité”, Revue Défense

Nationale, N° 838, 2021/3, pp. 63-70.


47 Ibid.
48 Mbida, Gabriel, « Politique de défense et sécurité du Cameroun : Réflexion sur une stratégie

globale de sécurité nationale », thèse de Doctorat en science politique, Université de


Yaoundé II, p. 58.
49 La Direction de publication, « Quelques rappels utiles en matière de stratégie, “opératique”

et tactique… », Doctrines, stratégie, « opératique » et tactique : la place des forces terrestres »


, 2005, no 07, p. 8.

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2- Puissance
Le concept de puissance occupe depuis toujours, et quelques soient les
acteurs et les écoles, une place centrale dans l’analyse des relations interna-
tionales. L’ordre international implique en permanence un « choc de
volontés ». Malgré l’existence d’organisations intergouvernementales, régio-
nales et sous régionales, cet ordre est fondé sur la pluralité de souverainetés
militaires, et donc sur le droit que se réservent celles-ci de se faire justice elles-
mêmes. Dans ce contexte, pour atteindre leurs objectifs, les acteurs interna-
tionaux sont obligés de recourir à la puissance, et quelquefois, à la puissance
militaire50. Pour Pierre Verluise, « Tous les peuples ne partagent pas au même
moment l’ambition de peser dans le monde, heureusement d’ailleurs. La
puissance est un concept multiforme, évolutif et complexe qui repose sur des
fondamentaux comme le territoire, les hommes et le désir. Il arrive que des
ruptures technologiques, hier avec le nucléaire militaire, plus récemment
internet, redessinent les contours et les moyens de la puissance51 ».
En 1981, Jean-Baptiste Duroselle différencie la puissance d’une puissance.
Se référant à la puissance, comme la « désignation abstraite d’un phénomène
fondamental de l’histoire humaine », il distingue la puissance interne
(communément baptisée « pouvoir », capacité pour l’État de modifier la
volonté de groupes ou d’individus inclus dans sa sphère) de la puissance
externe, dont les principaux centres d’exercice demeurent, selon lui, les
États52. Abordant le concept de puissance, après avoir développé la « théorie
asociale des relations internationales », Raymond Aron considère, quant à lui,
la puissance comme la « relation entre unités politiques dont chacune
revendique le droit de se faire justice elle-même, d’être seule maitresse de
décision de combattre ou de ne pas combattre53 ». Autrement dit, la puissance
est cette capacité dont peut disposer une unité politique d’opposer sa volonté
aux autres unités. Celle-ci ne s’analysant qu’à travers la prise en considération
de caractéristiques concrètes d’une rivalité de puissance que sont la scène
géographique, les moyens disponibles, les enjeux de l’opposition54. La
puissance ici analysée est externe, opposée à la puissance interne selon la
distinction faite par Jean-Baptiste Duroselle. Cette opposition n’est que
méthodologique, car c’est la puissance interne encore appelée pouvoir, qui
finalement porte la puissance externe. L’aptitude du pouvoir à combiner les
facteurs de puissance, qui permet à l’État de mobiliser la force, est le gage
d’une influence internationale virtuelle ou réelle. Ainsi, la puissance est

50 Fogué Tedom, Alain, Cameroun : sortir le renseignement du maintien de l’ordre politique.


En faire un outil stratégique, Yaoundé, Les Éditions du Schabel, 2017, p. 242.
51 Verluise, Pierre, « Géopolitique-La puissance : quels sont ses fondamentaux ? », document

consulté le 20/11/2021 http://www.diploweb.com/Gepolitique-La-puissance.html


52 Fogué Tedom, Alain, Op. cit., p. 242.
53 Ibid., p. 243.
54 Ibid.

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l’influence internationale virtuelle ou réelle que procure l’usage de différents


moyens, elle est au cœur de la réflexion sur la vie indépendante et souveraine
de l’État dans un environnement international réglé par les rapports de force.

3- Politique de puissance
Une politique de sécurité et de défense a pour but la protection et la
préservation des intérêts nationaux55 d’un État. La formulation de ces intérêts
se présente comme un procès dynamique et complexe étant donné que cette
catégorie reflète des réalités sociales qui comportent la totalité des besoins et
aspirations communs à tous les membres d’une entité socioculturelle56. La
satisfaction et le soutien de ses besoins et aspirations sont une condition
indispensable à l’existence et à l’identité de la société en tant que sujet de
l’histoire. Ceux-ci reflètent les aspirations d’un peuple d’occuper, dans le
cadre de la communauté mondiale, une place qui correspond le mieux à ses
traditions historiques, culturelles et spirituelles et qui lui assurerait la pleine
réalisation de son potentiel. Les intérêts nationaux se subdivisent en trois axes
à savoir : les intérêts vitaux, les intérêts stratégiques et, enfin, les intérêts de
puissance57. Toute politique de puissance est ainsi primordialement une
émanation d’une politique étrangère.
La politique étrangère se définit comme l’implémentation de la politique
de défense et de sécurité d’un pays sur l’espace international. Visant à conférer
un caractère conscient et calculé aux décisions par lesquelles toute entité
étatique fait prévaloir sa politique publique nationale, la politique étrangère
est destinée à protéger, défendre et valoriser les intérêts nationaux dans un
environnement international qui change selon les contextes en vigueur58. La
politique étrangère, aussi par conséquent le champ diplomatique et
l’économie, sont deux principaux domaines où une politique de puissance est
le plus souvent à l’œuvre. Cette dernière s’est progressivement émancipée de
sa trajectoire strictement militaire pour se déployer dans divers autres
domaines59.

55 Un intérêt national se définit comme tout secteur, domaine ou richesse d’importance


stratégique qui, en raison d’une quelconque menace ou attaque dont il ferait l’objet, conduirait
un État à mobiliser des moyens conséquents de défense et de sécurité pour le protéger. Noah
Edzimbi, François Xavier, « Le cinéma et l’éducation à la citoyenneté au Cameroun », Espace
géographique et société marocaine, N° 43/44, janvier 2021, p. 326.
56 Noah Edzimbi, François Xavier, « Géopolitique locale et instrumentalisation des échéances

électorales en Afrique subsaharienne », Dialectique des intelligences, N° 005, 2018, p. 23.


57 Noah Edzimbi, François Xavier, « La défense populaire et la lutte contre les nouvelles

menaces au Cameroun : contribution à la formation d’une culture stratégique et à l’étude d’une


logique sécuritaire globale après 2001 », thèse de Doctorat en science politique, Université de
Douala, pp. 82-108.
58 Noah Edzimbi, François Xavier, « Cameroun : modifier la politique culturelle pour en faire

un outil stratégique dans la CEMAC », Espace géographique et société marocaine, N° 54,


novembre 2021, pp. 187-199.
59 Fogué Tedom, Alain, Op. cit., p. 247.

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De ce fait, une politique de puissance se présente comme toute stratégie


mise en œuvre par un acteur stratégiquement mature sur l’espace mondial,
dans l’objectif d’obtenir des avantages qu’il tire de sa capacité d’inscrire ses
intérêts à l’ordre du jour des résolutions d’institutions tant régionales qu’inter-
nationales ; d’influencer fortement voire modifier les politiques publiques
d’une entité étatique, tout en ayant une priorité en matière de maîtrise de leurs
différents agendas, ceci selon les enjeux et les contextes internationaux en
vigueur. Ladite politique s’appuie sur un ensemble de moyens, ressources
(physiques, humaines, intellectuels, militaires, économiques, diplomatiques,
technologiques, industriels, etc.) susceptibles d’être mobilisées par une Nation
pour permettre à l’État de réagir, voire d’imposer sa volonté sur ladite scène
mondiale.

B- Réflexion stratégique
Les exigences de réactivité et de flexibilité stratégiques imposées par
l’environnement international concurrentiel ont donné lieu à une nouvelle
conception de la façon dont peuvent se former les orientations stratégiques.
Tandis que les rôles des dirigeants évoluent vers un environnement extérieur
à leur organisation au détriment de leurs activités, d’autres acteurs
organisationnels cherchent à s’impliquer davantage dans le processus straté-
gique60. La recherche en stratégie rend plus ou moins compte de ces
évolutions, mais le carcan des perspectives classiques, notamment de la
décision stratégique, empêche une réelle prise en compte de ces évolutions61.
Progressivement, le vocabulaire de la stratégie change cependant. En effet,
« le terme “réflexion stratégique” est souvent utilisé de façon si large
aujourd’hui dans le champ de la stratégie qu’il risque de perdre tout sens.
Rares sont ceux utilisant le terme qui le définissent. Plus souvent, il semble
que le terme “réflexion stratégique” soit utilisé pour illustrer toute pensée à
propos de la stratégie, plutôt que pour définir un mode particulier de
réflexion, avec des caractéristiques spécifiques62 ».
La décision stratégique fait place à la formation de la stratégie qui, depuis
peu, laisse place à la réflexion stratégique. Toutefois, la notion de réflexion
stratégique n’est que peu construite. Le plus souvent, elle est assimilée à
l’analyse stratégique ou définie en opposition à la planification. Parce qu’elle
y est presque systématiquement définie au regard du concept de planification
stratégique, la notion de réflexion stratégique ne peut être approfondie et
adoptée que si elle est, dans le cadre de ce travail, clairement positionnée dans

60 Nguyen H, Quy., « In praise of middle managers », Harvard Business Review, vol. 79, 8,

2001, pp. 72–80.


61 Langley, A., Mintzberg, H., Pitcher, P., Posada, E., Saint-Macary, J., « Opening up decision

making: the view from the black stool », Organization Science, Vol. 6, 3, 1995, pp. 260–279.
62 Liedtka, J. M., « Strategic thinking: can it be taught? », Long Range Planning, vol. 31, 1,

1998, pp. 120-129.

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le champ de recherche. Ainsi, il est judicieux de présenter la relation qui existe


entre réflexion et planification. Plutôt que d’opposer les deux concepts, il
appert qu’ils ne sont pas exclusifs mutuellement, mais que la réflexion
stratégique doit au contraire se baser sur les pratiques de planification63.
La planification stratégique n’est qu’un outil du management stratégique,
une méthode pour formaliser l’analyse et les processus stratégiques. Elle est
définie comme un processus analytique visant à programmer des stratégies
déjà identifiées, et dont le résultat est un plan. La planification stratégique y
est présentée comme permettant, entre autres, l’apprentissage du raisonne-
ment stratégique64. Cette dimension est fondamentale, dans la mesure où la
planification stratégique, par son caractère systématique et formalisé,
développe la conscience stratégique et l’alphabétisme stratégique65 des acteurs
qui participent au processus de décision. En ce sens, la planification
stratégique est un outil pertinent pour faciliter le passage de la réflexion
stratégique individuelle à la réflexion stratégique organisationnelle. Ainsi, la
planification stratégique est un outil de la réflexion stratégique et les niveaux
d’analyse y sont alors différents. Aussi ne faudrait-il pas assimiler fins et
moyens. Car, la réflexion stratégique est une fin dans la mesure où elle a pour
ambition de développer des positionnements stratégiques. La planification,
quant à elle, est un moyen pour générer cette réflexion, par la formalisation et
la construction de sens à partir de données environnementales, concurren-
tielles et organisationnelles complexes. Toutefois, la réflexion stratégique
n’est pas antagoniste à la planification stratégique. Au contraire, elle s’en
nourrit, la planification étant un outil d’analyse qui permet de formaliser les
raisonnements et de développer un langage commun à tous les acteurs de
l’organisation66. De ce fait, la planification stratégique est « une activité
conduite en fonction des paramètres de ce qui doit être réalisé, mais qui ne
remet pas en question ces paramètres, et est donc analogue à l’apprentissage
en simple boucle. La planification stratégique prend le plus souvent une
direction stratégique prédéterminée et aide les stratèges à décider comment
l’organisation doit être configurée et les ressources allouées pour réaliser
cette orientation67 ».
63 Martinet, A. C., « Le faux déclin de la planification stratégique », in Martinet, A. C. &

Thietart, R. A. (Coord.), Stratégies - Actualité et futurs de la recherche, Éditions Vuibert, Coll.


Fnege, 2001, pp. 175-193.
64 Martinet, A.C., « Les jeux du management stratégique — formes et figures élémentaires »,

in Thépot, J., Gestion et théorie des jeux — l’interaction stratégique dans la décision, Éditions
Vuibert, Coll. Fnege, 1998, pp. 17-30.
65 La notion d’alphabétisme stratégique des acteurs renvoie à leur capacité à participer à la

formulation de la stratégie. Elle peut être appréhendée comme étant composée de deux
dimensions : la capacité à lire et la capacité à écrire la stratégie.
66 Torset, Christophe, « La notion de réflexion stratégique : une approche par les contextes »,

Université de Paris – Dauphine, Crepa, 2005, 29 p.


67 Heracleous, L., « Strategic thinking or strategic planning? », Long Range Planning, vol. 31,

3, 1998, pp. 481-487.

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Une relation dialogique entre planification et réflexion est ainsi constituée,


qui permet à l’organisation d’évoluer stratégiquement : « les résultats
attendus du cycle de réflexion/planification ne sont pas des stratégies de
suivisme, mais des positionnements distinctifs, basés sur des systèmes
d’activités uniques68 ». Dans cette perspective, planification et réflexion
stratégique sont les deux faces du management stratégique, comme l’illustre
la figure qui suit :

Figure 1 : Liens et relations établis entre réflexion stratégique et planification


stratégique

Réflexion stratégique

L’ambition de la réflexion stratégique


Processus de pensée :
est de découvrir des stratégies
Synthétique, Divergent,
Créatif
nouvelles, imaginatives, qui peuvent
réécrire les règles du jeu
concurrentiel ; et ainsi envisager des
futurs potentiels significativement
différents du présent

Management
stratégique

L’ambition de la planification stratégique


est d’opérationnaliser les stratégies
développées au travers de la réflexion Processus de pensée :
stratégique, et de soutenir le processus
de réflexion stratégique
Analytique, Convergent,
Conventionnel

Planification stratégique

Source : Torset, Christophe, « La notion de réflexion stratégique : une


approche par les contextes, Université de Paris – Dauphine, Crepa, 2005, p. 7.

68 Ibid., p. 484.

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En somme, la planification stratégique consiste en l’utilisation d’outils


analytiques pour organiser les actions stratégiques face à des évolutions
environnementales prévues ou prévisibles. Elle est temporellement repérable,
identifiable dans ses phases et son produit. Le développement d’une telle
approche de la planification est alors important pour la construction et la
clarification, ensuite, de la notion de réflexion stratégique.
En effet, cette approche permet d’envisager la réflexion stratégique comme
un processus global de formation et de développement de la stratégie, qui
comporte des phases d’analyse, de décision et d’action qui interagissent. Le
terme « analyse » est ici usité à dessein, en considérant que l’utilisation du
terme « réflexion », dans les perspectives processuelles de la décision, renvoie
plutôt à l’analyse des situations et des problèmes qu’à la réflexion. Car, si
l’analyse peut être considérée comme la quintessence de la réflexion, il faut
également considérer que l’action en elle-même est une forme de réflexion.
Agir signifie donc adapter, modeler, transformer de construits intellectuels
(décisions) en résultats matériellement appréhendables, en fonction des
conditions rencontrées lors de leur mise en action69. Dès lors, l’action inclut
la réflexion, elle est une forme de réflexion. Le déploiement stratégique est
une phase de réflexion, qui amène ou non à repenser les fondements de
l’action telle qu’elle avait été envisagée initialement, qui éventuellement
remet en cause les décisions. La réflexion stratégique est, entre autres, un
ensemble de processus cognitifs qui sont eux difficilement identifiables dans
une organisation, qui peuvent être individuels ou collectifs, formels ou
informels, organisés ou émergents. La réflexion stratégique inclut donc la
planification stratégique. En effet, réfléchir sur la stratégie nécessite la
mobilisation d’outils analytiques traditionnellement associés à la planification
stratégique. Il est donc trompeur de vouloir opposer ces deux concepts, les
niveaux d’analyse n’étant pas comparables70.
Dès lors, en fonction du type de question stratégique posée à l’acteur
individuel ou à l’organisation, la réflexion stratégique aura pour dominante
principale, à la fois dans ses phases d’analyse, de décision et d’action, l’une
ou l’autre de ces trois dimensions. La séquence analyse-décision-action sera
différente selon qu’il s’agira de résoudre un problème identifié, d’identifier un
problème stratégique ou de donner du sens à une situation complexe. Cette
approche de la réflexion stratégique permet d’envisager les trois niveaux de
problème stratégique : le strategic problem solving, le strategic problem
finding et le strategic issue enacting. Les processus de type strategic problem
solving mettent l’accent sur la décision et l’action, car l’analyse est déjà
largement constituée et les contours du problème posé bien connus. Quant aux

69
Torset, Christophe, Op. cit.
70Torset, Christophe, « La réflexion stratégique : objet et outil de recherche pour le
management stratégique ? », XIVe Conférence internationale de management stratégique,
Angers, 2005, 32 p.

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processus strategic problem finding, ils développent davantage l’analyse et la


décision puisqu’il est indispensable d’identifier la question stratégique, de la
caractériser et de l’institutionnaliser dans l’organisation avant de pouvoir y
répondre. Enfin, les processus strategic issue enacting sont dominés par
l’analyse et l’action puisqu’ils confrontent l’organisation à des probléma-
tiques stratégiques complexes et inter-reliées pour lesquelles la décision n’est
qu’une étape formelle, mais insuffisante71.
Ainsi, la réflexion stratégique n’est alors plus comprise comme une activité
liée exclusivement à l’analyse ou à la décision stratégique. Elle est construite
et utilisée comme une activité de raisonnement visant à produire des effets
stratégiques pour l’organisation, sans nécessairement distinguer des phases de
manière formelle. La réflexion stratégique est, finalement, appréhendée
comme étant constituée des trois principales dimensions constitutives des
processus stratégiques : l’analyse, la décision et l’action72.
Partant de ces différentes clarifications, la réflexion stratégique, dans cet
exercice scientifique, consiste pour tout acteur africain (État, société civile,
secteur privé, ONG, individu, etc.) à générer des idées stratégiques. C’est une
activité de création de sens stratégique à partir de l’analyse des ressources, des
moyens et de l’environnement. Cette création de sens stratégique se nourrit
des analyses, des décisions et de l’action. Intégrant les outils d’analyse et de
planification, la réflexion stratégique existe ici aux niveaux individuel et
organisationnel. Au niveau de l’organisation, à savoir l’État africain
principalement mis en avant dans cet exercice scientifique, elle peut prendre
de multiples formes, correspondant aux différents types de processus
stratégiques identifiés par différentes autorités républicaines.

III- Délimitation spatio-temporelle

Pour être scientifique, souligne Pierre de Senarclens73, les phénomènes


dont on cherche à rendre compte doivent être partiels et localement situés74.
La République fédérale de Russie et l’Afrique centrale étant l’objet du travail,
il est question de les définir et de présenter leurs spécificités. Aussi, bien que
l’année 2014 marque la relance par le Kremlin de sa politique africaine75, il
conviendrait de faire un retour diachronique dans les années d’indépendances
africaines, coïncidant à celles liées à la confrontation bipolaire, pour mieux

71 Laroche, H., « From decision to action in organizations: decision-making as a social

representation », Organization Science, vol. 6, 1, 1995, pp. 62-75.


72 Whittington, R., What is strategy – and does it matter?, Thomson Learning, 2 ème Édition,

2001.
73 De Senarclens, Pierre, et Yohan, Armand, La politique internationale : théories et enjeux

contemporains, Paris, Armand Colin, 5e édition, 2006, p. 10.


74 Nzeugang, Albert, Op. cit., p. 33.
75 Kalika, Arnaud, « Le “grand retour” de la Russie en Afrique ? », Russie.Nei.Visions, No 114,

Ifri, avril 2019, p. 7.

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appréhender les raisons du choix de cette politique de puissance russe en


Afrique centrale.

A- Délimitation spatiale

1- La République fédérale de Russie


Avec le rattachement de la Crimée et de Sébastopol à la Fédération de
Russie en mars 2014, la Russie couvre une surface de plus de 17 millions de
kilomètres carrés et compte près de 147 millions d’habitants. Cet immense
territoire (la Russie est le plus vaste du monde, 25 fois la France) correspond
à 11 fuseaux horaires. Il s’étend sur une longueur de 10 000 km d’ouest en est,
de l’enclave européenne de Kaliningrad, autrefois capitale de la Prusse
Orientale et ville natale d’Emmanuel Kant, jusqu’à Vladivostok, littéralement
en russe « qui domine l’Orient », au bord de la mer du Japon, à proximité
immédiate de la Chine et de la Corée du Nord76. L’immensité de ce territoire
va de pair avec une grande diversité de populations. Si les Russes sont le
groupe communautaire majoritaire, suivis par les Tatars, le pays en compte
entre 160 et 190. Cette diversité se retrouve dans la structure administrative
mise en place par la Constitution de 1993, qui divise le pays en
22 Républiques et 3 villes autonomes (Moscou, Saint-Pétersbourg et mainte-
nant Sébastopol), formant la Fédération de Russie, avec des pouvoirs
régionaux plus ou moins étendus.
Les Russes ont pu voter pour la première fois au suffrage universel durant
les échéances électorales le 12 juin 1991, qui ont conduit l’élection de Boris
Eltsine. Depuis les dernières élections législatives de 2017, le pays est à la
quinzième législature depuis la création de la cinquième République.
L’histoire de la Russie remonte officiellement à 862, avec la création d’un
premier embryon d’État à Novgorod (« la ville nouvelle » en russe) puis Kiev
par le prince Varègue Riourike. Dans un monde multipolaire, la Russie
dispose d’atouts spécifiques qui lui confèrent une position privilégiée, tels que
sa géographie, immense territoire et point de passage obligé au carrefour de
trois continents, sans compter sa « nouvelle frontière arctique », ses ressources
géologiques (17 % des réserves de gaz mondiales notamment), une armée
récemment rénovée dont les capacités technologiques, particulièrement
nucléaires, sont au meilleur niveau, une idéologie néoconservatrice portée par
un vaste courant mondial77.

2- Afrique centrale
Pour des raisons pragmatiques, l’espace régional qui est l’objet d’analyse
mobilise une circonscription institutionnelle faite par l’ONU. Ainsi, l’Afrique
centrale est une région d’Afrique qui comprend le sud du Sahara, l’est du

76 Perroud, Hélène, Un Russe nommé Poutine, Éditions du Rocher, Monaco, 2018, pp. 11-21.
77 Ibid.

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bouclier ouest-africain et l’ouest de la vallée du Grand Rift. Avec une


superficie de 6 613 000 km2, une population estimée en 2017 à 163 495 000
pour une densité 25 habitants/km2, la région comprend les pays suivants :
l’Angola, le Cameroun, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la République
Centrafricaine, la République Démocratique du Congo, la République du
Congo, Sao Tomé-et-Principe et le Tchad. Aussi, le Malawi, la Zambie, le
Burundi et le Rwanda sont parfois considérés comme faisant partie et
appartenant à l’Afrique centrale. Le bassin hydrographique est constitué du
fleuve Congo et le lac Tchad. Son relief est dominé par la chaîne montagneuse
d’Ouest Cameroun avec, à leur fin au sud-ouest, le mont Cameroun. La région
est constituée, pour la plupart, de pays qui s’expriment en langues officielles
d’origine gréco-latine78.

B- Délimitation temporelle
Le présent travail a comme bornes inférieure et supérieure 2014 et 2021.
S’agissant de la borne inférieure, 2014 coïncide à la relance par la Fédération
russe de sa politique africaine s’expliquant par la conjoncture de trois
facteurs : les sanctions occidentales adoptées contre la Russie après
l’annexion de la Crimée, l’entrée en vigueur de l’Union économique
eurasiatique (UEE) et le début des frappes aériennes russes en Syrie
(30 septembre 2015). Motivée à la fois par des considérations de politique
intérieure et par une volonté de puissance, ce contexte conduit le Kremlin dans
une quête tous azimuts de partenaires alternatifs. L’intérêt de Moscou pour le
continent s’inscrit dans cette perspective, bien que ce dernier soit déjà un
espace d’intense compétition entre les anciennes puissances coloniales et les
pays émergents. 2021 rappelle quant à elle, dans le but de contrecarrer la
volonté de puissance russe en Afrique centrale, la détermination qu’a la France
de préserver ses intérêts dans cette région hautement stratégique à la suite de
la mort du président tchadien Idriss Déby Itno. Cela s’illustre à travers son
soutien au Conseil Militaire de Transition (CMT) à la tête duquel trône le fils
du défunt président de la République du Tchad, Mahmat Idriss Déby Itno79.

IV- Intérêt de l’étude

Dans l’optique d’examiner la politique de puissance russe en Afrique


centrale, l’étude revêt un intérêt scientifique.

78 Ntuda Ébodé, Joseph Vincent, « La redistribution de la puissance en Afrique médiane

CEMAC : la nouvelle configuration des alliances sous régionales », Enjeux, n° 22, janvier-mars
2005, pp. 34-35.
79 Noah Edzimbi, François Xavier, « Les entrepreneuriats médiatique et privé russes en

République Centrafricaine : des dynamiques d’implémentation locale du Kremlin en Afrique


centrale », Regards géopolitiques, volume 7, N° 4, novembre 2021, pp. 16-22.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

A- Intérêt scientifique
L’étude présente la politique de puissance adoptée par les autorités
politiques russes dès le délitement du Bloc soviétique en 1991. L’effondre-
ment de l’URSS a conduit les Russes à s’interroger sur leur identité, la nature
de leur État et la place qu’occupe leur nation sur la scène internationale. Cette
analyse montre comment le Kremlin renouvèle et adapte ses intelligences dans
son objectif d’implémentation en Afrique. La présente analyse est innovante
dans la mesure où les études précédentes se caractérisent par une approche
strictement militaro-centrée de l’offensive russe en Afrique.

V- Problématique

Dès le tout début de la guerre froide, le principal moteur de la politique


soviétique dans le tiers monde, y compris en Afrique, fut la lutte d’influence
à l’échelle mondiale avec les États-Unis. Cependant, de nombreuses études
ont montré que, durant les années 1980, les décideurs soviétiques étaient de
plus en plus inquiets de l’énormité des coûts impliqués par le maintien de leur
« empire » et l’octroi d’une aide économique aussi bien que militaire à des
alliés faibles et instables80. Ainsi, dans les dernières années d’existence de
l’Union soviétique, nombre de liens, pourtant solidement établis, furent
réduits ou même coupés, et une évaluation pragmatique des coûts et profits
vint se substituer aux onéreux fondements idéologiques des relations soviéto-
africaines, comme le déclara un spécialiste russe des problèmes africains81.
Partant des propos susmentionnés, qu’est-ce qui explique le « retour en
force » de la Russie en Afrique ? Mieux, si l’on s’appesantit sur les
allégations de l’ancien chef d’État russe Dimitri Medvedev, qui à la fin de
sa tournée en Égypte, au Nigéria, en Angola et en Namibie en 2009,
affirmait sur son blog que « désormais, notre devoir est de rattraper tout ce
qui a été perdu », pourquoi le Kremlin déploie-t-il sa politique de
puissance à partir de l’Afrique centrale ?

VI- Hypothèse de travail

La problématique et l’hypothèse de travail constituent les éléments majeurs


de spécification d’une étude. La problématique participe du découpage
conceptuel de l’objet, de sa construction, problématique et objet scientifique
étant intimement liée. Quant aux hypothèses de travail en tant qu’interpré-
tations anticipées de phénomènes, elles constituent le point de départ et la

80 Susanne M., Birgerson, Alexander V., Kozhemiakin, Roger E., Kanet, Madeleine,

Tchimichkian, « La politique russe en Afrique : désengagement ou coopération ? », Revue


d’études comparatives Est-Ouest, N° 3, vol. 27, 1996, pp. 145-168.
81 Ibid.

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boussole de « tout raisonnement expérimental82 ». Elle est, en d’autres termes,


une proposition provisoire faite par le chercheur à partir de l’observation des
faits, dont la démonstration se fera dans le corps du travail. Autrement dit,
c’est une tentative de réponse à une ou plusieurs questions théoriques ou
observations empiriques, l’explication provisoire d’une réalité. Elle doit être
confirmée ou infirmée à la fin, par les résultats de l’étude. C’est un outil de
sélection pour le chercheur, car elle permet le choix des faits, de les interpréter
et de suggérer les procédures de recherches.
L’hypothèse de l’analyse est la suivante : dans son objectif de restau-
ration d’une égalité stratégique et géopolitique avec Washington, le
Kremlin trouve en Afrique centrale un espace de projection et de
renforcement de son statut de puissance. En effet, en raison du déficit
stratégique qui caractérise la plupart des États de ladite région, l’Afrique
centrale se présente comme un terreau d’implémentation rapide de la
Russie sur le continent.

VII- Grille méthodologique de l’étude

Comment accéder aux matériaux nécessaires, les rassembler et les traiter


afin de discuter de l’hypothèse ci-dessus mentionnée ? Telle est la question à
laquelle le cadre de méthodologie tente d’apporter quelques éléments de
réponse. Trouver cette réponse s’avère d’autant plus impérative qu’il est vrai
que le savoir savant n’est jamais une « photocopie du réel », mais une
interprétation conditionnée par l’emploi des paradigmes retenus, des concepts
mis en œuvre et des techniques d’investigation utilisées83. Ainsi compris, le
résultat de la recherche dépend des techniques de collecte de données utilisées,
de la méthode qui permet de les interpréter et du paradigme utilisé84. En effet,
le terme méthode « compris dans son sens large de dispositif global
d’élucidation du réel85 » fait également appel à la réflexion du chercheur. Ce
dernier opte pour une méthodologie en fonction du but poursuivi dans son
travail de recherche. Trois grandes articulations meubleront ce cadre
méthodologique : l’étude du rapprochement entre l’objet d’étude et certaines
écoles de pensée des relations internationales, la présentation des techniques
de collecte de données et l’analyse des données collectées.

A- Le cadre théorique
A-t-on besoin d’une théorie pour expliquer, comprendre et interpréter la
politique de puissance de la Russie en Afrique centrale ? La réponse à cette

82 Sindjoun, Luc, Op. cit., p. 11.


83 Nzeugang, Albert, Op. cit., p. 65.
84 Ibid.
85 Raymond, Quentin et Campenhoudt, Luc V., Manuel de recherches en sciences sociales,

2e éd. Paris, Éditions Dunod, 1995, p. 180.

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question est loin d’être évidente, mais elle nous semble indispensable dans la
mesure où le but de la théorie est de rendre intelligible la complexité d’un
phénomène social et politique86. La théorie permet de rendre compte des faits
sociaux à partir d’un modèle prédéfini87. Elle traduit la quête de cadres
conceptuels permettant d’organiser la recherche et d’orienter la formulation
d’hypothèses susceptibles d’appréhender des phénomènes ou des processus
jugés pertinents88. Au sens de Hans Morgenthau, la théorie permet de vérifier
les faits et de donner une signification rationnelle. Elle permet de donner un
sens aux faits politiques et d’en fournir une explication89. Ainsi qu’on peut le
constater, le recours à une théorie dans l’étude des faits semble faire
l’unanimité90. Le choix du constructivisme et du réalisme hégémonique a été
fait.

1- Le constructivisme
Le constructivisme social est une approche théorique dans laquelle la
réalité sociale tend à être appréhendée comme construite et non comme
« naturelle » ou « donnée » une fois pour toutes91. Le constructivisme est
structuré par deux notions à savoir le « champ » et l’« habitus ». Les champs
sont des domaines où se rencontrent et s’affrontent des dominants et des
dominés92. Ils renvoient à des structures objectives, indépendantes de la
conscience et de la volonté des agents qui sont capables d’orienter ou de
contraindre leurs pratiques ou leur représentation93. Au sein d’un champ, les
agents sont guidés par les habitus. Différent de l’« habitude », l’habitus est une
sorte de pente que l’on suit sans réfléchir lorsqu’il faut prendre une décision94.
Le constructivisme présente dans l’analyse la « compréhension » et la
« représentation » que les autorités russes (président de la République,
ministres, responsables administratifs, militaires et diplomatiques) ont du
monde post-bipolaire. Au cours de celle-ci, ces autorités analysent le monde
à partir de leur prisme culturel et géopolitique respectif95. Mieux, les Russes
ont compris et se représentent les relations internationales en fonction de leur

86 Nzeugang, Albert, Op. cit., p. 66.


87 Ibid.
88 Ibid.
89 Ibid.
90 Battistella, Dario, Théories des relations internationales, 2e éd., Paris, Presses de Sciences

Po, 2006, p. 27.


91 De Singly, Francis (dir.), Les nouvelles sociologies. Construction de la réalité sociale, Paris,

Dalloz, 11e édition, 1995, p. 6.


92 Schemeil, Yves, Op. cit., p. 272.
93 Pemboura, Aicha, « Le processus de formation de la culture stratégique camerounaise :

Analyse du rôle des écoles militaires », DEA en science politique, Université de Yaoundé II,
2004-2005, p. 8.
94 Schemeil, Yves, Op. cit.
95 Mitrofanova, Anastasia, « La géopolitique dans la Russie contemporaine », Hérodote, N°

146-147, 2012/3, pp. 183-192.

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contexte sociohistorique, dans le sens où la perspective constructiviste est


« une entreprise d’historicisation et de contextualisation96 ». Au niveau épisté-
mologique, cette perspective emprunte une approche « interprétative cher-
chant à comprendre les sens et significations que les agents sociaux confèrent
aux phénomènes et à leur environnement » puisque ces « compréhensions
partagées » seraient à la source de leurs pratiques97. En d’autres termes, le
discours constructiviste privilégie l’« ontologie de la praxis », c’est-à-dire la
logique interactive et la connaissance de la pratique des autorités russes. En
un mot, dans un monde post-guerre froide, les différentes administrations
agissent en Afrique centrale sur la base des significations que cette région a
pour elles dans leur processus de restructuration de la puissance étatique sur
l’espace mondial. D’autre part, les significations sont le résultat des
interactions avec l’Occident et les pays émergents98, dans le sens où la
perspective constructiviste est envisagée comme interrogation relative à la
façon et non pas sur la cause des relations internationales.

2- Le réalisme hégémonique
Tel que défini par Thucydide, Morgenthau Hans, Kennan ou encore Henry
Kissinger, le réalisme est une théorie qui privilégie la dimension conflictuelle
des relations internationales99. Elle s’appuie sur le postulat selon lequel
l’anarchie manifeste du système international est liée à l’absence d’une
autorité capable d’imposer, à ses membres, un ordre contraignant. Les États,
qui sont les principaux acteurs du système, agissent avant tout pour le maintien
et l’accroissement de leur puissance au détriment des autres. Ainsi, la
politique internationale peut être définie comme un effort continu pour
maintenir et accroître la puissance de sa propre nation et pour restreindre ou
réduire la puissance des autres100. Comme théorie explicative dans l’analyse
de l’étude, le réalisme hégémonique sert à donner une caution scientifique à
l’hypothèse, car, cette branche du réalisme qui raisonne en termes de
puissance prend en compte la volonté politique comme facteur de mobilisation
qui a permis de repenser les instruments dont disposent les nations pour
exercer leur leadership101. Il s’agit de repenser les instruments à disposition
des plus grandes nations ayant exercé leur domination sans passer par les

96 Ibid.
97 Hollis, Martin, Smith, Steve, Explaining and Understanding International Relations, Oxford,
Clarendon Press, 1990, pp. 1–91.
98 Wendt, Alexander, « Anarchy is what make of it: The social construction of power »,

International Organization, No 2, vol. 46, 1992, pp. 391–425.


99 Braillard Philippe et Reza Djalili, Mohammad, Les relations internationales, Paris, PUF,

2002, p.10.
100 Morgenthau, Hans, Politics among Nations. The struggle for power and peace, 6e édition,

New York: Alfred A. Knopf Publisher, 1985, p. 221.


101 Roche, Jean Jacques, Théories des relations internationales, Éditions Monchretien, 2008,

p. 64.

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armes. C’est le concept de « Soft power » théorisé par Joseph Nye et Robert
Gilpin102. Cette volonté politique peut être assimilée à la volonté de puissance
de Spinoza et aussi au désir de puissance de Pierre Verluise103. La séduction
est le nouveau moyen utilisé par le Kremlin pour atteindre son but
géopolitique, en d’autres termes, le revirement diplomatique de la Russie en
Afrique est révélateur de son désir de puissance. Au-delà de son industrie
militaire et consciente de sa fragilité économique, la Russie entend recon-
quérir son statut de superpuissance. Cette ambition est très présente dans les
discours officiels de ses leaders. Ainsi, ses actions sur le territoire africain ne
sont que la réalisation de ses ambitions hégémoniques104.

B- Technique de collecte des données


Comme le précise Madeleine Grawitz à propos des techniques, il s’agit
« de procédés opératoires rigoureux, bien définis, transmissibles, susceptibles
d’être appliqués à nouveau dans les mêmes conditions, adaptés aux genres de
problèmes et de phénomènes en cause, toute recherche […] en sciences
sociales […] doit comporter l’utilisation105 ». Les faits sociaux étant au cœur
de la vie politique, ils sont justiciables des méthodes d’investigation qui ont
été mises au point et qui sont effectivement appliquées dans le champ des
sciences sociales106. Deux techniques de collecte des données ont été retenues
dans cette recherche. Il s’agit de la recherche documentaire et de la recherche
empirique.

1- La recherche documentaire
La réalisation d’un travail scientifique relève de la gageure. L’importance
des données à collecter, et la durée de la recherche107 constituent des obstacles
majeurs sur la route du chercheur. Il lui est nécessaire d’user de méthode et de
détermination pour pouvoir réaliser une recherche efficace et acceptable.
Selon Michel Beaud, une bonne analyse scientifique est le résultat d’un juste
équilibre entre théorie et empirisme. Le travail sur le terrain doit être
intimement lié à la réflexion théorique. Dans la conduite de cette recherche, il
sera accordé une importance particulière à la recherche documentaire. La
fréquentation de centres de recherches tels Fondation Paul Ango Éla, le
CAPED, l’Institut français de Yaoundé, les bibliothèques centrales des
universités de Yaoundé I et II, celle de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences-
Humaines de l’Université de Yaoundé I, permettra d’acquérir un maximum

102 Ibid.
103 Pour une meilleure compréhension, lire à ce sujet Verluise, Pierre, « La puissance, quels
sont les fondamentaux ? », document consulté le 22/11/2021 sur
www.diploweb.com/geopolitique-la-puissance-quels-sont-les-fondamentaux-html
104 Embiede Eballa, Marguerite Chantal, Op. cit.
105 Grawitz, Madeleine, Op. cit., p. 352.
106 Ibid., p. 93.
107 Beaud, Michel, L’art de la thèse, Paris, Éditions La découverte, 2003, 192p.

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de connaissances sur le sujet de ce travail. Il s’agira également d’user de l’outil


internet pour obtenir toutes les informations sur la Russie, les puissances
occidentales, les pays émergents, les institutions internationales et régionales.
La fréquentation assidue à des groupes de recherche permettra également
d’avoir accès à une documentation spécialisée et à des informations actuelles.

2- Recherche empirique
Le travail sur le terrain sera d’une grande utilité. L’importance de la
recherche empirique, pour une recherche scientifique efficiente, nécessite une
présence sur le terrain de manière régulière. Ainsi s’agira-t-il d’effectuer des
voyages de recherche dans la sous-région CEMAC pour collecter des
informations sur la vision qu’ont les Russes dans leur projection de puissance
dans chaque État membre respectif, dans la mesure des moyens financiers à
disposition. Les entretiens avec les responsables diplomatiques russes au
Cameroun, de même qu’avec des acteurs des secteurs économique et culturel,
permettront de confronter les hypothèses à la réalité du terrain.

C- Analyse des données


La méthode de la géopolitique, qui permet d’identifier les logiques de
comportements des acteurs sur la scène internationale, est la mieux adaptée
dans cette étude108. Elle permettra de déchiffrer les intentions réelles du
« retour en force » de la Russie en Afrique centrale. Par ailleurs, puisque toute
posture géopolitique se ramène soit à une volonté de réaliser une ambition,
soit à une volonté de contrer une menace109, il est opportun d’émettre les
hypothèses selon lesquelles la volonté de la Russie en Afrique serait à la fois
de réaliser sa quête de puissance à partir des ressources naturelles africaines
tout en se servant de cet espace pour contrer l’hyperpuissance de ses rivaux.
Partant des propos susmentionnés, le travail est subdivisé en deux parties,
chacune comprenant deux chapitres.

108 Thual, François, Méthode de la géopolitique : apprendre à déchiffrer l’actualité, Paris,


Ellipses, 1996, p. 20.
109 Devin, Guillaume, Sociologie des relations internationales, Paris, Éditions La découverte,

2002, p. 28.

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PREMIÈRE PARTIE :
LES RAISONS D’UN REGAIN D’INTÉRÊT RUSSE
POUR L’AFRIQUE CENTRALE

En mai 2005, la Russie fête le 60e anniversaire de la victoire de la « Grande


Guerre patriotique », terme officiel pour désigner la Seconde Guerre mondiale
en Europe, après l’attaque allemande du 22 juin 1941 contre l’URSS. Cette
manifestation fait remonter des souvenirs nostalgiques, dans la mesure où leur
fierté légitime, concernant les exploits de leurs héros morts pour la Patrie,
n’empêche pas de constater le contraste entre la place de l’URSS dans le
monde au lendemain de la guerre et celle de la Fédération de Russie
aujourd’hui. L’effondrement quinze ans plus tôt de l’Union soviétique fit
disparaître l’empire aux dimensions continentales, à cheval sur l’Europe et
l’Asie, et vieux de quatre siècles110.
Il est utile de rappeler que L’URSS est proclamée le 30 décembre 1922, et
dotée le 31 janvier 1924 d’une constitution. Cette union construite par Staline
et Lénine met un terme au processus d’autodétermination des peuples qui avait
prévalu après la chute du tsar en 1917111. Elle connaîtra son apogée avec la
victoire contre l’Allemagne nazie en 1945 et la création d’une zone
d’influence allant jusqu’au cœur de l’Europe. Durant une quarantaine
d’années, et au-delà des atteintes aux libertés individuelles, le Bloc soviétique
réussit à exister. La guerre en Afghanistan engagée en 1979, l’accroissement
sans fin des dépenses militaires pour contrecarrer l’action du président
américain Ronald Reagan, et surtout la déliquescence du système politique,
provoqueront sa chute112.
En effet, le 8 décembre 1991, alors que, de toute évidence, les Russes y
étaient dominants avec plus de la moitié de la population et les trois quarts du
territoire, le président russe Boris Eltsine (et deux compères, eux aussi
présidents, l’un d’Ukraine, l’autre de Biélorussie) proclame la dissolution de
l’Union soviétique113. La Fédération de Russie émerge alors de la période
soviétique avec des capacités tronquées pour les réformes politiques et
économiques libérales114, d’où l’objectif d’une profonde restructuration de
l’État, mis en œuvre par les autorités politiques, afin qu’elle s’arrime aux

110 Roubinski, Youri, « La Russie/URSS et l’Europe après 1945 », Temps croisés II, 2010,
pp. 43-54.
111 Crevel, Philippe, « La Russie, 30 ans après la fin de l’URSS », document consulté le

25/11/2021 sur https://lesfrancais.press/la-russie-30-ans-apres-la-fin-de-lurss/#respond


112 Ibid.
113 Lacoste, Yves, « La Russie, dix ans après », Hérodote, N° 104, 2002/1, pp. 3-26.
114 Lynch, Allen C., « Putin ex machina : la Russie post-soviétique dans une perspective

comparative et historique », Revue internationale de politique comparée, 2011/1, Vol. 18,


pp. 141-160.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

enjeux de puissance dans un monde post-bipolaire. Partant de cette réalité, la


première partie de l’analyse s’appesantit d’une part sur les conséquences
d’une dislocation de l’URSS sur la jeune Russie dans l’affirmation de sa
puissance à l’échelle mondiale (chapitre 1), ayant conduit les Russes à un
« retour en force » vers l’Afrique centrale d’autre part (chapitre 2), le
continent étant le nouveau glacis géostratégique où s’expriment les velléités
hégémoniques de tout acteur stratégiquement mature de l’espace mondial.

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CHAPITRE 1 :

LES CONSÉQUENCES D’UNE DISLOCATION


DU BLOC SOVIÉTIQUE SUR LA STRUCTURATION
ET LA COHÉSION DE L’ÉTAT FÉDÉRAL DE RUSSIE

Le 25 décembre 1991, le monde apprenait la disparition de l’Union des


républiques socialistes et soviétiques. Des quinze républiques qui la
constituaient115, celle qui était de loin la plus importante à savoir la Russie
faisait sécession, ce qui mettait fin à cette union. La désintégration de l’URSS
génère par la suite de nombreux problèmes que la création simultanée de la
Communauté des États indépendants (CEI) ne permet pas de résoudre116. Cette
organisation internationale est perçue par la Russie comme un moyen de
préserver son influence au sein de l’espace postsoviétique, vision qui n’est pas
partagée par l’ensemble des membres qui entretiennent avec elle des rapports
différents et parfois difficiles. Conçue comme une structure de coordination
et de coopération, la CEI se transforme au fil des années en un simple forum
consultatif. La naissance de 15 États indépendants à la place de l’URSS
provoque d’importants flux migratoires. Elle génère également plusieurs
conflits intercommunautaires dans lesquels la Russie s’engage plus ou moins
ouvertement : le Haut-Karabakh en Azerbaïdjan, l’Ossétie du Sud et
l’Abkhazie en Géorgie, la Transnistrie en Moldavie. Ces contestations
territoriales sont en partie dues au tracé des frontières, parfois arbitraire, hérité
de l’époque soviétique117.
Depuis les années 2000, la Fédération de Russie revendique, avec plus ou
moins de succès, le statut de grande puissance. Le contexte politique interne,
avec un durcissement du pouvoir, et la politique américaine depuis
l’administration de l’ancien président George Walker Bush l’ont amenée à
opter pour la manière forte, sur le plan tant du discours diplomatique,
valorisant le facteur militaire, que de l’action118. Il existe aujourd’hui une
Russie qui a peine à survivre, et qui se dit nostalgique des temps anciens, sans
pour autant vouloir un retour au communisme ; mais il existe aussi une Russie
qui se projette dans l’avenir. À côté de catégories sociales appauvries,
cherchant avant tout à s’adapter à une réalité marquée par l’incertitude de

115 À l’origine, en 1922, elles étaient douze.


116 Lacoste, Yves, Op. cit.
117 Konkka, Olga, « Une puissance qui se reconstruit après l’éclatement d’un Empire : la Russie

depuis 1991 », document consulté le 26/11/2021 sur https://ehne.fr/programmes-du-


lycee/première-spécialité-histoire/thème-2-analyser-les-ressorts-et-les-dynamiques-des-
puissances-internationales/jalons/une-puissance-qui-se-reconstruit-après-l’éclatement-d’un-
empire-la-russie-depuis-1991
118 Facon, Isabelle, « Le projet de puissance de la Russie : entre confiance, lucidité et

défensive », Géoéconomie, N° 50, 2009/3, pp. 63-71.

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l’avenir, émergent des groupes sociaux porteurs de nouvelles valeurs et


acteurs d’un réel changement social. La société russe oscille entre innovations
et pratiques de repli119. Bien que le retour de la croissance dans les
années 2000 semble offrir de nouvelles opportunités aux populations les plus
défavorisées, l’ampleur de la dépression des années 1990 plonge jusqu’ici de
nombreuses familles dans une situation de paupérisation, mettant en exergue
l’existence de difficultés dans la structure étatique héritée de l’ex-URSS
(section 1) qui, ces dernières, ont un impact sur les questions de gouvernance
(section 2).

Section 1 : La fragilité de l’ossature fédérale : faille du socle de puissance


russe

Depuis la fin de la guerre froide, les autorités russes confèrent aux armes
nucléaires un rôle central dans leur politique de défense et de sécurité, pour
des raisons qui tiennent à l’état des forces conventionnelles, mais aussi à des
considérations de prestige international. Nikolaï Patrouchev, secrétaire du
Conseil de sécurité russe, explique ainsi que « la conservation par la
Fédération de Russie du statut de puissance nucléaire capable de réaliser la
dissuasion nucléaire d’adversaires potentiels de déclencher une agression
contre la Russie et ses alliés demeure la priorité essentielle de notre pays »
pour l’avenir prévisible, c’est-à-dire au moins pour les deux décennies à
venir120. L’effondrement de l’URSS a rapidement conduit les Russes à
s’interroger sur leur identité, sur la nature de leur État et par là même sur la
politique de défense et de sécurité à adopter pour garantir ses frontières. Ce
débat sur l’identité nationale était un préalable nécessaire pour définir un État,
voire une nation nouvelle, pour déterminer son essence et garantir sa
sécurité121. Depuis sa fondation en 862 autour de Kiev par le prince Riourik,
un Viking de l’Est, jusqu’au chef d’État Vladimir Poutine, les populations de
l’entité fédérale d’une superficie de 17 075 400 km² ont conçu la représen-
tation d’un État fort122 (A). Toutefois, l’invitation faite par l’ancien président
Boris Eltsine en juin 1991 aux républiques fédérées de l’ex-URSS à « prendre
le plus de souveraineté possible123 » fit naître des sentiments nationaux non

119 Rousselet, Kathy, « Les grandes transformations de la société russe », Pouvoirs, N° 112,
2005/1, pp. 23-34.
120 Facon, Isabelle, « Le nucléaire dans la politique de défense russe », Les cahiers de Mars,

No 203, 2010, p. 1 ; Marangé, Christophe, « Les stratégies et les pratiques d’influence de la
Russie », Étude de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire, No 49, 2017, p. 11.
121 Bonvillain, Denis, « La Russie face à sa défense », Diplôme de l’Institut d’études politiques

de Lyon, Séminaire « De la Baltique à la mer Noire », Université de Lyon 2, 4 septembre 2006,
pp. 50-53.
122 Mitrofanova, Anastasia, Op. cit.
123 Lacoste, Yves, Op. cit.

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russes qui, jusqu’aujourd’hui, amenuisent le sentiment d’appartenir à une


seule nation (B).

A- La constance entre l’ex-URSS à la Fédération de Russie : la


construction d’une géopolitique spécifique
Dans la guerre économique qui structure les relations internationales post-
guerre froide, et oppose les grandes puissances, occidentales et émergentes,
en raison de leur importance dans la construction de la puissance industrielle,
économique, militaire et donc politique, l’existence d’une représentation
intellectuelle, cognitive et culturelle du monde permet à chacun de ces acteurs,
pris individuellement, de circonscrire ce qu’il entend par intérêts nationaux,
expression première d’un désir de puissance. L’histoire russe distingue quatre
valeurs considérées comme essentielles pour la consolidation de la société
parmi lesquelles le patriotisme, la puissance, l’étatisme (gosudarts-
vennitchestvo) et la solidarité sociale. Ces dernières constituent le socle de sa
représentation du monde, mieux de sa géopolitique. L’essai premier
d’élaboration d’une géopolitique spécifiquement russe revient à l’un des
fondateurs de l’idéologie eurasiste, Piotr Savicki, auteur du concept des
communautés politico-économiques fermées (États-continents) dont fait
partie le « continent du milieu », l’Eurasie. L’apparition du terme « géopo-
litique » dans le discours savant et politique russe revient ensuite à Alexandre
Douguine, qui se positionne en successeur de l’école eurasienne124.
En 1992, il publie la revue « Éléments. Revue eurasienne », dont une
rubrique s’intitulait « Carnets géopolitiques ». La théorie géopolitique est
alors fondée sur sa vision d’un monde divisé en plusieurs civilisations. Ces
civilisations sont fondées sur des représentations religieuses, les religions
remontant quant à elles à une tradition originelle. Cette tradition est une
cosmogonie ayant subi de nombreuses mutations et dénaturations au cours de
l’histoire. Toutes les civilisations qui se fondent sur la tradition seraient ainsi
identiques dans leur essence profonde125. Contrairement à Samuel Huntington,
l’auteur considère que les conflits n’opposent pas des civilisations, mais ceux
qui cultivent la tradition et ceux qui la renient. La seule civilisation qui ne
relèverait pas de cette tradition serait celle de l’Occident. Aussi toutes les
civilisations traditionnelles doivent-elles s’unir pour leur ultime combat. Il
pense que la civilisation eurasienne (empire russe fondé sur l’orthodoxie) joue
le rôle principal dans ce conflit qui oppose tradition et anti-tradition126. Dans
son discours public du 5 novembre 1997, devant les étudiants de l’université
d’État de Moscou, Alexandre Douguine déclara qu’il existe entre civilisations

124 Mitrofanova, Anastasia, Op. cit.


125 Douguine, Alexander, Tampliery proletariata, nacional-bol’shevizm et iniciacija (« Les
templiers du prolétariat ; national-bolchevisme et rites initiatiques »), Arctogéa, Moscou, 1997,
p. 10.
126 Mitrofanova, Anastasia, Op. cit.

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terrestres et maritimes une contradiction insoluble, semblable à l’opposition


entre le bien et le mal dans la doctrine manichéenne. Présentement, cette
contradiction est incarnée par les continents américain et eurasien, ce qui
expliquerait pourquoi le monde occidental aspire par tous les moyens à
détruire la Russie/Eurasie127.
Dans la seconde moitié des années 1990, les élites scientifiques russes se
mirent à évoquer la géopolitique et l’enseigner dans les universités, chaque
établissement tentant d’éditer son propre manuel. La géopolitique gagna une
importante popularité non seulement auprès des professionnels, mais aussi du
grand public. Cet intérêt a été provoqué par la nécessité de résoudre la crise
identitaire qui avait frappé après la désagrégation de l’URSS la plupart des
citoyens russes. À partir de 1991 en effet, la Russie s’est vue obligée de se
chercher une nouvelle place dans le monde, de nouvelles valeurs communes,
un nouveau projet pour fédérer ses alliés. Il faut dire qu’à l’heure actuelle la
Russie ne dispose pas d’un choix pléthorique pour répondre à ce défi. Elle
pourrait devenir un État-nation à l’européenne et posséder le temps historique
suffisamment long pour mener à bien un tel projet. La conception de la Russie
en tant que civilisation distincte permet d’unifier les différents groupes
communautaires de sa population sur fond d’opposition à un ennemi commun,
mais aussi de partage de valeurs positives. Émanation de « la politique par le
haut128 », à l’occurrence universitaire, la construction d’une géopolitique
spécifiquement russe conduisit parallèlement à l’émergence d’une culture
stratégique de la population. Elle renvoie à un processus de socialisation
stratégique mise en place par les autorités politiques dans le but d’éduquer les
populations sur les questions de défense et de sécurité, mais aussi sur les
enjeux nationaux d’indépendance et de puissance129. Elle s’ouvre à d’autres
domaines rentrant dans la défense/sécurité nationale, mais très souvent
faiblement pris en compte (culture, éducation, recherche, santé, emploi, sport,
ressources naturelles, défense armée, défense civile, défense économique,
défense culturelle, etc.).
Ainsi, la popularité du « poutinisme » dans la première moitié des
années 2000 est en grande partie fondée sur la perception positive des
politiques engagées par le chef d’État Vladimir Poutine par l’opinion
publique, qui a pu y voir le signe d’un rétablissement de la Russie dans son
statut de grande puissance. Un sondage mené à Vladimir en 2004 s’est penché
sur la nature de cette idée russe de la puissance. À la question « Qu’est-ce qui

127 Ibid.
128 Bayart, Jean-François, « L’énonciation du politique », Revue Française de Science
Politique, 35 (3) Juin 1985, pp. 343-372 ; Le politique par le bas en Afrique noire. Contribution
à une problématique de la démocratie, Paris, Kartala, 1992.
129 Noah Edzimbi, François Xavier, « Cameroun : modifier la politique culturelle pour en faire

un outil stratégique dans la CEMAC », Espace géographique et société marocaine, N° 54,


novembre 2021, pp. 187-199.

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fait d’un État une grande puissance (derjava) ? », 43 % des sondés ont répondu
« un haut niveau de vie » et « une économie développée ». En dernière position
(10 %) arrivaient « les droits et libertés démocratiques », derrière « un passé
héroïque et glorieux » ou « une armée puissante130 ». La préoccupation de ce
panel représentatif était centrée sur les conditions de vie économiques comme
force structurante du discours de renouveau de la puissance russe, ainsi que
sur le rapport au passé et à l’identité. C’est bien en s’appuyant sur une
aspiration quasi nostalgique à la stabilité économique et politique que le
pouvoir a fondé sa communication politique, à travers la mise en scène de la
renaissance des secteurs qui faisaient jadis la gloire du pays. En partant du
postulat que la chute de l’URSS constitue « la plus grande catastrophe du
XXe siècle131 », le pouvoir se devait d’inventer ses propres codes, sa propre
esthétique dans la mise en scène de cette stabilité retrouvée.
Le terme de derjavnost’ a ainsi fait son apparition dans la littérature
politique et philosophique à partir de la fin des années 1990, pour définir la
nature profonde de cette nouvelle tendance que certains appelaient de leurs
vœux avant même l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Intraduisible en
français, il est cependant possible d’expliciter le sens du mot par l’« aspiration
d’un pays à devenir une grande puissance ». Au-delà de cette définition que
donne le dictionnaire, de nombreux politistes, philosophes se sont attachés
dans la première moitié des années 2000 à théoriser cette aspiration à la
grandeur et à la puissance en accord avec les héritages profonds de la
Russie132. Les définitrions variaient de l’alliance poétique avec le sobornost’
(« communauté des croyants ») et l’obshinost’ (« génie social russe ») à
« l’indépendance de l’État, motivée par une politique, ayant une influence
significative sur les affaires internationales ». La derjava (« grande
puissance ») nourrie par l’idée de derjavnost’ se distinguerait par une série de
caractéristiques allant de « la capacité d’un État à résoudre les problèmes
internationaux en accord avec ses principes de souveraineté », à « la force de
dissuasion nucléaire ». Aussi, en mars 2003, 64 % des personnes interrogées
par le VTsIOM affirmaient que le renforcement des services fédéraux de
sécurité, héritiers du KGB, serait utile à la Russie, contre 9 % qui
considéraient que cela lui causerait des torts et 27 % sans réponse. Autant que
le souci d’ordre, l’essor du nationalisme est une tendance majeure de la
période post-soviétique, répondant à un sentiment d’humiliation devant le
déclin de la Russie. Les populations se rappellent les grands hommes de la
Russie, à commencer par Pierre le Grand et Staline dont plus de 50 %
considèrent, en février 2003, qu’ils ont joué un rôle positif dans l’histoire de

130 Limonier, Kévin, « Analyse géopolitique des enjeux d’une politique de puissance : le cas de
la science et de l’innovation en Russie », Hérodote, N° 146-147, 2012/3, pp. 193-216.
131 Ibid.
132 Ibid.

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la Russie133. Nombreux sont les nostalgiques de la puissance russe et ceux qui


développent un discours d’opposition à l’Occident. La mobilisation de la
population que le président Vladimir Poutine cherche à susciter actuellement
contre les « ennemis de la Russie » se nourrit de ce terreau tout comme elle
l’entretient134. C’est alors que, bien que les Russes voyagent en Occident en
grand nombre, une grande majorité d’entre eux rejette les valeurs politiques
libérales de l’Occident en faveur de l’« ordre » russe135.
De cette géopolitique, les Russes considèrent que le monde est une arène
de conflits et de coopérations intercivilisationnelles, soutenant, entre autres,
que chaque civilisation « se construit autour d’une idée ou d’un idéal
fondateur qui, à son tour, comprend un ensemble de valeurs et de normes
structurantes qui constituent le paradigme de cette civilisation136 ». Le terme
de civilisation est ici étroitement lié à celui de monde multipolaire. La
reconnaissance de la pluralité des civilisations signifie que chacune puisse
créer son propre centre géopolitique, car « le monde bipolaire s’est
définitivement désagrégé. Un monde multipolaire nouveau est en passe de se
créer. Dans ce monde, chaque peuple, chaque pays, chaque individu pourront
trouver leur place, leur expression, leur mode d’évolution137 ». Ils imaginent
le monde multipolaire comme une possibilité donnée à chaque civilisation de
participer à la gestion de l’ordre universel tout en gardant sa politique
intérieure et son espace culturel souverain. C’est alors qu’en janvier 1996,
Evgueni Primakov, devenu ministre des Affaires étrangères, a identifié la
création du monde monopolaire et le risque de l’hégémonie mondiale
américaine en tant que menace sur la sécurité nationale de la Russie138. En
guise de contre-mesure, il formula la vision russe du monde multipolaire.
Érigé en but ultime par Evgueni Primakov, l’avènement d’un monde
multipolaire est devenu la référence obligée des responsables de la diplomatie
russe. Reprise par un grand nombre d’acteurs et d’experts à travers le monde,
devenu l’objectif affiché de nombreux pays, l’expression a connu un succès
considérable. Toutefois, elle soulève un grand nombre de questions, y compris
celle de sa définition. Dans la mesure où il est n’est pas aisé de savoir si elle
renvoie au concept classique d’équilibre des puissances, à une conception
conflictuelle des relations internationales centrée sur la souveraineté des
États ; les questions militaires et territoriales ou bien à un système coopératif
reposant sur les organisations internationales, le multilatéralisme, la sécurité

133 Russian Public Opinion 2003, Moscou, Centre Levada, 2004, p. 22.
134 Rousselet, Kathy, « Les grandes transformations de la société russe », Pouvoirs, N° 112,
2005/1, pp. 23-34.
135 Lynch, Allen C., Op. cit.
136 Mitrofanova, Anastasia, Op. cit.
137 Ibid.
138 Ibid.

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collective, le droit international et la démocratie139. En réalité, la Russie


cherche à combler son déficit de puissance, voire son impuissance, en utilisant
les instruments à sa disposition, en particulier son siège de membre permanent
du Conseil de sécurité de l’ONU, d’où son soutien au multilatéralisme et sa
volonté d’intégrer toutes les organisations ou foras internationaux (G8, APEC,
OMC, etc.). Mais, sur bien des questions, elle applique de manière limitée les
principes et des pratiques du multilatéralisme, et reste attachée à sa
souveraineté et à ses attributs, qu’elle n’envisage nullement de partager
comme les États membres de l’UE140.
D’une manière générale, la Russie est hostile à toute idée d’intervention ou
d’ingérence humanitaire, qualifiée de prétexte par la plupart des autorités
républicaines, plus encore lorsqu’il s’agit de son territoire, comme le montre
son attitude à l’égard des organisations internationales à propos de la
Tchétchénie, que ce soit l’OSCE, le Conseil de l’Europe ou encore les ONG.
Pour la Russie, le multilatéralisme est un instrument qui lui permet de
conserver un statut ou de retrouver de l’influence, voire de (re)devenir un pôle
d’influence, le multilatéralisme au service de la multipolarité141. Comme le
souligne un expert russe, le problème de la Russie est que pour atteindre cet
objectif, elle doit adhérer aux valeurs, aux normes et aux règles du
multilatéralisme qui ont été élaborées sans elle, en particulier dans les
domaines économique, financier et juridique142.
Bien que la représentation multipolaire du monde soit partagée par la
majorité de la population, l’émergence de nationalismes remet en question
l’existence d’une conscience nationale proclamée par les responsables
politiques.

B- L’émergence de nationalismes et la remise en cause d’une


prééminence de la République fédérale
Le XXe siècle a vu se disloquer différents empires, des États regroupant
autour d’une nation dominante des peuples divers qui étaient progressivement
devenus des nations différentes. Dans l’ex-URSS, la Russie formait avec les
anciennes conquêtes tsaristes un même ensemble géopolitique de dimension
continentale et, lors de son délitement, elles se verront invitées par Boris
Eltsine à « prendre le plus de souveraineté possible », cela ne signifiant pas,
pour lui, qu’elles devaient se séparer les unes des autres143. Cependant, dans
les républiques du Caucase et d’Asie centrale, divers symptômes indiquaient
depuis un certain temps une montée en puissance de revendications

139 Rucker, Laurent, « La politique étrangère russe. À l’Ouest, du nouveau ! », Le Courrier des
pays de l’Est, N° 1038, 2003/8, pp. 24-41.
140 Ibid.
141 Ibid.
142 Shevtsova, Lilia, Putin’s Russia, Washington, Carnegie Endowment for International Peace,

2003, p. 205.
143 Lacoste, Yves, Op. cit.

