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Le bovarysme,
selon Emmy

© Derevyankina Ludmila/Shutterstock

N° 149 - Décembre 2022

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DÉCOUVERTES Cas clinique 17

GRÉGORY MICHEL
Professeur de psychologie clinique et de psychopathologie
à l’université de Bordeaux, chercheur à l’Institut des sciences
criminelles et de la justice, psychologue et psychothérapeute
en cabinet libéral, et expert auprès des tribunaux.

Depuis toute petite, Emmy préfère les romans


à la réalité, qu’elle trouve insipide et terre à terre.
Au point que ses aventures amoureuses finissent
toutes par la décevoir cruellement. À la fin, elle veut
mourir… La ressemblance saisissante avec l’héroïne
de Gustave Flaubert, Emma Bovary, inspirera
au psychothérapeute un diagnostic salvateur.

U n soir d’automne, je reçois


ma dernière patiente à la demande de l’un de
mes collègues psychiatres. Il s’agit d’Emmy. Au
téléphone, quelques jours auparavant, elle était
restée assez énigmatique sur les raisons de la
consultation. Elle m’avait juste évoqué une souf-
EN BREF
£ Très jeune, Emmy se
rêve différente et ne vit
que dans son imaginaire.
Puis elle enchaîne les
déceptions amoureuses
au point de déprimer et
discours est impénétrable, le ton monocorde de sa
voix montre à quel point elle est en retrait, ail-
leurs. Peu de mots, et des mots lents, comme pro-
noncés à regret… Et cette voix blanche qui laisse
transparaître une perte complète de plaisir, qu’on
appelle en jargon psychiatrique « anhédonie ».
france ancienne assortie de symptômes dépres- de tenter de se suicider…
sifs… Ce jour-là, je découvre une jeune femme qui BRADYKINÉSIE, ATONIE, ANHÉDONIE
doit avoir une trentaine d’années, assise sur le £ Mais elle n’est ni Côté physique, elle fait dans le classique.
dépressive ni bipolaire.
fauteuil près de la bibliothèque, une tasse de rooi- Juste une éternelle Veste grise sur un chemisier blanc ivoire et jupe
bos à la main et un livre d’art sur la peinture ita- insatisfaite. Une façon noire – un air aussi légèrement austère. Toutefois,
lienne sur les genoux. Esquissant un sourire super- de fonctionner qui fait ses petites bottines basses à lacets associés à sa
ficiel, elle se redresse mollement et se déplace avec désormais partie de sa broche dorée en forme de fleur lui donnent une
personnalité : on parle
lourdeur jusqu’à mon cabinet. Je suis frappé par de « bovarysme ». note élégante et romantique. Son maquillage,
son absence visible d’énergie, la lenteur de sa ainsi que ses quelques bijoux, composés de
démarche et l’abattement général de son être. £ Pour s’en sortir, elle bagues, d’un collier et de boucles d’oreilles,
Après s’être assise de façon indolente face à devra accepter le fait confirment qu’elle est attentive à son apparence,
moi, elle semble à présent pétrifiée de stupeur : qu’elle n’est pas malade mais de façon discrète. Seule sa montre de forme
et qu’elle peut donner
l’engourdissement visible de son corps semble un sens à la vie ronde de style vintage, de coloris or et avec un
atteindre son esprit. Comme au téléphone, son de diverses manières. bracelet en cuir vieilli, attire davantage mon

