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GRAFFITI ARABES DE CNIDE ET DE KOS: PREMIERES TRACES EPIGRAPHIQUES DE LA CONQUETE MUSULMANE EN MER EGEE par Frédéric Imbert Jusqu’a récemment, nos connaissances de la conquéte arabe en Méditerranée n’étaient fondées que sur les sources écrites principalement issues de l’historiographie arabo- musulmane et de quelques sources extérieures. Or, de récentes découvertes épigraphiques viennent jeter un éclairage nouveau sur la question de la présence musulmane en mer Egée. En fait de découvertes, il conviendrait mieux de parler d'une remontée d’informations. En effet, les graffiti arabes dont il est question dans cette étude n’ont pas été récemment découverts; apposés sur un pavement de marbre ou sur des colonnes d’église, ils ont toujours 6té IA. Si quelques-uns ont été signalés dans les années 1970, ce n'est que depuis quelques années que la recherche porte un réel intérét la graffitologie islamique ancienne, discipline issue de Pépigraphie. Au travers de ces textes éparpillés sur le Proche-Orient principalement, de nouvelles grilles de lectures de l'histoire arabo-islamique durant les deux premiers siécles de l"Hégire (vu et vitr sigcles de notre ere) se mettent en place. A ce jour, elles concernaient surtout histoire religieuse et sociale de I'Arabie. Mais voici que des graffiti de la mer Egée, bien loin des cbtes de la Syrie, nous plongent dans lhistoire des conquétes arabes. Les graffiti de Cnide et de Kos? que nous présentons représentent Ace jour les seules traces écrives contemporaines des conquétes arabes, laissées par ceux-lA mémes qui embarquérent durant la seconde moitié du 1*/vur sigcle vers les cétes mal connues de l’Empire byzantin. A la lecture des ouvrages historiographiques ou géographiques arabes les plus anciens et plus précisément ceux du genre « expéditions, conquétes et razzias » (histoire des (futih, magazi et autres gazia) qui connurent un certain succés, il apparatt que les ‘conquétes en Méditerranée déburérent avant lavénement de la dynastie des Omeyyades (41/661) et conjointement aux principaux mouvements de la conquéte terrestre. Toutefois, la chronologie des mouvements de la conquéte maritime demeure assez floue. 1, Conformément & Pusage francais, nous choisissons d’orthographier les toponymes Cnide et Kos respectivement avec (C] et [K]. Il n’ese pas rare de les trouver écrts sous les formes de Knide et de Cos. Consoructing the seventh century, ed, by C. Zuckerman (Travaux et mémoires 17), Paris 2013, pp. 731-758. 732 PREDERIC IMBERT L’embarquement de troupes musulmanes vers les tles de Ia Méditerranée orientale et centrale répondait avant tout & une progression naturelle et logique : aprés la terre, il fallait conquérir la mer. Cependant, les Arabes, plus habitués aux déplacements cerrestres et n'ayane pas d’antécédents maritimes, montrérent assez peu d’empathie avec élément tmarin et reeardérent la chose. En termes purement stratégiques, les déplacements par la mer s’avéraient néanmoins plus rapides car il fallait environ 5 jours de mer pour se rendre, depuis la Syrie, jsqu’a Rhodes ec 7 jusqu’’a Constantinople”. On pouvait alors imaginer prendre les Byzantins & revers ec hater Ia chute de Empire. Dans le domaine proprement religieux, les califes omeyyades se trouvaient liés par leur devoir de guetre sainte contre Byzance, successeurs du prophéte Muhammad, Commandeurs des eroyants garants des institutions politiques et religicuses, ils devaient justifie, face & leurs sujets, d'une action efficace dans expansion de islam. De surcroit, les campagnes maritimes contre Byzance permettaient de juguler V'inaction de certains groupes tribaux sur lesquels le pouvoir Emeyyade prenait appui. La grande tradition lieérare et historique arabe classique regorge daneedotes pseudo-historiques (ahbdr) qui metcent en scene des émissaires, byzancins ou musulmans, chargés d’extravagantes missions, des ambassades invraisemblables, des emprisonnements & Fssue heureuse. Ces anecdotes rappellent que les relations entre PIsiam et Byzance ne sont pas seulement fondées sur des antagonismes mais qu’en marge des conflits et des gesticulations diplomatiques, ils s'atirent et se repoussent dans un mouvement de séduction et de répulsion. Loin de ces enjeux d’empires, les graffiti de Cnide et Kos nous raménent & une autre réalicé, 2 Péchelle d'individus qui ne furent que de simples pions durant ces campagnes. De passage sur les les et les cdtes contrélées par Byzance, ils trouvérent le temps de laisser des traces de leur foi et de leurs espoirs au travers desquels se lisent toujours les réalités douloureuses de l’exil et de la guerre. Des GRAFFITI ARABES A CNIDE ET A Kos La plus ancienne mention connue des graffiti de Cnide remonte & Pannée 1970 dans un rapport de fouille de Péquipe américaine de la Long Island University’. Plus de vingt ans plus tard, en 1992, deux articles mentionnérent les graffiti de léglise : celui du chercheur rurc F. Ozgiimiis qui présenta le site byzantin et ses principaux monuments én incluane P'éplise et les inscriptions; il n’en donna qu'une translitération turquisée foadée sut une lecture souvent imprécise’. Quant au chercheur italien V. Ruggieri, il présenta dans les commentarii breviores de la revue Orientalia Christiana periodica une rapide notice incluant le texte arabe et la traduction italienne de 4 graftis accompagnes de 8 photographies®, L’auveur de cette notice n’étant pas lui-méme arabisant, il confia Ia lecture 3 des spécialistes. Il envoya ses photographies de 1983 & M. van Esbroeck qui 2, M.Canagp, Les relations politiques et sociales entre Byzance et les Arabes, DOP 18, 1964, p. 50. 