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Authier & Bourdin, La Jeune Sociologie Urbaine Francophone
Authier & Bourdin, La Jeune Sociologie Urbaine Francophone
DOI : 10.4000/books.pul.4676
Éditeur : Presses universitaires de Lyon
Année d'édition : 2014
Date de mise en ligne : 5 novembre 2019
ISBN électronique : 9782729711320
http://books.openedition.org
Édition imprimée
ISBN : 9782729708795
Nombre de pages : 244
Référence électronique
AUTHIER, Jean-Yves (dir.) ; BOURDIN, Alain (dir.) ; et LEFEUVRE, Marie-Pierre (dir.). La Jeune sociologie
urbaine francophone : Retour sur la tradition et exploration de nouveaux champs. Nouvelle édition [en
ligne]. Lyon : Presses universitaires de Lyon, 2014 (généré le 12 novembre 2019). Disponible sur
Internet : <http://books.openedition.org/pul/4676>. ISBN : 9782729711320. DOI : 10.4000/books.pul.
4676.
ISBN : 978-2-7297-0879-5
69365 Lyon cedex 07
86, rue Pasteur
© Presses universitaires de Lyon, 2014
sous la direction de
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre
sous la direction de
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre
INTRODUCTION mais procède d’une sélection seconde. Lors du colloque, dix recherches
ne se contente pas d’en produire une transcription sous forme d’actes,
aux questionnements et aux attentes formulées dans ce texte d’appel. Il
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin Le présent ouvrage rassemble des travaux qui répondent étroitement
& Marie-Pierre Lefeuvre urbaine du social et la renouvellent ?
démarches qui font sens par rapport à l’interrogation sur la spécificité
cherches officiellement répertoriées dans cette spécialité, quelles sont les
Ce livre est issu d’un colloque organisé à Lyon en 2010 par le comité ils au renouvellement de cette sociologie spécialisée ? Au-delà des re-
de recherche « Sociologie urbaine : villes, sociétés et action publique » En quoi les travaux produits par les jeunes chercheurs participent-
de l’Association internationale des sociologues de langue française. Ce marquent-ils la manière dont on fait de la sociologie urbaine aujourd’hui ?
comité cherche à poursuivre, si possible en la renouvelant, une interro- la sociologie ? Comment les débats actuels au sein des sciences sociales
gation déjà ancienne sur la spécificité urbaine du social. Pour cela, il la ville se situent-ils dans les évolutions théoriques contemporaines de
s’efforce de jouer un rôle dans l’animation de débats internationaux sur et des méthodes de la sociologie urbaine ? Comment les sociologues de
la question et de constituer un lieu d’échanges stimulant pour les cher- baine : qu’en est-il aujourd’hui des thématiques, des objets, des terrains
cheurs, les doctorants et postdoctorants francophones qui s’y intéressent. d’apporter un éclairage sur les évolutions actuelles de la sociologie ur-
Le colloque répondait à cette double préoccupation et s’interrogeait sur contributions permettant, à partir d’opérations concrètes de recherche,
« l’actualité de la sociologie urbaine francophone ». à communications1, volontairement très ouvert, visait à recueillir des
Pariant sur un renouvellement de la sous-discipline par les travaux de jeunes chercheurs (qui n’en relevaient pas nécessairement), un appel
de jeunes chercheurs (qui n’en relevaient pas nécessairement), un appel Pariant sur un renouvellement de la sous-discipline par les travaux
à communications1, volontairement très ouvert, visait à recueillir des « l’actualité de la sociologie urbaine francophone ».
contributions permettant, à partir d’opérations concrètes de recherche, Le colloque répondait à cette double préoccupation et s’interrogeait sur
d’apporter un éclairage sur les évolutions actuelles de la sociologie ur- cheurs, les doctorants et postdoctorants francophones qui s’y intéressent.
baine : qu’en est-il aujourd’hui des thématiques, des objets, des terrains la question et de constituer un lieu d’échanges stimulant pour les cher-
et des méthodes de la sociologie urbaine ? Comment les sociologues de s’efforce de jouer un rôle dans l’animation de débats internationaux sur
la ville se situent-ils dans les évolutions théoriques contemporaines de gation déjà ancienne sur la spécificité urbaine du social. Pour cela, il
la sociologie ? Comment les débats actuels au sein des sciences sociales comité cherche à poursuivre, si possible en la renouvelant, une interro-
marquent-ils la manière dont on fait de la sociologie urbaine aujourd’hui ? de l’Association internationale des sociologues de langue française. Ce
En quoi les travaux produits par les jeunes chercheurs participent- de recherche « Sociologie urbaine : villes, sociétés et action publique »
ils au renouvellement de cette sociologie spécialisée ? Au-delà des re- Ce livre est issu d’un colloque organisé à Lyon en 2010 par le comité
cherches officiellement répertoriées dans cette spécialité, quelles sont les
démarches qui font sens par rapport à l’interrogation sur la spécificité
urbaine du social et la renouvellent ? & Marie-Pierre Lefeuvre
Le présent ouvrage rassemble des travaux qui répondent étroitement Jean-Yves Authier, Alain Bourdin
aux questionnements et aux attentes formulées dans ce texte d’appel. Il
ne se contente pas d’en produire une transcription sous forme d’actes,
mais procède d’une sélection seconde. Lors du colloque, dix recherches INTRODUCTION
1. Parallèlement, plusieurs sociologues urbains confirmés, francophones ou liés à la socio-
logie francophone mais travaillant dans des pays qui ne le sont en rien, étaient invités
à présenter les objets et les questions qui animent la sociologie urbaine dans leurs pays
respectifs, ainsi que le cadre institutionnel où elle se développe et les rapports qu’elle
entretient avec d’autres disciplines.Voir le dossier que nous avons coordonné : « Actualité
de la sociologie urbaine dans des pays francophones et non anglophones », publié le
15 novembre 2012 dans la revue en ligne Sociologies : http://sociologies.revues.org/4164
(mai 2014).
(mai 2014).
15 novembre 2012 dans la revue en ligne Sociologies : http://sociologies.revues.org/4164
de la sociologie urbaine dans des pays francophones et non anglophones », publié le
entretient avec d’autres disciplines.Voir le dossier que nous avons coordonné : « Actualité
respectifs, ainsi que le cadre institutionnel où elle se développe et les rapports qu’elle
à présenter les objets et les questions qui animent la sociologie urbaine dans leurs pays
logie francophone mais travaillant dans des pays qui ne le sont en rien, étaient invités
1. Parallèlement, plusieurs sociologues urbains confirmés, francophones ou liés à la socio-
INTRODUCTION mais procède d’une sélection seconde. Lors du colloque, dix recherches
ne se contente pas d’en produire une transcription sous forme d’actes,
aux questionnements et aux attentes formulées dans ce texte d’appel. Il
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin Le présent ouvrage rassemble des travaux qui répondent étroitement
& Marie-Pierre Lefeuvre urbaine du social et la renouvellent ?
démarches qui font sens par rapport à l’interrogation sur la spécificité
cherches officiellement répertoriées dans cette spécialité, quelles sont les
Ce livre est issu d’un colloque organisé à Lyon en 2010 par le comité ils au renouvellement de cette sociologie spécialisée ? Au-delà des re-
de recherche « Sociologie urbaine : villes, sociétés et action publique » En quoi les travaux produits par les jeunes chercheurs participent-
de l’Association internationale des sociologues de langue française. Ce marquent-ils la manière dont on fait de la sociologie urbaine aujourd’hui ?
comité cherche à poursuivre, si possible en la renouvelant, une interro- la sociologie ? Comment les débats actuels au sein des sciences sociales
gation déjà ancienne sur la spécificité urbaine du social. Pour cela, il la ville se situent-ils dans les évolutions théoriques contemporaines de
s’efforce de jouer un rôle dans l’animation de débats internationaux sur et des méthodes de la sociologie urbaine ? Comment les sociologues de
la question et de constituer un lieu d’échanges stimulant pour les cher- baine : qu’en est-il aujourd’hui des thématiques, des objets, des terrains
cheurs, les doctorants et postdoctorants francophones qui s’y intéressent. d’apporter un éclairage sur les évolutions actuelles de la sociologie ur-
Le colloque répondait à cette double préoccupation et s’interrogeait sur contributions permettant, à partir d’opérations concrètes de recherche,
« l’actualité de la sociologie urbaine francophone ». à communications1, volontairement très ouvert, visait à recueillir des
Pariant sur un renouvellement de la sous-discipline par les travaux de jeunes chercheurs (qui n’en relevaient pas nécessairement), un appel
de jeunes chercheurs (qui n’en relevaient pas nécessairement), un appel Pariant sur un renouvellement de la sous-discipline par les travaux
à communications1, volontairement très ouvert, visait à recueillir des « l’actualité de la sociologie urbaine francophone ».
contributions permettant, à partir d’opérations concrètes de recherche, Le colloque répondait à cette double préoccupation et s’interrogeait sur
d’apporter un éclairage sur les évolutions actuelles de la sociologie ur- cheurs, les doctorants et postdoctorants francophones qui s’y intéressent.
baine : qu’en est-il aujourd’hui des thématiques, des objets, des terrains la question et de constituer un lieu d’échanges stimulant pour les cher-
et des méthodes de la sociologie urbaine ? Comment les sociologues de s’efforce de jouer un rôle dans l’animation de débats internationaux sur
la ville se situent-ils dans les évolutions théoriques contemporaines de gation déjà ancienne sur la spécificité urbaine du social. Pour cela, il
la sociologie ? Comment les débats actuels au sein des sciences sociales comité cherche à poursuivre, si possible en la renouvelant, une interro-
marquent-ils la manière dont on fait de la sociologie urbaine aujourd’hui ? de l’Association internationale des sociologues de langue française. Ce
En quoi les travaux produits par les jeunes chercheurs participent- de recherche « Sociologie urbaine : villes, sociétés et action publique »
ils au renouvellement de cette sociologie spécialisée ? Au-delà des re- Ce livre est issu d’un colloque organisé à Lyon en 2010 par le comité
cherches officiellement répertoriées dans cette spécialité, quelles sont les
démarches qui font sens par rapport à l’interrogation sur la spécificité
urbaine du social et la renouvellent ? & Marie-Pierre Lefeuvre
Le présent ouvrage rassemble des travaux qui répondent étroitement Jean-Yves Authier, Alain Bourdin
aux questionnements et aux attentes formulées dans ce texte d’appel. Il
ne se contente pas d’en produire une transcription sous forme d’actes,
mais procède d’une sélection seconde. Lors du colloque, dix recherches INTRODUCTION
1. Parallèlement, plusieurs sociologues urbains confirmés, francophones ou liés à la socio-
logie francophone mais travaillant dans des pays qui ne le sont en rien, étaient invités
à présenter les objets et les questions qui animent la sociologie urbaine dans leurs pays
respectifs, ainsi que le cadre institutionnel où elle se développe et les rapports qu’elle
entretient avec d’autres disciplines.Voir le dossier que nous avons coordonné : « Actualité
de la sociologie urbaine dans des pays francophones et non anglophones », publié le
15 novembre 2012 dans la revue en ligne Sociologies : http://sociologies.revues.org/4164
(mai 2014).
privilégié pour de nombreux ménages des fractions supérieures des classes
urbain est devenu, au cours des années 1980 et 1990, un lieu d’accueil 6 Introduction
en milieu urbain (et périurbain).Violaine Girard étudie comment le péri-
comportements participent aux processus d’agrégation et de ségrégation
pratiques urbaines de différentes populations, et sur la manière dont ces avaient donné lieu à des communications et trente autres avaient fait
groupe des recherches centrées sur les comportements résidentiels et les l’objet de présentations synthétiques organisées en quatre thèmes (« Les
La deuxième partie, « Agrégation, ségrégation, gentrification », re- régulations urbaines », « La gentrification urbaine », « Manières d’habiter
et lorsqu’on est une jeune femme. et mobilités », « Thèmes émergents »). Au travers de ces deux modes de
de la mobilité, en particulier dans le contexte anonyme de l’espace public présentation, il s’agissait de rendre justice à la multiplicité, à la qualité et
proche, Anne Jarrigeon analyse les interactions qui forment l’expérience à la diversité des propositions reçues tout en palliant l’impossibilité ma-
mobilité chez les jeunes des banlieues françaises. Suivant une ligne assez térielle de donner la parole à tous. À l’issue du colloque, une nouvelle
lyse lui permet de mettre en évidence la diversité des expériences de sélection a été menée pour construire un ouvrage cohérent et qui ap-
de le faire) et comme épreuve (dont il faut triompher). Ce cadre d’ana- porte une réponse aboutie à l’interrogation à l’origine de cette journée :
mais la possession des outils divers, notamment sociaux, qui permettent en quoi la jeune sociologie contribue-t-elle au renouvellement de la
sources, comme dispositions (non seulement la propension à se déplacer, sociologie urbaine ? Nous avons privilégié le critère de l’originalité sans
dit comme le résultat de la possibilité d’accéder à des lieux ou des res- négliger celui de la diversité ; nous avons été attentifs à la manière dont
Nicolas Oppenchaim définit la mobilité comme accessibilité, autrement les jeunes chercheurs construisent leur démarche et proposent des ap-
« bled »), les métropoles du pays et leur ville de résidence en France. proches nouvelles de questions qui le sont moins, en se situant, souvent,
immigrés revenus dans leur pays d’origine, entre la ville familiale (le à la frontière de plusieurs champs. Douze contributions au total, centrées
vail. La seconde analyse le rapport complexe que développent de jeunes sur différents types d’espaces (urbains, périurbains…), ont ainsi été rete-
d’usage, puis d’acclimatation et d’ancrage, vis-à-vis de leur lieu de tra- nues. Elles ont été classées dans des sous-ensembles, composés chacun de
de leur histoire, voire de leurs projets de vie, développent des stratégies quatre textes, qui forment les trois parties de l’ouvrage.
les travailleurs saisonniers, en fonction de leur situation professionnelle, La première, « Mobilités, ancrages, expériences citadines », réunit
duit de l’ancrage et sous quelle forme. Le premier observe comment des travaux qui envisagent le monde urbain en mouvement, à travers
Bidet s’intéressent particulièrement à la manière dont la mobilité pro- une diversité d’expériences de la mobilité. Aurélien Gentil et Jennifer
une diversité d’expériences de la mobilité. Aurélien Gentil et Jennifer Bidet s’intéressent particulièrement à la manière dont la mobilité pro-
des travaux qui envisagent le monde urbain en mouvement, à travers duit de l’ancrage et sous quelle forme. Le premier observe comment
La première, « Mobilités, ancrages, expériences citadines », réunit les travailleurs saisonniers, en fonction de leur situation professionnelle,
quatre textes, qui forment les trois parties de l’ouvrage. de leur histoire, voire de leurs projets de vie, développent des stratégies
nues. Elles ont été classées dans des sous-ensembles, composés chacun de d’usage, puis d’acclimatation et d’ancrage, vis-à-vis de leur lieu de tra-
sur différents types d’espaces (urbains, périurbains…), ont ainsi été rete- vail. La seconde analyse le rapport complexe que développent de jeunes
à la frontière de plusieurs champs. Douze contributions au total, centrées immigrés revenus dans leur pays d’origine, entre la ville familiale (le
proches nouvelles de questions qui le sont moins, en se situant, souvent, « bled »), les métropoles du pays et leur ville de résidence en France.
les jeunes chercheurs construisent leur démarche et proposent des ap- Nicolas Oppenchaim définit la mobilité comme accessibilité, autrement
négliger celui de la diversité ; nous avons été attentifs à la manière dont dit comme le résultat de la possibilité d’accéder à des lieux ou des res-
sociologie urbaine ? Nous avons privilégié le critère de l’originalité sans sources, comme dispositions (non seulement la propension à se déplacer,
en quoi la jeune sociologie contribue-t-elle au renouvellement de la mais la possession des outils divers, notamment sociaux, qui permettent
porte une réponse aboutie à l’interrogation à l’origine de cette journée : de le faire) et comme épreuve (dont il faut triompher). Ce cadre d’ana-
sélection a été menée pour construire un ouvrage cohérent et qui ap- lyse lui permet de mettre en évidence la diversité des expériences de
térielle de donner la parole à tous. À l’issue du colloque, une nouvelle mobilité chez les jeunes des banlieues françaises. Suivant une ligne assez
à la diversité des propositions reçues tout en palliant l’impossibilité ma- proche, Anne Jarrigeon analyse les interactions qui forment l’expérience
présentation, il s’agissait de rendre justice à la multiplicité, à la qualité et de la mobilité, en particulier dans le contexte anonyme de l’espace public
et mobilités », « Thèmes émergents »). Au travers de ces deux modes de et lorsqu’on est une jeune femme.
régulations urbaines », « La gentrification urbaine », « Manières d’habiter La deuxième partie, « Agrégation, ségrégation, gentrification », re-
l’objet de présentations synthétiques organisées en quatre thèmes (« Les groupe des recherches centrées sur les comportements résidentiels et les
avaient donné lieu à des communications et trente autres avaient fait pratiques urbaines de différentes populations, et sur la manière dont ces
comportements participent aux processus d’agrégation et de ségrégation
en milieu urbain (et périurbain).Violaine Girard étudie comment le péri-
Introduction 6 urbain est devenu, au cours des années 1980 et 1990, un lieu d’accueil
privilégié pour de nombreux ménages des fractions supérieures des classes
Introduction 8
8 Introduction
Introduction 8
MOBILITÉS, ANCRAGES, EXPÉRIENCES CITADINES
1. Ainsi en 1996, les moins de 25 ans occupaient deux tiers des emplois saisonniers d’été
et, sur l’année, 44 % des emplois caractéristiques du tourisme (permanents ou non). Les
emplois saisonniers d’été étaient occupés à 51,5 % par des femmes, contre 56 % des em-
plois saisonniers d’hiver occupés par des hommes (Le Pors, 1999).
1. Ainsi en 1996, les moins de 25 ans occupaient deux tiers des emplois saisonniers d’été
et, sur l’année, 44 % des emplois caractéristiques du tourisme (permanents ou non). Les
emplois saisonniers d’été étaient occupés à 51,5 % par des femmes, contre 56 % des em-
plois saisonniers d’hiver occupés par des hommes (Le Pors, 1999).
2. Par exemple Réau (2006) ou, sur un registre plus « militant », Dethyre (2007).
2. Par exemple Réau (2006) ou, sur un registre plus « militant », Dethyre (2007).
2. Par exemple Réau (2006) ou, sur un registre plus « militant », Dethyre (2007).
2. Par exemple Réau (2006) ou, sur un registre plus « militant », Dethyre (2007).
3. Voir par exemple Collectif (2003).
Aurélien Gentil 13
terminées de relations, des plus éphémères aux plus instituées, des plus
diverses interactions qui établissent entre les individus des formes dé-
inscrites dans le vaste champ de la « recherche-action », elles sont à diffé-
rentes échelles l’initiative d’acteurs nombreux, aux objectifs divers et par- penser (Remy, 1999) : il produit
fois contradictoires. Alors que certains dénoncent des conditions de vie toire, etc.), comme le producteur de manières singulières de faire et de
« indignes3 », d’autres (notamment le syndicat des hôteliers-restaurateurs) sentations sociales, et, à travers ses spécificités (sa morphologie, son his-
s’inquiètent de la difficulté à trouver des travailleurs saisonniers qualifiés doit être pensé à la fois comme le support des pratiques et des repré-
et « fidèles ». Avant tout descriptives, ces études se justifient le plus sou- construisent leurs « repères » dans un espace-temps discontinu. L’espace
vent par leur volonté d’améliorer la situation des travailleurs saisonniers les formes d’ancrage, de sociabilité et de représentations par lesquelles ils
et / ou l’« offre touristique ». Chacune des dimensions définissant leur posent avec les contraintes propres à leur situation, et nous montrerons
existence est appréhendée séparément et définie en fonction des problè- pour travailler. Nous verrons comment, pendant leurs saisons, ils com-
mes « sociaux » ou « économiques » qu’elle pose. Les conditions de vie, vidus entretiennent avec leur activité et avec les lieux où ils s’établissent
d’emploi, de travail, de logement et de santé sont pensées comme des sonnières dans la formation du rapport objectif et subjectif que les indi-
« états » qu’il faut décrire, mesurer et améliorer. Leur situation est appré- saisonnier. Il est bien question, ici, d’interroger le rôle des mobilités sai-
hendée en termes de position et de condition. mittents » mobiles du tourisme peuvent entretenir avec l’espace-temps
À rebours de cette approche, il faut penser leur situation comme un des relations pratiques et symboliques (Authier, 1993) que les « inter-
rapport contextualisé, articulant plusieurs dimensions, déterminé par une ci-dessous), nous voudrions montrer l’intérêt d’une étude contextualisée
trajectoire et pris dans un processus. Afin de restituer la complexité de petite station littorale de Belle-Plage (voir le terrain et la méthodologie
ce processus de formation du rapport à l’espace-temps saisonnier, nous À partir du matériau produit durant une recherche menée dans la
étudierons des façons socialement différenciées d’être travailleur saison-
nier dans un même espace et des façons spatialement différenciées d’être POUR UNE ÉTUDE CONTEXTUALISÉE DES MANIÈRES D’HABITER
travailleur saisonnier. Autrement dit, nous interrogerons la variabilité des
formes de liens et de rapports aux lieux que les salariés mobiles du tou- risme peuvent déployer au fil de leurs déplacements.
risme peuvent déployer au fil de leurs déplacements. formes de liens et de rapports aux lieux que les salariés mobiles du tou-
travailleur saisonnier. Autrement dit, nous interrogerons la variabilité des
POUR UNE ÉTUDE CONTEXTUALISÉE DES MANIÈRES D’HABITER nier dans un même espace et des façons spatialement différenciées d’être
étudierons des façons socialement différenciées d’être travailleur saison-
À partir du matériau produit durant une recherche menée dans la ce processus de formation du rapport à l’espace-temps saisonnier, nous
petite station littorale de Belle-Plage (voir le terrain et la méthodologie trajectoire et pris dans un processus. Afin de restituer la complexité de
ci-dessous), nous voudrions montrer l’intérêt d’une étude contextualisée rapport contextualisé, articulant plusieurs dimensions, déterminé par une
des relations pratiques et symboliques (Authier, 1993) que les « inter- À rebours de cette approche, il faut penser leur situation comme un
mittents » mobiles du tourisme peuvent entretenir avec l’espace-temps hendée en termes de position et de condition.
saisonnier. Il est bien question, ici, d’interroger le rôle des mobilités sai- « états » qu’il faut décrire, mesurer et améliorer. Leur situation est appré-
sonnières dans la formation du rapport objectif et subjectif que les indi- d’emploi, de travail, de logement et de santé sont pensées comme des
vidus entretiennent avec leur activité et avec les lieux où ils s’établissent mes « sociaux » ou « économiques » qu’elle pose. Les conditions de vie,
pour travailler. Nous verrons comment, pendant leurs saisons, ils com- existence est appréhendée séparément et définie en fonction des problè-
posent avec les contraintes propres à leur situation, et nous montrerons et / ou l’« offre touristique ». Chacune des dimensions définissant leur
les formes d’ancrage, de sociabilité et de représentations par lesquelles ils vent par leur volonté d’améliorer la situation des travailleurs saisonniers
construisent leurs « repères » dans un espace-temps discontinu. L’espace et « fidèles ». Avant tout descriptives, ces études se justifient le plus sou-
doit être pensé à la fois comme le support des pratiques et des repré- s’inquiètent de la difficulté à trouver des travailleurs saisonniers qualifiés
sentations sociales, et, à travers ses spécificités (sa morphologie, son his- « indignes3 », d’autres (notamment le syndicat des hôteliers-restaurateurs)
toire, etc.), comme le producteur de manières singulières de faire et de fois contradictoires. Alors que certains dénoncent des conditions de vie
penser (Remy, 1999) : il produit rentes échelles l’initiative d’acteurs nombreux, aux objectifs divers et par-
inscrites dans le vaste champ de la « recherche-action », elles sont à diffé-
diverses interactions qui établissent entre les individus des formes dé-
terminées de relations, des plus éphémères aux plus instituées, des plus
13 Aurélien Gentil
Aurélien Gentil 13
terminées de relations, des plus éphémères aux plus instituées, des plus
diverses interactions qui établissent entre les individus des formes dé-
inscrites dans le vaste champ de la « recherche-action », elles sont à diffé-
rentes échelles l’initiative d’acteurs nombreux, aux objectifs divers et par- penser (Remy, 1999) : il produit
fois contradictoires. Alors que certains dénoncent des conditions de vie toire, etc.), comme le producteur de manières singulières de faire et de
« indignes3 », d’autres (notamment le syndicat des hôteliers-restaurateurs) sentations sociales, et, à travers ses spécificités (sa morphologie, son his-
s’inquiètent de la difficulté à trouver des travailleurs saisonniers qualifiés doit être pensé à la fois comme le support des pratiques et des repré-
et « fidèles ». Avant tout descriptives, ces études se justifient le plus sou- construisent leurs « repères » dans un espace-temps discontinu. L’espace
vent par leur volonté d’améliorer la situation des travailleurs saisonniers les formes d’ancrage, de sociabilité et de représentations par lesquelles ils
et / ou l’« offre touristique ». Chacune des dimensions définissant leur posent avec les contraintes propres à leur situation, et nous montrerons
existence est appréhendée séparément et définie en fonction des problè- pour travailler. Nous verrons comment, pendant leurs saisons, ils com-
mes « sociaux » ou « économiques » qu’elle pose. Les conditions de vie, vidus entretiennent avec leur activité et avec les lieux où ils s’établissent
d’emploi, de travail, de logement et de santé sont pensées comme des sonnières dans la formation du rapport objectif et subjectif que les indi-
« états » qu’il faut décrire, mesurer et améliorer. Leur situation est appré- saisonnier. Il est bien question, ici, d’interroger le rôle des mobilités sai-
hendée en termes de position et de condition. mittents » mobiles du tourisme peuvent entretenir avec l’espace-temps
À rebours de cette approche, il faut penser leur situation comme un des relations pratiques et symboliques (Authier, 1993) que les « inter-
rapport contextualisé, articulant plusieurs dimensions, déterminé par une ci-dessous), nous voudrions montrer l’intérêt d’une étude contextualisée
trajectoire et pris dans un processus. Afin de restituer la complexité de petite station littorale de Belle-Plage (voir le terrain et la méthodologie
ce processus de formation du rapport à l’espace-temps saisonnier, nous À partir du matériau produit durant une recherche menée dans la
étudierons des façons socialement différenciées d’être travailleur saison-
nier dans un même espace et des façons spatialement différenciées d’être POUR UNE ÉTUDE CONTEXTUALISÉE DES MANIÈRES D’HABITER
travailleur saisonnier. Autrement dit, nous interrogerons la variabilité des
formes de liens et de rapports aux lieux que les salariés mobiles du tou- risme peuvent déployer au fil de leurs déplacements.
risme peuvent déployer au fil de leurs déplacements. formes de liens et de rapports aux lieux que les salariés mobiles du tou-
travailleur saisonnier. Autrement dit, nous interrogerons la variabilité des
POUR UNE ÉTUDE CONTEXTUALISÉE DES MANIÈRES D’HABITER nier dans un même espace et des façons spatialement différenciées d’être
étudierons des façons socialement différenciées d’être travailleur saison-
À partir du matériau produit durant une recherche menée dans la ce processus de formation du rapport à l’espace-temps saisonnier, nous
petite station littorale de Belle-Plage (voir le terrain et la méthodologie trajectoire et pris dans un processus. Afin de restituer la complexité de
ci-dessous), nous voudrions montrer l’intérêt d’une étude contextualisée rapport contextualisé, articulant plusieurs dimensions, déterminé par une
des relations pratiques et symboliques (Authier, 1993) que les « inter- À rebours de cette approche, il faut penser leur situation comme un
mittents » mobiles du tourisme peuvent entretenir avec l’espace-temps hendée en termes de position et de condition.
saisonnier. Il est bien question, ici, d’interroger le rôle des mobilités sai- « états » qu’il faut décrire, mesurer et améliorer. Leur situation est appré-
sonnières dans la formation du rapport objectif et subjectif que les indi- d’emploi, de travail, de logement et de santé sont pensées comme des
vidus entretiennent avec leur activité et avec les lieux où ils s’établissent mes « sociaux » ou « économiques » qu’elle pose. Les conditions de vie,
pour travailler. Nous verrons comment, pendant leurs saisons, ils com- existence est appréhendée séparément et définie en fonction des problè-
posent avec les contraintes propres à leur situation, et nous montrerons et / ou l’« offre touristique ». Chacune des dimensions définissant leur
les formes d’ancrage, de sociabilité et de représentations par lesquelles ils vent par leur volonté d’améliorer la situation des travailleurs saisonniers
construisent leurs « repères » dans un espace-temps discontinu. L’espace et « fidèles ». Avant tout descriptives, ces études se justifient le plus sou-
doit être pensé à la fois comme le support des pratiques et des repré- s’inquiètent de la difficulté à trouver des travailleurs saisonniers qualifiés
sentations sociales, et, à travers ses spécificités (sa morphologie, son his- « indignes3 », d’autres (notamment le syndicat des hôteliers-restaurateurs)
toire, etc.), comme le producteur de manières singulières de faire et de fois contradictoires. Alors que certains dénoncent des conditions de vie
penser (Remy, 1999) : il produit rentes échelles l’initiative d’acteurs nombreux, aux objectifs divers et par-
inscrites dans le vaste champ de la « recherche-action », elles sont à diffé-
diverses interactions qui établissent entre les individus des formes dé-
terminées de relations, des plus éphémères aux plus instituées, des plus
13 Aurélien Gentil
4. On retrouve là une définition proche de celle développée par Becker (1963, 1985) :
expériences, à se « stabiliser » dans le temps et dans l’espace.
à certains lieux4 : un processus qui amène les saisonniers, au fil de leurs « Cette notion [la carrière] désigne les facteurs dont dépend la mobilité d’une position à
nement son mode de vie saisonnier ainsi que les relations qui l’attachent une autre, c’est-à-dire aussi bien les faits objectifs relevant de la structure sociale que les
l’individu franchit différentes étapes, jusqu’à rationaliser et justifier plei- changements dans les perspectives, les motivations et les désirs de l’individu » (p. 48).
sus séquentiel par lequel, à partir de sa première expérience saisonnière, 5. Les 97 réponses au questionnaire (soit 57 % de retour parmi les saisonniers du bourg)
carrière d’installation du saisonnier mobile. Il s’agira d’examiner le proces- ont permis de dresser un portrait assez fidèle de la population des salariés saisonniers en
activité durant l’été. Assez jeunes en moyenne (60 % ont moins de 27 ans), ils sont souvent
biter l’espace-temps saisonnier, de repérer différentes phases ponctuant la célibataires (87 %) et sans enfant (89 %). Majoritairement des hommes (54 %), ils sont le
Nous verrons ensuite qu’il est possible, en étudiant les manières d'ha- plus souvent issus d’une famille dont le père est cadre ou commerçant / chef d’entreprise
(38 %), mais aussi ouvrier (19 %), profession intermédiaire (13 %) ou employé (8,5 %). Ils
2008, p. 86) ont pour la plupart obtenu leur baccalauréat (70 %) et sont nombreux à continuer leurs
d’influences mutuelles entre les êtres sociaux. (Grafmeyer & Authier, études à la rentrée (40 %). Durant la saison, ils travaillent dans la restauration (62 %), mais
fugitives aux plus durables, [des] actions réciproques [qui] sont porteuses aussi dans l’hébergement (15 %), la vente (15 %) ou l’animation (8 %). Plus d’un tiers a
connu une période de chômage ou d’inactivité durant les six mois précédant la saison
d’été (37 %). 79 % ont déjà connu une saison estivale ; si près d’un quart (23 %) des enquê-
Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles 14 tés entre dans la catégorie des travailleurs mobiles du tourisme telle que nous l’avons défi-
nie (ils ont déjà travaillé pendant une saison d’hiver au moins entre 1999 et 2005), cette
catégorie nous semble surreprésentée dans notre échantillon : d’après les observations
catégorie nous semble surreprésentée dans notre échantillon : d’après les observations
nie (ils ont déjà travaillé pendant une saison d’hiver au moins entre 1999 et 2005), cette
tés entre dans la catégorie des travailleurs mobiles du tourisme telle que nous l’avons défi- 14 Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles
d’été (37 %). 79 % ont déjà connu une saison estivale ; si près d’un quart (23 %) des enquê-
connu une période de chômage ou d’inactivité durant les six mois précédant la saison
aussi dans l’hébergement (15 %), la vente (15 %) ou l’animation (8 %). Plus d’un tiers a fugitives aux plus durables, [des] actions réciproques [qui] sont porteuses
études à la rentrée (40 %). Durant la saison, ils travaillent dans la restauration (62 %), mais d’influences mutuelles entre les êtres sociaux. (Grafmeyer & Authier,
ont pour la plupart obtenu leur baccalauréat (70 %) et sont nombreux à continuer leurs 2008, p. 86)
(38 %), mais aussi ouvrier (19 %), profession intermédiaire (13 %) ou employé (8,5 %). Ils
plus souvent issus d’une famille dont le père est cadre ou commerçant / chef d’entreprise Nous verrons ensuite qu’il est possible, en étudiant les manières d'ha-
célibataires (87 %) et sans enfant (89 %). Majoritairement des hommes (54 %), ils sont le biter l’espace-temps saisonnier, de repérer différentes phases ponctuant la
carrière d’installation du saisonnier mobile. Il s’agira d’examiner le proces-
activité durant l’été. Assez jeunes en moyenne (60 % ont moins de 27 ans), ils sont souvent
ont permis de dresser un portrait assez fidèle de la population des salariés saisonniers en
5. Les 97 réponses au questionnaire (soit 57 % de retour parmi les saisonniers du bourg) sus séquentiel par lequel, à partir de sa première expérience saisonnière,
changements dans les perspectives, les motivations et les désirs de l’individu » (p. 48). l’individu franchit différentes étapes, jusqu’à rationaliser et justifier plei-
une autre, c’est-à-dire aussi bien les faits objectifs relevant de la structure sociale que les nement son mode de vie saisonnier ainsi que les relations qui l’attachent
« Cette notion [la carrière] désigne les facteurs dont dépend la mobilité d’une position à à certains lieux4 : un processus qui amène les saisonniers, au fil de leurs
4. On retrouve là une définition proche de celle développée par Becker (1963, 1985) :
expériences, à se « stabiliser » dans le temps et dans l’espace.
l’espace-temps saisonnier…)5. Dans un second temps, durant l’été 2007, Terrain et méthodologie d’enquête
type de sociabilité et les représentations (du logement, de l’emploi, de
les parcours (professionnels, résidentiels et scolaires), la fréquence et le Nous nous appuyons sur les résultats d’un travail de terrain mené
merces dont nous avons tenté de cerner les profils sociodémographiques, entre 2006 et 2010 dans la station balnéaire de Belle-Plage, située sur
170 salariés en contrat saisonnier et 30 gérants ou propriétaires de com- la côte Atlantique, dans le département des Landes. C’est un lieu tou-
Durant l’été 2006, nous avons pu dénombrer à Belle-Plage environ ristique caractérisé par son « ambiance familiale », sa capacité d’accueil
prendre un travail ethnographique et « monographique ». relativement restreinte (environ 5 000 lits) et sa morphologie (superficie
travailleur saisonnier (Chauvin & Jounin, 2010) nous ont permis d’entre- restreinte, activité commerciale principalement concentrée dans une rue
l’opportunité que nous avons eue d’y résider plusieurs mois en tant que commerçante). La petite taille de ce terrain (environ 200 individus) et
commerçante). La petite taille de ce terrain (environ 200 individus) et l’opportunité que nous avons eue d’y résider plusieurs mois en tant que
restreinte, activité commerciale principalement concentrée dans une rue travailleur saisonnier (Chauvin & Jounin, 2010) nous ont permis d’entre-
relativement restreinte (environ 5 000 lits) et sa morphologie (superficie prendre un travail ethnographique et « monographique ».
ristique caractérisé par son « ambiance familiale », sa capacité d’accueil Durant l’été 2006, nous avons pu dénombrer à Belle-Plage environ
la côte Atlantique, dans le département des Landes. C’est un lieu tou- 170 salariés en contrat saisonnier et 30 gérants ou propriétaires de com-
entre 2006 et 2010 dans la station balnéaire de Belle-Plage, située sur merces dont nous avons tenté de cerner les profils sociodémographiques,
Nous nous appuyons sur les résultats d’un travail de terrain mené les parcours (professionnels, résidentiels et scolaires), la fréquence et le
type de sociabilité et les représentations (du logement, de l’emploi, de
Terrain et méthodologie d’enquête l’espace-temps saisonnier…)5. Dans un second temps, durant l’été 2007,
4. On retrouve là une définition proche de celle développée par Becker (1963, 1985) :
expériences, à se « stabiliser » dans le temps et dans l’espace.
à certains lieux4 : un processus qui amène les saisonniers, au fil de leurs « Cette notion [la carrière] désigne les facteurs dont dépend la mobilité d’une position à
nement son mode de vie saisonnier ainsi que les relations qui l’attachent une autre, c’est-à-dire aussi bien les faits objectifs relevant de la structure sociale que les
l’individu franchit différentes étapes, jusqu’à rationaliser et justifier plei- changements dans les perspectives, les motivations et les désirs de l’individu » (p. 48).
sus séquentiel par lequel, à partir de sa première expérience saisonnière, 5. Les 97 réponses au questionnaire (soit 57 % de retour parmi les saisonniers du bourg)
carrière d’installation du saisonnier mobile. Il s’agira d’examiner le proces- ont permis de dresser un portrait assez fidèle de la population des salariés saisonniers en
activité durant l’été. Assez jeunes en moyenne (60 % ont moins de 27 ans), ils sont souvent
biter l’espace-temps saisonnier, de repérer différentes phases ponctuant la célibataires (87 %) et sans enfant (89 %). Majoritairement des hommes (54 %), ils sont le
Nous verrons ensuite qu’il est possible, en étudiant les manières d'ha- plus souvent issus d’une famille dont le père est cadre ou commerçant / chef d’entreprise
(38 %), mais aussi ouvrier (19 %), profession intermédiaire (13 %) ou employé (8,5 %). Ils
2008, p. 86) ont pour la plupart obtenu leur baccalauréat (70 %) et sont nombreux à continuer leurs
d’influences mutuelles entre les êtres sociaux. (Grafmeyer & Authier, études à la rentrée (40 %). Durant la saison, ils travaillent dans la restauration (62 %), mais
fugitives aux plus durables, [des] actions réciproques [qui] sont porteuses aussi dans l’hébergement (15 %), la vente (15 %) ou l’animation (8 %). Plus d’un tiers a
connu une période de chômage ou d’inactivité durant les six mois précédant la saison
d’été (37 %). 79 % ont déjà connu une saison estivale ; si près d’un quart (23 %) des enquê-
Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles 14 tés entre dans la catégorie des travailleurs mobiles du tourisme telle que nous l’avons défi-
nie (ils ont déjà travaillé pendant une saison d’hiver au moins entre 1999 et 2005), cette
catégorie nous semble surreprésentée dans notre échantillon : d’après les observations
département aquitain (2).
ou ses environs, nombreux sont ceux originaires d’une autre région (19) ou d’un autre
Aurélien Gentil 15 des mobiles interrogés (5) sont issus d’une famille possédant un logement dans le bourg
bulant (8), d’habitué (13) et de local (5) sont inégalement représentées. Si quelques-uns
durant l’été à Belle-Plage. Ainsi, parmi les 26 personnes interrogées, les catégories d’am-
nous avons pu approfondir et affiner notre réflexion à partir d’observa-
tatif de la structure de la population des saisonniers mobiles habituellement en activité
7. Il est important de préciser que le corpus d’entretiens recueillis en 2007 est représen-
tions directes et d’une série d’entretiens semi-directifs avec 26 salariés d’appartenance, représentation et qualification du lieu, projection dans la vie du lieu).
saisonniers mobiles travaillant à Belle-Plage. Ces entretiens portaient sur compte du rapport subjectif qu’ils entretiennent avec l’espace et la population (sentiment
leur trajectoire, leurs pratiques et leurs représentations (du travail sai- et formes de sociabilités à l’échelle du logement et du lieu) et des indicateurs qui rendent
sonnier, de la précarité, des lieux dans lesquels ils ont pu s’inscrire…). statut et temps d’occupation du logement, composition du groupe habitant ce logement
Entre 2008 et 2010, notre présence sur le terrain nous a enfin offert l’op- (« mode d’entrée » dans le lieu, position géographique, type et configuration du logement,
portunité de mener un suivi longitudinal des trajectoires de nombreux
d’emploi occupé, qualifications), les formes d’ancrage qui caractérisent leur situation
indicateurs qui objectivent le profil sociodémographique des mobiles (âge, sexe, type
saisonniers mobiles interrogés en 2007 encore présents à Belle-Plage et saisonnière hivernale. Cette typologie convoque différents critères de classification : les
d’observer l’évolution de la morphologie sociale du lieu. données issues de questionnaires, d’entretiens et d’observations sur des terrains d’activité
directifs de l’été 2007 (n = 26). Cependant, cette construction s’est inspirée de diverses
TROIS MANIÈRES D’HABITER L’ESPACE-TEMPS SAISONNIER 6. Notre typologie a été principalement construite d’après l’analyse des entretiens semi-
pas dans la catégorie de mobile et n’étant plus étudiants.
Au-delà du poids des déterminants sociaux classiques (âge, sexe, qua-
résume ainsi : 20 % de mobiles, 40 % d’étudiants et 40 % de salariés saisonniers n’entrant
saisonniers dénombrés. Schématiquement, la répartition des saisonniers de Belle-Plage se
lification, origine sociale) pesant sur la différenciation des pratiques et réalisées in situ, les mobiles étaient alors une trentaine, soit moins d’un cinquième des
des représentations individuelles, l’étude des modes d’appropriation dif-
férenciés d’un même espace par les saisonniers mobiles révèle l’influence cation et d’expérience. D’une part, les jeunes ambulants (moins de 25 ans)
d’autres facteurs. Ainsi la trajectoire d’entrée et l’ancienneté dans un lieu d’ac- Cette catégorie doit être subdivisée en deux groupes d’âge, de qualifi-
tivité saisonnière pèsent fortement sur la relation pratique et symbolique
à ce lieu. Les ambulants
On peut repérer, à partir de différents indicateurs6, trois manières
d’habiter l’espace-temps saisonnier, correspondant à trois catégories : les ambulants, les habitués et les locaux7.
ambulants, les habitués et les locaux7. d’habiter l’espace-temps saisonnier, correspondant à trois catégories : les
On peut repérer, à partir de différents indicateurs6, trois manières
Les ambulants à ce lieu.
tivité saisonnière pèsent fortement sur la relation pratique et symbolique
Cette catégorie doit être subdivisée en deux groupes d’âge, de qualifi- d’autres facteurs. Ainsi la trajectoire d’entrée et l’ancienneté dans un lieu d’ac-
cation et d’expérience. D’une part, les jeunes ambulants (moins de 25 ans) férenciés d’un même espace par les saisonniers mobiles révèle l’influence
des représentations individuelles, l’étude des modes d’appropriation dif-
réalisées in situ, les mobiles étaient alors une trentaine, soit moins d’un cinquième des lification, origine sociale) pesant sur la différenciation des pratiques et
saisonniers dénombrés. Schématiquement, la répartition des saisonniers de Belle-Plage se Au-delà du poids des déterminants sociaux classiques (âge, sexe, qua-
résume ainsi : 20 % de mobiles, 40 % d’étudiants et 40 % de salariés saisonniers n’entrant
pas dans la catégorie de mobile et n’étant plus étudiants.
6. Notre typologie a été principalement construite d’après l’analyse des entretiens semi-
TROIS MANIÈRES D’HABITER L’ESPACE-TEMPS SAISONNIER
directifs de l’été 2007 (n = 26). Cependant, cette construction s’est inspirée de diverses
données issues de questionnaires, d’entretiens et d’observations sur des terrains d’activité d’observer l’évolution de la morphologie sociale du lieu.
saisonnière hivernale. Cette typologie convoque différents critères de classification : les saisonniers mobiles interrogés en 2007 encore présents à Belle-Plage et
indicateurs qui objectivent le profil sociodémographique des mobiles (âge, sexe, type portunité de mener un suivi longitudinal des trajectoires de nombreux
d’emploi occupé, qualifications), les formes d’ancrage qui caractérisent leur situation
(« mode d’entrée » dans le lieu, position géographique, type et configuration du logement,
Entre 2008 et 2010, notre présence sur le terrain nous a enfin offert l’op-
statut et temps d’occupation du logement, composition du groupe habitant ce logement sonnier, de la précarité, des lieux dans lesquels ils ont pu s’inscrire…).
et formes de sociabilités à l’échelle du logement et du lieu) et des indicateurs qui rendent leur trajectoire, leurs pratiques et leurs représentations (du travail sai-
compte du rapport subjectif qu’ils entretiennent avec l’espace et la population (sentiment saisonniers mobiles travaillant à Belle-Plage. Ces entretiens portaient sur
d’appartenance, représentation et qualification du lieu, projection dans la vie du lieu). tions directes et d’une série d’entretiens semi-directifs avec 26 salariés
7. Il est important de préciser que le corpus d’entretiens recueillis en 2007 est représen- nous avons pu approfondir et affiner notre réflexion à partir d’observa-
tatif de la structure de la population des saisonniers mobiles habituellement en activité
durant l’été à Belle-Plage. Ainsi, parmi les 26 personnes interrogées, les catégories d’am-
bulant (8), d’habitué (13) et de local (5) sont inégalement représentées. Si quelques-uns
des mobiles interrogés (5) sont issus d’une famille possédant un logement dans le bourg 15 Aurélien Gentil
ou ses environs, nombreux sont ceux originaires d’une autre région (19) ou d’un autre
département aquitain (2).
département aquitain (2).
ou ses environs, nombreux sont ceux originaires d’une autre région (19) ou d’un autre
Aurélien Gentil 15 des mobiles interrogés (5) sont issus d’une famille possédant un logement dans le bourg
bulant (8), d’habitué (13) et de local (5) sont inégalement représentées. Si quelques-uns
durant l’été à Belle-Plage. Ainsi, parmi les 26 personnes interrogées, les catégories d’am-
nous avons pu approfondir et affiner notre réflexion à partir d’observa-
tatif de la structure de la population des saisonniers mobiles habituellement en activité
7. Il est important de préciser que le corpus d’entretiens recueillis en 2007 est représen-
tions directes et d’une série d’entretiens semi-directifs avec 26 salariés d’appartenance, représentation et qualification du lieu, projection dans la vie du lieu).
saisonniers mobiles travaillant à Belle-Plage. Ces entretiens portaient sur compte du rapport subjectif qu’ils entretiennent avec l’espace et la population (sentiment
leur trajectoire, leurs pratiques et leurs représentations (du travail sai- et formes de sociabilités à l’échelle du logement et du lieu) et des indicateurs qui rendent
sonnier, de la précarité, des lieux dans lesquels ils ont pu s’inscrire…). statut et temps d’occupation du logement, composition du groupe habitant ce logement
Entre 2008 et 2010, notre présence sur le terrain nous a enfin offert l’op- (« mode d’entrée » dans le lieu, position géographique, type et configuration du logement,
portunité de mener un suivi longitudinal des trajectoires de nombreux
d’emploi occupé, qualifications), les formes d’ancrage qui caractérisent leur situation
indicateurs qui objectivent le profil sociodémographique des mobiles (âge, sexe, type
saisonniers mobiles interrogés en 2007 encore présents à Belle-Plage et saisonnière hivernale. Cette typologie convoque différents critères de classification : les
d’observer l’évolution de la morphologie sociale du lieu. données issues de questionnaires, d’entretiens et d’observations sur des terrains d’activité
directifs de l’été 2007 (n = 26). Cependant, cette construction s’est inspirée de diverses
TROIS MANIÈRES D’HABITER L’ESPACE-TEMPS SAISONNIER 6. Notre typologie a été principalement construite d’après l’analyse des entretiens semi-
pas dans la catégorie de mobile et n’étant plus étudiants.
Au-delà du poids des déterminants sociaux classiques (âge, sexe, qua-
résume ainsi : 20 % de mobiles, 40 % d’étudiants et 40 % de salariés saisonniers n’entrant
saisonniers dénombrés. Schématiquement, la répartition des saisonniers de Belle-Plage se
lification, origine sociale) pesant sur la différenciation des pratiques et réalisées in situ, les mobiles étaient alors une trentaine, soit moins d’un cinquième des
des représentations individuelles, l’étude des modes d’appropriation dif-
férenciés d’un même espace par les saisonniers mobiles révèle l’influence cation et d’expérience. D’une part, les jeunes ambulants (moins de 25 ans)
d’autres facteurs. Ainsi la trajectoire d’entrée et l’ancienneté dans un lieu d’ac- Cette catégorie doit être subdivisée en deux groupes d’âge, de qualifi-
tivité saisonnière pèsent fortement sur la relation pratique et symbolique
à ce lieu. Les ambulants
On peut repérer, à partir de différents indicateurs6, trois manières
d’habiter l’espace-temps saisonnier, correspondant à trois catégories : les ambulants, les habitués et les locaux7.
ambulants, les habitués et les locaux7. d’habiter l’espace-temps saisonnier, correspondant à trois catégories : les
On peut repérer, à partir de différents indicateurs6, trois manières
Les ambulants à ce lieu.
tivité saisonnière pèsent fortement sur la relation pratique et symbolique
Cette catégorie doit être subdivisée en deux groupes d’âge, de qualifi- d’autres facteurs. Ainsi la trajectoire d’entrée et l’ancienneté dans un lieu d’ac-
cation et d’expérience. D’une part, les jeunes ambulants (moins de 25 ans) férenciés d’un même espace par les saisonniers mobiles révèle l’influence
des représentations individuelles, l’étude des modes d’appropriation dif-
réalisées in situ, les mobiles étaient alors une trentaine, soit moins d’un cinquième des lification, origine sociale) pesant sur la différenciation des pratiques et
saisonniers dénombrés. Schématiquement, la répartition des saisonniers de Belle-Plage se Au-delà du poids des déterminants sociaux classiques (âge, sexe, qua-
résume ainsi : 20 % de mobiles, 40 % d’étudiants et 40 % de salariés saisonniers n’entrant
pas dans la catégorie de mobile et n’étant plus étudiants.
6. Notre typologie a été principalement construite d’après l’analyse des entretiens semi-
TROIS MANIÈRES D’HABITER L’ESPACE-TEMPS SAISONNIER
directifs de l’été 2007 (n = 26). Cependant, cette construction s’est inspirée de diverses
données issues de questionnaires, d’entretiens et d’observations sur des terrains d’activité d’observer l’évolution de la morphologie sociale du lieu.
saisonnière hivernale. Cette typologie convoque différents critères de classification : les saisonniers mobiles interrogés en 2007 encore présents à Belle-Plage et
indicateurs qui objectivent le profil sociodémographique des mobiles (âge, sexe, type portunité de mener un suivi longitudinal des trajectoires de nombreux
d’emploi occupé, qualifications), les formes d’ancrage qui caractérisent leur situation
(« mode d’entrée » dans le lieu, position géographique, type et configuration du logement,
Entre 2008 et 2010, notre présence sur le terrain nous a enfin offert l’op-
statut et temps d’occupation du logement, composition du groupe habitant ce logement sonnier, de la précarité, des lieux dans lesquels ils ont pu s’inscrire…).
et formes de sociabilités à l’échelle du logement et du lieu) et des indicateurs qui rendent leur trajectoire, leurs pratiques et leurs représentations (du travail sai-
compte du rapport subjectif qu’ils entretiennent avec l’espace et la population (sentiment saisonniers mobiles travaillant à Belle-Plage. Ces entretiens portaient sur
d’appartenance, représentation et qualification du lieu, projection dans la vie du lieu). tions directes et d’une série d’entretiens semi-directifs avec 26 salariés
7. Il est important de préciser que le corpus d’entretiens recueillis en 2007 est représen- nous avons pu approfondir et affiner notre réflexion à partir d’observa-
tatif de la structure de la population des saisonniers mobiles habituellement en activité
durant l’été à Belle-Plage. Ainsi, parmi les 26 personnes interrogées, les catégories d’am-
bulant (8), d’habitué (13) et de local (5) sont inégalement représentées. Si quelques-uns
des mobiles interrogés (5) sont issus d’une famille possédant un logement dans le bourg 15 Aurélien Gentil
ou ses environs, nombreux sont ceux originaires d’une autre région (19) ou d’un autre
département aquitain (2).
16 Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles
(P., 22 ans, serveuse, 2e saison à Belle-Plage)
La Salsa [haut lieu de sociabilité pour les saisonniers du bourg] ou ailleurs.
employeur l’année précédente], après j’avais pas forcément envie d’aller à
finissais le boulot, je buvais un coup comme ça, devant Chez Keith [son
moins ambiance saisonnière, beaucoup moins ambiance saisonnière. Je sont les moins expérimentés professionnellement. Ils occupent généra-
rencontres des gens du camping, plus esprit vacances en fait […], et puis lement les emplois les moins qualifiés (plonge, ménage…), pour ceux
vu plus l’extérieur, plus en touriste en fait […], plus esprit camping, tu qui n’ont pas de formation en lien avec le tourisme ou qui ont peu
et voilà, plus l’âme de Belle-Plage, en fait, cette année. L’an dernier j’ai d’expérience dans ce secteur, et des emplois plus qualifiés, pour ceux
les gens qui font Belle-Plage, tous ceux qui sont là depuis des années formés dans la restauration, le sport ou l’animation (cuisinier, moniteur
J’ai vraiment découvert Belle-Plage cette année, parce que j’ai rencontré sportif…). D’autre part, les ambulants expérimentés (plus de 25 ans) ont
accompli un parcours professionnel plus long en tant que salariés saison-
première saison habitait un camping situé à 5 km du bourg : niers. Ils ont une formation en lien avec leur activité ou se sont formés
logée durant notre rencontre dans le centre de Belle-Plage, qui pour sa « sur le tas » au fil de leurs expériences. Ils occupent généralement, parmi
peut-être d’apprendre à les connaître.Voici ce que raconte une enquêtée, les ambulants, les emplois les plus qualifiés et qui offrent les meilleurs
du lieu. Ainsi resteront-ils d’abord « à l’écart » des plus anciens avant avantages (salaire, logement, etc.). Si les jeunes ambulants formés dans les
de distance par rapport aux saisonniers plus anciens qui « font » la vie métiers du tourisme mettent surtout en avant l’acquisition d’une expé-
ment géographique engendre chez ces « nouveaux » arrivés un sentiment rience professionnelle pour expliquer leur arrivée dans le lieu, les jeu-
station, plusieurs d’entre eux se logent à distance du centre. Cet éloigne- nes non qualifiés invoquent plutôt leur « curiosité » vis-à-vis du travail
au moment de leur arrivée. Si certains ambulants vivent au cœur de la saisonnier et leur besoin de gagner de l’argent. Les ambulants expéri-
logement fourni par leur employeur ou dans les logements disponibles mentés justifient leur présence d’abord par le plaisir de faire les saisons,
le biais de leur recherche d’emploi, ils sont amenés à résider dans le puis par la possibilité d’accéder à un emploi et par le fait de gagner de
d’un choix, du moins d’une anticipation. Entrés dans la vie du lieu par l’argent.
La position géographique de leur logement est rarement le résultat Le rapport que les ambulants entretiennent à leur lieu de résidence
sociabilités locales qu’ils vont déployer. temporaire est largement déterminé par le fait d’être arrivés pour la plu-
dans la vie du lieu pèse à différents niveaux sur les formes et la nature des part « au hasard » de leur recherche d’emploi. Cette trajectoire d’entrée
part « au hasard » de leur recherche d’emploi. Cette trajectoire d’entrée dans la vie du lieu pèse à différents niveaux sur les formes et la nature des
temporaire est largement déterminé par le fait d’être arrivés pour la plu- sociabilités locales qu’ils vont déployer.
Le rapport que les ambulants entretiennent à leur lieu de résidence La position géographique de leur logement est rarement le résultat
l’argent. d’un choix, du moins d’une anticipation. Entrés dans la vie du lieu par
puis par la possibilité d’accéder à un emploi et par le fait de gagner de le biais de leur recherche d’emploi, ils sont amenés à résider dans le
mentés justifient leur présence d’abord par le plaisir de faire les saisons, logement fourni par leur employeur ou dans les logements disponibles
saisonnier et leur besoin de gagner de l’argent. Les ambulants expéri- au moment de leur arrivée. Si certains ambulants vivent au cœur de la
nes non qualifiés invoquent plutôt leur « curiosité » vis-à-vis du travail station, plusieurs d’entre eux se logent à distance du centre. Cet éloigne-
rience professionnelle pour expliquer leur arrivée dans le lieu, les jeu- ment géographique engendre chez ces « nouveaux » arrivés un sentiment
métiers du tourisme mettent surtout en avant l’acquisition d’une expé- de distance par rapport aux saisonniers plus anciens qui « font » la vie
avantages (salaire, logement, etc.). Si les jeunes ambulants formés dans les du lieu. Ainsi resteront-ils d’abord « à l’écart » des plus anciens avant
les ambulants, les emplois les plus qualifiés et qui offrent les meilleurs peut-être d’apprendre à les connaître.Voici ce que raconte une enquêtée,
« sur le tas » au fil de leurs expériences. Ils occupent généralement, parmi logée durant notre rencontre dans le centre de Belle-Plage, qui pour sa
niers. Ils ont une formation en lien avec leur activité ou se sont formés première saison habitait un camping situé à 5 km du bourg :
accompli un parcours professionnel plus long en tant que salariés saison-
sportif…). D’autre part, les ambulants expérimentés (plus de 25 ans) ont J’ai vraiment découvert Belle-Plage cette année, parce que j’ai rencontré
formés dans la restauration, le sport ou l’animation (cuisinier, moniteur les gens qui font Belle-Plage, tous ceux qui sont là depuis des années
d’expérience dans ce secteur, et des emplois plus qualifiés, pour ceux et voilà, plus l’âme de Belle-Plage, en fait, cette année. L’an dernier j’ai
qui n’ont pas de formation en lien avec le tourisme ou qui ont peu vu plus l’extérieur, plus en touriste en fait […], plus esprit camping, tu
lement les emplois les moins qualifiés (plonge, ménage…), pour ceux rencontres des gens du camping, plus esprit vacances en fait […], et puis
sont les moins expérimentés professionnellement. Ils occupent généra- moins ambiance saisonnière, beaucoup moins ambiance saisonnière. Je
finissais le boulot, je buvais un coup comme ça, devant Chez Keith [son
employeur l’année précédente], après j’avais pas forcément envie d’aller à
La Salsa [haut lieu de sociabilité pour les saisonniers du bourg] ou ailleurs.
(P., 22 ans, serveuse, 2e saison à Belle-Plage)
Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles 16
au lieu dans lequel ils mènent leur activité. C’est avant tout un lieu de
Aurélien Gentil 17 tués et locaux) avoir construit un rapport « enchanté » et « mythifiant »
l’océan, les vagues, la plage), ils semblent moins que les autres (habi-
tion et de qualification du lieu. S’ils apprécient le cadre naturel (la forêt,
Plus que les autres, les ambulants habitent des tentes, des caravanes Les ambulants mobilisent peu les catégories indigènes de percep-
ou des camions. Ils sont présents généralement durant des périodes plus généralement durant l’intersaison.
courtes que les autres saisonniers mobiles (entre deux et quatre mois). amicaux qu’ils ont tissés dans leur lieu « d’origine », où ils « se posent »
Les ambulants ont fréquemment un espace d’habitation restreint qui, sont pour la plupart encore étroitement attachés aux liens familiaux et
par sa taille, sa configuration et les fonctionnalités qu’il offre, ne permet fréquemment visite durant l’intersaison. Quant aux jeunes ambulants, ils
pas de recevoir ni d’héberger des amis ou des membres de leur famille. de leurs « proches » dans d’autres espaces de saison, auxquels ils rendent
Logeant parfois seuls, ils peuvent aussi partager leur logement ou leur expérience de la mobilité saisonnière. Ils ont ainsi rencontré la plupart
zone d’habitation (camping) avec des collègues de travail ou d’autres am- entretenus par les ambulants expérimentés est souvent déterminé par leur
bulants. Leur réseau de sociabilité, à l’échelle du lieu, est principalement labile. Le dessin du réseau de liens « forts » (Granovetter, 1973) tissés et
composé par ces cohabitants. Ces relations s’entretiennent surtout dans le ciabilité des ambulants s’inscrit dans une pluralité d’espaces et paraît plus
cadre du travail et des sorties festives. Se détournant de leur logement, ils Au-delà de l’échelle de leur lieu d’activité saisonnière, le réseau de so-
préfèrent généralement passer du temps dans les bars et les restaurants. rôle principalement fonctionnel, servant surtout de lieu de repos.
Leur fréquentation des commerces dépend étroitement du réseau de du bourg (rue principale, commerces). Leur logement semble tenir un
relations qu’ils ont tissé. Ainsi, ils fréquentent les mêmes lieux que leurs 1981) centrées sur leurs collègues de travail et les espaces de sociabilité
collègues de travail ou que les ambulants avec lesquels ils ont sympathisé. Belle-Plage participe au déploiement de sociabilités « externes » (Forsé,
Les jeunes, qui assimilent plus que les expérimentés la saison à une pé- Ainsi, la trajectoire d’entrée des ambulants dans la vie saisonnière de
riode où la « fête » rythme la vie, multiplient les sorties nocturnes. Un 4e saison à Belle-Plage)
enquêté, formé dans la restauration, venu pour la première fois à Belle- mine, d’aller en boîte et puis voilà quoi, faire la teuf. (F., 23 ans, cuisinier,
Plage « au hasard » de ses recherches d’emploi, nous explique : plus en plus, mais au début t’as envie de faire que ça, d’aller te mettre une
temps, comme ici tu sais, c’était ça. Bon, après, avec l’âge, on se calme de
Ben [la vie d’un saisonnier], c’est travailler et puis sortir, picoler, faire la fête à « donf », et puis aller draguer les nanas, tout ce qui traînait, tout le
fête à « donf », et puis aller draguer les nanas, tout ce qui traînait, tout le Ben [la vie d’un saisonnier], c’est travailler et puis sortir, picoler, faire la
temps, comme ici tu sais, c’était ça. Bon, après, avec l’âge, on se calme de
plus en plus, mais au début t’as envie de faire que ça, d’aller te mettre une Plage « au hasard » de ses recherches d’emploi, nous explique :
mine, d’aller en boîte et puis voilà quoi, faire la teuf. (F., 23 ans, cuisinier, enquêté, formé dans la restauration, venu pour la première fois à Belle-
4e saison à Belle-Plage) riode où la « fête » rythme la vie, multiplient les sorties nocturnes. Un
Ainsi, la trajectoire d’entrée des ambulants dans la vie saisonnière de Les jeunes, qui assimilent plus que les expérimentés la saison à une pé-
Belle-Plage participe au déploiement de sociabilités « externes » (Forsé, collègues de travail ou que les ambulants avec lesquels ils ont sympathisé.
1981) centrées sur leurs collègues de travail et les espaces de sociabilité relations qu’ils ont tissé. Ainsi, ils fréquentent les mêmes lieux que leurs
du bourg (rue principale, commerces). Leur logement semble tenir un Leur fréquentation des commerces dépend étroitement du réseau de
rôle principalement fonctionnel, servant surtout de lieu de repos. préfèrent généralement passer du temps dans les bars et les restaurants.
Au-delà de l’échelle de leur lieu d’activité saisonnière, le réseau de so- cadre du travail et des sorties festives. Se détournant de leur logement, ils
ciabilité des ambulants s’inscrit dans une pluralité d’espaces et paraît plus composé par ces cohabitants. Ces relations s’entretiennent surtout dans le
labile. Le dessin du réseau de liens « forts » (Granovetter, 1973) tissés et bulants. Leur réseau de sociabilité, à l’échelle du lieu, est principalement
entretenus par les ambulants expérimentés est souvent déterminé par leur zone d’habitation (camping) avec des collègues de travail ou d’autres am-
expérience de la mobilité saisonnière. Ils ont ainsi rencontré la plupart Logeant parfois seuls, ils peuvent aussi partager leur logement ou leur
de leurs « proches » dans d’autres espaces de saison, auxquels ils rendent pas de recevoir ni d’héberger des amis ou des membres de leur famille.
fréquemment visite durant l’intersaison. Quant aux jeunes ambulants, ils par sa taille, sa configuration et les fonctionnalités qu’il offre, ne permet
sont pour la plupart encore étroitement attachés aux liens familiaux et Les ambulants ont fréquemment un espace d’habitation restreint qui,
amicaux qu’ils ont tissés dans leur lieu « d’origine », où ils « se posent » courtes que les autres saisonniers mobiles (entre deux et quatre mois).
généralement durant l’intersaison. ou des camions. Ils sont présents généralement durant des périodes plus
Les ambulants mobilisent peu les catégories indigènes de percep- Plus que les autres, les ambulants habitent des tentes, des caravanes
tion et de qualification du lieu. S’ils apprécient le cadre naturel (la forêt,
l’océan, les vagues, la plage), ils semblent moins que les autres (habi-
tués et locaux) avoir construit un rapport « enchanté » et « mythifiant » 17 Aurélien Gentil
au lieu dans lequel ils mènent leur activité. C’est avant tout un lieu de
à distance des zones les plus animées. Une même position géographique
frénésie du lieu et de la vie saisonnière, souvent les plus anciens, se logent 18 Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles
au centre de la station alors que ceux qui veulent pouvoir couper avec la
souhaitent profiter au maximum de l’animation prendront un logement
ticule avec le rapport qu’ils entretiennent avec la vie du lieu. Ceux qui travail, certes agréable, mais qu’ils ne considèrent pas comme « unique »
convient. Dans tous les cas, le choix de la position de leur logement s’ar- ni irremplaçable. Ils se disent « de passage » et n’envisagent pas, au dé-
lieux, ils ont pu préparer leur venue et réserver le logement qui leur part, revenir pour les saisons suivantes.
d’un « choix », du moins d’une démarche anticipatrice. Habitués des
La position géographique de leur logement est cette fois le résultat Les habitués
dix ans. (F., 23 ans, cuisinier, 4e saison à Belle-Plage) Plus âgés en moyenne (plus de 25 ans) que les autres salariés mobiles,
connaît, ben ça fait des années qu’ils reviennent quoi, peut-être des fois ils n’étaient pas pour la plupart qualifiés pour l’emploi qu’ils occupent
part, bouger, tandis qu’à Belle-Plage les gens ils restent, les gens qu’on désormais. Souvent formés « sur le tas », ils sont plus anciens que les am-
cément revenir exactement là où ils étaient, ils vont peut-être aller autre bulants dans la vie saisonnière de Belle-Plage (au moins quatre saisons
voilà ils vont trouver des amis, d’autres saisonniers, mais ils vont pas for-
estivales). Ils sont généralement entrés dans la vie du lieu par cooptation
ou par recommandation, par le biais d’un ami ou d’une connaissance.
que les gens qui vont faire une saison à Cap-Breton ou à Hossegor bon
Plus que l’argent que leur apporte leur emploi, ils mettent en avant leur
de particulier aussi, ouais il y a quelque chose de différent, ouais je pense
qu’être saisonnier et à Belle-Plage en même temps c’est quelque chose
tout, parce que t’es bien, parce que t’as la mer, t’as tes potes. C’est vrai degré d’« attachement » au lieu et à sa population pour expliquer et légi-
faire ? Et puis finalement, tu reviens à Belle-Plage quoi, parce que t’as timer leur présence. Ils apprécient la forte interconnaissance qui régit
voilà, est-ce que je reviens l’année prochaine ? Qu’est-ce que je vais aller les formes de sociabilité locales et la possibilité de tisser et d’entretenir
endroit, le plus dur, c’est de partir, tu te poses des questions, tu te dis : oh certaines relations d’amitiés. Ils semblent avoir intégré en partie les ca-
trainte, c’est de partir de là où tu es quoi. Par exemple, tu es six mois à un tégories indigènes de perception et de qualification d’un lieu devenu
tous les six mois, forcément, il bouge, donc il y a ce bon côté. La con- « familier ».Voici comment un enquêté qui pensait changer de lieu d’ac-
Moi j’aime bien l’immigration, j’aime bien bouger, donc un saisonnier, tivité estivale après sa première saison à Belle-Plage explique le fait d’être
finalement revenu :
finalement revenu :
tivité estivale après sa première saison à Belle-Plage explique le fait d’être Moi j’aime bien l’immigration, j’aime bien bouger, donc un saisonnier,
« familier ».Voici comment un enquêté qui pensait changer de lieu d’ac- tous les six mois, forcément, il bouge, donc il y a ce bon côté. La con-
tégories indigènes de perception et de qualification d’un lieu devenu trainte, c’est de partir de là où tu es quoi. Par exemple, tu es six mois à un
certaines relations d’amitiés. Ils semblent avoir intégré en partie les ca- endroit, le plus dur, c’est de partir, tu te poses des questions, tu te dis : oh
les formes de sociabilité locales et la possibilité de tisser et d’entretenir voilà, est-ce que je reviens l’année prochaine ? Qu’est-ce que je vais aller
timer leur présence. Ils apprécient la forte interconnaissance qui régit faire ? Et puis finalement, tu reviens à Belle-Plage quoi, parce que t’as
degré d’« attachement » au lieu et à sa population pour expliquer et légi- tout, parce que t’es bien, parce que t’as la mer, t’as tes potes. C’est vrai
Plus que l’argent que leur apporte leur emploi, ils mettent en avant leur qu’être saisonnier et à Belle-Plage en même temps c’est quelque chose
ou par recommandation, par le biais d’un ami ou d’une connaissance. de particulier aussi, ouais il y a quelque chose de différent, ouais je pense
que les gens qui vont faire une saison à Cap-Breton ou à Hossegor bon
voilà ils vont trouver des amis, d’autres saisonniers, mais ils vont pas for-
estivales). Ils sont généralement entrés dans la vie du lieu par cooptation
bulants dans la vie saisonnière de Belle-Plage (au moins quatre saisons cément revenir exactement là où ils étaient, ils vont peut-être aller autre
désormais. Souvent formés « sur le tas », ils sont plus anciens que les am- part, bouger, tandis qu’à Belle-Plage les gens ils restent, les gens qu’on
ils n’étaient pas pour la plupart qualifiés pour l’emploi qu’ils occupent connaît, ben ça fait des années qu’ils reviennent quoi, peut-être des fois
Plus âgés en moyenne (plus de 25 ans) que les autres salariés mobiles, dix ans. (F., 23 ans, cuisinier, 4e saison à Belle-Plage)
Les habitués La position géographique de leur logement est cette fois le résultat
d’un « choix », du moins d’une démarche anticipatrice. Habitués des
part, revenir pour les saisons suivantes. lieux, ils ont pu préparer leur venue et réserver le logement qui leur
ni irremplaçable. Ils se disent « de passage » et n’envisagent pas, au dé- convient. Dans tous les cas, le choix de la position de leur logement s’ar-
travail, certes agréable, mais qu’ils ne considèrent pas comme « unique » ticule avec le rapport qu’ils entretiennent avec la vie du lieu. Ceux qui
souhaitent profiter au maximum de l’animation prendront un logement
au centre de la station alors que ceux qui veulent pouvoir couper avec la
Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles 18 frénésie du lieu et de la vie saisonnière, souvent les plus anciens, se logent
à distance des zones les plus animées. Une même position géographique
à distance des zones les plus animées. Une même position géographique
frénésie du lieu et de la vie saisonnière, souvent les plus anciens, se logent 18 Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles
au centre de la station alors que ceux qui veulent pouvoir couper avec la
souhaitent profiter au maximum de l’animation prendront un logement
ticule avec le rapport qu’ils entretiennent avec la vie du lieu. Ceux qui travail, certes agréable, mais qu’ils ne considèrent pas comme « unique »
convient. Dans tous les cas, le choix de la position de leur logement s’ar- ni irremplaçable. Ils se disent « de passage » et n’envisagent pas, au dé-
lieux, ils ont pu préparer leur venue et réserver le logement qui leur part, revenir pour les saisons suivantes.
d’un « choix », du moins d’une démarche anticipatrice. Habitués des
La position géographique de leur logement est cette fois le résultat Les habitués
dix ans. (F., 23 ans, cuisinier, 4e saison à Belle-Plage) Plus âgés en moyenne (plus de 25 ans) que les autres salariés mobiles,
connaît, ben ça fait des années qu’ils reviennent quoi, peut-être des fois ils n’étaient pas pour la plupart qualifiés pour l’emploi qu’ils occupent
part, bouger, tandis qu’à Belle-Plage les gens ils restent, les gens qu’on désormais. Souvent formés « sur le tas », ils sont plus anciens que les am-
cément revenir exactement là où ils étaient, ils vont peut-être aller autre bulants dans la vie saisonnière de Belle-Plage (au moins quatre saisons
voilà ils vont trouver des amis, d’autres saisonniers, mais ils vont pas for-
estivales). Ils sont généralement entrés dans la vie du lieu par cooptation
ou par recommandation, par le biais d’un ami ou d’une connaissance.
que les gens qui vont faire une saison à Cap-Breton ou à Hossegor bon
Plus que l’argent que leur apporte leur emploi, ils mettent en avant leur
de particulier aussi, ouais il y a quelque chose de différent, ouais je pense
qu’être saisonnier et à Belle-Plage en même temps c’est quelque chose
tout, parce que t’es bien, parce que t’as la mer, t’as tes potes. C’est vrai degré d’« attachement » au lieu et à sa population pour expliquer et légi-
faire ? Et puis finalement, tu reviens à Belle-Plage quoi, parce que t’as timer leur présence. Ils apprécient la forte interconnaissance qui régit
voilà, est-ce que je reviens l’année prochaine ? Qu’est-ce que je vais aller les formes de sociabilité locales et la possibilité de tisser et d’entretenir
endroit, le plus dur, c’est de partir, tu te poses des questions, tu te dis : oh certaines relations d’amitiés. Ils semblent avoir intégré en partie les ca-
trainte, c’est de partir de là où tu es quoi. Par exemple, tu es six mois à un tégories indigènes de perception et de qualification d’un lieu devenu
tous les six mois, forcément, il bouge, donc il y a ce bon côté. La con- « familier ».Voici comment un enquêté qui pensait changer de lieu d’ac-
Moi j’aime bien l’immigration, j’aime bien bouger, donc un saisonnier, tivité estivale après sa première saison à Belle-Plage explique le fait d’être
finalement revenu :
finalement revenu :
tivité estivale après sa première saison à Belle-Plage explique le fait d’être Moi j’aime bien l’immigration, j’aime bien bouger, donc un saisonnier,
« familier ».Voici comment un enquêté qui pensait changer de lieu d’ac- tous les six mois, forcément, il bouge, donc il y a ce bon côté. La con-
tégories indigènes de perception et de qualification d’un lieu devenu trainte, c’est de partir de là où tu es quoi. Par exemple, tu es six mois à un
certaines relations d’amitiés. Ils semblent avoir intégré en partie les ca- endroit, le plus dur, c’est de partir, tu te poses des questions, tu te dis : oh
les formes de sociabilité locales et la possibilité de tisser et d’entretenir voilà, est-ce que je reviens l’année prochaine ? Qu’est-ce que je vais aller
timer leur présence. Ils apprécient la forte interconnaissance qui régit faire ? Et puis finalement, tu reviens à Belle-Plage quoi, parce que t’as
degré d’« attachement » au lieu et à sa population pour expliquer et légi- tout, parce que t’es bien, parce que t’as la mer, t’as tes potes. C’est vrai
Plus que l’argent que leur apporte leur emploi, ils mettent en avant leur qu’être saisonnier et à Belle-Plage en même temps c’est quelque chose
ou par recommandation, par le biais d’un ami ou d’une connaissance. de particulier aussi, ouais il y a quelque chose de différent, ouais je pense
que les gens qui vont faire une saison à Cap-Breton ou à Hossegor bon
voilà ils vont trouver des amis, d’autres saisonniers, mais ils vont pas for-
estivales). Ils sont généralement entrés dans la vie du lieu par cooptation
bulants dans la vie saisonnière de Belle-Plage (au moins quatre saisons cément revenir exactement là où ils étaient, ils vont peut-être aller autre
désormais. Souvent formés « sur le tas », ils sont plus anciens que les am- part, bouger, tandis qu’à Belle-Plage les gens ils restent, les gens qu’on
ils n’étaient pas pour la plupart qualifiés pour l’emploi qu’ils occupent connaît, ben ça fait des années qu’ils reviennent quoi, peut-être des fois
Plus âgés en moyenne (plus de 25 ans) que les autres salariés mobiles, dix ans. (F., 23 ans, cuisinier, 4e saison à Belle-Plage)
Les habitués La position géographique de leur logement est cette fois le résultat
d’un « choix », du moins d’une démarche anticipatrice. Habitués des
part, revenir pour les saisons suivantes. lieux, ils ont pu préparer leur venue et réserver le logement qui leur
ni irremplaçable. Ils se disent « de passage » et n’envisagent pas, au dé- convient. Dans tous les cas, le choix de la position de leur logement s’ar-
travail, certes agréable, mais qu’ils ne considèrent pas comme « unique » ticule avec le rapport qu’ils entretiennent avec la vie du lieu. Ceux qui
souhaitent profiter au maximum de l’animation prendront un logement
au centre de la station alors que ceux qui veulent pouvoir couper avec la
Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles 18 frénésie du lieu et de la vie saisonnière, souvent les plus anciens, se logent
à distance des zones les plus animées. Une même position géographique
ambulants. Avec le temps, ils ont pu nouer des relations d’amitié avec
Aurélien Gentil 19 Leur réseau local de relations est plus élargi et diversifié que celui des
Plage ou ses environs.
2007) louèrent « à l’année » un logement situé dans le bourg de Belle-
d’habitation n’a pas la même signification et n’engendre pas les mêmes 2009-2010 : une dizaine de saisonniers (certains avaient été interrogés en
pratiques selon le type de saisonnier. taller à l’année dans la station ou dans ses environs. Ce fut le cas l’hiver
Les habitués vivent généralement dans des logements « en dur », le (entre quatre et six mois). Certains manifestent même l’envie de s’ins-
plus souvent de petits appartements, voire des maisons. Ils louent leur lent pour un temps dépassant largement la période d’activité touristique
logement à titre personnel, mais sont parfois logés par leur employeur ou d’ancrage au lieu. Dans la majorité des cas observés, ces habitués s’instal-
un ami saisonnier local habitant un logement familial. un espace de retrait et de préservation de leur vie privée, principal point
Plus les saisonniers sont anciens dans la vie du lieu, plus leur période est interne, leur logement étant conçu comme un espace confortable,
de résidence est longue. Qu’ils vivent seuls ou à plusieurs, les habitués parfois héberger des amis ou des membres de leur famille. Leur sociabilité
pensent avoir « choisi » la situation de leur logement. Ils disent avoir fait manière plus ritualisée, préparer un repas pour leurs amis saisonniers et
le choix de vivre seul et d’éviter ainsi les désagréments d’une « mau- tement liées au rôle qu’il a pour les individus. Ils peuvent recevoir de
vaise » colocation, ou au contraire de vivre en colocation avec d’autres Les sociabilités à l’intérieur et autour du logement sont ainsi direc-
saisonniers devenus des amis, ou encore de vivre avec un concubin ou
une concubine. Ils s’approprient généralement un logement comme dans un chez-moi quoi. (C., 22 ans, cuisinière, 4e saison à Belle-Plage)
un « chez-soi » ou un « chez-nous », pour ceux qui vivent en couple. des trucs partout au mur et que j’avais besoin aussi de me sentir vraiment
Décoré, personnalisé, aménagé, le logement devient leur principal point t’as le temps de t’installer la semaine, ça va quoi, c’est pour ça que j’avais
d’ancrage au lieu. Comme dans la plupart des cas ils ne possèdent pas t’installes quoi, surtout qu’au départ on bossait que les week-ends, donc
de logement « permanent », le logement saisonnier constitue pour eux armoire et puis un poste et voilà quoi […]. C’est clair qu’à un moment tu
un point d’appui, de stabilisation qui paraît essentiel. Une enquêtée qui une petite table et tout, mais l’année d’avant j’avais pas grand-chose, une
a connu Belle-Plage pendant son adolescence, devenue chef cuisinière où je me suis vachement installée, j’avais ramené mon petit canapé, la télé,
dans l’un des restaurants les plus fréquentés du bourg, nous explique La première année j’avais ramené pas grand-chose, c’est l’année dernière
comment elle s’est « installée » et a aménagé son logement :
comment elle s’est « installée » et a aménagé son logement :
La première année j’avais ramené pas grand-chose, c’est l’année dernière dans l’un des restaurants les plus fréquentés du bourg, nous explique
où je me suis vachement installée, j’avais ramené mon petit canapé, la télé, a connu Belle-Plage pendant son adolescence, devenue chef cuisinière
une petite table et tout, mais l’année d’avant j’avais pas grand-chose, une un point d’appui, de stabilisation qui paraît essentiel. Une enquêtée qui
armoire et puis un poste et voilà quoi […]. C’est clair qu’à un moment tu de logement « permanent », le logement saisonnier constitue pour eux
t’installes quoi, surtout qu’au départ on bossait que les week-ends, donc d’ancrage au lieu. Comme dans la plupart des cas ils ne possèdent pas
t’as le temps de t’installer la semaine, ça va quoi, c’est pour ça que j’avais Décoré, personnalisé, aménagé, le logement devient leur principal point
des trucs partout au mur et que j’avais besoin aussi de me sentir vraiment un « chez-soi » ou un « chez-nous », pour ceux qui vivent en couple.
dans un chez-moi quoi. (C., 22 ans, cuisinière, 4e saison à Belle-Plage) une concubine. Ils s’approprient généralement un logement comme
saisonniers devenus des amis, ou encore de vivre avec un concubin ou
Les sociabilités à l’intérieur et autour du logement sont ainsi direc- vaise » colocation, ou au contraire de vivre en colocation avec d’autres
tement liées au rôle qu’il a pour les individus. Ils peuvent recevoir de le choix de vivre seul et d’éviter ainsi les désagréments d’une « mau-
manière plus ritualisée, préparer un repas pour leurs amis saisonniers et pensent avoir « choisi » la situation de leur logement. Ils disent avoir fait
parfois héberger des amis ou des membres de leur famille. Leur sociabilité de résidence est longue. Qu’ils vivent seuls ou à plusieurs, les habitués
est interne, leur logement étant conçu comme un espace confortable, Plus les saisonniers sont anciens dans la vie du lieu, plus leur période
un espace de retrait et de préservation de leur vie privée, principal point un ami saisonnier local habitant un logement familial.
d’ancrage au lieu. Dans la majorité des cas observés, ces habitués s’instal- logement à titre personnel, mais sont parfois logés par leur employeur ou
lent pour un temps dépassant largement la période d’activité touristique plus souvent de petits appartements, voire des maisons. Ils louent leur
(entre quatre et six mois). Certains manifestent même l’envie de s’ins- Les habitués vivent généralement dans des logements « en dur », le
taller à l’année dans la station ou dans ses environs. Ce fut le cas l’hiver pratiques selon le type de saisonnier.
2009-2010 : une dizaine de saisonniers (certains avaient été interrogés en d’habitation n’a pas la même signification et n’engendre pas les mêmes
2007) louèrent « à l’année » un logement situé dans le bourg de Belle-
Plage ou ses environs.
Leur réseau local de relations est plus élargi et diversifié que celui des 19 Aurélien Gentil
ambulants. Avec le temps, ils ont pu nouer des relations d’amitié avec
ambulants. Avec le temps, ils ont pu nouer des relations d’amitié avec
Aurélien Gentil 19 Leur réseau local de relations est plus élargi et diversifié que celui des
Plage ou ses environs.
2007) louèrent « à l’année » un logement situé dans le bourg de Belle-
d’habitation n’a pas la même signification et n’engendre pas les mêmes 2009-2010 : une dizaine de saisonniers (certains avaient été interrogés en
pratiques selon le type de saisonnier. taller à l’année dans la station ou dans ses environs. Ce fut le cas l’hiver
Les habitués vivent généralement dans des logements « en dur », le (entre quatre et six mois). Certains manifestent même l’envie de s’ins-
plus souvent de petits appartements, voire des maisons. Ils louent leur lent pour un temps dépassant largement la période d’activité touristique
logement à titre personnel, mais sont parfois logés par leur employeur ou d’ancrage au lieu. Dans la majorité des cas observés, ces habitués s’instal-
un ami saisonnier local habitant un logement familial. un espace de retrait et de préservation de leur vie privée, principal point
Plus les saisonniers sont anciens dans la vie du lieu, plus leur période est interne, leur logement étant conçu comme un espace confortable,
de résidence est longue. Qu’ils vivent seuls ou à plusieurs, les habitués parfois héberger des amis ou des membres de leur famille. Leur sociabilité
pensent avoir « choisi » la situation de leur logement. Ils disent avoir fait manière plus ritualisée, préparer un repas pour leurs amis saisonniers et
le choix de vivre seul et d’éviter ainsi les désagréments d’une « mau- tement liées au rôle qu’il a pour les individus. Ils peuvent recevoir de
vaise » colocation, ou au contraire de vivre en colocation avec d’autres Les sociabilités à l’intérieur et autour du logement sont ainsi direc-
saisonniers devenus des amis, ou encore de vivre avec un concubin ou
une concubine. Ils s’approprient généralement un logement comme dans un chez-moi quoi. (C., 22 ans, cuisinière, 4e saison à Belle-Plage)
un « chez-soi » ou un « chez-nous », pour ceux qui vivent en couple. des trucs partout au mur et que j’avais besoin aussi de me sentir vraiment
Décoré, personnalisé, aménagé, le logement devient leur principal point t’as le temps de t’installer la semaine, ça va quoi, c’est pour ça que j’avais
d’ancrage au lieu. Comme dans la plupart des cas ils ne possèdent pas t’installes quoi, surtout qu’au départ on bossait que les week-ends, donc
de logement « permanent », le logement saisonnier constitue pour eux armoire et puis un poste et voilà quoi […]. C’est clair qu’à un moment tu
un point d’appui, de stabilisation qui paraît essentiel. Une enquêtée qui une petite table et tout, mais l’année d’avant j’avais pas grand-chose, une
a connu Belle-Plage pendant son adolescence, devenue chef cuisinière où je me suis vachement installée, j’avais ramené mon petit canapé, la télé,
dans l’un des restaurants les plus fréquentés du bourg, nous explique La première année j’avais ramené pas grand-chose, c’est l’année dernière
comment elle s’est « installée » et a aménagé son logement :
comment elle s’est « installée » et a aménagé son logement :
La première année j’avais ramené pas grand-chose, c’est l’année dernière dans l’un des restaurants les plus fréquentés du bourg, nous explique
où je me suis vachement installée, j’avais ramené mon petit canapé, la télé, a connu Belle-Plage pendant son adolescence, devenue chef cuisinière
une petite table et tout, mais l’année d’avant j’avais pas grand-chose, une un point d’appui, de stabilisation qui paraît essentiel. Une enquêtée qui
armoire et puis un poste et voilà quoi […]. C’est clair qu’à un moment tu de logement « permanent », le logement saisonnier constitue pour eux
t’installes quoi, surtout qu’au départ on bossait que les week-ends, donc d’ancrage au lieu. Comme dans la plupart des cas ils ne possèdent pas
t’as le temps de t’installer la semaine, ça va quoi, c’est pour ça que j’avais Décoré, personnalisé, aménagé, le logement devient leur principal point
des trucs partout au mur et que j’avais besoin aussi de me sentir vraiment un « chez-soi » ou un « chez-nous », pour ceux qui vivent en couple.
dans un chez-moi quoi. (C., 22 ans, cuisinière, 4e saison à Belle-Plage) une concubine. Ils s’approprient généralement un logement comme
saisonniers devenus des amis, ou encore de vivre avec un concubin ou
Les sociabilités à l’intérieur et autour du logement sont ainsi direc- vaise » colocation, ou au contraire de vivre en colocation avec d’autres
tement liées au rôle qu’il a pour les individus. Ils peuvent recevoir de le choix de vivre seul et d’éviter ainsi les désagréments d’une « mau-
manière plus ritualisée, préparer un repas pour leurs amis saisonniers et pensent avoir « choisi » la situation de leur logement. Ils disent avoir fait
parfois héberger des amis ou des membres de leur famille. Leur sociabilité de résidence est longue. Qu’ils vivent seuls ou à plusieurs, les habitués
est interne, leur logement étant conçu comme un espace confortable, Plus les saisonniers sont anciens dans la vie du lieu, plus leur période
un espace de retrait et de préservation de leur vie privée, principal point un ami saisonnier local habitant un logement familial.
d’ancrage au lieu. Dans la majorité des cas observés, ces habitués s’instal- logement à titre personnel, mais sont parfois logés par leur employeur ou
lent pour un temps dépassant largement la période d’activité touristique plus souvent de petits appartements, voire des maisons. Ils louent leur
(entre quatre et six mois). Certains manifestent même l’envie de s’ins- Les habitués vivent généralement dans des logements « en dur », le
taller à l’année dans la station ou dans ses environs. Ce fut le cas l’hiver pratiques selon le type de saisonnier.
2009-2010 : une dizaine de saisonniers (certains avaient été interrogés en d’habitation n’a pas la même signification et n’engendre pas les mêmes
2007) louèrent « à l’année » un logement situé dans le bourg de Belle-
Plage ou ses environs.
Leur réseau local de relations est plus élargi et diversifié que celui des 19 Aurélien Gentil
ambulants. Avec le temps, ils ont pu nouer des relations d’amitié avec
Belle-Plage)
20 Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles
un peu compris l’idée des gens d’ici. (M., 38 ans, cuisinier, 10e saison à
ici et ça sera pas du tout la même. Donc quelque part, avec le temps, j’ai
voilà, c’est génial. Regarde dans dix ans, il y aura peut-être plein de béton
privilégié et particulier et il a quand même besoin de protection. Ben
c’est quand même un endroit hyper protégé […]. C’est un petit endroit d’autres habitués, avec certains commerçants, avec des vacanciers reve-
Mais je comprends mieux, ça se comprend un petit peu […]. Ben voilà, nant chaque année ou avec de simples habitants du bourg.
pas tomber dans la même connerie, dans les mêmes excès qu’à l’époque. Avec l’ancienneté, la temporalité des pratiques de sociabilité des habi-
je viens ici, je me suis un peu approprié ce lieu, tout en essayant de ne tués en dehors de leur logement se modifie. Avec l’expérience, ils tendent
maintenant je le comprends un peu mieux, ça fait plus de dix ans que à sélectionner leurs sorties nocturnes et à moins fréquenter la rue et ses
les problèmes de ceux qui s’appropriaient cet endroit […], alors que commerces dans leurs moments les plus « festifs », spécialement durant
Au début j’étais dépassé par les problèmes de localisme de merde, par la pleine saison (juillet-août). Mais par leurs loisirs et leur sociabilité, ils
participent à l’animation d’autres « facettes » de la vie locale. Les matins
putées, a vu évoluer son regard à propos du lieu : d’été, on les verra par exemple regroupés à la terrasse d’un café ou sur le
Plage, depuis Paris où il était barman dans les boîtes de nuit les plus ré- sommet des dunes, savourant les premiers rayons du soleil et discutant de
du lieu.Voici comment un enquêté arrivé en vacances en 1995 à Belle- leurs aventures (sportives, sentimentales ou festives) de la veille ou à venir.
perception locale d’une potentielle transformation de la morphologie Par leur présence et leur visibilité dans certains commerces et certains
et son côté « préservé ». Avec le temps, ils ont finalement intériorisé la espaces (la dune, la plage, la rue…), ils contribuent à donner le ton de la
turel particulièrement agréable. Un espace « élu » pour son « ambiance » vie matinale de Belle-Plage.
espace à l’abri d’un tourisme trop envahissant, et qui offre un cadre na- Leur réseau de liens forts semble au fil du temps se réduire au cercle
différence qu’il s’agit de protéger. Ils décrivent Belle-Plage comme un d’amis qu’ils ont pu se faire durant les saisons à Belle-Plage. Si certains en-
la « différence » entre Belle-Plage et d’autres lieux de saison côtiers, une tretiennent quelques relations pendant les intersaisons avec les membres
sement « indigènes » pour décrire le lieu et ses spécificités. Ils revendiquent de leur famille et leurs amis de longue date (amis d’enfance, camarades de
Plus que les ambulants, les habitués mobilisent des catégories de clas- classe, copains de quartier), il s’avère qu’avec le temps et les saisons passées
relations semble être ancré. dans un même lieu, la fréquence et l’intensité de ces relations diminuent.
pendant l’hiver, c’est à Belle-Plage que le « noyau dur » de leur réseau de Si certains ont noué des liens forts dans d’autres lieux de saison investis
Si certains ont noué des liens forts dans d’autres lieux de saison investis pendant l’hiver, c’est à Belle-Plage que le « noyau dur » de leur réseau de
dans un même lieu, la fréquence et l’intensité de ces relations diminuent. relations semble être ancré.
classe, copains de quartier), il s’avère qu’avec le temps et les saisons passées Plus que les ambulants, les habitués mobilisent des catégories de clas-
de leur famille et leurs amis de longue date (amis d’enfance, camarades de sement « indigènes » pour décrire le lieu et ses spécificités. Ils revendiquent
tretiennent quelques relations pendant les intersaisons avec les membres la « différence » entre Belle-Plage et d’autres lieux de saison côtiers, une
d’amis qu’ils ont pu se faire durant les saisons à Belle-Plage. Si certains en- différence qu’il s’agit de protéger. Ils décrivent Belle-Plage comme un
Leur réseau de liens forts semble au fil du temps se réduire au cercle espace à l’abri d’un tourisme trop envahissant, et qui offre un cadre na-
vie matinale de Belle-Plage. turel particulièrement agréable. Un espace « élu » pour son « ambiance »
espaces (la dune, la plage, la rue…), ils contribuent à donner le ton de la et son côté « préservé ». Avec le temps, ils ont finalement intériorisé la
Par leur présence et leur visibilité dans certains commerces et certains perception locale d’une potentielle transformation de la morphologie
leurs aventures (sportives, sentimentales ou festives) de la veille ou à venir. du lieu.Voici comment un enquêté arrivé en vacances en 1995 à Belle-
sommet des dunes, savourant les premiers rayons du soleil et discutant de Plage, depuis Paris où il était barman dans les boîtes de nuit les plus ré-
d’été, on les verra par exemple regroupés à la terrasse d’un café ou sur le putées, a vu évoluer son regard à propos du lieu :
participent à l’animation d’autres « facettes » de la vie locale. Les matins
la pleine saison (juillet-août). Mais par leurs loisirs et leur sociabilité, ils Au début j’étais dépassé par les problèmes de localisme de merde, par
commerces dans leurs moments les plus « festifs », spécialement durant les problèmes de ceux qui s’appropriaient cet endroit […], alors que
à sélectionner leurs sorties nocturnes et à moins fréquenter la rue et ses maintenant je le comprends un peu mieux, ça fait plus de dix ans que
tués en dehors de leur logement se modifie. Avec l’expérience, ils tendent je viens ici, je me suis un peu approprié ce lieu, tout en essayant de ne
Avec l’ancienneté, la temporalité des pratiques de sociabilité des habi- pas tomber dans la même connerie, dans les mêmes excès qu’à l’époque.
nant chaque année ou avec de simples habitants du bourg. Mais je comprends mieux, ça se comprend un petit peu […]. Ben voilà,
d’autres habitués, avec certains commerçants, avec des vacanciers reve- c’est quand même un endroit hyper protégé […]. C’est un petit endroit
privilégié et particulier et il a quand même besoin de protection. Ben
voilà, c’est génial. Regarde dans dix ans, il y aura peut-être plein de béton
Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles 20 ici et ça sera pas du tout la même. Donc quelque part, avec le temps, j’ai
un peu compris l’idée des gens d’ici. (M., 38 ans, cuisinier, 10e saison à
Belle-Plage)
Belle-Plage)
20 Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles
un peu compris l’idée des gens d’ici. (M., 38 ans, cuisinier, 10e saison à
ici et ça sera pas du tout la même. Donc quelque part, avec le temps, j’ai
voilà, c’est génial. Regarde dans dix ans, il y aura peut-être plein de béton
privilégié et particulier et il a quand même besoin de protection. Ben
c’est quand même un endroit hyper protégé […]. C’est un petit endroit d’autres habitués, avec certains commerçants, avec des vacanciers reve-
Mais je comprends mieux, ça se comprend un petit peu […]. Ben voilà, nant chaque année ou avec de simples habitants du bourg.
pas tomber dans la même connerie, dans les mêmes excès qu’à l’époque. Avec l’ancienneté, la temporalité des pratiques de sociabilité des habi-
je viens ici, je me suis un peu approprié ce lieu, tout en essayant de ne tués en dehors de leur logement se modifie. Avec l’expérience, ils tendent
maintenant je le comprends un peu mieux, ça fait plus de dix ans que à sélectionner leurs sorties nocturnes et à moins fréquenter la rue et ses
les problèmes de ceux qui s’appropriaient cet endroit […], alors que commerces dans leurs moments les plus « festifs », spécialement durant
Au début j’étais dépassé par les problèmes de localisme de merde, par la pleine saison (juillet-août). Mais par leurs loisirs et leur sociabilité, ils
participent à l’animation d’autres « facettes » de la vie locale. Les matins
putées, a vu évoluer son regard à propos du lieu : d’été, on les verra par exemple regroupés à la terrasse d’un café ou sur le
Plage, depuis Paris où il était barman dans les boîtes de nuit les plus ré- sommet des dunes, savourant les premiers rayons du soleil et discutant de
du lieu.Voici comment un enquêté arrivé en vacances en 1995 à Belle- leurs aventures (sportives, sentimentales ou festives) de la veille ou à venir.
perception locale d’une potentielle transformation de la morphologie Par leur présence et leur visibilité dans certains commerces et certains
et son côté « préservé ». Avec le temps, ils ont finalement intériorisé la espaces (la dune, la plage, la rue…), ils contribuent à donner le ton de la
turel particulièrement agréable. Un espace « élu » pour son « ambiance » vie matinale de Belle-Plage.
espace à l’abri d’un tourisme trop envahissant, et qui offre un cadre na- Leur réseau de liens forts semble au fil du temps se réduire au cercle
différence qu’il s’agit de protéger. Ils décrivent Belle-Plage comme un d’amis qu’ils ont pu se faire durant les saisons à Belle-Plage. Si certains en-
la « différence » entre Belle-Plage et d’autres lieux de saison côtiers, une tretiennent quelques relations pendant les intersaisons avec les membres
sement « indigènes » pour décrire le lieu et ses spécificités. Ils revendiquent de leur famille et leurs amis de longue date (amis d’enfance, camarades de
Plus que les ambulants, les habitués mobilisent des catégories de clas- classe, copains de quartier), il s’avère qu’avec le temps et les saisons passées
relations semble être ancré. dans un même lieu, la fréquence et l’intensité de ces relations diminuent.
pendant l’hiver, c’est à Belle-Plage que le « noyau dur » de leur réseau de Si certains ont noué des liens forts dans d’autres lieux de saison investis
Si certains ont noué des liens forts dans d’autres lieux de saison investis pendant l’hiver, c’est à Belle-Plage que le « noyau dur » de leur réseau de
dans un même lieu, la fréquence et l’intensité de ces relations diminuent. relations semble être ancré.
classe, copains de quartier), il s’avère qu’avec le temps et les saisons passées Plus que les ambulants, les habitués mobilisent des catégories de clas-
de leur famille et leurs amis de longue date (amis d’enfance, camarades de sement « indigènes » pour décrire le lieu et ses spécificités. Ils revendiquent
tretiennent quelques relations pendant les intersaisons avec les membres la « différence » entre Belle-Plage et d’autres lieux de saison côtiers, une
d’amis qu’ils ont pu se faire durant les saisons à Belle-Plage. Si certains en- différence qu’il s’agit de protéger. Ils décrivent Belle-Plage comme un
Leur réseau de liens forts semble au fil du temps se réduire au cercle espace à l’abri d’un tourisme trop envahissant, et qui offre un cadre na-
vie matinale de Belle-Plage. turel particulièrement agréable. Un espace « élu » pour son « ambiance »
espaces (la dune, la plage, la rue…), ils contribuent à donner le ton de la et son côté « préservé ». Avec le temps, ils ont finalement intériorisé la
Par leur présence et leur visibilité dans certains commerces et certains perception locale d’une potentielle transformation de la morphologie
leurs aventures (sportives, sentimentales ou festives) de la veille ou à venir. du lieu.Voici comment un enquêté arrivé en vacances en 1995 à Belle-
sommet des dunes, savourant les premiers rayons du soleil et discutant de Plage, depuis Paris où il était barman dans les boîtes de nuit les plus ré-
d’été, on les verra par exemple regroupés à la terrasse d’un café ou sur le putées, a vu évoluer son regard à propos du lieu :
participent à l’animation d’autres « facettes » de la vie locale. Les matins
la pleine saison (juillet-août). Mais par leurs loisirs et leur sociabilité, ils Au début j’étais dépassé par les problèmes de localisme de merde, par
commerces dans leurs moments les plus « festifs », spécialement durant les problèmes de ceux qui s’appropriaient cet endroit […], alors que
à sélectionner leurs sorties nocturnes et à moins fréquenter la rue et ses maintenant je le comprends un peu mieux, ça fait plus de dix ans que
tués en dehors de leur logement se modifie. Avec l’expérience, ils tendent je viens ici, je me suis un peu approprié ce lieu, tout en essayant de ne
Avec l’ancienneté, la temporalité des pratiques de sociabilité des habi- pas tomber dans la même connerie, dans les mêmes excès qu’à l’époque.
nant chaque année ou avec de simples habitants du bourg. Mais je comprends mieux, ça se comprend un petit peu […]. Ben voilà,
d’autres habitués, avec certains commerçants, avec des vacanciers reve- c’est quand même un endroit hyper protégé […]. C’est un petit endroit
privilégié et particulier et il a quand même besoin de protection. Ben
voilà, c’est génial. Regarde dans dix ans, il y aura peut-être plein de béton
Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles 20 ici et ça sera pas du tout la même. Donc quelque part, avec le temps, j’ai
un peu compris l’idée des gens d’ici. (M., 38 ans, cuisinier, 10e saison à
Belle-Plage)
Aurélien Gentil 21
peu con, un peu casanier mais c’est ça, un peu un ras-le-bol de bouger
faut que tu redéplaces tout, et ça, et ça j’en peux plus. C’est peut-être un
redéplaces tes affaires, tu les reposes à un endroit, cinq-six mois après il
des parents, c’est chiant tout le temps, après tu repars à la montagne, tu
Enfin, les habitués portent un regard ambivalent sur leur situation mois où, ben, tu sais pas trop où aller, soit tu vas chez des amis, ou chez
de saisonnier. D’un côté, ils revendiquent une situation d’emploi et un moi par exemple, ben là on passe quatre-cinq mois ici, après j’ai deux
mode de vie extraordinaires. Ils s’estiment à l’écart des préoccupations Ce que j’aime pas dans les saisons, c’est le côté instable que tu peux avoir,
et des temporalités routinières des gens « normaux ». Ils souhaitent avant
tout « profiter » pleinement des lieux dans lesquels ils sont amenés à s’ins- deux indiquent à leur manière les limites de la mobilité saisonnière :
crire.Voici comment un ancien électricien dans l’armée, ayant découvert cal rencontré en saison d’hiver, et Y., que nous avons déjà entendu. Tous
Belle-Plage en 2002, décrit la situation des saisonniers : Écoutons à ce propos un enquêté arrivé à Belle-Plage par le biais d’un lo-
cumul d’une activité saisonnière l’été et d’autres types d’emplois l’hiver.
C’est un peu bizarre, c’est comme si on voulait même pas être inscrit traduire à terme par l’ouverture d’un commerce saisonnier, ou par le
quelque part, on fait ça mais on veut même pas faire partie de quelque « installation » n’exclut de prendre part aux saisons hivernales, elle peut se
chose, nous on est juste là pour prendre plaisir et basta. En fait je pense qu’ils transportent d’une saison à l’autre (vêtements, meubles…). Si cette
que les saisonniers c’est beaucoup de plaisir pour beaucoup de boulot et liser à l’année dans un logement où ils pourront s’établir avec les affaires
pour peu de chose […]. C’est surtout pour l’aspect où tu travailles pour vité saisonnière est tenable à long terme à condition de pouvoir se stabi-
être heureux de vivre, pas pour travailler pour faire quelque chose, pour situation devient plus nuancé avec l’expérience. Ils conçoivent que l’acti-
acheter une maison, prendre un crédit, pour faire ci pour faire ça. Ici c’est pendant leurs premières années d’activité, le regard qu’ils portent sur leur
juste pour être tranquille, être heureux […]. Moi je pense, je sais pas ce D’un autre côté, s’ils manifestent un rapport « enchanté » à la saison
que t’en penses, appartenir à quelque chose sans vraiment faire partie de
tout ce tas de moutons que tout le monde suit, [qui] font ce qu’on leur
dit, voient pas vraiment plus loin que leur bout du nez. On a besoin de place ! (Y., 26 ans, cuisinier, 5e saison à Belle-Plage)
partir un peu à droite, à gauche, on a besoin de se sentir bien où on est, Cham [Chamonix], là ça serait le paradis ! T’imagines, t’as tout ça sur
on a besoin de travailler à côté de quelque chose qui nous plaît, autre rie à rester là pour un an, deux ans […]. J’aimerais avoir Belle-Plage sous
chose que le travail quoi. Parce que le travail en saison c’est pas ce qui nous plaît le plus […], c’est pas vraiment le boulot qui t’apporte l’eupho-
nous plaît le plus […], c’est pas vraiment le boulot qui t’apporte l’eupho- chose que le travail quoi. Parce que le travail en saison c’est pas ce qui
rie à rester là pour un an, deux ans […]. J’aimerais avoir Belle-Plage sous on a besoin de travailler à côté de quelque chose qui nous plaît, autre
Cham [Chamonix], là ça serait le paradis ! T’imagines, t’as tout ça sur partir un peu à droite, à gauche, on a besoin de se sentir bien où on est,
place ! (Y., 26 ans, cuisinier, 5e saison à Belle-Plage) dit, voient pas vraiment plus loin que leur bout du nez. On a besoin de
tout ce tas de moutons que tout le monde suit, [qui] font ce qu’on leur
que t’en penses, appartenir à quelque chose sans vraiment faire partie de
D’un autre côté, s’ils manifestent un rapport « enchanté » à la saison juste pour être tranquille, être heureux […]. Moi je pense, je sais pas ce
pendant leurs premières années d’activité, le regard qu’ils portent sur leur acheter une maison, prendre un crédit, pour faire ci pour faire ça. Ici c’est
situation devient plus nuancé avec l’expérience. Ils conçoivent que l’acti- être heureux de vivre, pas pour travailler pour faire quelque chose, pour
vité saisonnière est tenable à long terme à condition de pouvoir se stabi- pour peu de chose […]. C’est surtout pour l’aspect où tu travailles pour
liser à l’année dans un logement où ils pourront s’établir avec les affaires que les saisonniers c’est beaucoup de plaisir pour beaucoup de boulot et
qu’ils transportent d’une saison à l’autre (vêtements, meubles…). Si cette chose, nous on est juste là pour prendre plaisir et basta. En fait je pense
« installation » n’exclut de prendre part aux saisons hivernales, elle peut se quelque part, on fait ça mais on veut même pas faire partie de quelque
traduire à terme par l’ouverture d’un commerce saisonnier, ou par le C’est un peu bizarre, c’est comme si on voulait même pas être inscrit
cumul d’une activité saisonnière l’été et d’autres types d’emplois l’hiver.
