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ENS DE LYON Le cours magistral comme objet d'histoire Author(s): Annie BRUTER Source: Histoire de l'éducation, OCTOBRE-DECEMBRE 2008, No. 120, Le cours magistral: XVe-XXe siécles (OCTOBRE-DECEMBRE 2008), pp. 5-32 Published by: Ecole normale supérieure de lyon Stable URL: https://www.jstor.org/stable/ #1160391 Your use of the STOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about jstor org/terms Eoole normale supérieure de lyon is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Histoire de l'éducation JSTOR his content dowloaded from 97 119.220 aS Somtent down Le cours magistral comme objet d’histoire Annie BRUTER On connait Fambivalence de 'adjectif « magistral », qui peut qualifier un fait remarquable par la fagon dont ila été accompli - + de main de maitre », dira-t-on aussi - aussi bien que désigner une maniére de faire autoritaire et dogmatique. La notion actuelle de cours magistral, comme mode d'enselgnement dans lequel un professeur expose son savoir devant un auditoire, n’échappe pas cette ambivalence : d'un cété, Fexpansion sans précédent que connait lenselgnement supérieur depuis la fin du XX* siécle a multiplié le nombre des cours magis- traux, dont le public s'est par conséquent élargl : de Tautre, tout un courant de pensée en fait la critique’, l'un des arguments retenus contre eux étant quills seralent une forme enseignement obsolete, venue d'un trés lointain passé’, Lihistoire - comme souvent - sert ainsi de caution a un jugement de valeur, que favorise limprécision des connaissances historiques en la matiére. Car si le contenu des cours publiés autrefois a souvent été exploité en tant que source pour Ihhistoire des idées, le cours magistral lul-méme a rarement été considéré comme objet d'histoire. Le renouveau de Ihistoriographie des 1 Anal un ouvragerécent préconise-i«fbandon dun modeletransmisalf centre sur Fensetgnant et Jes contenus dencelgnement en faveur un model socl-constractvst centres les competences es éudiants et leurs acquisitions +: Neo Rege Cole, « Conclusion», Nicole Rege Colet, Mare Romaine (i), La Pratique enseignante en mutation & univers, Bruxelles, De Boeck, 2006, p.2i7. 2 «Ones [au coeur dun type de transmission du savotrenraciné au moins depuls le Moyen ‘Age ATUniverstécabord,puls dans les colleges royaiula transmission oral du svolr penal a forme du cours, quelles qu‘eussent été ses variates. cours prononcé devant un autre»: Evelyne ery, Les Pratiques pédagenques dans Uenseignement secondaire au 20 sic Pari, LHarmattan, 2007. p18. Histoire de Védueation | n° 120 | octobre-décembre 2008 | 5-32 This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns 6 Annie BRUTER universités a surtout porté sur leur fonction sociale et Robert D. Anderson Feconnait, au seuil de sa récente synthése sur les universités européennes au XIX" slécle, que celle-cl ne couvre sans doute pas suffisamment les réalités ‘quotidiennes de l'enseignement, sujet, dit-il, auquel les historiens commen- cent seulement a s‘attaquer®. De méme, les ouvrages consacrés aux étudiants francais de la méme époque décrivent le fonctionnement institutionnel et social des facultés sans traiter des pratiques d'enseignement ni des modes étude des éléves*, Les choses commencent cependant a changer. La premiére étude historique en langue frangaise qui ait fait une place au cours magistral en tant que tel est louvrage pionnier que Francoise Waquet a récemment consacré aux rapports de Foralité et du savoir®. Du coté de historiographie anglo-saxonne, William Clark, dont les travaux sur les universités anglalses et surtout allemandes portent sur des aspects de la vie universitaire peu étudiés Jusquitl, comme, par exemple, le déroulement des examens ou la politique de recrutement des professeurs, a abordé plusieurs aspects du cours magistral dans son ouvrage sur 'évolution de institution universitaire’, Par ailleurs, 'échec massif des étudiants dans les premléres années de Yenselgnement supérieur a incité a se pencher sur un sujet longtemps laissé Técart des préoccupations de la recherche : les pratiques des professeurs”, Les années récentes ont vu paraitre des études, sociologiques*, linguistiques? 3 Robert D Anderson, Euopean Universes from the Brlghtenment to 1914, Oxford, Oxford Unversity Press, 2005, p 2 4 Jean-Claude Caron, Générationsromantiques. Les étudlanis de Parse le Quartier latin, 1814-1851. Paris. Armand Colin, 1801: Pere Moulin, La Natssance de éudlant moderne DOR" ste, Paris, Belin, 2002, 5 Franpuse Waquet,Parler comme un love. oral etl savlr XVP-0" stele, Pais, Albin Michel. 2008. 6 illam Clark, Academic Charisma and the Origins of te Research University, Chicago-Londres, The University of Chicago Press, 2006. 7. Christine Musselin, Les Unlerstates, Parts, La Découverte, 2008, p. $4 8 Voir, par exemple, Charles Soulé,« Ladaptation aux * nouveaux publics“ de Penselgnement supérieur: auto-analyse Cune pratique denslgnement magstral en sociologle », Sacéts contem- Poraines, n° 48: La construction sociale des savas étudiants, 2002/4, p. 41-81 : Régine Boyer, Charles Coridian,« Transmission des savairs dlscpinaires dans Tenselgnement universiaie», (id, p. 69-85. Le contenu de ces articles est repris dans Touvrage de Régine Boyer et aL. slnalé ‘-dessous,n. 10. Four une contribution plus anctenne, vir Michel Verret, Le Temps des études, ll, aelter de reproduction de théses, unlversité de Lil I, 1975 fusion Honoré Champion), vol, tll chap. IV: «Le temps deTécoute magistrale »,p. 502 sq, © Chantal Parpete,« Le cours magltral, un dlscoursoralographique: effet de a prise denotes des udiants sur la construction du discours de Tensegnant».chitp/ lesa. unW-yon2.f/1MG/ pat? oc-189,pa> ; Robert Bouchard, Chantal arpete, Jean-Charles Pochard, «Le cours magisral et son double, le polyeoplé: relations et problématique de réception en 2», , entrée + Cours 17 Hens Marion, L'Bucaton dans Univers, Paris, Armand Colt, 84, 11892}. p. XXX soullné dans le texte: meme propos p. 86. 18 Sura cntique de la logon magistrale & Técole primaire, vor Alain, Propas su éducaton, sul de Pédagagieenfantne, Pris, PUR, 1986 (1 éd. 1932), p. 90 saa 19° Parer comme unre. op. lp. 73. Ce passage et une ctaton reprise de Tntroducton& aon recente dela Ratio studionun, Parts, Belin. 1997, p. 23, This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns 10 Annie BRUTER sare de préciser en quel sens les divers termes de cours magistral, classe et lecon seront employés ict. 1- Cours et classe Une premfére distinction & faire est celle entre cours et classe. Elle appelle un certain nombre d'explications, car elle renvole a des différences pédagog!- ques ignorées par la conscience commune. La perception de ces différences nécessite, en effet, une reconstruction des pratiques d'enselgnement du passé qui ne peut étre spontanée, putsqu’elle requiert les instruments de la connats- sance historique : fréquentation et eritique des sources. Voic! la description de Ja classe que donnait Michel Bréal dans un ouvrage publié en 1872 : Voyez ce professeur dans sa chaire. Tout en parcourant et en signant les eahiers de correspondance, i fit réciter les lecons. Puls, un éléve lt les legons du lende- ‘main, Le professeur distribue ensuite les copies corrigées des jours précédents. ‘Amrve la correction des devoirs: c'est Fexercice principal, qu réclame le temps Je plus long, Cette correction terminée, le professeur dicte un devotr a faire : la erniere demi-heure est employée & traduire la page de latin ou de grec que les leves ont da préparer davance®, Le professeur décrit par Michel Bréal parle done peu et ne se livre pas a un exposé systématique du savoir : 11 explique des textes et fait faire aux éléves des exercices imitation, conformément a la finalité avant tout rhétorique de Yenseignement des humanités. Comme Antoine Prost avait signalé dans son ouvrage classique sur Ihistoire de Venselgnement en France, au XIX* siécle la classe de lycée ou de college n'est pas un cours", le passage de la premlére au second étant Iié 4 une transformation c'ensemble de lenselgnement secon- daire survenue au tournant des XIX* et XX* slécles : Lancienne pédagogle secondaire reposait sur les exercices des éléves : rétude @talt le moment essentiel, et la classe se mettalt au service des devoirs. Vers 1880, ceux-ci reculent: themes et vers latins sont remplaces par des « prépara- tions », dont le nom dit assez la prééminence du cours. |..] Le cours magistral est désormals le moment central de enseignement®, 20 Michel Bréal, Quelques mos sur Linstruton publique en France, Part, Hachete, 1872, p. 187. 