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indépendantistes. En effet, l’importante croissance démographique en Asie


centrale, qui contrastait avec le déclin de la natalité en Russie, et la présence
dans cette partie de l’URSS d’une situation comparable à celle des pays dits
« sous-développés » en étaient les raisons. Parallèlement, un phénomène
culturel significatif apparaissait : dans les républiques musulmanes, les
personnes nées de mariages mixtes ne choisissaient plus guère, à leur majorité,
la nationalité russe d’un de leurs parents, mais la nationalité de la majorité de
la population de la république, qu’elle soit ouzbèke, kazakhe, tadjike, etc. Cela
montrait en Asie centrale, comme dans le Caucase, la valorisation et la montée
de sentiments nationaux non russes.
Aussi, des mesures prises en 1984-1985 contre la corruption et les mafias
qui s’étaient développées durant le règne de Brejnev, notamment au
Kazakhstan et en Ouzbékistan, ont été perçues par les dirigeants communistes
kazakhs et ouzbeks comme des mesures arbitraires, puisque les responsables
autochtones limogés ou sanctionnés furent remplacés par des Russes144. La
politique du « laisser-faire » menée par Boris Eltsine dès 1991 a conduit à un
« fédéralisme à la carte » ; privilégiant un État mixte entre centralisme et
autonomie d’États fédérés. Chaque région s’est repliée sur elle-même ou s’est
associée à des voisines pour former des ligues, des ententes, pratiquant le troc
entre elles et s’efforçant de vendre à l’étranger.
Six mois après sa dislocation, dont les présidents venaient pourtant de
s’entendre sur cette décision, un conflit faillit éclater au printemps 1992 entre
la Russie et l’Ukraine, à propos de la Crimée et du partage de la flotte de la
mer Noire. En 1991, l’indépendance de l’Ukraine eut pour effet de priver la
Russie de la plus grande partie de son débouché sur la mer Noire et de la base
navale de Sébastopol. Le gouvernement ukrainien exigea que les navires de
guerre qui s’y trouvaient lui soient livrés, bien que leurs équipages et surtout
leurs officiers soient des Russes. De surcroît, la population de la Crimée
manifestait sa volonté de rester russe145. Cependant, malgré l’importance des
enjeux géostratégiques pour la Russie, avec le port de Novorossiisk, celle-ci
se résigna à la perte de la Crimée et une solution de compromis fut trouvée
quant au partage de la flotte.
L’affaire de Tchétchénie, qui commence dès 1990, montre les difficultés
dans lesquelles se trouvent les dirigeants russes dans leur management des
velléités indépendantistes. Le nationalisme tchétchène est sans doute à mettre
en rapport avec les souvenirs laissés par la déportation massive des
Tchétchènes en 1944, accusés de collusion avec la Wehrmacht, qui avait
atteint le Caucase. Ils ont été autorisés à revenir du Kazakhstan vers 1957146.
Entre 1991 et 1993, fort de son prestige de général et de président à Groznyi,

144 Ibid.
145 Blum, Alain et Gousseff, Catherine, « Russie. D’un recensement à l’autre », Le courrier des
pays de l’Est, N° 1035, 2003.
146 Ibid.

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capitale tchétchène, Doudaev présenta le projet de fonder une fédération des


peuples du Caucase. Le conflit fait l’objet de polémique et de critique par les
populations russes, dans la mesure où l’enjeu territorial est une centaine de
kilomètres à la périphérie de la Russie. De plus, l’armée d’un État de
150 millions d’habitants, armée en principe héritière de l’Armée rouge,
n’arrive pas à s’imposer dans un pays de 20 000 km2 et de 1 million
d’habitants, où les Tchétchènes ne formaient avant cette guerre que la moitié
de la population. Non seulement cette armée ne parvient pas à prendre le
dessus durant les combats, mais elle y a subi en décembre 1994 un revers,
lorsque ses chars sont entrés dans Groznyi. L’ardeur combative des
Tchétchènes s’est exercée à plusieurs reprises hors des frontières de leur
république, par des raids dans des villes russes situées à plusieurs centaines de
kilomètres. Poussés par des leaders islamistes, ils revendiquent les plaines au
nord du Caucase, affirmant qu’elles étaient jadis les terres de nomades
musulmans.
L’armée russe évacua la Tchétchénie et il fut convenu de la tenue d’un
référendum cinq ans plus tard sur le futur statut, sur la question de l’indé-
pendance (signature de l’accord de Khasaviourt le 23 novembre 1996 entre
l’ex-Premier ministre Tchernomyrdine et le nouveau président tchétchène
Maskhadov). Par la suite, la vague d’attentats orchestrés par les islamistes
tchétchènes dont les Russes furent victimes en septembre 1999 eut pour effet
de les replonger dans le conflit. Durant le même mois, les Tchétchènes
voulurent fonder dans le Caucase oriental une République islamique faisant
sécession de la république du Daghestan, qui fit appel aux troupes de la
Fédération de Russie. D’un autre côté, d’autres attentats furent commis à
Moscou et attribués à des terroristes tchétchènes. En octobre 1999, l’armée
envahit une nouvelle fois la Tchétchénie et s’empara de Groznyi147. Pour le
gouvernement russe, l’inconvénient consistant à lâcher la Tchétchénie est que
cette accession à l’indépendance serait un argument de poids pouvant être
utilisé, pour le même but, dans d’autres républiques autonomes de la Fédé-
ration de Russie. Celles qui à cet égard posent le plus de problèmes sont les
républiques dites « de la Volga », principalement le Tatarstan (68 000 km2,
3,5 millions d’habitants) et la Bachkirie ou Bachkortostan (143 000 km2,
3,8 millions d’habitants). En effet, elles ont d’importants gisements de pétrole,
et surtout les Tatars et les Bachkirs. Ces derniers, qui forment la moitié de la
population de ces républiques, sont musulmans. Ils sont donc particulièrement
attentifs à l’évolution des républiques caucasiennes et tout d’abord à celle de
la Tchétchénie. Certes, leurs langues sont différentes, celle qui est presque
commune aux Tatars et aux Bachkirs fait partie de la famille turco-mongole,

147 Facon, Isabelle, « La Russie et l’Asie centrale », Les cahiers de Mars, N° 177, 2003, p. 90.

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elle est différente des langues caucasiennes, mais la plupart des uns et des
autres sont aussi russophones148.
En juin 1991, Boris Eltsine, lorsqu’il invite les républiques fédérées de
l’URSS à « prendre le plus de souveraineté possible », a également adressé ce
message aux républiques autonomes dépendant de la Russie, et il a été
d’autant plus entendu au Tatarstan qu’il a prononcé ce discours à Kazan, la
capitale de cette république autonome. Aussi, dès le mois d’août, le Tatarstan
se déclare souverain et unique bénéficiaire des matières premières de son
sous-sol. Il proclame le tatar langue officielle et instaure la primauté de cette
déclaration sur les lois et les actes de la RSFSR et de l’URSS, nulle mention
n’est faite de l’appartenance du Tatarstan à la Fédération de Russie. Lorsque,
après la disparition de l’URSS, la Russie tente en 1992 de définir par un traité
ses rapports avec les républiques au sein de la fédération, le gouvernement
tatar procède à un référendum qui décide par 61 % des suffrages exprimés
l’égalité des droits entre le Tatarstan et la Fédération de Russie, et affirme son
droit d’établir directement des relations avec d’autres États, ce qui équivaut
presque à une déclaration d’indépendance. Au Tatarstan, un référendum a
approuvé le droit de la république de passer des accords avec d’autres États,
sa souveraineté sur le pétrole et l’égalité de ses droits avec la Russie, principes
qui ont ensuite été inscrits dans la Constitution et qui correspondent en
substance à une indépendance de principe149.
En 1994, un traité bilatéral est établi entre la Russie et le Tatarstan pour
définir leurs rapports mutuels au sein de la fédération. Au contraire, en
Tchétchénie, dès 1991, les proclamations de souveraineté puis d’indépen-
dance se sont faites dans des luttes violentes entre factions tchétchènes, luttes
qui se sont aggravées au point d’entraîner en 1994 l’intervention de l’armée
russe pour séparer partisans et adversaires, ce qui a conduit, en s’envenimant
par l’action délibérée des islamistes, à une guerre qui dure encore aujourd’hui.
Pour expliquer que la transformation des rapports entre Moscou et Kazan se
soit jusqu’à présent déroulée dans le calme, il faut tenir compte du fait que les
dirigeants russes sont conscients de l’importance géostratégique des répu-
bliques du Tatarstan et du Bachkortostan. À la différence de la Tchétchénie,
qui est frontalière, voire marginale, elles se trouvent au centre de la Russie,
entre la Volga et l’Oural. C’est par Kazan, le Tatarstan et les cols de l’Oural
central que passe le Transsibérien de Moscou vers Ekaterinbourg (ex-
Sverdlovsk), Omsk et Novossibirsk. Mais cette inclusion du Tatarstan-
Bachkortostan dans le territoire de la Russie rend assez théoriques les
proclamations de sécession de certains Tatars150. Le Tatarstan, pour exporter

148 Facon, Isabelle, « La politique extérieure de la Russie de Poutine. Acquis, difficultés et
contraintes », Annuaire français des relations internationales 2003, Bruxelles, Bruylant, 2003,
p. 555.
149 Lacoste, Yves, Op. cit.
150 Ibid.

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son pétrole, a besoin de l’accord de la Russie. Mettre fin à la guerre de


Tchétchénie est un moyen de renforcer la cohésion de la Fédération de Russie,
en améliorant les relations du « Centre » qu’est Moscou non seulement avec
le Tatarstan et les autres républiques autonomes, mais aussi avec les multiples
régions russes.
Dans le but de remédier à cette situation, le chef d’État Vladimir Poutine
exerce une politique de fermeté. Depuis son élection, le président s’est efforcé
de renforcer le pouvoir fédéral et de redonner une autorité à l’État. Avec
l’accord du Conseil de la fédération (Chambre haute du Parlement) et grâce à
un travail de conciliation, il promulguait en mai 2001 le décret décidant le
regroupement des quatre-vingt-neuf « sujets » de la fédération (y compris les
républiques autonomes) en sept grandes régions, dénommées districts
fédéraux151. Chacune est gouvernée par un superpréfet dont le titre est
« représentant présidentiel », qui est nommé par le Président et doté de larges
pouvoirs. Ces sept districts fédéraux correspondent aux sept régions militaires
de l’ex-URSS : Centre (Moscou), Nord-Ouest (Saint-Pétersbourg), Sud
(Rostov-sur-le-Don, avec les républiques caucasiennes), Volga (Nijni
Novgorod), Oural (Ekaterinbourg), Sibérie (Novossibirsk) et Extrême-Orient
(Khabarovsk, c’est le plus vaste de ces districts fédéraux, car il comprend la
république de Sakha, autrefois nommée Iakoutie). Certes, pour le moment,
l’opinion russe est dans l’ensemble favorable à un chef d’État, mais la fin de
l’affaire tchétchène est nécessaire à la politique de redressement de la Russie
qu’il a entreprise. D’abord pour diminuer le risque que les islamistes ne
parviennent à faire resurgir de nouveaux foyers en Russie, au Tatarstan par
exemple. Mais aussi pour pouvoir plus sereinement entreprendre la réforme
de l’armée. Celle-ci a dans l’opinion une image déplorable du fait tout à la fois
des sévices que tolèrent ou pratiquent les officiers et de leurs échecs contre les
maquis tchétchènes152.
Depuis la fin des années 2000, la Russie mène de nombreuses opérations
militaires en dehors de ses frontières. En août 2008, la république de l’Ossétie
du Sud devient la scène du conflit russo-géorgien. En 2014, Moscou profite
de l’instabilité générée par la révolution pro-européenne en Ukraine pour
remettre en question le statut de la Crimée. Cédée administrativement à
l’Ukraine en 1954, cette région majoritairement russophone continue à abriter
l’importante base navale russe de Sébastopol. À l’issue d’un référendum
organisé en présence des forces russes, 96,6 % des votants se prononcent en
faveur du rattachement de la Crimée à la Russie. L’État russe intervient dans

151 Lévesque, Jacques, « La Russie et les États-Unis après le 11 septembre 2001 et l’énigme
Poutine », in Le Gloannec, Anne-Marie et Smolar, Aleksander, Entre Kant et Kosovo. Etudes
offertes à Pierre Hassner, Paris, Presses de Sciences-Po, 2003.
152 De Tinguy, Anne, « Vladimir Poutine et l’Occident : l’heure est au pragmatisme », Politique

étrangère, N° 3, 2001 et « La Russie entre puissance et impuissance », La revue internationale


et stratégique, N° 38, 2000, p. 208.

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le conflit à l’est de l’Ukraine en soutenant les républiques autoproclamées de


Donetsk et de Lougansk. Ces évènements ont donné lieu à une « guerre de
sanctions » qui a eu des conséquences néfastes sur les échanges économiques
entre la Russie et l’UE153. Enfin, depuis 2015, l’armée russe est engagée dans
le conflit syrien dans le but de soutenir le régime de Bachar Al-Assad. La
volonté de la Russie de défendre ses intérêts dans l’espace postsoviétique et
au-delà s’accompagne, à l’intérieur du pays, d’un discours patriotique aux
accents nationalistes. Cette nouvelle rhétorique cherche à combiner les
références à l’orthodoxie russe avec la mise en valeur du passé soviétique et
notamment de la victoire dans la « Grande Guerre patriotique » entre 1941 et
1945. En voulant affirmer sa spécificité et renforcer sa dimension
eurasiatique, la Russie est fragilisée par une montée du nationalisme et une
rupture avec l’Occident dont elle est proche du point de vue géographique,
historique et culturel154, des évènements qui ont un impact sur la gouvernance
de l’État et de la société.

Section 2 : Le difficultueux exercice de la gouvernance en République


fédérale russe

La gouvernance renvoie à un modèle d’exercice du pouvoir en société. Elle


renvoie à une participation publique des populations aux affaires et une vision
décentrée du pouvoir, celui-ci n’étant plus la prérogative du seul État de
droit155. Dans cette partie de l’analyse, la gouvernance revêt deux dimensions
essentielles : la dimension gestion de l’économie et des affaires publiques
d’une part (A) et, d’autre part, la dimension politique et institutionnelle qui
contient le mode de transmission du pouvoir, l’indice de corruption de même
que l’état du système éducationnel (B).

A- La gestion arbitraire des affaires publiques en République


fédérale de Russie
Il est judicieux, pour un départ, d’avoir un aperçu de l’économie russe
depuis les années 2000. En 2014, subissant les effets conjugués d’une baisse
de près de 75 % du prix du pétrole, principale exportation de la Russie, et des
sanctions occidentales imposées à la mi-2014 après l’agression russe en
Ukraine, l’économie entre en récession. Le rouble, monnaie russe, baisse,
l’inflation augmente et le gouvernement est contraint d’avoir recours à ses
réserves internationales pour maintenir à flot le secteur bancaire156. En partie,

153 Daucé, Françoise, La Russie postsoviétique, Paris, La Découverte, 2008.


154 De Tinguy, Anne (dir.), La Russie dans le monde, Paris, CNRS Éditions, 2019.
155 Letourneau, Arnaud, « Les théories de la gouvernance. Pluralité de discours et enjeux

éthiques », Vertigo, la revue électronique en sciences de l’environnement, Hors-série 6, 2009,


document consulté le 29/11/2021 sur http://vertigo.revues.org/index8891.html
156 Russell, Martin, « L’économie russe : La Russie rattrapera-t-elle un jour son retard ? »,

Service de recherche du Parlement européen, mars 2015.

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grâce au redressement des prix du pétrole157, l’économie reprend sa croissance


à la fin de l’année 2016. En 2017, cette croissance atteint 1,6 % d’après les
prévisions, et reste à un niveau similaire pendant les deux années suivantes158.
L’agriculture se présente comme étant le secteur dont la croissance est la plus
rapide avec 2,3 %, mais le secteur manufacturier et celui des services se
rétablissent également. Le commerce extérieur augmente de 21 % et l’infla-
tion, qui avait dépassé les 10 % en 2015 et 2016, tombe sous la barre des 4 %.
En 2018, le budget fédéral est de nouveau excédentaire. L’année 2017 a connu
une légère baisse du taux de pauvreté et en avril 2018, le revenu disponible
réel, le revenu restant au ménage une fois les achats essentiels payés, a
enregistré sa première amélioration après quatre années consécutives de
déclin159.
La croissance économique actuelle de la Russie est inférieure à 2 %, par
rapport aux taux de 2,3 % et 2,7 % qu’enregistrent respectivement les États-
Unis et l’Union européenne160 ou à la moyenne mondiale qui s’élève à 3,8 %.
Elle l’est encore moins si on la compare à la moyenne de 7 % qu’affichait la
Russie pendant son essor économique du début des années 2000. Cette
croissance limitée signifie que la part de la Russie dans l’économie mondiale
est en déclin, et son retard sur les économies plus avancées, qui s’était réduit
jusqu’en 2014, a recommencé à s’accroître, résultant en un recul prononcé
pour le pays161. La récession de 2015-2016 et la lenteur de la reprise depuis
lors ne sont que partiellement dues aux facteurs externes (sanctions occi-
dentales, baisse du prix du pétrole). Le fait que la croissance économique ait
perdu de la vigueur en 2012, bien avant l’entrée en jeu de ces deux facteurs
externes, indique que la Russie connaît des problèmes internes à plus long
terme qui freinent l’économie. Bien que la Russie ait évolué au cours des
30 dernières années, les défis économiques auxquels le pays est confronté
ressemblent encore à ceux de l’ère soviétique. L’abondance des ressources
naturelles assure un niveau de vie adéquat pour la population, toutefois
l’économie, dominée par de grandes entreprises publiques non performantes,
manque de compétitivité et d’innovation162. La Russie compte peu
d’exportations reposant sur des technologies de pointe et son niveau de vie est

157 En avril 2018, le baril coûtait environ 70 dollars des États-Unis, par rapport à son nadir de
moins de 30 dollars en janvier 2016, restant cependant inférieur à son niveau record de juin
2014, à savoir 110 dollars
158 Pour plus de développements, lire à ce sujet « Russia’s Recovery: How Strong are its

Shoots? », Banque mondiale, novembre 2017.


159 Lire à ce sujet, « Incomes in Russia Continue 4-Year Plunge », Moscow Times, Service

fédéral des statistiques d’État, 21 novembre 2017.


160 Lire à ce sujet, « Perspectives de l’économie mondiale (avril 2018) », Fonds monétaire

international.
161 Russell, Martin, « Les sept défis économiques de la Russie. La fin de la stagnation ? »,

Service de recherche du Parlement européen, 2018, 36p.


162 Ibid.

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nettement inférieur à celui des économies occidentales. Des dépenses


militaires excessives détournent les ressources d’investissements qui seraient
plus productifs d’un point de vue économique et, bien que la Russie soit
beaucoup plus intégrée dans l’économie mondiale que l’Union soviétique, la
confrontation géopolitique avec les pays occidentaux incite le pays à se replier
de nouveau sur lui-même.
L’Union soviétique a investi dans la recherche et le développement,
environ 5 % du PIB163 en 1990, obtenant des résultats remarquables dans des
domaines tels que l’exploration spatiale et la physique théorique (sept prix
Nobel). Les dépenses en faveur de la recherche ont diminué depuis cette ère
en Russie pour atteindre 1,1 % du PIB en 2015164, soit un niveau nettement
inférieur à la moyenne de l’EU, qui s’élève à 2 %, mais semblable à de
nombreux autres pays dont le niveau de développement économique est
comparable. Il se remarque sur un manque de résultats concrets obtenus par la
recherche. En 2016, la Russie comptait plus de 370 000 chercheurs, ce qui la
place sensiblement au même niveau que d’autres grands pays développés165.
Toutefois, elle dispose de moins de revues scientifiques et de publications que
plusieurs autres pays, tels que le Canada et les Pays-Bas, qui comptent
beaucoup moins de chercheurs166. La qualité est un problème tout aussi
important que la quantité : parmi les chercheurs de 40 pays analysés dans un
rapport de l’OCDE167, les scientifiques russes sont les moins susceptibles
d’être cités par leurs pairs internationaux. Pour y remédier, dans son discours
de mars 2018, le chef d’État Vladimir Poutine a mentionné plusieurs grands
projets d’investissement dans des centres de recherche, y compris de
nouveaux collisionneurs pour la recherche en physique des particules. Malgré
cette volonté politique, tous les problèmes qu’a le pays dans le secteur de la
recherche ne sauraient être résolus par une augmentation des dépenses. Les
critiques s’appesantissent sur la mauvaise gestion des instituts de recherche
publics, le contrôle bureaucratique excessif, le manque de concurrence entre
les chercheurs et l’absence de financements dédiés aux projets les plus
prometteurs168. La Russie compte plusieurs secteurs innovants, comme les
services informatiques, la défense et l’industrie spatiale, malheureusement
l’économie est globalement caractérisée par un faible niveau d’innovation. En
2016, seuls 8,4 % des entreprises russes ont déclaré s’engager dans

163 D’après les chiffres de l’Unesco, cités dans « Productivity », Schaffer, M., et Kuznetsov, B.,
Can Russia Compete ?, Desai, R., Goldberg, I., (éds.), 2008.
164 Lire à ce sujet, « Research and development expenditure (% of GDP) », données de la

Banque mondiale.
165 Russell, Martin, Op. cit.
166 Ibid.
167 Pour plus de développements, lire « Scientific publication output and number of active

journals, top 20 countries », Compendium of Bibliometric Science Indicators, OECD/CSIS,


2016.
168 Lire à ce sujet « How Putin can restore Russian research », Nature, 13 mars 2018.

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l’innovation technologique, organisationnelle et marketing169, soit le niveau le


plus bas de ces dernières années, et bien moins que les 49 % enregistrés dans
l’UE170.
L’une des raisons pour lesquelles les entreprises russes ont du retard sur
leurs concurrents internationaux est l’adoption relativement faible des
technologies de l’information. En 2016, moins de la moitié des entreprises,
46 %, avaient leur propre site web171, contre 77 % chez leurs homologues de
l’UE172. Le manque d’innovation est le plus remarqué dans le secteur de
l’énergie, qui constitue la majeure partie des exportations. En 2016, les
producteurs de pétrole et de gaz Gazprom et Rosneft n’ont dépensé que
0,095 % et 0,02 % de leur chiffre d’affaires dans la R&D, comparativement
aux 0,43 % et 0,47 % dépensés par Shell et Exxon Mobil173. Alors qu’elles
devraient mettre en œuvre des politiques managériales qui prônent l’inno-
vation, les entreprises du secteur de l’énergie s’appuient plutôt sur leurs
partenaires occidentaux pour qu’ils leur fournissent la technologie dont elles
ont besoin pour exploiter les réserves difficiles d’accès174. Le manque
d’innovation dans ce domaine est devenu un problème majeur depuis que les
sanctions de l’UE et des États-Unis ont restreint l’accès à ces technologies,
obligeant le secteur de l’énergie à renoncer à plusieurs projets prometteurs175.
Le manque d’innovation est en partie dû à la situation du secteur de la
recherche, qui ne parvient pas à produire des idées susceptibles d’être
transformées en nouveaux produits et procédés. En 2016, les inventeurs russes
ont déposé 32 000 brevets176, un résultat limité par rapport à la taille de
l’économie nationale. Le nombre relativement réduit de brevets reflète non
seulement une qualité de la recherche à parfaire, mais aussi le manque de
participation du secteur privé qui n’a participé qu’à hauteur de 28 % aux
dépenses totales en R&D en 2016, contre 55 % dans l’UE177. Cette
prédominance du financement de la recherche par l’État peut contribuer à

169 Russell, Martin, Op. cit.


170 Pour plus d’informations, consulter à ce sujet « Statistiques sur l’innovation », Eurostat,
mars 2017.
171 Russell, Martin, Op. cit.
172 Pour plus d’informations, consulter à ce sujet « Digital economy and society statistics-

enterprises », Eurostat, mars 2018.


173 Pour plus de développements, consulter à ces sujets les rapports financiers de 2016 de

Gazprom, Rosneft, Shell et Exxon Mobil.


174 Lire à ce sujet « Negative outlook for Russian economy as sanctions bite », Institut

international d’études stratégiques, mars 2015.


175 Russell, Martin, « Sanctions over Ukraine : Impact on Russia », Service de recherche du

Parlement européen, mars 2015.


176 Pour plus de développements, lire à ce sujet « Statistiques de propriété intellectuelle par

pays : Fédération de Russie », Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, 2007-2016.


177 Pour plus de développements, consulter « Dépenses nationales de recherche et

développement par source de financement », Indicateurs de la recherche, Service fédéral des


statistiques d’État et al. (en russe), 2018, p. 85 et « R & D expenditure », Eurostat, mars 2018.

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expliquer le manque de résultats commerciaux. L’innovation est par ailleurs


freinée par une protection arbitraire de la propriété intellectuelle. Les produits
contrefaits sont monnaie courante et le piratage en ligne de contenus, y
compris de jeux vidéo et de logiciels, est répandu, ce qui pose un problème
pour le secteur des technologies de l’information et de la communication
(TIC) pourtant en expansion178. La bureaucratie empêche les titulaires de
droits d’attaquer en justice les personnes qui violent les droits de propriété
intellectuelle, et les autorités ne consacrent pas suffisamment de ressources au
problème pour le résoudre.
En raison de ces phénomènes, en 2017, le bureau du représentant des États-
Unis pour les questions commerciales a classé la Russie parmi les 11 pays
dans lesquels la propriété intellectuelle est en danger179. Le manque de
pression concurrentielle sur les marchés russes, constitue un troisième facteur
important : les entreprises n’étant pas en rivalité avec des concurrents, elles
ne sont guère incitées à investir dans l’innovation. Par exemple, une activité
de R&D minimale n’empêche pas les grandes entreprises du secteur de
l’énergie de prospérer. Le manque d’innovation rend plus difficile pour les
entreprises d’accroître leur productivité, limitant ainsi la croissance
économique. Le gouvernement a pris plusieurs mesures pour remédier au
problème. Ainsi, les entreprises qui développent de nouveaux produits et
services peuvent amortir certains types de dépenses en R&D à un taux plus
élevé afin de payer moins d’impôts sur leurs bénéfices180. De plus, les
entreprises engagées dans l’innovation technologique et situées dans l’une des
quatre zones économiques spéciales jouissent d’avantages fiscaux supplé-
mentaires181. Les exemptions fiscales spéciales s’appliquent également aux
parcs technologiques, dont le plus grand est Skolkovo, aux abords de Moscou,
surnommé la « Silicon Valley russe ». Créé en 2010, Skolkovo compte plus
de 1 000 jeunes entreprises participantes et ses partenaires internationaux
incluent Boeing, IBM et Microsoft. En 2016, le parc a annoncé avoir attiré
19 milliards de roubles d’investissements (250 millions d’euros)182.
Ces initiatives sont malgré tout limitées en l’absence d’un environnement
favorable à l’innovation. En 2016, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov,
a admis que les résultats de ces zones économiques spéciales étaient décevants
par rapport aux ressources investies dans ces espaces183. Parmi les centaines
de parcs technologiques, nombreux sont ceux qui n’existent que sur le

178 Lire à ce sujet « Russian Federation Systematic Diagnostic: Pathways to Inclusive Growth »,
Banque mondiale, 2016, p. 83.
179 Russell, Martin, Op. cit.
180 Ibid.
181 Russell, Martin, « Les sept défis économiques de la Russie. La fin de la stagnation ? »,

Service de recherche du Parlement européen, 2018, 36p.


182 Consulter à ce sujet « 2017 Annual Report », Skolkovo Foundation.
183 Pour plus de développements, lire à ce sujet « Kremlin calls special economic zones

inefficient », Russia Beyond the Headlines, juin 2016.

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papier184. Malgré son succès relatif, Skolkovo n’est pas à l’abri des problèmes
plus larges qui affectent l’économie : le parc a été frappé par un scandale de
corruption en 2013185 ainsi que par la fuite des cerveaux, qui a drainé une large
partie de ses effectifs186, et son président Viktor Vekselberg a été ajouté à la
liste des sanctions des États-Unis. Alors que les initiatives gouvernementales
telles que Skolkovo visent à promouvoir l’innovation, la répression politique
peut avoir l’effet inverse. Bien que le président Vladimir Poutine, dans son
discours de mars 2018, ait envisagé le déploiement de l’internet à haut débit à
l’ensemble du pays d’ici à 2024, le Kremlin estime souvent que l’internet, qui
reste relativement libre en Russie187, est une source potentielle de subversion.
En vue d’exercer un plus grand contrôle en ligne, une loi adoptée en 2014
exige des sites web qu’ils stockent les données à caractère personnel des
utilisateurs russes sur des serveurs. Le réseau social LinkedIn a depuis été
bloqué pour non-respect de cette loi188 et en avril 2018, Telegram (un service
de messagerie fondé par l’entrepreneur russe Pavel Durov) a été interdit à son
tour pour ne pas avoir communiqué aux autorités russes des informations qui
leur permettraient de décoder des messages privés, une exigence prévue par
l’ensemble de lois répressives « Yarovaya » adopté en 2016189. Bien que la
Russie soit encore loin d’un « pare-feu » tel que celui qu’a mis en place la
Chine, ce type de mesures a tendance à isoler le pays de l’internet mondial.
Cette politique a également des conséquences économiques directes,
l’interdiction de Telegram coûtant jusqu’à 1 milliard de dollars aux entre-
prises, dont une partie utilise le service190. L’ancien ministre des Finances
Alexeï Koudrine, quant à lui, craint qu’elle ne freine le processus de transition
numérique nécessaire à la stimulation de la croissance économique191. Les
tensions géopolitiques constituent un autre obstacle à l’innovation.
L’entreprise d’antivirus Kaspersky Lab, l’une des sociétés de l’internet les
plus prospères, a été interdite dans les ministères du gouvernement des États-
Unis par crainte que son logiciel puisse être utilisé par des pirates

184 Lire à ce sujet « Science parks: Russia’s secret weapon, or Potemkin village? », Russia
Beyond the Headlines, mars 2016.
185 Lire à ce sujet « Political backlash blamed for woes at Russia’s “Silicon Valley” », Financial

Times, mai 2013.


186 Consulter à ce sujet « The Short Life and Speedy Death of Russia’s Silicon Valley », Foreign

Policy, mai 2015.


187 Russell, Martin, « Media freedom trends 2017: Russia », Service de recherche du Parlement

européen, mai 2017.


188 Consulter à ce sujet « LinkedIn blocked by Russian authorities », BBC News, novembre

2016.
189 Lire à ce sujet « Russia Seeks To Block Telegram In Showdown Over Internet Freedom »,

RFE/RL, 6 avril 2018.


190 Lire à ce sujet « L’estimation élevée du coût de l’interdiction de Telegram » (en russe),

Kommersant, 26 avril 2018.


191 Consulter à ce sujet « Koudrine estime que l’interdiction de Telegram est un obstacle à la

dématérialisation de l’économie russe » (en russe), Kommersant, 26 avril 2018.

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informatiques liés au Kremlin pour accéder à des informations sensibles192.


Aussi, dans le secteur de l’énergie, les sanctions des pays occidentaux
restreignent l’accès des entreprises du secteur aux technologies et services
innovants.
Pendant la majeure partie de la période soviétique, la quasi-totalité des
entreprises étaient détenues par l’État. Au cours des réformes économiques
des années 1990, des dizaines de milliers d’entreprises ont été privatisées, ce
qui a ramené la part de l’État dans l’économie à 38 % du PIB en 2006193. Sous
les présidences successives du chef d’État Vladimir Poutine, la tendance à la
privatisation a été inversée avec la nationalisation de grandes entreprises dans
des secteurs stratégiques, tels que l’énergie, la finance et la défense. Lukoil,
producteur de pétrole, est la seule entreprise privée parmi les cinq premières
entreprises du pays sur le plan des ventes : l’État russe détient l’ensemble ou
la majorité des parts des entreprises Gazprom (gaz), Rosneft (pétrole),
Sberbank (banque) et des Chemins de fer. En 2012, le secteur public
représentait 70 %194 de l’économie, 4 100 sociétés étant détenues par l’État.
Par un décret présidentiel195 signé après son élection en 2012, le président
Vladimir Poutine a ordonné au gouvernement de se désengager des secteurs
sans lien avec les matières premières d’ici à 2016, « à l’exception des
monopoles naturels et des entreprises du secteur de la défense ». On compte
effectivement quelques privatisations : en 2016, l’État a vendu une partie de
ses participations dans la société d’extraction de diamants Alrosa et dans la
compagnie pétrolière Rosneft (tout en conservant une participation majoritaire
dans cette dernière). Cette stratégie a davantage été motivée par la nécessité
de combler un déficit budgétaire élevé que par le souhait de réduire
l’importance du secteur public. En 2017, le Premier ministre Dmitri
Medvedev a annoncé de nouvelles privatisations, avec la vente d’une partie
des participations de l’État dans la banque VTB et dans la société maritime
Sovcomflot196.
Depuis lors, la pression exercée sur les finances des administrations
publiques a toutefois diminué et la période semble peu propice à la vente de
VTB, l’entreprise étant visée par des sanctions occidentales. Ces deux

192 Lire à ce sujet « Trump signs into law U.S. government ban on Kaspersky Lab software »,

Reuters, 12 décembre 2017.


193 Pour plus de développements, consulter « Russian Federation Systematic Diagnostic:

Pathways to Inclusive Growth », Banque mondiale, 2016.


194 Consulter à ce sujet « Fiscal Transparency Evaluation », Fonds monétaire international, mai

2014, p. 8.
195 Il s’agit du Décret présidentiel Nº 596 du 7 mai 2012 sur la politique économique à long

terme (en russe).


196 Lire à ce sujet « Russia approves privatization plan aimed at raising 17 billion roubles »,

Reuters, 2 février 2017.

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privatisations ont donc été reportées sine die197 et aucun plan n’a été annoncé
pour la vente d’autres entreprises publiques. Au contraire, le contrôle de l’État
sur l’économie s’est récemment accru, le gouvernement ayant dû renflouer
trois banques privées défaillantes en 2017198. D’autres renflouements de
sociétés ciblées par les sanctions américaines d’avril 2018 sont actuellement
envisagés199. Les données indiquent qu’en Russie, comme dans de nombreux
autres pays200, les entreprises d’État sont moins performantes que leurs
homologues du secteur privé. Selon la Banque mondiale, la productivité totale
des facteurs (PTF), une mesure de l’efficacité avec laquelle les entreprises
convertissent le capital et le travail en recettes201, est plus faible dans les
entreprises d’État que dans le secteur privé202. Un rapport de la banque BNP
Paribas, publié en 2012203, conclut que la productivité du travail dans les
entreprises d’État est de plus de 30 % inférieure à la moyenne nationale,
notamment du fait que les décisions importantes servent souvent des intérêts
politiques et non commerciaux. Tels sont les exemples de remise sur le gaz
offert par Gazprom à l’Arménie après son adhésion à l’Union économique
eurasiatique204, ou encore le parrainage des Jeux olympiques de Sotchi par
Sberbank pour un montant de 2,7 milliards de dollars205. Les données de la
Banque mondiale sur la PTF206 indiquent que, même si elles sont plus
productives que leurs homologues publiques, les entreprises privées détenues
par des Russes sont moins performantes que les entreprises étrangères qui
exercent leurs activités en Russie. En outre, le décalage entre les entreprises
russes et les entreprises détenues à l’étranger semble aller croissant. La
productivité de ces dernières a considérablement augmenté entre 2005 et
2013, alors qu’elle a stagné, voire diminué pour les entreprises russes. La
Banque mondiale souligne également que le nombre de nouvelles entreprises
qui entrent sur le marché russe est moins élevé que dans la plupart des autres

197 Lire à ce sujet « Russia’s improving economy leaves privatization out in the cold », Reuters,
27 octobre 2017.
198 Consulter à ce sujet « Russia hit by $3.4 billion Promsvyazbank bailout in latest bank blow »,

Reuters, 15 décembre 2017.


199 Consulter à ce sujet « Viktor Vekselberg’s Renova Group says it needs a government bailout

(or two) », Meduza, 3 mai 2018.


200 Lire à ce sujet « Selected Emerging Market Economies: State-Owned Enterprises », Global

Financial Stability Report, FMI, octobre 2016.


201 Lire à ce sujet « The Meaning of Total Factor Productivity », ThoughtCo, 17 mars 2017.
202 Consulter à ce sujet « TFP by Sector and Ownership » et « Russian Federation Systematic

Diagnostic: Pathways to Inclusive Growth », Banque mondiale, 2016.


203 Lire à ce sujet « Russia: The land of the bountiful giants », BNP Paribas, 2012.
204 Consulter à ce sujet « Gazprom cuts wholesale gas price », Economist Intelligence Unit,

7 mai 2015.
205 Lire à ce sujet « Sochi’s costly legacy: A year after Olympics, Russian oligarchs unload

toxic assets on state as taxpayers pick up the bill », National Post, le 5 février 2015.
206 Consulter à ce sujet « TFP by Sector and Ownership », p. 61 et « Russian Federation

Systematic Diagnostic: Pathways to Inclusive Growth », Banque mondiale, 2016.

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anciens pays communistes et que les opérateurs historiques ont des marges
bénéficiaires plus élevées, en insistant sur le statisme des marchés et sur le
manque général de compétitivité. La domination des grandes entreprises
historiques contribue à expliquer pourquoi les petites et moyennes entreprises
ne représentent qu’un cinquième du PIB du pays et un quart de l’emploi207,
soit beaucoup moins que dans l’UE, où les chiffres s’élèvent respectivement
à 58 % et à 67 %208.
D’autres problèmes reflètent une évolution en dents de scie de la
construction de la puissance russe. Le délitement du Bloc soviétique a créé
une pauvreté et des inégalités généralisées qui persistent dans une certaine
mesure. Les bouleversements de la période post-soviétique ont conduit à une
chute des taux de natalité, dont les effets commencent à se faire ressentir sous
la forme d’une crise démographique, celles-ci entrant dans le domaine de la
gouvernance politique et institutionnelle.

B- La gouvernance politique et institutionnelle russe et des


similarités existantes de l’ère soviétique
Selon l’historien Michel Heller, le 8 décembre 1991 est marqué par un
coup d’État dirigé contre Mikhaïl Gorbatchev, du point de vue des lois
soviétiques, dans la mesure où les leaders de la Russie, de l’Ukraine et de la
Biélorussie ont proclamé la dissolution de l’URSS209. Le président de la
nouvelle République fédérale de Russie, Boris Eltsine, tente ensuite une
réforme politique et économique. L’audace du chef d’État ne garantit
cependant pas une transition vers la démocratie et une économie de marché.
Le président se présente comme un démocrate, tout en insistant sur la nécessité
d’un pouvoir fort pour réformer. Sa réforme politique consiste à construire un
système de pouvoir autoritaire210. Le 31 décembre 1999, Boris Eltsine
annonce sa démission en demandant pardon aux Russes pour les rêves
communs « qui ne se sont pas réalisés ». Vladimir Poutine, Premier ministre
depuis août 1999 et figure clé de la seconde guerre de Tchétchénie, devient
ainsi président par intérim. Expressément désigné par Boris Eltsine comme
son successeur, Vladimir Poutine se fait élire en mars 2000 en recueillant, dès
le premier tour, 51,95 % des voix. En quelques mois, il réussit à se poser en
leader capable de rétablir l’ordre en rompant avec les pratiques politiques et
économiques de l’époque eltsinienne. Le renforcement de l’État et la
recentralisation du pouvoir représentent le fil directeur des mesures qui

207 Consulter à ce sujet « Russian Federation Systematic Diagnostic: Pathways to Inclusive


Growth », Banque mondiale, 2016.
208 Lire à ce sujet « Statistics on small and medium-sized enterprises », Eurostat (données de

septembre 2015).
209 Heller, Michel, Verluise, Pierre, « URSS — 8 décembre 1991, pourquoi l’éclatement du

système soviétique ? », Diploweb.com : la revue géopolitique, 18 novembre 2021, 5 p.


210 Ibid.

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suivent son élection211. Ayant déclaré vouloir « restaurer la verticale du


pouvoir212 », le président Vladimir Poutine s’engage dans une série de
réformes administratives. En 2000, il ordonne le regroupement des sujets de
la Fédération en sept districts fédéraux avec, à leur tête, les représentants
plénipotentiaires de l’autorité étatique. Les élections des gouverneurs et des
présidents régionaux au suffrage universel direct sont abolies en 2004. Cette
réforme qui vise à assurer la loyauté des responsables régionaux s’accom-
pagne d’un bras de fer avec certains oligarques qui ne veulent pas renoncer à
leur influence politique (Boris Berezovski, Vladimir Goussinski, Mikhaïl
Khodorkovski). L’État reprend le contrôle de leurs empires économiques et
médiatiques. Le chef d’État, ancien chef du Service fédéral de sécurité (FSB),
adopte une logique corporatiste et s’entoure de collaborateurs ayant fait leur
carrière dans le FSB ou d’autres « structures de force213 ».
Dès lors, les élections sont avant tout pour le pouvoir un moyen de
contrôler l’efficacité des autorités régionales. Un gouverneur est jugé à sa
capacité de faire voter « correctement » ses administrés. Les élections ont
aussi pour but de figurer la légitimité du régime, notamment aux yeux de
l’étranger. C’est l’administration présidentielle qui sélectionne les candidats.
Son objectif premier est de s’assurer qu’aucun candidat alternatif ne puisse
faire ombrage au vrai et unique candidat, Vladimir Poutine214. Le choix des
candidats, « Potemkine215 » selon Françoise Thom, est toutefois inspiré par
d’autres considérations, comme réduire au maximum le vote potentiellement
contestataire. À la Douma, la politique présidentielle est soutenue par le parti
Russie unie formé en décembre 2001. Le parlementarisme est un schéma où
le « parti du pouvoir », largement majoritaire, partage les sièges avec quelques
partis favorables à la plupart des initiatives du président de la Fédération. Le
caractère libre des élections, présidentielles comme parlementaires, est
arbitraire, du moment où me président de la République Vladimir Poutine et
le parti politique Russie unie mobilisent les ressources médiatiques et
administratives dont leurs concurrents sont privés. Cependant, indépen-
damment de ces changements apportés dans le processus électoral, la politique
économique et internationale du chef d’État lui assure un soutien populaire et

211 Rey, Marie-Pierre, Blum, Alain, Mespoulet, Martine, et al., Les Russes : De Gorbatchev à
Poutine, Paris, Armand Colin, 2005.
212 Ibid.
213 Ibid.
214 Chamontin, Laurent, « Pourquoi et comment V. Poutine gagne-t-il un 4e mandat présidentiel

en Russie ? Un entretien avec Françoise Thom », Diploweb.com : la revue géopolitique, 4 mars


2018, 4 p.
215 Ibid. Françoise Thom fait ici référence à l’expression « village Potemkine » qui désigne un

trompe-l’œil à des fins de propagande. Selon une légende historique, de luxueuses façades
avaient été érigées à base de carton-pâte, à la demande du ministre russe Grigori Potemkine,
afin de masquer la pauvreté des villages lors de la visite de l’impératrice Catherine II en Crimée
en 1787.

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favorise sa réélection pour un deuxième mandat en 2004216. En ex-URSS


comme en Russie actuelle, le pouvoir réel ne se trouve pas dans les institutions
prévues par la constitution. Il existe un centre de pouvoir informel qui organise
la « verticale » administrative, le Secrétariat du Comité central en ex-URSS,
l’Administration présidentielle en Russie. Dans les deux cas, le gouvernement
ne décide de rien. Il existe cependant des différences entre le cas soviétique et
la Russie d’aujourd’hui : sous le chef d’État Vladimir Poutine, le pouvoir est
plus personnalisé qu’il ne l’était à l’époque soviétique217. Même au temps de
Joseph Staline, une certaine collégialité subsistait, ce n’est plus le cas
aujourd’hui. En revanche on note que les « siloviki » (armée, services de
sécurité, police et Parquet) continuent de disposer de budgets importants
alloués dans le budget de l’État.
La répression ciblée des opposants, largement pratiquée sous le Bloc
soviétique, est toujours d’actualité en République fédérale. La séquence
électorale qui s’est achevée le 4 mars 2012 par le retour de Vladimir Poutine
au Kremlin a projeté le Web sur le devant de la scène politique nationale.
Employées dans une finalité militante par la base et dans une logique de
contre-influence par le sommet, les technologies numériques (réseaux
sociaux, blogs, microblogs et téléphones mobiles) ont facilité la formation de
mouvements de masse en même temps qu’elles constituaient un canal
d’information non négligeable sur les manifestations de décembre 2011 à
mars 2012. Le Web ne peut plus être ignoré par les autorités gouverne-
mentales. Celles-ci ne sont plus maîtresses de l’agenda politique et doivent
faire montre de leur capacité de réaction218. Acteur des transformations de la
Russie, le Web contribue substantiellement à accroître la dépendance des
décideurs politiques à l’égard des nouveaux médias. Cette dépendance se
traduit par la volonté des autorités de prolonger leur légitimité sur le réseau
par une conception « proactive » du Web, combinant des éléments d’engage-
ment politique, où les dirigeants prennent toute leur place, avec une logique
plus classique où les rapports de force entre la société et l’État s’articulent
avec une sophistication croissante. De ce point de vue, le Web représente un
excellent point d’observation des tensions entre un leadership peinant à
comprendre les aspirations d’une société plus complexe et des citoyens qui,
de façon exponentielle, font évoluer leur rapport aux différents types de
pouvoirs219.
Depuis 2008, le Web a été pleinement associé à la politique de
modernizatsiya (la modernisation du système politique et de l’économie
russes), impulsée par l’ancien président Dimitri Medvedev, ainsi qu’à la

216 Konkka, Olga, Op. cit.


217 Chamontin, Laurent, Op. cit.
218 Nocetti, Julien, « Russie : le web réinvente-t-il la politique ? », Politique étrangère, 2012/2,

pp. 277-289.
219 Ibid.

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personnalité de ce dernier. L’objectif des autorités est d’exploiter au mieux les


possibilités offertes par la croissance de l’économie numérique pour projeter
du pays une image tournée vers le XXIe siècle. Avant tout, Internet est
considéré par les autorités comme un levier substantiel au service de la
croissance et de la diversification de l’économie russe. L’objectif est double.
D’une part, il s’agit de rendre la Russie moins dépendante de la rente
énergétique. D’autre part, il s’agit de faire d’Internet un « produit » vérita-
blement russe. En d’autres termes, de ne plus le considérer comme une
importation occidentale, tant pour des raisons de prestige que de sécurité
nationale. D’une certaine manière, la croissance de l’Internet russe procède
donc d’une volonté des autorités de rattraper le retard technologique de la
Russie sur l’Occident220. Le Web modifie la perception philosophique de
l’autorité et le rapport au pouvoir. Comme partout dans le monde, des
processus démocratiques fondamentaux comme le vote ou la prise de décision
sont « réimaginés » et inscrits dans un nouveau cadre numérique. Dans le
régime russe, les autorités se sont adaptées à l’ère des réseaux en investissant
de façon exponentielle la sphère numérique. Les hommes politiques, des
parlementaires aux gouverneurs de régions, sont ainsi fortement incités à se
rendre visibles sur les réseaux sociaux et les blogs, suivant en cela une
injonction de Dimitri Medvedev faite aux membres du gouvernement221 en
décembre 2009.
Ce développement du politique en ligne est censé créer un sentiment de
proximité entre la classe politique et des citoyens largement apolitiques,
rendant plus étroite la connexion entre les habitants des régions et le pouvoir
central. Zone de tensions entre la société et l’État qui cherchent, chacun à sa
manière, à façonner l’environnement numérique, le Web russe est un espace
hybride. Pour les autorités russes, civiles comme militaires, le rôle supposé
joué par les réseaux sociaux dans les révoltes du « printemps arabe » et, à un
degré différent, l’affaire WikiLeaks ont indéniablement contribué à politiser le
cyberespace et à susciter des débats anxiogènes sur le « potentiel subversif »
du Web. Ces événements ont eu, à leur manière, des répercussions sur la vie
politique russe, tout autant qu’ils ont montré le décalage d’une partie des
autorités quant aux réalités du Web222. Pour la frange conservatrice du
pouvoir, la séquence électorale de décembre 2011 a été l’occasion d’adopter
un ton empreint de nervosité et d’impulser des initiatives au plan international
allant vers une plus grande régulation du Web. En septembre 2011, la
proposition conjointe de la Russie et de la Chine, aux Nations unies, d’un
« code de conduite international pour la sécurité de l’information » reflète,

220 Wilson, A., « Computer Gap: The Soviet Union’s Missed Revolution and Its Implications
for Russian Technology Policy », Problems of Post-Communism, vol. 56, N° 4, 2009, p. 49.
221 Sidorenko, Alexander, « Le Web russe, espace de tensions entre la société et l’État »,

Russie.Nei.Visions, N° 63. Paris, Ifri, décembre 2011.


222 Nocetti, Julien, Op. cit.

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outre un souhait confirmé de ces États de prendre une part plus importante
dans la gouvernance d’Internet, une inquiétude quant à l’éventualité d’une
ingérence étrangère sur les cyberespaces russe et chinois. Avec le Web, le
discours des autorités réactualise une logique de « forteresse assiégée »,
mobilisée dès que l’exécutif perçoit une contestation de sa légitimité.
Les autorités russes n’exercent pas de censure du Web telle qu’elle est
pratiquée en Chine, où les autorités pratiquent un filtrage sophistiqué des
moteurs de recherche et réseaux sociaux occidentaux avec la contribution du
secteur privé. Au lieu de censure, les autorités privilégient d’autres formes
indirectes de régulation, comme le financement de réseaux de blogueurs
rémunérés par l’État, chargées de produire des commentaires flatteurs à
l’égard du Kremlin tout en « noyautant » les fora de l’opposition. L’approche
des autorités russes vis-à-vis du Web illustre l’« autoritarisme concurrentiel »
dans lequel évolue la Russie. La popularité croissante des outils du Web 2.0
place le Kremlin devant un réel défi de gouvernance et de légitimité politique.
Jusqu’à présent, il s’est relativement bien adapté à ce tournant par
l’exploitation de la richesse des possibilités offertes par le numérique, en ne
répugnant pourtant pas à entrer dans une logique de nuisance envers les
internautes manifestant des velléités contestataires. Plus profondément,
l’utilisation du Web à la fois par la base et par le sommet invite à un nécessaire
effort prospectif. Une première grille de lecture intègre pleinement le rôle du
Web comme « accélérateur » des transformations de la Russie223. Optimiste,
cette approche met en exergue le développement de nouvelles formes
politiques par le biais du Web. Une personnalité comme Alexeï Navalny tente
précisément ce pari, en contraignant les autorités politiques et les milieux
économiques à rendre des comptes (accountability) via un décodage (fact
checking) permanent et collaboratif grâce aux outils numériques. D’une
manière certaine, Alexeï Navalny a su ouvrir une brèche dans la vie politique
russe et se distancier des opposants traditionnels au pouvoir, trop lié aux
années 1990, par l’alliance d’un thème fédérateur, la lutte anticorruption,
lancée en ligne, d’un slogan contre le parti Russie unie qui a fait florès et
d’interventions médiatiques étudiées224.
L’indice de facilité à faire des affaires de la Banque mondiale évalue
l’environnement réglementaire pour les entreprises. La Russie se situait dans
la moitié inférieure de ce classement, 120e sur 183 pays en 2011225, les
entreprises devant se plier à des procédures administratives complexes pour
des démarches de base, telles que l’exportation de produits, le paiement
d’impôts et l’obtention de permis de construire. En 2012, le président
Vladimir Poutine a fixé l’objectif ambitieux de faire entrer le pays dans les
20 premières places du classement. Cet objectif n’est pas encore atteint.

223 Ibid.
224 Ibid.
225 Consulter à ce sujet Doing Business 2010, Banque mondiale, septembre 2009.

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Néanmoins, les performances de la Russie dans l’indice se sont améliorées, ce


qui lui a permis d’atteindre la 35e place, le pays devançant à présent plusieurs
pays de l’UE, dont l’Italie et la Belgique. Par exemple, la création d’une
entreprise demande désormais quatre procédures et 11 jours (à Moscou), alors
que neuf procédures et 30 jours étaient nécessaires en 2010. De même, le
temps nécessaire à une entreprise moyenne pour déposer sa demande de
restitution de l’impôt a été réduit de moitié226. Demander un permis de
construire est toujours une longue procédure qui nécessite 230 jours en
moyenne, ce qui représente certes un grand progrès par rapport à 2010 (deux
ans), mais toujours un processus long par rapport à la plupart des autres pays
pris en compte. L’autre catégorie de problèmes concerne les transactions
transfrontalières, les exportations nécessitant trois jours de procédure pour le
dédouanement et les autres vérifications aux frontières. En plus de réduire la
bureaucratie, la Russie a facilité les procédures en permettant de réaliser
certaines d’entre elles en ligne. Une enquête des Nations unies de 2016227
classe la Russie 35e sur 193 pays en matière d’administration en ligne, la
plaçant devant plusieurs pays européens, y compris la République tchèque, le
Portugal et la Croatie.
Malheureusement, compte tenu des nombreux autres problèmes
structurels, ces améliorations n’ont pas suffi pour encourager de nouveaux
investissements. Aussi, simplifier les procédures bureaucratiques est une
chose, mais réformer les administrations publiques qui les mettent en œuvre
en est une autre. Selon l’indice de perception de la corruption de Transparency
International, en 2017, la Russie était le pays le plus corrompu d’Europe et le
46e pays le plus corrompu au monde228, au même niveau que le Bangladesh et
le Guatemala. En 2018, le médiateur des entreprises du pays, Boris Titov, a
déclaré que la corruption est le plus grand problème auquel les entrepreneurs
russes sont confrontés229. En décembre 2017, le procureur général Youri
Chaika a estimé le coût de la corruption pour l’économie russe à 2,5 milliards
de dollars sur trois ans, mais ce chiffre n’est probablement que la partie
émergée de l’iceberg. La corruption implique des coûts supplémentaires pour
les entreprises : selon une étude publiée en 2011230, les entrepreneurs ont été
contraints de payer des pots-de-vin correspondants en moyenne à 0,9 % du
produit des ventes, généralement extorqués lors des transactions avec les
autorités fiscales et douanières, mais également dans le cadre des procédures
judiciaires et des appels d’offres publics. En outre, la corruption joue un rôle

226 Russell, Martin, Op. cit.


227 Ibid.
228 Lire à ce sujet « Russia Corruption Report », GAN Business Anti-Corruption Portal.
229 Lire à ce sujet « Titov : Russian businesses face ’corruption’ challenges », BBC News, 8 mars

2018.
230 Consulter pour plus d’informations « 2011 Business Environment and Enterprise

Performance Survey », Banque mondiale/BERD, janvier 2013.

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dans des incidents tels que l’incendie meurtrier du centre commercial de


Kemorovo, en mars 2018 : c’est peut-être en partie grâce à la corruption que
les propriétaires ont pu échapper aux règles strictes de sécurité en matière
d’incendie. L’image de la Russie en tant que pays corrompu dissuade les
investisseurs étrangers231.
En outre, d’importantes sommes, souvent issues de la corruption, sont
dissimulées dans des comptes à l’étranger au lieu d’être investies dans
l’économie nationale. Les scandales des « Panama Papers » et des « Paradise
Papers » ont mis en exergue ce problème de corruption, sans pour autant
révéler l’ampleur réelle des sommes que la Russie détient sur des comptes à
l’étranger, évaluées à 75 % du PIB du pays232. La corruption est un problème
pérenne en Russie, présent depuis l’époque soviétique, voire tsariste : par
exemple, en 1826, Nicolas Ier appelait déjà à « l’éradication de cet ulcère233 ».
Des efforts ont été déployés pour résoudre le problème. Un plan234 et une loi
nationale de lutte contre la corruption ont été adoptés en 2008235 et ont été mis
à jour à plusieurs reprises. Les mesures qu’ils prévoient comprennent des
obligations, pour les fonctionnaires et les députés, de déclarer leurs revenus et
leurs actifs, ainsi qu’une surveillance plus étroite des grands projets
d’infrastructure et une meilleure protection des lanceurs d’alerte. En limitant
les contacts en face à face avec des fonctionnaires, les procédures en ligne
devraient également réduire les possibilités d’extorquer des pots-de-vin236. En
dépit de ces mesures, la Russie progresse lentement dans la lutte contre la
corruption. Depuis 1996, lorsqu’elle est entrée dans l’indice de perception de
la corruption pour la première fois, la Russie est restée dans le groupe des
60 pays considérés comme les plus corrompus au monde. Un sondage de mars
2017 est parvenu à des conclusions similaires237 : selon celui-ci, seuls 15 %
des Russes estiment que la situation s’est améliorée depuis le début des
années 2000. En effet, la capacité des autorités à changer la situation est
incertaine, étant donné que la corruption s’est étendue à tous les niveaux de
l’État, y compris aux fonctionnaires qui sont justement chargés de résoudre le
problème238.

231 Voir, « German Firms Put Off by Russian Corruption », Spiegel Online, avril 2013.
232 Novkmet, F., Piketty, T., Zucman, G., « From Soviets to Oligarchs: Inequality and Property
in Russia 1905–2016 », World
Wealth and Income Database, juillet 2017.
233 Romanov B., « La corruption dans la Russie tsariste : Un historique du problème », Proza.ru,

2010 (en russe).


234 Voir, Plan national de lutte contre la corruption, 22 septembre 2008.
235 Voir, Loi fédérale du 25 décembre 2008 relative à la lutte contre la corruption (en russe).
236 Russell, Martin, Op. cit.
237 Voir, « La corruption institutionnelle et l’expérience personnelle », Levada Center, 28 mars

2017 (en russe).


238 Russell, Martin, Op. cit.

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L’ancien ministre de l’Économie Alexeï Oulioukaïev, le haut fonctionnaire


chargé de la lutte contre la corruption Dimitri Zakharchenko et au moins trois
gouverneurs régionaux ont été impliqués dans des affaires de corruption
médiatisées en 2017. Alexeï Navalny, militant pour la lutte contre la
corruption, affirme que le problème atteint des niveaux encore plus élevés au
sein de l’État : en mars 2017, il publia une vidéo YouTube239 où il accusait
Dimitri Medvedev d’accumuler des richesses issues de la corruption. En 2015,
Alexeï Navalny a émis des allégations similaires concernant les propriétés de
la famille du procureur général russe Yuri Chaika240. Les nombreux procès
pour corruption qui se sont récemment déroulés en Russie semblent refléter
une motivation politique d’éliminer des adversaires plutôt qu’une véritable
volonté d’effectuer un nettoyage au sein des organes de gouvernance. Par
exemple, la condamnation d’Alexeï Navalny visait à l’exclure de l’élection
présidentielle de 2018, tandis que les accusations portées contre le ministre de
l’Économie Alexeï Oulioukaïev241 et le gouverneur régional Nikita Belykh242
ont été reliées par certains observateurs à des conflits internes à l’élite
politique.
La pénurie de compétences en Russie traduit non seulement la quantité,
mais aussi la qualité de la main-d’œuvre. Il est vrai que la Russie affiche l’un
des pourcentages les plus élevés au monde en matière de diplômés
universitaires. En 2011, 53 % de la population, bien davantage que dans la
plupart des pays les plus avancés sur le plan économique, la moyenne de
l’OCDE est de 32 %243, présentait un taux d’alphabétisation des adultes
proche de 100 %. Les élèves russes obtiennent de bons résultats dans les tests
internationaux qui comparent les compétences en mathématiques, en sciences
et en lecture dans les écoles de différents pays, occupant la première place
dans les évaluations TIMMS/PIRLS et se hissant au niveau ou juste en dessous
de la moyenne du programme international pour le suivi des acquis des élèves
(PISA)244. Toutefois, ce niveau élevé d’éducation formelle ne signifie pas que
les Russes sont préparés pour le marché du travail. Les employeurs témoignent
de grandes difficultés pour recruter du personnel suffisamment qualifié. Selon
une étude réalisée en 2017245, ils estiment qu’une main-d’œuvre dotée d’une
239 Navalny, Alexeï, « Don’t call him Dimon », 2 mars 2017.
240 Voir, « The luxury hotel, the family of the top Moscow prosecutor and Russia’s most
notorious gang », The Guardian,
13 décembre 2015.
241 Consulter à ce sujet « Russian ex-minister Ulyukayev jailed for eight years over $2 million

bribe », Reuters, 15 décembre 2017.


242 Lire à ce sujet « The Non-Political Political Arrest of Nikita Belykh in Russia », The New

Yorker, 1er juillet 2016.


243 Voir, Regards sur l’éducation, Fédération de Russie, OCDE, 2013.
244 Martin, Russell, « Russia’s education system », Service de recherche du Parlement

européen, janvier 2017.


245 Voir, « Executive Opinion Survey 2017 », cité dans le rapport sur la compétitivité mondiale

2017-2018, Forum économique mondial, 2017.

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éducation inadéquate est le sixième des principaux obstacles auxquels ils sont
confrontés. Une enquête menée auprès d’employeurs en 2012 fournit des
informations supplémentaires sur la nature des compétences qui font défaut
selon eux : on compte notamment les compétences en matière de résolution
de problèmes, la capacité à sortir des sentiers battus (ces deux compétences
étant particulièrement importantes dans les entreprises innovantes) et la
capacité à travailler avec d’autres personnes246. Les résultats de cette étude
indiquent que les écoles et universités russes, qui mettent l’accent sur des
méthodes d’enseignement traditionnelles, sur les connaissances plutôt que sur
les compétences, sur la mémorisation plutôt que sur la créativité et sur
l’enseignement frontal plutôt que sur le travail en groupe, sont déconnectées
du monde du travail247. Ces lacunes ne seront généralement pas comblées
après la sortie du système éducatif : il ressort des données de l’OCDE que, par
rapport à leurs homologues en Europe occidentale, rare sont les travailleurs
russes qui s’engagent dans des parcours éducatifs pour adultes, et la formation
sur le lieu de travail est limitée248.

Conclusion

Avec une superficie de 17 075 400 km², la Russie postsoviétique reste le


plus grand pays du monde. Les nouvelles frontières ordonnent également une
nouvelle composition communautaire. Au sein de l’Empire russe comme de
l’ex-URSS, les Russes autochtones représentaient à peine plus de la moitié de
la population. Après 1991, ils représentent une communauté majoritaire
(environ 80 %). Cependant, la Russie compte plus de 190 autres groupes
communautaires officiellement reconnus, et l’architecture de l’État tient
compte de cette diversité. Cependant, cette subdivision administrative permet
de distinguer les territoires historiques des peuples autochtones. Ainsi, les
républiques sont dotées de leur propre constitution et peuvent déclarer comme
officielles, à côté du russe, les langues des groupes communautaires qui les
composent. Dans les années 1990, les tensions entre groupes communautaires
et les revendications séparatistes se font jour à l’intérieur des frontières russes.
Le premier conflit de Tchétchénie s’achève en 1996 par la signature d’un
accord. Cependant, les hostilités reprennent en août 1999 après une attaque
des indépendantistes contre la république voisine du Daghestan. Les
années 1990 connaissent un foisonnement de partis politiques et une réelle
liberté d’expression. Cependant, cette démocratisation inédite de la société se
déroule dans un cadre économique extrêmement difficile. Pour de nombreux

246 Lire à ce sujet « Developing Skills for Innovative Growth in the Russian Federation »,
Banque mondiale, juin 2013.
247 Martin, Russell, Op. cit.
248 Consulter à ce sujet « Russian Federation Systematic Diagnostic: Pathways to Inclusive

Growth », Banque mondiale, 2016, pp. 108-109.

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citoyens russes, la survie quotidienne, ainsi que celle de leurs proches, reste la
priorité.
La transition vers une économie libérale, qualifiée de « thérapie de choc »,
est source de frustration pour la majorité des Russes. La première phase de
privatisation lancée en 1992 se traduit par la distribution de bons échangeables
contre les actions des entreprises privatisables, dont les secteurs stratégiques,
comme l’énergie et les télécommunications, sont d’emblée exclus. Cette
campagne vise à favoriser l’émergence d’une large classe de propriétaires. Or,
elle ne bénéficie qu’à une partie infime de la population et notamment à ceux
qui ont connu une ascension financière à la fin de la perestroïka, grâce à
l’accès aux réseaux de commerce et d’exportation. La libéralisation des prix
provoque une hyperinflation qui atteint 2 500 % en 1992. Le chômage associé
à l’incapacité de l’État de pallier les conséquences sociales des réformes
conduit à une paupérisation de masse. Outre la volonté de conserver le rôle de
leader au sein de l’espace postsoviétique, la politique étrangère russe des
années 1990 est marquée par un désengagement sur la scène internationale et
notamment par l’affaiblissement des liens avec les anciens partenaires de l’ex-
URSS à travers le monde. Ainsi, dans l’objectif de régler ses préoccupations
internes et trouver des débouchées pour restructurer son économie nationale
d’une part, et, d’autre part, de restaurer une égalité stratégique et géopolitique
avec les États-Unis, et sortir du déclassement stratégique émis à son égard par
l’ancien président américain Barack Obama dans la conduite des affaires et
les prises de décisions internationales dans un environnement post bipolaire,
la République fédérale de Russie jette son dévolu sur l’Afrique. Mieux, le
Kremlin veut avoir voix au chapitre en Afrique centrale et accès à ses
différentes ressources dans son objectif de repositionnement stratégique sur la
scène internationale en tant que puissance mondiale, d’où la mise en œuvre
d’une politique de puissance dans ladite région du continent.