5 1 Lown, & preliminary report of the excavations at Knidos 1969, American journal of archaeology 74, 1979, p. 153, pl. 40, fig. 20. 4, F. Ozctmils, Knidos’taki bizans eserleri, Senar taribi arastirmalart dergisi 11, 1992, p. 12, photos 14-15. 5, V. Ruacrenr, | graffiti umayyadi a Cnidos, OCP 58, 1992, p. 549-551. GRAFFITI ARABES DE CNIDE ET DE KOS 733 proposa une lecture qui fut elle-méme révisée en 1990, pat M. Bormans et R. Lavenant®, Malheureusement, les lectures proposées par ces chercheurs non spécialistes d’épigraphie arabe — et encore moins de graffiti ~ s'avérent assez fautives pour ne pas dire parfois fantaisistes : lessenticl, & savoir la mention des conquétes arabes, leur a échappé. Ce n’est que trés récemment que le dossier des graffiti nous est parvenu par I’ diaire du papyrologue et épigraphiste Y. Ragheb. La chercheuse italienne G. Lini lui envoya quelques clichés photographiques des pavements inscrits de Cnide, dont certains avaient été pris par V. Ruggieri. Avec le lot de photographies, elle en joignit également d’autres prises sur l’ile de Kos (a peine 4 20 kilométres au nord-ouest de Cnide) ot figuraient des graffiti sur les vestiges de I’église Saint-Gabriel (localité de Psalidi). Ces clichés furent complétés par ceux gracieusement mis A notre disposition par I. Baldini de Puniversité de Bologne”. Grace 2 ces documents, il s’est avéré possible de constituer et d’analyser un petit corpus de 14 graffiti assez originaux du fait de leur éloignement des terres de ’islam continental. De plus, la valeur du corpus en question tient dans sa datation méme : 4 graffiti (1 & Cnide et 3. Kos) rejoignent le cercle trés fermé des graffiti arabes datés sous année 100 de ’'Hégire (719). Sur 30 graffiti datés connus & ce jour, 4 proviennent de la mer Egée, soit 13%, ce qui n’est pas insignifiant. termé- Legs GRAFFITI DE CNIDE Nous possédons trés peu d’informations sur la localisation précise des textes épigtaphiques relevés 4 Cnide. De bréves mentions chez V. Ruggieri et F. Ozgii nous apprennent quills furent trouvés in situ dans une église byzantine assez massive (ve-viF siécles), sur le pavement en marbre de la nef, prés du cheeur, derriére l’autel. Au total, nous relevons 7 dalles de marbre inscrites livrant un lot de 10 graffiti arabes dont certains sont trés lacunaires. Nous les avons rassemblés dans des ensembles que nous avons numérotés de C1 3 C7. Sur 3 ensembles, au moins 2 graffiti se trouvent quasiment imbriqués P'un dans Pautre; nous les avons regroupés sous une numérotation unique’. Trois ensembles sont gravés A cheval sur deux dalles?. 6. Ruccteni, Graffiti umayyadi (cité n. 5), p. 549, n. 1. 7. L’ensemble des clichés qui ont servi pour la lecture et les fac-similés des graffiti de Cnide et de Kos a éxé communiqué par Gabriela Lini 3 Annie Pralong qui I's elle-méme communiqués 3 Youssef Ragheb qui nous a confié ce dossier. Nous sommes ensuite entré en contact avec Isabella Baldini de Puniversité de Bologne qui vient de publier I’écude archéologique de I'église Saint-Gabriel de Psalidi a Kos (Archeologia protobizantina a Kos : la basilica di S. Gabriele, a cura di I. Baldini e M. Livadiotsi, Ante Quem, Bologna 2011). En janvier 2012, elle nous a confié ses photographies des graffiti sur les colonnes. Quiils trouvent tous ici 'expression de mes remerciements. 8. Ensembles C1, C4 et C5. 9. Dalle de C5 dont le graffico supérieur est gravé sur la dalle de C6; le graffito C7 est gravé & cheval sur la méme dalle que C3, mais téte-béche. 734 FREDERIC IMBERT Ensemble de graffiti C1 (2 graffiti) (photo 1 et ig. 1) Localisation : Cnide. Gravé sur le pavement, sur la partie centrale supérieure d'une dalle de 194 x 88 cm". Etat de la graphie : il s'agit de inscription la mieux réalisée du lot. Elle est incisée en creux, @’un trait fin et profond. En fin de texte, 'écricure a tendance’a se tasser, faute de place sur la dalle. Voir photo 1 et fig. 1. Date : 98/716-17 Publications : Ruccrert, Graffici umayyadi (cité a. 5), p. 550, n° 1 et photo n° 1; Ozetmis, Knidos’taki bizans eserleri (cité n. 4), p. 12, photo n? 15. Graffito 1 1) O Dieu, pardonne a ‘Abd al-... vor Ul asd sae! gg! (1 Graffito 2 1) Que Dieu agrée ton action, Hattab/Hartab (sic) Uasy elas [55] abl 22, (1 2) b. Hagar, également al-Ammi all Boze (sic) gl oF 3) puis al-Sabri! J’ai écrit CS 9 Syerall gS (F 4) ce texte-Ia. Conquéte de ... ++ B93 Nhe LOS (€ 5) en année 98 5 bd dn 3 (0 6) /716-17. eee) (1 Cette plaque de marbre rassemble deux graffiti. Le graffiti 1 n'est constitué que de la seule premiere ligne et consisterait en une invocation inachevée. En effet, le nom du personage est composé d’un théonyme en ‘Abd [...] dont la seconde partie, au-dela de Particle, n’est qu’ébauchée. On notera que la forme de {a ligne de base semble enjamber la premiere ligne du second graffito au niveau du mot ‘amal'-ka; ceci indiquerait sa postériorité. Le graffito 2 débure a la ligne suivante le formulaire est celui d'une tardiya (expression. de Vagrément de Dieu) dont la particule ‘an semble avoir été omise. II est question une «action » ou d’une réalisation dont il est impossible de préciser la nature du fait de lemploi du terme trés neutre de ‘amal « avail, ceuvte ». Le nom du personnage est ensuite introduit par la particule vocative y(4) attachée conformément aux usages de fa scriptio defectiva. Le nom Hattab ou Hitab est attesté dans les ouvrages onomastiques arabes tout comme Hattab ou Hitab". A la ligne 2, nous proposons de lire le nasab (nom du pére) b. Hagar suivi de la particule de coordination twmma (puis) qui sépare normalement deux misba mais rarement un nasab et une nisba (ethnonymes ou adjectif de relation indiquant origine géographique, ethnique ou tribale). Quoi qu’il en soit, le 10. Les seules mesures que nous possédions ont éé données (non systématiquement) par V. Ruggieri dans son bref article : Rucotert, Graffiti umayyadi (cicé n. 5). 