21. «La classe du XIX" slécle ne sexplque nl par ls éléves nt parle mate, mals par les exercices ‘ceat fabord le moment et leew of Ton dee les devtr et oi Ton rend les corrigés. La classe est. ‘un elas entre deux éudes»: Antoine Prost, Enselgnement en rance 1800-1967, Pars, Armand Calin, 1968, p. 5. 22 LEBnseignement en France, op ct p. 334. This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns Le cours magistral comme objet d'histoire 11 On voit que ce dernier est loin d'avoir dominé Tenseignement secondaire depuis toujours. On voit ausst que ni le cours ni la classe ne peuvent étre const- dérés indépendamment du type d'enseignement au sein duquel ils prennent place. En d'autres termes, il n'y a pas de forme pédagogique pure, détachée des finalités de lenselgnement. De quel type d'enseignement releve donc le cours ? On le prendra tcl dans son sens originel, qui était celut de parcours complet d'un domaine du savor, comme le montre le premier dictionnaire frangais (1606), pour lequel le mot pouvait désigner le progrés depuis les premiers éléments jusques au sommet d'une science, Selon ce, on dit le cours de théologle, des lois, de médecine, de philosophie®. Un tel parcours n'est concevable qu’au niveau supérieur des études, comme Tindique cette définition méme : théologle, droit et médecine relevaient chacun d'une faculté « supérieure »,& laquelle on ne pouvalt accéder qu’aprés avotr fait sa philosophie, cette derniére venant elle-méme a la suite d'un cycle antérteur de grammaire au Moyen Age, puis d'humanités & partir du XVI siécle - censé mettre les éléves en possession des instruments daccés au savoir : cest-a-dire, en pratique, de la connaissance des langues anciennes dans lesquelles étalent crits les textes « scientifiques » de l'époque. C'est ensuite seulement qu’on pouvalt aborder ces textes, en premier leu dans le cours de philosophte. qui représentait une initiation a ensemble du savoir puisqu'il en embrassait tous les aspects : logique, morale, physique et métaphysique, puis aprés Yentrée dans les facultés + professionnelles » de droit, médecine et théologie. De quelque domaine quill relevat, le cours mettait done en contact direct, avec la science de l'époque des étudiants censés disposer des instruments et méthodes nécessaires pour lacquérir. C'est en ce sens qu’on lentendra dans le présent numéro, qui prendra par conséquent ses objets d’étude dans ren- selgnement supérieur, ou dans ce qui peut étre considéré comme tel a des époques oi cette notion m’existait pas. 2~ Cours et legon Dans la langue actuelle, cours s‘entend aussi bien au sens de séquence denselgnement, c‘est-a-dire de leon, qu’en son sens originel de parcours 23 Jean Nick, Trésor dela langue francaise. tant ancien que moderne... Paris, David Dovceur. 1606, P18, This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns 12 Annie BRUTER d'un domaine du savor, nécessitant par conséquent une suite de legons. Or observation d'une lecon n'est pas équivalente a celle d'un cours dans son ensemble. La lecon, en tant que séance isolée, a fait Fobjet d'une étude du soctologue Erving Goffman, qui la analysée du point de vue de interaction entre Forateur et son auditoire, méme sil n'a pas oublié de signaler que cette interaction prend place dans un « cadre + (frame) quil faut nécessairement connaitre™. C'est aussi de ce point de vue qu’ont été menés certains travaux sur le cours magistral qui consistent en observations minutées du comportement du professeur et des étudiants pendant une ou plusieurs lecons et peuvent s‘accompagner de étude des notes prises (quand des étudiants ont consenti a les remettre aux enquéteurs, ce qui n'est pas toujours le cas), De telles observations montrent surtout la contrainte exercée sur les étudiants par Immobilité qu’impose la situation de legon et la variété des comportements face a cette situation, Quant a Tétude des notes de cours™, elle permet de juger de leur conformité au dis- cours de lenselgnant, mais pas de usage qui en est fait par les étudiants”, Plus intéressante est la comparaison entre les attitudes des enseignants et des étudiants selon la discipline enseignée™, qu! met en évidence des styles disciplinaires différents chez les professeurs, mais la question du lien entre ces styles et la nature du savoir délivré n'est posée quiindirectement. ‘Savolr comment se passaient concrétement les lecons est, bien entendu, au programme d'une enquéte historique sur le cours magistral. Les archives 24 Bring Gotan. « La conférence» dans Erving Goan, Fapos de parr, Pars, Baldons de Mint. 1987 (1" 4, en anglais 198), p. 167-208 Le ure anglts de cet article est “The Leture” terme qu designe auss! ben le cours, au sens de leon, que la conférence. 25. Voir Michel Veret. «Le temps de Pécoute maglstrale» im Michel Vere, Le Temps des ues, Lille [Atelier de reproduction des theses, Université de ill I/ Pari, diffusion H. Champion 1978. . 502 saz: Regine Boyer, « Maiéres de fate cours, maniéres dire en cours. Les fae--face en Selgnants-etudiants», 1 Regine Boyer eta, Pratiques enselgnantes et prtiqus etdlants... op. tp. 72-13. 26 lle est de toute fagon dénute de valeur staltuque pulsque les étudlants sont relents late votr leurs noes & un ol ranger (lest probable que les notes remises aux enquéteurs le sont par des tudiants suisamment srs de leurs capac). 27, MichelVeretconsaere un chaptre au «temps de travall urls cours » dans Le Temps des éudes. op ct Ip. 490-50, mals place curleusement avant le chaptre sur le temps de Técoute ma: fsvale, sans doute parce que la population étudiée dans ce chaptre rest pas la meme que celle (lest observe dans le chaptre suvant. 28 Regine Boyer « Mantes de fae cours.» art et This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns ‘Le cours magistral comme objet d'histoire 13, audio-visuelles, peu nombreuses, ne peuvent concerner que le dernier siécle®, I faut, pour remonter plus haut, recourir aux sources classiques de Thistorien documents imprimés et manuscrits. Sls ne sont pas toujours d'un acces alsé, {ls existent néanmoins, Mémoires, souvenirs, textes institutionnels, articles de presse, préfaces... : les Heux susceptibles de receler des témolgnages sur les Jecons magistrales du passé sont nombreux®. F. Waquet en offre un premier échantillonnage dans son livre sur Yoralité savante", W. Clark en propose autres encore, fconographiques notamment, dans son étude de lévolution des ‘universités anglaises et allemandes®. Parm les contributions réunies dans ce numéro, celles de Konstantinos Chatzis sur les cours de Poncelet et de Claire Gaspard sur renseignement de Michelet au College de France s'appuient, entre autres, sur de tels témolgnages. Mais Thistoire du cours magistral ne saurait se borner a celle de la Legon. Elle dott nécessairement prendre en compte la série entiére des lecons profes- sées, ainsi que leur amont et leur aval : en amont, la préparation du cours par le professeur et le cadre - institutionnel, matériel, pédagogique, scientifique = dans lequel elle prend place ; en aval, le nécessaire prolongement du cours quest le travail personnel de Tétudiant, et aussi le prolongement de Interaction directe entre professeur et éléves par d'autres moyens de diffusion de la parole professorale, pour suivre de la facon la plus systématique possible le cycle de Télaboration et de la propagation du savoir. Le programme de renquéte a mener sur le cours magistral ainsi défint est done de grande ampleur. Les trois ans de Vaction concertée du CNRS ne per- mettalent que d'en esquisser les linéaments. C'est pourquol ila été décidé de centrer cette enquéte sur la France - mais sans sinterdire de franchir éven- tuellement les frontiéres ~ et de la borner a une période clairement circonscrite, quotque assez longue pour permettre dobserver des évolutions lentes : a été choiste celle qui va du XVI au XX* slécle, qu‘on peut caractériser comme celle 2 38 enreglstrements de cours du College de France igurent sur le catalogue Br-Opale plus sous Fale College de France: aux sources du savotr» Synalons existence dun enregatrement Cun bref extalt de cours distor ds début ds XX" sléce sur eylinre, posséde par Henrt Chamoux. du Service dnistoie de Fédueaton. 30. On pourrait meme enrder parm les sources utlisables certains ouvrages de fiction. Ans. Robert, Meri lut-méme professeur anglais & Tuiversvé de Nanterre en meme temps que romancter ~ dec es attitudes eles pensées De romancier est omniscient) des éudlants assistant au cours ‘Tanglals d'un professeur..de Nanterre en mal 1968 dans Derr la ire, Pari, Gallimard, 1970, dco. « Pollo» 1974. 