Écoutons à ce propos un enquêté arrivé à Belle-Plage par le biais d’un lo- Belle-Plage en 2002, décrit la situation des saisonniers :
cal rencontré en saison d’hiver, et Y., que nous avons déjà entendu. Tous crire.Voici comment un ancien électricien dans l’armée, ayant découvert
deux indiquent à leur manière les limites de la mobilité saisonnière : tout « profiter » pleinement des lieux dans lesquels ils sont amenés à s’ins-
et des temporalités routinières des gens « normaux ». Ils souhaitent avant
Ce que j’aime pas dans les saisons, c’est le côté instable que tu peux avoir, mode de vie extraordinaires. Ils s’estiment à l’écart des préoccupations
moi par exemple, ben là on passe quatre-cinq mois ici, après j’ai deux de saisonnier. D’un côté, ils revendiquent une situation d’emploi et un
mois où, ben, tu sais pas trop où aller, soit tu vas chez des amis, ou chez Enfin, les habitués portent un regard ambivalent sur leur situation
des parents, c’est chiant tout le temps, après tu repars à la montagne, tu
redéplaces tes affaires, tu les reposes à un endroit, cinq-six mois après il
faut que tu redéplaces tout, et ça, et ça j’en peux plus. C’est peut-être un 21 Aurélien Gentil
peu con, un peu casanier mais c’est ça, un peu un ras-le-bol de bouger
Aurélien Gentil 21
peu con, un peu casanier mais c’est ça, un peu un ras-le-bol de bouger
faut que tu redéplaces tout, et ça, et ça j’en peux plus. C’est peut-être un
redéplaces tes affaires, tu les reposes à un endroit, cinq-six mois après il
des parents, c’est chiant tout le temps, après tu repars à la montagne, tu
Enfin, les habitués portent un regard ambivalent sur leur situation mois où, ben, tu sais pas trop où aller, soit tu vas chez des amis, ou chez
de saisonnier. D’un côté, ils revendiquent une situation d’emploi et un moi par exemple, ben là on passe quatre-cinq mois ici, après j’ai deux
mode de vie extraordinaires. Ils s’estiment à l’écart des préoccupations Ce que j’aime pas dans les saisons, c’est le côté instable que tu peux avoir,
et des temporalités routinières des gens « normaux ». Ils souhaitent avant
tout « profiter » pleinement des lieux dans lesquels ils sont amenés à s’ins- deux indiquent à leur manière les limites de la mobilité saisonnière :
crire.Voici comment un ancien électricien dans l’armée, ayant découvert cal rencontré en saison d’hiver, et Y., que nous avons déjà entendu. Tous
Belle-Plage en 2002, décrit la situation des saisonniers : Écoutons à ce propos un enquêté arrivé à Belle-Plage par le biais d’un lo-
cumul d’une activité saisonnière l’été et d’autres types d’emplois l’hiver.
C’est un peu bizarre, c’est comme si on voulait même pas être inscrit traduire à terme par l’ouverture d’un commerce saisonnier, ou par le
quelque part, on fait ça mais on veut même pas faire partie de quelque « installation » n’exclut de prendre part aux saisons hivernales, elle peut se
chose, nous on est juste là pour prendre plaisir et basta. En fait je pense qu’ils transportent d’une saison à l’autre (vêtements, meubles…). Si cette
que les saisonniers c’est beaucoup de plaisir pour beaucoup de boulot et liser à l’année dans un logement où ils pourront s’établir avec les affaires
pour peu de chose […]. C’est surtout pour l’aspect où tu travailles pour vité saisonnière est tenable à long terme à condition de pouvoir se stabi-
être heureux de vivre, pas pour travailler pour faire quelque chose, pour situation devient plus nuancé avec l’expérience. Ils conçoivent que l’acti-
acheter une maison, prendre un crédit, pour faire ci pour faire ça. Ici c’est pendant leurs premières années d’activité, le regard qu’ils portent sur leur
juste pour être tranquille, être heureux […]. Moi je pense, je sais pas ce D’un autre côté, s’ils manifestent un rapport « enchanté » à la saison
que t’en penses, appartenir à quelque chose sans vraiment faire partie de
tout ce tas de moutons que tout le monde suit, [qui] font ce qu’on leur
dit, voient pas vraiment plus loin que leur bout du nez. On a besoin de place ! (Y., 26 ans, cuisinier, 5e saison à Belle-Plage)
partir un peu à droite, à gauche, on a besoin de se sentir bien où on est, Cham [Chamonix], là ça serait le paradis ! T’imagines, t’as tout ça sur
on a besoin de travailler à côté de quelque chose qui nous plaît, autre rie à rester là pour un an, deux ans […]. J’aimerais avoir Belle-Plage sous
chose que le travail quoi. Parce que le travail en saison c’est pas ce qui nous plaît le plus […], c’est pas vraiment le boulot qui t’apporte l’eupho-
nous plaît le plus […], c’est pas vraiment le boulot qui t’apporte l’eupho- chose que le travail quoi. Parce que le travail en saison c’est pas ce qui
rie à rester là pour un an, deux ans […]. J’aimerais avoir Belle-Plage sous on a besoin de travailler à côté de quelque chose qui nous plaît, autre
Cham [Chamonix], là ça serait le paradis ! T’imagines, t’as tout ça sur partir un peu à droite, à gauche, on a besoin de se sentir bien où on est,
place ! (Y., 26 ans, cuisinier, 5e saison à Belle-Plage) dit, voient pas vraiment plus loin que leur bout du nez. On a besoin de
tout ce tas de moutons que tout le monde suit, [qui] font ce qu’on leur
que t’en penses, appartenir à quelque chose sans vraiment faire partie de
D’un autre côté, s’ils manifestent un rapport « enchanté » à la saison juste pour être tranquille, être heureux […]. Moi je pense, je sais pas ce
pendant leurs premières années d’activité, le regard qu’ils portent sur leur acheter une maison, prendre un crédit, pour faire ci pour faire ça. Ici c’est
situation devient plus nuancé avec l’expérience. Ils conçoivent que l’acti- être heureux de vivre, pas pour travailler pour faire quelque chose, pour
vité saisonnière est tenable à long terme à condition de pouvoir se stabi- pour peu de chose […]. C’est surtout pour l’aspect où tu travailles pour
liser à l’année dans un logement où ils pourront s’établir avec les affaires que les saisonniers c’est beaucoup de plaisir pour beaucoup de boulot et
qu’ils transportent d’une saison à l’autre (vêtements, meubles…). Si cette chose, nous on est juste là pour prendre plaisir et basta. En fait je pense
« installation » n’exclut de prendre part aux saisons hivernales, elle peut se quelque part, on fait ça mais on veut même pas faire partie de quelque
traduire à terme par l’ouverture d’un commerce saisonnier, ou par le C’est un peu bizarre, c’est comme si on voulait même pas être inscrit
cumul d’une activité saisonnière l’été et d’autres types d’emplois l’hiver.
Écoutons à ce propos un enquêté arrivé à Belle-Plage par le biais d’un lo- Belle-Plage en 2002, décrit la situation des saisonniers :
cal rencontré en saison d’hiver, et Y., que nous avons déjà entendu. Tous crire.Voici comment un ancien électricien dans l’armée, ayant découvert
deux indiquent à leur manière les limites de la mobilité saisonnière : tout « profiter » pleinement des lieux dans lesquels ils sont amenés à s’ins-
et des temporalités routinières des gens « normaux ». Ils souhaitent avant
Ce que j’aime pas dans les saisons, c’est le côté instable que tu peux avoir, mode de vie extraordinaires. Ils s’estiment à l’écart des préoccupations
moi par exemple, ben là on passe quatre-cinq mois ici, après j’ai deux de saisonnier. D’un côté, ils revendiquent une situation d’emploi et un
mois où, ben, tu sais pas trop où aller, soit tu vas chez des amis, ou chez Enfin, les habitués portent un regard ambivalent sur leur situation
des parents, c’est chiant tout le temps, après tu repars à la montagne, tu
redéplaces tes affaires, tu les reposes à un endroit, cinq-six mois après il
faut que tu redéplaces tout, et ça, et ça j’en peux plus. C’est peut-être un 21 Aurélien Gentil
peu con, un peu casanier mais c’est ça, un peu un ras-le-bol de bouger
Certains sont des enfants de commerçant(s) et reproduisent la position de
leur réseau familial ou amical pour trouver un emploi à Belle-Plage. 22 Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles
sont étroitement liées à leur ancrage local. Ils ont tous pu s’appuyer sur
que leur situation d’emploi et leur projection dans le travail saisonnier
rente à la condition de saisonnier mobile. On peut noter en premier lieu tout le temps. Parce que j’ai 32 ans aussi tu vois, j’ai plus 20 ans. À 22-
nomiques, pratiques et symboliques) qui compensent la précarité inhé- 25 ans, t’es content de faire ça, après, arrivé à un âge t’as plus envie de la
Les locaux disposent plus que les autres de ressources localisées (éco- même chose tu vois. (S., 32 ans, vendeur / homme de ménage, 4e saison
à Belle-Plage)
Plage)
d’endroit. Moi je bosse chez moi. (B., 22 ans, cuisinier, 5e saison à Belle- Même là je commence à fatiguer, c’est pour ça qu’on cherche un appar-
dans un endroit, l’hiver dans un autre, qui fait l’intersaison, qui change tement à l’année, que je puisse me poser un peu tu vois […]. Ouais à
nier. Je suis pas celui qui fait les saisons, qui bouge, qui va bosser l’été l’année là, ouais parce que là c’est bon là, je suis un peu épuisé là de
moi… et après, l’hiver, vu que je fais plus de saison, je ne suis pas saison- tout ça. Ben tu sais à force de faire, de vivre comme ça pendant 9 ans, je
sonnier ! Mais je suis chez moi aussi donc… pour moi c’est bosser chez commence à, je sens que j’ai besoin de me poser, pas me poser dans une
Moi je suis demi-saisonnier, je fais que la saison d’été… si je suis sai- situation professionnelle, mais me poser, souffler un peu, limite trouver
un travail là, rester une année ici […], me poser un petit peu, au moins un
saison estivale. Il explique ainsi sa situation : ou deux ans que je puisse souffler, que j’aie un petit coin à moi, parce que
travaille désormais comme saisonnier du tourisme seulement pendant la justement je commence à être fatigué un peu quand même. (Y., 26 ans,
a fait l’expérience des saisons d’hiver après sa formation de cuisinier. Il cuisinier, 5e saison à Belle-Plage)
cale pour légitimer leur situation. Un enquêté ayant grandi à Belle-Plage
turel » d’y travailler durant l’été. Ils mettent ainsi en avant leur origine lo- Les locaux
changer. Socialisés dans ce lieu d’activité saisonnière, il leur semble « na-
sibilité de « profiter un maximum » d’un lieu dont ils ne veulent pas Minoritaires parmi les saisonniers mobiles de Belle-Plage, ils font par-
Au-delà d’une rémunération, leur emploi saisonnier leur offre la pos- tie des « figures locales ». Issus d’une famille originaire du département ou
de référence, un espace « fondateur » (Gotman, 1999). de la région, âgés pour la plupart de moins de 25 ans, ils habitent le vil-
historique nourrissant la vie du lieu. Belle-Plage est pour eux un espace lage depuis leur enfance et s’inscrivent en profondeur dans l’« épaisseur »
lage depuis leur enfance et s’inscrivent en profondeur dans l’« épaisseur » historique nourrissant la vie du lieu. Belle-Plage est pour eux un espace
de la région, âgés pour la plupart de moins de 25 ans, ils habitent le vil- de référence, un espace « fondateur » (Gotman, 1999).
tie des « figures locales ». Issus d’une famille originaire du département ou Au-delà d’une rémunération, leur emploi saisonnier leur offre la pos-
Minoritaires parmi les saisonniers mobiles de Belle-Plage, ils font par- sibilité de « profiter un maximum » d’un lieu dont ils ne veulent pas
changer. Socialisés dans ce lieu d’activité saisonnière, il leur semble « na-
Les locaux turel » d’y travailler durant l’été. Ils mettent ainsi en avant leur origine lo-
cale pour légitimer leur situation. Un enquêté ayant grandi à Belle-Plage
cuisinier, 5e saison à Belle-Plage) a fait l’expérience des saisons d’hiver après sa formation de cuisinier. Il
justement je commence à être fatigué un peu quand même. (Y., 26 ans, travaille désormais comme saisonnier du tourisme seulement pendant la
ou deux ans que je puisse souffler, que j’aie un petit coin à moi, parce que saison estivale. Il explique ainsi sa situation :
un travail là, rester une année ici […], me poser un petit peu, au moins un
situation professionnelle, mais me poser, souffler un peu, limite trouver Moi je suis demi-saisonnier, je fais que la saison d’été… si je suis sai-
commence à, je sens que j’ai besoin de me poser, pas me poser dans une sonnier ! Mais je suis chez moi aussi donc… pour moi c’est bosser chez
tout ça. Ben tu sais à force de faire, de vivre comme ça pendant 9 ans, je moi… et après, l’hiver, vu que je fais plus de saison, je ne suis pas saison-
l’année là, ouais parce que là c’est bon là, je suis un peu épuisé là de nier. Je suis pas celui qui fait les saisons, qui bouge, qui va bosser l’été
tement à l’année, que je puisse me poser un peu tu vois […]. Ouais à dans un endroit, l’hiver dans un autre, qui fait l’intersaison, qui change
Même là je commence à fatiguer, c’est pour ça qu’on cherche un appar- d’endroit. Moi je bosse chez moi. (B., 22 ans, cuisinier, 5e saison à Belle-
Plage)
à Belle-Plage)
même chose tu vois. (S., 32 ans, vendeur / homme de ménage, 4e saison Les locaux disposent plus que les autres de ressources localisées (éco-
25 ans, t’es content de faire ça, après, arrivé à un âge t’as plus envie de la nomiques, pratiques et symboliques) qui compensent la précarité inhé-
tout le temps. Parce que j’ai 32 ans aussi tu vois, j’ai plus 20 ans. À 22- rente à la condition de saisonnier mobile. On peut noter en premier lieu
que leur situation d’emploi et leur projection dans le travail saisonnier
sont étroitement liées à leur ancrage local. Ils ont tous pu s’appuyer sur
Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles 22 leur réseau familial ou amical pour trouver un emploi à Belle-Plage.
Certains sont des enfants de commerçant(s) et reproduisent la position de
durant l’été.
mes d’ancrage et de mobilité produisent les liens que tissent les travailleurs saisonniers
manières d’habiter différenciées, tel qu’il était en train de se jouer, de voir quelles for- 26 Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles
espace-temps. Ce fut l’occasion de saisir « à la loupe » le processus de formation de
manière dont ils pouvaient s’approprier collectivement et individuellement ce nouvel
À ce propos, on peut noter que les relations amicales et amoureuses
pour la plupart étrangers au lieu, il était intéressant d’appréhender empiriquement la
commun et, pour certains, des emplois dans les mêmes commerces. Comme ils étaient
Argentière (Haute-Savoie) et l’autre à Chamrousse (Isère), qui avaient pris un logement nouées au fil des saisons estivales entre les saisonniers (ambulants, ha-
partager et observer l’installation et la vie de deux groupes de saisonniers, l’un à bitués, et locaux) prennent souvent des formes « délocalisées » pendant
vernale, des salariés mobiles ayant fait connaissance à Belle-Plage. Ainsi avons-nous pu l’intersaison et la saison d’hiver. Nous avons pu observer comment ces
8. Nous avons suivi à deux reprises, dans leurs déplacements vers un lieu de saison hi- relations peuvent se cristalliser par le partage d’une destination hivernale
commune8. C’est peut-être là l’une des clés de compréhension des logi-
riode de plus en plus longue. Ce processus d’investissement pratique et ques de déplacement des saisonniers mobiles.
par un tiers, un lieu où il revient, d’une année à l’autre, pour une pé-
un lieu particulier, plus souvent celui dans lequel il a pu être introduit MANIÈRES D’HABITER ET SÉQUENCES DE LA CARRIÈRE D’INSTALLATION DU
rience temporaire. Puis, au fil de ses expériences, il tend à s’approprier SAISONNIER MOBILE
Il se pense de passage et conçoit l’activité saisonnière comme une expé-
lieux et aux populations qu’il rencontre temporairement est assez labile. Nous pouvons à présent resituer les manières d’habiter isolées dans
l’intersaison et les différents lieux de saison où il habite. Sa relation aux l’analyse du processus séquentiel qui caractérise la carrière d’installation
distribuent entre un point d’ancrage familial où il peut se replier pendant des salariés saisonniers mobiles du tourisme. Le rapport pratique et sym-
un lieu en particulier ; il développe alors des liens multilocalisés qui se bolique à un lieu doit en effet être saisi non comme une relation figée,
Il est d’abord davantage attiré plus par une « manière de vivre » que par mais comme une relation évolutive qui concrétise et alimente en retour
d’emploi ou par le biais de sa famille, d’un ami ou d’une connaissance. le processus de formation et de transformation du rapport que l’individu
différents lieux de saison auxquels il accède au hasard de ses recherches entretient avec sa situation, sa mobilité et les lieux dans lesquels son acti-
saisonniers mobiles. Ambulant, le travailleur saisonnier se familiarise avec vité le guide. Il est alors concevable que les trois manières d’habiter que
On peut formuler idéalement ces étapes de la carrière d’installation des nous avons identifiées renvoient aux différentes séquences d’une carrière
particulier. menant à l’« installation » dans une activité saisonnière rattachée à un lieu
menant à l’« installation » dans une activité saisonnière rattachée à un lieu particulier.
nous avons identifiées renvoient aux différentes séquences d’une carrière On peut formuler idéalement ces étapes de la carrière d’installation des
vité le guide. Il est alors concevable que les trois manières d’habiter que saisonniers mobiles. Ambulant, le travailleur saisonnier se familiarise avec
entretient avec sa situation, sa mobilité et les lieux dans lesquels son acti- différents lieux de saison auxquels il accède au hasard de ses recherches
le processus de formation et de transformation du rapport que l’individu d’emploi ou par le biais de sa famille, d’un ami ou d’une connaissance.
mais comme une relation évolutive qui concrétise et alimente en retour Il est d’abord davantage attiré plus par une « manière de vivre » que par
bolique à un lieu doit en effet être saisi non comme une relation figée, un lieu en particulier ; il développe alors des liens multilocalisés qui se
des salariés saisonniers mobiles du tourisme. Le rapport pratique et sym- distribuent entre un point d’ancrage familial où il peut se replier pendant
l’analyse du processus séquentiel qui caractérise la carrière d’installation l’intersaison et les différents lieux de saison où il habite. Sa relation aux
Nous pouvons à présent resituer les manières d’habiter isolées dans lieux et aux populations qu’il rencontre temporairement est assez labile.
Il se pense de passage et conçoit l’activité saisonnière comme une expé-
SAISONNIER MOBILE rience temporaire. Puis, au fil de ses expériences, il tend à s’approprier
MANIÈRES D’HABITER ET SÉQUENCES DE LA CARRIÈRE D’INSTALLATION DU un lieu particulier, plus souvent celui dans lequel il a pu être introduit
par un tiers, un lieu où il revient, d’une année à l’autre, pour une pé-
ques de déplacement des saisonniers mobiles. riode de plus en plus longue. Ce processus d’investissement pratique et
commune8. C’est peut-être là l’une des clés de compréhension des logi-
relations peuvent se cristalliser par le partage d’une destination hivernale 8. Nous avons suivi à deux reprises, dans leurs déplacements vers un lieu de saison hi-
l’intersaison et la saison d’hiver. Nous avons pu observer comment ces vernale, des salariés mobiles ayant fait connaissance à Belle-Plage. Ainsi avons-nous pu
bitués, et locaux) prennent souvent des formes « délocalisées » pendant partager et observer l’installation et la vie de deux groupes de saisonniers, l’un à
nouées au fil des saisons estivales entre les saisonniers (ambulants, ha- Argentière (Haute-Savoie) et l’autre à Chamrousse (Isère), qui avaient pris un logement
À ce propos, on peut noter que les relations amicales et amoureuses commun et, pour certains, des emplois dans les mêmes commerces. Comme ils étaient
pour la plupart étrangers au lieu, il était intéressant d’appréhender empiriquement la
manière dont ils pouvaient s’approprier collectivement et individuellement ce nouvel
espace-temps. Ce fut l’occasion de saisir « à la loupe » le processus de formation de
Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles 26 manières d’habiter différenciées, tel qu’il était en train de se jouer, de voir quelles for-
mes d’ancrage et de mobilité produisent les liens que tissent les travailleurs saisonniers
durant l’été.
restauration…).
Aurélien Gentil 27 ver, par d’autres types d’activités salariées inscrites localement (bâtiment,
voire par l’ouverture d’un commerce estival, qu’il complète, pendant l’hi-
pour l’hiver (dans un lieu qui souvent ne change pas) ou par la reprise,
symbolique compense bien souvent le délitement des liens affectifs, ami- d’activités saisonnières salariées qui ne le dispensent pas de se déplacer
caux, familiaux et professionnels qui l’attachent à ses autres lieux d’an- ristique. Cet ancrage dans la vie locale se traduit alors par la combinaison
crage et ses anciennes appartenances. De la relative faiblesse de ces liens dans la population locale qui anime le lieu en dehors de la période tou-
multilocalisés dépendent le degré et la forme d’appropriation d’un lieu avec les années, décider de se procurer un logement à l’année et s’intégrer
d’activité saisonnière particulier. Passant du rapport au lieu d’un ambulant à celui d’un habitué, il peut,
À mesure qu’il s’attache à la population locale, il partage avec les nent à élire un lieu comme le lieu où il lui paraît légitime de s’installer.
saisonniers habitués des lieux et avec les commerçants des relations de ensemble de pratiques, de rationalisations et de justifications qui l’amè-
sociabilité plus fréquentes et plus intenses, même en dehors de la période tallation permanente. Ainsi l’individu élabore-t-il au fur et à mesure un
d’activité touristique. La construction d’une relation de couple enracinée eux semble pouvoir être privilégié et représenter un lieu potentiel d’ins-
localement participe bien souvent à renforcer son lien affectif au lieu. rythmes et les lieux de déplacement. Parmi les lieux investis, l’un d’entre
Parmi les saisonniers devenus des habitués, nombreux sont ceux pour élus. Ainsi s’établit une certaine régularité, une certaine stabilité dans les
qui la formation d’un couple a déterminé lourdement leur processus de réseau de relations de plus en plus localisé dans le ou les lieux saisonniers
« stabilisation » à Belle-Plage. certaine « fatigue » vis-à-vis de la mobilité se traduit par la création d’un
Satisfait par la place et le rôle que lui offre son emploi, il revient gé- sionnels dans un cadre agréable. La deuxième étape se dessine lorsqu’une
néralement travailler fidèlement chez le même employeur. Les liens avec possibilité de gagner de l’argent et d’assimiler certains savoir-faire profes-
ce dernier et avec ses collègues, en se solidifiant, tendent également à semble principalement séduit par un mode de vie festif et nomade, par la
renforcer son degré d’attachement au lieu. Son réseau local de relations Dans la première séquence, il se familiarise avec l’univers saisonnier et
se diversifie et lui permet d’accéder à un logement plus confortable, de « durable ».
recevoir et d’héberger plus facilement amis et famille. Ainsi la fréquence gressivement à concevoir l’activité saisonnière, dans ce lieu-là, comme
et l’intensité des relations de sociabilité autour du logement (voisinage, et entretient, il développe le sentiment d’être « chez lui » et tend pro-
réceptions et hébergements) traduit une forme de reterritorialisation de ses liens amicaux et affectifs. Au fil du temps et des liens forts qu’il noue
ses liens amicaux et affectifs. Au fil du temps et des liens forts qu’il noue réceptions et hébergements) traduit une forme de reterritorialisation de
et entretient, il développe le sentiment d’être « chez lui » et tend pro- et l’intensité des relations de sociabilité autour du logement (voisinage,
gressivement à concevoir l’activité saisonnière, dans ce lieu-là, comme recevoir et d’héberger plus facilement amis et famille. Ainsi la fréquence
« durable ». se diversifie et lui permet d’accéder à un logement plus confortable, de
Dans la première séquence, il se familiarise avec l’univers saisonnier et renforcer son degré d’attachement au lieu. Son réseau local de relations
semble principalement séduit par un mode de vie festif et nomade, par la ce dernier et avec ses collègues, en se solidifiant, tendent également à
possibilité de gagner de l’argent et d’assimiler certains savoir-faire profes- néralement travailler fidèlement chez le même employeur. Les liens avec
sionnels dans un cadre agréable. La deuxième étape se dessine lorsqu’une Satisfait par la place et le rôle que lui offre son emploi, il revient gé-
certaine « fatigue » vis-à-vis de la mobilité se traduit par la création d’un « stabilisation » à Belle-Plage.
réseau de relations de plus en plus localisé dans le ou les lieux saisonniers qui la formation d’un couple a déterminé lourdement leur processus de
élus. Ainsi s’établit une certaine régularité, une certaine stabilité dans les Parmi les saisonniers devenus des habitués, nombreux sont ceux pour
rythmes et les lieux de déplacement. Parmi les lieux investis, l’un d’entre localement participe bien souvent à renforcer son lien affectif au lieu.
eux semble pouvoir être privilégié et représenter un lieu potentiel d’ins- d’activité touristique. La construction d’une relation de couple enracinée
tallation permanente. Ainsi l’individu élabore-t-il au fur et à mesure un sociabilité plus fréquentes et plus intenses, même en dehors de la période
ensemble de pratiques, de rationalisations et de justifications qui l’amè- saisonniers habitués des lieux et avec les commerçants des relations de
nent à élire un lieu comme le lieu où il lui paraît légitime de s’installer. À mesure qu’il s’attache à la population locale, il partage avec les
Passant du rapport au lieu d’un ambulant à celui d’un habitué, il peut, d’activité saisonnière particulier.
avec les années, décider de se procurer un logement à l’année et s’intégrer multilocalisés dépendent le degré et la forme d’appropriation d’un lieu
dans la population locale qui anime le lieu en dehors de la période tou- crage et ses anciennes appartenances. De la relative faiblesse de ces liens
ristique. Cet ancrage dans la vie locale se traduit alors par la combinaison caux, familiaux et professionnels qui l’attachent à ses autres lieux d’an-
d’activités saisonnières salariées qui ne le dispensent pas de se déplacer symbolique compense bien souvent le délitement des liens affectifs, ami-
pour l’hiver (dans un lieu qui souvent ne change pas) ou par la reprise,
voire par l’ouverture d’un commerce estival, qu’il complète, pendant l’hi-
ver, par d’autres types d’activités salariées inscrites localement (bâtiment, 27 Aurélien Gentil
restauration…).
restauration…).
Aurélien Gentil 27 ver, par d’autres types d’activités salariées inscrites localement (bâtiment,
voire par l’ouverture d’un commerce estival, qu’il complète, pendant l’hi-
pour l’hiver (dans un lieu qui souvent ne change pas) ou par la reprise,
symbolique compense bien souvent le délitement des liens affectifs, ami- d’activités saisonnières salariées qui ne le dispensent pas de se déplacer
caux, familiaux et professionnels qui l’attachent à ses autres lieux d’an- ristique. Cet ancrage dans la vie locale se traduit alors par la combinaison
crage et ses anciennes appartenances. De la relative faiblesse de ces liens dans la population locale qui anime le lieu en dehors de la période tou-
multilocalisés dépendent le degré et la forme d’appropriation d’un lieu avec les années, décider de se procurer un logement à l’année et s’intégrer
d’activité saisonnière particulier. Passant du rapport au lieu d’un ambulant à celui d’un habitué, il peut,
À mesure qu’il s’attache à la population locale, il partage avec les nent à élire un lieu comme le lieu où il lui paraît légitime de s’installer.
saisonniers habitués des lieux et avec les commerçants des relations de ensemble de pratiques, de rationalisations et de justifications qui l’amè-
sociabilité plus fréquentes et plus intenses, même en dehors de la période tallation permanente. Ainsi l’individu élabore-t-il au fur et à mesure un
d’activité touristique. La construction d’une relation de couple enracinée eux semble pouvoir être privilégié et représenter un lieu potentiel d’ins-
localement participe bien souvent à renforcer son lien affectif au lieu. rythmes et les lieux de déplacement. Parmi les lieux investis, l’un d’entre
Parmi les saisonniers devenus des habitués, nombreux sont ceux pour élus. Ainsi s’établit une certaine régularité, une certaine stabilité dans les
qui la formation d’un couple a déterminé lourdement leur processus de réseau de relations de plus en plus localisé dans le ou les lieux saisonniers
« stabilisation » à Belle-Plage. certaine « fatigue » vis-à-vis de la mobilité se traduit par la création d’un
Satisfait par la place et le rôle que lui offre son emploi, il revient gé- sionnels dans un cadre agréable. La deuxième étape se dessine lorsqu’une
néralement travailler fidèlement chez le même employeur. Les liens avec possibilité de gagner de l’argent et d’assimiler certains savoir-faire profes-
ce dernier et avec ses collègues, en se solidifiant, tendent également à semble principalement séduit par un mode de vie festif et nomade, par la
renforcer son degré d’attachement au lieu. Son réseau local de relations Dans la première séquence, il se familiarise avec l’univers saisonnier et
se diversifie et lui permet d’accéder à un logement plus confortable, de « durable ».
recevoir et d’héberger plus facilement amis et famille. Ainsi la fréquence gressivement à concevoir l’activité saisonnière, dans ce lieu-là, comme
et l’intensité des relations de sociabilité autour du logement (voisinage, et entretient, il développe le sentiment d’être « chez lui » et tend pro-
réceptions et hébergements) traduit une forme de reterritorialisation de ses liens amicaux et affectifs. Au fil du temps et des liens forts qu’il noue
ses liens amicaux et affectifs. Au fil du temps et des liens forts qu’il noue réceptions et hébergements) traduit une forme de reterritorialisation de
et entretient, il développe le sentiment d’être « chez lui » et tend pro- et l’intensité des relations de sociabilité autour du logement (voisinage,
gressivement à concevoir l’activité saisonnière, dans ce lieu-là, comme recevoir et d’héberger plus facilement amis et famille. Ainsi la fréquence
« durable ». se diversifie et lui permet d’accéder à un logement plus confortable, de
Dans la première séquence, il se familiarise avec l’univers saisonnier et renforcer son degré d’attachement au lieu. Son réseau local de relations
semble principalement séduit par un mode de vie festif et nomade, par la ce dernier et avec ses collègues, en se solidifiant, tendent également à
possibilité de gagner de l’argent et d’assimiler certains savoir-faire profes- néralement travailler fidèlement chez le même employeur. Les liens avec
sionnels dans un cadre agréable. La deuxième étape se dessine lorsqu’une Satisfait par la place et le rôle que lui offre son emploi, il revient gé-
certaine « fatigue » vis-à-vis de la mobilité se traduit par la création d’un « stabilisation » à Belle-Plage.
réseau de relations de plus en plus localisé dans le ou les lieux saisonniers qui la formation d’un couple a déterminé lourdement leur processus de
élus. Ainsi s’établit une certaine régularité, une certaine stabilité dans les Parmi les saisonniers devenus des habitués, nombreux sont ceux pour
rythmes et les lieux de déplacement. Parmi les lieux investis, l’un d’entre localement participe bien souvent à renforcer son lien affectif au lieu.
eux semble pouvoir être privilégié et représenter un lieu potentiel d’ins- d’activité touristique. La construction d’une relation de couple enracinée
tallation permanente. Ainsi l’individu élabore-t-il au fur et à mesure un sociabilité plus fréquentes et plus intenses, même en dehors de la période
ensemble de pratiques, de rationalisations et de justifications qui l’amè- saisonniers habitués des lieux et avec les commerçants des relations de
nent à élire un lieu comme le lieu où il lui paraît légitime de s’installer. À mesure qu’il s’attache à la population locale, il partage avec les
Passant du rapport au lieu d’un ambulant à celui d’un habitué, il peut, d’activité saisonnière particulier.
avec les années, décider de se procurer un logement à l’année et s’intégrer multilocalisés dépendent le degré et la forme d’appropriation d’un lieu
dans la population locale qui anime le lieu en dehors de la période tou- crage et ses anciennes appartenances. De la relative faiblesse de ces liens
ristique. Cet ancrage dans la vie locale se traduit alors par la combinaison caux, familiaux et professionnels qui l’attachent à ses autres lieux d’an-
d’activités saisonnières salariées qui ne le dispensent pas de se déplacer symbolique compense bien souvent le délitement des liens affectifs, ami-
pour l’hiver (dans un lieu qui souvent ne change pas) ou par la reprise,
voire par l’ouverture d’un commerce estival, qu’il complète, pendant l’hi-
ver, par d’autres types d’activités salariées inscrites localement (bâtiment, 27 Aurélien Gentil
restauration…).
sions de leur existence (leur rapport au travail et à l’habitat, au lieu, leurs
mobilité, la manière dont s’articulent pour eux les différentes dimen- 28 Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles
des intermittents du lieu, à saisir, à travers le sens qu’ils donnent à leur
rement par de telles populations. Ils incitent à prendre en compte le vécu
de porter un nouveau regard sur la sociologie des lieux habités temporai- Toutefois une forme de réversibilité n’est pas à exclure. Si le processus
ressources sociales désirées » (Bourdin, 2005, p. 9), ces résultats permettent d’installation dans la vie saisonnière d’un lieu tend à guider les ambulants
semble des techniques et des comportements qui permettent l’accès à des vers la situation des habitués, si l’instabilité de la condition saisonnière et
Dans le cadre d’une réflexion envisageant la mobilité « comme l’en- l’affaiblissement de liens multilocalisés trouvent une compensation dans
lution de leur rapport au monde social et déterminent leur trajectoire. l’ancrage et l’attachement identitaire à un lieu particulier, certaines rup-
transposition de manières de faire, d’être et de penser qui alimentent l’évo- tures dans les biographies individuelles (problèmes professionnels, fami-
gement, loisirs, sociabilités), il participe à la formation, à la réforme, à la liaux, affectifs ou de santé) peuvent provoquer un renversement de cette
plusieurs dimensions de l’existence des mobiles du tourisme (travail, lo- tendance et rappeler l’imbrication complexe de la relation que nous en-
une instance de socialisation spécifique : en convoquant et en imbriquant tretenons avec un espace donné et de nos expériences biographiques.
que du lieu et ses transformations. L’espace-temps saisonnier est aussi
qui, par leur articulation et leur superposition, alimentent la dynami-
différentes trajectoires, de différentes manières d’être, d’agir ou de penser
*
un espace donné, de différentes populations, de différents processus, de En partant d’un travail focalisé sur un espace défini et sa population,
produit social car il est le résultat de la rencontre et de l’imbrication, dans nous avons pu cerner la place différenciée et évolutive des formes de
duit social et comme une instance de socialisation spécifique. Il est un mobilité et d’ancrage dans le processus de socialisation d’une population
l’espace-temps saisonnier doit-il être considéré à la fois comme un pro- plus ou moins contrainte de se déplacer pour travailler. L’expérience de la
pu investir au fil de leur trajectoire professionnelle et résidentielle. Ainsi mobilité saisonnière façonne des manières d’être, de faire et de penser qui
partie des saisonniers mobiles dans l’un des lieux touristiques qu’ils ont cristallisent et nourrissent la trajectoire des individus saison après saison.
une des clés qui expliquent le processus d’installation permanente d’une Au-delà des déterminants sociaux classiques (origine sociale, niveau
ques) que l’espace-temps saisonnier peut offrir face à la précarité. C’est là de qualification, âge, sexe), ce sont bien la trajectoire d’entrée dans le lieu
aux ressources spatialisées (matérielles, identitaires, pratiques et symboli- et l’ancienneté dans le lieu et la vie saisonnière qui déterminent l’accès
et l’ancienneté dans le lieu et la vie saisonnière qui déterminent l’accès aux ressources spatialisées (matérielles, identitaires, pratiques et symboli-
de qualification, âge, sexe), ce sont bien la trajectoire d’entrée dans le lieu ques) que l’espace-temps saisonnier peut offrir face à la précarité. C’est là
Au-delà des déterminants sociaux classiques (origine sociale, niveau une des clés qui expliquent le processus d’installation permanente d’une
cristallisent et nourrissent la trajectoire des individus saison après saison. partie des saisonniers mobiles dans l’un des lieux touristiques qu’ils ont
mobilité saisonnière façonne des manières d’être, de faire et de penser qui pu investir au fil de leur trajectoire professionnelle et résidentielle. Ainsi
plus ou moins contrainte de se déplacer pour travailler. L’expérience de la l’espace-temps saisonnier doit-il être considéré à la fois comme un pro-
mobilité et d’ancrage dans le processus de socialisation d’une population duit social et comme une instance de socialisation spécifique. Il est un
nous avons pu cerner la place différenciée et évolutive des formes de produit social car il est le résultat de la rencontre et de l’imbrication, dans
En partant d’un travail focalisé sur un espace défini et sa population, un espace donné, de différentes populations, de différents processus, de
différentes trajectoires, de différentes manières d’être, d’agir ou de penser
qui, par leur articulation et leur superposition, alimentent la dynami-
*
que du lieu et ses transformations. L’espace-temps saisonnier est aussi
tretenons avec un espace donné et de nos expériences biographiques. une instance de socialisation spécifique : en convoquant et en imbriquant
tendance et rappeler l’imbrication complexe de la relation que nous en- plusieurs dimensions de l’existence des mobiles du tourisme (travail, lo-
liaux, affectifs ou de santé) peuvent provoquer un renversement de cette gement, loisirs, sociabilités), il participe à la formation, à la réforme, à la
tures dans les biographies individuelles (problèmes professionnels, fami- transposition de manières de faire, d’être et de penser qui alimentent l’évo-
l’ancrage et l’attachement identitaire à un lieu particulier, certaines rup- lution de leur rapport au monde social et déterminent leur trajectoire.
l’affaiblissement de liens multilocalisés trouvent une compensation dans Dans le cadre d’une réflexion envisageant la mobilité « comme l’en-
vers la situation des habitués, si l’instabilité de la condition saisonnière et semble des techniques et des comportements qui permettent l’accès à des
d’installation dans la vie saisonnière d’un lieu tend à guider les ambulants ressources sociales désirées » (Bourdin, 2005, p. 9), ces résultats permettent
Toutefois une forme de réversibilité n’est pas à exclure. Si le processus de porter un nouveau regard sur la sociologie des lieux habités temporai-
rement par de telles populations. Ils incitent à prendre en compte le vécu
des intermittents du lieu, à saisir, à travers le sens qu’ils donnent à leur
Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles 28 mobilité, la manière dont s’articulent pour eux les différentes dimen-
sions de leur existence (leur rapport au travail et à l’habitat, au lieu, leurs
Bibliographie
pratiques de sociabilité) et les ressources pratiques et symboliques qu’ils
peuvent mobiliser ici et ailleurs. Comme Jean Remy a pu le montrer, pour C’est une question qu’il faut se poser.
penser l’imbrication de plus en plus complexe entre le proche et le loin- qu’ils ne l’ont choisie ? Ne s’agit-il pas là d’une « nécessité faite vertu » ?
tain, le nomadisme et la sédentarité, il est essentiel de comprendre la ils pas du même coup dans une « vie de saisonnier » qui les a choisis plus
mobilité comme une « quête de sens » portée par les individus qui occu- que sorte les désagréments d’une vie mobile et précaire, ne s’enferment-
pent des positions moyennes dans la société contemporaine (Remy, 1996, en se stabilisant géographiquement, les saisonniers compensent en quel-
p. 137). Ainsi, les formes d’ancrage saisonnières que nous avons analysées l’attachement territorial soit une réponse ambivalente à la précarité. Si,
redéfinissent, chacune à sa manière, le sens que prennent l’ici et l’ailleurs examine la carrière d’installation des saisonniers mobiles, il semble que
dans la construction des trajectoires individuelles de nos contemporains. place tient l’ancrage territorial dans une société inégalitaire ? Quand on
Produits du processus dialectique qui articule logiques d’individuation et penser les inégalités face à ce nouveau mode de spatialisation ? Quelle
logiques structurelles, ces manières d’habiter sont en quelque sorte des pratiques et symboliques qui le relient à d’autres lieux. Mais comment
cas idéaltypiques à partir desquels il est possible de penser les nouveaux la manière de l’investir ne doivent être appréhendés qu’à travers les liens
modes de spatialisation : des espaces dans lesquels ce réseau se distribue. Le « sens » d’un lieu et
lationnel dont il devient le centre et de mettre en lumière la substitution
L’ancrage peut être pour certaines personnes le point de référence à partir dont l’individu se construit et se définit désormais à travers un réseau re-
duquel des explorations extérieures se font. Pour d’autres, au contraire, le la construction des individus et des groupes. Il permet d’illustrer la façon
fait d’être de plusieurs lieux, de se sentir devenir soi-même en changeant la place grandissante de la substitution des espaces les uns aux autres dans
d’espace peut constituer l’élément fondateur qui leur permet de s’investir saisonniers mobiles du tourisme (ambulants, habitués et locaux) confirme
en un lieu, même provisoirement. (Remy, 1996, p. 135) un rapport à l’espace pensé seulement en termes de sédentarité, le cas des
Quelle que soit sa manière d’habiter un lieu, l’individu, saisonnier ou duire des repères dans un espace à géométrie variable. En rupture avec
non, est toujours pris dans « un double objectif, où il s’agit d’articuler sédentarité et nomadisme » (ibid.). Il est donc toujours question de pro-
sédentarité et nomadisme » (ibid.). Il est donc toujours question de pro- non, est toujours pris dans « un double objectif, où il s’agit d’articuler
duire des repères dans un espace à géométrie variable. En rupture avec Quelle que soit sa manière d’habiter un lieu, l’individu, saisonnier ou
un rapport à l’espace pensé seulement en termes de sédentarité, le cas des
saisonniers mobiles du tourisme (ambulants, habitués et locaux) confirme
en un lieu, même provisoirement. (Remy, 1996, p. 135)
d’espace peut constituer l’élément fondateur qui leur permet de s’investir
la place grandissante de la substitution des espaces les uns aux autres dans fait d’être de plusieurs lieux, de se sentir devenir soi-même en changeant
la construction des individus et des groupes. Il permet d’illustrer la façon duquel des explorations extérieures se font. Pour d’autres, au contraire, le
dont l’individu se construit et se définit désormais à travers un réseau re- L’ancrage peut être pour certaines personnes le point de référence à partir
lationnel dont il devient le centre et de mettre en lumière la substitution
des espaces dans lesquels ce réseau se distribue. Le « sens » d’un lieu et modes de spatialisation :
la manière de l’investir ne doivent être appréhendés qu’à travers les liens cas idéaltypiques à partir desquels il est possible de penser les nouveaux
pratiques et symboliques qui le relient à d’autres lieux. Mais comment logiques structurelles, ces manières d’habiter sont en quelque sorte des
penser les inégalités face à ce nouveau mode de spatialisation ? Quelle Produits du processus dialectique qui articule logiques d’individuation et
place tient l’ancrage territorial dans une société inégalitaire ? Quand on dans la construction des trajectoires individuelles de nos contemporains.
examine la carrière d’installation des saisonniers mobiles, il semble que redéfinissent, chacune à sa manière, le sens que prennent l’ici et l’ailleurs
l’attachement territorial soit une réponse ambivalente à la précarité. Si, p. 137). Ainsi, les formes d’ancrage saisonnières que nous avons analysées
en se stabilisant géographiquement, les saisonniers compensent en quel- pent des positions moyennes dans la société contemporaine (Remy, 1996,
que sorte les désagréments d’une vie mobile et précaire, ne s’enferment- mobilité comme une « quête de sens » portée par les individus qui occu-
ils pas du même coup dans une « vie de saisonnier » qui les a choisis plus tain, le nomadisme et la sédentarité, il est essentiel de comprendre la
qu’ils ne l’ont choisie ? Ne s’agit-il pas là d’une « nécessité faite vertu » ? penser l’imbrication de plus en plus complexe entre le proche et le loin-
C’est une question qu’il faut se poser. peuvent mobiliser ici et ailleurs. Comme Jean Remy a pu le montrer, pour
pratiques de sociabilité) et les ressources pratiques et symboliques qu’ils
Bibliographie
Authier Jean-Yves (1993), La Vie des lieux : un quartier du Vieux Lyon au 29 Aurélien Gentil
fil du temps, Lyon, Presses universitaires de Lyon.
Bibliographie
pratiques de sociabilité) et les ressources pratiques et symboliques qu’ils
peuvent mobiliser ici et ailleurs. Comme Jean Remy a pu le montrer, pour C’est une question qu’il faut se poser.
penser l’imbrication de plus en plus complexe entre le proche et le loin- qu’ils ne l’ont choisie ? Ne s’agit-il pas là d’une « nécessité faite vertu » ?
tain, le nomadisme et la sédentarité, il est essentiel de comprendre la ils pas du même coup dans une « vie de saisonnier » qui les a choisis plus
mobilité comme une « quête de sens » portée par les individus qui occu- que sorte les désagréments d’une vie mobile et précaire, ne s’enferment-
pent des positions moyennes dans la société contemporaine (Remy, 1996, en se stabilisant géographiquement, les saisonniers compensent en quel-
p. 137). Ainsi, les formes d’ancrage saisonnières que nous avons analysées l’attachement territorial soit une réponse ambivalente à la précarité. Si,
redéfinissent, chacune à sa manière, le sens que prennent l’ici et l’ailleurs examine la carrière d’installation des saisonniers mobiles, il semble que
dans la construction des trajectoires individuelles de nos contemporains. place tient l’ancrage territorial dans une société inégalitaire ? Quand on
Produits du processus dialectique qui articule logiques d’individuation et penser les inégalités face à ce nouveau mode de spatialisation ? Quelle
logiques structurelles, ces manières d’habiter sont en quelque sorte des pratiques et symboliques qui le relient à d’autres lieux. Mais comment
cas idéaltypiques à partir desquels il est possible de penser les nouveaux la manière de l’investir ne doivent être appréhendés qu’à travers les liens
modes de spatialisation : des espaces dans lesquels ce réseau se distribue. Le « sens » d’un lieu et
lationnel dont il devient le centre et de mettre en lumière la substitution
L’ancrage peut être pour certaines personnes le point de référence à partir dont l’individu se construit et se définit désormais à travers un réseau re-
duquel des explorations extérieures se font. Pour d’autres, au contraire, le la construction des individus et des groupes. Il permet d’illustrer la façon
fait d’être de plusieurs lieux, de se sentir devenir soi-même en changeant la place grandissante de la substitution des espaces les uns aux autres dans
d’espace peut constituer l’élément fondateur qui leur permet de s’investir saisonniers mobiles du tourisme (ambulants, habitués et locaux) confirme
en un lieu, même provisoirement. (Remy, 1996, p. 135) un rapport à l’espace pensé seulement en termes de sédentarité, le cas des
Quelle que soit sa manière d’habiter un lieu, l’individu, saisonnier ou duire des repères dans un espace à géométrie variable. En rupture avec
non, est toujours pris dans « un double objectif, où il s’agit d’articuler sédentarité et nomadisme » (ibid.). Il est donc toujours question de pro-
sédentarité et nomadisme » (ibid.). Il est donc toujours question de pro- non, est toujours pris dans « un double objectif, où il s’agit d’articuler
duire des repères dans un espace à géométrie variable. En rupture avec Quelle que soit sa manière d’habiter un lieu, l’individu, saisonnier ou
un rapport à l’espace pensé seulement en termes de sédentarité, le cas des
saisonniers mobiles du tourisme (ambulants, habitués et locaux) confirme
en un lieu, même provisoirement. (Remy, 1996, p. 135)
d’espace peut constituer l’élément fondateur qui leur permet de s’investir
la place grandissante de la substitution des espaces les uns aux autres dans fait d’être de plusieurs lieux, de se sentir devenir soi-même en changeant
la construction des individus et des groupes. Il permet d’illustrer la façon duquel des explorations extérieures se font. Pour d’autres, au contraire, le
dont l’individu se construit et se définit désormais à travers un réseau re- L’ancrage peut être pour certaines personnes le point de référence à partir
lationnel dont il devient le centre et de mettre en lumière la substitution
des espaces dans lesquels ce réseau se distribue. Le « sens » d’un lieu et modes de spatialisation :
la manière de l’investir ne doivent être appréhendés qu’à travers les liens cas idéaltypiques à partir desquels il est possible de penser les nouveaux
pratiques et symboliques qui le relient à d’autres lieux. Mais comment logiques structurelles, ces manières d’habiter sont en quelque sorte des
penser les inégalités face à ce nouveau mode de spatialisation ? Quelle Produits du processus dialectique qui articule logiques d’individuation et
place tient l’ancrage territorial dans une société inégalitaire ? Quand on dans la construction des trajectoires individuelles de nos contemporains.
examine la carrière d’installation des saisonniers mobiles, il semble que redéfinissent, chacune à sa manière, le sens que prennent l’ici et l’ailleurs
l’attachement territorial soit une réponse ambivalente à la précarité. Si, p. 137). Ainsi, les formes d’ancrage saisonnières que nous avons analysées
en se stabilisant géographiquement, les saisonniers compensent en quel- pent des positions moyennes dans la société contemporaine (Remy, 1996,
que sorte les désagréments d’une vie mobile et précaire, ne s’enferment- mobilité comme une « quête de sens » portée par les individus qui occu-
ils pas du même coup dans une « vie de saisonnier » qui les a choisis plus tain, le nomadisme et la sédentarité, il est essentiel de comprendre la
qu’ils ne l’ont choisie ? Ne s’agit-il pas là d’une « nécessité faite vertu » ? penser l’imbrication de plus en plus complexe entre le proche et le loin-
C’est une question qu’il faut se poser. peuvent mobiliser ici et ailleurs. Comme Jean Remy a pu le montrer, pour
pratiques de sociabilité) et les ressources pratiques et symboliques qu’ils
Bibliographie
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Documentation française, « Rapports officiels ».
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ciale, no 167, p. 55-77. tiers du tourisme et de l’agriculture, annexe au rapport de 2002 sur l’état
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sciences sociales, no 60, p. 23-29. Centre de ressources interrégional alpin sur la pluriactivité et la sai-
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Trajectoires et processus de socialisation des salariés mobiles 30 frontière, culture-frontière », dans Mobilités et ancrages : vers un nou-
veau mode de spatialisation ?, Monique Hirschhorn & Jean-Michel
31 Aurélien Gentil
Aurélien Gentil 31
31 Aurélien Gentil
mière, celui des siens. (Bonnin & Villanova, 1999, p. 5)
de maintenir et développer les liens avec le lieu d’origine, d’identité pre-
développer un second espace de vie face à l’existence laborieuse, voire
L’augmentation du temps de loisir, de vacances et de retraite a permis de
secondaire » :
nent en compte le rôle joué dans la vie des individus par la « résidence
« systèmes résidentiels » ou sur la notion de « multirésidence », qui pren-
VACANCES AU BLED ET RAPPORTS AUX ORIGINES : principal, des sociologues de l’habitat ont proposé de travailler sur des
L’ESPACE COMME SUPPORT CONCRET DES IDENTITÉS et au développement d’autres espaces de référence que le seul logement
aux espaces des vacances. Face à l’augmentation des mobilités de loisir
ment que nous trouvons des outils conceptuels pour penser le rapport
Jennifer Bidet 2011). Mais c’est dans le champ de la sociologie de l’habitat et du loge-
Réau, 2007) ou à des types de tourisme (tel le tourisme sexuel, Roux,
2000), à des acteurs économiques (à l’image du Club Méditerranée,
Les vacances et le tourisme sont depuis longtemps un objet central tégories de touristes (comme les vacanciers de classes populaires, Périer,
de la discipline des sciences humaines qui s’intéresse le plus explicite- depuis, d’autres études se sont intéressées plus en profondeur à des ca-
ment aux relations entre les hommes et les espaces : la géographie. S’il y et ont dressé les premières typologies de touristes (Viard, 1984, 2007) ;
est souvent question de l’impact de l’activité touristique sur les espaces rappeler l’histoire de la diffusion de ces pratiques dans la société française
concernés (dans leur dimension physique ou humaine), certains cher- paraît comme un champ émergent : des travaux fondateurs ont déjà pu
cheurs interrogent aussi la manière dont les touristes eux-mêmes sont En sociologie, l’étude des vacances et des pratiques touristiques ap-
modifiés :
MIT, 2002, p. 102)
Les touristes ne se [trouvent] pas dans les lieux touristiques uniquement rapport au lieu qui est impliqué, de quelque ordre que ce soit. (Équipe
pour consommer, consumer les lieux, mais pour, à travers les lieux, se pratiques touristiques participent de l’habiter, car il y a nécessairement un
construire, se reconstruire, évoluer, se transformer [...]. Les touristes aussi habitent les lieux, pas seulement les résidents. On peut avancer que les
habitent les lieux, pas seulement les résidents. On peut avancer que les construire, se reconstruire, évoluer, se transformer [...]. Les touristes aussi
pratiques touristiques participent de l’habiter, car il y a nécessairement un pour consommer, consumer les lieux, mais pour, à travers les lieux, se
rapport au lieu qui est impliqué, de quelque ordre que ce soit. (Équipe Les touristes ne se [trouvent] pas dans les lieux touristiques uniquement
MIT, 2002, p. 102)
modifiés :
En sociologie, l’étude des vacances et des pratiques touristiques ap- cheurs interrogent aussi la manière dont les touristes eux-mêmes sont
paraît comme un champ émergent : des travaux fondateurs ont déjà pu concernés (dans leur dimension physique ou humaine), certains cher-
rappeler l’histoire de la diffusion de ces pratiques dans la société française est souvent question de l’impact de l’activité touristique sur les espaces
et ont dressé les premières typologies de touristes (Viard, 1984, 2007) ; ment aux relations entre les hommes et les espaces : la géographie. S’il y
depuis, d’autres études se sont intéressées plus en profondeur à des ca- de la discipline des sciences humaines qui s’intéresse le plus explicite-
tégories de touristes (comme les vacanciers de classes populaires, Périer, Les vacances et le tourisme sont depuis longtemps un objet central
2000), à des acteurs économiques (à l’image du Club Méditerranée,
Réau, 2007) ou à des types de tourisme (tel le tourisme sexuel, Roux,
2011). Mais c’est dans le champ de la sociologie de l’habitat et du loge- Jennifer Bidet
ment que nous trouvons des outils conceptuels pour penser le rapport
aux espaces des vacances. Face à l’augmentation des mobilités de loisir
et au développement d’autres espaces de référence que le seul logement L’ESPACE COMME SUPPORT CONCRET DES IDENTITÉS
principal, des sociologues de l’habitat ont proposé de travailler sur des VACANCES AU BLED ET RAPPORTS AUX ORIGINES :
« systèmes résidentiels » ou sur la notion de « multirésidence », qui pren-
nent en compte le rôle joué dans la vie des individus par la « résidence
secondaire » :
L’augmentation du temps de loisir, de vacances et de retraite a permis de
développer un second espace de vie face à l’existence laborieuse, voire
de maintenir et développer les liens avec le lieu d’origine, d’identité pre-
mière, celui des siens. (Bonnin & Villanova, 1999, p. 5)
et 2011).
partie à des récits de vie, sont complétés par des séjours d’observation (étés 2009, 2010
lieu de vacances en Algérie (n = 19). Ces entretiens approfondis, qui s’apparentent en 34 Vacances au bled et rapports aux origines
ciers interrogés sur leur lieu de résidence en France (n = 44) ou directement sur leur
tis pendant l’été 2008 (n = 200) et surtout une enquête qualitative auprès de vacan-
Plus largement, c’est l’ensemble des lieux de vacances – même s’ils
dée sur un matériau combinant une enquête quantitative auprès de voyageurs par-
d’immigrés algériens installés en France à l’époque des trente glorieuses. Elle est fon-
1. Cette thèse porte sur les séjours de vacances en Algérie chez les descendants directs n’impliquent pas la propriété immobilière – qui vient enrichir la com-
préhension des rapports résidentiels des individus :
Ça change de la France, hein ?! C’est pas comme en France ! Moi et mes copains, on va aller en ville, on
il pourrait rentrer ! Moi, pour vous dire, j’vais en claquettes aux soirées ! va être mal vus par les policiers, par les gens et tout, alors que là-bas, on
ici : ils demandent pas les pièces d’identité. Là-bas, un enfant de 10 ans, peut y aller, on sera pareils que les autres. [...] Les soirées, c’est pas comme
peut y aller, on sera pareils que les autres. [...] Les soirées, c’est pas comme ici : ils demandent pas les pièces d’identité. Là-bas, un enfant de 10 ans,
va être mal vus par les policiers, par les gens et tout, alors que là-bas, on il pourrait rentrer ! Moi, pour vous dire, j’vais en claquettes aux soirées !
C’est pas comme en France ! Moi et mes copains, on va aller en ville, on Ça change de la France, hein ?!
Farès : Dans ces deux cas, l’espace-temps des vacances permet d’être
des hiérarchies sociales qui fait de l’Algérie une destination appréciée par quelqu’un d’autre et de modifier la place généralement occupée dans
Plus encore que l’inversion des hiérarchies économiques, c’est celle les hiérarchies socio-économiques et symboliques. Mais au-delà de cette
inversion des hiérarchies socio-économiques – qui peut concerner tout
vie de rêve un peu là-bas ! touriste voyageant dans un pays où le niveau de vie est moins élevé que
pas se permettre en France. Appeler un taxi, « j’vais à Marseille ». C’est la
celui de son pays de résidence –, il faut aussi penser comment la spécifi-
cité de la population de notre étude joue sur l’articulation des différents
taxi, on allait à Bejaia [sur la côte] ! Voilà, c’est des choses qu’on pourrait
espaces. Plus qu’un simple espace de vacances, pour les primo-migrants,
vous à 1 heure, 2 heures de l’après-midi, on en avait marre, on prenait un
tu passes de bonnes vacances ! [...] Cet été, des fois on se donnait rendez-
sible ! Il y a beaucoup ça qui joue. Et après, du moment que t’as l’argent, le pays d’origine est premier, du moins au sens chronologique du terme,
vraiment pas la même chose ! Il fait chaud, c’est pas cher ! Tout est acces- et revêt donc un sens particulier. Insérés dans des relations sociales for-
C’est l’ambiance, le climat, je sais pas, ça change d’ici [la France], c’est tes au sein de ces espaces (surtout des relations familiales), nos vacanciers
sont davantage soumis aux contraintes normatives de la société visitée.
France : Jean Remy définit précisément la secondarité comme un relâchement
ment aux avantages accordés par le différentiel de niveau de vie avec la des contrôles, des contraintes, des normes : en quoi la spécificité de ces
lieu de vacances sont incontestables, mais elles se résument essentielle- vacanciers amène-t-elle à repenser et à complexifier l’articulation entre
et étudiant dans un lycée professionnel, les qualités de l’Algérie comme primarité et secondarité ?
Pour Farès, 16 ans, habitant une autre cité de la banlieue lyonnaise
L’évolution du statut de la maison du bled
Vacances au bled et rapports aux origines 36 Espace premier dans la biographie des migrants, le pays d’origine
demeure-t-il pour autant un espace de primarité, c’est-à-dire à la fois
Ça change de la France, hein ?! C’est pas comme en France ! Moi et mes copains, on va aller en ville, on
il pourrait rentrer ! Moi, pour vous dire, j’vais en claquettes aux soirées ! va être mal vus par les policiers, par les gens et tout, alors que là-bas, on
ici : ils demandent pas les pièces d’identité. Là-bas, un enfant de 10 ans, peut y aller, on sera pareils que les autres. [...] Les soirées, c’est pas comme
peut y aller, on sera pareils que les autres. [...] Les soirées, c’est pas comme ici : ils demandent pas les pièces d’identité. Là-bas, un enfant de 10 ans,
va être mal vus par les policiers, par les gens et tout, alors que là-bas, on il pourrait rentrer ! Moi, pour vous dire, j’vais en claquettes aux soirées !
C’est pas comme en France ! Moi et mes copains, on va aller en ville, on Ça change de la France, hein ?!
Farès : Dans ces deux cas, l’espace-temps des vacances permet d’être
des hiérarchies sociales qui fait de l’Algérie une destination appréciée par quelqu’un d’autre et de modifier la place généralement occupée dans
Plus encore que l’inversion des hiérarchies économiques, c’est celle les hiérarchies socio-économiques et symboliques. Mais au-delà de cette
inversion des hiérarchies socio-économiques – qui peut concerner tout
vie de rêve un peu là-bas ! touriste voyageant dans un pays où le niveau de vie est moins élevé que
pas se permettre en France. Appeler un taxi, « j’vais à Marseille ». C’est la
celui de son pays de résidence –, il faut aussi penser comment la spécifi-
cité de la population de notre étude joue sur l’articulation des différents
taxi, on allait à Bejaia [sur la côte] ! Voilà, c’est des choses qu’on pourrait
espaces. Plus qu’un simple espace de vacances, pour les primo-migrants,
vous à 1 heure, 2 heures de l’après-midi, on en avait marre, on prenait un
tu passes de bonnes vacances ! [...] Cet été, des fois on se donnait rendez-
sible ! Il y a beaucoup ça qui joue. Et après, du moment que t’as l’argent, le pays d’origine est premier, du moins au sens chronologique du terme,
vraiment pas la même chose ! Il fait chaud, c’est pas cher ! Tout est acces- et revêt donc un sens particulier. Insérés dans des relations sociales for-
C’est l’ambiance, le climat, je sais pas, ça change d’ici [la France], c’est tes au sein de ces espaces (surtout des relations familiales), nos vacanciers
sont davantage soumis aux contraintes normatives de la société visitée.
France : Jean Remy définit précisément la secondarité comme un relâchement
ment aux avantages accordés par le différentiel de niveau de vie avec la des contrôles, des contraintes, des normes : en quoi la spécificité de ces
lieu de vacances sont incontestables, mais elles se résument essentielle- vacanciers amène-t-elle à repenser et à complexifier l’articulation entre
et étudiant dans un lycée professionnel, les qualités de l’Algérie comme primarité et secondarité ?
Pour Farès, 16 ans, habitant une autre cité de la banlieue lyonnaise
L’évolution du statut de la maison du bled
Vacances au bled et rapports aux origines 36 Espace premier dans la biographie des migrants, le pays d’origine
demeure-t-il pour autant un espace de primarité, c’est-à-dire à la fois
on comprend d’autant mieux que ce pays d’origine puisse avoir un sens
Jennifer Bidet 37 faiblir pour les primo-migrants au fil de leur sédentarisation en France,
Si l’on comprend que le rôle structurant du pays d’origine peut s’af-
un espace fortement investi en terme de présence physique et fortement truc immense qui sert à rien, on aurait pas dû faire comme ça. »
structurant dans la définition des rôles sociaux de l’individu ? elle sert à rien cette grande maison [...]. Mon père il dit toujours : « Ce
De manière générale, l’évolution du calendrier des retours, dans l’his- regrette parce j’aurais dû faire comme eux quoi », parce que maintenant
toire de l’immigration algérienne, montre que le statut du pays d’ori- en bas, comme les voisins ont fait [...]. Et mon père il dit souvent : « Je
gine, pour les primo-migrants, change progressivement. D’abord défini lez, mon père il a pas été intelligent du tout. Il aurait dû faire des garages
en fonction des rythmes de l’agriculture dans le pays d’émigration, ce seraient à la retraite, et c’est pas du tout ce qui se passe [...]. Si vous vou-
calendrier a fini par être soumis au rythme de la production industrielle Et mes parents, ils ont toujours dit qu’ils allaient y habiter une fois qu’ils
(et des congés payés) dans le pays d’immigration :
regrets de son père quant à la conception de leur maison en Algérie :
Les séjours [en France] sont allés en s’allongeant jusqu’à devenir quasi l’idée du retour. Ainsi, Nadia (37 ans, BEP, sans activité, mariée), relate les
permanents, entrecoupés seulement de brèves périodes, celles des congés construction de grandes et somptueuses maisons) encore guidés par
annuels. Corrélativement, les retours au pays, assujettis désormais au ca- juger négativement certains partis pris (notamment architecturaux : la
lendrier de l’activité industrielle, se font de plus en plus régulièrement Les enfants nés en France ont conscience de ce revirement et peuvent
et fréquemment au moment des vacances et pour la durée des vacances.
(Sayad, 1977, p. 74-75) force des choses !
retour au pays. Maintenant c’est la maison secondaire de vacances, par la
Cette transformation du pays d’origine en espace secondaire peut Moi ici c’est ma maison secondaire, qui était censée être la maison de
aussi avoir lieu à l’échelle de la vie d’un migrant : alors qu’à son départ
d’Algérie, l’émigré voit son installation en France comme nécessaire- gement de statut de cette résidence :
ment provisoire, petit à petit le retour définitif dans le pays d’origine lui m’avoue, alors que j’interroge sa fille dans leur maison de Sétif, le chan-
semble de moins en moins envisageable. Ainsi, le père de Djamila (37 ans, titulaire d’un BTS action commerciale, assistante commerciale, mariée)
titulaire d’un BTS action commerciale, assistante commerciale, mariée) semble de moins en moins envisageable. Ainsi, le père de Djamila (37 ans,
m’avoue, alors que j’interroge sa fille dans leur maison de Sétif, le chan- ment provisoire, petit à petit le retour définitif dans le pays d’origine lui
gement de statut de cette résidence : d’Algérie, l’émigré voit son installation en France comme nécessaire-
aussi avoir lieu à l’échelle de la vie d’un migrant : alors qu’à son départ
Moi ici c’est ma maison secondaire, qui était censée être la maison de Cette transformation du pays d’origine en espace secondaire peut
retour au pays. Maintenant c’est la maison secondaire de vacances, par la
force des choses ! (Sayad, 1977, p. 74-75)
et fréquemment au moment des vacances et pour la durée des vacances.
Les enfants nés en France ont conscience de ce revirement et peuvent lendrier de l’activité industrielle, se font de plus en plus régulièrement
juger négativement certains partis pris (notamment architecturaux : la annuels. Corrélativement, les retours au pays, assujettis désormais au ca-
construction de grandes et somptueuses maisons) encore guidés par permanents, entrecoupés seulement de brèves périodes, celles des congés
l’idée du retour. Ainsi, Nadia (37 ans, BEP, sans activité, mariée), relate les Les séjours [en France] sont allés en s’allongeant jusqu’à devenir quasi
regrets de son père quant à la conception de leur maison en Algérie :
(et des congés payés) dans le pays d’immigration :
Et mes parents, ils ont toujours dit qu’ils allaient y habiter une fois qu’ils calendrier a fini par être soumis au rythme de la production industrielle
seraient à la retraite, et c’est pas du tout ce qui se passe [...]. Si vous vou- en fonction des rythmes de l’agriculture dans le pays d’émigration, ce
lez, mon père il a pas été intelligent du tout. Il aurait dû faire des garages gine, pour les primo-migrants, change progressivement. D’abord défini
en bas, comme les voisins ont fait [...]. Et mon père il dit souvent : « Je toire de l’immigration algérienne, montre que le statut du pays d’ori-
regrette parce j’aurais dû faire comme eux quoi », parce que maintenant De manière générale, l’évolution du calendrier des retours, dans l’his-
elle sert à rien cette grande maison [...]. Mon père il dit toujours : « Ce structurant dans la définition des rôles sociaux de l’individu ?
truc immense qui sert à rien, on aurait pas dû faire comme ça. » un espace fortement investi en terme de présence physique et fortement
un espace fortement investi en terme de présence physique et fortement truc immense qui sert à rien, on aurait pas dû faire comme ça. »
structurant dans la définition des rôles sociaux de l’individu ? elle sert à rien cette grande maison [...]. Mon père il dit toujours : « Ce
De manière générale, l’évolution du calendrier des retours, dans l’his- regrette parce j’aurais dû faire comme eux quoi », parce que maintenant
toire de l’immigration algérienne, montre que le statut du pays d’ori- en bas, comme les voisins ont fait [...]. Et mon père il dit souvent : « Je
gine, pour les primo-migrants, change progressivement. D’abord défini lez, mon père il a pas été intelligent du tout. Il aurait dû faire des garages
en fonction des rythmes de l’agriculture dans le pays d’émigration, ce seraient à la retraite, et c’est pas du tout ce qui se passe [...]. Si vous vou-
calendrier a fini par être soumis au rythme de la production industrielle Et mes parents, ils ont toujours dit qu’ils allaient y habiter une fois qu’ils
(et des congés payés) dans le pays d’immigration :
regrets de son père quant à la conception de leur maison en Algérie :
Les séjours [en France] sont allés en s’allongeant jusqu’à devenir quasi l’idée du retour. Ainsi, Nadia (37 ans, BEP, sans activité, mariée), relate les
permanents, entrecoupés seulement de brèves périodes, celles des congés construction de grandes et somptueuses maisons) encore guidés par
annuels. Corrélativement, les retours au pays, assujettis désormais au ca- juger négativement certains partis pris (notamment architecturaux : la
lendrier de l’activité industrielle, se font de plus en plus régulièrement Les enfants nés en France ont conscience de ce revirement et peuvent
et fréquemment au moment des vacances et pour la durée des vacances.
(Sayad, 1977, p. 74-75) force des choses !
retour au pays. Maintenant c’est la maison secondaire de vacances, par la
Cette transformation du pays d’origine en espace secondaire peut Moi ici c’est ma maison secondaire, qui était censée être la maison de
aussi avoir lieu à l’échelle de la vie d’un migrant : alors qu’à son départ
d’Algérie, l’émigré voit son installation en France comme nécessaire- gement de statut de cette résidence :
ment provisoire, petit à petit le retour définitif dans le pays d’origine lui m’avoue, alors que j’interroge sa fille dans leur maison de Sétif, le chan-
semble de moins en moins envisageable. Ainsi, le père de Djamila (37 ans, titulaire d’un BTS action commerciale, assistante commerciale, mariée)
titulaire d’un BTS action commerciale, assistante commerciale, mariée) semble de moins en moins envisageable. Ainsi, le père de Djamila (37 ans,
m’avoue, alors que j’interroge sa fille dans leur maison de Sétif, le chan- ment provisoire, petit à petit le retour définitif dans le pays d’origine lui
gement de statut de cette résidence : d’Algérie, l’émigré voit son installation en France comme nécessaire-
aussi avoir lieu à l’échelle de la vie d’un migrant : alors qu’à son départ
Moi ici c’est ma maison secondaire, qui était censée être la maison de Cette transformation du pays d’origine en espace secondaire peut
retour au pays. Maintenant c’est la maison secondaire de vacances, par la
force des choses ! (Sayad, 1977, p. 74-75)
et fréquemment au moment des vacances et pour la durée des vacances.
Les enfants nés en France ont conscience de ce revirement et peuvent lendrier de l’activité industrielle, se font de plus en plus régulièrement
juger négativement certains partis pris (notamment architecturaux : la annuels. Corrélativement, les retours au pays, assujettis désormais au ca-
construction de grandes et somptueuses maisons) encore guidés par permanents, entrecoupés seulement de brèves périodes, celles des congés
l’idée du retour. Ainsi, Nadia (37 ans, BEP, sans activité, mariée), relate les Les séjours [en France] sont allés en s’allongeant jusqu’à devenir quasi
regrets de son père quant à la conception de leur maison en Algérie :
(et des congés payés) dans le pays d’immigration :
Et mes parents, ils ont toujours dit qu’ils allaient y habiter une fois qu’ils calendrier a fini par être soumis au rythme de la production industrielle
seraient à la retraite, et c’est pas du tout ce qui se passe [...]. Si vous vou- en fonction des rythmes de l’agriculture dans le pays d’émigration, ce
lez, mon père il a pas été intelligent du tout. Il aurait dû faire des garages gine, pour les primo-migrants, change progressivement. D’abord défini
en bas, comme les voisins ont fait [...]. Et mon père il dit souvent : « Je toire de l’immigration algérienne, montre que le statut du pays d’ori-
regrette parce j’aurais dû faire comme eux quoi », parce que maintenant De manière générale, l’évolution du calendrier des retours, dans l’his-
elle sert à rien cette grande maison [...]. Mon père il dit toujours : « Ce structurant dans la définition des rôles sociaux de l’individu ?
truc immense qui sert à rien, on aurait pas dû faire comme ça. » un espace fortement investi en terme de présence physique et fortement
qu’elle n’a pas pu partir en Tunisie, en 2009, parce que son petit frère
tit ami en France. Ainsi, Dounia (27 ans, infirmière, célibataire) raconte 38 Vacances au bled et rapports aux origines
certaines jeunes filles, loin du contrôle d’un père, d’un frère ou d’un pe-
séjours, le bled est parfois présenté comme un espace de liberté pour
Enfin, pour complexifier encore la lecture qu’on peut faire de ces encore différent pour les enfants de migrants nés ou ayant grandi en France.
La maison en Algérie est pour eux un lieu de vacances d’où ils rayonnent
comme ça. pour allier visites familiales et tourisme balnéaire, et leurs investissements
filles et garçons, ici aussi [en France]. Parce que mes parents ont été élevés immobiliers restent en priorité basés en France.
vés : c’étaient les mêmes règles. Il y avait toujours une différence entre
Très petites, les filles étaient à la maison ! [...] Nos parents nous ont éle- Lieu de liberté ou de contrainte ? Le genre comme élément perturbateur
et garçons ! C’est vrai ! C’est radical ! Il y avait pas d’activités communes !
Des contraintes spécifiques peuvent aussi concerner certaines catégo-
Surtout en Algérie, dès que t’arrives, tu vois bien la différence entre filles
ries de notre population plus que d’autres : ainsi en va-t-il des normes qui
(43 ans, bac + 3, fonctionnaire catégorie A, marié) à propos de ses sœurs : s’appliquent différemment aux hommes et aux femmes, notamment dans
normes parentales d’éducation en France, ainsi que le souligne Abdel la division sexuée de l’espace. Ce qui est vrai pour les primo-migrantes
pas nécessairement vécue comme un choc, car elle prolonge parfois les est encore plus frappant pour les jeunes filles nées en France et habituées
Pourtant, cette différenciation sexuée des niveaux de contrainte n’est à d’autres normes. Djamila (37 ans, BTS, assistante commerciale, mariée)
elles ont souvent une connaissance plus limitée du pays. raconte le choc ressenti quand, au détour de ses 12 ans, elle a vu disparaî-
villes. Chez les femmes, une telle maîtrise est beaucoup moins courante, tre des espaces publics du quartier ses copines algériennes de vacances :
algérien leur a permis d’aller à la plage entre amis ou de visiter d’autres
content comment l’élargissement progressif de leur maîtrise du territoire Une année ça nous a fait un choc : on est rentrées, on est allées en va-
tiques des garçons et celles des filles : nombreux sont les hommes qui ra- cances, et on s’est tournées un petit peu et toutes les copines qu’on avait,
passage de l’adolescence à l’âge adulte marque une frontière entre les pra- on les voyait plus dehors. Et on nous expliquait que maintenant on était
Dans les récits de vacances des uns et des autres, il est très net que le grandes et qu’on pouvait pas forcément... on rentrait toutes un petit peu
dans le même moule.
dans le même moule.
grandes et qu’on pouvait pas forcément... on rentrait toutes un petit peu Dans les récits de vacances des uns et des autres, il est très net que le
on les voyait plus dehors. Et on nous expliquait que maintenant on était passage de l’adolescence à l’âge adulte marque une frontière entre les pra-
cances, et on s’est tournées un petit peu et toutes les copines qu’on avait, tiques des garçons et celles des filles : nombreux sont les hommes qui ra-
Une année ça nous a fait un choc : on est rentrées, on est allées en va- content comment l’élargissement progressif de leur maîtrise du territoire
algérien leur a permis d’aller à la plage entre amis ou de visiter d’autres
tre des espaces publics du quartier ses copines algériennes de vacances : villes. Chez les femmes, une telle maîtrise est beaucoup moins courante,
raconte le choc ressenti quand, au détour de ses 12 ans, elle a vu disparaî- elles ont souvent une connaissance plus limitée du pays.
à d’autres normes. Djamila (37 ans, BTS, assistante commerciale, mariée) Pourtant, cette différenciation sexuée des niveaux de contrainte n’est
est encore plus frappant pour les jeunes filles nées en France et habituées pas nécessairement vécue comme un choc, car elle prolonge parfois les
la division sexuée de l’espace. Ce qui est vrai pour les primo-migrantes normes parentales d’éducation en France, ainsi que le souligne Abdel
s’appliquent différemment aux hommes et aux femmes, notamment dans (43 ans, bac + 3, fonctionnaire catégorie A, marié) à propos de ses sœurs :
ries de notre population plus que d’autres : ainsi en va-t-il des normes qui
Surtout en Algérie, dès que t’arrives, tu vois bien la différence entre filles
Des contraintes spécifiques peuvent aussi concerner certaines catégo-
et garçons ! C’est vrai ! C’est radical ! Il y avait pas d’activités communes !
Lieu de liberté ou de contrainte ? Le genre comme élément perturbateur Très petites, les filles étaient à la maison ! [...] Nos parents nous ont éle-
vés : c’étaient les mêmes règles. Il y avait toujours une différence entre
immobiliers restent en priorité basés en France. filles et garçons, ici aussi [en France]. Parce que mes parents ont été élevés
pour allier visites familiales et tourisme balnéaire, et leurs investissements comme ça.
La maison en Algérie est pour eux un lieu de vacances d’où ils rayonnent
encore différent pour les enfants de migrants nés ou ayant grandi en France. Enfin, pour complexifier encore la lecture qu’on peut faire de ces
séjours, le bled est parfois présenté comme un espace de liberté pour
certaines jeunes filles, loin du contrôle d’un père, d’un frère ou d’un pe-
Vacances au bled et rapports aux origines 38 tit ami en France. Ainsi, Dounia (27 ans, infirmière, célibataire) raconte
qu’elle n’a pas pu partir en Tunisie, en 2009, parce que son petit frère
nes » des parents.
Jennifer Bidet 39 vacances au bled comme des indices de différents rapports aux « origi-
nous permet d’examiner à présent les différentes manières de passer ses
combinent ruptures et continuités entre lieu de résidence et de vacances,
craignait qu’elle y rencontre des hommes en passant ses soirées dans des Cette complexité des articulations entre primarité et secondarité, qui
boîtes de nuit. Sous le coup de cet interdit, Dounia s’est finalement re-
pliée sur un séjour en Algérie où elle était censée rester avec sa mère, dans d’après les personnes qui l’utilisent. (Remy, 1999, p. 320)
la petite ville de l’intérieur qu’est Sétif où, en effet, elle ne risquait pas de même espace peut voir sa signification évoluer dans le temps ou changer
trouver de boîtes de nuit. d’identifier un lieu indépendamment de ses modes d’appropriation. Un
La primarité et la secondarité ne sont pas une caractéristique permettant
À Sétif, il y a ce truc sévère où la fille reste à la maison, où tu sors pas
comme tu veux, tu fumes pas dans la rue – Alger tu fumes dans la rue,
ces notions :
Oran tu fumes dans la rue, Annaba pareil mais Sétif, tu verras jamais une sues de migrations, mettait en garde contre une utilisation trop figée de
fille en train de fumer, tu verras jamais une fille habillée en minijupe, ou Remy lui-même, en s’appuyant d’ailleurs sur l’exemple des familles is-
en short [...]. On est nés là, on a grandi ici, ma mère elle ne disait rien de combinaisons et de significations de ces deux types d’espace. Jean
quand je fumais. Puis tu arrives là-bas on te critique parce qu’on a trouvé vacances), les appliquer à notre population invite à réfléchir aux variétés
une cigarette dans ta voiture ! rité et de secondarité en les associant à des lieux précis (de résidence, de
Alors qu’on a tendance à figer trop rapidement les notions de prima-
Contrairement au cas d’Abdel, Dounia souffre des différences de règles
entre « ici » et « là-bas ». Mais on constate aussi qu’il serait réducteur profonde, elle va rester, elle va pas faire n’importe quoi. »
de voir dans l’Algérie comme entité nationale un univers uniformément quoi. Mais lui, il se disait : « Si elle va avec ma mère, dans notre campagne
contraint : les normes ne sont pas les mêmes selon le lieu – petite ville ambiance boîtes de nuit, alcool et tout le tralala, c’était la même chose
(surtout celle de ses parents) ou grande ville côtière. Avec l’aval de sa mère, au courant ! [...] Même en Algérie, j’y suis allée avec mes copines, donc
Dounia fausse rapidement compagnie à son « bled » (ici au sens de vil-
Du coup, tu vois, j’ai mené ma vie en fait ! Et mon frère, il a jamais été
lage) et part rejoindre des amies à Alger pour des vacances plus festives :
lage) et part rejoindre des amies à Alger pour des vacances plus festives :
Du coup, tu vois, j’ai mené ma vie en fait ! Et mon frère, il a jamais été
Dounia fausse rapidement compagnie à son « bled » (ici au sens de vil-
au courant ! [...] Même en Algérie, j’y suis allée avec mes copines, donc (surtout celle de ses parents) ou grande ville côtière. Avec l’aval de sa mère,
ambiance boîtes de nuit, alcool et tout le tralala, c’était la même chose contraint : les normes ne sont pas les mêmes selon le lieu – petite ville
quoi. Mais lui, il se disait : « Si elle va avec ma mère, dans notre campagne de voir dans l’Algérie comme entité nationale un univers uniformément
profonde, elle va rester, elle va pas faire n’importe quoi. » entre « ici » et « là-bas ». Mais on constate aussi qu’il serait réducteur
Contrairement au cas d’Abdel, Dounia souffre des différences de règles
Alors qu’on a tendance à figer trop rapidement les notions de prima-
rité et de secondarité en les associant à des lieux précis (de résidence, de une cigarette dans ta voiture !
vacances), les appliquer à notre population invite à réfléchir aux variétés quand je fumais. Puis tu arrives là-bas on te critique parce qu’on a trouvé
de combinaisons et de significations de ces deux types d’espace. Jean en short [...]. On est nés là, on a grandi ici, ma mère elle ne disait rien
Remy lui-même, en s’appuyant d’ailleurs sur l’exemple des familles is- fille en train de fumer, tu verras jamais une fille habillée en minijupe, ou
sues de migrations, mettait en garde contre une utilisation trop figée de Oran tu fumes dans la rue, Annaba pareil mais Sétif, tu verras jamais une
ces notions : comme tu veux, tu fumes pas dans la rue – Alger tu fumes dans la rue,
À Sétif, il y a ce truc sévère où la fille reste à la maison, où tu sors pas
La primarité et la secondarité ne sont pas une caractéristique permettant
d’identifier un lieu indépendamment de ses modes d’appropriation. Un trouver de boîtes de nuit.
même espace peut voir sa signification évoluer dans le temps ou changer la petite ville de l’intérieur qu’est Sétif où, en effet, elle ne risquait pas de
d’après les personnes qui l’utilisent. (Remy, 1999, p. 320) pliée sur un séjour en Algérie où elle était censée rester avec sa mère, dans
boîtes de nuit. Sous le coup de cet interdit, Dounia s’est finalement re-
Cette complexité des articulations entre primarité et secondarité, qui craignait qu’elle y rencontre des hommes en passant ses soirées dans des
combinent ruptures et continuités entre lieu de résidence et de vacances,
nous permet d’examiner à présent les différentes manières de passer ses
vacances au bled comme des indices de différents rapports aux « origi- 39 Jennifer Bidet
nes » des parents.
venir à 10 ou 15 €.
12. Environ 55 €. Un repas pour deux dans une pizzéria ou un restaurant grill peut re-
Jennifer Bidet 41 11. Par métonymie, café où l’on peut fumer le narguilé.
France » sont présentés comme meilleurs que ceux d’Algérie.
dont le goût ou la qualité ne seraient pas les mêmes : le Nutella ou les nuggets « de
de nuit, alcool, prostitution, excès de vitesse...). Là-bas, Mehdi a loué produits qui peuvent ne pas être typiquement français (on les trouve en Algérie), mais
une grande maison en bord de mer avec des amis ; d’autres se sont offert 10. Dans certains discours, « la France » est mobilisée pour caractériser toutes sortes de
quelques nuits au Sheraton, à raison d’environ 200 € la nuit. Les journées
se passent sur les plages privées où se retrouvent essentiellement « immi- passent l’essentiel de leurs trois ou quatre semaines de vacances à Sétif ;
grés » (« tu trouves toute l’Île-de-France là-bas, même des Blacks ! Y a excursion depuis la ville d’origine des parents. Certains (les plus jeunes)
des mecs de Trappes ils sont venus à trente ! T’as tout un quartier ! ») et Tout le séjour ne se déroule pas à Oran, et souvent ce n’est qu’une
jeunes Algériens favorisés (car il faut avoir les moyens de payer son entrée tout faire là-bas, même se faire prendre en photo avec un tigre ! »
et ses consommations), entre les haut-parleurs tournés vers la plage et les nombreux loisirs, même les plus surprenants : « C’est pas cher et on peut
jet-skis rôdant autour des baigneurs. Contrairement à la plupart des pla- vante principalement le faible coût de la vie qui permet d’accéder à de
ges publiques, les maillots deux-pièces sont de rigueur pour les femmes. touristique de la côte turque. Il est aussi allé en Thaïlande, pays dont il
Le soir, on commence souvent la soirée par un restaurant où l’on juge des amis, notamment pour faire la fête à Kusadasi, une ville balnéaire et
la qualité des mets supérieure à celle d’autres villes algériennes et l’on avant de passer trois semaines en Algérie, Mehdi est parti en Turquie avec
apprécie le rapprochement avec les standards « de France10 », même s’il reproduire le même genre de pratiques de tourisme balnéaire et festif :
s’agit essentiellement de fast-foods et de pizzérias ; ensuite un narguilé qui Quand ils prennent des vacances ailleurs qu’en Algérie, ils semblent
rappelle également les soirées lyonnaises dans les « chichas11 » à la mode ;
enfin, une virée en boîte de nuit, au son des D. J. qui lancent tout au long entrée en plage 8 €, donc c’est parti trop vite !
de leur set des « spécial dédicaces à la Courneuve ». Ces virées oranaises salade du chef, escalope, pâtes au saumon puis des chichas ! [...] Après,
ont un coût : Ramzy (19 ans, bac professionnel interrompu, célibataire) mon pote on faisait 8 000 dinars à deux12 ! Il a les additions en photo :
revient de quatre jours à Oran en ayant épuisé son budget prévu pour le matin on déjeunait dehors, et là-bas c’est plus les prix de France. Avec
mois, il y a dépensé 1 000 €. même ! En plus on mangeait tout le temps dehors, midi et soir, plus le
L’hôtel il a dû nous prendre 200 € chacun, un quatre étoiles quand
L’hôtel il a dû nous prendre 200 € chacun, un quatre étoiles quand
même ! En plus on mangeait tout le temps dehors, midi et soir, plus le mois, il y a dépensé 1 000 €.
matin on déjeunait dehors, et là-bas c’est plus les prix de France. Avec revient de quatre jours à Oran en ayant épuisé son budget prévu pour le
mon pote on faisait 8 000 dinars à deux12 ! Il a les additions en photo : ont un coût : Ramzy (19 ans, bac professionnel interrompu, célibataire)
salade du chef, escalope, pâtes au saumon puis des chichas ! [...] Après, de leur set des « spécial dédicaces à la Courneuve ». Ces virées oranaises
entrée en plage 8 €, donc c’est parti trop vite ! enfin, une virée en boîte de nuit, au son des D. J. qui lancent tout au long
rappelle également les soirées lyonnaises dans les « chichas11 » à la mode ;
Quand ils prennent des vacances ailleurs qu’en Algérie, ils semblent s’agit essentiellement de fast-foods et de pizzérias ; ensuite un narguilé qui
reproduire le même genre de pratiques de tourisme balnéaire et festif : apprécie le rapprochement avec les standards « de France10 », même s’il
avant de passer trois semaines en Algérie, Mehdi est parti en Turquie avec la qualité des mets supérieure à celle d’autres villes algériennes et l’on
des amis, notamment pour faire la fête à Kusadasi, une ville balnéaire et Le soir, on commence souvent la soirée par un restaurant où l’on juge
touristique de la côte turque. Il est aussi allé en Thaïlande, pays dont il ges publiques, les maillots deux-pièces sont de rigueur pour les femmes.
vante principalement le faible coût de la vie qui permet d’accéder à de jet-skis rôdant autour des baigneurs. Contrairement à la plupart des pla-
nombreux loisirs, même les plus surprenants : « C’est pas cher et on peut et ses consommations), entre les haut-parleurs tournés vers la plage et les
tout faire là-bas, même se faire prendre en photo avec un tigre ! » jeunes Algériens favorisés (car il faut avoir les moyens de payer son entrée
Tout le séjour ne se déroule pas à Oran, et souvent ce n’est qu’une des mecs de Trappes ils sont venus à trente ! T’as tout un quartier ! ») et
excursion depuis la ville d’origine des parents. Certains (les plus jeunes) grés » (« tu trouves toute l’Île-de-France là-bas, même des Blacks ! Y a
passent l’essentiel de leurs trois ou quatre semaines de vacances à Sétif ; se passent sur les plages privées où se retrouvent essentiellement « immi-
quelques nuits au Sheraton, à raison d’environ 200 € la nuit. Les journées
10. Dans certains discours, « la France » est mobilisée pour caractériser toutes sortes de
une grande maison en bord de mer avec des amis ; d’autres se sont offert
produits qui peuvent ne pas être typiquement français (on les trouve en Algérie), mais de nuit, alcool, prostitution, excès de vitesse...). Là-bas, Mehdi a loué
dont le goût ou la qualité ne seraient pas les mêmes : le Nutella ou les nuggets « de
France » sont présentés comme meilleurs que ceux d’Algérie.
11. Par métonymie, café où l’on peut fumer le narguilé. 41 Jennifer Bidet
12. Environ 55 €. Un repas pour deux dans une pizzéria ou un restaurant grill peut re-
venir à 10 ou 15 €.
avant d’émigrer vers la France à l’âge adulte.
désigner des personnes résidant en France mais qui sont nées et ont grandi en Algérie,
est littéralement l’habitant du bled, l’Algérien résidant en Algérie. Le terme peut aussi 42 Vacances au bled et rapports aux origines
gérienne), le mot renvoie à deux groupes qu’il est important de distinguer. Ici, le blédard
« immigré » que c’est un « blédard », c’est valoriser sa bonne intégration dans la société al-
d’autres, comme Mehdi, ne font que de brefs passages dans la maison fa-
manque de culture ou de savoir-vivre, jugé un peu rustre), parfois positives (dire d’un
dehors de ses connotations souvent négatives (un blédard est alors stigmatisé pour son
13. Comme le mot bled, celui de blédard peut renvoyer à des significations distinctes. En miliale. Mais même à Sétif, on prolonge une certaine manière d’habiter
qui reproduit les habitudes de la vie quotidienne : certains préfèrent ex-
fin des années 2000, l’Algérie a retrouvé une certaine stabilité politique, plicitement manger des pizzas ou des nuggets ramenés de France plutôt
un effet de génération qui les distingue de leurs aînés au même âge : à la que des plats traditionnels ; on fréquente certains cafés ou restaurants clés
ties au café ne seraient plus envisageables. Enfin, on peut aussi identifier où l’on sait qu’on retrouvera des jeunes « immigrés » (dont l’âge varie
avec ses copains, parce qu’elle devait se marier dans l’année et que les sor- généralement entre 12 et 25 ans) ; on se couche tard après avoir fumé
en 2010 que c’était la dernière fois qu’elle passait ses vacances à « délirer » des chichas entre amis et regardé des films chez soi (ou joué à des jeux
tré à Sétif ont autour de 25 ans. Une jeune fille annonçait par exemple vidéos), on se lève tard, plutôt que de suivre le rythme des « blédards13 »
pratiques. Ce n’est pas un hasard si les plus âgés dans le groupe rencon- qui se lèvent tôt pour éviter les grandes chaleurs de l’été. À Sétif comme
ce groupe : au fil des années, le changement de statut conjugal modifie les à Oran, le bermuda s’arrêtant en bas de la cuisse est de mise même si, en
plôme et du lieu de résidence, l’âge est un facteur clé pour comprendre pays musulman, les hommes doivent normalement cacher leurs genoux.
adroitement des chemins sinueux de l’intérim. En plus du niveau de di- De leur côté, si elles disent faire des efforts pour ne pas se faire siffler dans
même si certains ont poursuivi des études jusqu’au BTS et sont sortis la rue, les filles portent des tenues relativement moulantes.
res professionnelles ou technologiques), voire précocement interrompu, Au final, pour les représentants de ce groupe, les vacances en Algérie
Généralement leur parcours scolaire est relativement modeste (filiè- sont surtout l’occasion de reconstituer un entre-soi où peuvent s’intégrer
cités françaises, où vivent d’ailleurs une grande part d’entre eux. quelques amis algériens, mais qui est dominé par les manières d’être et
des signes d’identification qui rappellent ceux des jeunes habitants des de parler auxquels ils sont habitués en France. Cette mise à distance du
quartier sétifien : ils précisent qu’ils sont des 750, de Tandja ou de Dallas, bled (sa nourriture, ses rythmes, parfois même ses habitants) ne signifie
identifiant Facebook. Ils peuvent même aller jusqu’à revendiquer « leur » pas qu’ils rejettent ou méprisent les origines de leurs parents. Beaucoup
tifiens) : ils sont nombreux à accoler cet adjectif à leur prénom dans leur d’entre eux sont satisfaits de revenir chaque année et fiers d’être staifi (sé-
d’entre eux sont satisfaits de revenir chaque année et fiers d’être staifi (sé- tifiens) : ils sont nombreux à accoler cet adjectif à leur prénom dans leur
pas qu’ils rejettent ou méprisent les origines de leurs parents. Beaucoup identifiant Facebook. Ils peuvent même aller jusqu’à revendiquer « leur »
bled (sa nourriture, ses rythmes, parfois même ses habitants) ne signifie quartier sétifien : ils précisent qu’ils sont des 750, de Tandja ou de Dallas,
de parler auxquels ils sont habitués en France. Cette mise à distance du des signes d’identification qui rappellent ceux des jeunes habitants des
quelques amis algériens, mais qui est dominé par les manières d’être et cités françaises, où vivent d’ailleurs une grande part d’entre eux.
sont surtout l’occasion de reconstituer un entre-soi où peuvent s’intégrer Généralement leur parcours scolaire est relativement modeste (filiè-
Au final, pour les représentants de ce groupe, les vacances en Algérie res professionnelles ou technologiques), voire précocement interrompu,
la rue, les filles portent des tenues relativement moulantes. même si certains ont poursuivi des études jusqu’au BTS et sont sortis
De leur côté, si elles disent faire des efforts pour ne pas se faire siffler dans adroitement des chemins sinueux de l’intérim. En plus du niveau de di-
pays musulman, les hommes doivent normalement cacher leurs genoux. plôme et du lieu de résidence, l’âge est un facteur clé pour comprendre
à Oran, le bermuda s’arrêtant en bas de la cuisse est de mise même si, en ce groupe : au fil des années, le changement de statut conjugal modifie les
qui se lèvent tôt pour éviter les grandes chaleurs de l’été. À Sétif comme pratiques. Ce n’est pas un hasard si les plus âgés dans le groupe rencon-
vidéos), on se lève tard, plutôt que de suivre le rythme des « blédards13 » tré à Sétif ont autour de 25 ans. Une jeune fille annonçait par exemple
des chichas entre amis et regardé des films chez soi (ou joué à des jeux en 2010 que c’était la dernière fois qu’elle passait ses vacances à « délirer »
généralement entre 12 et 25 ans) ; on se couche tard après avoir fumé avec ses copains, parce qu’elle devait se marier dans l’année et que les sor-
où l’on sait qu’on retrouvera des jeunes « immigrés » (dont l’âge varie ties au café ne seraient plus envisageables. Enfin, on peut aussi identifier
que des plats traditionnels ; on fréquente certains cafés ou restaurants clés un effet de génération qui les distingue de leurs aînés au même âge : à la
plicitement manger des pizzas ou des nuggets ramenés de France plutôt fin des années 2000, l’Algérie a retrouvé une certaine stabilité politique,
qui reproduit les habitudes de la vie quotidienne : certains préfèrent ex-
miliale. Mais même à Sétif, on prolonge une certaine manière d’habiter 13. Comme le mot bled, celui de blédard peut renvoyer à des significations distinctes. En
d’autres, comme Mehdi, ne font que de brefs passages dans la maison fa- dehors de ses connotations souvent négatives (un blédard est alors stigmatisé pour son
manque de culture ou de savoir-vivre, jugé un peu rustre), parfois positives (dire d’un
« immigré » que c’est un « blédard », c’est valoriser sa bonne intégration dans la société al-
gérienne), le mot renvoie à deux groupes qu’il est important de distinguer. Ici, le blédard
Vacances au bled et rapports aux origines 42 est littéralement l’habitant du bled, l’Algérien résidant en Algérie. Le terme peut aussi
désigner des personnes résidant en France mais qui sont nées et ont grandi en Algérie,
avant d’émigrer vers la France à l’âge adulte.
(dix ans), c’est son troisième séjour, et le premier avec son mari, qui n’y
Jennifer Bidet 45 nue à s’y rendre, mais de manière épisodique : depuis qu’elle est mariée
qui d’ailleurs ne parle ni ne comprend l’arabe. Aujourd’hui, elle conti-
est habituée à venir régulièrement en Algérie, contrairement à son mari
lement, dans le petit village d’où sont issus les parents de Myriam, un ou ginaires de deux départements voisins en Algérie. Depuis son enfance, elle
deux jours à la plage et le reste du temps dans sa deuxième maison. Pour de la région lyonnaise. Elle et son mari sont nés en France de parents ori-
l’avenir, Myriam n’a pas vraiment d’autres projets de vacances qu’en aujourd’hui en tant qu’assistante commerciale dans une grande entreprise
Algérie ; peut-être, dans trois ans, un grand voyage, seule avec son mari, puisqu’elle est titulaire d’un BTS action commerciale. Elle travaille
pour fêter leur anniversaire de mariage – et quand Kader suggère la banlieue est lyonnaise. Elle a suivi des études plus longues que Myriam,
destination de Tamanrasset, une ville du Sud de l’Algérie, elle s’y oppose Djamila aussi a 37 ans et habite une autre commune populaire de la
fermement : « Ah non, cette fois, pas en Algérie ! »
Ce type de vacances en Algérie est avant tout déterminé par la si- Le bled comme lieu de mémoire
tuation conjugale de Myriam : parmi les personnes rencontrées, les rares
individus qui ont fait construire leur propre résidence secondaire, séparée les normes locales.
de celle des parents, sont mariés avec des émigrés, qui sont nés et ont permet de ménager un sas entre les habitudes incorporées en France et
grandi en Algérie, où ils conservent bien souvent une grande partie de lièrement, et pour des durées d’un mois ou plus. La résidence secondaire
leur famille proche (parents, fratrie), ce qui constitue une attache très n’est que depuis qu’ils y ont construit leur maison qu’elle y revient régu-
forte avec le pays d’origine. En fonction de la catégorie sociale, du ni- parce qu’elle ne supportait pas la cohabitation avec sa belle-famille ; ce
veau de diplôme ou du motif de la migration (trouver du travail, pour- années, elle a refusé de l’accompagner pendant ses vacances en Algérie
suivre des études supérieures ou fuir des menaces politiques), le retour (35 ans, CAP, sans activité) est mariée avec un émigré ; pendant plusieurs
du conjoint primo-migrant prendra des formes différentes : certains se supporter ces séjours prolongés en Algérie. Tout comme Myriam, Souad
contentent de rapides séjours pour rendre visite à leurs parents, souvent né en France, la résidence secondaire est un élément indispensable pour
indépendamment de leur conjoint(e) et de leurs enfants ; d’autres, sou- mettant d’y réaliser des projets auparavant impossibles. Pour le conjoint
vent de condition sociale plus populaire, comme Kader (qui a le niveau mener une existence parallèle à leur vie en France, le salaire français per-
d’un baccalauréat en Algérie et a décidé de s’installer en France pour des raisons surtout économiques), souhaitent y passer tout leur temps libre et
raisons surtout économiques), souhaitent y passer tout leur temps libre et d’un baccalauréat en Algérie et a décidé de s’installer en France pour des
mener une existence parallèle à leur vie en France, le salaire français per- vent de condition sociale plus populaire, comme Kader (qui a le niveau
mettant d’y réaliser des projets auparavant impossibles. Pour le conjoint indépendamment de leur conjoint(e) et de leurs enfants ; d’autres, sou-
né en France, la résidence secondaire est un élément indispensable pour contentent de rapides séjours pour rendre visite à leurs parents, souvent
supporter ces séjours prolongés en Algérie. Tout comme Myriam, Souad du conjoint primo-migrant prendra des formes différentes : certains se
(35 ans, CAP, sans activité) est mariée avec un émigré ; pendant plusieurs suivre des études supérieures ou fuir des menaces politiques), le retour
années, elle a refusé de l’accompagner pendant ses vacances en Algérie veau de diplôme ou du motif de la migration (trouver du travail, pour-
parce qu’elle ne supportait pas la cohabitation avec sa belle-famille ; ce forte avec le pays d’origine. En fonction de la catégorie sociale, du ni-
n’est que depuis qu’ils y ont construit leur maison qu’elle y revient régu- leur famille proche (parents, fratrie), ce qui constitue une attache très
lièrement, et pour des durées d’un mois ou plus. La résidence secondaire grandi en Algérie, où ils conservent bien souvent une grande partie de
permet de ménager un sas entre les habitudes incorporées en France et de celle des parents, sont mariés avec des émigrés, qui sont nés et ont
les normes locales. individus qui ont fait construire leur propre résidence secondaire, séparée
tuation conjugale de Myriam : parmi les personnes rencontrées, les rares
Le bled comme lieu de mémoire Ce type de vacances en Algérie est avant tout déterminé par la si-
fermement : « Ah non, cette fois, pas en Algérie ! »
Djamila aussi a 37 ans et habite une autre commune populaire de la destination de Tamanrasset, une ville du Sud de l’Algérie, elle s’y oppose
banlieue est lyonnaise. Elle a suivi des études plus longues que Myriam, pour fêter leur anniversaire de mariage – et quand Kader suggère la
puisqu’elle est titulaire d’un BTS action commerciale. Elle travaille Algérie ; peut-être, dans trois ans, un grand voyage, seule avec son mari,
aujourd’hui en tant qu’assistante commerciale dans une grande entreprise l’avenir, Myriam n’a pas vraiment d’autres projets de vacances qu’en
de la région lyonnaise. Elle et son mari sont nés en France de parents ori- deux jours à la plage et le reste du temps dans sa deuxième maison. Pour
ginaires de deux départements voisins en Algérie. Depuis son enfance, elle lement, dans le petit village d’où sont issus les parents de Myriam, un ou
est habituée à venir régulièrement en Algérie, contrairement à son mari
qui d’ailleurs ne parle ni ne comprend l’arabe. Aujourd’hui, elle conti-
nue à s’y rendre, mais de manière épisodique : depuis qu’elle est mariée 45 Jennifer Bidet
(dix ans), c’est son troisième séjour, et le premier avec son mari, qui n’y
« grand colon » à qui appartenaient les terres autour de son village.
dit l’intérêt qu’elle a eu à écouter son grand-oncle raconter l’histoire du 46 Vacances au bled et rapports aux origines
guerre d’Algérie, qui sont pour elle trop nationalistes et partiaux, elle me
Même si elle se méfie un peu des discours de sa famille algérienne sur la
s’intéresser de plus près à l’histoire de l’Algérie et à son histoire familiale. a pas mis les pieds depuis vingt-trois ans. Cette fois, elle est venue pour
Djamila avoue que c’est depuis qu’elle a des enfants qu’elle s’est mise à trois semaines, accompagnée également de ses enfants. Pour elle, pas
d’ambiguïté : ce séjour, ce n’est assurément pas du tourisme ; c’est surtout
retrouver la famille et faire connaître leurs « racines » à ses enfants :
avec tout le monde. Ici, c’est comme si j’étais chez mes parents en France.
poser un peu mais malgré tout, c’est bien quand on est dans la famille,
que je dis à ma mère : c’est bien, il y a l’appart, ça nous permet de nous
tre nous, donc c’est pour ça que c’est pas très intéressant de rester ici. Ce La notion de « vacances en Algérie », pour moi, c’est la notion de famille
Ici [dans la maison des parents], quand on est là on cuisine, on mange en- et non pas de tourisme, de visite, de découvrir [...]. Je suis venue parce
que j’ai mes enfants et je me suis dit : à un moment donné, moi, je trouve
critique justement ce nouveau rythme : ça indispensable, il faut qu’ils connaissent l’Algérie, d’une manière ou
pression est de son père), notamment pour les repas et les nuits, mais elle d’une autre, même si c’est pas les vacances qu’ils ont l’habitude d’avoir ! Je
passe donc un peu plus de temps dans cette « maison de vacances » (l’ex- les ai briefés [...]. Quand j’ai dit à mes enfants qu’on y allait, j’ai dit : « Il
ses sœurs, elle aussi accompagnée de son mari et de ses enfants. Djamila y a pas de mer, y a pas de piscine. » Ils ont l’habitude d’aller en camping,
on est partis en Tunisie en hôtel, toutes les années ils ont la mer. Donc
cette année je leur ai dit : « Il y a pas ça, on va plutôt voir la famille, donc
plus aménagée et qu’ils s’y retrouvent tous en même temps qu’une de
on va pas forcément dormir dans un lit. » Ma fille qui me disait : « Mais
Cette année, la nouveauté, c’est que la maison de ses parents est un peu
en toile, mais n’adopte pas la robe « arabe », surtout pas pour sortir. c’est vrai maman ?! »
quer, c’est avec ses moyens : elle porte des tuniques larges et des pantalons
couvert. Si elle fait attention à sa tenue vestimentaire pour ne pas cho- Ne pas dormir dans un lit, c’est justement ce qui plaît à Djamila : re-
tif, Djamila se plaît à manger avec la main, un bout de galette pour tout trouver l’univers spartiate de son enfance, dans la famille de la campagne
breuses femmes utilisent des fourchettes pour manger dans le plat collec- (qu’elle trouve plus chaleureuse que celle de la ville), partager de grands
l’intérêt de ses rares séjours au bled. Dans sa famille, alors que de nom- plats collectifs, et le soir venu, jeter les freshiat au sol et se coucher tous
famille dans un arabe qu’elle assume « approximatif » – voilà pour elle ensemble, échanger encore quelques anecdotes avec les femmes de la
ensemble, échanger encore quelques anecdotes avec les femmes de la famille dans un arabe qu’elle assume « approximatif » – voilà pour elle
plats collectifs, et le soir venu, jeter les freshiat au sol et se coucher tous l’intérêt de ses rares séjours au bled. Dans sa famille, alors que de nom-
(qu’elle trouve plus chaleureuse que celle de la ville), partager de grands breuses femmes utilisent des fourchettes pour manger dans le plat collec-
trouver l’univers spartiate de son enfance, dans la famille de la campagne tif, Djamila se plaît à manger avec la main, un bout de galette pour tout
Ne pas dormir dans un lit, c’est justement ce qui plaît à Djamila : re- couvert. Si elle fait attention à sa tenue vestimentaire pour ne pas cho-
quer, c’est avec ses moyens : elle porte des tuniques larges et des pantalons
c’est vrai maman ?! » en toile, mais n’adopte pas la robe « arabe », surtout pas pour sortir.
on va pas forcément dormir dans un lit. » Ma fille qui me disait : « Mais
Cette année, la nouveauté, c’est que la maison de ses parents est un peu
plus aménagée et qu’ils s’y retrouvent tous en même temps qu’une de
cette année je leur ai dit : « Il y a pas ça, on va plutôt voir la famille, donc
ses sœurs, elle aussi accompagnée de son mari et de ses enfants. Djamila
on est partis en Tunisie en hôtel, toutes les années ils ont la mer. Donc
y a pas de mer, y a pas de piscine. » Ils ont l’habitude d’aller en camping,
les ai briefés [...]. Quand j’ai dit à mes enfants qu’on y allait, j’ai dit : « Il passe donc un peu plus de temps dans cette « maison de vacances » (l’ex-
d’une autre, même si c’est pas les vacances qu’ils ont l’habitude d’avoir ! Je pression est de son père), notamment pour les repas et les nuits, mais elle
ça indispensable, il faut qu’ils connaissent l’Algérie, d’une manière ou critique justement ce nouveau rythme :
que j’ai mes enfants et je me suis dit : à un moment donné, moi, je trouve
et non pas de tourisme, de visite, de découvrir [...]. Je suis venue parce Ici [dans la maison des parents], quand on est là on cuisine, on mange en-
La notion de « vacances en Algérie », pour moi, c’est la notion de famille tre nous, donc c’est pour ça que c’est pas très intéressant de rester ici. Ce
que je dis à ma mère : c’est bien, il y a l’appart, ça nous permet de nous
retrouver la famille et faire connaître leurs « racines » à ses enfants : poser un peu mais malgré tout, c’est bien quand on est dans la famille,
d’ambiguïté : ce séjour, ce n’est assurément pas du tourisme ; c’est surtout avec tout le monde. Ici, c’est comme si j’étais chez mes parents en France.
trois semaines, accompagnée également de ses enfants. Pour elle, pas Djamila avoue que c’est depuis qu’elle a des enfants qu’elle s’est mise à
a pas mis les pieds depuis vingt-trois ans. Cette fois, elle est venue pour s’intéresser de plus près à l’histoire de l’Algérie et à son histoire familiale.
