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QUESTIONS CONTEMPORAINES –

L’ALIMENTATION – COURS 2
Fabrice Olivier – Louis Rossignol

COURS 2 : ALIMENTATION ET MONDIALISATION

T ABLE DES MATIERES


Introduction ........................................................................................................................................ - 2 -
1. L’alimentation, un marché mondialisé .................................................................................... - 3 -
1.1. Les acteurs ............................................................................................................................................. - 3 -
1.2. Une nouvelle organisation de la production........................................................................................ - 5 -
2. Un marché mondial qui nécessite une régulation ................................................................... - 8 -
2.1 Les limites et les défaillances de la mondialisation alimentaire ........................................................ - 8 -
2.1.1. La destruction des terres arables .............................................................................................. - 8 -
2.1.2. Les phénomènes climatiques ...................................................................................................... - 9 -
2.1.3. La hausse des prix du pétrole .................................................................................................... - 9 -
2.1.4. L’augmentation de la demande ............................................................................................... - 10 -
2.1.5. La baisse des prix agricoles ...................................................................................................... - 10 -
2.2 Organisation et régulation du marché mondial ............................................................................... - 10 -
2.3 L’alimentation au cœur de politiques protectionnistes .................................................................... - 12 -
3. Une dimension socioculturelle................................................................................................. - 13 -
3.1 Vers une disparition des disparités régionales.................................................................................. - 13 -
3.2 Défendre les origines ........................................................................................................................... - 15 -
Signes officiels de qualité et origine géographique ......................................................................... - 15 -

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I NTRODUCTION

Le printemps 2022 a vu les étals des grandes surfaces se vider des pots de moutarde comme ce fut
également le cas pour l’huile de tournesol. Si pour cette dernière la guerre en Ukraine explique la pénurie, pour
la moutarde de Dijon, il faut se transporter au Canada pour avoir un début d’explication. En effet, ce pays nord-
américain, premier exportateur mondial, fait partie des principaux producteurs derrière le Népal avec 121,6
millions de tonnes contre 159,71 millions de tonnes en 20171. La production de moutarde française à recours
au trois-quarts aux graines canadiennes. Aussi, quand la sécheresse détruit les cultures canadiennes en 2021, la
pénurie du condiment est observable l’année suivante en France. La moutarde de Dijon nous apparaît dès lors
comme un produit mondialisé : des graines poussent loin de la Bourgogne, sont importées en France pour être
transformées dans des lignes de production localisées aux différents coins de l’Hexagone. En effet nous le
verrons, il n’existe aucun label géographique protégeant ce produit. Comme nombre de biens produits,
l’alimentation est aussi concernée par un processus de mondialisation.

La mondialisation doit s’entendre comme un processus historique, de mise en relation dans une dimension
géographique des sociétés du monde entier, devenant par là un espace commun à l’ensemble de l'humanité.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, une nouvelle phase, marquée par une accélération de la production,
des flux et des échanges, a façonné l’économie et le domaine de l’alimentation n’en a pas été exempt. Qui plus
est, la mondialisation ne se limite pas à la seule dimension économique. Elle se décompose en divers processus
renvoyant au dimensions socio-économiques, politiques, culturelles, technologiques, entre autres.

Le domaine de l’alimentation est au cœur de cette nouvelle mondialisation qui connaît une intensification des
échanges, aidée en cela par la diversification et l’amplification des modes de transports (l’apparition des porte-
conteneurs en étant le symbole), de la mobilité des populations et des entreprises et par l’extension des
techniques contemporaines de la diffusion de l’information et l’émergence de nouveaux moyens de
communication (internet, satellites). Comme pour d’autres domaines de l’économie, la mondialisation de
l’alimentation contribue aux phénomènes de diffusion et d'homogénéisation. Se pose dès lors la question de
l’uniformisation des pratiques alimentaires.

1
« La moutarde : un grain peut en cacher un autre », Les Echos, 2019

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1. L’ ALIMENTATION , UN MARCHE MONDIALISE

1.1. Les acteurs

L’Humanité durant des millénaires a tiré l’essentiel de ses ressources alimentaires de la chasse et de la
cueillette. La sédentarisation, cause ou conséquence, est liée à de nouvelles pratiques d’agriculture et d’élevage.
Cette diversification voit au néolithique une intensification de ces nouvelles pratiques2. Les échanges entre les
diverses communautés qui fondent progressivement des cités, permettent ainsi l’accès à de nouvelles
ressources. Entre cités, va se développer un embryon de commerce international.

De l’antiquité au Moyen-Age, des flux alimentaires vont progressivement se mettre en place. Ainsi, dès le
quatorzième siècle avant notre ère, les navires phéniciens transportent leurs marchandises vers les divers ports
méditerranéens. Diverses cités grecques sont alimentées par les céréales égyptiennes, notamment. L’Empire
romain va progressivement contrôler la Méditerranée, qui verra des routes maritimes venir alimenter Rome. De
nombreuses estimations3 ont été formulées, pour faire état du volume annuel qui permettait à la ville éternelle,
peuplée approximativement d’un à un million et demi d’habitants, d’être ravitaillée. Ainsi, 300 000 tonnes de
blé, 6,5 millions d’amphores de vin, dont une large majorité devait arriver par mer, ou encore 260.000 amphores
d’huile de Bétique, venaient, entre autres, satisfaire les besoins de consommation des romains. A cela
s’ajoutaient divers produits comme le cumin de Syrie, des poissons d’Egypte ou de Phénicie.