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CHAPITRE 2 :
LA MISE EN ŒUVRE DE LA POLITIQUE DE PUISSANCE RUSSE
EN AFRIQUE CENTRALE

Le contexte international actuel est fort mouvant. L’ordre libéral dirigé par
les États-Unis se désagrège sans qu’un système alternatif n’émerge. Même si
la mondialisation dominée par l’Occident est remise en cause de toutes parts,
elle demeure le principal paradigme économique249. On assiste à une
« désuniversalition » progressive des normes et des valeurs occidentales, mais
celles-ci ne sont pas remplacées pour autant par un « modèle chinois » ou
quelque autre ensemble alternatif. La multipolarité (ou « polycentrisme ») est
souvent invoquée, mais aucun consensus n’existe sur l’implication de cette
notion. Une certitude est que le « système » international n’a jamais été aussi
divisé et désorganisé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale250. Le choc
mondial de la pandémie à Coronavirus rappelle l’emprise des puissances sur
les organisations internationales, mondiales et régionales. L’ONU subit en
effet la capacité de blocage de ses patrons dans la conception et la mise en
œuvre des politiques publiques internationales251. Cette situation révèle des
faiblesses du multilatéralisme et les limites du libéralisme, spécifiquement les
faiblesses de l’approche institutionnelle pour laquelle l’individu est au cœur
de la sécurité, notamment sa sécurité physique et sa propriété privée.
Partant de cette configuration, les puissances émergentes, comme les
grandes puissances hier, acceptent difficilement d’être soumises à une
décision du Conseil de sécurité (CS) aujourd’hui, contraire à leurs intérêts
fondamentaux, dont elles veulent rester seules juges252. Ce contexte rappelle
l’importance des rapports de puissance pour comprendre la politique
internationale et l’impossibilité de réconcilier les intérêts divergents des États
dans une approche réaliste253. Les ressources naturelles africaines, jusque-là
gérées comme des réserves stratégiques des anciennes puissances coloniales,
sont désormais au cœur d’une concurrence entre les puissances traditionnelles
et les nations émergentes dont les besoins en matières premières stratégiques
paraissent illimités. Aussi, les stratégies des chefs d’État Vladimir Poutine
pour la puissance russe, de Recep Tayyip Erdogan pour la puissance turque et
de Xi Jinping pour la puissance chinoise se font jour et sont transformées en
calculs et manœuvres géostratégiques ainsi qu’en politiques économiques

249 Lo, Bobo, « Vladimir Poutine et la politique étrangère russe : entre aventurisme et
réalisme ? », Russie.Nei.Visions, No 108, Ifri, juin 2018, 40 p.
250 Ibid.
251 Defarges, Philippe Moreau, Introduction à la géopolitique, Paris, Éditions Seuil, 2009.
252 De la Sablière, Jean-Marc, « Un multilatéralisme aristocratique : le Conseil de Sécurité »,

Questions internationales, No 105, janvier-février 2021, pp. 56-63.


253 David, Charles-Philippe et Schmitt, Olivier, La guerre et la paix. Approches et enjeux de la

sécurité et de la stratégie, 4e édition, Paris, Presses de Science Po, 2020, 580 p.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

agressives254 sur le continent. Pour la France, l’irruption des puissances


économiques et militaires émergentes telles que la Chine, la Russie, l’Inde, le
Brésil sur la scène africaine et l’intérêt croissant des États-Unis et du Japon
pour le continent ont perturbé son monopole en Afrique francophone255.
L’effondrement de l’URSS a conduit les Russes à s’interroger sur leur
identité, la nature de leur État et la place qu’occupe leur nation sur la scène
internationale. Pour la Russie, les relations internationales post-guerre froide
sont structurées par la concurrence et l’aspiration de plusieurs États à renforcer
leur influence sur la politique internationale256. Ainsi, l’ambition de Moscou
est de permettre à ses autorités de prendre part et d’avoir une forte influence
dans la résolution des grands problèmes internationaux, le règlement des
conflits militaires, la réalisation de la stabilité stratégique et de la suprématie
du droit international dans les relations internationales257 d’une part. D’autre
part, la Russie veut avoir voix au chapitre en Afrique et accès à ses différentes
ressources dans son objectif de repositionnement stratégique sur la scène
internationale en tant que puissance mondiale. Dans cette dernière optique, la
diplomatie proactive russe du président Vladimir Poutine, principal artisan
d’une reprise progressive de rapports coopératifs entre Moscou et l’Afrique,
est de plus en plus perceptible258. À cet effet, il est question, en premier, de
présenter les raisons d’un regain d’intérêt relativement récent pour l’Afrique
centrale au-delà du récit de la « reconquête » d’un espace que la Russie
postsoviétique avait abandonné259 (section 1) et, secondement, les vecteurs
usité par le Kremlin dans la mise en œuvre de sa politique de puissance
(section 2).

Section 1 : L’Afrique centrale face aux nouvelles ambitions de la


Fédération de Russie

L’Afrique, de par ses richesses et son potentiel humain, dispose de


multiples atouts susceptibles de lui permettre un développement autocentré.
Mais, incontestablement, des dysfonctionnements de divers ordres la

254 Burgorgue-Larsen, Laurence, « Universalisme des droits de l’Homme : une remise en cause
croissante », Questions internationales, No 105, janvier-février 2021, pp. 48-55.
255 Tchokonté, Sévérin, « Introduction », Revue Dialectique des intelligences, N° 6, premier

semestre 2019, p. 6.
256 Bonvillain, Denis, « La Russie face à sa défense », Diplôme de l’Institut d’études politiques

de Lyon, Séminaire De la Baltique à la mer Noire, Université de Lyon 2, 2006, pp. 50-53.
257 Facon, Isabelle, « La nouvelle stratégie de sécurité nationale de la Fédération de Russie

(Présentation analytique) », Fondation pour la Recherche Stratégique, Note N° 05/2016, p. 3.


258 Lobez, Christian, « Retour de la Russie en RCA : entre multiples intérêts et lutte

d’influence » (20 septembre 2019), document consulté le 01/12/2021 sur https://lesyeux-


dumonde.fr/actualite/actualite-analysee/33619-russie-livre-t-armes-gouvernement-
centrafricain
259 Kalika, Arnaud, « Le “grand retour” de la Russie en Afrique ? », Russie.Nei.Visions, No 114,

Ifri, avril 2019, p. 6.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

paralysent. Porter un regard sur l’Afrique centrale, en cette période géopo-


litiquement incertaine, ne doit pas laisser le champ à la fatalité, sentiment
partagé par des médias anxiogènes260. Au contraire, les changements sont
possibles, à condition de donner le champ libre à des mentalités plus sensibles
à une démarche véritablement collégiale261. Depuis le début de l’ère coloniale
jusqu’à nos jours, l’Afrique centrale est une région convoitée par toutes les
grandes puissances parmi lesquelles comptent de nombreux États membres de
l’UE, les États-Unis, la Chine et bien entendu la Russie. Le but de chacune de
ces puissances est de consolider leur position respective sur le continent, ce
qui vise bien entendu à la maîtrise des ressources stratégiques262. Même si de
nombreux autres enjeux existent en dépit des risques liés aux instabilités
(sociale, économique, politique et sécuritaire) dont souffrent les pays
d’Afrique centrale, il demeure plus que jamais incontournable tant pour les
grandes puissances que pour les puissances émergentes. Aussi est-il question
de présenter les motivations du « retour en force » de la Russie en Afrique
centrale, qui se déclinent en motivations géographiques (A) et stratégiques
(B).

A- La conquête d’espaces stratégiques au cœur de l’offensive russe


en Afrique centrale
La quête de la puissance est au cœur des dynamiques internationales.
L’ordre international implique en permanence un « choc des volontés ».
Malgré l’existence d’organisations intergouvernementales, régionales et sous
régionales, cet ordre est fondé sur la pluralité de souverainetés militaires, et
donc sur le droit que se réservent celles-ci de se faire justice elles-mêmes.
Ainsi, les puissances stratégiquement émancipées mettent en œuvre des
moyens, ruses et stratégies pour atteindre leurs objectifs définis par leur
géopolitique respective. La Géopolitique permettant à un acteur de l’environ-
nement international de se projeter comme puissance décisive dans le monde
futur263, la construction de celle-ci nécessite de disposer de trois fondamentaux
que sont le territoire, la population et le désir264.
Premièrement, l’Afrique centrale, en raison de sa situation géographique
sur le continent, est pour la Russie une importante base territoriale dans le
prélèvement, la production, la projection des ressources et des moyens
nécessaires pour une reconquête d’un leadership international dont disposait

260 Ungar, Sanford J. et Gergen, David, « Africa and American Media », The Freedom Forum
Media Studies Center, Colombia University, New York, 1991, p. 8.
261 Le Pautremat, Pascal, « L’Afrique : entre défis et succès potentiels, loin des fatalités »,

Diploweb.com : la revue géopolitique, 3 octobre 2015, 14 p.


262 Elzein, Derek, « L’Afrique face aux nouvelles ambitions de la Russie », Géoéconomie,

N° 71, 2014/4, pp. 77-88.


263 Moreau Defarges, Philippe, Introduction à la géopolitique, Paris, Seuil, 1994, p. 34.
264 Verluise, Pierre, « Géopolitique-La puissance : quels sont ses fondamentaux ? », document

consulté le 02/12/2021 sur http://www.diploweb.com/Gepolitique-La-puissance.html

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l’ex-URSS. En effet, la position d’un pays ne se réduit pas uniquement à son


emplacement géographique. Tout dépend de l’enjeu géopolitique, voire
géostratégique, qu’on lui porte, notamment dans la réalisation des objectifs
escomptés265. Partant de cette assertion, le Kremlin qui a comme objectif, pour
des raisons stratégiques, économiques et militaires, de disposer d’une
influence conséquente sur des carrefours maritimes en Afrique, apprécie la
position géographique qu’occupe l’Afrique centrale sur le continent. L’espace
maritime joue aujourd’hui un rôle premier dans les échanges de biens, de
produits, d’informations et de services entre différents acteurs de l’espace
mondial. La croissance démographique du globe et l’accélération de la
consommation des ressources naturelles de la planète sont les causes
principales de l’amplification de la pression anthropique sur les ressources
marines266 et sur les littoraux267.
Les océans et les mers constituent des espaces de liberté qui permettent aux
États d’exercer leur influence bien au-delà de leurs frontières terrestres ou de
leurs eaux territoriales. Ils sont source de richesses, présentes et futures, et
sont des indispensables voies pour la circulation du commerce mondial268. Le
poids de l’économie maritime est évalué au niveau mondial à 1 500 milliards
de dollars. Elle repose à 87 % sur des secteurs d’activités traditionnels (pétrole
et gaz, transport, construction/réparation navale et pêche). Les 13 % restant
représentent des secteurs en fort développement : aquaculture, offshore
profond (pétrole, minerais), énergies marines269. Certaines prospectives
estiment que d’ici 10 ans, le chiffre d’affaires de ces secteurs devrait doubler
et atteindre un volume proche de 450 milliards de dollars. La consommation
de sable, majoritairement tiré des fonds marins, dépasse celle de toute autre
ressource naturelle solide sur la planète, à savoir environ 50 milliards de

265 Fogue Tedom, Alain, Enjeux géostratégiques et conflits politiques en Afrique Noire, Paris,
L’Harmattan, 2008, p. 21.
266 Pour plus de développements, lire à ce propos « Économie maritime en Bretagne : changeons

de regard », Rapport CESER, octobre 2014.


267 La définition du littoral varie en fonction des thématiques. En géologie, le domaine littoral

sépare deux environnements, l’un marin, l’autre continental, dont la limite fluctue au cours des
temps géologiques. À terre, le domaine littoral comprend une partie des bassins versants, où se
concentre la population, des exploitations agricoles et des espaces naturels remarquables. En
mer, la zone, peu profonde, fait l’objet d’utilisations variées (ressources alimentaires,
minérales, énergétiques). À l’interface, il comprend le trait de côte (ligne des plus hautes eaux,
hors tempêtes exceptionnelles) avec son estran, ses plages, ses falaises et ses embouchures de
fleuves Le littoral est la zone où entrent en contact la terre, la mer et l’atmosphère et qui
comporte l’arrière-côte et l’estran. Noah Edzimbi, François Xavier, « De la problématique de
la sous-traitance de l’économie maritime des États de la façade atlantique de l’Afrique par des
puissances étrangères », Espace géographique et société marocaine, N° 24-25, 2018, pp. 229-
246.
268 Voir, « De l’importance des enjeux maritimes au XXIe siècle » Centre d’études stratégiques

de la Marine, p. 5, document consulté le 02/12/2021 sur http://cesm.marine.defense.gouv.fr/


index.php
269 Noah Edzimbi, François Xavier, Op. cit.

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tonnes par an. Tirée par la croissance démographique et économique, la


consommation de granulats a ainsi triplé en vingt ans. La production suit le
mouvement : elle s’élevait à 42 211 milliards de tonnes en 2020 et à
44 300 milliards de tonnes en 2021, presque 5 % de plus270. Ceci explique
pourquoi le fait maritime est l’objet d’un regain d’intérêt au niveau mondial
(« Le pacte pour les océans » des Nations Unies) et européen (la politique
maritime intégrée de l’UE). La maritimisation271 est donc un élément clé de la
mondialisation. Elle convoque une maitrise de la géographie, discipline de
construction de l’identité nationale, de l’adaptation des nations à leur cadre de
vie, le substrat géopolitique, géostratégique et géoéconomique de leur déve-
loppement et de leur projection vers l’avenir. Elle vise la construction d’un
savoir-penser l’espace et une fabrique de la conscience nationale autour des
problématiques spatiales d’une nation ou d’un peuple272.
De ce constat, l’intérêt de la Russie pour l’Afrique centrale tient à son
ouverture maritime, mais aussi à la position centrale qu’elle occupe en Afrique
subsaharienne. En effet, à partir des côtes sud-ouest du Cameroun, pays de
ladite région, cette dernière s’ouvre sur l’océan Atlantique. Jouissant de
plusieurs façades maritimes (402 km de côte), ledit pays favorise les échanges
de toute nature sur le continent. Cette position a été parfois présentée par les
autorités camerounaises pour séduire les investisseurs, tout comme elle a été
évoquée par d’autres puissances étrangères, à l’occurrence les États-Unis,
pour justifier leur intérêt à renforcer leur coopération avec le Cameroun273.
Cette ouverture permet par ailleurs aux zones géographiquement peu
avantageuses d’écouler leurs produits. Elle profite principalement au Tchad,
au Niger et à la République centrafricaine qui n’ont pas de façade maritime.
Aussi, la façade maritime du Cameroun met davantage en exergue
l’importance de l’Afrique centrale dans une projection de la puissance russe
en Afrique. Elle favorise plusieurs opérations : l’accès en Afrique de l’ouest,
la remontée du sahel, l’accès à la corne de l’Afrique (considérée comme porte
d’entrée et poste avancé des terroristes en Afrique) en passant par la
Centrafrique, le Tchad et le Soudan, puis la descente vers les pays des Grands

270 Valo, Martine, « Le sable, une source stratégique exploitée sans frein », Le Monde, mercredi
27 avril 2022, p. 17.
271 La maritimisation traduit le processus par lequel le poids de l’économie maritime croît dans

l’économie d’un pays ou d’une région. Éric Foulquier la définit comme le processus selon
lequel une économie se dote de différents instruments lui permettant de jouer un rôle dans le
domaine maritime. Dans un rapport récent sur la maritimisation, le Sénat la traduit par un
basculement de la terre vers la mer et une dépendance croissante de l’économie aux ressources
marines. Lorgeoux, Jean et Trillard, Antoine, Maritimisation : la France face à la nouvelle
géopolitique des océans, Rapport d’information du Sénat, juillet 2012.
272 Klein, Jean-Louis, et Laurin, Stéphane, L’éducation géographique. Formation du citoyen et

conscience territoriale, Presses de l’Université du Québec, 1999, pp. 7-15.


273 Noah Edzimbi, François Xavier, « Le projet géostratégique des États-Unis d’Amérique dans

le golfe de Guinée : analyse de l’action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013 », Master II
en science politique, Université de Yaoundé II, 2014, pp. 50-52.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

Lacs dont certains sont membres de la Communauté économique des États de


l’Afrique Centrale (CEEAC)274. Souvent considéré sous le prisme de la
géoéconomie, l’engagement de la Russie en République centrafricaine est
motivé par le contrôle des pivots géopolitiques. En effet, compte tenu de sa
situation géographique, la RCA est considérée comme un pont vers d’autres
parties de l’Afrique, plus attrayante sur le plan économique. Cette idée a été
exposée par un haut responsable des Nations-Unies en charge des questions
sécuritaires qui affirme que « les Russes veulent s’implanter en République
centrafricaine afin de disposer d’un axe d’influence à travers le Soudan au
nord et vers l’Angola au sud275 ». Le choix de la République Centrafricaine
par le Kremlin est aussi motivé par des objectifs géopolitiques, parmi lesquels
celui de défier la France qui, selon Moscou, perd du terrain en Afrique. Si la
ministre française des Armées, madame Florence Parly, a positivement jugé
les efforts fournis par la Russie, les conservateurs russes, parmi lesquels figure
Viatcheslav Tetekine, membre du comité de défense de la Douma, affirment
que « la Russie a de facto exclu la France du jeu centrafricain (…)276 ».
Secondement, la contestation des hiérarchies géopolitiques est un aspect
déterminant de la percée russe en Afrique centrale. Absente de la région
pendant de longues années, la Russie ne semble pas s’accommoder de
l’existence d’une zone d’influence française qui résulte d’un « Yalta des
territoires africains277 » avec les États-Unis. Sa conquête d’espaces à fort
potentiel stratégique traduit sa volonté de bouleverser autant les certitudes que
les continuités géographiques créées par la pression continuelle des puissances
traditionnelles sur les routes minières et énergétiques régionales. Dès lors, le
contrôle des pivots géopolitiques apparaît comme l’aspect de la stratégie russe
de conquête de l’espace africain278. L’offensive de la Russie en Afrique
centrale s’intéresse, en priorité, aux pivots géopolitiques au sens de Zbigniew
Brzezinski279. Considérant l’importance desdits territoires pour la stabilité de

274 Ibid.
275 Losh, J., et Mathews, O., « Battle for Africa: Russia pushes into « Free Country for the
Taking » in attempt to Rival the West », Newsweek, 09 août 2018, document consulté le
22 novembre 2021 sur www.newsweek.com
276 Tetekine, Iatcheslav, « une chasse en RCA : l’Afrique attend la Russie et ses bases

militaires », 16 janvier 2019, document consulté le 22 novembre 2021 sur www.vpk-news.ru


277 La Conférence de Yalta s’est tenue du 4 au 11 février 1945 entre les puissances alliées avec

pour principal objectif de réfléchir à l’après-seconde-guerre mondiale. Une des principales


résolutions de cette conférence c’est la division de l’Allemagne et de Berlin en 4 zones
d’occupations russe, américaine, britannique et française. L’évocation d’un « Yalta des
territoires africains » fait référence à l’entente entre les États-Unis et la France ayant abouti au
renforcement de l’idée d’un « pré-carré » africain de la France dans lequel leur allié n’a que peu
d’ambitions géopolitiques. Fabrice Noah Noah, « La Russie dans le “Grand jeu” en Afrique
centrale : entre continuités et ruptures stratégiques », Dialectique des intelligences, N° 005,
2019, pp. 29-43.
278 Ibid.
279 Brzezinski, Zbigniew, Le grand échiquier, Bayard Éditions, 1997, p. 68.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

l’Afrique centrale, et les intérêts français et américains dans la région, la


Russie estime leur contrôle nécessaire au démantèlement de l’empire
occidental. La vulnérabilité des positions concernées, doublée de leur situation
stratégique sur les routes minières, renforce leur intérêt pour la Russie. Celle-
ci semble particulièrement attirée par la permanence de zones grises sur une
partie des territoires convoités, dans la mesure où elles servent l’action
discrète de la Russie. Sa démarche se décline alors en la prise de contrôle
progressive de secteurs où l’État n’a plus pied. Deux pays semblent
prioritaires dans le projet de la Russie : la Centrafrique et la République
Démocratique du Congo (RDC)280. En effet, leur processus de développement
respectif, limité malgré quelques points d’amélioration, ne leur permet pas
d’atteindre les différents objectifs circonscrits. Cette situation alimente la
convoitise d’autres puissances à l’égard des ressources naturelles dont
disposent ces pays (pétrole, gaz, charbon, métaux, etc.)281. Ainsi, la stratégie
consiste pour Moscou à gagner en influence dans la région avec peu de
moyens, pour avoir voix au chapitre sur ces ressources stratégiques. La pleine
conscience de la modestie de son infrastructure géopolitique dans cet
environnement géographique l’oblige à une gestion rationnelle des moyens
disponibles.
Troisièmement, en tant qu’étude des rivalités de pouvoir sur des terri-
toires282, la géopolitique est perçue par la communauté russe comme une
planche de salut dans leur quête d’une nouvelle place dans le monde283. La
maitrise de la géographie et surtout des ressources naturelles est on ne peut
plus nécessaire dans les projets hégémoniques. L’expansion actuelle de la
Russie en Afrique obéit aux idées du géopoliticien allemand Karl Haushofer
qui soulignait déjà l’importance de la conscience géographique dans la
conquête des territoires. L’annexion militaire de la Russie en Crimée284,
« l’opération militaire spéciale » en cours depuis le 24 février 2022 en
Ukraine, et son retour dans le jeu de puissance à partir de l’Afrique centrale
ne sont que la matérialisation de son ambition géopolitique pour ce qui est de
la quête de nouveaux marchés. Avec une population estimée à 163 495 000
d’habitants en 2017, sur une superficie de 6 613 000 km2, l’Afrique centrale
(constituée de l’Angola, le Cameroun, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la

280 Noah Noah, Fabrice, Op. cit.


281 Facon, Isabelle, « Russie : la puissance revendiquée » in Delamotte, Guibourg et Tellenne,
Cédric (dir.), Géopolitique et géoéconomie du monde contemporain. Puissance et conflits,
Paris, Éditions La Découverte, 2021, pp. 410-420.
282 Douzet, Frédérick et Kaplan, David H., « Geopolitics: la géopolitique dans le monde anglo-

américain », Hérodote, N° 146-147, 2012/3, pp. 237-252.


283 Mitrofanova, Anastasia, « La géopolitique dans la Russie Contemporaine », Hérodote, N°

146-147, 2012/3-4,
pp. 183-192.
284 Jeangène Vilmer, Jean Baptiste, « Crimée : les contradictions du discours russe », Politique

étrangère, 2015/1, pp. 159-172.

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République Centrafricaine, la République Démocratique du Congo, la


République du Congo, Sao Tomé et Principe et le Tchad, le Malawi, la
Zambie, le Burundi et le Rwanda) se présente comme espace de perfection-
nement technologique et d’acquisition de débouchés pour les produits russes
dans la région. Cette dernière est un terrain d’entrainement285 pour les
entreprises russes, et les moyens mis en œuvre par le Kremlin, par ces
entreprises, permettent de resserrer les liens entre le Kremlin et les capitales
africaines, ceci dans un contexte international marqué par la rareté des
ressources financières et le durcissement des conditionnalités d’accès à ces
dernières286. Ils sont une bouée de sauvetage permettant aux États de la région
Afrique centrale d’obtenir des ressources supplémentaires qui financent leurs
projets de développement287 et entrainent, sur le plan stratégique, la création
d’une dette morale chez les dirigeants africains que Moscou instrumentalise
au mieux de ses intérêts.

B- Les motivations stratégiques de la ruée russe dans la région


Afrique centrale
Depuis les années 1960, le processus de décolonisation n’occulte pas la
pérennité des politiques d’influence des grandes puissances, et parallèlement
des pays émergents. Ceux-ci mettent en avant leurs impératifs géostra-
tégiques, la raison d’État au profit de l’assurance de leur rayonnement
international. Et la France, en particulier, œuvre depuis des décennies pour
préserver ses intérêts face à la concurrence anglo-saxonne, et face à l’influence
de l’ex-URSS durant l’ère bipolaire288. D’où une floraison de concurrences
mutuelles et plurisectorielles : obtention des marchés destinés à l’exploitation
des ressources minières, énergétiques ; politiques contractuelles pour vendre
des technologies et savoir-faire, des armes, aéronefs et équipements
industriels, etc. Les marchés porteurs sont évidemment ceux inhérents aux
matières premières à haute valeur ajoutée : matières premières énergétiques et
minérales, d’importance stratégique : l’uranium, pétrole, gaz, bois. On peut y
ajouter le coltan ou colombo-tantalite présent dans les vecteurs de commu-
nication (ordinateurs, téléphone mobile, etc.). Les impératifs géoéconomiques
incitent donc à la captation des ressources naturelles autant que de matières

285 Beuret, Marc et Michel, Stéphane, « La Chine a-t-elle un plan en Afrique ? », Afrique
contemporaine, 4/2008, N° 228, p. 112.
286 Guerin, Eugène, « Bailleurs émergents : où en est la Chine en Afrique ? », Afrique

Contemporaine, 12/2008, N° 228, pp. 105-118.


287 Huang, Michel et Ren, Patrick « L’aide étrangère de la Chine dans l’architecture de l’aide

internationale », International Development Policy, 2012, document consulté le 02/12/2021 sur


http://poldev.revues.org
288 Sur le jeu d’influence de la France, voir notamment Bat, Jean-Pierre, La fabrique des

« barbouzes ». Histoire des réseaux Foccart en Afrique, Paris, Éditions Nouveau Monde,
collection « Grand Jeu », 2015.

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premières qui attisent convoitise et concurrence entre grandes puissances via


les multinationales289.
« Le pétrole est devenu un dieu : il a ses dévots, il a un culte », soulignait
l’écrivain Maxime du Camp à la fin du XIXe siècle, alors que débutait la
deuxième révolution industrielle. Il relevait l’intérêt porté à l’or noir qui allait
devenir en quelques décennies à la fois la principale source d’énergie, mais
aussi la première marchandise commerce de la planète. Un intérêt dont
témoignent aujourd’hui les grandes puissances au chevet de l’Afrique, un
continent dont les réserves et la production en pétrole, si elles sont modestes,
avec respectivement 7,6 % et 9,3 % du total mondial, n’en demeurent pas
moins décisives à une époque où règnent la diversification de l’appro-
visionnement et la multiplication des acteurs sur ce marché convoité290. Parmi
ces derniers, quatre zones/pays totalisent 90 % des achats de pétrole africain :
l’UE, les États-Unis, la Chine et l’Inde. Aux yeux de ces grands ensembles et
de leurs multinationales, publiques ou privées, l’Afrique représente un intérêt
géopolitique majeur, particulièrement pour les pays d’Asie, tard venu sur le
marché du pétrole : cela explique notamment leur activisme permanent, sous
la forme d’accords de coopération économique, de soutien politique et
militaire, jusqu’aux interventions armées qu’ils peuvent y mener. À cet égard,
l’Afrique est devenue, en une génération, un véritable terrain de bataille291.
C’est depuis le choc pétrolier de 1973 que l’Afrique est devenue un continent
exportateur, venant ainsi concurrencer le Moyen-Orient et ce n’est qu’à partir
des années 1980 que débute l’exploration pétrolière offshore.
Deux zones concentrent l’essentiel des ressources et de la production de
brut africain. D’une part, le golfe de Guinée, avec un producteur majeur à
savoir le Nigéria et plusieurs producteurs significatifs, notamment l’Angola,
le Ghana, le Congo, le Gabon et la Guinée-Équatoriale. D’autre part, l’Afrique
du Nord qui comprend deux géants pétroliers à savoir l’Algérie et la Libye et
un poids moyen l’Égypte, stratégique en termes d’acheminement avec le canal
de Suez. Enfin, d’autres pays tels le Tchad et le Soudan ou, dans une moindre
mesure, la Tunisie en possèdent292. À partir de la fin des années 1990,
l’Afrique connait un redéploiement stratégique des grandes puissances à la
recherche d’alliés de revers aux producteurs du Moyen-Orient. C’est alors que
d’autres marchés pétroliers marginaux localisés en Afrique centrale se
retrouvent au centre des enjeux de puissance des grands consommateurs. Les
marchés de la région sont une vitrine pour une assise géostratégique des
différentes puissances et pays émergents sur le continent. Confrontés à une
insécurité de plus en plus grandissante au Moyen-Orient, les grandes

289 Le Pautremat, Pascal, Op. cit.


290 Munier, Frédéric, « Géopolitique du pétrole : l’Afrique terrain de bataille », Diploweb.com :
la revue géopolitique, 11 septembre 2016, 6 p.
291 Ibid.
292 Ibid.

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puissances et émergentes, particulièrement les États-Unis et la Chine, se


voient en effet dans l’obligation de trouver une région de substitution à leurs
préoccupations en ressources stratégiques que sont le pétrole et d’autres
matières premières293.
Dotée d’un potentiel énergétique important et de sources d’énergie
diverses et variées (pétrole, gaz, biomasse, etc.), l’Afrique centrale, jadis
réputée pour la qualité de ses produits agricoles, est devenue depuis quelques
années un véritable eldorado pétrolier294. Il regorge de pétrole non seulement
réputé pour sa qualité, mais aussi des réserves en pleine croissance et d’un
volume de production élevé. Pour ce qui est des réserves, la région où se
concentre l’essentiel des réserves d’Afrique subsaharienne est devenue depuis
quelques années l’une des zones-phares de la scène pétrolière mondiale.
N’étant pas comparables au Moyen-Orient, ces réserves sont toutefois revues
à la hausse. Elles s’élèvent en 2021 à 125,3 milliards de barils295. La région
compte des États moyennement détenteurs de pétrole comme l’Angola, la
Guinée Équatoriale, la République du Congo ou encore le Gabon. Selon les
dernières évaluations, les réserves angolaises s’élèvent à 12 milliards de barils
et celles de la Guinée-Équatoriale à 1,8 milliard de barils296.
Le Cameroun, bien qu’étant un producteur marginal en Afrique centrale,
voit tout de même son crédit s’agrandir auprès de puissances comme les États-
Unis. En effet, d’après le câble diplomatique, du 22 avril 2009, révélé par le
site Wikileaks, l’ancienne ambassadrice des États-Unis au Cameroun, Janet
Garvey, pense que le secteur pétrolier camerounais dispose d’importantes
réserves297. Classé septième producteur d’Afrique subsaharienne de gaz298, le
Cameroun voit parallèlement sa production de pétrole régulièrement
augmenter depuis 2011299.
D’après les statistiques de la SNH, 65 puits d’exploration et d’appréciation
ont été forés entre 2008 et 2013. En 2012, la production a culminé à 22,3 de
barils pour atteindre la barre, en 2013, de 28,8 millions de barils fournissant

293 Noah Edzimbi, François Xavier, Op. cit.


294 Ntuda Ebodé, Joseph Vincent, « Les enjeux pétroliers du golfe de Guinée », Diplomatie
Magazine, No 7, février-mars 2004, p. 44.
295 Mbadi, Omer, « En Afrique centrale, les producteurs de pétrole voient la vie en noir », Jeune

Afrique, article consulté le 27/02/2022 sur https://www.jeuneafrique.com/mag/913955/economie/en-


afrique-centrale-les-producteurs-de-petrole-voient-la-vie-en-noir/
296 Ibid.
297 Selon ses propos : « Depuis 2007, le gouvernement camerounais a manifesté de l’intérêt

pour l’exploration du pétrole, et du gaz, dans les blocs de Bakassi (752 km2), Bolongo
(462 km2), Lungahe (84 km2) et Mokoko Ouest (18 km2). Sur la base de tests géologiques
préliminaires, la SNH pense qu’il y a du pétrole dans l’Extrême Nord (le bassin du Logone
Birmi, 27 000 km2), dans le Nord (Garoua, 7800 km2) et dans le Sud-ouest (le bassin de Mamfé,
1775 km2) », consulter à ce sujet La Météo, No 557 du 05 décembre 2013, p. 6.
298 Ibid., p. 5.
299 Ibid.

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705 milliards de FCFA (1,41 milliard USD)300. Avec l’entrée en production


des champs pétroliers de Mvia, situé en on shore, dans le bassin Douala-Kribi-
Campo, et de Dissoni301, de même que la découverte de nouveaux gisements
(en octobre 2012, Addax Petroleum découvre un gisement estimé à
20 millions de barils de brut et 5,7 milliards de m3 de gaz dans le bassin
offshore de Rio Del Rey)302, le Cameroun, en 2014, projette une production
d’un peu plus de 30 millions de barils pour des recettes devant atteindre,
d’après l’ancien ministre des Finances, Alamine Ousmane Mey, 718 milliards
de FCFA303. Toutes ces potentialités amènent les États-Unis, et d’autres pays,
à s’intéresser, de plus en plus, au Cameroun. Depuis 2010, presque un tiers
des découvertes de nouveaux gisements de pétrole ont été faites en Afrique
centrale, ce qui a fait dire au cabinet PwC que le continent était devenu « un
acteur de stature mondiale ». Ce pétrole est intéressant à plus d’un titre : de
bonne qualité, avec des coûts d’exploitation compétitifs, il est en outre
largement destiné à l’exportation (à 90 % environ) dans un continent qui en
consomme, pour le moment, finalement peu. Malgré que le prolongement de
la pandémie à Coronavirus fausse les productions pétrolières des États
d’Afrique centrale, les prévisions budgétaires du Gabon, mais aussi celles du
Congo, de la Guinée Équatoriale, du Tchad et du Cameroun, avaient tablé sur
un cours du baril oscillant entre 55 et 60 dollars en 2020304. Parallèlement, la
Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) se montrait confiante dans la
production pétrolière pour les années à venir, projetant une croissance de
3,3 % en zone CEMAC pour 2021, contre 2 % en 2019. La BEAC projette
notamment une augmentation attendue de la production pétrolière en 2022
(46,3 millions de tonnes, contre 45,9 millions pour 2020) et gazière
(6,34 milliards de tonnes contre 6,3 milliards en 2020), ce qui compenserait la
baisse des cours desdites ressources stratégiques actée en 2019305.
Ces différents facteurs expliquent le regain d’intérêt actuel porté à
l’Afrique centrale en particulier par la Russie.
Lors de son adresse au Parlement en 2001, le Président Vladimir Poutine
déclarait : « nous devons apprendre, dans notre politique étrangère, à
défendre les intérêts économiques du pays en général, des entreprises et des
citoyens russes306 ». Cette déclaration est une tentative de convertir les atouts
économiques de la Russie en capital politico-stratégique307 dans son objectif

300 Ibid.
301 Ibid., p. 6.
302 Pour plus de développements, lire à ce sujet Jeune Afrique, No 2750 du 22 au 28 septembre

2013, p. 59.
303 La Météo, Op. cit.
304 Mbadi, Omer, Op. cit.
305 Ibid.
306 Rucker, Laurent, Op. cit.
307 Lo, Bobo, Vladimir Putin and the Evolution of Russian Foreign Policy, Londres, The Royal

Institute of International Affairs/Blackwell, 2003.

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de projection de puissance. Toutefois, malgré les grands projets énergétiques


mis sur pieds par les autorités, les échanges commerciaux russes demeurent
faibles en Afrique subsaharienne : environ 7 à 9 milliards de dollars par an,
soit 5 à 6 % des importations et des exportations russes, loin derrière le volume
des échanges entre la Russie et l’UE élargies qui représenteront 55 % de ses
exportations et 58 % de ses importations308. Pour remédier à cette situation,
les autorités russes ont développé un véritable projet de puissance pour le long
terme, dont elles fixent l’horizon à 2020, porté par deux documents-cadres :
d’une part, le concept de développement socio-économique à long terme du
ministère du Développement économique et du Commerce (MERT), adopté
en août 2008309. D’autre part, la nouvelle Stratégie de sécurité, publiée en mai
2009, censée être pleinement articulée avec les orientations et les objectifs du
programme du MERT. Ce projet propose, entre autres objectifs, de faire de la
Russie une des cinq premières puissances économiques mondiales (en PIB),
de renforcer ses avantages compétitifs (énergie, matières premières, agri-
culture, transports), d’assurer, en parallèle, la diversification de son économie,
soit faire en sorte de réduire sa dépendance aux ressources énergétiques et aux
revenus issus de leur exportation. Ensuite, de doter, dans cette dernière
perspective, le pays d’un complexe scientifique et technologique efficient et
de développer une économie de la connaissance, de renforcer la compétitivité
de l’économie en investissant dans le « capital humain » ; de faire de la Russie
un centre financier international ; de renforcer son intégration dans l’économie
globalisée310, cette intégration étant conçue comme un outil de la conso-
lidation interne de la Fédération et comme une condition de sa sécurité. Sa
présence de plus en plus visible dans ladite région s’inscrit dès lors dans la
nouvelle Stratégie de sécurité, publiée en mai 2009, et dans le quatrième
mandat du chef d’État, Poutine IV (2018-2024), dont l’objectif est la quête de
leadership économique à l’international. La Russie a aussi comme volonté
d’exporter une expertise dans le domaine des routes minières et pétrolières.
Bien que l’Afrique centrale dispose d’importantes ressources pétrolières,
son sous-sol est, parallèlement, fortement constitué de terres rares. En
République démocratique du Congo par exemple, les régions du Nord et Sud
Kivu concentre près de 80 % des réserves mondiales de coltan, et disposent
parallèlement d’importantes réserves de cuivre, de manganèse, d’or et des
diamants311. Ces minerais, désignés communément « or gris », constituent un
enjeu conséquent pour la Russie dans son objectif de modernisation de son

308 Rucker, Laurent, Op. cit.


309 Facon, Isabelle, Op. cit.
310 Ibid.
311 L’Afrique, à elle seule, dispose de 80 % des réserves mondiales de coltan. Près de 70 % de

la production mondiale de tantale relève de mines localisées au Canada, en République


démocratique du Congo (RDC), au Rwanda, au Nigeria, outre celles d’Australie et du Brésil. Il
faut environ 3,33 kilos de coltan pour parvenir à produire un kilogramme de tantale raffiné.

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économie et ses multinationales. Ces dernières années, la tonne de coltan, avec


une pureté de l’ordre de 30 % de tantale, s’achète sur les marchés près
60 000 dollars312. À la fin des années 1990, sur fond de spéculation autour des
nouvelles technologies, le kilogramme de coltan était estimé entre 1 000 et
2 000 dollars. Parallèlement, le kilogramme d’or, avec la crise financière
internationale, a retrouvé une valeur de sûreté propice à une inflation de sa
valeur boursière313. L’once d’or (soit environ 30 grammes) était à 300 dollars
en 2001. Le kilo d’or, entre 1999 et 2007, est passé de 8 017 € à 16 224 €
environ. Actuellement, il est coté entre 42 000 euros et 55 000 euros. D’un
autre côté, le diamant dont près de 50 % de la production mondiale est issue
du continent africain et principalement de trois pays : la République sud-
africaine (RSA), le Botswana et l’Angola, ce dernier étant localisé en Afrique
centrale314. Dans sa volonté d’avoir voix au chapitre en Afrique centrale, pour
profiter de ces ressources stratégiques, le Kremlin mise ce secteur minier pour
assurer son développement économique.
L’Afrique centrale constitue un important enjeu pour la Russie dans son
objectif de leadership international. Du fait de la situation géographique et des
atouts internes dont dispose la région, le Kremlin trouve nécessaire d’y
renforcer sa présence. Il est dès lors question dans la partie suivante d’exposer
et d’analyser son projet géostratégique.

Section 2 : Les différents vecteurs du déploiement russe en Afrique


centrale

Dans la guerre économique qui structure les relations internationales post-


guerre froide, et oppose les grandes puissances, occidentales et émergentes,
en raison de leur importance dans la construction de la puissance industrielle,
économique, militaire et donc politique, les matières premières stratégiques315
constituent le principal enjeu de cette confrontation. Afin d’assurer leur survie
économique et de s’arrimer à cette compétition géoéconomique et géostra-
tégique316, les grandes puissances industrielles se sont inscrites dans une
« guerre des matières premières317 ». Réalisant que l’Afrique est un véritable

312 Le Pautremat, Pascal, Op. cit.


313 Ibid.
314 Ibid.
315 Une matière première stratégique est un minerai essentiel dont l’usage pour des biens civils

ou militaires dépasse les ressources domestiques et dont les uniques sources


d’approvisionnement extérieures n’ont pas de substituts possibles à un horizon temporal connu
et raisonnable. Paillard, Christophe A., Les nouvelles guerres économiques, Paris, Ophrys,
2011, p. 232.
316 Signé, Laurent, et Tchetchoua Tchokonté, Sévérin, « Les stratégies pétrolières en Afrique :

entre nouvelle dynamique chinoise et réactions des puissances occidentales et des pays
émergents », 2015/1, p. 59, document consulté le 03/12/2021 sur www.cosmopolis.org
317 Tchetchoua Tchokonté, Sévérin, « La diplomatie des matières premières de l’Inde et du

Brésil en Afrique », Dialectiques des intelligences, No 003, premier semestre 2017, p. 8.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

« grenier de matières premières318 » dont la qualité, la diversité et l’acces-


sibilité319 contrastent avec la cécité stratégique320 de ses dirigeants, ces
puissances y déploient depuis la fin de la Guerre froide des projets géopo-
litiques et géostratégiques hautement concurrentiels321. Émanation de sa
politique de puissance, le projet géostratégique de la Russie en Afrique
centrale se définit comme le quadrillage de cette région en zone d’importance
stratégique et à un déploiement de forces et de moyens pour le mettre sous
contrôle politique, économique, diplomatique et stratégique322. Le
déploiement de la fédération russe fait usage des moyens politico-
diplomatiques et médiatiques (A) d’une part, et ceux socio-économiques,
humanitaires et militaires d’autre part (B).

A- Les moyens politico-diplomatiques et médiatiques : un usage à


géométrie variable des principes démocratiques et du droit
international
La question de la démocratie en Afrique est souvent victime d’un
réductionnisme : celui d’une dimension électorale, lui-même réduit au fait de
savoir si les élections sont libres, transparentes et régulières. Pour les
chancelleries étrangères, la tenue d’élections satisfaisant ces critères suffit
pour décerner un brevet de démocratie. Cette vision néglige les aspects
fondamentaux que sont l’environnement institutionnel (neutralité politique
des institutions, état de droit réel et pas seulement théorique, etc.) et, plus
généralement, la situation du marché politique (comportements et structures
politiques, inclusivité de la citoyenneté, offre politique réelle, rapports de
force politiques, etc.). Il existe en Afrique subsaharienne divers types de
régime politique allant de régime dynastique au régime « d’hommes forts »,
ou de « parti dominant » qui, qualifiés de régimes hybrides323 ou de

318 Le pétrole africain est intéressant à plus d’un titre : de bonne qualité, avec des coûts
d’exploitation compétitifs, il est en outre largement destiné à l’exportation (à 90 % environ)
dans un continent qui en consomme peu. La dépendance de certains pays au pétrole africain est
grande. À titre d’exemple, la France importe 36,4 % de son pétrole d’Afrique, les États-Unis
20 %, la Chine 30 %, l’Inde 20 %. L’Afrique regorge des quantités assez impressionnantes de
ces minerais : « platine (90 %), cobalt et chrome (60 %), manganèse (50 à 60 %), or (30 à
40 %), uranium, bauxite et titane (25 à 30 %) et cuivre (10 à 15 %) ». Le continent détient plus
de 80 % de certaines ressources naturelles, parmi lesquelles le platinium, le manganèse, le
chrome, le ruthénium et l’iridium. Elle détient également plus de la moitié de l’or, du diamant,
du phosphate, du palladium, du germanium, du cobalt, du francium et 1/3 de l’uranium, du
tantalum, du césium, du fluorite, du zircon, etc. Munier, Francis, « Géopolitique du pétrole :
l’Afrique terrain de bataille », 2016, document consulté le 03/12/2021 sur www.diploweb.com
319 Kounou, Michel, Op. cit.
320 Fogue Tedom, Alain, Op. cit.
321 Tchetchoua Tchokonté, Sévérin, Op. cit.
322 Tchetchoua Tchokonté, Sévérin, « Le projet géostratégique de la Chine en Afrique »,

Géostratégie, No 33, 4e trimestre 2011, p. 121.


323 Quantin, Vincent Pierre, « La démocratie en Afrique à la recherche d’un modèle », Pouvoirs,

N° 129, février 2009, pp. 65-76.

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« démocratures », combinent constitutions démocratiques et comportements


autoritaires. Les degrés de répression politique sont importants dans ces
régimes, mais ils se caractérisent tous par un fort déséquilibre des rapports de
forces politiques324. Les régimes dynastiques et « d’hommes forts »
ressemblent à des monarchies déguisées en républiques, et sont particuliè-
rement nombreux en Afrique centrale325. La longévité au pouvoir dépend de
la capacité à maintenir ou à adapter ces soutiens stratégiques au fil des
évolutions du contexte national et international. Ces deux types de régimes
ont en commun d’organiser des élections largement contestables, taillées sur
mesure pour les présidents en poste. Il est ainsi courant que les dirigeants
s’approprient les moyens et ressources de l’État pour s’assurer une victoire
électorale et favoriser l’ancrage du gouvernement perpétuel326.
Aussi assiste-t-on, depuis le début du XXIe siècle, à une banalisation de la
révision ou de la suppression de mandat présidentiel par voie parlementaire
ou référendaire, pour permettre aux dirigeants de se maintenir au pouvoir (le
Cameroun en 2008, Djibouti en 2011, le Congo-Brazzaville en 2015, le
Rwanda en 2017, le Tchad en 2018)327, du moment où ces derniers considèrent
ces conditionnalités comme l’expression d’un diktat. Ces modifications ou
interprétations constitutionnelles pour maintenir un président en place
révèlent que les institutions (parlements, cours constitutionnelles, commis-
sions électorales, etc.) sont aux ordres du pouvoir, et que les principes
démocratiques ancrés dans les constitutions sont loin d’être intouchables.
Cette tentation de jouer les prolongations est particulièrement affirmée et
préoccupante dans les régimes où la question de l’alternance à la plus haute
responsabilité étatique reste taboue en dépit de l’âge avancé du chef d’État, à
l’exemple du Cameroun avec le président Paul Biya, âgé de 89 ans. Avec les
événements du 11 septembre 2001 est apparue une seconde légitimation
d’autocratie modernisatrice328, celle liée à l’impératif de sécurité, les
puissances occidentales distinguant les régimes garants de la sécurité
régionale et internationale et ceux qui ne le sont que de manière imparfaite,
voire qui ne le sont pas du tout, d’où la nécessité, pour la plupart des régimes
d’Afrique centrale, de se présenter comme garant d’une stabilité politique et

324 Noah Edzimbi, François Xavier, « La gestion de la crise anglophone au Cameroun :
désaffection populaire et renforcement de la démocrature », Espace géographique et société
marocaine, N° 41/42, novembre 2020, pp. 291-310.
325 Ibid. Dans les premiers, une famille monopolise le pouvoir politique et traite le pays comme

sa propriété privée. Dans les seconds, le pouvoir s’incarne dans un « homme fort », qui « tient »
certains leviers stratégiques (services de sécurité, groupes ethno-régionaux, milieux d’affaires,
appuis de puissances étrangères, etc.).
326 Owona Nguini, Mathias-Éric, « Gouvernement perpétuel » et démocratisation janusienne au

Cameroun (1990-2018) », Politique africaine, N° 150, juin 2018, pp. 97-114.


327 Noah Edzimbi, François Xavier, Op. cit.
328 Badie, Bertrand, « Printemps arabe : un commencement », Études, tome 415, 2011/7, pp. 7-

18.

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socioéconomique, statu quo satisfaisant les puissances occidentales. La Chine


et la Russie s’arriment, elles aussi, à cette « politique africaine » des
Occidentaux pour avoir voix au chapitre en Afrique centrale.
Le retour de l’autoritarisme en Afrique ne s’explique pas sans prendre en
considération les évolutions du contexte international. À défaut de produire
un modèle autochtone, les autorités politiques africaines sont désormais
séduites par deux modèles, ceux de la Chine et de la Russie, et se voient
proposer des soutiens alternatifs à ceux des Européens et des Américains. Pour
lesdits responsables africains, ces deux pays émergents sont des régimes
autoritaires qui ont réussi. Le Parti communiste chinois et le Parti Russie unie
sont parvenus à la fois à se maintenir au pouvoir et à vaincre la grande
pauvreté, aussi plébiscitent-ils, dans une certaine mesure, l’autoritarisme sur
le continent. Ainsi, les intérêts mutuels entre l’Afrique et ces puissances
émergentes favorisent une convergence internationale d’un nouveau genre.
D’une part, soucieuses de s’affirmer sur la scène internationale, les autocraties
émergentes ont besoin d’une clientèle, et de se projeter hors de leur sphère
d’influence traditionnelle. Et, d’autre part, les régimes africains ont besoin de
partenaires pouvant faire contrepoids aux critiques des Occidentaux dans les
arènes internationales, et les aider sur les plans sécuritaire et économique. Dès
lors, les ressources naturelles, qui devraient contribuer au développement de
pays du continent, protègent plutôt une majorité de gouvernements étatiques
de pressions nationales et internationales en faveur des réformes démo-
cratiques, et les matières premières stratégiques sont l’objet de marchandage
entre les pays émergents et le pouvoir politique. La Centrafrique apparaît
comme le symbole de cette politique russe en Afrique centrale. Miné par une
instabilité politique chronique, le pays est occupé, en partie, par des milices
qui contrôlent plus de 80 % du territoire et, par le fait même, le circuit de
production de certaines ressources329. Le soutien et l’assistance sécuritaires
apportés aux autorités centrafricaines, dans un contexte d’instabilité, restent
ici dictés par l’exploitation des ressources par des compagnies russes proches
de l’armée330.
Les États d’Afrique centrale se caractérisent, entre autres, par une faiblesse
du système politique, décelée dans leur incapacité à réaliser les objectifs
principaux d’un État à savoir : la cohésion sociale, l’intégrité et la continuité
politique331, entrainant un ralentissement du processus de régionalisation332 et

329 Christophe, François, « La crise centrafricaine, révélateur des nouvelles ambitions africaines
de la Russie », Fondation pour la Recherche stratégique, Note, N° 13/18, juillet 2018.
330 Noah Noah, Fabrice, Op. cit.
331 Meyer, Angèle, « L’intégration régionale et son influence sur la structure, la sécurité et la

stabilité d’États faibles : l’exemple de quatre États centrafricains », Thèse de doctorat en


Science politique à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, École doctorale de Sciences Po, 2013,
p. 136.
332 Le régionalisme est le fait que des acteurs issus de cadres nationaux différents intensifient

les relations et les contacts entre eux en franchissant les frontières nationales. Le régionalisme

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

faisant apparaître un complexe régional de sécurité333. Aussi, subissent-ils des


ruptures/surprises stratégiques334 les conduisant à solliciter l’aide des
puissances occidentales, qui subordonnent leur soutien à l’application de
conditionnalités telles que le respect des droits de l’Homme et de la liberté
d’expression. Ces dernières sont considérées par les gouvernements africains
comme l’expression d’un diktat. Consciente de cette situation, la Russie
entend pratiquer une politique de charme. Dans le but de rétablir les relations
désintégrées avec le délitement du Bloc Soviétique, et de renforcer la
solidarité et l’entraide entre les pays de l’ancien mouvement des Non-Alignés,
le Kremlin voit dans cette dépréciation africaine une « fenêtre d’oppor-
tunité335 ». Dénonçant la mésestimation des Occidentaux envers les Africains,
en s’appuyant sur les principes d’égalité et d’action en cas de menace contre
la paix entre États sur la scène internationale336, la diplomatie russe soutient
les États d’Afrique centrale337 durant ces instabilités sécuritaires et cette

se réfère à la dimension théorique et conceptuelle. D’un autre côté, la régionalisation quant à


elle se rapporte à la dimension pratique et désigne ainsi le processus même ainsi que les activités
et les dynamiques qui y sont liées.
333 Élaboré par David Lake et Patrick Morgan, à la suite de Barry Buzan, le complexe régional

de sécurité désigne un ensemble d’États continuellement affectés par une ou plusieurs


externalités sécuritaires qui émanent d’une aire géographique donnée. En d’autres termes, le
concept désigne un ensemble d’Etats liés par des problèmes de sécurité communs et par la
nécessité de les gérer. Koungou, Léon, Culture stratégique et concept de défense au Cameroun,
Paris, Éditions L’Harmattan, 2015, pp. 2526.
334 Une surprise stratégique est une évolution/un évènement inattendu, par sa nature et son

ampleur, qui modifie et infléchit les données de la sécurité d’un État. Une rupture stratégique,
quant à elle, survient lorsque certains évènements entrainent une transformation radicale des
fondements de la sécurité d’un État pouvant remettre en cause sa souveraineté et sa stabilité.
335 Développé par J. W. Kingdon dans son ouvrage paru en 1984, Agendas, Alternatives and

Public Policies, le modèle de fenêtre d’opportunité traite du processus d’émergence des


problèmes et de leur mise en agenda en politiques publiques. La fenêtre est ouverte par un
problème pressant (problem window), qui appelle une solution. Le couplage (coupling) désigne
le moment où une solution prise par une autorité publique vient s’attacher à un problème. Voir,
Ravinet, Patrice, « Fenêtre d’opportunité. Analyse du processus de mise sur agenda et
déconstruction de la rationalité », Dictionnaire des politiques publiques, Presses de Sciences
Po, 2010, pp.
217-225.
336 L’article 2 de la Charte des Nations Unies de 1945 dispose en son article 1 que :

« l’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres », tandis
que les articles 39, 40 et 41 du chapitre VIII s’appesantissent sur les actions en cas de menace
contre la paix, de rupture de la paix et d’agression.
337 Au Cameroun par exemple, sortant d’un entretien tenu avec le président de la République

du Cameroun le 16 janvier 2015, l’ambassadeur de Russie au Cameroun, Nikolay


Ratsiborinskiy, affirmera que : « Cette année, la Russie va fournir au Cameroun quelques
armements et systèmes les plus sophistiqués de dernière génération, l’équipement militaire
attendu touche l’artillerie, y compris l’artillerie de missiles, la protection aérienne, le système
antiaérien de missiles et de canons, le transport de personnel, les camions blindés et les autres
équipements et armements ». Voir Njilo, Aimé, « Cameroun-Russie : Poutine sur le double
tableau pétrole et gaz », article consulté le 03/12/2021 sur http://www.camerounliberty.com

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assistance constitue une arme brandie par le Kremlin pour dénoncer


l’arrogance des ex-puissances coloniales vis-à-vis des pays africains. Au sortir
de la VIIe conférence de Moscou sur la sécurité internationale à laquelle il a
participé en avril 2018, le ministre délégué de la Défense camerounais, Joseph
Béti Assomo, affirmera que : « le Cameroun est un pays d’Afrique centrale et
notre participation à cette conférence de Moscou sur la sécurité et le droit
international est à l’invitation de notre collègue russe. (Ainsi), nous allons
travailler avec nos homologues des cinq continents qui ont été invités ici à
Moscou338 ». Assurément ce discours permet de présenter une nouvelle
coopération russo-africaine comme respectueuse des normes internationales,
et dénuée de tout esprit de mépris envers les États africains.
Les Russes font preuve, entre autres, d’ingénierie pour mettre en œuvre
une stratégie leur permettant de profiter pleinement des ressources énergé-
tiques en Afrique centrale. Leur politique étrangère est déterminée par un flux
d’informations qui conduisent les responsables à adopter certaines positions
et à s’adapter selon les enjeux et les rapports de force sur la scène
internationale. Aussi s’inscrivent-ils dans une « diplomatie de loterie » et une
« tactique de deux discours en poche339 » selon les circonstances qui se
présentent à eux. Souhaitant une restructuration des institutions onusiennes
pour plus d’égalité, principalement pour avoir accès à l’organe stratégique
qu’est le Conseil de sécurité, les États africains trouvent jusqu’ici leur volonté
insatisfaite. Se sentant humiliés340 par les grandes puissances, les gouvernants
africains ne manquent pas de faire part de leur désarroi lorsqu’ils en ont la
possibilité. Faisant preuve de maturité, le Kremlin capte ce sentiment
d’humiliation exprimé pour l’utiliser à dessein, demandant une application
réelle du principe d’égalité341 entre États sur la scène internationale. Toutefois,
la volonté d’assister les Africains, par le respect des principes d’égalité et
d’entraide entre membres de l’ONU, constitue une ruse. En effet, l’énon-
ciation de cette volonté, qui est d’un certain point de vue l’affirmation d’une
capacité à le faire, est souvent le fait des puissants342. Ainsi, se sentant
puissants, les Russes convoquent lesdits principes, l’urgence de les appliquer
et se présentent comme qualifiés et capables de les mettre en œuvre, tout en
338 Voir, « Ambazonie : l’armée camerounaise appelle la Russie à l’aide », article consulté le

03/12/2021 sur www.sputniknews.com NB : si tous les propos sont bien du ministre, leur
agencement est de l’auteur.
339 Boisbouvier, Christophe, Hollande l’Africain, Paris, La découverte, 2015, p. 281.
340 La notion d’humiliation est introduite dans les relations internationales par Bertrand Badie.

Il la définit comme « toute prescription autoritaire d’un statut inférieur à celui escompté et non
conforme aux normes construites dans les relations internationales ». Lire à ce sujet Badie,
Bertrand, Le temps des humiliés : pathologie des relations internationales, Odile Jacob, 2014,
p. 13.
341 L’article 2 de la Charte des Nations Unies de 1945 dispose en son article 1 que :

« l’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres ».
342 Badie, Bertrand, et Fardeau, Joseph-Marie, « La diplomatie des droits de l’Homme », Revue

internationale et stratégique, No 50, 2003/2, pp. 13-23.

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instrumentalisant la cécité stratégique des régimes africains, soucieux d’en


finir avec « les donneurs de leçons Occidentaux », dans le but, pour Moscou,
de réaliser ses objectifs de puissance.
Pour Alexeï Vassiliev, ancien représentant spécial de la Russie pour les
relations avec l’Afrique et conseiller du président Poutine, « la Russie peut
être utile à l’Afrique (centrale). J’ai souvent constaté à quel point l’Occident
y imposait ses règles et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous n’avons
pas pu y investir343 ». Quant à l’historien russe Dimitri Bondarenko,
« l’Afrique (centrale) figure encore à la toute fin des priorités de la Russie en
termes de politique étrangère, mais elle commence à prendre de plus en plus
d’importance344 ». Ces propos contribuent à l’édification d’une façon de voir
et de concevoir pouvant favoriser l’intervention du Kremlin dans des
situations conflictuelles, et, enfin, conduisent les Africains à lui accorder plus
de voix dans les instances de décisions internationales. De ce fait, l’existence
d’une confrontation feutrée avec les puissances occidentales dans la course
aux ressources stratégiques et aux matières premières, mais aussi l’accrois-
sement de l’influence russe sur le continent, permet aux gouvernements
d’Afrique centrale d’exercer une pression et un chantage sur celles-ci,
souhaitant disposer/conserver des privilèges et conquérir d’autres marchés sur
le théâtre africain, tout en conditionnant leurs aides, au profit du Kremlin.
Moscou capitalise en réalité, les enjeux internationaux de développement et
d’intégrité humaine à travers les notions d’autorégulation et de rétroaction345.
Il revêt un statut binaire aussi bien en tant que résultat d’une décision de
politique étrangère (output de la boite noire que représente l’appareil étatique),
et ressource d’une politique (input du système international)346.
Du 22 au 25 octobre 2019, près de 50 chefs d’États africains se sont rendus
à Sotchi pour assister au sommet Russie-Afrique, premier évènement dédié au
continent africain d’une telle ampleur organisé par la Russie. Selon le Premier
ministre Dimitri Medvedev, ce sommet marque « le début d’une nouvelle ère

343 Voir, « Ambazonie : l’armée camerounaise appelle la Russie à l’aide », Op. cit. N.B : si tous

les propos sont bien du conseiller, leur agencement est de l’auteur.


344 Voir, « Afrique : les Russes de retour avec leurs armes, munitions et troupes au sol », article

consulté le 03/12/2021 sur http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=


%20S/2018/729 N.B : si tous les propos sont bien de l’historien, leur agencement est de
l’auteur.
345 Selon Karl Deutsch, l’autorégulation est la capacité d’un acteur à réduire les éventuelles

tensions internes et internationales afin d’éliminer les facteurs de déséquilibre pouvant nuire à
ses intérêts, lire à ce sujet Batistella, Dario, « L’apport de Karl Deutsch à la théorie des relations
internationales », Revue internationale de politique comparée, 2003/4 (Vol. 10), pp. 567-585.
La rétroaction se comprend dans le discours diplomatique comme la correction permanente de
l’impulsion initiale en fonction de l’écho suscité par un programme ou une prise de position.
Agbobli, Christian, « La communication internationale : état des lieux et perspectives de
recherches pour le XXIe siècle », Communiquer, No 15, 2005, pp. 65–84.
346 Villar, Cédric, Le discours diplomatique, Paris, L’Harmattan, Collection « Pouvoirs

comparés », 2008, p. 52.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

de coopération russo-africaine347 ». Ces propos renforcent l’idée d’une


projection de la puissance russe en Afrique. En effet, à la fin de sa tournée en
Égypte, au Nigéria, en Angola et en Namibie en 2009, ce dernier affirmait sur
son blog que « désormais, notre devoir est de rattraper tout ce qui a été
perdu348 ». L’Afrique centrale est aujourd’hui un lieu d’observation privilégié
de dynamiques médiatiques. Cette région du monde abrite le plus grand
nombre de conflits dits majeurs, c’est-à-dire qui coûtent la vie à plus de
1000 personnes par an349. L’information, sa diffusion, sa rétention, sa
manipulation ont constitué des armes puissantes dans les périodes de conflit.
Avec l’échec de l’intervention américaine en Somalie au début des
années 1990 et le génocide au Rwanda en 1994, l’actualité africaine, c’est-à-
dire ici la représentation de la réalité qu’en donnent les grands médias
occidentaux, a cheminé entre la compassion, le cynisme et le désespoir350. Et,
depuis lors, la plupart des médias occidentaux reflètent et suivent
traditionnellement, dans leur ligne éditoriale, les priorités et décisions tant
géopolitiques que géoéconomiques prises par leur pouvoir exécutif351.
L’apparition de médias de masse a décuplé ce potentiel en rendant possibles
de vastes opérations de propagande et d’embrigadement des esprits352.
Parallèlement, elle a permis de renforcer les mécanismes démocratiques en
éveillant les consciences citoyennes, en développant les capacités de pression
de la population sur ses dirigeants, en permettant le contrôle critique de la
gestion de la chose publique et en facilitant la circulation internationale de
l’information353. L’Afrique centrale est également le siège d’une effer-
vescence des médias inédite dans son histoire, ayant vu apparaître, ces quinze
dernières années, des milliers de nouveaux journaux et des centaines de
stations de radio dans des États jusque-là marqués par le monopole étatique
sur le secteur354. Elle constitue un réservoir d’expériences pour tous ceux qui

347 Voir, Discours de Dmitri Medvedev lors de la conférence d’Afreximbank à Moscou, 2019,
consulté le 12/05/2021 sur www.government.ru
348 Voir, Dmitri Medvedev, « Itogi poezdki po stranam Afriki (Egipet, Nigeria, Namibia,

Angola) » [Bilan de la visite des pays d’Afrique (Égypte, Nigeria, Namibie, Angola)], 2009,
consulté le 12/05/2021 sur http://blog.da-medvedev.ru
349 Sipri Yearbook, Armaments, Disarmament and International Security. Swedish

International Peace Research Institute, 15 juin 2021, consulté le 03/12/2021 sur


https://global.oup.com/academic/product/sipri-yearbook-online-9780191785610
350 Marthoz, Jean-Paul, « Journalisme global ou journalisme de métropole ? Les conflits

africains dans les médias du Nord » in Frère, Marie-Soleil (dir.) (2005). Afrique centrale,
médias et conflits. Vecteurs de guerre ou acteurs de paix, Bruxelles, Éditions GRIP, 2005,
pp. 299-316.
351 Ungar, Sanford J. et Gergen, David, « Africa and American Media », The Freedom Forum

Media Studies Center, Colombia University, New York, 1991, p. 8.


352 Chaliand, Gérard, La persuasion de masse, Paris, Robert Laffont, 1992, p. 17.
353 Ibid.
354 Frère, Marie-Soleil (dir.), Afrique centrale, médias et conflits. Vecteurs de guerre ou acteurs

de paix. Bruxelles, Éditions GRIP, 2005, 336 p.

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s’intéressent au rôle des médias dans les situations de conflit ou de crise et un


champ d’action central, voire un laboratoire, pour les organisations régionales
et internationales. Mais aussi pour les institutions publiques, les organisations
non gouvernementales ou les acteurs des sociétés civiles locales. Ces derniers
tentent de trouver, de forger, de mettre en œuvre et d’enraciner des solutions
durables afin que les populations puissent évoluer dans un contexte de paix et
relever le défi du développement, mais aussi concevoir des solutions
auxquelles les médias peuvent contribuer de façon tout à fait significative355.
Dans une époque de globalisation où les médias sociaux ont révolutionné
les moyens de communication entre les communautés, la capacité à influencer
le récit d’un conflit est ainsi fondamentale. Aussi les États comme les groupes
non étatiques investissent-ils d’importantes ressources dans le récit qu’ils
entendent faire passer et les moyens de le diffuser, débouchant sur un retour
d’actions qui relèvent des guerres de manipulations de l’information356 comme
le présente le discours russe dans le tableau qui suit :

Tableau 1 : Le discours stratégique russe

Discours sur le système Discours sur l’identité


international
Discours L’unipolarité américaine est La Russie a été « humiliée »
principal problématique par l’Occident après la guerre
froide
Discours Les L’interventionnisme Vladimir Les valeurs
associés Européens politique, culturel et Poutine « a conservatrices
sont militaire occidental remis russes peuvent
dominés est dangereux pour l’ordre » en protéger les
par les l’Afrique Russie et valeurs
États-Unis peut, par africaines,
et, à leur ricochet, comme elles
tour, ces aider les protègent la
pays Africains à civilisation
européens s’émanciper européenne
imposent de l’Occident contre la
leur et à être décadence
culture en indépendants libérale
Afrique
Source : C.-P., David et O., Schmitt, La guerre et la paix. Approches et enjeux
de la sécurité et de la stratégie, 4e édition, Paris, Presses de Science Po, 2020,
p. 215.