11. M. at-Zunayr, Mu'gam asma’ al-'Arab, Mascate — Beyrouth 1991, 1/432 et 1/522. GRAFFITI ARABES DE CNIDE ET DE KOS 735 Photo I — Graffito de Cnide C1 ; expédition de 98/716-17 (photo G. Lini). Fig, 1 — Fac-similé du graffito C1 (E, Imbert). 736 FREDERIC IMBERT ductus peut également s'interpréter comme Hugr, Higr ou Hugur ¥, La nisha al-‘Ammi est attestée, tirant son origine du groupe tribal al-Amm, issu des Tamim et originaire de la région d’al-Basra en bas Irak. Ils auraient rejoint les contingents de conquéte sous le califat de ‘Umar b. al-Hattab". A noter que le personnage porte une seconde nisba, al-Sabri, encore introduite par la coordination fumma indiquant son rattachement 3 un second groupe tribal, en l'occurrence les Bani Sahr. Ce groupe, largement représenté chez les Arabes, est originaire des hauteurs du Hedjaz en Arabie et serait remonté vers la région de Kérak puis vers la Balqi’ en Jordanie (région dAmman). De la, certains se seraient installés sur la céte palestinienne du cdté de Gaza doi ils auraient rejoint les troupes de la conquéte musulmane". II semble que la derniére ligne ait été percutée par tun autre graffito inachevé; c'est une chose courante en graffitologie arabe. Ce graffito & Pécriture plus épaisse n’est constitué que d’une invocation débutant par Alldhumma (6 Dieu) suivi de quelques caractéres. De fait, cette ligne débuterait aprés le caractére haf initial, finement gravé, du mot hit(d)bi ou kit(d)bati (mon inscription ou mon écriture?) ott le caractére alif manquerait. La lecture proposée par V. Ruggieri ne rend absolument pas compte de ces éléments et s'avere difficilement intelligible. L’éément le plus intéressant demeure la mention du mot gazwa (expédition, razzia) que /’on retrouve dans un contexte trés similaire dans un graffito de Kos". Le mot qui suit ce terme demeure encore illisible : peut-étre un sin/in suivi d’un r/zay. On distingue mal les caractéres qui suivent mais le dernier pourrait tre un gimlha'/fid’ final. Test ineéressant de constater que les-deux premiéres lettres sont les méme & Kos (sin! Sin + rd'/zay) mais la fin différe clairement. Le terme qui se trouve grammaticalement en annexion avec gazwa (expédition de...) doit théoriquement étre un toponyme ou un nom propre ou de tribu comme c’est habituellement le cas dans la mention des expéditions comme celles que mena le prophéte Muhammad un siécle plus t6t : par exemple gazwat Badr (Vexpédition de Badr), gazwar bani Qurayza (\'expédition contre les Band Qurayza), etc.'*. Graffito C2 (photo 2 et fig. 2) Localisation : Cnide. Gravé sur le pavement, dans la partic supérieure d'une dalle oblongue de 97 x 67 cm. ‘feat dela graphie : trés bien conservée dans son ensemble. Le texte est amputé au niveau de 'angle supérieur gauche. Il est gravé en creux d'un trait bien marqué. Datation : dernitre décennie du 1*/v1t siécle. Publication : Rucoteri, Graffiti umayyadi (cité n, 5), p. 550, n° 2 et photo n° 3. 1) O Dieu, pardonne 3 Yazid 4 sg3d JAB! pall (Y 2) ... al-Hana8i/Habaii, l'un des compagnons de (sic) Gavel ge teed Ne (¥ 12. Zusave, Mu'gam (cité n. 10), 1/3963.A. Ibn Makiila, ALIemal fi raf al-irviyah ‘an al-mutalif tua Lmultalif min al-asmd’ wa Lkund wa Lansab, Beyrouth 1962, 2/387-393. 13. A. al-Sam'ani, Ansdb, Beyrouth 1988, 4/243; U. Kanata, Mu'gam gaba'ilal- Arab, Beyrouth 1994, 2/820-821. 14, KaHaua, Qabd'il(cité n. 13), 2/634-35. 15. CE. plus bas, graffito K1 16. lbn Hisim, al-Sira al-nabawiyya, Damas 1997, 2/169 et index. GRAFEITT ARABES DE CNIDE ET DE KOS 737 3) ‘Abd Allah, des troupes de Palestine! Gabauld Jal all te (F 4) Amen, Seigneur de Moise, Seigneur 2) ow [she Gay Gael (€ 5) d'Ismaél, Seigneur des mondes! (sic) Gyelall [1] (Sic) J}oul (0 Fig, 2 —Fac-similé du graffito C2 (F. Imbert). 738 _ FREDERIC IMBERT Ala ligne 2, la nisha peut étre lue Hana8i ou encore Habaii, Habsi et Hubs ce qui, en termes d'origine du personnage, nous laisse un large choix. Ala ligne 4, notre lecture de Masa (Moise) se fonde sur la présence dun sin suivi d’un ya rétroflexe. Par ailleurs, la formule « Seigneur de Moise [et d’Aaron]} » est assez courante en Palestine, en Jordanie ainsi que dans la Péninsule arabique aux vit et vin" siécles apr. J.-C.'