L’effondrement de l’empire romain d’Occident ne signifiera pas la disparition de ce commerce


alimentaire. Le Moyen Age verra se former un espace d’échange au sein du monde connu. L’Europe se verra
relier à la Chine et au sous-continent Indien, rencontrant au passage le monde arabe. Venise et Gênes
deviendront notamment des ponts entre l’Orient et l’Occident, fondant ainsi leur pouvoir tant économique que
politique. Les Epices sont au cœur de ces échanges, contribuant à diversifier et enrichir cuisine et pharmacopée
européenne. Le monde est devenu un vaste espace d’échange. Jean-Pierre Williot et Gilles Fumey, montrent les
périples de l’aubergine. « Partie de Chine vers le Japon durant l’époque Tang au VIIIe siècle, le légume migre vers
l’Indonésie et les Philippines. Les routes commerciales maritimes l’emportent d’Inde vers l’Europe méridionale.
Sous l’influence musulmane, l’aubergine entre dans le répertoire des traités de médecine dès les IX e siècle
Cordoue avant d’intégrer ceux de l’école Salerne en Italie au XIIe siècle. »4 C’est un exemple parmi tant d’autres,
de ces fruits, légumes et autres plantes qui se voient acclimatés dans des contrées toujours plus éloignées de
leur foyer d’origine. L’Ancien monde est traversé désormais par de nombreuses routes terrestres et maritimes.

2
Jean-Paul DEMOULE, Les dix millénaires oubliés qui ont fait l’Histoire. Quand on inventa l’agriculture, la guerre et les
chefs. Paris, 2019, Librairie Arthème Fayard / Pluriel.
3
André TCHERNIA, Les Romains et le commerce. 2011
4
Jean-Pierre WILLIOT et Gilles FUMEY, Histoire de l’alimentation. Paris, 2021, Que sais-je ? n°4213

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La volonté des monarques portugais et espagnols de ne plus être tributaires des marins génois et vénitiens
les conduiront à financer des recherches vers d’autres voies de passages vers les Indes. En 1492, Christophe
Colomb débarque, sans le savoir, dans le Nouveau Monde. Rapidement, de nouveaux produits vont venir
enrichir les cuisines européennes : cacao, tomates, pommes de terre, maïs. Une exploitation des ressources des
Amériques va transformer radicalement le commerce alimentaire mondial. D’autres puissances européennes
vont emboîter le pas des monarchies ibériques en sillonnant les océans, le Royaume Uni, le Royaume de France
et les Provinces Unies. De nouveaux acteurs apparaissent au début du XVIIe siècle par la voix des Compagnies,
préfigurations des multinationales, que ce soit la puissante VOC5 (Compagnie Unie des Indes Orientales) pour
les Provinces Unies, la Compagnie française pour le commerce des Indes orientales fondée par Colbert en 1664,
la BEIC6 (Compagnie britannique des Indes orientales) fondée en 1600. Ces diverses compagnies se chargeront
entre autres, de faire transiter vers le continent européen des productions alimentaires. « La mise en relation
intercontinentale de zones de production des matières premières -épices, canne, cacao, café, sucre – et des pôles
de transformation en Europe modifie l’histoire de civilisations multiséculaires, qu’elles soient précolombiennes,
chinoise, indienne ou arabe. Destinés aux tables aristocratiques puis aux bourgeoisies qui accèdent à de nouvelles
consommations matérielles dès le XVIIe siècle, ces flux de produits exotiques entraînent des conséquences
considérables, en amont par le système des plantations au prix de l’esclavage et du travail forcé, et en aval par
le développement d’établissements industriels alimentaires. La consommation des produits exotique étend ses
effets à d’autres industries connexes. »7

Les progrès techniques qui ne cessent de s’amplifier à compter du dix-neuvième siècle vont permettre
une croissance toujours plus rapide du commerce alimentaire mondial. L’amélioration des moyens de transports
maritimes, des infrastructures portuaires qui s’améliorent, ou encore des voies maritimes qui accélèrent les
liaisons comme le percement des canaux de Suez (1869) et du Panama (1914), font entrer le commerce mondial
dans une nouvelle époque, dominée, toujours plus, par les puissances européennes rejointes bientôt par les
Etats-Unis. Ces échanges ne peuvent se concevoir que grâce aux diverses innovations que l’industrie
agroalimentaire a développé ou affiné au dix-neuvième siècle, dans le domaine de la conservation des aliments
(pasteurisation, congélation, surgélation, introduction d’agents conservateurs, ...) de leur conditionnement
(conserves, …). Quelles que soient les époques de l’année, nous avons désormais accès à des produits qui
bravent la logique des saisons : Haricots verts du Kenya en plein hivers, agrumes d’Afrique du Sud en été. Comme
l'écrit le sociologue Jean-Pierre Poulain, « L’aliment moderne est délocalisé, c’est-à-dire déconnecté de son
enracinement géographique et des contraintes climatiques qui lui étaient traditionnellement associées. »8 Depuis
les dernières décennies, divers produits exotiques se rencontrent sur les étals des grandes surfaces européennes
par exemple, goyaves, avocats, caramboles, mangues, papayes, etc.

5
Vereenigde Oostindische Compagnie.
6
British East India Company
7
Jean-Pierre WILLIOT et Gilles FUMEY, Histoire de l’alimentation. Paris, 2021, Que sais-je ? N°4213, pp. 43-44
8
Jean-Pierre POULAIN, dans Sociologie de l’Alimentation, 2013

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1.2. Une nouvelle organisation de la production

A ce jour, l’accélération de la mondialisation touche également le système agroalimentaire. L’organisation


qui jusque-là se fondait sur des bases nationales laisse la place à un système devenu transnational, dominé par
des firmes guidées par une course au gigantisme. Si le marché fut dominé pendant les derniers siècles par des
firmes occidentales, le début du nouveau millénaire est marqué par l’entrée sur la scène mondiale de firmes
issues des pays émergents. Pendant longtemps, ces derniers étaient voués à fournir en matière première
agricole ou en agrofourniture (c’est-à-dire les divers biens, semences, produits phytosanitaires, engrais et
amendements, organiques ou minéraux, aliments du bétail et produits vétérinaires qui vont permettent aux
agriculteurs occidentaux de répondre au besoin d’un système de production qui s’est industrialisé) les pays
développés. On assiste ainsi à ce qui peut être assimilé à une stratégie de remontée de filière. De nombreux
pays ont débuté par des activités au sein d’une branche, dont la production demande le moins de capital et le
moins de savoir-faire. Progressivement, ils ont su entamer des productions à des échelons en amont. Ce qui
peut se traduire dans le domaine agroalimentaire par la transformation des productions agricoles sur leur
marché d’origine.

