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Sociolinguistique

Thème 5
Politique et planification linguistique
Plan :
1. La politique linguistique : définitions, ses composantes
2. Les catégories des politiques linguistiques
3. L’aménagement linguistique : définitions, ses objectifs
4. Le rôle de la linguistique dans le processus de planification

1. La politique linguistique : définitions, ses composantes


L’expression « politique linguistique » est le plus souvent utilisée en relation avec celle de
« planification linguistique » : tantôt elles sont considérées comme des variantes d’une même
désignation, tantôt elles permettent de distinguer deux niveaux de l’action du politique sur la/les
langue/s en usage dans une société donnée.
La « planification linguistique » est alors un passage à l’acte juridique, la concrétisation sur
le plan des institutions (étatiques, régionales, voire internationales) de considérations, de choix, de
perspectives qui sont ceux d’une « politique linguistique ».
J. Garmadi (La sociolinguistique, 1981) évoque les contextes d’emploi de « planification
linguistique ». Selon lui, la planification linguistique « est un ensemble de tentatives et d’efforts
conscients et organisés pour résoudre des problèmes linguistiques. Ce sont des décisions prises pour
influencer, encourager ou décourager des pratiques et des usages linguistiques.
C’est la somme des efforts faits pour changer délibérément la forme d’une langue et son
usage, le discours.
C’est réformer et standardiser une langue de façon normative.
C’est donner un code écrit a une langue qui n’en a pas.
C’est déterminer les moyens scientifiques de parvenir au bilinguisme en période coloniale ou
postcoloniale.
C’est mettre le lexique d’une langue en adéquation avec le développement économique,
social, technique ou culturel d’un pays. Et la liste pourrait s’allonger… »
On peut observer que cette énumération fait référence tantôt à des interventions sur la langue
en tant que structure, système linguistique, tantôt à des interventions sur son fonctionnement
social et/ou interculturel, tantôt à la gestion d’un plurilinguisme.

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Le linguiste L.J. Calvet (La guerre des langues et les politiques linguistiques, 1987) décrit
l’articulation entre « politique » et « planification » linguistiques.
Il considère la politique linguistique comme l’ensemble des choix conscients effectués dans
le domaine des rapports entre langues et vie sociale, et plus particulièrement entre langue et vie
nationale. Alors que la planification linguistique c’est la recherche et la mise en œuvre des moyens
nécessaires à l’application d’une politique linguistique.
L.J. Calvet ajoute avec raison que « si la notion de planification linguistique implique celle
de politique linguistique, la réciproque n’est pas vraie ». Il considère qu’en réalité il arrive des cas
quand un État, une Nation, une Communauté puissent ne pas avoir les moyens de leurs choix en
matière de politique linguistique. Et, au contraire, il peut arriver que des choix d’ordre politique à
propos d’une/des langue/s ne passent pas généralement par une mise en œuvre juridico-
institutionnelle plus ou moins spectaculaire.
La France est un bon exemple, car elle est depuis fort longtemps un lieu d’émergence (et
d’affrontement parfois) de politique linguistique. Qu’elles émanent de l’État (monarchique ou
républicain) ou de la société civile, c’est assez récemment qu’elles ont pris la forme d’un corpus de
dispositions légales. Comme exception on peut nommer la célèbre ordonnance de Villers-Cotterêts
adoptée par François Ier en 1539 qui proclamait le français langue d’État et qui prévoyait la
rédaction de tous les documents, surtout ceux juridiques seulement en français.
Il convient de signaler que certains sociolinguistes ont proposé le terme de « glotto-
politique » afin de mieux désigner l’économie politique des rapports qu’une communauté entretient
avec le langage sous tous les aspects.
Pour les linguistes L. Guespin et J.-B. Marcellesi (Pour la glottopolitique, 1986) ce terme :
« offre l’avantage de neutraliser l’opposition entre langue et parole. Il désigne les diverses approches
qu’une société a de l’action sur le langage, qu’elle en soit ou non consciente. La glottopolitique est
nécessaire pour englober tous les faits de langage où l’action de la société revêt la forme du
politique. » (1986, p. 5)
Il faut encore mentionner qu’il existe des débats sur l’appellation de la mise en œuvre d’une
politique linguistique : « planification », « aménagement » ou « normalisation » linguistique ?
Car les 3 termes coexistent dans la littérature sociolinguistique.
Le terme « planification linguistique » est l’équivalent français de l’expression « langage
planning ». Il a été en usage chez les chercheurs anglo-saxons qui l’ont utilisé dans le passé.
D’autres chercheurs préfèrent les 2 autres termes :
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- l’école québécoise opte pour « aménagement linguistique » parce que ce concept