355Ibid.
356David, Charles-Philippe et Schmitt, Olivier, La guerre et la paix. Approches et enjeux de la
sécurité et de la stratégie, 4e édition, Paris, Presses de Science Po, 2020, p. 215.

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Le contrôle des opinions publiques par la propagande, traduit par la


subversion, l’amplification sur les médias sociaux et les manipulations de
l’information, est un enjeu fondamental des conflits au XXIe siècle pour la
Russie357. Moscou a pour objectif, par le biais desdits médias, de restaurer une
égalité stratégique et géopolitique avec Washington, et sortir du déclassement
stratégique358 émis à son égard par l’ancien président américain Barack
Obama dans la conduite des affaires et les prises de décisions
internationales359. C’est dans cet objectif que le 18 juillet 2019, les enfants en
République centrafricaine (RCA) ont découvert un dessin animé dans lequel
un lion attaqué par une multitude d’hyènes fait appel à son ami l’ours, qui à
son tour accourut depuis le Grand Nord pour l’aider à se défendre et à faire
régner l’ordre en Afrique360. Dédié à la coopération entre la RCA et la Russie,
ce dessin animé en français a été produit par Lobaye Invest, une société russe
ayant obtenu des contrats d’exploration minière en RCA. Cet exemple illustre
un élément nouveau dans la stratégie russe en Afrique subsaharienne :
l’accompagnement des avancées diplomatiques par des campagnes
d’influence dans les médias et sur les réseaux sociaux visant à légitimer et à
promouvoir la présence russe dans le pays. La Russie admet ouvertement que
les médias qu’elle contrôle comme Russia Today (RT) et Sputnik sont des
instruments au service de son ambition de manipuler les audiences
étrangères361. Ainsi, « c’est le gouvernement qui dégage la piste à suivre par
les médias. Bien qu’elle prétende être libre, la presse suit presque toujours la
piste dégagée par son gouvernement362 ». L’objectif étant de faire admettre et
de promouvoir un récit ainsi qu’une vision du monde spécifique, afin qu’en
cas de conflit, les audiences soient par avance convaincues du bien-fondé de
la position russe et contraignent donc les actions de leurs gouvernements363.
Cette influence médiatique est d’une importance géopolitique certaine pour
Moscou, dans la mesure où elle permet de « gagner les cœurs et les esprits364 »
et d’inculquer des manières de faire, de penser, de réfléchir, de sentir,

357 Ibid.
358 Dumas, Francis, « Éviter le déclassement stratégique en se préparant aux conflits qui
viennent », Revue Défense Nationale, N° 838, 2021, pp. 5-10.
359 Badie, Bertrand et Foucher, Michel, Vers un monde néo-national ? Entretiens avec Gaïdz

Minassian, CNRS Éditions, Paris, 2017, p. 16.


360 Tchoubar, Poline, « La nouvelle stratégie russe en Afrique subsaharienne : nouveaux

moyens et nouveaux acteurs », Fondation pour la recherche scientifique. Note no 21/19, 2019,
p. 3.
361 Galeotti, Marcelo, Russia Politic Warfare. Abington, Routledge, 2019.
362 Seaga Shaw, Ibrahim, « Entre les “enfants chéris” et les “salauds” », Média actions,

Institution Panos Afrique de l’Ouest, Dakar, No 29, 2002, p. 18


363 Fridman, Oliver, Hybrid Conflicts and Information Warfare. Boulder (Colo.), Lynne

Rienner, 2018.
364 Alleno, Kevin, « La “Françafrique”, instrument d’un soft power associatif et “stigmate” pour

la politique africaine de la France », Relations Internationales. N° 182, 2020, pp. 99-113.

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d’orienter aux Centrafricains pour un profit efficient, symbolique et matériel


dans un contexte international mutant.
Le Kremlin propose de ce fait aux gouvernements africains un soutien
informationnel pour assurer la pérennité de leur régime. Exportant un modèle
d’influence médiatique ayant déjà fait ses preuves en Russie, Moscou n’hésite
pas à recycler certains thèmes de prédilection tels que l’attachement aux
valeurs traditionnelles et la représentation de l’Occident comme décadent365.
À travers ce procédé, la Russie cherche à se démarquer des puissances
occidentales et joue sur les sentiments anticolonialistes de la population :
ainsi, en RCA, la Russie déroule une campagne d’information négative contre
la France366. Pour diffuser ces informations, la Russie s’appuie notamment sur
des médias et journalistes locaux : en RCA, des journalistes ont dénoncé
l’emprise de la Russie sur la ligne éditoriale de certains médias367. Les
campagnes sur internet et les réseaux sociaux sont, selon des documents
obtenus et diffusés par le Dossier Centre de Mikhaïl Khodorkovski,
orchestrées par l’Internet Research Agency liée à l’homme d’affaires russe
Evgueni Prigozhin. Il dirige une « usine à trolls » à Saint-Pétersbourg à
l’origine de campagnes d’influence à travers le monde via de faux profils sur
les réseaux sociaux et des bots368. Ainsi, un discours spécifique stratégique est
développé par Moscou et diffusé de différentes manières : soit officiellement
dans les cercles diplomatiques, soit officieusement (et parfois illégalement)
par des actions de propagande, de subversion ou de désinformation.
La Russie adopte aussi une « diplomatie militaire », mais aussi socio-
économique et humanitaire, dont elle fait usage selon l’appréciation qu’elle se
fait des enjeux en présence.

B- Les éléments militaires, humanitaires et socio-économiques de la


projection de la puissance russe en Afrique centrale
L’Afrique centrale fait l’objet d’une instabilité sécuritaire en raison de
guerres nouvelles et de ruptures/surprises stratégiques qu’elle subit. Au
Cameroun, alors que la lutte contre Boko Haram continue au Sahel, le
gouvernement fait face à un deuxième défi sécuritaire : celui de la crise
anglophone369. La Centrafrique est, pour sa part, caractérisée par une

365 Tchoubar, Op. cit.


366 Forestier, Patrick, « Centrafrique : comment la Russie travaille patiemment à supplanter la
France », Le Point, 2018, p. 18.
367 Moloma, Gisèle Blanche, « Centrafrique : Touadéra, les Russes et le réseau de la propagande

antioccidentale, comment fonctionnent-ils ? », Corbeau News, p. 3, 06 janvier 2019, article


consulté le 03/12/2021 sur https://corbeaunews-centrafrique.com.
368 Harding, Luke, et Burke Jason, « Leaked Documents Reveal Russian Effort to Exert

Influence in Africa », The Guardian, 01 juin 2019, article consulté le 03/12/2021 sur
https://www.theguardian.com.
369 Machikou, Nadine, « Utopie et dystopie ambazoniennes : Dieu, les dieux et la crise

anglophone au Cameroun », Politique africaine, N° 150, 2018/2, pp. 116-120.

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instabilité à la fois sécuritaire et constitutionnelle370. La région est devenue,


en l’espace d’une décennie, l’une des zones maritimes les plus dangereuses
du monde. La recrudescence d’attentats terroristes dans cette région est un
véritable problème qui menace la stabilité des pays riverains et compromet le
développement économique de la région. En l’absence de base industrielle et
technologique de défense (BITD), mais aussi limitée dans le domaine du
renseignement d’origine technologique (ROTEC) et d’origine humaine
(ROHUM), les États d’Afrique centrale se trouvent dans l’impossibilité de
s’adapter aux guerres nouvelles caractérisant, entre autres, le monde post-
guerre froide. D’où la sollicitation de l’aide russe qui confère à la technologie
militaire et aux armes nucléaires un rôle central dans leur politique de défense
et de sécurité, pour des raisons qui tiennent à l’état des forces conven-
tionnelles, mais aussi à des considérations de prestige international.
Souhaitant participer à l’éradication de menaces terroristes en Afrique
centrale qui ont des répercussions à long terme sur les États de la région, et
voulant surtout avoir voix au chapitre dans l’exploitation des matières
premières africaines, le Kremlin apporte une aide militaire aux gouvernements
de la région. Un accord signé à Sotchi en octobre 2017 a permis à la Russie
de renforcer sa coopération militaire avec Bangui. Cette dernière se traduit par
un important soutien militaire utile à la lutte contre des groupes armés qui
contrôlent 80 % du territoire. Un second accord, renforçant les liens militaires
avec la Centrafrique, est signé le 20 août 2018 après l’assassinat de trois
journalistes russes qui enquêtaient sur la présence de mercenaires russes dans
le pays et, selon le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou, ce dernier
« va contribuer à renforcer nos liens dans le domaine de la défense371 ». Au
terme d’un entretien tenu entre le président de la République du Cameroun le
16 janvier 2015, l’ambassadeur de Russie au Cameroun, Nikolay
Ratsiborinskiy, affirmera quant à lui : « cette année, la Russie va fournir au
Cameroun quelques armements et systèmes les plus sophistiqués de dernière
génération, l’équipement militaire attendu touche l’artillerie, y compris
l’artillerie de missiles, la protection aérienne, le système antiaérien de
missiles et de canons, le transport de personnel, les camions blindés et les
autres équipements et armements372 ». Ces efforts matériel, financier et

370 Le renversement du président Bozizé par la rébellion Séléka est conduit par Déya Am
Nondokro Djotodia, en décembre 2013. Ce dernier démissionnera le 3 janvier 2014 et sera
remplacé par Catherine Samba-Panza qui, le 30 mars 2016, passe le pouvoir à Faustin Archange
Touadéra lors d’une élection présidentielle. Le chef d’État trouve une difficulté à exercer son
pouvoir, du moment où 80 % du territoire sont contrôlés par des groupes rebelles à savoir la
Séléka et les Anti-Balaka.
371 Voir, « Afrique : la montée en flèche de l’armée russe », Afrique-Education, No 471-472,

décembre 2018-janvier 2019, article consulté le 14/02/2019 sur


https://www.facebook.com/AfriquEducation/
372 Le 15 avril 2015, les accords seront officiellement signés entre les deux pays, selon le média

russe Sputniks, les détails seront mentionnés par les autorités russes sur leur site des

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technique russes pour le renforcement des capacités de défense et de sécurité


africaines ont pour but, selon le Kremlin, la participation efficace des forces
de défense et de sécurité durant les guerres asymétriques et les insurrections
socioéconomiques.
En réalité, cette aide n’est que l’expression d’une « diplomatie d’hydro-
carbures » de Moscou, qui capitalise les enjeux internationaux de terrorisme,
de piraterie et d’insurrection sociale pour contrôler et exploiter les ressources
stratégiques africaines et surveiller leurs voies de transports373. D’un autre
côté, les livraisons d’armes visent également la protection de multinationales
russes, tant pétrolières, agroindustrielles que diamantifères qui se trouvent ou
sont en cours d’installation dans la région. Aussi, souscrit-il à l’évidence à une
confrontation avec les Occidentaux dans la ruée vers les matières premières.
Considérée comme une zone d’influence naturelle de la France, une présence
directe et manifeste des forces russes en Afrique centrale est une source
d’inquiétude pour Paris. D’où le renforcement de ses forces militaires
récurrentes, présentes dans ses anciennes colonies à l’exemple du dispositif
militaire Barkhane dédiée à la lutte contre le terrorisme au Sahel,
précédemment nommé « Opération Serval » au Mali, et « Épervier » au Tchad
et Sangaris (opération achevée) en RCA. L’opposition feutrée entre Russes et
les puissances occidentales est l’expression d’une « géopolitique de barils
marginaux374 » adoptés par ces derniers tous en quête de puissance décisive375.
Le secteur privé est, entre autres, un outil au service de la diplomatie
militaire et minière du Kremlin en RCA. Le corollaire de la globalisation de
la guerre est sa privatisation, avec l’émergence de fournisseurs de sécurité
exclusivement privés ou transnationaux. Le monopole de la violence par l’État
(internalisé depuis le XIXe siècle) est donc remis en question376 et érodé, à la
fois par le haut selon des processus transnationaux et par le bas par des
seigneurs de guerre, groupes paramilitaires ou rebelles. Dans les pays
occidentaux, les États ont eux-mêmes contribué à la privatisation de la guerre

informations juridiques officielles. Ainsi on pourra lire : « La coopération militaire et technique
entre les deux pays répond aux besoins de leurs défense et sécurité et porte sur les domaines
suivants : livraisons d’armements, de matériels de guerre, de munitions et d’autres produits
militaires ; livraison de pièces de rechange, d’équipements, de produits spéciaux, éducatifs et
supplémentaires, ainsi que d’éléments de produits militaires », lit-on dans le texte de l’accord
signé le 15 avril dernier. L’accord russo-camerounais prévoit en outre la coopération dans la
formation des cadres militaires et l’octroi d’aide militaire et technique ». Njilo, Aimé, Op. cit.
373 Ngodi, Eustanislas, et Owona Nguini, Mathias-Éric, « Le pétrole off-shore comme ressource

stratégique en Afrique centrale : une richesse au cœur des tensions et des appétits », Enjeux,
No 26, 2006, p. 12.
374 La « géopolitique de barils marginaux » se présente comme la capacité pour les puissances

mondiales d’influer sur le coût du baril de pétrole de pays producteurs ne faisant pas partie de
l’Organisation de pays producteurs de pétrole (OPEP).
375 Defarges, Philippe Moreau, Op. cit.
376 Thomson, Janice E., Mercenaries, pirates and sovereigns, Princeton (N. J.), Princeton

University Press, 1996.

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par l’externalisation de nombreux services377. Les entreprises de sécurité se


différenciant de groupes mercenaires ad hoc qui opéraient en Afrique pendant
les années 1960 et 1970 par leur permanence, leur organisation hiérarchique
et légale, et la volonté de générer du revenu pour l’entreprise (et les
actionnaires) et non plus seulement pour la gloire ou le profit privé378. Avant
2018, la Russie n’était pas présente en RCA. C’est en octobre 2017 que le
ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a reçu le président
centrafricain, Archange Touadéra, à Sotchi. Deux mois plus tard, la Russie
obtenait de l’ONU une exception à l’embargo prohibant l’exportation d’armes
en Centrafrique. À partir de ce moment, le rythme des échanges diplomatiques
s’est accéléré : le président Vladimir Poutine a rencontré son homologue
centrafricain Archange Touadéra à Saint-Pétersbourg le 23 mai 2018, et
Mikhaïl Bogdanov, vice-ministre des Affaires étrangères russes, a effectué
une visite en RCA le 16 mars 2019379. De ces rencontres, plusieurs accords de
coopération militaire sont signés et prévoient le déploiement de conseillers
militaires russes en Centrafrique. En parallèle du rapprochement au niveau
étatique, de nouveaux acteurs privés russes sont devenus une force d’initiative
pour le Kremlin.
Il est symbolique en effet de constater que depuis la révolution dans les
affaires militaires (Revolution in Military Affairs, RMA) à la fin de la
bipolarité, qui privilégie entre autres la supériorité de l’information, a été mise
en œuvre dans les puissances mondiales un dispositif d’intelligence
économique et stratégique (IES). Ce dernier est basé sur la centralisation de
l’information, du renseignement et de l’action publique de soutien380. La
nouvelle mission de l’État devient alors l’aide aux entreprises sur les marchés
importants à dimension stratégique et, d’une façon générale, à toutes les
entreprises, qu’elles soient exportatrices ou simplement en concurrence avec
des firmes étrangères381. Dès lors, dans la nouvelle stratégie de Moscou, les
entreprises privées occupent une place prépondérante : en plus du rôle joué
par la société Wagner (société dont les domaines d’expertise sont la sécurité
et le militaire, tout en ayant souvent recours au mercenariat) et l’Internet
Research Agency (compagnie informatique russe dont l’objectif est de
défendre et préserver les intérêts politiques et économiques russes dans le
monde), des entreprises minières russes obtiennent des contrats d’exploitation
en RCA, à Madagascar et au Soudan. Des sociétés telles que Ferrum Mining

377 Krieg, Andreas, Commercializing Cosmopolitan Security, New York (N. Y.), Palgrave,
2016.
378 Singer, Peter, Corporate Warriors : The Rise of the Privatized Military Industry, Ithaca (N.

Y.), Cornell University Press, 2003.


379 Tchoubar, Op. cit.
380 Conesa, Pierre, « L’intelligence économique et stratégique : la diplomatie d’influence au

service de la guerre économique », Revue internationale et stratégique, N° 52, 2003/4, 2003,


pp.153-160.
381 Ibid.

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ou Lobaye Invest ont pour la plupart été créées récemment et ont peu
d’expérience dans l’extraction de ressources naturelles. Néanmoins, elles
semblent avoir réussi dans certains pays à obtenir des contrats au détriment
d’entreprises russes établies sur le continent de longue date, comme Alrosa,
Nornickel, Renova, Rusal ou Norgold.
Enfin, Evgueni Prigozhin aurait personnellement participé aux négocia-
tions de paix avec des groupes rebelles en RCA382. En avril 2018, le chef
d’État Archange Touadéra recrute un nouveau conseiller personnel en matière
de sécurité : le Russe Valery Zacharov, ancien de la police et des douanes,
ayant plusieurs fois travaillé en collaboration avec les structures d’Evgueni
Prigozhin. En juillet 2018, des conseillers militaires russes de l’entreprise
Wagner commencent à arriver à Bangui383, pour former les soldats centra-
fricains, mais aussi pour sécuriser les activités de Lobaye Invest.
Actuellement, 175 instructeurs militaires russes seraient en RCA384. Pour la
plupart, il ne s’agit par de membres de l’armée régulière, mais d’employés de
la société militaire privée Wagner, déployée en Ukraine et en Syrie. Ses
employés sont officiellement chargés de former l’armée nationale, mais
peuvent également assurer la protection d’hommes d’État, comme c’est le cas
en RCA, où ils ont intégré la garde personnelle du président Archange
Touadéra. Par ailleurs, Wagner protège les sites des entreprises russes sur le
continent. Ses hommes sont présents en République centrafricaine, au Soudan,
au Rwanda et à Madagascar, et pourraient prochainement faire leur apparition
en République du Congo, avec qui la Russie a signé un accord en juin 2019
prévoyant le déploiement de conseillers militaires385.
À la même période, des contrats d’exploitation minière commencent à être
attribués aux entreprises privées russes. C’est le cas de l’entreprise minière
Lobaye Invest, liée, selon la presse, à Evgueni Prigozhin, qui obtient sept
permis d’exploration ou d’exploitation de l’or et du diamant en RCA. Selon
Africa Intelligence, la Russie a obtenu l’autorisation d’exploiter les mines d’or
de Ndassima en échange de la pacification de la région386. Moscou a
effectivement participé à la signature des accords de paix de Khartoum en
février 2019, non sans court-circuiter les négociations de paix menées par
l’Union africaine387. Avoir recours à une société militaire privée permet au
gouvernement russe de se distancier des actions de cette dernière, tout en
mettant en œuvre ses projets de puissance en Afrique. En effet, les médias et
les organisations internationales ont à plusieurs reprises alerté sur le rôle

382 Noah Edzimbi, François Xavier, « Les entrepreneuriats médiatique et privé russes en
République Centrafricaine : des dynamiques d’implémentation locale du Kremlin en Afrique
centrale », Regards géopolitiques, volume 7, N° 4, novembre 2021, 8 p.
383 Tchoubar, Op. cit.
384 Ibid.
385 Ibid.
386 Noah Edzimbi, François Xavier, Op. cit.
387 Forestier, Patrick, Op. cit.

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controversé joué par les sociétés militaires privées russes : au Soudan, elles
auraient participé à la répression violente des manifestations contre le
gouvernement ; en Centrafrique, elles ont été accusées d’avoir été impliquées
dans des cas de torture388. Le 31 juillet 2018, le décès tragique des trois
journalistes russes Alexandre Rastorgouïev, Orkhan Djemal et Kiril
Radtchenko, tués en RCA alors qu’ils enquêtaient sur l’entreprise militaire
privée russe Wagner pour le centre d’investigation TsUR (Investigation
ControlCenter) financé par Mikhaïl Khodorkovski, a attiré l’attention des
médias sur la présence de la Russie dans le pays.
Les avancées sécuritaires et économiques de la Russie en RCA ont
bénéficié d’un accompagnement médiatique favorable et assuré, grâce au
financement de la chaîne de radio Lengo Songo et de plusieurs médias
véhiculant des messages anticolonialistes et anti-français. Enfin, peu à peu,
des entreprises russes historiquement présentes en Afrique ont également
obtenu quelques opportunités de développement : le président Archange
Touadéra a affirmé en avril 2019 que le gouvernement avait approché
l’entreprise d’exploitation de diamants Alrosa pour lui proposer d’opérer en
RCA389. Rosatom aurait, pour sa part, déjà négocié l’exploration d’uranium
dans la zone de Bakouma, où Areva avait opéré dans le passé avant
d’abandonner le projet pour des raisons sécuritaires en septembre 2012. Ainsi,
par ces différentes stratégies, Moscou s’efforce de réduire l’empreinte visible
d’une rivalité avec d’autres puissances mondiales et émergentes en Afrique
centrale. L’assistance et l’aide au développement socioéconomique de
l’Afrique centrale constituent aussi un moyen de renforcement d’intérêts de
puissance russes.
Les Russes font preuve de dynamisme économique pour mettre en œuvre
une stratégie leur permettant de profiter pleinement des ressources
énergétiques dont regorge l’Afrique centrale. Aussi critiquent-ils la politique
africaine des puissances occidentales et émergentes dans ladite région, qu’ils
réduisent à des « rituels d’émerveillement390 » ayant pour seul but d’avoir
« une incidence sur les systèmes de pensée, d’action et de représentation des
autochtones et sur la manière de fonctionner391 ». Pour Moscou, la faiblesse
de l’Afrique réside dans ses infrastructures et ce déficit constitue un frein au
développement économique et social du continent. Il leur sert de levier dans
le cadre de la mise en œuvre conséquente de leur politique de puissance. Ainsi,
dans le projet d’extension du complexe industrialo-portuaire de Kribi au

388 Searcey, Dionne, « Gems, Warlords and Mercenaries : Russia’s Playbook in Central African
Republic », The New York Times, 30 septembre 2019, article consulté le 03/12/2021 sur
https://www.nytimes.com/2019/09/30/world/russia-diamonds-africa-prigozhin.amp.html
389 Forestier, Patrick, Op. cit.
390 Mvomo Ela, Wulson, « Le concept de “mise en valeur” dans la politique de développement

colonial de la France : cas du Cameroun », in Pondi, Jean-Emmanuel, (dir.), Repenser le


développement à partir de l’Afrique, Afrédit, Africaine d’Édition, Yaoundé, mai 2011, p. 314.
391 Ibid.

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Cameroun, porte de sortie pour les minerais et les hydrocarbures du Tchad et


du Niger, il a été signé un accord de financement pour la construction d’une
deuxième raffinerie de pétrole au Cameroun, entre la société russe
Rusgazengineering Group et le gouvernement camerounais le 3 juin 2015392.
Après la sécurité, le pétrole et le gaz, la Russie se positionne dans le domaine
d’hydraulique dès 2014 à travers la société Environmental Chemical
Corporation LLC (ECC). Pour le gouvernement russe, l’eau doit être
considérée « comme une opportunité pour les populations au lieu d’être une
menace. La gestion d’eau ne doit pas être prise à la légère, car relève de la
sécurité nationale, mais aussi l’eau potable, l’hydraulique agricole et
pastorale, la navigation maritime et fluviale393 ». C’est ainsi qu’en octobre
2016 s’est tenue à Moscou la première édition des Journées économiques
camerounaises en Russie, dont l’objectif était de « permettre aux opérateurs
économiques camerounais de conquérir de nouveaux débouchés394 ». Ces
relations économiques ne sont aucunement l’expression de l’altruisme, mais
participent à la réalisation des desseins géopolitiques de Moscou. Elles
permettent aux Russes de trouver des débouchés et d’augmenter leurs
investissements tant pétroliers, agro-industriels que diamantifères qui se
trouvent en Afrique395.
De tels rapports commerciaux permettent à la Russie de s’affirmer comme
partenaire crédible dans les échanges entre l’Afrique et l’extérieur. Aussi, le
Kremlin transforme l’Afrique centrale au mieux de ses intérêts, surtout par le
biais du Cameroun qui, en raison de ses avantages géographiques, stratégiques
et économiques, est un État pivot dans la région396. D’autre part, ils permettent
à la Russie de pénétrer les systèmes politico-institutionnels desdits pays selon
le principe de moindre résistance. Ce dernier consiste à identifier les « ventres
mous », les infiltrer et, à partir de là, se développer397 et réaliser son projet de
puissance en Afrique centrale. Il s’inspire des « Nouvelles routes de la soie »,
projet géopolitique chinois ayant pour but de développer les infrastructures
des routes maritimes et terrestres entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe en
investissant dans les ports maritimes et les ports intérieurs, mais aussi dans les

392 Njilo, Aimé, Op. cit.


393 Njilo, Aimé, « La Russie poursuit son offensive au Cameroun », article consulté le
15/02/2019 sur
http://www.camerounliberty.com
394 Boniface, Pascal, « Les leçons du 11 septembre 2001 » in Boniface, Pascal (dir.), les leçons

du 11 septembre, Paris, PUF, 2001, p. 10.


395 Un Allié de revers se présente comme un État à qui Moscou peut faire recours, du moment

où il se trouve dans une situation défavorable dans cette région en particulier et dans le golfe
de Guinée en général. Un État pivot quant à lui est, pour les Russes, un État d’appui par lequel
ils arrivent à se projeter vers d’autres États, ceci à partir de la position d’axe stratégique occupée
par le premier dans la même région.
396 Caracciolo, Laurent, « Italie : l’entente avec Pékin irrite les États-Unis », Courrier

international, No 1481 du 21 au 27 mars 20191, p. 18.


397 Ibid.

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réseaux ferroviaires, les télécommunications et les routes de la soie


numérique398. Dans le domaine des hydrocarbures, Zarubezhneft, compagnie
pétrolière russe, détient des parts dans la Gabon Oil Company sur le site de
Mboumba. L’intérêt russe pour les ressources minières de la Centrafrique est
aussi perceptible. Lors de l’entretien de Sotchi avec le président Touadéra, le
constat du « potentiel significatif d’un partenariat en matière d’exploitation
minière » a été fait par les deux parties. Les Russes exploitent avec l’accord
du gouvernement des zones diamantifères et aurifères à Boda et à Bakala.
Moscou s’intéresse également aux zones minières (or, platine, etc.) que
contrôlent les rebelles Séléka dans le nord du pays, ces derniers permettant
aux Russes de prospecter le sous-sol des régions de Birao, Ndélé et Bria, en
remplacement d’entreprises chinoises s’étant retirées en fin 2017.
Au Cameroun en novembre 2015, le géant mondial russe Gazprom
annonçait la signature d’un accord avec la société nationale des hydrocarbures
(SNH) pour le rachat de toute la production annuelle de gaz liquéfié de Kribi
(1,2 million de tonnes) sur les huit premières années d’exploitation,
production qui sortira, dès le deuxième semestre de 2017, du méthanier Hili399.
À travers ces investissements en Afrique centrale, « il s’agit pour la Russie de
renouer avec un statut de puissance internationale. Il s’agit de trouver des
ressources rares pour son industrie. Il s’agit de trouver des débouchés pour
les deux grandes industries exportatrices de la Russie actuellement, c’est-à-
dire le nucléaire civil et les industries de défense400 ». Il est certain que la
Russie adopte une « diplomatie de minerais et d’hydrocarbures », dont l’usage
s’apprécie selon les enjeux en présence, à l’aune de ses priorités économiques
sur la scène africaine. L’établissement de liens économiques et commerciaux
n’a pour seul objectif que l’exécution de leurs entreprises géopolitiques. Le
continent se présente d’abord comme un terrain d’entrainement pour ses
entreprises, dans la mesure où les produits de ces dernières sont souvent
critiqués pour leur qualité sur les marchés mondiaux. Ensuite, il s’agit de
permettre à leurs entreprises de gagner des marchés et à leurs multinationales
d’exploiter les ressources stratégiques de la région d’une part et, d’autre part,
dans un système international où chaque acteur, qu’il soit national, régional
ou international, adopte une stratégie pour mieux se positionner en fonction
de ses capacités propres, de développer et d’inciter une dépendance des
gouvernements africains aux outils stratégiques et technologiques de la
Russie. En effet, la dépendance de l’Afrique ; non seulement du

398 Ibid.
399 Njilo, Aimé, Op. cit.
400 Propos de Cyrille Bret, maître de conférences en géopolitique à Sciences Po à RFI, à

consulter sur www.rfi.fr

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renseignement géographique401 fourni par des puissances étrangères, mais


aussi de celui des firmes multinationales402 qui permet à celles-ci de localiser
et de circonscrire les ressources maritimes comme les granulats403 les terres
rares404 ou encore l’exploitation de gisements d’hydrocarbures, pétrole et gaz
offshore ; sans oublier, leur renseignement économique et technologique
permet à Moscou de poursuivre l’objectif de maîtrise au mieux, de
l’information stratégique405 dans sa quête de puissance ultime. Dès lors, la
fonction connaissance et anticipation a une importance particulière pour le
Kremlin, parce qu’une capacité d’appréciation autonome des situations est,

401 De manière générale, le renseignement géographique est considéré comme une aide à la
décision politique et un appui aux forces sur le théâtre d’opérations dans le domaine militaire,
mais aussi nécessaire à la décision économique.
402 La plupart des ressources stratégiques africaines sont découvertes par des multinationales et

des puissances industrielles. Comme exemples, selon un communiqué daté du jeudi 27 octobre,
le major pétrolier américain Exxon Mobil a découvert un puits de pétrole oscillant entre 500
millions et un milliard de barils sur le champ Owowo-3 situé à plusieurs miles de la côte de
l’État de Bayelsa dans le sud du Nigéria. D’un autre côté, l’entreprise pétrolière britannique
Cairn Energy annonça le 7 octobre qu’elle avait découvert un gisement à 100 kilomètres au
large des côtes sénégalaises. Découvert à 1 427 mètres de profondeur, les réserves de ce puits
tourneraient autour de 250 millions de barils de pétrole selon ses premières estimations. Voir,
« Pétrole : Exxon Mobil annonce la découverte d’un gisement de pétrole offshore au Nigeria »
et « Un gisement de pétrole découvert au large du Sénégal », articles publiés le 28/10/2016 et
le 09/10/2014, consultés le 15/02/2019 sur www.rfi.fr
403 Les granulats sont des matériaux granulaires exploités par l’homme et correspondant à des

fragments de roches dont la taille est inférieure à 125 mm. Ils comprennent principalement des
sables et graviers. Les granulats soit sont d’origine naturelle (continentaux ou marins), soit
proviennent de l’action de l’homme (roches concassées, recyclage). Les granulats siliceux sont
essentiellement utilisés pour la construction, le rechargement des plages et la protection des
côtes, la poldérisation, les routes et voies ferrées, le drainage. Les usages des granulats siliceux
dépendent de leur qualité. Ceux de haute qualité (bien triés et dépourvus de boues) sont utilisés
pour les bétons et le revêtement des routes. Ceux de moins bonne qualité sont utilisés pour les
fondations, le pavement des routes, des voies ferrées, pour les digues, etc. Les granulats
calcaires sont utilisés pour l’amendement des terres agricoles afin de limiter l’acidité des sols,
pour le traitement de l’eau et même pour l’alimentation des poules pondeuses. La
consommation mondiale de granulats est croissante et atteint des valeurs colossales, environ 15
milliards de tonnes par an. Pour comparaison, les exportations sédimentaires de l’ensemble des
fleuves de la planète vers la mer sont évaluées entre 15 et 18 milliards de tonnes par an. Ainsi
les granulats représentent la deuxième ressource naturelle la plus consommée (en masse), après
l’eau, mais avant le pétrole et le gaz. Voir, Chaumillon, Emile, « L’exploitation des sables et
granulats marins : une menace pour les littoraux ? », consulté le 15/02/2019 sur www.institut-
ocean.org
404 Les terres rares (qui sont des métaux rares) sont composées de dix-sept éléments à savoir :

le lanthane, le prométhium, le thulium, le cérium, le samarium, le dysprosium, l’ytterbium, le


praséodyme, l’europium, l’holmium, le lutécium, le néodyme, le gadolinium et l’erbium. Ces
minéraux sont localisés depuis peu dans les fonds océaniques. Fouquet, Yvon, « Sulfures
polymétalliques hydrothermaux océaniques », Les techniques de l’industrie minérale, N° 15,
2002, pp. 51-65.
405 Douzet, Francis, « Chine : cyberstratégie, l’art de la guerre revisité », article consulté le

consulté le 15/02/2019 sur http://www.diploweb.com/Geostrategie-de-l-internet.html

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pour lui, la condition de décisions libres et souveraines. Elle permet


l’anticipation stratégique qui éclaire l’action d’où, pour Vladimir Poutine,
« celui qui deviendra leader dans ce domaine dominera le monde406 » d’une
part et, d’autre part, « notre souveraineté politique dépendra de notre
souveraineté technologique407 », mais aussi d’une indépendance dans le
renseignement.
En plus d’une promotion de relations économiques et commerciales, la
politique africaine de la Russie comporte un versant motivé par à la
vulnérabilité sociale : l’appui logistique, pécuniaire et nutritionnel aux réfu-
giés de conflits sociaux et de guerres asymétriques. Le président Poutine a
rappelé l’octroi par le gouvernement russe, d’une aide de 5 millions de dollars
accordés à plusieurs pays africains en 2011 à travers le Programme alimentaire
mondial (PAM)408. Outre des équipements militaires, la Russie a apporté une
assistance humanitaire importante au Cameroun. En février 2015, ce sont
1 900 tonnes d’aide alimentaire qui étaient remises à l’ancien ministre de
l’Administration territoriale et de la décentralisation, René Emmanuel Sadi
par l’ambassadeur de Russie au Cameroun, Nicolay Ratsiborinsky409. Celle-ci
comprenait 1 500 tonnes de farine et plus de 250 tonnes d’huile de tournesol.
Un appui de plus de 3 milliards de FCFA a aussi été remis au gouvernement,
destiné aux quelque 350 000 réfugiés que le Cameroun accueille sur son sol,
non seulement du fait de la guerre contre la secte islamiste Boko Haram, mais
également en raison de l’insécurité dans la région de l’Est née de l’instabilité
en République centrafricaine410. On y trouve également des équipements de
sauvetage et des machines pour les sapeurs-pompiers, ainsi que des moyens
matériels et techniques pour la protection civile. En Centrafrique, plusieurs
dizaines de camions russes sont arrivés en mai 2017 dans les régions de Birao,
Ndélé et Bria depuis le Soudan, officiellement pour installer des hôpitaux dans
plusieurs localités411.
Au-delà de cette dimension supposément philanthropique, et gardant à
l’esprit qu’aucun État ne saurait omettre de sauvegarder ses intérêts, il y a lieu
de penser que cette aide se rapproche davantage d’un acte rationnel,
stratégique. Cet appui humanitaire exprime l’habilité et la capacité de la
Russie de mobiliser diverses ressources pour contribuer à la réussite de son
projet de puissance. Ce soutien de la lutte contre les vulnérabilités africaines
favorise l’extension de sa puissance douce, le complément indispensable aux
autres instruments de stratégie qui lui permet de transformer l’espace africain

406 Paquette, Éric, « Intelligence artificielle : la nain européen », L’Express, 6 mars 2019,
pp. 35-37.
407 Mathieu, Brice, « Industrie : l’Europe se saborde », L’Express, 6 mars 2019, pp. 28-32.
408 Noah Edzimbi, François Xavier, Op. cit.
409 Belibi, Jean François, « Cameroun-Russie : une relation ancienne et diversifiée », Cameroon

Tribune, article consulté le 16/02/2019 sur www.camer.be


410 Ibid.
411 Ibid.

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au mieux de ses intérêts. Elle est un moyen de promotion des valeurs et des
richesses de la culture russe fondée sur l’éthique et la valorisation de l’être
humain, mais surtout de défense d’enjeux et d’intérêts stratégiques du
Kremlin, selon les contextes et les acteurs en présence. En effet, sécurité et
conquête des marchés figurent bel et bien parmi les objectifs poursuivis par
Moscou en Afrique. Au prix du capital humain saisi comme rationalité
stratégique de développement, les vulnérabilités sociales constituent des
facteurs de découragement pour les investisseurs412, d’où la nécessité de les
réduire pour mieux exercer des activités économiques. Ainsi, l’appui
humanitaire et logistique apporté en Afrique centrale est une manœuvre de
diversion, preuve de la maturité stratégique qui caractérise les Russes. La
vulnérabilité en est manifestement un tremplin et l’attitude du Kremlin n’est
qu’un instrument de son projet géostratégique. Plus concrètement, l’objectif
est non seulement de détourner l’attention des Africains, mais également
celles d’autres puissances, sur les objectifs économiques et stratégiques qu’ils
souhaiteraient poursuivre en toile de fond413 en posant des actes de bien-
faisance qui promeuvent leur visage angélique et de compassion414.
En effet, mêler éthique et politique étrangère n’est pas chose aisée415. Plutôt
qu’une véritable révolution de la politique africaine de Moscou, l’introduction
de l’éthique est une astuce cosmétique pour masquer leur stratégie de
puissance416. L’ajustement de leur politique africaine à une approche éthique
ou de morale demeure un enjeu géopolitique et participe d’un registre volatile,
lié en partie à la versatilité d’une opinion publique internationale et africaine
insaisissable sur les thématiques environnementales, culturelles ou autres417.
Elle est une politique de « camouflage » visant à masquer les objectifs de la
Realpolitik de Moscou en Afrique centrale. C’est du réalisme politique que de

412 Noah Edzimbi, François Xavier, Op. cit.


413 Chomsky, Noam, Dominer le monde ou sauver la planète : l’Amérique en quête
d’hégémonie mondiale, Paris, Fayard, 2004, p. 26.
414 Nye, Joseph, « La puissance américaine et la lutte contre le terrorisme », Revue de Politique

Américaine, 2005, pp. 16-20.


415 Parler d’éthique en politique étrangère revient à introduire, dans les arbitrages du processus

décisionnel, des considérations normatives au-delà des seuls intérêts. Or, les cas pratiques les
plus récents n’ont pas nécessairement donné de résultats positifs. Jimmy Carter, qui voulait
redonner à la politique étrangère américaine une respectabilité morale après le drame
vietnamien en cessant de soutenir le régime dictatorial du Shah d’Iran, a contribué ainsi à
précipiter la prise de pouvoir de l’Ayatollah Khomeiny en 1979. Tony Blair, en annonçant une
nouvelle politique étrangère éthique pour la Grande-Bretagne lors de son arrivée au pouvoir en
1997, a fini par sombrer dans les contre-vérités de l’affaire irakienne après avoir dû, entre
autres, assumer quelques pratiques douteuses, comme la vente d’armes à la Sierra Leone. En
voulant désigner un « axe du Mal » et promouvoir le Bien, George W. Bush et ses conseillers
n’auront semé que désordre, regain du terrorisme international, guerres civiles et
antiaméricanisme. Charillon, Fréderick, « L’éthique : le nouveau mot d’ordre de la politique
étrangère française ? », Revue internationale et stratégique, N° 67, 2007/3, pp. 88-90.
416 Ibid.
417 Ibid.

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constater que l’universel est aujourd’hui contrôlé en fonction de l’équilibre


des puissances et que la notion de respect des droits de l’Homme s’impose à
ceux qui préféreraient utiliser uniquement la puissance pour gérer les relations
internationales. Ainsi aujourd’hui, tout État stratégiquement émancipé
valorise la représentation messianique des valeurs dont il est porteur, et
l’imbrique à la protection et la préservation d’intérêts géostratégiques et
géoéconomiques, sans respecter les valeurs qui lui seraient étrangères. Dès
lors, le respect des droits de l’Homme prôné par Moscou traduit sa volonté de
projection et d’affirmation de puissance, car le puissant est celui qui est en
position d’affirmer lesdits droits, leur universalisation, mais, dans le même
temps, contenir ce pouvoir et s’en servir au détriment des autres.

Conclusion

Dans l’objectif de restaurer son leadership international, les atouts dont


dispose l’Afrique centrale expliquent l’appétence de la Fédération de Russie
pour cette région. Dès lors, s’arrimant à la dialectique des intelligences,
Moscou s’investit dans les affrontements politico-diplomatique et
socioéconomique en vigueur entre les acteurs stratégiquement matures en
Afrique ventrale. Dans le premier aspect, en s’appuyant sur les principes
d’égalité et d’action en cas de menace contre la paix entre États sur la scène
internationale, la nouvelle coopération russo-africaine se présente comme
dénuée de tout esprit de mépris et de condescendance, prouvant la bonne foi
du Kremlin d’en finir avec les donneurs de leçons occidentaux qui freinent
des projets liés au développement en Afrique. Aussi dans un contexte
récurrent d’instabilité sécuritaire, la Russie apporte un soutien technologie et
militaire aux pays de la région, dans l’objectif de mieux cerner et anticiper les
guerres nouvelles auxquelles ils font face.
Dans le domaine socioéconomique, Moscou a compris que la faiblesse de
l’Afrique réside dans ses infrastructures et que ce déficit infrastructurel
constitue un frein au développement économique et social du continent, d’où
son utilisation comme levier dans le cadre de la mise en œuvre de sa politique
de puissance. Aussi, en gagnant des marchés commerciaux et en investissant
dans le domaine économique en Afrique Centrale, la Russie renoue avec un
statut de puissance internationale en trouvant des ressources rares qu’elle
produit peu, et des débouchés pour ses deux grandes industries exportatrices
à savoir le nucléaire civil et les industries de Défense. Enfin, en apportant une
aide humanitaire aux populations vulnérables, le Kremlin trouve dans cette
partie du continent un espace pour se projeter, redorer son blason et renforcer
son statut de puissance sur la scène internationale. Dans un monde où on a non
pas tant la place qu’on mérite que celle qu’on se donne, il urge pour les
Africains, de se doter d’une conscience stratégique, susceptible de leur
garantir une autonomie d’action sur la scène internationale, en menant une

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politique de renseignement et d’influence qui témoigne de leur volonté de


disposer d’outils de puissance et de se positionner comme des acteurs avec
lesquels il faudra compter d’une part, et, d’autre part, de prétendre à un statut
de puissance dans un monde polycentrique en formation.

Conclusion de la première partie

De l’époque des Tsars à celle d’aujourd’hui en passant par le régime


soviétique, les problématiques russes sont constantes : la crainte de
l’encerclement, l’isolationnisme ou la tentation de l’immersion soit à l’ouest
soit à l’est dans le commerce international, ainsi que la réflexion autour de la
constitution d’une grande zone d’influence. Le plus grand pays du monde en
termes de superficie, doté, en quantité, d’importantes réserves de matières
premières et soutenu par une histoire millénaire est toujours à la recherche,
quels que soient les régimes en place, d’un modèle de croissance viable.
Partant de cette réalité, la Russie trouve en Afrique centrale une fenêtre
d’opportunité dans la résolution de ces problématiques. L’ensemble
d’opérations coordonnées mises en œuvre par le Kremlin dans ladite région
montre l’importance de cet espace dans la stratégie de puissance de en
Afrique. S’inscrivant dans une dialectique d’intelligence, les Russes font
usage de procédés politiques, diplomatiques, militaires, économiques,
humanitaires et culturels. Les rencontres entre les responsables politiques de
la région et ceux du Kremlin illustrent, dans le cadre diplomatique, l’objectif
de la Russie qui est de reconquérir un espace délaissé durant la confrontation
bipolaire et le délitement de l’ex-URSS, ce qui emmène d’autres acteurs
internationaux à mettre sur pied des contre-stratégies.

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DEUXIÈME PARTIE :
LES CONTRE-STRATÉGIES FRANÇAISE ET AMÉRICAINE
DE LA POLITIQUE AFRICAINE RUSSE EN AFRIQUE CENTRALE

L’intérêt de la Russie pour l’Afrique centrale est sans cesse croissant.


Leurs objectifs géopolitiques et géostratégiques dans la région, depuis 2014,
ont pour seul but de s’accaparer des richesses dont elle regorge tout en luttant
par tous les moyens contre toutes les réformes politiques susceptibles de
profiter au concurrent fut-il allié418. L’Afrique centrale est victime d’un jeu
entre grandes puissances et pays émergents indifférents à son sort, mais
intéressés par ses richesses naturelles, minières et agricoles419. Pendant la
Guerre froide, Washington ne s’est pas opposé aux intérêts de la France et de
la Grande-Bretagne, partenaires lors de la confrontation avec l’Est, en
Afrique. Mais la donne change dès la fin de la bipolarité, car, bien avant, la
conflagration les opposant à l’ex-URSS a influencé leur idée du continent,
raison pour laquelle Henry Kissinger affirmait en ces moments qu’« en
l’absence d’adversaire stratégique menaçant le continent, ou d’État africain
inamical nourrissant des ambitions hégémoniques, une nouvelle politique
africaine n’a aucune justification stratégique420 ». À cette période, les États-
Unis entretiennent donc des relations assez timides avec l’Afrique, confiant sa
tutelle stratégique aux alliés européens. Mais par la suite, on observe un regain
d’intérêt des États-Unis pour le continent, après leur victoire sur le bloc
communiste.
De cette réorientation américaine, la France, ancienne puissance coloni-
satrice et tutrice, élabore des stratégies en réponse au projet américain et à
ceux de toutes autres stratégies étrangères. L’ancien président français,
François Mitterrand, lors de la réception de son hôte soviétique, le ministre
soviet des Affaires étrangères, Andrei Gromyko, le 9 septembre 1983 à Paris,
soutenait déjà au sujet du continent que la France ne risquera pas son existence
pour obéir à des stratégies qui lui seraient étrangères421. De ce contexte, il est
question de présenter comment ces puissances, la France et les États-Unis à
l’occurrence, s’organisent chacune pour contrecarrer le projet russe tout en
préservant leurs intérêts (chapitre 3). Et, enfin, de voir comment les États de
l’Afrique centrale peuvent tirer profit de ces ambitions étrangères pour leur
autonomie stratégique et leur développement (chapitre 4).

418 Fogue Tedom, Alain, Enjeux géostratégiques et conflits politiques en Afrique Noire, Paris,
L’Harmattan, 2008, p. 86.
419 De Lestrange, Cédric, Zélinko, Pierre, et Paillard, A., Géopolitique du pétrole, un nouveau

Marché, de nouveaux risques, de nouveaux Mondes, Paris, Technip, 2005, p. 153.


420 Kissinger, Henry, La nouvelle puissance américaine, Paris, Fayard 2003, p. 223.
421 Fogue Tedom, Alain, Op. cit., p. 277.

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CHAPITRE III :
L’AFRIQUE CENTRALE, NOUVELLE FRONTIÈRE DU DUEL
ENTRE AMÉRICAINS, FRANÇAIS ET RUSSES
POUR DISPOSER D’UNE PUISSANCE ULTIME

Les ressources naturelles africaines, jusque-là gérées comme des réserves


stratégiques des anciennes puissances coloniales, sont désormais au cœur
d’une concurrence entre les puissances traditionnelles et les nations
émergentes dont les besoins en matières premières stratégiques paraissent
illimités. Aussi, les stratégies des chefs d’État Vladimir Poutine pour la
puissance russe, de Recep Tayyip Erdogan pour la puissance turque et de
Xi Jinping pour la puissance chinoise se font jour et sont transformées en
calculs et manœuvres géostratégiques ainsi qu’en politiques économiques
agressives sur le continent. Pour la France, l’irruption des puissances
économiques et militaires émergentes telles que la Chine, la Russie, l’Inde, le
Brésil sur la scène africaine et l’intérêt croissant des États-Unis et du Japon
pour le continent ont perturbé son monopole en Afrique francophone.
La littérature universitaire africaine s’est, jusqu’à récemment, peu intéres-
sée aux rivalités franco-américaines. Ceci jusqu’à l’annulation du « contrat du
siècle », conclu il y a six ans entre la France, par le biais de la société française
Naval Group, et le gouvernement australien pour la livraison de 12 sous-
marins et pour un montant de 34 milliards d’euros422. Le nouveau contrat de
livraison s’inscrit aujourd’hui dans l’alliance AUKUS, coopération établie
entre Américains, Australiens et Britanniques. « Le forcing » de l’administra-
tion Joe Biden, actuel président des États-Unis pour récupérer ledit contrat, a
amené l’ancien ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian,
a déclaré : « je suis aujourd’hui très en colère. Ça ne se fait pas entre
alliés423 », en raison de l’attitude américaine sur le dossier. Aussi, d’après un
haut fonctionnaire français spécialiste des contrats militaires, sur l’annulation
du contrat de livraison de sous-marin, la France est « victime de la décision
stratégique d’un pays souverain, mais il s’agit d’une décision géopolitique,
en aucun cas technique424 ». Cette situation rappelle l’importance des rapports
de puissance pour comprendre la politique internationale et l’impossibilité de
réconcilier les intérêts divergents des États selon une approche réaliste. La
confrontation entre alliés trouve un nouveau terreau sur le continent, à savoir

422 Pelloli, Mathieu, « Vente de sous-marins : pourquoi l’Australie a déchiré le “contrat du


siècle” remporté par la France », Le Parisien, article consulté le 06/12/2021 sur
https://www.leparisien.fr/economie/australie-et-france-signent-le-contrat-du-siecle-pour-12-
sous-marins-11-02-2019-8009061.php
423 Ibid.
424 Ibid.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

l’Afrique centrale, nouveau glacis stratégique dans la quête/renforcement de


la puissance entre puissances mondiales et émergentes.
Dès lors, quelles sont, respectivement, les stratégies ou, à défaut, les
tactiques, suivant la terminologie de Michel de Certeau425, déployées par les
deux puissances en Afrique centrale pour préserver les intérêts, chacun pris
individuellement ? Sont-elles en opposition frontale ou, au contraire,
interviennent-elles dans des domaines concurrentiels ? L’approche géopo-
litique nécessite de considérer la pluralité des situations tout autant que les
différents niveaux d’échelle. Dès lors, il est question dans de montrer
comment ces deux États, la France (section 1) et les États-Unis (section 2)
s’organisent pour contrecarrer les velléités russes d’une part, tout en
sauvegardant individuellement leurs prérogatives d’autre part.

Section 1 : La réponse française à la politique de puissance russe en


Afrique centrale

Très souvent, les autorités françaises parlent, pour ce qui est de leur
politique africaine, de diplomatie d’influence, de Soft power et de
l’importance qu’il faut y attacher. Cependant, « aucune réflexion d’ensemble
n’est faite pour savoir comment la France doit se situer. Aucune réflexion
globale sur le sujet n’est faite non plus, et on se contente, au final, de
conserver l’existant426 ». Malgré les discours diplomatiques officiels
d’anciens et actuels exécutifs français sur les relations d’égal à égal entre
l’Afrique et la France, de Nicolas Sarkozy qui appelait dans un discours
prononcé à Cotonou en 2006, au Bénin à une « relation […] plus
transparente427 » entre la France et l’Afrique ; à Emmanuel Macron qui
déclarait en 2017 à Ouagadougou « qu’il n’y a plus de politique africaine de
la France428 », entre la raison d’État et la France des droits de l’Homme, « la
première est, bien entendu, plus grande que la seconde429 » pour les autorités
gouvernementales et politiques françaises. En effet, dans un monde où
l’innovation et la croissance économique sont devenues un domaine essentiel
de la concurrence géopolitique, la préservation des intérêts stratégiques de la

425 De Certeau, Michel, L’invention du quotidien. Les arts de faire, volume 1, Paris, Gallimard,
1990, p. 259.
426 Boniface, Pascal, « La réflexion stratégique en souffrance », Revue Défense Nationale,

2015/10, N° 785, p. 30.


427 Déclaration de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire,

sur la démocratie au Bénin et sur l’établissement de nouvelles relations entre la France et


l’Afrique, Cotonou le 19 mai 2006, article consulté le 13/05/2021 sur http://discours.vie-
publique.fr/notices/063001811.html
428 Déclaration d’Emmanuel Macron consulté le 13/05/2021 sur
https://www.elysee.fr/emmanuelmacron/2017/11/28/discours-demmanuel-macron-
aluniversite-de-ouagadougou
429 Verschave, François-Xavier, Noir silence. Qui arrêtera la Françafrique ?, Paris, Les

Arènes, 2000, p. 541.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

France en Afrique est un enjeu vital pour les stratèges dudit pays, dans la
mesure où leur « objectif (est) de faire de la construction européenne le
marchepied de la France, et (lui) faire jouer le rôle d’avocat des plus faibles
dans les affaires du monde430 ». La France utilise des recettes qui, depuis les
indépendances africaines, lui ont permis de transformer cet espace qu’est
l’Afrique centrale aux mieux de ses intérêts. Il s’agit des vecteurs politico-
diplomatiques (A), socioculturels et économico-militaires (B).

A- L’usage de la politique et de la diplomatie pour la sauvegarde


d’intérêts français en Afrique centrale
La force géopolitique du général de Gaulle est d’avoir fait une analyse qui
intègre les faiblesses de son pays, et fondé la puissance de la France plutôt sur
l’affirmation d’un principe et non d’une idéologie comme les grandes
puissances (États-Unis et URSS). Ce principe se résume au droit des peuples
à l’indépendance. Le général, conscient des enjeux géopolitiques de la Guerre
froide, et de l’urgence du redressement de la France, formule une
problématique liée à la situation française à savoir : comment permettre à la
France de rester une puissance malgré la faiblesse de ses moyens
(démographiques, militaires, économiques…) ? La réponse à cette question
vitale s’articule autour de quatre points, dont le deuxième, à savoir placer les
anciennes colonies au service de la défense, du développement et du
rayonnement international de la France, met les ex-Afrique occidentale
française (AOF et actuelle Afrique de l’Ouest) et Afrique équatoriale
françaises (AEF et actuelle Afrique centrale), au centre de ses priorités. À la
sortie de la Seconde Guerre mondiale, la France décide de conserver ses
colonies, dont le conflit international aura prouvé l’intérêt stratégique et qui
apparaissent désormais comme le socle vital de la puissance française. En août
1945, apparaît pour la première fois le mot « Françafrique431 », qui présente
les relations étroites qu’entretiennent les autorités françaises et africaines. La
paternité du terme revient au journaliste Jean Piot. Rédacteur en chef du
journal L’Aurore, dirigé par Paul Bastid, il utilise ce terme en premier432.
La notion a rationalisé, renforcé et parfois forgé les instruments informels
d’une nouvelle forme d’impérialisme qui a pris, par la suite, le nom de
430 Fogue Tedom, Alain, Op. cit., p. 21. NB : si tous les propos sont bien de lui, leur agencement
est de l’auteur.
431 La Françafrique désigne un maintien par la France de relations étroites avec ses anciennes

colonies pour s’assurer de matières premières comme le pétrole, ainsi qu’un certain prestige et
une clientèle fidèle aux Nations unies, ce qui lui permet de pouvoir lutter contre toute influence
étrangère concurrente dans son « pré-carré ». Alleno, Kevin, « La “Françafrique”, instrument
d’un soft power associatif et “stigmate” pour la politique africaine de la France », Relations
internationales, N° 182, 2020/2, p. 102.
432 Borrel, Thomas, Boukari-Yabara, Amzat, Collombat, Benoît et Deltombe, Thomas,

« Introduction », in Borrel, Thomas, Boukari-Yabara, Amzat, Collombat, Benoît et Deltombe,


Thomas (dir.), L’empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique, Paris, Éditions
du Seuil, 2021, pp. 23-49.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

coopération. « Il y a deux systèmes qui entrent en vigueur simultanément :


l’indépendance et les accords de coopération. L’un ne va pas sans l’autre »,
précise Michel Debré au Premier ministre gabonais Léon MBA en 1960433.
S’étant construit une « idée de grandeur de la France434 », le général de
Gaulle, conscient des faiblesses qui caractérisaient son pays au sortir de la
Deuxième Guerre mondiale, trouvera vital d’adapter le cadre de pensée
stratégique français durant la décolonisation sur « l’indépendance -
coopération435 ». À ses yeux, en Afrique, « si nous voulons que tout reste tel
que c’est, il faut que tout change436 ». Afin de préserver ses intérêts
géoéconomiques, la France accordera ainsi l’indépendance à des élites
africaines qui la réclamaient le moins, après avoir éliminé politiquement et
parfois militairement ceux qui l’exigeaient avec le plus d’intransigeance. Dès
lors, le « pré-carré437 » français consistera en un dispositif sécuritaire défensif
où les fortifications seront remplacées par des outils de surveillance des
responsables politiques, économiques, des territoires et des populations dans
l’objectif de « surveiller, intervenir et punir toute force contraire à la
préservation et à la sauvegarde du giron stratégique français438 ». Perdant ses
possessions françaises, en Algérie et en Indochine, la France organisa la
décolonisation de ses anciens territoires coloniaux, stratégiquement
importants pour son rayonnement international et pour l’acquisition d’un
statut de puissance mondiale439, à partir du Cameroun, pays laboratoire de sa
politique africaine de « mise en valeur440 ».
Le Cameroun présente des avantages géographico-stratégiques et écono-
miques pour la France en Afrique centrale. La France apprécie sa position
géographique en Afrique équatoriale française (AEF). Lucien Fourneau,
ancien commissaire français au Cameroun, dans une correspondance adressée

433 Ibid., p. 317.


434 Vassallo, André, « Parcours thématique. De Gaulle et l’Afrique noire », article consulté le
17/06/2019 sur http://fresques.ina.fr/degaulle/parcours/0006/de-gaulle-et-l-afrique-noire.html
435 Ibid., l’indépendance-coopération est un système de coopération entre États souverains, mais

ayant pour but d’imposer l’influence de la France en Afrique dans les domaines politique,
militaire, économique, financier et monétaire, judiciaire, technique et culturel, permettant à la
France de conserver une influence majeure sur ses anciennes colonies.
436 Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Le Guépard, Paris, Seuil, 2007, p. 32.
437 Un précarré est une zone d’influence politico-économique et culturelle, composée d’un ou

de plusieurs pays, et généralement acquise à une puissance étrangère. Il s’agit en ce qui est de
la France, des anciennes colonies répertoriées dans les ex-AEF et AOF.
438 Bat, Jean-Pierre, Le Syndrome Foccart. La politique française en Afrique de 1959 à nos

jours, Paris, Gallimard, « folio histoire », 2012, p. 96.


439 Le socialiste Paul Ramadier, sous la IVe République, à l’instar de bien d’autres hommes

politiques, y compris les rescapés de la droite française, souligne, sortant de la deuxième guerre
mondiale, que : « La France sans colonies serait une France esclave, condamnée à n’être qu’un
satellite ». Fogue Tedom, Alain, Op. cit., p. 182.
440 Mvomo Ela, Wulson, « Le concept de “mise en valeur” dans la politique de développement

colonial de la France : cas du Cameroun », in Pondi, Jean-Emmanuel, (dir.), Repenser le


développement à partir de l’Afrique, Afrédit, Africaine d’Édition, Yaoundé, mai 2011, p. 299.

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au ministre des colonies le 23 janvier 1918, affirmait déjà qu’« il y a des


raisons géographiques… et économiques qui militent pour une attribution
quasi intégrale du Cameroun à l’Empire colonial français441 ». Tirée d’un
document classé « très secret » par l’ancienne Direction des Affaires
économiques et du Plan français en période coloniale, la « note sur la
souveraineté française » disposait aussi que la position de la France au
Cameroun conditionnait sa position dans toute l’Afrique centrale442. Il était
certain, d’après la note, que celui qui détenait Douala et le Cameroun tenait
économiquement la région Afrique centrale. Pour l’Allemagne de
Guillaume II, qui choisit dans le cadre de sa WeltPolitik de faire du Kamerun
le point de départ et le centre de gravité de sa géopolitique centre-africaine, la
Mittel Afrika, tous les projets d’infrastructures ferroviaires, le Nordbahn en
direction du Tchad, le Mittelbahn en direction de l’Oubangui et le Sudbahn en
direction du Gabon et du Congo, n’avaient qu’une finalité : « faire de Douala
le point d’aboutissement de toute l’Afrique équatoriale, mais aussi centrale et
également sahélienne, ou tout au moins tchadienne443 ». Par son ouverture
maritime sur l’atlantique, le Cameroun permet à la France d’accéder à d’autres
régions d’Afrique et facilite ses opérations militaires. Le document écono-
mique et militaire français de 1940, classé « très secret » sur le Cameroun,
faisait déjà du port de Douala, des terrains d’aviation de Douala, Bertoua,
Garoua et du réseau ferré camerounais des instruments stratégiques de
souveraineté et de domination de la France en Afrique centrale444.
Ainsi, dans l’optique de réaliser ces desseins, la fabrique des nouvelles
élites africaines, au service des intérêts français, a été mise en œuvre. Pour
illustration, la France va, au Cameroun, s’appuyer sur le régime politique
d’Ahmadou Ahidjo pour préserver ses intérêts. Remarqué par Foccart445, ce
dernier va parvenir au pouvoir avec l’aide/l’accord de la France446. Sans
perdre de vue son objectif qui est de conserver les anciennes colonies sous la
domination française, malgré ces irrégularités de votes, l’ancien président
François Mitterrand, en visite officielle à Yaoundé le 22 juin 1983, affirmera :
« il n’y a pas de hiatus dans la politique africaine de la France avant et après

441 Oyono, Dieudonné, Colonie ou mandat international ? La politique française au Cameroun


de 1919 à 1946, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 30.
442 Deltombe, Thomas, Domergue, Michel, Tatsitsa, Joseph, Kamerun, une guerre cachée aux

origines de la Françafrique 1948-1971, Paris, Éditions Ifrikiya, juin 2012, pp. 106-108.
443 Lugan, Bertrand, Cette Afrique qui était allemande, Éditions Jean Picollec, 1990, p. 59.
444 Deltombe, Thomas, Domergue, Michel, Tatsitsa, Joseph, Op. cit., pp.106-107.
445 Verschave, François-Xavier, La Françafrique, le plus long scandale de la République, p. 99.
446 Ibid., p. 98. Selon l’ambassadeur Guy Georgy, qui commanda la région du nord Cameroun

de 1951 à 1955, des paquets de faux bulletins, à la faveur du candidat Ahidjo, ont été mis dans
l’urne. De même, bien avant son accession à l’indépendance, le ministre français d’Outre-mer,
monsieur Jacquet, répète à trois reprises au Premier ministre camerounais André-Marie Mbida
que l’indépendance du Cameroun, annoncée le 1er janvier 1960, sera une indépendance fictive.

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mai 1981. Si la méthode a changé, l’objectif est resté le même. Il consiste à


préserver le rôle et les intérêts de la France en Afrique447 ».
À la fin de la Guerre froide, et dans le sillage du vent de l’Est, un peu
partout en Afrique, les régimes au pouvoir ont fait face à des soulèvements
populaires dont le fondement était dans chaque pays le même : la contestation
du parti unique (ou dominant), le rejet de la dictature et du pouvoir perpétuel
et par conséquent, la réclamation véhémente de retour ou de l’instauration du
pluralisme politique, selon les cas, et partant, l’édification d’une société
démocratique où les libertés politiques et civiques ne sont plus confisquées.
Au sommet franco-africain de La Baule, le 20 juin 1990, le discours du
président français François Mitterrand, écrit par Erik Orsenna, encourage les
pays africains à accélérer leur processus de démocratisation. Un an plus tard,
en novembre 1991 au sommet de la Francophonie au palais de Chaillot à Paris,
le président français édulcore son propre discours de La Baule en faveur de la
démocratie en Afrique, en concédant aux pays africains d’aller « chacun à son
propre rythme448 ». C’est dans ce contexte qu’au début des années 1990, les
pays d’Afrique au sud du Sahara se sont lancés dans des conditions diverses
et parfois dramatiques dans des processus démocratiques, dont le rythme
général renseigne sur les réticences, voire l’adversité de nombreux régimes
quant à l’ouverture démocratique tant souhaitée et plus exactement réclamée
par les peuples449.
Depuis les années 2000, des élections ont été organisées dans la quasi-
totalité des pays africains. Toutefois, l’existence de processus électoraux
formels n’empêche pas certains régimes de s’éterniser au pouvoir en Afrique
centrale. La longévité au pouvoir dépend de la capacité à maintenir ou à
adapter ces soutiens stratégiques au fil des évolutions du contexte national et
international. Ces régimes organisent des élections largement contestables,
taillées sur mesure pour les présidents en poste. Il est courant que les dirigeants
s’approprient les moyens et ressources de l’État pour s’assurer une victoire
électorale et favoriser l’ancrage du gouvernement perpétuel. Majoritairement,
les chefs d’État d’Afrique centrale ont appris de ce qu’ils appellent « le théâtre
démocratique occidental450 ». La plupart de ceux qui ont passé plus de trente
ans dans leur palais, sans coup férir, sont devenus habiles dans la réécriture
arbitraire et l’interprétation et l’usage orientés des normes juridiques et
institutions judiciaires. Ils ont appris à modifier les constitutions pour abroger
les limitations de mandat. Ils ont aussi compris qu’un seul tour durant une
échéance électorale présidentielle, face à plusieurs candidats de l’opposition

447 Borrel, Thomas, Boukari-Yabara, Amzat, Collombat, Benoît et Deltombe, Thomas (dir.),
Op. cit., p. 702.
448 Glaser, Antoine, « De la démocratie à la démocrature familiale en Afrique », Pouvoirs,

2019/2, N° 169, pp. 107-116.