Le cas du Brésil illustre cette évolution. Dans la seconde moitié du 19ème siècle, sa spécialisation repose
sur des produits « exotiques » (Café, cacao ou encore agrumes). Il va ensuite progressivement rattraper, tout au
long du 20ème siècle, son retard sur les Etats-Unis d’Amérique et l’Union Européenne qui domine encore,
jusqu’aux années 1990, le marché des produits agricoles et alimentaires. L’expansion spatiale, par la conquête
de terres agricoles sur la forêt amazonienne et l’organisation productive d’un complexe agro-industriel, va
permettre au Brésil de se poser au début du 21ème siècle comme l’une des principales puissances agro-
alimentaires mondiales. Ainsi, en 2013-14, le Brésil est le premier producteur mondial de jus d’orange (16,6
milliards de tonnes), de café (2,7 milliards de tonnes), de sucre (35,5 milliards de tonnes), le second pour le Soja
(86,1 milliards de tonnes) et la viande bovine (8322 milliards de tonnes), le troisième pour le maïs (80,0 milliards
de tonne) et la volaille (12 308 milliards de tonnes) et le quatrième pour la viande porcine (3594 milliards de
tonnes), ce qui fait de lui le premier exportateur de Jus d’orange (79 % des exports mondiaux), de café (28%),
du sucre (47%), du soja (41%) la viande bovine (20%) , la volaille (34%) et le second pour le maïs (16 %) et le
quatrième pour la viande porcine (8,5%)9. Le Brésil ne se contente plus aujourd’hui d’exporter sa production
agricole brute, le poids des produits transformés s’est accru par l’émergence de firmes qui prennent pied à
l’étranger et qui absorbe parfois la concurrence. La demande mondiale en biens agricoles va offrir de nombreux
débouchés à la production brésilienne et inciter ses firmes à accentuer leurs productions et leurs stratégies de
conquête des marchés mondiaux.

9
Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, https://agriculture.gouv.fr/bresil

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La stratégie du Brésil est de conquérir de plus en plus de parts de marché, de s’accaparer une rente à
l’exportation, d’écouler la production, et donc de rentabiliser les capitaux investis dans le complexe
agroalimentaire. Par ailleurs, la demande mondiale de produits agricoles s’inscrit sur une dynamique
ascendante, en raison notamment de l’accroissement de la demande chinoise. Au regard de ses productions
animales destinées à répondre à une augmentation de la demande domestique imputable à l’élévation des
niveaux de vie, la Chine importe massivement – elle absorbe plus de 50 % des importations mondiales de soja
depuis plusieurs années – du soja en provenance du Brésil (...). Les importations chinoises de graines
oléagineuses ont de ce fait rattrapé celles réalisées par l’UE à 27. La dynamique de la demande mondiale de
produits carnés (...) constitue pour le Brésil et son agro-industrie un véritable challenge.

L’autre dimension importante inhérente à la progression des exportations brésiliennes sur les marchés
mondiaux tient au rattrapage fulgurant qu’a opéré ce pays vis-à-vis des États-Unis et de la France. La domination
exercée par les États-Unis sur le marché des viandes n’est plus que relative, le Brésil faisant désormais jeu égal
en ce domaine, et plus spécifiquement dans celui de la viande de volailles. C’est précisément sur ce terrain que
la France et l’Union européenne ont dû affronter la concurrence brésilienne. La forte progression des viandes
de volailles brésiliennes s’est faite d’ailleurs au détriment de leurs concurrents français et européens, lesquels
ont été progressivement distancés du marché mondial. La part de l’UE dans les échanges mondiaux de viande
de volailles est ainsi passée de 20 % en 1994 à un peu moins de 10 % en 2011, la part du Brésil évoluant quant à
elle de 14 à 34 %, celle des États-Unis diminuant de 41 à 32 %. Le Brésil, qui entend jouer un rôle de premier
ordre dans le développement de relations économiques Sud-Sud, s’est orienté vers les marchés des pays du
Proche et du Moyen-Orient. Un véritable « corridor alimentaire » a été créé entre le Brésil et les pays composant
le Proche et le Moyen-Orient (...). Exprimées en dollars courants, les exportations brésiliennes de viandes et
autres préparations à base de viandes à destination des pays du Moyen-Orient non OPEP (Organisation des Pays
Exportateurs de Pétrole) sont passées de 9 à 330 milliards de dollars, soit une progression de 3560 % entre 1990
et 2009.

Cécile Fèvre et Thierry Pouch, « L’affirmation des multinationales de l’agroalimentaire des pays émergents. Le cas des
firmes brésiliennes de la viande », Économie rurale, 334 | 2013, 87-89.

Le Brésil a désormais le statut de grande puissance du monde agricole. Il n’est pas seul parmi les nouveaux
venus. D’autres pays ont émergé, Malaisie et Indonésie dans le domaine des matières grasses avec notamment
la production et la transformation, tant décriée, de l’huile de palme. Dans le domaine viticole, le Chili, l’Argentine
ou encore l’Afrique du Sud ne cessent de gagner des parts de marché. Quels que soient les domaines, la
production nord-américaine et européenne est en concurrence avec des pays émergents. L’offre mondiale de
produits agricoles est reformulée. Plus encore, la demande connaît elle aussi une mutation, de nombreux pays
émergents dont les géants démographiques que sont l’Inde et la Chine absorbent une quantité toujours plus
grande de cette production. La production locale est insuffisante et il faut satisfaire une classe moyenne dont
les exigences se font plus grande en matière d’alimentation. Parallèlement, à cette hausse, on observe, suite à
la crise des subprimes de 2007-08, une augmentation très importante des prix agricoles, qui ne va pas sans
provoquer de nombreuses crises alimentaires qui déboucheront sur des soulèvements dans un grand nombre
de pays (Tunisie, Egypte, Syrie, …) bouleversant l’ordre politique.