Même si elle se méfie un peu des discours de sa famille algérienne sur la
guerre d’Algérie, qui sont pour elle trop nationalistes et partiaux, elle me
Vacances au bled et rapports aux origines 46 dit l’intérêt qu’elle a eu à écouter son grand-oncle raconter l’histoire du
« grand colon » à qui appartenaient les terres autour de son village.
Jennifer Bidet 47
et de la variation des rôles sociaux. Mais ces notions restent stimulantes
rizontale, sans hiérarchisation, de la pluralité des espaces d’identification
Les postures les plus réflexives qui investissent l’histoire familiale ou ployer. À cette lecture binaire, on pourrait préférer une lecture plus ho-
nationale sont souvent le fait d’individus à la trajectoire scolaire et sociale entre les rôles ou les facettes identitaires qui sont susceptibles de s’y dé-
plutôt ascendante, certains ayant pu acquérir par exemple des dispositions secondarité est d’introduire une hiérarchisation entre les lieux et, par là,
les incitant davantage à la pratique d’une forme de tourisme culturel. Si la l’âge, le sexe, la catégorie sociale. L’inconvénient du couple primarité /
rupture avec les parents et donc avec les origines ne s’est pas faite de ma- variables, offre la possibilité d’appropriations différenciées selon l’époque,
nière symbolique par l’ascension sociale, c’est une rupture plus matérielle ciale, le bled, qui renvoie lui-même à des espaces aux caractéristiques fort
qu’il s’agit de combler : ceux qui ne sont pas partis depuis longtemps en grande liberté économique mais parfois d’une plus grande contrainte so-
Algérie n’y ont pas les habitudes des routiniers de la destination ; ils peu- (primo-migrants ou descendants directs d’immigrés) : lieu d’une plus
vent avoir alors tendance à surinvestir les relations familiales et l’histoire tions avec le pays d’origine, que ce soit au premier ou au deuxième degré
de leur famille, laquelle permet d’expliquer les liens familiaux parfois complexes se jouent dans les rapports des populations issues de migra-
complexes auxquels ils sont concrètement confrontés. Le mariage, l’ar- Les notions de primarité et de secondarité nous ont montré quels jeux
rivée des enfants ou le fait de prendre de l’âge sont souvent présentés
comme des éléments déclencheurs de cette prise de conscience.
*
Dans ces trois portraits14, auxquels on pourrait ajouter chaque fois
d’autres cas, malgré une histoire commune (des parents venus d’Algérie, l’histoire migratoire du conjoint.
et même, plus précisément, de la région de Sétif, dans les années 1950- vie, la trajectoire scolaire et sociale, la situation conjugale – notamment
1970 ; une condition sociale relativement homogène durant leur enfance, différentes caractéristiques sociales : l’âge et la place dans le cycle de
avec des pères généralement ouvriers et des mères souvent cantonnées au manières de vivre ses origines algériennes se comprennent en articulant
foyer), les vacances passées en Algérie ne prennent pas les mêmes formes rupture et le contraste. Les différences de pratiques qui révèlent différentes
matérielles, s’inscrivent différemment en continuité et en rupture avec la mode de vie quotidien, d’autres au contraire optent plus nettement pour la
vie en France et ne révèlent pas les mêmes manières de concevoir les « ori- gines algériennes ». Si certains cherchent à reconstituer une partie de leur
gines algériennes ». Si certains cherchent à reconstituer une partie de leur vie en France et ne révèlent pas les mêmes manières de concevoir les « ori-
mode de vie quotidien, d’autres au contraire optent plus nettement pour la matérielles, s’inscrivent différemment en continuité et en rupture avec la
rupture et le contraste. Les différences de pratiques qui révèlent différentes foyer), les vacances passées en Algérie ne prennent pas les mêmes formes
manières de vivre ses origines algériennes se comprennent en articulant avec des pères généralement ouvriers et des mères souvent cantonnées au
différentes caractéristiques sociales : l’âge et la place dans le cycle de 1970 ; une condition sociale relativement homogène durant leur enfance,
vie, la trajectoire scolaire et sociale, la situation conjugale – notamment et même, plus précisément, de la région de Sétif, dans les années 1950-
l’histoire migratoire du conjoint. d’autres cas, malgré une histoire commune (des parents venus d’Algérie,
Dans ces trois portraits14, auxquels on pourrait ajouter chaque fois
* comme des éléments déclencheurs de cette prise de conscience.
rivée des enfants ou le fait de prendre de l’âge sont souvent présentés
Les notions de primarité et de secondarité nous ont montré quels jeux complexes auxquels ils sont concrètement confrontés. Le mariage, l’ar-
complexes se jouent dans les rapports des populations issues de migra- de leur famille, laquelle permet d’expliquer les liens familiaux parfois
tions avec le pays d’origine, que ce soit au premier ou au deuxième degré vent avoir alors tendance à surinvestir les relations familiales et l’histoire
(primo-migrants ou descendants directs d’immigrés) : lieu d’une plus Algérie n’y ont pas les habitudes des routiniers de la destination ; ils peu-
grande liberté économique mais parfois d’une plus grande contrainte so- qu’il s’agit de combler : ceux qui ne sont pas partis depuis longtemps en
ciale, le bled, qui renvoie lui-même à des espaces aux caractéristiques fort nière symbolique par l’ascension sociale, c’est une rupture plus matérielle
variables, offre la possibilité d’appropriations différenciées selon l’époque, rupture avec les parents et donc avec les origines ne s’est pas faite de ma-
l’âge, le sexe, la catégorie sociale. L’inconvénient du couple primarité / les incitant davantage à la pratique d’une forme de tourisme culturel. Si la
secondarité est d’introduire une hiérarchisation entre les lieux et, par là, plutôt ascendante, certains ayant pu acquérir par exemple des dispositions
entre les rôles ou les facettes identitaires qui sont susceptibles de s’y dé- nationale sont souvent le fait d’individus à la trajectoire scolaire et sociale
ployer. À cette lecture binaire, on pourrait préférer une lecture plus ho- Les postures les plus réflexives qui investissent l’histoire familiale ou
rizontale, sans hiérarchisation, de la pluralité des espaces d’identification
et de la variation des rôles sociaux. Mais ces notions restent stimulantes
47 Jennifer Bidet
Jennifer Bidet 47
et de la variation des rôles sociaux. Mais ces notions restent stimulantes
rizontale, sans hiérarchisation, de la pluralité des espaces d’identification
Les postures les plus réflexives qui investissent l’histoire familiale ou ployer. À cette lecture binaire, on pourrait préférer une lecture plus ho-
nationale sont souvent le fait d’individus à la trajectoire scolaire et sociale entre les rôles ou les facettes identitaires qui sont susceptibles de s’y dé-
plutôt ascendante, certains ayant pu acquérir par exemple des dispositions secondarité est d’introduire une hiérarchisation entre les lieux et, par là,
les incitant davantage à la pratique d’une forme de tourisme culturel. Si la l’âge, le sexe, la catégorie sociale. L’inconvénient du couple primarité /
rupture avec les parents et donc avec les origines ne s’est pas faite de ma- variables, offre la possibilité d’appropriations différenciées selon l’époque,
nière symbolique par l’ascension sociale, c’est une rupture plus matérielle ciale, le bled, qui renvoie lui-même à des espaces aux caractéristiques fort
qu’il s’agit de combler : ceux qui ne sont pas partis depuis longtemps en grande liberté économique mais parfois d’une plus grande contrainte so-
Algérie n’y ont pas les habitudes des routiniers de la destination ; ils peu- (primo-migrants ou descendants directs d’immigrés) : lieu d’une plus
vent avoir alors tendance à surinvestir les relations familiales et l’histoire tions avec le pays d’origine, que ce soit au premier ou au deuxième degré
de leur famille, laquelle permet d’expliquer les liens familiaux parfois complexes se jouent dans les rapports des populations issues de migra-
complexes auxquels ils sont concrètement confrontés. Le mariage, l’ar- Les notions de primarité et de secondarité nous ont montré quels jeux
rivée des enfants ou le fait de prendre de l’âge sont souvent présentés
comme des éléments déclencheurs de cette prise de conscience.
*
Dans ces trois portraits14, auxquels on pourrait ajouter chaque fois
d’autres cas, malgré une histoire commune (des parents venus d’Algérie, l’histoire migratoire du conjoint.
et même, plus précisément, de la région de Sétif, dans les années 1950- vie, la trajectoire scolaire et sociale, la situation conjugale – notamment
1970 ; une condition sociale relativement homogène durant leur enfance, différentes caractéristiques sociales : l’âge et la place dans le cycle de
avec des pères généralement ouvriers et des mères souvent cantonnées au manières de vivre ses origines algériennes se comprennent en articulant
foyer), les vacances passées en Algérie ne prennent pas les mêmes formes rupture et le contraste. Les différences de pratiques qui révèlent différentes
matérielles, s’inscrivent différemment en continuité et en rupture avec la mode de vie quotidien, d’autres au contraire optent plus nettement pour la
vie en France et ne révèlent pas les mêmes manières de concevoir les « ori- gines algériennes ». Si certains cherchent à reconstituer une partie de leur
gines algériennes ». Si certains cherchent à reconstituer une partie de leur vie en France et ne révèlent pas les mêmes manières de concevoir les « ori-
mode de vie quotidien, d’autres au contraire optent plus nettement pour la matérielles, s’inscrivent différemment en continuité et en rupture avec la
rupture et le contraste. Les différences de pratiques qui révèlent différentes foyer), les vacances passées en Algérie ne prennent pas les mêmes formes
manières de vivre ses origines algériennes se comprennent en articulant avec des pères généralement ouvriers et des mères souvent cantonnées au
différentes caractéristiques sociales : l’âge et la place dans le cycle de 1970 ; une condition sociale relativement homogène durant leur enfance,
vie, la trajectoire scolaire et sociale, la situation conjugale – notamment et même, plus précisément, de la région de Sétif, dans les années 1950-
l’histoire migratoire du conjoint. d’autres cas, malgré une histoire commune (des parents venus d’Algérie,
Dans ces trois portraits14, auxquels on pourrait ajouter chaque fois
* comme des éléments déclencheurs de cette prise de conscience.
rivée des enfants ou le fait de prendre de l’âge sont souvent présentés
Les notions de primarité et de secondarité nous ont montré quels jeux complexes auxquels ils sont concrètement confrontés. Le mariage, l’ar-
complexes se jouent dans les rapports des populations issues de migra- de leur famille, laquelle permet d’expliquer les liens familiaux parfois
tions avec le pays d’origine, que ce soit au premier ou au deuxième degré vent avoir alors tendance à surinvestir les relations familiales et l’histoire
(primo-migrants ou descendants directs d’immigrés) : lieu d’une plus Algérie n’y ont pas les habitudes des routiniers de la destination ; ils peu-
grande liberté économique mais parfois d’une plus grande contrainte so- qu’il s’agit de combler : ceux qui ne sont pas partis depuis longtemps en
ciale, le bled, qui renvoie lui-même à des espaces aux caractéristiques fort nière symbolique par l’ascension sociale, c’est une rupture plus matérielle
variables, offre la possibilité d’appropriations différenciées selon l’époque, rupture avec les parents et donc avec les origines ne s’est pas faite de ma-
l’âge, le sexe, la catégorie sociale. L’inconvénient du couple primarité / les incitant davantage à la pratique d’une forme de tourisme culturel. Si la
secondarité est d’introduire une hiérarchisation entre les lieux et, par là, plutôt ascendante, certains ayant pu acquérir par exemple des dispositions
entre les rôles ou les facettes identitaires qui sont susceptibles de s’y dé- nationale sont souvent le fait d’individus à la trajectoire scolaire et sociale
ployer. À cette lecture binaire, on pourrait préférer une lecture plus ho- Les postures les plus réflexives qui investissent l’histoire familiale ou
rizontale, sans hiérarchisation, de la pluralité des espaces d’identification
et de la variation des rôles sociaux. Mais ces notions restent stimulantes
47 Jennifer Bidet
49 Jennifer Bidet
Jennifer Bidet 49
49 Jennifer Bidet
queraient leur future insertion sociale. Ces approches de la ségrégation
leur quartier conduirait à des habitudes d’action spécifiques qui compli-
catégories porteuses d’autres normes sociales que celles en vigueur dans
adolescents mais aussi sur leur socialisation : l’absence de contacts avec des
tiers aurait une influence néfaste non seulement sur la réussite scolaire des
ce qui les caractérise individuellement. Le contexte urbain de ces quar-
résider dans ces quartiers serait pénalisant pour leurs habitants, au-delà de
ACCESSIBILITÉ, DISPOSITIONS ET ÉPREUVE : politique affiché d’y introduire davantage de mixité semble indiquer que
LA MOBILITÉ DES ADOLESCENTS DE ZUS FRANCILIENNES Nous avons choisi de focaliser notre étude sur les ZUS car l’objectif
les adolescents d’habiter leur quartier.
tiques de mobilité participent de ce fait aux différentes manières qu’ont
Nicolas Oppenchaim sont pas moins socialisantes (Joseph & Grafmeyer, 1979, 2004). Les pra-
actions d’une autre nature que dans ces deux sphères, mais qui n’en
quartier de résidence ou dans leur famille et donnent ainsi lieu à des inter-
Ce texte ne partage pas l’ambition de faire des mobilités l’objet cen- l’épreuve les habitudes d’action que les adolescents ont acquises dans leur
tral de la sociologie urbaine (Bassand, Kaufmann & Joye, 2001, 2007), blic urbain (Breviglieri & Cicchelli, 2007). Elles mettent notamment à
voire de la sociologie (Urry, 2005). En effet, les mobilités quotidiennes ne l’adolescence, du passage progressif du monde familier au domaine pu-
constituent pas un objet inexploré par la sociologie, que l’on pense aux par leur environnement social et résidentiel, mais sont aussi le support, à
travaux de Paul-Henry Chombart de Lauwe sur l’agglomération pari- dans la socialisation des adolescents : elles sont fortement déterminées
sienne de l’après-guerre (Paquot, 2000) ou à ceux de l’École de Chicago 2011 a). Les mobilités quotidiennes jouent en effet un rôle fondamental
(Joseph & Grafmeyer, 1979, 1984). Notre objectif, plus modeste, est de Ces deux questions ont guidé notre travail de thèse (Oppenchaim,
présenter des outils théoriques permettant d’expliquer et de comprendre différentes manières d’habiter un quartier ségrégué ?
les pratiques de mobilité quotidienne des adolescents afin de répondre traduisent-elles par des pratiques de mobilité différenciées et, au final, par
aux deux questions suivantes : les adolescents de zones urbaines sensibles adolescents de ZUS et la diversité géographique de ces quartiers se
(ZUS) ont-ils une mobilité spécifique par rapport aux adolescents fran- ciliens d’autres milieux sociaux et / ou résidentiels ? l’hétérogénéité des
ciliens d’autres milieux sociaux et / ou résidentiels ? l’hétérogénéité des (ZUS) ont-ils une mobilité spécifique par rapport aux adolescents fran-
adolescents de ZUS et la diversité géographique de ces quartiers se aux deux questions suivantes : les adolescents de zones urbaines sensibles
traduisent-elles par des pratiques de mobilité différenciées et, au final, par les pratiques de mobilité quotidienne des adolescents afin de répondre
différentes manières d’habiter un quartier ségrégué ? présenter des outils théoriques permettant d’expliquer et de comprendre
Ces deux questions ont guidé notre travail de thèse (Oppenchaim, (Joseph & Grafmeyer, 1979, 1984). Notre objectif, plus modeste, est de
2011 a). Les mobilités quotidiennes jouent en effet un rôle fondamental sienne de l’après-guerre (Paquot, 2000) ou à ceux de l’École de Chicago
dans la socialisation des adolescents : elles sont fortement déterminées travaux de Paul-Henry Chombart de Lauwe sur l’agglomération pari-
par leur environnement social et résidentiel, mais sont aussi le support, à constituent pas un objet inexploré par la sociologie, que l’on pense aux
l’adolescence, du passage progressif du monde familier au domaine pu- voire de la sociologie (Urry, 2005). En effet, les mobilités quotidiennes ne
blic urbain (Breviglieri & Cicchelli, 2007). Elles mettent notamment à tral de la sociologie urbaine (Bassand, Kaufmann & Joye, 2001, 2007),
l’épreuve les habitudes d’action que les adolescents ont acquises dans leur Ce texte ne partage pas l’ambition de faire des mobilités l’objet cen-
quartier de résidence ou dans leur famille et donnent ainsi lieu à des inter-
actions d’une autre nature que dans ces deux sphères, mais qui n’en
sont pas moins socialisantes (Joseph & Grafmeyer, 1979, 2004). Les pra- Nicolas Oppenchaim
tiques de mobilité participent de ce fait aux différentes manières qu’ont
les adolescents d’habiter leur quartier.
Nous avons choisi de focaliser notre étude sur les ZUS car l’objectif LA MOBILITÉ DES ADOLESCENTS DE ZUS FRANCILIENNES
politique affiché d’y introduire davantage de mixité semble indiquer que ACCESSIBILITÉ, DISPOSITIONS ET ÉPREUVE :
résider dans ces quartiers serait pénalisant pour leurs habitants, au-delà de
ce qui les caractérise individuellement. Le contexte urbain de ces quar-
tiers aurait une influence néfaste non seulement sur la réussite scolaire des
adolescents mais aussi sur leur socialisation : l’absence de contacts avec des
catégories porteuses d’autres normes sociales que celles en vigueur dans
leur quartier conduirait à des habitudes d’action spécifiques qui compli-
queraient leur future insertion sociale. Ces approches de la ségrégation
adjuvant de la mobilité (quand il prête sa voiture) ; dans tous les cas, il n’est
modes de transport (desserte du quartier, possession d’une automobile, n’est qu’un désagrément (quand les trains sont pleins, par exemple) ou un
du permis de conduire). Mais elles sont aussi liées au fonctionnement et placement, notamment aux interactions avec les autres citadins. Autrui
à la structure de la cellule familiale, aux capacités de programmation mobilité comme épreuve, elle ne s’intéresse guère au déroulement du dé-
des activités, à la disponibilité temporelle liée aux horaires de travail et Cette approche présente deux limites : contrairement à celle de la
à leur flexibilité (Cass, Shove & Urry, 2005). Cette approche permet l’éloignement des aménités urbaines, du revenu du ménage...
de mettre en évidence les déterminants structurels, sociaux et spatiaux la disponibilité des parents ou de frères et sœurs pour les accompagner, de
qui jouent sur les potentiels de mobilité. Cette notion de potentiel est carte d’abonnement, de la présence d’une automobile dans le ménage, de
centrale car elle différencie les déplacements effectués de la capacité des serte de ce quartier par les transports en commun, de la possession d’une
individus à se déplacer. Elle sera reprise et systématisée avec la notion dehors de leur quartier : elles varient notamment en fonction de la des-
de motilité (Kaufmann, 2001, 2007). Si les enquêtes transports consti- autres n’ont pas accès aux mêmes ressources pour réaliser des activités en
tuent l’instrument de recherche privilégié des auteurs qui mobilisent cet que les adolescents ont des potentiels de mobilité inégaux. Les uns et les
outil de l’accessibilité, ils s’appuient aussi sur d’autres matériaux (recense- Dans le cadre de notre recherche, l’étude de l’accessibilité montre
ments, matrices de temps d’accès, accès aux cartes de transport...) pour l’étalement urbain.
étudier ces potentiels1. quotidienne et mobilité résidentielle. Elle a ainsi fortement contribué à
Le passage d’un raisonnement individualisé à une approche élargie de l’automobile, a transformé les arbitrages des ménages entre mobilité
aux groupes sociaux permet de montrer, contrairement aux thèses d’une tation des potentiels de mobilité quotidienne, qui est liée à la diffusion
explosion généralisée des mobilités, qu’elles sont des pratiques sociales du temps et du budget consacrés à la mobilité. Dans ce cadre, l’augmen-
influencées par une inégale distribution de la capacité à être mobile. même, les travaux de Zahavi (1974) montrent une certaine constance
Apparaissent alors de nouvelles inégalités entre groupes sociaux, car ces ment déterminée par les durées et les coûts d’accès pour s’y rendre. De
différences de potentiel de mobilité ont des effets sur l’accès des in- la localisation des entreprises et des services est par exemple très forte-
dividus à certaines ressources. En outre, une telle approche permet de penser les effets de ces potentiels de mobilité sur la production urbaine :
penser les effets de ces potentiels de mobilité sur la production urbaine : dividus à certaines ressources. En outre, une telle approche permet de
la localisation des entreprises et des services est par exemple très forte- différences de potentiel de mobilité ont des effets sur l’accès des in-
ment déterminée par les durées et les coûts d’accès pour s’y rendre. De Apparaissent alors de nouvelles inégalités entre groupes sociaux, car ces
même, les travaux de Zahavi (1974) montrent une certaine constance influencées par une inégale distribution de la capacité à être mobile.
du temps et du budget consacrés à la mobilité. Dans ce cadre, l’augmen- explosion généralisée des mobilités, qu’elles sont des pratiques sociales
tation des potentiels de mobilité quotidienne, qui est liée à la diffusion aux groupes sociaux permet de montrer, contrairement aux thèses d’une
de l’automobile, a transformé les arbitrages des ménages entre mobilité Le passage d’un raisonnement individualisé à une approche élargie
quotidienne et mobilité résidentielle. Elle a ainsi fortement contribué à étudier ces potentiels1.
l’étalement urbain. ments, matrices de temps d’accès, accès aux cartes de transport...) pour
Dans le cadre de notre recherche, l’étude de l’accessibilité montre outil de l’accessibilité, ils s’appuient aussi sur d’autres matériaux (recense-
que les adolescents ont des potentiels de mobilité inégaux. Les uns et les tuent l’instrument de recherche privilégié des auteurs qui mobilisent cet
autres n’ont pas accès aux mêmes ressources pour réaliser des activités en de motilité (Kaufmann, 2001, 2007). Si les enquêtes transports consti-
dehors de leur quartier : elles varient notamment en fonction de la des- individus à se déplacer. Elle sera reprise et systématisée avec la notion
serte de ce quartier par les transports en commun, de la possession d’une centrale car elle différencie les déplacements effectués de la capacité des
carte d’abonnement, de la présence d’une automobile dans le ménage, de qui jouent sur les potentiels de mobilité. Cette notion de potentiel est
la disponibilité des parents ou de frères et sœurs pour les accompagner, de de mettre en évidence les déterminants structurels, sociaux et spatiaux
l’éloignement des aménités urbaines, du revenu du ménage... à leur flexibilité (Cass, Shove & Urry, 2005). Cette approche permet
Cette approche présente deux limites : contrairement à celle de la des activités, à la disponibilité temporelle liée aux horaires de travail et
mobilité comme épreuve, elle ne s’intéresse guère au déroulement du dé- à la structure de la cellule familiale, aux capacités de programmation
placement, notamment aux interactions avec les autres citadins. Autrui du permis de conduire). Mais elles sont aussi liées au fonctionnement et
n’est qu’un désagrément (quand les trains sont pleins, par exemple) ou un modes de transport (desserte du quartier, possession d’une automobile,
adjuvant de la mobilité (quand il prête sa voiture) ; dans tous les cas, il n’est
53 Nicolas Oppenchaim
1. Les enquêtes transports ne tiennent compte que des demandes exprimées : les besoins
et les désirs latents des individus qui n’ont pas pu se déplacer n’y sont pas comptabilisés.
et les désirs latents des individus qui n’ont pas pu se déplacer n’y sont pas comptabilisés.
1. Les enquêtes transports ne tiennent compte que des demandes exprimées : les besoins
Nicolas Oppenchaim 53
adjuvant de la mobilité (quand il prête sa voiture) ; dans tous les cas, il n’est
modes de transport (desserte du quartier, possession d’une automobile, n’est qu’un désagrément (quand les trains sont pleins, par exemple) ou un
du permis de conduire). Mais elles sont aussi liées au fonctionnement et placement, notamment aux interactions avec les autres citadins. Autrui
à la structure de la cellule familiale, aux capacités de programmation mobilité comme épreuve, elle ne s’intéresse guère au déroulement du dé-
des activités, à la disponibilité temporelle liée aux horaires de travail et Cette approche présente deux limites : contrairement à celle de la
à leur flexibilité (Cass, Shove & Urry, 2005). Cette approche permet l’éloignement des aménités urbaines, du revenu du ménage...
de mettre en évidence les déterminants structurels, sociaux et spatiaux la disponibilité des parents ou de frères et sœurs pour les accompagner, de
qui jouent sur les potentiels de mobilité. Cette notion de potentiel est carte d’abonnement, de la présence d’une automobile dans le ménage, de
centrale car elle différencie les déplacements effectués de la capacité des serte de ce quartier par les transports en commun, de la possession d’une
individus à se déplacer. Elle sera reprise et systématisée avec la notion dehors de leur quartier : elles varient notamment en fonction de la des-
de motilité (Kaufmann, 2001, 2007). Si les enquêtes transports consti- autres n’ont pas accès aux mêmes ressources pour réaliser des activités en
tuent l’instrument de recherche privilégié des auteurs qui mobilisent cet que les adolescents ont des potentiels de mobilité inégaux. Les uns et les
outil de l’accessibilité, ils s’appuient aussi sur d’autres matériaux (recense- Dans le cadre de notre recherche, l’étude de l’accessibilité montre
ments, matrices de temps d’accès, accès aux cartes de transport...) pour l’étalement urbain.
étudier ces potentiels1. quotidienne et mobilité résidentielle. Elle a ainsi fortement contribué à
Le passage d’un raisonnement individualisé à une approche élargie de l’automobile, a transformé les arbitrages des ménages entre mobilité
aux groupes sociaux permet de montrer, contrairement aux thèses d’une tation des potentiels de mobilité quotidienne, qui est liée à la diffusion
explosion généralisée des mobilités, qu’elles sont des pratiques sociales du temps et du budget consacrés à la mobilité. Dans ce cadre, l’augmen-
influencées par une inégale distribution de la capacité à être mobile. même, les travaux de Zahavi (1974) montrent une certaine constance
Apparaissent alors de nouvelles inégalités entre groupes sociaux, car ces ment déterminée par les durées et les coûts d’accès pour s’y rendre. De
différences de potentiel de mobilité ont des effets sur l’accès des in- la localisation des entreprises et des services est par exemple très forte-
dividus à certaines ressources. En outre, une telle approche permet de penser les effets de ces potentiels de mobilité sur la production urbaine :
penser les effets de ces potentiels de mobilité sur la production urbaine : dividus à certaines ressources. En outre, une telle approche permet de
la localisation des entreprises et des services est par exemple très forte- différences de potentiel de mobilité ont des effets sur l’accès des in-
ment déterminée par les durées et les coûts d’accès pour s’y rendre. De Apparaissent alors de nouvelles inégalités entre groupes sociaux, car ces
même, les travaux de Zahavi (1974) montrent une certaine constance influencées par une inégale distribution de la capacité à être mobile.
du temps et du budget consacrés à la mobilité. Dans ce cadre, l’augmen- explosion généralisée des mobilités, qu’elles sont des pratiques sociales
tation des potentiels de mobilité quotidienne, qui est liée à la diffusion aux groupes sociaux permet de montrer, contrairement aux thèses d’une
de l’automobile, a transformé les arbitrages des ménages entre mobilité Le passage d’un raisonnement individualisé à une approche élargie
quotidienne et mobilité résidentielle. Elle a ainsi fortement contribué à étudier ces potentiels1.
l’étalement urbain. ments, matrices de temps d’accès, accès aux cartes de transport...) pour
Dans le cadre de notre recherche, l’étude de l’accessibilité montre outil de l’accessibilité, ils s’appuient aussi sur d’autres matériaux (recense-
que les adolescents ont des potentiels de mobilité inégaux. Les uns et les tuent l’instrument de recherche privilégié des auteurs qui mobilisent cet
autres n’ont pas accès aux mêmes ressources pour réaliser des activités en de motilité (Kaufmann, 2001, 2007). Si les enquêtes transports consti-
dehors de leur quartier : elles varient notamment en fonction de la des- individus à se déplacer. Elle sera reprise et systématisée avec la notion
serte de ce quartier par les transports en commun, de la possession d’une centrale car elle différencie les déplacements effectués de la capacité des
carte d’abonnement, de la présence d’une automobile dans le ménage, de qui jouent sur les potentiels de mobilité. Cette notion de potentiel est
la disponibilité des parents ou de frères et sœurs pour les accompagner, de de mettre en évidence les déterminants structurels, sociaux et spatiaux
l’éloignement des aménités urbaines, du revenu du ménage... à leur flexibilité (Cass, Shove & Urry, 2005). Cette approche permet
Cette approche présente deux limites : contrairement à celle de la des activités, à la disponibilité temporelle liée aux horaires de travail et
mobilité comme épreuve, elle ne s’intéresse guère au déroulement du dé- à la structure de la cellule familiale, aux capacités de programmation
placement, notamment aux interactions avec les autres citadins. Autrui du permis de conduire). Mais elles sont aussi liées au fonctionnement et
n’est qu’un désagrément (quand les trains sont pleins, par exemple) ou un modes de transport (desserte du quartier, possession d’une automobile,
adjuvant de la mobilité (quand il prête sa voiture) ; dans tous les cas, il n’est
53 Nicolas Oppenchaim
1. Les enquêtes transports ne tiennent compte que des demandes exprimées : les besoins
et les désirs latents des individus qui n’ont pas pu se déplacer n’y sont pas comptabilisés.
ble des champs, à l’image de la domination masculine ?
capital de mobilité est-elle le support d’une forme de domination transversale à l’ensem-
rable d’un champ à un autre, à l’image du capital économique ? L’inégale possession du 54 Accessibilité, dispositions et épreuve
ils ne le lient jamais à celui de champ. Le capital de mobilité est-il très fortement transfé-
3. Un point aveugle subsiste néanmoins dans cette utilisation du concept de capital, car
Joye (2004) en y ajoutant un adjectif : “Motility: Mobility as a Social Capital”.
pensé que par rapport à la stratégie de déplacement. Ce qui est central ici,
ce n’est pas le déplacement en lui-même, mais ce à quoi il donne accès.
2. Lapsus étonnant, Urry modifie d’ailleurs le titre de l’article de Kaufman, Bergman &
Nicolas Oppenchaim 65
rapport pour l’US Department of Transportation, Washington.
Zahavi Yacov (1974),“Travel Time Budgets and Mobility in Urban Areas”,
Kaufmann Vincent, Bergman Manfred M. & Joye Dominique (2004), genre (mai 2014).
“Motility: Mobility as Capital”, International Journal of Urban and filles-et-garcons-des-quartiers-une-approche-des-injonctions-de-
Regional Research, vol. 28, p. 745-756. en ligne : http://i.ville.gouv.fr/index.php/reference/2650/jeunes-
Kaufmann Vincent & Widmer Éric (2005), « L’acquisition de la motilité d’intérêt public « Justice et délégation interministérielle à la Ville »,
au sein des familles. État de la question et hypothèses de recherche », des quartiers : une approche des injonctions de genre, rapport du groupement
Espaces et sociétés, no 120-121, p. 199-217. Welzer-Lang Daniel & Kebabza Horia (dir.) (2003), Jeunes filles et garçons
Lahire Bernard (2004), La Culture des individus, Paris, La Découverte, Kamnitzer, Pierre Bertrand et al. (trad.), Paris, Plon.
« Textes à l’appui ». Weber Max (1921, 1995), Économie et Société, Julien Freund, Pierre
Lemieux Cyril (2009), Le Devoir et la Grâce, Paris, Economica. Changing Nature of Childhood”, Geoforum, vol. 28, no 2, p. 219-235.
Massot Marie-Hélène & Orfeuil Jean-Pierre (2005), « La mobilité au Play: Exploring Parental Concerns About Children’s Safety and the
quotidien, entre choix individuel et production sociale », Cahiers in- Valentine Gill & McKendrick John (1997), “Children’s Outdoor
ternationaux de sociologie, no 118, p. 81-100. sociologie, vol. 33, no 1, p. 9-26.
Oppenchaim Nicolas (2009), « Mobilités quotidiennes et ségrégation : le — (2007), “Social Inequalities in Network Capital”, Revue suisse de
cas des adolescents de zones urbaines sensibles franciliennes », Espaces, logie ?, Noël Burch (trad.), Paris, Armand Colin.
populations, sociétés, no 2, p. 215-226. Urry John (2005), Sociologie des mobilités : une nouvelle frontière de la socio-
— (2011 a), Mobilité, ségrégation et socialisation : une analyse à partir des American Community, New York, Simon & Schuster.
manières d’habiter des adolescents de zones urbaines sensibles, thèse de doc- Putnam Robert D. (2000), Bowling Alone : the Collapse and Revival of
torat en sociologie, Université Paris-Est. urbaines en France », p. 15-26.
— (2011 b), « La mobilité comme accessibilité, dispositions et épreuve : no 103, « Paul-Henry Chombart de Lauwe et l’histoire des études
trois paradigmes expliquant le caractère éprouvant des déplacements à Paquot Thierry (2000), « Un sociologue à Paris », Espaces et sociétés,
Paris », Articulo, Journal of urban research, no 7, en ligne : www.articulo. revues.org/1767 (mai 2014).
revues.org/1767 (mai 2014). Paris », Articulo, Journal of urban research, no 7, en ligne : www.articulo.
Paquot Thierry (2000), « Un sociologue à Paris », Espaces et sociétés, trois paradigmes expliquant le caractère éprouvant des déplacements à
no 103, « Paul-Henry Chombart de Lauwe et l’histoire des études — (2011 b), « La mobilité comme accessibilité, dispositions et épreuve :
urbaines en France », p. 15-26. torat en sociologie, Université Paris-Est.
Putnam Robert D. (2000), Bowling Alone : the Collapse and Revival of manières d’habiter des adolescents de zones urbaines sensibles, thèse de doc-
American Community, New York, Simon & Schuster. — (2011 a), Mobilité, ségrégation et socialisation : une analyse à partir des
Urry John (2005), Sociologie des mobilités : une nouvelle frontière de la socio- populations, sociétés, no 2, p. 215-226.
logie ?, Noël Burch (trad.), Paris, Armand Colin. cas des adolescents de zones urbaines sensibles franciliennes », Espaces,
— (2007), “Social Inequalities in Network Capital”, Revue suisse de Oppenchaim Nicolas (2009), « Mobilités quotidiennes et ségrégation : le
sociologie, vol. 33, no 1, p. 9-26. ternationaux de sociologie, no 118, p. 81-100.
Valentine Gill & McKendrick John (1997), “Children’s Outdoor quotidien, entre choix individuel et production sociale », Cahiers in-
Play: Exploring Parental Concerns About Children’s Safety and the Massot Marie-Hélène & Orfeuil Jean-Pierre (2005), « La mobilité au
Changing Nature of Childhood”, Geoforum, vol. 28, no 2, p. 219-235. Lemieux Cyril (2009), Le Devoir et la Grâce, Paris, Economica.
Weber Max (1921, 1995), Économie et Société, Julien Freund, Pierre « Textes à l’appui ».
Kamnitzer, Pierre Bertrand et al. (trad.), Paris, Plon. Lahire Bernard (2004), La Culture des individus, Paris, La Découverte,
Welzer-Lang Daniel & Kebabza Horia (dir.) (2003), Jeunes filles et garçons Espaces et sociétés, no 120-121, p. 199-217.
des quartiers : une approche des injonctions de genre, rapport du groupement au sein des familles. État de la question et hypothèses de recherche »,
d’intérêt public « Justice et délégation interministérielle à la Ville », Kaufmann Vincent & Widmer Éric (2005), « L’acquisition de la motilité
en ligne : http://i.ville.gouv.fr/index.php/reference/2650/jeunes- Regional Research, vol. 28, p. 745-756.
filles-et-garcons-des-quartiers-une-approche-des-injonctions-de- “Motility: Mobility as Capital”, International Journal of Urban and
genre (mai 2014). Kaufmann Vincent, Bergman Manfred M. & Joye Dominique (2004),
Zahavi Yacov (1974),“Travel Time Budgets and Mobility in Urban Areas”,
rapport pour l’US Department of Transportation, Washington.
65 Nicolas Oppenchaim
inaperçu dans la foule ? Comment se construisent en situation urbaine
affectant autant la ville que les corps, permettant ou interdisant de passer
actions en public ? Comment aborder l’esthétisation de la vie quotidienne
au corps et à ses nombreuses médiations dans la structuration des inter-
lieux de la ville. Quels rôles jouent les apparences et les stéréotypes liés
être-vu selon son sexe, son âge, sa couleur de peau ou encore selon les
jeu. On n’est effectivement pas pris dans les mêmes logiques du voir /
POUR UNE ANTHROPOLOGIE POÉTIQUE dynamique du regard. Le corps y opère selon une multitude de mises en
DES EXPÉRIENCES URBAINES L’anonymat a les apparences d’un « corps à corps » structuré par une
qui produisent l’expérience anonyme des sujets citadins.
entrecroisement de perspectives, de pratiques, de dispositifs et de signes
Anne Jarrigeon d’une poétique au sens étymologique d’une fabrication, c’est-à-dire d’un
d’une rhétorique silencieuse (Augoyard, 1979 ; de Certeau, 1980). Il s’agit
François Augoyard et Michel de Certeau, repérant les « figures de style »
Objets classiques pour la sociologie et l’anthropologie contemporai- citadins et à l’expressivité des lieux (Sansot, 1971), ou encore de Jean-
nes, la ville et plus généralement l’urbain suscitent l’intérêt de chercheurs de Pierre Sansot, qui accordait une importance cruciale aux rêveries des
de disciplines plus récentes comme les sciences de la communication. tique. Non pas au sens des poètes et des rhéteurs ni tout à fait au sens
Elles contribuent à en renouveler l’analyse en permettant de saisir des parisiens, nombre de phénomènes urbains relèvent d’une véritable poé-
dimensions qui ont été peu prises en compte jusque-là, comme la pré- la communication et consacrée aux interactions dans les espaces publics
gnance des médias ou les usages des technologies de la communication, de l’anonymat urbain (2007 a), initiée en sciences de l’information et de
pour lesquelles elles fournissent des méthodes d’investigation spécifiques. ma thèse de doctorat, Corps à corps urbains, vers une anthropologie poétique
Par-delà l’introduction de thèmes porteurs dans le monde des études des expériences citadines. À l’instar de l’anonymat, auquel est consacrée
urbaines, ces approches reposent sur des constructions intellectuelles al- médiations matérielles, symboliques, sensorielles, en un mot esthétiques
ternatives dans lesquelles les objets urbains catalysent les réflexions épis- travail cherche à décadrer les questionnements en faisant la part belle aux
témologiques. Élaboré en dehors de la sociologie mais en dialogue avec elle, en particulier avec la tradition microsociologique américaine, mon
elle, en particulier avec la tradition microsociologique américaine, mon témologiques. Élaboré en dehors de la sociologie mais en dialogue avec
travail cherche à décadrer les questionnements en faisant la part belle aux ternatives dans lesquelles les objets urbains catalysent les réflexions épis-
médiations matérielles, symboliques, sensorielles, en un mot esthétiques urbaines, ces approches reposent sur des constructions intellectuelles al-
des expériences citadines. À l’instar de l’anonymat, auquel est consacrée Par-delà l’introduction de thèmes porteurs dans le monde des études
ma thèse de doctorat, Corps à corps urbains, vers une anthropologie poétique pour lesquelles elles fournissent des méthodes d’investigation spécifiques.
de l’anonymat urbain (2007 a), initiée en sciences de l’information et de gnance des médias ou les usages des technologies de la communication,
la communication et consacrée aux interactions dans les espaces publics dimensions qui ont été peu prises en compte jusque-là, comme la pré-
parisiens, nombre de phénomènes urbains relèvent d’une véritable poé- Elles contribuent à en renouveler l’analyse en permettant de saisir des
tique. Non pas au sens des poètes et des rhéteurs ni tout à fait au sens de disciplines plus récentes comme les sciences de la communication.
de Pierre Sansot, qui accordait une importance cruciale aux rêveries des nes, la ville et plus généralement l’urbain suscitent l’intérêt de chercheurs
citadins et à l’expressivité des lieux (Sansot, 1971), ou encore de Jean- Objets classiques pour la sociologie et l’anthropologie contemporai-
François Augoyard et Michel de Certeau, repérant les « figures de style »
d’une rhétorique silencieuse (Augoyard, 1979 ; de Certeau, 1980). Il s’agit
d’une poétique au sens étymologique d’une fabrication, c’est-à-dire d’un Anne Jarrigeon
entrecroisement de perspectives, de pratiques, de dispositifs et de signes
qui produisent l’expérience anonyme des sujets citadins.
L’anonymat a les apparences d’un « corps à corps » structuré par une DES EXPÉRIENCES URBAINES
dynamique du regard. Le corps y opère selon une multitude de mises en POUR UNE ANTHROPOLOGIE POÉTIQUE
jeu. On n’est effectivement pas pris dans les mêmes logiques du voir /
être-vu selon son sexe, son âge, sa couleur de peau ou encore selon les
lieux de la ville. Quels rôles jouent les apparences et les stéréotypes liés
au corps et à ses nombreuses médiations dans la structuration des inter-
actions en public ? Comment aborder l’esthétisation de la vie quotidienne
affectant autant la ville que les corps, permettant ou interdisant de passer
inaperçu dans la foule ? Comment se construisent en situation urbaine
Cities, avec Arnaud Brihay, Aurélie Pétrel et Lu Yanmin, musée Xuhui, Shanghai (2010).
de lieux, exposition à la galerie La Librairie, ENS-LSH, Lyon (2009), ou encore Picturing
photographies : Gerland, vues rapprochées, exposition en plein air, Lyon (2008), Gerland, état 68 Pour une anthropologie poétique des expériences urbaines
mes films La Ville au téléphone (2004) ou La Villette-vies (2007), ou de mes expositions de
1. Ils peuvent donner lieu à des formes spécifiques de restitution comme dans le cas de
la coprésence et la visibilité réciproque des individus censées caractériser
une certaine créativité, notamment méthodologique, pour penser cet objet les espaces publics urbains (Joseph, 1998) ?
L’exploration du sort et des ressorts de l’anonymat urbain a supposé J’ai choisi pour mes enquêtes d’aborder la ville par ses « espaces
hérités et rompent avec eux. publics », et de ne retenir que des lieux véritablement ouverts à tous.
de fait à l’élaboration de postures qui à la fois s’appuient sur les savoirs L’indifférence théoriquement polie et mutuelle, cette forme de réserve à
ractérisé par son interdisciplinarité (Jeanneret & Ollivier, 2004) conduit l’égard des autres autrement qualifiée d’« inattention civile » par Goffman
saisir des pratiques et des imaginaires contemporains dans ce champ ca- (1959, 1973, p. 253), est en effet indissociable d’une théorisation de l’es-
cation, il n’y a pas de tradition épistémologique constituée. Tenter de se pace commun dans les sociétés démocratiques. De Georg Simmel à Isaac
par une redéfinition des objets scientifiques. En sciences de la communi- Joseph en passant par Richard Sennett, nombreux sont ceux qui ont mis
rence que sont la sociologie, l’histoire ou encore la géographie doit passer en avant, pour penser l’urbanité, ces espaces dans lesquels l’étranger se-
L’approche des phénomènes urbains en dehors des disciplines de réfé- rait accueilli sans stigmatisation. Ces conceptions laissent assez peu de
place aux singularités portées par les corps et appellent une description
L’URBAIN, LE CORPS, LE REGARD : DES ANALYSEURS EN JEU des événements ordinaires de la vie urbaine, description reposant sur une
économie des regards qui en réalité produit de la différence.
sociologie. J’ai construit et expérimenté dans ma thèse une approche visant
la perspective d’un dialogue théorique empiriquement nourri avec la à analyser ensemble la production concrète d’espaces urbains spéci-
riences urbaines. Je présenterai peu de résultats et préférerai adopter fiques, l’imaginaire dans lesquels ils sont pris et les sociabilités ordinaires
pertinents au cœur d’une véritable anthropologie poétique des expé- qu’ils rendent possibles. J’articule pour cela plusieurs démarches : la
devenir-image contemporain contribue à la construction d’analyseurs sémiotique (du corps, de l’architecture mais aussi des images qui com-
quoi l’attention portée à la circulation sociale des savoirs, au corps et au posent nos environnements urbains), l’ethnologie critique et l’anthro-
moi de véritables outils d’investigation1. Je propose de montrer ici en pologie visuelle. Le film et la photographie constituent en effet pour
pologie visuelle. Le film et la photographie constituent en effet pour moi de véritables outils d’investigation1. Je propose de montrer ici en
posent nos environnements urbains), l’ethnologie critique et l’anthro- quoi l’attention portée à la circulation sociale des savoirs, au corps et au
sémiotique (du corps, de l’architecture mais aussi des images qui com- devenir-image contemporain contribue à la construction d’analyseurs
qu’ils rendent possibles. J’articule pour cela plusieurs démarches : la pertinents au cœur d’une véritable anthropologie poétique des expé-
fiques, l’imaginaire dans lesquels ils sont pris et les sociabilités ordinaires riences urbaines. Je présenterai peu de résultats et préférerai adopter
à analyser ensemble la production concrète d’espaces urbains spéci- la perspective d’un dialogue théorique empiriquement nourri avec la
J’ai construit et expérimenté dans ma thèse une approche visant sociologie.
économie des regards qui en réalité produit de la différence.
des événements ordinaires de la vie urbaine, description reposant sur une L’URBAIN, LE CORPS, LE REGARD : DES ANALYSEURS EN JEU
place aux singularités portées par les corps et appellent une description
rait accueilli sans stigmatisation. Ces conceptions laissent assez peu de L’approche des phénomènes urbains en dehors des disciplines de réfé-
en avant, pour penser l’urbanité, ces espaces dans lesquels l’étranger se- rence que sont la sociologie, l’histoire ou encore la géographie doit passer
Joseph en passant par Richard Sennett, nombreux sont ceux qui ont mis par une redéfinition des objets scientifiques. En sciences de la communi-
pace commun dans les sociétés démocratiques. De Georg Simmel à Isaac cation, il n’y a pas de tradition épistémologique constituée. Tenter de se
(1959, 1973, p. 253), est en effet indissociable d’une théorisation de l’es- saisir des pratiques et des imaginaires contemporains dans ce champ ca-
l’égard des autres autrement qualifiée d’« inattention civile » par Goffman ractérisé par son interdisciplinarité (Jeanneret & Ollivier, 2004) conduit
L’indifférence théoriquement polie et mutuelle, cette forme de réserve à de fait à l’élaboration de postures qui à la fois s’appuient sur les savoirs
publics », et de ne retenir que des lieux véritablement ouverts à tous. hérités et rompent avec eux.
J’ai choisi pour mes enquêtes d’aborder la ville par ses « espaces L’exploration du sort et des ressorts de l’anonymat urbain a supposé
les espaces publics urbains (Joseph, 1998) ? une certaine créativité, notamment méthodologique, pour penser cet objet
la coprésence et la visibilité réciproque des individus censées caractériser
1. Ils peuvent donner lieu à des formes spécifiques de restitution comme dans le cas de
mes films La Ville au téléphone (2004) ou La Villette-vies (2007), ou de mes expositions de
Pour une anthropologie poétique des expériences urbaines 68 photographies : Gerland, vues rapprochées, exposition en plein air, Lyon (2008), Gerland, état
de lieux, exposition à la galerie La Librairie, ENS-LSH, Lyon (2009), ou encore Picturing
Cities, avec Arnaud Brihay, Aurélie Pétrel et Lu Yanmin, musée Xuhui, Shanghai (2010).
pratiques de déchiffrement auquel il donne lieu. L’image constitue un
Anne Jarrigeon 69 de contextualisation et de politisation de l’expressivité du corps et des
les moments et les lieux de ma recherche. La ville compose un cadre actif
de ces éléments se transformant tour à tour en analyseur des autres selon
d’autant plus flou qu’il semblait tomber sous le coup d’une évidence. corps et le regard. Cette triade constitue le cœur de mon travail, chacun
L’anonymat est si facilement associé à la grande ville et aux espaces publics ticulièrement investis par les sciences sociales au xxe siècle : l’urbain, le
urbains depuis le xixe siècle qu’il n’est, curieusement, presque jamais Tenter de penser l’anonymat m’a poussée à confronter des objets par-
interrogé. Il semble en réalité avoir aussi peu intéressé les penseurs de la petits liens » (Laplantine, 2003).
ville qu’il a fasciné les artistes. La sociabilité a longtemps été pensée en l’invitant à « observer les détails » (Piette, 1996) et à repérer de « tout
référence à une convivialité de type villageoise ou communautaire. Es- rience urbaine. Il le pousse du côté du discret, de l’éphémère, du fugitif,
sayant de se distinguer d’une « anthropologie des enclaves » (Joseph, 1983, attention particulière aux dimensions sensibles et subjectives de l’expé-
1996, p. 13), Ulf Hannerz critiquait déjà dans les années 1970 le regard corps, l’anonymat des grandes villes conduit le chercheur à prêter une
porté par l’anthropologue en ville participant à la production symbolique & Brezger, 1993, p. 89). Plongeant l’individu dans un véritable corps à
de « villages urbains » (Gans, 1962). les « procédures d’accomplissement d’une étrangeté mutuelle » (Quéré
Observer la sociabilité des flux et des rassemblements publics permet mes ajustements identitaires nécessaires à ce que Louis Quéré nomme
de comprendre qu’il n’est pas si simple, en réalité, de passer inaperçu leur trivialité et de déconstruire la manière dont se produisent les infi-
ni de susciter l’indifférence polie et mutuelle que théorisait Goffman. pour moi de prendre au sérieux ces situations urbaines quotidiennes dans
Le passage d’identités d’interconnaissance à d’autres formes identitaires, tion des visages dans des dispositifs architecturaux singuliers. Il s’agissait
prises dans le ronronnement d’une inattention supposée généralisée, la foule, sur l’échange ou l’absence de regards, sur une même orienta-
mérite qu’on s’y arrête, peut-être même qu’on aborde par là certains ments de l’urbain où la sociabilité repose sur l’évitement des corps dans
des phénomènes urbains contemporains, suivant ainsi la voie ouverte L’objet de ma thèse a bien été d’analyser ce qui se joue dans les mo-
par Colette Pétonnet dans les années 1980. Dans « L’anonymat ou la contemporaine.
pellicule protectrice » (1987), elle invitait en effet les chercheurs à dé- fiante, constitue le lieu commun de bon nombre de travaux sur l’urbanité
crire cette forme particulière de réserve à l’égard d’autrui qui rend souvent négatif – sans être analysé, l’anonymat, comme catégorie uni-
possible la vie individuelle au milieu de la multitude. Ce faisant, elle amorçait un déplacement du regard jusque-là très globalisant et le plus
amorçait un déplacement du regard jusque-là très globalisant et le plus possible la vie individuelle au milieu de la multitude. Ce faisant, elle
souvent négatif – sans être analysé, l’anonymat, comme catégorie uni- crire cette forme particulière de réserve à l’égard d’autrui qui rend
fiante, constitue le lieu commun de bon nombre de travaux sur l’urbanité pellicule protectrice » (1987), elle invitait en effet les chercheurs à dé-
contemporaine. par Colette Pétonnet dans les années 1980. Dans « L’anonymat ou la
L’objet de ma thèse a bien été d’analyser ce qui se joue dans les mo- des phénomènes urbains contemporains, suivant ainsi la voie ouverte
ments de l’urbain où la sociabilité repose sur l’évitement des corps dans mérite qu’on s’y arrête, peut-être même qu’on aborde par là certains
la foule, sur l’échange ou l’absence de regards, sur une même orienta- prises dans le ronronnement d’une inattention supposée généralisée,
tion des visages dans des dispositifs architecturaux singuliers. Il s’agissait Le passage d’identités d’interconnaissance à d’autres formes identitaires,
pour moi de prendre au sérieux ces situations urbaines quotidiennes dans ni de susciter l’indifférence polie et mutuelle que théorisait Goffman.
leur trivialité et de déconstruire la manière dont se produisent les infi- de comprendre qu’il n’est pas si simple, en réalité, de passer inaperçu
mes ajustements identitaires nécessaires à ce que Louis Quéré nomme Observer la sociabilité des flux et des rassemblements publics permet
les « procédures d’accomplissement d’une étrangeté mutuelle » (Quéré de « villages urbains » (Gans, 1962).
& Brezger, 1993, p. 89). Plongeant l’individu dans un véritable corps à porté par l’anthropologue en ville participant à la production symbolique
corps, l’anonymat des grandes villes conduit le chercheur à prêter une 1996, p. 13), Ulf Hannerz critiquait déjà dans les années 1970 le regard
attention particulière aux dimensions sensibles et subjectives de l’expé- sayant de se distinguer d’une « anthropologie des enclaves » (Joseph, 1983,
rience urbaine. Il le pousse du côté du discret, de l’éphémère, du fugitif, référence à une convivialité de type villageoise ou communautaire. Es-
l’invitant à « observer les détails » (Piette, 1996) et à repérer de « tout ville qu’il a fasciné les artistes. La sociabilité a longtemps été pensée en
petits liens » (Laplantine, 2003). interrogé. Il semble en réalité avoir aussi peu intéressé les penseurs de la
Tenter de penser l’anonymat m’a poussée à confronter des objets par- urbains depuis le xixe siècle qu’il n’est, curieusement, presque jamais
ticulièrement investis par les sciences sociales au xxe siècle : l’urbain, le L’anonymat est si facilement associé à la grande ville et aux espaces publics
corps et le regard. Cette triade constitue le cœur de mon travail, chacun d’autant plus flou qu’il semblait tomber sous le coup d’une évidence.
de ces éléments se transformant tour à tour en analyseur des autres selon
les moments et les lieux de ma recherche. La ville compose un cadre actif
de contextualisation et de politisation de l’expressivité du corps et des 69 Anne Jarrigeon
pratiques de déchiffrement auquel il donne lieu. L’image constitue un
politique démocratique :
comprendre la normativité implicite de ces conceptions à partir de l’idéal « Concept d’importation » pour les sciences humaines, selon les ter-
d’inattention civile. À la suite de Claudine Haroche, on peut chercher à mes de Philippe Chanial (1992, p. 64), l’espace public est classiquement
p. 41). Il s’inscrit ainsi dans la lignée de Goffman dont il reprend l’idée entendu selon deux conceptions : un espace de visibilité et de coprésence,
s’accorder le droit d’être négligé et le donner à tous » (Joseph, 1984, ou un espace simplement commun. Les travaux portant sur les « espaces
espace public, écrit-il, est un espace où l’intrus est accepté [...]. C’est publics urbains », selon l’expression utilisée par les chercheurs de l’École
qu’il soit fait mention de son statut, c’est-à-dire dans l’indifférence. « Un de Chicago, sont, dans une telle optique, distincts de ceux qui portent sur
non à un droit d’entrée, un espace où l’étranger peut être accueilli sans l’espace public médiatique auquel s’est consacré Jürgen Habermas. Isaac
Isaac Joseph, un espace public est un espace soumis à un « droit de visite », Joseph lui-même participe à l’institution de cette coupure, en distinguant
(1908, 1984) incarne d’une certaine manière cette altérité abstraite. Pour nettement une acception kantienne, dans laquelle l’espace public est un es-
p. 10). La célèbre figure de l’« étranger » empruntée à Georg Simmel pace de débat et de controverse, acception formalisée dans une « éthique
Giorgio Agamben dans son traité sur la « singularité quelconque » (1990, procédurale de l’“agir communicationnel” » (Joseph, 1998, p. 12), d’une
« quelconque », un « quidlibet », c’est-à-dire « n’importe lequel », précise conception plus sociologique, inspirée de la microsociologie américaine
tre du « tout un chacun », qui se transforme subrepticement en un autre et dans laquelle l’espace public est un « milieu de visibilité et d’observa-
L’« utopie pratique » d’Isaac Joseph ouvre sur l’horizon de la rencon- bilité réciproque » (p. 211).
« Le passage de la conversation à la rue n’est ni sans conséquence ni
L’étranger sociologique ou la différence sans qualités sans difficulté conceptuelle », souligne Isaac Joseph (p. 13), dont le travail
propose en quelque sorte d’échapper à une « dégradation empirique des
tique » (p. 14) dans lequel les identités sont problématiques. concepts en sociologie » (Chanial, 1992, p. 64). Isaac Joseph produit une
est au contraire un « dispositif de dramatisation de l’intersubjectivité pra- définition de l’espace public restrictive mais opératoire pour les analyses
par une collectivité de voisinage » (Joseph, 1998, p. 15). L’espace public microsociologiques : elle met en évidence que l’espace public urbain
longement de l’espace privé du logement, ni même l’espace appropriable n’est pas seulement un espace libre, ouvert, « simple dégagement ou pro-
n’est pas seulement un espace libre, ouvert, « simple dégagement ou pro- longement de l’espace privé du logement, ni même l’espace appropriable
microsociologiques : elle met en évidence que l’espace public urbain par une collectivité de voisinage » (Joseph, 1998, p. 15). L’espace public
définition de l’espace public restrictive mais opératoire pour les analyses est au contraire un « dispositif de dramatisation de l’intersubjectivité pra-
concepts en sociologie » (Chanial, 1992, p. 64). Isaac Joseph produit une tique » (p. 14) dans lequel les identités sont problématiques.
propose en quelque sorte d’échapper à une « dégradation empirique des
sans difficulté conceptuelle », souligne Isaac Joseph (p. 13), dont le travail L’étranger sociologique ou la différence sans qualités
« Le passage de la conversation à la rue n’est ni sans conséquence ni
bilité réciproque » (p. 211). L’« utopie pratique » d’Isaac Joseph ouvre sur l’horizon de la rencon-
et dans laquelle l’espace public est un « milieu de visibilité et d’observa- tre du « tout un chacun », qui se transforme subrepticement en un autre
conception plus sociologique, inspirée de la microsociologie américaine « quelconque », un « quidlibet », c’est-à-dire « n’importe lequel », précise
procédurale de l’“agir communicationnel” » (Joseph, 1998, p. 12), d’une Giorgio Agamben dans son traité sur la « singularité quelconque » (1990,
pace de débat et de controverse, acception formalisée dans une « éthique p. 10). La célèbre figure de l’« étranger » empruntée à Georg Simmel
nettement une acception kantienne, dans laquelle l’espace public est un es- (1908, 1984) incarne d’une certaine manière cette altérité abstraite. Pour
Joseph lui-même participe à l’institution de cette coupure, en distinguant Isaac Joseph, un espace public est un espace soumis à un « droit de visite »,
l’espace public médiatique auquel s’est consacré Jürgen Habermas. Isaac non à un droit d’entrée, un espace où l’étranger peut être accueilli sans
de Chicago, sont, dans une telle optique, distincts de ceux qui portent sur qu’il soit fait mention de son statut, c’est-à-dire dans l’indifférence. « Un
publics urbains », selon l’expression utilisée par les chercheurs de l’École espace public, écrit-il, est un espace où l’intrus est accepté [...]. C’est
ou un espace simplement commun. Les travaux portant sur les « espaces s’accorder le droit d’être négligé et le donner à tous » (Joseph, 1984,
entendu selon deux conceptions : un espace de visibilité et de coprésence, p. 41). Il s’inscrit ainsi dans la lignée de Goffman dont il reprend l’idée
mes de Philippe Chanial (1992, p. 64), l’espace public est classiquement d’inattention civile. À la suite de Claudine Haroche, on peut chercher à
« Concept d’importation » pour les sciences humaines, selon les ter- comprendre la normativité implicite de ces conceptions à partir de l’idéal
politique démocratique :
Pour une anthropologie poétique des expériences urbaines 72 En supprimant les attentions inégalitaires, la démocratie, ignorant d’une
certaine manière ce besoin d’attention, aurait de fait imposé une égale
politique démocratique :
comprendre la normativité implicite de ces conceptions à partir de l’idéal « Concept d’importation » pour les sciences humaines, selon les ter-
d’inattention civile. À la suite de Claudine Haroche, on peut chercher à mes de Philippe Chanial (1992, p. 64), l’espace public est classiquement
p. 41). Il s’inscrit ainsi dans la lignée de Goffman dont il reprend l’idée entendu selon deux conceptions : un espace de visibilité et de coprésence,
s’accorder le droit d’être négligé et le donner à tous » (Joseph, 1984, ou un espace simplement commun. Les travaux portant sur les « espaces
espace public, écrit-il, est un espace où l’intrus est accepté [...]. C’est publics urbains », selon l’expression utilisée par les chercheurs de l’École
qu’il soit fait mention de son statut, c’est-à-dire dans l’indifférence. « Un de Chicago, sont, dans une telle optique, distincts de ceux qui portent sur
non à un droit d’entrée, un espace où l’étranger peut être accueilli sans l’espace public médiatique auquel s’est consacré Jürgen Habermas. Isaac
Isaac Joseph, un espace public est un espace soumis à un « droit de visite », Joseph lui-même participe à l’institution de cette coupure, en distinguant
(1908, 1984) incarne d’une certaine manière cette altérité abstraite. Pour nettement une acception kantienne, dans laquelle l’espace public est un es-
p. 10). La célèbre figure de l’« étranger » empruntée à Georg Simmel pace de débat et de controverse, acception formalisée dans une « éthique
Giorgio Agamben dans son traité sur la « singularité quelconque » (1990, procédurale de l’“agir communicationnel” » (Joseph, 1998, p. 12), d’une
« quelconque », un « quidlibet », c’est-à-dire « n’importe lequel », précise conception plus sociologique, inspirée de la microsociologie américaine
tre du « tout un chacun », qui se transforme subrepticement en un autre et dans laquelle l’espace public est un « milieu de visibilité et d’observa-
L’« utopie pratique » d’Isaac Joseph ouvre sur l’horizon de la rencon- bilité réciproque » (p. 211).
« Le passage de la conversation à la rue n’est ni sans conséquence ni
L’étranger sociologique ou la différence sans qualités sans difficulté conceptuelle », souligne Isaac Joseph (p. 13), dont le travail
propose en quelque sorte d’échapper à une « dégradation empirique des
tique » (p. 14) dans lequel les identités sont problématiques. concepts en sociologie » (Chanial, 1992, p. 64). Isaac Joseph produit une
est au contraire un « dispositif de dramatisation de l’intersubjectivité pra- définition de l’espace public restrictive mais opératoire pour les analyses
par une collectivité de voisinage » (Joseph, 1998, p. 15). L’espace public microsociologiques : elle met en évidence que l’espace public urbain
longement de l’espace privé du logement, ni même l’espace appropriable n’est pas seulement un espace libre, ouvert, « simple dégagement ou pro-
n’est pas seulement un espace libre, ouvert, « simple dégagement ou pro- longement de l’espace privé du logement, ni même l’espace appropriable
microsociologiques : elle met en évidence que l’espace public urbain par une collectivité de voisinage » (Joseph, 1998, p. 15). L’espace public
définition de l’espace public restrictive mais opératoire pour les analyses est au contraire un « dispositif de dramatisation de l’intersubjectivité pra-
concepts en sociologie » (Chanial, 1992, p. 64). Isaac Joseph produit une tique » (p. 14) dans lequel les identités sont problématiques.
propose en quelque sorte d’échapper à une « dégradation empirique des
sans difficulté conceptuelle », souligne Isaac Joseph (p. 13), dont le travail L’étranger sociologique ou la différence sans qualités
« Le passage de la conversation à la rue n’est ni sans conséquence ni
bilité réciproque » (p. 211). L’« utopie pratique » d’Isaac Joseph ouvre sur l’horizon de la rencon-
et dans laquelle l’espace public est un « milieu de visibilité et d’observa- tre du « tout un chacun », qui se transforme subrepticement en un autre
conception plus sociologique, inspirée de la microsociologie américaine « quelconque », un « quidlibet », c’est-à-dire « n’importe lequel », précise
procédurale de l’“agir communicationnel” » (Joseph, 1998, p. 12), d’une Giorgio Agamben dans son traité sur la « singularité quelconque » (1990,
pace de débat et de controverse, acception formalisée dans une « éthique p. 10). La célèbre figure de l’« étranger » empruntée à Georg Simmel
nettement une acception kantienne, dans laquelle l’espace public est un es- (1908, 1984) incarne d’une certaine manière cette altérité abstraite. Pour
Joseph lui-même participe à l’institution de cette coupure, en distinguant Isaac Joseph, un espace public est un espace soumis à un « droit de visite »,
l’espace public médiatique auquel s’est consacré Jürgen Habermas. Isaac non à un droit d’entrée, un espace où l’étranger peut être accueilli sans
de Chicago, sont, dans une telle optique, distincts de ceux qui portent sur qu’il soit fait mention de son statut, c’est-à-dire dans l’indifférence. « Un
publics urbains », selon l’expression utilisée par les chercheurs de l’École espace public, écrit-il, est un espace où l’intrus est accepté [...]. C’est
ou un espace simplement commun. Les travaux portant sur les « espaces s’accorder le droit d’être négligé et le donner à tous » (Joseph, 1984,
entendu selon deux conceptions : un espace de visibilité et de coprésence, p. 41). Il s’inscrit ainsi dans la lignée de Goffman dont il reprend l’idée
mes de Philippe Chanial (1992, p. 64), l’espace public est classiquement d’inattention civile. À la suite de Claudine Haroche, on peut chercher à
« Concept d’importation » pour les sciences humaines, selon les ter- comprendre la normativité implicite de ces conceptions à partir de l’idéal
politique démocratique :
Pour une anthropologie poétique des expériences urbaines 72 En supprimant les attentions inégalitaires, la démocratie, ignorant d’une
certaine manière ce besoin d’attention, aurait de fait imposé une égale
d’autre part – ce qui conduisait à faire bouger le cadre interactionniste.
Anne Jarrigeon 73 celle des apparences singulières d’une part, et celle de l’espace urbain
perspective prenant la forme d’une double tendance à la neutralisation :
en public ». J’ai cherché à échapper à l’un des effets paradoxaux de leur
inattention. On touche ici à une des apories des sociétés démocratiques : de l’efficacité des outils forgés par Goffman pour analyser les « relations
le fait d’être « également regardé » entraînerait celui d’être regardé « dans à Paris, j’étais plutôt guidée par le travail d’Isaac Joseph et convaincue
l’inattention et l’indifférence ». (Haroche, 2004, p. 149) Ensemble » (2002, p. 35). Lorsque j’ai abordé les interactions anonymes
Roland Barthes nomme « la force fantasmatique en général du Vivre-
La focalisation sur l’inattention et l’indifférence fait disparaître ce qui public urbain permet de nourrir une réflexion travaillée par ce que
relève au contraire de la remarque, de la distinction, de la stigmatisation à S’intéresser aux opérations symboliques de production de l’espace
laquelle Goffman consacre pourtant une partie importante de son œuvre.
La figure idéaltypique de l’étranger, récurrente en sociologie urbaine DES INTERACTIONS À LA MIMESIS : UNE POÉTIQUE DU CORPS SITUÉ
(même si tous les chercheurs ne la situent pas dans la seule tradition sim-
melienne), est une altérité sans qualités, désincarnée en quelque sorte, tout simplement... des passantes (Jarrigeon, 2009).
ni homme ni femme, ni jeune ni vieux, ni blanc ni noir... La variabilité adviendrait de ces espaces publics si les « passants considérables » étaient
des apparences corporelles règne pourtant en maître dans les interactions femmes en me demandant, à partir des travaux d’Isaac Joseph, ce qu’il
anonymes et soumet constamment la sociabilité au principe de l’« intri- travaillé sur l’épreuve que constitue l’espace public urbain pour les jeunes
gue » identitaire (Abel, 2001, p. 265). origines géographiques, sociales et ethniques supposées. J’ai également
En France, l’idéal démocratique pèse de façon symptomatique sur la en ville, en particulier sur ceux qui sont triplement stigmatisés par leurs
définition et l’approche des espaces publics urbains, qui sont pris entre en focalisant une partie de mon travail sur la perception des « jeunes »
des conceptions utopiques et des approches plus concrètes les réduisant à l’espace public. J’ai travaillé sur les formes de stigmatisations liées à l’âge
des espaces d’interaction en public sans spécificité. Il semble dès lors im- 2010). L’ethnicité n’est pas la seule entrée problématique sur le terrain de
portant de faire appel à la microsociologie américaine, qui aborde d’em- typiques ». J’y consacre une part de mes analyses empiriques (2004 ;
blée des questions encore trop souvent taboues en France comme les « couleur de la peau » et des traits lus encore aujourd’hui comme « phéno-
questions d’ethnicité (Wieviorka et al., 1996 ; Raulin, 2000), auxquelles je me suis aussi intéressée en n’éludant pas les modalités d’évocation de la
je me suis aussi intéressée en n’éludant pas les modalités d’évocation de la questions d’ethnicité (Wieviorka et al., 1996 ; Raulin, 2000), auxquelles
« couleur de la peau » et des traits lus encore aujourd’hui comme « phéno- blée des questions encore trop souvent taboues en France comme les
typiques ». J’y consacre une part de mes analyses empiriques (2004 ; portant de faire appel à la microsociologie américaine, qui aborde d’em-
2010). L’ethnicité n’est pas la seule entrée problématique sur le terrain de des espaces d’interaction en public sans spécificité. Il semble dès lors im-
l’espace public. J’ai travaillé sur les formes de stigmatisations liées à l’âge des conceptions utopiques et des approches plus concrètes les réduisant à
en focalisant une partie de mon travail sur la perception des « jeunes » définition et l’approche des espaces publics urbains, qui sont pris entre
en ville, en particulier sur ceux qui sont triplement stigmatisés par leurs En France, l’idéal démocratique pèse de façon symptomatique sur la
origines géographiques, sociales et ethniques supposées. J’ai également gue » identitaire (Abel, 2001, p. 265).
travaillé sur l’épreuve que constitue l’espace public urbain pour les jeunes anonymes et soumet constamment la sociabilité au principe de l’« intri-
femmes en me demandant, à partir des travaux d’Isaac Joseph, ce qu’il des apparences corporelles règne pourtant en maître dans les interactions
adviendrait de ces espaces publics si les « passants considérables » étaient ni homme ni femme, ni jeune ni vieux, ni blanc ni noir... La variabilité
tout simplement... des passantes (Jarrigeon, 2009). melienne), est une altérité sans qualités, désincarnée en quelque sorte,
(même si tous les chercheurs ne la situent pas dans la seule tradition sim-
DES INTERACTIONS À LA MIMESIS : UNE POÉTIQUE DU CORPS SITUÉ La figure idéaltypique de l’étranger, récurrente en sociologie urbaine
laquelle Goffman consacre pourtant une partie importante de son œuvre.
S’intéresser aux opérations symboliques de production de l’espace relève au contraire de la remarque, de la distinction, de la stigmatisation à
public urbain permet de nourrir une réflexion travaillée par ce que La focalisation sur l’inattention et l’indifférence fait disparaître ce qui
Roland Barthes nomme « la force fantasmatique en général du Vivre-
Ensemble » (2002, p. 35). Lorsque j’ai abordé les interactions anonymes l’inattention et l’indifférence ». (Haroche, 2004, p. 149)
à Paris, j’étais plutôt guidée par le travail d’Isaac Joseph et convaincue le fait d’être « également regardé » entraînerait celui d’être regardé « dans
de l’efficacité des outils forgés par Goffman pour analyser les « relations inattention. On touche ici à une des apories des sociétés démocratiques :
en public ». J’ai cherché à échapper à l’un des effets paradoxaux de leur
perspective prenant la forme d’une double tendance à la neutralisation :
celle des apparences singulières d’une part, et celle de l’espace urbain 73 Anne Jarrigeon
d’autre part – ce qui conduisait à faire bouger le cadre interactionniste.
de l’autre comme alter ego. Mon travail propose une approche située, à
en œuvre d’une réflexivité radicale, au fondement d’une considération 78 Pour une anthropologie poétique des expériences urbaines
dre en compte l’expérience d’autres sujets sociaux –, mais aussi la mise
un certain décentrement – nécessaire à l’empathie qui permet de pren-
des corps anonymes. Cela suppose de la part du chercheur non seulement corps dans les sociabilités ordinaires implique précisément d’analyser les
de la pluralité des pratiques interprétatives qui organisent la perception articulations subtiles, faites de reprises, d’imitations, d’inspirations, entre
duit à l’adoption d’une approche multifocale, attachée à rendre compte les corps vivants et les multiples figurations qui permettent de le saisir.
L’économie des regards à l’œuvre dans les situations d’anonymat con- Les rapports entre le vivant et le figuré sont loin d’être réductibles à une
coupure radicale, ce que l’expérience de l’urbain rappelle constamment.
PHOTOGRAPHIQUES La ville produit en effet de curieux mélanges de corps, elle organise la
LE CHERCHEUR ET SES DOUBLES : RÉFLEXIVITÉ ET EXPÉRIMENTATIONS coprésence des citadins et d’une multitude de représentations du corps
à toutes les échelles : sur les murs, les abribus, les kiosques à journaux, au
paraître. milieu des fontaines, le long des couloirs du métro, soutenant les étages
phénoménologique, de l’apparence comme modalité symbolique et du des bâtiments anciens, dans les vitrines de magasins, etc. J’ai réalisé plu-
les relations anonymes, ce qui relève de l’apparition comme événement sieurs séries photographiques saisissant ces ensembles corporels et jouant
sur le lisible » (Didi-Huberman, 1990, p. 25) permet de distinguer, dans avec les ressemblances vestimentaires ou gestuelles jusqu’à semer une
pressions et surimpressions visuelles. Le refus d’une « fermeture du visible forme de confusion perceptive entre les corps vivants et les corps figurés
regard et ce qui lui échappe, entre le visible et l’invisible, entre les im- (2005).
dément le corps à corps urbain : les écarts entre ce qui est soumis au Il s’est finalement agi pour moi de comprendre les conditions dans
bien plus les « entrelacs » (Merleau-Ponty, 1964) qui travaillent profon- lesquelles s’instaure la lisibilité des corps dans la ville. L’intelligibilité des
soumis que de façon superficielle à des processus de décodage. Ce sont apparences et les codes qui la construisent se situent en effet dans le
se joue profondément l’expérience de l’urbain. Le voir / être-vu n’est champ de la pratique interprétative quotidienne et s’articulent avec les
lisible », selon l’expression de Georges Didi-Huberman (1990, p. 10), que expériences visuelles plus généralement proposées par la ville. La sur-
monde au-delà des visibilités. Car c’est bien en dehors de la « tyrannie du face des lisibilités, qui sert de support à toute une sémiotique spontanée,
visible qui offre une perspective phénoménologique sur le rapport au fournit un socle reconnaissable, rassurant même, à une autre approche du
fournit un socle reconnaissable, rassurant même, à une autre approche du visible qui offre une perspective phénoménologique sur le rapport au
face des lisibilités, qui sert de support à toute une sémiotique spontanée, monde au-delà des visibilités. Car c’est bien en dehors de la « tyrannie du
expériences visuelles plus généralement proposées par la ville. La sur- lisible », selon l’expression de Georges Didi-Huberman (1990, p. 10), que
champ de la pratique interprétative quotidienne et s’articulent avec les se joue profondément l’expérience de l’urbain. Le voir / être-vu n’est
apparences et les codes qui la construisent se situent en effet dans le soumis que de façon superficielle à des processus de décodage. Ce sont
lesquelles s’instaure la lisibilité des corps dans la ville. L’intelligibilité des bien plus les « entrelacs » (Merleau-Ponty, 1964) qui travaillent profon-
Il s’est finalement agi pour moi de comprendre les conditions dans dément le corps à corps urbain : les écarts entre ce qui est soumis au
(2005). regard et ce qui lui échappe, entre le visible et l’invisible, entre les im-
forme de confusion perceptive entre les corps vivants et les corps figurés pressions et surimpressions visuelles. Le refus d’une « fermeture du visible
avec les ressemblances vestimentaires ou gestuelles jusqu’à semer une sur le lisible » (Didi-Huberman, 1990, p. 25) permet de distinguer, dans
sieurs séries photographiques saisissant ces ensembles corporels et jouant les relations anonymes, ce qui relève de l’apparition comme événement
des bâtiments anciens, dans les vitrines de magasins, etc. J’ai réalisé plu- phénoménologique, de l’apparence comme modalité symbolique et du
milieu des fontaines, le long des couloirs du métro, soutenant les étages paraître.
à toutes les échelles : sur les murs, les abribus, les kiosques à journaux, au
coprésence des citadins et d’une multitude de représentations du corps LE CHERCHEUR ET SES DOUBLES : RÉFLEXIVITÉ ET EXPÉRIMENTATIONS
La ville produit en effet de curieux mélanges de corps, elle organise la PHOTOGRAPHIQUES
coupure radicale, ce que l’expérience de l’urbain rappelle constamment.
Les rapports entre le vivant et le figuré sont loin d’être réductibles à une L’économie des regards à l’œuvre dans les situations d’anonymat con-
les corps vivants et les multiples figurations qui permettent de le saisir. duit à l’adoption d’une approche multifocale, attachée à rendre compte
articulations subtiles, faites de reprises, d’imitations, d’inspirations, entre de la pluralité des pratiques interprétatives qui organisent la perception
corps dans les sociabilités ordinaires implique précisément d’analyser les des corps anonymes. Cela suppose de la part du chercheur non seulement
un certain décentrement – nécessaire à l’empathie qui permet de pren-
dre en compte l’expérience d’autres sujets sociaux –, mais aussi la mise
Pour une anthropologie poétique des expériences urbaines 78 en œuvre d’une réflexivité radicale, au fondement d’une considération
de l’autre comme alter ego. Mon travail propose une approche située, à
être celle de mon objet, n’en est pas moins constitutive de ma propre
Anne Jarrigeon 79 interprétations triviales dessine l’espace d’une intersémioticité qui, pour
de son énonciation. La circulation des signes auxquels s’accrochent les
peut faire l’économie de sa propre poéticité, c’est-à-dire de la matérialité
partir de ma propre posture et de ce qu’elle me permettait d’expérimen- poétique dans laquelle ma pratique photographique trouve sa place ne
ter de l’anonymat comme expérience collective et individuelle. Nourrie par un intérêt pour la plasticité du monde, l’anthropologie
L’analyse des modalités concrètes de production de l’anonymat par fragilité de la présence dans l’espace public.
certains individus multipliant les « stigmates » et celle des effets de ma même servait l’analyse en catalysant la réflexion sur la légitimité et la
propre présence de jeune femme dans les interactions anonymes, m’ont des interactions visuelles qui m’intéressaient. L’acte photographique lui-
permis de mettre au jour certaines spécificités des performativités en jeu. Dans mon travail sur l’anonymat, faire des images me situait au cœur
Par exemple, les conceptions neutralisantes des interactions dans les espa- d’un usage plus attendu de la photographie documentaire scientifique.
ces publics urbains ne résistent pas à une analyse des rapports sociaux de situations urbaines sur le mode de l’enregistrement mécanique, à rebours
sexe qui s’y déroulent. La ville présente en effet des scènes d’exposition exploitation réflexive. Il ne s’agit jamais pour moi de documenter les
dans lesquelles les femmes, surtout si elles sont jeunes, ont beaucoup à Ma pratique du film et de la photographie se situe très souvent dans cette
faire pour se produire comme des présences légitimes (Jarrigeon, 2009). plus conjoncturelle, provoquée par mon statut apparent de photographe.
Elles expérimentent quotidiennement l’impossible « réversibilité » des rain : celle, proprement corporelle, liée à ma condition féminine et celle,
perspectives et des « observabilités » qui sont pourtant érigées en principe composite, tirée entre deux formes d’implications subjectives sur le ter-
de fonctionnement des espaces publics. Elles font l’objet d’une hyper- Cet usage expérimental de la photographie a nourri une réflexivité
exposition aux regards, masculins comme féminins, et sont soumises à visibilités qui instituent le corps comme objet visuel.
une discipline du corps particulièrement contraignante ainsi qu’à un voir / être-vu et en me soustrayant ainsi momentanément au régime des
contrôle de leurs propres manières de regarder. Cette approche genrée me produisant moi-même comme un œil au cœur de la dynamique du
de la production de soi dans des espaces traditionnellement pensés à avec un appareil photo et une caméra. J’ai pu redéfinir les situations en
partir de leur accessibilité de principe a été d’autant plus intéressante à soumises les jeunes femmes, lorsque j’ai commencé à parcourir la ville
conduire qu’elle s’avérait relativement peu explorée, alors même que les d’échapper un peu à cette assignation à être regardée à laquelle sont
murs des villes rappellent quotidiennement la construction des regards par une figuration obsessionnelle des corps féminins. Il m’a été permis
par une figuration obsessionnelle des corps féminins. Il m’a été permis murs des villes rappellent quotidiennement la construction des regards
d’échapper un peu à cette assignation à être regardée à laquelle sont conduire qu’elle s’avérait relativement peu explorée, alors même que les
soumises les jeunes femmes, lorsque j’ai commencé à parcourir la ville partir de leur accessibilité de principe a été d’autant plus intéressante à
avec un appareil photo et une caméra. J’ai pu redéfinir les situations en de la production de soi dans des espaces traditionnellement pensés à
me produisant moi-même comme un œil au cœur de la dynamique du contrôle de leurs propres manières de regarder. Cette approche genrée
voir / être-vu et en me soustrayant ainsi momentanément au régime des une discipline du corps particulièrement contraignante ainsi qu’à un
visibilités qui instituent le corps comme objet visuel. exposition aux regards, masculins comme féminins, et sont soumises à
Cet usage expérimental de la photographie a nourri une réflexivité de fonctionnement des espaces publics. Elles font l’objet d’une hyper-
composite, tirée entre deux formes d’implications subjectives sur le ter- perspectives et des « observabilités » qui sont pourtant érigées en principe
rain : celle, proprement corporelle, liée à ma condition féminine et celle, Elles expérimentent quotidiennement l’impossible « réversibilité » des
plus conjoncturelle, provoquée par mon statut apparent de photographe. faire pour se produire comme des présences légitimes (Jarrigeon, 2009).
Ma pratique du film et de la photographie se situe très souvent dans cette dans lesquelles les femmes, surtout si elles sont jeunes, ont beaucoup à
exploitation réflexive. Il ne s’agit jamais pour moi de documenter les sexe qui s’y déroulent. La ville présente en effet des scènes d’exposition
situations urbaines sur le mode de l’enregistrement mécanique, à rebours ces publics urbains ne résistent pas à une analyse des rapports sociaux de
d’un usage plus attendu de la photographie documentaire scientifique. Par exemple, les conceptions neutralisantes des interactions dans les espa-
Dans mon travail sur l’anonymat, faire des images me situait au cœur permis de mettre au jour certaines spécificités des performativités en jeu.
des interactions visuelles qui m’intéressaient. L’acte photographique lui- propre présence de jeune femme dans les interactions anonymes, m’ont
même servait l’analyse en catalysant la réflexion sur la légitimité et la certains individus multipliant les « stigmates » et celle des effets de ma
fragilité de la présence dans l’espace public. L’analyse des modalités concrètes de production de l’anonymat par
Nourrie par un intérêt pour la plasticité du monde, l’anthropologie ter de l’anonymat comme expérience collective et individuelle.
poétique dans laquelle ma pratique photographique trouve sa place ne partir de ma propre posture et de ce qu’elle me permettait d’expérimen-
peut faire l’économie de sa propre poéticité, c’est-à-dire de la matérialité
de son énonciation. La circulation des signes auxquels s’accrochent les
interprétations triviales dessine l’espace d’une intersémioticité qui, pour 79 Anne Jarrigeon
être celle de mon objet, n’en est pas moins constitutive de ma propre
être celle de mon objet, n’en est pas moins constitutive de ma propre
Anne Jarrigeon 79 interprétations triviales dessine l’espace d’une intersémioticité qui, pour
de son énonciation. La circulation des signes auxquels s’accrochent les
peut faire l’économie de sa propre poéticité, c’est-à-dire de la matérialité
partir de ma propre posture et de ce qu’elle me permettait d’expérimen- poétique dans laquelle ma pratique photographique trouve sa place ne
ter de l’anonymat comme expérience collective et individuelle. Nourrie par un intérêt pour la plasticité du monde, l’anthropologie
L’analyse des modalités concrètes de production de l’anonymat par fragilité de la présence dans l’espace public.
certains individus multipliant les « stigmates » et celle des effets de ma même servait l’analyse en catalysant la réflexion sur la légitimité et la
propre présence de jeune femme dans les interactions anonymes, m’ont des interactions visuelles qui m’intéressaient. L’acte photographique lui-
permis de mettre au jour certaines spécificités des performativités en jeu. Dans mon travail sur l’anonymat, faire des images me situait au cœur
Par exemple, les conceptions neutralisantes des interactions dans les espa- d’un usage plus attendu de la photographie documentaire scientifique.
ces publics urbains ne résistent pas à une analyse des rapports sociaux de situations urbaines sur le mode de l’enregistrement mécanique, à rebours
sexe qui s’y déroulent. La ville présente en effet des scènes d’exposition exploitation réflexive. Il ne s’agit jamais pour moi de documenter les
dans lesquelles les femmes, surtout si elles sont jeunes, ont beaucoup à Ma pratique du film et de la photographie se situe très souvent dans cette
faire pour se produire comme des présences légitimes (Jarrigeon, 2009). plus conjoncturelle, provoquée par mon statut apparent de photographe.
Elles expérimentent quotidiennement l’impossible « réversibilité » des rain : celle, proprement corporelle, liée à ma condition féminine et celle,
perspectives et des « observabilités » qui sont pourtant érigées en principe composite, tirée entre deux formes d’implications subjectives sur le ter-
de fonctionnement des espaces publics. Elles font l’objet d’une hyper- Cet usage expérimental de la photographie a nourri une réflexivité
exposition aux regards, masculins comme féminins, et sont soumises à visibilités qui instituent le corps comme objet visuel.
une discipline du corps particulièrement contraignante ainsi qu’à un voir / être-vu et en me soustrayant ainsi momentanément au régime des
contrôle de leurs propres manières de regarder. Cette approche genrée me produisant moi-même comme un œil au cœur de la dynamique du
de la production de soi dans des espaces traditionnellement pensés à avec un appareil photo et une caméra. J’ai pu redéfinir les situations en
partir de leur accessibilité de principe a été d’autant plus intéressante à soumises les jeunes femmes, lorsque j’ai commencé à parcourir la ville
conduire qu’elle s’avérait relativement peu explorée, alors même que les d’échapper un peu à cette assignation à être regardée à laquelle sont
murs des villes rappellent quotidiennement la construction des regards par une figuration obsessionnelle des corps féminins. Il m’a été permis
par une figuration obsessionnelle des corps féminins. Il m’a été permis murs des villes rappellent quotidiennement la construction des regards
d’échapper un peu à cette assignation à être regardée à laquelle sont conduire qu’elle s’avérait relativement peu explorée, alors même que les
soumises les jeunes femmes, lorsque j’ai commencé à parcourir la ville partir de leur accessibilité de principe a été d’autant plus intéressante à
avec un appareil photo et une caméra. J’ai pu redéfinir les situations en de la production de soi dans des espaces traditionnellement pensés à
me produisant moi-même comme un œil au cœur de la dynamique du contrôle de leurs propres manières de regarder. Cette approche genrée
voir / être-vu et en me soustrayant ainsi momentanément au régime des une discipline du corps particulièrement contraignante ainsi qu’à un
visibilités qui instituent le corps comme objet visuel. exposition aux regards, masculins comme féminins, et sont soumises à
Cet usage expérimental de la photographie a nourri une réflexivité de fonctionnement des espaces publics. Elles font l’objet d’une hyper-
composite, tirée entre deux formes d’implications subjectives sur le ter- perspectives et des « observabilités » qui sont pourtant érigées en principe
rain : celle, proprement corporelle, liée à ma condition féminine et celle, Elles expérimentent quotidiennement l’impossible « réversibilité » des
plus conjoncturelle, provoquée par mon statut apparent de photographe. faire pour se produire comme des présences légitimes (Jarrigeon, 2009).
Ma pratique du film et de la photographie se situe très souvent dans cette dans lesquelles les femmes, surtout si elles sont jeunes, ont beaucoup à
exploitation réflexive. Il ne s’agit jamais pour moi de documenter les sexe qui s’y déroulent. La ville présente en effet des scènes d’exposition
situations urbaines sur le mode de l’enregistrement mécanique, à rebours ces publics urbains ne résistent pas à une analyse des rapports sociaux de
d’un usage plus attendu de la photographie documentaire scientifique. Par exemple, les conceptions neutralisantes des interactions dans les espa-
Dans mon travail sur l’anonymat, faire des images me situait au cœur permis de mettre au jour certaines spécificités des performativités en jeu.
des interactions visuelles qui m’intéressaient. L’acte photographique lui- propre présence de jeune femme dans les interactions anonymes, m’ont
même servait l’analyse en catalysant la réflexion sur la légitimité et la certains individus multipliant les « stigmates » et celle des effets de ma
fragilité de la présence dans l’espace public. L’analyse des modalités concrètes de production de l’anonymat par
Nourrie par un intérêt pour la plasticité du monde, l’anthropologie ter de l’anonymat comme expérience collective et individuelle.
poétique dans laquelle ma pratique photographique trouve sa place ne partir de ma propre posture et de ce qu’elle me permettait d’expérimen-
peut faire l’économie de sa propre poéticité, c’est-à-dire de la matérialité
de son énonciation. La circulation des signes auxquels s’accrochent les
interprétations triviales dessine l’espace d’une intersémioticité qui, pour 79 Anne Jarrigeon
être celle de mon objet, n’en est pas moins constitutive de ma propre
d’une histoire de l’art, Paris, Éditions de Minuit.
Didi-Huberman Georges (1990), Devant l’image : question posée aux fins 80 Pour une anthropologie poétique des expériences urbaines
Marseille, Éditions Parenthèses, p. 13-28.
urbain en méthodes, Michèle Grosjean & Jean-Paul Thibaud (dir.),
Cosnier Jacques (2001), « L’éthologie des espaces publics », dans L’Espace écriture, entre le texte (pris dans un sens classique) qui met en jeu une
58, « Espaces publics en ville », p. 7-16. intertextualité scientifique et littéraire, et l’image qui s’inscrit dans un
sensibles : le regard sur la ville », Annales de la recherche urbaine, no 57- système plus ou moins contrôlé de références formelles.
Chelkoff Grégoire & Thibaud Jean-Paul (1992), « L’espace public, modes L’entrecroisement des savoirs à l’œuvre dans ce qui relève d’une vérita-
naire d’analyse du discours, Paris, Seuil. ble polyphonie des apparences implique bel et bien une démarche attachée
Charaudeau Patrick & Mainguenau Dominique (dir.) (2002), Diction- à rendre compte du tissage des regards et des modes d’exposition du corps
Union générale d’éditions. dans des cadres matériels actifs. Parti d’un double regard critique porté sur
Certeau Michel de (1980), L’Invention du quotidien, 1. Arts de faire, Paris, les conceptions des espaces publics urbains et sur les approches de l’ex-
Quaderni, no 18, p. 63-73. pressivité du corps le plus souvent soumis à des procédures de décodage
Chanial Philippe (1992), « L’espace public entre idéologie et métaphore », systématique, mon travail sur l’anonymat m’a conduit à élaborer une ap-
France, 1976-1977, Paris, Seuil. proche intermédiatique sensible et volontiers expérimentale. Les compo-
de quelques espaces quotidiens. Notes de cours et de séminaires au Collège de santes de l’anthropologie poétique ainsi dessinée sont hétérogènes. L’urbain,
Barthes Roland (2002), Comment vivre ensemble : simulations romanesques le corps et le regard s’y rencontrent de façon dynamique. Je m’attache à la
Fradier (trad.), Paris, Press Pocket. fois à la matérialité des dispositifs et des espaces, aux imaginaires, à la cir-
Arendt Hannah (1958, 1993), La Condition de l’homme moderne, Georges culation sociale des savoirs et des catégories perceptives qui l’instituent.
en milieu urbain, Paris, Seuil. Par bien des aspects, les considérations esthétiques confinent au politique,
Augoyard Jean-François (1979), Pas à pas : essai sur le cheminement quotidien tous deux travaillés par la question du sensible et du rapport à l’autre.
quelconque, Marilène Raiola (trad.), Paris, Seuil.
Agamben Giorgio (1990), La Communauté qui vient : théorie de la singularité Bibliographie
Paris, L’Harmattan, p. 263-280.
dans Figures de l’anonymat : médias et société, Frédéric Lambert (dir.), Abel Olivier (2001), « Petite éthique de l’anonymat et de la renommée »,
Abel Olivier (2001), « Petite éthique de l’anonymat et de la renommée », dans Figures de l’anonymat : médias et société, Frédéric Lambert (dir.),
Paris, L’Harmattan, p. 263-280.
Bibliographie Agamben Giorgio (1990), La Communauté qui vient : théorie de la singularité
quelconque, Marilène Raiola (trad.), Paris, Seuil.
tous deux travaillés par la question du sensible et du rapport à l’autre. Augoyard Jean-François (1979), Pas à pas : essai sur le cheminement quotidien
Par bien des aspects, les considérations esthétiques confinent au politique, en milieu urbain, Paris, Seuil.
culation sociale des savoirs et des catégories perceptives qui l’instituent. Arendt Hannah (1958, 1993), La Condition de l’homme moderne, Georges
fois à la matérialité des dispositifs et des espaces, aux imaginaires, à la cir- Fradier (trad.), Paris, Press Pocket.
le corps et le regard s’y rencontrent de façon dynamique. Je m’attache à la Barthes Roland (2002), Comment vivre ensemble : simulations romanesques
santes de l’anthropologie poétique ainsi dessinée sont hétérogènes. L’urbain, de quelques espaces quotidiens. Notes de cours et de séminaires au Collège de
proche intermédiatique sensible et volontiers expérimentale. Les compo- France, 1976-1977, Paris, Seuil.
systématique, mon travail sur l’anonymat m’a conduit à élaborer une ap- Chanial Philippe (1992), « L’espace public entre idéologie et métaphore »,
pressivité du corps le plus souvent soumis à des procédures de décodage Quaderni, no 18, p. 63-73.
les conceptions des espaces publics urbains et sur les approches de l’ex- Certeau Michel de (1980), L’Invention du quotidien, 1. Arts de faire, Paris,
dans des cadres matériels actifs. Parti d’un double regard critique porté sur Union générale d’éditions.
à rendre compte du tissage des regards et des modes d’exposition du corps Charaudeau Patrick & Mainguenau Dominique (dir.) (2002), Diction-
ble polyphonie des apparences implique bel et bien une démarche attachée naire d’analyse du discours, Paris, Seuil.
L’entrecroisement des savoirs à l’œuvre dans ce qui relève d’une vérita- Chelkoff Grégoire & Thibaud Jean-Paul (1992), « L’espace public, modes
système plus ou moins contrôlé de références formelles. sensibles : le regard sur la ville », Annales de la recherche urbaine, no 57-
intertextualité scientifique et littéraire, et l’image qui s’inscrit dans un 58, « Espaces publics en ville », p. 7-16.
écriture, entre le texte (pris dans un sens classique) qui met en jeu une Cosnier Jacques (2001), « L’éthologie des espaces publics », dans L’Espace
urbain en méthodes, Michèle Grosjean & Jean-Paul Thibaud (dir.),
Marseille, Éditions Parenthèses, p. 13-28.
Pour une anthropologie poétique des expériences urbaines 80 Didi-Huberman Georges (1990), Devant l’image : question posée aux fins
d’une histoire de l’art, Paris, Éditions de Minuit.
1. Les noms de lieux et de personnes ont été changés afin de préserver l’anonymat des
ménages rencontrés.
2. Nous reprenons ici la notion de classes populaires qu’Olivier Schwartz (1998) définit
autour de deux éléments, la position sociale dominée et la distance à la culture dominante.
Cette notion apparaît en effet moins restrictive que celle de « classe ouvrière », qui ne per-
met plus aujourd’hui de saisir la diversité interne des classes populaires.
1. Les noms de lieux et de personnes ont été changés afin de préserver l’anonymat des
ménages rencontrés.
2. Nous reprenons ici la notion de classes populaires qu’Olivier Schwartz (1998) définit
autour de deux éléments, la position sociale dominée et la distance à la culture dominante.
Cette notion apparaît en effet moins restrictive que celle de « classe ouvrière », qui ne per-
met plus aujourd’hui de saisir la diversité interne des classes populaires.
(2004), ou encore le modèle de la « ville à trois vitesses » du sociologue
paratisme » des classes moyennes, défendue par l’économiste Éric Maurin 86 Des classes populaires en recomposition dans le périurbain
moyennes dont les contours restent parfois peu définis : la thèse du « sé-
au mode de vie pavillonnaire chez de nombreux ménages des classes
sidentielles a alors été décrite comme le signe d’aspirations généralisées pavillonnaires des classes populaires, a ainsi été menée dans une commune
veau suscité l’intérêt des sciences sociales. L’expansion de ces zones ré- rurale de la Riboire (le territoire de la Riboire est composé de 3 can-
qu’au début des années 2000 que les territoires périurbains ont de nou- tons et rassemble 33 communes). La recherche a ensuite été guidée par
portant sur les pavillonnaires des « nouvelles classes moyennes », ce n’est le souci d’inscrire ces trajectoires dans leurs « contextes de pertinence »
Après le travail pionnier de Catherine Bidou-Zachariasen (1984) (Chamboredon, 2004, p. 310), en croisant les matériaux recueillis avec une
exploitation secondaire des recensements de l’INSEE ainsi qu’avec des
DES ESPACES FORTEMENT DIFFÉRENCIÉS données portant sur le bassin d’emploi local. Travailler à une échelle ter-
AU-DELÀ DE LA CATÉGORIE « DU » PÉRIURBAIN : ritoriale relativement restreinte, celle du canton, a alors permis d’aller
au-delà des catégories socioprofessionnelles, agrégées en six postes, pour
& Préteceille, 2011, p. 203). appréhender finement les dynamiques affectant les différentes fractions
eux ne résident plus « dans des quartiers typiquement ouvriers » (Oberti du salariat industriel résidant dans ce territoire.
travaillent dans des pôles d’emploi périurbains et où une majorité d’entre Nous présentons d’abord les évolutions affectant les espaces péri-
populaires, à l’heure où un nombre croissant d’ouvriers et d’employées ur-bains au cours des années 1980 et 1990, évolutions beaucoup plus
possibilité d’éclairer certaines recompositions en cours parmi les classes contrastées que ne le donnerait à penser une vision homogénéisante des
trajectoires résidentielles, apparaît alors comme une approche offrant la zones pavillonnaires. Nous décrivons ensuite les liens, relevés à partir
bain, croisant questionnements sur la stratification sociale et analyse des du cas de la Riboire, entre relocalisation des emplois et urbanisation
des quartiers d’habitat social. L’analyse localisée d’un territoire périur- pavillonnaire à la périphérie des grandes agglomérations, avant d’aborder
carisées des classes populaires qui constituent une part de la population les processus qui concourent à faire de ce territoire un espace d’acces-
vriers des anciens grands bastions industriels ou encore des fractions pré- sion quasi réservé aux ménages appartenant au salariat intermédiaire ou
moyennes, se distinguent également des figures mieux connues des ou- d’exécution du secteur de l’industrie.
s’ils ne peuvent être assimilés aux fractions plus diplômées des classes Il s’agit de montrer que ces pavillonnaires des classes populaires,
Il s’agit de montrer que ces pavillonnaires des classes populaires, s’ils ne peuvent être assimilés aux fractions plus diplômées des classes
d’exécution du secteur de l’industrie. moyennes, se distinguent également des figures mieux connues des ou-
sion quasi réservé aux ménages appartenant au salariat intermédiaire ou vriers des anciens grands bastions industriels ou encore des fractions pré-
les processus qui concourent à faire de ce territoire un espace d’acces- carisées des classes populaires qui constituent une part de la population
pavillonnaire à la périphérie des grandes agglomérations, avant d’aborder des quartiers d’habitat social. L’analyse localisée d’un territoire périur-
du cas de la Riboire, entre relocalisation des emplois et urbanisation bain, croisant questionnements sur la stratification sociale et analyse des
zones pavillonnaires. Nous décrivons ensuite les liens, relevés à partir trajectoires résidentielles, apparaît alors comme une approche offrant la
contrastées que ne le donnerait à penser une vision homogénéisante des possibilité d’éclairer certaines recompositions en cours parmi les classes
ur-bains au cours des années 1980 et 1990, évolutions beaucoup plus populaires, à l’heure où un nombre croissant d’ouvriers et d’employées
Nous présentons d’abord les évolutions affectant les espaces péri- travaillent dans des pôles d’emploi périurbains et où une majorité d’entre
du salariat industriel résidant dans ce territoire. eux ne résident plus « dans des quartiers typiquement ouvriers » (Oberti
appréhender finement les dynamiques affectant les différentes fractions & Préteceille, 2011, p. 203).
au-delà des catégories socioprofessionnelles, agrégées en six postes, pour
ritoriale relativement restreinte, celle du canton, a alors permis d’aller AU-DELÀ DE LA CATÉGORIE « DU » PÉRIURBAIN :
données portant sur le bassin d’emploi local. Travailler à une échelle ter- DES ESPACES FORTEMENT DIFFÉRENCIÉS
exploitation secondaire des recensements de l’INSEE ainsi qu’avec des
(Chamboredon, 2004, p. 310), en croisant les matériaux recueillis avec une Après le travail pionnier de Catherine Bidou-Zachariasen (1984)
le souci d’inscrire ces trajectoires dans leurs « contextes de pertinence » portant sur les pavillonnaires des « nouvelles classes moyennes », ce n’est
tons et rassemble 33 communes). La recherche a ensuite été guidée par qu’au début des années 2000 que les territoires périurbains ont de nou-
rurale de la Riboire (le territoire de la Riboire est composé de 3 can- veau suscité l’intérêt des sciences sociales. L’expansion de ces zones ré-
pavillonnaires des classes populaires, a ainsi été menée dans une commune sidentielles a alors été décrite comme le signe d’aspirations généralisées
au mode de vie pavillonnaire chez de nombreux ménages des classes
moyennes dont les contours restent parfois peu définis : la thèse du « sé-
Des classes populaires en recomposition dans le périurbain 86 paratisme » des classes moyennes, défendue par l’économiste Éric Maurin
(2004), ou encore le modèle de la « ville à trois vitesses » du sociologue
ment un espace périurbain étroitement associé au mode de vie des classes moyennes.
Dans la lignée de ce modèle, la géographe Marie-Christine Jaillet (2004) décrit égale-
Violaine Girard 87 moyennes, la relégation des classes populaires dans les cités d’habitat social dégradées.
ville par les ménages des classes supérieures, la périurbanisation menée par les classes
peint les processus affectant chacun de ces types d’espaces : la gentrification des centres-
Jacques Donzelot (2004)3 font ainsi des « choix » résidentiels des ména-
3. Construit autour d’une tripartition des espaces résidentiels urbains, ce modèle dé-
janvier 2006.
reste de l’aire urbaine). « Portrait de la vallée périurbaine de la Riboire », INSEE région,
prenant actifs et non-actifs) de 6 600 personnes (dont 6 100 personnes originaires du 94 Des classes populaires en recomposition dans le périurbain
est celui des professions intermédiaires (+ 1 100), pour un gain migratoire total (com-
12. Dans l’ensemble de la vallée, entre 1990 et 1999, le gain migratoire le plus important
sement de la population, Centre Maurice Halbwachs.
1990, près de 40 % de la population des trois cantons de la Riboire se com-
pose de nouveaux résidents installés au cours de la décennie précédente.
11. INSEE, recensements de 1982, 1990 et 1999, base de données communales du recen-
de l’arrivée de cadres et professions intermédiaires. Le développement du (INSEE, recensements de 1982, 1990 et 1999).
parc industriel joue un rôle majeur dans ces processus. En s’installant dans
en emploi, dans le canton de Varieu et en moyenne nationale, de 1982 à 1999
Graphique 1. Évolution de la composition par PCS de la population active
la Riboire, les ménages des classes populaires sont en effet en mesure
d’accéder aux emplois de ce nouveau pôle industriel13. Pour certains des
supérieures
intermédiaires intellectuelles commerçants
15 %
France 1990
25 %
toire. Trois évolutions principales se jouent, au cours des années 1980 et Varieu 1982
40 %
13. La Riboire se distingue ainsi du terrain étudié par Lionel Rougé (2005) dans l’agglomé-
ration toulousaine, au sein duquel le géographe décrit de nombreux ménages d’accédants 95 Violaine Girard
comme des « captifs du périurbain », installés à distance des lieux d’emploi et fortement
contraints par des déplacements domicile-travail, coûteux en temps et en argent.
de l’arrivée de cadres et professions intermédiaires. Le développement du (INSEE, recensements de 1982, 1990 et 1999).
parc industriel joue un rôle majeur dans ces processus. En s’installant dans
en emploi, dans le canton de Varieu et en moyenne nationale, de 1982 à 1999
Graphique 1. Évolution de la composition par PCS de la population active
la Riboire, les ménages des classes populaires sont en effet en mesure
d’accéder aux emplois de ce nouveau pôle industriel13. Pour certains des
supérieures
intermédiaires intellectuelles commerçants
15 %
France 1990
25 %
toire. Trois évolutions principales se jouent, au cours des années 1980 et Varieu 1982
40 %
13. La Riboire se distingue ainsi du terrain étudié par Lionel Rougé (2005) dans l’agglomé-
ration toulousaine, au sein duquel le géographe décrit de nombreux ménages d’accédants 95 Violaine Girard
comme des « captifs du périurbain », installés à distance des lieux d’emploi et fortement
contraints par des déplacements domicile-travail, coûteux en temps et en argent.
1999 (Centre Maurice Halbwachs).