449 Fogue Tedom, Alain, « Introduction », Dialectique des intelligences, N° 005/2018, p. 4.
450 Glaser, Antoine, Op. cit.

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incapables de s’entendre, est un mistral gagnant. Ainsi, en Afrique centrale, le


président de la République est la clé de voûte de tout l’édifice constitutionnel.
Il assure la direction effective de l’exécutif en même temps qu’il concentre
entre ses mains l’essentiel du pouvoir. Ce qui emmène Jean-Marie Atangana
Mebara, ancien Secrétaire général de la présidence de la République au
Cameroun (SGPR) de 2002 à 2006, à penser qu’au Cameroun le « régime était
et est demeuré un régime présidentiel « concentré451 ». Quant au processus
électoral lui-même, ces présidents ad vitam aeternam le maîtrisent comme un
rituel452. Depuis son indépendance le 11 août 1960, la République du Tchad a
connu pas moins de dix présidents, soit une moyenne d’un président tous les
six ans. Cette prolifération de chefs d’État ne témoigne aucunement de la
vivacité ou du dynamisme de la démocratie tchadienne. Ici, le repli identitaire
apparaît comme un élément dont l’importance n’est plus à démontrer, en
contexte africain, en général et tchadien en particulier, dans l’appareil
idéologique de l’État453. Il se caractérise par la prédominance du groupe
communautaire du défunt Maréchal, et s’impose comme un paradigme de la
gouvernance démocratique et sécuritaire.
En effet, dans la plupart des institutions ou des corps qui participent de
cette gouvernance, les Zagawa, groupes communautaires dont est originaire
le feu, président Idriss Déby Itno, sont présents en surnombre. On assiste à la
mise en place d’un système gouvernemental fondé sur une armée
majoritairement constituée d’un groupe communautaire, de mercenaires dont
la discipline et le professionnalisme ne sont pas les préoccupations majeures.
Toutefois pour la France, « patrie des droits de l’Homme et des libertés », la
tenue d’élections satisfaisant à ces critères suffit pour décerner un brevet de
démocratie, dans la mesure où, afin de pallier à leur insuffisante légitimité,
ces dirigeants mis au pouvoir par son entremêle contribuent à la mesure de la
défense de ses intérêts, et à la matérialisation de son projet géopolitique. De
tels agissements concourent à promouvoir la culture de l’homme fort au
détriment d’institutions fortes. En guise d’illustration qu’offre fort opportu-
nément le Tchad : le Conseil militaire de transition (CMT) qui s’est mis
aussitôt en place après le décès du chef de guerre, le feu Maréchal Idriss Déby
Itno.
Depuis 1990, la tendance dans de nombreux pays africains est l’enferme-
ment des responsables politiques au pouvoir avec leur premier cercle familial,
soutenus par les autorités républicaines et politiques françaises. Ils gèrent leur
« Afrique de jour » comme une « démocratie Potemkine » en maîtrisant tout

451 J.-M., Atangana Mebara, Le Secrétaire général de la présidence de la République au


Cameroun. Entre mythes, textes et réalités, Paris, Éditions L’Harmattan, 2016, p. 147.
452 Ibid.
453 Okala Ebodé, Joseph Thierry, « Tchad : permanence de l’instabilité, la gouvernance

démocratique et sécuritaire en question », Sens Politique, 1er trimestre 2021, pp. 40-41.

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le processus électoral pour échapper à toute alternance démocratique454. La


réalité du pouvoir et les décisions se prennent dans l’oralité du groupe
communautaire. C’est l’« Afrique de nuit ». Les successions dynastiques ont
ainsi pris un coup de jeune sur le continent dès le début du XXIe siècle.
Comme illustrations, le 17 janvier 2001, Joseph-Désiré Kabila est adoubé par
la « Communauté internationale » pour devenir président de la République
démocratique du Congo (RDC) après l’assassinat de son père, le feu président
Laurent-Désiré Kabila. « Inquiétées » par le vide politique de ce pays-
continent de quatre-vingts millions d’habitants, les puissances tutélaires du
pays (Belgique, États-Unis, France) jettent ainsi leur dévolu sur « monsieur
fils » avec cet argumentaire, toujours exprimé à l’époque aux journalistes en
« off » : « on est en Afrique : la famille, ça compte. La nomination de Joseph-
Désiré Kabila, dont le père vient d’être assassiné, ne sera pas contestée455 ».
Autre famille au pouvoir, ce depuis les indépendances, est celle des Bongo
du Gabon. Le 8 juin 2009, le chef d’État Omar Bongo décède dans une
clinique de Barcelone, après avoir passé quarante-deux ans à la tête de la
République gabonaise. Son fils, Ali Bongo, ministre de la Défense depuis dix
ans, lui succède après une élection contestée. En 2016, le nouveau président
est réélu face au chef de l’opposition, Jean Ping, qui affirme qu’il est le vrai
vainqueur de ce suffrage. Ancien baron du régime d’Omar Bongo et ancien
président de la Commission de l’Union africaine (UA), Jean Ping a été le
compagnon de Pascaline Bongo, avec laquelle il a eu deux enfants. Sœur d’Ali
Bongo, Pascaline Bongo a longtemps été au cœur du dispositif financier de
l’État, en tant que directrice du cabinet de son père-président, Omar Bongo456.
Parallèlement, toujours en Afrique centrale, d’autres « fils de chef » se
préparent. Soutenu par sa mère, l’influente Constancia, Teodoro Nguema
Obiang Mangue, surnommé « Teodorín », est en pôle position pour succéder
en Guinée équatoriale au chef d’État Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. Déjà
vice-président, Teodorín a présidé en novembre 2008 son premier conseil des
ministres à la place de son père. Pour accéder au pouvoir, la Première dame
s’emploie à marginaliser son demi-frère, Gabriel Mbega Obiang Lima,
ministre des Mines et des Hydrocarbures, estimé des milieux d’affaires
internationaux457. En République du Congo, le président Denis Sassou
Nguesso a, quant à lui, écarté depuis longtemps ses compagnons de route
(Pierre Oba, Rodolphe Adada), qui l’ont aidé à revenir au pouvoir en 1997, au
profit de ses enfants Denis Christel Sassou Nguesso, patron de la filière

454 Glaser, Antoine, Op. cit.


455 De Gaudusson, Jean du Bois, « Le mimétisme postcolonial, et après ? », Pouvoirs, N° 129,
2009, p. 47.
456 Ibid.
457 De Gaudusson, Jean du Bois, « La démocratie en Afrique à la recherche d’un modèle »,

Pouvoirs, N° 129, 2009, pp. 65-76.

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pétrolière, et Claudia, ainsi que de ses neveux, en particulier Jean-Dominique


Okemba, dit « JDO », le patron des services secrets458.
En Angola, c’est un compagnon de route du « chef » qui a implosé « la
famille aux affaires » de celui qui l’avait coopté au pouvoir. À la surprise de
plus d’un observateur, le nouveau président de la République d’Angola, João
Lourenço, un apparatchik du mouvement populaire de libération de l’Angola
qui a accédé au pouvoir en septembre 2017, a ainsi mis à l’écart toute la
structure patrimoniale de la famille de président d’alors, son Excellence Dos
Santos. Il a limogé de la présidence de la société pétrolière Sonangol la fille
de l’ancien chef d’État, Isabel Dos Santos, et de celle du Fonds souverain
angolais son fils, José Filomeno Dos Santos. Ce dernier a même été placé en
détention provisoire pour corruption. Au-delà des tendances dynastiques et
des enfermements familiaux, les avancées démocratiques qui ne reposent que
sur des rendez-vous électoraux, sans contre-pouvoir, n’ont pas gommé les
rivalités communautaires, instrumentalisées par les stratèges français pour la
préservation des intérêts de la « Mère Patrie ». Entre autres, ces échéances
électorales sont autant instrumentalisées par les pouvoirs en place que par des
leaders de l’opposition, incapables de s’entendre sur une candidature unique,
pourtant décisive dans des élections présidentielles à un seul tour. Plus les
systèmes politiques sont verrouillés, sans avenir pour les nouvelles
générations, plus les replis identitaires sont la norme459.
Nombreux sont les projets d’émergence que les pays de la région centrale
de l’Afrique ont adoptés, avec pour ambitions la transformation globale des
structures économiques et l’amélioration significative des conditions
d’existence des populations. Il s’agit de : « Vision 2020 » pour la Guinée
équatoriale ; « Vision 2025 » pour le Gabon, le Congo ou encore
« Vision 2035 » pour le Cameroun et le Tchad. Après une imprégnation
desdites visions, le constat d’une implémentation majoritaire sur l’aide
extérieure, pour lesdits projets de développement, se dégage. Cette situation
trouve une explication dans l’extraversion460 et l’absence de souveraineté461
qui caractérisent lesdits pays. Les indépendances juridiques n’ont pas entraîné
leur émancipation462 politique et stratégique comme le démontre l’importante
458 Bayart, Jean-François, « La démocratie à l’épreuve de la tradition en Afrique
subsaharienne », Pouvoirs, N° 129, 2009, p. 30.
459 Ibid.
460 L’extraversion des États africains renvoie à leur incapacité à maitriser ou contrôler, même

de façon relative leur destin et plus particulièrement leur destin politique et stratégique vis-à-
vis de leurs alliés. Fogue Tedom, Alain, Op. cit., p. 15.
461 La souveraineté peut être définie comme la capacité d’un État a réalisé son unité politique

et qu’il soit émancipé politiquement et stratégiquement. C’est dans cette indépendance que se
trouve sa libre prise de décision pour organiser un État-Nation fondé sur une défense, des
affaires étrangères et une diplomatie, une culture propre, une monnaie, etc.
462 L’émancipation doit être comprise comme la possibilité pour les États africains d’ajouter à

leur indépendance juridique, un contenu politique, stratégique, économique, diplomatique,


sécuritaire, etc. qui seul peut leur permettre d’espérer mener une existence souveraine sur la

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marge de manœuvre qu’ils concèdent à leurs partenaires étrangers dans la


définition, voire la mise en application de leur politique aussi bien intérieure
qu’extérieure. L’objectif de la politique africaine de la France, dans le
contexte de la décolonisation, était en effet double : faire des anciennes
colonies françaises d’Afrique des États autonomes, gérant leurs « affaires
intérieures », tout en les maintenant dans l’orbite de la France, qui se charge
de la supervision des « affaires communes ». C’est Paris qui répartit alors les
compétences : la France, qui fournira l’essentiel des financements et de
l’expertise, attend en contrepartie des États africains qu’ils mettent à
disposition leurs soldats, leurs ressources naturelles, leurs infrastructures
stratégiques (ports, routes, aéroports, ponts, barrages, etc.)463. Aussi, sa
traduction dans la signature avec un nombre indéterminé d’États africains de
« clauses secrètes » aux accords militaires (en réalité des conventions ou des
accords spéciaux complémentaires) permet à la France d’intervenir dans le
pays partenaire pour participer au « maintien de l’ordre » intérieur464.
Cette « assistance française » aux chefs d’État d’Afrique centrale sera
renforcée avec le président Paul Biya465. Dans le but de conserver le pouvoir
politique, dont quarante-six (46) années passées comme haut responsable
étatique (sept ans en tant que Premier ministre et trente-neuf ans comme
président de la République), le chef d’État, son Excellence Paul Biya âgée de
89 ans, qui a été réélu le 7 octobre 2018 pour un septième mandat à la tête de
la République du Cameroun, reçoit le soutien et l’aide de conseillers français,
formels ou informels, constituant son proche entourage, à l’exemple de
Patricia Balme, conseillère en stratégie et communication, et de Stéphane
Fouks, expert en communication. Patricia Balme reconnait participer au
succès des actions du président Paul Biya466 et s’occuper de l’amélioration de
l’image camerounaise à l’extérieur depuis 1999467. C’est elle qui a préparé la

scène internationale dans laquelle seuls leurs peuples, constitués en un corps politique, et leur
Nation déterminent leurs actions. Fogue Tedom, Alain, « De la problématique du financement
de l’Union Africaine (UA) à l’évaluation du désir de puissance de l’Afrique », Dialectique des
intelligences, N° 004/2017, p. 7.
463 Deltombe, Thomas, « La souveraineté minée par la coopération : quand la France verrouille

les indépendances africaines », in Borrel, Thomas, Boukari-Yabara, Amzat, Collombat, Benoît


et Deltombe, Thomas (dir.), Op. cit., p. 404.
464 Ibid., p. 417.
465 Cette idée est soutenue par l’ancien président français Jacques Chirac qui, le 24 février 1990

sur RFI, encore maire de Paris à l’époque, affirmait que : « le multipartisme est un luxe superflu
pour les jeunes pays en voie de développement comme les pays africains ; le parti unique leur
convient mieux », in Kamto, Maurice, L’urgence de la pensée : réflexion sur une précondition
du développement en Afrique, Yaoundé, 1993, Mandara, p. 23. D’où la confiance, pour
préserver les intérêts français au Cameroun, mise dans le régime politique de Paul Biya.
466 Elle affirme en effet : « j’ai veillé à ce que la communication du président, dans ce pays et

à l’étranger, et son aura soit bien faite et préservée. J’ai amené les professeurs Luc Montagnier
et Robert Gallo au Cameroun. J’ai aidé la première Dame à développer tout ce qu’elle fait
contre la lutte contre le sida ». Repères, No 208 du 2 février 2011, p. 5.
467 Ibid.

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défense du président sur la chaîne télévisée française France 24, lors de la


présidentielle de 2011, et s’est ensuite attaché les services de François Mattei
pour la rédaction du Code Biya468. Stéphane Fouks, quant à lui, a établi le
projet Africa 21 qui a rassemblé l’intelligentsia africaine et européenne, du 17
au 19 mai 2010. Il a ensuite, le 3 décembre 2010, suivi les conclusions de
ladite conférence469.
On peut ainsi, à travers ces conseillers faisant partie de l’entourage
présidentiel, démontrer la possibilité pour les autorités françaises d’anticiper
sur les décisions et les agissements des responsables politiques camerounais.
Cette possibilité d’influence peut être démontrée au travers des relations
amicales qu’entretiennent des responsables politiques camerounais et
français. Tel est le cas de l’ancien SGPR du Cameroun, ancien ministre d’État,
Marafa Hamidou Yaya, avec des autorités françaises. Avant son incarcération,
« l’homme des Français470 » a eu de bons rapports avec des personnalités
d’horizons variés (homme d’affaires, anciens ministres et ancien président de
la République) comme : Vincent Bolloré, Charles Pasqua, Claude Guéant en
passant par Nicolas Sarkozy471. Cette influence française s’observe, aussi, par
les positions qu’occupent certains agents français dans les institutions
républicaines en Afrique centrale. Comme illustration, Atangana Mebara
Jean-Marie, aussi ancien SGPR, affirme que durant le temps qu’il occupait ce
poste : « il y avait même au Secrétariat général, un conseiller technique
français, un ancien de la Banque de France. Il adressait ses notes
(directement) au chef de l’État, et m’en faisait (ensuite) tenir copie472 ». À
partir des postes de responsabilités qu’ils ont occupés, surtout celui de SGPR,
et de leur mise à l’écart durant le processus prise de décision sur des
préoccupations/questions et des dossiers d’intérêts stratégiques, l’on peut
conclure que la France exerçait, et exerce encore, une forte influence dans les
décisions politiques camerounaises473. L’influence de la France se ressent
aussi dans les règlements juridiques avec l’aide de juristes français pour leur

468 Ibid.
469 Ibid.
470 Pour plus de développements, lire à ce sujet Jeune Afrique, No 2670, mars 2012, pp. 32-33.
471 Ibid.
472 Atangana Mebara, Jean-Marie, Op. cit., p. 160. NB : si tous les propos sont bien de lui, leur

agencement est de l’auteur.


473 Dans sa première lettre ouverte, publiée dans Le Jour, Marafa Hamidou Yaya fait part de

son ancienneté aux postes de responsabilités que lui avait confiés le président Paul Biya : « J’ai
été votre collaborateur pendant dix-sept (17) années sans discontinuité. D’abord comme
conseiller spécial, ensuite comme secrétaire général de la Présidence de la République et,
enfin, comme ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation pendant près
d’une décennie ». Aussi, de la confiance que lui a accordée le Chef de l’État en lui remettant le
pouvoir de nomination, et la confidence de sa non-connaissance de la majorité de ministres :
« Monsieur le Ministre d’État, vous êtes combien de ministres dans ce gouvernement ? Peut-
être dix (10) ou quinze (15) tout au plus. Le reste, ce sont des fonctionnaires à qui j’ai donné
le titre ». Voir, Le Jour No 1179 du 02 mai 2012.

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établissement. L’exemple le plus récent est l’apport du constitutionnaliste Guy


Carcassonne dans la modification constitutionnelle, du 14 avril 2008, qui a
permis d’abroger l’article sur la limitation des mandats présidentiels474.
Les héritages coloniaux sont nécessaires pour comprendre la diplomatie
camerounaise475. L’extraversion diplomatique camerounaise est palpable et, à
travers les accords signés, le Cameroun fait montre d’un déficit d’autonomie
stratégique et d’une incapacité à maîtriser son destin en faveur de la France.
Les propos d’Yvon Omnes, ancien ambassadeur de France au Cameroun, de
1984 à 1993, viennent affirmer cette idée. Devenu par la suite conseiller du
président Paul Biya476, il va déclarer que toute décision prise au Cameroun
l’est avec le consentement de la France477. Les relations étroites entre le chef
d’État Paul Biya et des diplomates français, ayant été en place à Yaoundé,
semblent confirmer ces allégations. « Le sphinx d’Étoudi », d’après des câbles
du site Wikileaks datant de 2006 et de 2008, aurait expliqué à l’ambassadeur
de cette période, Bruno Gain, les raisons de la suppression de la limitation des
mandats présidentiels en 2008478.
Il reconnaissait l’atmosphère délétère dans lequel se trouvait le pays :
« quelle fierté aurais-je à laisser le Cameroun tel qu’il est aujourd’hui ?479 »
Avant de s’adjuger le rôle ultime d’assainir l’espace politique par l’Opération
Épervier : « c’est à moi de le faire, car il sera impossible pour celui qui me
succèdera de commencer par cela480 ». La confidence présidentielle illustre
un manque d’autonomie. Le chef d’État préfère confier ses intentions à
l’ancienne puissance tutrice qui elle va profiter de la situation pour établir des
stratégies dans le but de préserver ses intérêts et limiter la percée d’autres
puissances dans le pays. La visite de l’ancien ministre des Affaires étrangères

474 Lire à ce sujet La Nouvelle, No 151 du 16 janvier 2012, p. 5.


475 Hugon, Philippe, Géopolitique de l’Afrique, Éditions Sedes, 2007, p. 49.
476 Pigeaud, Fanny, Au Cameroun de Paul Biya, p. 237.
477 Un incident survenu entre Yaoundé et Paris quelque temps après l’accession du Cameroun

illustre assez bien cette idée. Après avoir constaté que les autorités françaises lui envoyaient
d’une manière anarchique et à une cadence anormale du personnel de l’assistance technique au
titre de la coopération, le Cameroun entreprend une démarche auprès de l’ancienne métropole
visant à rationaliser ce type d’aide de développement. Les responsables camerounais redoutent
que la France n’utilise la coopération pour résorber le chômage de ses anciens cadres de
l’administration coloniale, voire garder le contrôle sur le jeune État et proposent au ministère
français de la Coopération un plan visant à encourager la camerounisation des postes de
l’administration camerounaise sur une période de dix ans. Mais il est rejeté par la France qui
demande au Cameroun de choisir entre la « confiance » et « la rupture ». Cet incident suscite
chez Christian Tobie Kuoh, SGPR entre 1960 et 1964 et initiateur du projet ainsi enterré ce
commentaire désabusé : « ce n’est assurément pas l’exemple d’une politique d’assistance digne
de ce nom, qui ne devrait point se départir de certaines règles et, parmi elles, celles-ci : (…)
acceptation sincère de l’indépendance du partenaire (…) ». Fogue Tedom, Alain, Op. cit.,
p. 61.
478 Consulter à ce sujet Jeune Afrique, No 2647 du 2 au 8 octobre 2011, p. 24.
479 Ibid., p. 25.
480 Ibid., p. 24.

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français au Cameroun, Laurent Fabius, va dans cette logique. Pour rappel, le


19 février 2013 dans la localité de Dabanga, la famille Tangui Moulin-
Fournier faisait l’objet d’un rapt. Accompagné de proches collaborateurs,
Laurent Fabius sera reçu par le président Paul Biya et cette rencontre se
soldera, les jours suivants, par la libération desdits otages481. Cette situation
illustre l’influence qu’a la France dans la détermination et même l’orientation
des dossiers diplomatiques camerounais. Comme corollaire, il se remarque sur
une subordination de responsables étatiques « centrafricains » aux objectifs
français lors du processus de prise de décisions internationales. En effet,
l’ancien SGPR camerounais Atangana Mebara Jean-Marie confie que lors de
la XXIIe Conférence France-Afrique, réunie à Paris en février 2003, la
« Déclaration sur l’Irak » des chefs d’État de France et d’Afrique, annoncée
avoir été adoptée à l’unanimité, a plutôt surpris le président rwandais Paul
Kagamé qui, interloqué, affirma : « personne ne m’a demandé mon avis. Nous
n’en avons même pas discuté482 ». Ces agissements permettent à la France,
dans la lutte inégale qui l’oppose aux autres puissances étrangères, d’avoir une
certaine avance par un processus d’assimilation des responsables politiques
d’Afrique centrale483.
Il en va de même pour l’argent du pétrole dans ce processus d’assimilation.
Entendu le 15 novembre 2019 dans le cadre de l’affaire des biens mal acquis,
l’ancien Président directeur général (PDG) de l’ancienne compagnie
pétrolière Elf, Loïk Le Floch-Prigent, confirme que les commissions occultes
du pétrole qui alimentent la corruption politique « continuent d’exister » de
manière « encore plus opaque » dans les anciennes occupations françaises en
Afrique. Comme l’expliquent Xavier Harel et Thomas Hofnung, ce système
comporte « trois étages » : les « bonus », les « abonnements » et les « préfinan-
cements ». Les « bonus » (ou « frais de préreconnaissance ») correspondent
aux sommes versées par l’ancienne compagnie pétrolière pour décrocher un
permis d’exploration-production484. Un « ticket d’entrée », dont une partie ne
figure pas dans la comptabilité officielle des pays concernés, reconnaît Le
Floch-Prigent. Avec, à la clé, des montants financiers : 1,2 milliard de francs
(183 millions d’euros) par an en moyenne de 1991 à 1993485. Deuxième étage
de la corruption : les « abonnements ». Le principe est le suivant : une
commission prélevée sur chaque baril exporté atterrit ensuite sur les comptes
bancaires des chefs d’État africains dans des paradis fiscaux, notamment au

481 Pour plus de développements, lire Cameroon Tribune, No10303/6504 du lundi 18 mars 2013,

p. 2.
482 Atangana Mebara, Jean-Marie, Op. cit., p. 194.
483 . Fogue Tedom, Alain, Op. cit., p. 292.
484 Collombat, Benoît, « La République des mallettes », in Borrel, Thomas, Boukari-Yabara,

Amzat, Collombat, Benoît et Deltombe, Thomas (dir.), Op. cit., pp. 797-812.
485 Collombat, Benoît et Borrel, Thomas, « Corruption et influence occulte : le triomphe du

système Elf », in Borrel, Thomas, Boukari-Yabara, Amzat, Collombat, Benoît et Deltombe,


Thomas (dir.), Op. cit., pp. 819-834.

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Liechtenstein. L’homme chargé de cette comptabilité occulte, Claude


Gosselin, explique que ces abonnements versés au Gabon, à l’Angola, au
Nigéria, au Congo et au Cameroun ont atteint une soixantaine de millions de
dollars par an dans les années 1980. Une « solution de longue date », dit-il, qui
a donné « entière satisfaction aux bénéficiaires par son opacité et ses
secrets486 ».
Dans des courriers dévoilés en 2009, on constate que, en 1987 et 1991,
l’ancien président gabonais Omar Bongo a lui-même fixé le montant de
l’abonnement pour Elf-Gabon (un dollar par baril) qui lui est ensuite reversé.
« Nous vous confirmons que les montants qu’il convient de prélever pour les
frais commerciaux sont d’environ 10 millions de dollars par trimestre », écrit
l’ancien président gabonais à l’ex-PDG d’Elf, Philippe Jaffré, le 13 décembre
1996. Troisième technique utilisée : les « préfinancements ». Il s’agit cette fois
d’avance de trésorerie consentie par Elf aux États producteurs de pétrole (pour
la paie des fonctionnaires, par exemple) contre une garantie en futurs barils de
brut. Architecte du système en tant qu’adjoint à la direction financière d’Elf,
Jack Sigolet explique que le mécanisme « était conçu de telle sorte que les
[dirigeants] africains ne connaissaient que la banque officiellement prêteuse
et ignoraient tout le système, rendu particulièrement et volontairement
opaque487 ». Au total, l’ensemble de ces réseaux corruptifs ont autant servi les
intérêts d’Elf, et entre autres la France, qu’ils ont enrichi des autorités
africaines. Un jugement de décembre 2007 portant sur un litige financier entre
l’ancien chef d’État gabonais Omar Bongo et l’ancien PDG d’Elf André
Tarallo indique que « des sommes d’un montant total d’au moins 120 millions
de dollars pour la période 1990-1993 ont été détournées par ces seuls circuits
financiers488 ».
Au-delà d’une machine à corrompre les élites françaises et africaines,
l’ancienne compagnie Elf était également un instrument destiné à maintenir
l’« ordre » et la « stabilité » dans les pays du pré carré (et au-delà), y compris
en alimentant les conflits. Dans des régimes politiques d’Afrique centrale
comme au Gabon, au Congo-Brazzaville ou au Cameroun, Elf s’arrangeait à
financer une opposition fantoche. « Omar Bongo considérait qu’il fallait
toujours qu’il existe une opposition formelle et cette opposition devait être
incarnée par des personnes qu’il adoubait. Ces personnes étaient prises parmi
les effectifs d’Elf-Gabon, qui les rémunérait », explique Loïk Le Floch-Prigent
le 15 novembre 2019 dans le cadre de l’affaire des biens mal acquis489. Au
Cameroun, lorsque le chef d’État Paul Biya se trouva en difficulté face à la
popularité de son opposant John Fru Ndi en 1992, la compagnie pétrolière
vola à son secours. « Il avait besoin de 45 millions de dollars pour sa

486 Ibid.
487 Ibid.
488 Ibid.
489 Ibid.

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campagne », explique Alfred Sirven, ex-PDG de la structure, en août 2008.


Elf consentit immédiatement un prêt à la Société nationale des hydrocarbures
(SNH) du Cameroun, gagé sur la production future du pays, pour soutenir
« son candidat490 ». Ainsi, après le décès de l’ancien président Ahmadou
Ahidjo, qui pensait rester à la tête du parti unique et ainsi continuer à tenir le
pays, le président Paul Biya a développé un mélange d’autoritarisme et de
clientélisme, perfectionnant les outils qui vont lui permettre de rester quatre
décennies au pouvoir : corruption, harcèlement policier et judiciaire de
l’opposition, musellement de la presse, fraudes électorales systématiques,
avec le soutien de la France.
La plupart des responsables politiques et les chefs d’entreprise français
prétendent « aimer l’Afrique ». L’actuel président de la République
Emmanuel Macron déclarait-il à cet effet, dans les colonnes de Jeune Afrique
en novembre 2020, qu’« entre la France et l’Afrique, ce doit être une histoire
d’amour491 ». Cette amitié familiale est à nouveau invoquée au moment du
décès du maréchal Idriss Déby, en avril 2021. « J’emporte le souvenir d’un
ami », déclara le président Macron, qui se rendit en personne à Ndjamena pour
les obsèques du président tchadien et pour adouber son fils, le général
Mahamat Déby Itno, et ce bien que cette succession dynastique viole
ouvertement les dispositions constitutionnelles tchadiennes. « La France ne
laissera jamais personne remettre en cause, et ne laissera jamais personne
menacer, la stabilité et l’intégrité du Tchad » justifiait le président français
devant un parterre de militaires tchadiens en treillis. De ce fait, bien que le
CMT au Tchad ait pour but la construction et la consolidation d’institutions
républicaines efficaces qui définissent les devoirs du citoyen, protègent ses
droits et libertés inscrits dans un corpus juridique légalisé par les populations,
mais aussi les ressources commerciales, économiques, culturelles et
naturelles, cet objectif reste un vœu pieux dans la mesure où il ne dispose
d’aucune autonomie stratégique et est soumis à la satisfaction des enjeux de
puissance française. Cette mission reste octroyée au pouvoir politique français
qui forme une garde rapprochée d’experts, venus à la fois de l’administration
et des cabinets privés, chargés d’aider le président de la République à cerner
les grandes questions qui touchent l’Afrique492, d’où la présence d’Emmanuel
Macron à Ndjamena le 21 avril 2021 aux côtés du « pays ami » éploré, après
le décès de l’ancien président Idriss Déby Itno, pour le lui rappeler. La face
occulte de la Françafrique a ainsi fini par masquer sa face visible et officielle :
les connexions militaires, le système monétaire, les dispositifs de coopération,
le Soft power linguistique, sans oublier le paternalisme latent, voire le racisme

490 Ibid.
491 Borrel, Thomas, Boukari-Yabara, Amzat, Collombat, Benoît et Deltombe, Thomas (dir.),
Op. cit., pp. 24-25.
492 Piot, Olivier, « La fin du précarré », Le Monde diplomatique. Manière de voir, NO 165,

bimestriel juin-juillet 2019, pp. 10-11.

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assumé, qui irrigue l’ensemble. La contre-stratégie française s’apprécie aussi


dans les cadres socioculturels et économico-militaires.

B- Les vecteurs socioculturels et économico-militaires de la contre-


stratégie française
La France fait usage, pour limiter l’influence d’autres acteurs en Afrique
centrale, tant du Hard power que du Soft power. Les anciennes colonies
d’Afrique y sont un tremplin pour le rayonnement international. Aussi met-
elle en application la politique d’assimilation théorisée par Arthur Girault
entre 1890 et 1930. Pour les stratèges français, la France doit interdire à
l’assimilé africain, dit « évolué », le patriotisme local et lui inoculer l’amour
de la patrie commune, le culte de l’empire493, car la France doit « trouver la
force d’un nouvel élan494 » pour occuper une place dans le monde, et cela
commence par la langue. En effet, selon Edgar Morin : « le langage est la
plaque tournante essentielle du biologique, de l’humain, du culturel, du
social495 ». Cette politique est appliquée dans la majorité des pays d’Afrique
centrale, et au Cameroun après sa mise sous mandat à la fin de la Première
Guerre mondiale496. Composé d’une diversité de groupes communautaires
(plus de 250) et de langues locales chiffrées à 270 environ, il était impératif
pour la France d’assimiler les consciences en imposant le français comme
langue officielle de l’État. Il s’en est suivi une implication politique de
groupes communautaires dans l’élaboration de la politique étatique. Cette
politique eut pour corollaire la distribution inégale de compétences entre les
groupes communautaires, par l’assomption de certaines au détriment des
autres, tenant non pas à une supériorité intrinsèque, non pas à une inégalité
d’essence, mais plutôt aux constructions symboliques, à l’imposition de la
marque faite par la France497. Tel en est aussi le cas au Tchad, avec le groupe
communautaire Zagawa, dont est issu Mahamat Idriss Déby Itno, qui occupe
d’importants postes dans la structuration politique et économique. La
politique d’assimilation appliquée pendant la colonisation présente encore
certaines répercussions aujourd’hui. En effet, les responsables politiques au
pouvoir instrumentalisent la fibre communautaire498, par la politique

493 Fogue Tedom, Alain, Op. cit., p. 181.


494 Pour plus de développements, consulter à ce sujet Avis N° 152 (2012-2013) de M. Louis
Duvernois, sénateur, fait au nom de la Commission de la culture, de l’éducation et de la
communication du Sénat français, déposé le 22 novembre 2012, relatif au projet de loi de
finances 2013 : action extérieure de l’État.
495 Gazeau-Secret, Anne, « Soft power » : l’influence par la langue et la culture », Revue

internationale et stratégique, N° 89, 2013/1, pp. 103-110.


496 Selon l’Article 1 alinéa 3 de la loi No 96/06 du 18 janvier portant révision de la constitution

du 02 juin 1972, modifiée et complétée par la loi No 2008/001 du 14 avril 2008, le français et
l’anglais constituent les langues officielles.
497 Sindjoun, Luc, L’État ailleurs, entre noyau dur et case vide, Éditions Économica, 2002,

p. 198.
498 Pigeaud, Fanny, Op. cit., p. 130.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

d’équilibre régional499 pour servir les intérêts de la France qui y trouve profit,
et les leurs.
La loi No 2004/017 de juillet 2004, relative à l’orientation de la décen-
tralisation au Cameroun et des modalités de coopération avec d’autres
collectivités étrangères, fixées par le décret No 2011/1116/PM du 26 avril
2011, en est une illustration. Ces lois sont copiées sur celles de la France où
la décentralisation, présentée comme restrictive, accorde la qualité et le statut
d’acteur de la coopération décentralisée uniquement aux collectivités territo-
riales décentralisées. Elle donne l’opportunité au gouvernement français
d’avoir une maîtrise des démographies nationale, régionale et locale.
L’influence de la France en Afrique centrale, dans l’aspect culturel, est
considérable dans le système éducatif et communicationnel. L’histoire du
Cameroun faisant allusion aux indépendantistes tels Ruben Um Nyobe, Félix-
Roland Moumie et Ernest Ouandie, s’étant opposés à la présence française,
est inconnue de la jeunesse camerounaise parce qu’elle est sciemment écartée
des programmes et manuels scolaires. Les seules personnalités présentes sont
celles qui ont fait allégeance à l’ancienne puissance tutrice500. L’école, dans la
région Afrique centrale, tend à être plus un lieu de gardiennage social, où sont
véhiculés des savoirs mémorisés faisant la part belle aux personnalités de la
France, qu’un lieu d’acquisition de savoir501. L’université, quant à elle,
conduit parfois uniquement à une accumulation de titres permettant d’espérer,
de manière généralement illusoire, à des postes relativement rémunérateurs
qu’à des savoirs analytiques et pratiques favorisant des qualifications502. Dès
lors, la plupart des écoles et universités des États de ladite région, bien que
mettant l’accent sur l’enseignement des compétences, sont marginalement
prises en compte lorsqu’il s’agit d’octroyer des projets de développement. En
effet, les gouvernements font, la plupart du temps, appel à l’expertise
extérieure, majoritairement française, au détriment de leur économie
respective.
À la différence du Soft power, qui décrit un état de fait, la diplomatie
publique (appelée diplomatie d’influence en France et au Québec) est la
construction volontariste d’une médiation par une autorité politique. Elle
consiste pour une autorité politique (le plus souvent État, comme nous venons
de le voir) à demander à ses agents de réduire l’écart, ou l’éloignement, avec
une autre autorité politique (le plus souvent un autre État). La diplomatie
publique a toutefois ceci de spécifique que l’acte de médiation ne vise pas
seulement les représentants de l’autre entité politique, mais la société dans son

499 Ibid., p. 122.


500 Georgy, Guy, Le petit soldat de l’Empire, Paris, Éditions J’ai lu, pp. 47-51.
501 Hugon, Philippe, Op. cit., p. 179.
502 Ibid.

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ensemble503. Le principal interlocuteur du diplomate public n’est pas le


diplomate de l’autre État, mais l’ensemble des acteurs composant la société.
En France, la diplomatie publique est le fruit d’une longue tradition. Elle n’est
pas apparue récemment. Le réseau d’influence du pays existe depuis plus d’un
siècle au moins. Néanmoins, depuis les années 1990, l’on fait plus allusion
d’une influential power504. La diplomatie publique française reflète les
objectifs de politique étrangère. En Afrique centrale, elle prend la forme d’un
certain néocolonialisme, dans la mesure où la France s’efforce d’avoir une
certaine influence sur les anciens pays colonisés. Les médias français, Le
Monde, Le Figaro, L’Express, Libération et Jeune Afrique bénéficient des
subventions des régimes politiques dans le but de veiller et d’assurer le
rayonnement des présidents des différents pays505, au détriment des médias
locaux. Comme conséquence, il se constate un abandon par l’opinion locale
des médias d’information nationaux. Ceci est d’autant plus facile lorsque,
dans les anciens pays colonisés, la langue de l’ancien pays colonisateur est
parlée par une grande partie de la population506. Le « quatrième pouvoir », en
Afrique centrale, est ainsi extraverti au profit de la France.
L’investissement culturel dans les médias par le gouvernement français, de
300 millions d’euros par an depuis 2013 (plus de 25 % du budget du ministère
des Affaires étrangères), s’est accompagné de la création de RFI (1975), de la
chaîne francophone TV5 (1985), de celles d’Euronews (1993) et, surtout, de
France 24 (2006). Cette dernière dispose aujourd’hui d’une triple diffusion en
français, anglais et arabe auprès de 124 millions de foyers507. La plupart de
ces médias d’information, qu’ils soient radiophoniques ou télévisés, sont
aujourd’hui écoutés par les populations d’Afrique centrale. En Afrique
centrale comme en Afrique de l’Ouest par exemple, l’audience de France 24
est élevée et la chaîne dispose d’une audience conséquente, alors qu’en France
cette chaîne est peu regardée. L’ancienne puissance colonisatrice conserve
une influence sur les anciens pays colonisés, ainsi qu’une relation
privilégiée508. Cela se fait à travers la télévision, les médias sociaux, les
centres culturels et de recherches, mais aussi par l’implantation des lycées
français ouverts aux enfants des élites locales, comme au Cameroun, au Tchad
ou encore au Gabon. Ainsi, dans le combat inégal qui l’oppose aux pays

503 Lequesne, Christian et Roney, Elena, « Comment développer la puissance par l’image ?
Entretien avec Christian Lequesne », Diploweb.com : la revue géopolitique, 21 novembre 2021,
7 p.
504 Selon Laurent Fabius, ancien ministre des Affaires étrangères en France, l’influential power

suppose d’inclure la diplomatie économique dans un effort général piloté par l’État, ses
ambassades, ses institutions et ses fonctionnaires.
505 Pigeaud, Fanny, Op. cit., pp.174-177.
506 Lequesne, Christian et Roney, Elena, Op. cit.
507 Chaubet, François, « Rôle et enjeux de l’influence culturelle dans les relations

internationales », Revue internationale et stratégique, N° 89, 2013/1, pp. 93-101.


508 Lequesne, Christian et Roney, Elena, Op. cit.

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étrangers, ces moyens culturels permettent à la France de faire pencher, par


un processus d’assimilation, les consciences populaires en sa faveur. La
politique d’immigration choisie, instaurée par l’ancien gouvernement de
Nicolas Sarkozy, est aussi un pan de cette stratégie culturelle française en
Afrique centrale. Toutes ces initiatives, tant communicationnelles (RFI,
France 24) que culturelles (Immigration choisie), sont des réponses aux
stratégies des États-Unis pour mettre les pays de la région, spécifiquement le
Cameroun, sous son giron stratégique (CNN, ABC, NBC, BBC et la loterie
américaine qui permettent, chaque année, aux ressortissants d’Afrique
centrale de pouvoir vivre aux États-Unis).
L’instrumentalisation de la religion par la France est un autre pan de cette
stratégie culturelle. Dans un contexte de globalisation, l’État-nation perd de
sa prééminence. Il n’exerce plus un contrôle sur le « désir d’être » des
populations africaines509. Aussi, bien qu’il existe une distinction entre la
societas humana510 et la societas Christiana511, la France influence les
mentalités sur des débats d’actualité au travers de certaines hautes autorités
religieuses qui sont favorables à l’expression de certains agissements512. En
effet, les religions produisent un discours, des images, des narrations, un socle
mythique qui permettent de répondre plus adéquatement à la fois aux objectifs
de l’Élysée en Afrique centrale et au nouveau désir des populations africaines
d’être, de se démarquer et d’agir sur l’espace mondial513. Le véritable contrôle
est alors, pour les autorités françaises, celui des consciences et de
l’inconscient, de l’imaginaire, des désirs, des âmes, pour s’exprimer de façon
religieuse, avant d’être celui des corps. Le religieux n’est rien d’autre ici que
l’ensemble des récits qui leur permet de raconter, et donc de légitimer, la
préservation de leurs privilèges socioculturels par le biais de certains prélats.
Pour exemple, le militantisme de l’ancien prélat de l’Archidiocèse de
Yaoundé, Monseigneur Jean Zoa, favorable au parti unique de l’époque UNC,
avait conduit ce dernier à s’opposer au multipartisme suggéré par les
partenaires au développement en mars 1990514, rappelant le discours prononcé

509 Liogier, Raphaël, « Existe-t-il un “soft power” religieux ? », Revue internationale et
stratégique, N° 89, 2013/1, pp. 137-145.
510 La notion de societas humana désigne une communauté humaine régie par des lois et des

coutumes qui lui sont propres, attachée à un roi qui légifère en son nom. Elle se présente plus
aujourd’hui son sur l’aspect d’État-nation.
511 La notion de societas Christiana quant à elle désigne une communauté de croyants réunis

par la foi et dont la tête est le pape.


512 C’est le cas de l’homosexualité, sujet d’actualité au Cameroun, où la position du feu cardinal

émérite Christian Tumi est de permettre à cette minorité de pouvoir vivre sans inquiétude d’être
mis au ban de la société, Jeune Afrique, No 2769 du 2 au 8 février 2014, p. 28.
513 Ibid.
514 Bayart, Jean-François, L’État au Cameroun (2e éd. revue et augmentée), Paris, Éditions

Presses de Sciences Po, 1985, 348 p.

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par le roi Léopold II devant les missionnaires se rendant au Congo en 1883515.


Ainsi, pour aller dans le sens de Charles Pasqua pour qui la démocratie s’arrête
là où la raison d’État commence516, l’État français instrumentalise, quand il le
faut, la religion pour limiter la percée d’autres pays en Afrique centrale, car
pour la France, l’Église s’arrête là où la raison d’État commence.
Les cercles ésotériques ne sont pas en reste. Ils représentent en effet, aux
yeux des chefs d’État d’Afrique et des autorités françaises d’horizons divers,
la garantie d’une « communauté d’intérêts » cimentée symboliquement par les
« frères517 ». Depuis la période coloniale, les réseaux maçonniques français,
partagés entre les trois grandes obédiences que sont la Grande Loge nationale
française (GLNF), la Grande Loge de France (GLF) et le Grand Orient de
France (GODF) constituent des lieux centraux du pouvoir franco-africain : on
y retrouve les élites administratives, économiques et politiques qui tissent au
quotidien les liens d’intérêts entre la France et l’Afrique. Le tout dans le secret
de l’ordre maçonnique, dont ont appris à jouer certains présidents africains
pour consolider leur pouvoir. Ainsi, les anciens/actuels chefs d’État gabonais
Omar Bongo Ondimba (aujourd’hui décédé et succédé par son fils Ali
Mbongo Ondimba), Congolais Sassou Nguesso, tchadien Idriss Déby Itno, et
camerounais Paul Biya (également affilié à la société ésotérique des Rose-
Croix, comme l’explique Jeune Afrique en novembre 2016) font usage de
l’ésotérisme maçon pour mettre en scène le récit de chef d’État détenteur de
« pouvoirs surnaturels », et ainsi renforcer leur pouvoir symbolique sur les
affidés et éventuels opposants518, tout en préservant les intérêts des « frères »
français.
L’influence militaire de la France en Afrique centrale débute dès la
construction de l’État postcolonial. L’armée dans cette région, à cette période
de décolonisation, « n’est qu’un avatar de la conception française de la
sécurité. C’est une coterie basée sur une allégeance clientéliste d’une poignée
d’officiers en compétition mutuelle pour les différents rangs (…), bouillonnant

515 Le roi Léopold II demande aux missionnaires de pratiquer une évangélisation qui s’inspire
de la préservation des intérêts belges dans cette partie du monde. Pour ce, demande avant tout
d’interpréter l’Évangile de façon orientée. Ainsi, les extraits tirés de la Bible comme : « heureux
les pauvres, car le royaume des cieux est à eux », « il est difficile au riche d’entrer au ciel » ou
encore « heureux ceux qui pleurent, car le royaume des cieux est à eux » devraient participer à
ce que les populations restent toujours soumises aux colonialistes blancs. Qu’elles ne se
révoltent jamais contre les injures et injustices que ceux-ci les feront subir. D’aimer la pauvreté
et la pratiquer en vue du salut de son âme. Leur enseigner de tout supporter même si elles sont
injuriées ou battues par leurs compatriotes administratifs blancs, ceci pour les amener à servir
et à mieux protéger les intérêts de la Belgique.
516 Nay, Olivier, Histoire des idées politiques, Éditions Armand Colin, Dalloz, 2004, p.180.
517 Youdji Tchuisseu, Ghislain, « Franc-maçonnerie : le joker de la Françafrique », in Borrel,

Thomas, Boukari-Yabara, Amzat, Collombat, Benoît et Deltombe, Thomas (dir.), Op. cit.,
pp. 775-791.
518 Ibid.

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de plusieurs doléances corporatistes, ethniques et personnelles519 ». Cette


relation militaire entre les États de la région et la France se comprend à travers
l’enjeu de défense d’intérêts français et la vision de la sécurité essentiellement
structurée dans une logique de sphère d’influence520 avec la présence d’une
base militaire au Tchad. Elle se structure par des accords de défense, des
accords secrets de maintien de l’ordre, des accords de coopération et
d’assistance militaire, de l’aide directe en matériels et en personnels
militaires521, comme l’indique le tableau suivant, qui présente les accords
signés entre le Cameroun et la France :

Tableau 2 : Accords et Conventions militaires établis entre le Cameroun et la


France de 1960 à 1974.

Nature de l’Accord ou de la Année de signature


Convention
Accords de défense 1960 et 1981
Convention de soutien logistique 1965
des forces terrestres, aériennes et
de gendarmerie
Accords de Coopération et 1974
d’Assistance Technique et
militaire
Convention sur les règles et 1974
modalités de soutien logistique
aux forces armées
Source : Données recueillies par l’auteur

Les interventions militaires au Cameroun avaient pour seul but de réduire


au silence les indépendantistes camerounais opposés à la présence française.
En effet, d’après le général Pierre Semengue, ancien chef d’état-major
camerounais ayant participé à des opérations de forces armées, dans une
interview accordée en décembre 2007, en signe de dissuasion, les soldats
français coupaient les têtes des rebelles et les exposaient ensuite dans les
villages522. Cette forte présence militaire montre l’importance qu’à la France
de préserver leurs intérêts dans le pays. Aussi, explique-t-elle, aujourd’hui,

519 Kounou, Michel, « Coups d’État, Régimes militaires et Développement démocratique au


Sud du Sahara de 1963 à 2004 : bilan et perspectives », Revue africaine d’études politiques et
stratégiques, No 3, 2003, p. 139.
520 Fogue Tedom, Alain, « Le concept de sécurité dans l’analyse des conflits politiques

africains » Revue africaine d’études politiques et stratégiques, No 3, 2003, p. 178.


521 Kounou, Michel, Op. cit.
522 Voir, Jeune Afrique, No 2749 du 15 au 21 septembre 2013, pp. 21-22.

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leur volonté de contrôler l’appareil militaire. Leur contribution à la dernière


réforme de l’armée camerounaise, entamée en 2001, en est une illustration.
Confiée aux militaires camerounais, et entérinée par le président Paul Biya,
elle s’est concrétisée avec le soutien de conseillers français523. Cette présence
française contribue à limiter l’influence des États-Unis par une assimilation
de l’armée. En effet, la présence de la France dans les institutions de
formation militaire, à l’exemple de l’École Militaire Inter armées (EMIA),
adapte les forces armées locales aux stratégies militaires françaises.
La santé économique d’une nation étant l’aune à laquelle on juge
désormais sa puissance524, en plus d’être un appareil qui travaille au maintien
et à la permanence d’un État et de ses moyens de subsistance, l’armée est
aujourd’hui un outil au service de son rayonnement stratégique et
économique. Comme exemple, avec 9,1 milliards d’euros en 2018, en hausse
de 30 % par rapport à 2017, les ventes à l’étranger de matériels de guerre
français témoignent d’« excellents résultats » du pays dans l’industrie
militaire, selon le rapport annuel du gouvernement au Parlement sur les
exportations d’armement, rendu public le mardi 4 juin 2019525. Entre 2019 et
2020, années de la Covid-19, Florence Parly, actuelle ministre des Armées, a
fait gagner à la France 8,3 milliards et 4,8 milliards dans le monde526. Les
exportations d’armement de 2021 et de 2022 sont d’un montant cumulé de
plus de 30 milliards d’euros, dont 16 milliards pour les 80 Rafales F4 vendus
début décembre 2021527. D’un autre côté, par une capacité de projection, le
corps armé participe à l’extérieur à la réalisation de projets géostratégiques
d’une entité étatique. L’octroi de marchés d’armements et d’équipements
militaires, par les responsables politiques camerounais, permet aussi à la
France de promouvoir son rayonnement économique, d’écouler des armes
obsolètes et de garder son influence militaire en conservant le Cameroun dans
une dépendance stratégique. Au niveau des bénéfices économiques, le
Cameroun, lors de la décennie 1990, était classé septième pays africain en
termes de dépenses militaires annuelles, avec 118,6 millions de dollars, dont
une majorité des profits revenait à l’industrie française d’armement528. La
dépendance du Cameroun vis-à-vis du génie militaire français, quant à elle,
concerne la formation des militaires, leur encadrement, la fourniture
d’armements, d’équipements, l’appui logistique, le soutien financier et l’aide

523 Ibid., p. 23.


524 Lorot, Pascal, « De la géopolitique à la géoéconomie. La géoéconomie, nouvelle grammaire
des rivalités internationales », Géoéconomie, Eté 2009, pp. 9-18.
525 Guibert, Norbert, « D’“excellents résultats” en 2018 pour les ventes d’armement français »,

Le Monde, jeudi 6 juin 2019, p. 4.


526 Cabirol, Michel, « Florence Parly, ou Tyché à l’hôtel de Brienne », Revue Défense

Nationale, 2022/3, N° 848, pp. 56-62.


527 Ibid.
528 Kounou, Michel, Le Panafricanisme : de la crise à la renaissance, Yaoundé, coédition

NENA/Éditions Clé, 2007, p. 364.

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à la maintenance529. Au niveau stratégique, les accords militaires entre la


France et le Cameroun contribuent à la limitation de l’influence des États-Unis
à travers le transfert d’armes, excellent moyen de renforcement d’alliances
entre les deux États français et camerounais. En effet, le transfert d’armes
conforte et développe les activités militaires françaises dans la région Afrique
centrale et au Cameroun en particulier, tout en donnant à la France une
capacité d’influencer les politiques militaires. La multiplication des voyages
de formations militaires pour officiers en est une illustration. Elle conduit à
une non-prise de son destin stratégique par les pays tout en détournant
l’attention des États-Unis sur les objectifs économiques et stratégiques qu’elle
poursuit en toile de fond. L’aspect militaire permet de préserver ses intérêts
dans la confrontation qui l’oppose aux États-Unis et à la Russie. Cette stratégie
française est aussi remarquée dans les relations économiques.
Elle est consolidée, tout d’abord, par l’usage du franc des colonies
françaises d’Afrique (FCFA). Le FCFA est né officiellement le 26 décembre
1945, en même temps que le franc des colonies françaises du Pacifique (franc
CFP). L’économie française est en ruine, le niveau des prix a progressé plus
fortement dans la métropole que dans les colonies et ses principaux pays
concurrents. Avec la baisse importante de ses réserves d’or et de ses capacités
industrielles, le paiement des importations s’avère une gageure tout comme la
défense du cours du franc. Dans cette période d’après-guerre, la France n’a
plus d’autre choix que de dévaluer sa monnaie vis-à-vis du dollar américain
et de la livre sterling britannique. La décision du ministère des Finances, dirigé
par René Pleven, d’utiliser des taux de dévaluation différents pour la
métropole et les colonies met fin à l’« unicité monétaire », c’est-à-dire le
principe « un empire, une monnaie », et donne naissance aux « francs
coloniaux », dont le FCFA et le FCFP. Le passage aux indépendances et ces
changements nominaux n’altèrent en rien l’empreinte coloniale de cet
arrangement politico-monétaire530.
Ce dernier repose sur quatre piliers. Le premier est celui de la « parité fixe »
du FCFA vis-à-vis de l’Euro : leur valeur en franc ne varie pas et leur
évolution par rapport aux autres monnaies suit celle de l’Euro. Le deuxième
pilier est celui de la liberté de transfert, assurée entre les pays utilisant le FCFA
et la France. Ce principe donne toute la latitude nécessaire aux entreprises
françaises, par exemple, pour investir et désinvestir librement en zone FCFA
et également rapatrier leurs profits et dividendes. Troisième pilier : la
« garantie de convertibilité » du Trésor français. Selon ce principe, le Trésor
français s’engage à prêter à la BCEAO et à la BCEAC les montants qu’elles
désirent, dans le cas où le niveau de leurs réserves de change se retrouverait à

529Ibid.
530 Ndongo Samba, Sylla et Pigeaud, Fanny, « La laisse monétaire : contestation et
consolidation du système CFA », in Borrel, Thomas, Boukari-Yabara, Amzat, Collombat,
Benoît et Deltombe, Thomas (dir.), Op. cit., pp. 589-604.

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zéro. En contrepartie de cette « garantie », ces deux banques centrales ayant


Paris pour siège doivent déposer l’intégralité de leurs réserves de change dans
un « compte d’opérations », un compte spécial du Trésor français ouvert pour
chacune d’elles531. Toute conversion de FCFA en devises s’effectue sur le
marché des changes de Paris sous le contrôle du Trésor français. Il s’agit du
quatrième pilier : la « centralisation des réserves de change ». Jusqu’à la fin
des années 1960, le contrôle des changes dans les pays utilisant le FCFA
s’aligne sur Paris. Les États de la zone franc doivent avoir l’autorisation de la
France pour commercer avec l’extérieur et investir à l’extérieur. S’ils veulent
acheter, par exemple, des automobiles ou des réfrigérateurs hors du pré carré
français, le consentement préalable de Paris est nécessaire.
Les coopérants sont, ensuite, des acteurs clés de la présence française en
Afrique centrale. Au moment des indépendances, la France s’assure une
présence dans ses anciennes colonies via un nombre important de coopérants,
qui se mêlent au rang des expatriés et des anciens colons. Ces coopérants
assurent la transition d’une colonisation directe à des techniques de pouvoir
néocolonial plus discrètes, maintenant l’influence de la France dans un
contexte de Guerre froide532. D’un autre côté, mise en place au moment de la
décolonisation, l’aide publique au développement (APD) représente un
agrégat de dépenses pour la plupart liées à une stratégie d’influence,
susceptibles dans le cas français de consolider les mécanismes de soutien aux
dirigeants africains et de défense des intérêts de la France. Elle inclut l’aide
dite « multilatérale », faite de contributions aux organisations intergouver-
nementales (FMI, Banque mondiale, organismes onusiens, Fonds européen de
développement), et l’aide bilatérale, qui englobe les transferts et dépenses
d’argent public (État, collectivités, agences de développement, etc.) concer-
nant un pays donné. Parmi ces transferts, l’OCDE autorise la comptabilisation
de prêts s’ils sont concédés à des conditions plus avantageuses que celles d’un
prêt commercial. Quand l’endettement d’un pays devient insoutenable, il reste
possible pour les créanciers comme la France d’en annuler une partie, en
comptabilisant cette restructuration de dette dans l’APD. L’OCDE note, par
exemple, 244 millions d’euros d’annulation de créances pour le seul
Cameroun en 2003, soit les deux tiers de l’« aide » bilatérale de la France à ce
pays cette année-là. Parmi les dépenses prises en compte au titre de l’« aide »
figurent également des frais liés à du conseil et de l’expertise relevant de près
ou de loin d’une politique de développement, qu’on regroupe sous le terme

531 Ibid.
532 Cosquer, Claire, « Les coopérants, acteurs clés de la “présence française” en Afrique », in
Borrel, Thomas, Boukari-Yabara, Amzat, Collombat, Benoît et Deltombe, Thomas (dir.), Op.
cit., pp. 659-676.

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d’« assistance technique533 ». En février 2021, l’ancien ministre des Affaires


étrangères Jean-Yves Le Drian affirme que l’APD est certes un enjeu de
solidarité, mais c’est aussi « un enjeu d’influence, car il y a, sur le
développement, vraiment une guerre des modèles ». « Nous vivons dans un
monde de compétition exacerbée, l’influence est devenue un enjeu de
puissance majeur. J’ai dit à nombreuses reprises qu’il n’y [a] plus de hard et
de soft power, il n’y [a] que des instruments d’influence et donc de puissance,
et que le développement est devenu un enjeu d’influence », explique encore le
chef de la diplomatie tricolore en avril 2021 aux sénateurs français.
Lointaine descendante de la Caisse centrale de la France libre créée par le
général de Gaulle en 1941, l’agence française de développement (AFD) est un
groupe fusionnant les activités de banque internationale de développement,
son activité historique, et de pilotage d’une part croissante de l’assistance
technique française, qui en fait aussi la descendante non officielle du ministère
de la Coopération. Elle participe à la préservation d’intérêts français en
Afrique centrale. « Le très grand enjeu de l’AFD, c’est d’arriver à devenir en
totalité la grande banque d’influence de la France à l’international »,
explique en 2016 son ancien directeur général, Jean-Michel Severino534.
L’AFD continue d’ailleurs, comme au temps de la coopération, à assurer les
fins de mois de certains pays d’Afrique centrale : Jeune Afrique relève par
exemple que « 40 millions d’euros ont été versés au gouvernement tchadien
par l’Agence française de développement en 2018 pour payer les salaires des
fonctionnaires535 ». Dans son rapport remis début 2019 et visant à « relancer
la présence économique française en Afrique », Hervé Gaymard, ancien
ministre de l’Économie sous Jacques Chirac, identifie un « maillon
manquant » dans l’« action économique » de Paris en Afrique, qui doit encore
« gagner en capillarité dans les années à venir ». Il s’agit de « l’expertise
technique comme pivot de la création de marchés pour les entreprises
françaises », un outil qui « rejoint l’histoire longue de ce qui s’est pendant
longtemps appelé la politique de coopération à l’égard du continent africain ».
Paris lance ainsi en 2001, dans le prolongement d’annulations de dette
décidées par le FMI et les pays du G7, les Contrats de désendettement et de
développement (C2D). Le principe est le suivant : la France choisit d’exiger
auprès de certains pays le remboursement des créances bilatérales, plutôt que
de les annuler, mais en s’engageant à reverser des « dons » équivalents au fur
et à mesure. Entre 2001 et 2020, des C2D ont été négociés et signés avec trois

533 Borrel, Thomas, « La grande illusion de l’aide publique au développement », in Borrel,
Thomas, Boukari-Yabara, Amzat, Collombat, Benoît et Deltombe, Thomas (dir.), Op. cit.,
pp. 1156-1173.
534 Ibid.
535 Borrel, Thomas, « La diplomatie du tiroir-caisse : le grand jeu d’influence de l’aide au

développement », in Borrel, Thomas, Boukari-Yabara, Amzat, Collombat, Benoît et Deltombe,


Thomas (dir.), Op. cit., pp. 1296-1313.

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pays latino-américains et quinze pays africains. Le Cameroun totalise une


enveloppe de plus de 1,47 milliard d’euros. La Côte d’Ivoire, avec un C2D de
près de 2,9 milliards d’euros, signe les mois suivants l’arrivée au pouvoir
d’Alassane Ouattara. Viennent ensuite le Congo (331 millions d’euros), la
République démocratique du Congo (171 millions) et la Guinée
(166 millions). Ce dispositif aide Paris à maintenir sa place dans le grand jeu
d’influence que constitue le marché de l’APD536. Le Cabinet PwC explique
ainsi que, en Côte d’Ivoire, « le C2D, et ses volumes financiers sans commune
mesure avec les contributions des autres bailleurs, place la France en position
de chef de file » des partenaires du gouvernement. En 2017, les députés
Philippe Cochet et Seybah Dagoma soulignent dans un rapport sur ce pays que
« ces projets bénéficient évidemment aux entreprises françaises qui disposent
d’un positionnement ad hoc dans de nombreux secteurs » : bâtiment et travaux
publics (BTP), logistique portuaire et ferroviaire, agro-industrie, adduction
d’eau, etc. Les entreprises tricolores forment de ce fait un maillage opportun
pour remporter des marchés préparés main dans la main avec l’ambassade de
France537.
Les instances de pilotage d’un C2D mêlent des représentants des deux
États, de l’AFD, de la société civile française et de celle du pays concerné.
Évoquant « une influence française forte », l’audit de PwC relève une
importante « prise en compte des intérêts français, tant en termes de secteurs
retenus qu’en termes d’attribution des marchés ». Sous couvert de lutte contre
la corruption, l’AFD dispose également d’un droit de veto sur le choix des
attributaires des marchés financés par les C2D : elle rend un avis de non-
objection (ANO) pour que les fonds promis soient bien décaissés pour un
projet. Au Cameroun, l’appel d’offres remporté par un groupe chinois pour la
construction d’un pont à Douala est ainsi déclaré infructueux en janvier 2013
après que l’AFD a refusé de délivrer son précieux ANO, arguant de doutes sur
la régularité du processus de sélection. Une procédure de gré à gré est alors
lancée et un consortium emmené par le groupe Vinci est cette fois retenu avec
un projet coûtant 182 millions d’euros, contre 99 millions pour l’offre
chinoise retoquée par l’AFD. Pour régler la note, 132 millions sont financés
par l’AFD dont 30 au titre du C2D, le reste étant à la charge de l’État
camerounais. Dans la foulée, l’agence française annonce en 2015 qu’elle
octroie au Cameroun un prêt APD de 45 millions d’euros pour financer des
aménagements complémentaires, non prévus dans le projet initial538.
Pour ne point subir un déclassement stratégique, la France fait usage de
stratégies mises en œuvre depuis les périodes d’indépendance, à l’instar de la
Françafrique qui consiste, dans le cadre politique, à installer/soutenir la
progéniture de dirigeants africains installés au pouvoir dès les indépendances,

536 Ibid.
537 Ibid.
538 Ibid.

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ceci au mépris du système de gouvernance et du processus de démocratisation


en vigueur. Aussi, la vitalité de plateformes de coopération comme l’AFD, les
ACP-APE ou encore les C2D rendent conséquent l’objectif de préservation
d’intérêts en Afrique centrale.

Section 2 : L’expression de la manœuvre américaine en Afrique centrale

Vue par les États-Unis durant les décennies 1970-1990, l’Afrique se


présentait comme un continent sans intérêt539 et n’avait aucune justification
stratégique540. Ainsi, ont-ils manifesté un relatif retrait et l’acceptation
apparente d’une « tutelle stratégique541 » initiée par leurs alliés européens.
Mais un paradoxe apparaît dès la fin de la Guerre froide. Afin de se voir
accorder une sympathie de l’opinion africaine, dans une guerre feutrée les
opposant à leurs alliés durant la bipolarité, les Américains modifieront leur
politique africaine pour améliorer leur image. En juin 2005, deux milliards de
personnes à travers le monde ont pu assister aux concerts « Live 8 » lancés par
deux musiciens de rock, Bono et Bob Geldof, qui avaient appelé à la fin de la
pauvreté en Afrique. Une semaine plus tard, les dirigeants des huit nations les
plus industrialisées s’engageaient à doubler leur aide à l’Afrique, à effacer les
dettes des quatorze pays africains les plus pauvres, et à fournir des
médicaments à toute personne souffrant du sida d’ici à 2010. L’ancien
président américain, George Walker Bush, s’était joint à cette initiative,
soulignant comment les États-Unis, ainsi que les autres pays, allaient doubler
leur aide au continent542. Afin de mieux dérouler son projet géostratégique en
Afrique centrale, les États-Unis font appel à la fois aux acteurs gouverne-
mentaux et non gouvernementaux. Ceux-ci utilisent différents moyens,
structurant leur politique étrangère, pour arriver à leurs fins dans cette région.
Il s’agit des procédés politico-culturels (A), économico-militaires (B).