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Ces divers bouleversements et évolutions, appellent à interprétation. La théorie classique par David
Ricardo avec sa réflexion autour des avantages comparatifs au début du dix-neuvième siècle, puis la théorie
néoclassique avec le modèle des dotations factorielles dit modèle HOS pour ses auteurs Heckscher, Ohlin et
Samuelson se sont attelées à expliquer le fonctionnement « des échanges internationaux comme la conséquence
de facteurs économiques poussant les pays à se spécialiser chacun dans la production de certains biens et services
(la division internationale du travail), puis à les échanger.10 » Pour résumer, ces théories renvoient
principalement à des hypothèses de départ. Premièrement, chaque économie nationale se voit conférer des
caractéristiques naturelles ou techniques qui lui sont spécifiques et immuables. Ensuite, ces attributs offrent
aux entreprises nationales des dits pays un avantage particulier pour produire certains biens ou services. Pour
finir, il faut entendre les échanges internationaux comme la résultante des dispositions de chaque entreprise
nationale à user les avantages propres à leur nation.

Ces hypothèses serviront de socles aux travaux de bons nombres d’économistes jusque dans la seconde
partie du vingtième siècle « Au temps de Ricardo ou de la formulation du modèle HOS (années 1950), cette
hypothèse était suffisamment représentative de la réalité : mis à part les « systèmes d’échange préférentiel »
avec leurs colonies respectives, les Français achetaient l’acier allemand produit en Allemagne, tandis que les
Britanniques achetaient du fromage français fabriqué en France. Une autre raison, plus strictement économique,
tient à la très faible mobilité des facteurs de production. Jusqu’aux années 1930 voire 1950, les facteurs de
production (travail et capital) de chaque pays et le savoir-faire des entreprises locales voyageaient très peu : les
entreprises ne s’internationalisaient donc pas.11 » La pensée orthodoxe sera remise en question par le courant
structuraliste. Le présupposé qui voit la présence des échanges lorsqu’il y a un avantage réciproque est contesté,
« l’échange entre pays du Sud et pays du Nord se fait sur des bases d’inégalités profondes et ce, à cause de la
relation de dépendance-subordination économique qui existe entre les pays développés et les pays en
développement 12». Lorsque les colonies françaises accèdent à leur indépendance, des Accords de Partenariats
Economiques sont mis en place pour assurer une coopération entre l’ancienne puissance colonisatrice et ses
colonies. La France se pose en partenaire privilégié bénéficiant en priorité et selon les conditions qu’elle
imposera, des productions locales. Également, ces théories sont mises à mal par les mutations de l’économie
mondiale avec le poids de plus en plus prononcé de firmes multinationales aux dépens des Etats. Dans le
domaine du marché international alimentaire, on ne peut que constater l’émergence de ces entreprises.

10
Foued CHERIET et Pasquale LUBELLO, « Concentration des grandes firmes et nouvelle division multinationale du
travail : la révolution du système agroalimentaire mondial », dans Systèmes agroalimentaires en transition. 2017, pp. 115 à
158.
11
Ibid
12
Ibid

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2. U N MARCHE MONDIAL QUI NECESSITE UNE REGULATION

Le marché mondial de l’alimentation tel que nous l’avons montré, ne peut fonctionner sans régulation.
En effet, nous avons déjà soulevé les problèmes rencontrés lors des crises alimentaires qui ont fait suite à la
crise des subprimes de 2007-08. La crise alimentaire était déjà en gestation depuis de long mois, des signes
annonciateurs étaient déjà perceptibles dès 2005-2006 : la production de produits agricoles n’a pas été en
mesure de satisfaire la demande de consommation à l'échelle mondiale. Des épisodes de sécheresse n’ont pas
permis d’assurer une production de céréales suffisante. La corne de l’Afrique a ainsi subi l’une de ses plus graves
crises alimentaires. Est venue s'ajouter la hausse des cours du pétrole. Dans le domaine alimentaire, on peut
constater une demande toujours croissante en matière de consommation de viande et de produits dérivés.
Également, se pose la question de la disponibilité des terres arables ; le choix se faisant bien souvent entre
production alimentaire et construction d’habitations ou de bâtiments industriels. L’état des lieux du marché
alimentaire laisse donc transparaître de nombreux problèmes.

2.1 Les limites et les défaillances de la mondialisation alimentaire

2.1.1. La destruction des terres arables

La production agricole passe par l’exploitation de terres arables. Force est de constater que la surface au
niveau mondiale est en voie de réduction depuis des décennies. Cela s’explique par la convergence de divers
facteurs.

• L’urbanisation qui découle de l’extension des petites et moyennes villes aux détriments des meilleures
terres souvent situées à leur périphérie, qui sont progressivement grignotées.
• Le processus de désertification, observable dans les régions sahéliennes ou australienne, tout comme
la progression du désert de Gobi en Chine, l’Europe est même touchée avec la péninsule ibérique.
• Les conséquences du dérèglement climatique se fait aussi ressentir avec l’augmentation du stress
hydrique qui affecte les terres, notamment par les épisodes de pluies intenses qui peuvent faire suite à des
périodes de sécheresse. Les terres ne pouvant absorber l’eau de ces pluies sont dispersées par ruissellement et
érosion.
• La déforestation et l’abus d’engrais provoque une érosion des terres arables qui sont fragilisées, comme
cela se rencontre en Amazonie et en Indonésie.