à deux chiffres. Voir le « Dictionnaire des variables » du fichier détail du recensement de
18 modalités pour les actifs, qui sont construites à partir des 31 postes d’actifs des PCS 96 Des classes populaires en recomposition dans le périurbain
au sein de laquelle des regroupements préalables sont opérés. Cette variable contient ainsi
partir de la nomenclature des catégories socioprofessionnelles à deux chiffres (42 postes),
avons travaillé à partir de la variable CS24 des recensements de l’INSEE, construite à
Hommes Femmes
permis d’effectuer des tris croisés entre PCS et sexe pour les actifs ayant un emploi. Nous PCS
détail » des recensements de 1982, 1990 et 1999 (Centre Maurice Halbwachs). Elles ont (n = 4 444) (n = 2 868)
14. Les données qui suivent sont tirées d’un traitement de données extraites des « fichiers Agriculteurs 2 % 1 %
Artisans, commerçants,
niveau élevé du taux d’ouvriers masque donc une recomposition interne 7 % 3 %
dû à la baisse des effectifs des ouvriers non qualifiés. Le maintien à un chefs d’entreprise
Cadres, professions intellectuelles
global du poids des ouvriers parmi les hommes actifs est principalement 10 % 5 %
espaces périurbains et ruraux. Dans le cas de la Riboire, l’affaiblissement supérieures
vriers qualifiés et ouvriers non qualifiés en matière de localisation dans les Professions intermédiaires 25 % 21 %
On a déjà souligné que des disparités significatives existent entre ou- Employés 8 % 49 %
Ouvriers 48 % 21 %
l’œuvre au sein et aux frontières du salariat d’exécution masculin14.
d’aiguiser le regard sociologique, en appréhendant les différenciations à
cis des catégories socioprofessionnelles à deux chiffres permet en effet Tableau 3. Actifs ayant un emploi par PCS et par sexe en 1999, canton de Varieu
tégories génériques des PCS en six postes. Le recours à l’outil plus pré- (INSEE, recensement de 1999).
de ces périurbains des classes populaires, consiste à aller au-delà des ca- À la lumière de ces données, l’augmentation de la part des employés
pour cerner plus spécifiquement les caractéristiques socioprofessionnelles parmi les actifs s’explique très largement par le développement d’un sala-
La seconde manière de poursuivre l’analyse à partir de ces constats, riat féminin peu qualifié, de façon similaire aux évolutions nationales. La
catégories populaires au sein de ce canton. catégorie des employés, composée à 80 % de femmes dans le canton de
met ainsi de faire apparaître, de façon plus nette, la prédominance des Varieu, comme en moyenne nationale, rassemble ainsi une part croissante
catégorie des actives du territoire. Cette première distinction de sexe per- des actives du canton (de 36 % en 1982 à 49 % en 1999), en lien avec la
1999, alors qu’entre 1968 et 1975 les ouvrières formaient la première hausse du taux d’activité des femmes, passé de 25 % à 34 % entre 1982 et
hausse du taux d’activité des femmes, passé de 25 % à 34 % entre 1982 et 1999, alors qu’entre 1968 et 1975 les ouvrières formaient la première
des actives du canton (de 36 % en 1982 à 49 % en 1999), en lien avec la catégorie des actives du territoire. Cette première distinction de sexe per-
Varieu, comme en moyenne nationale, rassemble ainsi une part croissante met ainsi de faire apparaître, de façon plus nette, la prédominance des
catégorie des employés, composée à 80 % de femmes dans le canton de catégories populaires au sein de ce canton.
riat féminin peu qualifié, de façon similaire aux évolutions nationales. La La seconde manière de poursuivre l’analyse à partir de ces constats,
parmi les actifs s’explique très largement par le développement d’un sala- pour cerner plus spécifiquement les caractéristiques socioprofessionnelles
À la lumière de ces données, l’augmentation de la part des employés de ces périurbains des classes populaires, consiste à aller au-delà des ca-
(INSEE, recensement de 1999). tégories génériques des PCS en six postes. Le recours à l’outil plus pré-
Tableau 3. Actifs ayant un emploi par PCS et par sexe en 1999, canton de Varieu cis des catégories socioprofessionnelles à deux chiffres permet en effet
d’aiguiser le regard sociologique, en appréhendant les différenciations à
l’œuvre au sein et aux frontières du salariat d’exécution masculin14.
21 % 48 % Ouvriers
49 % 8 % Employés On a déjà souligné que des disparités significatives existent entre ou-
21 % 25 % Professions intermédiaires vriers qualifiés et ouvriers non qualifiés en matière de localisation dans les
supérieures espaces périurbains et ruraux. Dans le cas de la Riboire, l’affaiblissement
5 % 10 %
Cadres, professions intellectuelles global du poids des ouvriers parmi les hommes actifs est principalement
chefs d’entreprise dû à la baisse des effectifs des ouvriers non qualifiés. Le maintien à un
3 % 7 %
Artisans, commerçants, niveau élevé du taux d’ouvriers masque donc une recomposition interne
1 % 2 % Agriculteurs 14. Les données qui suivent sont tirées d’un traitement de données extraites des « fichiers
(n = 2 868) (n = 4 444) détail » des recensements de 1982, 1990 et 1999 (Centre Maurice Halbwachs). Elles ont
Femmes Hommes
PCS permis d’effectuer des tris croisés entre PCS et sexe pour les actifs ayant un emploi. Nous
avons travaillé à partir de la variable CS24 des recensements de l’INSEE, construite à
partir de la nomenclature des catégories socioprofessionnelles à deux chiffres (42 postes),
au sein de laquelle des regroupements préalables sont opérés. Cette variable contient ainsi
Des classes populaires en recomposition dans le périurbain 96 18 modalités pour les actifs, qui sont construites à partir des 31 postes d’actifs des PCS
à deux chiffres. Voir le « Dictionnaire des variables » du fichier détail du recensement de
1999 (Centre Maurice Halbwachs).
la catégorie même amène à préciser les évolutions qui ont cours dans la
ouvriers qualifiés
40 %
Riboire. On sait que cette catégorie dissimule un clivage important entre contremaîtres
des techniciens parmi les hommes actifs ayant un emploi, canton de Varieu.
Violaine Girard 97
Graphique 2. Part cumulée des ouvriers (qualifiés ou non), des contremaîtres et
la catégorie même amène à préciser les évolutions qui ont cours dans la
ouvriers qualifiés
40 %
Riboire. On sait que cette catégorie dissimule un clivage important entre contremaîtres
du pavillon :
acquises « sur le tas » et qui lui permettent de se tenir à l’abri du chômage. mobilisation importante dans les travaux d’aménagement et de finition
Il accède toutefois, à la cinquantaine, à un poste de responsable qualité et entreprise depuis le début de sa vie active. Elle suppose également une
sécurité dans une entreprise de maintenance d’ascenseurs : lité professionnelle de l’épouse de Michel, qui travaille dans la même
riaux, dans des efforts financiers autorisés en grande partie par la stabi-
Bon, j’ai le certificat d’études, et puis à 14 ans et demi, eh bien j’ai com- des deux membres du couple, qui disposent tous deux de revenus sala-
mencé à bosser, en apprentissage de serrurier, ce qu’on appelle mainte- La réalisation de ce projet d’accession renvoie à l’implication conjointe
nant les métalliers, et puis petit à petit, en changeant de boulot, je me
suis formé sur le tas, en pneumatique, en hydraulique, en électroméca- hasard, le terrain me plaisait, mais je ne connaissais pas du tout. (Ibid.)
nique. [...] J’ai tout fait comme métiers ! [Rire.] Non, j’ai travaillé dans après, il nous a convoqués, voilà. Et on a choisi la commune par un pur
différentes branches, bâtiment, métallurgie, automatisme... J’ai pas mal tissements, on veut un petit coin tranquille, campagne et tout. Deux jours
vadrouillé dans différents boulots. À une époque, je travaillais dans une pas du centre-ville, on ne veut pas de la ZUP, on ne veut pas des grands lo-
société où on vendait du matériel de revêtement en peinture. Et cette budgétaire qu’on a, il faut trouver un terrain. Alors on lui a dit, on ne veut
boîte a commencé à baisser de l’aile, j’ai décidé de changer, et là je suis qui nous convenait, et on a dit au constructeur, eh bien, dans l’enveloppe
parti en carrosserie industrielle poids lourds, l’installation des grues, des ça se passe, on a trouvé une maison qui nous convenait, dans un budget
bennes qui sont sur les plateaux des camions. Et puis de là, après, je suis Alors on est partis se renseigner, visiter des maisons témoins, enfin comme
reparti dans l’ascenseur. Et maintenant je ne travaille plus sur les ascen- Et puis un jour on a dit, tiens, si on faisait construire, ce serait pas mal.
seurs mêmes, je ne fais plus de dépannages, tout ça. Maintenant, je suis
calé au bureau ! (Entretien avec Michel Claves, 20 janvier 2004) dont les prix sont accessibles aux ressources financières du ménage :
alors trois terrains, tous situés dans des communes rurales de la Riboire et
Originaire d’une ville populaire de la banlieue voisine, Michel s’y Le promoteur immobilier vers lequel il se tourne, en 1988, lui propose
installe avec son épouse, secrétaire de direction depuis l’âge de 20 ans. Le mier déménagement incite Michel à se lancer à 35 ans dans l’accession.
couple choisit cependant rapidement de déménager pour louer une mai- son dans la première couronne périurbaine de l’agglomération. Ce pre-
son dans la première couronne périurbaine de l’agglomération. Ce pre- couple choisit cependant rapidement de déménager pour louer une mai-
mier déménagement incite Michel à se lancer à 35 ans dans l’accession. installe avec son épouse, secrétaire de direction depuis l’âge de 20 ans. Le
Le promoteur immobilier vers lequel il se tourne, en 1988, lui propose Originaire d’une ville populaire de la banlieue voisine, Michel s’y
alors trois terrains, tous situés dans des communes rurales de la Riboire et
dont les prix sont accessibles aux ressources financières du ménage : calé au bureau ! (Entretien avec Michel Claves, 20 janvier 2004)
seurs mêmes, je ne fais plus de dépannages, tout ça. Maintenant, je suis
Et puis un jour on a dit, tiens, si on faisait construire, ce serait pas mal. reparti dans l’ascenseur. Et maintenant je ne travaille plus sur les ascen-
Alors on est partis se renseigner, visiter des maisons témoins, enfin comme bennes qui sont sur les plateaux des camions. Et puis de là, après, je suis
ça se passe, on a trouvé une maison qui nous convenait, dans un budget parti en carrosserie industrielle poids lourds, l’installation des grues, des
qui nous convenait, et on a dit au constructeur, eh bien, dans l’enveloppe boîte a commencé à baisser de l’aile, j’ai décidé de changer, et là je suis
budgétaire qu’on a, il faut trouver un terrain. Alors on lui a dit, on ne veut société où on vendait du matériel de revêtement en peinture. Et cette
pas du centre-ville, on ne veut pas de la ZUP, on ne veut pas des grands lo- vadrouillé dans différents boulots. À une époque, je travaillais dans une
tissements, on veut un petit coin tranquille, campagne et tout. Deux jours différentes branches, bâtiment, métallurgie, automatisme... J’ai pas mal
après, il nous a convoqués, voilà. Et on a choisi la commune par un pur nique. [...] J’ai tout fait comme métiers ! [Rire.] Non, j’ai travaillé dans
hasard, le terrain me plaisait, mais je ne connaissais pas du tout. (Ibid.) suis formé sur le tas, en pneumatique, en hydraulique, en électroméca-
nant les métalliers, et puis petit à petit, en changeant de boulot, je me
La réalisation de ce projet d’accession renvoie à l’implication conjointe mencé à bosser, en apprentissage de serrurier, ce qu’on appelle mainte-
des deux membres du couple, qui disposent tous deux de revenus sala- Bon, j’ai le certificat d’études, et puis à 14 ans et demi, eh bien j’ai com-
riaux, dans des efforts financiers autorisés en grande partie par la stabi-
lité professionnelle de l’épouse de Michel, qui travaille dans la même sécurité dans une entreprise de maintenance d’ascenseurs :
entreprise depuis le début de sa vie active. Elle suppose également une Il accède toutefois, à la cinquantaine, à un poste de responsable qualité et
mobilisation importante dans les travaux d’aménagement et de finition acquises « sur le tas » et qui lui permettent de se tenir à l’abri du chômage.
du pavillon :
Les premières connaissances, ça a été les voisins qui ont emménagé en 99 Violaine Girard
même temps que nous, tout le monde était bien sympa, et puis quand on
même temps que nous, tout le monde était bien sympa, et puis quand on
Violaine Girard 99 Les premières connaissances, ça a été les voisins qui ont emménagé en
du pavillon :
acquises « sur le tas » et qui lui permettent de se tenir à l’abri du chômage. mobilisation importante dans les travaux d’aménagement et de finition
Il accède toutefois, à la cinquantaine, à un poste de responsable qualité et entreprise depuis le début de sa vie active. Elle suppose également une
sécurité dans une entreprise de maintenance d’ascenseurs : lité professionnelle de l’épouse de Michel, qui travaille dans la même
riaux, dans des efforts financiers autorisés en grande partie par la stabi-
Bon, j’ai le certificat d’études, et puis à 14 ans et demi, eh bien j’ai com- des deux membres du couple, qui disposent tous deux de revenus sala-
mencé à bosser, en apprentissage de serrurier, ce qu’on appelle mainte- La réalisation de ce projet d’accession renvoie à l’implication conjointe
nant les métalliers, et puis petit à petit, en changeant de boulot, je me
suis formé sur le tas, en pneumatique, en hydraulique, en électroméca- hasard, le terrain me plaisait, mais je ne connaissais pas du tout. (Ibid.)
nique. [...] J’ai tout fait comme métiers ! [Rire.] Non, j’ai travaillé dans après, il nous a convoqués, voilà. Et on a choisi la commune par un pur
différentes branches, bâtiment, métallurgie, automatisme... J’ai pas mal tissements, on veut un petit coin tranquille, campagne et tout. Deux jours
vadrouillé dans différents boulots. À une époque, je travaillais dans une pas du centre-ville, on ne veut pas de la ZUP, on ne veut pas des grands lo-
société où on vendait du matériel de revêtement en peinture. Et cette budgétaire qu’on a, il faut trouver un terrain. Alors on lui a dit, on ne veut
boîte a commencé à baisser de l’aile, j’ai décidé de changer, et là je suis qui nous convenait, et on a dit au constructeur, eh bien, dans l’enveloppe
parti en carrosserie industrielle poids lourds, l’installation des grues, des ça se passe, on a trouvé une maison qui nous convenait, dans un budget
bennes qui sont sur les plateaux des camions. Et puis de là, après, je suis Alors on est partis se renseigner, visiter des maisons témoins, enfin comme
reparti dans l’ascenseur. Et maintenant je ne travaille plus sur les ascen- Et puis un jour on a dit, tiens, si on faisait construire, ce serait pas mal.
seurs mêmes, je ne fais plus de dépannages, tout ça. Maintenant, je suis
calé au bureau ! (Entretien avec Michel Claves, 20 janvier 2004) dont les prix sont accessibles aux ressources financières du ménage :
alors trois terrains, tous situés dans des communes rurales de la Riboire et
Originaire d’une ville populaire de la banlieue voisine, Michel s’y Le promoteur immobilier vers lequel il se tourne, en 1988, lui propose
installe avec son épouse, secrétaire de direction depuis l’âge de 20 ans. Le mier déménagement incite Michel à se lancer à 35 ans dans l’accession.
couple choisit cependant rapidement de déménager pour louer une mai- son dans la première couronne périurbaine de l’agglomération. Ce pre-
son dans la première couronne périurbaine de l’agglomération. Ce pre- couple choisit cependant rapidement de déménager pour louer une mai-
mier déménagement incite Michel à se lancer à 35 ans dans l’accession. installe avec son épouse, secrétaire de direction depuis l’âge de 20 ans. Le
Le promoteur immobilier vers lequel il se tourne, en 1988, lui propose Originaire d’une ville populaire de la banlieue voisine, Michel s’y
alors trois terrains, tous situés dans des communes rurales de la Riboire et
dont les prix sont accessibles aux ressources financières du ménage : calé au bureau ! (Entretien avec Michel Claves, 20 janvier 2004)
seurs mêmes, je ne fais plus de dépannages, tout ça. Maintenant, je suis
Et puis un jour on a dit, tiens, si on faisait construire, ce serait pas mal. reparti dans l’ascenseur. Et maintenant je ne travaille plus sur les ascen-
Alors on est partis se renseigner, visiter des maisons témoins, enfin comme bennes qui sont sur les plateaux des camions. Et puis de là, après, je suis
ça se passe, on a trouvé une maison qui nous convenait, dans un budget parti en carrosserie industrielle poids lourds, l’installation des grues, des
qui nous convenait, et on a dit au constructeur, eh bien, dans l’enveloppe boîte a commencé à baisser de l’aile, j’ai décidé de changer, et là je suis
budgétaire qu’on a, il faut trouver un terrain. Alors on lui a dit, on ne veut société où on vendait du matériel de revêtement en peinture. Et cette
pas du centre-ville, on ne veut pas de la ZUP, on ne veut pas des grands lo- vadrouillé dans différents boulots. À une époque, je travaillais dans une
tissements, on veut un petit coin tranquille, campagne et tout. Deux jours différentes branches, bâtiment, métallurgie, automatisme... J’ai pas mal
après, il nous a convoqués, voilà. Et on a choisi la commune par un pur nique. [...] J’ai tout fait comme métiers ! [Rire.] Non, j’ai travaillé dans
hasard, le terrain me plaisait, mais je ne connaissais pas du tout. (Ibid.) suis formé sur le tas, en pneumatique, en hydraulique, en électroméca-
nant les métalliers, et puis petit à petit, en changeant de boulot, je me
La réalisation de ce projet d’accession renvoie à l’implication conjointe mencé à bosser, en apprentissage de serrurier, ce qu’on appelle mainte-
des deux membres du couple, qui disposent tous deux de revenus sala- Bon, j’ai le certificat d’études, et puis à 14 ans et demi, eh bien j’ai com-
riaux, dans des efforts financiers autorisés en grande partie par la stabi-
lité professionnelle de l’épouse de Michel, qui travaille dans la même sécurité dans une entreprise de maintenance d’ascenseurs :
entreprise depuis le début de sa vie active. Elle suppose également une Il accède toutefois, à la cinquantaine, à un poste de responsable qualité et
mobilisation importante dans les travaux d’aménagement et de finition acquises « sur le tas » et qui lui permettent de se tenir à l’abri du chômage.
du pavillon :
Les premières connaissances, ça a été les voisins qui ont emménagé en 99 Violaine Girard
même temps que nous, tout le monde était bien sympa, et puis quand on
qualifications professionnelles de Marie. Mais si le ménage ne parvient
fragilisation de l’insertion professionnelle d’Éric ainsi qu’à l’absence de 100 Des classes populaires en recomposition dans le périurbain
ment d’une mobilisation familiale coûteuse en temps et en argent, à la
d’Éric « d’ouvrir un routier ». Leur décision apparaît liée à l’affaiblisse-
souhaite réinvestir cette expérience dans l’hôtellerie, à la suite du projet on démarre avec une maison neuve, il y a toujours beaucoup de boulot
effectue depuis dix ans des « extras » chez un traiteur, le week-end, et à faire, donc on s’est aidés mutuellement, les uns les autres, à donner des
quatre enfants et se plaint du faible salaire lié au temps partiel. Le couple coups de main, passer des week-ends à la bétonnière, quoi ! (Ibid.)
au dos, causées par son travail de chauffeur-livreur. Marie a désormais
dans un département rural du Sud. Éric souffre en effet de douleurs aiguës Si c’est en assumant une part d’autoconstruction que le couple par-
son et souhaite déménager pour s’installer comme gérants d’un hôtel vient à posséder sa maison, cette expérience est vécue positivement pour
d’élèves. Pourtant, lorsque je rencontre Marie, le couple a vendu sa mai- ce qu’elle comporte de solidarité avec le voisinage.
ATSEM à l’école, alors qu’elle s’était investie dans l’association de parents Pour de nombreux ménages qui appartiennent à la génération née
la mairie pour le service de la cantine, à temps partiel, puis comme dans les années 1960 et qui se sont installés au cours des années 1980
entreprise de transport. Quant à Marie, elle est embauchée en 1992 par dans la Riboire, les voies de la promotion ouvrière sont moins nom-
sur le parc industriel, avant de retrouver un emploi stable dans une petite breuses ; les parcours d’accession, plus difficilement assurés, sont parfois
lassé des embouteillages, il choisit de travailler quelques mois en intérim remis en cause par la précarisation professionnelle. Dans ces derniers cas,
fectuer les trajets jusqu’à l’entreprise de transport où il travaille. Puis, la stabilité conjugale et les qualifications des femmes sont déterminantes
La desserte de la Riboire par l’autoroute permet d’abord à Éric d’ef- dans la réussite des projets d’installation en pavillon, comme le montre
le cas du couple Lelay. Marie et Éric arrivent dans la Riboire en 1989,
de travaux à faire. (Entretien avec Marie Lelay, 16 avril 2003) pour venir « à la campagne » et quitter la ville de banlieue où ils résident,
l’intérieur, c’est vrai qu’on a mis longtemps, on aurait encore beaucoup alors que Marie est âgée de 23 ans et que le couple attend son troisième
avait rien, il y avait juste le toit et les fenêtres, il fallait faire tout le reste à enfant. Ils achètent leur terrain à un promoteur immobilier, mais pour
Nous, la maison on l’a pas finie parce que quand on est arrivés il n’y faire construire leur maison, ils passent par une petite entreprise artisanale
dont le patron est un ami du père de Marie. Eux aussi ont recours à une
en chantier : part importante d’autoconstruction ; en 2003, leur pavillon est toujours
part importante d’autoconstruction ; en 2003, leur pavillon est toujours en chantier :
dont le patron est un ami du père de Marie. Eux aussi ont recours à une
faire construire leur maison, ils passent par une petite entreprise artisanale Nous, la maison on l’a pas finie parce que quand on est arrivés il n’y
enfant. Ils achètent leur terrain à un promoteur immobilier, mais pour avait rien, il y avait juste le toit et les fenêtres, il fallait faire tout le reste à
alors que Marie est âgée de 23 ans et que le couple attend son troisième l’intérieur, c’est vrai qu’on a mis longtemps, on aurait encore beaucoup
pour venir « à la campagne » et quitter la ville de banlieue où ils résident, de travaux à faire. (Entretien avec Marie Lelay, 16 avril 2003)
le cas du couple Lelay. Marie et Éric arrivent dans la Riboire en 1989,
dans la réussite des projets d’installation en pavillon, comme le montre La desserte de la Riboire par l’autoroute permet d’abord à Éric d’ef-
la stabilité conjugale et les qualifications des femmes sont déterminantes fectuer les trajets jusqu’à l’entreprise de transport où il travaille. Puis,
remis en cause par la précarisation professionnelle. Dans ces derniers cas, lassé des embouteillages, il choisit de travailler quelques mois en intérim
breuses ; les parcours d’accession, plus difficilement assurés, sont parfois sur le parc industriel, avant de retrouver un emploi stable dans une petite
dans la Riboire, les voies de la promotion ouvrière sont moins nom- entreprise de transport. Quant à Marie, elle est embauchée en 1992 par
dans les années 1960 et qui se sont installés au cours des années 1980 la mairie pour le service de la cantine, à temps partiel, puis comme
Pour de nombreux ménages qui appartiennent à la génération née ATSEM à l’école, alors qu’elle s’était investie dans l’association de parents
ce qu’elle comporte de solidarité avec le voisinage. d’élèves. Pourtant, lorsque je rencontre Marie, le couple a vendu sa mai-
vient à posséder sa maison, cette expérience est vécue positivement pour son et souhaite déménager pour s’installer comme gérants d’un hôtel
Si c’est en assumant une part d’autoconstruction que le couple par- dans un département rural du Sud. Éric souffre en effet de douleurs aiguës
au dos, causées par son travail de chauffeur-livreur. Marie a désormais
coups de main, passer des week-ends à la bétonnière, quoi ! (Ibid.) quatre enfants et se plaint du faible salaire lié au temps partiel. Le couple
à faire, donc on s’est aidés mutuellement, les uns les autres, à donner des effectue depuis dix ans des « extras » chez un traiteur, le week-end, et
on démarre avec une maison neuve, il y a toujours beaucoup de boulot souhaite réinvestir cette expérience dans l’hôtellerie, à la suite du projet
d’Éric « d’ouvrir un routier ». Leur décision apparaît liée à l’affaiblisse-
ment d’une mobilisation familiale coûteuse en temps et en argent, à la
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logie rurales. INRA sciences sociales, no 1-2, 4 p. ouvriers engagés dans des trajectoires d’accès à la propriété à distance des
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Huiban Jean-Pierre (2003), « Entreprises et activités industrielles en mi-
Éditions Autrement. Bibliographie
tures sociales en France : les classes moyennes oubliées et précarisées, Paris,
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Rougé Lionel (2005), Accession à la propriété et modes de vie en maison in- recherches en sociologie, Université de Versailles Saint-Quentin-en-
dividuelle des familles modestes installées en périurbain lointain toulousain. — (1998), La Notion de « classes populaires », habilitation à diriger des
Les « captifs » du périurbain ?, thèse de géographie et aménagement du universitaires de France, « Quadrige ».
territoire, Université de Toulouse 2-Le Mirail. Schwartz Olivier (1990, 2002), Le Monde privé des ouvriers, Paris, Presses
Schwartz Olivier (1990, 2002), Le Monde privé des ouvriers, Paris, Presses territoire, Université de Toulouse 2-Le Mirail.
universitaires de France, « Quadrige ». Les « captifs » du périurbain ?, thèse de géographie et aménagement du
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Au cours des deux dernières décennies, la sociologie urbaine française LA DIMENSION STRATÉGIQUE DES PRATIQUES URBAINES
a consacré une part non négligeable de son attention à la différenciation
sociale des espaces (Brun & Rhein, 1994 ; Préteceille, 2006 et 2009) et et de les intégrer à son étude.
aux contextes urbains les plus ségrégués (notamment, pour les quartiers proposer de prendre au sérieux leur contribution à la ségrégation urbaine
populaires, Lepoutre, 1997, et Lapeyronnie, 2008 ; pour les espaces su- au jour de la dimension stratégique des pratiques urbaines nous conduit à
périeurs, Pinçon & Pinçon-Charlot, 2007, et Cousin, 2008). Un intérêt (Pinçon & Pinçon-Charlot, 2007). Dans ce contexte scientifique, la mise
croissant a été accordé à la prise en compte de la dimension stratégique 2008), mais aussi les espaces de résidence les plus sélectifs socialement
du rapport à l’urbain, certains auteurs allant jusqu’à considérer que la re- quartiers populaires les plus ségrégués (Wacquant, 2007 ; Lapeyronnie,
cherche d’entre-soi se serait généralisée à l’ensemble des groupes sociaux pertinence de son importation depuis les États-Unis pour qualifier les
(Maurin, 2004). Cette accumulation de travaux reflète l’urbanisation de sociologique des discussions autour du concept de « ghetto » et de la
la question sociale dans le débat politique français depuis le début des années 1980 (Préteceille, 2006), dont témoigne la centralité dans le débat
années 1980 (Préteceille, 2006), dont témoigne la centralité dans le débat la question sociale dans le débat politique français depuis le début des
sociologique des discussions autour du concept de « ghetto » et de la (Maurin, 2004). Cette accumulation de travaux reflète l’urbanisation de
pertinence de son importation depuis les États-Unis pour qualifier les cherche d’entre-soi se serait généralisée à l’ensemble des groupes sociaux
quartiers populaires les plus ségrégués (Wacquant, 2007 ; Lapeyronnie, du rapport à l’urbain, certains auteurs allant jusqu’à considérer que la re-
2008), mais aussi les espaces de résidence les plus sélectifs socialement croissant a été accordé à la prise en compte de la dimension stratégique
(Pinçon & Pinçon-Charlot, 2007). Dans ce contexte scientifique, la mise périeurs, Pinçon & Pinçon-Charlot, 2007, et Cousin, 2008). Un intérêt
au jour de la dimension stratégique des pratiques urbaines nous conduit à populaires, Lepoutre, 1997, et Lapeyronnie, 2008 ; pour les espaces su-
proposer de prendre au sérieux leur contribution à la ségrégation urbaine aux contextes urbains les plus ségrégués (notamment, pour les quartiers
et de les intégrer à son étude. sociale des espaces (Brun & Rhein, 1994 ; Préteceille, 2006 et 2009) et
a consacré une part non négligeable de son attention à la différenciation
LA DIMENSION STRATÉGIQUE DES PRATIQUES URBAINES Au cours des deux dernières décennies, la sociologie urbaine française
Pour pouvoir montrer en quoi la dimension stratégique des pratiques Clément Rivière
urbaines – c’est-à-dire la gestion, par les citadins, de leurs usages des espa-
ces publics ainsi que leur anticipation des interactions qui s’y déroulent –
constitue un point aveugle de l’étude des processus ségrégatifs en milieu DE MIXITÉ SOCIALE
urbain, il convient bien entendu de commencer par définir ce qu’on APPROCHE PAR L’ENCADREMENT PARENTAL EN CONTEXTE
entend par ce concept glissant et polysémique d’« espaces publics ». PRATIQUES URBAINES ET SÉGRÉGATION :
La distinction classique entre le pluriel – les espaces publics en tant
qu’espaces physiques – et le singulier – l’espace public comme espace du
débat politique, de la confrontation des opinions, de la communication –
s’avère en définitive simple mais efficace, et surtout nécessaire afin d’évi-
ter l’ambiguïté récurrente de ces termes. Il peut être utile de préciser qu’il
s’agit bien ici d’espaces publics urbains, mais que nous conserverons, pour des
raisons pratiques, le label d’espaces publics pour désigner les lieux publics
raisons pratiques, le label d’espaces publics pour désigner les lieux publics
s’agit bien ici d’espaces publics urbains, mais que nous conserverons, pour des
ter l’ambiguïté récurrente de ces termes. Il peut être utile de préciser qu’il
s’avère en définitive simple mais efficace, et surtout nécessaire afin d’évi-
débat politique, de la confrontation des opinions, de la communication –
qu’espaces physiques – et le singulier – l’espace public comme espace du
La distinction classique entre le pluriel – les espaces publics en tant
PRATIQUES URBAINES ET SÉGRÉGATION : entend par ce concept glissant et polysémique d’« espaces publics ».
APPROCHE PAR L’ENCADREMENT PARENTAL EN CONTEXTE urbain, il convient bien entendu de commencer par définir ce qu’on
DE MIXITÉ SOCIALE constitue un point aveugle de l’étude des processus ségrégatifs en milieu
ces publics ainsi que leur anticipation des interactions qui s’y déroulent –
urbaines – c’est-à-dire la gestion, par les citadins, de leurs usages des espa-
Clément Rivière Pour pouvoir montrer en quoi la dimension stratégique des pratiques
Au cours des deux dernières décennies, la sociologie urbaine française LA DIMENSION STRATÉGIQUE DES PRATIQUES URBAINES
a consacré une part non négligeable de son attention à la différenciation
sociale des espaces (Brun & Rhein, 1994 ; Préteceille, 2006 et 2009) et et de les intégrer à son étude.
aux contextes urbains les plus ségrégués (notamment, pour les quartiers proposer de prendre au sérieux leur contribution à la ségrégation urbaine
populaires, Lepoutre, 1997, et Lapeyronnie, 2008 ; pour les espaces su- au jour de la dimension stratégique des pratiques urbaines nous conduit à
périeurs, Pinçon & Pinçon-Charlot, 2007, et Cousin, 2008). Un intérêt (Pinçon & Pinçon-Charlot, 2007). Dans ce contexte scientifique, la mise
croissant a été accordé à la prise en compte de la dimension stratégique 2008), mais aussi les espaces de résidence les plus sélectifs socialement
du rapport à l’urbain, certains auteurs allant jusqu’à considérer que la re- quartiers populaires les plus ségrégués (Wacquant, 2007 ; Lapeyronnie,
cherche d’entre-soi se serait généralisée à l’ensemble des groupes sociaux pertinence de son importation depuis les États-Unis pour qualifier les
(Maurin, 2004). Cette accumulation de travaux reflète l’urbanisation de sociologique des discussions autour du concept de « ghetto » et de la
la question sociale dans le débat politique français depuis le début des années 1980 (Préteceille, 2006), dont témoigne la centralité dans le débat
années 1980 (Préteceille, 2006), dont témoigne la centralité dans le débat la question sociale dans le débat politique français depuis le début des
sociologique des discussions autour du concept de « ghetto » et de la (Maurin, 2004). Cette accumulation de travaux reflète l’urbanisation de
pertinence de son importation depuis les États-Unis pour qualifier les cherche d’entre-soi se serait généralisée à l’ensemble des groupes sociaux
quartiers populaires les plus ségrégués (Wacquant, 2007 ; Lapeyronnie, du rapport à l’urbain, certains auteurs allant jusqu’à considérer que la re-
2008), mais aussi les espaces de résidence les plus sélectifs socialement croissant a été accordé à la prise en compte de la dimension stratégique
(Pinçon & Pinçon-Charlot, 2007). Dans ce contexte scientifique, la mise périeurs, Pinçon & Pinçon-Charlot, 2007, et Cousin, 2008). Un intérêt
au jour de la dimension stratégique des pratiques urbaines nous conduit à populaires, Lepoutre, 1997, et Lapeyronnie, 2008 ; pour les espaces su-
proposer de prendre au sérieux leur contribution à la ségrégation urbaine aux contextes urbains les plus ségrégués (notamment, pour les quartiers
et de les intégrer à son étude. sociale des espaces (Brun & Rhein, 1994 ; Préteceille, 2006 et 2009) et
a consacré une part non négligeable de son attention à la différenciation
LA DIMENSION STRATÉGIQUE DES PRATIQUES URBAINES Au cours des deux dernières décennies, la sociologie urbaine française
Pour pouvoir montrer en quoi la dimension stratégique des pratiques Clément Rivière
urbaines – c’est-à-dire la gestion, par les citadins, de leurs usages des espa-
ces publics ainsi que leur anticipation des interactions qui s’y déroulent –
constitue un point aveugle de l’étude des processus ségrégatifs en milieu DE MIXITÉ SOCIALE
urbain, il convient bien entendu de commencer par définir ce qu’on APPROCHE PAR L’ENCADREMENT PARENTAL EN CONTEXTE
entend par ce concept glissant et polysémique d’« espaces publics ». PRATIQUES URBAINES ET SÉGRÉGATION :
La distinction classique entre le pluriel – les espaces publics en tant
qu’espaces physiques – et le singulier – l’espace public comme espace du
débat politique, de la confrontation des opinions, de la communication –
s’avère en définitive simple mais efficace, et surtout nécessaire afin d’évi-
ter l’ambiguïté récurrente de ces termes. Il peut être utile de préciser qu’il
s’agit bien ici d’espaces publics urbains, mais que nous conserverons, pour des
raisons pratiques, le label d’espaces publics pour désigner les lieux publics
travail.
2. On pourrait dans certains cas imaginer d’autres types de « bases » comme le lieu de
publics (Lieber, 2008, p. 59). 106 Pratiques urbaines et ségrégation
de protection » mises en œuvre par les femmes lors de leurs déplacements dans les espaces
1. Marylène Lieber restitue par exemple de manière probante la diversité des « tactiques
et accessibles à tous, principalement le réseau viaire, les places et les parcs,
sein des espaces publics, les pratiques de préparation et d’anticipation des auxquels nous ajouterons les transports en commun : bien que leur accès
que la tactique s’exprime dans les interactions ou dans leur évitement au soit en théorie payant, la nécessité de la mobilité en contexte métropoli-
la gestion des relations avec autrui : principalement le domicile2. Alors tain justifie leur inclusion, l’expérience de la promiscuité consubstantielle
leur pratique s’organise depuis un « lieu propre » qui sert de « base » à à leur usage constituant l’une des principales caractéristiques de la vie
publics revêt également une dimension stratégique, dans la mesure où urbaine moderne (Simmel, 1908, 1992).
bles1. Mais sa lecture permet aussi d’observer que le rapport aux espaces Cette précision prend son sens au regard de l’unanimité des définitions
avec les événements, dans un contexte où ils ne sont pas tous maîtrisa- des espaces publics quant à leur caractéristique principale, l’accessibilité,
la circulation est « de type tactique » : elle consiste avant tout en un jeu qui a pour conséquence théorique la diversité potentielle des interactants
Michel de Certeau, qu’à l’image de nombreuses pratiques quotidiennes, (voir notamment Joseph, 1984, et Lofland, 1998). Cristallisant l’imprévu
(Rivière, 2007). Certes, on peut dans un premier temps considérer, avec (serendipity) propre à la vie urbaine (Hannerz, 1980, 1983), les espaces
autour du stade du Parc des Princes où celui-ci dispute ses rencontres ouverts à tous constituent dans le même temps des théâtres d’expériences
du club de football du Paris-Saint-Germain et des résidents du quartier et de rencontres valorisées, mais aussi d’exposition de soi aux menaces
cours d’une recherche sur les modalités de coprésence des supporters extérieures (Sennett, 1990, 2009). C’est cette tension caractéristique de
recèlent une dimension stratégique. Nous l’avons déjà approchée au l’expérience des espaces publics, simultanément arènes de socialisation et
(1980, 1990, p. 59) permet de montrer en quoi les pratiques urbaines de mise en danger de soi et d’autrui, qui rend particulièrement pertinent
La distinction de Michel de Certeau entre « tactique » et « stratégie » de prendre en compte la dimension stratégique des pratiques urbaines.
leurs utilisateurs). Cette tension fondatrice de l’expérience des espaces publics entre expo-
qui s’y déroulent (ou qui sont censées s’y dérouler du point de vue de sition et socialisation fait en effet des pratiques urbaines – définies comme
gestion des usages des espaces publics et de l’anticipation des interactions l’ensemble des activités et des déplacements réalisés au sein des espaces
gation en milieu urbain, dans la mesure où elles permettent l’étude de la publics – un analyseur original des processus de socialisation et de ségré-
publics – un analyseur original des processus de socialisation et de ségré- gation en milieu urbain, dans la mesure où elles permettent l’étude de la
l’ensemble des activités et des déplacements réalisés au sein des espaces gestion des usages des espaces publics et de l’anticipation des interactions
sition et socialisation fait en effet des pratiques urbaines – définies comme qui s’y déroulent (ou qui sont censées s’y dérouler du point de vue de
Cette tension fondatrice de l’expérience des espaces publics entre expo- leurs utilisateurs).
de prendre en compte la dimension stratégique des pratiques urbaines. La distinction de Michel de Certeau entre « tactique » et « stratégie »
de mise en danger de soi et d’autrui, qui rend particulièrement pertinent (1980, 1990, p. 59) permet de montrer en quoi les pratiques urbaines
l’expérience des espaces publics, simultanément arènes de socialisation et recèlent une dimension stratégique. Nous l’avons déjà approchée au
extérieures (Sennett, 1990, 2009). C’est cette tension caractéristique de cours d’une recherche sur les modalités de coprésence des supporters
et de rencontres valorisées, mais aussi d’exposition de soi aux menaces du club de football du Paris-Saint-Germain et des résidents du quartier
ouverts à tous constituent dans le même temps des théâtres d’expériences autour du stade du Parc des Princes où celui-ci dispute ses rencontres
(serendipity) propre à la vie urbaine (Hannerz, 1980, 1983), les espaces (Rivière, 2007). Certes, on peut dans un premier temps considérer, avec
(voir notamment Joseph, 1984, et Lofland, 1998). Cristallisant l’imprévu Michel de Certeau, qu’à l’image de nombreuses pratiques quotidiennes,
qui a pour conséquence théorique la diversité potentielle des interactants la circulation est « de type tactique » : elle consiste avant tout en un jeu
des espaces publics quant à leur caractéristique principale, l’accessibilité, avec les événements, dans un contexte où ils ne sont pas tous maîtrisa-
Cette précision prend son sens au regard de l’unanimité des définitions bles1. Mais sa lecture permet aussi d’observer que le rapport aux espaces
urbaine moderne (Simmel, 1908, 1992). publics revêt également une dimension stratégique, dans la mesure où
à leur usage constituant l’une des principales caractéristiques de la vie leur pratique s’organise depuis un « lieu propre » qui sert de « base » à
tain justifie leur inclusion, l’expérience de la promiscuité consubstantielle la gestion des relations avec autrui : principalement le domicile2. Alors
soit en théorie payant, la nécessité de la mobilité en contexte métropoli- que la tactique s’exprime dans les interactions ou dans leur évitement au
auxquels nous ajouterons les transports en commun : bien que leur accès sein des espaces publics, les pratiques de préparation et d’anticipation des
et accessibles à tous, principalement le réseau viaire, les places et les parcs,
1. Marylène Lieber restitue par exemple de manière probante la diversité des « tactiques
de protection » mises en œuvre par les femmes lors de leurs déplacements dans les espaces
Pratiques urbaines et ségrégation 106 publics (Lieber, 2008, p. 59).
2. On pourrait dans certains cas imaginer d’autres types de « bases » comme le lieu de
travail.
travail.
2. On pourrait dans certains cas imaginer d’autres types de « bases » comme le lieu de
publics (Lieber, 2008, p. 59). 106 Pratiques urbaines et ségrégation
de protection » mises en œuvre par les femmes lors de leurs déplacements dans les espaces
1. Marylène Lieber restitue par exemple de manière probante la diversité des « tactiques
et accessibles à tous, principalement le réseau viaire, les places et les parcs,
sein des espaces publics, les pratiques de préparation et d’anticipation des auxquels nous ajouterons les transports en commun : bien que leur accès
que la tactique s’exprime dans les interactions ou dans leur évitement au soit en théorie payant, la nécessité de la mobilité en contexte métropoli-
la gestion des relations avec autrui : principalement le domicile2. Alors tain justifie leur inclusion, l’expérience de la promiscuité consubstantielle
leur pratique s’organise depuis un « lieu propre » qui sert de « base » à à leur usage constituant l’une des principales caractéristiques de la vie
publics revêt également une dimension stratégique, dans la mesure où urbaine moderne (Simmel, 1908, 1992).
bles1. Mais sa lecture permet aussi d’observer que le rapport aux espaces Cette précision prend son sens au regard de l’unanimité des définitions
avec les événements, dans un contexte où ils ne sont pas tous maîtrisa- des espaces publics quant à leur caractéristique principale, l’accessibilité,
la circulation est « de type tactique » : elle consiste avant tout en un jeu qui a pour conséquence théorique la diversité potentielle des interactants
Michel de Certeau, qu’à l’image de nombreuses pratiques quotidiennes, (voir notamment Joseph, 1984, et Lofland, 1998). Cristallisant l’imprévu
(Rivière, 2007). Certes, on peut dans un premier temps considérer, avec (serendipity) propre à la vie urbaine (Hannerz, 1980, 1983), les espaces
autour du stade du Parc des Princes où celui-ci dispute ses rencontres ouverts à tous constituent dans le même temps des théâtres d’expériences
du club de football du Paris-Saint-Germain et des résidents du quartier et de rencontres valorisées, mais aussi d’exposition de soi aux menaces
cours d’une recherche sur les modalités de coprésence des supporters extérieures (Sennett, 1990, 2009). C’est cette tension caractéristique de
recèlent une dimension stratégique. Nous l’avons déjà approchée au l’expérience des espaces publics, simultanément arènes de socialisation et
(1980, 1990, p. 59) permet de montrer en quoi les pratiques urbaines de mise en danger de soi et d’autrui, qui rend particulièrement pertinent
La distinction de Michel de Certeau entre « tactique » et « stratégie » de prendre en compte la dimension stratégique des pratiques urbaines.
leurs utilisateurs). Cette tension fondatrice de l’expérience des espaces publics entre expo-
qui s’y déroulent (ou qui sont censées s’y dérouler du point de vue de sition et socialisation fait en effet des pratiques urbaines – définies comme
gestion des usages des espaces publics et de l’anticipation des interactions l’ensemble des activités et des déplacements réalisés au sein des espaces
gation en milieu urbain, dans la mesure où elles permettent l’étude de la publics – un analyseur original des processus de socialisation et de ségré-
publics – un analyseur original des processus de socialisation et de ségré- gation en milieu urbain, dans la mesure où elles permettent l’étude de la
l’ensemble des activités et des déplacements réalisés au sein des espaces gestion des usages des espaces publics et de l’anticipation des interactions
sition et socialisation fait en effet des pratiques urbaines – définies comme qui s’y déroulent (ou qui sont censées s’y dérouler du point de vue de
Cette tension fondatrice de l’expérience des espaces publics entre expo- leurs utilisateurs).
de prendre en compte la dimension stratégique des pratiques urbaines. La distinction de Michel de Certeau entre « tactique » et « stratégie »
de mise en danger de soi et d’autrui, qui rend particulièrement pertinent (1980, 1990, p. 59) permet de montrer en quoi les pratiques urbaines
l’expérience des espaces publics, simultanément arènes de socialisation et recèlent une dimension stratégique. Nous l’avons déjà approchée au
extérieures (Sennett, 1990, 2009). C’est cette tension caractéristique de cours d’une recherche sur les modalités de coprésence des supporters
et de rencontres valorisées, mais aussi d’exposition de soi aux menaces du club de football du Paris-Saint-Germain et des résidents du quartier
ouverts à tous constituent dans le même temps des théâtres d’expériences autour du stade du Parc des Princes où celui-ci dispute ses rencontres
(serendipity) propre à la vie urbaine (Hannerz, 1980, 1983), les espaces (Rivière, 2007). Certes, on peut dans un premier temps considérer, avec
(voir notamment Joseph, 1984, et Lofland, 1998). Cristallisant l’imprévu Michel de Certeau, qu’à l’image de nombreuses pratiques quotidiennes,
qui a pour conséquence théorique la diversité potentielle des interactants la circulation est « de type tactique » : elle consiste avant tout en un jeu
des espaces publics quant à leur caractéristique principale, l’accessibilité, avec les événements, dans un contexte où ils ne sont pas tous maîtrisa-
Cette précision prend son sens au regard de l’unanimité des définitions bles1. Mais sa lecture permet aussi d’observer que le rapport aux espaces
urbaine moderne (Simmel, 1908, 1992). publics revêt également une dimension stratégique, dans la mesure où
à leur usage constituant l’une des principales caractéristiques de la vie leur pratique s’organise depuis un « lieu propre » qui sert de « base » à
tain justifie leur inclusion, l’expérience de la promiscuité consubstantielle la gestion des relations avec autrui : principalement le domicile2. Alors
soit en théorie payant, la nécessité de la mobilité en contexte métropoli- que la tactique s’exprime dans les interactions ou dans leur évitement au
auxquels nous ajouterons les transports en commun : bien que leur accès sein des espaces publics, les pratiques de préparation et d’anticipation des
et accessibles à tous, principalement le réseau viaire, les places et les parcs,
1. Marylène Lieber restitue par exemple de manière probante la diversité des « tactiques
de protection » mises en œuvre par les femmes lors de leurs déplacements dans les espaces
Pratiques urbaines et ségrégation 106 publics (Lieber, 2008, p. 59).
2. On pourrait dans certains cas imaginer d’autres types de « bases » comme le lieu de
travail.
espace donné.
Clément Rivière 107 robustes pour l’étude des rapports entre groupes sociaux au sein d’un
tion de manière diachronique, fournissant ainsi des données de cadrage
résidentielle présente l’intérêt majeur de permettre d’étudier son évolu-
interactions relèvent d’un rapport de type stratégique à l’urbain, distinct tégories ethno-raciales, âge, etc.), l’analyse quantitative de la ségrégation
et complémentaire des choix résidentiels et scolaires auxquels les socio- la distribution des populations selon le critère considéré (profession, ca-
logues ont consacré davantage d’attention. nationaux des enquêtes. Proposant une évaluation relativement fiable de
Un exemple pour donner de la chair à cette distinction entre deux les préoccupations politiques et scientifiques qui structurent les contextes
types de pratiques : qu’un individu se mette à écouter de la musique pour demeure étudiée dans des perspectives tendanciellement distinctes selon
éviter une situation d’interaction qu’il considère comme déplaisante taires et par l’intermédiaire d’indices ou de typologies, elle a été et elle
(mendicité, personne en état d’ivresse...) dans les transports en commun cipalement à partir de données quantitatives comme les données censi-
(pratique de type tactique) ne dit pas la même chose de son rapport à l’ur- est un objet d’étude classique de la sociologie urbaine : mesurée prin-
bain que le fait d’acheter un baladeur expressément à cet effet, de veiller Denton, 1995, et Préteceille, 2006 et 2009). Cette forme de ségrégation
à l’emporter dans tous ses trajets en transports en commun, voire de ne des groupes sociaux dans l’espace urbain (voir par exemple Massey &
plus les emprunter du tout (pratiques de type stratégique). ségrégation résidentielle, c’est-à-dire l’inégale distribution résidentielle
Soulignons que l’emploi des termes de tactique et de stratégie n’im- La ségrégation urbaine est le plus souvent étudiée sous l’angle de la
plique en rien d’adhérer à une conception sous-socialisée de l’action : il tion fonctionnelle et les pratiques urbaines.
ne s’agit pas de détacher ici les comportements individuels de processus plus complémentaires et entremêlées : la ségrégation résidentielle, la ségréga-
structurels, mais au contraire d’essayer d’approcher empiriquement la struc- nous conduit à décomposer la ségrégation urbaine en trois dimensions
turation des pratiques urbaines par les institutions sociales et les discours « éminemment polysémique » (Grafmeyer, 1994, p. 85) de ségrégation
publics, et plus largement par les rapports de classe, de genre et de « race », La diversité des faits sociaux rassemblés sous la bannière de la notion
à partir de pratiques individuelles « ordinaires » (Lahire, 2005, 2007). l’ensemble des processus et des actions qui conduisent à leur séparation.
Cette mise au jour de la dimension stratégique de la pratique sociale l’inégale distribution des groupes sociaux dans l’espace urbain et comme
courante qu’est l’utilisation des espaces publics permet d’aborder les pro- contribution des pratiques urbaines à la ségrégation, considérée comme
cessus ségrégatifs en milieu urbain à partir d’un type particulier d’espaces, théoriquement non ségrégués. Il s’agit dès lors d’essayer d’étudier la
théoriquement non ségrégués. Il s’agit dès lors d’essayer d’étudier la cessus ségrégatifs en milieu urbain à partir d’un type particulier d’espaces,
contribution des pratiques urbaines à la ségrégation, considérée comme courante qu’est l’utilisation des espaces publics permet d’aborder les pro-
l’inégale distribution des groupes sociaux dans l’espace urbain et comme Cette mise au jour de la dimension stratégique de la pratique sociale
l’ensemble des processus et des actions qui conduisent à leur séparation. à partir de pratiques individuelles « ordinaires » (Lahire, 2005, 2007).
La diversité des faits sociaux rassemblés sous la bannière de la notion publics, et plus largement par les rapports de classe, de genre et de « race »,
« éminemment polysémique » (Grafmeyer, 1994, p. 85) de ségrégation turation des pratiques urbaines par les institutions sociales et les discours
nous conduit à décomposer la ségrégation urbaine en trois dimensions structurels, mais au contraire d’essayer d’approcher empiriquement la struc-
complémentaires et entremêlées : la ségrégation résidentielle, la ségréga- ne s’agit pas de détacher ici les comportements individuels de processus plus
tion fonctionnelle et les pratiques urbaines. plique en rien d’adhérer à une conception sous-socialisée de l’action : il
La ségrégation urbaine est le plus souvent étudiée sous l’angle de la Soulignons que l’emploi des termes de tactique et de stratégie n’im-
ségrégation résidentielle, c’est-à-dire l’inégale distribution résidentielle plus les emprunter du tout (pratiques de type stratégique).
des groupes sociaux dans l’espace urbain (voir par exemple Massey & à l’emporter dans tous ses trajets en transports en commun, voire de ne
Denton, 1995, et Préteceille, 2006 et 2009). Cette forme de ségrégation bain que le fait d’acheter un baladeur expressément à cet effet, de veiller
est un objet d’étude classique de la sociologie urbaine : mesurée prin- (pratique de type tactique) ne dit pas la même chose de son rapport à l’ur-
cipalement à partir de données quantitatives comme les données censi- (mendicité, personne en état d’ivresse...) dans les transports en commun
taires et par l’intermédiaire d’indices ou de typologies, elle a été et elle éviter une situation d’interaction qu’il considère comme déplaisante
demeure étudiée dans des perspectives tendanciellement distinctes selon types de pratiques : qu’un individu se mette à écouter de la musique pour
les préoccupations politiques et scientifiques qui structurent les contextes Un exemple pour donner de la chair à cette distinction entre deux
nationaux des enquêtes. Proposant une évaluation relativement fiable de logues ont consacré davantage d’attention.
la distribution des populations selon le critère considéré (profession, ca- et complémentaire des choix résidentiels et scolaires auxquels les socio-
tégories ethno-raciales, âge, etc.), l’analyse quantitative de la ségrégation interactions relèvent d’un rapport de type stratégique à l’urbain, distinct
résidentielle présente l’intérêt majeur de permettre d’étudier son évolu-
tion de manière diachronique, fournissant ainsi des données de cadrage
robustes pour l’étude des rapports entre groupes sociaux au sein d’un 107 Clément Rivière
espace donné.
espace donné.
Clément Rivière 107 robustes pour l’étude des rapports entre groupes sociaux au sein d’un
tion de manière diachronique, fournissant ainsi des données de cadrage
résidentielle présente l’intérêt majeur de permettre d’étudier son évolu-
interactions relèvent d’un rapport de type stratégique à l’urbain, distinct tégories ethno-raciales, âge, etc.), l’analyse quantitative de la ségrégation
et complémentaire des choix résidentiels et scolaires auxquels les socio- la distribution des populations selon le critère considéré (profession, ca-
logues ont consacré davantage d’attention. nationaux des enquêtes. Proposant une évaluation relativement fiable de
Un exemple pour donner de la chair à cette distinction entre deux les préoccupations politiques et scientifiques qui structurent les contextes
types de pratiques : qu’un individu se mette à écouter de la musique pour demeure étudiée dans des perspectives tendanciellement distinctes selon
éviter une situation d’interaction qu’il considère comme déplaisante taires et par l’intermédiaire d’indices ou de typologies, elle a été et elle
(mendicité, personne en état d’ivresse...) dans les transports en commun cipalement à partir de données quantitatives comme les données censi-
(pratique de type tactique) ne dit pas la même chose de son rapport à l’ur- est un objet d’étude classique de la sociologie urbaine : mesurée prin-
bain que le fait d’acheter un baladeur expressément à cet effet, de veiller Denton, 1995, et Préteceille, 2006 et 2009). Cette forme de ségrégation
à l’emporter dans tous ses trajets en transports en commun, voire de ne des groupes sociaux dans l’espace urbain (voir par exemple Massey &
plus les emprunter du tout (pratiques de type stratégique). ségrégation résidentielle, c’est-à-dire l’inégale distribution résidentielle
Soulignons que l’emploi des termes de tactique et de stratégie n’im- La ségrégation urbaine est le plus souvent étudiée sous l’angle de la
plique en rien d’adhérer à une conception sous-socialisée de l’action : il tion fonctionnelle et les pratiques urbaines.
ne s’agit pas de détacher ici les comportements individuels de processus plus complémentaires et entremêlées : la ségrégation résidentielle, la ségréga-
structurels, mais au contraire d’essayer d’approcher empiriquement la struc- nous conduit à décomposer la ségrégation urbaine en trois dimensions
turation des pratiques urbaines par les institutions sociales et les discours « éminemment polysémique » (Grafmeyer, 1994, p. 85) de ségrégation
publics, et plus largement par les rapports de classe, de genre et de « race », La diversité des faits sociaux rassemblés sous la bannière de la notion
à partir de pratiques individuelles « ordinaires » (Lahire, 2005, 2007). l’ensemble des processus et des actions qui conduisent à leur séparation.
Cette mise au jour de la dimension stratégique de la pratique sociale l’inégale distribution des groupes sociaux dans l’espace urbain et comme
courante qu’est l’utilisation des espaces publics permet d’aborder les pro- contribution des pratiques urbaines à la ségrégation, considérée comme
cessus ségrégatifs en milieu urbain à partir d’un type particulier d’espaces, théoriquement non ségrégués. Il s’agit dès lors d’essayer d’étudier la
théoriquement non ségrégués. Il s’agit dès lors d’essayer d’étudier la cessus ségrégatifs en milieu urbain à partir d’un type particulier d’espaces,
contribution des pratiques urbaines à la ségrégation, considérée comme courante qu’est l’utilisation des espaces publics permet d’aborder les pro-
l’inégale distribution des groupes sociaux dans l’espace urbain et comme Cette mise au jour de la dimension stratégique de la pratique sociale
l’ensemble des processus et des actions qui conduisent à leur séparation. à partir de pratiques individuelles « ordinaires » (Lahire, 2005, 2007).
La diversité des faits sociaux rassemblés sous la bannière de la notion publics, et plus largement par les rapports de classe, de genre et de « race »,
« éminemment polysémique » (Grafmeyer, 1994, p. 85) de ségrégation turation des pratiques urbaines par les institutions sociales et les discours
nous conduit à décomposer la ségrégation urbaine en trois dimensions structurels, mais au contraire d’essayer d’approcher empiriquement la struc-
complémentaires et entremêlées : la ségrégation résidentielle, la ségréga- ne s’agit pas de détacher ici les comportements individuels de processus plus
tion fonctionnelle et les pratiques urbaines. plique en rien d’adhérer à une conception sous-socialisée de l’action : il
La ségrégation urbaine est le plus souvent étudiée sous l’angle de la Soulignons que l’emploi des termes de tactique et de stratégie n’im-
ségrégation résidentielle, c’est-à-dire l’inégale distribution résidentielle plus les emprunter du tout (pratiques de type stratégique).
des groupes sociaux dans l’espace urbain (voir par exemple Massey & à l’emporter dans tous ses trajets en transports en commun, voire de ne
Denton, 1995, et Préteceille, 2006 et 2009). Cette forme de ségrégation bain que le fait d’acheter un baladeur expressément à cet effet, de veiller
est un objet d’étude classique de la sociologie urbaine : mesurée prin- (pratique de type tactique) ne dit pas la même chose de son rapport à l’ur-
cipalement à partir de données quantitatives comme les données censi- (mendicité, personne en état d’ivresse...) dans les transports en commun
taires et par l’intermédiaire d’indices ou de typologies, elle a été et elle éviter une situation d’interaction qu’il considère comme déplaisante
demeure étudiée dans des perspectives tendanciellement distinctes selon types de pratiques : qu’un individu se mette à écouter de la musique pour
les préoccupations politiques et scientifiques qui structurent les contextes Un exemple pour donner de la chair à cette distinction entre deux
nationaux des enquêtes. Proposant une évaluation relativement fiable de logues ont consacré davantage d’attention.
la distribution des populations selon le critère considéré (profession, ca- et complémentaire des choix résidentiels et scolaires auxquels les socio-
tégories ethno-raciales, âge, etc.), l’analyse quantitative de la ségrégation interactions relèvent d’un rapport de type stratégique à l’urbain, distinct
résidentielle présente l’intérêt majeur de permettre d’étudier son évolu-
tion de manière diachronique, fournissant ainsi des données de cadrage
robustes pour l’étude des rapports entre groupes sociaux au sein d’un 107 Clément Rivière
espace donné.
met de défricher un large domaine d’exploration, puisque les conduites
Prendre au sérieux la dimension stratégique des pratiques urbaines per- 108 Pratiques urbaines et ségrégation
que l’on qualifiera de conduites d’évitement urbain – en important le demander dans quelle mesure ces stratégies peuvent s’étendre à l’espace
concept d’évitement scolaire depuis la littérature sur l’école – peuvent socialisation des jeunes adolescents (Pasquier, 2005), il est légitime de se
être celles de tous les utilisateurs des espaces publics, indépendamment de 2009, p. 94) et que les groupes de pairs jouent un rôle croissant dans la
leur âge et de leurs propriétés sociales. vation et de reproduction » dans le domaine scolaire (Felouzis & Perroton,
Le cas des enfants est toutefois particulièrement intéressant (Karsten, Alors que les familles développent « de nouvelles stratégies de préser-
1998), auquel le champ des Segregation Studies n’a consacré qu’assez peu l’évaluation empirique nécessiterait un autre protocole d’enquête4.
d’attention – manque d’intérêt de la recherche inversement proportion- tendent, en ne préjugeant pas de l’efficacité de cet encadrement, dont
nel à celui qu’elle manifeste pour les « enfants de la rue3 ». Trois raisons s’intéresse ici aux pratiques parentales et aux représentations qui les sous-
principales plaident pour l’intégration des pratiques enfantines de l’es- ne remet pas en cause la contribution empirique de cette approche : on
pace à l’étude de la ségrégation urbaine : vant par ailleurs se contredire mutuellement (Lahire, 2005, 2007, p. 273),
1. Les enfants sont les citadins les plus confrontés à la ségrégation rési- « n’est pensée ou voulue par personne », ses différentes modalités pou-
dentielle. D’abord parce que la restriction de leur liberté de mouvement d’étude approprié. Le fait qu’une partie importante de la socialisation
réduit tendanciellement leur périmètre de mobilité, et l’on sait que la sé- cadrement parental des pratiques urbaines enfantines constitue un objet
grégation résidentielle est plus intense à mesure que l’on prend en compte déplacements et les activités des enfants au sein des espaces publics, l’en-
des unités d’analyse plus réduites (Karsten, 1998 ; Préteceille, 2006). Mais Défini comme l’ensemble des pratiques parentales visant à encadrer les
aussi parce que pour un même groupe social, la ségrégation résidentielle ne pas se cantonner à l’espace scolaire.
des enfants semble plus intense que celle des adultes (Oberti, Préteceille déclassement sont de plus en plus fréquentes (Peugny, 2009), pourrait
& Rivière, 2012). l’école et de la réussite scolaire, dans un contexte où les trajectoires de
2. La littérature sur les modalités de coexistence de populations hétérogè- Henriot-Van Zanten, 2009), la crispation parentale autour du choix de
nes en milieu urbain a bien montré la centralité des pratiques éducatives 3. Relevée par de nombreux travaux (Butler, 2003 ; Oberti, 2007 ;
et celle des enfants dans les tensions observées (Chamboredon & Lemaire, 1970 ; Butler, 2003 ; Martin, 2008).
1970 ; Butler, 2003 ; Martin, 2008). et celle des enfants dans les tensions observées (Chamboredon & Lemaire,
3. Relevée par de nombreux travaux (Butler, 2003 ; Oberti, 2007 ; nes en milieu urbain a bien montré la centralité des pratiques éducatives
Henriot-Van Zanten, 2009), la crispation parentale autour du choix de 2. La littérature sur les modalités de coexistence de populations hétérogè-
l’école et de la réussite scolaire, dans un contexte où les trajectoires de & Rivière, 2012).
déclassement sont de plus en plus fréquentes (Peugny, 2009), pourrait des enfants semble plus intense que celle des adultes (Oberti, Préteceille
ne pas se cantonner à l’espace scolaire. aussi parce que pour un même groupe social, la ségrégation résidentielle
Défini comme l’ensemble des pratiques parentales visant à encadrer les des unités d’analyse plus réduites (Karsten, 1998 ; Préteceille, 2006). Mais
déplacements et les activités des enfants au sein des espaces publics, l’en- grégation résidentielle est plus intense à mesure que l’on prend en compte
cadrement parental des pratiques urbaines enfantines constitue un objet réduit tendanciellement leur périmètre de mobilité, et l’on sait que la sé-
d’étude approprié. Le fait qu’une partie importante de la socialisation dentielle. D’abord parce que la restriction de leur liberté de mouvement
« n’est pensée ou voulue par personne », ses différentes modalités pou- 1. Les enfants sont les citadins les plus confrontés à la ségrégation rési-
vant par ailleurs se contredire mutuellement (Lahire, 2005, 2007, p. 273), pace à l’étude de la ségrégation urbaine :
ne remet pas en cause la contribution empirique de cette approche : on principales plaident pour l’intégration des pratiques enfantines de l’es-
s’intéresse ici aux pratiques parentales et aux représentations qui les sous- nel à celui qu’elle manifeste pour les « enfants de la rue3 ». Trois raisons
tendent, en ne préjugeant pas de l’efficacité de cet encadrement, dont d’attention – manque d’intérêt de la recherche inversement proportion-
l’évaluation empirique nécessiterait un autre protocole d’enquête4. 1998), auquel le champ des Segregation Studies n’a consacré qu’assez peu
Alors que les familles développent « de nouvelles stratégies de préser- Le cas des enfants est toutefois particulièrement intéressant (Karsten,
vation et de reproduction » dans le domaine scolaire (Felouzis & Perroton, leur âge et de leurs propriétés sociales.
2009, p. 94) et que les groupes de pairs jouent un rôle croissant dans la être celles de tous les utilisateurs des espaces publics, indépendamment de
socialisation des jeunes adolescents (Pasquier, 2005), il est légitime de se concept d’évitement scolaire depuis la littérature sur l’école – peuvent
demander dans quelle mesure ces stratégies peuvent s’étendre à l’espace que l’on qualifiera de conduites d’évitement urbain – en important le
que l’on qualifiera de conduites d’évitement urbain – en important le demander dans quelle mesure ces stratégies peuvent s’étendre à l’espace
concept d’évitement scolaire depuis la littérature sur l’école – peuvent socialisation des jeunes adolescents (Pasquier, 2005), il est légitime de se
être celles de tous les utilisateurs des espaces publics, indépendamment de 2009, p. 94) et que les groupes de pairs jouent un rôle croissant dans la
leur âge et de leurs propriétés sociales. vation et de reproduction » dans le domaine scolaire (Felouzis & Perroton,
Le cas des enfants est toutefois particulièrement intéressant (Karsten, Alors que les familles développent « de nouvelles stratégies de préser-
1998), auquel le champ des Segregation Studies n’a consacré qu’assez peu l’évaluation empirique nécessiterait un autre protocole d’enquête4.
d’attention – manque d’intérêt de la recherche inversement proportion- tendent, en ne préjugeant pas de l’efficacité de cet encadrement, dont
nel à celui qu’elle manifeste pour les « enfants de la rue3 ». Trois raisons s’intéresse ici aux pratiques parentales et aux représentations qui les sous-
principales plaident pour l’intégration des pratiques enfantines de l’es- ne remet pas en cause la contribution empirique de cette approche : on
pace à l’étude de la ségrégation urbaine : vant par ailleurs se contredire mutuellement (Lahire, 2005, 2007, p. 273),
1. Les enfants sont les citadins les plus confrontés à la ségrégation rési- « n’est pensée ou voulue par personne », ses différentes modalités pou-
dentielle. D’abord parce que la restriction de leur liberté de mouvement d’étude approprié. Le fait qu’une partie importante de la socialisation
réduit tendanciellement leur périmètre de mobilité, et l’on sait que la sé- cadrement parental des pratiques urbaines enfantines constitue un objet
grégation résidentielle est plus intense à mesure que l’on prend en compte déplacements et les activités des enfants au sein des espaces publics, l’en-
des unités d’analyse plus réduites (Karsten, 1998 ; Préteceille, 2006). Mais Défini comme l’ensemble des pratiques parentales visant à encadrer les
aussi parce que pour un même groupe social, la ségrégation résidentielle ne pas se cantonner à l’espace scolaire.
des enfants semble plus intense que celle des adultes (Oberti, Préteceille déclassement sont de plus en plus fréquentes (Peugny, 2009), pourrait
& Rivière, 2012). l’école et de la réussite scolaire, dans un contexte où les trajectoires de
2. La littérature sur les modalités de coexistence de populations hétérogè- Henriot-Van Zanten, 2009), la crispation parentale autour du choix de
nes en milieu urbain a bien montré la centralité des pratiques éducatives 3. Relevée par de nombreux travaux (Butler, 2003 ; Oberti, 2007 ;
et celle des enfants dans les tensions observées (Chamboredon & Lemaire, 1970 ; Butler, 2003 ; Martin, 2008).
1970 ; Butler, 2003 ; Martin, 2008). et celle des enfants dans les tensions observées (Chamboredon & Lemaire,
3. Relevée par de nombreux travaux (Butler, 2003 ; Oberti, 2007 ; nes en milieu urbain a bien montré la centralité des pratiques éducatives
Henriot-Van Zanten, 2009), la crispation parentale autour du choix de 2. La littérature sur les modalités de coexistence de populations hétérogè-
l’école et de la réussite scolaire, dans un contexte où les trajectoires de & Rivière, 2012).
déclassement sont de plus en plus fréquentes (Peugny, 2009), pourrait des enfants semble plus intense que celle des adultes (Oberti, Préteceille
ne pas se cantonner à l’espace scolaire. aussi parce que pour un même groupe social, la ségrégation résidentielle
Défini comme l’ensemble des pratiques parentales visant à encadrer les des unités d’analyse plus réduites (Karsten, 1998 ; Préteceille, 2006). Mais
déplacements et les activités des enfants au sein des espaces publics, l’en- grégation résidentielle est plus intense à mesure que l’on prend en compte
cadrement parental des pratiques urbaines enfantines constitue un objet réduit tendanciellement leur périmètre de mobilité, et l’on sait que la sé-
d’étude approprié. Le fait qu’une partie importante de la socialisation dentielle. D’abord parce que la restriction de leur liberté de mouvement
« n’est pensée ou voulue par personne », ses différentes modalités pou- 1. Les enfants sont les citadins les plus confrontés à la ségrégation rési-
vant par ailleurs se contredire mutuellement (Lahire, 2005, 2007, p. 273), pace à l’étude de la ségrégation urbaine :
ne remet pas en cause la contribution empirique de cette approche : on principales plaident pour l’intégration des pratiques enfantines de l’es-
s’intéresse ici aux pratiques parentales et aux représentations qui les sous- nel à celui qu’elle manifeste pour les « enfants de la rue3 ». Trois raisons
tendent, en ne préjugeant pas de l’efficacité de cet encadrement, dont d’attention – manque d’intérêt de la recherche inversement proportion-
l’évaluation empirique nécessiterait un autre protocole d’enquête4. 1998), auquel le champ des Segregation Studies n’a consacré qu’assez peu
Alors que les familles développent « de nouvelles stratégies de préser- Le cas des enfants est toutefois particulièrement intéressant (Karsten,
vation et de reproduction » dans le domaine scolaire (Felouzis & Perroton, leur âge et de leurs propriétés sociales.
2009, p. 94) et que les groupes de pairs jouent un rôle croissant dans la être celles de tous les utilisateurs des espaces publics, indépendamment de
socialisation des jeunes adolescents (Pasquier, 2005), il est légitime de se concept d’évitement scolaire depuis la littérature sur l’école – peuvent
demander dans quelle mesure ces stratégies peuvent s’étendre à l’espace que l’on qualifiera de conduites d’évitement urbain – en important le
leur population. Surtout, les pratiques qui nous intéressent gagnent à être
rogénéité sociale et culturelle et la densité relativement importante de 110 Pratiques urbaines et ségrégation
d’espaces semi-périphériques de mixité sociale, que caractérisent l’hété-
l’étude de la sociodifférenciation qui l’affecte est facilitée par le choix
ment parental peut être abordé dans tous les types de contextes urbains, urbain. Si l’on observe que « la ségrégation scolaire est toujours plus
de faire la lumière sur le statut de l’espace dans l’analyse. Si l’encadre- forte que la ségrégation urbaine » (Felouzis & Perroton, 2009, p. 95), on
Inscrire cette recherche dans le champ de la sociologie urbaine exige peut envisager les espaces publics comme des espaces de déségrégation
relative, et donc, d’exercice du contrôle parental, du fait de la diversité
UNE APPROCHE LOCALISÉE ET COMPARÉE EN CONTEXTE DE MIXITÉ SOCIALE des rencontres et des fréquentations possibles. D’où ces deux séries d’in-
terrogations : dans quelle mesure les logiques d’encadrement parental
plus largement en jeu acquisition de compétences et sociabilité. des pratiques urbaines sont-elles congruentes avec celles qu’on relève au
peuvent envisager, dans la mesure où la prise d’autonomie urbaine met niveau des pratiques scolaires ? Trouve-t-on la même différenciation dans
rental des pratiques urbaines enfantines ne se limite pas aux risques qu’ils le rapport aux espaces publics que dans le rapport à l’école, les mêmes évo-
ses stratégies (Le Pape, 2009). Par ailleurs, l’étude de l’encadrement pa- lutions ? D’autre part, y a-t-il une dialectique entre les pratiques scolaires
trouvent confrontés et face auxquelles ils peuvent mettre en œuvre diver- et urbaines ? En particulier, dans quelle mesure les pratiques urbaines
résume pas davantage les conduites à risques auxquelles les parents se sont-elles structurées par l’institution et par les stratégies scolaires ?
Bien entendu, ce volet urbain du travail parental ne le résume ; il ne L’encadrement parental des pratiques urbaines enfantines correspon-
resser ici à un type de « travail » non marchand qui y contribue lui aussi. drait ainsi au volet urbain du « travail parental », défini par Jean-Hugues
les agents immobiliers (Grafmeyer, 1994, p. 110), il est légitime de s’inté- Déchaux comme « l’ensemble des activités réalisées dans le cadre familial
intègre la pratique professionnelle d’un certain nombre d’acteurs comme par des adultes en situation de parents en charge d’enfant(s) » (2009, p. 14).
au quartier. De même que l’étude de la production du « tri urbain » Du point de vue du rapport à l’espace urbain, il est intéressant d’envisager
stitue pas lui aussi une des manifestations du changement du rapport comme lui la parentalité en tant qu’« accomplissement pratique » (ibid.) :
tines, « travail » de supervision et d’accompagnement quotidien, ne con- au-delà du fait qu’elle rend indifférent le choix d’interroger des couples
peut se demander si l’encadrement parental des pratiques urbaines enfan- hétéro- ou homoparentaux, cette perspective permet d’affiner l’observa-
de l’arrivée d’un enfant. En effet, si le rôle de l’école est bien connu, on tion classique que le rapport au quartier de résidence change au moment
tion classique que le rapport au quartier de résidence change au moment de l’arrivée d’un enfant. En effet, si le rôle de l’école est bien connu, on
hétéro- ou homoparentaux, cette perspective permet d’affiner l’observa- peut se demander si l’encadrement parental des pratiques urbaines enfan-
au-delà du fait qu’elle rend indifférent le choix d’interroger des couples tines, « travail » de supervision et d’accompagnement quotidien, ne con-
comme lui la parentalité en tant qu’« accomplissement pratique » (ibid.) : stitue pas lui aussi une des manifestations du changement du rapport
Du point de vue du rapport à l’espace urbain, il est intéressant d’envisager au quartier. De même que l’étude de la production du « tri urbain »
par des adultes en situation de parents en charge d’enfant(s) » (2009, p. 14). intègre la pratique professionnelle d’un certain nombre d’acteurs comme
Déchaux comme « l’ensemble des activités réalisées dans le cadre familial les agents immobiliers (Grafmeyer, 1994, p. 110), il est légitime de s’inté-
drait ainsi au volet urbain du « travail parental », défini par Jean-Hugues resser ici à un type de « travail » non marchand qui y contribue lui aussi.
L’encadrement parental des pratiques urbaines enfantines correspon- Bien entendu, ce volet urbain du travail parental ne le résume ; il ne
sont-elles structurées par l’institution et par les stratégies scolaires ? résume pas davantage les conduites à risques auxquelles les parents se
et urbaines ? En particulier, dans quelle mesure les pratiques urbaines trouvent confrontés et face auxquelles ils peuvent mettre en œuvre diver-
lutions ? D’autre part, y a-t-il une dialectique entre les pratiques scolaires ses stratégies (Le Pape, 2009). Par ailleurs, l’étude de l’encadrement pa-
le rapport aux espaces publics que dans le rapport à l’école, les mêmes évo- rental des pratiques urbaines enfantines ne se limite pas aux risques qu’ils
niveau des pratiques scolaires ? Trouve-t-on la même différenciation dans peuvent envisager, dans la mesure où la prise d’autonomie urbaine met
des pratiques urbaines sont-elles congruentes avec celles qu’on relève au plus largement en jeu acquisition de compétences et sociabilité.
terrogations : dans quelle mesure les logiques d’encadrement parental
des rencontres et des fréquentations possibles. D’où ces deux séries d’in- UNE APPROCHE LOCALISÉE ET COMPARÉE EN CONTEXTE DE MIXITÉ SOCIALE
relative, et donc, d’exercice du contrôle parental, du fait de la diversité
peut envisager les espaces publics comme des espaces de déségrégation Inscrire cette recherche dans le champ de la sociologie urbaine exige
forte que la ségrégation urbaine » (Felouzis & Perroton, 2009, p. 95), on de faire la lumière sur le statut de l’espace dans l’analyse. Si l’encadre-
urbain. Si l’on observe que « la ségrégation scolaire est toujours plus ment parental peut être abordé dans tous les types de contextes urbains,
l’étude de la sociodifférenciation qui l’affecte est facilitée par le choix
d’espaces semi-périphériques de mixité sociale, que caractérisent l’hété-
Pratiques urbaines et ségrégation 110 rogénéité sociale et culturelle et la densité relativement importante de
leur population. Surtout, les pratiques qui nous intéressent gagnent à être
plus ténu à Milan qu’à Paris.
Clément Rivière 111 entre mobilité sociale et mobilité résidentielle paraissant en particulier
davantage à des sociétés de « classes spatiales » que l’Italie et Milan, le lien
des espaces, moins prononcée. La France et Paris correspondraient ainsi
étudiées en contexte de mixité sociale et de densité résidentielle impor- ségréguées que leurs homologues françaises, et la hiérarchisation sociale
tante, car les espaces publics s’y approchent de leur définition idéale : la 4. Les structures urbaines : les grandes villes italiennes semblent être moins
libre accessibilité s’y conjugue avec une grande diversité des interactants où la présence immigrée structure différemment les discours publics.
potentiels. L’analyse des pratiques urbaines dans un contexte non ségré- « modèle d’intégration » en Italie font de Paris et de Milan deux espaces
gué, d’un point de vue théorique (définition des espaces publics) mais lage temporel des flux d’immigration et l’absence symptomatique de
aussi empirique (contextes de mixité sociale), permet en effet de mieux semblent une part importante des immigrés dans les deux pays, le déca-
en saisir la dimension stratégique que dans des espaces plus ségrégués ; 3. L’histoire et les dynamiques migratoires : si les deux métropoles ras-
la dimension structurelle de l’expérience de l’altérité sociale y favorise local.
l’étude de la gestion de cette dernière à travers les pratiques quotidiennes, manières dont les solidarités familiales structurent le rapport à l’espace
davantage que lorsque les « coûts d’interaction » sont par exemple dimi- ganisation de la protection sociale se retrouveront probablement dans les
nués au préalable par le choix d’un espace résidentiel protégé (Cousin, services à Paris comme à Milan, mais les différences entre les modes d’or-
2008, passim). sa dimension nucléaire, la famille constitue un pourvoyeur potentiel de
De plus, la variation de la présence des enfants dans les espaces pu- 2. Les structures familiales : appréhendée de façon plus large que dans
blics, dans le temps (Ariès, 1973 ; Vercesi, 2008), mais aussi dans l’espace subjectifs) de mobilité sociale.
(Vercesi, 2008), reflète la structuration de l’encadrement parental par les travail (Cousin, 2009), permet de mettre en jeu les modèles (objectifs et
contextes locaux et invite à son étude comparée. Nous avons choisi pour du fait du rôle relativement plus décisif du capital social sur le marché du
ce faire des espaces situés dans deux villes qui ont pour point commun rents pour le choix de l’école et la réussite scolaire est moins prononcée,
d’être des « villes européennes », dont les espaces publics se distinguent de sien avec un espace situé dans un contexte où la préoccupation des pa-
ceux des grandes villes américaines et asiatiques (Häussermann & Haila, 1. Le rapport à l’école et à la réussite scolaire : comparer un terrain pari-
2005), mais qui appartiennent à deux contextes nationaux distincts : Paris structurent les pratiques urbaines, en particulier cinq d’entre elles :
et Milan. Les caractéristiques contrastées de ces deux contextes permet- tent en effet d’affiner l’approche des mécanismes et des institutions qui
tent en effet d’affiner l’approche des mécanismes et des institutions qui et Milan. Les caractéristiques contrastées de ces deux contextes permet-
structurent les pratiques urbaines, en particulier cinq d’entre elles : 2005), mais qui appartiennent à deux contextes nationaux distincts : Paris
1. Le rapport à l’école et à la réussite scolaire : comparer un terrain pari- ceux des grandes villes américaines et asiatiques (Häussermann & Haila,
sien avec un espace situé dans un contexte où la préoccupation des pa- d’être des « villes européennes », dont les espaces publics se distinguent de
rents pour le choix de l’école et la réussite scolaire est moins prononcée, ce faire des espaces situés dans deux villes qui ont pour point commun
du fait du rôle relativement plus décisif du capital social sur le marché du contextes locaux et invite à son étude comparée. Nous avons choisi pour
travail (Cousin, 2009), permet de mettre en jeu les modèles (objectifs et (Vercesi, 2008), reflète la structuration de l’encadrement parental par les
subjectifs) de mobilité sociale. blics, dans le temps (Ariès, 1973 ; Vercesi, 2008), mais aussi dans l’espace
2. Les structures familiales : appréhendée de façon plus large que dans De plus, la variation de la présence des enfants dans les espaces pu-
sa dimension nucléaire, la famille constitue un pourvoyeur potentiel de 2008, passim).
services à Paris comme à Milan, mais les différences entre les modes d’or- nués au préalable par le choix d’un espace résidentiel protégé (Cousin,
ganisation de la protection sociale se retrouveront probablement dans les davantage que lorsque les « coûts d’interaction » sont par exemple dimi-
manières dont les solidarités familiales structurent le rapport à l’espace l’étude de la gestion de cette dernière à travers les pratiques quotidiennes,
local. la dimension structurelle de l’expérience de l’altérité sociale y favorise
3. L’histoire et les dynamiques migratoires : si les deux métropoles ras- en saisir la dimension stratégique que dans des espaces plus ségrégués ;
semblent une part importante des immigrés dans les deux pays, le déca- aussi empirique (contextes de mixité sociale), permet en effet de mieux
lage temporel des flux d’immigration et l’absence symptomatique de gué, d’un point de vue théorique (définition des espaces publics) mais
« modèle d’intégration » en Italie font de Paris et de Milan deux espaces potentiels. L’analyse des pratiques urbaines dans un contexte non ségré-
où la présence immigrée structure différemment les discours publics. libre accessibilité s’y conjugue avec une grande diversité des interactants
4. Les structures urbaines : les grandes villes italiennes semblent être moins tante, car les espaces publics s’y approchent de leur définition idéale : la
ségréguées que leurs homologues françaises, et la hiérarchisation sociale étudiées en contexte de mixité sociale et de densité résidentielle impor-
des espaces, moins prononcée. La France et Paris correspondraient ainsi
davantage à des sociétés de « classes spatiales » que l’Italie et Milan, le lien
entre mobilité sociale et mobilité résidentielle paraissant en particulier 111 Clément Rivière
plus ténu à Milan qu’à Paris.
Moins stricte auprès des filles les plus jeunes, la veille vestimentaire
provoques pas, tu n’attires pas le regard, essaie d’être neutre, regarde le
puis tu te couvres les cuisses », le reste c’est pas très grave... Voilà, tu ne
gnes du métro c’est : « Tu te couvres les épaules, tu te couvres les seins et s’accentue avec la puberté et l’amplitude accrue des mobilités :
gnes, ça évolue avec l’âge aussi, donc c’est vrai qu’aujourd’hui les consi-
mais pas toute seule », il y a un minimum de... Pour revenir sur les consi- Bon, après, elle a des consignes, de ne pas aller se balader dans le métro
à mi-hauteur de ses cuisses]. Je lui ai dit cette nuit-là : « C’est où tu veux avec une jupe comme ça, un machin jusque-là quoi [elle pose ses mains
avec une jupe comme ça, un machin jusque-là quoi [elle pose ses mains à mi-hauteur de ses cuisses]. Je lui ai dit cette nuit-là : « C’est où tu veux
Bon, après, elle a des consignes, de ne pas aller se balader dans le métro mais pas toute seule », il y a un minimum de... Pour revenir sur les consi-
gnes, ça évolue avec l’âge aussi, donc c’est vrai qu’aujourd’hui les consi-
s’accentue avec la puberté et l’amplitude accrue des mobilités : gnes du métro c’est : « Tu te couvres les épaules, tu te couvres les seins et
Moins stricte auprès des filles les plus jeunes, la veille vestimentaire puis tu te couvres les cuisses », le reste c’est pas très grave... Voilà, tu ne
provoques pas, tu n’attires pas le regard, essaie d’être neutre, regarde le
immobiliers, Milan ; une fille de 12 ans, deux fils de 12 et 9 ans) paysage. [Rire.] (Monique, cadre de ressources humaines dans le secteur
C’était impossible d’aller faire un tour. (Maria, administratrice de biens privé, Paris ; une fille de 14 ans)
blondes aux yeux bleus... Quand j’avais treize ans c’était quelque chose...
tise pas. » [...] C’était pareil pour moi à son âge, pour être honnête, des En écho à certains travaux de géographes sur la mobilité indépen-
venir une jeune femme ! Défends-toi, fais attention, mais ne drama- dante des enfants, qui font état, dans des contextes urbains variés, d’une
d’un peu trop près... Je lui ai dit : « C’est normal, tu commences à de- différenciation des modalités d’accès des garçons et des filles aux espaces
voulait ? » Elle avait un peu peur en fait. Cet homme devait la regarder publics (Valentine & McKendrick, 1997 ; Karsten, 1998), ces pratiques
n’arrêtait pas de me regarder les jambes, mais pourquoi, qu’est-ce qu’il renvoient à une expérience plus large de ces espaces qui est fortement
nous étions ensemble, ma fille m’agrippe et me dit : « Maman, un homme structurée par la dimension de genre, en particulier du côté des mères. Ce
Réponse. — Non. Peut-être... Une fois ma fille, dans le métro je crois, qui correspond à une véritable restriction genrée de l’accès aux espaces
Question. — Jusqu’ici ils n’ont donc pas eu de problèmes dans le quartier ? publics n’est pas sans rappeler les observations sur des terrains souvent
considérés a priori comme plus hostiles aux femmes : les pratiques quo-
fait un peu plus attention ». On leur apprend « comment réagir » : tidiennes des parents rencontrés dans le 19e arrondissement et dans le
contrôle majeur des lieux autorisés à la fréquentation. Pour les filles, « on triangle Monza-Padova montrent bien que la restriction de l’accès des
s’exprime également à travers des horaires de retour moins lâches et un femmes aux espaces publics n’est pas l’apanage des « cités » (Clair, 2005)
particulier en ce qui concerne leur habillement. Ce traitement différencié ni de pays lointains souvent considérés comme rétrogrades (Le Renard,
2011).
Produite par un contrôle plus strict de l’accès des filles aux espaces pu-
Pratiques urbaines et ségrégation 114 blics, la ségrégation de genre est une première manifestation du caractère
ségrégatif de l’encadrement parental des pratiques urbaines enfantines.
Moins stricte auprès des filles les plus jeunes, la veille vestimentaire
provoques pas, tu n’attires pas le regard, essaie d’être neutre, regarde le
puis tu te couvres les cuisses », le reste c’est pas très grave... Voilà, tu ne
gnes du métro c’est : « Tu te couvres les épaules, tu te couvres les seins et s’accentue avec la puberté et l’amplitude accrue des mobilités :
gnes, ça évolue avec l’âge aussi, donc c’est vrai qu’aujourd’hui les consi-
mais pas toute seule », il y a un minimum de... Pour revenir sur les consi- Bon, après, elle a des consignes, de ne pas aller se balader dans le métro
à mi-hauteur de ses cuisses]. Je lui ai dit cette nuit-là : « C’est où tu veux avec une jupe comme ça, un machin jusque-là quoi [elle pose ses mains
avec une jupe comme ça, un machin jusque-là quoi [elle pose ses mains à mi-hauteur de ses cuisses]. Je lui ai dit cette nuit-là : « C’est où tu veux
Bon, après, elle a des consignes, de ne pas aller se balader dans le métro mais pas toute seule », il y a un minimum de... Pour revenir sur les consi-
gnes, ça évolue avec l’âge aussi, donc c’est vrai qu’aujourd’hui les consi-
s’accentue avec la puberté et l’amplitude accrue des mobilités : gnes du métro c’est : « Tu te couvres les épaules, tu te couvres les seins et
Moins stricte auprès des filles les plus jeunes, la veille vestimentaire puis tu te couvres les cuisses », le reste c’est pas très grave... Voilà, tu ne
provoques pas, tu n’attires pas le regard, essaie d’être neutre, regarde le
immobiliers, Milan ; une fille de 12 ans, deux fils de 12 et 9 ans) paysage. [Rire.] (Monique, cadre de ressources humaines dans le secteur
C’était impossible d’aller faire un tour. (Maria, administratrice de biens privé, Paris ; une fille de 14 ans)
blondes aux yeux bleus... Quand j’avais treize ans c’était quelque chose...
tise pas. » [...] C’était pareil pour moi à son âge, pour être honnête, des En écho à certains travaux de géographes sur la mobilité indépen-
venir une jeune femme ! Défends-toi, fais attention, mais ne drama- dante des enfants, qui font état, dans des contextes urbains variés, d’une
d’un peu trop près... Je lui ai dit : « C’est normal, tu commences à de- différenciation des modalités d’accès des garçons et des filles aux espaces
voulait ? » Elle avait un peu peur en fait. Cet homme devait la regarder publics (Valentine & McKendrick, 1997 ; Karsten, 1998), ces pratiques
n’arrêtait pas de me regarder les jambes, mais pourquoi, qu’est-ce qu’il renvoient à une expérience plus large de ces espaces qui est fortement
nous étions ensemble, ma fille m’agrippe et me dit : « Maman, un homme structurée par la dimension de genre, en particulier du côté des mères. Ce
Réponse. — Non. Peut-être... Une fois ma fille, dans le métro je crois, qui correspond à une véritable restriction genrée de l’accès aux espaces
Question. — Jusqu’ici ils n’ont donc pas eu de problèmes dans le quartier ? publics n’est pas sans rappeler les observations sur des terrains souvent
considérés a priori comme plus hostiles aux femmes : les pratiques quo-
fait un peu plus attention ». On leur apprend « comment réagir » : tidiennes des parents rencontrés dans le 19e arrondissement et dans le
contrôle majeur des lieux autorisés à la fréquentation. Pour les filles, « on triangle Monza-Padova montrent bien que la restriction de l’accès des
s’exprime également à travers des horaires de retour moins lâches et un femmes aux espaces publics n’est pas l’apanage des « cités » (Clair, 2005)
particulier en ce qui concerne leur habillement. Ce traitement différencié ni de pays lointains souvent considérés comme rétrogrades (Le Renard,
2011).
Produite par un contrôle plus strict de l’accès des filles aux espaces pu-
Pratiques urbaines et ségrégation 114 blics, la ségrégation de genre est une première manifestation du caractère
ségrégatif de l’encadrement parental des pratiques urbaines enfantines.
enfants (à l’exception de celle du pédophile, qui est transversale) revêt une
Clément Rivière 115 principale figure perçue à Paris et à Milan comme une menace pour les
social (Lepoutre, 1997 ; Lapeyronnie, 2008). Si cette différenciation de la
à celle qu’on peut observer dans les quartiers périphériques d’habitat
Illustrant la variation dans le temps et dans l’espace des figures du danger lité et de leur intense sociabilité dans les espaces publics, assez semblable
au sein des espaces publics (Lofland, 1998), les préoccupations parentales part de nombre des parents rencontrés, notamment du fait de leur visibi-
diffèrent toutefois sensiblement sur les deux terrains. La méfiance mar- sociale et scolaire, les jeunes font l’objet d’une critique morale forte de la
quée envers les « étrangers » (stranieri) observée à Milan s’oppose ainsi l’évitement scolaire. Contrastant fortement avec leurs modèles de réussite
à une articulation plus complexe de l’ethnicité avec le genre, l’âge et la instrumental aux espaces publics, renforcé par une propension majeure à
classe dans la construction du stigmate à Paris, qui s’exprime à travers supérieures, dont les enfants entretiennent généralement un rapport plus
la figure des « jeunes », euphémisme désignant les jeunes garçons des sérieusement envisagée par les parents des classes moyennes et moyennes
catégories populaires et d’origine immigrée, communément associés à la tier, activité quasi unanimement condamnée mais en définitive moins
microcriminalité et à des usages considérés comme impropres des espaces Ce temps risque alors d’être mis à profit pour « traîner » dans le quar-
publics. ceux qui disposent de davantage de temps libre en dehors de l’école.
La consommation et / ou la vente de drogue, l’appropriation plus ou moins favorisées et / ou d’origine étrangère, dont les enfants sont souvent
moins bruyante de certains espaces sont également fréquemment repro- non désirables, y compris pour les parents appartenant aux catégories les
chées aux « étrangers » par les parents du triangle Monza-Padova, qui ten- souvent implicite, sont avant tout considérés comme des fréquentations
dent à les considérer comme des interactants potentiellement dangereux jeux de socialisation. Les jeunes, dont l’origine étrangère demeure le plus
pour leurs enfants – en particulier pour les filles. L’idéalisation fréquente les préoccupations parentales s’y concentrent davantage autour des en-
des rapports sociaux prévalant dans le quartier – décrit comme bien plus complètement dissociées de la figure des jeunes dans le 19e arrondissement,
sûr alors pour les enfants – avant l’apparition puis l’essor de l’immigra- Bien que les craintes pour l’intégrité physique des enfants ne soient pas
tion s’accompagne de pratiques d’évitement des espaces qui sont le plus local (trafic de drogue, saleté, bris de bouteille, maladies).
étroitement associés à cette présence immigrée, ainsi que d’une structu- vement) et celles qui sont associées à leur présence visible dans l’espace
ration forte des peurs parentales autour de la figure du « clandestin » et générales des immigrés comme prédateurs (agressions, racket, voire enlè-
de la violence associée aux relations interethniques. Les menaces consi- dérées sont de deux ordres : celles qui sont liées à des représentations plus
dérées sont de deux ordres : celles qui sont liées à des représentations plus de la violence associée aux relations interethniques. Les menaces consi-
générales des immigrés comme prédateurs (agressions, racket, voire enlè- ration forte des peurs parentales autour de la figure du « clandestin » et
vement) et celles qui sont associées à leur présence visible dans l’espace étroitement associés à cette présence immigrée, ainsi que d’une structu-
local (trafic de drogue, saleté, bris de bouteille, maladies). tion s’accompagne de pratiques d’évitement des espaces qui sont le plus
Bien que les craintes pour l’intégrité physique des enfants ne soient pas sûr alors pour les enfants – avant l’apparition puis l’essor de l’immigra-
complètement dissociées de la figure des jeunes dans le 19e arrondissement, des rapports sociaux prévalant dans le quartier – décrit comme bien plus
les préoccupations parentales s’y concentrent davantage autour des en- pour leurs enfants – en particulier pour les filles. L’idéalisation fréquente
jeux de socialisation. Les jeunes, dont l’origine étrangère demeure le plus dent à les considérer comme des interactants potentiellement dangereux
souvent implicite, sont avant tout considérés comme des fréquentations chées aux « étrangers » par les parents du triangle Monza-Padova, qui ten-
non désirables, y compris pour les parents appartenant aux catégories les moins bruyante de certains espaces sont également fréquemment repro-
moins favorisées et / ou d’origine étrangère, dont les enfants sont souvent La consommation et / ou la vente de drogue, l’appropriation plus ou
ceux qui disposent de davantage de temps libre en dehors de l’école. publics.
Ce temps risque alors d’être mis à profit pour « traîner » dans le quar- microcriminalité et à des usages considérés comme impropres des espaces
tier, activité quasi unanimement condamnée mais en définitive moins catégories populaires et d’origine immigrée, communément associés à la
sérieusement envisagée par les parents des classes moyennes et moyennes la figure des « jeunes », euphémisme désignant les jeunes garçons des
supérieures, dont les enfants entretiennent généralement un rapport plus classe dans la construction du stigmate à Paris, qui s’exprime à travers
instrumental aux espaces publics, renforcé par une propension majeure à à une articulation plus complexe de l’ethnicité avec le genre, l’âge et la
l’évitement scolaire. Contrastant fortement avec leurs modèles de réussite quée envers les « étrangers » (stranieri) observée à Milan s’oppose ainsi
sociale et scolaire, les jeunes font l’objet d’une critique morale forte de la diffèrent toutefois sensiblement sur les deux terrains. La méfiance mar-
part de nombre des parents rencontrés, notamment du fait de leur visibi- au sein des espaces publics (Lofland, 1998), les préoccupations parentales
lité et de leur intense sociabilité dans les espaces publics, assez semblable Illustrant la variation dans le temps et dans l’espace des figures du danger
à celle qu’on peut observer dans les quartiers périphériques d’habitat
social (Lepoutre, 1997 ; Lapeyronnie, 2008). Si cette différenciation de la
principale figure perçue à Paris et à Milan comme une menace pour les 115 Clément Rivière
enfants (à l’exception de celle du pédophile, qui est transversale) revêt une
Bibliographie
*
La restriction genrée de l’accès aux espaces publics et la structuration
à la ville. locale des figures du danger éclairent le caractère potentiellement sé-
le rapport qu’entretiennent ces derniers avec leur espace de résidence et grégatif de l’encadrement parental des pratiques urbaines enfantines. S’il
l’encadrement parental maintient une empreinte à plus long terme sur s’agissait ici avant tout de bien délimiter les contours de ce point aveugle
tiques urbaines des enfants à l’instant t, on est en droit de penser que que sont les pratiques urbaines dans l’étude de la fabrique de la ségré-
et du mélange dans les espaces urbains : s’il concerne avant tout les pra- gation, l’exploitation approfondie des entretiens doit nous permettre
sociologique dont l’intérêt est double, du point de vue de la ségrégation d’examiner plus finement les rouages de l’évitement urbain. Au cœur du
duire et reproduire. Ces pratiques parentales constituent donc un objet travail empirique, l’étude de la différenciation des pratiques et des repré-
ment parental des pratiques urbaines contribue sans aucun doute à pro- sentations des parents rencontrés est l’occasion d’aborder la structuration
entre espaces publics, féminité et danger (Lieber, 2008), que l’encadre- sociale de l’encadrement parental, mais aussi d’en envisager la dimension
elle permet de mieux comprendre comment se fabrique l’association structurante.
la dimension de genre différencie les utilisations des espaces publics : Ainsi, la contradiction relevée entre la personnalisation du traitement
n’est pas simplement une nouvelle illustration de la force avec laquelle des enfants et la préoccupation transversale pour la tranquillité des filles
des enfants et la préoccupation transversale pour la tranquillité des filles n’est pas simplement une nouvelle illustration de la force avec laquelle
Ainsi, la contradiction relevée entre la personnalisation du traitement la dimension de genre différencie les utilisations des espaces publics :
structurante. elle permet de mieux comprendre comment se fabrique l’association
sociale de l’encadrement parental, mais aussi d’en envisager la dimension entre espaces publics, féminité et danger (Lieber, 2008), que l’encadre-
sentations des parents rencontrés est l’occasion d’aborder la structuration ment parental des pratiques urbaines contribue sans aucun doute à pro-
travail empirique, l’étude de la différenciation des pratiques et des repré- duire et reproduire. Ces pratiques parentales constituent donc un objet
d’examiner plus finement les rouages de l’évitement urbain. Au cœur du sociologique dont l’intérêt est double, du point de vue de la ségrégation
gation, l’exploitation approfondie des entretiens doit nous permettre et du mélange dans les espaces urbains : s’il concerne avant tout les pra-
que sont les pratiques urbaines dans l’étude de la fabrique de la ségré- tiques urbaines des enfants à l’instant t, on est en droit de penser que
s’agissait ici avant tout de bien délimiter les contours de ce point aveugle l’encadrement parental maintient une empreinte à plus long terme sur
grégatif de l’encadrement parental des pratiques urbaines enfantines. S’il le rapport qu’entretiennent ces derniers avec leur espace de résidence et
locale des figures du danger éclairent le caractère potentiellement sé- à la ville.
La restriction genrée de l’accès aux espaces publics et la structuration
Bibliographie
*
Ariès Philippe (1973), L’Enfant et la Vie familiale sous l’Ancien Régime,
quotidienne de la ségrégation, y compris en contexte de mixité sociale. Paris, Seuil.
cond vecteur par lequel les pratiques urbaines contribuent à la fabrique Authier Jean-Yves, Bacqué Marie-Hélène & Guérin-Pace France (dir.)
des héritages historiques dans la construction de l’évitement urbain, se- (2007), Le Quartier : enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques
cas, elle montre bien le rôle des structures sociales et urbaines autant que sociales, Paris, La Découverte.
dimension idéaltypique et doit faire l’objet de nuances pour chacun des Brun Jacques & Rhein Catherine (dir.) (1994), La Ségrégation dans la
ville : concepts et mesures, Paris, L’Harmattan.
Butler Tim (2003), “Living in the Bubble: Gentrification and its
Pratiques urbaines et ségrégation 116 ‘Others’ in North London”, Urban Studies, vol. 40, no 12, p. 2469-
2486.
2486.
‘Others’ in North London”, Urban Studies, vol. 40, no 12, p. 2469- 116 Pratiques urbaines et ségrégation
Butler Tim (2003), “Living in the Bubble: Gentrification and its
ville : concepts et mesures, Paris, L’Harmattan.
Brun Jacques & Rhein Catherine (dir.) (1994), La Ségrégation dans la dimension idéaltypique et doit faire l’objet de nuances pour chacun des
sociales, Paris, La Découverte. cas, elle montre bien le rôle des structures sociales et urbaines autant que
(2007), Le Quartier : enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques des héritages historiques dans la construction de l’évitement urbain, se-
Authier Jean-Yves, Bacqué Marie-Hélène & Guérin-Pace France (dir.) cond vecteur par lequel les pratiques urbaines contribuent à la fabrique
Paris, Seuil. quotidienne de la ségrégation, y compris en contexte de mixité sociale.
Ariès Philippe (1973), L’Enfant et la Vie familiale sous l’Ancien Régime,
Bibliographie
*
La restriction genrée de l’accès aux espaces publics et la structuration
à la ville. locale des figures du danger éclairent le caractère potentiellement sé-
le rapport qu’entretiennent ces derniers avec leur espace de résidence et grégatif de l’encadrement parental des pratiques urbaines enfantines. S’il
l’encadrement parental maintient une empreinte à plus long terme sur s’agissait ici avant tout de bien délimiter les contours de ce point aveugle
tiques urbaines des enfants à l’instant t, on est en droit de penser que que sont les pratiques urbaines dans l’étude de la fabrique de la ségré-
et du mélange dans les espaces urbains : s’il concerne avant tout les pra- gation, l’exploitation approfondie des entretiens doit nous permettre
sociologique dont l’intérêt est double, du point de vue de la ségrégation d’examiner plus finement les rouages de l’évitement urbain. Au cœur du
duire et reproduire. Ces pratiques parentales constituent donc un objet travail empirique, l’étude de la différenciation des pratiques et des repré-
ment parental des pratiques urbaines contribue sans aucun doute à pro- sentations des parents rencontrés est l’occasion d’aborder la structuration
entre espaces publics, féminité et danger (Lieber, 2008), que l’encadre- sociale de l’encadrement parental, mais aussi d’en envisager la dimension
elle permet de mieux comprendre comment se fabrique l’association structurante.
la dimension de genre différencie les utilisations des espaces publics : Ainsi, la contradiction relevée entre la personnalisation du traitement
n’est pas simplement une nouvelle illustration de la force avec laquelle des enfants et la préoccupation transversale pour la tranquillité des filles
des enfants et la préoccupation transversale pour la tranquillité des filles n’est pas simplement une nouvelle illustration de la force avec laquelle
Ainsi, la contradiction relevée entre la personnalisation du traitement la dimension de genre différencie les utilisations des espaces publics :
structurante. elle permet de mieux comprendre comment se fabrique l’association
sociale de l’encadrement parental, mais aussi d’en envisager la dimension entre espaces publics, féminité et danger (Lieber, 2008), que l’encadre-
sentations des parents rencontrés est l’occasion d’aborder la structuration ment parental des pratiques urbaines contribue sans aucun doute à pro-
travail empirique, l’étude de la différenciation des pratiques et des repré- duire et reproduire. Ces pratiques parentales constituent donc un objet
d’examiner plus finement les rouages de l’évitement urbain. Au cœur du sociologique dont l’intérêt est double, du point de vue de la ségrégation
gation, l’exploitation approfondie des entretiens doit nous permettre et du mélange dans les espaces urbains : s’il concerne avant tout les pra-
que sont les pratiques urbaines dans l’étude de la fabrique de la ségré- tiques urbaines des enfants à l’instant t, on est en droit de penser que
s’agissait ici avant tout de bien délimiter les contours de ce point aveugle l’encadrement parental maintient une empreinte à plus long terme sur
grégatif de l’encadrement parental des pratiques urbaines enfantines. S’il le rapport qu’entretiennent ces derniers avec leur espace de résidence et
locale des figures du danger éclairent le caractère potentiellement sé- à la ville.
La restriction genrée de l’accès aux espaces publics et la structuration
Bibliographie
*
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quotidienne de la ségrégation, y compris en contexte de mixité sociale. Paris, Seuil.
cond vecteur par lequel les pratiques urbaines contribuent à la fabrique Authier Jean-Yves, Bacqué Marie-Hélène & Guérin-Pace France (dir.)
des héritages historiques dans la construction de l’évitement urbain, se- (2007), Le Quartier : enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques
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Pratiques urbaines et ségrégation 118 Wacquant Loïc (2007), Parias urbains : ghetto, banlieues, État, Sébastien
Chauvin (trad.), Paris, La Découverte.
