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CHAPITRE 1 : LES THEORIES EXPLICATIVES DU COMPORTEMENT DE CONSOMMATION DES MENAGES Dans son célébre ouvrage intitulé Théorie générale, de l'emploi, de Vintérét et de la monnaie publié en 1936, John Maynard Keynes s’oppose @ la théorie économique dominante de son époque (la théorie néoclassique), et en particulier a Ja loi des débouchés de Jean Baptiste Say qui dit que c’est la production qui ouvre des débouchés aux produits. Selon Jean Baptiste Say, « ‘achat d’un produit ne peut se faire qu’avec la valeur d’une autre ». Les produits s‘échangent donc contre les produits et « offre crée sa propre demande ». La loi de Say impliquait implicitement qu’une crise de surproduction ne peut pas étre générale, Elle peut tout au plus se limiter a certaines branches ou a certains secteurs de l'économie, ce & quoi John Maynard Keynes va s’opposer car, une surproduction généralisée s’était produite pendant la Grande crise de 1929. Selon Keynes, & cause de I’incertitude qui caractérise les économies modernes, la quantité de biens et services que les gens sont disposés produire dépend fondamentalement des anticipations qu’ils font sur l'évolution future de la demande : c'est le principe de la demande effective, Si les entrepreneurs anticipent une demande élevée, ils vont investir pour satisfaire cette demande. Mais s'ils anticipent une demande faible, ils vont repousser leur décision d’investir et causer un ralentissement de I'activité économique. Ainsi, pour Keynes, c'est la demande qui crée l’offre et non pas l’inverse. Cette demande dans la plupart des pays est majoritairement constituée des dépenses de consommation finale des ménages. Si donc les pouvoirs publics souhaitent prévenir ou contrecarrer les effets d'une récession, il est nécessaire qu’ils comprennent le comportement de consommation des ménages. C’est la raison pour laquelle le cours de macroéconomie commence par I’étude de la fonction de consommation, l'objectif étant de répondre a la question de savoir quels sont les déterminants de la consommation globale des ménages ? La réponse & cette question se retrouve dans les différentes théories qui ont essayé d’expliquer le comportement de consommation des ménages, et ce sont ces théories que nous allons passer en revue dans ce chapitre. 1, La théorie keynésienne de la consommation: La consommation dépend du revenu courant disponible (revenu absolu) Dans |'approche microéconomique standard, le comportement de consommation d'un individu est expliqué a partir de /a /oi fondamentale de la demande qui stipule que toute chose restant égale par ailleurs, lorsque le prix d’un bien normal augmente toute chose restant égale par ailleurs, 1 la quantité demandée de ce bien diminue. Le marché étant le lieu de rencontre de offre et de la demande d’un bien, I’étude du comportement de consommation globale se limite donc a l'étude de la demande de marché qui n’est qu’une simple agrégation (addition) des demandes individuelles exprimés sur le marché d’un bien précis. John Maynard Keynes abandonne cet individualisme méthodologique des néoclassiques ot ’on considére que les phénoménes collectifs doivent &tre décrits et expliqués & partir des propriétés et des actions des individus et de leurs interactions mutuelles, pour adopter une approche holiste (holisme) dans laquelle on considére que la simple somme des parties d'un ensemble de suffit pas pour définir cet ensemble. Pour Keynes, le comportement de consommation d’une communauté ne peut pas étre défini simplement a partir du comportement des individus qui composent cette communauté. Pour Keynes, au niveau global, le comportement de consommation est expliqué par une autre loi quil appelle Lo/ psychologique fondamentale. 1.1. La loi psychologique fondamentale et la propension 4 consommer La loi psychologique fondamentale établit une relation positive et stable au cours du temps entre le revenu courant d’une communauté et son niveau de consommation courant. Cette loi s’énonce de la maniére suivante «.. En moyenne et Ia plupart du temps, les hommes tendent accroitre leur consommation 4 mesure que leur revenu croit, mais non d’une quantité aussi grande que l'accroissement du revenu. En d’autres termes, C étant le montant de la consommation, et Y celui du revenu (mesurés tous deux en unités de salaires), dC est de méme signe que dY mais d’une grandeur moindre, c'est-a- dire : AC/AY est posit et inférieur & Funité ». 