Ainsi, au niveau mondial, les surfaces arables disponibles sont en recul. L'activité humaine a un impact sur
le sol lui-même. Ainsi, le taux mondial d'érosion des sols a été multiplié par trois depuis la préhistoire. L'érosion
des sols et d'autres formes de dégradation des terres privent désormais le monde de 70 à 140 000 km2/an de
terres agricoles. L'urbanisation représentant à elle seule la perte d’environ 20 à 40 000 km2/an. A l’échelle
mondiale, l'érosion des sols a provoqué la disparition de 4,3 millions de km2 de terres arables au cours des
quatre dernières décennies. C’est 100 milliards de tonnes de terre arable perdues chaque année, ce qui est cinq

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fois plus rapide que ce que la nature peut créer. La disponibilité mondiale totale de terre végétale est estimée à
7 000 gigatonnes ce qui nous laisserait environ soixante-dix ans de terre végétale si on s’en tient au niveau de
destruction actuel13.

L’activité humaine est la principale responsable de cette catastrophe écologique. L’agriculture qui s’est
imposée comme productiviste dans la seconde moitié du vingtième siècle a développé une politique
d'augmentation de rendements fondée sur l’incorporation d’intrants qui ont eu comme objectifs de maintenir
un niveau de rendement permettant de satisfaire la demande, à l’origine notamment de la destruction de terres
arables. L’opposition entre partisans d’une soutenabilité forte et ceux d’une soutenabilité faible autour du rôle
du progrès technique est au cœur des débats. Est-on en mesure de compenser la destruction de surfaces arables
par l’introduction du capital technique ? Ou bien ces intrants ne font-ils qu’accentuer le processus de
destruction ? En 1970, l’ingénieur agronome Claude Bourguignon a mis en évidence, le lien entre la fertilisation
par le recours à des engrais minéraux et la dégradation biologique des sols par la réduction de la biomasse
(réduction de l’humus) ainsi que l’affaiblissement de la présence au sein des sols de micro-organismes (bactéries
et champignons). Ce qui a pour conséquence une baisse de la productivité des sols agricoles européens, ce qui
s’observe aussi sur les sols tropicaux ou subtropicaux auxquels on applique les mêmes méthodes. Cette question
est loin d’être réglée, puisque de nombreuses institutions, nous le verrons, considèrent encore que la carte de
l’amélioration des rendements est une solution pouvant compenser la perte de terre arable.

2.1.2. Les phénomènes climatiques

Le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) dès son premier rapport en
1990 a mis en perspective le dérèglement climatique auquel nous sommes confrontés, notamment par le
réchauffement climatique, qui n’est pas sans avoir d’impacts sur la production alimentaire. Des épisodes de
sécheresses, d’hivers rude, ou encore d’inondations viennent perturber la production agricole. La canicule de
2021 au Canada a affecté le premier producteur mondial de moutarde. Les multiples épisodes caniculaires que
la France a connus en 2022, affecte la production avec l’interdiction d’arrosage qui a pu être mis en place. La
canicule de l’année 2022 a également fortement affecté la Chine.

2.1.3. La hausse des prix du pétrole

En avril 2020, le prix du pétrole s’établissait à 16,9 $ le baril. 24 mois plus tard, en avril 2022, le baril atteint
désormais 104,9 $, soit un prix multiplié par 6,214. L’augmentation du baril a impacté considérablement le coût
des fertilisants et des pesticides, qui en majorité, nécessitent l'utilisation de pétrole ou plus du gaz naturel dont
le prix dépend de celui du pétrole pour leur fabrication. Ainsi l’Ammonitrate 33,5 % est passé de 249 €/tonne le

13
http://www.sustainablesettlement.co.za/issues/landloss.html
14
https://www.insee.fr/fr/statistiques/6446035

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11/09/2020 à 920 €/t. le 9/09/2022, l’Urée a elle augmenté pour les mêmes dates de 262,5 €/t. à 927,5€/t.15 Ce
qui a pour conséquence une explosion des coûts de production.

2.1.4. L’augmentation de la demande

L'émergence de classes moyennes en Inde et en Chine s'est traduite par une évolution de la demande
alimentaire (quantitativement et qualitativement) avec, notamment, une augmentation de la consommation de
viande, même si elle est encore modeste en Inde. Cette consommation de viande en augmentation a eu pour
conséquence une réorientation d’espaces dédiés à la culture au profit de l’élevage, plus lucratif, qui plus est,
bien souvent, au détriment des cultures des aliments de base traditionnels.

Pour avoir un ordre de grandeur, en 1990, les classes ou couches moyennes représentaient 9 % de la
population en Inde et 8,6 % de la population chinoise, tandis qu'en 2008 elles atteindraient près de 30 % et 70 %
de leur population respective. Les chinois consomment ainsi cinq fois plus de viande en 2005 qu'en 1980 (il faut
trois kilogrammes de grains pour faire un kilogramme de volaille, le double pour un kilogramme de bœuf). Pour
satisfaire cette soif de consommation, de gigantesques projets voient le jour comme une mégaferme à Ezhou
en Chine, dans la banlieue de Wuhan, pouvant accueillir 60 0000 porcs16.

2.1.5. La baisse des prix agricoles

Estimée comme inévitable par les analystes économiques, sur la base des travaux de Paul Samuelson, la
baisse des prix des produits agricoles payés aux producteurs a entraîné une baisse importante des
investissements agricoles depuis les derniers sommets atteints par les prix agricoles à la fin des années 1970.
Cette réduction, affectée tant aux structures qu'à de nombreux intrants ainsi qu'à la main d'œuvre a limité la
progression des rendements. Elle a contribué en retour à la faiblesse des investissements du secteur minier des
engrais (phosphore, potasse).

2.2 Organisation et régulation du marché mondial

La régulation du marché mondial de l’alimentation passe à la fois par la mise en place d’Institutions
chargées d’assurer les échanges internationaux, mais aussi afin de contrer l’instabilité des prix, l’élaboration
d’instruments de régulation.