31 Parler comme wn or... op 92, Academie Chartsma... p. ct. This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns 14 Annie BRUTER du régne de rimprimerte, les deux bornes en étant V'extréme fin du XV* slécle avec les cours d'Ange Politien, qu'étudie Jean-Marc Mandosio, et la seconde mottié du XX* avec les cours de Roland Barthes, dont parle fel Claude Coste. La problématique du passage de la culture manuserite a la culture imprimée restera donc hors champ des analyses présentées ici, de méme que celle des transformations induites par Tapparition de nouveaux instruments de commu- nication et de stockage du savolr a la fin du XX" stécle, Autre caractértstique de la période choisie, le passage de la conception ancienne du savoir comme texte deja écrit, & déchifirer dans les livres sacrés ou dans la nature, a la concep- tion contemporaine de la science comme résultat de la recherche fournissalt & Venquéte sur le cours magistral un premier fil directeur en posant la question du role quill a joué dans cette transformation. II - Quels savoirs pour quel public ? ‘Meme en s’en tenant a cette aire géographique et cette période, la matiére restait immense. Quatre axes de travail ont done été défints, qui semblalent per- ‘mettre de prendre en compte ensemble des phénoménes ressortissant au cours ‘magistral, défint au sens large qul a été exposé cl-dessus : ceux de Télaboration du cours, de son cadre matériel, de son public et de sa réception. Deux études de cas ont ores et déja fait objet d'une publication sur les pages « Cours magistral + ®* hébergées sur le site du Service d'histoire de éducation de TINRP. La premiére, due a Marte-Madeleine Compére, présentalt tune source pour histoire de Venselgnement peu utilisée jusquicl™ : la « feulle classique », édition d'un auteur latin ou grec spéclalement destinée a la prise de notes par les éléves grace des interlignes et des marges ménagées a cet effet ; quelques pages vierges étalent en outre annexées au livret Imprimé. De telles éditions, portant des notes de cours manuscrites, sont conservées dans les bibliothéques en nombre non négligeable, mais restent ignorées faute dinventaire spécifique. Beaucoup entre elles étaient destinées aux classes dthumanités. Cependant, il en existe qul ressortissent au cours de philoso- phie : Jean-Mare Mandosio étudle en collaboration avec Marte-Dominique 38. This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns Le cours magistral comme objet d'histoire 15, Couzinet, dans un séminaire de Ecole pratique des hautes études, une édition du De natura deorum de Cicéron portant un commentaire manuscrit qui est le cours fait au XVI siécle par Jean Péna pour sa classe de logique au college de Presles. Le deuxiéme exposé publié en ligne est celui dans lequel Antonio Garcia Belmar et José Ramén Bertomeu Sanchez étudient les cahlers rédigés par deux étudiants en pharmacie qui ont sulvi le cours de chimie de Louis Jacques ‘Thénard au College de France au début du XIX*stécle** : aprés avoir retracé le contexte scientifique et culturel de ce cours, les auteurs de l'étude reconstituent le mode de travail des scripteurs de ces cahters et sinterrogent sur Tusage ultérieur qui a pu en étre fait. Les cahlers eux-mémes, ainsi que d'autres cours manuscrits, sont également consultables sur le site™. Faute de pouvotr présenter ici, par manque de place, rensemble des contri- butions de ceux qui ont participé a la recherche, le choix a été fait de consa- rer ce numéro & deux questions liées, pulsqu'un professeur prépare toujours son enseignement en fonction de l'idée qu’ll se fait de son audience : celles de Félaboration du cours et de son public. On commencera fel par la ques tion du public du cours, parce qu’elle conditionne en partie son élaboration : Konstantinos Chatzis montre dans son article sur les cours de Poncelet com- ment celut-ct, face au public mélé de la Sorbonne, a recouru a dautres procédés denselgnement qu’a Ecole de Tartillerie et du génie de Metz, oi les éléves, Issus de I'Ecole polytechnique, disposaient d'une formation mathématique avancée ; Claire Gaspard rappelle comment les « imprudences » de Michelet et Yenthoustasme de son public se nourrissaient réciproquement ; Claude Coste se penche, dans sa contribution sur le séminaire et le cours de Roland Barthes, sur la question de la « distance » de lenseignant a son public, introdutsant par 14 une question largement éludée dans les discours sur Yenseignement, celle des moteurs affectifs a Teuvre dans cette activité. 35 «Les cabers lives, source pour une hisore des contenu et des pratique de Fenselgnement de a himie +: chtp/ www inp. /she/ cours magltal/expose.thenard/expose.thenard complet hsm. 86 . Signalons.& ce ‘propos, quun certain nombre de cours imprimés fgurent parm les documents mis en ligne par les biblothéques: vot. par exemple. le eatalogue «Galea» de la Bblothéque nalonae de France (eh: /galeab />), l-meme interconnect avec le caalogue » Medi » de la Bbilotheque Interuniverstaire de médecine et edontloge hp: / www bium. unt pars fr/histmed/medic. him), avec le parioine ruméisé du Sere Inter ablissements de coopération documentaire (SICD) de Strasbourg (chitp://www-shed.u-strasb.fF/>) et ave le Conservatotre numérique des Arts et mélers(ettp//enum.enam fr/>]. Pour Cautres cours mamusert,vtr ceux de Lamarck sur le ‘ite + Buvres et rayonnement de Jean-Baptiste Lamarck » (http://www lamarek.cns.F/9) This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns 16 Annie BRUTER 1 Le cours magistral et son public Le public du cours magistral, cest, en premier lleu, Tauditotre qui vient 'écou- ter dans la salle ou 'amphithéatre ot il se donne. Mais il est nécessaire, dans Te cadre d'une enquéte sur le role du cours dans la production du savoir, de prendre en compte également celui qui atteint au-dela de cet auditoire, par la vole de la publication. On distinguera done fel public immeédiat et public différé du cours magistral @) Le public immédiat : l'auditoire du cours I semble aller de sot, pour un esprit d’ayjourd’hut, que le cours magistral s‘adresse a des étudiants ou des éléves, dont les connaissances seront ensulte évaluées par des examens débouchant sur lobtention d'un diplome. Il n'en a pas toujours été alns!. Le déctin des universités européennes a 'époque moderne est bien cont Il s'est manifesté non seulement par la baisse, absolue ou relative, du nombre d'étudiants, mais aussi par leur absentéisme en cours. En France, rexemple le plus notoire de cet absentéisme est fournt par les étudiants en drott : tl est abondamment documenté par les mémoires et souvenirs des anciens étudiants ‘en cette matiére, les plaintes sur leur comportement, les dispositions réglemen- taires prises - en vain - par la monarchie pour les tenter de les obliger & un minimum d'assidutté”. Mais la situation n’était pas forcément metlleure dans les autres facultés, dont certaines étalent connues pour n’étre que des lleux de délivrance des diplémes : le réseau universitaire de lépoque, disent Dominique Julia et Jacques Revel, est caractérisé par une dissociation « entre des centres of Ton étudie et ceux ob Ion se fait recevotr +. C’étalt le cas en médecine et en droit. Quant aux étudiants en théologle, un certain nombre drentre eux se souciait peu d'obtentr un diplome, car ce qui comptait pour leur carriére, c'étalt le nombre d'années d'études. Enfin, la falblesse du salaire des professeurs, 37. Laurence W. B. Brocllss, French Higher Education in the Seventeenth and Eighteenth Centres, ‘Oxford, Clarendon Press, 1987, p. 64-65, repris dans Laurence WB. Brock, «Content et préve- ‘ila violence, La discipline scolaire et univertaire sous Fancien Regime OCVIF-XVI tél), Hisiove de Téducation, n° 118, ari jun 2008, . 65-57 ; Dominique Jula, Jacques Reve, « Les ‘tudiants en drott s,m Dominigue Jil, Jacques Revel ic), Les Unterstés ewopéennes du XVP ‘au XVIF sil. Histore socal des populations étudiartes, Paris, Patios de TEHESS, 1986-1980, 2 vol tll p. 107-188, 38 Dominique Jul, Jacques Reve «Les pérégrnaionsacadémiques,XVI-XVII sles», Dominique alla, Jacques Reve (ir), Les Universtés européenne... op. cl. tH, p54. 39 Dominigue Julia, Jacques Revel, + Les éudants en theologle», Dominique Julia, Jacques Revel (dir). Les Universués européennes.. op. ct . 