*. La lecture de la formule « Seigneur d’Ism()'ll (Ismaél) », ligne 5, se fonde sur la présence d'un ductus assez lisible malgré quelques caractéres érodés en milieu de mot. La mention en arabe de ahl Filastin, textuellement « les gens de Palestine » est unique en épigraphie arabe. Il semble qu'il faille plutdt gloser le mot ah/ dans son contexte omeyyade, comme renvoyant & des Arabes installés en Palestine, des hommes des tribus arabes ayant été incorporés dans les contingents de la conquéte maritime. Graffito C3 (photo 3 et fig. 3) Localisation : Cnide. Gravé sur le pavement de I’église, prés de laurel. Le graffito occupe la partie centrale supérieure de la dalle, au-dessus et sur fa droite d’un trou carré sans doure destiné & recevoir une armature en bois. Etat de la graphie : gravure trés superficielle qui a souffert de I’érosion. Graffito inédit. Datation : detniére décennie du 1*/vi* siécle. 1) O Dieu, pardonne & ad 281 pall (0 2) Sarahil b. Rafi’ al“Akki (?) (D) Sab eds de be (F 3) des troupes de dal ge (tr 4) Palestine. Seba] (€ Ligne 2, le dernier mot est passablement érodé; nous distinguons néanmoins Particle suivi de deux caractéres puis enfin yd’ final marquant la nisba, Cette suite de caractéres pourrait ée identifige comme la nishaal“Akké que nous retrouvons dans ensemble C5 (originaite d’Acre). On pourrait rout aussi bien lire al- Maki (originaire de La Mecque). De la méme manitre, le début de la ligne 4 a souffert de l’érosion et le mot Filastin (Palestine) demeure & peine lisible. Toutefois, la bonne définition des photographies permet d'identifier au moins les trois derniers caractéres fd’ et min. Ensemble C4 (2 graffiti) (photo 4 et fig. Localisation : Cnide. Les deux graffiti sont gravés sur le pavement, dans le coin supérieur gauche dune dalle en assez mauvais état, cassée ou retaillée. 17, Ibn Makala, Zemnal (cité n, 12), 2/278, 2/385 18, He aMvamet, Study of the archaeology of the Jauf region, Riyad 1994, p. 172, n° 25% ‘A. a-Hlisin, Mubedra min al-nugié f I-Mafrag wa Ma‘an, ADA/ 50, Amman 2006, p. 26, n® 11s M. Rosen-Avaon, The early Arab period in the Negev, Jerusalem 1982, p. 6, n° 3053 M. SHARON, Corpus insripsionum Arabicarum Palaestinae. 3, Leiden 2004, p. 179, pl. 33. On trouve cette méme expression sur un pavement d’église en Palestine dans un graffto arabe sans doute ancérieur année 631682: Y. Nevo, A new Negev Arabic inscription, BSOAS 52, London 1989, p. 18-23. Fig, 3 ~ Fac-similé des graffiti C3 et C7 ale F, Imbert). 740 FREDERIC IMBERT Frat de la graphic : ces graffiti gravés & la hate ont mal résisté & 'érosion. Bien qu’assez épais, Te wait de gravure reste superficcl, surtout dans la partie inférieure gauche. Graff inédies. V, Ruggieri en donne la photographie, mais déclare ces textes ilsibles. CF, Rucctent Graff umayyadi (cité n. 5), p. 551, photo n° 5 Datation : dernidre décennie du 1*/vu" siécle Graffito 1 1) O Dieu, pardonne ... [inachevé] L]42! pall () Graffito 2 1) Que Dieu pardonne & “Umar b. ... wea(Sic) gel asd Ut ALE] (1 2) des troupes de Palestine [dau] Jal ge (¥ 3)... la mer (?) we Deh Cette lecture, vu Pétat du texte, est donnée sous toute réserve. La ligne 2 a miewx résisté a Pérosion et la mention des abl Filastin est bien lisible sur la pierre”. Quant & la gravure de la toisitme ligne, un seul mot semble encore subsister peut-érre de la racine blr évoquant, en arabe, le champ sémantique de la mer. Ensemble C5 (2 graffiti) (photo 5 et fig. 5) Localisation : Cnide. Gravé sur le pavement. La dalle porte deux graffiti dont un débure sur une autre dalle & droite portant elle-méme le graffito C6, La dalle mesure 127 x 86 cm. Etat de la graphie : 'ensemble est bien conservé du fait d’une gravure profonde ct relativement large. Date : dernigre décennie du 1*/vu" siécle. Publications ; Rucarert, Graffiti umayyadi (cité n. 5), p. 550, n° 2 et photo n° Knidos'taki bizans eserleri (cité n. 4), p. 12, photo n° 14. ; Ozcimi's, Grafito 1 1) O Dieu, pardonne & Yazid b. Sufyan (sic) gabe O2 dad ABT] eat OO 2) al-“Akki. Say Graffico 2 3) b. Misk. hase Gal (Y 2) Allah (sic) 4U (Y 1) © Dieu, pardonne a ‘Abd (Sic) sue J j5é! eal (0 19. Sur cette lecture, cf. les graffiti C2 et C3, 20. Ce texte est gravé de bas en haut, mais il respecte le sens traditionnel de I'écriture arabe GRAFFITI ARABES DE CNIDE FT DE KOS 741 Photo 4 ~ Graffito de Cnide C4 (photo G. Lini) Fig, 4 — Fac-similé du graffito C4 (F. Imbert), FREDERIC IMBERT Fig, 5 — Fac-similé des graffiti de l'ensemble C5 (FE. Imbert) GRABFITI ARABES DE CNIDE ET DE KOS 743 Ces quelques lignes sone bien lisibles malgré leur caractére fruste. Pour le graffito 2, Ie lapicide a sans doute commencé son texte dans la partie inférieure de la dalle avant de s'apercevoir qu’il n’avait pas la place nécessaire & son achévement. Ceci explique qu'il ait superposé les lignes, ou plutdt les mots, de bas en haut. La nisba al~Akkd, clairement lisible sur la dalle de droite évoque une origine de la ville cdtitre de ‘Akka (Acre, Saint-Jean- d’Acte) actuellement au nord d’Israél. Selon onomasticien al-Sam‘ani (m. 562/116) deux formes de nisba sont connues : ‘Akkawi et ‘Akki?!, Graffito CG (photo 6 et fig. 6) Localisation : Cnide. Gravé sur le pavement, sur la partie gauche de la dalle. Bat de la graphie : bien conservée. Graphie en creux et assez épaisse. Date : derniére décennie du 1*/vut' siécle. Publications : Ruccrert, Graffiti umayyadi (cité n. 5), p. 550, n° 3 et photo n° 3. Ozgimils, Knidos’taki bizans eserleri (cité n. 4), p. 12. 