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LE BOVARYSME, SELON EMMY

attention. Elle n’aura d’ailleurs de cesse de la tou- déçoit comme si je n’étais pas à la bonne époque,
cher tout au long de cette séance… ni avec les bonnes personnes. Et je ne peux rien y
Ce qui caractérise Emmy, c’est un désespoir faire. » Ce n’est donc pas une intense tristesse qui
sans bornes. Elle commence l’entretien sur ces gouverne Emmy, mais autre chose de bien plus
mots : « Je suis venue vous voir professeur, mais je profond qui la conduit à refuser tout ce que le
dois vous le dire : je ne crois pas que vous puissiez monde peut lui offrir. Mais pourquoi ressent-elle
m’aider… Je traîne ça depuis trop longtemps. » Je tout cela au point d’en souffrir autant ?
reprends ses derniers mots, mais elle les élude et, Faisons mieux connaissance avec la jeune
sur la défensive, oriente notre échange sur des femme pour tenter de résoudre ce paradoxe. Âgée
événements plus récents. « J’ai été hospitalisée, de 41 ans – mais elle fait beaucoup plus jeune –,
l’année dernière, et ce n’était pas la première Emmy est juriste dans une grande administration.
fois… Mais là, j’ai vraiment failli y passer… » Elle a été mariée et n’a pas d’enfant. Alors que je
Elle évoque une tentative de suicide avec des lui demande de continuer son histoire de vie, bru-
médicaments. Une tentative qui aurait réussi sans talement, elle m’annonce : « J’ai été hospitalisée
l’intervention inopinée de sa meilleure amie, deux fois, après deux tentatives de suicide. J’ai ren-
chez qui elle vivait. « Je prends des antidépres- contré de nombreux psys, psychiatres et psycholo-
seurs et des anxiolytiques, matin et soir. À des gues, qui m’ont tous dit à peu près la même chose,
doses plus importantes depuis cette dernière hos- que j’étais soit déprimée, soit bipolaire. L’un d’entre
pitalisation, mais j’en prends depuis des années. » eux m’a même annoncé que j’avais un problème de
Au vu de tous ces éléments, Emmy semble clai- personnalité du genre borderline. J’ai pris plein de
rement souffrir d’une grave dépression. Elle en médicaments qui ne m’ont pas guérie et j’en ai
réunit tous les signes : humeur dysphorique (tris- même avalé pour mourir… » Après une pause, elle
tesse et anxiété intenses), hypomimie faciale (peu reprend : « Et pourquoi j’ai voulu en finir ? Parce
d’expressions du visage), bradypsychie (ralentisse- que je ne sais pas être heureuse, parce que je suis
ment du fonctionnement cognitif), asthénie déçue de la vie… Je la trouve moche, les gens se
(fatigue) et, comme déjà évoqué, bradykinésie contentent de si peu. » Ses deux tentatives de sui-
(lenteur de la locomotion et des mouvements), ato- cide ont eu lieu après deux échecs amoureux…
nie (une sorte de perte d’élan vital) et anhédonie
(une absence de plaisir). Elle n’a pas repris le tra- DE GROSSES DÉCEPTIONS AMOUREUSES ?
vail depuis sa dernière tentative de suicide, vit tou- Emmy semble donc plongée dans un état d’in-
jours chez son amie, sort peu, s’alimente moins et satisfaction existentielle permanent, comme divi-
dort beaucoup – elle souffre aussi d’hypersomnie. sée entre de profondes aspirations et attentes vis-
Toutefois, malgré toutes ces difficultés, à-vis de la vie et de profondes déceptions vis-à-vis
notamment cognitives, aucune ne suffit à affecter de ce que la réalité lui apporte. « J’ai toujours rêvé
sa passion pour la lecture. En effet, Emmy lit de vivre une existence à part, une vie pas comme
beaucoup, voire énormément, et ce depuis qu’elle tout le monde. J’ai cru que c’était possible, surtout
est toute petite. « Je suis bibliophile », me dit-elle. avec mon mari, puis mes compagnons… Mais
Mais ce n’est pas tout à fait juste. Elle collectionne c’était faux et, finalement, vraiment médiocre. »
les livres, certes, mais pas pour l’objet. Elle ne Mais reprenons l’histoire d’Emmy pour bien
s’intéresse ni à l’édition, ni à la qualité de l’im- comprendre. Sa mère tombe enceinte à l’âge de 24
pression, ni à la typographie, ni à la reliure. Non, ans, d’un homme de douze ans son aîné dont elle
ce sont juste les histoires, la romance, l’intrigue, est passionnément éprise. Leur liaison, qui ne dure
les personnages, qui rendent les ouvrages fasci- que deux ans, est décrite par Emmy comme très
nants aux yeux de la jeune femme ; ils éveillent aventureuse. Ils s’installent très vite ensemble, sa
en elle la fantaisie et le rêve. mère étant alors jeune secrétaire, et son père tra-
vaillant dans le commerce international. De sorte
« JE ME SENS ÉTRANGÈRE À CE MONDE » qu’ils voyagent beaucoup, notamment en Asie, et
D’où ma surprise : normalement, toute dépres- surtout en Amérique latine où ils vivront pendant
sion sévère affecte les capacités cognitives d’atten- quelques mois. Emmy sera d’ailleurs conçue au
tion, de concentration et d’introspection à tel point Brésil… mais naîtra en région parisienne, quelques
que ce genre de rêveries associées à des heures de semaines après le départ brutal de son père : sans
lecture est quasi impossible. D’autre part, je m’in- vraiment d’explications ni de raisons valables,
terroge beaucoup sur ce qu’Emmy dit de sa « souf- celui-ci aurait quitté sa mère sans laisser de nou-
france » dès notre première consultation et qu’elle velles. Cette dernière ne refera jamais sa vie.
répétera en boucles lors des suivantes : « Je me Emmy vit donc avec sa mère chez ses grands-
sens étrangère à ce monde. Tout ce que je vis me parents pendant une dizaine d’années. Elle fait une

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étant la lecture, mais aussi le théâtre et le cinéma.