191-241. This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns Le cours magistral comme objet d'histoire 17 en absence de toute revalorisation deputs la création de leur chaire, pouvatt les pousser a chercher un complément de ressources dans les cours privés au détriment du cours magistral : les régents docteurs parisiens se plalgnent, en 1779, qu’ Toulouse qui jusques & notre temps a été Tuniversité la plus céldbre de toutes pour Fétude du droit, les conférences privées ont comme étoulfé la profession publique de cette science et que sans labord d'un peu d'étrangers, cette faculté seralt aust dépeuplée c’écollers que les autres®. Ainst, Tauditoire des cours de faculté n'est pas nécessairement nombreux et, quand il Test, n’est pas nécessairement composé des étudiants qui se présenteront ensuite aux examens. Les universités francaises ne sont qu'une illustration d'un phénoméne plus général, qu’on retrouve dans les autres pays a Burope : les professeurs, quand ils se donnent la peine de faire cours (ce qui n'est pas toujours le cas), parlent souvent aux murs. A la question de savoir combien il avait d'auditeurs, qui lut fut posée lors d'une inspection en 1712, un professeur de Franefort-sur-TOder répondit : « en comptant Apollon et les neuf Muses, onze +, Ce tableau d’ensemble appelleratt, certes, bien des retouches de détall, tant les situations locales pouvalent varier. II n’en indique pas moins l'nadaptation du systéme universitaire hérité de 'époque médiévale aux besoins de la société de Tépoque. Le cours magistral n’en a nullement été condamné pour autant. A coté des nombreux cours privés qui se sont développés pour pallier les insuf- fisances de lenseignement universitaire, ont été créés de nombreux cours publics - notamment dans les disciplines nouvelles ou profondément renou- velées par la « révolution sctentifique » du XVI siécle, mais pas uniquement, Par cours publics. il faut entendre, non pas nécessairement des cours donnés dans le cadre d'une institution d'Btat, mais des cours ouverts sans pré-requis de diplome a toute personne qui s'intéresse au sujet traité (ils peuvent toutefots étre payants) et qui ne recolvent pas non plus de sanction universitaire (bien quills putssent parfois donner lieu & une attestation de fréquentation®) : on en trouve 'équivalent, de nos jours, dans les cours du College de France ou ceux des universités dites « du trotsiéme age ». 40 Cité par Dominique Julia, Jacques Revel, «Les étudiants en drat», art. elt. p. 1 41 Cité par Wilam Clark, Aademie Charisma... op. cp. 82. 42, Quelques «Lettres attestation + du XVIIF siélecertifant la présence aux cours du Jardin ds Rot ont été retrouvées f Yves Lalsus, «Le Jardin du Rot» n René Taton (ir). Enseignement fusion des sciences en France au XVI sie, Paris, Hermann, 1986, p. 300, 1.1 This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns 18 Annie BRUTER I conviendrait d'étudier la filiation éventuelle des cours publies avec les + conférences » savantes du XVII" siécle, tels, par exemple, les « mercredis + du cartésten Rohault, auxquels assistalent, vers le milieu du siécle, « prélats, abbés, courtisans, docteurs, médecins, philosophes, géometres, régents, éc0- ers, provinciaux, étrangers, artisans, en un mot des personnes de tout age, de tout sexe et de toute profession +. Certes, Rohault « permettait a chacun de Vinterrompre, quand il arrivait que ce qu'il avait dt, ou n’avait pas été assez bien compris, ou que quelqu‘un trowvait quelque objection a y faire ». Il n'en reste pas moins qu'il commencait par faire « d'abord un discours d'environ une heure +, cest-d-dire un exposé magistral. Quelques années plus tard, les réuntons régulléres lors desquelles Vapothicaire Nicolas Lémery fit découvrir la chimte a un public, lul aussi, tres mélé débouchérent sur un ouvrage intitulé Cours de chimie" : elles se présentent done bien comme un enseignement. Mais ce sont les XVIII et XIX* siécles qui semblent avoir été la grande épo- que des cours publics. Beaucoup ont été ouverts par des particulers : on don- nera ici Yexemple de la minéralogte, popularisée par les apothicaires Valmont de Bomare et Sage qui, chacun de leur cOté, ouvrirent un cours, le premier en 1756* et le second en 1760, Un inventaire exhaustif de ces cours semble inaccessible pour le XVIII siécle, méme si on peut trouver trace d'une partie dentre eux dans les journaux d’annonces ou dans les descriptions de villes qu! étalent ’équivalent des guides touristiques actuels, comme, par exemple, le Tableau de Paris*. Le journal intitulé Affiches, annonces et avis divers ne déclarait-ll pas en 1781 : Sion ne devient pas savant, ce ne sera point faute de secours. Il semble qu'on se solt donné le mot pour faire entrer de gré ou de force la sclence par tous les pores, sill nous est permis de nous servir de ce terme. De la tant de livres 443. Preface de Clerster aux bares posthumes de M,Rohaul, Pars, 1682, té par Stéphane Van Dart- ‘me, Pars, captae philosophique de a Fronde la Révouton, Parts, Odile Jacob, 2008, p. 38. 44 Cours de chinie contenant la maniée de fare ls opérations qu! sont en usage dans ta médecine par une méthode face avec des ralsonnements sur chaque operation, pour Cinsvuction de eux qu teuletstapplquer & cette science, Pats, chez Tauteur, 1675. 45 Arthur Blrembaut + Lenselgnement de la minalogeet des techniques miniéres», René Taton. Enseignement et fusion des scence... op, p- 368 48 Ibid. p. 387. On trouve de nombreux exemples de cours de sclences dans Tensemble du volume 4e René Taton. Quelques autres exemples de cours dans Parts, eaplale phlosophique, op. cl. p.38-40, 447 Ste, avocat, Tableau de Pars pou Vannée 1759, Pars, C. Hérssant, 1758, This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns Le cours magistral comme objet d'histoire 19 4qu! paraissent continuellement, tant d'établissements qu! se forment tous les jours Les choses sont plus faciles pour le siécle suivant, car a partir du moment co fut mise en place l'Université impériale, quiconque se proposait de faire un cours public fut dans obligation d’obtentr une autorisation du ministre de Mnstruction publique, du moins jusqu’en 1875, date ot fut instituée la liberté de lenseignement supérieur. Le dépoullement des cartons archives contenant les documents relatifs aux demandes d’autorisation, achevé pour la province mals toujours en cours pour Paris, oi le volume des demandes état beaucoup plus important, devrait permettre de se faire une idée du nombre et de la teneur de ces cours. Diores et déja, la base de données issue du dépoutllement des demandes d'autorisation venues des départements contient un peu plus de 2.000 entrées*, la quast-totalité de ces demandes ayant regu une réponse positive : encore est-{l vraisemblable que des cours ont pu se tenir sans auto- risation au début du siécle, période de sous-administration du territoire. D’autres cours prenatent place dans le cadre d'une institution privée, comme le Lycée, plus tard devenu lAthénée, malheureusement mal connu en raison de la destruction de ses archives et dont le réle dans la vie intellec- tuelle a la fin du XVII stécle et au début du siécle suivant est probablement sous-estimé de ce fait : la destruction des institutions éducatives opérée par Ja Révolution était de nature a favoriser ce genre d'établissement. Mais bon nombre de cours publics du XVIIF siécle ont été mis sur pied par lautorité royale, quils alent eu leu au Collége royal® (créé, rappelons-le, au XVIF slécle), au Jardin du Rol (création du XVIF siécle)*", a IEcole des Mines®, ete. Il est Intéressant de noter, a propos du cours de botanique du Jardin du Roi, que est Faceroissement du nombre des auditeurs qui a entrainé la transformation de ce cours, d‘abord dispensé devant des plates-bandes du Jardin, en cours magistral donné dans lamphithéatre® : le succés méme du cours entraine, st Ton ose dire, sa + magistralisation ». 48 Arthur Birembaut,«Lenselgnement dela minéraloge.. «ate. p. $70, 49° Elle devat tre mise en ligne prochainement sur este «Cours maglstral signalé plus haut, 50 Jean Tora, «Le Cole royal, in René Taton ir}, Enseignement et difson des sciences... op ‘at, p. 261-286. Cet article comprend en annexe la liste des cours scientiiques donne a College au XVII stele, p. 275-285, 51 Wes Lalsous, «Le Jardin du Rl, at. et 52 Arthur Birembaut, « Lenselgnement de la minéralogie..» art. lt. p. 998-884. 