1) Que mon seigneur ait pitié 925 () 2) de‘Adwan 1 alas J digas (¥ 3) b. Sammak/Simak Slaw (sic) 2 4)... quil'alu @) (8) of 3 Jou (€. A la ligne 2 nous lisons le nom ‘Adwan dont le da! fait apparaitre une ts courte hampe. Le nom, bien que rare, a déja été attesté dans un graffito jordanien d’époque omeyyade”. Sil’on s’en tient la lecture du caractére ra’/zdy, des mentions de Gadwan; Gazwan sont également connues”®. Quant au nasab qui le suit-(ligne 3), il est attesté chez Ibn Makila sous deux formes : Sammak et Simak™. La lecture de la dernitre ligne nous laisse assez perplexe : le ductus est bien clair et fait apparaitre, aprés un article, un denticule puis un gim/hd'/hd’ suivi d’un Jam final. La lecture al-nag{ ferait référence & la postérité et & la descendance et d’une manidre générale & une progéniture de noble ascendance. Quant & la racine arabe bf, elle nous renvoie & l’avarice et c'est option choisie par V. Ruggieri qui propose de lire a/-bahil (avare) lecture qui ne correspond pas au ductus? En fin de ligne, deux options s‘offrent & nous : soit la lecture gara’a-hu (il Pa lu), soit, min abl [gravure inachevée] qui serait potentiellement la reprise de l’expression que nous retrouvons plusieurs fois’ Cnide : min abl Filastin. Il est impossible de trancher. 21. Sam‘ani, Ansab (cité n, 13), 4/220. 22. D. Baram«t, al-Nuqii al-arabiyya fi |-badiya al-siriyya, a/-Abhat 17 (n° 3), Beyrouth 1964, p. 332, 23. M. at-Zunavr, Sigill arma’ al-Arab, Mascate — Beyrouth 1991, 4/2074, 2081. 24, Ton Makilla, Hhmal (cité n. 12), 4/349-51 25. Dune maniére générale, les lectures proposées par V. Ruggieri et ses relecteurs sont des plus approximatives. Ainsi, les éléments constitutifs du nom du personnage ont mal été lus et se transforment cen ‘aduw (ennemi) ct ni'ma-ka (sic), sans parler du mot babi qui rend la lecture globale inconsistante. FREDERIC IMBER! Fig, 6 — Fac-similé du graffito C6 (F. Imbert) GRAFFITI ARABES DE Ct IDE ET DE KOS 745 Graffito C7 (photo 7 et fig. 7) Localisation : Cnide. Gravé sur le pavement, au-dessus du graffito C3, mais place téte-béche. Les deux lignes sont a cheval sur deux dalles, proches de laurel de l'église Frat de la graphie : écriture assez fruste et gravée superficiellement, Graffito inédit. Dace : dernigre décennie du 1°/vir sitele, 1) O Dieu, pardonne a al-Walid [b.] ... vo [og]l Ado 548! ell (1 2) al-Gadmi puis al-Gurri! Soll ob yoda (¥ Ligne 2, 'ethnonyme al-Gadmi est attesté par Sam‘ani%. Toutefois, si nous acceptons Phypothése de absence de la mater lectionis alif, chose trés courante a cette époque, nous poutrions lite al- Gumi en référence i la trbu des Bani Culam. D’aurres lectures sont encore possibles selon Ibn Makila : Hudami, Gudagi et Gudafi”. Quant a la seconde nisba al-Gurri, le méme auteur Pattes Photo 7 — Graffito de Cnide C Fig. 7 — Fac-similé du geaffito C7 (E Imbero. i, Ans (cité n. 13), 2/34. 4, Uemal (cité 1, 12), 2/271 746 FREDERIC IMBERT Lks GRAFFITI DE L'iLE DE Kos Liile grecque de Kos est située & une vingtaine de kilometres au nord-ouest de Cnide (16 miles marins) et & 90 kilométres du nord de Rhodes (environ 65 miles marins). L’ensemble des graffiti de Kos que nous présentons sont gravés sur deux colonnes provenant des vestiges de I'église Saint-Gabriel située dans la commune de Psalidi aux environs immédiats de la ville de Kos®. Graffito K1 (photo 8 et fig. 8) Localisation : Kos, localité de Psalidi. Le graffito a éé photographié, en 2006, sur une colonne des vestiges de l’église Saint-Gabriel. Erat de la graphie : la gravure est assez fine et profonde. Le texte est assez bien conservé, mais nVapparait pas en toralité sur les clichés photographiques en notre possession, I manque presque systématiquement le début des lignes. Graffito inédit. Date : 99/718-19 1) ... evils ont ... ‘Ata’ b. Sa‘d al- J dew 2 (sic) Uns ($) Igteg (V 2) ... les infidéles durant l'expédition de ... 3958 BGS phe... (Y 3) ... en Pannée 99/718-19 Gaul gud Zio. (F 4) Le secours de Dieu et la victoire qudlly alll pas (E 5) glorieuse! ... ©) plaaall G2 pubis (0 La lecture que nous proposons est trés lacunaire du fait de I’état de la graphie. Néanmoins, nous sommes en mesure de tirer de ces quelques lignes des informations fondamentales. Comme dans le graffito C1 de Cnide, il est fait mention du terme gazwa (expédition, razzia) & la ligne 2. Le contexte encore une fois est extrémement intéressant puisqu’il est précédé du pluriel muérikin (les infidéles, associationnistes), une référence évidente aux chrétiens byzantins. Malheureusement, le mot qui suie immédiatement gazwa demeute difficilement déchiffrable : un sin/in suivi d'un rd'/zay puis un denticule sur un gimlhd'lfa’ ; \e dernier caractére pourrait éte un niin final. Comme dans le graffito C1 ‘nous n’artivons pas & identifier le ductus, Nous optons pour un toponyme non encore identifié. Immédiacement aprés Ja mention de la date, nous avons, ligne 4, ce qui apparait comme une exclamation (nasr Allah wa J-fath al-‘agim) et qui n’est en fait qu’une réutilisation d'un verset coranique decontextualisé idé gaa nasr Allah wa L-fath® (lorsque viennent le secours de Dieu et la victoire). C’est la seule allusion coranique relevée & Cnide et Kos. 29. Cf. Pouvrage de 1, Batpint et M. Lavapror, Archeologia protobicantina a Kos (cité n. 7). 30. Coran, 110, 1 (sourate a/-Nasr, le secours). Photo 8 ~ Graffito K1, mentionnant expédition de 99/718-19 (photo I. Baldini) Jb Ssawy Love | 940 9 F Daud 92S pSyusro 3 aw Graffito K2 (photo 9 et fig. 9) Localisation : Kos, localité de Psalidi, Sur la colonne 1 au sein des vestiges de I’église Saint-Gabriel cx fruste mais elle est profonde ce qui lui a permis de résistet Date : dernie iva sigcle, 48 FREDERIC IMBERT 1) Que Di pirié al eos (1 2) de Mahdi b. Rabi‘ Bass gu gage (Y 3) al-Ru‘ayni puis a abl 6S ue yl (Y 4) qui fait partie des troupes dal G2 909 (E 5) d’'Iftigiyya. 