3M. Keynes, Théorie Générale, Chap. 8, section 3. La loi psychologique fondamentale stipule donc que la consommation globale d'une communauté croit avec le revenu courant disponible de cette communauté mais dans une proportion moindre. - La propension marginale & consommer dC/dY est appelé propension marginale 4 consommer, c'est-a-dire le supplément de consommation qui découle d’une augmentation du revenu national. Mathématiquement, la propension marginale & consommer représente le rapport entre la variation totale de la consommation et la variation totale du revenu national. pmc = 25 = 2L, avec 0.< Pmc <1 ay ay Si la propension marginale & consommer est de 0,75, cela veut dire que lorsque le revenu national augmente de 1 FCFA, la communauté va augmenter sa consommation de 0,75 FCFA. Autrement dit, la nation consacre 75% de l'augmentation de son revenu a la consommation. Les 25% restant étant consacré a |’épargne - La propension moyenne a consommer Crest la part du revenu total d’une communauté qui est consacrée aux dépenses de consommation, Autrement dit, c'est le rapport entre le montant de la consommation et le revenu. On la note donc anc = yavec 0< PMC <1. 1.2. Les trois représentations possibles de la loi psychologique fondamentale Trois relations fonctionnelles sont compatibles avec la loi psychologique fondamentale. La fonction linéaire, la fonction affine, et la fonction concave, - La fonction de consommation linéaire Une fonction linéaire est une fonction de la forme f(x) = ax. Lorsque la variable x =0, f(x)=0 et la fonction passe nécessairement par l’origine des axes. Dire que la fonction de consommation est linéaire signifie qu’on peut écrire la relation entre la consommation et le revenu national sous la 3 forme C=cY, avec c<1, et la représenter comme sur la figure ci- dessous. La premiére bissectrice est définie comme l'ensemble des couple (Y,C) pour lesquels Vabscisse Y est égale a l'ordonnée C. La premiére bissectrice dont 'équation est C=Y correspond donc a la droite du revenu national. L’écart entre le revenu national et la droite de consommation croit proportionnellement au revenu. Cette représentation respecte bel et bien la loi psychologique fondamentale car, AY > AC, et par conséquent, 0 < AC/AY <1. La figure montre que dans la fonction de consommation linéaire, la propension moyenne & consommer est constante et égale a la propension marginale & consommer. Cela se vérifie mathématiquement de la maniére suivante : cy PMC == ce; pme=2- 4 YY wwe - La fonction de consommation affine c 4 cay x x \ ay Une fonction affine est de la forme f(x)=ax+. Contrairement a la fonction linéaire, la fonction ne passe pas par l'origine des axes. On peut donc représenter la fonction de consommation sous la forme C=cY +C,, ou C, appelée consommation incompressible, représente le niveau des dépenses de consommation lorsque le revenu national est égal zéro. La figure montre qu’en tout point de la courbe de consommation, la propension moyenne & consommer correspond graphiquement a la pente de la droite reliant Vorigine des axes a ce point. Quant a la propension marginale a consommer, elle correspond graphiquement a la pente de la courbe en ce point. Contrairement la fonction de consommation linéaire ol! la propension moyenne & consommer est constante, dans la fonction affine, la propension moyenne & consommer diminue au fur et a mesure que le revenu augmente, car : C_Y 4G) oY Oy Se PMC = = = c+ Y Y YY Y Cette demiare relation montre que dans la fonction affine, la propension marginale @ consommer est plus faible que la propension moyenne a consommer. - La fonction de consommation concave c c=¥ Dire que la fonction de consommation est concave signifie qu’on peut \'écrire sous la forme C=f(¥)+C,. Dans la fonction concave, la propension moyenne est décroissante, mais diminue plus que proportionnellement au revenu, et tend a devenir constante a long terme. Quant a la propension marginale a consommer, elle est instable. Ces trois représentations étant compatibles avec la loi psychologique fondamentale, la question est de savoir ce qui justifie que ce soit la fonction affine qui généralement retenue comme une approximation acceptable de la théorie keynésienne de la consommation, Cette préoccupation trouve une réponse dans la section ci-dessous. 