Concernant les instruments qui se proposent de limiter les effets négatifs de l’instabilité, on relèvera les
instruments dont les objectifs sont d’assurer un accès à l’alimentation des populations vulnérables et les

15
https://www.web-agri.fr/marches-agricoles/engrais
16
« A 12 Storey Big-Farm : Has China found the way to tackle animal disease ? », The Guardian, 2020

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instruments qui dont l’objectif est de permettre une réduction des fluctuations de prix en eux-mêmes. Ces divers
instruments peuvent résulter d’une action collective émanant d’acteurs privés ou d’une action publique.

En 2008, le Conseil National de l'Alimentation (CNA) a rendu un avis dont l’objet est de déterminer les
nouveaux facteurs à prendre en considération afin d’améliorer la régulation du commerce international des
denrées alimentaires17. « La régulation actuelle du commerce mondial des aliments s’avérant insatisfaisante, il
semble opportun d’envisager une nouvelle étape dans la régulation internationale multilatérale du commerce
de denrées pour continuer de garantir un haut niveau de sécurité sanitaire et assurer une meilleure allocation
des ressources entre tous.18 » Il est fait état des limites de l’Organisation Mondiale du Commerce dont une
grande partie de son champ d’actions s’applique à la question alimentaire. Rappelons que le droit de l’OMC
s’impose à l’ensemble de tous ses membres, ceux-ci participant aux diverses négociations. Ainsi les négociations
et les accords sont multilatéraux, il ne peut y être question de démarches bilatérales ou régionales.

La signature en octobre 1947 de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, plus connu sous
son acronyme anglo-saxon GATT19, a pour finalité d’harmoniser les politiques douanières des parties signataires.
Il s’agit par cet accord de libre-échange de faire baisser les prix pour les consommateurs, d’optimiser l’utilisation
des facteurs de production et de favoriser l’emploi au sein des secteurs où chaque pays détient un avantage
comparatif. Divers cycles (Rounds) vont se succéder, le dernier, l’Uruguay Round se tient de 1986 à 1994, et est
clôturer par l’Accord de Marrakech qui débouche sur la fondation de l’OMC. Y est signé l’Accord sur L’Agriculture
(ASA) dont les objectifs principaux sont d’encadrer l’aide public au secteur agricole. Dans son avis le CNA
préconise des pistes qu’il faudrait explorer pour améliorer le système international de régulation de
l’alimentation. Sont mis en avant les droits humains, le développement durable et pour finir le bien-être animal.
La question alimentaire est aussi au cœur d’une autre grande organisation, la FAO20, dont l’objectif est « Aider
à construire un monde libéré de la faim ». Fondée en 1945, cette institution ne s’est pas limitée à œuvrer pour
la sécurité alimentaire, elle agit en faveur de la coopération Nord-Sud, de l’agriculture durable en favorisant la
protection et l'utilisation durable des ressources naturelles, de l’instauration de normes environnementales et
sociales21.

La question de régulation et du contrôle du marché alimentaire se développe également à une échelle


plus régionale comme l’illustre la mise en place de la Politique Agricole Commune (PAC) dans le cadre de la
construction européenne en juillet 1962. Les premières mesures étaient de contrôler les prix et d’assurer le
subventionnement afin de moderniser et développer l’agriculture. Aujourd’hui, elle repose sur deux piliers :
d'une part le soutien du marché, des prix et des revenus des agriculteurs, et d'autre part le "développement
rural". Ce deuxième pilier, mis en place en 1999, recouvre une grande diversité d’objectifs, tels que la

17
Avis n°59, Les nouveaux facteurs légitimes de régulation du commerce international des denrées alimentaires du Conseil
National de l’Alimentation. 2008.
18
Ibid, page 8
19
General Agreement on Tariffs and Trade
20
Food and Agriculture Organization of the United Nations (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et
l’agriculture)
21
https://www.fao.org/themes/fr/

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préservation de l’emploi, l’aménagement du territoire ou encore la prise en compte des enjeux


environnementaux. La PAC représente à peu près le tiers du budget européen. La question alimentaire est ainsi
souvent présente lorsque se met en place des organisations régionales. Ainsi, pour le Marché commun de
l'Afrique orientale et australe, connu sous son acronyme COMESA22, la division Industrie et Agriculture se donne
pour finalité de « Coordonner et soutenir le développement, l’harmonisation et la mise en œuvre des politiques,
stratégies, programmes et réglementations agricoles pour promouvoir la complémentarité et la durabilité des
programmes agricoles nationaux afin d’assurer une croissance et une transformation agricoles inclusives pour la
sécurité alimentaire et nutritionnelle, le développement économique et l’intégration »23. De même, pour
l’Alliance Bolivarienne des peuples de notre Amériques (ALBA), il s’agit de mettre en place un programme
d'Augmentation de la production agroalimentaire en assurant le financement de pays des Caraïbes, d'Amérique
centrale et d'Amérique du Sud pour soutenir des projets agroalimentaires en faveur de la sécurité alimentaire.

2.3 L’alimentation au cœur de politiques protectionnistes

Nous avons pu montrer que le marché de l’alimentation était globalisé, les politiques de libre-échange
assurant son fonctionnement. Cependant, nous devons aussi considérer que ce marché n’a pas connu une
disparition des pratiques protectionnistes, voire que celles-ci peuvent se renforcer. Par protectionnisme dans le
marché alimentaire, nous entendrons les politiques de protection des économies de pays ou de groupes de pays
qui s’appuient sur les diverses mesures tarifaires (taxes sur les importations) ou non-tarifaires (quotas, normes
sanitaires, environnementales ou techniques).

