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L.

L n°12 : Postambule de la
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges

Olympe de Gouges est une auteure engagée dont les écrits reflètent ses différents combats pour l'égalité et la
justice entre tous les êtres humains, mais en particulier entre les hommes et les femmes. Elle a rédigé La Déclaration
des droits de la femme et de la citoyenne en 1791. Ce texte revendique la pleine assimilation des femmes d’un point de
vue juridique, politique mais aussi social. Calqué sur le modèle de La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen,
en 1789, ce document est le premier à évoquer l’égalité des femmes par rapport aux hommes. L’extrait étudié est le
postambule de sa déclaration qui vient éclairer les articles précédents, analyser la condition des femmes et conclure
sur la nécessité d’un mouvement à grande ampleur pour faire reconnaître leurs droits.

Lecture de l'extrait

Problématique : Nous nous demanderons quelle stratégie utilise O. de Gouges pour amener les femmes à agir pour
leurs droits.

Démarche linéaire.
Annonce des mouvements du texte : Le texte se structure en 3 temps :

1er mouvement : Appel aux femmes : invitation à prendre conscience que les hommes ont bafoué leurs
droits, l.1 à 8 ;
2ème mouvement : Analyse des conditions de la femme après la Révolution, l.8 à l.21 ;
3ème mouvement : Les moyens d’agir, l.21 à 30.

• 1er mouvement : Appel aux femmes : invitation à prendre conscience que les hommes ont bafoué leurs
droits, l.1 à 8 ;

- Le texte s’ouvre sur une apostrophe au singulier, « Femme », qui permet à chacune des lectrices de
se sentir interpellée personnellement.

- L’emploi de l’impératif présent, « réveille-toi », « reconnais tes droits », place le texte sous le signe
de l’injonction. De Gouges invite à l’action et montre l’urgence de se battre pour les droits des
femmes. Par ces 2 procédés, elle donne d’emblée de la vigueur à son appel.

- La métaphore militaire, « toscin de la raison », qui peut être vue comme une allégorisation de la
raison, couplée à l’allitération en t- « se fait entendre », permet à l’auteure de présenter ce moment
comme un tournant majeur dans la lutte. ODG cherche à éveiller les consciences au combat et l’idée
que sa portée doit être large, c’est-à-dire qu’elle doit atteindre l’entendement de tous les hommes est
soulignée par l’hyperbole « dans tout l’univers ». La « raison » se présente ainsi comme la
messagère, la porteuse de cette lutte qui s’apprête à commencer. De plus, La négation « n’est plus »
et l’usage du passé composé « a dissipé » marquent bien une rupture temporelle, et insistent sur
l’opportunité du moment. C’est maintenant qu’il faut agir pour mettre fin à l’injustice dont sont
victimes les femmes.

- L’auteure expose la raison qui justifie cette intervention : une situation post-révolutionnaire inédite.
Le combat des Lumières a porté ses fruits et a amené les hommes à se libérer du joug des valeurs de
l’Ancien régime. (citer « Le puissant… mensonges). Ils ont appris à développer leur esprit critique et
se sont affranchis de la doxa imposée par les privilégiés (noblesse et clergé) qui les entretenaient
dans l’ignorance et la servitude. (citer « Le flambeau…l’usurpation »). Pour cela, elle reprend la
métaphore des Lumières avec le lexique « flambeau de la vérité », « aveugles », « nuages de la
sottise et de l’usurpation ». Le champ lexical de l’esclavage témoigne également de
l’affranchissement des hommes : « l’homme esclave », « briser ses fers », « devenu libre ».