repose sur une intention de consensus social par rapport à un projet linguistique collectif.
- les sociolinguistes catalans ont popularisé en Espagne (et hors d’Espagne) le terme
« normalisation linguistique », mais avec un sens beaucoup plus large que celui de
codification qui lui est parfois donné, par ex. par Fishman.
La plupart des chercheurs s’accordent sur une conception de la planification linguistique qui
recouvre une série d’actions qui ont en commun d’être préméditées et de viser des buts particuliers
concernant l’usage de la langue dans la communauté.
La planification linguistique est généralement considérée comme un choix explicite entre des
alternatives.
L’examen de plusieurs publications montre l’accord des linguistes sur un certain nombre de
points.
La planification linguistique est :
- une intervention : la planification linguistique a pour tâche d’intervenir dans le cours
normal des événements pour influer sur l’emploi et l’usage de la future langue ;
- explicite : elle traite de tentatives conscientes et délibérées pour manipuler l’emploi et
l’usage de la langue ;
- orientée vers une fin : la motivation de la tentative de planification doit être clairement
perçue et rester perceptible tout au long du processus. Les considérations politiques,
économiques et sociales sont le plus souvent les causes de la décision d’entreprendre une
planification et les finalités sont posées comme un progrès dans ces domaines ;
- systématique : la planification adopte une approche systématique des problèmes, en se
fondant sur les expériences antérieures dans ce domaine. Elle nécessite une analyse
approfondie de la situation existante et des objectifs visés afin de prévoir et de
coordonner un programme d’actions qui résoudront le problème ;
- un choix parmi des possibilités : elle n’est possible que s’il existe des possibilités de
choix. Ces alternatives doivent être identifiées et un choix raisonné doit être effectué
parmi elles ;
- institutionnalisation : bien qu’on puisse envisager les problèmes linguistiques à
plusieurs niveaux, elle réfère d’abord aux institutions publiques et à la politique, dans un
cadre souvent national, mais aussi régional et local.

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On propose la définition suivante : la planification linguistique est un effort explicite et


systématique pour résoudre des problèmes linguistiques et parvenir à la réalisation concrète des
solutions trouvées grâce à l’appui des institutions.
Elle peut donc :
1) concerner telle langue dans son identité structurale. Il peut s’agir alors d’une intervention
de type normatif visant à:
- codifier des fonctionnements grammaticaux, lexicaux, phonétiques ;
- déterminer une forme standard ;
- donner une écriture à une langue qui n’était qu’orale ;
- modifier une orthographe, etc.
2) concerner les fonctionnements socioculturels de telle langue, son statut, son territoire,
face aux fonctionnements socioculturels au(x) statut(s), au(x) territoire(s) d’une autre ou
d’autres langues également en usage dans la même communauté plurilingue.
3) présenter une double visée : linguistique et sociolinguistique, et les deux types
d’intervention évoqués sont alors parfaitement solidaires.
C’est ce qu’on entend par normalisation en Espagne dans la période actuelle où, en
Catalogne par ex., la normalisation sociolinguistique officielle du catalan implique la prise en
compte de la normalisation linguistique (grammaticale, lexicale, orthographique) déjà largement
réalisée dans le premier tiers du XXe siècle.

