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Lecture analytique 1 : Le Malade imaginaire, Molière (1673)

Extrait acte 1, scène 5 : « Vous ne la mettrez point au couvent » à la


fin de la scène.

Introduction : C’est au cours de la quatrième représentation du Malade


imaginaire, le 17 février 1673, que Molière, auteur de la pièce et qui interprète le
rôle principal, est pris d’un malaise. Le spectacle est interrompu et le dramaturge
est transporté chez lui où il meurt dans la nuit. Cette œuvre théâtrale où se
mêlent tous les arts du spectacle vivant devient alors le testament de Molière.
Sa dernière pièce met en scène Argan, un hypocondriaque, et sa famille. Après un
quiproquo où Angélique, la fille d’Argan, a cru que son père lui donnait en mariage
Cléante, l’homme qu’elle aime, celle-ci comprend qu’Argan la destine à Thomas
Diafoirus, futur médecin et neveu de M.Purgon, le propre médecin de son père. À
la fin de la scène 5 de l’acte I, Toinette, la servante de la famille, exprime son
désaccord à son maître au sujet de cette union et surtout sa décision d’envoyer
Angélique au couvent si elle ne lui obéit pas.

LECTURE DE L’EXTRAIT
Problématique : En quoi ce passage montre-t-il que la pièce de Molière, Le Malade
imaginaire, est une comédie ?

Démarche linéaire

1° mouvement : l.1 à 30 : Un projet désapprouvé !

2° mouvement : l.31 à 35 : Toinette affronte Argan.

3° mouvement : l.36 à 54 : Une scène de farce.

1° mouvement (l.1 à 30) : Un projet désapprouvé !

- Première partie de l’échange Toinette/Argan est marquée par l’emploi des


stichomythies = impose un rythme rapide et donne ainsi une vivacité au texte.

- L.1 à 10 : Échange entre Toinette et Argan avec une alternance de phrases


déclaratives (= Argan) et de phrases interrogatives (= Toinette) = ce qui
annonce déjà l’inversion des rôles servante/maître développé plus loin.

L.1/2 : « ne…point » ; l.6 : « ne…pas » = multiplication de négations + : répétition


du « non » aux l.3/4 – 5/8 = ce qui marque bien le désaccord de Toinette face
à la décision d’envoyer Angélique au couvent s’il elle n’accepte pas le mariage
qu’on lui impose : Toinette s’oppose donc au projet et surtout à celui qui l’a
imaginé : Argan, son maître ! L’emploi du pronom de la 2° pers.du pl marque,
certes, la hiérarchie entre Toinette et Argan, mais cela n’empêche pas la
servante de s’adresser directement à son maître pour montrer son opposition à
celui-ci.

+ On remarque l’emploi du futur de l’indicatif («Vous ne la mettrez point» l.1 ; «


je ne la mettrai point » l.2) dans les répliques : indicatif = mode de la certitude,
du réel : Argan ne mettra pas son projet à exécution selon Toinette.

+ Alternance déclarative/interrogative + répétitions d’une réplique sur l’autre des


négations = comique de situation (opposition servante/maître) + comique de
mots (répétitions).

- L.11 à 22 : À la question d’Argan « qui m’empêchera de mener à bien mon projet


? », Toinette lui répond à la l.10 : « Vous-même. »

=>Surprise d’Argan à travers sa réplique laconique et interrogative : « Moi ? »


(l.11)

« cœur » (l ;12) ; « tendresse paternelle » (l.16) ; « petite larme », « bras jetés


au cou » (l.18) ; « mon petit papa mignon » (l.18-19) ; « tendrement » (l.19) ; «
vous toucher » (l.19) = champ lexical de l’affection filiale/paternelle

=>c’est l’argument de Toinette pour contrecarrer la volonté d’Argan : celui-ci


aime sa fille et ne pourra pas se montrer cruel envers elle (encore une fois :
l’emploi du futur de l’indicatif qui montre les certitudes de Toinette sur les
sentiments d’Argan envers Angélique).