LE TRAVAIL DE CONVERSION IMMOBILIÈRE professionnels n’interviennent massivement, ce sont des particuliers qui,
DANS LE BAS-MONTREUIL atypiques potentiellement convertibles en lofts2. Pourtant, avant que ces
mobiliers à se spécialiser dans le repérage et la mise en vente de surfaces
bruts » supposés issus du découpage d’anciennes usines, ou des agents im-
Anaïs Collet pu conduire des promoteurs à fabriquer de toutes pièces ces « plateaux
turé et orienté la revalorisation du parc immobilier existant, ce qui a
Le Bas-Montreuil, quartier de la petite couronne limitrophe au 20e ar- recherchés. La représentation des lofts montreuillois a sans conteste struc-
rondissement de Paris, s’est profondément transformé depuis le milieu des de lofts, de maisons agrandies et de surfaces atypiques particulièrement
années 1980. Gravement touché par la crise industrielle des années 1970, l’agglomération parisienne, mais aussi au développement d’un marché
il a vu sa population se renouveler sous l’effet du départ ou du décès liée bien évidemment à celle de l’ensemble de l’immobilier du cœur de
des anciens habitants et, surtout, de l’arrivée de jeunes ménages qualifiés immobilier montreuillois a en effet connu une très forte valorisation1,
(Collet, 2010). D’abord peu visible, ce phénomène de gentrification s’est d’anciens locaux industriels à transformer. Dix ans plus tard, le marché
manifesté au tournant des années 2000 sous l’aspect d’un rapide change- de bonnes affaires aux portes de Paris : des pavillons décrépis à rénover,
ment d’image du quartier et d’un « réveil » du marché immobilier local, En même temps, le secteur immobilier le présentait comme l’occasion
cette double revalorisation – à la fois symbolique et économique – repo- pour ses usines reconverties à Brooklyn, TriBeCa ou Prenzlauer Berg.
sant en partie sur la mise en avant d’un type de bien caractéristique, le loft saient intellectuels et artistes, que les journalistes en venaient à comparer
et ses avatars (« surfaces atypiques », « plateaux » à aménager, etc.). On a ainsi vu paraître dans la presse l’image d’un quartier à la mode, où se pres-
ainsi vu paraître dans la presse l’image d’un quartier à la mode, où se pres- et ses avatars (« surfaces atypiques », « plateaux » à aménager, etc.). On a
saient intellectuels et artistes, que les journalistes en venaient à comparer sant en partie sur la mise en avant d’un type de bien caractéristique, le loft
pour ses usines reconverties à Brooklyn, TriBeCa ou Prenzlauer Berg. cette double revalorisation – à la fois symbolique et économique – repo-
En même temps, le secteur immobilier le présentait comme l’occasion ment d’image du quartier et d’un « réveil » du marché immobilier local,
de bonnes affaires aux portes de Paris : des pavillons décrépis à rénover, manifesté au tournant des années 2000 sous l’aspect d’un rapide change-
d’anciens locaux industriels à transformer. Dix ans plus tard, le marché (Collet, 2010). D’abord peu visible, ce phénomène de gentrification s’est
immobilier montreuillois a en effet connu une très forte valorisation1, des anciens habitants et, surtout, de l’arrivée de jeunes ménages qualifiés
liée bien évidemment à celle de l’ensemble de l’immobilier du cœur de il a vu sa population se renouveler sous l’effet du départ ou du décès
l’agglomération parisienne, mais aussi au développement d’un marché années 1980. Gravement touché par la crise industrielle des années 1970,
de lofts, de maisons agrandies et de surfaces atypiques particulièrement rondissement de Paris, s’est profondément transformé depuis le milieu des
recherchés. La représentation des lofts montreuillois a sans conteste struc- Le Bas-Montreuil, quartier de la petite couronne limitrophe au 20e ar-
turé et orienté la revalorisation du parc immobilier existant, ce qui a
pu conduire des promoteurs à fabriquer de toutes pièces ces « plateaux Anaïs Collet
bruts » supposés issus du découpage d’anciennes usines, ou des agents im-
mobiliers à se spécialiser dans le repérage et la mise en vente de surfaces
atypiques potentiellement convertibles en lofts2. Pourtant, avant que ces DANS LE BAS-MONTREUIL
professionnels n’interviennent massivement, ce sont des particuliers qui, LE TRAVAIL DE CONVERSION IMMOBILIÈRE
LES HABITANTS, PRODUCTEURS D’ESPACES GENTRIFIÉS ?
1. En témoignent l’augmentation du nombre de transactions enregistrées par les no-
taires entre 1998 et 2007 (+ 51 % dans l’ensemble de la ville, + 57 % dans le seul Bas-
Montreuil) ainsi qu’une croissance des prix inédite et extrêmement rapide au début des
années 2000 : les prix montreuillois étaient restés insensibles lors de la précédente hausse
des prix parisiens de 1986-1991, et la ville détenait en 2003 le record de croissance des
prix moyens dans l’ancien pour toute la petite couronne (+ 30 % en un an). L’analyse des
prix par quartiers montre que c’est le Bas-Montreuil qui a d’abord tiré ce prix moyen
vers le haut. Source : bases BIEN de 1998 et 2007, association Paris Notaires.
2. Voir par exemple les activités de la société 2S Immo (www.2simmo.com).
LE TRAVAIL DE CONVERSION IMMOBILIÈRE professionnels n’interviennent massivement, ce sont des particuliers qui,
DANS LE BAS-MONTREUIL atypiques potentiellement convertibles en lofts2. Pourtant, avant que ces
mobiliers à se spécialiser dans le repérage et la mise en vente de surfaces
bruts » supposés issus du découpage d’anciennes usines, ou des agents im-
Anaïs Collet pu conduire des promoteurs à fabriquer de toutes pièces ces « plateaux
turé et orienté la revalorisation du parc immobilier existant, ce qui a
Le Bas-Montreuil, quartier de la petite couronne limitrophe au 20e ar- recherchés. La représentation des lofts montreuillois a sans conteste struc-
rondissement de Paris, s’est profondément transformé depuis le milieu des de lofts, de maisons agrandies et de surfaces atypiques particulièrement
années 1980. Gravement touché par la crise industrielle des années 1970, l’agglomération parisienne, mais aussi au développement d’un marché
il a vu sa population se renouveler sous l’effet du départ ou du décès liée bien évidemment à celle de l’ensemble de l’immobilier du cœur de
des anciens habitants et, surtout, de l’arrivée de jeunes ménages qualifiés immobilier montreuillois a en effet connu une très forte valorisation1,
(Collet, 2010). D’abord peu visible, ce phénomène de gentrification s’est d’anciens locaux industriels à transformer. Dix ans plus tard, le marché
manifesté au tournant des années 2000 sous l’aspect d’un rapide change- de bonnes affaires aux portes de Paris : des pavillons décrépis à rénover,
ment d’image du quartier et d’un « réveil » du marché immobilier local, En même temps, le secteur immobilier le présentait comme l’occasion
cette double revalorisation – à la fois symbolique et économique – repo- pour ses usines reconverties à Brooklyn, TriBeCa ou Prenzlauer Berg.
sant en partie sur la mise en avant d’un type de bien caractéristique, le loft saient intellectuels et artistes, que les journalistes en venaient à comparer
et ses avatars (« surfaces atypiques », « plateaux » à aménager, etc.). On a ainsi vu paraître dans la presse l’image d’un quartier à la mode, où se pres-
ainsi vu paraître dans la presse l’image d’un quartier à la mode, où se pres- et ses avatars (« surfaces atypiques », « plateaux » à aménager, etc.). On a
saient intellectuels et artistes, que les journalistes en venaient à comparer sant en partie sur la mise en avant d’un type de bien caractéristique, le loft
pour ses usines reconverties à Brooklyn, TriBeCa ou Prenzlauer Berg. cette double revalorisation – à la fois symbolique et économique – repo-
En même temps, le secteur immobilier le présentait comme l’occasion ment d’image du quartier et d’un « réveil » du marché immobilier local,
de bonnes affaires aux portes de Paris : des pavillons décrépis à rénover, manifesté au tournant des années 2000 sous l’aspect d’un rapide change-
d’anciens locaux industriels à transformer. Dix ans plus tard, le marché (Collet, 2010). D’abord peu visible, ce phénomène de gentrification s’est
immobilier montreuillois a en effet connu une très forte valorisation1, des anciens habitants et, surtout, de l’arrivée de jeunes ménages qualifiés
liée bien évidemment à celle de l’ensemble de l’immobilier du cœur de il a vu sa population se renouveler sous l’effet du départ ou du décès
l’agglomération parisienne, mais aussi au développement d’un marché années 1980. Gravement touché par la crise industrielle des années 1970,
de lofts, de maisons agrandies et de surfaces atypiques particulièrement rondissement de Paris, s’est profondément transformé depuis le milieu des
recherchés. La représentation des lofts montreuillois a sans conteste struc- Le Bas-Montreuil, quartier de la petite couronne limitrophe au 20e ar-
turé et orienté la revalorisation du parc immobilier existant, ce qui a
pu conduire des promoteurs à fabriquer de toutes pièces ces « plateaux Anaïs Collet
bruts » supposés issus du découpage d’anciennes usines, ou des agents im-
mobiliers à se spécialiser dans le repérage et la mise en vente de surfaces
atypiques potentiellement convertibles en lofts2. Pourtant, avant que ces DANS LE BAS-MONTREUIL
professionnels n’interviennent massivement, ce sont des particuliers qui, LE TRAVAIL DE CONVERSION IMMOBILIÈRE
LES HABITANTS, PRODUCTEURS D’ESPACES GENTRIFIÉS ?
1. En témoignent l’augmentation du nombre de transactions enregistrées par les no-
taires entre 1998 et 2007 (+ 51 % dans l’ensemble de la ville, + 57 % dans le seul Bas-
Montreuil) ainsi qu’une croissance des prix inédite et extrêmement rapide au début des
années 2000 : les prix montreuillois étaient restés insensibles lors de la précédente hausse
des prix parisiens de 1986-1991, et la ville détenait en 2003 le record de croissance des
prix moyens dans l’ancien pour toute la petite couronne (+ 30 % en un an). L’analyse des
prix par quartiers montre que c’est le Bas-Montreuil qui a d’abord tiré ce prix moyen
vers le haut. Source : bases BIEN de 1998 et 2007, association Paris Notaires.
2. Voir par exemple les activités de la société 2S Immo (www.2simmo.com).
Zachariasen & Poltorak (2006).
6. Quelques travaux font toutefois exception, notamment Bordreuil (1994), Bidou-
faufilant dans les maillons faibles du marché immobilier » (1984, p. 30). 120 Les habitants, producteurs d’espaces gentrifiés ?
nouveaux habitants se glissent dans les interstices d’un tissu urbain en transformation, se
suivant : dans le cadre des grandes tendances d’évolution qui affectent la capitale […], de
d’y habiter, avec pour seule transition le constat suivant : « Le processus semble être le
au cours des années 1980 et 1990, ont converti en logements d’anciens
entrepôts, usines, garages, locaux d’activités désaffectés3 et souvent déla-
à Paris, passe de l’exposition des motifs du « choix » de ce quartier à l’analyse des façons
5. Ainsi Sabine Chalvon-Demersay, à propos de la transformation du quartier Daguerre
Tissot (2011). brés, transformant à la fois le bâti, ses fonctions et sa valeur économique
4. Citons par exemple Bensoussan (1982), Chalvon-Demersay (1984) ou plus récemment et faisant évoluer les « règles du jeu » immobilier local.
logements sociaux illégaux... La production des espaces gentrifiés est au cœur des analyses de la
3. Certains bâtiments ayant de facto une nouvelle affectation illégale : ateliers clandestins, gentrification. Toutefois, alors que les dimensions sociales et symboliques
du « travail de gentrification » ont fait l’objet de nombreux travaux4, plus
gentrifieurs ayant transformé en logements d’anciens locaux d’activité rares sont ceux qui étudient les modalités de l’appropriation et de la
C’est ce que nous allons montrer à partir d’une enquête auprès de conversion des bâtiments, des « mètres carrés » habitables. Dans les théo-
le déclassement résidentiel auquel leurs seuls revenus les promettaient. ries marxistes, le problème est souvent supposé résolu par la seule force
ment permet de valoriser certaines ressources non financières et d’éviter des intérêts économiques. C’est le cas dans la théorie du différentiel de
Pour ceux-là, en retour, l’investissement dans la fabrication d’un loge- la rente foncière initialement défendue par Smith (1979), qui « suppose
bue aussi à « filtrer » les ménages à même de mener une telle entreprise. les consistances territoriales solubles dans les “eaux glacées du calcul
professionnels ou sociaux. La configuration du marché immobilier contri- égoïste” » (Bordreuil, 1994, p. 157) et que Smith lui-même amendera
ressources doivent pouvoir être mobilisées, et qui suppose de forts enjeux quelques années plus tard (1987). Mais c’est aussi le cas d’autres travaux,
représente en effet un important travail, au cours duquel de multiples plus anthropologiques, qui font référence aux « failles » du marché immo-
culier : acquérir et transformer d’anciens locaux d’activité en logements bilier sans expliciter la façon dont les nouveaux habitants s’y « glissent5 ».
que parmi les gentrifieurs, les « convertisseurs » présentent un profil parti- Peu de travaux6 étudient concrètement la nature de ces « interstices
sociaux. Elle montre, à Montreuil comme à SoHo ou à Sainte-Marthe, urbains » et la façon dont les premiers gentrifieurs s’y « faufilent » : par
seulement les modalités du changement urbain, mais aussi ses ressorts quel biais ils ont connaissance de leur existence, pourquoi ils les estiment
les transformer. Pourtant, l’analyse minutieuse de ces processus éclaire non « appropriables », quelles ressources ils mobilisent pour y accéder et pour
« appropriables », quelles ressources ils mobilisent pour y accéder et pour les transformer. Pourtant, l’analyse minutieuse de ces processus éclaire non
quel biais ils ont connaissance de leur existence, pourquoi ils les estiment seulement les modalités du changement urbain, mais aussi ses ressorts
urbains » et la façon dont les premiers gentrifieurs s’y « faufilent » : par sociaux. Elle montre, à Montreuil comme à SoHo ou à Sainte-Marthe,
Peu de travaux6 étudient concrètement la nature de ces « interstices que parmi les gentrifieurs, les « convertisseurs » présentent un profil parti-
bilier sans expliciter la façon dont les nouveaux habitants s’y « glissent5 ». culier : acquérir et transformer d’anciens locaux d’activité en logements
plus anthropologiques, qui font référence aux « failles » du marché immo- représente en effet un important travail, au cours duquel de multiples
quelques années plus tard (1987). Mais c’est aussi le cas d’autres travaux, ressources doivent pouvoir être mobilisées, et qui suppose de forts enjeux
égoïste” » (Bordreuil, 1994, p. 157) et que Smith lui-même amendera professionnels ou sociaux. La configuration du marché immobilier contri-
les consistances territoriales solubles dans les “eaux glacées du calcul bue aussi à « filtrer » les ménages à même de mener une telle entreprise.
la rente foncière initialement défendue par Smith (1979), qui « suppose Pour ceux-là, en retour, l’investissement dans la fabrication d’un loge-
des intérêts économiques. C’est le cas dans la théorie du différentiel de ment permet de valoriser certaines ressources non financières et d’éviter
ries marxistes, le problème est souvent supposé résolu par la seule force le déclassement résidentiel auquel leurs seuls revenus les promettaient.
conversion des bâtiments, des « mètres carrés » habitables. Dans les théo- C’est ce que nous allons montrer à partir d’une enquête auprès de
rares sont ceux qui étudient les modalités de l’appropriation et de la gentrifieurs ayant transformé en logements d’anciens locaux d’activité
du « travail de gentrification » ont fait l’objet de nombreux travaux4, plus
gentrification. Toutefois, alors que les dimensions sociales et symboliques 3. Certains bâtiments ayant de facto une nouvelle affectation illégale : ateliers clandestins,
La production des espaces gentrifiés est au cœur des analyses de la logements sociaux illégaux...
et faisant évoluer les « règles du jeu » immobilier local. 4. Citons par exemple Bensoussan (1982), Chalvon-Demersay (1984) ou plus récemment
brés, transformant à la fois le bâti, ses fonctions et sa valeur économique Tissot (2011).
entrepôts, usines, garages, locaux d’activités désaffectés3 et souvent déla- 5. Ainsi Sabine Chalvon-Demersay, à propos de la transformation du quartier Daguerre
à Paris, passe de l’exposition des motifs du « choix » de ce quartier à l’analyse des façons
d’y habiter, avec pour seule transition le constat suivant : « Le processus semble être le
au cours des années 1980 et 1990, ont converti en logements d’anciens
suivant : dans le cadre des grandes tendances d’évolution qui affectent la capitale […], de
nouveaux habitants se glissent dans les interstices d’un tissu urbain en transformation, se
Les habitants, producteurs d’espaces gentrifiés ? 120 faufilant dans les maillons faibles du marché immobilier » (1984, p. 30).
6. Quelques travaux font toutefois exception, notamment Bordreuil (1994), Bidou-
Zachariasen & Poltorak (2006).
Anaïs Collet 125 des mesures de maîtrise de l’occupation des sols. L’usage du droit de
mairie dans ses opérations d’aménagement et accentue les effets pervers
Mais la bulle immobilière de la période 1987-1995 met en difficulté la
communiste n’a pas cru au caractère définitif de la désindustrialisation en dire de locaux d’activités tertiaires dans d’anciennes usines).
Île-de-France et a opté pour une politique de conservation industrielle gements sociaux et aménagement de centres d’activité de pointe, c’est-à-
via l’urbanisme réglementaire (POS contraignant, COS12 industriel élevé société d’économie mixte municipale garde la main, construction de lo-
et COS résidentiel bas ou nul). Un projet d’autoroute, plus tard aban- spontanées (création de zones d’aménagement concerté sur lesquelles la
donné, a aussi conduit à geler un temps les terrains de la partie sud du d’envergure destinées à accompagner et à encadrer les transformations
quartier. Ces mesures ont surtout conduit à la multiplication des friches d’affectation des locaux d’activité) et des opérations d’aménagement
industrielles et à la dégradation des logements, que leurs propriétaires urbain renforcé sur toute la commune, contrôle renforcé du changement
n’étaient plus incités à entretenir. À la fin des années 1980, on recensait très bas pour éloigner les promoteurs gourmands, droit de préemption
39 zones de friches dans la ville, qui couvraient 14 ha dans le seul Bas- traditionnelles de maîtrise de l’occupation des sols (fixation d’un COS
Montreuil. La « réserve industrielle » s’est progressivement transformée de la spéculation immobilière, elle réalise un compromis entre les mesures
en zone d’accueil pour les ménages les plus fragiles poussés hors de Paris de l’emploi industriel, au délabrement du bâti et à la pression croissante
par la hausse des prix de l’immobilier à la fin des années 1980 et pour les les changements que connaît de facto le quartier. Pour répondre à la chute
étrangers n’ayant pas accès au logement social. muniste, a en effet changé d’optique et décidé de reprendre la main sur
Ces friches industrielles, ces ateliers désaffectés, ces logements vétustes La nouvelle équipe municipale élue en 1984, toujours à majorité com-
occupés par une population vieillissante vont intéresser particulièrement professionnels de l’immobilier.
les jeunes professionnels à la recherche de locaux, puis les familles pari- tations, mais aussi parce qu’ils intéressent également pouvoirs publics et
siennes peu fortunées que nous avons décrites. Ce sont toutefois des biens comme on le souhaite, d’abord parce qu’ils n’ont pas le statut d’habi-
très incertains du point de vue de leur qualité comme futurs logements : stratégique » concernant la possibilité de les acquérir et de les utiliser
à quel point sont-ils pollués par les produits chimiques ? Que valent les À cette « incertitude sur la qualité » des biens s’ajoute une « incertitude
murs et la toiture ? Sera-t-il possible de chauffer l’édifice ? L’acoustique en cas de revente, pourra-t-on rentabiliser les dépenses d’aménagement ?
sera-t-elle adaptée à un usage d’habitation ? La valeur d’échange de ces biens est également incertaine, dans un marché local en transformation :
biens est également incertaine, dans un marché local en transformation : sera-t-elle adaptée à un usage d’habitation ? La valeur d’échange de ces
en cas de revente, pourra-t-on rentabiliser les dépenses d’aménagement ? murs et la toiture ? Sera-t-il possible de chauffer l’édifice ? L’acoustique
À cette « incertitude sur la qualité » des biens s’ajoute une « incertitude à quel point sont-ils pollués par les produits chimiques ? Que valent les
stratégique » concernant la possibilité de les acquérir et de les utiliser très incertains du point de vue de leur qualité comme futurs logements :
comme on le souhaite, d’abord parce qu’ils n’ont pas le statut d’habi- siennes peu fortunées que nous avons décrites. Ce sont toutefois des biens
tations, mais aussi parce qu’ils intéressent également pouvoirs publics et les jeunes professionnels à la recherche de locaux, puis les familles pari-
professionnels de l’immobilier. occupés par une population vieillissante vont intéresser particulièrement
La nouvelle équipe municipale élue en 1984, toujours à majorité com- Ces friches industrielles, ces ateliers désaffectés, ces logements vétustes
muniste, a en effet changé d’optique et décidé de reprendre la main sur étrangers n’ayant pas accès au logement social.
les changements que connaît de facto le quartier. Pour répondre à la chute par la hausse des prix de l’immobilier à la fin des années 1980 et pour les
de l’emploi industriel, au délabrement du bâti et à la pression croissante en zone d’accueil pour les ménages les plus fragiles poussés hors de Paris
de la spéculation immobilière, elle réalise un compromis entre les mesures Montreuil. La « réserve industrielle » s’est progressivement transformée
traditionnelles de maîtrise de l’occupation des sols (fixation d’un COS 39 zones de friches dans la ville, qui couvraient 14 ha dans le seul Bas-
très bas pour éloigner les promoteurs gourmands, droit de préemption n’étaient plus incités à entretenir. À la fin des années 1980, on recensait
urbain renforcé sur toute la commune, contrôle renforcé du changement industrielles et à la dégradation des logements, que leurs propriétaires
d’affectation des locaux d’activité) et des opérations d’aménagement quartier. Ces mesures ont surtout conduit à la multiplication des friches
d’envergure destinées à accompagner et à encadrer les transformations donné, a aussi conduit à geler un temps les terrains de la partie sud du
spontanées (création de zones d’aménagement concerté sur lesquelles la et COS résidentiel bas ou nul). Un projet d’autoroute, plus tard aban-
société d’économie mixte municipale garde la main, construction de lo- via l’urbanisme réglementaire (POS contraignant, COS12 industriel élevé
gements sociaux et aménagement de centres d’activité de pointe, c’est-à- Île-de-France et a opté pour une politique de conservation industrielle
dire de locaux d’activités tertiaires dans d’anciennes usines). communiste n’a pas cru au caractère définitif de la désindustrialisation en
Mais la bulle immobilière de la période 1987-1995 met en difficulté la
mairie dans ses opérations d’aménagement et accentue les effets pervers
des mesures de maîtrise de l’occupation des sols. L’usage du droit de 125 Anaïs Collet
Anaïs Collet 125 des mesures de maîtrise de l’occupation des sols. L’usage du droit de
mairie dans ses opérations d’aménagement et accentue les effets pervers
Mais la bulle immobilière de la période 1987-1995 met en difficulté la
communiste n’a pas cru au caractère définitif de la désindustrialisation en dire de locaux d’activités tertiaires dans d’anciennes usines).
Île-de-France et a opté pour une politique de conservation industrielle gements sociaux et aménagement de centres d’activité de pointe, c’est-à-
via l’urbanisme réglementaire (POS contraignant, COS12 industriel élevé société d’économie mixte municipale garde la main, construction de lo-
et COS résidentiel bas ou nul). Un projet d’autoroute, plus tard aban- spontanées (création de zones d’aménagement concerté sur lesquelles la
donné, a aussi conduit à geler un temps les terrains de la partie sud du d’envergure destinées à accompagner et à encadrer les transformations
quartier. Ces mesures ont surtout conduit à la multiplication des friches d’affectation des locaux d’activité) et des opérations d’aménagement
industrielles et à la dégradation des logements, que leurs propriétaires urbain renforcé sur toute la commune, contrôle renforcé du changement
n’étaient plus incités à entretenir. À la fin des années 1980, on recensait très bas pour éloigner les promoteurs gourmands, droit de préemption
39 zones de friches dans la ville, qui couvraient 14 ha dans le seul Bas- traditionnelles de maîtrise de l’occupation des sols (fixation d’un COS
Montreuil. La « réserve industrielle » s’est progressivement transformée de la spéculation immobilière, elle réalise un compromis entre les mesures
en zone d’accueil pour les ménages les plus fragiles poussés hors de Paris de l’emploi industriel, au délabrement du bâti et à la pression croissante
par la hausse des prix de l’immobilier à la fin des années 1980 et pour les les changements que connaît de facto le quartier. Pour répondre à la chute
étrangers n’ayant pas accès au logement social. muniste, a en effet changé d’optique et décidé de reprendre la main sur
Ces friches industrielles, ces ateliers désaffectés, ces logements vétustes La nouvelle équipe municipale élue en 1984, toujours à majorité com-
occupés par une population vieillissante vont intéresser particulièrement professionnels de l’immobilier.
les jeunes professionnels à la recherche de locaux, puis les familles pari- tations, mais aussi parce qu’ils intéressent également pouvoirs publics et
siennes peu fortunées que nous avons décrites. Ce sont toutefois des biens comme on le souhaite, d’abord parce qu’ils n’ont pas le statut d’habi-
très incertains du point de vue de leur qualité comme futurs logements : stratégique » concernant la possibilité de les acquérir et de les utiliser
à quel point sont-ils pollués par les produits chimiques ? Que valent les À cette « incertitude sur la qualité » des biens s’ajoute une « incertitude
murs et la toiture ? Sera-t-il possible de chauffer l’édifice ? L’acoustique en cas de revente, pourra-t-on rentabiliser les dépenses d’aménagement ?
sera-t-elle adaptée à un usage d’habitation ? La valeur d’échange de ces biens est également incertaine, dans un marché local en transformation :
biens est également incertaine, dans un marché local en transformation : sera-t-elle adaptée à un usage d’habitation ? La valeur d’échange de ces
en cas de revente, pourra-t-on rentabiliser les dépenses d’aménagement ? murs et la toiture ? Sera-t-il possible de chauffer l’édifice ? L’acoustique
À cette « incertitude sur la qualité » des biens s’ajoute une « incertitude à quel point sont-ils pollués par les produits chimiques ? Que valent les
stratégique » concernant la possibilité de les acquérir et de les utiliser très incertains du point de vue de leur qualité comme futurs logements :
comme on le souhaite, d’abord parce qu’ils n’ont pas le statut d’habi- siennes peu fortunées que nous avons décrites. Ce sont toutefois des biens
tations, mais aussi parce qu’ils intéressent également pouvoirs publics et les jeunes professionnels à la recherche de locaux, puis les familles pari-
professionnels de l’immobilier. occupés par une population vieillissante vont intéresser particulièrement
La nouvelle équipe municipale élue en 1984, toujours à majorité com- Ces friches industrielles, ces ateliers désaffectés, ces logements vétustes
muniste, a en effet changé d’optique et décidé de reprendre la main sur étrangers n’ayant pas accès au logement social.
les changements que connaît de facto le quartier. Pour répondre à la chute par la hausse des prix de l’immobilier à la fin des années 1980 et pour les
de l’emploi industriel, au délabrement du bâti et à la pression croissante en zone d’accueil pour les ménages les plus fragiles poussés hors de Paris
de la spéculation immobilière, elle réalise un compromis entre les mesures Montreuil. La « réserve industrielle » s’est progressivement transformée
traditionnelles de maîtrise de l’occupation des sols (fixation d’un COS 39 zones de friches dans la ville, qui couvraient 14 ha dans le seul Bas-
très bas pour éloigner les promoteurs gourmands, droit de préemption n’étaient plus incités à entretenir. À la fin des années 1980, on recensait
urbain renforcé sur toute la commune, contrôle renforcé du changement industrielles et à la dégradation des logements, que leurs propriétaires
d’affectation des locaux d’activité) et des opérations d’aménagement quartier. Ces mesures ont surtout conduit à la multiplication des friches
d’envergure destinées à accompagner et à encadrer les transformations donné, a aussi conduit à geler un temps les terrains de la partie sud du
spontanées (création de zones d’aménagement concerté sur lesquelles la et COS résidentiel bas ou nul). Un projet d’autoroute, plus tard aban-
société d’économie mixte municipale garde la main, construction de lo- via l’urbanisme réglementaire (POS contraignant, COS12 industriel élevé
gements sociaux et aménagement de centres d’activité de pointe, c’est-à- Île-de-France et a opté pour une politique de conservation industrielle
dire de locaux d’activités tertiaires dans d’anciennes usines). communiste n’a pas cru au caractère définitif de la désindustrialisation en
Mais la bulle immobilière de la période 1987-1995 met en difficulté la
mairie dans ses opérations d’aménagement et accentue les effets pervers
des mesures de maîtrise de l’occupation des sols. L’usage du droit de 125 Anaïs Collet
phie : les décorateurs sont en effet parmi les premiers à repérer et utiliser
logement de 2002 de l’INSEE (Bosvieux, 2005).
13. C’est le cas d’un quart seulement des primo-accédants en France, selon l’enquête
les anciennes usines pour entreposer leurs décors. Leur présence amène
évitaient d’accorder des prêts importants14. Les aides familiales permettent un certain nombre de leurs collègues à découvrir les lieux ; ceux qui s’y
les banques considéraient que ces dernières étaient trop risquées et elles installent informent les autres, par leurs expériences, des possibilités im-
que les prix étaient très bas et auraient permis des opérations d’envergure, mobilières offertes par le quartier (surfaces, prix, possibilités techniques
plus importante que jusqu’au début des années 2000, c’est-à-dire tant et juridiques, conditions de vie, transports, etc.). Ils forment en outre une
25 à 50 % du montant total de l’acquisition. Cette ressource est d’autant présence visible qui modifie en soi la teneur d’un tel choix résidentiel.
ont reçu un héritage13 ou une aide familiale, laquelle représente au final L’importance de ces recommandations se lit d’autant mieux que beau-
un vaste local d’activité.Tous les convertisseurs que nous avons rencontrés coup d’enquêtés ont d’abord eu une mauvaise impression lorsqu’ils ont
free-lance, une journaliste pigiste ou un artisan ferronnier puissent acquérir découvert Montreuil ; c’est la présence des pairs et leurs conseils qui les ont
faible voire nulle, c’est le patrimoine familial qui explique qu’un graphiste incités à passer outre ces réticences. Le réseau fournit donc des informa-
En effet, avec des revenus médiocres ou irréguliers et une épargne privée tions aidant à se diriger vers Montreuil, puis à y trouver un bien, enfin à
La deuxième de ces ressources, ce sont les aides financières familiales. minimiser les incertitudes quant aux biens et aux transactions. Martine,
Montreuil, seulement attirés par l’image ou la réputation. sculptrice, et son compagnon éducateur spécialisé, qui habitaient jusque-
du moins) qu’arrivent des gentrifieurs qui ne connaissent personne à là avec leur enfant dans un logement social à Paris, ont ainsi pu acheter
caux vacants. Ce n’est qu’à partir de 2002 (dans notre corpus d’enquêtés une petite maison avant même qu’elle soit mise sur le marché : des amis
installés font venir leurs amis dans le quartier, repérant pour eux les lo- habitant en face les ont attirés dans le quartier, les ont avertis de cette
concurrence d’autres candidats à l’achat. À leur tour, les convertisseurs vente puis les ont informés sur les possibilités d’extension. Le réseau
circuiter ces professionnels et de s’épargner ainsi à la fois des frais et la fournit ainsi un « dispositif de jugement » (Karpik, 2007, passim) bien
biens recherchés par les convertisseurs. Il permet de surcroît de court- plus efficace que les agents immobiliers, peu habitués à gérer le type de
plus efficace que les agents immobiliers, peu habitués à gérer le type de biens recherchés par les convertisseurs. Il permet de surcroît de court-
fournit ainsi un « dispositif de jugement » (Karpik, 2007, passim) bien circuiter ces professionnels et de s’épargner ainsi à la fois des frais et la
vente puis les ont informés sur les possibilités d’extension. Le réseau concurrence d’autres candidats à l’achat. À leur tour, les convertisseurs
habitant en face les ont attirés dans le quartier, les ont avertis de cette installés font venir leurs amis dans le quartier, repérant pour eux les lo-
une petite maison avant même qu’elle soit mise sur le marché : des amis caux vacants. Ce n’est qu’à partir de 2002 (dans notre corpus d’enquêtés
là avec leur enfant dans un logement social à Paris, ont ainsi pu acheter du moins) qu’arrivent des gentrifieurs qui ne connaissent personne à
sculptrice, et son compagnon éducateur spécialisé, qui habitaient jusque- Montreuil, seulement attirés par l’image ou la réputation.
minimiser les incertitudes quant aux biens et aux transactions. Martine, La deuxième de ces ressources, ce sont les aides financières familiales.
tions aidant à se diriger vers Montreuil, puis à y trouver un bien, enfin à En effet, avec des revenus médiocres ou irréguliers et une épargne privée
incités à passer outre ces réticences. Le réseau fournit donc des informa- faible voire nulle, c’est le patrimoine familial qui explique qu’un graphiste
découvert Montreuil ; c’est la présence des pairs et leurs conseils qui les ont free-lance, une journaliste pigiste ou un artisan ferronnier puissent acquérir
coup d’enquêtés ont d’abord eu une mauvaise impression lorsqu’ils ont un vaste local d’activité.Tous les convertisseurs que nous avons rencontrés
L’importance de ces recommandations se lit d’autant mieux que beau- ont reçu un héritage13 ou une aide familiale, laquelle représente au final
présence visible qui modifie en soi la teneur d’un tel choix résidentiel. 25 à 50 % du montant total de l’acquisition. Cette ressource est d’autant
et juridiques, conditions de vie, transports, etc.). Ils forment en outre une plus importante que jusqu’au début des années 2000, c’est-à-dire tant
mobilières offertes par le quartier (surfaces, prix, possibilités techniques que les prix étaient très bas et auraient permis des opérations d’envergure,
installent informent les autres, par leurs expériences, des possibilités im- les banques considéraient que ces dernières étaient trop risquées et elles
un certain nombre de leurs collègues à découvrir les lieux ; ceux qui s’y évitaient d’accorder des prêts importants14. Les aides familiales permettent
les anciennes usines pour entreposer leurs décors. Leur présence amène
phie : les décorateurs sont en effet parmi les premiers à repérer et utiliser 13. C’est le cas d’un quart seulement des primo-accédants en France, selon l’enquête
logement de 2002 de l’INSEE (Bosvieux, 2005).
dans les milieux du théâtre, du cinéma, de la télévision, de la photogra-
14. Parmi les transactions que nous avons observées parmi nos convertisseurs avant 2000,
le bien le plus cher a été acquis pour 1,2 millions de francs (185 000 €) ; il s’agissait d’une
usine de trois plateaux de 150 m2 chacun, vendue avec une petite maison de concierge
Les habitants, producteurs d’espaces gentrifiés ? 128 et une cour. Le changement d’image du Bas-Montreuil dans la presse à partir de 2000 et
l’apparition du quartier dans les dossiers « immobilier » au rang des bonnes affaires rend
les banques moins méfiantes, mais va de pair avec le début de l’envolée des prix.
les banques moins méfiantes, mais va de pair avec le début de l’envolée des prix.
l’apparition du quartier dans les dossiers « immobilier » au rang des bonnes affaires rend
et une cour. Le changement d’image du Bas-Montreuil dans la presse à partir de 2000 et 128 Les habitants, producteurs d’espaces gentrifiés ?
usine de trois plateaux de 150 m2 chacun, vendue avec une petite maison de concierge
le bien le plus cher a été acquis pour 1,2 millions de francs (185 000 €) ; il s’agissait d’une
dans les milieux du théâtre, du cinéma, de la télévision, de la photogra-
14. Parmi les transactions que nous avons observées parmi nos convertisseurs avant 2000,
phie : les décorateurs sont en effet parmi les premiers à repérer et utiliser
logement de 2002 de l’INSEE (Bosvieux, 2005).
13. C’est le cas d’un quart seulement des primo-accédants en France, selon l’enquête
les anciennes usines pour entreposer leurs décors. Leur présence amène
évitaient d’accorder des prêts importants14. Les aides familiales permettent un certain nombre de leurs collègues à découvrir les lieux ; ceux qui s’y
les banques considéraient que ces dernières étaient trop risquées et elles installent informent les autres, par leurs expériences, des possibilités im-
que les prix étaient très bas et auraient permis des opérations d’envergure, mobilières offertes par le quartier (surfaces, prix, possibilités techniques
plus importante que jusqu’au début des années 2000, c’est-à-dire tant et juridiques, conditions de vie, transports, etc.). Ils forment en outre une
25 à 50 % du montant total de l’acquisition. Cette ressource est d’autant présence visible qui modifie en soi la teneur d’un tel choix résidentiel.
ont reçu un héritage13 ou une aide familiale, laquelle représente au final L’importance de ces recommandations se lit d’autant mieux que beau-
un vaste local d’activité.Tous les convertisseurs que nous avons rencontrés coup d’enquêtés ont d’abord eu une mauvaise impression lorsqu’ils ont
free-lance, une journaliste pigiste ou un artisan ferronnier puissent acquérir découvert Montreuil ; c’est la présence des pairs et leurs conseils qui les ont
faible voire nulle, c’est le patrimoine familial qui explique qu’un graphiste incités à passer outre ces réticences. Le réseau fournit donc des informa-
En effet, avec des revenus médiocres ou irréguliers et une épargne privée tions aidant à se diriger vers Montreuil, puis à y trouver un bien, enfin à
La deuxième de ces ressources, ce sont les aides financières familiales. minimiser les incertitudes quant aux biens et aux transactions. Martine,
Montreuil, seulement attirés par l’image ou la réputation. sculptrice, et son compagnon éducateur spécialisé, qui habitaient jusque-
du moins) qu’arrivent des gentrifieurs qui ne connaissent personne à là avec leur enfant dans un logement social à Paris, ont ainsi pu acheter
caux vacants. Ce n’est qu’à partir de 2002 (dans notre corpus d’enquêtés une petite maison avant même qu’elle soit mise sur le marché : des amis
installés font venir leurs amis dans le quartier, repérant pour eux les lo- habitant en face les ont attirés dans le quartier, les ont avertis de cette
concurrence d’autres candidats à l’achat. À leur tour, les convertisseurs vente puis les ont informés sur les possibilités d’extension. Le réseau
circuiter ces professionnels et de s’épargner ainsi à la fois des frais et la fournit ainsi un « dispositif de jugement » (Karpik, 2007, passim) bien
biens recherchés par les convertisseurs. Il permet de surcroît de court- plus efficace que les agents immobiliers, peu habitués à gérer le type de
plus efficace que les agents immobiliers, peu habitués à gérer le type de biens recherchés par les convertisseurs. Il permet de surcroît de court-
fournit ainsi un « dispositif de jugement » (Karpik, 2007, passim) bien circuiter ces professionnels et de s’épargner ainsi à la fois des frais et la
vente puis les ont informés sur les possibilités d’extension. Le réseau concurrence d’autres candidats à l’achat. À leur tour, les convertisseurs
habitant en face les ont attirés dans le quartier, les ont avertis de cette installés font venir leurs amis dans le quartier, repérant pour eux les lo-
une petite maison avant même qu’elle soit mise sur le marché : des amis caux vacants. Ce n’est qu’à partir de 2002 (dans notre corpus d’enquêtés
là avec leur enfant dans un logement social à Paris, ont ainsi pu acheter du moins) qu’arrivent des gentrifieurs qui ne connaissent personne à
sculptrice, et son compagnon éducateur spécialisé, qui habitaient jusque- Montreuil, seulement attirés par l’image ou la réputation.
minimiser les incertitudes quant aux biens et aux transactions. Martine, La deuxième de ces ressources, ce sont les aides financières familiales.
tions aidant à se diriger vers Montreuil, puis à y trouver un bien, enfin à En effet, avec des revenus médiocres ou irréguliers et une épargne privée
incités à passer outre ces réticences. Le réseau fournit donc des informa- faible voire nulle, c’est le patrimoine familial qui explique qu’un graphiste
découvert Montreuil ; c’est la présence des pairs et leurs conseils qui les ont free-lance, une journaliste pigiste ou un artisan ferronnier puissent acquérir
coup d’enquêtés ont d’abord eu une mauvaise impression lorsqu’ils ont un vaste local d’activité.Tous les convertisseurs que nous avons rencontrés
L’importance de ces recommandations se lit d’autant mieux que beau- ont reçu un héritage13 ou une aide familiale, laquelle représente au final
présence visible qui modifie en soi la teneur d’un tel choix résidentiel. 25 à 50 % du montant total de l’acquisition. Cette ressource est d’autant
et juridiques, conditions de vie, transports, etc.). Ils forment en outre une plus importante que jusqu’au début des années 2000, c’est-à-dire tant
mobilières offertes par le quartier (surfaces, prix, possibilités techniques que les prix étaient très bas et auraient permis des opérations d’envergure,
installent informent les autres, par leurs expériences, des possibilités im- les banques considéraient que ces dernières étaient trop risquées et elles
un certain nombre de leurs collègues à découvrir les lieux ; ceux qui s’y évitaient d’accorder des prêts importants14. Les aides familiales permettent
les anciennes usines pour entreposer leurs décors. Leur présence amène
phie : les décorateurs sont en effet parmi les premiers à repérer et utiliser 13. C’est le cas d’un quart seulement des primo-accédants en France, selon l’enquête
logement de 2002 de l’INSEE (Bosvieux, 2005).
dans les milieux du théâtre, du cinéma, de la télévision, de la photogra-
14. Parmi les transactions que nous avons observées parmi nos convertisseurs avant 2000,
le bien le plus cher a été acquis pour 1,2 millions de francs (185 000 €) ; il s’agissait d’une
usine de trois plateaux de 150 m2 chacun, vendue avec une petite maison de concierge
Les habitants, producteurs d’espaces gentrifiés ? 128 et une cour. Le changement d’image du Bas-Montreuil dans la presse à partir de 2000 et
l’apparition du quartier dans les dossiers « immobilier » au rang des bonnes affaires rend
les banques moins méfiantes, mais va de pair avec le début de l’envolée des prix.
tenir dans des positions provisoirement peu rentables » (Bourdieu, 1979, p. 414).
de la distance réelle à la nécessité que donne la possession des moyens économiques de
Anaïs Collet 129 dispositions mêmes, d’autant plus assurées que l’on a plus d’assurances, en partie en raison
15. Un capital économique hérité rend tolérant au risque « en partie par un effet des
donc de pallier les revenus insuffisants du ménage et de faire de bonnes tiellement économique.
affaires sans trop pâtir de la frilosité des banques. De plus, à la différence trois ans à temps partiel, la motivation pour faire soi-même étant essen-
d’un prêt bancaire âprement négocié, l’existence d’un patrimoine fami- week-ends ; d’autres y ont consacré un an à temps plein, d’autres encore
lial rend plus tolérant au risque et à l’incertitude15. De fait, ces ressources faire » le gros œuvre et complété les travaux pendant leurs soirées et leurs
sont souvent mises à contribution, au-delà du don initial, pour faire face par la préparation du dossier de permis de construire. Certains ont « fait
aux imprévus très nombreux qui surgissent notamment lors des travaux. des tâches, de la conception de l’aménagement aux travaux, en passant
La famille ou les amis sont également mis à contribution pour leurs Pour la plupart, nos enquêtés ont réalisé eux-mêmes une grande partie
compétences techniques et juridiques. Il est fréquent que les convertisseurs et peuvent, volontairement ou non, disposer de plages de temps libre.
rencontrés aient un parent architecte ou entrepreneur du bâtiment. Ces indépendants sont plus libres que d’autres dans la gestion de leur temps
parents aident pour évaluer la qualité du bien, pour concevoir les aména- et réaliser une partie des tâches. Or les intermittents du spectacle et les
gements, pour conduire les travaux et parfois pour mener la négociation. immobiliser davantage de temps pour conduire soi-même les travaux
En outre, avoir grandi auprès d’un architecte peut conférer des disposi- travaux, il faut pouvoir assister aux réunions de chantier en semaine, voire
tions pour toutes ces activités. Les convertisseurs eux-mêmes disposent les services de la mairie pour ne pas rater une occasion. Puis, pendant les
d’autres ressources liées à leurs métiers : l’une est journaliste spécialiste et il faut être aussi disponible que les professionnels de l’immobilier ou
des questions de logement, l’autre est artisan ferronnier et a travaillé un bon moment » : les transactions se concluent parfois en quelques heures
temps dans le milieu du bâtiment, une troisième, réalisatrice de décors, enquête de terrain avant de trouver le bien adéquat, et pour « être là au
est encline au travail manuel... Ils disposent très souvent non seulement la recherche immobilière, qui prend volontiers la forme d’une véritable
de savoirs et de savoir-faire directement utiles pour la transaction ou pour amont, pour réussir les transactions. Il s’agit d’abord de se libérer pour
les travaux, mais aussi d’un réseau professionnel qu’ils peuvent mobiliser. son emploi du temps, pour faire des travaux de cette envergure et, en
Or disposer de telles ressources professionnelles influence nettement le Il faut aussi disposer de temps, du moins d’une certaine souplesse dans
type de bien choisi, comme le confirment les récits de gentrifieurs non convertisseurs qui ont renoncé à des biens nécessitant de lourds travaux.
convertisseurs qui ont renoncé à des biens nécessitant de lourds travaux. type de bien choisi, comme le confirment les récits de gentrifieurs non
Il faut aussi disposer de temps, du moins d’une certaine souplesse dans Or disposer de telles ressources professionnelles influence nettement le
son emploi du temps, pour faire des travaux de cette envergure et, en les travaux, mais aussi d’un réseau professionnel qu’ils peuvent mobiliser.
amont, pour réussir les transactions. Il s’agit d’abord de se libérer pour de savoirs et de savoir-faire directement utiles pour la transaction ou pour
la recherche immobilière, qui prend volontiers la forme d’une véritable est encline au travail manuel... Ils disposent très souvent non seulement
enquête de terrain avant de trouver le bien adéquat, et pour « être là au temps dans le milieu du bâtiment, une troisième, réalisatrice de décors,
bon moment » : les transactions se concluent parfois en quelques heures des questions de logement, l’autre est artisan ferronnier et a travaillé un
et il faut être aussi disponible que les professionnels de l’immobilier ou d’autres ressources liées à leurs métiers : l’une est journaliste spécialiste
les services de la mairie pour ne pas rater une occasion. Puis, pendant les tions pour toutes ces activités. Les convertisseurs eux-mêmes disposent
travaux, il faut pouvoir assister aux réunions de chantier en semaine, voire En outre, avoir grandi auprès d’un architecte peut conférer des disposi-
immobiliser davantage de temps pour conduire soi-même les travaux gements, pour conduire les travaux et parfois pour mener la négociation.
et réaliser une partie des tâches. Or les intermittents du spectacle et les parents aident pour évaluer la qualité du bien, pour concevoir les aména-
indépendants sont plus libres que d’autres dans la gestion de leur temps rencontrés aient un parent architecte ou entrepreneur du bâtiment. Ces
et peuvent, volontairement ou non, disposer de plages de temps libre. compétences techniques et juridiques. Il est fréquent que les convertisseurs
Pour la plupart, nos enquêtés ont réalisé eux-mêmes une grande partie La famille ou les amis sont également mis à contribution pour leurs
des tâches, de la conception de l’aménagement aux travaux, en passant aux imprévus très nombreux qui surgissent notamment lors des travaux.
par la préparation du dossier de permis de construire. Certains ont « fait sont souvent mises à contribution, au-delà du don initial, pour faire face
faire » le gros œuvre et complété les travaux pendant leurs soirées et leurs lial rend plus tolérant au risque et à l’incertitude15. De fait, ces ressources
week-ends ; d’autres y ont consacré un an à temps plein, d’autres encore d’un prêt bancaire âprement négocié, l’existence d’un patrimoine fami-
trois ans à temps partiel, la motivation pour faire soi-même étant essen- affaires sans trop pâtir de la frilosité des banques. De plus, à la différence
tiellement économique. donc de pallier les revenus insuffisants du ménage et de faire de bonnes
15. Un capital économique hérité rend tolérant au risque « en partie par un effet des
dispositions mêmes, d’autant plus assurées que l’on a plus d’assurances, en partie en raison 129 Anaïs Collet
de la distance réelle à la nécessité que donne la possession des moyens économiques de
tenir dans des positions provisoirement peu rentables » (Bourdieu, 1979, p. 414).
tenir dans des positions provisoirement peu rentables » (Bourdieu, 1979, p. 414).
de la distance réelle à la nécessité que donne la possession des moyens économiques de
Anaïs Collet 129 dispositions mêmes, d’autant plus assurées que l’on a plus d’assurances, en partie en raison
15. Un capital économique hérité rend tolérant au risque « en partie par un effet des
donc de pallier les revenus insuffisants du ménage et de faire de bonnes tiellement économique.
affaires sans trop pâtir de la frilosité des banques. De plus, à la différence trois ans à temps partiel, la motivation pour faire soi-même étant essen-
d’un prêt bancaire âprement négocié, l’existence d’un patrimoine fami- week-ends ; d’autres y ont consacré un an à temps plein, d’autres encore
lial rend plus tolérant au risque et à l’incertitude15. De fait, ces ressources faire » le gros œuvre et complété les travaux pendant leurs soirées et leurs
sont souvent mises à contribution, au-delà du don initial, pour faire face par la préparation du dossier de permis de construire. Certains ont « fait
aux imprévus très nombreux qui surgissent notamment lors des travaux. des tâches, de la conception de l’aménagement aux travaux, en passant
La famille ou les amis sont également mis à contribution pour leurs Pour la plupart, nos enquêtés ont réalisé eux-mêmes une grande partie
compétences techniques et juridiques. Il est fréquent que les convertisseurs et peuvent, volontairement ou non, disposer de plages de temps libre.
rencontrés aient un parent architecte ou entrepreneur du bâtiment. Ces indépendants sont plus libres que d’autres dans la gestion de leur temps
parents aident pour évaluer la qualité du bien, pour concevoir les aména- et réaliser une partie des tâches. Or les intermittents du spectacle et les
gements, pour conduire les travaux et parfois pour mener la négociation. immobiliser davantage de temps pour conduire soi-même les travaux
En outre, avoir grandi auprès d’un architecte peut conférer des disposi- travaux, il faut pouvoir assister aux réunions de chantier en semaine, voire
tions pour toutes ces activités. Les convertisseurs eux-mêmes disposent les services de la mairie pour ne pas rater une occasion. Puis, pendant les
d’autres ressources liées à leurs métiers : l’une est journaliste spécialiste et il faut être aussi disponible que les professionnels de l’immobilier ou
des questions de logement, l’autre est artisan ferronnier et a travaillé un bon moment » : les transactions se concluent parfois en quelques heures
temps dans le milieu du bâtiment, une troisième, réalisatrice de décors, enquête de terrain avant de trouver le bien adéquat, et pour « être là au
est encline au travail manuel... Ils disposent très souvent non seulement la recherche immobilière, qui prend volontiers la forme d’une véritable
de savoirs et de savoir-faire directement utiles pour la transaction ou pour amont, pour réussir les transactions. Il s’agit d’abord de se libérer pour
les travaux, mais aussi d’un réseau professionnel qu’ils peuvent mobiliser. son emploi du temps, pour faire des travaux de cette envergure et, en
Or disposer de telles ressources professionnelles influence nettement le Il faut aussi disposer de temps, du moins d’une certaine souplesse dans
type de bien choisi, comme le confirment les récits de gentrifieurs non convertisseurs qui ont renoncé à des biens nécessitant de lourds travaux.
convertisseurs qui ont renoncé à des biens nécessitant de lourds travaux. type de bien choisi, comme le confirment les récits de gentrifieurs non
Il faut aussi disposer de temps, du moins d’une certaine souplesse dans Or disposer de telles ressources professionnelles influence nettement le
son emploi du temps, pour faire des travaux de cette envergure et, en les travaux, mais aussi d’un réseau professionnel qu’ils peuvent mobiliser.
amont, pour réussir les transactions. Il s’agit d’abord de se libérer pour de savoirs et de savoir-faire directement utiles pour la transaction ou pour
la recherche immobilière, qui prend volontiers la forme d’une véritable est encline au travail manuel... Ils disposent très souvent non seulement
enquête de terrain avant de trouver le bien adéquat, et pour « être là au temps dans le milieu du bâtiment, une troisième, réalisatrice de décors,
bon moment » : les transactions se concluent parfois en quelques heures des questions de logement, l’autre est artisan ferronnier et a travaillé un
et il faut être aussi disponible que les professionnels de l’immobilier ou d’autres ressources liées à leurs métiers : l’une est journaliste spécialiste
les services de la mairie pour ne pas rater une occasion. Puis, pendant les tions pour toutes ces activités. Les convertisseurs eux-mêmes disposent
travaux, il faut pouvoir assister aux réunions de chantier en semaine, voire En outre, avoir grandi auprès d’un architecte peut conférer des disposi-
immobiliser davantage de temps pour conduire soi-même les travaux gements, pour conduire les travaux et parfois pour mener la négociation.
et réaliser une partie des tâches. Or les intermittents du spectacle et les parents aident pour évaluer la qualité du bien, pour concevoir les aména-
indépendants sont plus libres que d’autres dans la gestion de leur temps rencontrés aient un parent architecte ou entrepreneur du bâtiment. Ces
et peuvent, volontairement ou non, disposer de plages de temps libre. compétences techniques et juridiques. Il est fréquent que les convertisseurs
Pour la plupart, nos enquêtés ont réalisé eux-mêmes une grande partie La famille ou les amis sont également mis à contribution pour leurs
des tâches, de la conception de l’aménagement aux travaux, en passant aux imprévus très nombreux qui surgissent notamment lors des travaux.
par la préparation du dossier de permis de construire. Certains ont « fait sont souvent mises à contribution, au-delà du don initial, pour faire face
faire » le gros œuvre et complété les travaux pendant leurs soirées et leurs lial rend plus tolérant au risque et à l’incertitude15. De fait, ces ressources
week-ends ; d’autres y ont consacré un an à temps plein, d’autres encore d’un prêt bancaire âprement négocié, l’existence d’un patrimoine fami-
trois ans à temps partiel, la motivation pour faire soi-même étant essen- affaires sans trop pâtir de la frilosité des banques. De plus, à la différence
tiellement économique. donc de pallier les revenus insuffisants du ménage et de faire de bonnes
15. Un capital économique hérité rend tolérant au risque « en partie par un effet des
dispositions mêmes, d’autant plus assurées que l’on a plus d’assurances, en partie en raison 129 Anaïs Collet
de la distance réelle à la nécessité que donne la possession des moyens économiques de
tenir dans des positions provisoirement peu rentables » (Bourdieu, 1979, p. 414).
surables, valorisés économiquement et valorisants socialement.
singularités » et contribué à faire de ces singularités des biens commen- 130 Les habitants, producteurs d’espaces gentrifiés ?
nages apparaissent alors comme des agents ayant activé un « marché de
enjeux de trajectoire sociorésidentielle que nous avons évoqués, ces mé-
l’aventure individuelle. Dotés des ressources adéquates et motivés par les Les transactions réalisées par les convertisseurs ont encore deux parti-
et portés à jouer avec les barrières sociales et juridiques au nom de cularités. D’abord, elles ont généralement pris place dans des configura-
sés à une fragmentation du temps de travail, habitués à la prise de risque tions originales qui impliquaient d’autres personnes qu’un acquéreur, un
de familles relativement aisées, insérés dans des réseaux informés, expo- vendeur, un agent immobilier et un notaire, et expliquent les « bonnes
une part des intermittents et des indépendants du secteur culturel issus affaires » ainsi réalisées. Les achats groupés ont par exemple permis à des
de réduire les incertitudes stratégiques. Ces ressources caractérisent bien particuliers réunis de s’approprier des biens auxquels en général seuls
titude et une certaine disposition à l’illégalité qui permettent de gérer et les professionnels ou la mairie ont accès. Du côté de l’offre, les vendeurs
ment » sur la qualité des biens, mais aussi le temps, la tolérance à l’incer- étaient très rarement des particuliers habitants et n’étaient jamais des
techniques et juridiques qui forment de précieux « dispositifs de juge- promoteurs ; il s’agissait fréquemment d’entrepreneurs retraités, d’héri-
sont inégalement distribuées : l’accès à l’information, les connaissances tiers de locaux désaffectés, avec des successions parfois problématiques,
bien des opérations d’acquisition-rénovation d’anciens locaux industriels moins souvent de marchands de biens. Des relations peu classiques se
On le voit, les ressources permettant à des particuliers de mener à sont nouées entre les convertisseurs, ces vendeurs et les pouvoirs publics
transactions. locaux autour de ces biens atypiques : des relations de sympathie, les ven-
les barrières sociales et réglementaires qui encadrent habituellement ces deurs ne cherchant pas systématiquement à vendre au plus cher, ou d’aide,
tions sociales (Bidou-Zachariasen, 1984), ils franchissent plus aisément de la part d’employés municipaux, d’affinité, avec certains agents immo-
vant comme des « aventuriers » libérés des déterminismes et des conven- biliers particulièrement séduits par ces projets. Ensuite, ces opérations
initiatives, et une place moindre au collectif et à l’intérêt général : se vi- ont fréquemment dépassé le cadre de la stricte légalité : dessous-de-table
présentation du monde qui accordent une large place à l’individu, à ses pour éviter les préemptions, aménagements de plus de 20 % de la sur-
points communs des convertisseurs est un système de valeurs et une re- face en habitation sans demande préalable de changement d’affectation,
été contournés par la fraude, la négociation ou le « piston ». L’un des travaux réalisés sans permis. Selon les ressources de chacun (disposition à
et linguistique ou capital social), les divers obstacles réglementaires ont l’illégalité et au bluff liée à certaines trajectoires sociales, capital culturel
l’illégalité et au bluff liée à certaines trajectoires sociales, capital culturel et linguistique ou capital social), les divers obstacles réglementaires ont
travaux réalisés sans permis. Selon les ressources de chacun (disposition à été contournés par la fraude, la négociation ou le « piston ». L’un des
face en habitation sans demande préalable de changement d’affectation, points communs des convertisseurs est un système de valeurs et une re-
pour éviter les préemptions, aménagements de plus de 20 % de la sur- présentation du monde qui accordent une large place à l’individu, à ses
ont fréquemment dépassé le cadre de la stricte légalité : dessous-de-table initiatives, et une place moindre au collectif et à l’intérêt général : se vi-
biliers particulièrement séduits par ces projets. Ensuite, ces opérations vant comme des « aventuriers » libérés des déterminismes et des conven-
de la part d’employés municipaux, d’affinité, avec certains agents immo- tions sociales (Bidou-Zachariasen, 1984), ils franchissent plus aisément
deurs ne cherchant pas systématiquement à vendre au plus cher, ou d’aide, les barrières sociales et réglementaires qui encadrent habituellement ces
locaux autour de ces biens atypiques : des relations de sympathie, les ven- transactions.
sont nouées entre les convertisseurs, ces vendeurs et les pouvoirs publics On le voit, les ressources permettant à des particuliers de mener à
moins souvent de marchands de biens. Des relations peu classiques se bien des opérations d’acquisition-rénovation d’anciens locaux industriels
tiers de locaux désaffectés, avec des successions parfois problématiques, sont inégalement distribuées : l’accès à l’information, les connaissances
promoteurs ; il s’agissait fréquemment d’entrepreneurs retraités, d’héri- techniques et juridiques qui forment de précieux « dispositifs de juge-
étaient très rarement des particuliers habitants et n’étaient jamais des ment » sur la qualité des biens, mais aussi le temps, la tolérance à l’incer-
les professionnels ou la mairie ont accès. Du côté de l’offre, les vendeurs titude et une certaine disposition à l’illégalité qui permettent de gérer et
particuliers réunis de s’approprier des biens auxquels en général seuls de réduire les incertitudes stratégiques. Ces ressources caractérisent bien
affaires » ainsi réalisées. Les achats groupés ont par exemple permis à des une part des intermittents et des indépendants du secteur culturel issus
vendeur, un agent immobilier et un notaire, et expliquent les « bonnes de familles relativement aisées, insérés dans des réseaux informés, expo-
tions originales qui impliquaient d’autres personnes qu’un acquéreur, un sés à une fragmentation du temps de travail, habitués à la prise de risque
cularités. D’abord, elles ont généralement pris place dans des configura- et portés à jouer avec les barrières sociales et juridiques au nom de
Les transactions réalisées par les convertisseurs ont encore deux parti- l’aventure individuelle. Dotés des ressources adéquates et motivés par les
enjeux de trajectoire sociorésidentielle que nous avons évoqués, ces mé-
nages apparaissent alors comme des agents ayant activé un « marché de
Les habitants, producteurs d’espaces gentrifiés ? 130 singularités » et contribué à faire de ces singularités des biens commen-
surables, valorisés économiquement et valorisants socialement.
dans l’appât de la plus-value, mais aussi dans trois autres types d’intérêts.
Anaïs Collet 131 raît clairement que le moteur de ces conversions ne réside pas seulement
certain dans leur trajectoire résidentielle, professionnelle et sociale. Il appa-
expérience d’autres bénéfices, ici non financiers : elle aura joué un rôle
UNE REVALORISATION RÉCIPROQUE DES LIEUX ET DES TRAJECTOIRES Toutefois, même dans ces situations, les convertisseurs tirent de leur
la lumière du jour et à rendre son espace impropre à l’habitation.
En effet, la production par les convertisseurs de logements à l’esthé- ses partenaires des projets spéculatifs de nature à la priver de tout accès à
tique identifiable (celle des lofts, voir Collet, 2012), la multiplication cières) l’exact découpage des lots ; la modification du COS éveille chez
des transactions et l’adaptation progressive des professionnels de l’im- priété, sans avoir fait entériner devant notaire (pour des raisons finan-
mobilier à ces biens mettent un terme à leur incommensurabilité : les plasticienne ayant acheté avec deux autres artistes une usine en copro-
surfaces atypiques de Montreuil deviennent des biens typiques, typifiés, nées 2000 bloqué dans sa trajectoire résidentielle. C’est aussi le cas d’une
cotés. L’essor de ce marché est également permis par la fin de l’incerti- de l’usine dans laquelle il vit et travaille, et qui se trouve à la fin des an-
tude sur la qualité des biens et du quartier : l’expérience des gentrifieurs lisateurs et producteurs de films documentaires qui est resté locataire
convertisseurs atteste cette qualité et leur présence la conforte. Enfin, propriétaires d’un logement. C’est par exemple le cas d’un couple de réa-
ce « travail » immobilier conduit à la levée de l’incertitude stratégique : quises ou de telle façon que la loi ne les reconnaît pas in fine pleinement
leur présence, la pression qu’ils exercent sur le marché, les fraudes aux- également ceux qui, plus rares, ont transformé des usines sans les avoir ac-
quelles ils se livrent, mais aussi leur lobbying (par exemple les procès peut fragiliser la position sociale locale qu’ils se sont forgée. Elle affaiblit
contre des préemptions jugées abusives) conduisent petit à petit la mairie, matériels et économiques, tout en attirant une nouvelle population qui
parmi d’autres facteurs, à faire évoluer ses règles d’urbanisme. C’est parce Elle consolide à coup sûr la valeur de leur bien et de leurs investissements
qu’elle renonce d’abord à une politique de maintien de l’activité (la règle immobilier standard est-il toujours un bénéfice pour les convertisseurs ?
des 80 / 20), puis au contrôle des prix (la préemption) et enfin parce Cette intégration progressive du marché des biens singuliers au marché
qu’elle décide de changer l’usage des sols (en modifiant les COS) que des marché, mais aussi des agents du changement administratif.
acteurs plus institutionnels peuvent arriver sur ce marché et la demande producteurs de biens immobiliers désirables et des « activateurs » de ce
devenir plus massive. Lié indirectement à leur présence, le changement de le COS dans de nombreux secteurs. Les convertisseurs sont ainsi des
majorité en 2008 a accéléré le processus : la nouvelle maire Dominique Voynet s’est déclarée en faveur d’une densification du bâti et a relevé
Voynet s’est déclarée en faveur d’une densification du bâti et a relevé majorité en 2008 a accéléré le processus : la nouvelle maire Dominique
le COS dans de nombreux secteurs. Les convertisseurs sont ainsi des devenir plus massive. Lié indirectement à leur présence, le changement de
producteurs de biens immobiliers désirables et des « activateurs » de ce acteurs plus institutionnels peuvent arriver sur ce marché et la demande
marché, mais aussi des agents du changement administratif. qu’elle décide de changer l’usage des sols (en modifiant les COS) que des
Cette intégration progressive du marché des biens singuliers au marché des 80 / 20), puis au contrôle des prix (la préemption) et enfin parce
immobilier standard est-il toujours un bénéfice pour les convertisseurs ? qu’elle renonce d’abord à une politique de maintien de l’activité (la règle
Elle consolide à coup sûr la valeur de leur bien et de leurs investissements parmi d’autres facteurs, à faire évoluer ses règles d’urbanisme. C’est parce
matériels et économiques, tout en attirant une nouvelle population qui contre des préemptions jugées abusives) conduisent petit à petit la mairie,
peut fragiliser la position sociale locale qu’ils se sont forgée. Elle affaiblit quelles ils se livrent, mais aussi leur lobbying (par exemple les procès
également ceux qui, plus rares, ont transformé des usines sans les avoir ac- leur présence, la pression qu’ils exercent sur le marché, les fraudes aux-
quises ou de telle façon que la loi ne les reconnaît pas in fine pleinement ce « travail » immobilier conduit à la levée de l’incertitude stratégique :
propriétaires d’un logement. C’est par exemple le cas d’un couple de réa- convertisseurs atteste cette qualité et leur présence la conforte. Enfin,
lisateurs et producteurs de films documentaires qui est resté locataire tude sur la qualité des biens et du quartier : l’expérience des gentrifieurs
de l’usine dans laquelle il vit et travaille, et qui se trouve à la fin des an- cotés. L’essor de ce marché est également permis par la fin de l’incerti-
nées 2000 bloqué dans sa trajectoire résidentielle. C’est aussi le cas d’une surfaces atypiques de Montreuil deviennent des biens typiques, typifiés,
plasticienne ayant acheté avec deux autres artistes une usine en copro- mobilier à ces biens mettent un terme à leur incommensurabilité : les
priété, sans avoir fait entériner devant notaire (pour des raisons finan- des transactions et l’adaptation progressive des professionnels de l’im-
cières) l’exact découpage des lots ; la modification du COS éveille chez tique identifiable (celle des lofts, voir Collet, 2012), la multiplication
ses partenaires des projets spéculatifs de nature à la priver de tout accès à En effet, la production par les convertisseurs de logements à l’esthé-
la lumière du jour et à rendre son espace impropre à l’habitation.
Toutefois, même dans ces situations, les convertisseurs tirent de leur UNE REVALORISATION RÉCIPROQUE DES LIEUX ET DES TRAJECTOIRES
expérience d’autres bénéfices, ici non financiers : elle aura joué un rôle
certain dans leur trajectoire résidentielle, professionnelle et sociale. Il appa-
raît clairement que le moteur de ces conversions ne réside pas seulement 131 Anaïs Collet
dans l’appât de la plus-value, mais aussi dans trois autres types d’intérêts.
longer sa trajectoire socioprofessionnelle en s’affiliant de plus ou moins
lité descendante qu’il aurait induit sur le marché immobilier ; c’est pro- 132 Les habitants, producteurs d’espaces gentrifiés ?
entre ressources économiques et culturelles et échapper ainsi à la mobi-
et socialement – et se reclasser en même temps –, c’est résoudre l’écart
transformant un bien immobilier, le reclasser à la fois économiquement Tout d’abord, malgré le faible différentiel entre le prix final de leur
« valoriser quelque chose » : créer de la valeur économique et sociale en habitation et le prix moyen du marché, l’acquisition-conversion com-
On perçoit mieux le caractère multidimensionnel de ce projet de porte un double intérêt économique. Elle permet d’une part d’étaler la
est pas moins constitutive d’un certain positionnement social. dépense, c’est-à-dire d’acheter peu cher et d’engager les dépenses liées
des choses. Il s’agit certes là d’une « nécessité faite vertu », mais qui n’en aux travaux au gré des rentrées d’argent – qui peuvent être irrégulières
manuel, avoir le sens de l’effort et du temps que nécessite la fabrication mais substantielles. D’autre part, elle permet de se loger au-dessus de ses
mode de vie « simple », réhabiliter le fait-maison, (re)découvrir le travail moyens et de compenser ainsi le déclassement résidentiel qui, manifeste
consommation, à l’ostentation, au luxe et au clinquant ; privilégier un dans ce départ pour la banlieue, est dû à des revenus irréguliers et au
mer une éthique opposée à celle de l’élite : renoncer à la facilité de la choix d’un secteur professionnel peu lucratif. Elle offre ainsi l’opportu-
moderne, confortable, prêt à l’emploi. Ce choix est une façon d’expri- nité, en substituant la sueur et le temps aux ressources économiques, de
même une partie des travaux plutôt que de s’installer dans un logement résoudre le décalage inhérent à certaines professions entre capital écono-
de s’installer dans un bien immobilier en mauvais état et d’y faire soi- mique et statut social.
Pour finir, c’est en quelque sorte faire preuve de vertu morale que Le second intérêt d’un tel choix réside dans la possibilité d’intervenir
ainsi un statut résidentiel valorisé. sur la forme matérielle du logement. L’ancienne usine vaut autant pour
architecturales classantes, en particulier le loft (Biau, 1987), et de s’offrir le résultat final que pour la démarche de création et d’invention qu’elle
techniques et esthétiques. Ils permettent enfin de jouer avec des formes aura suscitée. Réaliser soi-même son logement permet de se fabriquer
fie in fine autant le lieu que ses occupants et révèle leurs compétences un habitat personnalisé, sur-mesure, adapté à sa façon de vivre, « un lo-
unique. Les travaux rendent ainsi possible un travail artistique qui quali- gement qui nous ressemble ». Un tel souhait renvoie à certaines valeurs
de s’assurer de l’originalité du lieu, de son caractère non standardisé, propres au groupe social auquel appartiennent ces gentrifieurs : expres-
savoir-faire distinctifs à travers les choix architecturaux, en particulier sion de soi, exaltation de l’épanouissement, volonté de faire primer la
monde. Les travaux sont aussi l’occasion de manifester des goûts et des valeur d’usage sur la valeur d’échange, critique de la marchandisation du
valeur d’usage sur la valeur d’échange, critique de la marchandisation du monde. Les travaux sont aussi l’occasion de manifester des goûts et des
sion de soi, exaltation de l’épanouissement, volonté de faire primer la savoir-faire distinctifs à travers les choix architecturaux, en particulier
propres au groupe social auquel appartiennent ces gentrifieurs : expres- de s’assurer de l’originalité du lieu, de son caractère non standardisé,
gement qui nous ressemble ». Un tel souhait renvoie à certaines valeurs unique. Les travaux rendent ainsi possible un travail artistique qui quali-
un habitat personnalisé, sur-mesure, adapté à sa façon de vivre, « un lo- fie in fine autant le lieu que ses occupants et révèle leurs compétences
aura suscitée. Réaliser soi-même son logement permet de se fabriquer techniques et esthétiques. Ils permettent enfin de jouer avec des formes
le résultat final que pour la démarche de création et d’invention qu’elle architecturales classantes, en particulier le loft (Biau, 1987), et de s’offrir
sur la forme matérielle du logement. L’ancienne usine vaut autant pour ainsi un statut résidentiel valorisé.
Le second intérêt d’un tel choix réside dans la possibilité d’intervenir Pour finir, c’est en quelque sorte faire preuve de vertu morale que
mique et statut social. de s’installer dans un bien immobilier en mauvais état et d’y faire soi-
résoudre le décalage inhérent à certaines professions entre capital écono- même une partie des travaux plutôt que de s’installer dans un logement
nité, en substituant la sueur et le temps aux ressources économiques, de moderne, confortable, prêt à l’emploi. Ce choix est une façon d’expri-
choix d’un secteur professionnel peu lucratif. Elle offre ainsi l’opportu- mer une éthique opposée à celle de l’élite : renoncer à la facilité de la
dans ce départ pour la banlieue, est dû à des revenus irréguliers et au consommation, à l’ostentation, au luxe et au clinquant ; privilégier un
moyens et de compenser ainsi le déclassement résidentiel qui, manifeste mode de vie « simple », réhabiliter le fait-maison, (re)découvrir le travail
mais substantielles. D’autre part, elle permet de se loger au-dessus de ses manuel, avoir le sens de l’effort et du temps que nécessite la fabrication
aux travaux au gré des rentrées d’argent – qui peuvent être irrégulières des choses. Il s’agit certes là d’une « nécessité faite vertu », mais qui n’en
dépense, c’est-à-dire d’acheter peu cher et d’engager les dépenses liées est pas moins constitutive d’un certain positionnement social.
porte un double intérêt économique. Elle permet d’une part d’étaler la On perçoit mieux le caractère multidimensionnel de ce projet de
habitation et le prix moyen du marché, l’acquisition-conversion com- « valoriser quelque chose » : créer de la valeur économique et sociale en
Tout d’abord, malgré le faible différentiel entre le prix final de leur transformant un bien immobilier, le reclasser à la fois économiquement
et socialement – et se reclasser en même temps –, c’est résoudre l’écart
entre ressources économiques et culturelles et échapper ainsi à la mobi-
Les habitants, producteurs d’espaces gentrifiés ? 132 lité descendante qu’il aurait induit sur le marché immobilier ; c’est pro-
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planétaire », Villes en parallèle, no 20-21, p. 41-61. progressiste, Paris, Éditions Raisons d’agir.
Bordreuil Jean-Samuel (1994), « SoHo, ou comment le “village” devint Toubon Jean-Claude, Sevin Annie, Tanter Annick & Jacob François
pour le ministère de la Culture et de la Communication. (1990), Le Projet de quartier du Bas-Montreuil, ses effets sur le milieu industriel,
cherche interdisciplinaire en sociologie, économie et science politique Paris, ministère de l’Équipement (Plan urbain) / Institut d’aménage-
dans un quartier parisien socialement mélangé, rapport de l’Institut de re- ment et d’urbanisme Île-de-France / Le Champ urbain / Arturbatec.
contres de classes dans le quartier Sainte-Marthe, sociabilités et modes d’habiter Zukin Sharon (1982), Loft Living. Culture and Capital in Urban Change,
Bidou-Zachariasen Catherine & Poltorak Jean-François (2006), Ren- New Brunswick, Rutgers University Press.
New Brunswick, Rutgers University Press. Bidou-Zachariasen Catherine & Poltorak Jean-François (2006), Ren-
Zukin Sharon (1982), Loft Living. Culture and Capital in Urban Change, contres de classes dans le quartier Sainte-Marthe, sociabilités et modes d’habiter
ment et d’urbanisme Île-de-France / Le Champ urbain / Arturbatec. dans un quartier parisien socialement mélangé, rapport de l’Institut de re-
Paris, ministère de l’Équipement (Plan urbain) / Institut d’aménage- cherche interdisciplinaire en sociologie, économie et science politique
(1990), Le Projet de quartier du Bas-Montreuil, ses effets sur le milieu industriel, pour le ministère de la Culture et de la Communication.
Toubon Jean-Claude, Sevin Annie, Tanter Annick & Jacob François Bordreuil Jean-Samuel (1994), « SoHo, ou comment le “village” devint
progressiste, Paris, Éditions Raisons d’agir. planétaire », Villes en parallèle, no 20-21, p. 41-61.
Tissot Sylvie (2011), De bons voisins. Enquête dans un quartier de la bourgeoisie Bosvieux Jean (2005), « Accession à la propriété : des acquéreurs plus
and Space, vol. 5, no 2, p. 151-172. nombreux mais prudents », Économie et statistique, no 381-382, p. 41-61.
cturing, and the Urban Dream”, Environment and Planning D: Society Bourdieu Pierre (1979), La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris,
— (1987), “Of Yuppies and Housing: Gentrification, Social Restru- Éditions de Minuit.
Planning Association, vol. 45, no 4, p. 538-548. Chalvon-Demersay Sabine (1984), Le Triangle du 14 e : de nouveaux habi-
the City Movement by Capital, not People”, Journal of the American tants dans un vieux quartier de Paris, Paris, Éditions de la Maison des
Smith Neil (1979), “Toward a Theory of Gentrification: a Back to sciences de l’homme.
cation”, Urban Studies, vol. 40, no 12, p. 2527-2544. Collet Anaïs (2010), Générations de classes moyennes et travail de gentrifica-
Ley David (2003), “Artists, Aestheticisation and the Field of Gentrifi- tion. Changement social et changement urbain à la Croix-Rousse et dans le
rités », Revue française de sociologie, vol. 49, no 2, p. 407-421. Bas-Montreuil, 1975-2005, thèse de doctorat de sociologie, Université
— (2008), « De l’existence et de la portée de l’économie des singula- Lumière Lyon 2.
Karpik Lucien, 2007, L’Économie des singularités, Paris, Gallimard. — (2012), « Le loft : habitat atypique et innovation sociale pour
démocratique, Paris, Gallimard. deux générations de “nouvelles classes moyennes” », Espaces et sociétés,
Heinich Nathalie (2005), L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime no 148-149, p. 37-52.
no 148-149, p. 37-52. Heinich Nathalie (2005), L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime
deux générations de “nouvelles classes moyennes” », Espaces et sociétés, démocratique, Paris, Gallimard.
— (2012), « Le loft : habitat atypique et innovation sociale pour Karpik Lucien, 2007, L’Économie des singularités, Paris, Gallimard.
Lumière Lyon 2. — (2008), « De l’existence et de la portée de l’économie des singula-
Bas-Montreuil, 1975-2005, thèse de doctorat de sociologie, Université rités », Revue française de sociologie, vol. 49, no 2, p. 407-421.
tion. Changement social et changement urbain à la Croix-Rousse et dans le Ley David (2003), “Artists, Aestheticisation and the Field of Gentrifi-
Collet Anaïs (2010), Générations de classes moyennes et travail de gentrifica- cation”, Urban Studies, vol. 40, no 12, p. 2527-2544.
sciences de l’homme. Smith Neil (1979), “Toward a Theory of Gentrification: a Back to
tants dans un vieux quartier de Paris, Paris, Éditions de la Maison des the City Movement by Capital, not People”, Journal of the American
Chalvon-Demersay Sabine (1984), Le Triangle du 14 e : de nouveaux habi- Planning Association, vol. 45, no 4, p. 538-548.
Éditions de Minuit. — (1987), “Of Yuppies and Housing: Gentrification, Social Restru-
Bourdieu Pierre (1979), La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, cturing, and the Urban Dream”, Environment and Planning D: Society
nombreux mais prudents », Économie et statistique, no 381-382, p. 41-61. and Space, vol. 5, no 2, p. 151-172.
Bosvieux Jean (2005), « Accession à la propriété : des acquéreurs plus Tissot Sylvie (2011), De bons voisins. Enquête dans un quartier de la bourgeoisie
planétaire », Villes en parallèle, no 20-21, p. 41-61. progressiste, Paris, Éditions Raisons d’agir.
Bordreuil Jean-Samuel (1994), « SoHo, ou comment le “village” devint Toubon Jean-Claude, Sevin Annie, Tanter Annick & Jacob François
pour le ministère de la Culture et de la Communication. (1990), Le Projet de quartier du Bas-Montreuil, ses effets sur le milieu industriel,
cherche interdisciplinaire en sociologie, économie et science politique Paris, ministère de l’Équipement (Plan urbain) / Institut d’aménage-
dans un quartier parisien socialement mélangé, rapport de l’Institut de re- ment et d’urbanisme Île-de-France / Le Champ urbain / Arturbatec.
contres de classes dans le quartier Sainte-Marthe, sociabilités et modes d’habiter Zukin Sharon (1982), Loft Living. Culture and Capital in Urban Change,
Bidou-Zachariasen Catherine & Poltorak Jean-François (2006), Ren- New Brunswick, Rutgers University Press.
Annexe
Appartements Maisons
4 000
3 500
3 000
2 500
2 000
1 500
1 000
500
0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008
500
1 000
1 500
2 000
2 500
3 000
3 500
4 000
Maisons Appartements
Annexe
Annexe
Appartements Maisons
4 000
3 500
3 000
2 500
2 000
1 500
1 000
500
0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008
500
1 000
1 500
2 000
2 500
3 000
3 500
4 000
Maisons Appartements
Annexe
(Bidou-Zachariasen, 2004).
moyennes est rapidement apparue très hétérogène et très diversifiée 138 Le cas de la « gaytrification »
dins nouvellement installés dans ce type d’espaces, la catégorie de classes
la fois les catégories intermédiaires dans la stratification sociale et les cita-
des classes moyennes en France. Si elles ont d’abord permis de décrire à interroger les liens entre homosexualité et gentrification. Une partie de
classes sociales, en particulier sur la définition et l’extension du groupe ces résultats semble transposable dans des contextes urbains français et
un lien plus ou moins étroit avec les débats sociologiques français sur les francophones, ce qui constitue l’objet d’une recherche que nous avons
de vie et de leurs rapports au quartier (Authier, 1993). Ces travaux ont conduite à Paris et Montréal, dans les quartiers du Marais et du Village.
à travers l’étude de leurs trajectoires sociorésidentielles, de leurs modes Nous présenterons ensuite certains aspects de cette enquête en insistant sur
ont précisé le rôle de ces populations dans la mutation des centres-ville les difficultés mais aussi les innovations méthodologiques auxquelles elle
et dans les centres anciens. Dans les années 1990, de nombreux travaux nous a amené. À partir de cette enquête, nous pourrons alors aborder un
tendance des catégories moyennes et supérieures au « retour en ville » aspect peu connu de la manière dont les gays participent à la gentrification,
dans la géographie et la sociologie urbaine françaises pour décrire la à l’échelle du logement, de ses transformations et des spécificités d’un habi-
Depuis ces travaux pionniers, le terme de gentrification s’est diffusé tat gay sur nos terrains d’enquête. En quoi le logement lui-même peut-
sur le quartier (Bidou-Zachariasen, 1984 ; Chalvon-Demersay, 1984). il être un poste d’observation privilégié d’un processus de gaytrification ?
quartiers parisiens populaires et les effets de cette présence résidentielle
tion de ménages appartenant aux « nouvelles classes moyennes » dans des LES GAYS ET LA GENTRIFICATION
bains datent du début des années 1980. Ces travaux décrivent l’installa-
travaux français qui identifient et étudient ce type de changements ur- Dans la littérature scientifique francophone, en particulier française,
Sans mobiliser explicitement le terme de gentrification, les premiers les travaux sur la gentrification n’ont quasiment jamais abordé la question
des populations homosexuelles et de leur relation avec ce processus. De-
Gentrification, gentrifieurs et classes moyennes puis les premiers travaux français des années 1980, les questions de genre,
de sexe et de sexualité n’ont d’ailleurs guère intéressé les sociologues
rôle des homosexualités dans certaines mutations urbaines. français travaillant sur le sujet. C’est dans la littérature nord-américaine,
Il y a, d’une certaine façon, une forme de retard français dans l’analyse du essentiellement de langue anglaise, que de telles questions sont apparues.
essentiellement de langue anglaise, que de telles questions sont apparues. Il y a, d’une certaine façon, une forme de retard français dans l’analyse du
français travaillant sur le sujet. C’est dans la littérature nord-américaine, rôle des homosexualités dans certaines mutations urbaines.
de sexe et de sexualité n’ont d’ailleurs guère intéressé les sociologues
puis les premiers travaux français des années 1980, les questions de genre, Gentrification, gentrifieurs et classes moyennes
des populations homosexuelles et de leur relation avec ce processus. De-
les travaux sur la gentrification n’ont quasiment jamais abordé la question Sans mobiliser explicitement le terme de gentrification, les premiers
Dans la littérature scientifique francophone, en particulier française, travaux français qui identifient et étudient ce type de changements ur-
bains datent du début des années 1980. Ces travaux décrivent l’installa-
LES GAYS ET LA GENTRIFICATION tion de ménages appartenant aux « nouvelles classes moyennes » dans des
quartiers parisiens populaires et les effets de cette présence résidentielle
il être un poste d’observation privilégié d’un processus de gaytrification ? sur le quartier (Bidou-Zachariasen, 1984 ; Chalvon-Demersay, 1984).
tat gay sur nos terrains d’enquête. En quoi le logement lui-même peut- Depuis ces travaux pionniers, le terme de gentrification s’est diffusé
à l’échelle du logement, de ses transformations et des spécificités d’un habi- dans la géographie et la sociologie urbaine françaises pour décrire la
aspect peu connu de la manière dont les gays participent à la gentrification, tendance des catégories moyennes et supérieures au « retour en ville »
nous a amené. À partir de cette enquête, nous pourrons alors aborder un et dans les centres anciens. Dans les années 1990, de nombreux travaux
les difficultés mais aussi les innovations méthodologiques auxquelles elle ont précisé le rôle de ces populations dans la mutation des centres-ville
Nous présenterons ensuite certains aspects de cette enquête en insistant sur à travers l’étude de leurs trajectoires sociorésidentielles, de leurs modes
conduite à Paris et Montréal, dans les quartiers du Marais et du Village. de vie et de leurs rapports au quartier (Authier, 1993). Ces travaux ont
francophones, ce qui constitue l’objet d’une recherche que nous avons un lien plus ou moins étroit avec les débats sociologiques français sur les
ces résultats semble transposable dans des contextes urbains français et classes sociales, en particulier sur la définition et l’extension du groupe
interroger les liens entre homosexualité et gentrification. Une partie de des classes moyennes en France. Si elles ont d’abord permis de décrire à
la fois les catégories intermédiaires dans la stratification sociale et les cita-
dins nouvellement installés dans ce type d’espaces, la catégorie de classes
Le cas de la « gaytrification » 138 moyennes est rapidement apparue très hétérogène et très diversifiée
(Bidou-Zachariasen, 2004).
tion n’y apparaît d’ailleurs plus seulement comme une « inversion » des
Colin Giraud 139 tion de certains quartiers en gentrification (Bondi, 1999). La gentrifica-
femmes, des mères et des femmes seules notamment, dans la transforma-
des années 1990, une littérature importante a été consacrée au rôle des
Dans ce contexte, plusieurs sociologues ont cherché à décomposer des Gender Studies puis des Gay and Lesbian Studies. Depuis le milieu
et disséquer cette vaste catégorie pour étudier plus finement le rôle de gentrification en mobilisant notamment les études féministes, les apports
certaines de ses fractions dans la gentrification et identifier des catégo- tradition, le champ des Urban Studies a mis en avant d’autres leviers de la
ries plus spécifiques de gentrifieurs. Cette tendance au raffinement des ont été beaucoup plus prolixes à ce sujet. Sans doute moins classiste par
catégories est perceptible dans les travaux français et francophones depuis De leur côté, les chercheurs nord-américains, surtout anglophones,
une quinzaine d’années. Différentes contributions ont montré notam-
ment le rôle singulier des professions artistiques et culturelles dans ces Les apports américains
processus, qu’il s’agisse des artistes eux-mêmes (Charmes & Vivant, 2008)
ou plus généralement des professions de l’information, de la culture et du genre, des types de ménage et de familles ou des identités sexuées.
des spectacles. Les travaux d’Anaïs Collet sur le Bas-Montreuil montrent restent beaucoup plus discrets dans cette littérature : c’est le cas des effets
bien les imbrications entre les milieux professionnels du cinéma et de ou moyennes supérieures. À l’inverse, d’autres facteurs sociologiques
l’audiovisuel et la capacité socialement située à gentrifier un tel espace, populaires dans le passé et nouveaux habitants issus des classes moyennes
c’est-à-dire l’investir, se l’approprier et le mobiliser comme une ressource des oppositions socio-économiques entre anciens habitants des couches
sociale, voire, ici, professionnelle (voir sa contribution ici même et Collet, fieurs. Mais, de fait, la gentrification est restée perçue en France à travers
2008). D’autres travaux ont rendu compte d’autres sous-groupes des générationnelles, pour expliquer et comprendre la sociologie des gentri-
classes moyennes au statut particulier du point de vue de leurs pratiques les grilles de lecture socioprofessionnelles et, dans une moindre mesure,
urbaines, notamment certains jeunes employés des « nouvelles profes- ainsi rappelé la diversité des classes moyennes ; ils ont surtout mobilisé
sions de service » qu’ont étudiés Nathalie Chicoine et Damaris Rose à Boston (Tissot, 2011). Les travaux francophones sur la gentrification ont
Montréal (1998). De telles contributions évoquent aussi le rôle de l’âge, générations dans la réhabilitation d’un quartier comme le South End à
du cycle de vie et des parcours générationnels dans le plus ou moins toires associatives accrédite par exemple le rôle particulier de certaines
grand investissement de ces citadins dans la gentrification d’un quartier. L’expérience de certaines socialisations militantes et de certaines trajec-
L’expérience de certaines socialisations militantes et de certaines trajec- grand investissement de ces citadins dans la gentrification d’un quartier.
toires associatives accrédite par exemple le rôle particulier de certaines du cycle de vie et des parcours générationnels dans le plus ou moins
générations dans la réhabilitation d’un quartier comme le South End à Montréal (1998). De telles contributions évoquent aussi le rôle de l’âge,
Boston (Tissot, 2011). Les travaux francophones sur la gentrification ont sions de service » qu’ont étudiés Nathalie Chicoine et Damaris Rose à
ainsi rappelé la diversité des classes moyennes ; ils ont surtout mobilisé urbaines, notamment certains jeunes employés des « nouvelles profes-
les grilles de lecture socioprofessionnelles et, dans une moindre mesure, classes moyennes au statut particulier du point de vue de leurs pratiques
générationnelles, pour expliquer et comprendre la sociologie des gentri- 2008). D’autres travaux ont rendu compte d’autres sous-groupes des
fieurs. Mais, de fait, la gentrification est restée perçue en France à travers sociale, voire, ici, professionnelle (voir sa contribution ici même et Collet,
des oppositions socio-économiques entre anciens habitants des couches c’est-à-dire l’investir, se l’approprier et le mobiliser comme une ressource
populaires dans le passé et nouveaux habitants issus des classes moyennes l’audiovisuel et la capacité socialement située à gentrifier un tel espace,
ou moyennes supérieures. À l’inverse, d’autres facteurs sociologiques bien les imbrications entre les milieux professionnels du cinéma et de
restent beaucoup plus discrets dans cette littérature : c’est le cas des effets des spectacles. Les travaux d’Anaïs Collet sur le Bas-Montreuil montrent
du genre, des types de ménage et de familles ou des identités sexuées. ou plus généralement des professions de l’information, de la culture et
processus, qu’il s’agisse des artistes eux-mêmes (Charmes & Vivant, 2008)
Les apports américains ment le rôle singulier des professions artistiques et culturelles dans ces
une quinzaine d’années. Différentes contributions ont montré notam-
De leur côté, les chercheurs nord-américains, surtout anglophones, catégories est perceptible dans les travaux français et francophones depuis
ont été beaucoup plus prolixes à ce sujet. Sans doute moins classiste par ries plus spécifiques de gentrifieurs. Cette tendance au raffinement des
tradition, le champ des Urban Studies a mis en avant d’autres leviers de la certaines de ses fractions dans la gentrification et identifier des catégo-
gentrification en mobilisant notamment les études féministes, les apports et disséquer cette vaste catégorie pour étudier plus finement le rôle de
des Gender Studies puis des Gay and Lesbian Studies. Depuis le milieu Dans ce contexte, plusieurs sociologues ont cherché à décomposer
des années 1990, une littérature importante a été consacrée au rôle des
femmes, des mères et des femmes seules notamment, dans la transforma-
tion de certains quartiers en gentrification (Bondi, 1999). La gentrifica- 139 Colin Giraud
tion n’y apparaît d’ailleurs plus seulement comme une « inversion » des
tion n’y apparaît d’ailleurs plus seulement comme une « inversion » des
Colin Giraud 139 tion de certains quartiers en gentrification (Bondi, 1999). La gentrifica-
femmes, des mères et des femmes seules notamment, dans la transforma-
des années 1990, une littérature importante a été consacrée au rôle des
Dans ce contexte, plusieurs sociologues ont cherché à décomposer des Gender Studies puis des Gay and Lesbian Studies. Depuis le milieu
et disséquer cette vaste catégorie pour étudier plus finement le rôle de gentrification en mobilisant notamment les études féministes, les apports
certaines de ses fractions dans la gentrification et identifier des catégo- tradition, le champ des Urban Studies a mis en avant d’autres leviers de la
ries plus spécifiques de gentrifieurs. Cette tendance au raffinement des ont été beaucoup plus prolixes à ce sujet. Sans doute moins classiste par
catégories est perceptible dans les travaux français et francophones depuis De leur côté, les chercheurs nord-américains, surtout anglophones,
une quinzaine d’années. Différentes contributions ont montré notam-
ment le rôle singulier des professions artistiques et culturelles dans ces Les apports américains
processus, qu’il s’agisse des artistes eux-mêmes (Charmes & Vivant, 2008)
ou plus généralement des professions de l’information, de la culture et du genre, des types de ménage et de familles ou des identités sexuées.
des spectacles. Les travaux d’Anaïs Collet sur le Bas-Montreuil montrent restent beaucoup plus discrets dans cette littérature : c’est le cas des effets
bien les imbrications entre les milieux professionnels du cinéma et de ou moyennes supérieures. À l’inverse, d’autres facteurs sociologiques
l’audiovisuel et la capacité socialement située à gentrifier un tel espace, populaires dans le passé et nouveaux habitants issus des classes moyennes
c’est-à-dire l’investir, se l’approprier et le mobiliser comme une ressource des oppositions socio-économiques entre anciens habitants des couches
sociale, voire, ici, professionnelle (voir sa contribution ici même et Collet, fieurs. Mais, de fait, la gentrification est restée perçue en France à travers
2008). D’autres travaux ont rendu compte d’autres sous-groupes des générationnelles, pour expliquer et comprendre la sociologie des gentri-
classes moyennes au statut particulier du point de vue de leurs pratiques les grilles de lecture socioprofessionnelles et, dans une moindre mesure,
urbaines, notamment certains jeunes employés des « nouvelles profes- ainsi rappelé la diversité des classes moyennes ; ils ont surtout mobilisé
sions de service » qu’ont étudiés Nathalie Chicoine et Damaris Rose à Boston (Tissot, 2011). Les travaux francophones sur la gentrification ont
Montréal (1998). De telles contributions évoquent aussi le rôle de l’âge, générations dans la réhabilitation d’un quartier comme le South End à
du cycle de vie et des parcours générationnels dans le plus ou moins toires associatives accrédite par exemple le rôle particulier de certaines
grand investissement de ces citadins dans la gentrification d’un quartier. L’expérience de certaines socialisations militantes et de certaines trajec-
L’expérience de certaines socialisations militantes et de certaines trajec- grand investissement de ces citadins dans la gentrification d’un quartier.
toires associatives accrédite par exemple le rôle particulier de certaines du cycle de vie et des parcours générationnels dans le plus ou moins
générations dans la réhabilitation d’un quartier comme le South End à Montréal (1998). De telles contributions évoquent aussi le rôle de l’âge,
Boston (Tissot, 2011). Les travaux francophones sur la gentrification ont sions de service » qu’ont étudiés Nathalie Chicoine et Damaris Rose à
ainsi rappelé la diversité des classes moyennes ; ils ont surtout mobilisé urbaines, notamment certains jeunes employés des « nouvelles profes-
les grilles de lecture socioprofessionnelles et, dans une moindre mesure, classes moyennes au statut particulier du point de vue de leurs pratiques
générationnelles, pour expliquer et comprendre la sociologie des gentri- 2008). D’autres travaux ont rendu compte d’autres sous-groupes des
fieurs. Mais, de fait, la gentrification est restée perçue en France à travers sociale, voire, ici, professionnelle (voir sa contribution ici même et Collet,
des oppositions socio-économiques entre anciens habitants des couches c’est-à-dire l’investir, se l’approprier et le mobiliser comme une ressource
populaires dans le passé et nouveaux habitants issus des classes moyennes l’audiovisuel et la capacité socialement située à gentrifier un tel espace,
ou moyennes supérieures. À l’inverse, d’autres facteurs sociologiques bien les imbrications entre les milieux professionnels du cinéma et de
restent beaucoup plus discrets dans cette littérature : c’est le cas des effets des spectacles. Les travaux d’Anaïs Collet sur le Bas-Montreuil montrent
du genre, des types de ménage et de familles ou des identités sexuées. ou plus généralement des professions de l’information, de la culture et
processus, qu’il s’agisse des artistes eux-mêmes (Charmes & Vivant, 2008)
Les apports américains ment le rôle singulier des professions artistiques et culturelles dans ces
une quinzaine d’années. Différentes contributions ont montré notam-
De leur côté, les chercheurs nord-américains, surtout anglophones, catégories est perceptible dans les travaux français et francophones depuis
ont été beaucoup plus prolixes à ce sujet. Sans doute moins classiste par ries plus spécifiques de gentrifieurs. Cette tendance au raffinement des
tradition, le champ des Urban Studies a mis en avant d’autres leviers de la certaines de ses fractions dans la gentrification et identifier des catégo-
gentrification en mobilisant notamment les études féministes, les apports et disséquer cette vaste catégorie pour étudier plus finement le rôle de
des Gender Studies puis des Gay and Lesbian Studies. Depuis le milieu Dans ce contexte, plusieurs sociologues ont cherché à décomposer
des années 1990, une littérature importante a été consacrée au rôle des
femmes, des mères et des femmes seules notamment, dans la transforma-
tion de certains quartiers en gentrification (Bondi, 1999). La gentrifica- 139 Colin Giraud
tion n’y apparaît d’ailleurs plus seulement comme une « inversion » des
des « quartiers gay » révèle que ceux-ci se situent, dans leur très grande
nées 1990, aux États-Unis et au Canada. D’abord, l’étude de la localisation 140 Le cas de la « gaytrification »
De nouveaux travaux vont effectivement en ce sens dans les an-
empiriquement ces hypothèses.
en centre-ville. Les auteurs affirment dès lors la nécessité d’approfondir structures sociales locales mais aussi comme un changement dans l’ordre
implication dans certains secteurs d’emploi de plus en plus concentrés des structures familiales et sexuées qui prévalaient dans des quartiers vé-
liale, engagement dans une sociabilité dense à l’extérieur du foyer, forte tustes, paupérisées et populaires (Caulfield, 1989). À l’opposé, dans les
spécificités sociologiques de la population gay : faible contrainte fami- approches sociologiques françaises où la gentrification a surtout été
nautaire et comme une identité politique, ils soulignent aussi certaines abordée à partir d’une grille de lecture du monde social en termes de ca-
ces auteurs envisagent surtout l’homosexualité dans sa forme commu- tégories socioprofessionnelles focalisant l’attention sur le rôle des classes
des sociétés hétéronormées (Knopp & Lauria, 1985 ; Knopp, 1990). Si moyennes ou moyennes supérieures dans la transformation des centres-
spatiale des gays face à l’oppression sociale dont ils sont victimes dans ville, l’homosexualité reste le plus souvent hors champ. Son irruption
de quartiers gay dans les grandes villes américaines constitue la réponse dans l’étude de la gentrification peut sembler bien curieuse ; pourtant,
géographie féministe des années 1980 pour montrer que l’émergence aux États-Unis, elle y est apparue dès le début des années 1980.
théorique, Larry Knopp et Mickey Lauria mobilisent les apports de la Dès cette époque, un premier travail empirique est conduit sur le
de cette participation des gays à la gentrification. D’un point de vue Castro District de San Francisco (Castells & Murphy, 1982). Ce quartier
ouvre la voie à plusieurs travaux qui examinent les effets et les raisons est sans doute le premier exemple, et aussi le plus frappant, de la « re-
essentiels d’une partie de ces changements (1983). Son texte fondateur naissance » d’un quartier sous l’impulsion des gays dans les années 1970.
ginalité du travail de Castells est d’identifier les gays comme les acteurs Au moment même où nombre d’entre eux s’installent dans les vieilles
connaissent à l’époque un mouvement plus large de réhabilitation, l’ori- maisons victoriennes du quartier et les restaurent, les espaces de consom-
et des habitants gay du quartier. Si les quartiers centraux de San Francisco mation et de loisirs fréquentés par les homosexuels se développent : com-
groupant des commerçants, des associations, des représentants politiques merces, nombreux bars... Castells et Murphy décrivent l’assise croissante
ouvertement gay, structuration et entretien de réseaux de relations re- d’une communauté gay qui se rend visible dans les limites d’un quartier
du bâti dès les années 1970, organisation de fêtes de quartier à tonalité disponible de fait, qui offre une forme de sécurité et de tolérance relative
paces délaissés, ils contribuent surtout à leur transformation : rénovation ainsi qu’une certaine tranquillité sociale. Si les gays s’emparent de ces es-
ainsi qu’une certaine tranquillité sociale. Si les gays s’emparent de ces es- paces délaissés, ils contribuent surtout à leur transformation : rénovation
disponible de fait, qui offre une forme de sécurité et de tolérance relative du bâti dès les années 1970, organisation de fêtes de quartier à tonalité
d’une communauté gay qui se rend visible dans les limites d’un quartier ouvertement gay, structuration et entretien de réseaux de relations re-
merces, nombreux bars... Castells et Murphy décrivent l’assise croissante groupant des commerçants, des associations, des représentants politiques
mation et de loisirs fréquentés par les homosexuels se développent : com- et des habitants gay du quartier. Si les quartiers centraux de San Francisco
maisons victoriennes du quartier et les restaurent, les espaces de consom- connaissent à l’époque un mouvement plus large de réhabilitation, l’ori-
Au moment même où nombre d’entre eux s’installent dans les vieilles ginalité du travail de Castells est d’identifier les gays comme les acteurs
naissance » d’un quartier sous l’impulsion des gays dans les années 1970. essentiels d’une partie de ces changements (1983). Son texte fondateur
est sans doute le premier exemple, et aussi le plus frappant, de la « re- ouvre la voie à plusieurs travaux qui examinent les effets et les raisons
Castro District de San Francisco (Castells & Murphy, 1982). Ce quartier de cette participation des gays à la gentrification. D’un point de vue
Dès cette époque, un premier travail empirique est conduit sur le théorique, Larry Knopp et Mickey Lauria mobilisent les apports de la
aux États-Unis, elle y est apparue dès le début des années 1980. géographie féministe des années 1980 pour montrer que l’émergence
dans l’étude de la gentrification peut sembler bien curieuse ; pourtant, de quartiers gay dans les grandes villes américaines constitue la réponse
ville, l’homosexualité reste le plus souvent hors champ. Son irruption spatiale des gays face à l’oppression sociale dont ils sont victimes dans
moyennes ou moyennes supérieures dans la transformation des centres- des sociétés hétéronormées (Knopp & Lauria, 1985 ; Knopp, 1990). Si
tégories socioprofessionnelles focalisant l’attention sur le rôle des classes ces auteurs envisagent surtout l’homosexualité dans sa forme commu-
abordée à partir d’une grille de lecture du monde social en termes de ca- nautaire et comme une identité politique, ils soulignent aussi certaines
approches sociologiques françaises où la gentrification a surtout été spécificités sociologiques de la population gay : faible contrainte fami-
tustes, paupérisées et populaires (Caulfield, 1989). À l’opposé, dans les liale, engagement dans une sociabilité dense à l’extérieur du foyer, forte
des structures familiales et sexuées qui prévalaient dans des quartiers vé- implication dans certains secteurs d’emploi de plus en plus concentrés
structures sociales locales mais aussi comme un changement dans l’ordre en centre-ville. Les auteurs affirment dès lors la nécessité d’approfondir
empiriquement ces hypothèses.
De nouveaux travaux vont effectivement en ce sens dans les an-
Le cas de la « gaytrification » 140 nées 1990, aux États-Unis et au Canada. D’abord, l’étude de la localisation
des « quartiers gay » révèle que ceux-ci se situent, dans leur très grande
des « quartiers gay » révèle que ceux-ci se situent, dans leur très grande
nées 1990, aux États-Unis et au Canada. D’abord, l’étude de la localisation 140 Le cas de la « gaytrification »
De nouveaux travaux vont effectivement en ce sens dans les an-
empiriquement ces hypothèses.
en centre-ville. Les auteurs affirment dès lors la nécessité d’approfondir structures sociales locales mais aussi comme un changement dans l’ordre
implication dans certains secteurs d’emploi de plus en plus concentrés des structures familiales et sexuées qui prévalaient dans des quartiers vé-
liale, engagement dans une sociabilité dense à l’extérieur du foyer, forte tustes, paupérisées et populaires (Caulfield, 1989). À l’opposé, dans les
spécificités sociologiques de la population gay : faible contrainte fami- approches sociologiques françaises où la gentrification a surtout été
nautaire et comme une identité politique, ils soulignent aussi certaines abordée à partir d’une grille de lecture du monde social en termes de ca-
ces auteurs envisagent surtout l’homosexualité dans sa forme commu- tégories socioprofessionnelles focalisant l’attention sur le rôle des classes
des sociétés hétéronormées (Knopp & Lauria, 1985 ; Knopp, 1990). Si moyennes ou moyennes supérieures dans la transformation des centres-
spatiale des gays face à l’oppression sociale dont ils sont victimes dans ville, l’homosexualité reste le plus souvent hors champ. Son irruption
de quartiers gay dans les grandes villes américaines constitue la réponse dans l’étude de la gentrification peut sembler bien curieuse ; pourtant,
géographie féministe des années 1980 pour montrer que l’émergence aux États-Unis, elle y est apparue dès le début des années 1980.
théorique, Larry Knopp et Mickey Lauria mobilisent les apports de la Dès cette époque, un premier travail empirique est conduit sur le
de cette participation des gays à la gentrification. D’un point de vue Castro District de San Francisco (Castells & Murphy, 1982). Ce quartier
ouvre la voie à plusieurs travaux qui examinent les effets et les raisons est sans doute le premier exemple, et aussi le plus frappant, de la « re-
essentiels d’une partie de ces changements (1983). Son texte fondateur naissance » d’un quartier sous l’impulsion des gays dans les années 1970.
ginalité du travail de Castells est d’identifier les gays comme les acteurs Au moment même où nombre d’entre eux s’installent dans les vieilles
connaissent à l’époque un mouvement plus large de réhabilitation, l’ori- maisons victoriennes du quartier et les restaurent, les espaces de consom-
et des habitants gay du quartier. Si les quartiers centraux de San Francisco mation et de loisirs fréquentés par les homosexuels se développent : com-
groupant des commerçants, des associations, des représentants politiques merces, nombreux bars... Castells et Murphy décrivent l’assise croissante
ouvertement gay, structuration et entretien de réseaux de relations re- d’une communauté gay qui se rend visible dans les limites d’un quartier
du bâti dès les années 1970, organisation de fêtes de quartier à tonalité disponible de fait, qui offre une forme de sécurité et de tolérance relative
paces délaissés, ils contribuent surtout à leur transformation : rénovation ainsi qu’une certaine tranquillité sociale. Si les gays s’emparent de ces es-
ainsi qu’une certaine tranquillité sociale. Si les gays s’emparent de ces es- paces délaissés, ils contribuent surtout à leur transformation : rénovation
disponible de fait, qui offre une forme de sécurité et de tolérance relative du bâti dès les années 1970, organisation de fêtes de quartier à tonalité
d’une communauté gay qui se rend visible dans les limites d’un quartier ouvertement gay, structuration et entretien de réseaux de relations re-
merces, nombreux bars... Castells et Murphy décrivent l’assise croissante groupant des commerçants, des associations, des représentants politiques
mation et de loisirs fréquentés par les homosexuels se développent : com- et des habitants gay du quartier. Si les quartiers centraux de San Francisco
maisons victoriennes du quartier et les restaurent, les espaces de consom- connaissent à l’époque un mouvement plus large de réhabilitation, l’ori-
Au moment même où nombre d’entre eux s’installent dans les vieilles ginalité du travail de Castells est d’identifier les gays comme les acteurs
naissance » d’un quartier sous l’impulsion des gays dans les années 1970. essentiels d’une partie de ces changements (1983). Son texte fondateur
est sans doute le premier exemple, et aussi le plus frappant, de la « re- ouvre la voie à plusieurs travaux qui examinent les effets et les raisons
Castro District de San Francisco (Castells & Murphy, 1982). Ce quartier de cette participation des gays à la gentrification. D’un point de vue
Dès cette époque, un premier travail empirique est conduit sur le théorique, Larry Knopp et Mickey Lauria mobilisent les apports de la
aux États-Unis, elle y est apparue dès le début des années 1980. géographie féministe des années 1980 pour montrer que l’émergence
dans l’étude de la gentrification peut sembler bien curieuse ; pourtant, de quartiers gay dans les grandes villes américaines constitue la réponse
ville, l’homosexualité reste le plus souvent hors champ. Son irruption spatiale des gays face à l’oppression sociale dont ils sont victimes dans
moyennes ou moyennes supérieures dans la transformation des centres- des sociétés hétéronormées (Knopp & Lauria, 1985 ; Knopp, 1990). Si
tégories socioprofessionnelles focalisant l’attention sur le rôle des classes ces auteurs envisagent surtout l’homosexualité dans sa forme commu-
abordée à partir d’une grille de lecture du monde social en termes de ca- nautaire et comme une identité politique, ils soulignent aussi certaines
approches sociologiques françaises où la gentrification a surtout été spécificités sociologiques de la population gay : faible contrainte fami-
tustes, paupérisées et populaires (Caulfield, 1989). À l’opposé, dans les liale, engagement dans une sociabilité dense à l’extérieur du foyer, forte
des structures familiales et sexuées qui prévalaient dans des quartiers vé- implication dans certains secteurs d’emploi de plus en plus concentrés
structures sociales locales mais aussi comme un changement dans l’ordre en centre-ville. Les auteurs affirment dès lors la nécessité d’approfondir
empiriquement ces hypothèses.