423] (0 La nisba al-Ru‘ayni est attestée chez Sam‘ani et indiquerait une origine tribal nite ou Cgyptienne. La seconde aisha peut étre interprétée comme Bunani mais également Tubl ‘abbi Fig. 9 — Fac-similé du graffico K2 (E. Imbert) 31, Sam'ani, Ansab (cité n. 13), 3/76, 1/399, 1/445, GRAFFITI ARABES DE CNIDE EF DE KOS 749 Graffito K3 (photo 10 et fig. 10) Localisation : Kos, localit tac de la graphie : partie supérieure droite est Ig de Psalidi, Sur la colonne 1 dans les vestiges de léglise Saint-Gabriel ne et profonde ce qui lui a permis de résister au temps. La érement recouverte par le graffito précédant (K2). Graffito inédit. Date: muharram 98/aout-septembre 716, 1) Al-Hakam b. al-Hakam a confiance en Dieu! Gilg AUL @Soul Ge @Sadl (\ 2) En muharram de l'année 98, Le dee Guo p yreall G5 (Y 3) aotit/septembre 716. Ecrit par Ss Suess (Y 4) Mahle. glee (E Photo 10 ~ Graffito de Kos K3 daté de 98/716 (photo I. Baldini) ples dus oosel bg —ub> J yews, ~oho Fig. 10 — Fac-similé du graffito K3 (F. Imbert) 750 FREDERIC IMBER Cette profession de foi, fondée sur la racine arabe wig (référant a Valliance et la confiance), est trés commune aut Proche-Orient. Il est intéressant de constater que celle-ci est datée. Par ailleurs, la signature en fin de cexte semble avoir été rajoutée; le trait de gravure est beaucoup plus épais en moins soigné que celui des lignes qui précédent Graffito K4 (photo 11 et fig, LD. Localisation : Kos, localité de Psalidi, Sur la partie supérieure de la colonne 2 des vestiges de Véglise Saint-Gabriel. Brat de a graphie : la gravure est grossiéxe et épaisse. La partie supérieure du texte est amputée du fait de la cassure de la colonne. Graffico inédit Date : 98/716-17 ou 99/717-18 1) ... en année di Og oe ( 2)... et 90. Gratien fY De ce texte ués abimé, nous ne pouvons tirer qu'une date. De celle-ci il ne subsiste gue la mention des dizaines. En comparaison avec l'ensemble des graffiti datés de Cnide et de Kos, celu pourrait bien avoir été gravé soit en 98 soit en 99 de He Photo 11 = Graffito de Kos K4 daté (photo I. Baldini Fig, 11 — Fac-similé du graffito K4 (F. Imbert) GRAFFITI ARABES DE CNIDE ET DE KOS REMARQUES PALEOGRAPHIQUES Les graffiti de Cnide, tout comme ceux de Kos, ne sont évidemment pas l’ceuvre de lapicides professionnels. Les supports qui ont été choisis pour les gravures ne sont pas patmi les plus aisés & graver : sur le pavement de marbre de l’église comme sur les colonnes, les traits de gravure sont assez superficiels. Par endroits, au contraire, la dureté du support a exigé que les auteurs des graffiti frappent fort sur la pierre, évasant ainsi la gravure de certains caractéres arabes ou provocant une inclinaison involontaire de la ligne de base (graffiti C3, C5, K4). Sur les deux colonnes de Kos, les constatations sont similaires : sur un support aussi dur, les lapicides ont taillé leur texte par -coups; ceci reste encore bien visible sur la pierre. Toutefois, si certaines gravures apparaissent assez frustes (K2 et K4), d’autres graffiti sont passablement réussis : les graffiti C1 et K3 sont finement gravés et bien incisés; les proportions des caractéres sont respectées ainsi que Pespacement interligne. Il en va de méme de quelques gravures sur les colonnes de Kos. En definitive, il semble qu'il faille simplement distinguer les textes gravés a la hate de ceux qui bénéficigrent de toute l’attention de leur auteur. Ainsi, les graffiti C3, C4, CS et K4 sont hésitants dans leur gravure; les ruptures de niveau y sont nombreuses. En termes proprement paléographiques, les caractéres a hampe sont irréguligrement proportionnés. Le alifvatie du double au tiers par rapport au corps de certains caractéres, ce qui donne & Pensemble une apparence parfois un peu tassée (C1, C2 et K2); dans les graffiti C3 et C5, au contraire, les alifsont étirés, impression renforcée par 'absence de départ orthogonal de ce caractére. Le corps des caractéres 4 boucle est bien arrondi & instar des mim, des waw et des fi'/qaf; Les ‘ayn médians sont systématiquement de forme ouverte en V ce qui est plutdt une caractéristique des graffiti anciens qui perdura parfois jusque sous la dynastie des Omeyyades. Les Ad’ initiaux et médians prennent la forme d'une boucle A double cavité superposée et & cheval sur a ligne (mots ahl ou Allahumma en C3). Pour ce qui est des appendices, ceux des rd’/zay sont de courte amplitude et se distinguent bien de ceux des niin plus élancés. L’appendice du yd’ final se développe et se prolonge sous la ligne de base vers la droite (forme dice rétroflexe) bien visible dans les nisba al-Hanasi/Habaii et al-‘Akki (C2 et C5/1) ou al-Sabri en 98/716 (C1), al-Bunani (K2). Nos travaux paléographiques appliqués aux graffiti du 1“/vit® sigcle ont montré que ces types d’étirements apparaissaient aux alentours des années 70 de I'Hégire (vers 690). Notons que les étirements de ligatures (justification de ligne) sont absents de ces textes, sans doure du fait de la dureté des supports. En conclusion, le registre des caractéres dans son ensemble est conforme au coufique archaique omeyyade qui est utilisé dans les graffiti de méme époque au Proche-Orient. Sil’on fait abstraction du graffito de Cnide daté de 98 h et de ceux de Kos en 98 et 99 h, la paléographie ne nous permet pas de dater ces textes avec une grande précision. Il est impossible de savoir s'ils sont tous contemporains du régne de calife Sulayman (96/715 ~ 99/717) ou si certains auraient été gravés lors d’expéditions antérieures notamment celles menées par Mu‘awiya vers 52/672. Les cinquante années qui séparent les deux phases de conquéte sont assez insignifiantes en termes paléographiques. 