Concernant le marché alimentaire, les pays en développement ont tendance à mettre en œuvre des
politiques de protection tarifaire. En effet, lorsqu’on s’intéresse aux trois premiers produits taxés, on peut
observer que les pays développés ont des droits de douanes plus faibles que ceux en développement24. Pour le
sucre et les confiseries, par exemple, les droits de douanes en 2016 s’élèvent à 23,6 % pour l’Union Européenne,
20,6 % au Japon ou encore 16,4 % aux Etats-Unis, des taux bien en-dessous des taux pratiqués par le Mexique
(31%), la Turquie (93,4%), l’Inde (58,6%). Si les pays en développement pratiquent des droits de douane plus
élevés, il n’en demeurent pas moins que les pays développés conservent un ciblage stratégique sur les produits
alimentaires.

Les mesures protectionnistes peuvent également avoir une dimension normative. Ainsi, depuis 1997,
l’Union européenne interdit l’importation de poulets américains qui ont subi un traitement au Chlore, préférant
un contrôle strict en matière d’hygiène tout au long du processus de production, considérant ainsi qu’une
désinfection au chlore en fin de processus, ne garantit pas cette hygiène25. L’Union européenne impose ainsi

22
Common Market for Eastern and Southern Africa
23
https://www.comesa.int/industry-agriculture/?lang=fr
24
« Protectionnisme : Quels sont les pays qui se protègent le plus ? », Le Figaro, 2018
25
« Les poulets à la javel refoulés aux frontières de l’Europe », Libération, 2008

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diverses normes sanitaires dans le but de protéger les consommateurs, sous la forme d’un paquet hygiène, « un
ensemble de règlements européens directement applicables dans tous les États membres. Il s’applique à
l’ensemble de la filière agroalimentaire depuis la production primaire, animale et végétale jusqu’à la distribution
au consommateur final, en passant par l’industrie agroalimentaire, les métiers de bouche, et le transport »26.

Enfin, comme le relève Julien Bouissou27 le protectionnisme peut aussi se traduire par des mesures
entravant l’exportation de productions, notamment alimentaires. L’Indonésie a ainsi cessé d’exporter son huile
de palme a compté du 22 avril 2022, suite à la raréfaction de l’huile sur les marchés internationaux découlant
du déclenchement de la guerre en Ukraine. Premier producteur et premier exportateur avec près de 60% du
marché mondial, le Président indonésien à l’origine de cette mesure, l’a justifiée par une priorité absolue
accordée au marché intérieur28

Bien souvent, les mesures protectionnistes sont ainsi mises en œuvre dans un but de souveraineté
alimentaire. On peut ainsi noter que l’alimentation est le principal secteur faisant l’objet d’un protectionnisme :
« Le Canada illustre parfaitement cette situation. Le pays est globalement peu protectionniste (taux moyen de
4,10%) mais il applique des droits de douane extrêmement élevés (248,9%) sur les produits laitiers importés. De
quoi décourager les autres pays d'exporter des produits laitiers vers le Canada, ce qui favorise les producteurs
locaux. »29. Pourtant, la sécurité alimentaire passe nécessairement par l’échange international. Dès lors, la
multiplication des mesures protectionnistes en matière d’alimentation pourrait avoir pour effet d’aggraver la
crise alimentaire30.

3. U NE DIMENSION SOCIOCULTURELLE

3.1 Vers une disparition des disparités régionales

Dans son ouvrage The McDonaldization of Society, paru en 1993, George Ritzer, sociologue américain,
présente l’expansion des caractéristiques présente dans la restauration rapide au sein des sociétés. Parmi les
composantes de la McDonaldisation, il met en perspective la dimension culturelle. Il relève le processus qui se
développe lorsque McDonald’s s’implante dans un nouveau pays en conduisant à la standardisation des
habitudes alimentaires des consommateurs qui conduit à une hybridation si ce n’est une américanisation des
cultures pénétrées.

26
https://agriculture.gouv.fr/la-reglementation-sur-lhygiene-des-aliments
27
« Le protectionnisme agricole aggrave la crise alimentaire », Le Monde, 03/05/2022
28
« L’arrêt des exportations d’huile de palme par l’Indonésie va affecter l’Inde et le Pakistan », Reporterre, 2022
29
« Protectionnisme : Quels sont les pays qui se protègent le plus ? », Le Figaro, 2018 Une infographie est consultable sur
le site : https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/03/13/20002-20180313ARTFIG00130-protectionnisme-quels-sont-les-
pays-qui-se-protegent-le-plus.php
30
« Le protectionnisme agricole aggrave la crise alimentaire », Le Monde, 03/05/2022

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Dans le domaine alimentaire, on peut constater le même processus que dans d’autres secteurs de
l’activité économique. La globalisation économique se traduit par une homogénéisation des modes de
consommation, notamment dans les espaces urbains. Un certain nombre de produits alimentaires mondialisés
se retrouvent dans les grandes villes : pizza, hamburger, nem, kebab, sushi. Ce succès de cette alimentation
mondialisée et standardisée reposerait en grande partie selon Jean-François Fiorina31 sur son « adéquation
supposée aux attentes du consommateur urbanisé, (…) Le mode de vie de type occidental qui s’est imposé comme
norme – ne laisse que peu la place au temps passé chez soi, donc aux fourneaux. » Ces plats mondialisés collant
avec le mode alimentaire de la grande ville où le repas du midi est pris rapidement, loin du domicile. Rappelons
néanmoins que cette pratique est somme toute ancienne, la Rome antique ou encore les faubourgs industriels
européens de la fin du dix-neuvième siècle connaissant cette forme d’alimentation. La différence actuelle
résiderait alors dans la nature de ce qui est mangé par le travailleur citadin.