- Il est important de s’arrêter sur le terme « nature » dans la métaphore « Le puissant empire de la
nature » qui reprend le concept de Rousseau : la civilisation corrompt la nature des hommes ; il
s’oppose avec force à l’énumération des termes « fanatisme/superstition/mensonges/sottises qui font
référence aux nombreux combats du XVIIIe, dont celui de l’obscurantisme, contre lesquels tous les
philosophes mais aussi O. de Gouges s’érigent. Ce terme « nature », qui sera repris plus loin dans le
texte, par l’expression « les sages décrets de la nature » montre que la soumission des femmes
comme celles des hommes est contraire aux lois naturelles, qu’elle offense ce qui leur a été donné au
départ, la liberté, et qu’elle constitue un capital intouchable. De même que le champ lexical de la loi
(« décrets ») pour évoquer la loi naturelle et du capital (« usurpation », « patrimoine », « trésor »)
renforcent cette idée chère aux lumières qui défend l’égale valeur de chaque être humain, don de
« l’Être suprême » mentionné à la fin dans l’expression « partager avec vous les trésors de l’Être
suprême »). « l’Être suprême » étant Dieu ou la Nature car ODG est pour le respect des religions et
aussi de ceux pour qui la nature est leur religion.

- Cependant, l’auteure fait le constat que seul l’homme a profité des progrès apportés par la
Révolution: le parallélisme « devenu libre/devenu injuste envers sa compagne » souligne l’égoïsme
des hommes qui refusent l’émancipation des femmes qui les ont pourtant aidés pendant la
Révolution : « L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour
briser ses fers ». Les hommes n’ont pas partagé leur liberté, leur émancipation avec les femmes. Au
contraire, ils se sont appropriés cette liberté, tout en laissant les femmes dans leur condition injuste.

• 2ème mouvement : Analyse des conditions de la femme après la Révolution, l.8 à l.21 ;

- A partir de la l.8, ODG va développer encore ses idées. Le texte gagne alors en force. Elle s’adresse
cette fois à toutes les femmes. L’apostrophe, empathique « Ô femmes ! femmes », à présent au
pluriel prépare le thème de l’union nécessaire à venir et relance la dynamique du texte renforcée par
l’interjection et le point d’exclamation.

- Elle cherche à ouvrir ses semblables à la réflexion, elle les invite à porter un regard lucide sur le
passé et le présent. Pour cela, elle recourt à 2 questions rhétoriques : « quand cesserez-vous d’être
aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Le constat est
amer : la révolution n’a pas fait évoluer la condition de la femme qui n’a pas gagné en respect malgré
la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Au contraire, les intensifs
« plus » dans le parallélisme « un mépris plus marqué, un dédain plus signalé » le soulignent. La
Révolution n’a profité qu’aux hommes.

- Le ton polémique s’intensifie dans les lignes qui suivent : elle qualifie la politique des régimes
monarchiques menée dans le passé par l’expression accablante « les siècles de corruption ». Aliénée
en société, totalement soumise aux hommes, la femme prenait sa revanche en usant de ses charmes
pour orienter en sous-main les décisions du pouvoir. (le pouvoir des charmes étant désigné par les
périphrases « Votre empire/votre patrimoine »). Sa position et son pouvoir se sont limités à un
pouvoir dans l’ombre. La négation restrictive le traduit bien dans la phrase « vous n’avez régné que
sur la faiblesse des hommes ». Or, paradoxalement, la Révolution, en détruisant les privilèges, a
détruit l’unique pouvoir des femmes. (On peut penser en effet à Mme de Maintenon, maîtresse et
épouse de Louis XIV ou à Mme de Pompadour, maîtresse de Louis XV qui ont eu une grande
influence sur leurs décisions)

- Les questions rhétoriques qui suivent : « Que vous reste-t-il donc ? Craignez-vous… ? Qu’auriez-
vous à redouter… ? » cherchent à amener ses lectrices à conclure sur l’échec des femmes («empire
détruit/injustices de l’homme ») et à susciter une réaction radicale (« réclamation »).

- Aussi, pour renforcer sa stratégie persuasive et mettre en confiance ses semblables, elle va alors
recourir à une parabole inversée, celle des Noces de Cana dans le nouvel évangile (citer « Le bon
mot…vous et nous ? ») : il s’agit du passage où Marie, au cours d’un banquet, va signaler à son fils
Jésus qu’il n’y a plus de vin dans les jarres. Il va alors accomplir le miracle de remplir ces jarres.
Mais avant de le faire, il donne à Marie une réponse qui a été traduite par « Qu’avons-nous en
commun, femme ? », autrement dit, est-ce à la femme de se mêler des affaires des hommes ? Dans le
texte, la périphrase le « législateur des noces de Cana » désigne le Christ et « les Législateurs
français » représentent les hommes quels qu’ils soient dans la sphère publique (dirigeants…) ou la
sphère privée (les maris…). ODG semble donc prendre à contrepied cette parabole pour exhorter les
femmes à oser se révolter. Elle dénonce le préjugé qu’ont les hommes sur l’incapacité des femmes à
prendre des décisions en utilisant la métaphore du fruit pourri sur place « morale […] accrochée aux
branches de la politique, mais qui n’est plus de saison »).