C’est à partir de cette époque qu’elle se met à
visionner tous les grands classiques, les films du
ciné-club qui passent très tard à la télévision. Et,
très tôt, fait l’expérience de l’absurdité de la vie :
« Je voyais les grandes personnes vivre des choses
Pourquoi j’ai voulu en finir ? futiles, ennuyeuses, s’intéresser à des choses
absurdes. Et comme les enfants étaient bêtes,
Parce que je ne sais pas être méchants gratuitement, alors je m’en allais dans
mon imagination… Et j’étais heureuse… »
heureuse, parce que je suis Pour Emmy, la vie n’a donc de sens que si elle

déçue de la vie… Je la trouve est romanesque, aventureuse et exotique. La maté-


rialité et le quotidien lui semblent insipides, au
moche, les gens se contentent point qu’elle les fuit depuis toute petite. Personne
n’est au courant, elle garde tout cela au fond d’elle-
de si peu. même et grandit donc avec ce décalage entre rêves
et réalité. Seuls ses carnets et cahiers lui offrent un
Emmy, 41 ans espace libre pour évoquer son jardin privé, sans
cesse nourri par ses lectures et son imagination
foisonnante qui ne faiblira jamais face à la réalité
du quotidien. Au contraire, Emmy fait une place
scolarité brillante jusqu’au collège, sans jamais privilégiée, voire majoritaire, à son imaginaire
revoir son père autrement qu’en photo. « Je pensais – composé d’amours passionnés et tumultueux –,
souvent à lui, dira-t-elle. Je n’arrivais pas à lui en comme si ce dernier lui était indispensable pour
vouloir. Je me demandais ce que j’avais de lui et je affronter la vie. Elle ne se rêve ni célèbre ni admi-
m’imaginais comment mes parents avaient vécu, rée de tous. Pour elle, être heureuse, c’est vivre une
et quelle vie j’aurais eue s’ils étaient restés existence audacieuse, amoureuse et « allégorique ».
ensemble. Je m’endormais petite en rêvant du Un terme qui exprime bien le besoin de la jeune
Brésil. » Sa grand-mère, ancienne professeuse de fille de vivre en combinant le réel et le rêve…
français au lycée, éduque très tôt sa petite-fille aux Puis vient le lycée et, comme tous les adoles-
grands auteurs de la littérature. Emmy dévore les cents, Emmy montre de l’intérêt pour les garçons.
ouvrages très romantiques de Stendhal, Ce qui l’ouvre davantage aux autres, au monde,
d’Alexandre Dumas, de Bernardin de Saint-Pierre, et lui permet de s’accommoder plus facilement de
de Charlotte Brontë, bien sûr, de Jane Austen, mais la réalité et de ses contraintes. Mais elle reste
aussi de F. Scott Fitzgerald. Elle s’imagine en Jane toujours envahie d’élans d’amours romanesques.
Eyre, grandir dans une famille bourgeoise anglaise, « Comme toutes les petites filles, je rêvais d’un
comme dans Orgueil et préjugés, ou encore vivre prince charmant. Mais à la différence d’elles,
une relation passionnée avec un homme riche, j’étais persuadée qu’il existait, car j’en avais fait
puissant et fantasque, comme Gatsby. l’expérience dans mes lectures. Au lycée, ma
copine Jeanne se contentait de copains assez
SES AMIS : LES LIVRES médiocres. Moi, je n’étais attirée que par celui qui
Toute petite, Emmy est très solitaire et n’a que me faisait rêver, qui était en marge des autres… »
peu d’amis. En primaire, elle est ostracisée, car
« trop différente ». « Lorsqu’il y avait un anniver- AMOURS ROMANESQUES
saire, je n’étais jamais invitée, sauf une fois. Je Cette particularité d’un vécu hors norme et
voyais les enfants jouer, courir dans le jardin. aventureux, comme la promesse d’un ailleurs, elle
J’avais neuf ans. Je m’étais assise sur un fauteuil, la trouve chez Stanislas. Elle a alors 17 ans et c’est
un livre à la main, et je les regardais en me disant son premier amour. « C’était d’une puissance
que je n’étais pas à ma place. Ils m’ont traitée d’in- folle… Il était magnifique, étudiant en cinéma, il
tello et moi, je n’arrivais pas à retirer du plaisir en avait 20 ans. Je l’ai rencontré lors d’un vernissage.
jouant à leurs jeux… Je me sentais à part et, déjà, J’y étais allée seule. Je l’ai vu et j’ai tout de suite
je me posais des questions sur le sens de la vie. » ressenti quelque chose de violent, profond,
Au collège, elle est victime de harcèlement comme ce qui était décrit dans mes lectures. » Elle
verbal et émotionnel, sous forme de moqueries, vit avec lui pendant trois ans, dont plus d’un an
d’humiliations et d’insultes. Elle n’en parlera à d’une intense histoire d’amour, année durant
personne jusqu’à nos entretiens, son seul remède laquelle ils jouent au théâtre ensemble, s’essayant

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20 DÉCOUVERTES Cas clinique
Le bovarysme, selon Emmy

QU’EST-CE QUE LE BOVARYSME ?