. « Vous n’aurez pas ce cœur-là. » négative


« Je l’aurai » (l.12-13) affirmative « Vous vous moquez. »
affirmative « Je ne me moque point » (l.14-15) négative

Etc jusqu’à la ligne 24 = Stichomythies + répétition des mots d’un vers à l’autre
+ alternance affirmatives/négatives => rythme vif au texte + renforce le
comique de situation (toujours opposition servante/maître) et de mots (sorte de
joute verbale entre les deux personnages).

L.23 à 30 : . L.23 : « Bagatelles. » = sottises : Toinette ne croit pas un mot de


ce que dit Argan + légèrement ironique, rappelle le « Oui, oui ; » de la l.21. Argan
quant à lui, en répondant à la l.24 par la négation : « Il ne faut point dire «
bagatelles ». », commence à s’énerver.

L.25 : « Mon Dieu ! » = interjection de Toinette, suivie de deux phrases


déclaratives affirmatives : elle insiste sur la vraie nature affectueuse d’Argan.

La réaction de celui-ci commence à être violente comme l’indique la didascalie «


avec emportement » (l.26) : Argan se met en colère.

L.28 : « doucement » (adverbe de manière) + négation (« vous ne songez pas ») +


adj. « malade » = Toinette se moque d’Argan et de son hypocondrie.

L.29-30 : verbe « commande » + adverbe de manière « absolument » + la sub.


relative « que je dis » = expression d’un ordre : Argan essaye d’affirmer son
autorité de maître de maison et de père. Il entend imposer sa volonté et que
celle-ci soit respectée.

🖉 L’intervention de Toinette et le vif dialogue qui s’en suit avec Argan


montre que le projet de celui-ci et la sanction si Angélique ne lui
obéit pas, n’est pas du goût de tout le monde. Servante de la
famille, Toinette va jusqu’à s’opposer fermement à son maître.

2° mouvement (l.31 à 35) : Toinette affronte Argan.

- L.31 : . « Et moi » (en écho au « je » d’Argan à la l.29) = commence la réplique,


forme d’insistance : Toinette se met en avant et affiche ouvertement son
opposition envers Argan, son maître.

- Le verbe « défends » + adverbe de manière « absolument » (écho à l’ «


absolument » de la l.29 prononcé par Argan) = expression de la défense avec la
négation absolue « rien » + négation lexicale du verbe « défends »

= Toinette, non seulement n’est pas d’accord avec son maître et l’exprime, mais
elle donne l’ordre à Angélique de désobéir à son père.

= les rôles servante/maître sont entièrement inversés.

- L.32-33 : Interrogatives : « Où………. ?/ quelle audace…….. ? » = marquent


l’indignation et la colère d’Argan devant l’insolence de sa servante (= «audace
»).
- + « coquine » qui qualifie le mot « servante » = péjoratif (définition = personne
vile, capable d’actions blâmables ; terme d’injure = bandit, gredin, vaurien).

Remarque : Avec l’utilisation des mots « servante » et « maître » (accompagné du


déterminant possessif « son ») dans la même proposition, Argan cherche à
rétablir la hiérarchie maître/servante……en vain, en raison de la réplique suivante
de Toinette :

✂ L.34-35 :

« [Quand un maître ne songe pas à ce qu’il fait],[ une servante bien sensée est
en droit de le redresser ]» = phrase déclarative en réponse à Argan = formée de
deux propositions :

- une proposition subordonnée conjonctive, C.C.Temps de « est » = indique le


moment de la circonstance de l’action principale (la servante commande) mais
aussi, ici, en explique la cause (parce que le maître ne fait pas preuve de bon
sens)

- une proposition principale = dont le sujet est « une servante bien sensée » :
l’adjectif s’oppose à « coquine » de la l.33 + sujet de « est en droit » : donne une
légitimité à la servante pour corriger les actions du « maître » (mentionné dans
la proposition subordonnée)

1. « maître » et « servante » se retrouvent encore dans la même phrase mais


cette fois-ci pour indiquer que malgré une hiérarchie sociale, ce n’est pas
toujours celui qu’on pense qui fait preuve de bon sens.

2. La proposition subordonnée est en premier = mise en évidence de la cause (=


absence de bon sens chez Argan) de la prise de position de Toinette (s’opposer
fermement à Argan) + marque la simultanéité : dès que la servante se rend
compte que son maître manque de discernement : elle réagit !