32. F. Inert, Réflexions sur les formes de écrit & aube de I'Islam, Proceedings of the seminar for Arabian studies 42, Oxford 2012, p. 120-122. 752 FREDERIC IMBERT Lite pz RHODES DANS LE MOUVEMENT DE LA CONQUETE NAVALE Les sites de Cride et de Kos ne sone pas mentionnés directement dans les sources arabes anciennes. C’est Pile de Rhodes (Riidus en arabe), qui fut principalement citée par les géographes et historiographes musulmans : sa position stratégique & l'entrée de la mer Egée, non loin des cotes de Asie Mineure, en faisait un lieu de passage obligatoire pour les navires musulmans, C’est sans doute & partir de Rhodes que l'on avait établi des campements temporaires vers Kos et Cnide mais l'archéologie n’a pas encore mis au jour des traces d’implantation arabe sur ces sites. ‘Avant comme pendant l’époque omeyyade, les relations entre Byzance et ['Islam connurent des alternances de périodes d’affrontements et de temps de paix durant lesquels certains échanges commerciaux furent rendus possibles, privilégiant la voie maritime™, Cest dans ce contexte que les navigateurs arabes mirent les voiles vers les rivages micrasiatiques. I leur fallue néanmoins se familiariser avec Pélément marin, c'est la raison pour laquelle la flotte arabe ne s'éloigna que progressivement des cbtes syriennes : Arwad & quelques encablures de la cote au large, puis Chypre, Rhodes, Kos puis la mer de Marmara. Mu’awiya b. Aba Sufyan, gouverneur de Damas et futur premier calife de la dynastie omeyyade, réalisa rapidement tout P'intérét qu'il pouvait y avoir 4 monter tune flotte afin d’étendre les possessions musulmanes au-del& des cétes de la Syrie depuis lesquelles, selon ses propres termes, « on peut entendre les aboiements des chiens des Byzantins et le caquétement de leurs poules! »°°, L’installation des Arabes sur les cotes d'Egypte, de Syrie et de Palestine leur permit d’accéder aux chantiers navals d’Acre (Aldea), de Tyr (Sar) et de Tripoli du Liban (Tarabulus) dans lesquels Mu‘awiya fir construire une flotte. Mais cela ne fit pas des conquérants musulmans des marins : sans tradition navale et ignorant presque tout des techniques de la mer, ils furent exclusivement des soldats embarqués et confidrent la barre & des marins locaux souvent chrétiens™. Mu‘awiya demanda au calife ‘Umar b. al-Hattab, peu avant sa mort en 644, Pautorisation de procéder & une razzia maritime @azw Lbabr). Le calife le lui interdit anguant qu'il ne devait pas risquer la vie d'un musulman sur la mer”. Réitérant sa demande auprés de son successeur le calife ‘Utman, Mu’awiya fut enfin autorisé & s'embarquer®. On date de 24 ou 25 h (645-646) les premieres opérations maritimes qui prirent plucée la forme d’actes de piraterie contre les rivages micrasiatiques, Chypre et Rhodes, rendant incertaine la navigation et les communications byzantines entre Constantinople et le bassin oriental de la Méditerranée, Dans les années qui suivirent, les raids sintensifigrent et les vaisseauxx musulmans allérent plus prés encore de Constantinople. L’historiographe alTabari (m. 310/923) rapporte qu’en 32/693, Mu’awiya en personne se rendit par 33. S. Soucek, Rodos, E/?, VILL, p. 587-589. Les sources arabes attestent diverses vocalisations, Radis ou Rudas. 34, A Chypre, poste byzantin avancé face aux cétes de la Syric, siégeait un représentant chargé de négocier et de gérer le commerce avec les Arabes. Canarp, Byzance et les Arabes (cité n. 2), p. 50-51. 35. M. al-Tabari, Tarif al-rusul wa L-mulik, Le Caire s.d.y 4/259. ‘slam et la mer, Paris 2000, p. 23-26. 37. Tabati, Tarih (cité n. 35), 4/259; PLanwon, L islam et la mer (cité n. 36), p. 24-25. 38. A. Ibn A'tam al-Kafi, Kitab al-Futul, Beyrouth 1991, 2/352. ‘Utman le mit préalablement en garde : « Si tu as peur de la mer, surtout n'embarque pas car elle est extremement effrayante... ». GRAFFITI ARABES DE CNIDE ET DE KOS 753 la mer jusqu’s Constantinople”. L’tle de Chypre fut, quant & elle, occupée en 33/654 par 12000 hommes et la méme année un premier raid fut mené contre Rhodes“. Ces premiers succés furent couronnés par une victoire maritime contre un détachement de la flotte byzantine prés de Phoenix de Lycie en 34/655". Cette bataille prit le nom de « bataille des mats » (Dat al-sawati). II semble toutefois que ce soit durant la seconde phase des conquétes, entre 48/668 et 60/680, que les musulmans s’installérent durablement & Rhodes et ses environs. La chronologie du si¢ge de Constantinople, rout comme celle des expéditions qui le précédérent, est passablement floue et demande & étre reconsidérée, comme le montre M. Jankowiak & Ja lumiére de nouvelles sources, byzantines notamment®; la confrontation des sources byzantines et arabes met & jour un certain nombre de contradictions concernant les dates mais également certains événements. Aprés les épisodes de la premidre fina qui aboutirenc a l’élection de Mu‘awiya b. Abii Sul au califat en 41/661, les Arabes décidérent de poursuivre leurs conquétes maritimes vers Constantinople