idéale auprès de laquelle tout pâlit ; Dévastée, désespérée, elle songe à mourir.
HISTORIQUE elle ne tarde pas à tenter de réaliser Après avoir traversé une crise spirituelle,
Le mot « bovarysme » provient du nom cette vie voluptueuse, à essayer elle devient ensuite la maîtresse
de l’héroïne du roman de Gustave d’en transporter la magie en elle. de Léon. Un amour découvert qui fait
Flaubert, Madame Bovary (1857), mais Involontairement, elle passe de l’esprit alors l’objet d’un terrible chantage.
ce n’est pas ce dernier qui l’a inventé. à la lettre, et de l’âme aux sens. » La situation financière du couple
C’est le philosophe français Jules devient donc catastrophique, son mari,
de Gaulthier qui, en 1882, propose QUI EST EMMA BOVARY ? Charles, se montre passif, et l’état
le terme bovarysme pour décrire Fille d’un riche fermier, Emma Rouault de santé d’Emma s’aggrave encore
un phénomène psychologique parfois épouse Charles Bovary, officier de santé sur le plan mental (elle a aussi des
pathologique. Selon ce dernier, il s’agit et veuf récent. Élevée dans un couvent, hallucinations). Emma s’empoisonne
d’une forme d’aliénation de la personne Emma aspire à vivre dans le monde avec l’arsenic qu’elle a dérobé chez
à un idéalisme voulant asservir de rêves dont parlent les histoires le pharmacien, après un dernier refus
le monde à son imaginaire. L’imaginaire romantiques qu’elle lit avec avidité. de Rodolphe…
devient alors une puissance qui engage Un bal au château de Vaubyessard
l’individu dans un processus la convainc qu’un tel monde existe, PSYCHOPATHOLOGIE DU BOVARYSME
à « se concevoir autre ». Madame Bovary mais la dissonance qu’elle découvre Comme le rappelle le psychiatre Michel
est effectivement l’incarnation même entre sa propre vie d’épouse (quotidien Laxenaire en 2021, sur le plan médical
du bovarysme. de la maison, peu de partages avec et psychiatrique, le bovarysme
En fait, c’est Honoré de Balzac qui, son mari, ennui…) et ses rêves crée a été associé, à la fin du XIXe siècle,
le premier, aurait évoqué cette de profondes déceptions et altère à l’hystérie, à la dégénérescence
« particularité psychologique », sa santé (elle devient mélancolique). cérébrale, et notamment, en 1907, au
en 1829, dans la Physiologie du mariage. Le couple s’installe alors dans une autre trouble de « dégénérescence hystérique »
L’écrivain met en effet en garde ville, à Yonville-l’Abbaye, où Emma défini par le psychiatre Joseph Grasset
« l’époux » contre les conséquences fait la connaissance de plusieurs et pour lequel le symptôme principal
dommageables des lectures personnalités locales. Elle donne serait « une impuissance à s’adapter
de sa femme : « En lisant des drames naissance à une fille, mais le lien à la réalité ». Michel Laxenaire précise
et des romans, la femme, créature maternel ne la satisfait pas. Emma cède également que, pour le psychiatre
encore plus susceptible que nous ensuite aux avances d’un jeune homme, et psychanalyste français Jacques Lacan,
de s’exalter, doit éprouver d’enivrantes Rodolphe, avec lequel elle rêve de le bovarysme serait une composante
extases. Elle se crée une existence s’enfuir. Mais ce dernier l’abandonne. permanente du psychisme normal,

même aux courts métrages. Puis vient le temps bourgeoise normande et il l’éblouit. Elle a alors 20
des désillusions : « Nous avions des projets fous et ans et lui, 26. « Féru d’art, il m’impressionnait par
je me sentais vibrer à chaque instant avec lui. ses connaissances sur le cinéma d’auteur, mais
J’étais vivante. Puis, après notre première année également la littérature. Un de ses oncles était
ensemble, j’ai ressenti de l’ennui ; nos projets de écrivain. Sa vie paraissait passionnante. Enfant,
faire des films étaient tombés à l’eau et j’étais il avait vécu longtemps à l’étranger, aux États-
seule à en être déçue. Lui semblait heureux. Moi Unis, mais aussi en Asie, son père travaillant dans
j’étais malheureuse. » le commerce international dans une grande firme
américaine… » La mère et les grands-parents
LE RÊVE S’ESTOMPE… d’Emmy sont très heureux et le mariage est,
Au bout de quelques mois, elle rencontre Paul comme elle le dira, « grandiose », dans un magni-
qui deviendra son premier mari. « Stanislas fique château de la campagne normande.
m’avait rendue femme, mais je n’éprouvais plus Mais progressivement, la jeune femme fait
rien. Je ne pouvais pas lui dire, mais, au fond de l’expérience d’un embourgeoisement mortifère de
moi, je m’éteignais… Jusqu’au jour où Paul est sa vie… Elle travaille alors comme juriste dans une
entré dans ma vie. » Jeune et ambitieux, avocat entreprise et redécouvre la puissance destructrice
d’affaires, Paul est issu d’une grande famille de l’ennui. Elle a maintenant 30 ans et en veut à