59 Tid. p. 904-908. This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns 20 Annie BRUTER La décadence des untversités n'a done pas entrainé celle du cours magistral, mais celu-ci a changé de public : le tout-venant de la société éctairée a rem- placé les spécialistes du savoir qu’étatent les étudiants des siécles précédents. Dans le protongement d'une soctabilité ott le face-a-face Joue toujours un role considérable (qu'on pense au role des salons et des académies dans la vie culturelle du XVIIF siécle), le cours apparait comme un moyen important de vulgarisation a une époque of se constate la nécessité d'une « intensification des médiations entre science et société + Le début du XIX¢ siécle s'inscrit dans la continuité de cette conjoncture, les cours publics ayant continué a fleurtr. En ce qui concerne la chimie, par ‘exemple, Antonio Garcia Belmar et José Ramén Bertomeu Sanchez rappel- lent que sa mise au programme dans les institutions denselgnement créées 4 Tépoque napoléonienne « ne signifia pas la disparition des cours publics et privés qui avalent existé jusqu’alors. Bien au contratre, ce type de cours recut Tappul de certaines institutions, et tls continuérent a proliférer pendant les premiéres décennies du XIX* siécle, devenant rune des principales attractions quooffratt Paris aux nombreux étudiants qu! s'installalent dans la capitale pour compléter leur formation +, Certes, des facultés des lettres et des sciences sont créées dans le cadre de Université mise en place par Napoléon, mais leurs cours se conforment au modéle du cours public : c'est seulement a la fin du XIX* slécle que les choses vont évoluer, aboutissant a la progressive « fermeture » des cours de faculté a la suite des réformes menées a partir de 1878. Il convient toutefots de rTompre avec la vision catastrophiste du fonctionnement antérteur des facultés, que lhistoriographie a héritée des critiques formulées a leur égard par leurs réformateurs, et de tenter de cerner leur fonction dans la société du premier XIX* siécle. Le diplome n’était pas encore devenu le sésame indispensable quill est devenu aujourd'hut et on pouvatt fréquenter des cours en auditeur bre ‘sans pour autant manquer de sérieux, sur le modeéle de ce qui se passait dans des établissements qui ne délivraient pas de diplome comme le Muséum d'his- tolre naturelle: «la fréquentation des cours prestigieux de Cuvier ou Geoffroy Saint-Hilaire par un étudiant venu de France, d'Italie ou d'Angleterre, valalt 54 Christan Lcoppe, La Formation de la pratique seentfque. Le dscours de Vexprince en France et ‘en Angletere (1630-1820), Pars, La Découverte, 1996, p. 125. 55. «Les cables dleves.» art. ct. This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns Le cours magistral comme objet d'histoire 21 pour brevet d'aptitude dans sa carriére future »*. Boris Nogués apporte fel sa contribution a la réévaluation de fenseignement des facultés en sinterrogeant sur la nature du public auquel les autorités de l'époque destinatent leurs cours et sur leur mode effectif de fonctionnement. On entrevolt ainsi a quelles attentes sociales répondatent les cours a orientation oratoire qui ont été si fortement critiqués par la suite. On saisit aussi quelques-uns des facteurs qu! ont remplacé le public mélé, en partie oisif, des facultés du XIX" siécle, par des étudiants en quéte d'un dipléme leur ouvrant une carriére, manifestation parmt autres d'un phénoméne plus vaste qui a vu se transformer profondément la nature et la fonction des élites, et les lleux de leur formation. Mals il faut ict distinguer sclences et lettres. Comme on salt, les facultés ne jouent au XIX* siécle qu'un role mineur dans la formation des élites scien- tifiques, ce role revenant pour essentiel aux grandes écoles. C'est en prenant celles-cl en compte qu'on voit apparaitre « importance nouvelle de lenseigne- ‘ment dans Yorganisation du champ scientifique +*7 : le cas de la chimte, qui devient alors une « science de professeurs +*, rest qu’une illustration parmi autres d'un phénoméne plus vaste. « Le savant parisien du XIX* siécle est devenu professeur », écrit Bruno Belhoste®, selon lequel effect des savants de Tépoque est « sans doute inférieur a 250, dont plus des deux tiers occupent des postes d'enseignement +. Ces postes se distribuent entre le College de France, Ecole polytechnique, IEcole des mines, Ecole des ponts et chaussées, Ecole normale supérieure, le Muséum d'histoire naturelle (qui a succédé au Jardin du Rol), le Conservatoire des arts et métiers, la faculté des sciences, la faculté de médecine et IEcole de pharmacie, auxquels Bruno Belhoste ajoute Ecole centrale des arts et manufactures, & Tépoque établissement privé, et Ecole de médecine vétérinaire d'Alfort®. Or, st le cours magistral n'est pas le seul mode enselgnement pratiqué dans les grandes écoles, i! n’en a pas moins droit de clté dans ces hauts leux de la formation scientifique. comme nous le rappelle Konstantinos Chatzis en analysant le cours de Poncelet a IEcole de Tartillerie et du génie de Metz, qui est une école d'application de Ecole polytechnique. 56 Claude Blanckaet, «La discipline en perspective, Le systeme des seences a Theute du spéctalisme (xD-30C sce. Enqute,n” 5. Qu‘estce qu'une discipline 7. 206. p 141-142 57 Bruno Bethoste, La Formation d'une technacrate.. op ct, P. 82 ‘58 Bernadette Bensaude Vincent Isabelle Stengers, op ct 58 La Formation... op. et. p. 82. © Md, p81. GL toa, p82, This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns 22 Annie BRUTER b) Le public différé Le public différé est celui qui, sans assister physiquement au cours, en prend connaissance grace, précisément, 4 une publication, manuserite ou imprimée, Pour ne pas étendre démesurément la mattére, on se limitera ict aux éditions du cours proprement dit, sans prendre en compte les comptes rendus de presse ou les résumés, On en salt peu sur la circulation des cours manuscrits. Dans leur étude des cahiers des éléves de Thénard, Antonio Garefa Belmar et José Ramén Bertomeu Sanchez suggérent la possibilité quills aient été destinés a dautres lecteurs, mais sans pouvotr aller plus loin®, Force est done de se rabattre sur étude des publications imprimées, tres nombreuses depuis l'apparition de la presse : dans son étude sur les cours d’Ange Politien, Jean-Mare Mandosio ‘met en évidence la nouveauté que constitualt, a la fin du XV*siécle, lnitiative de faire imprimer les lecons aussitot aprés les avoir données. L'exemple allalt étre largement suivi, La production de manuels, abondante dés le XVIF siécle®, allait en effet suivre lessor de la production imprimée. II n'est pas possible de dire quelle proportion de ces manuels est issue d'un cours, mais elle n'est probablement pas négligeable. La possibilité d'imprimer le cours pose la question de la dictée de celut-cl, longtemps prescrite par les réglements universitaires : c'est a elle que devalt tre consacrée la premiére demi-heure du cours, Vexplication de ce qui avait été dleté prenant place ensuite. Mais a quoi bon ce travail d'écriture st Ia subs- tance du cours était accessible sous forme imprimée ? La question a été posée trés tot, si l'on en croit William Clark, selon lequel les autorités bavaroises stefforcérent de bannir la dictée de l'université d'ingolstadt dés 1582", et on Ja voit revenir ensuite de facon récurrente. Ainst, 'abbé Baston, brillant étu- diant en théologle de la Sorbonne qui enselgna ensuite cette matiére a Rouen la fin de Ancien Régime, se livre dans ses Mémoires & un véritable réquisl- toire contre la dictée - pour justiier la publication de son propre cours®. Des facteurs puissants agissaient cependant pour le maintien de cette pratique. D'une part, Yapprentissage du cours passait par sa rédaction, exercice par + Les cahlers deve... art 2 Henst-Jean Martin, Live, pawsotrset soc Parts au XVIF sil, 1598-1701, Genéve, Drot, 1969, 2 vol, red, 1984 et 1998. Academie Charis. 