539 Selon J. C. Wilson, Conseiller aux affaires africaines de l’ancienne administration Clinton :
« l’Afrique est loin et reste difficile. Le climat, malheureusement, n’est pas très favorable aux
investissements. Les risques sont énormes, les systèmes de justice et de gouvernance sont
faibles », Éco finance, No 33, juillet 2003, p. 49.
540 Kissinger, Henry, La nouvelle puissance américaine, Paris, Fayard 2003, pp. 223-232.
541 Le concept de tutelle stratégique peut être défini comme l’autorité reconnue aux alliés

européens de Washington, la France, la Belgique ou encore le Royaume-Uni, de s’occuper de


ses enjeux stratégiques en Afrique durant la guerre froide, les États-Unis concentrant la majorité
de leur puissance sur le théâtre asiatique.
542 Lyman, Princeton, « Vers une véritable politique africaine des États-Unis », Politique

américaine, N° 6, 2006/3, 107-119.

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A- Les moyens politico-culturels et l’usage de l’aide internationale à


des fins géostratégiques en Afrique centrale
L’ancien président Barack Obama avait fait de son séjour ghanéen, du 10
au 11 juillet 2009, une occasion lui permettant de rappeler la « détermination »
de son administration à accélérer les réformes démocratiques sur le continent.
Pour mener à bien cette ambition, durant son discours d’Accra, l’ancien
président entonnera un « hymne à la démocratie ». Cette apparente posture
progressiste de l’ancien président américain contribuera à accroître le capital
de sympathie de son administration auprès de l’opinion publique africaine. La
nouvelle politique africaine des États-Unis, adossée, entre autres, sur une prise
de position apparente en faveur de l’institutionnalisation de la démocratie en
Afrique, se poursuivra avec le discours de la secrétaire d’État américaine,
Madame Hilary Clinton, à Addis-Abeba au siège de l’Union africaine en juin
2011. Dans son allocution, elle insista sur la nécessité pour l’Afrique de
s’arrimer à la démocratie. Elle prit le soin d’attirer l’attention de certains chefs
d’État africains sur la nécessité pour eux de s’arrimer à la modernité
démocratique. Sur cette question, elle affirmait : « la célébration de ces
progrès ne doit pas nous faire oublier que trop de gens en Afrique vivent
encore sous le joug de dirigeants au pouvoir depuis longtemps, des hommes
qui se préoccupent trop de la longévité de leur règne et pas assez de l’avenir
qu’ils doivent bâtir pour leur pays. D’aucuns prétendent même croire en la
démocratie, la démocratie se résumant pour eux à une seule élection, une
seule fois (…)543 ».
L’hymne à la démocratie, entonné à Accra, est une mise en avant des
principes et valeurs auxquels les États-Unis sont depuis longtemps attachés
lorsque l’importance des enjeux stratégiques, géostratégiques, économiques,
sécuritaires, culturels ne les incite pas au réalisme et donc au pragmatisme des
nations stratégiquement émancipées. En effet, en déclarant, lors d’un voyage
en Ouganda en 1998, qu’« il n’y a pas de modèle établi pour les institutions
ou la transformation démocratiques544 », l’ancien président Bill Clinton
instituait, au profit de chefs d’État africains de la région des Grands Lacs545,
l’indigénisation de la démocratie, ce qui démontre à suffisance la démarche
instrumentale de Washington. Les formes d’expressions utilisées reflètent le
respect porté à un acteur pour pérenniser la relation, tant humaine que
politique. Il vise aussi à ménager un espace de manœuvre, afin de permettre

543 Voir, « Déclaration de la secrétaire d’État Hillary Rodham Clinton à l’Union africaine »,
Département d’État Bureau du porte-parole, 13 juin 2011, document consulté le 02/05/2018
sur www.america.gov
544 Noah, Edzimbi, François Xavier, « Géopolitique locale et instrumentalisation des échéances

électorales en Afrique subsaharienne », Dialectique des intelligences, N° 005, 2018, pp. 7-31.
545 Il s’agit de l’Ougandais Yoweri Museveni, le Congolais Laurent Désiré Kabila, le Rwandais

Pasteur Bizimungu, le Kényan Arap Moi et le Tanzanien Benjamin Mkapa.

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la création de nouveaux champs d’opportunités. Ces déclarations diploma-


tiques expriment la capacité des Américains à préserver leurs intérêts
respectifs par une « diplomatie de la loterie » et de « tactique de deux discours
en poche » que ces derniers octroient à la communauté internationale. En effet,
durant les échéances électorales qui, la plupart du temps, se terminent par des
contestations et des crises, « les gouvernements occidentaux développent des
stratégies pour gérer la colère des peuples et, en même temps, accompagner
la relève de leur personnel politique. Les dirigeants peuvent changer, mais
leur politique pro-occidentale doit continuer546 ».
Les États-Unis font usage de procédés tant officiels qu’officieux547 en
Afrique centrale. Parmi ceux-ci, les programmes d’aide économique et sociale
de même que des équipes d’observation de scrutins électoraux sont usités.
L’invitation de délégations comme l’attribution de récompenses aux
personnes ou organismes des pays de la région, s’étant distinguées par des
activités en faveur de la démocratie et du respect des droits et libertés
fondamentaux548, participent aussi à une politique de charme déployée par les
États-Unis549. Cette manière d’agir provient de l’histoire vécue par les
Américains qui durent batailler avec la puissance colonisatrice anglaise pour
accéder à l’indépendance. Ils trouvèrent nécessaire et indispensable d’établir
la démocratie dans laquelle les individus, plus précisément les citoyens, ont le
pouvoir de décider par le moyen des élections compétitives et par la
préservation des droits et libertés du citoyen. Pour les États-Unis, la
démocratie libérale, encore appelée démocratie de marché, se particularise par
une participation, plus ou moins directe, des citoyens à la vie publique. Les
libertés politiques comme celles de la presse, l’association de conscience et
d’expression sont garanties par un système politique représentatif c’est-à-dire
par une Constitution et un Congrès où siègent les représentants élus de la
nation. Pour eux, les libertés économiques côtoient les libertés politiques,
l’État protège l’initiative individuelle, la propriété privée et l’égalité des
citoyens550.
Aussi se réfèrent-ils aux propos du président de la République camerou-
nais, Paul Biya, dont l’ambition est de léguer à ses compatriotes, notamment
aux jeunes générations, une Nation démocratique, forte, unie, pacifique et
prospère, pour mettre en œuvre leur politique africaine en Afrique centrale.
Les États-Unis offrent ainsi des aides en formes d’assistance, de prise en
charge et d’observation de scrutins électoraux dans ce pays. Tel a été le cas

546 Pour plus de développements, Voir Investig’Action, « Les USA ont un agenda caché en
République démocratique du Congo », document consulté le 01/05/2018 sur
http://www.investigaction.net/Le-Journal-de-l-Afrique-7-Une.html
547 Diamond, Laurence, « An American Foreign Policy for Democracy », Policy Report, july

1991.
548 Ibid.
549 Ibid., p. 105.
550 De Tocqueville, Alexis, De la démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, 1961.

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des élections présidentielles de 2011 où l’ancien ambassadeur américain,


Robert P. Jackson, s’est félicité de l’aide américaine pour les programmes
d’inscription sur les listes électorales551. Du côté de l’attribution de
récompenses, l’exemple de reconnaissance par les États-Unis à un individu
pour son engagement, pour ce qui est de lutte contre les atteintes à la
démocratie, est Henriette Ébongo Ékwe, journaliste, femme politique et
militante pour les droits de l’Homme. Elle est la première Africaine à avoir
reçu l’IWCA552, prix du courage féminin décerné par le département d’État
américain et reçu des mains d’Hilary Clinton en présence de l’ancienne
première dame américaine, Michelle Obama553. Selon Robert Jackson, elle a
été choisie en raison de son courage exceptionnel, son engagement et son
leadership dans la promotion de la démocratie, de la transparence, des droits
de l’Homme et de l’État de droit au Cameroun. Elle a été, à la demande
d’Hilary Clinton, auteure du discours d’acceptation des lauréats554. L’attache-
ment des États-Unis au Cameroun, pour la promotion d’un État démocratique,
s’exprime aussi par des programmes d’aide en matière de santé. Selon Robert
Jackson, le gouvernement américain va continuer de soutenir le ministère de
la Santé et les différents centres médicaux camerounais spécialement dans la
lutte contre le choléra et le VIH/Sida. Cette aide se situait au-dessus des
14 millions de dollars (environ 7 milliards de FCFA) en 2010. Aussi le
gouvernement américain cherche-t-il d’autres moyens qui permettront de
renforcer le partenariat entre le Cameroun et les États-Unis555.
Moins visible, la dimension propagandiste figure parmi des moyens usités
pour promouvoir la démocratie. La promotion de la démocratie apparaît dans
les discours d’officiels Américains que ce soit aux États-Unis ou lors de leurs
tournées camerounaises. Ceux-ci condamnent les violations de droits de
l’Homme, dénoncent les insuffisances observées en matière de démocratie ou
encouragent le pays à s’engager sur ce chemin. Les États-Unis promeuvent
l’égalité de genre, les droits de la femme, la liberté d’expression et de religion.
C’est le cas de la lettre de l’ancien président américain Barack Obama à son
homologue camerounais, à l’occasion de la fête nationale de la République du
Cameroun du 20 mai 2012, dans laquelle le président américain le félicitait
pour les relations amicales et de coopérations pacifiques consolidées par les
avancées considérables en termes de respect de principes de démocratie556.
Cette entente entre les deux États s’affirme avec les condoléances du chef de
l’État camerounais présentées à son homologue américain, après le double

551 Lire à ce sujet Cameroon Tribune, No 9732/5934-37e année, du mardi 30 novembre 2010,
p. 5.
552 International Women of Courage Awards ou Prix Internationaux pour Femmes engagées.
553 Voir, Jeune Afrique Économique, No 384 d’août et septembre 2011, p. 368.
554 Ibid.
555 Voir, Cameroon Tribune, Op. cit.
556 Voir, Hot News, No 065 du mardi 22 mai 2012, p. 3.

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attentat survenu au cours du marathon de Boston, le mardi 16 avril 2013,


provoquant des pertes en vies humaines (03 morts), de nombreux blessés (140
blessés) et des pertes matérielles557. Ces évènements lui ont permis de
réaffirmer sa détermination à ne ménager aucun effort pour que le Cameroun
demeure une terre d’hospitalité, de tolérance, de stabilité et de paix558, assurant
les investisseurs américains de la sauvegarde et de la préservation des
principes démocratiques contre des fléaux tels que le terrorisme ou les prises
d’otages.
Si pour les Camerounais les relations de coopération avec les Américains
se limitent à un élan humaniste, tel n’est point le cas chez les Américains. Pour
eux, en effet, la coopération est utilisée dans une géométrie variable. Elle sert
les intérêts des deux parties et n’est pas une faveur qu’un pays concède à un
autre559. La coopération des États-Unis avec le Cameroun n’a pour seul
objectif que l’exécution de leurs entreprises géopolitiques. Elle leur permet de
mettre en œuvre une stratégie de « shaping », consistant à façonner l’environ-
nement local afin de parvenir à leurs objectifs, par la diffusion des normes,
des valeurs et des standards américains. Les États-Unis ont prévu la parti-
cipation des populations camerounaises pour la mise en œuvre de cette
stratégie. Le processus débute par une assimilation de l’opinion nationale,
nommée allié silencieux, par des moyens médiatiques Américains qui
diffusent des programmes scrupuleusement choisis. Ces programmes, définis
comme diplomatie publique par des stratèges américains, permettent aux
États-Unis de présenter et d’expliquer leur culture aux populations locales.
Les rapports publiés annuellement, par le gouvernement américain et certains
organismes privés, font aussi parties de cette stratégie. Ils exposent les
responsables étatiques de la région aux critiques de l’opinion publique et de
la communauté internationale sur des sujets comme le respect de la
démocratie.
Ces rapports visent l’assimilation des populations afin qu’elles se sou-
lèvent et réclament des réformes profitables aux États-Unis560. Les critiques
de Frances Cook, ancien ambassadeur américain au Cameroun, sur la gestion
de l’État et le respect des droits de l’Homme en période de fortes tensions
politiques entre 1991 et 1992 ont, d’une certaine manière, poussé les
populations du Nord-Ouest Cameroun à s’opposer au régime. La répercussion
des rapports d’ONG, qu’elles soient américaines ou ayant des financements
américains, est aussi décelable. La condamnation, par certaines ONG, des
carences démocratiques, des violations des droits et libertés fondamentaux de
minorités sexuelles camerounaises constituent également un stratagème. Le
rapport d’Amnesty International, publié le lundi 23 janvier 2012, sur l’égalité

557 Lire, Cameroon Tribune, No 10328/6529, p. 2.


558 Consulter, Cameroon Tribune, No 10327/6528, p. 5.
559 Kissinger, Henry, Op. cit., p. 63.
560 Nzeugang, Alexis, Op. cit.

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des droits de l’Homme au Cameroun en est un exemple. Ce rapport dénonce


les conditions d’incarcération, les procès politiques et surtout la pénalisation
des rapports entre des personnes de même sexe561. Malgré ces condamnations,
les relations entre les régimes camerounais et américain sont toutefois
cordiales. En effet, pour les États-Unis, la démocratie est considérée comme
un véritable instrument de politique étrangère, au service de la paix et de la
sécurité de même que de la conquête des marchés du pétrole, du gaz et de
divers autres produits. Ils jugent la politique des autres États, dits non
démocratiques, à l’aune de leurs intérêts. Ainsi, du moment où les régimes
politiques d’Afrique centrale sauvegardent leurs intérêts, ils peuvent
gouverner sans être inquiétés.
La mobilisation de la culture, en tant qu’élément de politique de puissance,
est l’une des caractéristiques des États-Unis. À la fois matérielle et
immatérielle, la puissance culturelle est un ensemble de moyens matériels et
symboliques qui leur permettent de réaliser leurs ambitions géopolitiques.
C’est l’idée de la culture comme véhicule de sa puissance. Elle devient un
moyen d’influence exercée sur l’autre de telle sorte que la relation ne soit pas
ressentie comme contraignante (Hard power), mais comme désirable et
désirée par l’autre (Soft power). Les États-Unis d’Amérique déploient en
Afrique centrale des instruments d’influence pour créer des passerelles
culturelles nécessaires pour y initier, renforcer et pérenniser leur présence. Les
États-Unis ont choisi dans leur stratégie de faire de la langue anglaise un outil
de politique étrangère. Il est important de rappeler que l’anglais, après la
victoire des Alliés, est une langue internationale et diplomatique. C’est la
langue la plus utilisée sur le web et elle est une des langues officielles du
Cameroun. Cette langue est un sésame pour les Américains, car, elle permet
de renforcer leur domination culturelle grâce à l’adaptation des consciences
de la région centrale de l’Afrique aux normes américaines. L’enseignement
de l’anglais dans les écoles, les universités et certaines institutions assimile les
populations aux standards américains.
La langue anglaise et la civilisation anglo-saxonne américaine ont pour
effet l’exportation de sa culture. Elles contribuent à l’édification d’une façon
de voir, de concevoir, de penser et d’agir des Africains profitables aux
Américains. Cette manière d’importer leur culture fait la fierté des États-Unis
dans un environnement historiquement considéré comme zone d’influence des
ex-puissances coloniales. L’implantation des États-Unis se renforce par la
présence sur les sols gabonais, équato-guinéen et camerounais d’institutions
d’enseignement de langue anglaise à l’exemple du Centre Linguistique
Américain dans le quartier résidentiel de Bastos au Cameroun. Selon certaines
statistiques, les tests de compétence d’expression en langue anglaise se
concluant par l’obtention d’un TOEFL, ont augmenté de 40 à 50 % ces dix

561 Voir, Cameroon Tribune, No 10267/6468, p. 2.

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dernières années562 dans ce pays. En plus de l’enseignement des langues et des


manifestations culturelles, ces institutions forment également des consultants
pour des entreprises et les organisations locales désireuses de faire des affaires
aux États-Unis. En outre, l’octroi de bourses d’études aux étudiants et les
rencontres à caractère culturel visent à consolider les liens et permettre une
adhésion volontaire des populations aux politiques américaines. Les États-
Unis utilisent aussi, pour s’installer en Afrique centrale, des manifestations et
des expéditions culturelles.
Les États-Unis participent, et organisent, sur le sol camerounais en
l’occurrence, plusieurs manifestations culturelles. Comme exemples, la soirée
organisée à l’occasion de la journée internationale du Jazz, style musical
américain, le 05 mai 2013, où multiples artistes, à la fois camerounais résidant
aux États-Unis et artistes américains, avaient presté devant des milliers
d’invités parmi lesquels des personnalités diplomatiques et administratives, à
l’exemple de l’ancien vice-premier ministre chargé des Relations avec les
Assemblées Amadou Ali, Ama Tutu Muna, ancienne ministre des Arts et de
la Culture et l’ancien ambassadeur des États-Unis au Cameroun, Robert E.
Jackson563. L’association Ark Jammers qui a établi l’Ancestry Reconnection
Program, permettant aux Africains-Américains de connaitre leurs origines
africaines, est à suggérer dans le projet américain par la variable culturelle.
Mise au point en 2003 par le biologiste africain-américain Rick Kittles, la
méthode, par un prélèvement buccal analysé en laboratoire, permet d’établir
la carte d’identité génétique du demandeur. Celle-ci est ensuite comparée à
une banque de données constituée grâce aux ossements d’un demi-millier
d’esclaves africains morts aux États-Unis et issus de différents groupes
communautaires du continent. Des correspondances sont ensuite recherchées
avec une marge d’erreur. Grâce aux progrès scientifiques, ces hommes et
femmes dont les aïeux sont arrivés en Amérique il y a plusieurs siècles, au
fond des cales des négriers, retrouvent ainsi le berceau de leurs ancêtres564.
Pour la première expédition camerounaise, quelques 54 Africains-Américains
ont foulé, en 2010, le sol du Cameroun et ont parcouru quelques localités et
sites touristiques du pays. Ils ont été reçus le vendredi 31 décembre 2010 par
l’ancien Premier ministre chef du gouvernement, Philémon Yang. Selon Gina
Page, présidente et cofondatrice d’African Ancestry, 6000 à 8000 Africains-
Américains ont découvert leurs racines camerounaises : Bamiléké, Bassa,
Ewondo, Foulani, Kotoko, Massa, Tikar, etc.
Ces « Frères et Cousins d’Amérique » souhaitent s’impliquer dans le
développement du pays de leurs ancêtres565. D’illustres personnalités du
monde du cinéma, de la musique et d’autres domaines, désireuses de connaître

562 Noah, Edzimbi, François Xavier, Op. cit.


563 Voir, Cameroon Tribune, No 10336/6537, p.15.
564 Voir, Cameroon-Info, 20 juin 2012, document consulté le 11/12/2021 sur www.Google.com
565 Ibid.

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l’origine de leurs ancêtres africains, ont eu à se soumettre à ces examens


D’ADN : le musicien et arrangeur Quincy Jones qui appartient à la lignée des
Tikar, comme Condoleezza Rice, première femme noire ayant accédé au poste
de secrétaire d’État américain, sous l’ancien président Georges Walker Bush.
Les acteurs et réalisateurs Spike Lee, Forest Whitaker et Eddy Murphy ont,
eux aussi, d’après leurs propres recherches, des origines camerounaises.
L’Ancestry Reconnection Program permet aux États-Unis d’amener les
populations camerounaises, et celles de la région, à préférer, à partir d’une
douloureuse expérience esclavagiste vécue par elles, de même que celles afro-
américaines, la présence américaine. Par ce lien, les États-Unis possèdent une
certaine avance sur les autres puissances.
Les années 2000 sont définies comme les années du Soft power, et
notamment du développement des chaînes d’information satellitaires, consi-
dérées comme des médias d’influence. L’intérêt des gouvernements améri-
cains à subventionner ces médias d’influence566 est de propager la culture du
pays, de partager sa « vision du monde » avec l’extérieur et de faire connaître
ses modes de vie. Il s’agit là d’une storytelling, méthode de communication
visant à capter l’attention et à susciter un désir de changement, de « fabrication
du consentement », pour reprendre la formule de Noam Chomsky567.
L’influence des chaînes d’informations américaines, privées ou publiques,
telles CNN, CBS, NBC, NETFLIX, AMAZON, ABC, MTV, etc. sur les
habitudes vestimentaires et sociétales adoptées par les populations africaines
est ainsi indéniable. Leur transmission sur le continent a permis de constater
qu’à partir d’elles aujourd’hui, les aspirations des jeunes se portent sur la
formation et l’emploi, mais également sur la sexualité et sur les nouvelles
valeurs, de nouveaux codes moraux568.
Les médias sociaux, qui ont pris une ampleur sans précédent depuis 2008,
ont, quant à eux, rendu en partie obsolète le modèle du média d’influence
hérité de la Guerre froide. Les médias traditionnels, qui font désormais face à
la concurrence, sont mis à mal par l’émergence du numérique et des médias
sociaux, d’où Wadah Khanfar, ancien journaliste de la chaîne arabe Al-Jazira,
affirmait, lors d’une conférence donnée à Sydney en novembre 2012, que les
« réseaux sociaux ramènent la profession sur terre. Al-Jazira, comme les
autres devra (pour gagner les cœurs et les esprits au XXIe siècle), se
réformer569 ». Cette mise en garde a conduit les Américains à créer de
nouvelles techniques d’information et de communication, à savoir les réseaux
sociaux Twitter, Facebook, Whatsapp et Instragram, majoritairement utilisés

566 Thureau-Dangin, Philippe, « Les médias d’influence sur le déclin », Revue internationale et
stratégique, N° 89, 2013/1, pp. 123-129.
567 Ibid.
568 Hugon, Philippe, Op. cit., p. 165.
569 Thureau-Dangin, Philippe, Op. cit. NB : si tous les propos sont bien de lui, leur agencement

est de l’auteur.

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par les populations africaines. Ces réseaux sociaux suivent une logique
horizontale, où les émetteurs sont les récepteurs, tandis que les médias
d’influence fonctionnent, par définition, selon un schéma vertical, où un
émetteur tente de convaincre des populations, à l’extérieur ou à l’intérieur des
frontières. Ces nouveaux moyens de communication permettent de rapprocher
des milieux/groupes africains aux États-Unis par une représentation
« globalisée et démocratique » du monde, portant critique à la perception dite
« autocratique » de celle des autorités étatiques d’Afrique centrale.
Le développement du sport moderne au XXe siècle a permis le
fleurissement de multiples tentatives d’instrumentalisation du sport par les
États. L’exemple de la diplomatie sportive américaine montre que le sport peut
être un puissant vecteur de diplomatie publique. La diplomatie publique, qui
s’adresse à des populations étrangères plutôt qu’aux gouvernements, a été
adoptée par les États-Unis au cours de la Guerre froide afin de promouvoir le
modèle social, économique et politique américain face à l’idéologie
communiste. Mis de côté dans les années 1990, ce type de programme
redevient stratégique pour les États-Unis à la suite des attentats du
11 septembre 2001 orchestrés sur le sol américain. Prenant conscience de leur
déficit d’image, et pas uniquement dans le monde musulman, les États-Unis
développent depuis lors un ensemble de programmes sportifs à destination de
publics étrangers préalablement ciblés570. Cette stratégie s’est encore
amplifiée à partir de janvier 2009 et l’installation de l’administration Obama.
Depuis, le terme de « diplomatie sportive » a été expressément employé par
l’ancienne secrétaire d’État, Hillary Clinton, pour qui « les échanges sportifs
sont les échanges les plus populaires que nous réalisons571 ». Cette stratégie
comprend surtout l’envoi de formateurs sportifs, des échanges et rencontres
entre sportifs américains et étrangers, l’envoi de vedettes sportives
américaines afin de promouvoir le sport, l’organisation de stages sportifs à
l’étranger ou l’invitation de jeunes sportifs aux États-Unis. Ces programmes
sportifs sont mis en œuvre de façon systématique depuis la fin de la bipolarité.
La liste de pays et les programmes sont définis par Sports United, l’agence
rattachée au département d’État et spécifiquement en charge de la conduite de
la diplomatie sportive américaine. Les pays cibles se retrouvent aujourd’hui
en Afrique, avec la création de la Basketball Africa League (BAL), renforcés
par la « NBA Africa » qui, cette dernière, est chargée de développer le
business de la NBA sur le continent.
La BAL regroupe les meilleures équipes de clubs de basketball d’Afrique
qui s’affrontent pour promouvoir le sport, stimuler la croissance économique
et découvrir les talents en devenir. Retardée par la pandémie à Coronavirus
en 2019, la première édition de la ligue panafricaine a eu lieu le 16 mai 2021

570 Verschuuren, Pim, « Les multiples visages du “sport power”, Revue internationale et
stratégique, N° 89, 2013/1, pp. 131-136.
571 Consulter à ce sujet, Discours d’Hillary Clinton, Washington, 6 juin 2011.

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à Kigali au Rwanda, et les éliminatoires de la seconde édition de 2022 se sont


déroulées à Yaoundé au Cameroun du 11 au 16 décembre 2021. L’envoi à
l’étranger de vedettes sportives est un autre exemple de programmes de
diplomatie sportive. Ainsi, en 2012 et en 2015, des stars et anciennes stars de
la NBA (Chris Paul des Clippers de Los Angeles, Luol Deng des Heat, Boris
Diaw des San Antonio Spurs, Hakeem Olajuwon, Dikembe Mutombo) ; des
entraîneurs (Gregg Popovich des Spurs, Mike Budenholzer des Hawks
d’Atlanta) ; et le patron de la ligue NBA Adam Silver s’est rendu en RDC, en
Afrique du Sud et au Sénégal. L’objectif de cette diplomatie sportive est
double : défendre l’image des États-Unis et promouvoir la pratique sportive
des populations défavorisées et notamment des jeunes et des femmes.
Encourager leur participation sur le terrain sportif est un préalable à une plus
grande présence dans l’espace public, ce qui pourrait à terme avoir des
répercussions dans les évolutions politiques des pays concernés572. Le sport
véhicule des valeurs d’égalité, de respect des règles et de mixité qui
correspondent aux valeurs politiques et sociales revendiquées par les États-
Unis, comme le laissait entendre Hillary Clinton : « le sport est aussi un
symbole de ce que nous voulons voir dans le monde ». Utiliser le sport comme
vecteur de changement, tel est le calcul effectué par les États-Unis573, qui
assument totalement cette stratégie qu’ils nomment expressément Smart
power, afin de rappeler que le développement du Soft power ne signifie pas
pour autant l’abandon de leur Hard power traditionnel. La diplomatie sportive
permet, en revanche, aux États-Unis d’afficher un visage plus doux aux yeux
des populations étrangères afin de réaliser en toile de fond leurs objectifs
géopolitiques et géoéconomiques.
Le « Septième Art » n’est pas en reste. En plus d’être une importante
industrie économique, le cinéma est aussi un moyen d’expression pour les
créateurs qui, par cet art, présentent leur vision du monde et leur imaginaire.
Il a la capacité non seulement de structurer le temps et l’espace de manière à
produire une réalité ressemblant au monde accessible à la perception naturelle,
mais encore de susciter des réactions affectives intenses. Les réalisations
cinématographiques ont ainsi une influence sur les plans psychologique,
social et politique574. C’est en partant de cette fonction expressive que les
États-Unis adoptent des stratégies cinématographiques dont le but est de
transposer leur représentation du monde à l’international. La mobilisation
américaine, en réaction aux attentats du 11 septembre 2001, et l’adoption de
l’US Patriot Act, sont la preuve d’une politique culturelle à caractère
international. Cette politique émerge dès la fin du XIXe siècle par la force
d’attraction des superhéros sur le petit écran et dans les salles de projections

572 Verschuuren, Pim, Op. cit.


573 Ibid.
574 Noah, Edzimbi, François Xavier, « Le cinéma et l’éducation à la citoyenneté au Cameroun »,

Espace géographique et société marocaine, n° 43/44, janvier 2021, pp. 323-338.

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cinématographiques. Dès 1940, soit avant l’entrée en guerre des États-Unis,


Superman livre Hitler à l’ancienne Société des Nations, tandis que Captain
America, dont le costume évoque le drapeau américain, décoche un coup de
poing symbolique au leader nazi. L’influence de ces personnages fictifs sur la
représentation qu’ont les Américains d’eux-mêmes et du monde est
indéniable : ils valorisent et respectent les institutions républicaines et
présentent une assurance culturelle et diplomatique lorsqu’ils se trouvent à
l’extérieur du pays575. Selon l’info dominance, qui est un processus d’exercice
et de diffusion des catégories de pensées qui procède de la capacité de contrôle
du sens, des valeurs, des normes et de l’esthétique de nature à assurer la
consolidation, la reproduction et l’extension d’un pouvoir hégémonique des
personnages de comics, avec la même conscience sociale que les cinéastes et
les scénaristes de Hollywood des années 1930 et les producteurs-scénaristes
de télévision contemporains, mettent constamment en valeur les principes
culturels partagés par les Américains en Afrique et dans le monde.
Aussi, en réinventant le cinéma pour les petits écrans, les séries
américaines, preuve de l’intense puissance créatrice des États-Unis, valorisent
leur « patriotisme économique576 » et mettent en avant la protection de leurs
industries stratégiques à l’étranger. Nées avec la télévision, ces séries
s’appuient sur 70 ans d’un savoir-faire propre à ce média (autrement dit,
distinct de celui du cinéma). Ces fictions ont dès l’origine appris à s’adresser
à une nation-continent multiculturelle, exigeante de diversité de par ses
origines communautaires, confessionnelles et intellectuelles. En plus de
l’expansionnisme culturel, mieux la domination par le biais de la culture que
ces différentes séries télévisées véhiculent, elles jouent chez les personnes
adultes la même fonction qu’ont les contes pour les enfants en Afrique
centrale. Ceci est un vecteur d’autopromotion de leur culture, de renforcement
du sentiment d’appartenance à une « communauté démocratique », et un peu
plus du Soft power américain. Ainsi, la jeunesse dans la région Afrique
centrale aspire souvent à des modèles du pays de « l’oncle Sam » véhiculé par
des images suscitant des frustrations quant à leur succès, revendiquant par la
suite des modifications dans les contextes sociaux et politiques, profitables
aux États-Unis, en vue de la réalisation de leur projet géostratégique en
Afrique centrale.
Selon la Fondation Carter et le gouvernement des États-Unis, les élections
couplées, présidentielles et législatives, de novembre 2011 en RDC ont été
marqués des dysfonctionnements, en raison d’un déficit logistique criant. Le

575Ibid.
576 Avec le cinéma hollywoodien, les parcs de loisir et les networks, les États-Unis ont
développé une puissance industrielle du divertissement sans réel concurrent à l’échelle
planétaire. Pour 2019, le chiffre d’affaires de Netflix, plateforme de film en streaming sur
internet, est de 15 milliards de dollars. Expression d’une forme d’impérialisme qui sert et
amplifie le pouvoir d’influence du pays.

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scrutin s’est déroulé dans plus de 63 000 bureaux de vote (63 875 officiel-
lement) répartis sur tout le territoire. Une difficulté particulière a été d’accéder
dans des lieux reculés inaccessibles par route ou par voie fluviale pour
transporter les « kits électoraux », isoloirs, urnes, ordinateurs, etc., et le
« matériel sensible », c’est-à-dire les bulletins de vote577. Afin de résorber les
effets négatifs de ce manque, la CENI a tenté de renforcer ses capacités
logistiques ; acquisition de 10 hélicoptères et deux avions en Angola, location
de 6 hélicoptères en Afrique du Sud. Mais ses moyens financiers étant limités,
elle n’aurait pu conduire les opérations à leur terme sans la MONUSCO qui a
mis à sa disposition 27 hélicoptères et 3 avions. Les hélicoptères ont joué un
rôle important ; ils constituaient le seul moyen d’accéder aux localités isolées
de la RDC. Les hélicoptères ne pouvaient cependant pas atteindre tous les
bureaux de vote et c’est à pied ou en pirogue que l’expédition continue ou que
les électeurs doivent s’y rendre578.
C’est alors que pour pallier ce déficit logistique, récurrent lors des
échéances électorales sur le continent, l’ancien secrétaire d’État américain,
John Kerry, en visite officielle en RDC, annonçait une aide logistique de
30 millions de dollars (près de 22 millions d’euros), par des institutions
internationales et non gouvernementales américaines, pour soutenir le
processus électoral dans ce pays. Aussi, des ambassadeurs occidentaux
prendront des initiatives de réunir des hommes politiques de la majorité et de
l’opposition, afin d’arriver à un consensus autour du calendrier électoral et de
donner des injonctions à la CENI d’accepter ce « consensus579 ». Cette volonté
d’en découdre avec l’ancien président congolais, Joseph Kabila, trouve une
explication dans l’octroi, par le chef d’État, de la majeure partie des grands
projets infrastructurels étatiques aux entreprises chinoises. En effet, les
infrastructures routières faisaient partie des chantiers prioritaires de l’ancien
chef d’État, et quelques grands axes routiers auraient été réalisables grâce au
« contrat chinois » de 2007 (minerais contre infrastructures). Pour les
Américains, il s’agissait de permettre à leurs entreprises de gagner des
marchés, et à leurs multinationales de continuer à exploiter les ressources
stratégiques du pays580.
Les problèmes de communication, durant ces périodes d’échéances
électorales, n’échappent pas à cette logique d’instrumentalisation. Lors des
élections générales qui se sont déroulées au Burundi en 2010 et en RDC en
2011, de nombreux projets ont été initiés par des bailleurs de fonds et
opérateurs internationaux, dont les États-Unis, afin de permettre aux médias
de mieux remplir leurs missions. L’assistance électorale et sa déclinaison dans

577 Pourtier, René, « Les élections de 2011 en RDC, entre cafouillage et tripatouillage »,
EchoGéo, juillet 2012, 17 p.
578 Ibid.
579 Voir, Investig’Action, Op. cit.
580 Ibid.

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le secteur médiatique ont vu le jour dans le cadre de l’accompagnement des


réformes institutionnelles et politiques dans les démocraties émergentes, aux
côtés d’autres programmes581. En RDC, contrairement à 2006, le processus
électoral de 2011 était principalement financé par l’État congolais, même si
l’appui étranger demeurait conséquent. Cette intervention se focalisait sur la
CENI, l’institution en charge de l’organisation des scrutins. Le PNUD a
centralisé les contributions des différents bailleurs à travers le Programme
d’appui au cycle électoral (PACE), atteignant un total approximatif de
167 millions de dollars. Les États-Unis refusèrent de contribuer au PACE,
mais apportèrent un appui à des projets de la société civile, y compris en
matière d’éducation électorale. Ils ont également financé la principale mission
d’observation indépendante, celle du Centre Carter582. Dans les deux pays,
l’appui, déjà important de l’aide internationale, a été renforcé durant la période
électorale. Les bailleurs de fonds contribuant au financement des élections
dans les deux pays (UK, USA, UE, France et Belgique) demeuraient
convaincus que « la qualité, la nature et la conduite des médias ont toujours
influencé les comportements et les résultats électoraux583 ».
Ces dispositifs d’appui ne sont pas exempts de critiques. Ainsi, au sein de
ces processus, les bailleurs se focalisent sur les élections, ce qui reflète une
propension à se concentrer sur la démocratie procédurale, plutôt que sur
l’élaboration de nouvelles formes de gouvernance qui remettraient en question
les situations économiques antérieures marquées par les privilèges et les
inégalités. En outre, ces programmes apparaissent souvent coincés dans un
« fossé entre l’idéal et ce qui peut effectivement être accompli avec des
ressources internationales limitées et des gouvernements locaux faibles584 ».
À leur tour, ils ont été critiqués pour leur concentration sur des projets à court
terme, autour des élections, des droits de l’homme et des médias, au lieu
d’accompagner la construction institutionnelle, nécessaire à la stabilisation et
à la démocratie. En outre, un rapport du BBC World Trust a souligné que « les
politiques actuelles d’appui aux médias en période électorale sont
caractérisées par une absence de stratégie et de coordination, une prédo-
minance du soutien ad hoc et à court terme, une incapacité à tirer des
enseignements des élections précédentes à travers les organisations et les
pays585 ». Ces critiques mettent en exergue les confrontations qui existent pour
la réalisation des objectifs géostratégiques de puissances mondiales, en
l’occurrence les États-Unis, et émergentes la scène en Afrique centrale.

581 Noah, Edzimbi, François Xavier, Op. cit.


582 Ibid.
583 Ibid.
584 Ottaway, Mickael, « Promoting Democracy after Conflict. The Difficult Choices”,

International Studies Perspectives, N° 4, 2002, p. 314.


585 Ibid.

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En effet, la dialectique des intelligences, qui prévaut dans les relations


entre États sur la scène mondiale, commande une démarche ponctuée de
réserve. L’assistance aux médias d’Afrique centrale n’a pour seul objectif que
l’exécution de leurs entreprises géopolitiques. Elle leur permet de façonner les
mentalités locales afin qu’elles parviennent, par la diffusion des normes, à
adopter leurs valeurs et leurs standards respectifs. Pour ce faire, lesdits pays
ont prévu la participation des populations à la mise en œuvre de cette stratégie.
Le processus part d’une assimilation de ladite opinion par ces moyens
médiatiques qui diffusent des programmes scrupuleusement choisis, qui
permettent aux grandes puissances de présenter et d’expliquer leur culture
auxdites populations.

B- Les moyens économico-militaires utilisés par les États-Unis dans


l’espace Afrique centrale
Les États-Unis entretiennent des relations avec les pays africains par un
certain nombre de programmes entre autres l’AGOA, l’USAID et Food for
Education. L’un des développements les plus importants dans leur politique
africaine au cours de la dernière décennie a été la loi sur l’African Growth and
Opportunity (AGOA), promulguée en 2000 sous l’administration Bill Clinton.
D’autres modifications à l’AGOA ont été signées sous l’administration de
George Walker Bush, en ce compris une extension de l’accès préférentiel aux
importations provenant de pays africains éligibles. L’admissibilité en vertu
des dispositions de l’AGOA est approuvée pour les pays qui ont établi ou font
des progrès vers de nombreuses réformes économiques, sociales et politiques,
des réformes qui correspondent au cadre de marchés ouverts néolibéraux.
D’autres programmes et initiatives contribuent aussi à l’objectif de
l’accroissement du commerce avec l’Afrique, notamment l’African Growth
and Competitiveness Initiative (AGCI), gérée par l’USAID, qui crée des
« pôles régionaux de compétitivité mondiale » et se concentre principalement
sur le soutien des programmes qui améliorent l’environnement des affaires,
en termes d’accès au financement, à l’infrastructure et l’environnement légal
(ou réglementaire) en vue d’améliorer les capacités des entreprises586. Par
ailleurs, afin de se démarquer de leurs concurrents français et Russes, et plutôt
que de prêter directement à des gouvernements largement considérés comme
corrompus, « les États-Unis, eux, vont prêter aux entreprises américaines,
certes, mais aussi à des coentreprises dont au moins 51 % du capital est
américain pour leur permettre d’investir dans des pays en développement. Il

586Pour plus de développements, consulter à ce sujet Fondation pour le renforcement des


capacités en Afrique, Relations entre les USA et l’Afrique. Note d’orientation pour l’Afrique
centrale. Rapport final, 2014, 65 p.

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s’agit de se substituer au marché et offrir une assurance risque pour les inciter
à travailler en Afrique et dans des zones risquées587 ». 
L’AGOA a eu un impact évident dans les échanges Afrique centrale-États-
Unis : les exportations, en provenance des pays de l’Afrique centrale ont
augmenté de plus de 486 %, passant de 559 183 tonnes en 2000 à
3 282 064 tonnes en 2013, créant de l’emploi dont la plupart se retrouvent dans
le secteur de l’habillement et de l’industrie. Cependant, la fin de l’Accord
multifibres (AMF), qui imposait des quotas sur la quantité de textiles et de
vêtements de nombreux pays en développement, a conduit à un effondrement
de la croissance des exportations en 2007-2009588. Les importations améri-
caines au Cameroun évoluent. Elles s’apprécient à travers l’AGOA et le
Système généralisé de préférence des États-Unis (GSP) avec le Cameroun.
Les États-Unis y sont présents à travers des entreprises industrielles et leurs
aides financières. Dans le domaine agro-industriel, la percée de l’entreprise
Herakles Capital Corporation, qui déploie ses activités dans l’énergie, les
mines et les ressources naturelles, l’agriculture, les infrastructures et les
télécommunications, est remarquée. Aussi, Herakles Farms et la Sg
Sustainable Oils Cameroon Plc disposent d’une importante exploitation
commerciale de palmier à huile depuis septembre 2009589 dans la région du
Sud-Ouest Cameroun. Les États-Unis participent aussi, à travers leurs
industries pharmaceutiques, à la lutte contre différentes maladies au
Cameroun. Le gouvernement américain a fait des dons de médicaments, en ce
qui est du choléra et du VIH/SIDA, d’un montant de 14 millions de dollars.
Bien qu’il y ait eu une augmentation des importations américaines en
provenance des pays éligibles à l’AGOA, il s’agit en fait d’augmentation des
exportations de pétrole en provenance d’Afrique590. Les États-Unis
établissent/maintiennent des relations avec d’importants fournisseurs de
pétrole et de gaz naturel sur le continent. Certains pays producteurs de pétrole
africain du centre qui sont relativement stables (la Guinée Équatoriale, le
Gabon, le Congo-Brazzaville) pourraient jouer un rôle accru dans ces
perspectives, compte tenu de leur production pétrolière qui est croissante. On
retrouve des firmes américaines implantées dans la région et reparties dans les
principaux pays de l’Afrique centrale depuis le Gabon, le Tchad, le Cameroun,
le Congo et la RDC. Les intérêts américains dans Chevron Texaco sont
particulièrement présents en Angola. Mais l’arrivée d’Exxon Mobil au cours
des dernières années constitue une évolution récente : la première entreprise
privée mondiale s’est solidement implantée en Angola, en Guinée Équatoriale,
au Tchad et prochainement à Sao Tomé. L’Angola apparaît comme le pays au

587 Roussy, Caroline, « L’Afrique, nouvelle frontière du duel sino-états-unien ? », Revue
internationale et stratégique, N° 120, 2020/4, 137-147.
588 Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique, Op. cit.
589 Voir, Cameroon Tribune, No 10093/6294, du lundi 14 mai 2012, p. 2.
590 Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique, Op. cit.

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potentiel pétrolier et gazier le plus important dans la région. Elle attire tous les
acteurs identifiés, américains, européens et asiatiques et sa production actuelle
est de l’ordre du million de barils/jour. Associée au pavillon national
Sonangol, Chevron Texaco domine à Cabinda à côté d’Agip (Italie) et de Total
(France). Exxon Mobil est l’opérateur du Bloc 15, un grand bloc d’offshore
profond avec BP, Agip et Norsk Hydro. Total est l’opérateur du Bloc 17, en
association avec Exxon, BP, Statoil et Norsk Hydro591. La Guinée Équatoriale
fait figure de nouvel eldorado dans la région. Si la firme espagnole Cepsay est
celle qui y a fait les premières découvertes, ce sont les firmes américaines qui
dominent aujourd’hui le paysage de l’industrie d’exploration-production
pétrolière dans le pays. La production a explosé à la fin des années 1990 pour
atteindre 350 000 barils/jour en 2004.
Deux tiers des concessions ont été attribués à des opérateurs américains du
temps de l’administration Bush592. On trouve aussi des indépendantes
importantes comme Marathon Oïl, Ocean Energy, Amerada Hess. Tout près
de la Guinée Équatoriale, Sao Tomé et Principe est promis à devenir
producteur dans le contexte d’une joint-venture avec le Nigeria qui sera
présenté comme un modèle du genre en matière de coopération régionale, avec
l’appui des compagnies américaines. La création d’un environnement
favorable à l’investissement pétrolier dépasse les seuls aspects militaires
américains dans la région : en Guinée Équatoriale, les compagnies pétrolières
américaines contribuent au processus de délimitation des frontières entre Sao
Tomé, le Nigeria, le Cameroun et le Gabon. Une fois obtenues les garanties
sur la sécurité politique et juridique des investissements, une société de
sécurité (MPRI) proche de l’armée américaine en assure la sécurité
physique593.
Au niveau des industries pétrolières, les échanges entre le Cameroun et les
États-Unis s’accélèrent à partir de 2011. Ces échanges pétroliers trouvent leur
point d’orgue avec l’inauguration du pipeline Tchad-Cameroun, important
investissement ayant coûté environ 3,5 milliards de dollars, soit un peu plus
de 2500 milliards de francs CFA594. Celui-ci permet d’acheminer le pétrole
exploité dans 300 puits situés à Doba (Sud du Tchad), jusqu’au terminal de
Kribi situé au sud du Cameroun. Ce dernier fut inauguré par le président de la
République camerounaise Paul Biya, en présence de son homologue de la
République tchadienne, Idriss Deby Itno, le 12 juin 2004. Le pipeline permet
au Tchad, État n’ayant pas d’ouverture maritime, de profiter de l’avantage
camerounais. Le Tchad sera suivi par le Niger ne possédant pas d’ouverture
maritime. En effet, le mercredi 30 octobre 2013, un accord bilatéral fixant les

591 Ibid.
592 Sébille-Lopez, Paul, Géopolitique du pétrole, Paris, Armand Colin, 2006, p. 174.
593 Donner, Nicolas, « Naphte et dynamiques territoriales en Guinée Equatoriale », Mémoire de

DEA de géographie de l’université de Paris I, 2004, 103 p.


594 Noah, Edzimbi, François Xavier, Op. cit.

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conditions de transit en terre camerounaise des hydrocarbures produits au


Niger, et leur évacuation jusqu’à la côte atlantique camerounaise à travers le
pipeline Tchad-Cameroun, a été signé entre le Cameroun et le Niger595. Le
pipeline qui traverse le Cameroun sur une longueur de 890 km est assurément
l’un des plus coûteux d’Afrique subsaharienne596. Il est exploité par plusieurs
sociétés dont la société Malaisienne Petronas. Mais le gros du pourcentage
revient aux géants américains Exxon-Mobil Corporation (40 %) et Chevron
Corporation (25 %). L’examen des relations commerciales entre ces deux
États montre, en Afrique centrale, l’importance du Cameroun dans le projet
géostratégique des États-Unis.
Ces investissements américains ont pour objectifs le rééquilibrage du
marché pétrolier mondial et le quadrillage du golfe de Guinée. En effet, la
dépendance énergétique des États-Unis vis-à-vis du Moyen-Orient est une
réalité, dans la mesure où l’Arabie Saoudite fournit à elle seule 15 % des
importations américaines de brut. Un réexamen de leur politique énergétique
s’imposait597 alors pour les autorités américaines. Ce réexamen les a conduits
à la conclusion que l’Afrique subsaharienne doit leur servir d’allier de revers
par rapport à l’Arabie Saoudite leur partenaire traditionnel, en qui ils n’ont
plus totalement confiance. C’est ainsi que le pétrole africain est déclaré
stratégique pour la sécurité nationale américaine par les experts américains598.
La région du golfe de Guinée étant la plus riche en hydrocarbures en Afrique
subsaharienne, elle devient rapidement l’objet de convoitise de l’administra-
tion américaine, pour différents avantages :
- Situés en mer et donc offshore, les gisements du golfe de Guinée sont
en principe à l’abri des turbulences politiques ;
- Grâce aux super tankers, le pétrole du golfe de Guinée se trouve à
seulement deux semaines environ des principaux ports américains ;
- À part le géant nigérian et le Gabon, les autres pays producteurs de
brut du golfe de Guinée ne sont pas membres de l’OPEP et, par
conséquent, il est plus facile d’agir sur le prix de leur pétrole. Les
États-Unis découvrent ainsi un avantage perçu très tôt par la France
qui agissait à travers la société Elf en 1967, par et pour l’État
français599.

595 Ibid.
596 Ibid.
597 Fogue Tedom, Alain, « Le Mythe de la marginalisation stratégique de l’Afrique : Analyse

de la dynamique américaine et chinoise autour du pétrole africain », in Kamto, Maurice (dir.),


L’Afrique dans un monde en mutation : dynamiques internes ; marginalisation
internationale ?, Yaoundé, Éditions Afrédit, 2010, pp. 257-258.
598 Ibid., p. 258.
599 Ibid.

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Dès lors, l’importante place de l’Afrique centrale se remarque par l’intense


déploiement économique. Il permet aux Américains de sécuriser et de
conquérir ces marchés et, en occurrence, ceux du golfe de Guinée, courtisés
par d’autres puissances étrangères. Ces échanges commerciaux aident aussi
les États-Unis à détourner l’attention des populations locales sur les objectifs
économiques et stratégiques qu’ils poursuivent en toile de fond dans les pays
de l’Afrique centrale. Le fait de tenir compte que de leurs intérêts, tout en
manifestant une indifférence aux souffrances des Africains, a porté un sérieux
coût à l’image des États-Unis600 durant le contexte bipolaire. Les Américains
mettent ainsi en œuvre d’une politique destinée à soigner leur image601 par la
collaboration économique exprimée à divers aspects comme présentés plus
haut dans le contexte des relations avec l’Afrique centrale. Ayant été qualifiée
de « géopolitique des périls602 » durant la guerre froide, l’Afrique est
aujourd’hui pour les États-Unis un enjeu de défense, particulièrement le golfe
de Guinée devenu, en l’espace d’une décennie, l’une des zones maritimes les
plus dangereuses du monde603. En 2007, la côte ouest-africaine, dans sa
jonction avec l’Afrique centrale, détenait la palme d’or des actes de piraterie
maritime en Afrique. 2008 et 2009 confirmèrent cette tendance, puisque pour
la première fois, de tels actes ont été commis au large des côtes camerounaises
et équato-guinéennes604. La recrudescence d’attentats terroristes dans cette
région de l’Afrique est-elle devenue un véritable problème menaçant la
stabilité des pays riverains et compromettant le développement économique
de la région. Craignant de voir cette insécurité avoir des répercussions à long
terme sur leur sol, mais surtout d’être devancés sur l’exploitation des matières
premières africaines par et au profit d’autres puissances étrangères, les États-
Unis apportent une aide militaire auxdits États.

600 Boniface, Pascal, Op. cit., p. 10.


601 Pondi, Jean-Emmanuel, « L’Irak : “pas décisif” vers l’empire ? » in Pondi, Jean-Emmanuel.
(dir.), Une lecture africaine de la guerre en Irak, Paris, Maisonneuve et Larose/Afrédit, 2003,
pp. 17-22.
602 Noah, Edzimbi, François Xavier, « L’enjeu des matières premières et les fenêtres

d’opportunités américaines en Afrique », Dialectique des intelligences, n° 003, Premier


semestre, 2017, pp. 68-81.
603 Voir, International Crisis Group, Le golfe de Guinée : la nouvelle zone à haut risque,

Rapport Afrique, NO 195, 12 décembre 2012, p. i.


604 En effet, au même titre que la prise des otages au large de Bakassi en octobre 2008 (10

otages dont 7 Français, 2 Camerounais et un Tunisien), l’attaque avec mort d’homme survenue
au large de Douala le 29 avril 2009, le braquage de plusieurs établissements bancaires à Limbe
le 28 septembre 2008, voire ceux à intervalle régulier de la capitale équato-guinéenne (17
février 2009, ile de Bioko) sont autant de signes qui indiquent que la piraterie ne peut plus être
considérée comme un épiphénomène en Afrique Centrale. Ntuda Ebodé, Joseph Vincent (dir.),
Terrorisme et piraterie : de nouveaux enjeux sécuritaires en Afrique Centrale, Presses
universitaires d’Afrique, Yaoundé, 2010, p. 15.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

Les États-Unis forment des unités d’élite dans les armées africaines dans
une dimension technoscientifique et tactique. Près de 5 000 et 6 000 soldats
américains se trouvent sur le sol africain de même qu’une douzaine de bases
et de drones605. Ces efforts matériel, financier et technique américains pour la
formation de soldats africains ont pour but leur participation efficace durant
leurs guerres asymétriques. Quelque 300 militaires américains sont mobilisés
dans le nord du Cameroun dans le cadre de la lutte contre Boko Haram. Ces
soldats mènent « des opérations de collecte aérienne de renseignements, de
surveillance et de reconnaissance », selon l’ancien président américain Barack
Obama606. À cette « diplomatie militaire » viennent s’ajouter les missions de
4 000 soldats américains qui occupent le camp Lemonnier, à Djibouti, tandis
qu’une soixantaine se sont établis au camp Simba, au Kenya, afin de lutter
contre les islamistes Shebab. Depuis leurs bases, les Marines américains
lancent des opérations plus ou moins discrètes contre les terroristes affiliés à
Al-Qaïda, avec pour objectifs de lutter contre la piraterie et le terrorisme (qu’il
s’agisse d’Aqmi, de Boko Haram, des Shebab ou de l’Armée de résistance du
Seigneur de Joseph Kony). Ils sont également présents au Tchad, au Niger, au
Burkina, en Éthiopie et en Ouganda607.
En réalité, l’aide américaine n’est que l’expression d’une « diplomatie
pétrolière » de Washington qui capitalise les enjeux internationaux de
terrorisme et de piraterie pour contrôler et exploiter les ressources stratégiques
africaines, et surveiller leurs voies de transports. D’un autre côté, cet arsenal
militaire a pour objectif masqué la protection de multinationales américaines,
tant pétrolières, agro-industrielles que diamantifères qui se trouvent sur le
continent608. Aussi, souscrit-il à l’évidence d’une confrontation entre les États-
Unis, les pays émergents et leurs anciens alliés européens dans la ruée vers les
matières premières. En effet, l’Afrique étant considérée comme une zone
d’influence historique par la France, une présence directe et manifeste des
forces américaines sur le sol africain est une source d’inquiétude pour elle.
D’où le renforcement de ses forces militaires récurrentes dans ses anciennes
colonies à l’exemple du dispositif militaire Barkhane dédiée à la lutte contre
le terrorisme au Sahel, précédemment nommé « Opération Serval » au Mali,

605 Carayol, Raymond, « Interventions armées : l’Afrique de Papa revient, vive l’ingérence ? »,
Jeune Afrique, NO 2804 du 05 au 11 octobre 2014, pp. 38-39.
606 Oberti, Christian, « Boko Haram : pourquoi les troupes américaines au Cameroun plutôt

qu’au Nigeria ? », article consulté le 21/06/17 sur www.france24.com


607 Olivier, Marcel, « Carte : où sont les militaires américains en Afrique ? », article consulté le

21/06/17 sur www.jeuneafrique.com


608 Banro American Resource (anciennement African Mineral Resource Inc.) et Brc

Development Corp. sont deux filiales de Banro Corporation, industrie minière américaine
installée en RDC. Elle détient 93 % de SAKIMA, Société Aurifère du Kivu et du Maniema, par
le biais de sa filiale Banro American Resources Inc. Les 7 % restant sont détenus par le
gouvernement de la RDC. Voir, « Portrait de quelques sociétés minières canadiennes présentes
en Afrique », consulté le 15/04/17 sur www.miningwatch.ca

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

et « Épervier » au Tchad. L’opposition feutrée entre Américains et Français


est l’expression d’une « géopolitique de barils marginaux » adoptés par ces
derniers tous en quête de puissance ultime.

Conclusion
L’Afrique centrale constitue un important enjeu pour les puissances
mondiales et les pays émergents, en raison des multiples ressources naturelles
et stratégiques dont elle regorge. Et, en raison de sa situation géographique et
de ses atouts, chaque acteur stratégiquement mature met en place des
stratégies pour quadriller la région et l’introduire dans son giron politique. Les
États-Unis déploient pour ce faire des moyens politiques (l’octroi d’aide pour
la promotion d’un État de droit), diplomatiques (l’anticipation des décisions
politiques à partir de liens étroits entre diplomates américaines et responsables
politiques africains), économiques (rapports privilégiés par l’AGOA ou
encore l’inauguration du pipeline Tchad-Cameroun) ou encore culturels et
militaires. Ces relations particulières permettent aux Américains d’avoir une
mainmise sur l’appareil gouvernemental et se donner la possibilité d’anticiper
sur les décisions de responsables politiques. La France, quant à elle, s’appuie
sur les différents régimes politiques de son ancien pré-carré colonial pour
limiter les influences américaine et russe, aussi sur les concessions que lui
accordent les différents États de la région, lors de la signature de contrats
économiques, pour réduire leurs marges de manœuvre sur le marché Afrique
centrale.

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CHAPITRE 4 :
DE NÉCESSAIRES TRANSFORMATIONS
EN AFRIQUE CENTRALE POUR UN DÉVELOPPEMENT
AUTOCENTRE ET UNE AUTONOMIE STRATÉGIQUE

D’une manière générale, l’Afrique est peu présente dans les médias
étrangers, une réalité qui renforce une importante méconnaissance d’un
continent aussi vaste que complexe. Et pour illustration, la grille de lecture
d’un conflit en Afrique, qui résulte la plupart du temps de processus émi-
nemment politiques, consiste le plus souvent à n’y voir qu’une rivalité
intercommunautaire ou religieuse avec un rappel quasi obsessionnel des
groupes communautaires des responsables politiques locaux. C’est une façon
arbitraire de percevoir et de présenter les pays africains non pas comme des
États, mais comme une simple juxtaposition de groupes communautaires
antagonistes609. Comme conséquence à cette perception, définie comme une
« géopolitique de périls », le continent a été délaissé durant la bipolarité.
Aussi, bien que le traitement médiatique de l’actualité africaine charrie déjà
maints clichés, au tournant des années 2000, cette lecture biaisée de l’Afrique
sera renforcée par Stephen Smith, lorsqu’il affirma que, « depuis l’indé-
pendance, l’Afrique travaille à sa recolonisation », corroborant une idée
arbitraire selon laquelle la démocratie serait un luxe pour les Africains610.
Or, la démocratie est un processus qui est à la fois lent et interne,
l’expérience française depuis 1789 est sur ce point éclairante, faite d’allers-
retours entre des régimes républicains et démocratiques, et d’autres monar-
chiques, impériaux ou autoritaires. Aucune démocratie n’a été fondée par une
intervention extérieure, encore moins par la guerre. Les démocraties
durablement installées sont celles qui sont le fruit de mouvements internes de
la société611. La crise du Covid-19 constitue un virage stratégique majeur qui
fait rentrer l’humanité dans un monde différent de celui qui existait encore fin
2019. Pour Pascal Boniface, « les Occidentaux ont perdu le monopole de la
puissance et de la richesse, mais ils continuent à être riches et puissants.
Toutefois (avec la montée en puissance de pays émergents), ils doivent

609 Tagne, Jean-Bruno, « De la presse coloniale au journalisme sous contrôle : la fabrique de

l’information », in Borrel, Thomas, Boukari-Yabara, Amzat, Collombat, Benoît et Deltombe,


Thomas (dir.), Op. cit., pp. 1103-1122.
610 Ibid. Alors maire de la ville de Paris à l’époque, l’ancien président français Jacques Chirac

affirma sur les antennes de RFI le 24 février 1990 : « le multipartisme est un luxe superflu pour
les jeunes pays en voie de développement comme les pays africains ; le parti unique leur
convient mieux ».
611 Boniface, Pascal, 50 idées reçues sur l’état du monde. Mondialisation, guerres et conflits,

duel Chine/États-Unis, Covid-19… Qui dirige le monde ? Paris, Éditions Armand Colin, 2021,
163 p. NB : si tous les propos sont bien de lui, leur agencement est de l’auteur.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

s’habituer à ne plus diriger (à eux seuls) le monde612 ». Ainsi, dans un système


international où chaque acteur, qu’il soit national, régional ou international,
adopte une stratégie pour mieux se positionner en fonction de ses capacités
propres, les États d’Afrique centrale, s’ils veulent se développer et se projeter
vers l’extérieur, doivent dorénavant faire preuve de maturité stratégique afin
de s’arrimer aux enjeux de puissance post-guerre froide. Ce sursaut débute par
de nécessaires restructurations de leur représentation du monde et des
relations avec l’extérieur dans le cadre stratégique (section 1) afin qu’elle
apporte des résultats concrets dans son implémentation opérationnelle
(section 2).

Section 1 : Un retard stratégique à rattraper : préalable pour tout


processus de développement et projection de puissance

La fin de la bipolarité a remis au-devant de la scène internationale


d’anciennes formes de conflictualités, en plus des nouvelles formes de
combats, par l’entremise du phénomène de mondialisation. Quoiqu’identifiés
bien avant, l’onde de choc la plus importante de ces évènements est survenue
le 11 septembre 2001. Certains auteurs n’ont pas hésité à parler de guerre
postmoderne, ou encore de conflits de quatrième génération, pour désigner
des situations où ce ne sont plus deux armées classiques qui s’affrontent
pendant une période et sur un territoire délimité613. Dans ce contexte de
mondialisation, de terrorisme et de criminalité internationale, la guerre laisse
la place à une violence animée de passions culturelles, communautaires ou
criminelles. La sécurité et la défense constituent des défis majeurs du
XXIe siècle pour l’Afrique, marquée par une recrudescence du terrorisme, des
conflits et des malaises sociaux. Selon le général d’Armées Pierre De Villiers :
« les temps à venir seront difficiles. La force régulatrice des États souverains,
comme celle des pôles de sécurité collective, est fortement fragilisée par
l’affirmation de nouvelles menaces. (Ainsi), nous avons le devoir
(aujourd’hui) de regarder la réalité en face, sans la noircir, ni l’exagérer,
mais avec le souci d’appréhender le monde actuel, tel qu’il est et te qu’il
évolue614 ». Compte tenu de cette perception, les autorités étatiques d’Afrique
centrale doivent faire preuve d’une « mue stratégique », conduisant à
l’émanation d’un désir de puissance (A), et à un arrimage de leur politique de
renseignement aux enjeux nationaux et mondiaux post-guerre froide (B).

612 Ibid.
613 Noah, Edzimbi, François Xavier, Op. cit.
614 De Villiers, Pierre, Réussir, Paris, Éditions Fayard, 2017, p. 17. NB : si tous les propos sont

bien de lui, leur agencement est de l’auteur.

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A- Le désir de puissance : un ingrédient/sentiment indispensable


pour tout processus de développement et d’autonomie stratégique
Pour le général d’Armées Pierre De Villiers : « dans les temps difficiles
que nous traversons, mieux vaut faire de la stratégie que de la tactique.
(Ainsi), un outil de défense doit être utile et pertinent (pour un État) dans le
monde d’aujourd’hui et de demain, afin de maintenir son niveau d’efficacité,
de puissance et de rayonnement international615 ». Partant des propos de
l’auteur susmentionné, tout processus de développement, et, entre autres, de
construction de la puissance, résulte premièrement d’un désir. Ce concept
multiforme ne s’opérationnalise que là où le peuple, après une définition et
une circonscription de ses intérêts nationaux sous l’impulsion de dirigeants
éclairés, partage en commun un certain sentiment d’orgueil national,
émanation d’une culture stratégique. En effet, « le manque d’une théorie sur
l’intérêt national représente un point vulnérable, un vrai péril pour l’existence
de l’État et du peuple. Péril qu’il ne faut pas négliger, car dans l’absence
d’une formulation/réglementation claire des objectifs et des priorités
stratégiques de développement les menaces et les risques se présentent de
manière inévitable616 » pour toute entité étatique.
Ce désir, mieux cet orgueil national, est opposé au sentiment de vanité qui
est une absence d’humilité, « le mépris de tout, sauf de soi-même617 ». Il est la
haute estime qu’un peuple, qu’une nation, a de lui-même, le sentiment que
cultive un peuple, une nation sur son rôle et son histoire dans la marche du
monde. Ce sentiment fut exalté dans le Japon féodal, durant l’ère Edo qui
exalte « l’orgueil qui doit être sorti de son fourreau, comme une bonne lame,
pour qu’elle ne se rouille pas618 ». Il est également mis en avant par le général
de Gaulle au sein de la France Libre sous l’occupation allemande, mais aussi
après la Libération à travers les notions telles la Grandeur de la France, le
Rang de la France, l’indépendance nationale, le prestige de la France619. Il se
dégage que l’orgueil national qui épouse les contours du niveau de conscience
nationale, c’est-à-dire du sentiment valorisé d’appartenir à une nation, est la
précondition à la quête de la puissance dans un pays620. Or, l’institution du
système d’« indépendance-coopération » par le général de Gaulle, comme
impératif pour toute entité coloniale candidate à l’indépendance, a fortement

615 Ibid., p. 10.


616 Pour plus de développements, lire à ce sujet Cardot, Pierre, « De la définition et de la défense
des intérêts nationaux (première partie) », Regards Citoyen, article consulté le 15/12/2021 sur
http://regards-citoyens.over-blog.com/article-de-l-interet-national-109057769.html
617 Voir, Le philosophe Théophraste, cité dans « Orgueil », document consulté le 01/03/2018

sur www.wikipedia.org
618 Ibid.
619 Voir, Dossiers thématiques, 1944-1946 ; La Libération, Restaurer le rang, documents

consultés le 01/03/2018 sur http://www.charles-de-gaulle.org/pages/l-homme/dossiers-


thematiques/1944-1946-la-liberation/restaurer-le-rang-de-la-france.php
620 Fogue Tedom, Alain, Op. cit., p. 230.