1.3. Justification du choix de la fonction affine comme approximation acceptable de la fonction de consommation keynésienne La fonction de consommation keynésienne doit satisfaire deux propriétés fondamentales que Keynes lui-méme décrit dans La Théorie Générale : (I) la décroissance de la propension moyenne a consommer, et ; (ii) la stabilité de la propension marginale & consommer. (i) La décroissance de la propension moyenne & consommer ‘Au chapitre 10 de La Théorie Générale, Keynes souligne que : « La propension a consommer n’est pas Ja méme quelque soit le niveau de l'emploi, et il est probable qu’en régle générale, elle tend 4 diminuer quand 'emploi augmente ». C'est & partir de cet extrait de La Théorie Générale que les économistes soutiennent que la propension moyenne a consommer doit diminuer lorsque le revenu augmente. Cette propriété est bel et bien vérifiée dans la fonction de consommation affine. (ii) La stabilité (constance) de la propension marginale a consommer Dans la section 2 du chapitre 8 de La Théorie Générale, Keynes souligne également que : «La propension consommer dépend d'un ensemble de facteurs subjectifs et objectifs. Les facteurs subjectifs incluent les caractéristiques psychologiques de la nature humaine, et les pratiques et les institutions sociales telles que la prévoyance, la précaution, Vambition, l'indépendance, lorgueil, 'avarice, etc. Mais Keynes souligne qu’au final, les facteurs subjectifs, sans étre immuables ont peu de chance de subir des modifications & court terme sauf lors des révolutions. Les facteurs objectifs quant & eux, sans étre négligés, ont peu de chances d’agir dans des circonstances ordinaires. » Crest a partir de cet extrait qu’on retient que la propension marginale a consommer doit étre relativement stable dans le court terme, ce qui se vérifie avec la fonction de consommation affine. 2. Doutes empiriques sur la fonction de consommation keynésienne Dans les années 1940, la fonction de consommation keynésienne fat ’'une des premiéres relations économiques a faire l'objet d’une vérification empirique par les méthodes économétriques nouvellement développées. Les premigres données rendues publiques étaient des séries temporelles 6 courtes collectées aux Etats-Unis sur la période 1929-1941. Les régressions économétriques menées sur ces données ont montré que la fonction de consommation était affine, c'est-a-dire qu’elle vérifiait les hypothéses keynésiennes. Ces premiers résultats ont été remis en cause quelques années plus tard par Simon Kuznets, Prix Nobel d’économie en 1971. Pour tester la validité de la fonction de consommation keynésienne, Kuznets a travaillé sur des séries temporelles beaucoup plus longues couvrant la période 1869-1938. Il va mener deux types d’études : les études sur séries temporelles et les études en coupe instantanée, Si les études en coupe instantanées semblent globalement respecter I'hypothase keynésienne, celles sur séries temporelles aboutissent & un paradoxe qu’on appelle aujourd’hui de paradoxe de Kuznets. Le paradoxe est du au fait que : + sur le long terme (période 1869-1938), la propension moyenne & consommer est constante (0,86) et approximativement égale a la propension marginale, ce qui correspond a une fonction de consommation linéaire et invalide la fonction de consommation keynésienne ; - en revanche, sur le court terme (séries trimestrielles sur 10 ans), la propension moyenne & consommer est décroissante et la propension marginale lui est sensiblement inférieure, ce qui correspond globalement la fonction de consommation affine, et valide la fonction de consommation keynésienne. Ce résultat paradoxal de Kuznets a ouvert la voie a une vague de critiques contre la fonction de consommation keynésienne et & des formulations alternatives de la fonction de consommation. A partir des années 1950, Ihypothése du revenu absolu de Keynes semblait inadéquate pour expliquer le comportement de consommation des ménages américains, ce qui a stimulé la recherche de théories alternatives. Dans les prochaines sections, nous allons mettre |’accent sur ces théories alternatives en insistant particuliérement sur /a théorie du revenu permanent de Milton Friedman et sur /a théorie du cycle de vie développée par Modigliani, Ando et Brumberg. 3. La fonction de consommation de Milton Friedman : La théorie du revenu permanent C'est dans son ouvrage intitulé A Theory of the Consumption Function publié en 1957, que Milton Friedman présente sa théorie de la consommation appelée Théorie du revenu permanent.’ Selon cette théorie, lorsque l’agent économique planifie sa consommation, il procéde a une optimisation dans laquelle il tient compte non seulement de son revenu actuel (revenu courant), mais aussi des revenus qu'il s‘attend a percevoir dans le futur. Si tel est le cas, les variations du revenu actuel n’affectent la consommation actuelle que dans la mesure ou ils affectent la richesse totale que I'individu espére avoir pour le restant de sa vie. Lanalyse est donc trés proche de celle du choix inter-temporel de Fisher. 3.1. Le concept de revenu permanent. Le revenu permanent d’un individu & une période ¢ quelconque est une estimation du revenu de long terme de cet individu qui intégre a la fois ses revenus passés, présents et futurs. Si la consommation dépend de ce revenu de long terme, alors, une baisse du revenu présent de l'individu ne se traduit pas toujours par une baisse de sa consommation présente. Tout Vintérét de Vanalyse repose dans la méthode utilisé pour estimer le revenu permanent de ‘individu (ou du ménage) a chaque période. 