2. Les catégories des politiques linguistiques


Jacques Leclerc (2007) a étudié les politiques linguistiques d’un grand nombre de pays. Il les
décrit et distingue les catégories suivantes :
a) politiques d’assimilation : qui consistent à utiliser des moyens planifiés en vue d’accélérer
la minorisation et l’assimilation des minorités linguistiques. Ces moyens peuvent être
explicités sous une forme légale ou implicite : on peut, d’une part, proclamer l’égalité et
accorder des droits, et d’autre part, recourir à des pratiques qui nient les droits reconnus ;
b) politiques de non-intervention.
c) politiques de valorisation de la langue officielle : ces politiques de valorisation linguistique
sont généralement associées à des opérations de décolonisation linguistique. Elles consistent
à donner une légitimité à la langue de la majorité aux dépens d’une langue minoritaire
d’origine coloniale.
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d) politiques sectorielles : elles correspondent à des objectifs bien concrets en matière de


langue qui se limitent souvent à un seul aspect (parfois deux) de la langue, sans reconnaître à
cette langue un certain statut juridique. On applique une politique sectorielle lorsqu’on veut
réglementer les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent. Il s’agit souvent de
mesures restrictives visant à limiter l’invasion d’une autre langue.
e) politiques de statut juridique différencié : dans ce type de politique, l’État part du principe
que la majorité a tous les droits linguistiques, mas des groupes minoritaires (généralement
des langues historiques) peuvent aussi bénéficier de certains droits. Les droits sont extensifs
pour la majorité et nécessairement restrictifs pour les minorités.
f) politiques de bilinguisme et de trilinguisme : les politiques de bilinguisme institutionnel
reconnaissent par la loi ou la constitution l’égalité de deux ou plusieurs langues dans les
secteurs contrôlés par l’État.
g) politiques de multilinguisme stratégique.
h) politiques d’internationalisation linguistique.
i) politiques linguistiques mixtes.

3. L’aménagement linguistique : définitions, ses objectifs


L’aménagement linguistique c’est l’application d’une politique linguistique. Le terme
« aménagement linguistique » a été proposé par le linguiste québécois Jean-Claude Corbeil à
l’occasion de la mise en place de la Charte de la langue française pour remplacer celui de
« planification linguistique ».
J.-Cl. Corbeil définit ce concept de la manière suivante : « la mise en œuvre de la politique
linguistique d’un État ou d’une organisation qui souhaitent intervenir explicitement sur la question
des langues ».
L’élaboration d’un plan d’aménagement linguistique comprend plusieurs étapes :
- la connaissance précise et détaillée de la situation sociolinguistique de départ ;
- le marché linguistique (national, régional, international) ;
- l’état de la description des langues ;
- l’évaluation de la demande sociale ;
- l’évaluation de la demande politique ;
- la détermination des besoins ;
- les ressources linguistiques existantes ;
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- la définition de la situation souhaitée ;


- la détermination du plan de travail ;
- le contrôle et l’évaluation de la stratégie et sa mise en œuvre à la lumière des résultats
obtenus.
Il n’existe pas de modèle universel de plan d’aménagement linguistique, il n’y a que des
exemples d’aménagement linguistique.
L’aménagement linguistique peut conduire :
- soit à un statut d’égalité des langues sur un territoire donné ;
- soit à une hiérarchisation de ces langues en fonction de critères divers.
L’aménagement du code linguistique d’une langue peut porter sur différents aspects, et
notamment, il peut s’agir de :
- réaliser une simple description de cette langue (lexique, syntaxe, phonologie) et de la
normaliser ;
- doter une langue utilisée uniquement à l’oral d’un système d’écriture ou d’assurer sa
normalisation ;
- enrichir le lexique d’une langue afin de la rendre apte à une communication plus
élaborée ;
- procéder à des réformes importantes du code d’une langue, notamment, pour prendre des
exemples récents, des réformes de l’orthographe.
L’aménagement linguistique est un processus qui peut répondre à des objectifs différents les
uns des autres. Ces objectifs découlent d’une politique linguistique qu’elle soit formulée ou non.
Selon cette typologie, l’intervention linguistique peut viser les buts suivants :
- la renaissance d’une langue (ex. : le cas de l’hébreu implanté comme langue
véhiculaire après la création de l’État d’Israël) ;
- la communication interlinguistique (ex. : la mise en application des politiques de
bilinguisme ou de multilinguisme officiel au Canada, en Suisse et dans de nombreux
pays africains) ;
- la valorisation et la promotion de l’usage d’une langue (ex. : le cas du français au
Québec) ;
- la survie des langues menacées (ex. : le cas du breton, du gallois, du romanche, d’un
certain nombre de langues africaines) ;

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- le respect des droits des minorités linguistiques (la Suède et la Finlande, par ex.) ou
d’une majorité linguistique (ex. : au Québec le français est majoritaire, mais minoritaire
dans l’ensemble du Canada) ;
- la gestion de l’usage des langues officielles spécifiques dans une organisation
internationale, telle l’Organisation des Nations Unies.
En conclusion, on constate que le plan d’aménagement linguistique découle de la politique
linguistique qui a été adoptée. Si celle-ci a été définie dans des textes de loi, le plan d’aménagement
consistera à définir les moyens et les méthodes que l’on préconise pour réaliser les attentes fixées
dans la loi.