0p p85. -Mémowes de abe Baston,chanaine de Rouen. par Jullen Loth et Charles Verger. Paris, Alphonse Prard ets, 1897-1899, 3 volt, p. 210-212. ae This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns Le cours magistral comme objet d'histoire 23, Jequel les notes prises pendant la lecon étatent mises au net®. D’autre part, sous ’Ancien Régime, les étudiants devaient présenter leur cahler manuscrit au professeur pour obtenir attestation quills avaient sutvi son cours : comme était unique moyen de controle dont le professeur disposait (méme s'l étatt factlement tourné par lembauche d'un scribe qui venait prendre le cours a la place de létudiant fortune), on ne s’étonne pas que la dictée ait perduré, La discussion du rapport entre le cours oral et ses versions imprimées est de toute facon une constante de la période envisagee ici, pusqu‘on la retrouve dans les recherches actuelles sur le mode d'utilisation des polycopiés par les étudiants®™, en passant par la fin du XIX* siécle, que la question préoccupe beaucoup : un ouvrage d'un professeur belge sur les universités allemandes consacre tout un chapltre a des « Réflexions générales sur les cours et les séminaires » dans ces universités et y propose une histoire des cours dictés et de longues réflexions sur le débit qu'll convient d'adopter en fatsant cours. ‘Toujours discutée, la publication des cours n’en a pas moins fleuri. Elle pou- vait étre le fait du professeur : la pente qu! méne du cours professé au manuel est une pente naturelle. Ainst, le commentaire du De natura deorum qui fait Yobjet du séminaire de Jean-Mare Mandosio et Marie-Dominique Couzinet & TEPHE a été transcrit par un disciple du professeur qui en est auteur en vue d'une publication (qui n‘a finalement pas eu lieu). On trouvera, outre celut Ange Politien mentionné ci-dessus, plusieurs exemples de publication d'un cours par son auteur dans les articles de ce numéro : Claire Gaspard étude le va-et-vient entre Coral et limprimé dans les cours de Michelet ; Claude Coste déctine les lens sublils, parfois réversibles, entre les enseignements de Barthes et les ouvrages quil a fait paraitre. Le contre-exemple est celui du cours de mécanique de Poncelet a la Sorbonne, qui n’a pas été publié par son auteur ; Konstantinos Chatzis montre cependant comment certaines de ses parties ont 46 diffusées par Vintermédiaire de textes signés par d'autres. Car la publication d'un cours n'est pas nécessairement 'ceuvre du profes- seur qui la donné. Elle peut, par exemple, étre le fait de institution qui 'em- plote. On salt que les organtsateurs de I'école normale de tan Ill avaient prévu que les cours seralent sténographiés - ce quils ont été en effet -, de fagon & 68 Votr Antonio Garia Belmar, José Ramén Bertomeu Sanchez, « Les cahers eves...» art et 67 Cf Chantal Parpette,« Le cours maglstral, un discours oralographique. » ar. it: Rabert Bou: chard, Chantal Parpette, Jean-Charles ochard, «Le cours magstral et son double, le polycopl.. art ct. F Collard, Trois unverstésalemandes, Louvain, Ch. Peters, 1879-1882, p 102-116. This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns 24 Annie BRUTER les rendre uttlisables au-dela des murs de IEcole. Linvention du procédé de la lithographie, permettant limpression a moindres frais, a été mise a profit par plusteurs écoles sclentifiques, au XIX*stécle, pour fournir aux éléves des cours lithographiés, ancétres des polycopiés actuels : on en trouvera un exemple dans Varticle de Konstantinos Chatzis sur Poncelet, Notons que le débat sur utili de la publication des cours, entamé, on Ia vu, dés l'époque moderne, se poursuit au XIX¢ siécle, comme on peut le volr par exemple de I’Ecole poly- technique, oi la distribution de Iithographies cesse & partir de 1836 pour éviter que les éléves ne travaillent qu’au moment des examens®., La publication de cours peut aussi étre due a lnitiative de certains étu- diants, que ce soit pour disposer d'un texte sir, par désir de répandre la pensée du maitre, ou pour toute autre raison. Ils agissent individuellement ou dans le cadre d'associations a cet effet, voire dans celul de létablissement d'ensel- gnement quills fréquentent. A I'Ecole polytechnique, & l'époque od les cours Iithographiés sont distribués aux éléves, de 1830 a 1836, ce sont en fait des Gleves qui les rédigent, non les professeurs ; lorsque les autorités de lEcole interrompent cette distribution, les éléves poursulvent lentreprise par eux- mémes jusqu‘en 1850”. Il vaut la petne de noter qu'un classique de Thistotre de Téducation, L'Evolution pédagogique en France ¢'Emile Durkheim, est un cours sur I'Histoire de Venseignement en France fait par Durkheim en 1904-1905, qu‘a publié son éléve Maurice Halbwachs en 1938”, La publication de cours peut, enfin, étre entreprise pour des motifs pure- ment commerciaux : toujours a V'affdt des ouvrages qui ont des chances de bien se vendre, libraires et éditeurs cherchent & publier les cours des profes- seurs de renom. D'oi, parfots, des conflits : des sténographes a la recherche de débouchés pour leur activité ayant constitué une société pour prendre et publier les cours a leur profit au début du XIX' siécle, s'ensuivit un procés qui donna raison aux professeurs qui en demandalent la propriété intellectuelle. Faute de recourir aux sténographies, les éditeurs pouvaient utliser des cahlers auditeurs. On salt que certains cours célébres, comme ceux de Ferdinand de Saussure ou de Ludwig Wittgenstein, n’ont en réalité jamais été prononeés (69 Bruno Belhoste, La Formation c'unetechnorat... op ct. p. 185-187 70° td. 71 Ene Durthetm, Ltolutlon pédagogtqueen France, Pats, Presses universtares de France, réé 1969, p. 1 This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns Le cours magistral comme objet d'histoire 25 tels quills sont publiés, ayant été entiérement reconstitués a partir de notes, détudiants. Plus encore que lauditoire des cours, le public élargi touché par les cours imprimés échappe a 'historien. Le succés éditorial de certains au moins de ces ‘ouvrages, sinon de tous, atteste pourtant qu’ils répondatent a une attente. Sil est parfois possible, de nos jours, d'attribuer un succes de ce genre a Texis- tence d'un public capt celut des étudiants qui se présenteront a examen ou au concours oi siége auteur du cours en question, il ne faut pas se hater de projeter cette situation sur le passé. A 'époque des cours publics, on T'a vu, les auditeurs n’étalent pas nécessairement a la recherche d'une sanction de leurs études, Et le retentissement d'un cours pouvatt s’étendre loin. On voit ainst la cousine de Michelet, Célestine Lefebvre-Millet, qui lut écrit deputs le village des Ardennes dont la mére de Michelet est originaire, lui demander au passage, en octobre 1828, de lul préter les lecons sténographiées de Cousin et Gulzot” : quelques mois aprés la réouverture triomphale de leur cours, on cherche & en prendre connaissance dans des lieux fort reculés, ce qui montre bien que Yaudience d'un cours magistral peut s‘élargir considérablement. Derniére étape dans la diffusion, celle oii le nom du professeur disparait parce que la substance de son cours s'est amalgamée a l'ensemble de connais- sances qui constitue le savoir légitime, intemporel. On verra fel un exemple de la différence de présentation entre ce savoir légitime et les propositions nou- velles avancées par des auteurs récents dans 'analyse du cours de philosophie d'Adrien Geffroy menée par Alain Firode. Souvre alors une nouvelle direction de recherche : celle qui consisterait a suivre, chez les éléves du cours prin- ceps, la réutilisation des contenus acquis a cette occasion, puts a en retracer Je parcours dans les manuels ultérieurs. Jean-Mare Mandosio donne quelques indications sur Tinfluence des cours de Politien sur les humanistes des généra- tions ultérieures. On lira aussi avec intérét les pages que Konstantinos Chatzis ‘consacre au devenir de l'enseignement de Poncelet aprés sa mort. 2- Le cours magistral comme lieu d’élaboration du savoir On envisagera maintenant 'amont de la leon magistrale : le travail de préparation du professeur. Avant d'envisager son role dans I’élaboration du 72 Jules Michelet, Correspondance générale. textes réunis lass et annotés par Lous Le Gullo, Pars, Honoré Champion, t. 1, 1984, p. 808. Votrausst Paul Viallanetx, Michelet, es traomur eles Jours 1798-1874, ars, Gallimard, 1898, p. 82 This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns 26 Annie BRUTER savoir, il convient de rappeler que cette préparation elle-méme prend place dans un cadre déterminé, qui impose au professeur des contraintes plus ou moins strictes. On examinera ensuite le role du cours magistral dans la mise en forme du savotr, dans sa légitimation, et dans le débat sclentifique. 