🖉 Toinette s’oppose donc fermement à son maître, Argan. Celui-ci est


de plus en plus gagné par l’indignation et la colère face à l’insolence
de sa servante.

3° mouvement (l.36 à 54) : Une scène de farce.

✂ Argan laisse libre cours à sa colère :


l.36 : « Ah ! » = exclamation
l.36 : « il faut que je t’assomme » + l.40 : « Viens, viens » + didascalie l.39 : « son
bâton à la main » = expression du désir de frapper Toinette

l.43 : « Chienne ! » ; l.45 : « Pendarde ! » ; l.47 : « Carogne ! » =

insultes l.41 : « en colère » = didascalie : émotion ressentie par Argan

- L.36 : « court après Toinette » + l.39 : « court après elle » = didascalies qui
indiquent qu’Argan s’est mis à courir après Toinette.

- L.37 : « se sauve de lui » + l.41 : « courant » = didascalies qui indiquent que


Toinette aussi s’est mise à courir pour échapper aux coups d’Argan.

- L.39 : « court après elle autour de sa chaise » + l.41 : « et se met du côté de la


chaise où n’est pas Argan » = didascalies qui montrent que les deux personnages
tournent autour de la chaise d’Argan = une course-poursuite !

=>Ce comique de gestes, issu de la farce, renforce le comique de


situation (le maître qui poursuit sa servante pour la battre mais n’y arrive
pas) et le comique de mots (les insultes).

-L.44 et 46 : « Non, je ne consentirai jamais à ce mariage. » « Je ne veux point


qu’elle épouse votre Thomas Diafoirus. »

= emploi de négations totales = pendant la poursuite, Toinette continue à


s’opposer à Argan, les rôles sont toujours inversés…

- L.49-50 : Argan demande à Angélique de l’aider à attraper Toinette, mais sa


fille lui répond en ironisant sur l’état de santé de son père = comique de
caractère (hypocondrie d’Argan) et de situation (Argan a besoin de sa fille pour
attraper Toinette).

- L.51-52 : « Si tu ne me l’arrêtes, je te donnerai ma malédiction » = menace


d’Argan avec la conjonction « si » et l’emploi du futur de l’indicatif « donnerai »
(remarquons la disproportion entre la demande, arrêter Toinette, et la
punition, donner sa malédiction, c’est-à-dire « prononcer des paroles par
lesquelles on souhaite le mal à quelqu’un en appelant sur lui la colère de Dieu » =
comique de situation, Argan devient ridicule, et de mots).
Pour sa dernière réplique de la scène, Toinette utilise le verbe « déshériterai » =
Molière, une fois encore souligne l’inversion des rôles servante/maître
puisqu’une servante n’a pas le pouvoir de déshériter les enfants de son maître =
comique de situation et de mots.

- L.53-54 : Retour à l’hypocondrie d’Argan :

« Ah ! ah ! » = exclamations

« Voilà pour me faire mourir. » = lexique

= comique de caractère : car la didascalie qui précède cette réplique (« étant las
de courir après elle ») indique qu’Argan est simplement fatigué de courir après
Toinette, simplement beaucoup plus leste que lui…..

🖉 La scène 5 de l’acte I se termine donc sur une scène farcesque où le


comique de gestes vient renforcer les comiques de mots, de
situation et de caractère savamment entremêlés par Molière.

Conclusion : Molière a choisi de mettre en scène dans Le Malade imaginaire,


Argan, un homme hypocondriaque. Comme à son habitude, pour dénoncer un sujet
grave, il se sert de la comédie. Dans cet extrait, le lecteur-spectateur en
retrouve plusieurs caractéristiques. En effet, les jeunes amoureux, Angélique et
Cléante, voient leur projet de mariage contrarié par un autre prétendant imposé
par le père de la jeune-fille, ce qui est un thème récurrent dans la comédie. De
plus le recours aux mécanismes comiques de la farce, héritée du Moyen-Âge,
font de cette scène une scène particulièrement drôle. Enfin, Toinette, la
servante, s’oppose fermement à son maître, Argan. L’inversion des rôles
servante-valet/maître est un ressort comique largement exploité par le théâtre
de Molière. Au XVIII° siècle, des auteurs comme Beaumarchais, continueront à
utiliser cette situation comique, en lui rajoutant cependant un aspect de critique
sociale.

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