- Ainsi, à la question « Qu’avons-nous de commun entre vous et nous ? ODG répond « Tout », mot-
phrase qui fait mouche par sa brièveté. Tout doit être en commun, au contraire et c’est bien à ce
programme que s’est employée la déclaration qui précède ce préambule.

• 3ème mouvement : Les moyens d’agir, l.21 à 30

- Le troisième mouvement s’ouvre alors sur une hypothèse : « s’ils s’opposent […] principes ». Par
cette proposition subordonnée circonstancielle hypothétique, ODG expose les moyens de mettre en
œuvre le mouvement des femmes tout en les mettant en garde contre les potentiels obstacles formés
par la résistance des hommes. Elle les incite à la fin du texte à ne pas perdre de vue leur objectif, car
« quelles que soient les barrières qu[’on leur oppose] », il faut persister dans la lutte.

- Le style d’ODG mime l’amplification de ce mouvement avec des impératifs et un lexique martial
chargés de mobiliser et d’exhorter les troupes : « opposez courageusement la force de la raison »,
« réunissez-vous sous les étendards de la philosophie », « déployez toute l’énergie de votre
caractère ».

- Le rythme ternaire donné par les impératifs imite le combat soutenu et constant, et permet d’insister
sur sa nécessité.

- Pour souligner le caractère inexorable d’une heureuse issue, elle emploie le futur de l’indicatif, mode
de la certitude : « et vous verrez », renforcé par l’adverbe « bientôt ». La victoire est donc sûre et elle
est proche.

- Durant toute la fin de l’extrait, l’auteure condamne le refus masculin de raisonner avec bon sens en
utilisant un lexique péjoratif, « s’obstinaient » « faiblesse », « inconséquence » (=manque de suite
dans les idées), et sa prétention à se croire supérieur : « orgueilleux », « vaines prétentions de
supériorité ».
- A cela, elle oppose le champ lexical de la sagesse et de la pensée, donnant un caractère
philosophique au texte : « mettre …en contradiction », « principes », « raison », « philosophique » ;
ODG présente l’intelligence comme l’arme essentielle pour obtenir leurs droits.

- Mais pour cela, il faut en avoir la volonté : elle explique aux femmes qu’il n’appartient qu’à elle de
décider si elles veulent ou non obtenir l’égalité entre les sexes. L’antithèse « pouvoir » / « vouloir »,
la tournure impersonnelle « il est en votre pouvoir » et la négation restrictive « ne…que » dans
« vous n’avez qu’à le vouloir » vont dans ce sens. Ce n’est pas sans rappeler la formule célèbre
d’Etienne de la Boétie dans son Discours de la servitude volontaire : « Soyez résolus de ne servir
plus, et vous voilà libres ». L’auteure a donné aux femmes la clé essentielle pour entamer leur
combat. Elle est à présent entre leurs mains.

Ainsi, véritable pamphlet utilisant la stratégie persuasive, ce texte virulent appelle les femmes à prendre
conscience de leur condition servile puis à se soulever et se battre pour leurs revendications et leurs droits.
Dans la suite de ce postambule, Olympe de Gouges poursuit l’analyse et la défense des femmes puis propose
des réformes qui reprennent certains articles de la Déclaration qui précède. Il faudra un siècle et demi pour
que les femmes obtiennent certains droits fondamentaux. Le combat et les revendications pour l’égalité ne
sont pas terminés au XXIe siècle. Néanmoins, Olympe de Gouges, femme courageuse des Lumières, en a été
l’initiatrice et en a payé de sa vie. D’autres personnalités poursuivront, élargiront son œuvre pour faire
changer les mentalités, telles que Simone de Beauvoir, figure de proue du féminisme.

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