De nouveaux travaux vont effectivement en ce sens dans les an-
Le cas de la « gaytrification » 140 nées 1990, aux États-Unis et au Canada. D’abord, l’étude de la localisation
des « quartiers gay » révèle que ceux-ci se situent, dans leur très grande
celles des populations gay, il supposerait une recherche encore différente.
homosexuels : le cas des lesbiennes renvoyant à des problématiques bien différentes de
Colin Giraud 141 sur les gays au détriment des lesbiennes. Notre enquête n’a porté que sur les hommes
surreprésentation masculine dans tous les échantillons disponibles concentre l’attention
des travaux de la revue Population (Messiah & Mouret-Fourme, 1993 ; Schiltz, 1997). La
majorité, dans des espaces urbains en cours de gentrification ou ayant
sur la sexualité en France pilotée par l’INED (Bajos, Beltzer & Bozon, 2008), ainsi que
1. Citons les « Enquêtes presse gay » réalisées depuis le milieu des années 1980 et l’Enquête
connu une telle transformation (Sibalis, 2004). Si les quartiers gay ne con-
centrent pas tous les homosexuels de la ville et ne comptent pas que des
homosexuels, ils semblent constituer un révélateur important de l’enga- rares, mais elles en montrent les spécificités sociologiques1. La population
gement des gays dans les mutations urbaines des centres-ville. Plusieurs tistiques disponibles sur les populations homosexuelles françaises sont
travaux monographiques analysent les effets économiques mais aussi processus de gentrification (Giraud, 2010). D’autre part, les enquêtes sta-
symboliques de cette requalification singulière, du point de vue écono- dans les années 1990, d’une présence homosexuelle spécifique et d’un
mique mais aussi symbolique, sur des minorités sexuelles qui trouvent pentes de la Croix-Rousse à Lyon a été lui aussi le terrain de la rencontre,
dans certains quartiers centraux des ressources sociales et politiques de du milieu des années 1960 aux années 1990 (Djirikian, 2004). Le bas des
légitimation ainsi que des espaces de solidarité collective (Forest, 1995). mais il a bien connu une phase de gentrification intense, au sens strict,
Les modes de vie, les commerces et les activités qui s’implantent contri- portant est le quartier du Marais à Paris. Son histoire est très spécifique,
buent par ailleurs à revaloriser l’image de certains quartiers : longtemps histoire différentes, il existe des secteurs gay en France, dont le plus im-
abandonnés et dégradés, ils peuvent devenir attractifs et « branchés » est contestable pour deux raisons. D’une part, malgré leur allure et leur
(Nash, 2006). La gentrification est présente en filigrane : si, par définition, quement et qu’elles ne le sont peut-être pas en France. Cette hypothèse
elle repose largement sur une inversion sociale résidentielle, elle se nourrit États-Unis sur ces questions, c’est qu’elles étaient opératoires empiri-
aussi de l’espace public (rues et commerces) comme support d’un re- français. Autrement dit, si les sociologues et géographes ont travaillé aux
tour en ville tous azimuts (Lehman-Frisch, 2002). Enfin, d’autres auteurs nord-américaines n’est pas nécessairement transposable dans le contexte
montrent que les gays ont pu être les acteurs décisifs d’une gentrification blications, on peut d’abord penser que ce que l’on observe dans les villes
proprement résidentielle. Dans le quartier de Cabbagetown à Toronto, Au regard de cet écart franco-américain dans les recherches et les pu-
leur implication dans la réhabilitation du bâti dégradé améliore signifi- de l’absence d’enfants dans ces ménages (Bouthillette, 1994).
cativement la qualité des logements : ils bénéficient de revenus souvent importants et de contraintes budgétaires moindres, notamment en raison
importants et de contraintes budgétaires moindres, notamment en raison cativement la qualité des logements : ils bénéficient de revenus souvent
de l’absence d’enfants dans ces ménages (Bouthillette, 1994). leur implication dans la réhabilitation du bâti dégradé améliore signifi-
Au regard de cet écart franco-américain dans les recherches et les pu- proprement résidentielle. Dans le quartier de Cabbagetown à Toronto,
blications, on peut d’abord penser que ce que l’on observe dans les villes montrent que les gays ont pu être les acteurs décisifs d’une gentrification
nord-américaines n’est pas nécessairement transposable dans le contexte tour en ville tous azimuts (Lehman-Frisch, 2002). Enfin, d’autres auteurs
français. Autrement dit, si les sociologues et géographes ont travaillé aux aussi de l’espace public (rues et commerces) comme support d’un re-
États-Unis sur ces questions, c’est qu’elles étaient opératoires empiri- elle repose largement sur une inversion sociale résidentielle, elle se nourrit
quement et qu’elles ne le sont peut-être pas en France. Cette hypothèse (Nash, 2006). La gentrification est présente en filigrane : si, par définition,
est contestable pour deux raisons. D’une part, malgré leur allure et leur abandonnés et dégradés, ils peuvent devenir attractifs et « branchés »
histoire différentes, il existe des secteurs gay en France, dont le plus im- buent par ailleurs à revaloriser l’image de certains quartiers : longtemps
portant est le quartier du Marais à Paris. Son histoire est très spécifique, Les modes de vie, les commerces et les activités qui s’implantent contri-
mais il a bien connu une phase de gentrification intense, au sens strict, légitimation ainsi que des espaces de solidarité collective (Forest, 1995).
du milieu des années 1960 aux années 1990 (Djirikian, 2004). Le bas des dans certains quartiers centraux des ressources sociales et politiques de
pentes de la Croix-Rousse à Lyon a été lui aussi le terrain de la rencontre, mique mais aussi symbolique, sur des minorités sexuelles qui trouvent
dans les années 1990, d’une présence homosexuelle spécifique et d’un symboliques de cette requalification singulière, du point de vue écono-
processus de gentrification (Giraud, 2010). D’autre part, les enquêtes sta- travaux monographiques analysent les effets économiques mais aussi
tistiques disponibles sur les populations homosexuelles françaises sont gement des gays dans les mutations urbaines des centres-ville. Plusieurs
rares, mais elles en montrent les spécificités sociologiques1. La population homosexuels, ils semblent constituer un révélateur important de l’enga-
centrent pas tous les homosexuels de la ville et ne comptent pas que des
connu une telle transformation (Sibalis, 2004). Si les quartiers gay ne con-
1. Citons les « Enquêtes presse gay » réalisées depuis le milieu des années 1980 et l’Enquête majorité, dans des espaces urbains en cours de gentrification ou ayant
sur la sexualité en France pilotée par l’INED (Bajos, Beltzer & Bozon, 2008), ainsi que
des travaux de la revue Population (Messiah & Mouret-Fourme, 1993 ; Schiltz, 1997). La
surreprésentation masculine dans tous les échantillons disponibles concentre l’attention
sur les gays au détriment des lesbiennes. Notre enquête n’a porté que sur les hommes 141 Colin Giraud
homosexuels : le cas des lesbiennes renvoyant à des problématiques bien différentes de
celles des populations gay, il supposerait une recherche encore différente.
volet de l’enquête est que les gays parisiens privilégient plusieurs types
logiques de cet échantillon (Giraud, 2011). Une des conclusions de ce 142 Le cas de la « gaytrification »
dentielle gay parisienne et l’étudier au regard des caractéristiques socio-
pesant sur ces données, nous avons pu reconstruire une géographie rési-
âge, profession déclarée) et tenant compte des contraintes d’anonymat gay y apparaît très fortement urbaine, plus jeune que l’ensemble de la po-
certaines informations sur cette population (arrondissement de résidence, pulation française, plus favorisée en termes de revenus, de PCS et surtout
parisiens abonnés à une revue homosexuelle spécialisée. Disposant de de niveau de diplôme. Vivant fréquemment dans un ménage de petite
travaillant sur les localisations résidentielles d’un échantillon d’hommes taille, les gays ont aussi, plus souvent que les autres, connu des trajectoires
résultats partiels. Nous avons ainsi construit des données quantitatives en d’ascension sociale (Schiltz, 1997). Le profil sociologique dominant des
française, quitte parfois à ne pouvoir formuler que des hypothèses ou des gays français ressemble ainsi beaucoup à celui des gentrifieurs dans leur
cherché à innover et à renouveler certains outils de la sociologie urbaine ensemble : en France aussi, ils apparaissent comme des « candidats » socio-
elle est également spécifique à cette enquête. Sur ce terrain, nous avons logiques à la gentrification. C’est dans ce contexte que nous avons voulu
invisibles statistiquement. Cette première difficulté est la plus importante, renouveler l’approche sociologique de la gentrification en France en
dement à chercher à comptabiliser, identifier et atteindre des populations nous saisissant d’un questionnement longtemps resté nord-américain et
dus ne figurant pas dans les enquêtes de recensement, on en vient rapi- largement anglophone et en faisant l’hypothèse de la nécessité d’une en-
une ville, et a fortiori, dans un quartier. L’orientation sexuelle des indivi- quête sur le sujet en France.
d’évaluer l’ampleur des installations et de la présence résidentielle gay dans
de mobiliser les outils statistiques et quantitatifs, par exemple pour tenter DE L’ENQUÊTE AUX RÉSULTATS
taines difficultés. Le fait est particulièrement net dès lors que l’on tente
empirique, travailler sur des « populations homosexuelles » accentue cer- Conduite entre 2005 et 2008 dans le cadre de notre thèse de sociolo-
Au-delà des problèmes méthodologiques propres à toute enquête gie, notre enquête avait pour objet l’étude comparée du rôle des popu-
lations homosexuelles masculines dans les processus de gentrification à
Questions de méthode Paris et à Montréal. Elle a d’abord montré que la faible visibilité d’un tel
objet ne renvoie pas seulement à un manque d’intérêt des chercheurs
dologiques importants et spécifiques. français, mais qu’elle est sans doute également liée à des obstacles métho-
français, mais qu’elle est sans doute également liée à des obstacles métho- dologiques importants et spécifiques.
objet ne renvoie pas seulement à un manque d’intérêt des chercheurs
Paris et à Montréal. Elle a d’abord montré que la faible visibilité d’un tel Questions de méthode
lations homosexuelles masculines dans les processus de gentrification à
gie, notre enquête avait pour objet l’étude comparée du rôle des popu- Au-delà des problèmes méthodologiques propres à toute enquête
Conduite entre 2005 et 2008 dans le cadre de notre thèse de sociolo- empirique, travailler sur des « populations homosexuelles » accentue cer-
taines difficultés. Le fait est particulièrement net dès lors que l’on tente
DE L’ENQUÊTE AUX RÉSULTATS de mobiliser les outils statistiques et quantitatifs, par exemple pour tenter
d’évaluer l’ampleur des installations et de la présence résidentielle gay dans
quête sur le sujet en France. une ville, et a fortiori, dans un quartier. L’orientation sexuelle des indivi-
largement anglophone et en faisant l’hypothèse de la nécessité d’une en- dus ne figurant pas dans les enquêtes de recensement, on en vient rapi-
nous saisissant d’un questionnement longtemps resté nord-américain et dement à chercher à comptabiliser, identifier et atteindre des populations
renouveler l’approche sociologique de la gentrification en France en invisibles statistiquement. Cette première difficulté est la plus importante,
logiques à la gentrification. C’est dans ce contexte que nous avons voulu elle est également spécifique à cette enquête. Sur ce terrain, nous avons
ensemble : en France aussi, ils apparaissent comme des « candidats » socio- cherché à innover et à renouveler certains outils de la sociologie urbaine
gays français ressemble ainsi beaucoup à celui des gentrifieurs dans leur française, quitte parfois à ne pouvoir formuler que des hypothèses ou des
d’ascension sociale (Schiltz, 1997). Le profil sociologique dominant des résultats partiels. Nous avons ainsi construit des données quantitatives en
taille, les gays ont aussi, plus souvent que les autres, connu des trajectoires travaillant sur les localisations résidentielles d’un échantillon d’hommes
de niveau de diplôme. Vivant fréquemment dans un ménage de petite parisiens abonnés à une revue homosexuelle spécialisée. Disposant de
pulation française, plus favorisée en termes de revenus, de PCS et surtout certaines informations sur cette population (arrondissement de résidence,
gay y apparaît très fortement urbaine, plus jeune que l’ensemble de la po- âge, profession déclarée) et tenant compte des contraintes d’anonymat
pesant sur ces données, nous avons pu reconstruire une géographie rési-
dentielle gay parisienne et l’étudier au regard des caractéristiques socio-
Le cas de la « gaytrification » 142 logiques de cet échantillon (Giraud, 2011). Une des conclusions de ce
volet de l’enquête est que les gays parisiens privilégient plusieurs types
Il rassemble 61 entretiens, dont 47 ont été conduits auprès de gays ayant
Colin Giraud 143 Le troisième type de données paraît plus classique dans un tel contexte.
et objets de certains discours sur le quartier.
producteurs et diffuseurs de certaines images, mais aussi comme supports
d’environnement résidentiels, dont une partie est bien située dans les cherché à identifier le rôle des gays dans ces processus : à la fois comme
secteurs phares de la gentrification parisienne, mais que ce type de choix quartier « animé », « convivial », « alternatif » ou « métissé ». Nous avons
est surtout celui de quarantenaires, nettement moins des plus jeunes et velles images qui lui sont associées, par exemple le quartier « village », le
des plus âgés. symboliques qui construisent la valeur d’un quartier à travers les nou-
Plus largement, le cas des populations gay amène à envisager une tiers et de ses images. La gentrification repose aussi sur des dynamiques
grande variété de matériaux empiriques pour tenter d’appréhender une discursifs et symboliques contribuant à la fabrique de la ville, de ses quar-
« place » et un « rôle » dans des processus aussi complexes. Selon nous, viron ont été mobilisés afin d’approcher certains processus médiatiques,
les difficultés pour obtenir des données quantitatives totalement fiables généraliste plutôt locale, à Paris et Montréal. Ces 1 300 documents en-
au sujet des gays habitant dans les deux quartiers de l’enquête n’ont pas sur la période 1978-2007 : un corpus de presse gay spécialisée et de presse
été seulement un problème méthodologique ou empirique. Pour étu- Deuxième type de données, nous avons dépouillé des sources écrites
dier sociologiquement la gentrification d’une ville ou d’un quartier, bon quartiers en gentrification.
nombre de travaux français mobilisent en priorité ce type de données. Si les évolutions d’ensemble des commerces et des activités dans les deux
la dimension résidentielle du processus est centrale et même nécessaire gence locale d’un « secteur commercial gay » et d’interroger ses liens avec
pour pouvoir parler de gentrification, cette dernière ne s’y réduit pas. spécialisée. Un tel matériau permet d’observer historiquement l’émer-
Depuis plusieurs années déjà, différents travaux ont souligné ses aspects partir des annuaires et index commerciaux disponibles dans la presse gay
multidimensionnels : les changements d’activités et de vie commerçante et des commerces gay dans les deux villes depuis la fin des années 1970, à
d’un quartier (Lehman-Frisch, 2002), les transformations de l’image et quantitatives de type résidentiel, mais aussi des données au sujet des lieux
de la fréquentation du quartier (Tissot, 2011), les mutations des rela- échelles d’analyse. En premier lieu, nous avons construit des données
tions sociales locales autant que les structures sociales du quartier (Bidou- notre dispositif de recherche, qui mobilise plusieurs types de données et
Zachariasen, 2008). Cela ne signifie pas que le concept de gentrification C’est ainsi que nous l’avons envisagé et que nous avons construit
soit un fourre-tout désignant séparément ces processus. Il correspond au contraire à la conjonction de toutes ces dimensions.
contraire à la conjonction de toutes ces dimensions. soit un fourre-tout désignant séparément ces processus. Il correspond au
C’est ainsi que nous l’avons envisagé et que nous avons construit Zachariasen, 2008). Cela ne signifie pas que le concept de gentrification
notre dispositif de recherche, qui mobilise plusieurs types de données et tions sociales locales autant que les structures sociales du quartier (Bidou-
échelles d’analyse. En premier lieu, nous avons construit des données de la fréquentation du quartier (Tissot, 2011), les mutations des rela-
quantitatives de type résidentiel, mais aussi des données au sujet des lieux d’un quartier (Lehman-Frisch, 2002), les transformations de l’image et
et des commerces gay dans les deux villes depuis la fin des années 1970, à multidimensionnels : les changements d’activités et de vie commerçante
partir des annuaires et index commerciaux disponibles dans la presse gay Depuis plusieurs années déjà, différents travaux ont souligné ses aspects
spécialisée. Un tel matériau permet d’observer historiquement l’émer- pour pouvoir parler de gentrification, cette dernière ne s’y réduit pas.
gence locale d’un « secteur commercial gay » et d’interroger ses liens avec la dimension résidentielle du processus est centrale et même nécessaire
les évolutions d’ensemble des commerces et des activités dans les deux nombre de travaux français mobilisent en priorité ce type de données. Si
quartiers en gentrification. dier sociologiquement la gentrification d’une ville ou d’un quartier, bon
Deuxième type de données, nous avons dépouillé des sources écrites été seulement un problème méthodologique ou empirique. Pour étu-
sur la période 1978-2007 : un corpus de presse gay spécialisée et de presse au sujet des gays habitant dans les deux quartiers de l’enquête n’ont pas
généraliste plutôt locale, à Paris et Montréal. Ces 1 300 documents en- les difficultés pour obtenir des données quantitatives totalement fiables
viron ont été mobilisés afin d’approcher certains processus médiatiques, « place » et un « rôle » dans des processus aussi complexes. Selon nous,
discursifs et symboliques contribuant à la fabrique de la ville, de ses quar- grande variété de matériaux empiriques pour tenter d’appréhender une
tiers et de ses images. La gentrification repose aussi sur des dynamiques Plus largement, le cas des populations gay amène à envisager une
symboliques qui construisent la valeur d’un quartier à travers les nou- des plus âgés.
velles images qui lui sont associées, par exemple le quartier « village », le est surtout celui de quarantenaires, nettement moins des plus jeunes et
quartier « animé », « convivial », « alternatif » ou « métissé ». Nous avons secteurs phares de la gentrification parisienne, mais que ce type de choix
cherché à identifier le rôle des gays dans ces processus : à la fois comme d’environnement résidentiels, dont une partie est bien située dans les
producteurs et diffuseurs de certaines images, mais aussi comme supports
et objets de certains discours sur le quartier.
Le troisième type de données paraît plus classique dans un tel contexte. 143 Colin Giraud
Il rassemble 61 entretiens, dont 47 ont été conduits auprès de gays ayant
de la rue Plessis :
Colin Giraud 145 ou comme le montre encore le cas de Michel et de son ancien logement
des gays, comme l’ont confirmé certains agents immobiliers du quartier,
totalement réhabilités depuis la fin des années 1980, en grande partie par
réaménagement et aux travaux dans leurs logements, y compris lorsqu’ils très localisés du quartier où de nombreux édifices néo-victoriens ont été
sont locataires, en particulier dans le Village. Ainsi Raymond a-t-il souvent Le terrain montréalais illustre cet impact significatif dans certains secteurs
repeint ses appartements successifs ou refait certains parquets, mettant tion du stock local de logements en revalorisant ceux qui sont vétustes.
par là en conformité ses propres pratiques et ses représentations souvent les plus élevés. Ces investissements ont d’abord un effet brut d’améliora-
stéréotypées au sujet des gays : chez ceux qui achètent leur appartement et qui ont les moyens financiers
Dans les deux quartiers, des travaux plus conséquents sont visibles
Tous les appartements, moi j’ai toujours repeint en arrivant, même si je
restais pas longtemps, je prenais toujours le temps, je nettoyais les murs 26 ans, styliste free-lance, célibataire, locataire, Marais)
et les sols, j’ai dû refaire des parquets des fois [...]. Les gays n’habitent pas acheter des absorbeurs d’humidité et arranger un truc mignon. (Boris,
dans la saleté, ils vont essayer de ramasser, de rénover, de rajeunir, surtout peint en blanc une dernière fois, mais je peux pas faire grand-chose à part
ici, ils ont beaucoup fait pour les logements, ils ont mis des fleurs tout repeindre tous les ans, donc bon, j’ai changé la moquette là, j’ai tout re-
ça, ils aiment bien le propre, il faut bien que ce soit propre si on veut se qu’après j’ai vu de la moisissure partout, donc je me suis dit je vais pas
rouler par terre. [Rire.] (Raymond, 62 ans, employé retraité, célibataire, peint, après j’ai peint ce mur-là en couleur, mais je me suis calmé parce
locataire,Village) tout pourri ? [Rire.] [...] Quand je suis arrivé, ça m’a excité, j’ai tout re-
un peu artiste aussi, genre comment faire du design dans un appartement
De même, une partie des enquêtés nous a relativement surpris au bien, j’aime bien que ce soit mignon quoi ! Peut-être que c’est mon côté
cours de notre enquête. Il s’agit des locataires les moins fortunés, qui sont bon donc j’y passe pas beaucoup de temps [chez moi], disons que j’aime
souvent très mobiles et occupent de petits logements, mais qui réalisent
bureau en coin canapé, et puis après je rechange deux semaines après,
malgré tout des travaux et bricolent de nouveaux aménagements. Ils le
changer le tissu sur le lit [...]. Ça me prend, je vais vouloir changer le coin
là-dessus, j’aime bien mettre des choses aux murs, accrocher un truc là,
font d’autant plus volontiers qu’ils sont souvent eux-mêmes « un peu les meubles de place tous les mois par exemple, je suis un peu hystérique
artistes » et qu’ils manifestent certaines dispositions de cet ordre. C’est le Je me préoccupe pas mal de comment c’est chez moi, donc je change
cas de Boris, jeune styliste locataire d’un deux-pièces dans le Marais :
cas de Boris, jeune styliste locataire d’un deux-pièces dans le Marais :
Je me préoccupe pas mal de comment c’est chez moi, donc je change artistes » et qu’ils manifestent certaines dispositions de cet ordre. C’est le
les meubles de place tous les mois par exemple, je suis un peu hystérique font d’autant plus volontiers qu’ils sont souvent eux-mêmes « un peu
là-dessus, j’aime bien mettre des choses aux murs, accrocher un truc là, malgré tout des travaux et bricolent de nouveaux aménagements. Ils le
changer le tissu sur le lit [...]. Ça me prend, je vais vouloir changer le coin
bureau en coin canapé, et puis après je rechange deux semaines après,
souvent très mobiles et occupent de petits logements, mais qui réalisent
bon donc j’y passe pas beaucoup de temps [chez moi], disons que j’aime cours de notre enquête. Il s’agit des locataires les moins fortunés, qui sont
bien, j’aime bien que ce soit mignon quoi ! Peut-être que c’est mon côté De même, une partie des enquêtés nous a relativement surpris au
un peu artiste aussi, genre comment faire du design dans un appartement
tout pourri ? [Rire.] [...] Quand je suis arrivé, ça m’a excité, j’ai tout re- locataire,Village)
peint, après j’ai peint ce mur-là en couleur, mais je me suis calmé parce rouler par terre. [Rire.] (Raymond, 62 ans, employé retraité, célibataire,
qu’après j’ai vu de la moisissure partout, donc je me suis dit je vais pas ça, ils aiment bien le propre, il faut bien que ce soit propre si on veut se
repeindre tous les ans, donc bon, j’ai changé la moquette là, j’ai tout re- ici, ils ont beaucoup fait pour les logements, ils ont mis des fleurs tout
peint en blanc une dernière fois, mais je peux pas faire grand-chose à part dans la saleté, ils vont essayer de ramasser, de rénover, de rajeunir, surtout
acheter des absorbeurs d’humidité et arranger un truc mignon. (Boris, et les sols, j’ai dû refaire des parquets des fois [...]. Les gays n’habitent pas
26 ans, styliste free-lance, célibataire, locataire, Marais) restais pas longtemps, je prenais toujours le temps, je nettoyais les murs
Tous les appartements, moi j’ai toujours repeint en arrivant, même si je
Dans les deux quartiers, des travaux plus conséquents sont visibles
chez ceux qui achètent leur appartement et qui ont les moyens financiers stéréotypées au sujet des gays :
les plus élevés. Ces investissements ont d’abord un effet brut d’améliora- par là en conformité ses propres pratiques et ses représentations souvent
tion du stock local de logements en revalorisant ceux qui sont vétustes. repeint ses appartements successifs ou refait certains parquets, mettant
Le terrain montréalais illustre cet impact significatif dans certains secteurs sont locataires, en particulier dans le Village. Ainsi Raymond a-t-il souvent
très localisés du quartier où de nombreux édifices néo-victoriens ont été réaménagement et aux travaux dans leurs logements, y compris lorsqu’ils
totalement réhabilités depuis la fin des années 1980, en grande partie par
des gays, comme l’ont confirmé certains agents immobiliers du quartier,
ou comme le montre encore le cas de Michel et de son ancien logement 145 Colin Giraud
de la rue Plessis :
cédent propriétaire, gay lui aussi, mais ils ont conscience de cet effet :
Vincent ne sont « que » locataires d’un appartement réhabilité par le pré- 146 Le cas de la « gaytrification »
ture des ménages gay oriente leurs choix en matière d’habitat. Tony et
mais sans enfant et, surtout, sans projet explicite d’en avoir : la struc-
renvoie surtout à la taille du ménage, les enquêtés vivant seuls ou à deux, C’était une très vieille demeure, très sale, il y avait des rats qui passaient
surface. S’il s’agit de gagner de l’espace ou de la lumière, cette démarche dans la cuisine quand je suis arrivé, j’ai fait beaucoup de travaux, j’ai tout
eux : abattre des cloisons, réduire le nombre de pièces et étendre leur refait les plafonds, les planchers, j’ai tout nettoyé les murs, même dehors
une même opération, maintes fois décrites en entretien et observées chez j’ai fait nettoyer le devant parce que c’était si sale, j’ai changé les bal-
les lieux. C’est sur ce point précis qu’ils sont nombreux à s’engager dans cons après [...]. C’était un gros coup d’argent, j’ai vendu au triple quand
Tous les enquêtés ne trouvent pas ce type d’intérieur en entrant dans je suis parti. (Michel, 60 ans, employé, couple non cohabitant, locataire,
Village)
De fait, les travaux sont souvent plus conséquents à Montréal qu’à
couple cohabitant, propriétaire, Marais)
s’en fout en fait de la cuisine ! (Gilles, 40 ans, directeur informatique,
c’est très agréable, la terrasse fait 7 m2, alors la cuisine est petite mais on Paris parce que les biens sont acquis en moins bon état. À l’image de
grande pièce, c’est une pièce de 30 m2, dans un appart de 55 m2, et ça Michel, certains des propriétaires que nous avons interrogés apparaissent
Ce qui est génial et ça m’a beaucoup plu quand je l’ai acheté, c’est la typiques des nouveaux venus qui, arrivés depuis la fin des années 1980,
ont participé à des réhabilitations rappelant de près celles qui ont été dé-
pièce, une seule chambre et une petite cuisine : crites dans des contextes équivalents (Castells, 1983 ; Bouthillette, 1994).
ration est exemplaire de celles que privilégient les enquêtés, une grande À Paris, lorsque les gays interrogés arrivent dans leur logement, il est plus
recherche dans le Marais, Gilles achète un appartement dont la configu- fréquent qu’il ait été déjà réhabilité, hormis le cas de quelques installa-
tion des pièces, de leur nombre et de leur taille. Après plusieurs mois de tions anciennes, au début des années 1980.
l’exemple le plus significatif de ces spécificités est celui de la distribu- Mais c’est surtout le logement en tant qu’habitat domestique qui ré-
vie. Au-delà du choix des couleurs et de la réfection d’équipements usés, vèle toute la subtilité des processus de gaytrification. Les aménagements
tie, à la spécificité des ménages qu’ils composent et de leurs modes de intérieurs révèlent, en effet, des spécificités homosexuelles en termes de
gurations d’habitat qu’ils choisissent et qui sont liées, en grande par- goût et de besoin en habitat, liées surtout à la structure particulière des
identiques aux autres : bon nombre d’entre eux innovent par les confi- ménages gay. De ce point de vue, les gays ne sont plus des gentrifieurs
ménages gay. De ce point de vue, les gays ne sont plus des gentrifieurs identiques aux autres : bon nombre d’entre eux innovent par les confi-
goût et de besoin en habitat, liées surtout à la structure particulière des gurations d’habitat qu’ils choisissent et qui sont liées, en grande par-
intérieurs révèlent, en effet, des spécificités homosexuelles en termes de tie, à la spécificité des ménages qu’ils composent et de leurs modes de
vèle toute la subtilité des processus de gaytrification. Les aménagements vie. Au-delà du choix des couleurs et de la réfection d’équipements usés,
Mais c’est surtout le logement en tant qu’habitat domestique qui ré- l’exemple le plus significatif de ces spécificités est celui de la distribu-
tions anciennes, au début des années 1980. tion des pièces, de leur nombre et de leur taille. Après plusieurs mois de
fréquent qu’il ait été déjà réhabilité, hormis le cas de quelques installa- recherche dans le Marais, Gilles achète un appartement dont la configu-
À Paris, lorsque les gays interrogés arrivent dans leur logement, il est plus ration est exemplaire de celles que privilégient les enquêtés, une grande
crites dans des contextes équivalents (Castells, 1983 ; Bouthillette, 1994). pièce, une seule chambre et une petite cuisine :
ont participé à des réhabilitations rappelant de près celles qui ont été dé-
typiques des nouveaux venus qui, arrivés depuis la fin des années 1980, Ce qui est génial et ça m’a beaucoup plu quand je l’ai acheté, c’est la
Michel, certains des propriétaires que nous avons interrogés apparaissent grande pièce, c’est une pièce de 30 m2, dans un appart de 55 m2, et ça
Paris parce que les biens sont acquis en moins bon état. À l’image de c’est très agréable, la terrasse fait 7 m2, alors la cuisine est petite mais on
De fait, les travaux sont souvent plus conséquents à Montréal qu’à s’en fout en fait de la cuisine ! (Gilles, 40 ans, directeur informatique,
couple cohabitant, propriétaire, Marais)
Village)
je suis parti. (Michel, 60 ans, employé, couple non cohabitant, locataire, Tous les enquêtés ne trouvent pas ce type d’intérieur en entrant dans
cons après [...]. C’était un gros coup d’argent, j’ai vendu au triple quand les lieux. C’est sur ce point précis qu’ils sont nombreux à s’engager dans
j’ai fait nettoyer le devant parce que c’était si sale, j’ai changé les bal- une même opération, maintes fois décrites en entretien et observées chez
refait les plafonds, les planchers, j’ai tout nettoyé les murs, même dehors eux : abattre des cloisons, réduire le nombre de pièces et étendre leur
dans la cuisine quand je suis arrivé, j’ai fait beaucoup de travaux, j’ai tout surface. S’il s’agit de gagner de l’espace ou de la lumière, cette démarche
C’était une très vieille demeure, très sale, il y avait des rats qui passaient renvoie surtout à la taille du ménage, les enquêtés vivant seuls ou à deux,
mais sans enfant et, surtout, sans projet explicite d’en avoir : la struc-
ture des ménages gay oriente leurs choix en matière d’habitat. Tony et
Le cas de la « gaytrification » 146 Vincent ne sont « que » locataires d’un appartement réhabilité par le pré-
cédent propriétaire, gay lui aussi, mais ils ont conscience de cet effet :
cédent propriétaire, gay lui aussi, mais ils ont conscience de cet effet :
Vincent ne sont « que » locataires d’un appartement réhabilité par le pré- 146 Le cas de la « gaytrification »
ture des ménages gay oriente leurs choix en matière d’habitat. Tony et
mais sans enfant et, surtout, sans projet explicite d’en avoir : la struc-
renvoie surtout à la taille du ménage, les enquêtés vivant seuls ou à deux, C’était une très vieille demeure, très sale, il y avait des rats qui passaient
surface. S’il s’agit de gagner de l’espace ou de la lumière, cette démarche dans la cuisine quand je suis arrivé, j’ai fait beaucoup de travaux, j’ai tout
eux : abattre des cloisons, réduire le nombre de pièces et étendre leur refait les plafonds, les planchers, j’ai tout nettoyé les murs, même dehors
une même opération, maintes fois décrites en entretien et observées chez j’ai fait nettoyer le devant parce que c’était si sale, j’ai changé les bal-
les lieux. C’est sur ce point précis qu’ils sont nombreux à s’engager dans cons après [...]. C’était un gros coup d’argent, j’ai vendu au triple quand
Tous les enquêtés ne trouvent pas ce type d’intérieur en entrant dans je suis parti. (Michel, 60 ans, employé, couple non cohabitant, locataire,
Village)
De fait, les travaux sont souvent plus conséquents à Montréal qu’à
couple cohabitant, propriétaire, Marais)
s’en fout en fait de la cuisine ! (Gilles, 40 ans, directeur informatique,
c’est très agréable, la terrasse fait 7 m2, alors la cuisine est petite mais on Paris parce que les biens sont acquis en moins bon état. À l’image de
grande pièce, c’est une pièce de 30 m2, dans un appart de 55 m2, et ça Michel, certains des propriétaires que nous avons interrogés apparaissent
Ce qui est génial et ça m’a beaucoup plu quand je l’ai acheté, c’est la typiques des nouveaux venus qui, arrivés depuis la fin des années 1980,
ont participé à des réhabilitations rappelant de près celles qui ont été dé-
pièce, une seule chambre et une petite cuisine : crites dans des contextes équivalents (Castells, 1983 ; Bouthillette, 1994).
ration est exemplaire de celles que privilégient les enquêtés, une grande À Paris, lorsque les gays interrogés arrivent dans leur logement, il est plus
recherche dans le Marais, Gilles achète un appartement dont la configu- fréquent qu’il ait été déjà réhabilité, hormis le cas de quelques installa-
tion des pièces, de leur nombre et de leur taille. Après plusieurs mois de tions anciennes, au début des années 1980.
l’exemple le plus significatif de ces spécificités est celui de la distribu- Mais c’est surtout le logement en tant qu’habitat domestique qui ré-
vie. Au-delà du choix des couleurs et de la réfection d’équipements usés, vèle toute la subtilité des processus de gaytrification. Les aménagements
tie, à la spécificité des ménages qu’ils composent et de leurs modes de intérieurs révèlent, en effet, des spécificités homosexuelles en termes de
gurations d’habitat qu’ils choisissent et qui sont liées, en grande par- goût et de besoin en habitat, liées surtout à la structure particulière des
identiques aux autres : bon nombre d’entre eux innovent par les confi- ménages gay. De ce point de vue, les gays ne sont plus des gentrifieurs
ménages gay. De ce point de vue, les gays ne sont plus des gentrifieurs identiques aux autres : bon nombre d’entre eux innovent par les confi-
goût et de besoin en habitat, liées surtout à la structure particulière des gurations d’habitat qu’ils choisissent et qui sont liées, en grande par-
intérieurs révèlent, en effet, des spécificités homosexuelles en termes de tie, à la spécificité des ménages qu’ils composent et de leurs modes de
vèle toute la subtilité des processus de gaytrification. Les aménagements vie. Au-delà du choix des couleurs et de la réfection d’équipements usés,
Mais c’est surtout le logement en tant qu’habitat domestique qui ré- l’exemple le plus significatif de ces spécificités est celui de la distribu-
tions anciennes, au début des années 1980. tion des pièces, de leur nombre et de leur taille. Après plusieurs mois de
fréquent qu’il ait été déjà réhabilité, hormis le cas de quelques installa- recherche dans le Marais, Gilles achète un appartement dont la configu-
À Paris, lorsque les gays interrogés arrivent dans leur logement, il est plus ration est exemplaire de celles que privilégient les enquêtés, une grande
crites dans des contextes équivalents (Castells, 1983 ; Bouthillette, 1994). pièce, une seule chambre et une petite cuisine :
ont participé à des réhabilitations rappelant de près celles qui ont été dé-
typiques des nouveaux venus qui, arrivés depuis la fin des années 1980, Ce qui est génial et ça m’a beaucoup plu quand je l’ai acheté, c’est la
Michel, certains des propriétaires que nous avons interrogés apparaissent grande pièce, c’est une pièce de 30 m2, dans un appart de 55 m2, et ça
Paris parce que les biens sont acquis en moins bon état. À l’image de c’est très agréable, la terrasse fait 7 m2, alors la cuisine est petite mais on
De fait, les travaux sont souvent plus conséquents à Montréal qu’à s’en fout en fait de la cuisine ! (Gilles, 40 ans, directeur informatique,
couple cohabitant, propriétaire, Marais)
Village)
je suis parti. (Michel, 60 ans, employé, couple non cohabitant, locataire, Tous les enquêtés ne trouvent pas ce type d’intérieur en entrant dans
cons après [...]. C’était un gros coup d’argent, j’ai vendu au triple quand les lieux. C’est sur ce point précis qu’ils sont nombreux à s’engager dans
j’ai fait nettoyer le devant parce que c’était si sale, j’ai changé les bal- une même opération, maintes fois décrites en entretien et observées chez
refait les plafonds, les planchers, j’ai tout nettoyé les murs, même dehors eux : abattre des cloisons, réduire le nombre de pièces et étendre leur
dans la cuisine quand je suis arrivé, j’ai fait beaucoup de travaux, j’ai tout surface. S’il s’agit de gagner de l’espace ou de la lumière, cette démarche
C’était une très vieille demeure, très sale, il y avait des rats qui passaient renvoie surtout à la taille du ménage, les enquêtés vivant seuls ou à deux,
mais sans enfant et, surtout, sans projet explicite d’en avoir : la struc-
ture des ménages gay oriente leurs choix en matière d’habitat. Tony et
Le cas de la « gaytrification » 146 Vincent ne sont « que » locataires d’un appartement réhabilité par le pré-
cédent propriétaire, gay lui aussi, mais ils ont conscience de cet effet :
ainsi passer d’un couple gay à l’autre, réciproquement, certains enquêtés
Colin Giraud 147 propriétaires précédents, un couple gay. Si de tels logements peuvent
L’appartement acheté et occupé par Éric a été reconfiguré par les
aux amis ou au travail pour certains.
Vincent. — Il était complètement refait, tout repeint en blanc, c’est un une cuisine, d’une chambre, voire d’une pièce supplémentaire, attribuée
deux-pièces, c’est un hôtel particulier du xviiie siècle, avec une super ils se composent donc d’une grande pièce à vivre, ouverte ou non sur
cage d’escalier et l’appartement c’est le deuxième étage, donc c’est la ga- pièces, avec des superficies parfois élevées. Une fois les travaux effectués,
lerie, c’est 65 m2 mais y a que deux pièces en fait, avec sept fenêtres, les Ainsi la plupart des logements occupés comptent-ils deux ou trois
deux pièces sont communicantes, donc ça c’est pas très pratique.
Tony. — Ben, tu peux pas avoir d’enfants dans un truc comme ça, tu
lier, couple cohabitant, propriétaire, appartement familial hérité, Marais)
passes par la chambre pour aller dans le salon, ça fait une aile, tu vois ça
amis quand ils viennent en week-end. (Simon, 48 ans, psychiatre hospita-
ressemble à ici, ça fait une aile où les pièces communiquent avec l’anti-
sentir libre quoi, ça c’est vachement important pour nous, de recevoir les
chambre puis la chambre, et le salon.Y a un couloir qui fait communiquer
voir nos amis de province, qu’ils puissent venir, jeter leurs affaires et se
les pièces à l’origine, la personne qui vivait là, quand elle recevait, elle
chambre d’amis après et s’il y a bien une chose qu’on voulait c’était rece-
pouvait passer par le salon, ce qui est plus le cas, ce petit couloir est
veut pas une grande chambre ? » Jusqu’à ce qu’on se dise qu’on a plus de
devenu une sorte de buanderie, donc ça fait deux grandes pièces ma-
toute petite chambre d’amis, et à un moment on se disait : « Est-ce qu’on
gnifiques, très lumineuses, sans vis-à-vis. (Tony et Vincent, 42 et 43 ans,
se projeter dans l’avenir en fait. Par exemple, on a une chambre et une
designers, couple cohabitant, locataires, Marais)
On a beaucoup réfléchi, ça mettait en question toute notre façon de
Les chambres traditionnellement attribuées aux enfants ou anticipées l’on reçoit ponctuellement :
comme telles n’existent pas : elles sont soit absentes, soit supprimées par de penser à loger un ou plusieurs enfants, mais de penser aux amis que
la destruction des cloisons. Les pièces sont ainsi ouvertes les unes sur les « Ouvrir l’espace » est d’autant plus possible ici qu’il ne s’agit donc pas
autres, les espaces intimes réduits à la chambre, la circulation plus libre, les célibataire, propriétaire, Marais)
espaces moins séparés : très important pour moi d’ouvrir l’espace. (Emmanuel, 34 ans, comédien,
Tout a été refait, j’ai fait casser la cloison pour amener de la lumière, j’ai
une cheminée, ensuite les peintures, la pose de la bibliothèque. C’était
déplacé une autre cloison pour agrandir la salle de bains. J’ai fait poser
déplacé une autre cloison pour agrandir la salle de bains. J’ai fait poser
une cheminée, ensuite les peintures, la pose de la bibliothèque. C’était
Tout a été refait, j’ai fait casser la cloison pour amener de la lumière, j’ai
très important pour moi d’ouvrir l’espace. (Emmanuel, 34 ans, comédien, espaces moins séparés :
célibataire, propriétaire, Marais) autres, les espaces intimes réduits à la chambre, la circulation plus libre, les
« Ouvrir l’espace » est d’autant plus possible ici qu’il ne s’agit donc pas la destruction des cloisons. Les pièces sont ainsi ouvertes les unes sur les
de penser à loger un ou plusieurs enfants, mais de penser aux amis que comme telles n’existent pas : elles sont soit absentes, soit supprimées par
l’on reçoit ponctuellement : Les chambres traditionnellement attribuées aux enfants ou anticipées
Les chambres traditionnellement attribuées aux enfants ou anticipées l’on reçoit ponctuellement :
comme telles n’existent pas : elles sont soit absentes, soit supprimées par de penser à loger un ou plusieurs enfants, mais de penser aux amis que
la destruction des cloisons. Les pièces sont ainsi ouvertes les unes sur les « Ouvrir l’espace » est d’autant plus possible ici qu’il ne s’agit donc pas
autres, les espaces intimes réduits à la chambre, la circulation plus libre, les célibataire, propriétaire, Marais)
espaces moins séparés : très important pour moi d’ouvrir l’espace. (Emmanuel, 34 ans, comédien,
Tout a été refait, j’ai fait casser la cloison pour amener de la lumière, j’ai
une cheminée, ensuite les peintures, la pose de la bibliothèque. C’était
déplacé une autre cloison pour agrandir la salle de bains. J’ai fait poser
déplacé une autre cloison pour agrandir la salle de bains. J’ai fait poser
une cheminée, ensuite les peintures, la pose de la bibliothèque. C’était
Tout a été refait, j’ai fait casser la cloison pour amener de la lumière, j’ai
très important pour moi d’ouvrir l’espace. (Emmanuel, 34 ans, comédien, espaces moins séparés :
célibataire, propriétaire, Marais) autres, les espaces intimes réduits à la chambre, la circulation plus libre, les
« Ouvrir l’espace » est d’autant plus possible ici qu’il ne s’agit donc pas la destruction des cloisons. Les pièces sont ainsi ouvertes les unes sur les
de penser à loger un ou plusieurs enfants, mais de penser aux amis que comme telles n’existent pas : elles sont soit absentes, soit supprimées par
l’on reçoit ponctuellement : Les chambres traditionnellement attribuées aux enfants ou anticipées
planification urbain.
Burcu Özdirlik 157 niser la production de la ville avec d’autres dispositifs issus du système de
mise en place d’une dynamique cohérente de l’action collective et orga-
de prise de décision d’une manière générale. Ils semblent participer à la
nisent la production de la ville à Istanbul. Comment la ville se fait-elle nisent les relations entre les différents acteurs et agissent sur le processus
en absence d’un cadre formel de régulation ? Les actions publiques et à articuler des comportements divergents et parfois contradictoires, orga-
privées, a priori indépendantes les unes des autres, s’organisent-elles et si destinés à la régulation de la production de la ville, ces dispositifs servent
oui, comment ? de régulation (Reynaud, 1989 ; Crozier, 1991). Qu’ils soient ou non
Ces questions se situent dans la continuité de travaux qui s’intéressent nuum de règles, de normes, de contraintes et de pratiques : des dispositifs
à la ville comme organisation politique et aux acteurs et processus de 1982, 2011, p. 604). Ces systèmes produisent et sont fondés sur un conti-
production de l’espace urbain (Fijalkow, 2004 ; Clavel, 2002 ; Grafmeyer, résultat que chacun peut attendre de son action (Boudon & Bourricaud,
2005). Notre approche se distingue des recherches qui privilégient la puisque le choix de chacun influence le choix des autres, de même que le
gouvernance des villes comme axe d’interrogation et semblent rester pri- projet. Dans le second cas, on peut considérer qu’ils sont aussi en relation,
sonnières « d’une conception volontariste de la construction de l’ordre directe, comme les consortiums qui se constituent pour le temps d’un
politique » (Commaille & Jobert, 1998, p. 29). Elle se situe à l’intersection lités et des finalités différentes. Dans un premier cas, ils sont en relation
de deux sous-disciplines de la sociologie qui questionnent la production ou d’interdépendance qui correspondent à des objectifs, des tempora-
d’un ordre « en l’absence de hiérarchie » (Friedberg, 1993, p. 142) et les relations plus ou moins directes et constituent des systèmes d’interaction
« mécanismes de décision collective » (Boudon & Bourricaud, 1982, d’acteurs qui la transforment en continu. Ces acteurs entretiennent des
2011, p. 8) : la sociologie des relations industrielles et la sociologie des en cela différentes des villes, dont la production dépend d’un grand nombre
organisations. L’action collective y est une clé pour rendre compte de « la qu’ils ne peuvent pas résoudre seuls » (Friedberg, 1992, p. 550). Elles sont
dissociation croissante entre la capacité que manifestent les institutions à où « les acteurs [sont] mutuellement dépendants autour d’un problème
établir l’ordre social et la manière dont cet ordre social est produit dans certain nombre de questions. Les organisations constituent des systèmes
la réalité quotidienne » (Thoenig, 1998, p. 35). Le concept de régulation L’adaptation de ce cadre d’analyse au domaine de l’urbanisme pose un
est utilisé pour « écarter [...] toute survalorisation du processus de pilo- melles » et les règles « omniprésentes sur le papier » (Thoenig, 1998, p. 37).
tage » (Commaille & Jobert, 1998, p. 30), pour aller au-delà des structures formelles et étudier le décalage entre des pratiques qualifiées d’« infor-
formelles et étudier le décalage entre des pratiques qualifiées d’« infor- tage » (Commaille & Jobert, 1998, p. 30), pour aller au-delà des structures
melles » et les règles « omniprésentes sur le papier » (Thoenig, 1998, p. 37). est utilisé pour « écarter [...] toute survalorisation du processus de pilo-
L’adaptation de ce cadre d’analyse au domaine de l’urbanisme pose un la réalité quotidienne » (Thoenig, 1998, p. 35). Le concept de régulation
certain nombre de questions. Les organisations constituent des systèmes établir l’ordre social et la manière dont cet ordre social est produit dans
où « les acteurs [sont] mutuellement dépendants autour d’un problème dissociation croissante entre la capacité que manifestent les institutions à
qu’ils ne peuvent pas résoudre seuls » (Friedberg, 1992, p. 550). Elles sont organisations. L’action collective y est une clé pour rendre compte de « la
en cela différentes des villes, dont la production dépend d’un grand nombre 2011, p. 8) : la sociologie des relations industrielles et la sociologie des
d’acteurs qui la transforment en continu. Ces acteurs entretiennent des « mécanismes de décision collective » (Boudon & Bourricaud, 1982,
relations plus ou moins directes et constituent des systèmes d’interaction d’un ordre « en l’absence de hiérarchie » (Friedberg, 1993, p. 142) et les
ou d’interdépendance qui correspondent à des objectifs, des tempora- de deux sous-disciplines de la sociologie qui questionnent la production
lités et des finalités différentes. Dans un premier cas, ils sont en relation politique » (Commaille & Jobert, 1998, p. 29). Elle se situe à l’intersection
directe, comme les consortiums qui se constituent pour le temps d’un sonnières « d’une conception volontariste de la construction de l’ordre
projet. Dans le second cas, on peut considérer qu’ils sont aussi en relation, gouvernance des villes comme axe d’interrogation et semblent rester pri-
puisque le choix de chacun influence le choix des autres, de même que le 2005). Notre approche se distingue des recherches qui privilégient la
résultat que chacun peut attendre de son action (Boudon & Bourricaud, production de l’espace urbain (Fijalkow, 2004 ; Clavel, 2002 ; Grafmeyer,
1982, 2011, p. 604). Ces systèmes produisent et sont fondés sur un conti- à la ville comme organisation politique et aux acteurs et processus de
nuum de règles, de normes, de contraintes et de pratiques : des dispositifs Ces questions se situent dans la continuité de travaux qui s’intéressent
de régulation (Reynaud, 1989 ; Crozier, 1991). Qu’ils soient ou non oui, comment ?
destinés à la régulation de la production de la ville, ces dispositifs servent privées, a priori indépendantes les unes des autres, s’organisent-elles et si
à articuler des comportements divergents et parfois contradictoires, orga- en absence d’un cadre formel de régulation ? Les actions publiques et
nisent les relations entre les différents acteurs et agissent sur le processus nisent la production de la ville à Istanbul. Comment la ville se fait-elle
de prise de décision d’une manière générale. Ils semblent participer à la
mise en place d’une dynamique cohérente de l’action collective et orga-
niser la production de la ville avec d’autres dispositifs issus du système de 157 Burcu Özdirlik
planification urbain.
en grande partie par de petits entrepreneurs (photographie : Burcu Özdirlik).
158 Le développement du nouveau centre d’affaires d’Istanbul
Tours de bureaux, au milieu d’une ancienne zone industrielle à Maslak, réalisées
équipes de projet aux différents types d’expertise. Il s’agit d’abord de l’en- même équipe de projet permet de confronter les contraintes techniques
trée dans le marché national des professionnels internationaux spéciali- 1982, 2011). La multiplication de professionnels différents au sein d’une
sés dans les gratte-ciel (Tümay, 2009), puis des acteurs de l’investissement face aux autres exigences (Johnson, 1995, 2005 ; Boudon & Bourricaud,
immobilier. La position dominante des acteurs locaux dans le marché leur permet de mettre en avant les contraintes de performance et d’éthique
turc oblige ces acteurs et experts à travailler avec eux. Le frottement entre autres, plus indépendants de la tutelle des autorités hiérarchiques, ce qui
le local et l’international donne lieu à l’adoption volontaire ou imposée un métier à part à partir des années 1990. Les professionnels sont, entre
de certains standards, modèles et dispositifs. La programmation émerge au champ d’action de l’ingénieur de construction, devient par exemple
par exemple comme un enjeu important de la rencontre des investisseurs tion de l’industrie7 : le management de projet, qui est une fonction intégrée
internationaux qui exigent l’utilisation de dispositifs de type « études de professions existantes, constitue une autre dimension de la professionnalisa-
marché » et « analyses de best-use ». À partir des années 2000, les dispositifs domaines différents. L’émergence de nouveaux métiers, souvent au sein des
deviennent les composantes clés de tout projet immobilier entrepris par prolifération de bureaux d’étude qui travaillent avec des professionnels de
les acteurs locaux (Soyluer, 2009). nels comme les urbanistes, les économistes et les juristes. En témoigne la
La création de fonds d’investissement immobilier par les acteurs lo- les architectes et les ingénieurs de la construction, à d’autres profession-
caux, sur le modèle américain des REIT6, constitue une autre étape de ce Ces évolutions élargissent les équipes de projet, jusque-là dominées par
processus, que nous qualifions de financiarisation. Le cadre juridique qui sionnalisation et à la régulation du secteur (Da li, 2006 ; Kösebay, 2006).
régit les REIT modifie le processus de production et de gestion des biens du marché de capitaux. Ces nouvelles mesures contribuent à la profes-
immobiliers. Ce cadre insiste sur la professionnalisation de l’activité qui mis à des contrôles périodiques réalisés par les experts de la commission
est traditionnellement considérée comme dépendante du pouvoir éco- les coûts de différentes opérations et les valeurs réelles de biens sont sou-
nomique des acteurs, ceci pour justifier l’intervention des REIT au nom d’intervention bien distincts. La légitimité juridique de différents projets,
de leurs actionnaires et pour protéger leurs intérêts. Le champ d’interven- de biens immobiliers émergent dans ce contexte comme des champs
tion des REIT est limité, par ce cadre, au financement et au développe- ment de projets. La conception, la construction et la gestion commerciale
ment de projets. La conception, la construction et la gestion commerciale tion des REIT est limité, par ce cadre, au financement et au développe-
de biens immobiliers émergent dans ce contexte comme des champs de leurs actionnaires et pour protéger leurs intérêts. Le champ d’interven-
d’intervention bien distincts. La légitimité juridique de différents projets, nomique des acteurs, ceci pour justifier l’intervention des REIT au nom
les coûts de différentes opérations et les valeurs réelles de biens sont sou- est traditionnellement considérée comme dépendante du pouvoir éco-
mis à des contrôles périodiques réalisés par les experts de la commission immobiliers. Ce cadre insiste sur la professionnalisation de l’activité qui
du marché de capitaux. Ces nouvelles mesures contribuent à la profes- régit les REIT modifie le processus de production et de gestion des biens
sionnalisation et à la régulation du secteur (Da li, 2006 ; Kösebay, 2006). processus, que nous qualifions de financiarisation. Le cadre juridique qui
Ces évolutions élargissent les équipes de projet, jusque-là dominées par caux, sur le modèle américain des REIT6, constitue une autre étape de ce
les architectes et les ingénieurs de la construction, à d’autres profession- La création de fonds d’investissement immobilier par les acteurs lo-
nels comme les urbanistes, les économistes et les juristes. En témoigne la les acteurs locaux (Soyluer, 2009).
prolifération de bureaux d’étude qui travaillent avec des professionnels de deviennent les composantes clés de tout projet immobilier entrepris par
domaines différents. L’émergence de nouveaux métiers, souvent au sein des marché » et « analyses de best-use ». À partir des années 2000, les dispositifs
professions existantes, constitue une autre dimension de la professionnalisa- internationaux qui exigent l’utilisation de dispositifs de type « études de
tion de l’industrie7 : le management de projet, qui est une fonction intégrée par exemple comme un enjeu important de la rencontre des investisseurs
au champ d’action de l’ingénieur de construction, devient par exemple de certains standards, modèles et dispositifs. La programmation émerge
un métier à part à partir des années 1990. Les professionnels sont, entre le local et l’international donne lieu à l’adoption volontaire ou imposée
autres, plus indépendants de la tutelle des autorités hiérarchiques, ce qui turc oblige ces acteurs et experts à travailler avec eux. Le frottement entre
leur permet de mettre en avant les contraintes de performance et d’éthique immobilier. La position dominante des acteurs locaux dans le marché
face aux autres exigences (Johnson, 1995, 2005 ; Boudon & Bourricaud, sés dans les gratte-ciel (Tümay, 2009), puis des acteurs de l’investissement
1982, 2011). La multiplication de professionnels différents au sein d’une trée dans le marché national des professionnels internationaux spéciali-
même équipe de projet permet de confronter les contraintes techniques équipes de projet aux différents types d’expertise. Il s’agit d’abord de l’en-
(Labruyère, 1999).
priation de fonctions préalablement intégrées au champ d’action d’autres professionnels
Burcu Özdirlik 161 7. Cela se fait souvent par la construction d’un espace professionnel propre, par appro-
6. Real estate investment trusts (fonds d’investissement immobilier).
équipes de projet aux différents types d’expertise. Il s’agit d’abord de l’en- même équipe de projet permet de confronter les contraintes techniques
trée dans le marché national des professionnels internationaux spéciali- 1982, 2011). La multiplication de professionnels différents au sein d’une
sés dans les gratte-ciel (Tümay, 2009), puis des acteurs de l’investissement face aux autres exigences (Johnson, 1995, 2005 ; Boudon & Bourricaud,
immobilier. La position dominante des acteurs locaux dans le marché leur permet de mettre en avant les contraintes de performance et d’éthique
turc oblige ces acteurs et experts à travailler avec eux. Le frottement entre autres, plus indépendants de la tutelle des autorités hiérarchiques, ce qui
le local et l’international donne lieu à l’adoption volontaire ou imposée un métier à part à partir des années 1990. Les professionnels sont, entre
de certains standards, modèles et dispositifs. La programmation émerge au champ d’action de l’ingénieur de construction, devient par exemple
par exemple comme un enjeu important de la rencontre des investisseurs tion de l’industrie7 : le management de projet, qui est une fonction intégrée
internationaux qui exigent l’utilisation de dispositifs de type « études de professions existantes, constitue une autre dimension de la professionnalisa-
marché » et « analyses de best-use ». À partir des années 2000, les dispositifs domaines différents. L’émergence de nouveaux métiers, souvent au sein des
deviennent les composantes clés de tout projet immobilier entrepris par prolifération de bureaux d’étude qui travaillent avec des professionnels de
les acteurs locaux (Soyluer, 2009). nels comme les urbanistes, les économistes et les juristes. En témoigne la
La création de fonds d’investissement immobilier par les acteurs lo- les architectes et les ingénieurs de la construction, à d’autres profession-
caux, sur le modèle américain des REIT6, constitue une autre étape de ce Ces évolutions élargissent les équipes de projet, jusque-là dominées par
processus, que nous qualifions de financiarisation. Le cadre juridique qui sionnalisation et à la régulation du secteur (Da li, 2006 ; Kösebay, 2006).
régit les REIT modifie le processus de production et de gestion des biens du marché de capitaux. Ces nouvelles mesures contribuent à la profes-
immobiliers. Ce cadre insiste sur la professionnalisation de l’activité qui mis à des contrôles périodiques réalisés par les experts de la commission
est traditionnellement considérée comme dépendante du pouvoir éco- les coûts de différentes opérations et les valeurs réelles de biens sont sou-
nomique des acteurs, ceci pour justifier l’intervention des REIT au nom d’intervention bien distincts. La légitimité juridique de différents projets,
de leurs actionnaires et pour protéger leurs intérêts. Le champ d’interven- de biens immobiliers émergent dans ce contexte comme des champs
tion des REIT est limité, par ce cadre, au financement et au développe- ment de projets. La conception, la construction et la gestion commerciale
ment de projets. La conception, la construction et la gestion commerciale tion des REIT est limité, par ce cadre, au financement et au développe-
de biens immobiliers émergent dans ce contexte comme des champs de leurs actionnaires et pour protéger leurs intérêts. Le champ d’interven-
d’intervention bien distincts. La légitimité juridique de différents projets, nomique des acteurs, ceci pour justifier l’intervention des REIT au nom
les coûts de différentes opérations et les valeurs réelles de biens sont sou- est traditionnellement considérée comme dépendante du pouvoir éco-
mis à des contrôles périodiques réalisés par les experts de la commission immobiliers. Ce cadre insiste sur la professionnalisation de l’activité qui
du marché de capitaux. Ces nouvelles mesures contribuent à la profes- régit les REIT modifie le processus de production et de gestion des biens
sionnalisation et à la régulation du secteur (Da li, 2006 ; Kösebay, 2006). processus, que nous qualifions de financiarisation. Le cadre juridique qui
Ces évolutions élargissent les équipes de projet, jusque-là dominées par caux, sur le modèle américain des REIT6, constitue une autre étape de ce
les architectes et les ingénieurs de la construction, à d’autres profession- La création de fonds d’investissement immobilier par les acteurs lo-
nels comme les urbanistes, les économistes et les juristes. En témoigne la les acteurs locaux (Soyluer, 2009).
prolifération de bureaux d’étude qui travaillent avec des professionnels de deviennent les composantes clés de tout projet immobilier entrepris par
domaines différents. L’émergence de nouveaux métiers, souvent au sein des marché » et « analyses de best-use ». À partir des années 2000, les dispositifs
professions existantes, constitue une autre dimension de la professionnalisa- internationaux qui exigent l’utilisation de dispositifs de type « études de
tion de l’industrie7 : le management de projet, qui est une fonction intégrée par exemple comme un enjeu important de la rencontre des investisseurs
au champ d’action de l’ingénieur de construction, devient par exemple de certains standards, modèles et dispositifs. La programmation émerge
un métier à part à partir des années 1990. Les professionnels sont, entre le local et l’international donne lieu à l’adoption volontaire ou imposée
autres, plus indépendants de la tutelle des autorités hiérarchiques, ce qui turc oblige ces acteurs et experts à travailler avec eux. Le frottement entre
leur permet de mettre en avant les contraintes de performance et d’éthique immobilier. La position dominante des acteurs locaux dans le marché
face aux autres exigences (Johnson, 1995, 2005 ; Boudon & Bourricaud, sés dans les gratte-ciel (Tümay, 2009), puis des acteurs de l’investissement
1982, 2011). La multiplication de professionnels différents au sein d’une trée dans le marché national des professionnels internationaux spéciali-
même équipe de projet permet de confronter les contraintes techniques équipes de projet aux différents types d’expertise. Il s’agit d’abord de l’en-
1980 et 2008.
ments d’arrondissement se succèdent dans le développement du nouveau centre entre
Burcu Özdirlik 163 8. Neuf gouvernements centraux, six gouvernements métropolitains et vingt gouverne-
Ce type de gestion de l’espace, chez certains élus locaux, est ainsi re- UNE DIVERSITÉ D’ACTIONS PUBLIQUES
lativement fermé aux acteurs extérieurs, mais aussi aux citoyens :
3. Deux faits ont renforcé cette idée : l’érection de barrières (Charmes, 2005) et l’im- 175 Marie Muselle
portance des votes pour le Front national dans le périurbain (Le Bras, 2002 ; Estèbe,
2004 ; Charmes, 2005).
Ce type de gestion de l’espace, chez certains élus locaux, est ainsi re- UNE DIVERSITÉ D’ACTIONS PUBLIQUES
lativement fermé aux acteurs extérieurs, mais aussi aux citoyens :
3. Deux faits ont renforcé cette idée : l’érection de barrières (Charmes, 2005) et l’im- 175 Marie Muselle
portance des votes pour le Front national dans le périurbain (Le Bras, 2002 ; Estèbe,
2004 ; Charmes, 2005).
gestion en leur sein même.
communes périurbaines en matière de gestion de l’espace, et donc à autoriser ce type de
conduisent les structures intercommunales à permettre le maintien de l’autonomie des 176 Le périurbain : terrain ou concept pour la sociologie urbaine ?
4. Une autre partie de notre thèse est consacrée à la description fine des régulations qui
Les instances locales (et au premier chef la commune) sont moins per-
placer la commune sur la voie du développement durable et de s’op- çues comme des lieux d’expression de soi et plus comme des organes
accolés. Dans la commune de Floreffe (Namur), les élus ont décidé de administratifs auxquels les citadins délèguent la régulation et la gestion
citoyen et à faire évoluer la commune loin des stéréotypes qui y sont quotidienne de leur lieu de vie. [La municipalité] devient comme un
par exemple en place une gestion de l’espace qui cherche à associer le prestataire de services. (Charmes, 2005, p. 53)
développement d’autres types d’actions publiques. Certains élus mettent
Si ce type de gestion existe bel et bien, nous avons aussi pu observer le Une telle gestion se retrouve dans différentes communes, belges ou
mune (Desage, 2005, p. 77). françaises. L’appartenance à une communauté urbaine (Lille) ou d’ag-
2005, p. 147), qui reflète une tendance à la sanctuarisation de la com- glomération (Metz) ne semble pas faire obstacle à ce type de gestion4.
L’objectif premier est le statu quo, le slow growth ou le no growth (Charmes, Néanmoins, beaucoup d’élus ne sont pas aussi fermés, notamment en
de la qualité de vie) que proactive (visant un certain développement). termes de subsides (Belgique) ou de demande d’intervention de l’EPCI
par une attitude plus réactive (visant la préservation du patrimoine ou (France). Que ce soit vis-à-vis des autorités supérieures ou des commu-
ques élus, par un apolitisme affirmé (gérer « en bon père de famille ») et nautés, les élus périurbains se placent dans une posture de représentant,
rise par la monopolisation de l’action publique entre les mains de quel- mandant et négociateur, voire de courtier.
Quel que soit son degré d’ouverture, ce type de gestion se caracté-
profit des petites communes (Paris & Mons, 2009, p. 27). La communauté urbaine, pour nous, c’est une très bonne chose, parce
urbaine est vue comme un outil de redistribution des équipements au que grâce à elle nous avons pu bénéficier de services dont jamais nous
qu’ils souhaitent. Comme lors de sa création en 1960, la communauté n’aurions pu profiter uniquement avec nos propres ressources. (Adjoint,
toires où les élus communaux doivent penser ensemble les équipements Sainghin-en-Mélantois)
C’est le cas de Lille : l’ensemble métropolitain a été divisé en six terri-
munes voisines afin de solliciter en commun la réalisation d’équipements. La gestion de l’espace peut aussi passer par une ouverture à des com-
La gestion de l’espace peut aussi passer par une ouverture à des com- munes voisines afin de solliciter en commun la réalisation d’équipements.
C’est le cas de Lille : l’ensemble métropolitain a été divisé en six terri-
Sainghin-en-Mélantois) toires où les élus communaux doivent penser ensemble les équipements
n’aurions pu profiter uniquement avec nos propres ressources. (Adjoint, qu’ils souhaitent. Comme lors de sa création en 1960, la communauté
que grâce à elle nous avons pu bénéficier de services dont jamais nous urbaine est vue comme un outil de redistribution des équipements au
La communauté urbaine, pour nous, c’est une très bonne chose, parce profit des petites communes (Paris & Mons, 2009, p. 27).
Quel que soit son degré d’ouverture, ce type de gestion se caracté-
mandant et négociateur, voire de courtier. rise par la monopolisation de l’action publique entre les mains de quel-
nautés, les élus périurbains se placent dans une posture de représentant, ques élus, par un apolitisme affirmé (gérer « en bon père de famille ») et
(France). Que ce soit vis-à-vis des autorités supérieures ou des commu- par une attitude plus réactive (visant la préservation du patrimoine ou
termes de subsides (Belgique) ou de demande d’intervention de l’EPCI de la qualité de vie) que proactive (visant un certain développement).
Néanmoins, beaucoup d’élus ne sont pas aussi fermés, notamment en L’objectif premier est le statu quo, le slow growth ou le no growth (Charmes,
glomération (Metz) ne semble pas faire obstacle à ce type de gestion4. 2005, p. 147), qui reflète une tendance à la sanctuarisation de la com-
françaises. L’appartenance à une communauté urbaine (Lille) ou d’ag- mune (Desage, 2005, p. 77).
Une telle gestion se retrouve dans différentes communes, belges ou Si ce type de gestion existe bel et bien, nous avons aussi pu observer le
développement d’autres types d’actions publiques. Certains élus mettent
prestataire de services. (Charmes, 2005, p. 53) par exemple en place une gestion de l’espace qui cherche à associer le
quotidienne de leur lieu de vie. [La municipalité] devient comme un citoyen et à faire évoluer la commune loin des stéréotypes qui y sont
administratifs auxquels les citadins délèguent la régulation et la gestion accolés. Dans la commune de Floreffe (Namur), les élus ont décidé de
çues comme des lieux d’expression de soi et plus comme des organes placer la commune sur la voie du développement durable et de s’op-
Les instances locales (et au premier chef la commune) sont moins per-
4. Une autre partie de notre thèse est consacrée à la description fine des régulations qui
Le périurbain : terrain ou concept pour la sociologie urbaine ? 176 conduisent les structures intercommunales à permettre le maintien de l’autonomie des
communes périurbaines en matière de gestion de l’espace, et donc à autoriser ce type de
gestion en leur sein même.
Les instances locales (et au premier chef la commune) sont moins per-
placer la commune sur la voie du développement durable et de s’op- çues comme des lieux d’expression de soi et plus comme des organes
accolés. Dans la commune de Floreffe (Namur), les élus ont décidé de administratifs auxquels les citadins délèguent la régulation et la gestion
citoyen et à faire évoluer la commune loin des stéréotypes qui y sont quotidienne de leur lieu de vie. [La municipalité] devient comme un
par exemple en place une gestion de l’espace qui cherche à associer le prestataire de services. (Charmes, 2005, p. 53)
développement d’autres types d’actions publiques. Certains élus mettent
Si ce type de gestion existe bel et bien, nous avons aussi pu observer le Une telle gestion se retrouve dans différentes communes, belges ou
mune (Desage, 2005, p. 77). françaises. L’appartenance à une communauté urbaine (Lille) ou d’ag-
2005, p. 147), qui reflète une tendance à la sanctuarisation de la com- glomération (Metz) ne semble pas faire obstacle à ce type de gestion4.
L’objectif premier est le statu quo, le slow growth ou le no growth (Charmes, Néanmoins, beaucoup d’élus ne sont pas aussi fermés, notamment en
de la qualité de vie) que proactive (visant un certain développement). termes de subsides (Belgique) ou de demande d’intervention de l’EPCI
par une attitude plus réactive (visant la préservation du patrimoine ou (France). Que ce soit vis-à-vis des autorités supérieures ou des commu-
ques élus, par un apolitisme affirmé (gérer « en bon père de famille ») et nautés, les élus périurbains se placent dans une posture de représentant,
rise par la monopolisation de l’action publique entre les mains de quel- mandant et négociateur, voire de courtier.
Quel que soit son degré d’ouverture, ce type de gestion se caracté-
profit des petites communes (Paris & Mons, 2009, p. 27). La communauté urbaine, pour nous, c’est une très bonne chose, parce
urbaine est vue comme un outil de redistribution des équipements au que grâce à elle nous avons pu bénéficier de services dont jamais nous
qu’ils souhaitent. Comme lors de sa création en 1960, la communauté n’aurions pu profiter uniquement avec nos propres ressources. (Adjoint,
toires où les élus communaux doivent penser ensemble les équipements Sainghin-en-Mélantois)
C’est le cas de Lille : l’ensemble métropolitain a été divisé en six terri-
munes voisines afin de solliciter en commun la réalisation d’équipements. La gestion de l’espace peut aussi passer par une ouverture à des com-
La gestion de l’espace peut aussi passer par une ouverture à des com- munes voisines afin de solliciter en commun la réalisation d’équipements.
C’est le cas de Lille : l’ensemble métropolitain a été divisé en six terri-
Sainghin-en-Mélantois) toires où les élus communaux doivent penser ensemble les équipements
n’aurions pu profiter uniquement avec nos propres ressources. (Adjoint, qu’ils souhaitent. Comme lors de sa création en 1960, la communauté
que grâce à elle nous avons pu bénéficier de services dont jamais nous urbaine est vue comme un outil de redistribution des équipements au
La communauté urbaine, pour nous, c’est une très bonne chose, parce profit des petites communes (Paris & Mons, 2009, p. 27).
Quel que soit son degré d’ouverture, ce type de gestion se caracté-
mandant et négociateur, voire de courtier. rise par la monopolisation de l’action publique entre les mains de quel-
nautés, les élus périurbains se placent dans une posture de représentant, ques élus, par un apolitisme affirmé (gérer « en bon père de famille ») et
(France). Que ce soit vis-à-vis des autorités supérieures ou des commu- par une attitude plus réactive (visant la préservation du patrimoine ou
termes de subsides (Belgique) ou de demande d’intervention de l’EPCI de la qualité de vie) que proactive (visant un certain développement).
Néanmoins, beaucoup d’élus ne sont pas aussi fermés, notamment en L’objectif premier est le statu quo, le slow growth ou le no growth (Charmes,
glomération (Metz) ne semble pas faire obstacle à ce type de gestion4. 2005, p. 147), qui reflète une tendance à la sanctuarisation de la com-
françaises. L’appartenance à une communauté urbaine (Lille) ou d’ag- mune (Desage, 2005, p. 77).
Une telle gestion se retrouve dans différentes communes, belges ou Si ce type de gestion existe bel et bien, nous avons aussi pu observer le
développement d’autres types d’actions publiques. Certains élus mettent
prestataire de services. (Charmes, 2005, p. 53) par exemple en place une gestion de l’espace qui cherche à associer le
quotidienne de leur lieu de vie. [La municipalité] devient comme un citoyen et à faire évoluer la commune loin des stéréotypes qui y sont
administratifs auxquels les citadins délèguent la régulation et la gestion accolés. Dans la commune de Floreffe (Namur), les élus ont décidé de
çues comme des lieux d’expression de soi et plus comme des organes placer la commune sur la voie du développement durable et de s’op-
Les instances locales (et au premier chef la commune) sont moins per-
4. Une autre partie de notre thèse est consacrée à la description fine des régulations qui
Le périurbain : terrain ou concept pour la sociologie urbaine ? 176 conduisent les structures intercommunales à permettre le maintien de l’autonomie des
communes périurbaines en matière de gestion de l’espace, et donc à autoriser ce type de
gestion en leur sein même.
territoire et de mobilité) à l’administration de la Région wallonne.
5. Au dire du responsable des CCATM (commissions consultatives d’aménagement du
Marie Muselle 177
cette gestion par des acteurs extérieurs ne porte pas seulement sur des la charrette à bras vendre leurs légumes. Cette ceinture verte a toujours
paces économiques se retrouve dans la périphérie lilloise ou messine. Mais existé et aujourd’hui, quand il y a un regain d’intérêt des consommateurs
vers les produits frais, vers la traçabilité, il faut valoriser cette ceinture
verte. (Maire, Ennetière-en-Weppes)
Cette même idée de « cession » d’une partie du territoire pour des es-
auteur du PCDR et du SSC d’Awans) Avec ces paniers, il y a beaucoup de gens qui viennent de Lille. Comme
il doit y avoir un jour une décision du collège communal. (Consultant, ça, ça crée de l’échange. Ce n’est pas toujours tout au centre, on fait aussi
nous on sera là pour couper le ruban... » Ce n’est pas vraiment officieux, des choses dans nos campagnes. (Producteur, Ennetière-en-Weppes)
vous confie ça, faites-en le mieux que vous pouvez selon vos critères... et
territoire, on en est arrivés là. [...]. Un jour, on a dit à la SPI+ : « Voilà, on Dans la communauté urbaine lilloise, ce type d’initiatives soutenues
ça des mandats plus ou moins clairs et finalement [...] gère des parties du par les élus locaux a trouvé un écho dans la volonté de la communauté
À Awans, la SPI+, qui est un gros gros outil, a visiblement reçu comme urbaine de s’afficher comme « métropole verte10 » :
même de développer avec succès le parc économique : C’est vrai que le mouvement agricole est quand même un lobby assez fort,
leur territoire à une intercommunale économique, la SPI+11, jugée plus à via la chambre d’agriculture, les maires des petites communes [...]. Il y a
semblent alors avoir fait le choix de concéder la gestion d’une partie de un gros projet de mettre l’agriculture biologique dans les circuits courts,
un parc important a été développé dans la commune d’Awans. Les élus etc., la communauté va afficher une volonté de favoriser l’agriculture de
quemment le cas des parcs d’activité économique. En périphérie liégeoise, qualité pour tous. (Urbaniste, Lille métropole communauté urbaine)
fruit de projets menés par des acteurs extérieurs à la commune. C’est fré- Sollicités ici par des producteurs, ailleurs par des associations de ci-
locaux. Elle peut aussi, dans certaines communes, être partiellement le toyens, les élus prennent part à des projets pilotés et portés par des forces
Mais la gestion de l’espace périurbain ne concerne pas que des acteurs vives locales. Ils portent là encore une autre image des territoires péri-
urbains, en questionnant leur lien avec les villes.
Les projets d’acteurs extérieurs
Les projets d’acteurs extérieurs
urbains, en questionnant leur lien avec les villes.
vives locales. Ils portent là encore une autre image des territoires péri- Mais la gestion de l’espace périurbain ne concerne pas que des acteurs
toyens, les élus prennent part à des projets pilotés et portés par des forces locaux. Elle peut aussi, dans certaines communes, être partiellement le
Sollicités ici par des producteurs, ailleurs par des associations de ci- fruit de projets menés par des acteurs extérieurs à la commune. C’est fré-
quemment le cas des parcs d’activité économique. En périphérie liégeoise,
un parc important a été développé dans la commune d’Awans. Les élus
qualité pour tous. (Urbaniste, Lille métropole communauté urbaine)
etc., la communauté va afficher une volonté de favoriser l’agriculture de
un gros projet de mettre l’agriculture biologique dans les circuits courts, semblent alors avoir fait le choix de concéder la gestion d’une partie de
via la chambre d’agriculture, les maires des petites communes [...]. Il y a leur territoire à une intercommunale économique, la SPI+11, jugée plus à
C’est vrai que le mouvement agricole est quand même un lobby assez fort, même de développer avec succès le parc économique :
urbaine de s’afficher comme « métropole verte10 » : À Awans, la SPI+, qui est un gros gros outil, a visiblement reçu comme
par les élus locaux a trouvé un écho dans la volonté de la communauté ça des mandats plus ou moins clairs et finalement [...] gère des parties du
Dans la communauté urbaine lilloise, ce type d’initiatives soutenues territoire, on en est arrivés là. [...]. Un jour, on a dit à la SPI+ : « Voilà, on
vous confie ça, faites-en le mieux que vous pouvez selon vos critères... et
des choses dans nos campagnes. (Producteur, Ennetière-en-Weppes) nous on sera là pour couper le ruban... » Ce n’est pas vraiment officieux,
ça, ça crée de l’échange. Ce n’est pas toujours tout au centre, on fait aussi il doit y avoir un jour une décision du collège communal. (Consultant,
Avec ces paniers, il y a beaucoup de gens qui viennent de Lille. Comme auteur du PCDR et du SSC d’Awans)
Cette même idée de « cession » d’une partie du territoire pour des es-
verte. (Maire, Ennetière-en-Weppes)
paces économiques se retrouve dans la périphérie lilloise ou messine. Mais
vers les produits frais, vers la traçabilité, il faut valoriser cette ceinture
existé et aujourd’hui, quand il y a un regain d’intérêt des consommateurs
la charrette à bras vendre leurs légumes. Cette ceinture verte a toujours cette gestion par des acteurs extérieurs ne porte pas seulement sur des
10. Elle s’est aussi inscrite dans le réseau Terres en villes qui promeut l’agriculture
Le périurbain : terrain ou concept pour la sociologie urbaine ? 180 périurbaine.
11. La SPI+ (Services promotion initiatives) est l’agence de développement économique
pour la province de Liège et les communes qui la composent.
cette gestion par des acteurs extérieurs ne porte pas seulement sur des la charrette à bras vendre leurs légumes. Cette ceinture verte a toujours
paces économiques se retrouve dans la périphérie lilloise ou messine. Mais existé et aujourd’hui, quand il y a un regain d’intérêt des consommateurs
vers les produits frais, vers la traçabilité, il faut valoriser cette ceinture
verte. (Maire, Ennetière-en-Weppes)
Cette même idée de « cession » d’une partie du territoire pour des es-
auteur du PCDR et du SSC d’Awans) Avec ces paniers, il y a beaucoup de gens qui viennent de Lille. Comme
il doit y avoir un jour une décision du collège communal. (Consultant, ça, ça crée de l’échange. Ce n’est pas toujours tout au centre, on fait aussi
nous on sera là pour couper le ruban... » Ce n’est pas vraiment officieux, des choses dans nos campagnes. (Producteur, Ennetière-en-Weppes)
vous confie ça, faites-en le mieux que vous pouvez selon vos critères... et
territoire, on en est arrivés là. [...]. Un jour, on a dit à la SPI+ : « Voilà, on Dans la communauté urbaine lilloise, ce type d’initiatives soutenues
ça des mandats plus ou moins clairs et finalement [...] gère des parties du par les élus locaux a trouvé un écho dans la volonté de la communauté
À Awans, la SPI+, qui est un gros gros outil, a visiblement reçu comme urbaine de s’afficher comme « métropole verte10 » :
même de développer avec succès le parc économique : C’est vrai que le mouvement agricole est quand même un lobby assez fort,
leur territoire à une intercommunale économique, la SPI+11, jugée plus à via la chambre d’agriculture, les maires des petites communes [...]. Il y a
semblent alors avoir fait le choix de concéder la gestion d’une partie de un gros projet de mettre l’agriculture biologique dans les circuits courts,
un parc important a été développé dans la commune d’Awans. Les élus etc., la communauté va afficher une volonté de favoriser l’agriculture de
quemment le cas des parcs d’activité économique. En périphérie liégeoise, qualité pour tous. (Urbaniste, Lille métropole communauté urbaine)
fruit de projets menés par des acteurs extérieurs à la commune. C’est fré- Sollicités ici par des producteurs, ailleurs par des associations de ci-
locaux. Elle peut aussi, dans certaines communes, être partiellement le toyens, les élus prennent part à des projets pilotés et portés par des forces
Mais la gestion de l’espace périurbain ne concerne pas que des acteurs vives locales. Ils portent là encore une autre image des territoires péri-
urbains, en questionnant leur lien avec les villes.
Les projets d’acteurs extérieurs
Les projets d’acteurs extérieurs
urbains, en questionnant leur lien avec les villes.
vives locales. Ils portent là encore une autre image des territoires péri- Mais la gestion de l’espace périurbain ne concerne pas que des acteurs
toyens, les élus prennent part à des projets pilotés et portés par des forces locaux. Elle peut aussi, dans certaines communes, être partiellement le
Sollicités ici par des producteurs, ailleurs par des associations de ci- fruit de projets menés par des acteurs extérieurs à la commune. C’est fré-
quemment le cas des parcs d’activité économique. En périphérie liégeoise,
un parc important a été développé dans la commune d’Awans. Les élus
qualité pour tous. (Urbaniste, Lille métropole communauté urbaine)
etc., la communauté va afficher une volonté de favoriser l’agriculture de
un gros projet de mettre l’agriculture biologique dans les circuits courts, semblent alors avoir fait le choix de concéder la gestion d’une partie de
via la chambre d’agriculture, les maires des petites communes [...]. Il y a leur territoire à une intercommunale économique, la SPI+11, jugée plus à
C’est vrai que le mouvement agricole est quand même un lobby assez fort, même de développer avec succès le parc économique :
urbaine de s’afficher comme « métropole verte10 » : À Awans, la SPI+, qui est un gros gros outil, a visiblement reçu comme
par les élus locaux a trouvé un écho dans la volonté de la communauté ça des mandats plus ou moins clairs et finalement [...] gère des parties du
Dans la communauté urbaine lilloise, ce type d’initiatives soutenues territoire, on en est arrivés là. [...]. Un jour, on a dit à la SPI+ : « Voilà, on
vous confie ça, faites-en le mieux que vous pouvez selon vos critères... et
des choses dans nos campagnes. (Producteur, Ennetière-en-Weppes) nous on sera là pour couper le ruban... » Ce n’est pas vraiment officieux,
ça, ça crée de l’échange. Ce n’est pas toujours tout au centre, on fait aussi il doit y avoir un jour une décision du collège communal. (Consultant,
Avec ces paniers, il y a beaucoup de gens qui viennent de Lille. Comme auteur du PCDR et du SSC d’Awans)
Cette même idée de « cession » d’une partie du territoire pour des es-
verte. (Maire, Ennetière-en-Weppes)
paces économiques se retrouve dans la périphérie lilloise ou messine. Mais
vers les produits frais, vers la traçabilité, il faut valoriser cette ceinture
existé et aujourd’hui, quand il y a un regain d’intérêt des consommateurs
la charrette à bras vendre leurs légumes. Cette ceinture verte a toujours cette gestion par des acteurs extérieurs ne porte pas seulement sur des
10. Elle s’est aussi inscrite dans le réseau Terres en villes qui promeut l’agriculture
Le périurbain : terrain ou concept pour la sociologie urbaine ? 180 périurbaine.
11. La SPI+ (Services promotion initiatives) est l’agence de développement économique
pour la province de Liège et les communes qui la composent.
désignée “métropole d’équilibre” par l’État » (Escudie et al., 2008, p. 127).
ner un statut de métropole européenne à la conurbation de Lille-Roubaix-Tourcoing,
Marie Muselle 181 [devaient former] une “aire urbaine centrale”, suffisamment ample et peuplée pour don-
12. Dans le projet initial, « les agglomérations de Lille et de Lens ainsi rapprochées
zones d’activité économique, elle peut aussi concerner l’aménagement nouvel élu, tantôt la mobilisation de citoyens, tantôt l’inscription dans
d’espaces verts, pour les loisirs notamment. C’est le cas de l’aménagement commune... Chaque histoire est singulière : c’est tantôt l’arrivée d’un
du parc de la Deûle à Lille, un espace de 350 ha aménagé depuis 1994 ancienneté du maire ou du bourgmestre, position géographique de la
sur six communes de la périphérie. Il répond à différents objectifs : pré- Aucun facteur ne semble déterminant : appartenance politique des élus,
server les ressources naturelles (eau et milieu), préserver un espace pour conservatrice alors que d’autres optent pour une gestion plus innovante ?
l’agriculture, compenser le manque d’équipements de loisirs verts de la expliquer pourquoi certaines communes s’orientent vers une gestion
métropole et établir une liaison verte structurante entre la métropole Comment comprendre cette diversité des types de gestion ? Peut-on
lilloise et l’ancien bassin minier (Lens), afin de créer une « aire urbaine contrepartie pour la commune, et suppose qu’elle y trouve son intérêt.
centrale » d’échelle européenne12. Ces objectifs traduisent une nouvelle aux élus, se fait en fonction de négociations qui conduisent souvent à une
façon de concevoir un espace périurbain multifonctionnel et commun à concèdent, ou non, une partie de leur territoire ; ce choix, qui appartient
l’ensemble des habitants de la métropole. projets. Mais elles restent incontournables dans leur mise en place : elles
Suite à une délégation de la communauté urbaine, le parc est au- Les autorités locales sont ainsi plus ou moins impliquées dans ces
jourd’hui géré par le syndicat mixte Espace naturel Lille métropole, qui
regroupe des élus des communes concernées et des élus métropolitains, si ce territoire nous appartenait moins... (Adjoint, Don)
urbains ou périurbains, des agriculteurs et des membres de la chambre
vaux qu’elle a faits. Et bon, du coup, c’est vrai que c’est un peu comme
d’agriculture, des aménageurs de l’organisme régional d’étude et d’amé-
récupérer le terrain, il faudrait qu’elle rembourse l’ENM de tous les tra-
à la commune, mais il y a une convention, donc si la commune veut
nagement, etc. Si certains acteurs locaux se sentent impliqués dans le brader le truc... pour rien... En principe, au niveau foncier, ça appartient
projet, parce qu’ils sont présents dans le syndicat, d’autres le considèrent citer le cas de Don, la zone des étangs, [l’ancien maire] s’est empressé de
comme un acteur extérieur. une à l’ENM. Et disons que l’ENM a un appétit terrien important. Pour
communauté, en fait, elle a tellement de compétences qu’elle en a refilé
On a créé l’Espace naturel métropolitain (ENM) qui peut s’autofinancer, monter des projets européens, avoir de l’argent de la communauté. La
monter des projets européens, avoir de l’argent de la communauté. La On a créé l’Espace naturel métropolitain (ENM) qui peut s’autofinancer,
communauté, en fait, elle a tellement de compétences qu’elle en a refilé
une à l’ENM. Et disons que l’ENM a un appétit terrien important. Pour comme un acteur extérieur.
citer le cas de Don, la zone des étangs, [l’ancien maire] s’est empressé de projet, parce qu’ils sont présents dans le syndicat, d’autres le considèrent
brader le truc... pour rien... En principe, au niveau foncier, ça appartient nagement, etc. Si certains acteurs locaux se sentent impliqués dans le
à la commune, mais il y a une convention, donc si la commune veut d’agriculture, des aménageurs de l’organisme régional d’étude et d’amé-
récupérer le terrain, il faudrait qu’elle rembourse l’ENM de tous les tra-
vaux qu’elle a faits. Et bon, du coup, c’est vrai que c’est un peu comme
urbains ou périurbains, des agriculteurs et des membres de la chambre
si ce territoire nous appartenait moins... (Adjoint, Don)
regroupe des élus des communes concernées et des élus métropolitains,
jourd’hui géré par le syndicat mixte Espace naturel Lille métropole, qui
Les autorités locales sont ainsi plus ou moins impliquées dans ces Suite à une délégation de la communauté urbaine, le parc est au-
projets. Mais elles restent incontournables dans leur mise en place : elles l’ensemble des habitants de la métropole.
concèdent, ou non, une partie de leur territoire ; ce choix, qui appartient façon de concevoir un espace périurbain multifonctionnel et commun à
aux élus, se fait en fonction de négociations qui conduisent souvent à une centrale » d’échelle européenne12. Ces objectifs traduisent une nouvelle
contrepartie pour la commune, et suppose qu’elle y trouve son intérêt. lilloise et l’ancien bassin minier (Lens), afin de créer une « aire urbaine
Comment comprendre cette diversité des types de gestion ? Peut-on métropole et établir une liaison verte structurante entre la métropole
expliquer pourquoi certaines communes s’orientent vers une gestion l’agriculture, compenser le manque d’équipements de loisirs verts de la
conservatrice alors que d’autres optent pour une gestion plus innovante ? server les ressources naturelles (eau et milieu), préserver un espace pour
Aucun facteur ne semble déterminant : appartenance politique des élus, sur six communes de la périphérie. Il répond à différents objectifs : pré-
ancienneté du maire ou du bourgmestre, position géographique de la du parc de la Deûle à Lille, un espace de 350 ha aménagé depuis 1994
commune... Chaque histoire est singulière : c’est tantôt l’arrivée d’un d’espaces verts, pour les loisirs notamment. C’est le cas de l’aménagement
nouvel élu, tantôt la mobilisation de citoyens, tantôt l’inscription dans zones d’activité économique, elle peut aussi concerner l’aménagement
zones d’activité économique, elle peut aussi concerner l’aménagement nouvel élu, tantôt la mobilisation de citoyens, tantôt l’inscription dans
d’espaces verts, pour les loisirs notamment. C’est le cas de l’aménagement commune... Chaque histoire est singulière : c’est tantôt l’arrivée d’un
du parc de la Deûle à Lille, un espace de 350 ha aménagé depuis 1994 ancienneté du maire ou du bourgmestre, position géographique de la
sur six communes de la périphérie. Il répond à différents objectifs : pré- Aucun facteur ne semble déterminant : appartenance politique des élus,
server les ressources naturelles (eau et milieu), préserver un espace pour conservatrice alors que d’autres optent pour une gestion plus innovante ?
l’agriculture, compenser le manque d’équipements de loisirs verts de la expliquer pourquoi certaines communes s’orientent vers une gestion
métropole et établir une liaison verte structurante entre la métropole Comment comprendre cette diversité des types de gestion ? Peut-on
lilloise et l’ancien bassin minier (Lens), afin de créer une « aire urbaine contrepartie pour la commune, et suppose qu’elle y trouve son intérêt.
centrale » d’échelle européenne12. Ces objectifs traduisent une nouvelle aux élus, se fait en fonction de négociations qui conduisent souvent à une
façon de concevoir un espace périurbain multifonctionnel et commun à concèdent, ou non, une partie de leur territoire ; ce choix, qui appartient
l’ensemble des habitants de la métropole. projets. Mais elles restent incontournables dans leur mise en place : elles
Suite à une délégation de la communauté urbaine, le parc est au- Les autorités locales sont ainsi plus ou moins impliquées dans ces
jourd’hui géré par le syndicat mixte Espace naturel Lille métropole, qui
regroupe des élus des communes concernées et des élus métropolitains, si ce territoire nous appartenait moins... (Adjoint, Don)
urbains ou périurbains, des agriculteurs et des membres de la chambre
vaux qu’elle a faits. Et bon, du coup, c’est vrai que c’est un peu comme
d’agriculture, des aménageurs de l’organisme régional d’étude et d’amé-
récupérer le terrain, il faudrait qu’elle rembourse l’ENM de tous les tra-
à la commune, mais il y a une convention, donc si la commune veut
nagement, etc. Si certains acteurs locaux se sentent impliqués dans le brader le truc... pour rien... En principe, au niveau foncier, ça appartient
projet, parce qu’ils sont présents dans le syndicat, d’autres le considèrent citer le cas de Don, la zone des étangs, [l’ancien maire] s’est empressé de
comme un acteur extérieur. une à l’ENM. Et disons que l’ENM a un appétit terrien important. Pour
communauté, en fait, elle a tellement de compétences qu’elle en a refilé
On a créé l’Espace naturel métropolitain (ENM) qui peut s’autofinancer, monter des projets européens, avoir de l’argent de la communauté. La
monter des projets européens, avoir de l’argent de la communauté. La On a créé l’Espace naturel métropolitain (ENM) qui peut s’autofinancer,
communauté, en fait, elle a tellement de compétences qu’elle en a refilé
une à l’ENM. Et disons que l’ENM a un appétit terrien important. Pour comme un acteur extérieur.
citer le cas de Don, la zone des étangs, [l’ancien maire] s’est empressé de projet, parce qu’ils sont présents dans le syndicat, d’autres le considèrent
brader le truc... pour rien... En principe, au niveau foncier, ça appartient nagement, etc. Si certains acteurs locaux se sentent impliqués dans le
à la commune, mais il y a une convention, donc si la commune veut d’agriculture, des aménageurs de l’organisme régional d’étude et d’amé-
récupérer le terrain, il faudrait qu’elle rembourse l’ENM de tous les tra-
vaux qu’elle a faits. Et bon, du coup, c’est vrai que c’est un peu comme
urbains ou périurbains, des agriculteurs et des membres de la chambre
si ce territoire nous appartenait moins... (Adjoint, Don)
regroupe des élus des communes concernées et des élus métropolitains,
jourd’hui géré par le syndicat mixte Espace naturel Lille métropole, qui
Les autorités locales sont ainsi plus ou moins impliquées dans ces Suite à une délégation de la communauté urbaine, le parc est au-
projets. Mais elles restent incontournables dans leur mise en place : elles l’ensemble des habitants de la métropole.
concèdent, ou non, une partie de leur territoire ; ce choix, qui appartient façon de concevoir un espace périurbain multifonctionnel et commun à
aux élus, se fait en fonction de négociations qui conduisent souvent à une centrale » d’échelle européenne12. Ces objectifs traduisent une nouvelle
contrepartie pour la commune, et suppose qu’elle y trouve son intérêt. lilloise et l’ancien bassin minier (Lens), afin de créer une « aire urbaine
Comment comprendre cette diversité des types de gestion ? Peut-on métropole et établir une liaison verte structurante entre la métropole
expliquer pourquoi certaines communes s’orientent vers une gestion l’agriculture, compenser le manque d’équipements de loisirs verts de la
conservatrice alors que d’autres optent pour une gestion plus innovante ? server les ressources naturelles (eau et milieu), préserver un espace pour
Aucun facteur ne semble déterminant : appartenance politique des élus, sur six communes de la périphérie. Il répond à différents objectifs : pré-
ancienneté du maire ou du bourgmestre, position géographique de la du parc de la Deûle à Lille, un espace de 350 ha aménagé depuis 1994
commune... Chaque histoire est singulière : c’est tantôt l’arrivée d’un d’espaces verts, pour les loisirs notamment. C’est le cas de l’aménagement
nouvel élu, tantôt la mobilisation de citoyens, tantôt l’inscription dans zones d’activité économique, elle peut aussi concerner l’aménagement
ment des villes (participation, partenariat avec des acteurs privés, projet,
parables à celles que la sociologie urbaine a pu relever pour le gouverne- 184 Le périurbain : terrain ou concept pour la sociologie urbaine ?
gestion comme dans les acteurs qui s’y impliquent, des évolutions com-
ces communes. Les espaces périurbains connaissent là, dans leur mode de
de ces nouveaux modes conduit ensuite à leur diversification au sein de coordination. Des tensions peuvent alors apparaître entre les acteurs, et les
constater que le changement de régulation induit par l’utilisation d’un régulations qui se mettent en place sont des solutions ad hoc et variables.
taines communes renouvellent leurs modes d’action publique, on peut
semble complexe d’identifier les facteurs qui expliquent pourquoi cer- De nouveaux modes d’action publique...
munes mais aussi, bien souvent, au sein des communes elles-mêmes. S’il
donc aussi par une diversité des modes d’action publique, entre les com- À côté d’une gestion « en bon père de famille » se développent
L’hétérogénéité en matière de gestion de l’espace périurbain passe d’autres modes d’action publique sous la forme de nouvelles régulations
réflexif et prospectif. ou de projets. Si certaines communes s’orientent vers une gestion pu-
des raisons financières sans prendre conscience de leur aspect participatif, blique qui se préoccupe surtout d’optimalisation et privilégie le service
d’autant plus vrai que plusieurs acteurs entrent dans ces dispositifs pour rendu en accordant la priorité à l’organisation et au pilotage de l’action
l’action publique elle-même (Lascoumes & Le Galès, 2004). Cela semble quotidienne des services et des organismes publics (Bourdin, 2003, p. 97-
être observée dans le monde urbain notamment, ils ont aussi des effets sur 98), d’autres mettent en place de nouvelles règles du jeu (régulation)
reflètent une évolution globale de l’action publique, telle qu’elle a pu pour structurer un ensemble élargi d’acteurs, face à des ressources moins
des instruments de régulation de partenariat. Si ces nouveaux dispositifs stables et moins identifiées (par exemple, le soutien d’initiatives privées).
ser la place de chaque acteur ; en ce sens, ils peuvent être vus comme Enfin, certaines communes adhèrent à des dispositifs de type projet où
compromis, une idée du bon développement, mais ils vont aussi préci- il ne s’agit plus d’encadrer des actions possibles (comme le font les plans
chacun des acteurs. Les projets vont non seulement traduire, dans un de secteur, les plans locaux d’urbanisme ou les règlements d’urbanisme),
les solutions, les deux processus étant corrélés et liés à la place qu’occupe mais bien de proposer, dans un document argumentatif, un diagnostic et
mettre d’accord ; il suppose aussi une négociation sur le diagnostic et sur une vision stratégique qui devront conduire à mettre en place des réalisa-
pose la réunion et l’animation d’un ensemble d’acteurs qui doivent se tions ensuite évaluées. En tant qu’« histoire que des acteurs se racontent
flexivité et à la flexibilité (ibid., p. 103). En termes d’élaboration, il sup- ensemble », le projet est une méthode particulièrement adaptée à la ré-
ensemble », le projet est une méthode particulièrement adaptée à la ré- flexivité et à la flexibilité (ibid., p. 103). En termes d’élaboration, il sup-
tions ensuite évaluées. En tant qu’« histoire que des acteurs se racontent pose la réunion et l’animation d’un ensemble d’acteurs qui doivent se
une vision stratégique qui devront conduire à mettre en place des réalisa- mettre d’accord ; il suppose aussi une négociation sur le diagnostic et sur
mais bien de proposer, dans un document argumentatif, un diagnostic et les solutions, les deux processus étant corrélés et liés à la place qu’occupe
de secteur, les plans locaux d’urbanisme ou les règlements d’urbanisme), chacun des acteurs. Les projets vont non seulement traduire, dans un
il ne s’agit plus d’encadrer des actions possibles (comme le font les plans compromis, une idée du bon développement, mais ils vont aussi préci-
Enfin, certaines communes adhèrent à des dispositifs de type projet où ser la place de chaque acteur ; en ce sens, ils peuvent être vus comme
stables et moins identifiées (par exemple, le soutien d’initiatives privées). des instruments de régulation de partenariat. Si ces nouveaux dispositifs
pour structurer un ensemble élargi d’acteurs, face à des ressources moins reflètent une évolution globale de l’action publique, telle qu’elle a pu
98), d’autres mettent en place de nouvelles règles du jeu (régulation) être observée dans le monde urbain notamment, ils ont aussi des effets sur
quotidienne des services et des organismes publics (Bourdin, 2003, p. 97- l’action publique elle-même (Lascoumes & Le Galès, 2004). Cela semble
rendu en accordant la priorité à l’organisation et au pilotage de l’action d’autant plus vrai que plusieurs acteurs entrent dans ces dispositifs pour
blique qui se préoccupe surtout d’optimalisation et privilégie le service des raisons financières sans prendre conscience de leur aspect participatif,
ou de projets. Si certaines communes s’orientent vers une gestion pu- réflexif et prospectif.
d’autres modes d’action publique sous la forme de nouvelles régulations L’hétérogénéité en matière de gestion de l’espace périurbain passe
À côté d’une gestion « en bon père de famille » se développent donc aussi par une diversité des modes d’action publique, entre les com-
munes mais aussi, bien souvent, au sein des communes elles-mêmes. S’il
De nouveaux modes d’action publique... semble complexe d’identifier les facteurs qui expliquent pourquoi cer-
taines communes renouvellent leurs modes d’action publique, on peut
régulations qui se mettent en place sont des solutions ad hoc et variables. constater que le changement de régulation induit par l’utilisation d’un
coordination. Des tensions peuvent alors apparaître entre les acteurs, et les de ces nouveaux modes conduit ensuite à leur diversification au sein de
ces communes. Les espaces périurbains connaissent là, dans leur mode de
gestion comme dans les acteurs qui s’y impliquent, des évolutions com-
Le périurbain : terrain ou concept pour la sociologie urbaine ? 184 parables à celles que la sociologie urbaine a pu relever pour le gouverne-
ment des villes (participation, partenariat avec des acteurs privés, projet,
commerces) et favoriser leur éclatement. Face à cette double injonction,
Marie Muselle 185 développement de nature à vider les villes (de leurs habitants, de leurs
renverrait à un égoïsme et un repli sur soi, que lorsqu’ils soutiennent un
peuvent être aussi bien critiqués pour leur politique malthusienne, qui
réflexivité), même si la taille réduite des communes en change profondé- l’avenir de leur territoire dans ces communautés reste flou. En effet, ils
ment l’organisation et les régulations. Pour la forme, une part de l’action part » au développement de communautés d’agglomération ou urbaines,
publique dans le périurbain est comparable à celle qui a été observée dans lequel ils ont choisi de vivre. S’ils sont sommés, en France, de « prendre
les villes, mais le contenu de ces actions et les lignes directrices qui les gie, de modes de vie, de solidarité, etc., que l’on adresse à l’espace dans
portent invitent à questionner le périurbain comme catégorie. tiques en termes de « lien social », d’esthétique, de consommation d’éner-
traversent. Les acteurs locaux doivent « faire avec » les nombreuses cri-
Le périurbain, un espace urbain ? sent dans l’espace périurbain, peut-être en raison des incertitudes qui le
Le besoin de (re)constituer ce « nous » semble particulièrement pré-
Entre les projets qui souhaitent que la commune reste telle qu’elle est donner un sens à cet espace.
et ceux qui visent le développement social, culturel, économique et éco- rendre légitime la mise en place d’une politique sur le territoire, de
logique, voire le développement durable, les objectifs qui sous-tendent un « nous », une vision commune du territoire et de l’avenir, et par là, de
la gestion des espaces périurbains peuvent paraître extrêmement divers. ritoire. Le projet aurait alors une vertu « instituante » : il permet de créer
Mais ce que montrent aussi les exemples que nous avons développés, c’est acteurs définissent leur devenir commun en s’interrogeant sur leur ter-
que la question de l’avenir et finalement de l’« identité » des communes du projet, ici périurbain, semble essentielle : via un diagnostic partagé, les
périurbaines se retrouve au cœur de la gestion de l’espace. Cette der- Dans les actions collectives que nous avons présentées, cette vocation
nière apparaît en effet comme un levier pour penser et agir sur le vivre-
ensemble, sur le « lien social », c’est-à-dire sur la constitution éventuelle partage des mêmes objectifs. (Pinson, 2004, p. 201)
d’un « nous ». identités d’actions, de pérenniser des groupes d’acteurs solidarisés par le
Si le projet est un mode d’action plébiscité par les communes péri- des objectifs de politique urbaine, il a aussi pour vocation d’affirmer des
urbaines, c’est peut-être justement parce qu’il permet cette constitution Le projet n’a pas uniquement pour but d’élaborer et de mettre en œuvre
d’un « nous ». À propos du projet urbain, Pinson note :
d’un « nous ». À propos du projet urbain, Pinson note :
Le projet n’a pas uniquement pour but d’élaborer et de mettre en œuvre urbaines, c’est peut-être justement parce qu’il permet cette constitution
des objectifs de politique urbaine, il a aussi pour vocation d’affirmer des Si le projet est un mode d’action plébiscité par les communes péri-
identités d’actions, de pérenniser des groupes d’acteurs solidarisés par le d’un « nous ».
partage des mêmes objectifs. (Pinson, 2004, p. 201) ensemble, sur le « lien social », c’est-à-dire sur la constitution éventuelle
nière apparaît en effet comme un levier pour penser et agir sur le vivre-
Dans les actions collectives que nous avons présentées, cette vocation périurbaines se retrouve au cœur de la gestion de l’espace. Cette der-
du projet, ici périurbain, semble essentielle : via un diagnostic partagé, les que la question de l’avenir et finalement de l’« identité » des communes
acteurs définissent leur devenir commun en s’interrogeant sur leur ter- Mais ce que montrent aussi les exemples que nous avons développés, c’est
ritoire. Le projet aurait alors une vertu « instituante » : il permet de créer la gestion des espaces périurbains peuvent paraître extrêmement divers.
un « nous », une vision commune du territoire et de l’avenir, et par là, de logique, voire le développement durable, les objectifs qui sous-tendent
rendre légitime la mise en place d’une politique sur le territoire, de et ceux qui visent le développement social, culturel, économique et éco-
donner un sens à cet espace. Entre les projets qui souhaitent que la commune reste telle qu’elle est
Le besoin de (re)constituer ce « nous » semble particulièrement pré-
sent dans l’espace périurbain, peut-être en raison des incertitudes qui le Le périurbain, un espace urbain ?
traversent. Les acteurs locaux doivent « faire avec » les nombreuses cri-
tiques en termes de « lien social », d’esthétique, de consommation d’éner- portent invitent à questionner le périurbain comme catégorie.
gie, de modes de vie, de solidarité, etc., que l’on adresse à l’espace dans les villes, mais le contenu de ces actions et les lignes directrices qui les
lequel ils ont choisi de vivre. S’ils sont sommés, en France, de « prendre publique dans le périurbain est comparable à celle qui a été observée dans
part » au développement de communautés d’agglomération ou urbaines, ment l’organisation et les régulations. Pour la forme, une part de l’action
l’avenir de leur territoire dans ces communautés reste flou. En effet, ils réflexivité), même si la taille réduite des communes en change profondé-
peuvent être aussi bien critiqués pour leur politique malthusienne, qui
renverrait à un égoïsme et un repli sur soi, que lorsqu’ils soutiennent un
développement de nature à vider les villes (de leurs habitants, de leurs 185 Marie Muselle
commerces) et favoriser leur éclatement. Face à cette double injonction,
environnement.
qui relève de la gestion de l’espace : aménagement du territoire, urbanisme, logement,
Marie Muselle 187 14. Dans la Belgique fédérale, c’est essentiellement la région qui est compétente pour ce
Pouvoirs locaux, no 48, p. 59-63. 188 Le périurbain : terrain ou concept pour la sociologie urbaine ?
Vanier Martin (2001), « Le tiers espace, acte II de la périurbanisation »,
vol. 16, no 1, p. 107-138.