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« pouvant évoluer soit vers le meilleur


(ne pas se contenter d’une vie médiocre À cette définition, ➎ Une inclination de France à la fois, à cette
en aspirant à une amélioration j’ajouterais certaines à l’imitation et à heure même. » Est-ce
raisonnable), soit vers le pire caractéristiques pouvant l’idéalisation de l’être aimé. à dire que les jeunes
(en méprisant la vie réelle pour définir des strates, femmes lectrices
lui substituer des rêves inatteignables, voire des étapes, ➏ Une insatisfaction de chick lit – des romans
irréalistes et parfois dangereux) ». d’un fonctionnement permanente favorisant sentimentaux écrits par
D’autres spécialistes ont toutefois menant au bovarysme : un sentiment de frustration des femmes à destination
rattaché le bovarysme au fonctionnement continu. du public féminin – sont
borderline, ou à la problématique ➊ Une clairvoyance aiguë plus à risque de basculer
de l’infidélité, de la sexualité, ou encore et une prise de conscience ➐ Une recherche dans le bovarysme ?
à la mélancolie. Ce qui montre à quel précoce de la médiocrité incessante de Non ! Car le sentiment
point il reste encore d’importantes zones et de l’insignifiance renouvellement face aux d’insatisfaction permanente
d’ombre autour de ce phénomène de la réalité, ainsi échecs affectifs répétés. de la vie quotidienne doit
psychologique, parfois pathologique, que de la vie réelle. être profondément ancré
et qu’il n’est pas opportun de chercher ➑ Une lucidité et une dans la personnalité d’une
à en faire un modèle applicable à la ➋ Une propension forte perception juste des échecs femme (ou d’un homme)
classification des maladies psychiatriques. à l’imaginaire et aux de la vie, précédant – dès le plus jeune âge –
Ce que l’on sait, en revanche, c’est que fantaisies, notamment l’émergence d’une et nuire au quotidien pour
le bovarysme ne relève ni d’un trouble sur le plan de l’amour, sensation de désespoir. qu’il s’agisse d’un trouble.
bipolaire, ni d’une dépression récidivante, au détriment de la réalité.
ni d’un trouble de la personnalité Gustave Flaubert, dans
borderline ou histrionique. En réalité, ➌ Un fond dépressif, une lettre du 14 août
le bovarysme se définit comme voire mélancolique (avec 1853 à sa muse, Louise
Colet, considérait déjà que Ma pauvre Bovary, sans doute,
« un fonctionnement psychopathologique la crainte de ne pas exister).
caractérisé par une insatisfaction le mal qui ronge l’héroïne souffre et pleure dans vingt
permanente de la vie réelle et le besoin ➍ Une recherche de son roman n’est pas villages de France à la fois,
d’aspirer à “autre chose”, la plupart de l’excitation amoureuse si rare : « Ma pauvre Bovary,
à cette heure même.
du temps inatteignable et irréalisable, et une dépendance sans doute, souffre et Gustave Flaubert, Lettre
conduisant à fuir dans le rêve aux amours romantiques. pleure dans vingt villages à Louise Colet, 14 août 1853.
la frustration éprouvée dans la vie ».

Paul de ne pas tenir ses promesses d’une vie exal- Ensuite, Emmy décide de déménager dans une
tante. Elle recommence à « écouter son cœur », grande ville de province. « Je voulais recommencer
comme elle le dit. Et fait la rencontre d’un jeune ma vie. Partir, c’était me donner une chance de
artiste australien, Owen, avec qui elle trompe très repartir de zéro. » Elle se replonge dans une acti-
vite son mari pour « revivre », selon ses mots, tant vité compulsive de lecture, sans sombrer, dit-elle,
elle se sent vide : « Je dépérissais… Je perdais le dans des ouvrages de « gare ». Elle s’inscrit sur les
goût de ma vie… J’ai commencé à prendre des anti- réseaux sociaux d’amateurs de littérature, et fait
dépresseurs pendant plus d’un an. Avec le recul, je la connaissance d’un jeune homme, Louis, qui,
comprends maintenant que j’en attendais trop de comme elle, partage cette aversion pour la bana-
mon mari. » Exaltée, elle s’amourache d’Owen. « On lité de la réalité, privilégiant l’art comme moyen
avait parlé de partir vivre ensemble en Nouvelle- de répondre à ses aspirations profondes. Pendant
Zélande. J’y ai cru. Mais il est parti seul et ça a été des mois, elle entretiendra une relation à distance
terrible, insupportable, pour moi… J’ai alors fait avec cet homme qui vit en Corse. « Nous nous écri-
une première tentative de suicide avec des médica- vions plusieurs fois par jour, nous nous télépho-
ments. » Hospitalisée pendant deux semaines, elle nions en cachette. Mais ma plus grande source de
cache à son mari les raisons de son acte suicidaire, bonheur, c’était de le lire et de lui écrire. » Emmy
avant de le quitter. s’éclipse ainsi, à nouveau, de son quotidien qu’elle