4) Une liberté sous contraintes Le professorat est, dans une certaine mesure, un métier artisanal puisque production et distribution ne sont pas séparées : le professeur prépare un pro- ult ~le cours - quil offre lnl-méme au public, D’od un sentiment de lberté, qu! nest pourtant pas sans limites. La préparation du cours dolt, en effet, obéir a des contraintes diverses. Ily a tout d'abord, on Ya dit, 'idée que le professeur se fait de son public : on n'y reviendra pas. Mais ce facteur n'est pas le seul & entrer en jeu. En premier leu, le travail préparatoire du professeur dépend, bien entendu, du savoir dont il dispose personnellement. Ainsi, les progrés de la physique ‘mathématique restent inaccessibles aux professeurs de philosophie du début du XVIII siécle, faute d'une formation mathématique suffisante : Alain Firode en donne exemple de Geffroy, qui se tient pourtant au courant de Vactualité scientifique dans la mesure od elle ne passe pas par les mathématiques. Ce travail préparatoire dépend aussi des collaborations dont le professeur peut bénéficter et des ressources dont il dispose. Konstantinos Chatzis montre le role des collaborateurs de Poncelet, en particulter du réseau de ses cama- rades polytechniciens, dans la « fabrication + de son cours, On sait ce que le travail de Michelet a da a son poste aux Archives nationales, c‘est-a-dire a son acces privilégié aux sources de l'histoire de France. Et il n'est que Gouvrir la biographie que lui a consacrée Paul Viallanelx pour voir comblen ia profité de Vaide de ses anciens éléves : envol d'informations diverses, aide a la prépa- ration des voyages (qui sont autant des voyages d'enqueéte que de distraction), secrétariat... Ainsi, Michelet devant en 1834 assurer une suppléance a la Sorbonne tout en continuant son enselgnement a I’Ecole normale alors qu'il a des ennuls de santé, une vérttable équipe se constitue pour Fassister : elle comprend Félix Ravaisson et Victor Duruy, engagés comme secrétaires, dont le travail consiste a lire des ouvrages en prenant des notes qui alimenteront ensuite les cours du maitre, Adolphe Mantz, chargé de traduire les textes de Luther, et Alexandre Olleris”. 73 Paul Vallanex, Meee... op. el p. 152 This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns Le cours magistral comme objet d'histoire 27 Autre contrainte qui s'impose au professeur, trop connue pour qu'on y Insiste : celle du programme et des réglements fixés par I'établissement qui Yemplote, sl enseigne dans le cadre d'une institution. Des programmes trop stricts bloquent la eréativité des professeurs, comme le montre lexemple des universités prisonniéres des réglements médiévaux a l'époque moderne, ou celut de Is honorable routine » dans laquelle tombe aprés 1830 lenselgnement de Yanalyse & I'cole polytechnique™. Jouent enfin leur role les attentes, intellectuelles et éthiques, de la société ot se déroule Tenseignement. L’analyse du cours de philosophie d’Adrien Geffroy que propose ici Alain Firode met en évidence cette pluralité de facteurs. A. Firode déméle patiemment, dans ce texte trés technique, les stratégies employées par le professeur pour concilier ses convictions cartésiennes avec des exigences diverses : celles de Torthodoxie religleuse, blen entendu, mais aussi celles du cadre scolaire, d'un cdté, et de révolution de la science de son temps, dans la mesure ou elle lul est accessible, de Tautre. Cec dit. ces contraintes ne pésent pas de la méme facon a toutes les épo- ques et sur tous les professeurs. On voit Ange Politien nen faire qu’a sa téte, fort du soutien de Laurent de Médicis, et aussi de son prestige personnel dans Je milieu des humanistes. On voit Poncelet critiquer le programme d’enseigne- ‘ment que veut lui imposer I'Ecole de Fartillerie et du génie de Metz et obtenir plusteurs modifications. Quant a Michelet, Claire Gaspard souligne a juste titre + Timprudence + dont il a fait preuve dans ses cours au Collége de France. La marge de liberté dont dispose le professeur est donc variable non seulement en fonction des circonstances, mats aussi de sa personnalité propre. b) Un lieu d’accés aux avancées du savoir SI c'est par les revues, les colloques, voire par internet, qu’on accéde aujourd'hut aux derniers résultats de la recherche, ce role a longtemps été tenu en partie par les cours magistraux. Dans leur étude sur les cahiers des Aléves de Thénard, Antonio Garcia Belmar et José Ramén Bertomeu Sanchez signalent la présence a son cours de nombreux étudiants venus de province et de Vétranger™. Paris est en effet, au début du XIX' siécle, « la métropole de la 7A Bruno Belhoste, La Formation d'une ecwacrate.. op. i, P. 263, 75. «Lescahlers lev...» art. ct. This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns 28 Annie BRUTER cchimie européenne »”* : on vient done parfols de loin sutvre les cours de chimie offerts dans la capitale. Ce réle du cours comme lieu daccés aux avancées du savolr, on le retrouve dans toutes les études de cas présentes dans ce numéro. A la fin du XV*siécle, au début au moins de sa carriére d'enseignant a l'université de Florence, les cours d'Ange Politien se distinguent de ceux de ses collegues, qui appartien- nent a la génération précédente des humanistes, aussi blen par les auteurs quill commente, qu'll cholsit plus obscurs et plus ardus, que par la méthode explication qu'll emplote. Le cours de philosophite fait par Adrien Geffroy au XVIIF siécle peut, vu par un cel du XXI*siécle, frapper par sa fidelité au mode de ralsonnement artstotélicien, mais n’en mantfeste pas moins, dans la partie consacrée a la physique, la volonté de sutvre les développements sclen- tifiques récents - dans la mesure, on Ta dit, od tls sont accessibles au profes- seur. Boris Nogués rappelle que le décret de création de I Université, en 1808, fixait pour tache aux professeurs des facultés « de suivre et d'étudler les nou- velles découvertes qui sont faites dans les sctences, afin que Yenseignement soit toujours au niveau des connaissances acquises ». En dépit de la mauvalse réputation des cours de ces facultés au XIX*siécle, Tapport de celul de Poncelet la mécanique, de celul de Michelet a Ihistotre, sont bien connus. Au XX* sié- dle, enfin, Roland Barthes a, dit Claude Coste, un public avide de nouveautés théoriques. Sauf dans le cas de Geffroy, les savoirs nouveaux présentés aux étudiants ont en partie été élaborés en vue du cours lul-méme. La capacité du cours magistral étre un lieu de production de savotrs entraine deux conséquences. Tout d'abord, le renom de professeurs conus pour la nouveauté de leur enseignement attirant, sinon tous les étudiants, au moins un certain nombre d'entre eux, des institutions désireuses d'aug- menter leur prestige et/ou leurs effectifs s'fforcent c'embaucher de tels profes- seurs. Ainsi, cest dans le cadre de la « politique délibérée de promotion » menée par certaines universités francaise du XVI siécle que s'inscrit le recrutement 'Alciat (Andrea Alciato), jurisconsulte italien renommé pour avolr révolutionné Ja compréhenston du droit romain par sa méthode nouvelle d'explication des textes (qu! falt appel aux ressources de la philologle humaniste”, se réclamant, notamment, d’Ange Politien): il est embauché en 1518, a prix dor, par Tunt- 76 Bernadette Bensaude-Vincen, Isabelle Stenger, Mitte de a chime, ope, p. 190. 77 Vote Donald R. Kelley, Foundations of Medern store Schlarship. Language, Law and History in the French Renaissance, New-York/Londres, Columbia Universlty Press, 1970, p, 91-100, This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns Le cours magistral comme objet d'histoire 29 versité c'Avignon, of il attire pendant trois ans de nombreux étudiants et, plus tard, par Tuniversité de Bourges, of il enselgne de 1529 a 1533 et qui conserve Yempreinte de son passage jusque tard dans le siécle™. De méme, analysant le passage du mode médiéval de recrutement des professeurs d'université 4 la politique « rationnelle » d’embauche menée par les « Etats de police + de VAlle- ‘magne a l'époque moderne, William Clark met en évidence le désir des ministres de trouver des « professeurs solides, munis non seulement des capacités requi- ses, mais aussi d'une réputation établie + dans le monde savant, pour attirer les étudiants”. Bt sous la Révolution, lorsque sont organtsées les premieres grandes écoles - I'Bcole normale (dite de Yan Il), Ecole centrale des travaux publics (premter nom de I'Ecole polytechnique), I'Bcole de santé de Pars -, nombre des professeurs recrutés sont des savants prestigleux, membres de Tancienne Académie des sciences (alors supprimée)". Le présent numéro offre un exemple de ce cas de figure dans article de Jean-Marc Mandosio sur Ange Politien, dont le recrutement a Tuniversité de Florence s'inserit dans la politique culturelle de prestige que méne Laurent le Magnifique. En méme temps, ces recrutements légitiment le savoir dont sont porteurs ces maitres : le salaire élevé que recoit Ange Politien vaut reconnaissance de Ja valeur de ses connaissances et de ses méthodes, si différentes sotent-elles de celles de ses collégues. D'une mantére générale, ’érection d’un domaine de connaissance en objet de cours vaut légitimation de son existence. « C'est surtout sa promotion dans Tenselgnement supérieur qui transforme le statut de la chimie », notent, par exemple, Bernadette Bensaude-Vincent et Isabelle Stengers & propos de la « professionnalisation + de cette discipline au XIX" sié- cle", Plus prés de nous, I’élection de Barthes au College de France manifeste Tintérét pour la sémiologie dont il set fait ou a été fait le porte-drapeau : du moins est-ce ainsi que entend son public, méme si Tévolution du professeur Ya éloigné de ses intéréts antérieurs, La lecon d'ouverture d'un cours est long- temps restée une cérémonte a laquelle assistalent, outre les étudiants, les nota bilités intellectuelles, sociales et politiques locales, signifiant par leur présence Yautorité reconnue au savoir et au professeur qui en était porteur. Le cours Dominique Julla, Jacques Revel, « Les péégrinations académiques +. art. ct, p. 97-98, ‘Academie Charisma... 