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L’Harmattan. Charmes Éric (2005), La Vie périurbaine face à la menace des gated commu-
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no 56, p. 619-651. — (2011), La Ville émiettée : essai sur la clubbisation de la vie urbaine, Paris,
dans les villes européennes », Revue française de science politique, vol. 4, Presses universitaires de France.
espaces politiques et recomposition d’une capacité d’action collective Desage Fabien (2005), « Une commune résidentielle suburbaine en pleine
— (2006), « Projets de ville et gouvernance urbaine, pluralisation des campagne », dans Mobilisations électorales : le cas des élections municipales de
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files/fiche-parc-de-la-deule.pdf (mai 2014). Deûle, extrait du t. I du rapport final, Plate-forme d’observation des
www.gip-epau.archi.fr/sites/default/files/nodes/document/762/ projets de stratégies urbaines (POPSU 1), p. 127-138 ; en ligne : http://
projets de stratégies urbaines (POPSU 1), p. 127-138 ; en ligne : http:// www.gip-epau.archi.fr/sites/default/files/nodes/document/762/
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Vanier Martin (2001), « Le tiers espace, acte II de la périurbanisation »,
Le périurbain : terrain ou concept pour la sociologie urbaine ? 188 Pouvoirs locaux, no 48, p. 59-63.
çais pour désigner ce phénomène qui a émergé au Brésil.
3. Nous utilisons le mot portugais : aucun terme correspondant n’a été trouvé en fran-
guration de Brasilia.
2. La ville de Rio de Janeiro a été la capitale du Brésil jusqu’en 1960, année de l’inau-
1. Citons notamment Leeds (1969), Parisse (1969),Valladares (1974) et Perlman (1977).
vorisées et abandonnées par l’État, notamment les favelas. La milicia de social : reconversion de l’espace industriel en habitat, par les occupants eux-
objectif est l’extorsion d’argent et le contrôle des zones d’habitat défa- mêmes, et fermeture du terrain par des murs. Les pratiques liées au
prison et policiers, à la retraite ou en activité, hors de toute légalité. Leur fonctionnement et à certains règlements établis à l’intérieur de ce mi-
formation de groupes de professionnels, pompiers, militaires, agents de lieu d’habitat se rapportent autant aux favelas cariocas, l’habitat d’origine
parallèles à l’État4, la milicia à Rio de Janeiro. Elle se caractérise par la des occupants, qu’aux formes d’habitat en copropriété de la ville for-
Les invasoes se situent dans une zone dominée par un des pouvoirs melle, notamment les condominios fechados (copropriétés fermées) de Rio
de sports et une place avec une scène pour des spectacles. de Janeiro. À l’issue du travail de recherche doctoral que nous avons
font de cette invasao la plus sophistiquée des trois : une piscine, un terrain mené sur ces occupations de l’avenida Brasil, nous avons choisi de les
circulation des piétons. Le Palace présente des équipements de loisirs qui dénommer des « copropriétés de fait », comme s’il y avait un droit de
fermés, et deux invasoes disposent en plus de gardiens qui contrôlent la copropriété établi, ce que nous verrons plus loin.
par des murs qui ont été conservés par les occupants. Les accès sont ainsi Nous montrerons comment les transformations socio-urbaines pro-
terrains comprennent d’anciennes usines de production et sont clôturés duisent des transformations de l’habitat collectif qui sont semblables chez
nous avons prise comme cas d’étude, existe depuis l’année 2000. Les les différentes couches et groupes sociaux, et comment elles favorisent la
loppent depuis une quinzaine d’années. La troisième d’entre elles, que création de nouvelles formes d’habitat. Nous présenterons aussi les rapports
le Chaparral, le condominio Barra Vela et le Palace. Les invasoes se déve- des copropriétés de fait avec les favelas, d’une part, et avec les copropriétés
d’un groupement de seize favelas qu’on appelle le Complexo da Maré : et les condominios de la ville formelle d’autre part. Mettre en évidence les
Trois invasoes ont été identifiées dans une zone située à environ 300 m points communs des invasoes avec les copropriétés formelles permettra de
les caractériser comme un nouveau cas de figure de l’habitat informel à
CARACTÈRES GÉNÉRAUX DES INVASOES Rio de Janeiro. Nous pourrons alors identifier les facteurs participant
à ce qui est vraisemblablement une formalisation de l’habitat populaire
contribuent à constituer de nouvelles formes d’habitat à Rio de Janeiro. et verrons dans quelle mesure les dynamiques de transformation urbaine
et verrons dans quelle mesure les dynamiques de transformation urbaine contribuent à constituer de nouvelles formes d’habitat à Rio de Janeiro.
à ce qui est vraisemblablement une formalisation de l’habitat populaire
Rio de Janeiro. Nous pourrons alors identifier les facteurs participant CARACTÈRES GÉNÉRAUX DES INVASOES
les caractériser comme un nouveau cas de figure de l’habitat informel à
points communs des invasoes avec les copropriétés formelles permettra de Trois invasoes ont été identifiées dans une zone située à environ 300 m
et les condominios de la ville formelle d’autre part. Mettre en évidence les d’un groupement de seize favelas qu’on appelle le Complexo da Maré :
des copropriétés de fait avec les favelas, d’une part, et avec les copropriétés le Chaparral, le condominio Barra Vela et le Palace. Les invasoes se déve-
création de nouvelles formes d’habitat. Nous présenterons aussi les rapports loppent depuis une quinzaine d’années. La troisième d’entre elles, que
les différentes couches et groupes sociaux, et comment elles favorisent la nous avons prise comme cas d’étude, existe depuis l’année 2000. Les
duisent des transformations de l’habitat collectif qui sont semblables chez terrains comprennent d’anciennes usines de production et sont clôturés
Nous montrerons comment les transformations socio-urbaines pro- par des murs qui ont été conservés par les occupants. Les accès sont ainsi
copropriété établi, ce que nous verrons plus loin. fermés, et deux invasoes disposent en plus de gardiens qui contrôlent la
dénommer des « copropriétés de fait », comme s’il y avait un droit de circulation des piétons. Le Palace présente des équipements de loisirs qui
mené sur ces occupations de l’avenida Brasil, nous avons choisi de les font de cette invasao la plus sophistiquée des trois : une piscine, un terrain
de Janeiro. À l’issue du travail de recherche doctoral que nous avons de sports et une place avec une scène pour des spectacles.
melle, notamment les condominios fechados (copropriétés fermées) de Rio Les invasoes se situent dans une zone dominée par un des pouvoirs
des occupants, qu’aux formes d’habitat en copropriété de la ville for- parallèles à l’État4, la milicia à Rio de Janeiro. Elle se caractérise par la
lieu d’habitat se rapportent autant aux favelas cariocas, l’habitat d’origine formation de groupes de professionnels, pompiers, militaires, agents de
fonctionnement et à certains règlements établis à l’intérieur de ce mi- prison et policiers, à la retraite ou en activité, hors de toute légalité. Leur
mêmes, et fermeture du terrain par des murs. Les pratiques liées au objectif est l’extorsion d’argent et le contrôle des zones d’habitat défa-
social : reconversion de l’espace industriel en habitat, par les occupants eux- vorisées et abandonnées par l’État, notamment les favelas. La milicia de
4. Il faut entendre par là une forme d’exercice illégal du pouvoir fondée sur la domina-
Logement populaire et transformations socio-urbaines 190 tion territoriale, consolidée au sein de communautés souvent dépourvues économique-
ment. À Rio de Janeiro, la forme de pouvoir parallèle à l’État la plus connue et la plus
répandue est celle qu’exercent les narcotrafiquants dans les favelas.
vorisées et abandonnées par l’État, notamment les favelas. La milicia de social : reconversion de l’espace industriel en habitat, par les occupants eux-
objectif est l’extorsion d’argent et le contrôle des zones d’habitat défa- mêmes, et fermeture du terrain par des murs. Les pratiques liées au
prison et policiers, à la retraite ou en activité, hors de toute légalité. Leur fonctionnement et à certains règlements établis à l’intérieur de ce mi-
formation de groupes de professionnels, pompiers, militaires, agents de lieu d’habitat se rapportent autant aux favelas cariocas, l’habitat d’origine
parallèles à l’État4, la milicia à Rio de Janeiro. Elle se caractérise par la des occupants, qu’aux formes d’habitat en copropriété de la ville for-
Les invasoes se situent dans une zone dominée par un des pouvoirs melle, notamment les condominios fechados (copropriétés fermées) de Rio
de sports et une place avec une scène pour des spectacles. de Janeiro. À l’issue du travail de recherche doctoral que nous avons
font de cette invasao la plus sophistiquée des trois : une piscine, un terrain mené sur ces occupations de l’avenida Brasil, nous avons choisi de les
circulation des piétons. Le Palace présente des équipements de loisirs qui dénommer des « copropriétés de fait », comme s’il y avait un droit de
fermés, et deux invasoes disposent en plus de gardiens qui contrôlent la copropriété établi, ce que nous verrons plus loin.
par des murs qui ont été conservés par les occupants. Les accès sont ainsi Nous montrerons comment les transformations socio-urbaines pro-
terrains comprennent d’anciennes usines de production et sont clôturés duisent des transformations de l’habitat collectif qui sont semblables chez
nous avons prise comme cas d’étude, existe depuis l’année 2000. Les les différentes couches et groupes sociaux, et comment elles favorisent la
loppent depuis une quinzaine d’années. La troisième d’entre elles, que création de nouvelles formes d’habitat. Nous présenterons aussi les rapports
le Chaparral, le condominio Barra Vela et le Palace. Les invasoes se déve- des copropriétés de fait avec les favelas, d’une part, et avec les copropriétés
d’un groupement de seize favelas qu’on appelle le Complexo da Maré : et les condominios de la ville formelle d’autre part. Mettre en évidence les
Trois invasoes ont été identifiées dans une zone située à environ 300 m points communs des invasoes avec les copropriétés formelles permettra de
les caractériser comme un nouveau cas de figure de l’habitat informel à
CARACTÈRES GÉNÉRAUX DES INVASOES Rio de Janeiro. Nous pourrons alors identifier les facteurs participant
à ce qui est vraisemblablement une formalisation de l’habitat populaire
contribuent à constituer de nouvelles formes d’habitat à Rio de Janeiro. et verrons dans quelle mesure les dynamiques de transformation urbaine
et verrons dans quelle mesure les dynamiques de transformation urbaine contribuent à constituer de nouvelles formes d’habitat à Rio de Janeiro.
à ce qui est vraisemblablement une formalisation de l’habitat populaire
Rio de Janeiro. Nous pourrons alors identifier les facteurs participant CARACTÈRES GÉNÉRAUX DES INVASOES
les caractériser comme un nouveau cas de figure de l’habitat informel à
points communs des invasoes avec les copropriétés formelles permettra de Trois invasoes ont été identifiées dans une zone située à environ 300 m
et les condominios de la ville formelle d’autre part. Mettre en évidence les d’un groupement de seize favelas qu’on appelle le Complexo da Maré :
des copropriétés de fait avec les favelas, d’une part, et avec les copropriétés le Chaparral, le condominio Barra Vela et le Palace. Les invasoes se déve-
création de nouvelles formes d’habitat. Nous présenterons aussi les rapports loppent depuis une quinzaine d’années. La troisième d’entre elles, que
les différentes couches et groupes sociaux, et comment elles favorisent la nous avons prise comme cas d’étude, existe depuis l’année 2000. Les
duisent des transformations de l’habitat collectif qui sont semblables chez terrains comprennent d’anciennes usines de production et sont clôturés
Nous montrerons comment les transformations socio-urbaines pro- par des murs qui ont été conservés par les occupants. Les accès sont ainsi
copropriété établi, ce que nous verrons plus loin. fermés, et deux invasoes disposent en plus de gardiens qui contrôlent la
dénommer des « copropriétés de fait », comme s’il y avait un droit de circulation des piétons. Le Palace présente des équipements de loisirs qui
mené sur ces occupations de l’avenida Brasil, nous avons choisi de les font de cette invasao la plus sophistiquée des trois : une piscine, un terrain
de Janeiro. À l’issue du travail de recherche doctoral que nous avons de sports et une place avec une scène pour des spectacles.
melle, notamment les condominios fechados (copropriétés fermées) de Rio Les invasoes se situent dans une zone dominée par un des pouvoirs
des occupants, qu’aux formes d’habitat en copropriété de la ville for- parallèles à l’État4, la milicia à Rio de Janeiro. Elle se caractérise par la
lieu d’habitat se rapportent autant aux favelas cariocas, l’habitat d’origine formation de groupes de professionnels, pompiers, militaires, agents de
fonctionnement et à certains règlements établis à l’intérieur de ce mi- prison et policiers, à la retraite ou en activité, hors de toute légalité. Leur
mêmes, et fermeture du terrain par des murs. Les pratiques liées au objectif est l’extorsion d’argent et le contrôle des zones d’habitat défa-
social : reconversion de l’espace industriel en habitat, par les occupants eux- vorisées et abandonnées par l’État, notamment les favelas. La milicia de
4. Il faut entendre par là une forme d’exercice illégal du pouvoir fondée sur la domina-
Logement populaire et transformations socio-urbaines 190 tion territoriale, consolidée au sein de communautés souvent dépourvues économique-
ment. À Rio de Janeiro, la forme de pouvoir parallèle à l’État la plus connue et la plus
répandue est celle qu’exercent les narcotrafiquants dans les favelas.
des discussions au sein des groupes d’habitants.
les plus anciens du Palace ou sous la forme de discussions individuelles et d’observation
Maira Machado-Martins 191 6. Ils ont été réalisés sous la forme d’interviews (parfois enregistrées) avec les occupants
priétés coopératives, le syndic est également président du conseil syndical.
5. En France, les syndics bénévoles sont souvent résidents. Par ailleurs, dans les copro-
Rio de Janeiro s’est développée récemment et se présente comme une
sorte de contre-pouvoir par rapport à celui des narcotrafiquants dans les l’a observé dans le Palace : les entretiens avec les habitants6 ont révélé la
favelas cariocas, d’où elle peut les expulser parfois. Les copropriétés de fait par conséquent, des conflits successifs et des compétitions, comme on
ont chacune un leader qui joue le rôle de « syndic ». D’un côté, il repré- rité du syndic. Le renforcement de deux groupes antagonistes peut créer,
sente ce pouvoir parallèle en exerçant un contrôle ; de l’autre, il assure perdants » (ibid.) ou conduire les copropriétaires à s’en remettre à l’auto-
le bon fonctionnement du milieu d’habitat, comme dans les coproprié- ce qui peut générer des clivages et créer une « culture de gagnants et de
tés formelles. Un autre point commun avec les copropriétés qui abritent tés de fait. Normalement, le système de décision fonctionne à la majorité,
les couches aisées est que dans les trois invasoes, les habitants paient une tème de décision et de ses conséquences se pose aussi dans les coproprié-
« taxe de copropriété » mensuelle, destinée à couvrir les dépenses de autres » (Lefeuvre, 1999, p. 18). La question du fonctionnement du sys-
la copropriété. La domination de ce pouvoir parallèle dans la zone des acteurs que sur les “compétences” plus ou moins grandes des uns et des
invasoes joue ainsi un rôle important dans la « gestion » dont elles sont cision dont le fonctionnement repose autant sur les relations entre les
l’objet. Mais l’héritage de certaines pratiques exercées depuis des années Pour Marie-Pierre Lefeuvre, la copropriété est un « système de dé-
par les narcotrafiquants dans les favelas se fait également sentir dans les syndical français5.
copropriétés de fait. propriétés de fait ne sont dotées d’aucun organe qui ressemble au conseil
de copropriétés françaises : le syndic habite l’invasao. En revanche, les co-
GESTION ET SYSTÈME DE POUVOIR DANS LES COPROPRIÉTÉS FORMELLES point commun avec les copropriétés brésiliennes et avec certains types
ET LES INVASOES comme dans les copropriétés formelles en France et au Brésil. Autre
structure de gestion, le syndic du Palace a été élu par les résidents, tout
L’emploi du terme de copropriété de fait pour caractériser les inva- partie privative et une quote-part de parties communes. Concernant la
soes de l’avenida Brasil est justifié par la référence aux définitions de plusieurs personnes par lots et appartements, comprenant chacun une
la copropriété en France et au Brésil. Il s’agit bien d’un ensemble de constructions (immeubles ou maisons) dont la propriété est répartie entre
constructions (immeubles ou maisons) dont la propriété est répartie entre la copropriété en France et au Brésil. Il s’agit bien d’un ensemble de
plusieurs personnes par lots et appartements, comprenant chacun une soes de l’avenida Brasil est justifié par la référence aux définitions de
partie privative et une quote-part de parties communes. Concernant la L’emploi du terme de copropriété de fait pour caractériser les inva-
structure de gestion, le syndic du Palace a été élu par les résidents, tout
comme dans les copropriétés formelles en France et au Brésil. Autre ET LES INVASOES
point commun avec les copropriétés brésiliennes et avec certains types GESTION ET SYSTÈME DE POUVOIR DANS LES COPROPRIÉTÉS FORMELLES
de copropriétés françaises : le syndic habite l’invasao. En revanche, les co-
propriétés de fait ne sont dotées d’aucun organe qui ressemble au conseil copropriétés de fait.
syndical français5. par les narcotrafiquants dans les favelas se fait également sentir dans les
Pour Marie-Pierre Lefeuvre, la copropriété est un « système de dé- l’objet. Mais l’héritage de certaines pratiques exercées depuis des années
cision dont le fonctionnement repose autant sur les relations entre les invasoes joue ainsi un rôle important dans la « gestion » dont elles sont
acteurs que sur les “compétences” plus ou moins grandes des uns et des la copropriété. La domination de ce pouvoir parallèle dans la zone des
autres » (Lefeuvre, 1999, p. 18). La question du fonctionnement du sys- « taxe de copropriété » mensuelle, destinée à couvrir les dépenses de
tème de décision et de ses conséquences se pose aussi dans les coproprié- les couches aisées est que dans les trois invasoes, les habitants paient une
tés de fait. Normalement, le système de décision fonctionne à la majorité, tés formelles. Un autre point commun avec les copropriétés qui abritent
ce qui peut générer des clivages et créer une « culture de gagnants et de le bon fonctionnement du milieu d’habitat, comme dans les coproprié-
perdants » (ibid.) ou conduire les copropriétaires à s’en remettre à l’auto- sente ce pouvoir parallèle en exerçant un contrôle ; de l’autre, il assure
rité du syndic. Le renforcement de deux groupes antagonistes peut créer, ont chacune un leader qui joue le rôle de « syndic ». D’un côté, il repré-
par conséquent, des conflits successifs et des compétitions, comme on favelas cariocas, d’où elle peut les expulser parfois. Les copropriétés de fait
l’a observé dans le Palace : les entretiens avec les habitants6 ont révélé la sorte de contre-pouvoir par rapport à celui des narcotrafiquants dans les
Rio de Janeiro s’est développée récemment et se présente comme une
5. En France, les syndics bénévoles sont souvent résidents. Par ailleurs, dans les copro-
priétés coopératives, le syndic est également président du conseil syndical.
6. Ils ont été réalisés sous la forme d’interviews (parfois enregistrées) avec les occupants 191 Maira Machado-Martins
les plus anciens du Palace ou sous la forme de discussions individuelles et d’observation
des discussions au sein des groupes d’habitants.
(2006, p. 139).
tion des mécanismes et moyens formels et informels à des fins de bénéfices personnels »
7. Pour Licia do Prado Valladares, ce système typiquement brésilien est « basé sur l’utilisa- 194 Logement populaire et transformations socio-urbaines
institutions étatiques, historiquement absentes, et le place dans la peau du de la relation entre producteurs et consommateurs de l’espace10 était ainsi
ginaire de la population favelada. Elle fait du trafiquant le remplaçant des basé sur l’échange, condition fondamentale pour le maintien de tout sys-
notamment jusqu’à la fin des années 1980, et s’est renforcée dans l’ima- tème. Dans le cas des favelas, l’échange observé par Leeds (1998, p. 241-
La figure du trafiquant a été construite avec la contribution des médias, 244) dans les années 1970 était caractérisé par une forme de protection
interdits, aux prescriptions et aux punitions. réciproque. Les habitants offraient l’anonymat aux trafiquants, ils ne les
pouvoir, qui utilise des méthodes ultraviolentes mais précises quant aux dénonçaient pas et restaient discrets sur leurs activités illégales et sur la
quants, les habitants ne participent pas de la même manière au système de présence de ceux d’entre eux qui étaient cachés dans la favela. En contre-
règles, punit et condamne. Dans une favela dominée par des narcotrafi- partie, le chef offrait des services à la population, par exemple la sécurité à
syndic et sont par conséquent liés au système de pouvoir qui établit les l’intérieur du milieu d’habitat, de l’argent en cas de besoin, pour payer un
parmi les habitants de l’invasao, car certains résidents sont partenaires du taxi jusqu’à l’hôpital ou acheter des médicaments. Si le profil des narco-
rend difficile la consolidation d’un système de solidarité et de confiance trafiquants et la violence qu’ils exercent ont fortement changé à partir des
syndic et ni mettre en question l’utilisation de l’argent. Cette pratique années 1980, certaines caractéristiques se sont maintenues : dans la favela,
et crée des conflits, le jeu met sous pression les débiteurs sans exposer le les délits ou les crimes comme le vol, le viol, entre autres, sont encore
de l’espace, les autres habitants. Avec cette méthode qui divise le groupe aujourd’hui violemment combattus par le chef de l’organisation des trafi-
des débiteurs de la taxe de copropriété devant les autres consommateurs quants locaux. Il est le seul qui puisse imposer sa propre forme de justice.
se fait plutôt par l’intimidation née de la dénonciation et de l’exposition L’équilibre du système est totalement lié à la conduite et à la personna-
« gestion » du Palace, la domination s’impose de façon plus subtile : elle lité du chef de gang ; les pratiques et les normes sont ainsi imposées à la
narcotrafiquants très violente, agressive et intolérante. Dans le cadre de la communauté à partir des codes définis par le chef.
de disparaître, car les producteurs de l’espace sont ici une génération de Si l’on compare le système de pouvoir existant dans le Palace à celui
désobéissant aux règles qu’il impose. Ce serait simplement courir le risque qu’on observe dans les favelas où dominent les trafiquants de drogue,
stricte et radicale. Aucune personne sensée ne défie un narcotrafiquant en certaines différences semblent assez claires. La loi dans ces favelas est très
certaines différences semblent assez claires. La loi dans ces favelas est très stricte et radicale. Aucune personne sensée ne défie un narcotrafiquant en
qu’on observe dans les favelas où dominent les trafiquants de drogue, désobéissant aux règles qu’il impose. Ce serait simplement courir le risque
Si l’on compare le système de pouvoir existant dans le Palace à celui de disparaître, car les producteurs de l’espace sont ici une génération de
communauté à partir des codes définis par le chef. narcotrafiquants très violente, agressive et intolérante. Dans le cadre de la
lité du chef de gang ; les pratiques et les normes sont ainsi imposées à la « gestion » du Palace, la domination s’impose de façon plus subtile : elle
L’équilibre du système est totalement lié à la conduite et à la personna- se fait plutôt par l’intimidation née de la dénonciation et de l’exposition
quants locaux. Il est le seul qui puisse imposer sa propre forme de justice. des débiteurs de la taxe de copropriété devant les autres consommateurs
aujourd’hui violemment combattus par le chef de l’organisation des trafi- de l’espace, les autres habitants. Avec cette méthode qui divise le groupe
les délits ou les crimes comme le vol, le viol, entre autres, sont encore et crée des conflits, le jeu met sous pression les débiteurs sans exposer le
années 1980, certaines caractéristiques se sont maintenues : dans la favela, syndic et ni mettre en question l’utilisation de l’argent. Cette pratique
trafiquants et la violence qu’ils exercent ont fortement changé à partir des rend difficile la consolidation d’un système de solidarité et de confiance
taxi jusqu’à l’hôpital ou acheter des médicaments. Si le profil des narco- parmi les habitants de l’invasao, car certains résidents sont partenaires du
l’intérieur du milieu d’habitat, de l’argent en cas de besoin, pour payer un syndic et sont par conséquent liés au système de pouvoir qui établit les
partie, le chef offrait des services à la population, par exemple la sécurité à règles, punit et condamne. Dans une favela dominée par des narcotrafi-
présence de ceux d’entre eux qui étaient cachés dans la favela. En contre- quants, les habitants ne participent pas de la même manière au système de
dénonçaient pas et restaient discrets sur leurs activités illégales et sur la pouvoir, qui utilise des méthodes ultraviolentes mais précises quant aux
réciproque. Les habitants offraient l’anonymat aux trafiquants, ils ne les interdits, aux prescriptions et aux punitions.
244) dans les années 1970 était caractérisé par une forme de protection La figure du trafiquant a été construite avec la contribution des médias,
tème. Dans le cas des favelas, l’échange observé par Leeds (1998, p. 241- notamment jusqu’à la fin des années 1980, et s’est renforcée dans l’ima-
basé sur l’échange, condition fondamentale pour le maintien de tout sys- ginaire de la population favelada. Elle fait du trafiquant le remplaçant des
de la relation entre producteurs et consommateurs de l’espace10 était ainsi institutions étatiques, historiquement absentes, et le place dans la peau du
10. De Certeau (1980). Pour lui, les producteurs de l’espace peuvent être définis comme
Logement populaire et transformations socio-urbaines 196 les acteurs qui exercent le pouvoir et fabriquent l’espace, et les consommateurs, comme
ceux qui, dans l’incapacité de transformer directement l’espace, l’ont adapté selon leurs
besoins en ajustant les normes et les systèmes de valeurs.
institutions étatiques, historiquement absentes, et le place dans la peau du de la relation entre producteurs et consommateurs de l’espace10 était ainsi
ginaire de la population favelada. Elle fait du trafiquant le remplaçant des basé sur l’échange, condition fondamentale pour le maintien de tout sys-
notamment jusqu’à la fin des années 1980, et s’est renforcée dans l’ima- tème. Dans le cas des favelas, l’échange observé par Leeds (1998, p. 241-
La figure du trafiquant a été construite avec la contribution des médias, 244) dans les années 1970 était caractérisé par une forme de protection
interdits, aux prescriptions et aux punitions. réciproque. Les habitants offraient l’anonymat aux trafiquants, ils ne les
pouvoir, qui utilise des méthodes ultraviolentes mais précises quant aux dénonçaient pas et restaient discrets sur leurs activités illégales et sur la
quants, les habitants ne participent pas de la même manière au système de présence de ceux d’entre eux qui étaient cachés dans la favela. En contre-
règles, punit et condamne. Dans une favela dominée par des narcotrafi- partie, le chef offrait des services à la population, par exemple la sécurité à
syndic et sont par conséquent liés au système de pouvoir qui établit les l’intérieur du milieu d’habitat, de l’argent en cas de besoin, pour payer un
parmi les habitants de l’invasao, car certains résidents sont partenaires du taxi jusqu’à l’hôpital ou acheter des médicaments. Si le profil des narco-
rend difficile la consolidation d’un système de solidarité et de confiance trafiquants et la violence qu’ils exercent ont fortement changé à partir des
syndic et ni mettre en question l’utilisation de l’argent. Cette pratique années 1980, certaines caractéristiques se sont maintenues : dans la favela,
et crée des conflits, le jeu met sous pression les débiteurs sans exposer le les délits ou les crimes comme le vol, le viol, entre autres, sont encore
de l’espace, les autres habitants. Avec cette méthode qui divise le groupe aujourd’hui violemment combattus par le chef de l’organisation des trafi-
des débiteurs de la taxe de copropriété devant les autres consommateurs quants locaux. Il est le seul qui puisse imposer sa propre forme de justice.
se fait plutôt par l’intimidation née de la dénonciation et de l’exposition L’équilibre du système est totalement lié à la conduite et à la personna-
« gestion » du Palace, la domination s’impose de façon plus subtile : elle lité du chef de gang ; les pratiques et les normes sont ainsi imposées à la
narcotrafiquants très violente, agressive et intolérante. Dans le cadre de la communauté à partir des codes définis par le chef.
de disparaître, car les producteurs de l’espace sont ici une génération de Si l’on compare le système de pouvoir existant dans le Palace à celui
désobéissant aux règles qu’il impose. Ce serait simplement courir le risque qu’on observe dans les favelas où dominent les trafiquants de drogue,
stricte et radicale. Aucune personne sensée ne défie un narcotrafiquant en certaines différences semblent assez claires. La loi dans ces favelas est très
certaines différences semblent assez claires. La loi dans ces favelas est très stricte et radicale. Aucune personne sensée ne défie un narcotrafiquant en
qu’on observe dans les favelas où dominent les trafiquants de drogue, désobéissant aux règles qu’il impose. Ce serait simplement courir le risque
Si l’on compare le système de pouvoir existant dans le Palace à celui de disparaître, car les producteurs de l’espace sont ici une génération de
communauté à partir des codes définis par le chef. narcotrafiquants très violente, agressive et intolérante. Dans le cadre de la
lité du chef de gang ; les pratiques et les normes sont ainsi imposées à la « gestion » du Palace, la domination s’impose de façon plus subtile : elle
L’équilibre du système est totalement lié à la conduite et à la personna- se fait plutôt par l’intimidation née de la dénonciation et de l’exposition
quants locaux. Il est le seul qui puisse imposer sa propre forme de justice. des débiteurs de la taxe de copropriété devant les autres consommateurs
aujourd’hui violemment combattus par le chef de l’organisation des trafi- de l’espace, les autres habitants. Avec cette méthode qui divise le groupe
les délits ou les crimes comme le vol, le viol, entre autres, sont encore et crée des conflits, le jeu met sous pression les débiteurs sans exposer le
années 1980, certaines caractéristiques se sont maintenues : dans la favela, syndic et ni mettre en question l’utilisation de l’argent. Cette pratique
trafiquants et la violence qu’ils exercent ont fortement changé à partir des rend difficile la consolidation d’un système de solidarité et de confiance
taxi jusqu’à l’hôpital ou acheter des médicaments. Si le profil des narco- parmi les habitants de l’invasao, car certains résidents sont partenaires du
l’intérieur du milieu d’habitat, de l’argent en cas de besoin, pour payer un syndic et sont par conséquent liés au système de pouvoir qui établit les
partie, le chef offrait des services à la population, par exemple la sécurité à règles, punit et condamne. Dans une favela dominée par des narcotrafi-
présence de ceux d’entre eux qui étaient cachés dans la favela. En contre- quants, les habitants ne participent pas de la même manière au système de
dénonçaient pas et restaient discrets sur leurs activités illégales et sur la pouvoir, qui utilise des méthodes ultraviolentes mais précises quant aux
réciproque. Les habitants offraient l’anonymat aux trafiquants, ils ne les interdits, aux prescriptions et aux punitions.
244) dans les années 1970 était caractérisé par une forme de protection La figure du trafiquant a été construite avec la contribution des médias,
tème. Dans le cas des favelas, l’échange observé par Leeds (1998, p. 241- notamment jusqu’à la fin des années 1980, et s’est renforcée dans l’ima-
basé sur l’échange, condition fondamentale pour le maintien de tout sys- ginaire de la population favelada. Elle fait du trafiquant le remplaçant des
de la relation entre producteurs et consommateurs de l’espace10 était ainsi institutions étatiques, historiquement absentes, et le place dans la peau du
10. De Certeau (1980). Pour lui, les producteurs de l’espace peuvent être définis comme
Logement populaire et transformations socio-urbaines 196 les acteurs qui exercent le pouvoir et fabriquent l’espace, et les consommateurs, comme
ceux qui, dans l’incapacité de transformer directement l’espace, l’ont adapté selon leurs
besoins en ajustant les normes et les systèmes de valeurs.
favelas, zones qu’ils peuvent facilement contrôler.
– ils meurent très jeunes dans les combats – et que leur pouvoir se limite au territoire des
Maira Machado-Martins 197 est très faible, notamment du fait que les chefs de réseaux sont fréquemment remplacés
américains. Elle affirme que la structure formée par ces criminels à l’intérieur des favelas
narcotrafiquants – le crime organizado – en analysant les mafias italiennes et les réseaux
« héros rebelle ». Les entretiens avec les habitants qui ont vécu dans les
12. Alba Zaluar (2004) discute le terme adopté au Brésil pour désigner les réseaux des
de l’invasoa.
Maira Machado-Martins 199 mais c’est surtout la gestion de la milicia qui garantit la sécurité au sein
et des gardiens sont des éléments qui assurent la protection des habitants,
moyennes et supérieures de Rio de Janeiro. Certes, la présence des murs
point de vue, elles répondent à une demande de la part des habitants qui à ce que sont les copropriétés fermées pour les habitants des couches
souhaitent quitter la favela. Cette demande est le reflet de certaines trans- la favela qui souhaitent se soustraire à la violence, alternative analogue
formations qui ont autant touché les favelas que le reste de la ville au fil La copropriété de fait est ainsi une alternative pour les habitants de
des années. être contrôlée par un gardien.
Dans les invasoes et plus spécialement dans le Palace, l’un des princi- accès, les invasoes sont des milieux d’habitat confinés, dont l’entrée peut
paux arguments des habitants pour expliquer leur déménagement est la Rio de Janeiro, qui sont des espaces ouverts à la ville et offrent plusieurs
violence vécue dans la favela d’origine. Pour cette population, la question et la circulation incontrôlée. À l’inverse d’une grande partie des favelas de
de la sécurité prend une autre forme que pour les couches moyennes et murs permet un contrôle plus efficace de l’espace en empêchant la fuite
riches qui cherchent à habiter des copropriétés fermées. Elle ne répond des « indésirables », les narcotrafiquants en l’occurrence. La présence des
pas seulement à une crainte mais fait suite à une violence effectivement copropriétés de la ville formelle, les invasoes protègent leurs habitants
vécue au quotidien. Le contact permanent avec les trafiquants de drogue, car associés à la production de cette violence urbaine. Comme dans les
la présence d’armes et de tous types de stupéfiants dans les favelas est une est aussi une manière de se garder des groupes sociaux jugés indésirables
cause évidente d’inquiétude des parents à l’égard de leurs enfants. Cette protection contre tout type de violence issue de la ville. La sécurisation
population doit faire face à deux craintes majeures. La première concerne d’habitat. Les murs sont considérés comme des frontières et comme une
la vie quotidienne : être touché par une « balle perdue ». La deuxième priétés fermées ; elle est souvent évoquée dans les textes sur ce type
porte sur les effets à long terme du contact inévitable et permanent des La sécurisation est aussi parmi les principales raisons d’être des copro-
enfants avec les trafiquants, qui peut les amener à utiliser ces drogues, à la milicia, son responsable aurait « de très gros ennuis ».
être enrôlés dans les gangs ou, pour les jeunes filles, à être séduites par les avait lieu à l’intérieur de l’invasao ou même dans le périmètre d’action de
narcotrafiquants. Étant donné la situation et les intérêts de la milicia, la aussi bien que Marcia, syndic du condominio Barra Vela, assurent que si elle
règle établie dans les trois invasoes, qui interdit la circulation et l’utilisation faire respecter. Sa transgression amène des sanctions violentes : Silvio
des drogues illicites, est respectée et valorisée par les habitants. C’est une règle d’intérêt collectif que la grande majorité de la population souhaite
règle d’intérêt collectif que la grande majorité de la population souhaite des drogues illicites, est respectée et valorisée par les habitants. C’est une
faire respecter. Sa transgression amène des sanctions violentes : Silvio règle établie dans les trois invasoes, qui interdit la circulation et l’utilisation
aussi bien que Marcia, syndic du condominio Barra Vela, assurent que si elle narcotrafiquants. Étant donné la situation et les intérêts de la milicia, la
avait lieu à l’intérieur de l’invasao ou même dans le périmètre d’action de être enrôlés dans les gangs ou, pour les jeunes filles, à être séduites par les
la milicia, son responsable aurait « de très gros ennuis ». enfants avec les trafiquants, qui peut les amener à utiliser ces drogues, à
La sécurisation est aussi parmi les principales raisons d’être des copro- porte sur les effets à long terme du contact inévitable et permanent des
priétés fermées ; elle est souvent évoquée dans les textes sur ce type la vie quotidienne : être touché par une « balle perdue ». La deuxième
d’habitat. Les murs sont considérés comme des frontières et comme une population doit faire face à deux craintes majeures. La première concerne
protection contre tout type de violence issue de la ville. La sécurisation cause évidente d’inquiétude des parents à l’égard de leurs enfants. Cette
est aussi une manière de se garder des groupes sociaux jugés indésirables la présence d’armes et de tous types de stupéfiants dans les favelas est une
car associés à la production de cette violence urbaine. Comme dans les vécue au quotidien. Le contact permanent avec les trafiquants de drogue,
copropriétés de la ville formelle, les invasoes protègent leurs habitants pas seulement à une crainte mais fait suite à une violence effectivement
des « indésirables », les narcotrafiquants en l’occurrence. La présence des riches qui cherchent à habiter des copropriétés fermées. Elle ne répond
murs permet un contrôle plus efficace de l’espace en empêchant la fuite de la sécurité prend une autre forme que pour les couches moyennes et
et la circulation incontrôlée. À l’inverse d’une grande partie des favelas de violence vécue dans la favela d’origine. Pour cette population, la question
Rio de Janeiro, qui sont des espaces ouverts à la ville et offrent plusieurs paux arguments des habitants pour expliquer leur déménagement est la
accès, les invasoes sont des milieux d’habitat confinés, dont l’entrée peut Dans les invasoes et plus spécialement dans le Palace, l’un des princi-
être contrôlée par un gardien. des années.
La copropriété de fait est ainsi une alternative pour les habitants de formations qui ont autant touché les favelas que le reste de la ville au fil
la favela qui souhaitent se soustraire à la violence, alternative analogue souhaitent quitter la favela. Cette demande est le reflet de certaines trans-
à ce que sont les copropriétés fermées pour les habitants des couches point de vue, elles répondent à une demande de la part des habitants qui
moyennes et supérieures de Rio de Janeiro. Certes, la présence des murs
et des gardiens sont des éléments qui assurent la protection des habitants,
mais c’est surtout la gestion de la milicia qui garantit la sécurité au sein 199 Maira Machado-Martins
de l’invasoa.
milieux d’habitat – les copropriétés fermées et les favelas –, et au niveau
s’établissent au niveau de l’espace urbain, notamment par la proximité des 200 Logement populaire et transformations socio-urbaines
tensions plus fréquentes qu’elle entraîne (Elias, 1939, 1990) ? Ces contacts
croissante des différentes couches sociales, des contacts plus étroits et des
un processus de circulation de modèles, en raison de l’interdépendance UN RÉVÉLATEUR DES TRANSFORMATIONS URBAINES
urbaine et les nouveaux rapports qu’elle induit peuvent-ils engendrer
clivages entre les groupes sociaux qui la composent. Cette transformation La sécurisation est un élément moteur des processus de transformation
construit de la ville, constitué de formes d’habitat opposées, et renforce les urbaine au niveau mondial. Dans différentes métropoles, la privatisation
Cette dichotomie extrême génère de nouveaux rapports à l’espace et la fermeture d’espaces transforment le modèle urbain ; elles altèrent les
fréquemment le système de sécurité imposé par les copropriétés fermées. valeurs d’ouverture et de liberté de circulation aussi bien que les inter-
un point parfois assez impressionnant. De plus, cette population subit actions anonymes et impersonnelles entre individus et groupes sociaux. Si
son lieu de travail, accentuant ainsi la dichotomie de l’espace urbain à l’intensité de ce phénomène varie d’une ville à l’autre, les signes de cette
travaille pour les groupes les plus riches – cherche à s’installer à côté de transformation sont souvent les mêmes : la construction de clôtures, la
installées les copropriétés fermées, du fait que la population pauvre – qui mise à distance des autres groupes par les couches sociales les plus aisées, la
et à São Paulo, la main-d’œuvre réside dans le quartier même où sont privatisation des espaces publics, l’expansion des technologies de vigilance
tiers populaires voisins. Dans certains cas, par exemple à Rio de Janeiro et de sécurité qui fragmentent de plus en plus l’espace urbain. Tous ces
grand nombre, le personnel de service est souvent recruté dans les quar- éléments contribuent à diviser les groupes sociaux et à changer le carac-
ensembles résidentiels fermés se sont développés à grande vitesse et en tère de la vie publique, à rebours des idéaux modernes de vie urbaine :
priétés fermées de luxe cohabitent avec les favelas. Dans les villes où les l’ouverture, l’hétérogénéité et l’égalité (Caldeira, 2000). À cela s’ajoute la
urbain, résultat des lourdes inégalités socio-économiques : les copro- progression de la « société du risque », fortement inégalitaire, qui pousse
villes du monde, il crée au Brésil une véritable dichotomie dans l’espace les individus à se protéger. Elle est notamment marquée par la montée
Si ce modèle de privatisation s’affirme actuellement dans plusieurs en puissance de l’autonomisation et de l’individualisation, la diminution
plus aisées est décidée par le secteur privé. du contrôle social exercé par les institutions et la vulnérabilité croissante
et où la production des espaces urbains résidentiels pour les couches les des individus, puisque le risque n’est plus couvert de manière collective
en place, où les pouvoirs publics font eux-mêmes le choix du laisser-faire (Beck, 1986, 2001). Une nouvelle forme de fabrication de la ville se met
(Beck, 1986, 2001). Une nouvelle forme de fabrication de la ville se met en place, où les pouvoirs publics font eux-mêmes le choix du laisser-faire
des individus, puisque le risque n’est plus couvert de manière collective et où la production des espaces urbains résidentiels pour les couches les
du contrôle social exercé par les institutions et la vulnérabilité croissante plus aisées est décidée par le secteur privé.
en puissance de l’autonomisation et de l’individualisation, la diminution Si ce modèle de privatisation s’affirme actuellement dans plusieurs
les individus à se protéger. Elle est notamment marquée par la montée villes du monde, il crée au Brésil une véritable dichotomie dans l’espace
progression de la « société du risque », fortement inégalitaire, qui pousse urbain, résultat des lourdes inégalités socio-économiques : les copro-
l’ouverture, l’hétérogénéité et l’égalité (Caldeira, 2000). À cela s’ajoute la priétés fermées de luxe cohabitent avec les favelas. Dans les villes où les
tère de la vie publique, à rebours des idéaux modernes de vie urbaine : ensembles résidentiels fermés se sont développés à grande vitesse et en
éléments contribuent à diviser les groupes sociaux et à changer le carac- grand nombre, le personnel de service est souvent recruté dans les quar-
et de sécurité qui fragmentent de plus en plus l’espace urbain. Tous ces tiers populaires voisins. Dans certains cas, par exemple à Rio de Janeiro
privatisation des espaces publics, l’expansion des technologies de vigilance et à São Paulo, la main-d’œuvre réside dans le quartier même où sont
mise à distance des autres groupes par les couches sociales les plus aisées, la installées les copropriétés fermées, du fait que la population pauvre – qui
transformation sont souvent les mêmes : la construction de clôtures, la travaille pour les groupes les plus riches – cherche à s’installer à côté de
l’intensité de ce phénomène varie d’une ville à l’autre, les signes de cette son lieu de travail, accentuant ainsi la dichotomie de l’espace urbain à
actions anonymes et impersonnelles entre individus et groupes sociaux. Si un point parfois assez impressionnant. De plus, cette population subit
valeurs d’ouverture et de liberté de circulation aussi bien que les inter- fréquemment le système de sécurité imposé par les copropriétés fermées.
et la fermeture d’espaces transforment le modèle urbain ; elles altèrent les Cette dichotomie extrême génère de nouveaux rapports à l’espace
urbaine au niveau mondial. Dans différentes métropoles, la privatisation construit de la ville, constitué de formes d’habitat opposées, et renforce les
La sécurisation est un élément moteur des processus de transformation clivages entre les groupes sociaux qui la composent. Cette transformation
urbaine et les nouveaux rapports qu’elle induit peuvent-ils engendrer
UN RÉVÉLATEUR DES TRANSFORMATIONS URBAINES un processus de circulation de modèles, en raison de l’interdépendance
croissante des différentes couches sociales, des contacts plus étroits et des
tensions plus fréquentes qu’elle entraîne (Elias, 1939, 1990) ? Ces contacts
Logement populaire et transformations socio-urbaines 200 s’établissent au niveau de l’espace urbain, notamment par la proximité des
milieux d’habitat – les copropriétés fermées et les favelas –, et au niveau
Les couches sociales les moins aisées, qui ont toujours subi la domi- nouveau statut à l’habitat populaire, différent de celui des favelas ?
nation des pouvoirs parallèles, recherchent un nouveau milieu d’habitat, Les habitants des copropriétés de fait cherchent-ils à donner un
privé et protégé comme celui des couches aisées de la population. La
favela étant un espace public, lorsque les habitants ne peuvent la privati-
tout accès. (Capron, 2006, p. 260)
excluant les populations marginalisées qui n’y ont effectivement pas du
ser et la sécuriser, ils trouvent la solution dans les terrains abandonnés et ser comme référents sociaux et urbains, aussi pour les classes populaires,
clôturés. La privatisation des espaces de la ville crée un nouveau modèle sociales moyennes, voire moyennes-supérieures, qui tendent à s’impo-
urbain qui se répand et atteint les couches les plus défavorisées en les Ce sont les schémas de consommation et les modes de vie des couches
faisant adhérer à certains dispositifs proches de ceux des couches les plus
aisées. Les institutions étatiques ayant toujours été absentes des milieux Nous rejoignons ici Guénola Capron :
d’habitat populaire, un système de régulation propre s’est développé. noms donnés aux invasoes, comme le Palace et le condominio Barra Vela13.
Dans les favelas de Rio de Janeiro, ce système a d’abord été contrôlé par l’intérieur du Palace tels que la piscine et le terrain de sports, ainsi que les
les gangs de trafiquants de drogue implantés dans ces milieux d’habitat où semble s’affirmer lorsqu’on observe l’implantation des équipements à
ils exerçaient un pouvoir parallèle à l’État, en offrant une protection et en à l’intérieur des copropriétés fermées. Cette circulation des modèles
imposant en contrepartie une autre forme de domination. Actuellement, de l’espace social, à partir des relations générées entre ces groupes sociaux
les milicias prennent progressivement le « relais » des narcotrafiquants ; elles
13. Le premier se réfère au condominio Palace II, démoli en 1998, et le deuxième, au quar- 201 Maira Machado-Martins
tier Barra da Tijuca, qui accueille de nombreuses copropriétés fermées construites pour
les couches sociales les plus aisées.
Les couches sociales les moins aisées, qui ont toujours subi la domi- nouveau statut à l’habitat populaire, différent de celui des favelas ?
nation des pouvoirs parallèles, recherchent un nouveau milieu d’habitat, Les habitants des copropriétés de fait cherchent-ils à donner un
privé et protégé comme celui des couches aisées de la population. La
favela étant un espace public, lorsque les habitants ne peuvent la privati-
tout accès. (Capron, 2006, p. 260)
excluant les populations marginalisées qui n’y ont effectivement pas du
ser et la sécuriser, ils trouvent la solution dans les terrains abandonnés et ser comme référents sociaux et urbains, aussi pour les classes populaires,
clôturés. La privatisation des espaces de la ville crée un nouveau modèle sociales moyennes, voire moyennes-supérieures, qui tendent à s’impo-
urbain qui se répand et atteint les couches les plus défavorisées en les Ce sont les schémas de consommation et les modes de vie des couches
faisant adhérer à certains dispositifs proches de ceux des couches les plus
aisées. Les institutions étatiques ayant toujours été absentes des milieux Nous rejoignons ici Guénola Capron :
d’habitat populaire, un système de régulation propre s’est développé. noms donnés aux invasoes, comme le Palace et le condominio Barra Vela13.
Dans les favelas de Rio de Janeiro, ce système a d’abord été contrôlé par l’intérieur du Palace tels que la piscine et le terrain de sports, ainsi que les
les gangs de trafiquants de drogue implantés dans ces milieux d’habitat où semble s’affirmer lorsqu’on observe l’implantation des équipements à
ils exerçaient un pouvoir parallèle à l’État, en offrant une protection et en à l’intérieur des copropriétés fermées. Cette circulation des modèles
imposant en contrepartie une autre forme de domination. Actuellement, de l’espace social, à partir des relations générées entre ces groupes sociaux
les milicias prennent progressivement le « relais » des narcotrafiquants ; elles
13. Le premier se réfère au condominio Palace II, démoli en 1998, et le deuxième, au quar- 201 Maira Machado-Martins
tier Barra da Tijuca, qui accueille de nombreuses copropriétés fermées construites pour
les couches sociales les plus aisées.
de Janeiro, Editora FGV.
Zaluar Alba (2004), Integraçao perversa : probreza e trafico de droga, Rio 202 Logement populaire et transformations socio-urbaines
de l’homme.
fiques et représentations virtuelles, Paris, Éditions de la Maison des sciences
— (2006), La Favela d’un siècle à l’autre : mythe d’origine, discours scienti- aussi exercent une forme de pouvoir parallèle à l’État, mais qui répond à
Université de Toulouse 2-Le Mirail. des codes et à des normes propres à leur organisation. Les copropriétés de
le cas des résidents des favelas à Rio de Janeiro, thèse de troisième cycle, fait en sont l’illustration : les organisations de pouvoir parallèle se déve-
Valladares Licia do Prado (1974), Opération de relogement et réponse sociale : loppent en accompagnant et en s’adaptant aux transformations urbaines.
das Letras.
segurança publica do Estado do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, Companhia Bibliographie
Soares Luiz Eduardo (2000), Meu casaco de general : 500 dias no front da
de Janeiro, Rio de Janeiro, Paz e Terra. Beck Ulrich (1986, 2001), La Société du risque : sur la voie d’une autre mo-
Perlman Janice (1977), O mito da marginalidade : favelas e politica no Rio dernité, Laure Bernardi (trad.), Paris, Aubier.
« Caderno do CENPHA ». Caldeira Teresa Pires do Rio (2000), Cidade de muros : crime, segregaçao e
de Janeiro, Pontificia Universidade Católica do Rio de Janeiro, cidadania em São Paulo, Frank de Oliveira & Henrique Monteiro (trad.),
Parisse Luciano (1969), Favelas do Rio de Janeiro : evoluçao, sentido, Rio São Paulo, Editora da Universidade de São Paulo / Editora 34.
rotina nas favelas do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, Nova Fronteira. Capron Guénola (dir.) (2006), Quand la ville se ferme : quartiers résidentiels
Machado da Silva Luiz Antonio (dir.) (2008), Vida sob cerco : violência e sécurisés, Rosny-sous-Bois, Éditions Bréal.
structure de confiance, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube. Certeau Michel de (1980), L’Invention du quotidien, 1. Arts de faire, Paris,
Lefeuvre Marie-Pierre (1999), La Copropriété en difficulté : faillite d’une Union générale d’éditions.
FGV, p. 233-276. Certeau Michel de, Giard Luce & Mayol Pierre (1980), L’Invention du
de favela, Alba Zaluar & Marcos Alvito (dir.), Rio de Janeiro, Editora quotidien, 2. Habiter, cuisiner, Paris, Union générale d’éditions.
brasileira : ameaças à democratizaçao em nivel local », dans Um século Elias Norbert (1939, 1990), La Dynamique de l’Occident, Pierre Kamnitzer
Leeds Elizabeth (1998), « Cocaina e poderes paralelos na periferia urbana (trad.), Paris, Presses Pocket.
racter of Squatter Settlements”, América Latina, vol. 12, no 3, p. 44-86. Leeds Anthony (1969), “The Significant Variables Determining the Cha-
Leeds Anthony (1969), “The Significant Variables Determining the Cha- racter of Squatter Settlements”, América Latina, vol. 12, no 3, p. 44-86.
(trad.), Paris, Presses Pocket. Leeds Elizabeth (1998), « Cocaina e poderes paralelos na periferia urbana
Elias Norbert (1939, 1990), La Dynamique de l’Occident, Pierre Kamnitzer brasileira : ameaças à democratizaçao em nivel local », dans Um século
quotidien, 2. Habiter, cuisiner, Paris, Union générale d’éditions. de favela, Alba Zaluar & Marcos Alvito (dir.), Rio de Janeiro, Editora
Certeau Michel de, Giard Luce & Mayol Pierre (1980), L’Invention du FGV, p. 233-276.
Union générale d’éditions. Lefeuvre Marie-Pierre (1999), La Copropriété en difficulté : faillite d’une
Certeau Michel de (1980), L’Invention du quotidien, 1. Arts de faire, Paris, structure de confiance, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube.
sécurisés, Rosny-sous-Bois, Éditions Bréal. Machado da Silva Luiz Antonio (dir.) (2008), Vida sob cerco : violência e
Capron Guénola (dir.) (2006), Quand la ville se ferme : quartiers résidentiels rotina nas favelas do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, Nova Fronteira.
São Paulo, Editora da Universidade de São Paulo / Editora 34. Parisse Luciano (1969), Favelas do Rio de Janeiro : evoluçao, sentido, Rio
cidadania em São Paulo, Frank de Oliveira & Henrique Monteiro (trad.), de Janeiro, Pontificia Universidade Católica do Rio de Janeiro,
Caldeira Teresa Pires do Rio (2000), Cidade de muros : crime, segregaçao e « Caderno do CENPHA ».
dernité, Laure Bernardi (trad.), Paris, Aubier. Perlman Janice (1977), O mito da marginalidade : favelas e politica no Rio
Beck Ulrich (1986, 2001), La Société du risque : sur la voie d’une autre mo- de Janeiro, Rio de Janeiro, Paz e Terra.
Soares Luiz Eduardo (2000), Meu casaco de general : 500 dias no front da
Bibliographie segurança publica do Estado do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, Companhia
das Letras.
loppent en accompagnant et en s’adaptant aux transformations urbaines. Valladares Licia do Prado (1974), Opération de relogement et réponse sociale :
fait en sont l’illustration : les organisations de pouvoir parallèle se déve- le cas des résidents des favelas à Rio de Janeiro, thèse de troisième cycle,
des codes et à des normes propres à leur organisation. Les copropriétés de Université de Toulouse 2-Le Mirail.
aussi exercent une forme de pouvoir parallèle à l’État, mais qui répond à — (2006), La Favela d’un siècle à l’autre : mythe d’origine, discours scienti-
fiques et représentations virtuelles, Paris, Éditions de la Maison des sciences
de l’homme.
Logement populaire et transformations socio-urbaines 202 Zaluar Alba (2004), Integraçao perversa : probreza e trafico de droga, Rio
de Janeiro, Editora FGV.
des différents acteurs ayant affaire au monde social des copropriétés fermées à Buenos Aires.
4. Dans le cadre de ma thèse, j’ai mené une enquête de terrain entre 2005 et 2010 auprès
dans la revue Punto de Vista (certains sont repris dans Gorelik, 2004).
& Valentini (2005), Tella (2007) et des articles d’Adrián Gorelik sur les torres country parus
3. À propos de Buenos Aires, voir notamment les analyses de Ciccolella (1999), Guerra
2. Voir notamment Davis (1990, 2000), Blakely & Snyder (1997, 1999) et Caldeira (2000).
Sassen (1991, 1996) et de Manuel Castells (voir notamment Mollenkopf & Castells, 1992).
1. Les formulations les plus discutées de cette thèse ont certainement été celles de Saskia
généité sociale demeure (notamment dans les trajectoires résidentielles). À propos des
sociale par le prix de vente des appartements n’empêche pas qu’une certaine hétéro-
6. À la différence de ce que souligne Alain Morel (2004), l’existence d’une sélection 204 Gestion et classement résidentiel à Buenos Aires
quage des frontières sociales et symboliques entre différentes catégories de copropriétés.
gated communities, voir notamment Glasze et al. (2006). Ce qui nous intéresse, c’est le mar-
(2004) et Lefeuvre (2006) ; à propos du débat sur la « privatisation » de l’espace dans les
tend à s’imposer sous le nom de torres ou de complejos, mais elle recouvre
différents objets et son usage est sujet à variation. L’analyse des conflits
et espace privé, comme l’ont fait d’autres études. Voir notamment Haumont & Morel
5. Il ne s’agit pas ici de s’interroger sur le marquage des frontières entre espace public
de catégorisation – à partir notamment de l’attention portée aux mots
nécessairement les mêmes attentes à l’égard de leur immeuble6 ; d’autre utilisés, dans l’esprit d’un projet de recherche sur les « mots de la ville »
sistance : d’une part, à l’intérieur, la résistance des habitants qui n’ont pas (Topalov et al., 2010) – m’a servi à reconstituer les différents enjeux et
Or cette revendication fait quotidiennement face à deux fronts de ré- espaces dans lesquels intervient la production négociée des frontières ré-
gieux. sidentielles autour de ces immeubles dits fermés.
commune avec les nouveaux immeubles bâtis dans des quartiers presti- Il s’agira ici de montrer que l’un des espaces où sont en jeu la caté-
quartier peu renommé où ils vivent, en revendiquant une appartenance gorisation et donc le marquage des frontières autour de ces nouveaux
un enjeu d’importance5 : c’est pour eux un moyen de se distinguer du immeubles dits fermés est celui de la gestion de copropriétés. Nous mon-
autres immeubles (des edificios comunes, des immeubles du commun), est trerons tout d’abord que cette gestion est un enjeu important pour les
complejo, en tant que marquage d’une frontière sociale par rapport aux habitants qui prétendent faire de leur immeuble une torre ou un complejo,
renom. Pour eux, la catégorisation de leur immeuble comme torre ou c’est-à-dire une copropriété fermée en tant qu’espace d’exception. Puis
nouveaux immeubles dits fermés situés dans des quartiers de moindre nous nous interrogerons sur l’articulation entre le marquage des fron-
privilégient sa localisation, c’est tout le contraire pour les habitants des tières autour des copropriétés fermées et la structure du marché de la
relativement peu d’importance à la particularité de leur immeuble et gestion de copropriétés.
issus de la promotion privée et situés dans les beaux quartiers accordent
catégorie : alors que les habitants des nouveaux immeubles « fermés » LA GESTION DE COPROPRIÉTÉS COMME ENJEU DE CLASSEMENT RÉSIDENTIEL
la classification de ces nouveaux immeubles au sein d’une seule et même
de leurs localisations. Il existe pour cette raison un rapport différencié à Toutes les copropriétés fermées à Buenos Aires – c’est-à-dire les torres
une certaine hétérogénéité sociale entre elles, qui renvoie à la hiérarchie ou complejos – ne sont pas équivalentes. Mon enquête met en évidence
ou complejos – ne sont pas équivalentes. Mon enquête met en évidence une certaine hétérogénéité sociale entre elles, qui renvoie à la hiérarchie
Toutes les copropriétés fermées à Buenos Aires – c’est-à-dire les torres de leurs localisations. Il existe pour cette raison un rapport différencié à
la classification de ces nouveaux immeubles au sein d’une seule et même
LA GESTION DE COPROPRIÉTÉS COMME ENJEU DE CLASSEMENT RÉSIDENTIEL catégorie : alors que les habitants des nouveaux immeubles « fermés »
issus de la promotion privée et situés dans les beaux quartiers accordent
gestion de copropriétés. relativement peu d’importance à la particularité de leur immeuble et
tières autour des copropriétés fermées et la structure du marché de la privilégient sa localisation, c’est tout le contraire pour les habitants des
nous nous interrogerons sur l’articulation entre le marquage des fron- nouveaux immeubles dits fermés situés dans des quartiers de moindre
c’est-à-dire une copropriété fermée en tant qu’espace d’exception. Puis renom. Pour eux, la catégorisation de leur immeuble comme torre ou
habitants qui prétendent faire de leur immeuble une torre ou un complejo, complejo, en tant que marquage d’une frontière sociale par rapport aux
trerons tout d’abord que cette gestion est un enjeu important pour les autres immeubles (des edificios comunes, des immeubles du commun), est
immeubles dits fermés est celui de la gestion de copropriétés. Nous mon- un enjeu d’importance5 : c’est pour eux un moyen de se distinguer du
gorisation et donc le marquage des frontières autour de ces nouveaux quartier peu renommé où ils vivent, en revendiquant une appartenance
Il s’agira ici de montrer que l’un des espaces où sont en jeu la caté- commune avec les nouveaux immeubles bâtis dans des quartiers presti-
sidentielles autour de ces immeubles dits fermés. gieux.
espaces dans lesquels intervient la production négociée des frontières ré- Or cette revendication fait quotidiennement face à deux fronts de ré-
(Topalov et al., 2010) – m’a servi à reconstituer les différents enjeux et sistance : d’une part, à l’intérieur, la résistance des habitants qui n’ont pas
utilisés, dans l’esprit d’un projet de recherche sur les « mots de la ville » nécessairement les mêmes attentes à l’égard de leur immeuble6 ; d’autre
de catégorisation – à partir notamment de l’attention portée aux mots
différents objets et son usage est sujet à variation. L’analyse des conflits 5. Il ne s’agit pas ici de s’interroger sur le marquage des frontières entre espace public
et espace privé, comme l’ont fait d’autres études. Voir notamment Haumont & Morel
(2004) et Lefeuvre (2006) ; à propos du débat sur la « privatisation » de l’espace dans les
tend à s’imposer sous le nom de torres ou de complejos, mais elle recouvre
gated communities, voir notamment Glasze et al. (2006). Ce qui nous intéresse, c’est le mar-
quage des frontières sociales et symboliques entre différentes catégories de copropriétés.
Gestion et classement résidentiel à Buenos Aires 204 6. À la différence de ce que souligne Alain Morel (2004), l’existence d’une sélection
sociale par le prix de vente des appartements n’empêche pas qu’une certaine hétéro-
généité sociale demeure (notamment dans les trajectoires résidentielles). À propos des
modifiés afin de garantir l’anonymat des enquêtés.
9. Les noms des personnes, des immeubles et des gestionnaires de copropriétés ont été
Eleonora Elguezabal 205 d’enclaves dans lesquels sont engagés les habitants (p. 14).
propose la notion d’« enclavement » pour faire référence aux processus de production
gentrification comme le « travail » de certains acteurs, et celles de Capron (2006), qui
part, la résistance de ceux à qui le travail de gestion et de maintenance à notre compte les réflexions de Bidou-Zachariasen & Poltorak (2008), qui abordent la
est délégué, qui doivent le réaliser en accord avec les attentes des copro-
8. Dans la formulation de cette notion de « travail d’enclavement », nous avons repris
le fait que tous ne vont pas y aller, parce que s’ils y vont tous ensemble,
ne rentrent même pas debout ! Tu vois ? [Rire.] Alors je dois parier sur savoirs, ni les ressources nécessaires pour gérer la copropriété comme le
si je mets tous les copropriétaires dans la piscine de Jardín de Núñez, ils faisaient les gestionnaires précédents et comme le voudraient ceux qui
n’est pas une piscine pour tous les copropriétaires. Pourquoi ? Parce que prétendent assimiler leur immeuble aux torres et complejos les plus renom-
attentes que tu avais quand tu es arrivé. Pourquoi ? Parce que la piscine més des beaux quartiers. « C’est en train de devenir Lugano 1 y 210 ! »
ront faire tout ce qu’ils promettaient et qu’ils pourront répondre aux craint alors Roberto, l’un des membres du conseil syndical, qui se plaint
d’Eduardo Mazzini parce que, selon lui, « il ne fout rien » et n’a pas ré-
l’achète. » Qu’est-ce qui va se passer ? Ça va dépendre, selon qu’ils pour-
solu de nombreux problèmes affectant le prestige de la copropriété : des
— C’est super ! Ça coûte combien ? — 180 000 $. — D’accord, on
jardin, chaises longues. Tu as même un petit barbecue sur ton balcon.
climatisée, solarium, salle de gym. » Tout ! « Parking, sécurité 24 h / 24, lampes cassées, les parasols du jardin qui n’ont pas été installés, une fuite
brille, parce qu’il est neuf, et ils te disent : « On t’offre une piscine, piscine d’eau dans le parking, des habitants qui installent des stores de n’importe
vas t’installer avec ton mari et ils te montrent un immeuble neuf où tout quelle couleur... Alors qu’ils voudraient déléguer plus de responsabilités
en penses ? », eh ben, moi, je n’y achèterais pas. [Rire.] Alors, imagine, tu à Mazzini pour consacrer tout leur temps à profiter du confort, des loisirs
l’immeuble. Et alors si tu me poses la question : « Et toi, qu’est-ce que tu et des services que l’immeuble devrait leur offrir en tant que complejo, les
dans lesquels on offre des services soi-disant pour qu’on ne sorte plus de habitants qui entendent en faire une copropriété fermée doivent s’enga-
meubles qu’on est en train de construire en ce moment à Buenos Aires, ger personnellement dans sa gestion pour pallier les lacunes du gestion-
[Jardín de Núñez] est l’un des immeubles modernes. Ce sont les im- naire et faire pression sur lui de sorte qu’il travaille le plus possible en
accord avec leurs attentes. En effet, il existe un grand décalage entre les
trouve illégitime, au point même de se moquer de leurs prétentions : prétentions des habitants et la manière dont Mazzini considère leur co-
que demandent en revanche les habitants de Jardín de Núñez, mais qu’il propriété et dont il doit s’en occuper.
de Núñez est son seul complejo et il ne veut pas faire de différence – ce Eduardo Mazzini est comptable et travaille à l’échelle de son quartier.
torres ou des complejos mais des bâtiments plus anciens du quartier : Jardín La gestion de copropriétés n’est pas sa seule activité : il administre aussi
tions comptables diverses. Les immeubles qu’il administre ne sont pas des des propriétés (loyers, paiement des charges, etc.) et assure des consulta-
des propriétés (loyers, paiement des charges, etc.) et assure des consulta- tions comptables diverses. Les immeubles qu’il administre ne sont pas des
La gestion de copropriétés n’est pas sa seule activité : il administre aussi torres ou des complejos mais des bâtiments plus anciens du quartier : Jardín
Eduardo Mazzini est comptable et travaille à l’échelle de son quartier. de Núñez est son seul complejo et il ne veut pas faire de différence – ce
propriété et dont il doit s’en occuper. que demandent en revanche les habitants de Jardín de Núñez, mais qu’il
prétentions des habitants et la manière dont Mazzini considère leur co- trouve illégitime, au point même de se moquer de leurs prétentions :
accord avec leurs attentes. En effet, il existe un grand décalage entre les
naire et faire pression sur lui de sorte qu’il travaille le plus possible en [Jardín de Núñez] est l’un des immeubles modernes. Ce sont les im-
ger personnellement dans sa gestion pour pallier les lacunes du gestion- meubles qu’on est en train de construire en ce moment à Buenos Aires,
habitants qui entendent en faire une copropriété fermée doivent s’enga- dans lesquels on offre des services soi-disant pour qu’on ne sorte plus de
et des services que l’immeuble devrait leur offrir en tant que complejo, les l’immeuble. Et alors si tu me poses la question : « Et toi, qu’est-ce que tu
à Mazzini pour consacrer tout leur temps à profiter du confort, des loisirs en penses ? », eh ben, moi, je n’y achèterais pas. [Rire.] Alors, imagine, tu
quelle couleur... Alors qu’ils voudraient déléguer plus de responsabilités vas t’installer avec ton mari et ils te montrent un immeuble neuf où tout
d’eau dans le parking, des habitants qui installent des stores de n’importe brille, parce qu’il est neuf, et ils te disent : « On t’offre une piscine, piscine
lampes cassées, les parasols du jardin qui n’ont pas été installés, une fuite climatisée, solarium, salle de gym. » Tout ! « Parking, sécurité 24 h / 24,
solu de nombreux problèmes affectant le prestige de la copropriété : des jardin, chaises longues. Tu as même un petit barbecue sur ton balcon.
— C’est super ! Ça coûte combien ? — 180 000 $. — D’accord, on
l’achète. » Qu’est-ce qui va se passer ? Ça va dépendre, selon qu’ils pour-
d’Eduardo Mazzini parce que, selon lui, « il ne fout rien » et n’a pas ré-
craint alors Roberto, l’un des membres du conseil syndical, qui se plaint ront faire tout ce qu’ils promettaient et qu’ils pourront répondre aux
més des beaux quartiers. « C’est en train de devenir Lugano 1 y 210 ! » attentes que tu avais quand tu es arrivé. Pourquoi ? Parce que la piscine
prétendent assimiler leur immeuble aux torres et complejos les plus renom- n’est pas une piscine pour tous les copropriétaires. Pourquoi ? Parce que
faisaient les gestionnaires précédents et comme le voudraient ceux qui si je mets tous les copropriétaires dans la piscine de Jardín de Núñez, ils
savoirs, ni les ressources nécessaires pour gérer la copropriété comme le ne rentrent même pas debout ! Tu vois ? [Rire.] Alors je dois parier sur
le fait que tous ne vont pas y aller, parce que s’ils y vont tous ensemble,
Gestion et classement résidentiel à Buenos Aires 206 10. Grand ensemble de logement social construit en 1969 dans le quartier de Lugano, au
sud de Buenos Aires. Il compte aujourd’hui 13 200 appartements pour environ 21 500 ha-
bitants.
bitants.
sud de Buenos Aires. Il compte aujourd’hui 13 200 appartements pour environ 21 500 ha-
10. Grand ensemble de logement social construit en 1969 dans le quartier de Lugano, au 206 Gestion et classement résidentiel à Buenos Aires
le fait que tous ne vont pas y aller, parce que s’ils y vont tous ensemble,
ne rentrent même pas debout ! Tu vois ? [Rire.] Alors je dois parier sur savoirs, ni les ressources nécessaires pour gérer la copropriété comme le
si je mets tous les copropriétaires dans la piscine de Jardín de Núñez, ils faisaient les gestionnaires précédents et comme le voudraient ceux qui
n’est pas une piscine pour tous les copropriétaires. Pourquoi ? Parce que prétendent assimiler leur immeuble aux torres et complejos les plus renom-
attentes que tu avais quand tu es arrivé. Pourquoi ? Parce que la piscine més des beaux quartiers. « C’est en train de devenir Lugano 1 y 210 ! »
ront faire tout ce qu’ils promettaient et qu’ils pourront répondre aux craint alors Roberto, l’un des membres du conseil syndical, qui se plaint
d’Eduardo Mazzini parce que, selon lui, « il ne fout rien » et n’a pas ré-
l’achète. » Qu’est-ce qui va se passer ? Ça va dépendre, selon qu’ils pour-
solu de nombreux problèmes affectant le prestige de la copropriété : des
— C’est super ! Ça coûte combien ? — 180 000 $. — D’accord, on
jardin, chaises longues. Tu as même un petit barbecue sur ton balcon.
climatisée, solarium, salle de gym. » Tout ! « Parking, sécurité 24 h / 24, lampes cassées, les parasols du jardin qui n’ont pas été installés, une fuite
brille, parce qu’il est neuf, et ils te disent : « On t’offre une piscine, piscine d’eau dans le parking, des habitants qui installent des stores de n’importe
vas t’installer avec ton mari et ils te montrent un immeuble neuf où tout quelle couleur... Alors qu’ils voudraient déléguer plus de responsabilités
en penses ? », eh ben, moi, je n’y achèterais pas. [Rire.] Alors, imagine, tu à Mazzini pour consacrer tout leur temps à profiter du confort, des loisirs
l’immeuble. Et alors si tu me poses la question : « Et toi, qu’est-ce que tu et des services que l’immeuble devrait leur offrir en tant que complejo, les
dans lesquels on offre des services soi-disant pour qu’on ne sorte plus de habitants qui entendent en faire une copropriété fermée doivent s’enga-
meubles qu’on est en train de construire en ce moment à Buenos Aires, ger personnellement dans sa gestion pour pallier les lacunes du gestion-
[Jardín de Núñez] est l’un des immeubles modernes. Ce sont les im- naire et faire pression sur lui de sorte qu’il travaille le plus possible en
accord avec leurs attentes. En effet, il existe un grand décalage entre les
trouve illégitime, au point même de se moquer de leurs prétentions : prétentions des habitants et la manière dont Mazzini considère leur co-
que demandent en revanche les habitants de Jardín de Núñez, mais qu’il propriété et dont il doit s’en occuper.
de Núñez est son seul complejo et il ne veut pas faire de différence – ce Eduardo Mazzini est comptable et travaille à l’échelle de son quartier.
torres ou des complejos mais des bâtiments plus anciens du quartier : Jardín La gestion de copropriétés n’est pas sa seule activité : il administre aussi
tions comptables diverses. Les immeubles qu’il administre ne sont pas des des propriétés (loyers, paiement des charges, etc.) et assure des consulta-
des propriétés (loyers, paiement des charges, etc.) et assure des consulta- tions comptables diverses. Les immeubles qu’il administre ne sont pas des
La gestion de copropriétés n’est pas sa seule activité : il administre aussi torres ou des complejos mais des bâtiments plus anciens du quartier : Jardín
Eduardo Mazzini est comptable et travaille à l’échelle de son quartier. de Núñez est son seul complejo et il ne veut pas faire de différence – ce
propriété et dont il doit s’en occuper. que demandent en revanche les habitants de Jardín de Núñez, mais qu’il
prétentions des habitants et la manière dont Mazzini considère leur co- trouve illégitime, au point même de se moquer de leurs prétentions :
accord avec leurs attentes. En effet, il existe un grand décalage entre les
naire et faire pression sur lui de sorte qu’il travaille le plus possible en [Jardín de Núñez] est l’un des immeubles modernes. Ce sont les im-
ger personnellement dans sa gestion pour pallier les lacunes du gestion- meubles qu’on est en train de construire en ce moment à Buenos Aires,
habitants qui entendent en faire une copropriété fermée doivent s’enga- dans lesquels on offre des services soi-disant pour qu’on ne sorte plus de
et des services que l’immeuble devrait leur offrir en tant que complejo, les l’immeuble. Et alors si tu me poses la question : « Et toi, qu’est-ce que tu
à Mazzini pour consacrer tout leur temps à profiter du confort, des loisirs en penses ? », eh ben, moi, je n’y achèterais pas. [Rire.] Alors, imagine, tu
quelle couleur... Alors qu’ils voudraient déléguer plus de responsabilités vas t’installer avec ton mari et ils te montrent un immeuble neuf où tout
d’eau dans le parking, des habitants qui installent des stores de n’importe brille, parce qu’il est neuf, et ils te disent : « On t’offre une piscine, piscine
lampes cassées, les parasols du jardin qui n’ont pas été installés, une fuite climatisée, solarium, salle de gym. » Tout ! « Parking, sécurité 24 h / 24,
solu de nombreux problèmes affectant le prestige de la copropriété : des jardin, chaises longues. Tu as même un petit barbecue sur ton balcon.
— C’est super ! Ça coûte combien ? — 180 000 $. — D’accord, on
l’achète. » Qu’est-ce qui va se passer ? Ça va dépendre, selon qu’ils pour-
d’Eduardo Mazzini parce que, selon lui, « il ne fout rien » et n’a pas ré-
craint alors Roberto, l’un des membres du conseil syndical, qui se plaint ront faire tout ce qu’ils promettaient et qu’ils pourront répondre aux
més des beaux quartiers. « C’est en train de devenir Lugano 1 y 210 ! » attentes que tu avais quand tu es arrivé. Pourquoi ? Parce que la piscine
prétendent assimiler leur immeuble aux torres et complejos les plus renom- n’est pas une piscine pour tous les copropriétaires. Pourquoi ? Parce que
faisaient les gestionnaires précédents et comme le voudraient ceux qui si je mets tous les copropriétaires dans la piscine de Jardín de Núñez, ils
savoirs, ni les ressources nécessaires pour gérer la copropriété comme le ne rentrent même pas debout ! Tu vois ? [Rire.] Alors je dois parier sur
le fait que tous ne vont pas y aller, parce que s’ils y vont tous ensemble,
Gestion et classement résidentiel à Buenos Aires 206 10. Grand ensemble de logement social construit en 1969 dans le quartier de Lugano, au
sud de Buenos Aires. Il compte aujourd’hui 13 200 appartements pour environ 21 500 ha-
bitants.
joue notamment en Espagne et en Amérique latine.
plus petits, moins d’entretien (les courts sont en ciment) et les raquettes sont en bois. Il se
Eleonora Elguezabal 207 11. Le paddle est un jeu similaire au tennis mais moins prestigieux. Il demande des terrains
des données est assez chaotique ; il a fallu retranscrire manuellement toutes les données
14. La consultation en a été très laborieuse. Bien qu’il soit informatisé, l’enregistrement
210 Gestion et classement résidentiel à Buenos Aires
grâce aux données du Registre public des gestionnaires de copropriétés14.
tés par actions établies dans le secteur. J’ai pu confirmer cette corrélation
administrées par des gestionnaires semblables, en l’occurrence des socié- de l’immeuble, la mise en fonctionnement des services, le maintien de
copropriétés fermées dans lesquelles j’enquêtais étaient ou avaient été l’ordre et l’encadrement des employés : toutes ces tâches contribuent au
les torres de renom, lorsque je me suis aperçue qu’une bonne partie des « style » de la copropriété et, pour cette raison, la délégation du travail de
nité entre un segment particulier des gestionnaires de copropriétés et gestion se présente comme un élément problématique dans la réalisation
C’est d’abord de manière ethnographique que j’ai découvert une affi- des désirs et des attentes des habitants à l’égard de leur logement. Autre-
échapperaient les copropriétés étudiées plus haut ? ment dit, le marquage symbolique de l’immeuble, son « étiquetage », est
un type particulier de gestionnaire propre aux torres et complejos, auquel en jeu dans ces négociations sur la délégation du travail de gestion et de
que torres ou complejos, que nous voudrions maintenant revenir. Existe-t-il mise en fonctionnement des services.
de la gestion de copropriétés et la catégorisation des immeubles en tant Cette délégation est d’autant plus cruciale que les habitants accordent
sur ce second point, qui tient à la question du rapport entre le marché beaucoup d’importance au statut de l’immeuble, notamment lorsque
naire à même de traiter la copropriété comme un lieu d’exception. C’est celui-ci n’est pas situé dans un quartier prestigieux. Cependant, faute de
la localisation dans de beaux quartiers et le fait de disposer d’un gestion- moyens économiques pour payer un gestionnaire à même de traiter leur
conditions généralement partagées par les torres et complejos de renom : copropriété comme un véritable complejo d’exception, ces copropriétés
copropriétés fermées qui apparaissent en décalage par rapport à deux fermées de second rang, situées dans des quartiers moyens, embauchent
Nous avons repéré l’existence d’un travail d’enclavement dans des des gestionnaires qui abordent leur travail dans ces copropriétés de la
même manière que dans les autres immeubles dont ils s’occupent et dont
LES TORRES DANS L’ESPACE DE LA GESTION DE COPROPRIÉTÉS les habitants des complejos tentent précisément de se distinguer. Pour rat-
traper ce décalage, des habitants engagés dans le marquage des frontières
l’effort que les habitants doivent fournir pour les atteindre. autour de leur immeuble s’investissent personnellement dans la gestion
résidentiel se joue non seulement sur les qualités du lieu, mais aussi sur de leur copropriété. Ce « travail d’enclavement » s’assimile à une forme
sation qui existe parmi les torres et complejos : le classement d’un espace d’auto-exploitation, de « sale boulot » dissimulé, et révèle la hiérarchi-
d’auto-exploitation, de « sale boulot » dissimulé, et révèle la hiérarchi- sation qui existe parmi les torres et complejos : le classement d’un espace
de leur copropriété. Ce « travail d’enclavement » s’assimile à une forme résidentiel se joue non seulement sur les qualités du lieu, mais aussi sur
autour de leur immeuble s’investissent personnellement dans la gestion l’effort que les habitants doivent fournir pour les atteindre.
traper ce décalage, des habitants engagés dans le marquage des frontières
les habitants des complejos tentent précisément de se distinguer. Pour rat- LES TORRES DANS L’ESPACE DE LA GESTION DE COPROPRIÉTÉS
même manière que dans les autres immeubles dont ils s’occupent et dont
des gestionnaires qui abordent leur travail dans ces copropriétés de la Nous avons repéré l’existence d’un travail d’enclavement dans des
fermées de second rang, situées dans des quartiers moyens, embauchent copropriétés fermées qui apparaissent en décalage par rapport à deux
copropriété comme un véritable complejo d’exception, ces copropriétés conditions généralement partagées par les torres et complejos de renom :
moyens économiques pour payer un gestionnaire à même de traiter leur la localisation dans de beaux quartiers et le fait de disposer d’un gestion-
celui-ci n’est pas situé dans un quartier prestigieux. Cependant, faute de naire à même de traiter la copropriété comme un lieu d’exception. C’est
beaucoup d’importance au statut de l’immeuble, notamment lorsque sur ce second point, qui tient à la question du rapport entre le marché
Cette délégation est d’autant plus cruciale que les habitants accordent de la gestion de copropriétés et la catégorisation des immeubles en tant
mise en fonctionnement des services. que torres ou complejos, que nous voudrions maintenant revenir. Existe-t-il
en jeu dans ces négociations sur la délégation du travail de gestion et de un type particulier de gestionnaire propre aux torres et complejos, auquel
ment dit, le marquage symbolique de l’immeuble, son « étiquetage », est échapperaient les copropriétés étudiées plus haut ?
des désirs et des attentes des habitants à l’égard de leur logement. Autre- C’est d’abord de manière ethnographique que j’ai découvert une affi-
gestion se présente comme un élément problématique dans la réalisation nité entre un segment particulier des gestionnaires de copropriétés et
« style » de la copropriété et, pour cette raison, la délégation du travail de les torres de renom, lorsque je me suis aperçue qu’une bonne partie des
l’ordre et l’encadrement des employés : toutes ces tâches contribuent au copropriétés fermées dans lesquelles j’enquêtais étaient ou avaient été
de l’immeuble, la mise en fonctionnement des services, le maintien de administrées par des gestionnaires semblables, en l’occurrence des socié-
tés par actions établies dans le secteur. J’ai pu confirmer cette corrélation
grâce aux données du Registre public des gestionnaires de copropriétés14.
Gestion et classement résidentiel à Buenos Aires 210
14. La consultation en a été très laborieuse. Bien qu’il soit informatisé, l’enregistrement
des données est assez chaotique ; il a fallu retranscrire manuellement toutes les données
dans leur bureau.
de m’avoir permis de consulter leurs fichiers et de m’avoir chaleureusement accueillie
Eleonora Elguezabal 211 puis les mettre en ordre. Je remercie les responsables et les employés du Registre public
ficios en torre. Une liste des copropriétés dont elle a la charge témoigne sur
En effet, dans les torres et complejos, notamment les plus fameux, on trouve standard téléphonique, elle se présente comme une administration d’edi-
très souvent les mêmes gestionnaires de copropriétés : un petit noyau de des torres les propriétés qu’elle administre : sur son site et à l’accueil de son
sociétés par actions (des sociedades anónimas, SA) situées au centre-ville, Pour s’identifier comme entreprise, AB Gestión SA catégorise comme
relativement anciennes (une vingtaine d’années d’existence au moins), de la gestion de copropriétés.
renommées dans le secteur, qui ont une organisation complexe (avec manière de se maintenir dans une position dominante au sein de l’espace
une division du travail par départements) et disposent de sites Internet. manière peu formalisée et peu institutionnalisée. C’est pour elles une
Certaines sont spécialisées dans l’administration de copropriétés, mais de la masse des gestionnaires de copropriétés qui exercent l’activité de
d’autres assurent également, quoique de manière complémentaire, des immeubles qu’elles administrent, elles cherchent toutes à se distinguer
tâches relatives à l’administration de propriétés (maintenance, gestion des Mais en s’appropriant la catégorie de torre ou complejo pour caractériser les
loyers, etc.), à l’intermédiation immobilière, à la division domaniale ou à étaient spécialisées dans les immeubles résidentiels de très haut standing.
la promotion immobilière. à l’origine des sociétés de gestion d’immeubles de bureaux ; les autres
D’après les données statistiques que j’ai pu tirer de ce registre, il s’agit Les trajectoires de ces quelques sociétés sont diverses : les unes étaient
d’un segment restreint et très particulier du marché de la gestion de co- administrées par des sociétés (en particulier par des sociétés par actions).
propriétés. Le registre révèle que dans la ville de Buenos Aires, l’activité issus des vastes opérations immobilières récentes –, sont quant à elles
de gestion de copropriétés est aujourd’hui dominée par des particuliers posant de nombreux services – ce qui est caractéristique des immeubles
(95 % des inscrits) qui l’exercent de manière peu stable et peu formalisée, pourvu qu’elles ne soient pas très grandes. Les grandes copropriétés pro-
les sociétés correspondant ainsi à moins de 5 % ; par ailleurs, le turnover est alors que les particuliers peuvent administrer tous types de copropriétés,
très important (plus de 50 % des inscrits n’exercent plus cette activité) et posent d’une gestion de copropriété prise en charge par de telles sociétés,
la majorité des particuliers travaillent à leur domicile personnel. La plus au marché de la gestion : ce sont surtout celles des beaux quartiers qui dis-
grande partie des copropriétés (80 %) est administrée par des particuliers, le font à titre gratuit. Mais toutes les copropriétés n’ont pas le même accès
de cette manière peu institutionnalisée et peu formalisée (70 % par des particuliers qui le font à titre onéreux et 10 % par des copropriétaires qui
particuliers qui le font à titre onéreux et 10 % par des copropriétaires qui de cette manière peu institutionnalisée et peu formalisée (70 % par des
le font à titre gratuit. Mais toutes les copropriétés n’ont pas le même accès grande partie des copropriétés (80 %) est administrée par des particuliers,
au marché de la gestion : ce sont surtout celles des beaux quartiers qui dis- la majorité des particuliers travaillent à leur domicile personnel. La plus
posent d’une gestion de copropriété prise en charge par de telles sociétés, très important (plus de 50 % des inscrits n’exercent plus cette activité) et
alors que les particuliers peuvent administrer tous types de copropriétés, les sociétés correspondant ainsi à moins de 5 % ; par ailleurs, le turnover est
pourvu qu’elles ne soient pas très grandes. Les grandes copropriétés pro- (95 % des inscrits) qui l’exercent de manière peu stable et peu formalisée,
posant de nombreux services – ce qui est caractéristique des immeubles de gestion de copropriétés est aujourd’hui dominée par des particuliers
issus des vastes opérations immobilières récentes –, sont quant à elles propriétés. Le registre révèle que dans la ville de Buenos Aires, l’activité
administrées par des sociétés (en particulier par des sociétés par actions). d’un segment restreint et très particulier du marché de la gestion de co-
Les trajectoires de ces quelques sociétés sont diverses : les unes étaient D’après les données statistiques que j’ai pu tirer de ce registre, il s’agit
à l’origine des sociétés de gestion d’immeubles de bureaux ; les autres la promotion immobilière.
étaient spécialisées dans les immeubles résidentiels de très haut standing. loyers, etc.), à l’intermédiation immobilière, à la division domaniale ou à
Mais en s’appropriant la catégorie de torre ou complejo pour caractériser les tâches relatives à l’administration de propriétés (maintenance, gestion des
immeubles qu’elles administrent, elles cherchent toutes à se distinguer d’autres assurent également, quoique de manière complémentaire, des
de la masse des gestionnaires de copropriétés qui exercent l’activité de Certaines sont spécialisées dans l’administration de copropriétés, mais
manière peu formalisée et peu institutionnalisée. C’est pour elles une une division du travail par départements) et disposent de sites Internet.
manière de se maintenir dans une position dominante au sein de l’espace renommées dans le secteur, qui ont une organisation complexe (avec
de la gestion de copropriétés. relativement anciennes (une vingtaine d’années d’existence au moins),
Pour s’identifier comme entreprise, AB Gestión SA catégorise comme sociétés par actions (des sociedades anónimas, SA) situées au centre-ville,
des torres les propriétés qu’elle administre : sur son site et à l’accueil de son très souvent les mêmes gestionnaires de copropriétés : un petit noyau de
standard téléphonique, elle se présente comme une administration d’edi- En effet, dans les torres et complejos, notamment les plus fameux, on trouve
ficios en torre. Une liste des copropriétés dont elle a la charge témoigne sur
puis les mettre en ordre. Je remercie les responsables et les employés du Registre public 211 Eleonora Elguezabal
de m’avoir permis de consulter leurs fichiers et de m’avoir chaleureusement accueillie
dans leur bureau.
ficios en torre. Une liste des copropriétés dont elle a la charge témoigne sur
En effet, dans les torres et complejos, notamment les plus fameux, on trouve standard téléphonique, elle se présente comme une administration d’edi-
très souvent les mêmes gestionnaires de copropriétés : un petit noyau de des torres les propriétés qu’elle administre : sur son site et à l’accueil de son
sociétés par actions (des sociedades anónimas, SA) situées au centre-ville, Pour s’identifier comme entreprise, AB Gestión SA catégorise comme
relativement anciennes (une vingtaine d’années d’existence au moins), de la gestion de copropriétés.
renommées dans le secteur, qui ont une organisation complexe (avec manière de se maintenir dans une position dominante au sein de l’espace
une division du travail par départements) et disposent de sites Internet. manière peu formalisée et peu institutionnalisée. C’est pour elles une
Certaines sont spécialisées dans l’administration de copropriétés, mais de la masse des gestionnaires de copropriétés qui exercent l’activité de
d’autres assurent également, quoique de manière complémentaire, des immeubles qu’elles administrent, elles cherchent toutes à se distinguer
tâches relatives à l’administration de propriétés (maintenance, gestion des Mais en s’appropriant la catégorie de torre ou complejo pour caractériser les
loyers, etc.), à l’intermédiation immobilière, à la division domaniale ou à étaient spécialisées dans les immeubles résidentiels de très haut standing.
la promotion immobilière. à l’origine des sociétés de gestion d’immeubles de bureaux ; les autres
D’après les données statistiques que j’ai pu tirer de ce registre, il s’agit Les trajectoires de ces quelques sociétés sont diverses : les unes étaient
d’un segment restreint et très particulier du marché de la gestion de co- administrées par des sociétés (en particulier par des sociétés par actions).
propriétés. Le registre révèle que dans la ville de Buenos Aires, l’activité issus des vastes opérations immobilières récentes –, sont quant à elles
de gestion de copropriétés est aujourd’hui dominée par des particuliers posant de nombreux services – ce qui est caractéristique des immeubles
(95 % des inscrits) qui l’exercent de manière peu stable et peu formalisée, pourvu qu’elles ne soient pas très grandes. Les grandes copropriétés pro-
les sociétés correspondant ainsi à moins de 5 % ; par ailleurs, le turnover est alors que les particuliers peuvent administrer tous types de copropriétés,
très important (plus de 50 % des inscrits n’exercent plus cette activité) et posent d’une gestion de copropriété prise en charge par de telles sociétés,
la majorité des particuliers travaillent à leur domicile personnel. La plus au marché de la gestion : ce sont surtout celles des beaux quartiers qui dis-
grande partie des copropriétés (80 %) est administrée par des particuliers, le font à titre gratuit. Mais toutes les copropriétés n’ont pas le même accès
de cette manière peu institutionnalisée et peu formalisée (70 % par des particuliers qui le font à titre onéreux et 10 % par des copropriétaires qui
particuliers qui le font à titre onéreux et 10 % par des copropriétaires qui de cette manière peu institutionnalisée et peu formalisée (70 % par des
le font à titre gratuit. Mais toutes les copropriétés n’ont pas le même accès grande partie des copropriétés (80 %) est administrée par des particuliers,
au marché de la gestion : ce sont surtout celles des beaux quartiers qui dis- la majorité des particuliers travaillent à leur domicile personnel. La plus
posent d’une gestion de copropriété prise en charge par de telles sociétés, très important (plus de 50 % des inscrits n’exercent plus cette activité) et
alors que les particuliers peuvent administrer tous types de copropriétés, les sociétés correspondant ainsi à moins de 5 % ; par ailleurs, le turnover est
pourvu qu’elles ne soient pas très grandes. Les grandes copropriétés pro- (95 % des inscrits) qui l’exercent de manière peu stable et peu formalisée,
posant de nombreux services – ce qui est caractéristique des immeubles de gestion de copropriétés est aujourd’hui dominée par des particuliers
issus des vastes opérations immobilières récentes –, sont quant à elles propriétés. Le registre révèle que dans la ville de Buenos Aires, l’activité
administrées par des sociétés (en particulier par des sociétés par actions). d’un segment restreint et très particulier du marché de la gestion de co-
Les trajectoires de ces quelques sociétés sont diverses : les unes étaient D’après les données statistiques que j’ai pu tirer de ce registre, il s’agit
à l’origine des sociétés de gestion d’immeubles de bureaux ; les autres la promotion immobilière.
étaient spécialisées dans les immeubles résidentiels de très haut standing. loyers, etc.), à l’intermédiation immobilière, à la division domaniale ou à
Mais en s’appropriant la catégorie de torre ou complejo pour caractériser les tâches relatives à l’administration de propriétés (maintenance, gestion des
immeubles qu’elles administrent, elles cherchent toutes à se distinguer d’autres assurent également, quoique de manière complémentaire, des
de la masse des gestionnaires de copropriétés qui exercent l’activité de Certaines sont spécialisées dans l’administration de copropriétés, mais
manière peu formalisée et peu institutionnalisée. C’est pour elles une une division du travail par départements) et disposent de sites Internet.
manière de se maintenir dans une position dominante au sein de l’espace renommées dans le secteur, qui ont une organisation complexe (avec
de la gestion de copropriétés. relativement anciennes (une vingtaine d’années d’existence au moins),
Pour s’identifier comme entreprise, AB Gestión SA catégorise comme sociétés par actions (des sociedades anónimas, SA) situées au centre-ville,
des torres les propriétés qu’elle administre : sur son site et à l’accueil de son très souvent les mêmes gestionnaires de copropriétés : un petit noyau de
standard téléphonique, elle se présente comme une administration d’edi- En effet, dans les torres et complejos, notamment les plus fameux, on trouve
ficios en torre. Une liste des copropriétés dont elle a la charge témoigne sur
puis les mettre en ordre. Je remercie les responsables et les employés du Registre public 211 Eleonora Elguezabal
de m’avoir permis de consulter leurs fichiers et de m’avoir chaleureusement accueillie
dans leur bureau.
avoir un intendente [chef de site], quelqu’un de qualifié. Mais c’est mieux,
de prévention a un coût : il faut avoir du personnel d’entretien, il faut 212 Gestion et classement résidentiel à Buenos Aires
où les gens ne veulent pas dépenser d’argent. Parce que la maintenance
choses se passer, parce que ce sont des immeubles, disons, plutôt modestes,
son site de la position sélective qu’elle occupe sur le marché de la gestion
immeubles seulement quand il y a quelque chose de cassé. Ils laissent les
tout fonctionne comme il faut. Les [petits] gestionnaires vont dans les
prévention sur les équipements. La maintenance de prévention fait que de copropriétés et lui permet d’affirmer sa valeur sociale dans le secteur :
offre. Nous essayons d’aller de l’avant, ce qu’on appelle la maintenance de elle exerce un contrôle sur les frontières sociales des immeubles qu’elle
Nous, on est une entreprise de premier rang en raison du service qu’on administre en s’assurant qu’ils aient une certaine qualité, si bien que son
président m’a affirmé avec fierté que sa société est « une entreprise de
le gardien d’immeuble. D’après le président d’AB Gestión : premier rang » sur le marché. AB Gestión SA est née dans les années 1970,
immeubles de la ville selon l’organisation « traditionnelle » reposant sur elle est située au centre-ville et dispose d’une organisation fortement ins-
position aux autres gestionnaires qui administrent la grande majorité des titutionnalisée et organisée en départements spécialisés. Elle s’est spécia-
faire usage de techniques particulières, dont ils sont spécialistes, par op- lisée dans la gestion d’immeubles de bureaux et de nouveaux immeubles
d’une copropriété une torre, c’est la possibilité de la gérer comme telle, de résidentiels de grand standing : c’est à partir du marché de la première
pas nécessairement celle du gestionnaire. Ce qui, pour ce dernier, fait qu’elle a investi le marché des torres et complejos, grâce à ses contacts avec
mobiliers, mais c’est une traduction négociée : la torre du promoteur n’est les grands promoteurs – en effet, les promoteurs des uns et des autres sont
complejos est en effet une traduction de la catégorie des promoteurs im- souvent les mêmes.
Pour les gestionnaires de copropriétés, la catégorie de torres ou de La gestion de torres et complejos n’a pas occupé la même place dans
pendant les premières années de leur existence. la trajectoire de Martini SA. Cette société, dont l’activité principale est
plejos par l’intermédiaire de promoteurs qui la désignent pour les gérer depuis longtemps l’administration de copropriétés, est née dans les an-
grandes opérations. Comme AB Gestión SA, Martini SA obtient les com- nées 1940. Martini SA est aujourd’hui principalement présente sur deux
immobilière pour désigner les nouveaux produits de standing issus de marchés : d’une part, l’administration d’anciennes copropriétés résiden-
le développement – est une catégorie propre au milieu de la promotion tielles de grand standing – que le président de la société appelle des edi-
comme synonyme de complejos est significatif : le desarrollo – littéralement, ficios tradicionales (« immeubles traditionnels ») –, marché dans lequel elle
le président de Martini SA appelle aussi desarrollos. L’usage de ce terme figure depuis longtemps ; d’autre part, l’administration de complejos – que
figure depuis longtemps ; d’autre part, l’administration de complejos – que le président de Martini SA appelle aussi desarrollos. L’usage de ce terme
ficios tradicionales (« immeubles traditionnels ») –, marché dans lequel elle comme synonyme de complejos est significatif : le desarrollo – littéralement,
tielles de grand standing – que le président de la société appelle des edi- le développement – est une catégorie propre au milieu de la promotion
marchés : d’une part, l’administration d’anciennes copropriétés résiden- immobilière pour désigner les nouveaux produits de standing issus de
nées 1940. Martini SA est aujourd’hui principalement présente sur deux grandes opérations. Comme AB Gestión SA, Martini SA obtient les com-
depuis longtemps l’administration de copropriétés, est née dans les an- plejos par l’intermédiaire de promoteurs qui la désignent pour les gérer
la trajectoire de Martini SA. Cette société, dont l’activité principale est pendant les premières années de leur existence.
La gestion de torres et complejos n’a pas occupé la même place dans Pour les gestionnaires de copropriétés, la catégorie de torres ou de
souvent les mêmes. complejos est en effet une traduction de la catégorie des promoteurs im-
les grands promoteurs – en effet, les promoteurs des uns et des autres sont mobiliers, mais c’est une traduction négociée : la torre du promoteur n’est
qu’elle a investi le marché des torres et complejos, grâce à ses contacts avec pas nécessairement celle du gestionnaire. Ce qui, pour ce dernier, fait
résidentiels de grand standing : c’est à partir du marché de la première d’une copropriété une torre, c’est la possibilité de la gérer comme telle, de
lisée dans la gestion d’immeubles de bureaux et de nouveaux immeubles faire usage de techniques particulières, dont ils sont spécialistes, par op-
titutionnalisée et organisée en départements spécialisés. Elle s’est spécia- position aux autres gestionnaires qui administrent la grande majorité des
elle est située au centre-ville et dispose d’une organisation fortement ins- immeubles de la ville selon l’organisation « traditionnelle » reposant sur
premier rang » sur le marché. AB Gestión SA est née dans les années 1970, le gardien d’immeuble. D’après le président d’AB Gestión :
président m’a affirmé avec fierté que sa société est « une entreprise de
administre en s’assurant qu’ils aient une certaine qualité, si bien que son Nous, on est une entreprise de premier rang en raison du service qu’on
elle exerce un contrôle sur les frontières sociales des immeubles qu’elle offre. Nous essayons d’aller de l’avant, ce qu’on appelle la maintenance de
de copropriétés et lui permet d’affirmer sa valeur sociale dans le secteur : prévention sur les équipements. La maintenance de prévention fait que
son site de la position sélective qu’elle occupe sur le marché de la gestion tout fonctionne comme il faut. Les [petits] gestionnaires vont dans les
immeubles seulement quand il y a quelque chose de cassé. Ils laissent les
choses se passer, parce que ce sont des immeubles, disons, plutôt modestes,
où les gens ne veulent pas dépenser d’argent. Parce que la maintenance
Gestion et classement résidentiel à Buenos Aires 212 de prévention a un coût : il faut avoir du personnel d’entretien, il faut
avoir un intendente [chef de site], quelqu’un de qualifié. Mais c’est mieux,
promoteurs pour faire référence aux couches sociales les plus aisées.
16. En Argentine, « ABC1 » est la catégorie utilisée par les économistes ainsi que par les
214 Gestion et classement résidentiel à Buenos Aires
par rapport aux habitants des anciennes copropriétés de prestige dans
mais il les associe aux nouveaux riches, à des gens peu « respectueux »
Les complejos sont certes un marché économiquement rentable, de cette organisation du travail et peuvent donc plus facilement façonner
des complejos à partir de desarrollos. Dès lors que les copropriétaires ont le
pessimiste de cette activité.
droit de choisir eux-mêmes le gestionnaire, les formes d’administration
dépendront davantage de leurs dispositions et du résultat de leurs négo-
millions, quand tu mets tout ça ensemble, ça te donne un panorama très
ciations avec le gestionnaire, ainsi que des négociations de ces derniers
pour ne gagner que deux sous et qui a, ça oui, la responsabilité pour des
meuble est [silence] ou un simple comptable ou quelqu’un qui travaille
ajoutes le fait que les gens considèrent que le gestionnaire de leur im- avec les employés et les prestataires de services.
ça que ça se passe ! Parce qu’il n’y a plus de respect. [...] Si à tout ça tu Or, bien que la mise en place de nouvelles techniques de management
employé, vous n’avez pas à me dire ce que je dois faire. » C’est comme dans les nouveaux immeubles de standing et leur catégorisation comme
pouvez pas rentrer dans la piscine avec ça », il te répond : « Vous êtes mon torres ou complejos leur permette de se distinguer de la masse des gestion-
crocodile, il arrive avec, et si quelqu’un lui dit : « Monsieur, vous ne naires particuliers, le fait d’administrer ces nouveaux immeubles n’est pas
les amènent ; si tu ne lui permets pas d’amener une bouée en forme de apprécié par tous. C’est par exemple le cas de Martini SA. La gestion des
[...] Alors, si tu interdis aux adultes d’amener leurs enfants à la piscine, ils torres et complejos est vécue par son président comme une conversion for-
vices avec des structures et des normes qui n’aident pas à les administrer. cée, par suite de la crise économique qu’a subie son entreprise dans les
wifi, une salle de réunion, un sauna... où il y a une série énorme de ser-
années 1990, et comme un déclassement. Il se plaint en effet des condi-
tions actuelles de cette activité, qu’il perçoit comme une décadence dont
tels, qui ont une piscine, des courts de tennis, une salle de gym, une salle
la raison reposerait notamment sur le développement de ces nouveaux
immeubles, surtout les immeubles qui sont pratiquement comme des hô-
rien dans ce pays ! Donc, il est encore plus difficile d’administrer des
gens jettent les papiers par terre, ou dans la rue ! Parce qu’on ne respecte desarrollos. Quand on l’interroge sur la différence entre l’administration
n’importe quelle banque ! Une banque dans un quartier ABC116, où les de ces grands complejos et celle des petits immeubles, il répond en ces
de conduire, tu le vois à la sortie de n’importe quel immeuble et de termes :
tion : dans notre pays on manque d’éducation. Tu le vois dans la manière
disposent de moins de services. Et c’est un problème culturel, d’éduca- Les immeubles plus petits sont beaucoup moins conflictuels parce qu’ils
Les immeubles plus petits sont beaucoup moins conflictuels parce qu’ils disposent de moins de services. Et c’est un problème culturel, d’éduca-
tion : dans notre pays on manque d’éducation. Tu le vois dans la manière
termes : de conduire, tu le vois à la sortie de n’importe quel immeuble et de
de ces grands complejos et celle des petits immeubles, il répond en ces n’importe quelle banque ! Une banque dans un quartier ABC116, où les
desarrollos. Quand on l’interroge sur la différence entre l’administration gens jettent les papiers par terre, ou dans la rue ! Parce qu’on ne respecte
la raison reposerait notamment sur le développement de ces nouveaux rien dans ce pays ! Donc, il est encore plus difficile d’administrer des
immeubles, surtout les immeubles qui sont pratiquement comme des hô-
tels, qui ont une piscine, des courts de tennis, une salle de gym, une salle
tions actuelles de cette activité, qu’il perçoit comme une décadence dont
wifi, une salle de réunion, un sauna... où il y a une série énorme de ser-
années 1990, et comme un déclassement. Il se plaint en effet des condi-
cée, par suite de la crise économique qu’a subie son entreprise dans les vices avec des structures et des normes qui n’aident pas à les administrer.
torres et complejos est vécue par son président comme une conversion for- [...] Alors, si tu interdis aux adultes d’amener leurs enfants à la piscine, ils
apprécié par tous. C’est par exemple le cas de Martini SA. La gestion des les amènent ; si tu ne lui permets pas d’amener une bouée en forme de
naires particuliers, le fait d’administrer ces nouveaux immeubles n’est pas crocodile, il arrive avec, et si quelqu’un lui dit : « Monsieur, vous ne
torres ou complejos leur permette de se distinguer de la masse des gestion- pouvez pas rentrer dans la piscine avec ça », il te répond : « Vous êtes mon
dans les nouveaux immeubles de standing et leur catégorisation comme employé, vous n’avez pas à me dire ce que je dois faire. » C’est comme
Or, bien que la mise en place de nouvelles techniques de management ça que ça se passe ! Parce qu’il n’y a plus de respect. [...] Si à tout ça tu
avec les employés et les prestataires de services. ajoutes le fait que les gens considèrent que le gestionnaire de leur im-
ciations avec le gestionnaire, ainsi que des négociations de ces derniers meuble est [silence] ou un simple comptable ou quelqu’un qui travaille
pour ne gagner que deux sous et qui a, ça oui, la responsabilité pour des
millions, quand tu mets tout ça ensemble, ça te donne un panorama très
dépendront davantage de leurs dispositions et du résultat de leurs négo-
pessimiste de cette activité.
droit de choisir eux-mêmes le gestionnaire, les formes d’administration
des complejos à partir de desarrollos. Dès lors que les copropriétaires ont le
de cette organisation du travail et peuvent donc plus facilement façonner Les complejos sont certes un marché économiquement rentable,
mais il les associe aux nouveaux riches, à des gens peu « respectueux »
par rapport aux habitants des anciennes copropriétés de prestige dans
Gestion et classement résidentiel à Buenos Aires 214
16. En Argentine, « ABC1 » est la catégorie utilisée par les économistes ainsi que par les
promoteurs pour faire référence aux couches sociales les plus aisées.
Sélim (dir.), Paris, Anthropos, p. 11-69.