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contribué au désintérêt de cette qualité, sa non-considération par les autorités


africaines, et son inculcation fort limitée dans leur logiciel programmatique
de développement respectif. Ce sentiment est quasi inexistant en Afrique
centrale, du moment où certains dirigeants étatiques font preuve d’absence
d’orgueil national, ceci depuis l’accession de leur entité territoriale respective
à l’indépendance. En effet, ils ont préféré confier leur destin à l’ancienne
puissance colonisatrice ou tutélaire qu’est la France.
Pour ce qui est du Cameroun, lors de son investiture comme président de
la République à l’Assemblée législative du Cameroun (ALCAM), le 10 mai
1958, le Premier ministre Ahmadou Ahidjo affirma dans son discours-
programme que « c’est avec la France que, une fois émancipé, le Cameroun
souhaite librement lier son destin pour voguer de concert sur les mers souvent
houleuses du monde d’aujourd’hui621 ». Par la suite, son successeur Paul Biya,
président de la République, affirma le 1er décembre 1990, lors de la sortie des
élèves officiers de la promotion « Unité et solidarité » de l’EMIAC, que « le
Cameroun, pour sa part, ne nourrit aucune ambition de puissance. Le
Cameroun est un État dont le développement n’est possible que dans la paix
et la stabilité. La mission principale des forces armées est de préserver cette
paix (…)622 ». Pour sa part, interviewé au journal français Libération en 1996,
l’ancien chef d’État gabonais Ali Bongo Ondimba affirma que « l’Afrique
sans la France, c’est une voiture sans chauffeur. La France sans l’Afrique,
c’est une voiture sans carburant623 ». Il se remarque une construction du
développement biaisée et une quête de la puissance par les entités étatiques de
l’Afrique centrale orientée vers la France, au travers de leur plus haute autorité
en raison d’une absence d’orgueil national et de conscience géopolitique,
malgré le peu d’intérêt et la mésestimation que leur portent leurs paires
français. Pour illustration, à l’issue d’un dîner en l’honneur de l’ancien
président tchadien François Tombalbaye le 8 novembre 1968, et à la veille
d’une visite de son homologue gabonais, l’ancien chef d’État Ali Bongo
Ondimba, exaspéré des visites récurrentes de ses homologues africains, le
général de Gaulle, s’adressant à son conseiller Jacques Foccart, déclara :
« cela suffit comme cela avec vos nègres. Je suis entouré de nègres ici. Foutez-
moi la paix avec vos nègres, on ne voit que des nègres tous les jours à l’Élysée.
Et puis je vous assure que c’est sans intérêt624 ».

621 Voir, « Enquête sur le massacre des bamilékés », article consulté le 01/03/2018 sur
http://www.grioo.com/blogs/tiptop/index/php/2005/06/22/217-enquete-sur-le-massacre-des-
bamilekes.html
622 Voir, Discours du président de la République Paul Biya à la sortie des élevés officiers de la

promotion « Unité et solidarité » de l’EMIAC, en décembre 1990.


623 Hofnung, Thomas, « Avec Omar Bongo, c’est un bout de la Françafrique qui disparaît »,

article consulté le 15/12/2021 sur https://www.liberation.fr/planete/2009/06/07/avec-omar-


bongo-c-est-un-bout-de-la-francafrique-qui-disparait_562718/
624 Youdji Tchuisseu, Ghislain, « Nos “amis” dictateurs », in Borrel, Thomas, Boukari-Yabara,

Amzat, Collombat, Benoît et Deltombe, Thomas (dir.), Op. cit., pp. 442-463.

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Cette mésestimation des autorités africaines, et de leurs populations par


ricochet, sera aussi remarquée en 1992, alors que se prépare en France la
dévaluation du FCFA. Selon le FMI et la BM, la dévaluation devrait rendre
leur compétitivité aux pays de la zone francs, réduire leurs importations et
augmenter leurs recettes d’exportations, en un mot rétablir les équilibres. Les
chefs d’État africains n’ont pas le même point de vue sur le sujet et, pour un
départ, résistent à cette injonction qui aurait des effets négatifs sur leur
pouvoir. Ensuite, les présidents Omar Bongo du Gabon, Blaise Compaoré du
Burkina Faso, Abdou Diouf du Sénégal et Félix Houphouët-Boigny de Côte
d’Ivoire se rendront à l’Élysée en 1992, pour convaincre le président François
Mitterrand des risques d’explosion sociale qu’entraînerait une telle décision.
Toutefois, malgré les promesses faites par le président français, dans la soirée
du 11 janvier 1994, après trois jours de sommet à huis clos, l’ancien ministre
camerounais des Finances Antoine Tsimi lira le communiqué qui annonce la
nouvelle parité : 100 FCFA ne valent plus qu’un franc français, contre deux
auparavant. Pour Michel Roussin, alors ministre français de la Coopération,
qui participait au sommet, « il y a eu la colonisation, la loi-cadre, les
indépendances et la dévaluation… c’est un moment historique !625 ».
Secondement, le territoire et les hommes sont généralement administrés
par des institutions, le plus souvent aujourd’hui un État. De ce fait, les
institutions doivent par la suite mettre en musique avec talent le désir de
développement et de puissance. La faiblesse des institutions, leurs
contradictions ou leur corruption produisent souvent de l’impuissance. La
quête de puissance implique aussi des choix de priorité, notamment dans
l’allocation des ressources financières, humaines et technologiques. Elle
impose une analyse de la situation présente, une réflexion sur les lignes de
force des temps proches et lointains, des choix d’objectifs, l’allocation de
moyens et une mise en œuvre pertinente. Seuls les États qui s’en donnent les
moyens sont à même d’avoir une chance d’accroître leur puissance, car celle-
ci s’impose toujours au détriment d’un autre, en dépit de tous les discours
convenus, d’où l’importance de disposer de son propre logiciel
programmatique de développement et de puissance. Ensuite, le désir nécessite
une stratégie pour arriver à ses fins. Une stratégie est nécessaire pour
développer la puissance626. Qu’il manque un de ces éléments et la stratégie
échoue. Au Cameroun, l’option du « destin lié » énoncé par l’ancien Premier
ministre Ahidjo le 10 mai 1958 condamnait le pays à laisser le soin à une
puissance étrangère, en occurrence l’ancienne puissance tutélaire qu’était la
France, la responsabilité de définir l’intérêt national camerounais. Ainsi à
cause de sa trajectoire politique, le pays trouve des difficultés à amorcer une
réflexion sur ce qui peut constituer son intérêt national. Ceci se vérifie à
travers l’examen de ce qui, depuis les années 1970, peut être considéré comme
625 Ibid.
626 Verluise, Pierre, Op. cit.

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le socle de sa politique étrangère. Ce socle, qui est en réalité une disposition


de la charte de l’UNC créée six ans après l’indépendance du Cameroun, repose
sur :
- Le libre attachement au principe de non-alignement dans les affaires
intérieures des autres États ;
- L’attachement aux nobles valeurs de paix et de sécurité dans le
monde ;
- Le règlement pacifique des conflits ;
- Le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- L’adhésion aux autres principes de l’OUA, de l’ONU et du
mouvement des non-alignés627.
Pour Narcisse Mouelle Kombi, qui analyse la trajectoire de la politique
étrangère du Cameroun de l’indépendance jusqu’à l’avènement du régime dit
du Renouveau, trois axes la résument :
- La prééminence du chef de l’État ;
- L’indépendance nationale, le pacifisme et l’unité africaine ;
- L’impératif du gouvernement628.
Les deux axes dégagés renseignent, en plus d’un statu quo qui leur est
favorable, sur la difficulté pour les instances gouvernementales du Cameroun
d’établir une ligne directrice de la politique étrangère du pays,
indépendamment et sans recourir à l’ancienne puissance tutrice. En effet,
plusieurs points de ces axes sont aujourd’hui caducs et ne résistent pas à
l’évolution des enjeux internationaux depuis l’effondrement du bloc
soviétique et la perte de pertinence du mouvement des non-alignés629. De plus,
ils ne suivent pas l’évolution des institutions régionales si l’on considère
qu’entre-temps, l’OUA est devenue l’Union africaine (UA)630. La diplomatie
étant le cadre par excellence de la mise en œuvre de la politique étrangère d’un
État, et d’un désir de puissance entre autres, l’absence d’une véritable ligne
directrice de la politique étrangère camerounaise a des répercussions au niveau
de la diplomatie censée la mettre en œuvre.
Partant de ces constats, il est impératif de mettre en œuvre un exercice de
transmission dynamique des connaissances, qui aiderait à mieux façonner les
mentalités africaines dans l’optique de l’adoption de valeurs standards liées à
l’auto représentation du développement par les populations et les autorités. Le
processus aurait pour assise, une vulgarisation de l’auto représentation du
développement à travers des moyens sociaux, politiques et médiatiques

627 Mendo Ze, Gervais, Ecce Homo Ferdinand Léopold Oyono, Hommage à un classique
africain, Paris, Karthala, 2007, consulté le 04/03/2018 sur
https://books.google.cm/bookd?id=gNd0uA_AoCwC&printsec=frontcover&dq=Ecce+Homo
+Ferdinand+Léopold+Oyono.+Hommage+à+un+classique+africain,+
628 Mouelle Kombi, Narcisse, La politique étrangère du Cameroun, Paris, L’Harmattan, 1996,

238 p.
629 Fogue Tedom, Alain, Op. cit., p. 256.
630 Ibid.

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adaptés via des programmes scrupuleusement conçus631. Ces derniers, inspirés


d’une représentation nationale, permettront de présenter et d’expliquer le
projet de développement aux populations et les amener à avoir une estime de
soi. L’un des effets d’une telle stratégie est qu’elle aiderait à adopter des
politiques libertaires promouvant l’exploitation intelligente des ressources, la
création et la stimulation de valeurs et des normes intangibles propres aux
sociétés ouvertes. Dans cet objectif d’implémentation d’une conscience locale
et, parallèlement, d’un désir de construction d’une autonomie stratégique, les
entités étatiques d’Afrique centrale peuvent s’inspirer du Japon qui, depuis le
1er mai 2019, s’est inscrit dans l’ère Reïwa. Signifiant « Belle harmonie »,
l’élaboration/adoption de cette nouvelle ère nipponne a été confiée aux soins
d’un comité ad hoc de neuf « sages » issus des milieux sociaux, économiques
et académiques632.
Une telle option est d’une importance politique certaine. Ceci dans la
mesure où elle représente un ensemble de capacités fondées sur la maîtrise par
les citoyens nippons des manières de faire, de penser, de réfléchir et de sentir
qui leur permettent de jauger les menaces, d’agir et de réagir face aux enjeux
de défense et de sécurité en présence, d’orienter et de parfaire leur stratégie de
puissance pour un profit efficient, symbolique et matériel dans un contexte
mutant. La domestication d’une intelligence culturelle permettrait de
poursuivre et de renforcer la culture locale, afin de donner aux jeunes l’envie
de s’investir dans la modernisation et le développement de leur pays respectif
pour mieux répondre à l’interpellation de la « vie et du travail au pays, étant
pris ici dans sa dimension infra étatique ». Il y a donc lieu de promouvoir
l’émergence d’une nouvelle génération de leaders, capables de relever
plusieurs défis comme ceux de la fragmentation de l’espace, de l’histoire et
du savoir, de la refondation de l’État postcolonial, de la promotion de la
démocratie et des droits humains, et de la mise en place de nouvelles
conditions de paix et de liberté, gage d’un développement durable. Cette
« (re)socialisation intelligente » des populations permettrait de diffuser la
pratique de l’intelligence économique633 (IE) indispensable dans un
environnement post guerre froide. Pour ce faire, il est indispensable que les
631 Noah Edzimbi, François Xavier, « Intelligence économique et maturation des projets de
développement local au Cameroun », », Espace géographique et société marocaine, N° 52,
septembre 2021, pp. 141-154.
632 Régis, Albert, « Le Japon choisit d’entrer dans l’ère Reïwa », Le Figaro, mardi 2 avril 2019,

p. 7.
633 L’intelligence économique désigne les activités de production de connaissance servant les

buts politiques, économiques, culturelles et stratégiques d’un acteur/institution/firme/entreprise


(veille concurrentielle, protection des données, stratégies d’influence, contre ingérence). Ces
activités de production de connaissance relèvent la plupart du temps d’un contexte légal à partir
de sources ouvertes, et dans certains cas du renseignement économique à partir de sources
confidentielles. Assens, Christophe, Perrin, Cédric, « L’intelligence économique : une stratégie
de réseau pour les entreprises », Revue internationale d’intelligence économique, 2011/2 Vol 3,
p. 138.

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autorités locales s’impliquent dans toute initiative concernant l’IE, ce qui


conduirait à la restructuration de leur politique de renseignement.

B- L’impératif d’une restructuration de la politique/communauté de


renseignement
Pour gagner les guerres tant militaires qu’économiques, le pouvoir poli-
tique a toujours eu recours aux connaissances scientifiques et/ou techniques
disponibles634. D’où l’importance stratégique qu’occupe le renseignement635.
Pour toute entreprise ou organisation, la maîtrise de l’information qui se
transforme en connaissances (des informations auxquelles des individus ont
donné du sens pour l’action) est un avantage concurrentiel majeur. Englués
dans une collusion avec ses partenaires extérieurs et lestés par le poids de leurs
contradictions, les pays d’Afrique centrale se caractérisent par une « sidérante
et dramatique absence de culture du renseignement636 », qui les condamne à
une incapacité d’opérer une nécessaire « mue stratégique » indispensable à
l’arrimage au jeu de puissance qui structure les relations internationales post-
guerre froide637. La non-inscription du renseignement dans leur logiciel
programmatique de développement, tant dans l’aspect géographique que
socio-technologique, constitue un indicateur de sa cécité stratégique638.
La géographie est le creuset des modèles de transformation de l’espace au
mieux des intérêts politiques et stratégiques d’organisation tant étatique que
régionale. Qu’elle serve à faire la guerre639 ou la paix, la géographie inspire,
influence et détermine la politique de tout État. De manière générale, le
renseignement géographique est considéré comme une aide à la décision
politique et un appui aux forces sur le théâtre d’opérations tant dans les
domaines militaire qu’économique. Par définition, la géographie renseigne,
apporte les informations nécessaires aux politiques, aux commandements, aux
unités en opérations, aux entrepreneurs et investisseurs économiques.
Lorsqu’elle est produite par et pour des services de renseignement, elle devient
confidentielle en raison du caractère sensible des données qui ne doivent pas

634 Laperche, Bertrand, « Les inventions, la science et la guerre : la place du secret »,


Innovations, No 21, 2005/1, p. 109.
635 Le renseignement est une information recherchée dans le but de répondre à un besoin de

savoir utile à la décision en environnement incertain ou opaque. La fonction renseignement,


quant à elle, est un processus d’exploitation qui, à partir de connaissances acquises auprès de
différentes sources qu’elle oriente, a pour finalité de délivrer à un client les savoirs utiles à la
décision en environnement incertain ou opaque. De Maillard, Christophe, « La France et le
renseignement criminel : entre volonté et réalité, une ambition à écrire », Sécurité et stratégie,
2014/2 (17), p. 55.
636 Masson, Michel, « L’avenir du renseignement », Géoéconomie, N° 51, 2009/4, p. 10.
637 Tchetchoua Tchokonté, Sévérin, « Projet de renaissance et défi d’émancipation stratégique

des dirigeants africains », Dialectique des intelligences, No 4, 2017, p. 74.


638 Fogué Tedom, Alain, Op. cit.
639 Lacoste, Yves, La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, Paris, Maspéro, 1976,

187 p.

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être transmises de manière générale640. Le renseignement de terrain641,


dimension du renseignement géographique, donne une vision globale de
l’espace d’engagement sur divers thèmes : le cadre institutionnel et l’évo-
lution historique (généralités, historique, structures administratives et
politiques), le milieu naturel (relief, sol et sous-sol, hydrographie, végétation
et faune, climat), la population (démographie, cultures et sociétés, espace
rural, espace urbain) et l’économie (situation économique générale, réseaux et
transports) d’une part. Mais aussi des données physiques (situation, histo-
rique, topographie, géologie et géomorphologie, hydrographie, climatologie,
pédologie, biogéographie), données humaines (géographie de la population,
ethnologie, géographie rurale, géographie urbaine, géographie économique,
axes de communication et de transport, structures administratives et
politiques) et données militaires642 d’autre part.
La géographie est une discipline de construction de l’identité nationale, de
l’adaptation des nations à leur cadre de vie, le substrat géopolitique, géostra-
tégique et géoéconomique de leur développement et de leur projection vers
l’avenir. Elle vise la construction d’un savoir-penser l’espace et une fabrique
de la conscience nationale autour des problématiques spatiales d’une nation
ou d’un peuple643. Aussi, le déficit de renseignement géographique d’États
d’Afrique centrale a des répercussions sur leur diplomatie économique644, tant
au niveau géoéconomique que géoénergétique645, du moment où ils ne
disposent pas de la « matière première immatérielle » qu’est l’information,
enjeu et outil majeur de pouvoir et de développement. L’énergie constitue
aujourd’hui un enjeu géostratégique utilisé par les États, de même que par
différents acteurs dans le monde post Guerre froide, au nom de la sécurité
nationale et internationale, et leur quête de puissance, d’où la prépondérance
des zones de guerres, de tensions et de conflits. Les entreprises énergétiques
communiquent sur toutes sortes de thématiques : le changement climatique, la
sécurité, la sûreté, le développement durable, etc. Les implantations straté-
giques sont recherchées et les avancées technologiques permettent aux
sociétés pétrolières d’accéder à de nouveaux gisements, mais pour cela il est
nécessaire pour elles de trouver les bonnes informations et de les exploiter au
bon moment. L’anticipation permet d’obtenir les informations stratégiques
pour les corréler à d’autres, mais aussi pour les exploiter en temps opportun

640 Boulanger, Paul, « Renseignement géographique et culture militaire », Hérodote, N° 140,


2011/1, pp. 47-57.
641 Ibid., p. 54.
642 Ibid., pp. 55-57.
643 Klein, Jean-Louis et Laurin, Stéphane, L’éducation géographique. Formation du citoyen et

conscience territoriale, Québec, Presses de l’Université du Québec, 1999, pp. 7-15.


644 Revel, Claude, « La diplomatie au cœur de l’influence », L’interview du mois, document

consulté le 14/06/19 sur www.google.com


645 Du Castel, Vincent et Monfort, Jean, « Géoénergie, entre nouveaux enjeux et nouvelles

perspectives géostratégiques », Géoéconomie, No 74, 2015/2, pp. 173-175.

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et enfin pour protéger les données stratégiques détenues par l’entreprise et


l’État. De ce fait, le renseignement géographique s’érige en outil privilégié de
décryptage permettant d’orienter la décision et de nuancer le jugement du
décideur dans un environnement international où « sans la connaissance, on
est dans la main des autres646 ».
Toutefois, face aux guerres nouvelles647, les pays d’Afrique centrale
développent une dépendance au renseignement géographique des puissances
étrangères, mais aussi vis-à-vis du renseignement économique et techno-
logique648 fourni par des firmes multinationales649, qui permettent à celles-ci
de localiser et de circonscrire les ressources stratégiques comme les
granulats650, les terres rares651 ou encore d’exploiter les gisements d’hydro-
carbures, le pétrole et le gaz offshore dans leur quête d’une puissance ultime.
Le paradoxe se dessine : faisant preuve d’immaturité stratégique, ces pays,
laissant cet espace de souveraineté à la merci d’autres acteurs, se voient
doublée et mis à l’écart de toutes négociations stratégiques mondiales liées à
l’économie, au développement et au bien-être des populations africaines. Car,
elle dispose d’une cartographie et d’une topographie géologique, géomorpho-
logique, hydrographique, climatologique, pédologique, biogéographique et
maritime limitées ; et d’une technologie non adéquate pour détecter, localiser,
circonscrire, extraire et transformer les ressources naturelles en produits finis
ou semi-finis qui lui permet de traiter et de négocier d’égal à égal avec d’autres
acteurs de l’espace international. En effet, fondée sur le traitement
professionnel de l’information ouverte, l’IE fait précéder toute décision
stratégique d’une triple démarche de veille/anticipation sur son environne-
ment extérieur, notamment concurrentiel, de prévention des risques et de
sécurisation, et enfin d’influence en amont, sur les décisions et sur les règles

646 Masson, Michel, Op. cit.


647 Vennesson, Pascal, « Penser les guerres nouvelles : la doctrine militaire en question »,
Pouvoirs, No 125, 2008/2, pp. 81-92.
648 Fogue Tedom, Alain, Cameroun : sortir le renseignement du maintien de l’ordre politique.

En faire un outil stratégique, Yaoundé, Les Éditions du Schabel, 2017, p. 57.


649 La plupart des ressources stratégiques africaines sont découvertes par des multinationales et

des puissances industrielles. Comme exemples, selon un communiqué daté du jeudi 27 octobre,
le major pétrolier américain Exxon Mobil a découvert un puits de pétrole oscillant entre 500
millions et un milliard de barils sur le champ Owowo-3 situé à plusieurs miles de la côte de
l’État de Bayelsa dans le sud du Nigéria. D’un autre côté, l’entreprise pétrolière britannique
Cairn Energy annonça le 7 octobre qu’elle avait découvert un gisement à 100 kilomètres au
large des côtes sénégalaises. Découvert à 1 427 mètres de profondeur, les réserves de ce puits
tourneraient autour de 250 millions de barils de pétrole selon ses premières estimations. Voir
« Pétrole : Exxon Mobil annonce la découverte d’un gisement de pétrole offshore au Nigeria »
et « Un gisement de pétrole découvert au large du Sénégal », articles publiés le 28/10/2016 et
le 09/10/2014 et consultés le 15/02/2019 sur www.rfi.fr
650 Chaumillon, Emile, « L’exploitation des sables et granulats marins : une menace pour les

littoraux ? », article consulté le 15/02/2019 sur www.institut-ocean.org


651 Fouquet, Yves, « Sulfures polymétalliques hydrothermaux océaniques », Les techniques de

l’industrie minérale, N° 15, 2002, pp. 51-65.

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et normes internationales. Il s’agit aussi en interne de faire circuler


l’information et faire collaborer les agents. Ce dernier aspect est aussi appelé
management de la connaissance. L’ensemble doit permettre d’apporter une
valeur ajoutée, en évitant les crises, en optimisant les actions et en favorisant
l’innovation, processus sous-estimé/mésestimé par les instances décision-
nelles des États de l’Afrique centrale. Ce constat fait apparaître un autre
déficit : celui en matière de renseignement socio-technologique.
Depuis la chute du mur de Berlin, la plupart des guerres contemporaines
avaient pour caractéristique l’engagement direct. Mais depuis plusieurs
années, le contexte géoéconomique en vigueur a entraîné le retour de guerres
par procuration et de guerres nouvelles liées au chamboulement géopo-
litique652. Aussi, les puissances s’opposent de plus en plus par le biais de
moyens autres que militaires. Les conflits modernes se caractérisent tant par
une action psychologique orientée dans la conquête des esprits et des volontés,
que matérielle exigeant une action dans la durée653. Dès lors, le renseignement
d’origine humaine (ROHUM)654 s’établit comme une inéluctable nécessité,
car il contribue à l’anticipation stratégique qui éclaire l’action d’où, pour
Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie, « celui qui deviendra
leader dans ce domaine dominera le monde655 ». En effet, il vise à maîtriser
l’environnement général et les situations particulières dans la grande variété
des domaines qui les caractérisent : politique, économique, institutionnel,
juridique, sociologique, médiatique, humanitaire et militaire. Nombreux sont
les projets d’émergence que les États d’Afrique centrale adoptent, avec pour
ambitions la transformation globale des structures économiques et l’amélio-
ration significative des conditions d’existence des populations. Toutefois, ils
souffrent d’une déficience en matière de renseignement humain nécessaire à
la mise en œuvre desdits projets. Ne disposant pas de capacités tant
stratégiques, techniques, opérationnelles que tactiques pour une formation
complète et intégrale d’agents de renseignements, et en raison d’espaces de
souveraineté que les pays africains laissent à ses partenaires étrangers pour
l’élaboration de ses politiques économiques656, ils n’anticipent ni ne prévoient
aucune menace. Aussi, la demande constante faite par ces pays d’une
assistance étrangère en vue d’apporter des solutions à des ruptures/surprises

652 Lasserre, Isabelle, « Les conflits par procuration sont-ils l’avenir de la guerre ? », Le Figaro,
lundi 13 mai 2019, p. 19.
653 Général Desportes, Vincent, « Les nouvelles conditions de l’efficacité militaire », Doctrines,

Renseigner pour les forces, No 09, 2006, p. 34.


654 Général Blervaque, Philippe, « Recherche du renseignement : l’adaptation de nos

capacités », Doctrines, Renseigner pour les forces, No 09, 2006, p. 34.


655 Paquette, Emmanuel, « Intelligence artificielle : la nain européen », L’Express, 6 mars 2019,

pp. 35-37.
656 Fogue Tedom, Alain, Enjeux géostratégiques et conflits politiques en Afrique noire, Paris,

L’Harmattan, 2008, p. 175.

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stratégiques, démontre leur déclassement dans « l’infosphère657 », nouvel


espace d’affirmation et de projection de puissance dans le monde post Guerre
froide.
La bataille des marchés a généré une véritable guerre économique. Dans
ce conflit mondial, l’enjeu pour chaque nation est d’engranger des profits de
plus en plus importants tout en créant des emplois et des revenus croissants au
détriment des autres pays. Partant de ce contexte, les États d’Afrique centrale
doivent faire preuve de créativité et disposer de moyens de renseignement
performants, en particulier de services d’espionnage efficaces afin de se
protéger des actions d’espionnage orchestrées par les groupes rivaux et
connaître les projets imaginés par les concurrents pour éventuellement les
copier. Pour ce faire, les pays de la région centrale du continent peuvent
s’inspirer dans États asiatiques, à savoir le Japon, la Corée du Sud et la Chine.
Ravagé après sa défaite dans la Seconde Guerre mondiale, le Japon a
redressé son économie dévastée et même d’en faire l’une des plus
performantes au monde. Ce rebond est à la fois le fruit de l’esprit créatif de
ses ingénieurs, et la résultante d’un système efficace ancré dans le mental du
peuple japonais, qui consiste à s’approprier de façon subtile et discrète les
savoirs et les secrets de fabrication de produits étrangers pour les imiter puis
les confectionner dans les usines nippones658. Dans le processus de recherche
des informations relatives aux secteurs sensibles de l’industrie, il y a au départ
le JETRO (Japanese External Trade Organization), l’organisation du
commerce extérieur du Japon, une structure intégrée dans le MITI, le ministère
du Commerce et de l’Industrie, dont la mission officielle est clairement
définie : assurer la promotion du commerce extérieur, promouvoir les inves-
tissements étrangers dans le pays, encourager les échanges technologiques de
l’Empire du Soleil levant avec le reste du monde. La population japonaise s’est
totalement impliquée dans cette dynamique de collecte de l’information au
service de la patrie à reconstruire. Un flot important de touristes, d’étudiants
et de stagiaires particulièrement studieux a ainsi parcouru les États-Unis,
notamment la zone de la Silicon Valley où se trouve une pépinière de
laboratoires de recherche dans l’informatique et d’autres domaines
scientifiques659.
Ces « voyageurs » très attentifs et bien entraînés au recueil de
renseignements ont glané de la sorte des bribes d’informations utiles. Cette
mentalité « d’espion dans l’âme », inculquée aux citoyens japonais après la

657 L’infosphère est un espace de communication informationnelle où s’organise la déconnexion

des espaces stratégiques, opérationnels et tactiques, les progrès dans le domaine des
communications permettant à l’adversaire de se projeter hors du champ de bataille physique,
de transposer au niveau stratégique des succès tactiques et d’en construire directement les
victoires politiques. Général Desportes, Vincent, Op. cit., p. 8.
658 Klen, Michel, « Les Asiatiques dans l’espionnage économique », Revue Défense Nationale,

2022/2, N° 847, pp. 105-109.


659 Ibid.

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défaite de 1945, est prégnante encore aujourd’hui dans la vie courante : on


peut acheter facilement dans l’archipel la panoplie de « l’espion Monsieur tout
le monde ». Certains de ces accessoires se dissimulent dans des stylos, des
livres, des lunettes, des cravates, des parapluies. L’un des objets les plus
subtils ressemble à une prise de courant murale ordinaire qu’on peut brancher
dans n’importe quelle entreprise et laisser pendant plusieurs années. Cet
engouement des Japonais pour l’espionnage grand public a été dénoncé à
plusieurs reprises par la CIA qui a tiré une sonnette d’alarme en déclarant que
l’avenir économique des firmes électroniques américaines était mis en péril
par les espions industriels nippons qui circulaient dans la Silicon Valley660. Les
services de renseignement japonais sont supervisés par le Naicho (office de
recherche du Cabinet), directement subordonné au Premier ministre. Les
questions militaires sont gérées par la direction du renseignement de défense
(Johohonbu) qui chapeaute notamment le Chobetsu, un organisme spécialisé
dans le renseignement d’origine électromagnétique (ROEM). Cet ensemble
dispose de stations d’écoute. La principale est située dans l’extrémité sud du
pays à Shiraho (îles Ryûkyû) à quelques centaines de kilomètres des bases
américaines installées dans l’archipel d’Okinawa.
Le processus de redressement économique de la Corée du Sud est
semblable à celui du Japon. Au lendemain de la guerre de Corée (1950-1953),
le pays est ruiné. À l’instar de son allié nippon, il va se lancer dans une
politique audacieuse de développement d’une technologie moderne et de
conquête de marchés de certains produits sensibles dont il s’est assuré le quasi-
monopole. Les grandes marques industrielles de la Corée du Sud (Samsung,
LG Electronics, LG Display, Daewoo) sont en effet présentes dans tous les
foyers de la planète sur les objets les plus utilisés par les ménages (ordinateurs,
tablettes, téléviseurs, smartphones, fours à micro-ondes, robots, électro-
ménager)661. Ses chantiers navals (Hyundai Heavy Industries, Daewoo)
occupent la deuxième place derrière la Chine. Sa production automobile
(Hyundai, KIA), toujours en progression, se situe derrière les géants
américain, japonais et allemand. Quant au secteur stratégique des semi-
conducteurs (SK Hynix, Rohm), la Corée du Sud a maintenu sa place de
leader mondial dans le domaine de la production (26 %) devant Taïwan et le
Japon. Ces cerveaux électroniques sont présents dans bon nombre d’appareils
(ordinateurs, puces électroniques, climatiseurs, etc.). Cette résilience écono-
mique a été alimentée par une politique d’espionnage industriel. Si l’on tient
compte de la taille de la Corée du Sud, aucun autre pays au monde ne consacre
autant de moyens à l’espionnage. Le pays du Matin calme (Corée) emploie
une cinquantaine de milliers d’agents permanents dans les services de
renseignement, essentiellement ceux destinés à l’intelligence économique. À
ces professionnels s’ajoutent plus d’un million de correspondants disséminés
660 Klen, Michel, Dans les coulisses de l’espionnage, Paris, Éditions Nuvis-Phebe, 2020, 250 p.
661 Klen, Michel, Op. cit.

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sur tout le territoire. La nation vit ainsi dans un état de veille permanente pour
contrer les intrusions d’espions et recueillir des informations sur les produits
industriels662.
Pour rattraper et dépasser les États-Unis, Pékin, quant à lui, a lancé une
offensive de grande envergure dans la sphère économique. Dans cette optique
ambitieuse, les Chinois ont mis l’accent sur le secteur prometteur des
nouvelles technologies de la communication. Ils ont notamment accompli une
avancée prodigieuse dans le domaine de la 5G, cette cinquième génération de
réseaux mobiles qui permet la transmission continue et instantanée des
données. Cette innovation révolutionnaire intervient dans un monde de plus
en plus connecté qui comptera en 2025 plus de 6 milliards d’internautes et de
smartphones. Les enjeux de cette invention dépassent largement le cadre
scientifique. Le succès prodigieux de la firme chinoise Huawei est le
couronnement des vastes programmes de recherche et développement (R&D)
élaborés à partir des centres d’études implantés à l’étranger663. C’est dans ces
structures que les « chercheurs et les stagiaires » de Huawei ont pu recueillir
des données conséquentes. Le tout premier centre a été établi à Bangalore en
Inde où exerce un vivier d’informaticiens de haute volée. Puis Ren Zhengfei
a étendu cette expérience probante en Suède, en Russie et aux États-Unis
(Silicon Valley). En Amérique, les « étudiants » chinois ont récolté une mine
d’informations par des moyens discrets.
D’autres entrepreneurs chinois se sont lancés dans des opérations de
copiage et d’espionnage de technologies de haute technicité. C’est le cas du
richissime capitaine d’industrie Wang Xing qui, après de longues études en
ingénierie à l’université du Delaware, a profité de son séjour américain pour
lancer le réseau social Xiaonei largement inspiré de Facebook. La plate-forme
d’échanges chinoise, véritable contrefaçon du modèle d’outre-Atlantique, sera
modernisée et prendra le nom de Renren (tout le monde). Elle fera son entrée
dans la Bourse de New York en 2011. Dans la même dynamique de pillage de
brevets et d’imitation de produits, Wang Xing créera Meituan-Dianping, une
entreprise de commerce en ligne fonctionnant sur le principe d’achats groupés.
Cette trouvaille chinoise s’avère en fait être un authentique clone de la société
américaine Groupon spécialisée dans la même fonction. Sur sa lancée, le
génial magnat chinois réalisera une réplique de Twitter qu’il baptisera
Fanfou664. Au vu de tels exemples concrets, on comprend mieux le décollage
de l’Empire du Milieu dans la sphère informatique et le rattrapage d’une partie
significative de son retard sur l’Amérique.
Les Chinois ont d’ailleurs fondé leur Silicon Valley dans la région de Pékin
sur le site de Zhongguancun. Cette technopole concentre les travaux de
recherche et d’exploitation des données scientifiques récupérées à l’étranger,

662 Ibid.
663 Ibid.
664 Ibid.

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ainsi que les activités de production « High Tech ». Une cinquantaine de parcs
de ce type, mais de taille moins importante, sont implantés dans les grandes
métropoles (Shanghai, Nankin, Shenzhen, Hong Kong). Cette réussite n’est
pas seulement l’aboutissement d’un effort conséquent dans le domaine de la
formation scientifique et de la recherche, mais il est également le résultat
d’une politique subtile d’espionnage665. C’est l’espionnage à « la chinoise »
basé sur le pouvoir de séduction pour soutirer des informations, un talent
exceptionnel dans l’art du copiage, de l’observation et de la pratique de la
corruption pour « acheter » des individus bien placés. Dans ce chapitre des
qualités, il faut aussi inclure un savoir indéniable pour se procurer des
documents et des brevets, ainsi que la force extraordinaire de la diaspora
chinoise à l’étranger où fourmille une cohorte de potentiels « honorables
correspondants ». Dans leur démarche de collecte de renseignements, les
Chinois utilisent de plus en plus les réseaux sociaux, en particulier LinkedIn,
pour recruter des informateurs intéressants. Dans un rapport cité par Le Figaro
en octobre 2018 les services français ont affirmé que la Chine avait approché
4 000 Français « bien choisis » et travaillant dans des secteurs stratégiques de
l’industrie (informatique, télécommunications, armement, robotique, intelli-
gence artificielle, nucléaire, nanotechnologies)666.
Pour appâter leurs cibles sur la plate-forme d’échanges, les agents chinois
se présentent avec de faux profils puis alimentent les discussions par Internet.
Une fois la confiance établie, les communications, plus longues et plus
chaleureuses, se poursuivent via Skype ou WhatsApp. Lorsque la « cible » est
bien mûre, elle est alors conviée, tous frais payés, à suivre des conférences en
Chine dans le domaine de son pôle d’intérêt. Puis vient la phase active de
recrutement pour transformer le visiteur naïf en pourvoyeur d’informations
sur les produits de la technologie française. Le piège est alors refermé, le
correspondant français insouciant devient un espion malgré lui. Les actes
d’espionnage par infiltration sur Internet sont légion667. Le magazine Le Point
a révélé qu’en septembre 2021 l’Institut de recherche stratégique de l’École
militaire (IRSEM) a publié une étude très fouillée sur le « réseau tentaculaire
mis en place par la Chine dans le monde » (La France, nid d’espions,
2 décembre 2021). Le siphonnage des secrets économiques est une véritable
institution non seulement en Chine, mais aussi au Japon et en Corée du Sud.
Cette pratique, qui est appelée imitation ou copiage, mais jamais espionnage,
est courante pour les puissances mondiales et émergentes.
Bien que le renseignement repose d’abord sur les hommes qui le
recueillent, l’analysent et l’exploitent, la performance et la crédibilité des
services reposent aussi sur les capacités technologiques mises en œuvre. Toute
volonté d’autonomie en termes de capacités se traduit par une politique

665 Ibid.
666 Ibid.
667 Ibid.

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d’acquisition privilégiant le maintien à long terme d’une large base


industrielle et technologique de défense668. Aussi, la disposition d’une
capacité autonome d’expertise en renseignement conditionne-t-elle l’exis-
tence, l’influence et le leadership sur la scène internationale. Pour faire face
au contexte de guerre probable669, tout acteur, national ou régional, devrait
disposer de capacités propres de recueils réactifs et pertinents qui cadrent à la
menace du moment ; ce qui suggère la possession en permanence de capteurs
techniques modernes et adaptés670. Il s’agit d’un ensemble de moyens qui
relèvent du renseignement d’intérêt militaire (RIM)671, à l’exemple de
l’observation par satellite qui permet de scruter des zones ou des installations
douteuses, d’en prendre des images de très haute qualité pour en extraire des
renseignements utiles672 ; un dispositif de recueil de renseignements d’origine
électromagnétique (ROEM), moyen du renseignement à distance qui ignore
les frontières et suit le mouvement des télécommunications et l’informatique
ou encore le renseignement d’origine image (ROIM), permettant de disposer
d’une panoplie susceptible d’assurer une permanence du champ de bataille673
et dans les échanges et les relations économiques. Ainsi, dans la guerre
commerciale qui structure les rapports économiques entre Washington et
Pékin depuis 2017, les services américains de renseignement ont convaincu
non seulement l’ancienne Administration Trump, mais aussi, au Congrès,
démocrates et républicains, que le développement de la 5G dans les nouvelles
technologies de l’information et de la communication (NTIC) à partir
d’équipements de l’entreprise chinoise Huawei, rendrait l’Amérique
gravement vulnérable à l’espionnage chinois et donnerait même à Pékin le
pouvoir de paralyser les réseaux américains en cas de conflit674.
De ce fait, le contrôle de cette technologie de pointe constitue le principal
enjeu dans la quête respective d’une puissance décisive675 des deux États. Ces
différents instruments, indispensables à la fonction de renseignement, dont
l’objectif est au mieux d’anticiper les intentions des adversaires potentiels, et
au moins de mettre en évidence des indices d’alerte et de dégager ses modes
d’action les plus probables676, mieux de contribuer à la veille stratégique, sont

668 Adam, Pierre et Schoepfer, Alfred, « Les orientations françaises en matière de défense »,
Géoéconomie, N° 66, 2013/3, p. 24.
669 Général Desportes, Vincent, La guerre probable. Penser autrement, Éditions Économia,

Paris, 2007, 150 p.


670 Général Chéreau, « Les nouvelles menaces : le défi du renseignement d’intérêt militaire »,

Doctrines, Renseigner pour les forces, No 09, 2006, p. 28.


671 Colonel Armel De Lammerville, « Formation au renseignement : des évolutions pour les

officiers de l’armée de terre », Doctrines, Renseigner pour les forces, No 09, 2006, p. 41.
672 Général Chéreau, Op. cit.
673 Ibid.
674 Dugua, Pierre-Yves, « Donald Trump punit Huawei et relance les tensions avec Pékin », Le

Figaro, vendredi 17 mai 2019, p. 22.


675 Defarges, Pierre, Marie, Introduction à la géopolitique, Paris, Editions Seuil, 2009.
676 Masson, Michel, Op. cit.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

quasi inexistants en Afrique centrale et ne font aucunement l’objet


d’acquisition par les États du continent, pris individuellement. Ils se
contentent d’un « achat sur étagère677 » desdits instruments de renseignement
pour répondre au retard et à l’inadaptation accusés dans le domaine
correspondant. L’absence d’une « Agence de défense (AD), d’une “base
industrielle et technologique de défense (BITD)”, la présence sur le sol
africain d’une multitude de bases militaires étrangères dans une quasi
indifférence desdits pays, d’une part, les révélations faites dans les domaines
de l’espionnage par les câbles diplomatiques de même que la divulgation de
pratiques de surveillance de masse de la National Security Agency (NSA)
d’autre part, sont l’expression de l’absence de culture du renseignement
technologique qui caractérisent les pays d’Afrique centrale. Partant de cet
argumentaire, une « urgence de la pensée678 » par ces pays d’Afrique centrale,
pour réaliser le défi d’une Afrique nouvelle, s’avère nécessaire.
Le renseignement revêt de ce fait une grande importance dans la maîtrise
des espaces et la construction de la puissance en Afrique. La conscience
stratégique est le sentiment d’appartenir à une nation accompagnée d’une
valorisation de cette appartenance, ne constituant pas un phénomène spontané.
Comme toutes les autres prises de conscience qui se manifestent au sein d’une
population, celle qui consiste à identifier un espace commun aux peuples se
retrouvant en Afrique centrale serait invariablement stimulée par le discours
et l’action des chefs d’État et de gouvernement, de certains leaders d’opinion,
de certaines élites679. Elle permettrait de façonner les mentalités locales afin
qu’elles parviennent, par la diffusion des normes, à adopter des valeurs et
standards liés à la représentation que les Africains ont d’eux-mêmes. Ainsi,
dans la guerre économique qui structure les relations internationales post
Guerre froide, et oppose les grandes puissances, occidentales et émergentes,
une prise en considération de l’enjeu du renseignement constitue aujourd’hui
un important atout dans la mesure où elle confère à tout Africain une priorité
à la connaissance et à l’anticipation pour préserver et défendre les intérêts du
continent, dans un monde où la circulation des informations est devenue
instantanée680. Cette inculcation permettrait de poursuivre et de renforcer la
culture africaine, afin de donner aux jeunes l’envie de s’investir dans la
modernisation et le développement de l’Afrique. Ainsi, les pays d’Afrique
centrale gagneraient à enraciner au préalable cette vision d’émergence d’une
conscience nationale partagée par leur population respective. Dès lors, dans

677 Noah Edzimbi, François, Xavier, Op. cit.


678 Kamto, Maurice, L’urgence de la pensée. Réflexions sur une pré-condition du
développement en Afrique, Presses Universitaires d’Afrique/Africaine d’Édition et de Services
(PUA/AES)/Mandara, Yaoundé, 1993, 210 p.
679 Balthazar, Léon, « Conscience nationale et contexte international », Le Québec et la

restructuration du Canada, 1980-1992 : enjeux et perspectives, Québec, Éditions du


Septentrion, 1991, chapitre 2, pp. 31-48.
680 Masson, Michel, Op. cit.

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un contexte de compétitivité économique internationale où il y a nécessité,


pour chaque État ou région, d’affirmer et de diffuser ses valeurs de déve-
loppement et de sécurité, l’éducation inculque aux Africains, par un processus
de socialisation politique et géographique, une priorité à leur développement
et leur épanouissement sur l’espace continental. Aussi disposeront-ils de
connaissances qui leur permettront de cerner les enjeux géopolitiques,
d’établir une politique de défense et de sécurité qui leur soit propre par la
construction d’un ensemble de concepts, d’une réflexion sur les fondements
et les questions relatives à la défense/sécurité et d’une initiation juridique
commune.
Dans un cadre régional, la politique européenne de sécurité commune
(PESC) de l’UE a pour objectif de permettre à l’institution régionale du
« Vieux continent » de développer sa présence et sa visibilité dans des régions
du monde dans lesquelles elle n’a jamais véritablement été influente d’une
part. D’autre part, de renouer des liens qui se sont relâchés avec certains
partenaires suite aux attentats du 11 septembre aux États-Unis, et de disposer
d’« une politique industrielle européenne adaptée au XXIe siècle681 » qui lui
permette d’avoir une place de choix et de jouer le rôle de puissance et d’acteur
influent qui est le sien dans les négociations internationales. Les autorités
décisionnelles des États d’Afrique centrale devraient s’inspirer de ces
différents exemples pour une conception d’autonomie stratégique et de
modernisation de leurs objectifs de développement. La mise en œuvre du
processus de sécurisation de leurs intérêts nationaux respectifs, proprement
dit, nécessite au préalable l’identification et l’évaluation des menaces et des
risques, l’élaboration et la gradation des ripostes, au plan juridique,
économique et éventuellement militaro-sécuritaire, l’appréciation des
capacités extérieures de coopération ainsi que leur sincérité. La mise en action
du programme devrait tenir compte de la nécessité d’harmoniser les politiques
nationales, d’assurer la cohérence entre les différents acteurs nationaux, pour
une bonne collaboration de sécurisation desdits intérêts. En somme, les pays
d’Afrique centrale devraient envisager de faire élaborer, par des experts, un
document de sécurité qui définit les intérêts nationaux premièrement et,
secondement, présente l’ensemble de grandes options et principes politiques,
stratégiques et militaires qu’elle définit et adopte en vue d’assurer la sécurité
des institutions républicaines et des populations. Ensuite, la conception d’une
législation sur l’orientation et la programmation de gestion et de sécurisation
desdites ressources serait bénéfique. Dans ce cadre, lesdits pays pourraient
intégrer, dans leurs agendas respectifs, mais aussi dans ceux d’institutions
régionales, la question de renseignement, dont la maîtrise est un gage de
compréhension du langage de puissance sur l’espace mondial.

681 Charrel, Marie, Op. cit.

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Section 2 : L’implémentation du volet opérationnel pour une réalisation


de projets de développement

Le volet opérationnel, dans le cadre de cette réflexion, se définit comme


l’ensemble d’actions coordonnées et habiles menées par un acteur au
développement en vue d’atteindre un objectif stratégique. C’est la coordi-
nation de forces de différentes natures, à l’échelle communale/régionale, pour
mener à bien la manœuvre stratégique dans une aire géographique circons-
crite. Depuis la fin de la bipolarité, la sécurité d’un État fait appel à l’usage
d’une approche globale. L’approche globale est une démarche qui vise à
développer, entre les parties civile et militaire, différents degrés d’interaction
dans les domaines de la gouvernance, de la sécurité et du développement
économique et social, en vue d’une meilleure cohérence et d’une plus grande
efficience des politiques publiques dans leur application, dans le règlement de
crises, tant dans la conception de l’intervention (collaboration) que dans son
exécution sur le théâtre (coordination). Dès lors, l’usage d’une intersectorialité
dans la recherche et le développement R&D (A) doit être prôné, ce qui
faciliterait la réappropriation des projets géostratégiques des puissances
étrangères dans la concrétisation des projets de développement (B).

A- La préconisation de politiques publiques prônant l’intersecto-


rialité en R&D
La recherche, qui constitue la première des conditions d’un développement
maîtrisé localement par les États africains, reste le parent pauvre dans la
construction de « l’Afrique que nous voulons682 ». Les pays du continent ont
besoin d’une recherche scientifique pour atteindre certains objectifs de
développement à savoir : connaître leur propre milieu physique, biologique et
humain, leurs richesses et leurs faiblesses, leurs potentialités et leurs
manques ; apprendre à valoriser ce qu’ils ont et ce qu’ils sont683 ; acquérir,
mettre au point, et inventer des technologies en harmonie avec la culture des
peuples concernés ; participer au progrès mondial des connaissances et à
l’échange mondial684. Dans la guerre économique685 qui structure les relations

682 Mvelle, Guy, Union Africaine, fondements, organes, programmes et actions, Paris,
L’Harmattan, 2007, 466 p.
683 La science réalisée par une société, par un peuple, peut révéler à ce peuple comment utiliser

au mieux le milieu où il vit, dont il vit, sans en détruire les richesses, les potentialités, qu’il
s’agisse de l’écosystème forestier équatorial (richesses alimentaires, énergétiques, médicales),
des divers écosystèmes aquatiques ou des connaissances, des intelligences, pour adapter, voire
pour créer, certaines technologies modernes. Ruellan, André, « Une priorité pour les pays du
Tiers-monde. La recherche scientifique, facteur de développement », Le Monde diplomatique,
août 1988, p. 24.
684 Ibid.
685 La guerre économique est un processus et une stratégie décidée par un État dans le cadre de

l’affirmation de sa puissance sur la scène internationale. Elle se mène par l’information sur les
champs économiques et financiers, technologiques, juridiques, politiques et sociétaux.

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internationales post Guerre froide, et oppose les grandes puissances, occi-


dentales et émergentes, la recherche-développement (R&D) est une source de
croissance économique et de productivité à long terme, mais aussi un facteur
et un indicateur de puissance. « La R&D englobe les travaux de création
entrepris de façon systématique en vue d’accroître la somme des
connaissances, y compris la connaissance de l’homme, de la culture et de la
société, ainsi que l’utilisation de cette somme de connaissances pour de
nouvelles applications686 ». Dans le cadre économique, la R&D réalisée par
les entreprises aboutit à la création de nouveaux biens et services, à une
amélioration de la qualité des produits et à de nouvelles méthodes de
production.
Dans l’atteinte d’objectifs de développement et d’affirmation de la
puissance, il existe un « triangle digital » entre entreprises, instituts de
recherche et agences gouvernementales dans les États développés et
émergents, ces différents acteurs « travaillent ensemble et secrètement687 »
pour améliorer les connaissances scientifiques et technologiques dont dispose
la nation. Tel n’est pas le cas en Afrique où, majoritairement, il subsiste une
méfiance entre autorités politiques et environnement scientifique, et des
interactions limitées entre public et privé, civil et militaire. La crise sanitaire
liée au Covid-19 a entraîné, depuis son apparition fin 2019, une hausse de
l’endettement public, qui a fait naître des tensions inflationnistes dans la
majorité d’États688. Parallèlement, l’impact économique consécutif de la
guerre entre Russes et Ukrainiens sera, pour certains économistes, plus
important que celui lié à la pandémie à Coronavirus689. En effet, d’après ces
experts, le conflit russo-ukrainien engendre trois évolutions structurantes pour
les économies étatiques. Premièrement, il signe un nouvel âge des sanctions
économiques internationales, qui va contraindre la dépendance de certains

686 Guellec, Dominique, et Van Pottelsberghe De La Potterie, Bruno, « Recherche-


développement et croissance de la productivité : analyse des données d’un panel de 16 pays de
l’OCDE », Revue économique de l’OCDE, No 33, 2001/2, pp. 111-136.
687 Le Belzic, Sébastien, « Ren Zhengfei, l’œil de Pékin », L’Express, 19 juin 2019, pp. 82-87.
688 Bouzou, Nicolas, « Guerre en Ukraine : les trois mutations qui vont bouleverser nos

économies », L’Express, 17 mars 2022, p. 53.


689 Le déclenchement de l’offensive militaire russe en Ukraine a provoqué une augmentation

immédiate des prix des céréales, ceux du gaz et du pétrole. Sur le marché à terme d’Euronext,
le cours de la tonne de blé tendre (échéance mars) est passé de 263 euros le 16 février à 422
euros le 7 mars, soit un bond de 61 %. Celui-ci survient après la forte hausse (+31 %) déjà
enregistrée l’année dernière en raison d’une série de mauvaises récoltes et de la désorganisation
du commerce mondial causée par la pandémie de Covid-19. Le conflit russo-ukrainien embrase
un marché mondial du blé qui demeure, à l’ère du numérique, aussi essentiel pour l’humanité
qu’il l’était sous l’Antiquité. Un marché dont la taille a plus que triplé en soixante ans, passant
de 222,4 millions de tonnes en 1961 à 775 millions en 2021, et où la Russie et l’Ukraine
occupent une place majeure, en tant que troisième et septième pays producteur, mais surtout
premier et cinquième exportateurs mondiaux, avec respectivement 37 millions et 18 millions
de tonnes. Delhommais, Pierre-Antoine, « La guerre meurtrière du blé », Le Point, 17 mars
2022, p. 14.

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pays, ceux de l’Union européenne (UE) en particulier, aux hydrocarbures.


Secondement, le conflit va augmenter les prix des produits alimentaires à
l’échelle internationale690 et, troisièmement, il va entraîner une importante
hausse des dépenses militaires tant chez les puissances mondiales que celles
émergentes, conduisant à plus d’insécurité mondiale691. Ces différentes
incertitudes emmènent certains acteurs à renforcer leurs politiques de
recherche, de développement et d’industrialisation692, afin de disposer d’une
puissance décisive dans une guerre économique693 qui caractérise les relations
internationales post-Guerre froide.
Nombreux sont les projets d’émergence que les pays de la région centrale
de l’Afrique ont adoptés, avec pour ambitions la transformation globale des
structures économiques et l’amélioration significative des conditions d’exis-
tence des populations. Il s’agit de : « Vision 2020 » pour la Guinée
équatoriale ; « Vision 2025 » pour le Gabon, le Congo ou encore
« Vision 2035 » pour le Cameroun et le Tchad. Après une imprégnation
desdites visions, le constat d’une implémentation majoritaire sur l’aide
extérieure, pour lesdits projets de développement, se dégage. L’émanation de
préoccupations économiques propres à leurs autorités républicaines, indispen-
sable pour identifier les questions stratégiques nationales, les caractériser et
les institutionnaliser avant de pouvoir y répondre, ceci en fonction de leurs
capacités et à la faveur de vents jugés favorables, est ici difficultueuse à
observer/apprécier. Les indépendances, acquises dans les années 1960, n’ont
pas entraîné une restructuration, voire la conception nouvelle de projection
économique par les États « centrafricains » postcoloniaux. En effet, la
maïeutique intelligente, mieux le strategic problem finding, qui s’appesantit

690 Ibid. Le conflit russo-ukrainien provoque une hausse du prix du gaz, du pétrole, du blé et du

maïs. À elles seules, la Russie et l’Ukraine représentent 30 % des exportations mondiales du


blé. La moitié de la production mondiale utilise des engrais, dont le coût va monter en raison
du prix des hydrocarbures. En outre, un quart des volumes d’engrais échangés dans le monde
sont russes. L’alimentation du bétail est composée à 30 % de maïs et de céréales. Les prix de
l’alimentation, comme ceux de l’énergie, vont durablement augmenter. Ces mouvements auront
des effets redistributifs massifs : positifs pour les grands céréaliers, négatifs pour les éleveurs,
délétères pour les ménages les plus pauvres des pays riches, dramatiques pour les ménages des
pays importateurs de céréales les moins développés. Ainsi, depuis le 16 mars 2022, le prix du
sac de 50 kg de farine de blé est passé de 19 000 FCFA à 24 000 FCFA sur le marché
camerounais.
691 Ibid.
692 Ibid.
693 La guerre économique est l’utilisation, par des acteurs étatiques ou privés, de pratiques

déloyales ou illégales dans leurs relations économiques. Elle est portée à sa plus haute
expression lorsqu’un État choisit avec l’aide de son administration et de ses propres
multinationales de mener une stratégie concertée afin de préserver ou de remporter des parts de
marché. Les grandes firmes apparaissent alors comme le bras armé des États. La guerre
économique s’applique en temps de paix, sans conflit diplomatique préalable, et concerne les
relations entre pays amis ou ennemis. Laïdi, Ali, « L’intelligence économique russe sous
Poutine », Études internationales, NO 40(4), 2009, pp. 631-646.

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et développe davantage la vision, l’analyse, la construction, la conception,


l’anticipation, la projection et la décision de projets de développement, est
concédée et remise au soin d’autres acteurs étrangers, qui l’utilisent à bon
escient pour la préservation de leurs intérêts stratégiques et aux dépens des
économies locales.
Or, au vu des exemples de rattrapage économique réussi de pays émergents
(la Chine à l’occurrence) sur les puissances mondiales (les États-Unis),
structurer une politique économique relève d’un désir et de pragmatisme
propre à tout acteur. En effet, la croissance et le développement d’une
économie reposent sur sa capacité à mieux utiliser ses ressources, soit à
améliorer sa productivité. L’un des principaux moyens, depuis les
années 2000, est de se rapprocher de la frontière technologique694. Une
économie qui se rapproche de cette frontière produit un nombre croissant
d’innovations de rupture, qui lui permettent d’acquérir un rôle dominant dans
les chaînes de valeur mondiales — comme c’est le cas aujourd’hui avec
Huawei et la 5G —, avec tout un ensemble d’avantages financiers, voire
géopolitiques695. Pour ce faire, circonscrits dans la recherche-développement
(R&D)696, trois indicateurs, qui expriment la dynamique d’innovation, le
développement et l’intégration du tissu économique d’un pays à l’échelle
internationale, sont indispensables. Il s’agit de la formation des étudiants,
l’accès au capital et le dépôt de brevets. La structuration de filières
d’excellence dans les milieux universitaires et de recherche est un des
indicateurs qui illustre la dynamique d’innovation et de développement d’un
pays. Être innovant dans la recherche, c’est en effet s’assurer de créer des
filières d’excellence, qui permettent de stimuler l’offre de travail avec des
étudiants plus qualifiés et d’empêcher la fuite des cerveaux. Pour illustration,
selon la National Science Foundation697, entre 2000 et 2014, le nombre
d’étudiants diplômés chinois dans les filières scientifiques et d’ingénierie en
Chine est passé de 359 000 à 1,65 million. Comparativement, sur la même
période, aux États-Unis, ce nombre d’étudiants diplômés est passé de 483 000
à 742 000. Depuis les années 2010, la Chine est aussi le pays qui compte le
plus d’employés en R&D (3,2 millions de personnes en 2012). Enfin, en
l’espace de cinq ans, l’Université de Pékin et l’Université Tsinghua sont

694 Pornet, Alisée, « De l’atelier à la R&D : le rattrapage technologique comme outil de la
puissance chinoise », Revue internationale et stratégique, 2019/3, N° 115, pp. 117-126.
695 Ibid.
696 La R&D englobe les travaux de création entrepris de façon systématique en vue d’accroître

la somme des connaissances, y compris la connaissance de l’homme, de la culture et de la


société, ainsi que l’utilisation de cette somme de connaissances pour de nouvelles applications.
697 Pour plus de développement, lire à ce sujet National Science Foundation, « The Rise of

China in Science and Engineering », National Science Board Science and Engineering
Indicators, 2018.

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devenues parmi les 30 des meilleures du monde, alors qu’elles ne figuraient


auparavant que parmi les 200 premières698.
Constituer une économie forte, afin de devenir une puissance d’innovation,
passe également par le développement du capital-risque699 et des investis-
sements en R&D. Ainsi en 2016, la Chine disposait de 46 505 fonds
d’equity700— équivalent à 1,18 trillion de dollars —, une dynamique à la
hausse depuis 2013 alors que celle des États-Unis tend à ralentir depuis
2015701. Les investissements chinois en R&D se sont multipliés de 2006 à
2013, passant de 3 milliards à 34 milliards de dollars et atteignant 27 % du
capital mondial. Toutefois, la proportion du financement de la R&D
gouvernementale reste inférieure aux autres puissances, telles que les États-
Unis (24 %), le Royaume-Uni (28 %) et l’Allemagne (30 %)702. Enfin, la
construction d’une puissance économique débute par la mise en œuvre d’une
ossature juridique conséquente, qui s’illustre dans les aspects règlementaires
de l’innovation, à savoir les dépôts de brevets. Aujourd’hui, Pékin, est l’acteur
le plus dynamique au monde en la matière en volume. En 2000, le pays avait
déposé 170 000 brevets ; en 2015, ce chiffre atteignait 2,8 millions. De plus,
selon l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (WIPO), 93 % des
brevets déposés en Chine le sont par des acteurs chinois, et non par des
étrangers. Depuis 2008, Huawei est ainsi devenue l’entreprise chinoise à avoir
déposé le plus de brevets, en compagnie de ZTE703.
Revenus aux pays de la région Afrique centrale, il se constate une prise en
considération fort réduite de ces indicateurs par les autorités républicaines
dans leurs objectifs de développement, qu’ils concèdent à leurs partenaires
étrangers dans leur définition et leur mise en application. En Afrique
francophone, mieux en Afrique centrale, on a laissé fonctionner des instituts
hérités de la colonisation, tout en créant parallèlement des instituts nationaux
que des chercheurs africains étaient appelés à prendre en charge. Ils ont plutôt
adopté un management qui perd rapidement toute capacité à devenir eux-
mêmes des chercheurs confirmés704. On est arrivé à la situation d’une
recherche gérée par des Africains, mais réalisée par des étrangers, aussi la
plupart des structures scientifiques nationales connaissent des difficultés
698 Pornet, Alisée, Op. cit.
699 Le capital-risque est un investissement sous forme d’argent apporté à une jeune entreprise.
Ce financement peut prendre la forme, dans un premier temps, de prise de participation au
capital, afin de financer la phase d’amorçage de l’entreprise. Les fonds d’investissement dits de
capital-risque, spécialisés dans ce type d’investissements, permettent ainsi de compenser les
réticences des banques à prêter à ce type d’acteur.
700 Les fonds dits d’equity sont des fonds d’investissement qui consacrent leurs capitaux au

développement et au rachat de sociétés.


701 Scott, K., The Fat Tech Dragon. Benchmarking China’s Innovation Drive, Washington,

CSIS, 2017.
702 Ibid.
703 Pornet, Alisée, Op. cit.
704 Ruellan, André, Op. cit.

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financières, au point que les dépenses en personnel peuvent représenter la


quasi-totalité de leur budget, les moyens de fonctionnement étant dérisoires.
Par ailleurs, dans la plupart de ces pays, chercheurs et techniciens nationaux
n’ont pas de statut et disposent de rémunérations réduites : de ce fait, un grand
nombre sont vite attirés par le privé ou le semi-public, les hauts postes
administratifs ou politiques, ou encore par l’étranger705. Enfin, dans les
quelques structures scientifiques qui fonctionnent, l’effort d’équipement, en
fonction de la compétence des équipes n’est pas fait, d’où la difficulté de créer
de véritables centres d’excellence, lieux de réalisation permanente de
recherches de niveau international, lieux de formation de chercheurs et
d’équipes africains de qualité. En s’inspirant des résultats de l’action
intersectorielle dans ce processus au Canada, spécifiquement dans la région
du Québec, les autorités politiques d’Afrique centrale devraient promouvoir
la pratique de l’intersectorialité dans la R&D, défini au sens d’une action
conjointe entre des acteurs relevant tant du secteur civil que militaire, public
que privé dans le cadre de travaux entrepris de façon systématique en vue
d’accroître la somme des connaissances, comme la condition d’un
développement maîtrisé de leur pays respectif.
Face à la supériorité d’autres États dans ce domaine, les pays d’Afrique
centrale doivent ainsi choisir l’approche asymétrique pour un départ, menant
une offensive tous azimuts visant à exploiter toutes les ressources de
renseignement, dans une optique de modernisation et de développement706 de
leur environnement scientifique. Dans cet objectif, tout État africain, de même
que l’institution sous-régionale qu’est la CEMAC, doivent construire une
conscience nationale/régionale, qui participe à l’implémentation d’un culte de
la nation et du patriotisme dans tout secteur d’activité. La R&D souligne
l’importance de la technologie pour la croissance économique, qu’elle soit
développée par les entreprises, le secteur public ou qu’elle provienne de
sources étrangères. De fortes interactions existent entre les divers canaux et
sources de technologie, ce qui souligne la nécessité pour les États d’Afrique
centrale de définir des politiques larges et cohérentes :
- La R&D est importante pour la productivité et la croissance
économique. La R&D des entreprises a des effets de diffusion
importants ; elle renforce leur capacité à absorber des technologies
émanant soit de l’étranger, soit des recherches conduites par l’État et
l’université. Le rendement social de la R&D des entreprises est donc
plus élevé que son rendement privé et cela peut justifier une certaine
forme d’aide de l’État à la R&D des entreprises707 ;

705 Ibid.
706 Douzet, Francis, « Chine : cyberstratégie, l’art de la guerre revisité », article consulté le
21/06/2019 sur http://www.diploweb.com/Geostrategie-de-l-internet.html
707 Guellec, Dominique, et Van Pottelsberghe De La Potterie, Bruno, Op. cit.