Une offre mondialisée pouvant aussi s’expliquer par les mouvements de population qui permettent la
diffusion de produits émanant des cultures des migrants au sein des sociétés d’accueil. « Cette confrontation
conduit à des modifications des pratiques alimentaires des migrants, affectées dans chacune de leurs
dimensions : les formes d'approvisionnement, les modes de préparation et de cuisson, la répartition des tâches,
le rythme et la durée des repas, les règles d'hospitalité, les règles de commensalité, l'adhésion aux prescriptions
religieuses ou leur refus, les règles et les relations entre les générations. ».32 La pratique culinaire est ainsi
révélatrice de profonds changements tant dans la société d’accueil que chez les populations migrantes. « Les
changements reposent sur deux processus : la substitution des aliments (un aliment remplace celui du pays
d'origine) et la reconstitution des plats ethniques découlant de cette substitution »33. La cuisine chinoise en est
la parfaite illustration, où on observe d’une manière assez prononcée l’incorporation de produits locaux à des
recettes faisant preuves d’une très grande souplesse en matière d’adaptabilité. Le champignon de Paris se
substituant aisément à des champignons plus exotiques, même si champignons noirs et shitaké japonais ont été
aussi introduits dans les cuisines occidentales.

L’attrait pour les pratiques alimentaires des migrants, peut également résulter de l’exotisme que peut
représenter ces cuisines venues d’ailleurs. Cet exotisme s'est observé très tôt pour la France. L’expansion
coloniale a drainé vers la métropole des apports culinaires venus des différents territoires colonisés, que ce soit
les produits alimentaires eux-mêmes ou les recettes introduites. Comme souligné précédemment, les progrès
dans les transports et dans la conservation des aliments permettent cette diversification dans l’accès aux fruits
et légumes exotiques. De produits de luxe réservés à une élite sociale, ils sont devenus désormais des produits
de consommation courante. D’une certaine manière cela contribue à élargir les pratiques culinaires nationales.
Cependant, « la consommation de l'exotisme est socialement différenciée. Ainsi, les catégories aisées, à la
recherche de traits distinctifs, s'intéressent plus et avant les autres aux exotismes lointains et mal connus, puis

31
Jean-François FIORINA, « Cultures alimentaires et mondialisation », in Comprendre Les Enjeux Stratégiques, Note
hebdomadaire d’analyse géopolitique de l’ESC Grenoble, n°97, 21 février 2013.
32
Faustine REGNIER, Anne LHUISSIER, Séverine GOJARD, « Les évolutions contemporaines », in Sociologie de
l’alimentation. 2009, pp.63-88
33
Idem

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ces pratiques se diffusent dans les autres catégories sociales »34 . L’attrait pour la cuisine exotique renvoie
également à la position au sein du cycle de vie. Si les seniors peuvent sembler réticents dans un premier temps
à la découverte de nouveau goût, les adolescents par contre se montrent plutôt réceptifs à l'exotisme en tant
que forme d'expérimentation culinaire, signe de démarcation de la consommation familiale35 .

3.2 Défendre les origines

Si on assiste à la diffusion de produits alimentaires standardisés à l’échelle mondiale, ainsi que la diffusion
de pratiques culinaires découlant de migrations de populations, force est de constater que cette diffusion se
heurte à des résistances. Les recherches d'Arjun Appaduraï36 mettent en perspective que la globalisation peut
œuvrer dans le sens d'un renforcement de l'ancrage dans le local. L’attachement au terroir notamment culinaire
peut être une réaction à l’atténuation des liens entre les groupes et les territoires. Face à une mondialisation
qui peut créer des peurs, la mise en place d’une législation et de mentions d’origines géographiques peut avoir
un effet rassurant pour le consommateur.

Désormais, l'attrait des produits du terroir se fait le plus souvent en réaction à diverses mutations du
marché alimentaire, mais aussi de la société de manière plus générale. Effectivement, les progrès soulignés dans
les transports et la conservation des aliments ont permis une délocalisation du système alimentaire et un
amoindrissement des liens entre nourriture et territoire. Par ailleurs, la politique de décentralisation (la loi de
1982 entre autres), initie une période marquée par le retour du local et le développement de sensibilités
régionalistes nouvelles : la cuisine est perçue comme un élément majeur de sauvegarde des identités régionales.
La construction européenne a également constitué un élément moteur de la constitution de ces labels
régionaux.

Signes officiels de qualité et origine géographique

AOC : mise en place au cours du XXE siècle, l'appellation d'origine contrôlée identifie et protège un produit
agroalimentaire dont les caractéristiques et la dénomination sont l'expression d'un lien intime avec un terroir
strictement délimité. Les facteurs naturels, tels que le sol et le climat, et le savoir-faire humain enrichi par
l'expérience d'une longue histoire s'allient pour conférer une typicité et une notoriété au produit.
AOP : l'appellation d'origine protégée est l'équivalent de l'AOC au niveau européen.
IGP : l'indication géographique protégée identifie un produit agroalimentaire réputé qui tire ses spécificités de
son origine géographique. À la différence de l'AOC, certaines étapes de la production peuvent ne pas se réaliser
dans l'aire géographique, mais l'essentiel du lien à l'origine est assuré, comme pour les AOC, par le respect d'un
cahier des charges précis et contrôlé, issu des traditions locales.

34
Idem
35
Garabuau-Moussaoui I., Palomares E. & Desjeux, D. 2002, Alimentations contemporaines. Paris, L’Harmattan
36
Arjun Appadurai, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Payot, 2001

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Label régional : signe officiel de qualité régi par l'interprofession (c'est une marque collective appartenant à
l'État), le label régional atteste qu'une denrée alimentaire possède un ensemble distinct de qualités et de
caractéristiques spécifiques préalablement fixées dans un cahier des charges établissant un niveau de qualité
supérieur au produit courant, et comportant des caractères typiques, traditionnels ou représentatifs d'une
région (le plus souvent protégés par une IGP). Ces produits doivent se distinguer des produits similaires
notamment par leurs conditions particulières de production et de fabrication.

Faustine REGNIER, Anne LHUISSIER, Séverine GOJARD, « Les évolutions contemporaines », in Sociologie de
l’alimentation. 2009, pp.63-88

Cette valorisation du terroir répond finalement à une remise en cause à la fois d’une alimentation
standardisée et industrielle. La consommation alimentaire est donc aujourd’hui au carrefour de dynamiques
plurielles, créant de l’uniformisation tout en valorisant des spécificités régionales.

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