Eleonora Elguezabal 215 Althabe, Christian Marcadet, Michèle de La Pradelle & Monique
et enjeux quotidiens : terrains ethnologiques dans la France actuelle, Gérard
Althabe Gérard (1985), « La résidence comme enjeu », dans Urbanisation
lesquelles il s’était spécialisé. La catégorie des torres ou complejos n’est
donc pas pour lui une catégorie de prestige comme elle l’est pour les Bibliographie
habitants de Jardines de Núñez et de Torres del Plata ; elle est seulement
une « bonne affaire » nécessaire à la survie économique de son entreprise processuelle est à même de mettre en évidence.
et au maintien de sa position dominante dans l’espace de la gestion de même « type » est le produit d’une construction que seule une approche
copropriétés. comme « fermés » ne sont pas semblables ; considérer qu’ils relèvent d’un
Les études qui, dans une démarche macrosociologique et morpho- Tous les immeubles récents issus de la promotion privée et considérés
typologique, identifient les copropriétés dites fermées à des enclaves, pour le décalage entre leur vision de la classification et celle des gestionnaires.
montrer l’existence d’une fragmentation et d’une dualisation urbaine, torres et complejos en tant qu’immeubles d’exception : ils doivent combler
laissent dans l’ombre les processus et les conflits relatifs au marquage des de leurs efforts personnels la revendication d’appartenir à la catégorie des
frontières autour de ces espaces. En effet, cette identification n’est ni évi- que les habitants des copropriétés fermées des quartiers moyens paient
dente ni socialement neutre ; elle se présente comme un acte performatif lières. L’articulation entre ces deux catégorisations ne va pas de soi, si bien
qui cherche non seulement à nommer un espace, mais aussi à le classer, de gestion qui mettent en œuvre des techniques de management particu-
et cette classification renvoie à des intérêts qui peuvent être divergents et complejos ne sont que des copropriétés gérées par de grandes sociétés
selon les acteurs. tielles. Dans l’espace de la gestion des copropriétés, d’autre part, les torres
l’enjeu est ici le classement de l’immeuble dans les hiérarchies résiden-
* nance au groupe des nouveaux immeubles bâtis dans les beaux quartiers ;
catégorie des torres ou complejos est mobilisée pour marquer l’apparte-
La catégorie des torres ou complejos – censée distinguer, du reste des ceux qui vivent dans les copropriétés fermées des quartiers peu aisés, la
copropriétés, les nouveaux immeubles « fermés » – est une catégorie de l’espace résidentiel, d’une part : pour les habitants, en particulier pour
l’action. Énoncée d’abord dans l’espace de la promotion immobilière, elle a ensuite été traduite ensuite dans deux autres espaces sociaux. Dans
elle a ensuite été traduite ensuite dans deux autres espaces sociaux. Dans l’action. Énoncée d’abord dans l’espace de la promotion immobilière,
l’espace résidentiel, d’une part : pour les habitants, en particulier pour copropriétés, les nouveaux immeubles « fermés » – est une catégorie de
ceux qui vivent dans les copropriétés fermées des quartiers peu aisés, la La catégorie des torres ou complejos – censée distinguer, du reste des
catégorie des torres ou complejos est mobilisée pour marquer l’apparte-
nance au groupe des nouveaux immeubles bâtis dans les beaux quartiers ;
*
l’enjeu est ici le classement de l’immeuble dans les hiérarchies résiden-
tielles. Dans l’espace de la gestion des copropriétés, d’autre part, les torres selon les acteurs.
et complejos ne sont que des copropriétés gérées par de grandes sociétés et cette classification renvoie à des intérêts qui peuvent être divergents
de gestion qui mettent en œuvre des techniques de management particu- qui cherche non seulement à nommer un espace, mais aussi à le classer,
lières. L’articulation entre ces deux catégorisations ne va pas de soi, si bien dente ni socialement neutre ; elle se présente comme un acte performatif
que les habitants des copropriétés fermées des quartiers moyens paient frontières autour de ces espaces. En effet, cette identification n’est ni évi-
de leurs efforts personnels la revendication d’appartenir à la catégorie des laissent dans l’ombre les processus et les conflits relatifs au marquage des
torres et complejos en tant qu’immeubles d’exception : ils doivent combler montrer l’existence d’une fragmentation et d’une dualisation urbaine,
le décalage entre leur vision de la classification et celle des gestionnaires. typologique, identifient les copropriétés dites fermées à des enclaves, pour
Tous les immeubles récents issus de la promotion privée et considérés Les études qui, dans une démarche macrosociologique et morpho-
comme « fermés » ne sont pas semblables ; considérer qu’ils relèvent d’un copropriétés.
même « type » est le produit d’une construction que seule une approche et au maintien de sa position dominante dans l’espace de la gestion de
processuelle est à même de mettre en évidence. une « bonne affaire » nécessaire à la survie économique de son entreprise
habitants de Jardines de Núñez et de Torres del Plata ; elle est seulement
Bibliographie donc pas pour lui une catégorie de prestige comme elle l’est pour les
lesquelles il s’était spécialisé. La catégorie des torres ou complejos n’est
Althabe Gérard (1985), « La résidence comme enjeu », dans Urbanisation
et enjeux quotidiens : terrains ethnologiques dans la France actuelle, Gérard
Althabe, Christian Marcadet, Michèle de La Pradelle & Monique 215 Eleonora Elguezabal
Sélim (dir.), Paris, Anthropos, p. 11-69.
POSTFACE
POSTFACE
POSTFACE
de mettre au jour les dimensions spatiales et matérielles des phénomènes
Elle se caractérise par une volonté forte d’articuler le social et le spatial,
les groupes sociaux, la socialisation, les identités, l’action publique, etc.
baine des questions générales de la sociologie : la stratification sociale et
Une autre manière de faire traite sous le prisme de la sociologie ur-
lité : l’accessibilité, les dispositions et l’épreuve (Nicolas Oppenchaim).
gager trois outils de description et d’explication des pratiques de mobi-
COMMENT LES JEUNES CHERCHEURS l’incorporation de dispositions à agir et l’agir créatif), qui permet de dé-
CONSTRUISENT ET RENOUVELLENT théories sociologiques (celles de l’action : l’action rationnelle en finalité,
LA SOCIOLOGIE URBAINE AUJOURD’HUI les mobilités quotidiennes, est repensé par la combinaison de différentes
lement assez nouveau pour les enfants. Dans un autre cas encore, l’objet,
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin résidentiels (ou « fonctionnels ») aux espaces publics, avec un intérêt éga-
& Marie-Pierre Lefeuvre tines, c’est-à-dire en déplaçant la question de la ségrégation des espaces
plaçant la focale sur l’encadrement parental des pratiques urbaines enfan-
Les douze contributions de jeunes chercheurs réunies dans cet ouvrage sociologie urbaine, la ségrégation, elle vise à en renouveler l’approche en
offrent un large aperçu de la sociologie urbaine (francophone) en train Rivière en est une belle illustration. Centrée sur un thème classique de la
de se faire. À la lecture de cet ensemble se dégagent des manières de faire un déplacement du regard porté sur l’objet. La contribution de Clément
de la sociologie urbaine, qui, même si tous les auteurs ne poursuivent pas manières d’habiter et sur les mobilités. Dans d’autres cas, cela passe par
explicitement cet objectif et ne s’inscrivent pas toujours centralement tourisme (Aurélien Gentil), pour renouveler à la fois les travaux sur les
dans ce champ disciplinaire, contribuent incontestablement, sur plusieurs lyse des manières d’habiter, ou les espaces-temps des salariés mobiles du
aspects, à un renouvellement de cette sociologie spécialisée. exemple les vacances « au bled » (Jennifer Bidet), pour enrichir l’ana-
cela conduit à examiner des cas de figure relativement originaux, par
LA SOCIOLOGIE URBAINE EN PRATIQUES AUJOURD’HUI ville, etc., en empruntant de nouveaux chemins. Pour certains auteurs,
la ségrégation, les manières d’habiter, les mobilités, la production de la
Ces manières de faire sont variées et souvent multiples. Une première voie consiste à repenser des objets d’étude classiques de la discipline :
voie consiste à repenser des objets d’étude classiques de la discipline : Ces manières de faire sont variées et souvent multiples. Une première
la ségrégation, les manières d’habiter, les mobilités, la production de la
ville, etc., en empruntant de nouveaux chemins. Pour certains auteurs, LA SOCIOLOGIE URBAINE EN PRATIQUES AUJOURD’HUI
cela conduit à examiner des cas de figure relativement originaux, par
exemple les vacances « au bled » (Jennifer Bidet), pour enrichir l’ana- aspects, à un renouvellement de cette sociologie spécialisée.
lyse des manières d’habiter, ou les espaces-temps des salariés mobiles du dans ce champ disciplinaire, contribuent incontestablement, sur plusieurs
tourisme (Aurélien Gentil), pour renouveler à la fois les travaux sur les explicitement cet objectif et ne s’inscrivent pas toujours centralement
manières d’habiter et sur les mobilités. Dans d’autres cas, cela passe par de la sociologie urbaine, qui, même si tous les auteurs ne poursuivent pas
un déplacement du regard porté sur l’objet. La contribution de Clément de se faire. À la lecture de cet ensemble se dégagent des manières de faire
Rivière en est une belle illustration. Centrée sur un thème classique de la offrent un large aperçu de la sociologie urbaine (francophone) en train
sociologie urbaine, la ségrégation, elle vise à en renouveler l’approche en Les douze contributions de jeunes chercheurs réunies dans cet ouvrage
plaçant la focale sur l’encadrement parental des pratiques urbaines enfan-
tines, c’est-à-dire en déplaçant la question de la ségrégation des espaces & Marie-Pierre Lefeuvre
résidentiels (ou « fonctionnels ») aux espaces publics, avec un intérêt éga- Jean-Yves Authier, Alain Bourdin
lement assez nouveau pour les enfants. Dans un autre cas encore, l’objet,
les mobilités quotidiennes, est repensé par la combinaison de différentes LA SOCIOLOGIE URBAINE AUJOURD’HUI
théories sociologiques (celles de l’action : l’action rationnelle en finalité, CONSTRUISENT ET RENOUVELLENT
l’incorporation de dispositions à agir et l’agir créatif), qui permet de dé- COMMENT LES JEUNES CHERCHEURS
gager trois outils de description et d’explication des pratiques de mobi-
lité : l’accessibilité, les dispositions et l’épreuve (Nicolas Oppenchaim).
Une autre manière de faire traite sous le prisme de la sociologie ur-
baine des questions générales de la sociologie : la stratification sociale et
les groupes sociaux, la socialisation, les identités, l’action publique, etc.
Elle se caractérise par une volonté forte d’articuler le social et le spatial,
de mettre au jour les dimensions spatiales et matérielles des phénomènes
tion (Anaïs Collet, Colin Giraud). Dans ces travaux, investir de nouveaux
crées au périurbain (Marie Muselle,Violaine Girard) ou à la gentrifica- 222 Postface
et de la dualisation urbaine. Tel est aussi le cas des contributions consa-
privée, dont l’étude permet de questionner la thèse de la fragmentation
(Eleonora Elguezabal), un nouveau produit résidentiel de la promotion et des groupes sociaux, d’observer conjointement les transformations (ou
informel né au Brésil il y a environ dix ans, ou des torres à Buenos Aires trajectoires) des lieux et les transformations (ou trajectoires) des popula-
à Rio de Janeiro (Maira Machado-Martins), un type d’habitat populaire tions. Présente dans plusieurs textes (Jennifer Bidet, Anaïs Collet, Aurélien
vent sont l’objet d’importants enjeux et débats. Tel est le cas des invasoes Gentil, Colin Giraud, Nicolas Oppenchaim...), cette démarche est parti-
qui sont liés aux dynamiques urbaines et sociales contemporaines et sou- culièrement visible dans le texte de Violaine Girard sur la recomposition
Une autre manière de faire consiste à investir de nouveaux « terrains » des classes populaires résidant le périurbain. Dans une perspective proche
gie visuelle (Anne Jarrigeon). des travaux pionniers de Maurice Halbwachs (1938) sur les dimensions
communication, la sémiotique, l’ethnologie « critique » ou l’anthropolo- spatio-temporelles des groupes sociaux ou de l’enquête réalisée récem-
façon plus novatrice, avec d’autres disciplines comme les sciences de la ment par Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet et Yasmine
à la sociologie urbaine, comme l’histoire ou la géographie, mais aussi, de Siblot (2008) sur « les petits-moyens », l’enjeu de cette contribution est en
avec d’autres disciplines : avec celles qui sont traditionnellement associées effet tout à la fois de « sociologiser » l’approche des espaces périurbains
hybridations s’exprime également par le dialogue (échange, circulation) et de saisir les transformations des classes populaires sous l’angle de leurs
de la sociologie, cette tendance aux croisements, décloisonnements et inscriptions spatiales, pour « contribuer plus généralement aux question-
importante au sein de la sociologie francophone. Au-delà des frontières nements récents sur les mouvements de différenciations internes aux
de façon plus générale à occuper aujourd’hui une place de plus en plus classes populaires » (p. 101).
Rivière) ou encore celle du genre (Jennifer Bidet, Colin Giraud), qui tend De façon liée, dans leurs manières de faire de la sociologie urbaine, la
trielles, celle des organisations (Burcu Özdirlik), de la famille (Clément plupart des auteurs pratiquent le jeu des croisements, des hybridations ou
sociologie économique (Anaïs Collet), la sociologie des relations indus- des décloisonnements. Nombre d’entre eux se situent au carrefour de la
sation de concepts et de savoirs issus d’autres champs de la sociologie : la sociologie urbaine et d’un autre champ, voire de plusieurs autres champs
etc. Dans ces textes, mais aussi dans d’autres, cela se traduit par la mobili- de la sociologie : la sociologie de l’immigration (Jennifer Bidet), des homo-
Violaine Girard), de l’action publique (Marie Muselle, Burcu Özdirlik), sexualités (Colin Giraud), de la stratification sociale (Aurélien Gentil,
sexualités (Colin Giraud), de la stratification sociale (Aurélien Gentil, Violaine Girard), de l’action publique (Marie Muselle, Burcu Özdirlik),
de la sociologie : la sociologie de l’immigration (Jennifer Bidet), des homo- etc. Dans ces textes, mais aussi dans d’autres, cela se traduit par la mobili-
sociologie urbaine et d’un autre champ, voire de plusieurs autres champs sation de concepts et de savoirs issus d’autres champs de la sociologie : la
des décloisonnements. Nombre d’entre eux se situent au carrefour de la sociologie économique (Anaïs Collet), la sociologie des relations indus-
plupart des auteurs pratiquent le jeu des croisements, des hybridations ou trielles, celle des organisations (Burcu Özdirlik), de la famille (Clément
De façon liée, dans leurs manières de faire de la sociologie urbaine, la Rivière) ou encore celle du genre (Jennifer Bidet, Colin Giraud), qui tend
classes populaires » (p. 101). de façon plus générale à occuper aujourd’hui une place de plus en plus
nements récents sur les mouvements de différenciations internes aux importante au sein de la sociologie francophone. Au-delà des frontières
inscriptions spatiales, pour « contribuer plus généralement aux question- de la sociologie, cette tendance aux croisements, décloisonnements et
et de saisir les transformations des classes populaires sous l’angle de leurs hybridations s’exprime également par le dialogue (échange, circulation)
effet tout à la fois de « sociologiser » l’approche des espaces périurbains avec d’autres disciplines : avec celles qui sont traditionnellement associées
Siblot (2008) sur « les petits-moyens », l’enjeu de cette contribution est en à la sociologie urbaine, comme l’histoire ou la géographie, mais aussi, de
ment par Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet et Yasmine façon plus novatrice, avec d’autres disciplines comme les sciences de la
spatio-temporelles des groupes sociaux ou de l’enquête réalisée récem- communication, la sémiotique, l’ethnologie « critique » ou l’anthropolo-
des travaux pionniers de Maurice Halbwachs (1938) sur les dimensions gie visuelle (Anne Jarrigeon).
des classes populaires résidant le périurbain. Dans une perspective proche Une autre manière de faire consiste à investir de nouveaux « terrains »
culièrement visible dans le texte de Violaine Girard sur la recomposition qui sont liés aux dynamiques urbaines et sociales contemporaines et sou-
Gentil, Colin Giraud, Nicolas Oppenchaim...), cette démarche est parti- vent sont l’objet d’importants enjeux et débats. Tel est le cas des invasoes
tions. Présente dans plusieurs textes (Jennifer Bidet, Anaïs Collet, Aurélien à Rio de Janeiro (Maira Machado-Martins), un type d’habitat populaire
trajectoires) des lieux et les transformations (ou trajectoires) des popula- informel né au Brésil il y a environ dix ans, ou des torres à Buenos Aires
et des groupes sociaux, d’observer conjointement les transformations (ou (Eleonora Elguezabal), un nouveau produit résidentiel de la promotion
privée, dont l’étude permet de questionner la thèse de la fragmentation
et de la dualisation urbaine. Tel est aussi le cas des contributions consa-
Postface 222 crées au périurbain (Marie Muselle,Violaine Girard) ou à la gentrifica-
tion (Anaïs Collet, Colin Giraud). Dans ces travaux, investir de nouveaux
amène à questionner les termes qui servent à décrire ces terrains et donc à
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre 223 comparables en fonction des problématiques qui sont les leurs. Ce qui les
internationale »). Tous « construisent » leurs terrains afin de les rendre
mais situés dans différents pays (à quoi se réduit souvent la « comparaison
« terrains » signifie aussi observer des contextes et des populations qui ne se contente d’une plate mise en regard de lieux apparemment similaires
jusqu’ici avaient été peu analysés, voire pas du tout : le périurbain de la Montréal, les périphéries lilloise, messine, liégeoise et namuroise... Aucun
promotion ouvrière plutôt que celui des classes moyennes ou celui des urbains, voire dans différents contextes nationaux : Paris et Milan, Paris et
classes populaires « reléguées » (Violaine Girard) ; les convertisseurs de lo- d’un travail comparatif entre des terrains situés dans différents contextes
gements dans les quartiers gentrifiés (Anaïs Collet) ou les populations de la comparaison. Plusieurs auteurs construisent leur recherche sur la base
gay (Colin Giraud), avec également, dans ce dernier exemple, le souci de Le deuxième de ces éléments méthodologiques, c’est l’usage récurrent
se saisir d’un questionnement « longtemps resté nord-américain et large- portée sur les parcours, les mobilités et les trajectoires des individus.
ment anglophone » (p. 142), relatif au rôle et à la place des gays dans les tance accordée aux contextes va souvent de pair avec une attention forte
processus de gentrification : c’est-à-dire le souci d’installer la sociologie pour mieux situer les contextes locaux et les populations. Cette impor-
urbaine francophone dans des domaines jusque-là investis par la seule compagne volontiers de traitements de données quantitatives nationales
sociologie urbaine anglo-saxonne. « classes populaires en recomposition »). Le recours à cette méthode s’ac-
Enfin, faire de la sociologie urbaine aujourd’hui (et contribuer à son « périurbain lointain ») et celle de la catégorie sociale qu’il « incarne » (les
renouvellement) passe aussi par des dispositifs méthodologiques, des considéré comme caractéristique d’un type d’espace (en l’occurrence le
outils et des matériaux divers. Dans ce registre, trois éléments peuvent qu’elle est la méthode appropriée pour l’étude d’un processus complexe
être soulignés. Le premier, c’est le recours fréquent à la monographie ou L’approche monographique localisée peut aussi être défendue parce
à l’approche localisée. Ce parti pris est consonant avec le souci partagé de généralité des processus décrits, sur la transférabilité des conclusions.
par de nombreux auteurs d’articuler le social et le spatial, d’être atten- (Burcu Özdirlik). Dans ce cas, il donne lieu à une réflexion sur le degré
tif aux dimensions contextuelles (spatiales, matérielles) des phénomènes Collet) ou comme un lieu intéressant pour explorer une hypothèse
sociaux, de saisir ensemble les transformations des lieux et les trajectoires rain peut être considéré comme un emblème du processus étudié (Anaïs
des populations, ou encore, d’inscrire les trajectoires et les manières sur le statut du terrain dans l’analyse sociologique mise en œuvre. Le ter-
d’être, de penser et d’agir des individus dans des contextes concrets. Ce choix de l’approche localisée s’accompagne d’une réflexion théorique
choix de l’approche localisée s’accompagne d’une réflexion théorique d’être, de penser et d’agir des individus dans des contextes concrets. Ce
sur le statut du terrain dans l’analyse sociologique mise en œuvre. Le ter- des populations, ou encore, d’inscrire les trajectoires et les manières
rain peut être considéré comme un emblème du processus étudié (Anaïs sociaux, de saisir ensemble les transformations des lieux et les trajectoires
Collet) ou comme un lieu intéressant pour explorer une hypothèse tif aux dimensions contextuelles (spatiales, matérielles) des phénomènes
(Burcu Özdirlik). Dans ce cas, il donne lieu à une réflexion sur le degré par de nombreux auteurs d’articuler le social et le spatial, d’être atten-
de généralité des processus décrits, sur la transférabilité des conclusions. à l’approche localisée. Ce parti pris est consonant avec le souci partagé
L’approche monographique localisée peut aussi être défendue parce être soulignés. Le premier, c’est le recours fréquent à la monographie ou
qu’elle est la méthode appropriée pour l’étude d’un processus complexe outils et des matériaux divers. Dans ce registre, trois éléments peuvent
considéré comme caractéristique d’un type d’espace (en l’occurrence le renouvellement) passe aussi par des dispositifs méthodologiques, des
« périurbain lointain ») et celle de la catégorie sociale qu’il « incarne » (les Enfin, faire de la sociologie urbaine aujourd’hui (et contribuer à son
« classes populaires en recomposition »). Le recours à cette méthode s’ac- sociologie urbaine anglo-saxonne.
compagne volontiers de traitements de données quantitatives nationales urbaine francophone dans des domaines jusque-là investis par la seule
pour mieux situer les contextes locaux et les populations. Cette impor- processus de gentrification : c’est-à-dire le souci d’installer la sociologie
tance accordée aux contextes va souvent de pair avec une attention forte ment anglophone » (p. 142), relatif au rôle et à la place des gays dans les
portée sur les parcours, les mobilités et les trajectoires des individus. se saisir d’un questionnement « longtemps resté nord-américain et large-
Le deuxième de ces éléments méthodologiques, c’est l’usage récurrent gay (Colin Giraud), avec également, dans ce dernier exemple, le souci de
de la comparaison. Plusieurs auteurs construisent leur recherche sur la base gements dans les quartiers gentrifiés (Anaïs Collet) ou les populations
d’un travail comparatif entre des terrains situés dans différents contextes classes populaires « reléguées » (Violaine Girard) ; les convertisseurs de lo-
urbains, voire dans différents contextes nationaux : Paris et Milan, Paris et promotion ouvrière plutôt que celui des classes moyennes ou celui des
Montréal, les périphéries lilloise, messine, liégeoise et namuroise... Aucun jusqu’ici avaient été peu analysés, voire pas du tout : le périurbain de la
ne se contente d’une plate mise en regard de lieux apparemment similaires « terrains » signifie aussi observer des contextes et des populations qui
mais situés dans différents pays (à quoi se réduit souvent la « comparaison
internationale »). Tous « construisent » leurs terrains afin de les rendre
comparables en fonction des problématiques qui sont les leurs. Ce qui les 223 Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre
amène à questionner les termes qui servent à décrire ces terrains et donc à
amène à questionner les termes qui servent à décrire ces terrains et donc à
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre 223 comparables en fonction des problématiques qui sont les leurs. Ce qui les
internationale »). Tous « construisent » leurs terrains afin de les rendre
mais situés dans différents pays (à quoi se réduit souvent la « comparaison
« terrains » signifie aussi observer des contextes et des populations qui ne se contente d’une plate mise en regard de lieux apparemment similaires
jusqu’ici avaient été peu analysés, voire pas du tout : le périurbain de la Montréal, les périphéries lilloise, messine, liégeoise et namuroise... Aucun
promotion ouvrière plutôt que celui des classes moyennes ou celui des urbains, voire dans différents contextes nationaux : Paris et Milan, Paris et
classes populaires « reléguées » (Violaine Girard) ; les convertisseurs de lo- d’un travail comparatif entre des terrains situés dans différents contextes
gements dans les quartiers gentrifiés (Anaïs Collet) ou les populations de la comparaison. Plusieurs auteurs construisent leur recherche sur la base
gay (Colin Giraud), avec également, dans ce dernier exemple, le souci de Le deuxième de ces éléments méthodologiques, c’est l’usage récurrent
se saisir d’un questionnement « longtemps resté nord-américain et large- portée sur les parcours, les mobilités et les trajectoires des individus.
ment anglophone » (p. 142), relatif au rôle et à la place des gays dans les tance accordée aux contextes va souvent de pair avec une attention forte
processus de gentrification : c’est-à-dire le souci d’installer la sociologie pour mieux situer les contextes locaux et les populations. Cette impor-
urbaine francophone dans des domaines jusque-là investis par la seule compagne volontiers de traitements de données quantitatives nationales
sociologie urbaine anglo-saxonne. « classes populaires en recomposition »). Le recours à cette méthode s’ac-
Enfin, faire de la sociologie urbaine aujourd’hui (et contribuer à son « périurbain lointain ») et celle de la catégorie sociale qu’il « incarne » (les
renouvellement) passe aussi par des dispositifs méthodologiques, des considéré comme caractéristique d’un type d’espace (en l’occurrence le
outils et des matériaux divers. Dans ce registre, trois éléments peuvent qu’elle est la méthode appropriée pour l’étude d’un processus complexe
être soulignés. Le premier, c’est le recours fréquent à la monographie ou L’approche monographique localisée peut aussi être défendue parce
à l’approche localisée. Ce parti pris est consonant avec le souci partagé de généralité des processus décrits, sur la transférabilité des conclusions.
par de nombreux auteurs d’articuler le social et le spatial, d’être atten- (Burcu Özdirlik). Dans ce cas, il donne lieu à une réflexion sur le degré
tif aux dimensions contextuelles (spatiales, matérielles) des phénomènes Collet) ou comme un lieu intéressant pour explorer une hypothèse
sociaux, de saisir ensemble les transformations des lieux et les trajectoires rain peut être considéré comme un emblème du processus étudié (Anaïs
des populations, ou encore, d’inscrire les trajectoires et les manières sur le statut du terrain dans l’analyse sociologique mise en œuvre. Le ter-
d’être, de penser et d’agir des individus dans des contextes concrets. Ce choix de l’approche localisée s’accompagne d’une réflexion théorique
choix de l’approche localisée s’accompagne d’une réflexion théorique d’être, de penser et d’agir des individus dans des contextes concrets. Ce
sur le statut du terrain dans l’analyse sociologique mise en œuvre. Le ter- des populations, ou encore, d’inscrire les trajectoires et les manières
rain peut être considéré comme un emblème du processus étudié (Anaïs sociaux, de saisir ensemble les transformations des lieux et les trajectoires
Collet) ou comme un lieu intéressant pour explorer une hypothèse tif aux dimensions contextuelles (spatiales, matérielles) des phénomènes
(Burcu Özdirlik). Dans ce cas, il donne lieu à une réflexion sur le degré par de nombreux auteurs d’articuler le social et le spatial, d’être atten-
de généralité des processus décrits, sur la transférabilité des conclusions. à l’approche localisée. Ce parti pris est consonant avec le souci partagé
L’approche monographique localisée peut aussi être défendue parce être soulignés. Le premier, c’est le recours fréquent à la monographie ou
qu’elle est la méthode appropriée pour l’étude d’un processus complexe outils et des matériaux divers. Dans ce registre, trois éléments peuvent
considéré comme caractéristique d’un type d’espace (en l’occurrence le renouvellement) passe aussi par des dispositifs méthodologiques, des
« périurbain lointain ») et celle de la catégorie sociale qu’il « incarne » (les Enfin, faire de la sociologie urbaine aujourd’hui (et contribuer à son
« classes populaires en recomposition »). Le recours à cette méthode s’ac- sociologie urbaine anglo-saxonne.
compagne volontiers de traitements de données quantitatives nationales urbaine francophone dans des domaines jusque-là investis par la seule
pour mieux situer les contextes locaux et les populations. Cette impor- processus de gentrification : c’est-à-dire le souci d’installer la sociologie
tance accordée aux contextes va souvent de pair avec une attention forte ment anglophone » (p. 142), relatif au rôle et à la place des gays dans les
portée sur les parcours, les mobilités et les trajectoires des individus. se saisir d’un questionnement « longtemps resté nord-américain et large-
Le deuxième de ces éléments méthodologiques, c’est l’usage récurrent gay (Colin Giraud), avec également, dans ce dernier exemple, le souci de
de la comparaison. Plusieurs auteurs construisent leur recherche sur la base gements dans les quartiers gentrifiés (Anaïs Collet) ou les populations
d’un travail comparatif entre des terrains situés dans différents contextes classes populaires « reléguées » (Violaine Girard) ; les convertisseurs de lo-
urbains, voire dans différents contextes nationaux : Paris et Milan, Paris et promotion ouvrière plutôt que celui des classes moyennes ou celui des
Montréal, les périphéries lilloise, messine, liégeoise et namuroise... Aucun jusqu’ici avaient été peu analysés, voire pas du tout : le périurbain de la
ne se contente d’une plate mise en regard de lieux apparemment similaires « terrains » signifie aussi observer des contextes et des populations qui
mais situés dans différents pays (à quoi se réduit souvent la « comparaison
internationale »). Tous « construisent » leurs terrains afin de les rendre
comparables en fonction des problématiques qui sont les leurs. Ce qui les 223 Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre
amène à questionner les termes qui servent à décrire ces terrains et donc à
des acteurs et à leur hétérogénéité croissante. Comment promoteurs,
ces textes ont en commun de s’intéresser en premier lieu à la question 224 Postface
des modalités de la production de l’espace. Quel que soit leur objet,
Elguezabal attestent que la gestion mérite d’être redéfinie comme l’une
gestion des espaces. Au passage, les travaux de Marie Muselle et d’Eleonora réinterroger leurs propres critères de sélection : espaces socialement « mix-
fonctionnement des marchés immobiliers, la construction mais aussi la tes », quartiers « gentrifiés », quartiers « gay », espaces « périurbains »... Dans
mensions économiques de cette production : la formation des prix, le d’autres contributions, la démarche comparative est utilisée différemment :
lent se réapproprier ce programme et prennent à bras-le-corps les di- les auteurs suivent et observent les mêmes populations (descendants de
C’est cette complexité qu’il convient de saisir. Plusieurs auteurs veu- l’immigration algérienne, salariés mobiles du tourisme) dans plusieurs
d’activités et de moyens. contextes (lieux de résidence, lieux des vacances, lieux de travail, etc.).
cherchent pas à l’envisager comme une dynamique liée à un ensemble Enfin, certains contributeurs font appel à des outils d’investigation
par la société civile ou par le « marché ». Mais en général, ces analyses ne assez peu utilisés jusqu’ici dans les recherches urbaines, à l’exemple de la
puissance publique, mais plutôt codécidée, influencée ou court-circuitée photographie et du film (Anne Jarrigeon), ou mobilisent des matériaux
dont le projet urbain est une forme. Elle n’apparaît plus planifiée par la « nouveaux », comme le fichier des abonnés d’une revue homosexuelle
abordée très indirectement, à travers le prisme de l’action publique locale, spécialisée pour identifier la localisation (résidentielle) des populations
brique » des villes comme pour contourner l’idée) est le plus souvent gay à Paris (Colin Giraud).
« production » (on parle plus couramment de « fabrication » ou de « fa- Ces différentes manières de faire contribuent au renouvellement de la
tent des éléments susceptibles d’alimenter ce débat. Aujourd’hui, cette sociologie urbaine (francophone) sur plusieurs aspects : l’analyse des pro-
Cette question n’est pas vraiment la leur, même si leurs travaux appor- ducteurs et de la production de la ville, la sociologie de l’habiter (au sens
la perte de centralité du politique dans la conduite des affaires urbaines. large du terme) et le traitement sociologique de la question de l’espace.
plus dans la ligne des théories de la gouvernance urbaine qui plaident
urbains, ils n’en défendent pas la primauté. Ils ne s’inscrivent pas non PRODUCTEURS ET PRODUCTION DE LA VILLE
blique. Mais, sans ignorer les dimensions économiques des phénomènes
tent en doute l’autonomie et la centralité de la sphère de décision pu- Certains auteurs s’emparent à nouveaux frais d’une question placée
comment la ville est-elle produite ? Comme leurs prédécesseurs, ils met- autrefois au cœur de la sous-discipline par la sociologie urbaine marxiste :
autrefois au cœur de la sous-discipline par la sociologie urbaine marxiste : comment la ville est-elle produite ? Comme leurs prédécesseurs, ils met-
Certains auteurs s’emparent à nouveaux frais d’une question placée tent en doute l’autonomie et la centralité de la sphère de décision pu-
blique. Mais, sans ignorer les dimensions économiques des phénomènes
PRODUCTEURS ET PRODUCTION DE LA VILLE urbains, ils n’en défendent pas la primauté. Ils ne s’inscrivent pas non
plus dans la ligne des théories de la gouvernance urbaine qui plaident
large du terme) et le traitement sociologique de la question de l’espace. la perte de centralité du politique dans la conduite des affaires urbaines.
ducteurs et de la production de la ville, la sociologie de l’habiter (au sens Cette question n’est pas vraiment la leur, même si leurs travaux appor-
sociologie urbaine (francophone) sur plusieurs aspects : l’analyse des pro- tent des éléments susceptibles d’alimenter ce débat. Aujourd’hui, cette
Ces différentes manières de faire contribuent au renouvellement de la « production » (on parle plus couramment de « fabrication » ou de « fa-
gay à Paris (Colin Giraud). brique » des villes comme pour contourner l’idée) est le plus souvent
spécialisée pour identifier la localisation (résidentielle) des populations abordée très indirectement, à travers le prisme de l’action publique locale,
« nouveaux », comme le fichier des abonnés d’une revue homosexuelle dont le projet urbain est une forme. Elle n’apparaît plus planifiée par la
photographie et du film (Anne Jarrigeon), ou mobilisent des matériaux puissance publique, mais plutôt codécidée, influencée ou court-circuitée
assez peu utilisés jusqu’ici dans les recherches urbaines, à l’exemple de la par la société civile ou par le « marché ». Mais en général, ces analyses ne
Enfin, certains contributeurs font appel à des outils d’investigation cherchent pas à l’envisager comme une dynamique liée à un ensemble
contextes (lieux de résidence, lieux des vacances, lieux de travail, etc.). d’activités et de moyens.
l’immigration algérienne, salariés mobiles du tourisme) dans plusieurs C’est cette complexité qu’il convient de saisir. Plusieurs auteurs veu-
les auteurs suivent et observent les mêmes populations (descendants de lent se réapproprier ce programme et prennent à bras-le-corps les di-
d’autres contributions, la démarche comparative est utilisée différemment : mensions économiques de cette production : la formation des prix, le
tes », quartiers « gentrifiés », quartiers « gay », espaces « périurbains »... Dans fonctionnement des marchés immobiliers, la construction mais aussi la
réinterroger leurs propres critères de sélection : espaces socialement « mix- gestion des espaces. Au passage, les travaux de Marie Muselle et d’Eleonora
Elguezabal attestent que la gestion mérite d’être redéfinie comme l’une
des modalités de la production de l’espace. Quel que soit leur objet,
Postface 224 ces textes ont en commun de s’intéresser en premier lieu à la question
des acteurs et à leur hétérogénéité croissante. Comment promoteurs,
ture au cours des dernières décennies. D’autres s’en tiennent aux terrains
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre 227 ce qui concerne l’accession à la propriété, un peu absente de la littéra-
environnant, aussi bien que le statut d’occupation – en particulier tout
savent prendre en compte l’appropriation du logement et de l’espace
luxe et se distingue d’un type plus ancien, la favela. Marie Muselle met plus d’identifier ses nouveaux espaces de résidence (Violaine Girard), ils
en évidence les enjeux attachés à la ruralité (ou à la semi-ruralité) par les la classe ouvrière et sur la manière dont elle organise sa vie. Mais, en
gestionnaires d’espaces périurbains. Eleonora Elguezabal montre ce que ce qu’elle a de plus classique, c’est-à-dire la recherche sur les lieux où vit
révèlent les distinctions fines entre catégories de copropriétés fermées. Certains des auteurs de ce livre reviennent vers cette tradition dans
Aucune de ces catégorisations n’est « spontanée ».Toutes résultent d’acti- du type d’habitat, de la manière dont on se l’approprie et du mode de vie.
vités sociales dans lesquelles interviennent des acteurs identifiables : élus, tion entre stratification sociale et localisation l’emporte souvent sur celle
habitants, mais aussi professionnels de la construction ou de la gestion des modes de vie varie beaucoup selon les travaux. L’analyse de la rela-
immobilière. Bref, ces travaux révèlent aussi que la production est indis- part se rattachent à la sociologie. En outre, la place accordée à l’étude fine
sociablement matérielle et symbolique et qu’elle est envisagée ainsi par ment dans les travaux de Monique Eleb et de ses élèves, qui pour une
ceux qui en sont les acteurs. rarement le centre de l’analyse, sauf dans Les Pavillonnaires et ultérieure-
trification. Chez les uns et chez les autres, l’usage du logement occupe
UNE SOCIOLOGIE DE L’HABITER moment, des géographes anglo-saxons s’approprient le terme de gen-
s’installent au milieu puis à la place des catégories populaires. Au même
L’interrogation sur les manières d’habiter a connu des bonheurs divers transformation, en particulier ceux où les catégories moyennes diplômées
en sociologie urbaine, mais elle appartient sans aucun doute à sa tradi- Zachariasen puis Jean-Yves Authier, se concentrent sur des quartiers en
tion. Rappelons les travaux de l’École de Chicago et ceux de Herbert ment Sabine Chalvon-Demersay, Monique Vervaeke, Catherine Bidou-
Gans (1962), William H. Whyte (1956), Michael Young et Peter Willmot qui s’y déploient. Dans les années 1980, d’autres chercheurs, notam-
(1957), Richard Hoggart (1957) et, en France, entre autres, les travaux de celui de Whyte), à travers les modes de vie et les systèmes de relations
réalisés par l’équipe d’Henri Lefebvre, à la fin des années 1960, sur les (c’est le cas dans tous les ouvrages que nous venons de citer, à l’exception
pavillonnaires (Henri Raymond et al., 1966 ; Haumont, 1966 ; Marie- Classiquement, il s’agit d’analyser un quartier, généralement ouvrier
Geneviève Raymond, 1966). Chacun d’entre eux aborde à sa manière la question de l’habiter.
question de l’habiter. Geneviève Raymond, 1966). Chacun d’entre eux aborde à sa manière la
Classiquement, il s’agit d’analyser un quartier, généralement ouvrier pavillonnaires (Henri Raymond et al., 1966 ; Haumont, 1966 ; Marie-
(c’est le cas dans tous les ouvrages que nous venons de citer, à l’exception réalisés par l’équipe d’Henri Lefebvre, à la fin des années 1960, sur les
de celui de Whyte), à travers les modes de vie et les systèmes de relations (1957), Richard Hoggart (1957) et, en France, entre autres, les travaux
qui s’y déploient. Dans les années 1980, d’autres chercheurs, notam- Gans (1962), William H. Whyte (1956), Michael Young et Peter Willmot
ment Sabine Chalvon-Demersay, Monique Vervaeke, Catherine Bidou- tion. Rappelons les travaux de l’École de Chicago et ceux de Herbert
Zachariasen puis Jean-Yves Authier, se concentrent sur des quartiers en en sociologie urbaine, mais elle appartient sans aucun doute à sa tradi-
transformation, en particulier ceux où les catégories moyennes diplômées L’interrogation sur les manières d’habiter a connu des bonheurs divers
s’installent au milieu puis à la place des catégories populaires. Au même
moment, des géographes anglo-saxons s’approprient le terme de gen- UNE SOCIOLOGIE DE L’HABITER
trification. Chez les uns et chez les autres, l’usage du logement occupe
rarement le centre de l’analyse, sauf dans Les Pavillonnaires et ultérieure- ceux qui en sont les acteurs.
ment dans les travaux de Monique Eleb et de ses élèves, qui pour une sociablement matérielle et symbolique et qu’elle est envisagée ainsi par
part se rattachent à la sociologie. En outre, la place accordée à l’étude fine immobilière. Bref, ces travaux révèlent aussi que la production est indis-
des modes de vie varie beaucoup selon les travaux. L’analyse de la rela- habitants, mais aussi professionnels de la construction ou de la gestion
tion entre stratification sociale et localisation l’emporte souvent sur celle vités sociales dans lesquelles interviennent des acteurs identifiables : élus,
du type d’habitat, de la manière dont on se l’approprie et du mode de vie. Aucune de ces catégorisations n’est « spontanée ».Toutes résultent d’acti-
Certains des auteurs de ce livre reviennent vers cette tradition dans révèlent les distinctions fines entre catégories de copropriétés fermées.
ce qu’elle a de plus classique, c’est-à-dire la recherche sur les lieux où vit gestionnaires d’espaces périurbains. Eleonora Elguezabal montre ce que
la classe ouvrière et sur la manière dont elle organise sa vie. Mais, en en évidence les enjeux attachés à la ruralité (ou à la semi-ruralité) par les
plus d’identifier ses nouveaux espaces de résidence (Violaine Girard), ils luxe et se distingue d’un type plus ancien, la favela. Marie Muselle met
savent prendre en compte l’appropriation du logement et de l’espace
environnant, aussi bien que le statut d’occupation – en particulier tout
ce qui concerne l’accession à la propriété, un peu absente de la littéra- 227 Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre
ture au cours des dernières décennies. D’autres s’en tiennent aux terrains
règles du jeu claires et partagées par tous. Ces interactions comportent
ne correspondent pas à un programme préétabli ni à un ensemble de 228 Postface
épreuves aléatoires, autrement dit un espace dans lequel les interactions
est d’abord celui de l’interaction, de l’anonymat, de la rencontre, des
la définition de l’espace public n’entraîne aucune difficulté. Cet espace habituels et plus récents de l’analyse de la gentrification, ainsi qu’aux
clarifié le débat. Pour les sociologues, du moins ceux qui s’expriment ici, raisonnements communément associés à cette thématique, mais ils y intè-
Les références à Hannah Arendt ou à Jürgen Habermas n’ont pas toujours grent l’étude des pratiques dans le logement et la dimension strictement
s’en saisissaient l’architecture, la géographie et plus que tout l’urbanisme. spatiale. Certaines contributions n’abordent qu’allusivement cette dimen-
La notion d’espace public a donné lieu à divers débats, à mesure que sion, d’autres y consacrent beaucoup de place, mais personne ne semble
occupent une place croissante : l’espace public et la mobilité. penser qu’elle se situe hors champ. Les réponses auraient certainement
sont longtemps restées marginales dans la sociologie urbaine mais qui été beaucoup plus contrastées quand triomphait le marxisme althussérien.
sujettes au changement dans le temps. Émergent alors deux notions qui Qu’ils se situent ou non dans le courant de recherche sur la gentrifi-
dra), qui sont fort différentes selon les groupes et les individus et sont cation, plusieurs auteurs se focalisent sur des groupes très précis, pour la
la ville où l’on se trouve (ou de la ville de référence, celle où l’on revien- plupart définis par d’autres critères que ceux de la littérature sur la stra-
fois d’user de son logement et de se comporter dans l’espace collectif de tification sociale. Il s’agit de communautés qui s’affichent comme telles
dans l’espace public. Il implique des manières d’habiter, c’est-à-dire à la (dans la gaytrification, chez Colin Giraud) de groupes définis par une si-
sur les phénomènes diasporiques) et s’appuie fortement sur l’inscription tuation spécifique (les travailleurs saisonniers du tourisme, chez Aurélien
ristes, il joue avec la multirésidence (ce que montrent aussi les travaux Gentil, les descendants de l’immigration qui retournent en vacances dans
Le processus social de l’enracinement concerne les voyageurs et les tou- une petite ville d’Algérie, chez Jennifer Bidet), ou de groupes (réels ou
nellement retenues (« celui qui arrive aujourd’hui et qui reste demain »). virtuels) qui apparaissent en cours d’enquête (Anaïs Collet). On voit là
sont considérées d’autres formes de mobilité que celles qui sont tradition- une sociologie influencée à la fois par le constructivisme et les approches
au long de l’histoire de la sous-discipline. La nouveauté tient à ce qu’ici inductives, même si elle reste solidement ancrée dans de grands choix
différente peut s’enraciner dans une ville. Cette préoccupation court tout théoriques : une sociologie qui réinterprète sa tradition.
l’immigration et par la manière dont l’étranger qui vient d’une culture Une autre manière de s’inscrire dans cette tradition consiste à inter-
dément marquée à son origine (avec Simmel, Thomas et Znaniecki) par roger les processus d’enracinement. La sociologie urbaine a été profon-
roger les processus d’enracinement. La sociologie urbaine a été profon- dément marquée à son origine (avec Simmel, Thomas et Znaniecki) par
Une autre manière de s’inscrire dans cette tradition consiste à inter- l’immigration et par la manière dont l’étranger qui vient d’une culture
théoriques : une sociologie qui réinterprète sa tradition. différente peut s’enraciner dans une ville. Cette préoccupation court tout
inductives, même si elle reste solidement ancrée dans de grands choix au long de l’histoire de la sous-discipline. La nouveauté tient à ce qu’ici
une sociologie influencée à la fois par le constructivisme et les approches sont considérées d’autres formes de mobilité que celles qui sont tradition-
virtuels) qui apparaissent en cours d’enquête (Anaïs Collet). On voit là nellement retenues (« celui qui arrive aujourd’hui et qui reste demain »).
une petite ville d’Algérie, chez Jennifer Bidet), ou de groupes (réels ou Le processus social de l’enracinement concerne les voyageurs et les tou-
Gentil, les descendants de l’immigration qui retournent en vacances dans ristes, il joue avec la multirésidence (ce que montrent aussi les travaux
tuation spécifique (les travailleurs saisonniers du tourisme, chez Aurélien sur les phénomènes diasporiques) et s’appuie fortement sur l’inscription
(dans la gaytrification, chez Colin Giraud) de groupes définis par une si- dans l’espace public. Il implique des manières d’habiter, c’est-à-dire à la
tification sociale. Il s’agit de communautés qui s’affichent comme telles fois d’user de son logement et de se comporter dans l’espace collectif de
plupart définis par d’autres critères que ceux de la littérature sur la stra- la ville où l’on se trouve (ou de la ville de référence, celle où l’on revien-
cation, plusieurs auteurs se focalisent sur des groupes très précis, pour la dra), qui sont fort différentes selon les groupes et les individus et sont
Qu’ils se situent ou non dans le courant de recherche sur la gentrifi- sujettes au changement dans le temps. Émergent alors deux notions qui
été beaucoup plus contrastées quand triomphait le marxisme althussérien. sont longtemps restées marginales dans la sociologie urbaine mais qui
penser qu’elle se situe hors champ. Les réponses auraient certainement occupent une place croissante : l’espace public et la mobilité.
sion, d’autres y consacrent beaucoup de place, mais personne ne semble La notion d’espace public a donné lieu à divers débats, à mesure que
spatiale. Certaines contributions n’abordent qu’allusivement cette dimen- s’en saisissaient l’architecture, la géographie et plus que tout l’urbanisme.
grent l’étude des pratiques dans le logement et la dimension strictement Les références à Hannah Arendt ou à Jürgen Habermas n’ont pas toujours
raisonnements communément associés à cette thématique, mais ils y intè- clarifié le débat. Pour les sociologues, du moins ceux qui s’expriment ici,
habituels et plus récents de l’analyse de la gentrification, ainsi qu’aux la définition de l’espace public n’entraîne aucune difficulté. Cet espace
est d’abord celui de l’interaction, de l’anonymat, de la rencontre, des
épreuves aléatoires, autrement dit un espace dans lequel les interactions
Postface 228 ne correspondent pas à un programme préétabli ni à un ensemble de
règles du jeu claires et partagées par tous. Ces interactions comportent
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre 229 comme un ensemble matériel, financier, etc., de conditions « d’accès à ».
informations, les personnes auxquelles elle permet d’accéder, et la lire
Urry. On peut aussi définir la mobilité par les activités, les biens, les
donc une forte part d’incertitude et doivent être construites. Cela n’em- c’est ce qu’ont fait notamment divers chercheurs anglais autour de John
pêche pas qu’un ensemble de règles implicites, notamment d’inclusion mais sur l’expérience que représente le fait d’être en train de se déplacer :
et d’exclusion, commandent cette construction, mais elles résultent da- diverses : on peut s’interroger non plus sur l’origine et la destination
vantage des rapports sociaux généraux que des qualifications de l’espace sociologue s’efforce de trouver d’autres points de départ1. Les voies sont
public lui-même. Cela se traduit en particulier dans la dimension genrée transports, qui peuvent modéliser des infrastructures et des services. Le
des relations, ce qui peut se réduire, au moins partiellement, à un point des flux, aux géographes, qui peuvent géolocaliser, et aux ingénieurs en
central de la réflexion des auteurs sur ce sujet : le caractère différencié de le sujet, ce qui convient bien aux économistes, qui peuvent raisonner sur
notre accès à l’espace public. matériels (origine, destination) reste au centre de nombreux travaux sur
Certains insistent sur la dimension corporelle de la présence dans l’es- en cours, encore loin d’aboutir. On sait que la mesure des déplacements
pace public (Anne Jarrigeon), d’autres associent plus directement espace doit chercher à en élaborer sa propre définition. Il s’agit là d’un processus
public et logement. Ces derniers interrogent le processus d’enfermement compte en laissant à d’autres le soin de la définir et de la mesurer : elle
défensif dans l’espace collectif de l’habitation, notamment dans les classes une contrainte extérieure que la sociologie urbaine devrait prendre en
populaires, face à un espace public qui paraît de moins en moins maîtri- à tort la population des villes (1938, 1984, p. 260). La mobilité n’est pas
sable. On retrouve là un autre thème très classique des études urbaines population que l’on saisit à l’endroit où elle dort et à laquelle on réduit
contemporaines (principalement géographiques, minoritairement socio- habitants, une « population nocturne », selon le mot de Louis Wirth : une
logiques), les gated communities ; mais ici, elles ne sont pas envisagées sous plus accepter des analyses où les urbains seraient immobiles, de simples
l’angle du supposé « entre-soi » des classes supérieures – dont beaucoup que la sociologie urbaine l’a désormais intégrée à sa réflexion et ne peut
de travaux, en particulier sur l’Amérique latine, montrent qu’il n’est pas butions ne s’occupent pas directement de mobilité, il apparaît clairement
toujours évident. À l’inverse, Maira Machado-Martins y voit plutôt un Jarrigeon). C’est là un élément essentiel de l’ouvrage : si certaines contri-
procédé défensif contre l’incertitude et l’insécurité de l’espace public. passe, autrement dit comme un lieu de mobilité (Clément Rivière, Anne
Lorsqu’il s’agit de l’espace public, les auteurs le conçoivent toujours, spontanément ou non, comme un espace auquel on accède et où l’on
spontanément ou non, comme un espace auquel on accède et où l’on Lorsqu’il s’agit de l’espace public, les auteurs le conçoivent toujours,
passe, autrement dit comme un lieu de mobilité (Clément Rivière, Anne procédé défensif contre l’incertitude et l’insécurité de l’espace public.
Jarrigeon). C’est là un élément essentiel de l’ouvrage : si certaines contri- toujours évident. À l’inverse, Maira Machado-Martins y voit plutôt un
butions ne s’occupent pas directement de mobilité, il apparaît clairement de travaux, en particulier sur l’Amérique latine, montrent qu’il n’est pas
que la sociologie urbaine l’a désormais intégrée à sa réflexion et ne peut l’angle du supposé « entre-soi » des classes supérieures – dont beaucoup
plus accepter des analyses où les urbains seraient immobiles, de simples logiques), les gated communities ; mais ici, elles ne sont pas envisagées sous
habitants, une « population nocturne », selon le mot de Louis Wirth : une contemporaines (principalement géographiques, minoritairement socio-
population que l’on saisit à l’endroit où elle dort et à laquelle on réduit sable. On retrouve là un autre thème très classique des études urbaines
à tort la population des villes (1938, 1984, p. 260). La mobilité n’est pas populaires, face à un espace public qui paraît de moins en moins maîtri-
une contrainte extérieure que la sociologie urbaine devrait prendre en défensif dans l’espace collectif de l’habitation, notamment dans les classes
compte en laissant à d’autres le soin de la définir et de la mesurer : elle public et logement. Ces derniers interrogent le processus d’enfermement
doit chercher à en élaborer sa propre définition. Il s’agit là d’un processus pace public (Anne Jarrigeon), d’autres associent plus directement espace
en cours, encore loin d’aboutir. On sait que la mesure des déplacements Certains insistent sur la dimension corporelle de la présence dans l’es-
matériels (origine, destination) reste au centre de nombreux travaux sur notre accès à l’espace public.
le sujet, ce qui convient bien aux économistes, qui peuvent raisonner sur central de la réflexion des auteurs sur ce sujet : le caractère différencié de
des flux, aux géographes, qui peuvent géolocaliser, et aux ingénieurs en des relations, ce qui peut se réduire, au moins partiellement, à un point
transports, qui peuvent modéliser des infrastructures et des services. Le public lui-même. Cela se traduit en particulier dans la dimension genrée
sociologue s’efforce de trouver d’autres points de départ1. Les voies sont vantage des rapports sociaux généraux que des qualifications de l’espace
diverses : on peut s’interroger non plus sur l’origine et la destination et d’exclusion, commandent cette construction, mais elles résultent da-
mais sur l’expérience que représente le fait d’être en train de se déplacer : pêche pas qu’un ensemble de règles implicites, notamment d’inclusion
c’est ce qu’ont fait notamment divers chercheurs anglais autour de John donc une forte part d’incertitude et doivent être construites. Cela n’em-
Urry. On peut aussi définir la mobilité par les activités, les biens, les
informations, les personnes auxquelles elle permet d’accéder, et la lire
comme un ensemble matériel, financier, etc., de conditions « d’accès à ». 229 Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre 229 comme un ensemble matériel, financier, etc., de conditions « d’accès à ».
informations, les personnes auxquelles elle permet d’accéder, et la lire
Urry. On peut aussi définir la mobilité par les activités, les biens, les
donc une forte part d’incertitude et doivent être construites. Cela n’em- c’est ce qu’ont fait notamment divers chercheurs anglais autour de John
pêche pas qu’un ensemble de règles implicites, notamment d’inclusion mais sur l’expérience que représente le fait d’être en train de se déplacer :
et d’exclusion, commandent cette construction, mais elles résultent da- diverses : on peut s’interroger non plus sur l’origine et la destination
vantage des rapports sociaux généraux que des qualifications de l’espace sociologue s’efforce de trouver d’autres points de départ1. Les voies sont
public lui-même. Cela se traduit en particulier dans la dimension genrée transports, qui peuvent modéliser des infrastructures et des services. Le
des relations, ce qui peut se réduire, au moins partiellement, à un point des flux, aux géographes, qui peuvent géolocaliser, et aux ingénieurs en
central de la réflexion des auteurs sur ce sujet : le caractère différencié de le sujet, ce qui convient bien aux économistes, qui peuvent raisonner sur
notre accès à l’espace public. matériels (origine, destination) reste au centre de nombreux travaux sur
Certains insistent sur la dimension corporelle de la présence dans l’es- en cours, encore loin d’aboutir. On sait que la mesure des déplacements
pace public (Anne Jarrigeon), d’autres associent plus directement espace doit chercher à en élaborer sa propre définition. Il s’agit là d’un processus
public et logement. Ces derniers interrogent le processus d’enfermement compte en laissant à d’autres le soin de la définir et de la mesurer : elle
défensif dans l’espace collectif de l’habitation, notamment dans les classes une contrainte extérieure que la sociologie urbaine devrait prendre en
populaires, face à un espace public qui paraît de moins en moins maîtri- à tort la population des villes (1938, 1984, p. 260). La mobilité n’est pas
sable. On retrouve là un autre thème très classique des études urbaines population que l’on saisit à l’endroit où elle dort et à laquelle on réduit
contemporaines (principalement géographiques, minoritairement socio- habitants, une « population nocturne », selon le mot de Louis Wirth : une
logiques), les gated communities ; mais ici, elles ne sont pas envisagées sous plus accepter des analyses où les urbains seraient immobiles, de simples
l’angle du supposé « entre-soi » des classes supérieures – dont beaucoup que la sociologie urbaine l’a désormais intégrée à sa réflexion et ne peut
de travaux, en particulier sur l’Amérique latine, montrent qu’il n’est pas butions ne s’occupent pas directement de mobilité, il apparaît clairement
toujours évident. À l’inverse, Maira Machado-Martins y voit plutôt un Jarrigeon). C’est là un élément essentiel de l’ouvrage : si certaines contri-
procédé défensif contre l’incertitude et l’insécurité de l’espace public. passe, autrement dit comme un lieu de mobilité (Clément Rivière, Anne
Lorsqu’il s’agit de l’espace public, les auteurs le conçoivent toujours, spontanément ou non, comme un espace auquel on accède et où l’on
spontanément ou non, comme un espace auquel on accède et où l’on Lorsqu’il s’agit de l’espace public, les auteurs le conçoivent toujours,
passe, autrement dit comme un lieu de mobilité (Clément Rivière, Anne procédé défensif contre l’incertitude et l’insécurité de l’espace public.
Jarrigeon). C’est là un élément essentiel de l’ouvrage : si certaines contri- toujours évident. À l’inverse, Maira Machado-Martins y voit plutôt un
butions ne s’occupent pas directement de mobilité, il apparaît clairement de travaux, en particulier sur l’Amérique latine, montrent qu’il n’est pas
que la sociologie urbaine l’a désormais intégrée à sa réflexion et ne peut l’angle du supposé « entre-soi » des classes supérieures – dont beaucoup
plus accepter des analyses où les urbains seraient immobiles, de simples logiques), les gated communities ; mais ici, elles ne sont pas envisagées sous
habitants, une « population nocturne », selon le mot de Louis Wirth : une contemporaines (principalement géographiques, minoritairement socio-
population que l’on saisit à l’endroit où elle dort et à laquelle on réduit sable. On retrouve là un autre thème très classique des études urbaines
à tort la population des villes (1938, 1984, p. 260). La mobilité n’est pas populaires, face à un espace public qui paraît de moins en moins maîtri-
une contrainte extérieure que la sociologie urbaine devrait prendre en défensif dans l’espace collectif de l’habitation, notamment dans les classes
compte en laissant à d’autres le soin de la définir et de la mesurer : elle public et logement. Ces derniers interrogent le processus d’enfermement
doit chercher à en élaborer sa propre définition. Il s’agit là d’un processus pace public (Anne Jarrigeon), d’autres associent plus directement espace
en cours, encore loin d’aboutir. On sait que la mesure des déplacements Certains insistent sur la dimension corporelle de la présence dans l’es-
matériels (origine, destination) reste au centre de nombreux travaux sur notre accès à l’espace public.
le sujet, ce qui convient bien aux économistes, qui peuvent raisonner sur central de la réflexion des auteurs sur ce sujet : le caractère différencié de
des flux, aux géographes, qui peuvent géolocaliser, et aux ingénieurs en des relations, ce qui peut se réduire, au moins partiellement, à un point
transports, qui peuvent modéliser des infrastructures et des services. Le public lui-même. Cela se traduit en particulier dans la dimension genrée
sociologue s’efforce de trouver d’autres points de départ1. Les voies sont vantage des rapports sociaux généraux que des qualifications de l’espace
diverses : on peut s’interroger non plus sur l’origine et la destination et d’exclusion, commandent cette construction, mais elles résultent da-
mais sur l’expérience que représente le fait d’être en train de se déplacer : pêche pas qu’un ensemble de règles implicites, notamment d’inclusion
c’est ce qu’ont fait notamment divers chercheurs anglais autour de John donc une forte part d’incertitude et doivent être construites. Cela n’em-
Urry. On peut aussi définir la mobilité par les activités, les biens, les
informations, les personnes auxquelles elle permet d’accéder, et la lire
comme un ensemble matériel, financier, etc., de conditions « d’accès à ». 229 Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre
humains font leur propre géographie » (Giddens, 1984, 1987, p. 429) et officielles, en apparence empruntées aux sciences sociales et complète-
En montrant que « tout comme ils font leur propre histoire, les êtres ment déformées dans leur usage courant, pose problème et, si l’on en
été moins investie jusque-là. juge par ce qui s’écrit sur l’espace ici ou là, l’examen critique et irrévé-
résidentiel (Benoit-Guilbot, 1986). Mais cette ligne d’analyse a sans doute rencieux des théories « passe-partout » ne ferait pas de mal.
social » du CNRS, sur la construction de l’identité sociale dans le champ Mais ce débat plus épistémologique correspondrait mal à une ap-
cadre de l’action thématique programmée « Observation du changement proche que partagent une bonne part des auteurs et qui fait de l’espace
récemment et dans une tout autre perspective, les travaux réalisés, dans le l’objet d’une expérience. Comme l’affirmait en effet Edward T. Hall
ciaux proposé il y a fort longtemps par Maurice Halbwachs2 ou, plus (1971), tout ce que l’homme est et tout ce qu’il fait est lié à l’expérience
le programme d’étude des structures morphologiques des groupes so- de l’espace. Si, à l’exception d’Anne Jarrigeon, aucun d’eux ne se réfère
pas non plus une véritable nouveauté, comme l’attestent par exemple explicitement à l’auteur de La Dimension cachée, certaines contributions
sociologie urbaine française et francophone, cette ligne d’analyse n’est accordent une large place aux diverses expériences que les individus
par un savoir ordinaire « concret et personnel » (1925, 1984). Dans la font des espaces – qu’ils habitent, qu’ils fréquentent, qu’ils parcourent – et
« paysan » qui, parce qu’il est isolé et enraciné, se caractérise au contraire aux effets de ces expériences sur leurs manières d’être, d’agir, de voir et
qui lui servent à décrire les scènes diverses sur lesquelles il passe » et le de penser (Jennifer Bidet, Anaïs Collet, Aurélien Gentil, Colin Giraud,
ménage et l’agitation des marchés », qui « acquiert les notions abstraites Anne Jarrigeon, Nicolas Oppenchaim, Clément Rivière). Autrement dit,
Robert E. Park distinguait ainsi le « juif errant », « élevé dans le remue- plusieurs auteurs s’intéressent, de façon centrale ou plus périphérique,
à l’environnement dans lequel ils vivent ou dans lequel ils ont vécu. au rôle de l’espace (l’espace-temps saisonnier, le quartier, le bled...) et
ment exploré ce que les manières d’être et de faire des citadins doivent des mobilités dans la socialisation des individus, saisonniers mobiles du
les premiers sociologues de l’École de Chicago ont en effet très large- tourisme, adolescents des ZUS, gays gentrifieurs, descendants de l’immi-
travaux de Simmel sur Les Grandes Villes et la Vie de l’esprit (1903, 2013), gration algérienne, et / ou dans la construction de leur identité sociale.
nouveautés dans le champ (large) de la sociologie urbaine. À la suite des Cet intérêt et cette ligne d’analyse ne sont pas à proprement parler des
Cet intérêt et cette ligne d’analyse ne sont pas à proprement parler des nouveautés dans le champ (large) de la sociologie urbaine. À la suite des
gration algérienne, et / ou dans la construction de leur identité sociale. travaux de Simmel sur Les Grandes Villes et la Vie de l’esprit (1903, 2013),
tourisme, adolescents des ZUS, gays gentrifieurs, descendants de l’immi- les premiers sociologues de l’École de Chicago ont en effet très large-
des mobilités dans la socialisation des individus, saisonniers mobiles du ment exploré ce que les manières d’être et de faire des citadins doivent
au rôle de l’espace (l’espace-temps saisonnier, le quartier, le bled...) et à l’environnement dans lequel ils vivent ou dans lequel ils ont vécu.
plusieurs auteurs s’intéressent, de façon centrale ou plus périphérique, Robert E. Park distinguait ainsi le « juif errant », « élevé dans le remue-
Anne Jarrigeon, Nicolas Oppenchaim, Clément Rivière). Autrement dit, ménage et l’agitation des marchés », qui « acquiert les notions abstraites
de penser (Jennifer Bidet, Anaïs Collet, Aurélien Gentil, Colin Giraud, qui lui servent à décrire les scènes diverses sur lesquelles il passe » et le
aux effets de ces expériences sur leurs manières d’être, d’agir, de voir et « paysan » qui, parce qu’il est isolé et enraciné, se caractérise au contraire
font des espaces – qu’ils habitent, qu’ils fréquentent, qu’ils parcourent – et par un savoir ordinaire « concret et personnel » (1925, 1984). Dans la
accordent une large place aux diverses expériences que les individus sociologie urbaine française et francophone, cette ligne d’analyse n’est
explicitement à l’auteur de La Dimension cachée, certaines contributions pas non plus une véritable nouveauté, comme l’attestent par exemple
de l’espace. Si, à l’exception d’Anne Jarrigeon, aucun d’eux ne se réfère le programme d’étude des structures morphologiques des groupes so-
(1971), tout ce que l’homme est et tout ce qu’il fait est lié à l’expérience ciaux proposé il y a fort longtemps par Maurice Halbwachs2 ou, plus
l’objet d’une expérience. Comme l’affirmait en effet Edward T. Hall récemment et dans une tout autre perspective, les travaux réalisés, dans le
proche que partagent une bonne part des auteurs et qui fait de l’espace cadre de l’action thématique programmée « Observation du changement
Mais ce débat plus épistémologique correspondrait mal à une ap- social » du CNRS, sur la construction de l’identité sociale dans le champ
rencieux des théories « passe-partout » ne ferait pas de mal. résidentiel (Benoit-Guilbot, 1986). Mais cette ligne d’analyse a sans doute
juge par ce qui s’écrit sur l’espace ici ou là, l’examen critique et irrévé- été moins investie jusque-là.
ment déformées dans leur usage courant, pose problème et, si l’on en En montrant que « tout comme ils font leur propre histoire, les êtres
officielles, en apparence empruntées aux sciences sociales et complète- humains font leur propre géographie » (Giddens, 1984, 1987, p. 429) et
l’étude enfin des fonctions sociales de ces modes d’inscription » (Verret, 1972, p. 318).
des groupes sociaux, celle des modes d’inscription spatio-temporelle de leurs pratiques,
vaux et de recherche : « L’étude des déterminations spatio-temporelles de l’existence 232 Postface
2. Sous le terme de morphologie sociale, Halbwachs définissait trois directions de tra-
humains font leur propre géographie » (Giddens, 1984, 1987, p. 429) et officielles, en apparence empruntées aux sciences sociales et complète-
En montrant que « tout comme ils font leur propre histoire, les êtres ment déformées dans leur usage courant, pose problème et, si l’on en
été moins investie jusque-là. juge par ce qui s’écrit sur l’espace ici ou là, l’examen critique et irrévé-
résidentiel (Benoit-Guilbot, 1986). Mais cette ligne d’analyse a sans doute rencieux des théories « passe-partout » ne ferait pas de mal.
social » du CNRS, sur la construction de l’identité sociale dans le champ Mais ce débat plus épistémologique correspondrait mal à une ap-
cadre de l’action thématique programmée « Observation du changement proche que partagent une bonne part des auteurs et qui fait de l’espace
récemment et dans une tout autre perspective, les travaux réalisés, dans le l’objet d’une expérience. Comme l’affirmait en effet Edward T. Hall
ciaux proposé il y a fort longtemps par Maurice Halbwachs2 ou, plus (1971), tout ce que l’homme est et tout ce qu’il fait est lié à l’expérience
le programme d’étude des structures morphologiques des groupes so- de l’espace. Si, à l’exception d’Anne Jarrigeon, aucun d’eux ne se réfère
pas non plus une véritable nouveauté, comme l’attestent par exemple explicitement à l’auteur de La Dimension cachée, certaines contributions
sociologie urbaine française et francophone, cette ligne d’analyse n’est accordent une large place aux diverses expériences que les individus
par un savoir ordinaire « concret et personnel » (1925, 1984). Dans la font des espaces – qu’ils habitent, qu’ils fréquentent, qu’ils parcourent – et
« paysan » qui, parce qu’il est isolé et enraciné, se caractérise au contraire aux effets de ces expériences sur leurs manières d’être, d’agir, de voir et
qui lui servent à décrire les scènes diverses sur lesquelles il passe » et le de penser (Jennifer Bidet, Anaïs Collet, Aurélien Gentil, Colin Giraud,
ménage et l’agitation des marchés », qui « acquiert les notions abstraites Anne Jarrigeon, Nicolas Oppenchaim, Clément Rivière). Autrement dit,
Robert E. Park distinguait ainsi le « juif errant », « élevé dans le remue- plusieurs auteurs s’intéressent, de façon centrale ou plus périphérique,
à l’environnement dans lequel ils vivent ou dans lequel ils ont vécu. au rôle de l’espace (l’espace-temps saisonnier, le quartier, le bled...) et
ment exploré ce que les manières d’être et de faire des citadins doivent des mobilités dans la socialisation des individus, saisonniers mobiles du
les premiers sociologues de l’École de Chicago ont en effet très large- tourisme, adolescents des ZUS, gays gentrifieurs, descendants de l’immi-
travaux de Simmel sur Les Grandes Villes et la Vie de l’esprit (1903, 2013), gration algérienne, et / ou dans la construction de leur identité sociale.
nouveautés dans le champ (large) de la sociologie urbaine. À la suite des Cet intérêt et cette ligne d’analyse ne sont pas à proprement parler des
Cet intérêt et cette ligne d’analyse ne sont pas à proprement parler des nouveautés dans le champ (large) de la sociologie urbaine. À la suite des
gration algérienne, et / ou dans la construction de leur identité sociale. travaux de Simmel sur Les Grandes Villes et la Vie de l’esprit (1903, 2013),
tourisme, adolescents des ZUS, gays gentrifieurs, descendants de l’immi- les premiers sociologues de l’École de Chicago ont en effet très large-
des mobilités dans la socialisation des individus, saisonniers mobiles du ment exploré ce que les manières d’être et de faire des citadins doivent
au rôle de l’espace (l’espace-temps saisonnier, le quartier, le bled...) et à l’environnement dans lequel ils vivent ou dans lequel ils ont vécu.
plusieurs auteurs s’intéressent, de façon centrale ou plus périphérique, Robert E. Park distinguait ainsi le « juif errant », « élevé dans le remue-
Anne Jarrigeon, Nicolas Oppenchaim, Clément Rivière). Autrement dit, ménage et l’agitation des marchés », qui « acquiert les notions abstraites
de penser (Jennifer Bidet, Anaïs Collet, Aurélien Gentil, Colin Giraud, qui lui servent à décrire les scènes diverses sur lesquelles il passe » et le
aux effets de ces expériences sur leurs manières d’être, d’agir, de voir et « paysan » qui, parce qu’il est isolé et enraciné, se caractérise au contraire
font des espaces – qu’ils habitent, qu’ils fréquentent, qu’ils parcourent – et par un savoir ordinaire « concret et personnel » (1925, 1984). Dans la
accordent une large place aux diverses expériences que les individus sociologie urbaine française et francophone, cette ligne d’analyse n’est
explicitement à l’auteur de La Dimension cachée, certaines contributions pas non plus une véritable nouveauté, comme l’attestent par exemple
de l’espace. Si, à l’exception d’Anne Jarrigeon, aucun d’eux ne se réfère le programme d’étude des structures morphologiques des groupes so-
(1971), tout ce que l’homme est et tout ce qu’il fait est lié à l’expérience ciaux proposé il y a fort longtemps par Maurice Halbwachs2 ou, plus
l’objet d’une expérience. Comme l’affirmait en effet Edward T. Hall récemment et dans une tout autre perspective, les travaux réalisés, dans le
proche que partagent une bonne part des auteurs et qui fait de l’espace cadre de l’action thématique programmée « Observation du changement
Mais ce débat plus épistémologique correspondrait mal à une ap- social » du CNRS, sur la construction de l’identité sociale dans le champ
rencieux des théories « passe-partout » ne ferait pas de mal. résidentiel (Benoit-Guilbot, 1986). Mais cette ligne d’analyse a sans doute
juge par ce qui s’écrit sur l’espace ici ou là, l’examen critique et irrévé- été moins investie jusque-là.
ment déformées dans leur usage courant, pose problème et, si l’on en En montrant que « tout comme ils font leur propre histoire, les êtres
officielles, en apparence empruntées aux sciences sociales et complète- humains font leur propre géographie » (Giddens, 1984, 1987, p. 429) et
Une ouverture
en s’intéressant aux dimensions urbaines et spatiales de la formation des
individus, ces travaux renouvellent, au-delà du cadre de la sociologie ur- les projets ou l’inscription dans des dispositifs de classement.
baine, les recherches sur la socialisation qui, le plus souvent, accordent une professionnels, des citoyens ou des usagers, qui construit l’espace, à travers
faible place à l’espace (Darmon, 2006, 2010). En ce sens, ils en appellent production de l’espace par la gestion : c’est l’action organisée, celle des
d’autres, par exemple pour saisir, au-delà de l’encadrement parental des tration et d’anonymat, produisent l’espace. D’autres encore envisagent la
pratiques urbaines des enfants (Clément Rivière), les pratiques urbaines les interactions entre individus, en particulier dans les lieux de concen-
effectives des enfants et les effets socialisateurs de ces pratiques. et le justifient. D’autres textes montrent comment l’action collective ou
même, à la manière dont les acteurs le conçoivent, le prennent en charge
L’espace et l’action ou l’anthropologie de l’espace, qu’au processus de transformation lui-
comme on l’aurait fait dans les années 1970 en mobilisant la sémiotique
L’expérience de l’espace ne se dissocie pas du rapport à l’autre. Elle général, ils accordent moins d’importance à la description des contenus,
est également action sur l’espace. Martina Löw, qui défend une sociologie Collet) ou des copropriétés de fait de Rio (Maira Machado-Martins). En
de l’espace (2008), affirme que l’espace ne se comprend que dans son ments gay (Colin Giraud), des lofts des convertisseurs de Montreuil (Anaïs
rapport à l’action qu’il produit et qui le produit. La grande majorité des cision les transformations apportées à l’espace matériel, celui des apparte-
contributeurs – peut-être tous – adhéreraient à cette affirmation. C’est L’approche par les genres y contribue. Plusieurs textes analysent avec pré-
là une autre nouveauté : non seulement on parle de l’espace et on ne le d’un support neutre, elles informent l’espace et les auteurs y sont attentifs.
réduit pas à des définitions métaphoriques comme l’ont souvent fait les de s’installer dans un lieu ne peuvent se lire seulement comme l’usage
sociologues, mais on le pense, comme le veulent les pragmatistes, dans ou non dans un lit (Jennifer Bidet), les choix de localisation, les manières
son rapport à l’action. modes de vie, les pratiques les plus quotidiennes, comme le fait de dormir
L’ensemble du volume couvre une gamme étendue de manières d’en- qu’ils privilégient (Anne Jarrigeon, Clément Rivière, Colin Giraud). Les
visager l’action. Les uns considèrent l’espace des pratiques quotidiennes, en particulier individuelles et « genrées » ou sexuées, selon l’approche
en particulier individuelles et « genrées » ou sexuées, selon l’approche visager l’action. Les uns considèrent l’espace des pratiques quotidiennes,
qu’ils privilégient (Anne Jarrigeon, Clément Rivière, Colin Giraud). Les L’ensemble du volume couvre une gamme étendue de manières d’en-
modes de vie, les pratiques les plus quotidiennes, comme le fait de dormir son rapport à l’action.
ou non dans un lit (Jennifer Bidet), les choix de localisation, les manières sociologues, mais on le pense, comme le veulent les pragmatistes, dans
de s’installer dans un lieu ne peuvent se lire seulement comme l’usage réduit pas à des définitions métaphoriques comme l’ont souvent fait les
d’un support neutre, elles informent l’espace et les auteurs y sont attentifs. là une autre nouveauté : non seulement on parle de l’espace et on ne le
L’approche par les genres y contribue. Plusieurs textes analysent avec pré- contributeurs – peut-être tous – adhéreraient à cette affirmation. C’est
cision les transformations apportées à l’espace matériel, celui des apparte- rapport à l’action qu’il produit et qui le produit. La grande majorité des
ments gay (Colin Giraud), des lofts des convertisseurs de Montreuil (Anaïs de l’espace (2008), affirme que l’espace ne se comprend que dans son
Collet) ou des copropriétés de fait de Rio (Maira Machado-Martins). En est également action sur l’espace. Martina Löw, qui défend une sociologie
général, ils accordent moins d’importance à la description des contenus, L’expérience de l’espace ne se dissocie pas du rapport à l’autre. Elle
comme on l’aurait fait dans les années 1970 en mobilisant la sémiotique
ou l’anthropologie de l’espace, qu’au processus de transformation lui- L’espace et l’action
même, à la manière dont les acteurs le conçoivent, le prennent en charge
et le justifient. D’autres textes montrent comment l’action collective ou effectives des enfants et les effets socialisateurs de ces pratiques.
les interactions entre individus, en particulier dans les lieux de concen- pratiques urbaines des enfants (Clément Rivière), les pratiques urbaines
tration et d’anonymat, produisent l’espace. D’autres encore envisagent la d’autres, par exemple pour saisir, au-delà de l’encadrement parental des
production de l’espace par la gestion : c’est l’action organisée, celle des faible place à l’espace (Darmon, 2006, 2010). En ce sens, ils en appellent
professionnels, des citoyens ou des usagers, qui construit l’espace, à travers baine, les recherches sur la socialisation qui, le plus souvent, accordent une
les projets ou l’inscription dans des dispositifs de classement. individus, ces travaux renouvellent, au-delà du cadre de la sociologie ur-
en s’intéressant aux dimensions urbaines et spatiales de la formation des
Une ouverture
Tous parlent donc d’espace, chacun à sa manière, et s’accordent pour 233 Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre
éviter d’en faire le réceptacle neutre de l’action. Le langage du processus
Une ouverture
en s’intéressant aux dimensions urbaines et spatiales de la formation des
individus, ces travaux renouvellent, au-delà du cadre de la sociologie ur- les projets ou l’inscription dans des dispositifs de classement.
baine, les recherches sur la socialisation qui, le plus souvent, accordent une professionnels, des citoyens ou des usagers, qui construit l’espace, à travers
faible place à l’espace (Darmon, 2006, 2010). En ce sens, ils en appellent production de l’espace par la gestion : c’est l’action organisée, celle des
d’autres, par exemple pour saisir, au-delà de l’encadrement parental des tration et d’anonymat, produisent l’espace. D’autres encore envisagent la
pratiques urbaines des enfants (Clément Rivière), les pratiques urbaines les interactions entre individus, en particulier dans les lieux de concen-
effectives des enfants et les effets socialisateurs de ces pratiques. et le justifient. D’autres textes montrent comment l’action collective ou
même, à la manière dont les acteurs le conçoivent, le prennent en charge
L’espace et l’action ou l’anthropologie de l’espace, qu’au processus de transformation lui-
comme on l’aurait fait dans les années 1970 en mobilisant la sémiotique
L’expérience de l’espace ne se dissocie pas du rapport à l’autre. Elle général, ils accordent moins d’importance à la description des contenus,
est également action sur l’espace. Martina Löw, qui défend une sociologie Collet) ou des copropriétés de fait de Rio (Maira Machado-Martins). En
de l’espace (2008), affirme que l’espace ne se comprend que dans son ments gay (Colin Giraud), des lofts des convertisseurs de Montreuil (Anaïs
rapport à l’action qu’il produit et qui le produit. La grande majorité des cision les transformations apportées à l’espace matériel, celui des apparte-
contributeurs – peut-être tous – adhéreraient à cette affirmation. C’est L’approche par les genres y contribue. Plusieurs textes analysent avec pré-
là une autre nouveauté : non seulement on parle de l’espace et on ne le d’un support neutre, elles informent l’espace et les auteurs y sont attentifs.
réduit pas à des définitions métaphoriques comme l’ont souvent fait les de s’installer dans un lieu ne peuvent se lire seulement comme l’usage
sociologues, mais on le pense, comme le veulent les pragmatistes, dans ou non dans un lit (Jennifer Bidet), les choix de localisation, les manières
son rapport à l’action. modes de vie, les pratiques les plus quotidiennes, comme le fait de dormir
L’ensemble du volume couvre une gamme étendue de manières d’en- qu’ils privilégient (Anne Jarrigeon, Clément Rivière, Colin Giraud). Les
visager l’action. Les uns considèrent l’espace des pratiques quotidiennes, en particulier individuelles et « genrées » ou sexuées, selon l’approche
en particulier individuelles et « genrées » ou sexuées, selon l’approche visager l’action. Les uns considèrent l’espace des pratiques quotidiennes,
qu’ils privilégient (Anne Jarrigeon, Clément Rivière, Colin Giraud). Les L’ensemble du volume couvre une gamme étendue de manières d’en-
modes de vie, les pratiques les plus quotidiennes, comme le fait de dormir son rapport à l’action.
ou non dans un lit (Jennifer Bidet), les choix de localisation, les manières sociologues, mais on le pense, comme le veulent les pragmatistes, dans
de s’installer dans un lieu ne peuvent se lire seulement comme l’usage réduit pas à des définitions métaphoriques comme l’ont souvent fait les
d’un support neutre, elles informent l’espace et les auteurs y sont attentifs. là une autre nouveauté : non seulement on parle de l’espace et on ne le
L’approche par les genres y contribue. Plusieurs textes analysent avec pré- contributeurs – peut-être tous – adhéreraient à cette affirmation. C’est
cision les transformations apportées à l’espace matériel, celui des apparte- rapport à l’action qu’il produit et qui le produit. La grande majorité des
ments gay (Colin Giraud), des lofts des convertisseurs de Montreuil (Anaïs de l’espace (2008), affirme que l’espace ne se comprend que dans son
Collet) ou des copropriétés de fait de Rio (Maira Machado-Martins). En est également action sur l’espace. Martina Löw, qui défend une sociologie
général, ils accordent moins d’importance à la description des contenus, L’expérience de l’espace ne se dissocie pas du rapport à l’autre. Elle
comme on l’aurait fait dans les années 1970 en mobilisant la sémiotique
ou l’anthropologie de l’espace, qu’au processus de transformation lui- L’espace et l’action
même, à la manière dont les acteurs le conçoivent, le prennent en charge
et le justifient. D’autres textes montrent comment l’action collective ou effectives des enfants et les effets socialisateurs de ces pratiques.
les interactions entre individus, en particulier dans les lieux de concen- pratiques urbaines des enfants (Clément Rivière), les pratiques urbaines
tration et d’anonymat, produisent l’espace. D’autres encore envisagent la d’autres, par exemple pour saisir, au-delà de l’encadrement parental des
production de l’espace par la gestion : c’est l’action organisée, celle des faible place à l’espace (Darmon, 2006, 2010). En ce sens, ils en appellent
professionnels, des citoyens ou des usagers, qui construit l’espace, à travers baine, les recherches sur la socialisation qui, le plus souvent, accordent une
les projets ou l’inscription dans des dispositifs de classement. individus, ces travaux renouvellent, au-delà du cadre de la sociologie ur-
en s’intéressant aux dimensions urbaines et spatiales de la formation des
Une ouverture
Tous parlent donc d’espace, chacun à sa manière, et s’accordent pour 233 Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre
éviter d’en faire le réceptacle neutre de l’action. Le langage du processus
Glencoe.
Gans Herbert J. (1962), The Urban Villagers, New York, The Free Press of 234 Postface
Darmon Muriel (2006, 2010), La Socialisation, Paris, Armand Colin.
Paris, La Découverte.
(2008), La France des « petits-moyens ». Enquête sur la banlieue pavillonnaire, permet d’articuler l’espace et le temps, notamment à travers les parcours
Cartier Marie, Coutant Isabelle, Masclet Olivier & Siblot Yasmine résidentiels (que l’on retrouve dans beaucoup de textes) ou les manières
Cahiers internationaux de sociologie (2005), no 118, « Mobilité et modernité ». d’habiter (en particulier celles des saisonniers ou des vacanciers). On voit
du CNRS, p. 127-156. réapparaître en creux le concept de mode de spatialisation à travers lequel
des lieux : localités et changement social en France, Collectif, Paris, Éditions Raymond Ledrut avait voulu montrer, contre le déterminisme étroit de
constitutions d’images et enjeux de stratégies localisées », dans L’Esprit certains marxistes, la dimension processuelle et interactionnelle de la pro-
Benoit-Guilbot Odile (1986), « Quartiers dortoirs, quartiers villages : duction de l’espace. Certains vont chercher un vocabulaire développé par
d’autres disciplines et devant lequel la sociologie s’est souvent montrée
Bibliographie réticente : « lieu » ou « ambiance » par exemple, deux termes que Martina
Löw, il est vrai, fait entrer par la grande porte dans la sociologie de l’es-
débouche sur des renouvellements importants. pace. Ceux-là participent à une approche de l’espace public qui, pour se
que ce n’est pas le cas. On verra dans les années à venir si ce mouvement référer à quelques sociologues reconnus comme Isaac Joseph, n’en est pas
réduire l’espace aux rapports sociaux. Les textes rassemblés ici montrent moins porteuse d’innovation. Lieu d’interaction, l’espace public (ou plu-
se crispait sur ses thématiques les plus traditionnelles et si elle voulait tôt sa pratique) est ici considéré comme une épreuve (même si le terme
Ce mouvement pourrait passer à côté de la sociologie urbaine, si elle est employé à propos de la mobilité). Un auteur insiste sur sa dimension
place importante à la réflexion sur l’espace et le temps dans la sociologie. corporelle et sur le rôle du corps dans la construction spatiale de l’anony-
n’est pas spécifique à la francophonie –, celui qui entend accorder une mat. Un autre définit l’espace public comme le lieu de la mise en danger
d’unité problématique ou théorique forte, mais un mouvement – qui de soi et d’autrui. On retrouve là des approches qui ne sont pas sans lien
tester des concepts un peu inhabituels ou étrangers. Il n’y a donc pas avec le courant éthologique qui a influencé l’anthropologie mais peu la
logie urbaine mobilise des paradigmes très divers. Il offre l’occasion de sociologie, malgré la lecture de Goffman.
presque tous les auteurs de ce volume, ce retour de l’espace dans la socio- Même si le rapport à l’action constitue un point de ralliement pour
Même si le rapport à l’action constitue un point de ralliement pour presque tous les auteurs de ce volume, ce retour de l’espace dans la socio-
sociologie, malgré la lecture de Goffman. logie urbaine mobilise des paradigmes très divers. Il offre l’occasion de
avec le courant éthologique qui a influencé l’anthropologie mais peu la tester des concepts un peu inhabituels ou étrangers. Il n’y a donc pas
de soi et d’autrui. On retrouve là des approches qui ne sont pas sans lien d’unité problématique ou théorique forte, mais un mouvement – qui
mat. Un autre définit l’espace public comme le lieu de la mise en danger n’est pas spécifique à la francophonie –, celui qui entend accorder une
corporelle et sur le rôle du corps dans la construction spatiale de l’anony- place importante à la réflexion sur l’espace et le temps dans la sociologie.
est employé à propos de la mobilité). Un auteur insiste sur sa dimension Ce mouvement pourrait passer à côté de la sociologie urbaine, si elle
tôt sa pratique) est ici considéré comme une épreuve (même si le terme se crispait sur ses thématiques les plus traditionnelles et si elle voulait
moins porteuse d’innovation. Lieu d’interaction, l’espace public (ou plu- réduire l’espace aux rapports sociaux. Les textes rassemblés ici montrent
référer à quelques sociologues reconnus comme Isaac Joseph, n’en est pas que ce n’est pas le cas. On verra dans les années à venir si ce mouvement
pace. Ceux-là participent à une approche de l’espace public qui, pour se débouche sur des renouvellements importants.
Löw, il est vrai, fait entrer par la grande porte dans la sociologie de l’es-
réticente : « lieu » ou « ambiance » par exemple, deux termes que Martina Bibliographie
d’autres disciplines et devant lequel la sociologie s’est souvent montrée
duction de l’espace. Certains vont chercher un vocabulaire développé par Benoit-Guilbot Odile (1986), « Quartiers dortoirs, quartiers villages :
certains marxistes, la dimension processuelle et interactionnelle de la pro- constitutions d’images et enjeux de stratégies localisées », dans L’Esprit
Raymond Ledrut avait voulu montrer, contre le déterminisme étroit de des lieux : localités et changement social en France, Collectif, Paris, Éditions
réapparaître en creux le concept de mode de spatialisation à travers lequel du CNRS, p. 127-156.
d’habiter (en particulier celles des saisonniers ou des vacanciers). On voit Cahiers internationaux de sociologie (2005), no 118, « Mobilité et modernité ».
résidentiels (que l’on retrouve dans beaucoup de textes) ou les manières Cartier Marie, Coutant Isabelle, Masclet Olivier & Siblot Yasmine
permet d’articuler l’espace et le temps, notamment à travers les parcours (2008), La France des « petits-moyens ». Enquête sur la banlieue pavillonnaire,
Paris, La Découverte.
Darmon Muriel (2006, 2010), La Socialisation, Paris, Armand Colin.
Postface 234 Gans Herbert J. (1962), The Urban Villagers, New York, The Free Press of
Glencoe.
Glencoe.
Gans Herbert J. (1962), The Urban Villagers, New York, The Free Press of 234 Postface
Darmon Muriel (2006, 2010), La Socialisation, Paris, Armand Colin.
Paris, La Découverte.
(2008), La France des « petits-moyens ». Enquête sur la banlieue pavillonnaire, permet d’articuler l’espace et le temps, notamment à travers les parcours
Cartier Marie, Coutant Isabelle, Masclet Olivier & Siblot Yasmine résidentiels (que l’on retrouve dans beaucoup de textes) ou les manières
Cahiers internationaux de sociologie (2005), no 118, « Mobilité et modernité ». d’habiter (en particulier celles des saisonniers ou des vacanciers). On voit
du CNRS, p. 127-156. réapparaître en creux le concept de mode de spatialisation à travers lequel
des lieux : localités et changement social en France, Collectif, Paris, Éditions Raymond Ledrut avait voulu montrer, contre le déterminisme étroit de
constitutions d’images et enjeux de stratégies localisées », dans L’Esprit certains marxistes, la dimension processuelle et interactionnelle de la pro-
Benoit-Guilbot Odile (1986), « Quartiers dortoirs, quartiers villages : duction de l’espace. Certains vont chercher un vocabulaire développé par
d’autres disciplines et devant lequel la sociologie s’est souvent montrée
Bibliographie réticente : « lieu » ou « ambiance » par exemple, deux termes que Martina
Löw, il est vrai, fait entrer par la grande porte dans la sociologie de l’es-
débouche sur des renouvellements importants. pace. Ceux-là participent à une approche de l’espace public qui, pour se
que ce n’est pas le cas. On verra dans les années à venir si ce mouvement référer à quelques sociologues reconnus comme Isaac Joseph, n’en est pas
réduire l’espace aux rapports sociaux. Les textes rassemblés ici montrent moins porteuse d’innovation. Lieu d’interaction, l’espace public (ou plu-
se crispait sur ses thématiques les plus traditionnelles et si elle voulait tôt sa pratique) est ici considéré comme une épreuve (même si le terme
Ce mouvement pourrait passer à côté de la sociologie urbaine, si elle est employé à propos de la mobilité). Un auteur insiste sur sa dimension
place importante à la réflexion sur l’espace et le temps dans la sociologie. corporelle et sur le rôle du corps dans la construction spatiale de l’anony-
n’est pas spécifique à la francophonie –, celui qui entend accorder une mat. Un autre définit l’espace public comme le lieu de la mise en danger
d’unité problématique ou théorique forte, mais un mouvement – qui de soi et d’autrui. On retrouve là des approches qui ne sont pas sans lien
tester des concepts un peu inhabituels ou étrangers. Il n’y a donc pas avec le courant éthologique qui a influencé l’anthropologie mais peu la
logie urbaine mobilise des paradigmes très divers. Il offre l’occasion de sociologie, malgré la lecture de Goffman.
presque tous les auteurs de ce volume, ce retour de l’espace dans la socio- Même si le rapport à l’action constitue un point de ralliement pour
Même si le rapport à l’action constitue un point de ralliement pour presque tous les auteurs de ce volume, ce retour de l’espace dans la socio-
sociologie, malgré la lecture de Goffman. logie urbaine mobilise des paradigmes très divers. Il offre l’occasion de
avec le courant éthologique qui a influencé l’anthropologie mais peu la tester des concepts un peu inhabituels ou étrangers. Il n’y a donc pas
de soi et d’autrui. On retrouve là des approches qui ne sont pas sans lien d’unité problématique ou théorique forte, mais un mouvement – qui
mat. Un autre définit l’espace public comme le lieu de la mise en danger n’est pas spécifique à la francophonie –, celui qui entend accorder une
corporelle et sur le rôle du corps dans la construction spatiale de l’anony- place importante à la réflexion sur l’espace et le temps dans la sociologie.
est employé à propos de la mobilité). Un auteur insiste sur sa dimension Ce mouvement pourrait passer à côté de la sociologie urbaine, si elle
tôt sa pratique) est ici considéré comme une épreuve (même si le terme se crispait sur ses thématiques les plus traditionnelles et si elle voulait
moins porteuse d’innovation. Lieu d’interaction, l’espace public (ou plu- réduire l’espace aux rapports sociaux. Les textes rassemblés ici montrent
référer à quelques sociologues reconnus comme Isaac Joseph, n’en est pas que ce n’est pas le cas. On verra dans les années à venir si ce mouvement
pace. Ceux-là participent à une approche de l’espace public qui, pour se débouche sur des renouvellements importants.
Löw, il est vrai, fait entrer par la grande porte dans la sociologie de l’es-
réticente : « lieu » ou « ambiance » par exemple, deux termes que Martina Bibliographie
d’autres disciplines et devant lequel la sociologie s’est souvent montrée
duction de l’espace. Certains vont chercher un vocabulaire développé par Benoit-Guilbot Odile (1986), « Quartiers dortoirs, quartiers villages :
certains marxistes, la dimension processuelle et interactionnelle de la pro- constitutions d’images et enjeux de stratégies localisées », dans L’Esprit
Raymond Ledrut avait voulu montrer, contre le déterminisme étroit de des lieux : localités et changement social en France, Collectif, Paris, Éditions
réapparaître en creux le concept de mode de spatialisation à travers lequel du CNRS, p. 127-156.
d’habiter (en particulier celles des saisonniers ou des vacanciers). On voit Cahiers internationaux de sociologie (2005), no 118, « Mobilité et modernité ».
résidentiels (que l’on retrouve dans beaucoup de textes) ou les manières Cartier Marie, Coutant Isabelle, Masclet Olivier & Siblot Yasmine
permet d’articuler l’espace et le temps, notamment à travers les parcours (2008), La France des « petits-moyens ». Enquête sur la banlieue pavillonnaire,
Paris, La Découverte.
Darmon Muriel (2006, 2010), La Socialisation, Paris, Armand Colin.
Postface 234 Gans Herbert J. (1962), The Urban Villagers, New York, The Free Press of
Glencoe.
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre 235
London, Londres, Routledge and Kegan Paul.
Young Michael D. & Willmott Peter (1957), Family and Kinship in East
Giddens Anthony (1984, 1987), La Constitution de la société, Michel Audet & Yves Grafmeyer (trad.), Paris, Aubier, p. 255-282.
(trad.), Paris, Presses universitaires de France. vie », dans L’École de Chicago : naissance de l’écologie urbaine, Isaac Joseph
Halbwachs Maurice (1938), Morphologie sociale, Paris, Armand Colin. Wirth Louis (1938, 1984), « Le phénomène urbain comme mode de
Hall Edward T. (1971), La Dimension cachée, Amélie Petita (trad.), Paris, Schuster.
Seuil. Whyte William H. (1956), The Organisation Man, New York, Simon and
Haumont Nicole (1966), Les Pavillonnaires : étude psychosociologique d’un misme », Cahiers internationaux de sociologie, no 53, p. 311-331.
mode d’habitat, Paris, Institut de sociologie urbaine, Centre de recher- Verret Michel (1972), « Halbwachs ou le deuxième âge du durkhei-
ches d’urbanisme. lyse de la production capitaliste du logement en France, Paris, Mouton.
Hoggart Richard (1957), The Uses of Literacy, Londres, Chatto and Windus. Topalov Christian (1974), Les Promoteurs immobiliers : contribution à l’ana-
Kaufmann Vincent (2001, 2007), « La motilité : une notion clé pour re- Louis Vieillard-Baron & Frédéric Joly (trad.), Paris, Payot & Rivages.
visiter l’urbain ? », dans Enjeux de la sociologie urbaine, Michel Bassand, Simmel Georg (1903, 2013), Les Grandes Villes et la Vie de l’esprit, Jean-
Vincent Kaufmann & Dominique Joye (dir.), Lausanne, Presses poly- Institut de sociologie urbaine, Centre de recherches d’urbanisme.
techniques et universitaires romandes, p. 87-102. Raymond Marie-Geneviève (1966), La Politique pavillonnaire, Paris,
Ledrut Raymond (1977), L’Espace en question, Paris, Anthropos. d’urbanisme.
Lorrain Dominique (2002), « Capitalismes urbains : la montée des firmes Lefebvre, Paris, Institut de sociologie urbaine, Centre de recherches
d’infrastructures », Entreprises et histoire, no 30, p. 7-31. Haumont Antoine (1966), L’Habitat pavillonnaire, préface d’Henri
Löw Martina (2008), “The Constitution of Space: the Structuration of Raymond Henri, Haumont Nicole, Raymond Marie-Geneviève &
Spaces Through the Simultaneity of Effect and Perception”, European Mouton.
Journal of Social Theory, vol. 11, no 1, p. 25-49. Préteceille Edmond (1973), La Production des grands ensembles, Paris,
Park Robert Ezra (1925, 1984), “The City: Suggestions for the Inves- Grafmeyer (trad.), Paris, Aubier, p. 79-126.
tigation of Human Behavior in the Urban Environment”, dans L’École de Chicago : naissance de l’écologie urbaine, Isaac Joseph & Yves
L’École de Chicago : naissance de l’écologie urbaine, Isaac Joseph & Yves tigation of Human Behavior in the Urban Environment”, dans
Grafmeyer (trad.), Paris, Aubier, p. 79-126. Park Robert Ezra (1925, 1984), “The City: Suggestions for the Inves-
Préteceille Edmond (1973), La Production des grands ensembles, Paris, Journal of Social Theory, vol. 11, no 1, p. 25-49.
Mouton. Spaces Through the Simultaneity of Effect and Perception”, European
Raymond Henri, Haumont Nicole, Raymond Marie-Geneviève & Löw Martina (2008), “The Constitution of Space: the Structuration of
Haumont Antoine (1966), L’Habitat pavillonnaire, préface d’Henri d’infrastructures », Entreprises et histoire, no 30, p. 7-31.
Lefebvre, Paris, Institut de sociologie urbaine, Centre de recherches Lorrain Dominique (2002), « Capitalismes urbains : la montée des firmes
d’urbanisme. Ledrut Raymond (1977), L’Espace en question, Paris, Anthropos.
Raymond Marie-Geneviève (1966), La Politique pavillonnaire, Paris, techniques et universitaires romandes, p. 87-102.
Institut de sociologie urbaine, Centre de recherches d’urbanisme. Vincent Kaufmann & Dominique Joye (dir.), Lausanne, Presses poly-
Simmel Georg (1903, 2013), Les Grandes Villes et la Vie de l’esprit, Jean- visiter l’urbain ? », dans Enjeux de la sociologie urbaine, Michel Bassand,
Louis Vieillard-Baron & Frédéric Joly (trad.), Paris, Payot & Rivages. Kaufmann Vincent (2001, 2007), « La motilité : une notion clé pour re-
Topalov Christian (1974), Les Promoteurs immobiliers : contribution à l’ana- Hoggart Richard (1957), The Uses of Literacy, Londres, Chatto and Windus.
lyse de la production capitaliste du logement en France, Paris, Mouton. ches d’urbanisme.
Verret Michel (1972), « Halbwachs ou le deuxième âge du durkhei- mode d’habitat, Paris, Institut de sociologie urbaine, Centre de recher-
misme », Cahiers internationaux de sociologie, no 53, p. 311-331. Haumont Nicole (1966), Les Pavillonnaires : étude psychosociologique d’un
Whyte William H. (1956), The Organisation Man, New York, Simon and Seuil.
Schuster. Hall Edward T. (1971), La Dimension cachée, Amélie Petita (trad.), Paris,
Wirth Louis (1938, 1984), « Le phénomène urbain comme mode de Halbwachs Maurice (1938), Morphologie sociale, Paris, Armand Colin.
vie », dans L’École de Chicago : naissance de l’écologie urbaine, Isaac Joseph (trad.), Paris, Presses universitaires de France.
& Yves Grafmeyer (trad.), Paris, Aubier, p. 255-282. Giddens Anthony (1984, 1987), La Constitution de la société, Michel Audet
Young Michael D. & Willmott Peter (1957), Family and Kinship in East
London, Londres, Routledge and Kegan Paul.
235 Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre
studi di Milano-Bicocca.
Présentation des auteurs 239 du changement (Institut d’études politiques de Paris) et l’Università degli
mixité sociale (Paris-Milan), en cotutelle avec l’Observatoire sociologique
sive de l’encadrement parental des pratiques urbaines des enfants en contexte de
ciências sociais, Universidade federal de Rio de Janeiro) et membre asso- espaces publics urbains : Ce que tous les parents disent ? Approche compréhen-
ciée au Lab’Urba (Université Paris-Est Marne-la-Vallée). Ses recherches visent à encadrer les déplacements et les activités des enfants au sein des
portent sur l’habitat informel et l’aménagement urbain. Sa thèse, intitulée cessus de socialisation urbaine sous l’entrée des pratiques parentales qui
Les Copropriétés populaires de l’avenida Brasil : étude d’une nouvelle forme et docteur en sociologie. Dans le cadre de sa thèse, il a interrogé le pro-
d’habitat informel à Rio de Janeiro dans les années 2000, a été soutenue à Clément Rivière est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris
l’Université Paris-Est en 2011.
le domaine de l’urbanisme.
Marie Muselle est actuellement commissaire d’arrondissement de la tion de la production de la ville et les pratiques de travail collaboratif dans
province de Namur (c’est-à-dire gouverneur adjoint) et maîtresse de et l’action collective à travers deux entrées complémentaires : la régula-
conférences à l’Université de Liège. Elle y assure des enseignements tant centre d’affaires d’Istanbul). Ses travaux portent sur la fabrication de la ville
dans le domaine du développement local et territorial que dans celui (L’Organisation de l’action collective urbaine. Le développement du nouveau
de la gestion de crise. Elle est également collaboratrice scientifique du Est Marne-la-Vallée). Elle est doctorante, en dernière année de thèse
Centre de recherche et d’intervention sociologique (CRIS) de l’Univer- tut français d’urbanisme et chercheure au Lab’Urba (Université Paris-
sité de Liège. Ses travaux portent sur la construction sociale et politique Burcu Özdirlik, architecte et urbaniste, est chargée de cours à l’Insti-
du cadre de vie et plus particulièrement sur la gestion des espaces péri-
urbains. Elle a entamé une thèse en cotutelle avec le Lab’Urba (Université l’exclusion.
Paris-Est Marne-la-Vallée) et le CRIS sur la gestion des espaces péri- lement dans le domaine de la sociologie urbaine et de la sociologie de
urbains dans les recompositions territoriales en Belgique et en France. des adolescents de zones urbaines sensibles. Ses travaux se situent principa-
dienne, socialisation et ségrégation : une analyse à partir des manières d’habiter
Nicolas Oppenchaim est maître de conférences en sociologie à en 2011 une thèse de sociologie à l’Université Paris-Est : Mobilité quoti-
l’Université François Rabelais de Tours et chercheur au laboratoire Cités, territoires, environnement et sociétés (Citeres, UMR 7324). Il a soutenu
territoires, environnement et sociétés (Citeres, UMR 7324). Il a soutenu l’Université François Rabelais de Tours et chercheur au laboratoire Cités,
en 2011 une thèse de sociologie à l’Université Paris-Est : Mobilité quoti- Nicolas Oppenchaim est maître de conférences en sociologie à
dienne, socialisation et ségrégation : une analyse à partir des manières d’habiter
des adolescents de zones urbaines sensibles. Ses travaux se situent principa- urbains dans les recompositions territoriales en Belgique et en France.
lement dans le domaine de la sociologie urbaine et de la sociologie de Paris-Est Marne-la-Vallée) et le CRIS sur la gestion des espaces péri-
l’exclusion. urbains. Elle a entamé une thèse en cotutelle avec le Lab’Urba (Université
du cadre de vie et plus particulièrement sur la gestion des espaces péri-
Burcu Özdirlik, architecte et urbaniste, est chargée de cours à l’Insti- sité de Liège. Ses travaux portent sur la construction sociale et politique
tut français d’urbanisme et chercheure au Lab’Urba (Université Paris- Centre de recherche et d’intervention sociologique (CRIS) de l’Univer-
Est Marne-la-Vallée). Elle est doctorante, en dernière année de thèse de la gestion de crise. Elle est également collaboratrice scientifique du
(L’Organisation de l’action collective urbaine. Le développement du nouveau dans le domaine du développement local et territorial que dans celui
centre d’affaires d’Istanbul). Ses travaux portent sur la fabrication de la ville conférences à l’Université de Liège. Elle y assure des enseignements tant
et l’action collective à travers deux entrées complémentaires : la régula- province de Namur (c’est-à-dire gouverneur adjoint) et maîtresse de
tion de la production de la ville et les pratiques de travail collaboratif dans Marie Muselle est actuellement commissaire d’arrondissement de la
le domaine de l’urbanisme.
l’Université Paris-Est en 2011.
Clément Rivière est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris d’habitat informel à Rio de Janeiro dans les années 2000, a été soutenue à
et docteur en sociologie. Dans le cadre de sa thèse, il a interrogé le pro- Les Copropriétés populaires de l’avenida Brasil : étude d’une nouvelle forme
cessus de socialisation urbaine sous l’entrée des pratiques parentales qui portent sur l’habitat informel et l’aménagement urbain. Sa thèse, intitulée
visent à encadrer les déplacements et les activités des enfants au sein des ciée au Lab’Urba (Université Paris-Est Marne-la-Vallée). Ses recherches
espaces publics urbains : Ce que tous les parents disent ? Approche compréhen- ciências sociais, Universidade federal de Rio de Janeiro) et membre asso-
sive de l’encadrement parental des pratiques urbaines des enfants en contexte de
mixité sociale (Paris-Milan), en cotutelle avec l’Observatoire sociologique
du changement (Institut d’études politiques de Paris) et l’Università degli 239 Présentation des auteurs
studi di Milano-Bicocca.
Clément Rivière
approche par l’encadrement parental en contexte de mixité sociale ................... 105
Pratiques urbaines et ségrégation :
Introduction .............................................................................................. 5
Anne Jarrigeon
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre
Pour une anthropologie poétique des expériences urbaines ............................... 68
Clément Rivière
approche par l’encadrement parental en contexte de mixité sociale ................... 105
Pratiques urbaines et ségrégation :
Introduction .............................................................................................. 5
Anne Jarrigeon
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre
Pour une anthropologie poétique des expériences urbaines ............................... 68
POSTFACE
Burcu Özdirlik
le développement du nouveau centre d’affaires d’Istanbul .............................. 155
L’organisation de l’action collective urbaine : Comment les jeunes chercheurs construisent
et renouvellent la sociologie urbaine aujourd’hui .......................................... 221
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre
PRODUCTION DE L’ESPACE ET ACTION COLLECTIVE
Présentation des auteurs ........................................................................... 237
Colin Giraud
Renouveler les approches de la gentrification : le cas de la « gaytrification » ........ 137
Anaïs Collet
Le travail de conversion immobilière dans le Bas-Montreuil ............................. 119
Les habitants, producteurs d’espaces gentrifiés ?
POSTFACE
Burcu Özdirlik
le développement du nouveau centre d’affaires d’Istanbul .............................. 155
L’organisation de l’action collective urbaine : Comment les jeunes chercheurs construisent
et renouvellent la sociologie urbaine aujourd’hui .......................................... 221
Jean-Yves Authier, Alain Bourdin & Marie-Pierre Lefeuvre
PRODUCTION DE L’ESPACE ET ACTION COLLECTIVE
Présentation des auteurs ........................................................................... 237
Colin Giraud
Renouveler les approches de la gentrification : le cas de la « gaytrification » ........ 137
Anaïs Collet
Le travail de conversion immobilière dans le Bas-Montreuil ............................. 119
Les habitants, producteurs d’espaces gentrifiés ?
Dépôt légal : juin 2014
2, rue de la Pinsonnière – 37260 Monts
par Présence graphique
Achevé d’imprimer en juin 2014