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- Il faut que les États prévoient des financements adéquats pour la R&D
réalisée dans le secteur public, notamment dans l’enseignement
supérieur, qui a des effets substantiels sur la croissance économique à
long terme. Comme la recherche conduite dans les laboratoires d’État a
un impact relativement plus faible que celle réalisée dans l’enseigne-
ment supérieur, il faut réexaminer les méthodes de financement de la
recherche dans le secteur public (sous l’angle du mode d’établissement
des programmes de recherche et du suivi des résultats). Cependant,
étant donné que les systèmes en place diffèrent sensiblement d’un pays
à l’autre, il convient de procéder à des études nationales spécifiques
pour parvenir à des conclusions plus solides708 ;
- L’effet de la R&D publique sur la productivité dépend de l’impor-
tance de l’effort de R&D des entreprises. En fait, la recherche des
firmes développe des technologies qui, dans bien des cas, ont été
initiées par la recherche publique. Il importe donc que l’État mette en
place un cadre permettant de développer des relations denses entre la
recherche publique et privée, afin que le savoir circule plus facilement
entre les deux secteurs709 ;
- Les États doivent assurer l’ouverture de leur pays aux technologies
étrangères, par l’intermédiaire des flux de biens, de personnes ou
d’idées, et faire en sorte que les entreprises aient les capacités
d’absorption nécessaires pour tirer le meilleur parti des technologies
étrangères. Comme les pays qui dépensent le plus pour la R&D sont
aussi ceux qui bénéficient le plus de la technologie étrangère, un
comportement de « passager clandestin » (consistant à attendre que les
autres pays développent une nouvelle technologie et à se contenter
d’essayer de l’imiter quand elle est au point) s’avérerait inefficace710.
Partant des propositions susmentionnées, recadrer les objectifs de la
communauté scientifique de toute entité républicaine, par une proposition de
voies et moyens permettant de créer les instruments répondant au besoin de
développement et de puissance, est une nécessité. Il s’agit, dans une certaine
mesure, de réunir :
- Des actuels acteurs publics, privés, parapublics et militaires concernés
par les problématiques de R&D et de développement. Aucun pays n’a
atteint la masse critique ou le rang conceptuel assurant son rayonnement
en la matière. Dans l’ensemble, les institutions font peu de recherche,
publient peu, disposent de peu de bases documentaires référencées et
négligent l’expertise de leurs auditeurs présents ou passés. Enfin, leur
influence est faible sur les autres instituts et grandes écoles du domaine
dans le pays ou à l’étranger ;

708 Ibid.
709 Ibid.
710 Ibid.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

- Autour de ces acteurs directs, les autres centres de R&D (univer-


sitaires, donneurs d’ordres d’État, instituts et commanditaires, privés,
etc.) sont dispersés, vivent et agissent d’ordinaire dans le court terme.
Partant de ce constat, une réorganisation, permettant de créer l’outil
nécessaire pour une recherche adaptée à l’environnement post bipo-
laire, est suggérée. Celle-ci doit assurer :
- Une recherche fondamentale dans les domaines pertinents pour
élaborer et conduire une politique de recherche et d’innovation scienti-
fiques ; cela suppose une gestion compétitive et créative de l’allocation
des budgets ;
- Une recherche plus appliquée qui valorise l’expérience des auditeurs
présents ou anciens et aussi celle des autres acteurs de la recherche ;
- Un enseignement diversifié, assuré par un corps enseignant flexible,
réactif et soucieux de relations étroites avec ses homologues des autres
formations et des écoles professionnelles ;
- Une politique d’échange volontariste avec les entités étrangères
analogues et avec les autres acteurs de l’innovation technologique ;
- Une gestion rationnelle des moyens de fonctionnement avec le
développement systématique de moyens communs (documentation,
traduction, publications, etc.) modernes et efficaces711.
Aussi, il faut donner aux chercheurs et aux techniciens africains de la
recherche de bons statuts et des salaires corrects, voire privilégiés.
Mettre en place des procédures de sélection à l’entrée dans les corps de
la recherche, puis d’évaluation des recherches réalisées. Avant de créer
des structures nouvelles, l’on doit profiter des structures existantes
fonctionnant bien, qu’elles soient africaines ou étrangères, sans oublier
les universités et les grandes écoles. Ensuite, la programmation
scientifique des équipes et des instituts doit être établie et la réalisation
contrôlée par les gouvernements africains. Pour qu’elles soient aussi
réussies que possible, trois types de relations doivent être entretenus :
les relations interafricaines, pour permettre d’éviter les répétitions
inutiles et favoriser l’émergence d’une communauté scientifique
véritable ; d’une façon plus générale, les relations entre les pays
d’Afrique et les pays émergents ; enfin, les relations entre les institu-
tions scientifiques africaines et les instituts et universités des pays
développés, en particulier ceux auxquels sont rattachés les enseignants,
les chercheurs et les ingénieurs en coopération712.
C’est là une garantie de qualité des coopérants et un engagement, pour les
instituts du Nord, d’apporter les collaborations intellectuelles et financières

711 Voir, Cahier de la sécurité, Supplément au no 4, Rapport au Président de la République et

au Premier ministre, avril-juin 2008, p. 13.


712 Ruellan, André, Op. cit.

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indispensables. Avec tout l’intérêt que présente une coopération institu-


tionnelle plutôt qu’individuelle. Enfin, les instituts africains qui fonctionnent
bien doivent recevoir des moyens nationaux et internationaux leur permettant
de devenir des lieux scientifiques reconnus et des lieux prioritaires de
formation des jeunes Africains. Cela permettrait de freiner l’exode des futurs
chercheurs, qui vont se former dans les pays du Nord, dans des matières en
général très éloignées des réalités africaines, et de réduire aussi l’exode vers
les pays développés de jeunes, qui se sentent peu valorisés internationalement
quand ils restent chez eux. Parmi d’autres actes concrets, la création en
Afrique de prix scientifiques mondialement reconnus serait incitative713, ce
qui conduirait, dans le processus de développement des pays africains, d’une
réappropriation des initiatives étrangères.

B- La réappropriation des projets géostratégiques étrangers par les


États d’Afrique centrale pour un développement autocentré
Le début de XXIe siècle a vu la situation économique et stratégique
mondiale se transformer au profit des pays exportateurs d’hydrocarbures714.
Puisque l’Afrique affiche une capacité de production pétrolière supérieure à
10 % des extractions mondiales715, il importe que ses États élaborent dans un
premier temps, chacun pris individuellement, mais aussi communément, une
politique de sécurité et de contrôle du secteur énergétique, en vue de limiter
l’action des puissances mondiales et émergentes qui ne ménagent aucun effort
pour exploiter leurs ressources stratégiques. Cette politique débuterait par une
redéfinition de la doctrine militaire716 pour que les forces armées s’arriment
aux guerres nouvelles717, telle la guerre industrielle, caractérisées par une
interdépendance entre forces productives, firmes multinationales, politiques
et forces armées718 pour un leadership économique, technologique et

713 Ibid.
714 Teurtrie, Dominique, « La stratégie de la Russie dans l’exportation de ses hydrocarbures :
contrôle et diversification », Flux, N° 71, 2008/1, p. 24.
715 Voir, « L’Afrique : un potentiel énergétique énorme et varié », consulté le 15/04/2017 sur

www.planete-energies.com
716 La doctrine militaire est une construction intellectuelle qui formule le savoir jugé nécessaire

et suffisant pour guider les personnels militaires dans leur action opérationnelle. Elle prescrit
les règles et les conditions optimales de leurs conduites d’action et les diffuse au sein de
l’institution. Dans un contexte de guerres nouvelles, la doctrine militaire indiquera aux armées
comment elles entendent s’organiser, s’entraîner et s’engager dans différentes opérations afin
de remplir les missions qui sont susceptibles de leur être confiées selon les enjeux en présence.
Poirier, Loïc, Le Chantier stratégique. Entretiens avec Gérard Chaliand, Hachette-pluriel,
1997, p. 129 et Vennesson, Pascal, « Penser les guerres nouvelles : la doctrine militaire en
questions », Pouvoirs, N° 125, 2008/2, p. 81-82.
717 Ibid.
718 Il existe d’importantes connivences entre chefs militaires, industriels et politiques dans les

puissances mondiales et celles émergentes, entretenues par leur proximité sociale, mais aussi
par la circulation qui existe entre les sommets de l’armée, de l’économie et de la politique dans

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industriel. En effet, politiques, militaires et multinationales étrangers


entretenant des relations incestueuses en Afrique719 dans l’objectif de disposer
d’importantes marges de manœuvre dans les politiques publiques d’États du
continent, un rapprochement entre armées, entreprises et société civile
africaine, pour définir une stratégie de défense des ressources dont regorge le
continent, est nécessaire.
Dans un second temps, force est de constater que la mise en concurrence,
ou stratagème de la lamproie720 est un moyen utilisé par les États stratégique-
ment matures. Dès lors, les pays d’Afrique centrale devraient se l’approprier
pour capitaliser leurs intérêts selon un contexte de croissance importante de la
demande en ressources stratégiques721 et une concurrence existante entre les
pays importateurs desdites matières premières. Dans une stratégie de captation
de la technologie, les dirigeants africains pourraient utiliser l’importance des
richesses dont regorge leur pays respectif722, devant la détermination des
industries occidentales et émergentes d’y accéder comme élément de
chantage, de contrainte, visant à les amener à procéder à un réel transfert de
technologies et de compétences en leur faveur, en s’inscrivant une « tactique
de deux discours en poche » selon les circonstances, les acteurs et enjeux qui
se présentent à eux. Dans la mise en œuvre de cette stratégie, l’élite
gouvernante africaine devrait tenir compte du risque que constitue le dilemme
du développement723 auquel l’oppose cette démarche. Il est en effet impératif
de ne pas brader l’essentiel des ressources, au point d’hypothéquer les chances
d’industrialisation future du continent, d’où la nécessité d’établir des quotas
de matières premières à octroyer à leurs partenaires étrangers.

lesdits États. Joana, Julie, « Armée et industrie de défense : cousinage nécessaire et liaisons
incestueuses », Pouvoirs, N° 125, 2008/2, p. 43.
719 Le câble Wikileaks, datant du 2 février 2009, fait état des liens étroits entre l’entreprise Shell

et les autorités politiques du Royaume-Uni et des Pays-Bas, de même que celui datant du 20
octobre 2009, qui fait part des télégrammes diplomatiques américains rapportant les propos
d’un représentant de Shell qui affirme que la compagnie a, au Nigéria, « des gens dans tous les
ministères intéressants » et qu’elle sait ainsi tout ce qui s’y passe. Noah Edzimbi, François
Xavier, Op. cit., p. 30.
720 Le stratagème de la lamproie est une technique d’espionnage qui tire son origine d’une

espèce de poisson nommée la lamproie. Ce poisson, visqueux et verdâtre qui se fond dans le
paysage marin, s’accroche aux rochers puis, quand il a patiemment choisi sa proie, se rapproche
au plus près et se colle sur elle. Par la suite, il siphonne le sang de sa proie avec ses multiples
orifices. Tchokonté, Sévérin, « Le projet géostratégique de la Chine en Afrique : contribution à
l’étude de la nouvelle politique africaine de la Chine et de la dynamique des grandes puissances
en Afrique depuis la fin de la guerre froide », Thèse de doctorat/Ph.D en science Politique,
Université de Yaoundé II, 2013/2014, pp. 381-388.
721 Teurtrie, Dominique, Op. cit., p. 25.
722 Kounou, Michel, Pétrole et pauvreté au sud du Sahara : analyse des fondements de

l’économie politique du pétrole dans le golfe de Guinée, Yaoundé, Éditions Clé, 2006, pp. 30-
39.
723 Ibid., p. 117.

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Le nécessaire sursaut géopolitique et stratégique des États africains vis-à-


vis des grandes puissances, occidentales et émergentes, constitue un élément
essentiel visant à aider l’Afrique et les Africains à réussir leurs divers projets
de développement. Ce sursaut géopolitique et stratégique leur permettrait de
siphonner le savoir et le savoir-faire technologiques de leurs partenaires
extérieurs. Dans la guerre économique qui structure les relations interna-
tionales post-guerre froide et oppose les grandes puissances, occidentales et
émergentes, la modernisation technologique constitue donc aujourd’hui un
enjeu conséquent en raison de son importance dans la construction de la
puissance industrielle, économique et militaire. La stratégie d’États africains
devrait rattraper ce niveau de modernisation d’autres pays d’une part et,
d’autre part, de se montrer innovants dans l’adoption des technologies les plus
en pointe dans différents domaines de développement. L’appropriation724 des
savoirs et des technologies scientifiques étrangers, pour le renforcement du
patrimoine culturel, scientifique et technologique de l’État est un impératif
pour plus de compétitivité. Dès lors, l’utilisation des moyens légaux, par des
alliances ou la création des joint-ventures, ou illégaux, comme la fabrication
de copies ou le piratage qui permet de rester dans le groupe de tête des
compétiteurs internationaux, à l’exemple de la Chine avec ses Offset
strategies, doit être usitée. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire, pour
les services de renseignement, de développer des capacités de recherche
scientifique, technique et humaine entre services de renseignement nationaux,
mais également avec ceux des partenaires étrangers725 dans un esprit de
« coopétition726 », ce qui permettrait de revoir ces accords d’assistance. D’une
manière générale, les ambitions des pays d’Afrique centrale devraient reposer
sur une logique d’éveil stratégique et de recadrage géopolitique dans le cadre
de la coopération avec les puissances étrangères, afin de favoriser
l’appropriation par les pays de nouveaux concepts de développement et de
sécurité.
Pour ce faire, les autorités politiques devraient chacune prise individuelle-
ment établir une base industrielle et technologique de défense (BITD). Le

724 L’appropriation signifie la capacité à acquérir une chose et à jouir des droits qu’implique sa
possession. Dans le cas du savoir scientifique et technique, l’appropriation signifie la capacité
à orienter son développement, à récupérer et à utiliser ses résultats pour satisfaire des besoins
propres au détenteur. L’appropriation du savoir nécessite alors sa protection. Laperche,
Bertrand, La firme et l’information. Innover pour conquérir, col. Économie et Innovation,
L’Harmattan, Paris, 1998.
725 Général Chéreau, « Les nouvelles menaces : le défi du renseignement d’intérêt militaire »,

Doctrines, Renseigner pour les forces, No 09, 2006, p. 28.


726 La « coopétition » exprime des relations établies entre deux ou plusieurs acteurs leur

permettant chacune d’améliorer leurs capacités par des échanges communs, sans toutefois
partager des informations sensibles et stratégiques pouvant nuire à chacune pris
individuellement. Noah Edzimbi, François Xavier, « Le déficit de l’Union Africaine dans le
domaine du renseignement comme frein à son projet de renaissance à l’horizon 2063 »,
Dialectique des intelligences, N° 004, 2017, pp. 167-198.

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document de sécurité pourrait alors s’appesantir sur l’organisation de


l’industrie nationale de défense, condition d’un développement technologique
indépendant. Il s’agirait ainsi :
- De donner la priorité au développement de capacités technologiques
indépendantes. Cette autonomie technologique formerait la pierre
angulaire des accords de partenariats négociés entre l’État et les
entreprises étrangères ;
- De réduire progressivement les achats sur étagère auprès de
fournisseurs étrangers, donc de sortir d’une simple relation client/
fournisseur. Ces partenaires auraient d’autant plus de valeur aux yeux
du pays s’ils s’inscrivent dans le cadre d’une coopération de défense
élargie/partenariat stratégique ;
- D’établir un cadre juridique et règlementaire spécifique, en particulier
s’agissant des marchés publics afin de stimuler la production et
l’innovation. Les activités industrielles nationales ne devront pas
dépendre des marchés export, d’où l’utilisation privilégiée de contrat
type « cost plus » ;
- De soutenir la science et la technologie de défense en mettant l’accent
sur la recherche appliquée ;
- De détenir les compétences et savoir-faire nécessaires à la moder-
nisation et au soutien des équipements727.
Afin d’assurer une cohérence d’ensemble, le ministère de la
recherche scientifique et de l’innovation d’État respectif de l’Afrique centrale
doit être représenté au sein des différentes institutions républicaines. Le SED
se verrait confier comme mandat la formulation et le pilotage de la politique
d’acquisition et de la politique de R&D. Ainsi :
- Les différents corps ministériels, à travers le SED, pourraient formuler
et diriger leurs politiques d’acquisition de produits technologiques de
développement ;
- Les différents ministères délégueraient au SED certaines prérogatives
afin d’exécuter la politique formulée par le chef d’État, pour ce qui
concerne les commandes et les achats de produits spécifiques à leur
domaine respectif. L’exécution de cette politique serait constamment
évaluée par le ministère728. Dans ce cadre, les pays africains achè-
teraient le matériel et la technologie à l’étranger pour développer leurs
industries nationales afin de réduire leur dépendance extérieure. Les
activités industrialo-économiques contribueraient à asseoir leur

727 Masson, Henri, Siqueira Brick, Éric, et Martin, Kevin, « Production d’armement : le Brésil
en quête d’autonomie », Fondation pour la Recherche Stratégique, Recherche & Documents,
No 02/2015, 24 juin 2015, pp. 9-10.
728 Ibid.

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influence, tant économique que diplomatique, conformément à une


stratégie globale d’accroissement de puissance729.
Le discours sur le transfert de technologie étant l’expression de la capacité
des États stratégiquement émancipés à s’inscrire dans la dialectique des
intelligences, les Africains doivent contraindre ceux-ci à partager leur savoir
et savoir-faire technologique avec les entreprises locales par une
institutionnalisation des joint-ventures, mais aussi faire de ses importantes
matières premières un instrument de « chantage » visant à contraindre les pays
développés à procéder à un transfert effectif de technologies et de compé-
tences. Compte tenu de la marginalisation technologique730 dont elle est
l’objet et de l’importance de cette dernière pour son développement et son
émergence éventuelle, l’élite gouvernante africaine devrait faire de l’intelli-
gence économique l’instrument stratégique, susceptible de briser le verrou
technologique des pays industrialisés et émergents. Cette dernière confèrerait
un avantage compétitif et constituerait un moyen de captation voire de
spoliation du patrimoine des autres partenaires731. Ainsi, consciente de la
logique de verrou ou de veille technologique dans laquelle sont inscrits les
pays développés, l’élite gouvernante africaine devrait, grâce aux stratégies de
joint-ventures, contraindre ceux-ci à procéder au transfert de technologies et
de compétences. La méthode consisterait à : une conception et une imposition
de feuille de route dans leurs relations contenant des exigences telles ; la
constitution, pour toutes les entreprises étrangères soumissionnaires en
Afrique, de joint-ventures avec les entreprises africaines exerçant dans les
mêmes domaines ; l’intégration systématique des ingénieurs locaux dans les
équipes procédant à des réalisations infrastructurelles sur le continent ou
encore la tenue par les ingénieurs américains exerçant sur les chantiers
africains de séminaires et autres colloques scientifiques dans les universités,
écoles d’ingénieries et autres centres de recherche.
D’autre part, les États d’Afrique centrale doivent mobiliser leurs sources
endogènes pour créer de nouvelles chaînes de valeur et accélérer le
développement. L’un des obstacles structurels au développement dans ces
pays est le faible niveau d’investissement endogène, les stratégies de
financement mettant majoritairement l’accent sur les aides publiques, la dette
multilatérale ou bilatérale et l’investissement direct étranger (IDE). Pour
exemple, au Cameroun, bien que l’État ait souscrit au cinquième emprunt

729 Harbulot, Christian, « La culture : vecteur de la stratégie de puissance de la Chine en


Afrique, », ESSEC, EME, Mastère spécialisé Marketing et Management, 2007-2008, p. 8.
730 Tchokonté, Sévérin, Op. cit., p. 381.
731 L’élite africaine pourrait s’inspirer de l’exemple indien. Dans les rapports de coopération

technologique qui lient l’Inde à la France, New Delhi a fait de l’intelligence économique
l’instrument de la quête des technologies de pointe. Dans l’achat de 126 avions de combat
Rafale, pour un montant de 10 milliards d’euros, 18 avions ont été livrés à l’immédiat et les
108 autres devront être montés en Inde afin de permettre à l’Inde de s’approprier à l’occasion
la technologie occidentale. Pour plus de développement, consulter le site www.Euronews.com

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obligataire 2018-2023 le 9 novembre 2018, d’un montant de 150 milliards de


FCFA assorti d’un taux d’intérêt annuel de 5,6 %732, cette mobilisation reste
limitée. Elle a pour origines, d’une part, des faibles taux d’épargne publique
et privée, une mauvaise gestion des taux d’intérêt, l’étroitesse de l’assiette
fiscale et la complexité des structures et procédures administratives. D’autre
part, la faiblesse des administrations est un facteur explicatif, car celles-ci
n’exploitent pas pleinement la base d’imposition nationale et accordent
souvent des avantages fiscaux et toutes sortes d’exonérations à des industries
à haute valeur, logées dans des niches, telles que les secteurs extractifs. À cela
s’ajoutent des systèmes inefficaces de recouvrement des recettes et des flux
massifs de capitaux illicites733. Aussi, l’un des dysfonctionnements écono-
miques est que le poids fiscal est supporté par une minorité, en raison d’une
assiette fiscale restreinte et de l’existence d’un secteur informel massif.
Corriger cette distorsion et mobiliser tout le potentiel fiscal seraient un
premier levier pour la mobilisation des ressources intérieures. Retenir et
mobiliser les ressources domestiques multisectorielles et multiformes
généreraient plus d’avantages économiques et politiques que le recours à
l’aide publique au développement. Si elles sont utilisées de manière adéquate,
elles ont plus d’intérêt à long terme que les flux financiers extérieurs, souvent
spéculatifs, qui fuient le pays dès la première crise ou instabilité d’ordre
politique ou social. Avec une population qui dépasse 20 millions d’habitants,
une classe moyenne en forte croissance et un tissu de petites et moyennes
entreprises qui se densifie, l’État augmenterait significativement les
ressources issues de la fiscalité intérieure.
La seconde source de mobilisation pour les pays de la région Afrique
centrale est le transfert de fonds par la diaspora. La Banque mondiale estime
que les envois de fonds de la diaspora africaine se sont élevés à environ
40 milliards de dollars en 2012 et pourraient atteindre 200 milliards au cours
de la décennie 2020734. Dans un pays comme le Sénégal, ces transferts
dépassent de loin l’APD venue des partenaires extérieurs, tout comme les
ressources fiscales prélevées par les administrations douanières sur les
importations. Suivant en cela l’exemple d’autres pays homologues dont les
résultats ces dernières années ont été éloquents (Éthiopie, Sénégal, Kenya,
etc.), le Cameroun a mentionné dans sa « Vision 2035 » les apports attendus
en matière de financement par sa diaspora. Toutefois, le gouvernement
camerounais ne dispose pas jusqu’à l’heure actuelle d’un cadre organique

732 Mbodiam, Boris R., « Le 5e emprunt obligataire de l’État du Cameroun sur le Douala Stock
Exchange clôturé à plus de 200 milliards de FCFA », article consulté le 15/02/2020 sur
www.investiraucameroun.com
733 Tidiane Dieye, Christian, « L’Afrique et le financement du développement : saisir ces

possibilités inexploitées », Passerelles, vol 18, No 1, février 2017, pp. 25-27.


734 Lire à ce sujet, « L’ACBF prête à aider les pays africains à endiguer les flux financiers

illicites », African Capacity Building Foundation, 15 septembre 2015.

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formel de participation de la diaspora à la gestion du développement735, ne


profite pas suffisamment des envois extérieurs. En 2016, les Camerounais
vivant à l’étranger ont transféré au pays l’équivalent de 700 milliards de FCFA
environ736. Dans un contexte morose marqué par de nombreux déficits, ces
transferts qui constituent une manne financière doivent augmenter, irriguer
des pans entiers de l’économie nationale et relancer la croissance, dans la
mesure où l’APD participe à la préservation d’intérêts de puissances
étrangères en Afrique centrale. Pour illustration, l’APD, consacrée par les
pays du Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation pour la
coopération et le développement en Europe (OCDE)737, était d’un montant de
166,66 milliards de dollars en 2019. L’ONG Donor Tracker révèle qu’une
partie de cette aide octroyée par l’AFD, à savoir 23,75 milliards de dollars, est
restée sur le sol de chaque pays donateur soit pour financer l’administration
de l’aide, soit pour apporter l’assistance aux réfugiés738. En divisant l’enve-
loppe de l’aide par la population des 150 pays bénéficiaires, les calculs ont
identifié la population desdits pays à 6,178 milliards d’habitants devant se
partager une somme de 163,1 milliards de dollars, soit 20,8 dollars par
habitant739. Les mécanismes de rétrocession de l’aide vont du paiement des
primes de dépaysement des cadres expatriés à l’assistance technique des
entreprises sélectionnées, qui sont généralement des entreprises du pays
donateur, en passant par la subvention du crédit à l’exportation. En 2020, 83 %
des 12 milliards de dollars engagés par l’AFD étaient des prêts sous
conditionnalité740. Les pays bénéficiaires n’avaient pas ici voix au chapitre en
matière de désignation des entreprises adjudicataires. L’analyse des adjudi-
cations de marché par l’AFD révèle aussi que les entreprises françaises sont
favorisées : il leur a été octroyé 320 des 495 contrats de marchés publics
analysés par les médiaux d’investigations Mediapart et Disclose741. D’autres
sources indiquent des pourcentages proches des calculs de Donor Tracker.
C’est le cas de l’ONG Coordination qui révèle, dans un document destiné aux
parlementaires français, que 16 % des financements français au titre de l’APD
restent en France. Un pourcentage qui a connu une augmentation sur un an,

735 Voir, Cameroon Policy Analysis and Reseach Center, « La diaspora camerounaise, un atout

pour l’émergence : un plan opérationnel à résultats rapides en 10 points », p. 9.


736 Nzekoué, Joseph Marie., « La diaspora, acteur majeur du développement », article consulté

le 15/02/2020 sur info@cameroon-tribune.cm


737 Il s’agit des États-Unis, la France, l’Allemagne, l’Union européenne, la Norvège, le Japon,

l’Italie, le Canada, les Pays-Bas, la Corée du Sud, l’Espagne, la Suède, le Royaume-Uni,


l’Australie, le Danemark, la Suisse, la Belgique, la Nouvelle-Zélande et la Grèce.
738 Tchepmo, Martial et Simo Djom, Maurice, « L’aide publique au développement est en réalité

une fake news », Rapport publié par 1puissance 55 THINK THANK, décembre 2021, 9 p.,
consulté le 28/03/2022 sur www.1puissance55.com
739 Ibid.
740 Ibid.
741 Ibid.

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passant à 19,5 % en 2020742. Essuyant des critiques dans un contexte d’éveil


de conscience des sociétés « bénéficiaires », l’APD se reconstitue depuis lors.
Aussi, les pays donateurs parlent-ils aujourd’hui non plus d’APD, mais
d’« investissement solidaire ». Partant de ces développements, la réflexion
stratégique doit disposer d’une importante place dans le processus de prise de
décision, censé permettre aux responsables étatiques de disposer d’une vision
globale, de pallier les contingences de l’environnement et de les éclairer dans
les choix qui améliorent le contexte industrialo-économique, et par ricochet
les conditions de vie des populations locales.
La troisième source concerne les montants issus des flux financiers qui
échappent au secteur formel des États d’Afrique centrale. Les spécialistes
estiment qu’ils dépassent les 50 milliards de dollars par an, soit plus du double
de l’APD que l’Afrique reçoit743. Ceci représente une saignée de ressources
drainées durablement vers l’extérieur grâce à la corruption, aux trafics illicites
et à toutes sortes de détournements de deniers publics. Ces sorties compro-
mettent la primauté du droit et l’équité sociale, aggravent les conditions de vie
précaires des populations et étouffent les possibilités de commerce et
d’investissement. Elles sont facilitées par une soixantaine de paradis fiscaux
et juridictions secrètes dans le monde qui permettent l’exploitation de millions
de sociétés off-shore, de sociétés-écrans, de comptes en fiducie anonymes et
de fondations caritatives fictives744. En mobilisant ces trois leviers, la région
Afrique centrale constituerait un socle sur lequel les investissements
étrangers, l’aide et l’endettement pourraient s’arrimer pour créer ensemble un
système cohérent et intégré de financement du développement. Les pays de
ladite région ont largement de quoi financer leur propre développement et
amorcer la trajectoire d’une véritable transformation économique et sociale.
L’expérience a montré que le développement ne vient pas de l’extérieur, mais
qu’il est plutôt le produit de dynamiques structurelles internes qui touchent les
domaines économique, social, politique, culturel et environnemental, portées
par les peuples eux-mêmes et sont alimentées par les ressources et la créativité
endogènes. Réussir un tel pari suppose cependant une forte amélioration de la
gouvernance économique et la démocratisation de la société.
Les « pays centrafricains » doivent, entre autres, recadrer la politique de
développement, afin de prioriser l’industrialisation pour des emplois et des
infrastructures durables. Ils doivent reprofiler leur politique économique
respective, pour de mieux exploiter les richesses et les financements
nationaux, car les produits issus de cette exploitation sont exportés sur les
marchés mondiaux à l’état brut, ce qui empêche le développement de chaînes
de valeurs et la création de richesses. Il existe une libéralisation limitée de leur

742 Ibid.
743 Tidiane Dieye, Christian, Op. cit.
744 Mbu, Jean, « Mobilisation innovante des ressources domestiques en Afrique », Making

Finance Work for Africa, 26 janvier 2016.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

potentiel à cause, d’une part, de la faiblesse des connaissances et des savoirs


générés, et d’autre part, du maintien du modèle économique qui sous-tend leur
exploitation. Ce paradigme doit changer, afin de déclencher une spirale
vertueuse de transformation grâce à de nouvelles méthodes de gestion, de
production, de commercialisation et de consommation des richesses du ciel,
du sol, du sous-sol, des mers et des forêts745. Cette transformation doit reposer
sur des options et des choix clairs de l’État, que ce soit en matière de politique
de développement en général ou dans les différentes politiques sectorielles en
particulier, notamment les politiques infrastructurelle, commerciale, indus-
trielle, agricole, énergétique, et environnementale. Les choix gouvernemen-
taux, en matière de politique économique, doivent être conjugués avec au
moins trois impératifs : le développement de chaînes de valeurs issues des
ressources naturelles et la promotion d’infrastructures et d’une croissance
industrielle ; le développement d’une stratégie énergétique basée sur une
utilisation massive des énergies renouvelables (éolienne, solaire, biomasse,
etc.) pour renforcer la production industrielle ; et le développement de
nouvelles méthodes de production qui réduisent la pollution de l’eau et
l’érosion des sols, optimisent l’utilisation des intrants organiques et assurent
une productivité élevée et de meilleurs revenus aux agriculteurs africains,
notamment aux exploitations familiales746.
La souveraineté économique de ces pays d’Afrique centrale exige
l’amélioration de la compétitivité à travers une industrialisation à la fois
diversifiée et compétitive autrement dit, efficacement intégrée dans la
mondialisation et non pas renfermée sur un marché local exigu et/ou à forte
dépendance extérieure. Ses industries ne pourront être compétitives que si les
infrastructures adéquates sont mises en place. L’idée est de dépasser le stade
de simple consommateur, en concluant des contrats qui profitent largement
aux puissances étrangères, au stade d’imitateur pour finir en innovateur et
producteur de savoir et de technologie. Pour ce faire, l’État doit faire preuve
de maturité avant/pendant/après la signature de nouveaux partenariats pour le
développement. Les transferts de connaissance et de technologie concernant
des projets d’infrastructures, par l’établissement de clauses, sont indis-
pensables à leur gestion et à leur entretien une fois la construction terminée747.
Le gouvernement doit s’efforcer de profiter de l’expertise technique signi-
ficative et de l’expérience en matière de gestion et de construction des
entreprises et des instituts de recherche étrangers. Ceci passe par l’exigence
de transferts de technologie et des efforts de formation dès le début des
négociations afin de développer des capacités et des compétences locales en
matière de gestion de projet et d’entretien, et d’éviter ainsi une dépendance

745 Tidiane Dieye, Christian, Op. cit.


746 Ibid.
747 Noah Edzimbi, François Xavier, « Afrique : les dessous du regain d’intérêt russe », article

consulté le 16/02/2020 sur www.libreafrique.org

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

prolongée à l’égard des capitaux et effectifs de toute puissance étrangère. En


prenant exemple sur la Chine qui a su exploiter son dividende démogra-
phique748 par un transfert progressif de la main-d’œuvre du secteur rural
informel vers le secteur industriel grâce à l’éducation et la formation, les
« États centrafricains » doivent mettre à niveau ses entreprises locales pour
qu’elles soient capables de travailler avec des investisseurs étrangers, créer un
écosystème local favorable, améliorer le climat des affaires pour rendre le
pays attractif afin d’être une destination privilégiée d’IDE. Ce reprofilage de
la politique économique favoriserait la libération d’opportunités socioécono-
miques et la promotion d’un développement durable.
L’industrie est l’un des premiers bénéficiaires des infrastructures. En plus
des infrastructures générales que constituent les transports, l’énergie et les
communications, elle a des besoins spécifiques d’infrastructures pour accé-
lérer l’investissement et accroître la compétitivité. Il s’agit notamment de
l’aménagement des zones industrielles et de leur connexion avec les réseaux
de services. La plupart des infrastructures pour lesquels le pays attend un
financement venu de l’extérieur peuvent être mises en place sur la base de
ressources endogènes. En privilégiant les infrastructures de petite taille, à
hauteur d’homme et adaptées aux besoins de l’économie et de la population,
le pays pourrait financer ses infrastructures de base et créer des emplois à long
terme749. Les économistes reconnaissent que la faiblesse des infrastructures de
transport constitue l’une des contraintes les plus importantes qui entravent le
développement des affaires. Pour illustrer l’importance des infrastructures de
transport en tant que moteur du développement socio-économique, trois
dimensions de la création d’emplois sont analysées : l’effet direct sur
l’emploi, l’effet indirect sur l’emploi et l’effet d’entraînement (spill-over).
L’effet direct sur l’emploi correspond aux emplois créés pendant les phases
de préparation, de construction, d’exploitation et d’entretien d’un projet
d’infrastructure. Une société de construction embauche par exemple
1000 personnes pour la construction d’une ligne de transport reliant deux
régions du pays, puis un concessionnaire en embauche 300 pour l’exploitation
et l’entretien pendant un contrat de 20 ans.
L’effet indirect sur l’emploi correspond aux emplois créés par l’intermé-
diaire des biens et services nécessaires à la réalisation des projets d’infrastruc-
tures, comme par exemple les emplois au sein de la chaîne d’approvision-
nement. Dans l’exemple précédent, la société qui construit la ligne de

748 La notion de dividende démographique désigne une période de croissance économique

potentielle résultant d’une augmentation transitoire de la part de la population en âge de


travailler au sein de la population totale. Ce dividende repose sur l’augmentation du ratio de
soutien, qui est le ratio pondéré des personnes à charge par rapport aux contributeurs
économiquement actifs dans une économie. Johnston, Loïc A., « Tirer parti de l’expérience
chinoise pour exploiter le dividende démographique africain ? », Passerelles, vol 19, No 5, août
2019, pp. 12-18.
749 Tidiane Dieye, Christian, Op. cit.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

transport achète du ciment et des câbles pour la construction et des équi-


pements techniques pour l’exploitation et l’entretien, ce qui crée des emplois
dans d’autres secteurs de l’économie. L’effet d’entraînement sur l’économie
nationale correspond aux gains macroéconomiques résultant des services
fournis par les infrastructures, à savoir l’impact économique global. La ligne
de transport ainsi construite améliore les conditions économiques de la région
en offrant aux entreprises locales un accès à l’électricité qui soit régulier et
financièrement abordable.
Cela peut conduire à la création d’un pôle économique qui incite les
fabricants à investir dans des usines en raison d’un approvisionnement stable
en électricité et de l’existence d’infrastructures de transport. Ces résultats de
marché bénéficient également aux agriculteurs, car la baisse des coûts de
transport et les échanges commerciaux supplémentaires entraînent des gains
de productivité et une augmentation des revenus750. Cela suggère bien sûr une
planification rigoureuse et un suivi méticuleux des projets, adossés à des
principes de gouvernance et de gestion des ressources publiques sans faille.
L’expérience montre que toutes sortes de motivations peuvent être à la base
des choix politiques qui précèdent l’installation des infrastructures. De
nombreux projets d’infrastructures de grande taille (ports, aéroports,
autoroutes, etc.) pourraient coûter le tiers, voire la moitié, de leur coût s’ils
n’étaient pas alourdis par des surfacturations, des choix technologiques
inappropriés et des objectifs économiques diffus.
Par exemple certains pays privilégient un réseau dense de petites routes, y
compris rurales, pour relier les zones de production et de consommation et
n’installer de grandes infrastructures en aval qu’en cas de nécessité absolue
dictée par un marché intérieur et extérieur croissant, pendant que d’autres,
souvent pour des raisons de prestige, mettaient en place de très grandes
infrastructures, sans rapport avec leurs besoins et leurs possibilités
économiques, quitte à s’endetter massivement et à devoir se retrouver plus
tard à gérer une infrastructure au-delà de leurs capacités. Différentes
expériences montrent qu’il n’y a pas de solutions toutes faites. Si nul ne
conteste plus le fait que les infrastructures sont la colonne vertébrale de
l’activité économique, nul ne conteste non plus le fait qu’il faut un dosage
intelligent entre ressources endogènes et financements extérieurs. Le trait
d’union entre les deux, c’est la vision, le leadership transformationnel et la
qualité de la gouvernance751. L’argument du manque de ressources financières
domestiques, qui justifierait la faiblesse des initiatives endogènes de
financement de ces infrastructures est l’une des explications de cette faiblesse
qui, impérativement, doit être surmontée.

750 Malchow, Nicolas, et Waldmann, Axel, « Le potentiel des infrastructures transfrontalières
en Afrique : quelles perspectives pour l’emploi ? », Passerelles, vol 18, No 2, mars 2017,
pp. 12-16.
751 Tidiane Dieye, Christian, Op. cit.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

Conclusion
L’ordre international implique en permanence un « choc de volontés ». Les
pays d’Afrique centrale doivent, pour cet objectif, se repenser en termes de
puissance globale et réapprendre à parler le « langage de la puissance752 », ce
qui renvoie à une modification conséquente de leur logiciel culturel. En effet,
dans un monde plus que jamais concurrentiel, les territoires et les populations
qui n’ont pas d’ambition de puissance doivent s’attendre à être les jouets des
pays qui ont un désir, une stratégie et les moyens de la mettre en œuvre. Ce
sursaut débute par de nécessaires restructurations de leur représentation du
monde et des relations avec l’extérieur dans le cadre stratégique afin qu’elle
apporte des résultats concrets dans son implémentation opérationnelle. En
somme, il est tout d’abord question pour eux de reconsidérer leur perception
des relations internationales pour disposer d’un désir de puissance. Dans la
guerre économique qui structure les relations internationales post Guerre
froide, et oppose les grandes puissances, occidentales et émergentes, la R&D
constitue aujourd’hui un important enjeu en raison de son importance dans la
construction de la puissance industrielle, économique et militaire. Des
recherches respectives sur l’action intersectorielle et des politiques sanitaires
du gouvernement du Québec, mises en œuvre à l’échelle de la province et à
l’échelle locale, établissent des liens entre la santé et ses déterminants sociaux,
dont la régulation relève de la responsabilité d’autres secteurs, tels que le
transport, l’agriculture, l’emploi ou le développement local. Ainsi, les
autorités politiques des pays d’Afrique centrale doivent favoriser l’existence
des interactions entre chercheurs au sein de partenariats établis spécifiquement
pour répondre à des problèmes de développement et de projection de leur
puissance, qui dépassent les frontières de secteurs spécifiques de l’action
publique et du secteur privé, entre l’environnement civil et celui du militaire.

752 Ursula von der Leyen, Discours à la séance plénière du Parlement européen à l’occasion de
la présentation du Collège des Commissaires et leur programme, 27 novembre 2019.

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CONCLUSION GÉNÉRALE

Parvenus à la phase bilan de ce travail, intitulé « La Russie face aux


Occidentaux en Afrique centrale. Pour un arrimage des Africains aux enjeux
de puissance post bipolarité », il est opportun de rappeler l’objectif qui était
d’apporter un éclairage sur les différentes stratégies mises en œuvre par la
Russie en Afrique centrale, espace de projection et de renforcement de son
statut de puissance. Pour ce faire, il a été procédé, dès l’entame de l’analyse,
à une psychanalyse de postures de chercheurs pour un exercice qui combinait
à la fois l’histoire, la sociologie, les politiques publiques, les relations
internationales et la stratégie. Dès lors, il a été convoqué, dans le cadre
théorique, le constructivisme et le réalisme hégémonique, ceci pour présenter
la logique d’après laquelle le contexte post bipolaire rappelle l’importance des
rapports de puissance pour comprendre la politique internationale et
l’impossibilité de réconcilier les intérêts divergents des États. À partir de ces
préalables de fond pour la construction de l’objet d’étude, le questionnement,
en guise de problématique, a été posé en ces termes : qu’est-ce qui explique le
« retour en force » de la Russie en Afrique ? Pourquoi le Kremlin déploie-t-il
sa politique de puissance à partir de l’Afrique centrale ?
Ce questionnement a suscité une hypothèse principale : en raison du déficit
stratégique qui caractérise la plupart des États de ladite région, l’Afrique
centrale se présente comme un terreau d’implémentation rapide de la Russie
sur le continent. La structure textuelle, issue de cette hypothèse, a permis la
circonscription du travail en deux parties, composées chacune de deux
chapitres. La première partie, intitulée « les raisons d’un regain d’intérêt russe
relativement récent pour l’Afrique centrale », étudiait les conséquences d’une
dislocation de l’URSS sur la jeune Russie dans l’affirmation de sa puissance
à l’échelle mondiale (chapitre 1), ayant conduit les Russes à un « retour en
force » vers l’Afrique centrale d’autre part (chapitre 2), le continent étant le
nouveau glacis géostratégique où s’expriment les velléités hégémoniques de
tout acteur stratégiquement mature de l’espace mondial. Le chapitre 1, « Les
conséquences d’une dislocation du bloc soviétique sur structuration et la
cohésion de l’État fédéral de Russie », s’est appesanti sur l’existence de
difficultés dans la structure étatique héritées de l’ex-URSS, qui ont un impact
sur les questions de gouvernance. Quant au chapitre 2, « La mise en œuvre de
la politique de puissance russe en Afrique centrale », il consistait à présenter
les raisons d’un regain d’intérêt russe pour l’Afrique centrale, et les vecteurs
usités par le Kremlin dans la mise en œuvre de sa politique de puissance.
La seconde partie, « Les contre-stratégies française et américaine de la
politique africaine russe en Afrique centrale », avait pour objectif de montrer
comment des puissances étrangères, la France et les États-Unis à l’occurrence,

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

s’organisent chacune pour contrecarrer le projet russe tout en préservant leurs


intérêts (chapitre 3) d’une part. D’autre part, il a été judicieux de développer
une réflexion qui permettrait aux États de l’Afrique centrale de tirer profit de
ces ambitions étrangères pour leur autonomie stratégique et leur dévelop-
pement (4). Le chapitre 3, « L’Afrique centrale, nouvelle frontière du duel
entre Américains, Français et Russes pour disposer d’une puissance ultime »,
s’articulait sur les stratégies américaine et française mises en œuvre pour
contrecarrer les velléités russes d’une part, tout en sauvegardant individuel-
lement leurs prérogatives d’autre part. Le chapitre 4, « Des nécessaires
transformations en Afrique centrale pour un développement et une autonomie
stratégique » proposait, quant à lui, une nécessaire restructuration de leur
représentation du monde et des relations avec l’extérieur dans le cadre
stratégique afin qu’elle apporte des résultats concrets dans son implémentation
opérationnelle.
La globalisation a transformé la scène internationale sous l’effet de quatre
facteurs. Le premier est l’importante croissance des marchés et des sommes
investies par les bailleurs internationaux et bilatéraux dans les projets de
développement753. Le deuxième réside dans la prolifération des participants
au jeu mondial, y compris non étatiques, qui disposent de moyens budgétaires
et humains sans commune mesure avec ce qu’ils étaient il y a vingt ans. Le
troisième est l’importance du débat d’idées, de plus en plus relayé par les
médias globaux, ceci incluant non seulement les valeurs, mais aussi les règles
juridiques et les normes. Cette nouvelle donne oblige les États d’Afrique
centrale à ne plus être en marge dans la prise de décisions des affaires
internationales. Le contexte de la Covid-19 requiert, entre autres, que ces pays
se restructurent autour de principes nouveaux. D’abord, par la diplomatie
d’influence, qui nécessite la participation de toute la nation, sous deux
aspects : en premier lieu, l’ensemble des acteurs agissant à l’international, qui
doivent être eux-mêmes plus nombreux et mieux organisés, en sont les
dépositaires ; ensuite, dans l’effort de compétitivité globale qui positionne les
pays dans la hiérarchie du monde, sur le plan interne également, un effort
considérable doit être accompli, et il concerne aussi bien les universités, les
fondations et think tanks qui doivent avoir le monde pour horizon, les
collectivités territoriales, les acteurs économiques que les services publics.
Cela signifie aussi que l’inclusion des pays de l’Afrique centrale dans la
diplomatie mondiale doit devenir la priorité politique première autour de
laquelle tout pays de la région, et communément, doit s’organiser, mais aussi
qu’ils doivent se donner les moyens de l’ouverture, tant par l’exportation de
ses talents que par l’accueil de ceux venus d’ailleurs754.

753 Tenzer, Nicolas, « La diplomatie d’influence sert-elle à quelque chose ? », Revue
internationale et stratégique, 2013/1 N° 89, pp. 77-82.
754 Ibid.

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

Dès lors, les entités républicaines d’Afrique centrale doivent combiner une
double approche. D’un côté, elles doivent être capables d’exercer un effet de
masse, lui-même organisé, par une présence en nombre dans les lieux
d’influence mondiaux, une production académique suffisante, de qualité et
structurée, des échanges universitaires conçus dans la durée et le suivi
permanent des personnes formées, un taux élevé de réponses aux appels
d’offres internationaux et de succès et une bonne présence médiatique. D’un
autre côté, elles doivent disposer d’une stratégie régionale ciblée dans les pays
les plus importants, ordonnée autour d’un plan pluriannuel, non susceptible
d’être mis en cause par les changements politiques.
En conclusion, le retour de la Russie en Afrique centrale, bien qu’il
s’effectue par une stratégie consistant à gagner en influence dans la région
avec peu de moyens, est de plus en plus conséquent. Il est le produit des
difficultés sociales, politiques et économiques du pays, où les grands groupes,
les petites et moyennes entreprises (PME) ont un besoin vital d’exporter vers
des régions épargnées par les sanctions de l’UE et des États-Unis. Ainsi, si les
États de l’Afrique centrale veulent se moderniser, ils doivent le faire à partir
de la représentation cognitive qu’ils ont du monde, de leurs schèmes de
pensées respectifs et, à l’instar du Japon, la Corée du Sud ou encore la Chine,
s’appuyer sur leurs traditions, leurs institutions et leurs valeurs. Cela passe
d’une phase de « docilité », partant d’un sentiment d’assujettissement vis-à-
vis des projections hégémoniques de partenaires tant bilatéraux que
multilatéraux, à celle d’auto-affirmation partant de propositions, de défense et
de développement d’un modèle politique, économique, stratégique et culturel
propres dans tous les canaux d’échange avec l’extérieur.
Toute guerre est d’abord cognitive. C’est par le jeu de l’information mise
sous le regard d’autrui ou soustraite à sa connaissance que les belligérants
entraînent des consentements et façonnent des opinions. Aujourd’hui les
Nord-Américains et les Européens ne représentent plus que 12 % de la
population mondiale. La vision du conflit russo-ukrainien par les 88 % autres
habitants de la planète mérite attention, et doit emmener les États d’Afrique
centrale à s’imprégner de leur représentation propre du monde dans la
réalisation de leurs objectifs de développement. Le pilotage de la guerre
économique, aujourd’hui d’actualité, n’est efficace qu’à la condition que
l’État stratège en Afrique centrale apporte des réponses à des questions
stratégiques. Tout dépend de la capacité de l’État stratège à inventer en effet
ces questions. C’est lui qui doit organiser l’« ignorance d’une nation », c’est-
à-dire les bonnes questions qu’elle se pose pour son développement et son
harmonie. L’État stratège existe à travers ses pôles de compétitivité, ses
filières professionnelles, ses corps intermédiaires, ses syndicats de salariés,
d’entrepreneurs. Pour ce faire, l’État stratège doit dynamiter les cloisonne-
ments entre les secteurs privé et public, car, les expertises/compétences
nécessaires pour son développement se trouvent dans ces différents domaines.

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L’État stratège doit ainsi valider les problèmes grâce aux innombrables
expertises qu’il convoque, pour transformer les réponses en connaissances
stratégiques, politiques, sociales, entrepreneuriales, économiques et en
arguments diplomatiques liés à ses desseins développementaux.

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POSTFACE
Recompositions géopolitiques africaines, ou la nouvelle déclinaison des
rivalités entre puissances externes.

L’ouvrage de M. NOAH EDZIMBI analyse le phénomène du retour de la


politique d’influence russe en Afrique, plus particulièrement en Afrique
centrale. Cet ouvrage retrace ainsi le déploiement d’une stratégie bien
différente de celle mobilisée par Moscou à l’époque soviétique, pour mettre
celle-ci en perspective et fournir les bases d’une solide politique de puissance.
L’auteur le souligne bien : que des rivalités d’influence entre grandes
puissances parcourent la scène géopolitique africaine n’est pas nouveau. À
l’époque de la guerre froide, en pleine décolonisation, dans une logique
d’affrontement idéologique, Moscou soutenait des mouvements politiques ou
des gouvernements alliés. L’URSS défendait alors les mouvements de
libération nationale sur le continent : le puissant pays communiste considérait
les États du « tiers-monde » comme des alliés potentiels contre l’Occident, et
plusieurs pays africains ont été sensibles aux idées portées par l’Union
soviétique, qu’ils choisirent comme alliée et alternative politique. La France
et l’Afrique du Sud furent les gendarmes de l’opposition occidentale à ces
entreprises soviétiques et parfois cubaines de percées géopolitiques dans le
continent africain, Paris et Pretoria relayant leurs stratégies de contrôle à
travers des liens étroits avec certains États ou mouvements, Zaïre ou Sénégal
pour la France par exemple, UNITA pour l’Afrique du Sud, s’engageant parfois
militairement directement comme la France à Kolwezi au Zaïre, au Tchad
contre la Libye de Kadhafi, ou l’Afrique du Sud dans le cadre de la guerre en
Angola contre les troupes cubaines (1988).
La chute de l’Union soviétique en 1991 marqua de net reflux de l’intérêt
russe pour l’Afrique. À la logique de la rivalité idéologique entre Occidentaux
et Soviétiques, se substitua une rivalité en termes de zones d’influence,
marquée par les frictions entre Paris et Washington, l’émergence d’acteurs
régionaux aux ambitions affirmées comme l’Afrique du Sud postapartheid, le
Rwanda du FPR ou l’Éthiopie, et l’émergence de nouveaux acteurs, avec un
activisme chinois dépouillé en apparence de connotation idéologique, ou, plus
récemment, l’avènement d’une stratégie d’influence turque explicite en
Afrique du Nord et dans la corne du continent, autour des points d’appui
stratégiques du canal de Suez et du détroit de Bab el Mandeb. La
décennie 1990 vit ainsi le continent embrasé par un conflit majeur dans la
région des Grands Lacs que la France interpréta notamment comme une
entreprise américaine de déstabilisation de ses zones d’influence, au prisme
de représentations que certains analystes qualifièrent de complexe de
Fachoda, en référence à cet épisode de la conquête du continent africain par

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

les puissances coloniales, au cours duquel, en 1898, les Français se soumirent


à contrecœur à la volonté britannique de contrôle de la vallée du Nil.
La France s’est aperçue qu’elle disposait encore de nombreux atouts dans
son jeu et que son influence, bousculée certes par les ambitions américaines
en Afrique, demeurait conséquente en Afrique centrale comme en Afrique de
l’Ouest, et un atout important aux yeux de Washington dans le contexte post-
11 septembre 2001. À la faveur de l’échec relatif de sa campagne de
promotion des États de la « Renaissance », projet géopolitique régional terni
par les errements de ses anciens protégés, exactions commises par le Rwanda
dans les guerres des Grands Lacs ou la guerre opposant Érythrée et Éthiopie
en 1998-2000, s’est développée l’idée à Washington que les États-Unis
pouvaient avoir besoin de la France pour contenir les mouvements islamistes
et les ambitions chinoises dans la région. Une rivalité existe toujours entre
Paris et Washington, mais elle se fait plus feutrée, les États-Unis ayant besoin
de leur allié français aux nombreux relais postcoloniaux, tandis que les pays
africains eux-mêmes se sont aperçus qu’ils pouvaient jouer des rivalités entre
puissances externes pour obtenir des avantages politiques ou économiques.
En particulier, la promotion active par une Chine décomplexée d’une offre
de partenariat économique, offre en apparence dépourvue de toute forme
d’obligation politique, dans le cadre de son grand projet des Nouvelles Routes
de la Soie (la Belt and Road Initiative — BRI — est un projet mondialisé qui
s’inscrit bel et bien dans la continuité d’une affirmation de puissance,
associant rayonnement économique, capacités militaires et influence, trois des
dimensions de la Chine contemporaine et de son rapport au reste du monde),
a souligné au sein des cercles dirigeants africains que ceux-ci disposaient de
cartes en main : la possibilité de remettre en cause l’orthodoxie politico-
économique du consensus de Washington et de mobiliser les offres d’acteurs
entreprenants sur la scène continentale. Dans cette brèche ouverte par la Chine
s’est engouffrée la Turquie, on l’a vue, mais aussi une Russie proactive, qui
n’entend plus cantonner ses ambitions politiques à son seul voisinage
immédiat. Moscou intervient activement en Syrie certes, mais déploie aussi,
selon des mécanismes bien décrits par M. NOAH EDZIMBI, une offre
complémentaire de celle de la Chine, proposant des soutiens politique,
paramilitaire et économique à des régimes séduits par la possibilité de se
dégager de la tutelle occidentale, française en particulier.
Ce retour de la Russie sur la scène continentale peut surprendre ceux qui
pensaient que Moscou n’avait plus les moyens ni d’intérêt pour cet aven-
turisme géopolitique. En réalité, la Russie exploite habilement la conjoncture
politique à un moment où, par ailleurs, s’affirme sa volonté de jouer son
propre jeu en Afrique. Les échecs de la lutte antiterroriste, parfois mal perçus
par les populations locales, suscitent la résurgence d’une forte rhétorique
nationaliste, ponctuée de discours nostalgiques sur le « retour » de Moscou.
En effet, lié à son passé soviétique, ce pays reste, dans l’imaginaire collectif,

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

synonyme de soutien aux mouvements indépendantistes de la lutte antico-


loniale. Autre atout russe : l’aide proposée par Moscou, à l’instar de celle de
la Chine, se soucie peu d’objectifs de transparence et de droits politiques
prétendument chers aux Occidentaux. La carte russe est donc séduisante pour
nombre de gouvernements africains. Sera-t-elle jouée de manière opportu-
niste, à court terme, afin d’orienter l’attitude des mentors occidentaux, ou est-
elle la prémisse d’une réorientation durable de la coopération politique des
États africains ? Cela reste à voir. C’est le mérite de cet ouvrage que
d’alimenter ainsi le débat avec une recherche sur la stratégie russe en Afrique
centrale.

LASSERRE Frédéric

Professeur au département de géographie de l’Université Laval (QUÉBEC),


Directeur du Conseil québécois d’études géopolitiques (CQEG),
et Chercheur à l’École supérieure d’études internationales (ESEI).

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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Ouvrages

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La Russie face aux Occidentaux en Afrique centrale

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8009061.php
« Pétrole : Exxon Mobil annonce la découverte d’un gisement de pétrole
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d’études politiques de Lyon, Séminaire « De la Baltique à la mer Noire »,
Université de Lyon 2, 4 septembre 2006 ;
Donner, Nicolas, « Naphte et dynamiques territoriales en Guinée
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2004, 103 p. ;
Harbulot, Christian, « La culture : vecteur de la stratégie de puissance de la
Chine en Afrique, », ESSEC, EME, Mastère spécialisé Marketing et
Management, 2007-2008 ;
Noah Edzimbi, François Xavier, « Le projet géostratégique des États-Unis
d’Amérique dans le golfe de Guinée : analyse de l’action américaine au
Cameroun entre 1997 et 2013 », Master II en science politique, Université
de Yaoundé II, 2014 ;
Pemboura, Aicha, « Le processus de formation de la culture stratégique
camerounaise : Analyse du rôle des écoles militaires », DEA en science
politique, Université de Yaoundé II, 2004-2005 ;
Tchokonté, Sévérin, « Enjeux et jeux pétroliers en Afrique : étude de
l’offensive chinoise dans le golfe de Guinée », Master II en science
politique, Université de Yaoundé II, 2008.

Thèses

Mbida, Gabriel, « Politique de défense et sécurité du Cameroun : Réflexion


sur une stratégie globale de sécurité nationale », thèse de Doctorat en
science politique, Université de Yaoundé II, 2020 ;
Meyer, Angèle, « L’intégration régionale et son influence sur la structure, la
sécurité et la stabilité d’États faibles : l’exemple de quatre États
centrafricains », thèse de Doctorat en science politique à l’Institut d’Études
Politiques de Paris, École doctorale de Sciences Po, 2013 ;
Noah Edzimbi, François Xavier, « La défense populaire et la lutte contre les
nouvelles menaces au Cameroun : contribution à la formation d’une
culture stratégique et à l’étude d’une logique sécuritaire globale après
2001 », thèse de Doctorat en science politique, Université de Douala,
2020 ;
Nzeugang, Albert, « Les États-Unis en Afrique après le 11 septembre :
dynamiques locales d’une puissance globale », thèse de Doctorat en
science politique, Université de Yaoundé II, 2010 ;
Okala Ebodé, Joseph Thierry, « Le système de sécurité camerounais à
l’épreuve de la gouvernance démocratique », thèse de Doctorat en science
politique, Université de Douala, 2020 ;

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Tchokonté, Sévérin, « Le projet géostratégique de la Chine en Afrique :


contribution à l’étude de la nouvelle politique africaine de la Chine et de la
dynamique des grandes puissances en Afrique depuis la fin de la Guerre
froide », thèse de Doctorat/Ph.D en science politique, Université de
Yaoundé II, 2013/2014.

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TABLE DES MATIÈRES

SOMMAIRE ................................................................................................... 9
PREFACE ..................................................................................................... 11
AVANT-PROPOS ........................................................................................ 17
ABREVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES ......................................... 21
INTRODUCTION GENERALE .................................................................. 23
I- Contexte et justification ...................................................................... 23
II- Clarification conceptuelle ................................................................... 28
A- Politique de puissance ..................................................................... 29
B- Réflexion stratégique ....................................................................... 34
III- Délimitation spatio-temporelle ........................................................ 38
A- Délimitation spatiale ........................................................................ 39
B- Délimitation temporelle ................................................................... 40
IV- Intérêt de l’étude .............................................................................. 40
A- Intérêt scientifique ........................................................................... 41
V- Problématique .................................................................................. 41
VI- Hypothèse de travail ........................................................................ 41
VII- Grille méthodologique de l’étude .................................................... 42
A- Le cadre théorique............................................................................ 42
B- Technique de collecte des données .................................................. 45
C- Analyse des données ........................................................................ 46
PREMIERE PARTIE : LES RAISONS D’UN REGAIN D’INTERET
RUSSE POUR L’AFRIQUE CENTRALE .................................................. 47
CHAPITRE 1 : LES CONSEQUENCES D’UNE DISLOCATION DU BLOC
SOVIETIQUE SUR LA STRUCTURATION ET LA COHESION DE
L’ÉTAT FEDERAL DE RUSSIE ................................................................ 49
Section 1 : La fragilité de l’ossature fédérale : faille du socle de puissance
russe .......................................................................................................... 50
A- La constance entre l’ex URSS à la Fédération de Russie : la
construction d’une géopolitique spécifique .......................................... 51
B- L’émergence de nationalismes et la remise en cause d’une
prééminence de la République fédérale ................................................ 55

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Section 2 : Le difficultueux exercice de la gouvernance en République


fédérale russe ............................................................................................ 60
A- La gestion arbitraire des affaires publiques en République fédérale
de Russie ............................................................................................... 60
B- La gouvernance politique et institutionnelle russe et des similarités
existantes de l’ère soviétique ................................................................ 68
Conclusion ................................................................................................ 76
CHAPITRE 2 : LA MISE EN OEUVRE DE LA POLITIQUE DE
PUISSANCE RUSSE EN AFRIQUE CENTRALE ..................................... 79
Section 1 : L’Afrique centrale face aux nouvelles ambitions de la fédération
de Russie ................................................................................................... 80
A- La conquête d’espaces stratégiques au cœur de l’offensive russe en
Afrique centrale .................................................................................... 81
B- Les motivations stratégiques de la ruée russe dans la région Afrique
centrale .................................................................................................. 86
Section 2 : Les différents vecteurs du déploiement russe en Afrique centrale
.................................................................................................................. 91
A- Les moyens politico-diplomatiques et médiatiques : un usage à
géométrie variable des principes démocratiques et du droit international
....................................................................................................... 92
B- Les éléments militaires, humanitaires et socio-économiques de la
projection de la puissance russe en Afrique centrale .......................... 101
Conclusion .............................................................................................. 112
Conclusion de la première partie ............................................................ 113
DEUXIEME PARTIE : LES CONTRE-STRATEGIES FRANÇAISE ET
AMERICAINE DE LA POLITIQUE AFRICAINE RUSSE EN AFRIQUE
CENTRALE ............................................................................................... 115
CHAPITRE III : L’AFRIQUE CENTRALE, NOUVELLE FRONTIÈRE DU
DUEL ENTRE AMERICAINS, FRANÇAIS ET RUSSES POUR DISPOSER
D’UNE PUISSANCE ULTIME ................................................................. 117
Section 1 : La réponse française à la politique de puissance russe en Afrique
centrale .................................................................................................... 118
A- L’usage de la politique et de la diplomatie pour la sauvegarde
d’intérêts français en Afrique centrale ................................................ 119
B- Les vecteurs socioculturels et économico-militaires de la contre-
stratégie française ............................................................................... 132

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Section 2 : L’expression de la manœuvre américaine en Afrique centrale


................................................................................................................ 143
A- Les moyens politico-culturels et l’usage de l’aide internationale à
des fins géostratégiques en Afrique centrale ...................................... 144
B- Les moyens économico-militaires utilisés par les États-Unis dans
l’espace Afrique centrale .................................................................... 156
Conclusion .............................................................................................. 162
CHAPITRE 4 : DES NECESSAIRES TRANSFORMATIONS EN
AFRIQUE CENTRALE POUR UN DEVELOPPEMENT AUTOCENTRE
ET UNE AUTONOMIE STRATEGIQUE ................................................. 163
Section 1 : Un retard stratégique à rattraper : préalable pour tout processus
de développement et projection de puissance ......................................... 164
A- Le désir de puissance : un ingrédient/sentiment indispensable pour
tout processus de développement et d’autonomie stratégique ............ 165
B- L’impératif d’une restructuration de la politique/communauté de
renseignement ..................................................................................... 170
Section 2 : L’implémentation du volet opérationnel pour une réalisation de
projets de développement ....................................................................... 181
A- La préconisation de politiques publiques prônant l’intersectorialité
en R&D ............................................................................................... 181
B- La réappropriation des projets géostratégiques étrangers par les États
d’Afrique centrale pour un développement autocentré ....................... 189
Conclusion .............................................................................................. 200

CONCLUSION GENERALE..................................................................... 201


POSTFACE ................................................................................................ 205
Références bibliographiques ....................................................................... 209
Ouvrages ................................................................................................. 209
Articles de presses, d’ouvrages collectifs et de revues scientifiques ...... 213
Documents numériques........................................................................... 224
Mémoires ................................................................................................ 228
Thèses ..................................................................................................... 228

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LA RUSSIE FACE AUX OCCIDENTAUX Etudes

François Xavier Noah Edzimbi


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EN AFRIQUE CENTRALE
Pour un arrimage des Africains africaines Série Relations Internationales
aux enjeux de puissance post-bipolarité

Cet ouvrage présente l’objectif de la République fédérale François Xavier Noah Edzimbi
de Russie en Afrique centrale, qui est de mettre cette région
sous son giron stratégique afin de profiter de ses diverses
ressources et revêtir à nouveau la posture d’une puissance
mondiale tenue à l’époque soviétique par l’URSS. La pleine
conscience du « péril russe » explique les réponses énergiques
des États-Unis et de la France. LA RUSSIE FACE

LA RUSSIE FACE AUX OCCIDENTAUX EN AFRIQUE CENTRALE


L’auteur suggère des pistes pour assurer une autonomie
stratégique aux pays d’Afrique centrale. Il milite pour une
harmonie entre les hommes et les femmes qui composent
AUX OCCIDENTAUX
les différents États centrafricains afin qu’ils se réapproprient
les projets géostratégiques étrangers et la construction de
systèmes productifs locaux garants d’une industrialisation
EN AFRIQUE CENTRALE
durable.
Pour un arrimage des Africains
aux enjeux de puissance post-bipolarité
François Xavier Noah Edzimbi est titulaire d’un Ph.D en science
politique, option Relations internationales et études stratégiques (RIES)
de l’université de Douala au Cameroun. CEO du cabinet d’intelligence
économique (I.E) Lucem Global Consulting S.A.R.L., il est chercheur
associé de plusieurs revues scientifiques et a écrit une vingtaine Préface de Manassé Aboya Endong
d’articles. Postface de Frédéric Lasserre

Etudes africaines
Série Relations Internationales

Illustration de couverture :
© Richard Fabrice Menguele Bengono.

ISBN : 978-2-14-026967-7
25 € 9 782140 269677

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