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22 DÉCOUVERTES Cas clinique
Le bovarysme, selon Emmy

qualifie de « terne », pour s’ouvrir au merveilleux,


à l’exotisme et à la fantaisie.
Pendant des mois, elle rêve, imagine, fantasme,
et se laisse porter par ce qu’elle vit. Puis la ren-
contre a lieu – ce sera la seule –, lorsque Louis vient
sur le continent pour rendre visite à un membre de
sa famille. Emmy gagne la capitale avec lui et passe
trois jours et deux nuits en sa compagnie. « Je me
sentais à nouveau vivante, pleine de vie, tout me
paraissait magique. Nous avions tellement partagé
de choses avant qu’il nous fallait juste savoir si nous
étions compatibles physiquement. Et c’était le cas. »
Après cette rencontre, tout va très vite. Emmy
et Louis imaginent comment et où vivre ensemble.
Mais leur relation se ternit, les mots sont moins
flamboyants, les messages moins nourris, moins
fréquents et, finalement, c’est la séparation.
Emmy luttera dans les premiers temps, résistant
à l’idée inconcevable qu’elle s’est à nouveau trom-
pée, mais Louis s’éloigne, puis disparaît. La jeune
femme sombre alors dans une « mélancolie pro-
fonde » et inquiétante, et s’en va vivre chez sa
meilleure amie. La suite, vous la connaissez…
« J’ai pris exactement les médicaments que mon
médecin m’avait donnés contre la dépression. En
surdose. Je voulais mourir, le constat de ma vie
était trop horrible, je me décevais tellement. »
ne suis pas douée pour le bonheur. » Mais l’exalta-
PSYCHOPATHOLOGIE DE LA DÉCEPTION tion ne durait jamais… Ainsi, les phénomènes
Voilà qui éclaire le cas d’Emmy sous un tout « thymiques » d’euphorie, caractéristiques du
autre jour ! En réalité, ses tentatives de suicide cor- trouble bipolaire, n’ont jamais eu lieu. Emmy n’a
respondent à une « psychopathologie de la décep- jamais vraiment eu une meilleure estime d’elle-
tion », qui est l’expression d’une profonde et inces- même, elle dormait toujours autant pendant ces
sante insatisfaction combinée à une lucidité phases d’euphorie, elle n’était pas forcément plus
violente d’avoir échoué. Elle souffre d’une frustra- active et n’a jamais adopté de comportements de
tion existentielle qui l’a conduite à s’extirper de sa mise en danger, ni réalisé d’achats compulsifs
condition de jeune fille, puis de jeune femme, puis pathologiques, etc., qui auraient entraîné une
de femme et d’épouse. Elle tente de vivre des souffrance sociale, professionnelle ou person-
rêves, des fantaisies romanesques dont les issues nelle. Or c’est ce qui se produit normalement chez
sont inexorablement vouées à l’échec. Elle ne cesse les sujets souffrant de bipolarité, entre leurs
d’être ballottée entre espérance et déception. phases dépressives.
Ce qui se termine par une décompensation sur
un mode dépressif. Mais la jeune femme présente UNE PERSONNALITÉ BORDERLINE ?
aussi des comportements maniaques, de défense, Je m’intéresse donc plus particulièrement à
tant la fantaisie investit sa vie au détriment de la ces périodes dites « intercritiques », notamment
réalité. Cela explique pourquoi elle a été traitée entre les deux tentatives de suicide, où Emmy
médicalement comme déprimée, puis, ces der- semble aller mieux. En fait, la jeune femme pré-
nières années, comme bipolaire. « Chaque nou- sente alors une très grande sensibilité à la rêve-
velle rencontre avec un homme aspirant à la même rie, ainsi que des signes de déceptions et de frus-
vie que moi était présage d’un renouveau dans ma trations, mais sans « labilité émotionnelle » – sans
© Shift Drive/Shutterstock

vie et, enfin, de l’existence dont je rêvais. » En sautes d’humeur en quelque sorte, également
effet, dans ces périodes-là, Emmy ne semblait plus caractéristiques du trouble bipolaire. Son fonc-
du tout dépressive et était, au contraire, eupho- tionnement ressemblerait davantage à celui de la
rique et exaltée – d’où le diagnostic de trouble personnalité borderline, notamment en raison de
bipolaire… « D’un seul coup, je me sentais heu- son trouble identitaire, de son fond dépressif et
reuse. Enfin heureuse ! Mais ça ne durait pas… Je de son manque de relations sociales.