3.1.1, Calcul du revenu permanent en situation de certitude Dans une situation ou les différents flux de revenus que l’individu s‘attend & percevoir sont disponibles avec certitude, pour obtenir le revenu permanent de chaque période, il suffit de procéder & une actualisation de ces revenus pour obtenir la richesse ou le patrimoine de l’individu (W) et * Friedman, M. (1957). A theory of the consumption function. Princeton, Princeton University Press. la répartir sur le temps de vie qui lui reste. La richesse étant définie comme la valeur actuelle des flux de revenus futurs (Y,), on peut écrire : 5 _Y, (t+ if 7 est le taux d’intérét du marché financier utilisé comme taux d’actualisation. Si |‘individu doit encore vivre T périodes, et s’‘il cherche & maintenir un niveau de consommation stable tout au long de vie, son revenu permanent & chaque période (y?) serait le r apport de sa richesse w actualisée & sa durée de vie restante, c'est-a-dire : le 3 (1+ TT 3.1.2, Calcul du revenu permanent en situation d’incertitude : la formule des anticipations adaptatives Lorsque les revenus futurs ne sont pas disponibles avec certitude, ceux-ci dépendent des anticipations que V'individu sur l'avenir, et le revenu permanent ne peut plus étre clairement défini. Dans ce cas, a chaque période, individu doit simplement chercher & dissocier au sein de son revenu courant observé, la composante de ce revenu qui peut étre considérée comme stable et qui refléte ses anticipations (revenu permanent), de celle qui est instable et qui résulte des changements non anticipés du revenu (revenu transitoire). - Le revenu permanent (¥;”), désigne donc la partie stable du revenu que l'individu s‘attend a percevoir a l'avenir et sur laquelle il est fondé de baser sa consommation ; - Le revenue transitoire (¥,’) quant a lui est le revenu dont le ménage ne prévoie pas le maintien a l'avenir, et qui s‘obtient dans des circonstances aléatoires ou accidentelles. Y,’ = Y, -¥;". Crest & cause de l'incertitude qui pése sur les revenus futurs que Friedman a renoncé a utiliser le principe de actualisation pour calculer le revenu permanent, et a plutét adopté une formule qui se base sur le revenu présent et les revenus observés durant les périodes passées : c’est la formule des anticipations adaptatives, Selon la formule des anticipations adaptatives, I'écart entre le revenu permanent de la période actuelle (¥?) et le revenu permanent de la période antérieure (¥?,), représente une fraction A (0, (1- A)’ +0, et par conséquent, (1-2)'¥2,_, > 0. On obtient alors l’équation [6] ci-dessous VE = AY gg + AL- AM y+ AL AY pg bo + AIL ANY [6] En introduisant ’équation [6] dans l’équation [2] on obtient : YP = AY, + (1- AJAY, , A= AN, 9 # AL AP Ye g tee AL AY, YP =AY, + AL AM, =A APY, HAL APY e+ AL AY = ASIA Yen 7) L’équation [7] est un exemple de fonction de distribution de retards géométriquement décroissante puisque la pondération (1- A)" devient petite lorsqu’on remonte dans le temps. Cette équation montre bien que Je revenu permanent de chaque période peut s’écrire comme une somme pondérée des revenus des périodes antérieures, les pondérations étant décroissantes dans le temps. Plus on remonte dans le temps, moins les revenus passés ont de ‘influence sur le revenu permanent. A partir de cette formule de calcul du revenu permanent, Friedman a pu construire une fonction de consommation de court période et une fonction de consommation de longue période, ce qui lui a permis de trouver une explication solide aux résultats contradictoires obtenus par Simon Kuznets sur séries temporelles. 3.2. La fonction de consommation de longue période Llidée de base de la théorie du revenu permanent est que quand le revenu courant observé augmente ou baisse temporairement, le ménage ne bouleverse pas complétement ses habitudes de consommation. Si le revenu courant observé du ménage est supérieur & ce quill s‘attend & percevoir en moyenne (¥,>¥,”), alors, il apparait un revenu transitoire un positif qui viendra s‘ajouter a la richesse actualisée de |individu. Pour que ce revenu transitoire ait un impact sur la consommation courante, il faudrait qu‘il modifie significativement la richesse actualisée du ménage. Si le ménage répartit le revenu transitoire sur son horizon de vie, il est fort probable que les variations transitoires du revenu alent trés peu d'impact sur la richesse actualisé du ménage et donc, sur sa consommation courante, Si par contre le revenu courant observé est inférieur au revenu permanent (vy,

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