0p. p. 278, Bruno Belhoste, a Formation d'une technocrat... ope. p. 77 ‘Mistore de a chine. op cp. 128. asa This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns 90 Annie BRUTER ‘magistral n'est donc pas seulement un lieu d'accés a des savoirs nouveaux, est aussi le lleu de leur reconnaissance. ) Un lieu de controverses (On sait le role que tiennent les débats scientifiques dans le développement des ‘connaissances. Parmi les lteux oti ces débats peut se tentr, il en est un qui ne semble jamais mentionné : le cours magistral. La notion d’enselgnement, avec Je dogmatisme qu'elle tmplique aux yeux de beaucoup, est en général tenue pour contradictoire avec celle de débat : « la controverse ne soufire guére les certitudes ni les édifices intellectuels définitivement clos et stabilisés », lit-on dans article introductif au dossier sur + les formes de la controverse » que propose la revue Mil neuf cent, juste avant la citation du texte d'un mission- naire opposant enseignement (religieux) et controverse (religleuse)*. La meme revue contient pourtant un article sur + Le scandale de la Vie de Jésus de Renan » qui commence par décrire la legon ouverture houleuse du cours de Renan au Collage de France en 1862, lecon qui resta d'ailleurs la seule qu'il prononga sous le Second Empire, son cours ayant été suspendu aussitot et lul-méme ayant été révoqué quelque temps plus tard*. Si le public est un élément constitutif de la controverse, comme Yavancent Jean-Louls Fabiani et Cyril Lemieux dans le méme numéro™, le cours public est bien un leu proplce au développement de celle-ct, Un exemple en est fourn! par une controverse menée au sein méme des cours de IEcole normale de tan Ill, entre 'idéologue Dominique-Joseph Garat, chargé du cours d's Analyse de Tentendement humain », et Jean-Francols La Harpe, auquel est confié le cours de littérature, Ce sont deux conceptions de Tenselgnement littéraire qui safirontent, Garat le voyant, a la suite des péda- ‘gogues du XVIII siécle, comme principalement destin€ a la formation du goat, alors que La Harpe prétend former les futurs instituteurs a léloquence. Leur ‘82 Christophe Prochasson, Anne Rasmussen, « Du bon usage de la dispute », MUI neuf cent. Revue histor intletuele, 1 25. Comment on se dispute. Les formes dela controverse, 2007, p 7. |82 Perrine Simon-Nahum, «Le sandale de a Viede Jésus de Renan, Du sucds trace comme mode échee deta selence», td, p. 61-74, ‘84 Jean-LoulsFabtal « Disputes, polémiques et controverses dans les mondes ntlectuels. Vers une ‘socolole historique des formes de débatagonisique», id. p. 50 ; Cyril Lemieux, « A quot sert Tanalyee des controveses ?» (dp. 195, This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns Le cours magistral comme objet d'histoire 31 prompte démission a tous deux mettra fin & la polémique, qui préfigure un débat qui se ménera dans d'autres instances au siécle suivant". On trouvera dans le présent numéro deux autres exemples de polémiques ‘menées au sein d'un cours, celul de Michelet et celui de Politien. La eritique des Jésultes que firent Michelet et Quinet dans leurs cours du Collége de France en 1843 est bien connue comme épisode marquant de la lutte contre les cléricaux au XIX* siécle. Claire Gaspard reprend la question en replacant le cours donné par Michelet cette année-la dans le cadre de Tévolution de sa pensée. C'est la recherche d'une nouvelle philosophle de I'histotre qut améne ccelut-cl a prendre position contre les exigences de IEglise, qui réclame a 'épo- que abolition du monopole universitaire et combat l'enseignement public, celui du Collége de France y compris, en l'accusant d'immoralité. Michelet, +éplique en opposant le mécanisme, le formalisme, la « vaine scolastique + des cléricaux a ce qut est vivant, organique. Son cours nest done pas un événement purement politique, c'est aussi un bane d'essai pour utilisation de certains ‘concepts - essai pleinement réussi, en ce qui concerne les Jésuites en tout cas, pulsqu’on retrouvera ces accusations a leur égard chez, Gabriel Compayré™, puis, au-dela, chez Durkheim, Moins célébres en France, les cours de Politien sont, par leur existence meme, qu’a imposée Laurent le Magnifique, un défi aux autres professeurs de Tuniversité de Florence putsque ses premiers contrats d’embauche prévotent expressément une rivalité possible - pour s‘efforcer de Yempécher. En vain, ‘comme le montre Jean-Mare Mandosio, qui ne fait pas mystére de Yarrogance ‘du personage mais en montre aussi le ressort : 'ambition de subvertir la Iiérarchle des disciplines de 'époque pour imposer 'autorité du grammairien, Le cours est ici un instrument dans une stratégie de remodelage du champ tout entier du savoir. Le cours magistral a bien été, en certains cas, un leu de production du savoir. En quelles circonstances ? Les quelques éléments rassemblés ici sem- blent indiquer quill a joué ce role quand les professeurs n'étaient pas assujettis, 185. Franguse Douay-Soubin, «La rhétrique en France au XIX siéle», Mare Fumarolt (ir), Histote de a hétrique dans {Ewope mederne 1450-1950, Pais, Presses unverstatres de France, 1999, 1086-1088, 86. Gabriel Compayre, Histoire ctique des doctrines de édueaion en Pance depuls e seme site Paris, Hachette, 1879, 2 vol 87 mle Durkheim, L'Bootution pédagegiqu en France. op. ct This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns 92 Annie BRUTER des programmes stricts : solt que la protection du pouvoir leur ait assuré une marge d'indépendance, comme cest le cas «Ange Politien et, dans une certaine mesure, de Michelet, qui avait noué des liens avec la famille royale sous la monarchie de Juillet; soit quills alent eu a créer un enselgnement jusque ld inexistant, comme Poncelet (et comme les premiers professeurs d'analyse de Ecole polytechnique) ; soit encore qu'il n'ait pas existé de consensus dans la sclence quis enselgnalent, comme en chimle au temps de Mendeleev. La vieille {dée que le savoir ne progresse que dans Tindépendance semble vérifige une fois de plus, méme s'l faut faire sa part a la personnalité propre du professeur. Dans cette production du savoir, quel role précis a joué interaction entre professeur et éléves ? Si Ange Politien rassemble de nombreux éléves, st Michelet se sent soutenu par son public, renselgnement de Poncelet a la Sorbonne ne suscite pas que lenthoustasme, et Augustin Cauchy n'est fran- chement pas apprécié par ses éléves polytechnictens : s ses opinions politiques Jouent peut-étre un role dans ce rejet, son soucl de rigueur, source de déve- loppements importants des mathématiques, ne fait pour eux que compliquer Vapprentissage de analyse et les professeurs qui prendront sa succession (tl démissionne en 1830) reviendront a des méthodes plus intuttives, mais moins rigoureuses et moins riches en développements futurs. La satisfaction des étudiants est certes l'indice de la valeur pédagogique d'un cours, mals pas nécessairement celul de sa portée sclentifique. En revient-on ainsi 'opposition entre enseignement et recherche ? Il est certain que les exemples étudiés ict - Yexception de celut de Barthes - datent dune époque of la spéctalisation était bien moins poussée qu’aujourd'hul et oti la somme des connaissances a acquérir était moins grande : 'écart étalt sans doute moins important entre le profane et le spécialiste qu'il ne Fest aujourd'hut, et la communication par conséquent plus factle. Mais la n'est peut-étre pas lessentlel. Au-dela de la satisfaction personnelle que peuvent en retirer - ou non - étudiants et professeurs, le cours magistral est une forme de travail, parmi d'autres, qui permet létablissement de liens verticaux - entre professeurs et éleves - aussi bien qu‘horizontaux - entre éléves -, démultipliant ainst la circulation du savotr. Par lé aussi, fl joue un réle dans sa production, qui est. on le salt de plus en plus, une ceuvre collective, Annie BRUTER Service dhhistoire de léducation (INRP) annie.bruter@inrp.ft This conten downloaded from 187-119226.26 on Tue, 20 Jun 2023 21.07.06 00:00 ‘Alluse abject to hipaabout ior orgterns

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