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Mais durant la psychothérapie que nous


allons mettre en place ensemble, la jeune femme
prendra conscience que le mensonge à soi-même,
la soif de rêve et l’instrumentalisation de l’autre
finissaient toujours par devenir réciproques, tant
Emmy veut transcender du côté de ses amants que du sien… « Je me suis
sentie trahie, manipulée, comme si j’avais été la
la réalité, elle cherche proie de pervers… Mais, finalement, je me rends

à démasquer le vrai du faux, compte que j’avais tellement d’attentes que je les
plaçais aussi dans ce rôle, à la fois je les haïssais
l’authenticité du factice. et à la fois je me détestais moi-même d’avoir eu
autant d’espoir et d’être maintenant déçue.
Elle pense vraiment savoir Pourquoi vivre alors… »
Par conséquent, Emmy n’est ni bipolaire ni bor-
qui elle est, ce qu’elle veut. derline. Elle souffre d’une insatisfaction affective,
En revanche, ce sont personnelle et sociale, qui la plonge dans une forme
de dépression et dont le rêve d’un monde différent,
les conditions, les moyens romanesque, pourrait la sortir. C’est ce qu’on
nomme le « bovarysme » (voir l’encadré page 20),
et surtout les rencontres trouble nommé d’après l’héroïne de Flaubert, qui

qui l’en empêchent. vit aussi à travers les romans, Emma Bovary…
C’est à partir de ce diagnostic psychologique
que j’entame une psychothérapie avec Emmy.
Tout en restant sous antidépresseurs, elle va
réfléchir à sa propension à investir le rêve, la fic-
tion, mais en la reliant à son histoire de vie. Je
définis d’abord avec elle plusieurs moyens et
Mais le sentiment de vacuité qu’Emmy ressent objectifs. Sur le plan technique, il me semble inté-
face à la trivialité de sa vie quotidienne la pousse à ressant d’utiliser ses ressources, ses compétences
rechercher du sens, des émotions, de l’aventure et et son intérêt pour l’écriture et la lecture, de sorte
du romantisme. Elle ne répond pas du tout à une que la narration – comme dans la « psychothéra-
logique de « remplissage du vide », bien au contraire : pie narrative » développée par les psychologues
la rêveuse n’a de cesse de rappeler combien la australiens Michael White et David Epston dans
société consumériste caractérise une logique d’évi- les années 1980 – va jouer un rôle thérapeutique
tement de soi, en poussant l’individu à s’illusionner déterminant dans notre travail psychologique.
à travers les possessions matérielles. Or, elle veut
transcender la réalité, cherche à démêler le vrai du ÉCRIRE ET LIRE POUR S’EN SORTIR
faux, l’authenticité du factice. Elle pense vraiment Très enthousiaste, Emmy écrit, analyse, décor-
savoir qui elle est, ce qu’elle veut. En revanche, ce tique, puis lit tout ce qu’elle racontait lors de nos
sont les conditions, les moyens et surtout les ren- séances, en portant son attention sur les sources
contres qui l’en empêchent. Aucune confusion iden- de son insatisfaction existentielle et sur les façons
titaire chez elle, donc, contrairement aux personnes dont elle a cherché, jusqu’alors, à y remédier… En
ayant une personnalité borderline. vain, puisqu’elle était toujours de plus en plus frus-
trée. Plus précisément, elle reprend de façon chro-
EN QUÊTE DE « SYNTONIE » nologique des périodes de sa vie, en commençant
Par ailleurs, dans ses relations aux autres, par la rencontre de ses parents, les conditions de
Emmy idéalise, « fictionne », imagine ce que l’autre sa naissance, son mariage… Une approche qui,
peut lui offrir. « Je me rends compte maintenant dans une certaine mesure, ressemble à certains
combien j’embellis tout… Je ne voyais que ce que éléments de la méthode ICV (intégration du cycle
je voulais voir. L’apothéose n’était finalement pas de la vie), très utilisée chez les patients traumati-
© Shift Drive/Shutterstock

partagée… » Une symbiose affective, passionnelle, sés. Ainsi, Emmy comprend, progressivement mais
amoureuse – nommée « syntonie » –, ressentie par de façon plus concrète, combien le rêve est à la fois
Emmy et qu’elle n’a de cesse de rechercher, car fécond, défensif et aidant pour elle, mais aussi
cela lui est indispensable… « J’ai vu dans mes rela- occultant, fragilisant et délétère.
tions comme une sorte de personnification mascu- Lors de nos séances, une nouvelle probléma-
line de ce que je recherchais. » tique voit le jour : le traumatisme autour de la