4. Le rôle de la linguistique dans le processus de planification


Historiquement, la linguistique s’est d’abord intéressée aux aspects formels de la langue, au
code. L’unilinguisme était considéré comme la norme, en dépit du fait que la plupart des
communautés dans le monde étaient plurilingues.
La linguistique a peu à peu élargi ses horizons et intégré dans son domaine :
- la description des codes du locuteur plurilingue,
- les fonctions du langage,
- son usage dans les situations de plurilinguisme…, notamment, sous l’influence de la
sociolinguistique.
Elle a pu ainsi s’impliquer dans la planification, qui voit dans la langue plus un
comportement qu’un code, et qui opère dans des situations de plurilinguisme.
Une question apparaît : où et quand la linguistique peut-elle aider à résoudre les difficultés
linguistiques de la société. Les linguistes distinguent 3 parties dans le processus de planification :
- l’identification du problème ;
- la conception et la mise en œuvre de la normalisation ;
- l’évaluation des résultats.
L’identification d’un problème linguistique est souvent une réponse à une série de
problèmes plus généraux. Le plus souvent ces problèmes sont d’ordre politique, social, économique
et religieux et non pas linguistique.
Quand on dit qu’il s’agit d’un problème linguistique, alors on envisage la langue comme la
manifestation d’une culture, assurant une fonction comportementale et symbolique.

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D’autre part, la résolution du problème de langue ne peut constituer qu’une partie de


l’exécution de projets plus vastes.
Les linguistes considèrent que l’apport de la linguistique est important dans le processus de
planification :
- elle clarifie les finalités d’une politique et le rôle que la planification linguistique peut
jouer ;
- elle peut prévoir l’interaction entre les attitudes langagières de la population et les
programmes dirigés par le gouvernement ;
- elle permet au politicien non linguiste de distinguer ses attitudes en tant que locuteur de
la langue des décisions qu’il prend à propos de cette même langue.
La seconde phase, celle de la conception du plan ou de la politique, peut bénéficier
grandement de l’apport de la linguistique. Le linguiste J. Rubin (Evaluation and language
planning) distingue 4 phases dans le travail du planificateur :
a) recherche des données : réunion des informations sur la situation ;
b) conception du plan : formulation du projet, des moyens pour le réaliser et des résultats
prévus ;
c) mise en œuvre : le plan est mis en action ;
d) rétroaction : comparaison des projets et des résultats obtenus.
Pour décrire une situation, il faut savoir quelles informations seront utiles et comment les
recueillir. Les sociolinguistes, qui ont une grande expérience de l’enquête, de ses moyens et de ses
techniques, peuvent être d’une grande utilité.
Dans le choix d’une langue qui sert de moyen d’instruction dans l’enseignement primaire, il
est important :
- d’inventorier, d’évaluer les attitudes de la communauté envers les différents choix
possibles ;
- de déterminer les relations existant entre les diverses variétés de la langue en question,
afin de déterminer sur des bases purement formelles si un choix peut être plus accessible
pour les locuteurs des autres variétés.
La IIIe phase, l’évaluation de l’efficacité du plan.
C’est une évaluation qui doit avoir lieu tout au long du déroulement du processus de
planification linguistique pour les modifier éventuellement, s’il est besoin.
Le planificateur :
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- compare les résultats concrets avec les visées originelles ;


- apprécie les résultats de son action ;
- juge de la nécessité de modifier ses stratégies.
La linguistique est requise pour établir des critères permettant de mesurer le succès quand la
langue est l’objet de l’évaluation (par ex. : pour déterminer quels changements structuraux se sont
produits).
On met en évidence ce qui dépend de la perspicacité du linguiste dans le fonctionnement du
langage, et notamment, c’est savoir quelles stratégies particulières n’ont pas fonctionné comme
prévu.

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