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24 DÉCOUVERTES Cas clinique
Le bovarysme, selon Emmy

disparition de son père et de son absence. Il fait


écho à celui qui s’est répété lorsque la déception
faisait effraction dans ses relations avec son mari
puis avec ses amants. Dès lors, Emmy souhaite
faire des recherches sur son père durant la psycho-
thérapie. Au terme de près de deux années, grâce
des informations recueillies auprès d’une cousine,
elle réussit à trouver son adresse. Prenant le train
Je me suis sentie trahie, manipulée,
pour une ville de province qu’elle ne connaît pas, comme si j’avais été la proie
elle se présente à son domicile. « Je me suis plantée
devant lui. Il m’a regardée, je n’ai pas tout de suite de pervers… Mais, finalement, je me
parlé. Je l’ai regardé et je lui ai annoncé qui j’étais.
Il m’a juste dit, en regardant ma montre au poignet,
rends compte que j’avais tellement
qu’il savait que je viendrais un jour. Je pensais que
j’allais être bouleversée, mais finalement non. »
d’attentes que je les plaçais aussi
Je comprends alors que cette montre au cuir dans ce rôle, à la fois je les haïssais
vieilli, qu’elle manipule tant et qui l’accompagne
depuis qu’elle est enfant, était celle de son père. et à la fois je me haïssais d’avoir eu
Une sorte de fétiche qu’elle conserve comme ves-
tige de l’amour passé de ses parents, jouant aussi
autant d’espoir et d’être maintenant
le rôle de cicatrice d’une blessure douloureuse et déçue. Pourquoi vivre alors.
profonde, qui peut maintenant se refermer.
Emmy apprend aussi, ce jour-là, qu’elle a trois Emmy, 41 ans
demi-frères et sœurs, un demi-frère et une demi-
sœur plus âgés, d’une quarantaine d’années, nés
d’une première relation, avant la mère d’Emmy, l’individu dans la société, son angoisse de l’incer-
et une demi-sœur d’une vingtaine d’années d’une titude et de la non-existence… Pour Emmy, il ne
union plus récente. s’agit pas de gommer son insatisfaction existen-
Mais la jeune femme n’est pas bouleversée, ni tielle qui est tellement profonde qu’elle fait partie
frustrée, en le découvrant. Justement, la dualité intégrante d’elle-même. Non, il s’agit pour elle de Bibliographie
« aspiration/déception », « attente/frustra- l’accepter, voire de s’autoriser à être ainsi, afin de
tion » est au cœur de notre travail psychothéra- trouver un chemin dans la vie. Aussi Emmy M. Laxenaire,
peutique. Car elle n’a jamais tenté d’esquiver sa apprend-elle progressivement à repérer et à Le Bovarysme, Annales
prise de conscience précoce et permanente de la accepter ses fragilités, mais aussi et surtout ses médicopsychologiques,
futilité des sources de bonheur, de l’hypocrisie Elsevier Masson, 2021.
compétences, ses ressources et ses sensibilités,
des relations humaines, ainsi que du désenchan- afin, in fine, de développer son potentiel pour un Y. R. Purwaningsih et al.,
tement du quotidien et du couple. Bien au accomplissement d’elle-même dans le monde. An ambition of infidelity
contraire, tout cela fait partie d’elle-même, de sa Dès lors, petit à petit, la jeune femme se fait « Emma Bovary »
as wife : Sexuality
personnalité, de sorte qu’Emmy va, dans un pre- confiance et se libère de sa servitude vis-à-vis d’un
problems, Medicina
mier temps, travailler sur l’acceptation et non sur potentiel être aimé, pour déployer son besoin de Clínica ráctica, 2020.
l’évitement, comme elle le faisait par le biais de s’investir dans des actions sociales et humani-
son imaginaire. Une approche dite « existen- taires. D’abord, en tant que bénévole : elle s’oc- J. De Gaultier,
Le Bovarysme.
tielle » de la psychothérapie, comme celle déve- cupe d’enfants victimes de violence, ce qui non
La psychologie dans
loppée dans les années 1970-1980 par Irvin D. seulement répond à son besoin d’agir dans le l’œuvre de Flaubert,
Yalom, de l’université de Stanford en Californie. monde et à sa sensibilité pour autrui, mais aussi Collection XIX, 2016.
lui permet de se décentrer d’elle-même. Puis,
N. Levalet et C. Rizet,
SE RECONNAÎTRE assez vite, en s’appuyant sur sa formation de Emma Bovary, Flaubert
COMME N’ÉTANT PAS MALADE juriste, elle se réoriente professionnellement et et nous : un suicide entre
Le travail d’Emmy lors de nos séances consiste travaille maintenant dans l’humanitaire au sein mélancolie et hystérie,
donc à ne plus se reconnaître comme malade, d’une organisation de solidarité internationale. Psychologie clinique
alors qu’elle s’est toujours considérée comme Elle part notamment pour quelques missions à et projective, 2010.
telle. Elle questionne sa douleur de ne pas se sen- l’étranger. Grâce à ces nouvelles activités, Emmy R. May et I. Yalom,
tir à sa place dans le monde, sans se raccrocher réussit enfin à trouver cette « autre chose » qu’elle Existential
aux diagnostics psychiatriques posés antérieure- recherchait tant, mais elle garde toujours en elle psychotherapy, Current
ment. Elle s’interroge sur son dilemme existentiel une profonde insatisfaction existentielle, qui Psychotherapies, 1989.
des attentes et des déceptions, son sens de l’amène encore à me rendre visite aujourd’hui. £

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