afin de porter un coup fatal aux Byzantins. L’année 48/668 marqua la reprise des raids durant laquelle deux flottes auraient vainement attaqué Byzance. D’ailleurs, 'année suivante, Yazid, le fils du calife, fut envoyé en personne afin de porter secours & la flotte et de mettre le siége & Constantinople : la ville résista et les troupes arabes durent renoncer dans des conditions qui nous sont mal connues’®, Cependant, c'est en 52/672 qu’ une flotte dirigée par Gunida b. Aba Umayya s’empara de I'ile de Rhodes par les armes et y installa, sur lordre du calife, des contingents de musulmans“. Selon I’historien des conquétes al-Kafi (m. 314/926), Mu‘awiya ordonna que l'on peuple Rhodes, qu’on Ia cultive et que l'on y batisse une mosquée. Pour ce faire, il fit envoyer des fonds. Yaqit al-Hamawi (m. 626/1229) raconte que I’on y faisait méme lite le Coran. Les troupes y restérent sept années sans que les Byzantins ne les attaquent®. Tabari rapporte qu’en 53, année suivante, ils construisirent ou réutilistrent un fortin (his) et érigérent des tours de guet face & la mer“, Durant la décennie suivante, les musulmans poursuivirent leurs raids en mer de Marmara (al-Halig), sur la cdte sud de l’Anatolie et jusqu’en Crete. Ils connurent 39. Plus exactement, il demeura dans le falifal-Quétantiniyya, termes généralement traduits par la mer de Marmara; selon D. M. Duntor, Baht al-Ram, EP, I, p. 320, le terme falif al-Quitantiniyya renverrait plue6t au détroit du Bosphore menant 4 la mer Noire. _ 40. La chronique historique de Théophane (le Confesseur] (m. 817) ainsi que celle de Théophile d'Edesse (m. 785) dont elle s‘inspire parfois, font largement allusion aux expéditions navales de Mu‘awiya et notamment celle lancée contre Rhodes qui aboutit & la destruction, au délabrement et finalement & la vente du célébre colosse. Sur ces chroniques, cf. R. Hoviann, Seeing Islam as others saw it, Princeton 1997, p. 642. Sut Théophane et Théophile, cf. AL. de Premane, Les fondations de Ublam, Paris 2002, p. 383-384. 41, La date de 31 est également proposée mais parait trop avancée dans le mouvement général des conquétes maritimes, cf, C. E. Boswoxts, Dhat abSawart, EP, XII, p. 221. 42, Jankowta, dans ce volume, p. 237-320. 43, Les auteurs arabes concentrévent surtout leur récit sur la mort du compagnon Abii Ayytib al-Angiti encerré sous les remparts de la ville; ils passézent globalement sous silence les fats en relation avec la fin de Pexpédition et le retour des troupes. Cf, Tabari, Tarih (cité n. 35), 5/232; Ibn ‘Abd Rabbi-hi, al-Igd al-Farid, éd. Dar al-Andalus, Beyrouth 1988, 3/356. al-Baladlri, Kitab futah al-buldén, Le Caire s.d, 1/279. i . 36), 3/3543 Y. al-Hamawi, Mu'fam al-buldan, Beyrouth s.d., 1/120. 46. Tabati, Tarih (cicé n. 35), 5/288, a 754 FREDERIC IMBERT quelques revers maritimes durant une phase de contre-offensive byzantine. Lors d'une bataille en Lycie, & l’est de Rhodes vers 52/672, le général de la flotte omeyyade, Sufyan b. ‘Awf, trouva la mort”. Le califar de Yazid, le fils de Mu‘awiya, marqua le début d'une période de tréve relative centre les musulmans ct les Byzantins : il ordonna de détruire ou de fermer le fort de Rhodes et retira les troupes de Chypre entre 60 et 64 (679-683). Dans un climat politique interne difficile et & la suite d'incursions byzantines en Palestine menées par Constantin IV, le calife ‘Abd al-Malik accepta en 66/685 de conclure un traité de paix qui fut renouvelé en 68/688 avec Justinien II, aboutissant notamment & la restitution de Chypre. Les hostilités reprirent dés l'accession au pouvoir de l’omeyyade Sulayman b. ‘Abd al-Malik au début de Pannée 96/715. Celui-ci fit de la conquéte de Constantinople un point central de son califat. En 97/715, il chargea Maslama b. ‘Abd al-Malik, son frére, de préparer une armée afin d’aller attaquer Constantinople. La flotte prit la mer en 98/716 avec ordre de faire le sidge de la ville. Les troupes s'approchérent du Bosphore, dressérent un camp @hiver qu’ils occupérent jusqu’a P’été, sans parvenir & assiéger la ville, ni méme den assurer le blocus. L’hiver 98/716-17 fat excessivement rigoureux et les conquérants musulmans subirent de graves pertes & cause de la famine et de la maladie sans que Sulayman, resté & Dabiq en Syrie, ne puisse leur venir en aide®. II semble que dés 98 h des renforts aient été envoyés dans la région : une flotte égyptienne de 400 navires et une autre venue d'Iftiqiyya constituée de 360 navires*. La encore les assauts contre la ville restérent vains. En gafar 99/ octobre 717, Maslama et ses troupes apprirent le décés du calife Sulayman°". Son successeur “Umar b. ‘Abd al-‘Aziz. (Umar Il) ordonna immédiatement a Maslama de lever le sitge de Constantinople qui érait en train de tourner au désavantage des troupes arabes et de faite rentrer ses hommes en Syrie. Le calife fit envoyer des provisions aux troupes, affamées durant le si¢ge, provisions qui furent elles-mémes détournées par les équipages chrétiens de vaisseaux venus d’Egypte. En débacle, les troupes arabes se repligrent vers l’Anatolie; une tempéte en mer de Marmara coula une partie de la flotte qui rentrait en Syrie™, En 99/718, on retira définitivement les troupes stationnées 4 Rhodes. A 80 kilométres par mer, Cnide et Kos connurent sans doute un sort semblable. 47. Janwow1ax, dans ce volume, p. 237-320; Tabati, Tarik (cité n. 35), 5/287. 48. ‘Tabasi, Tarih (cité n. 35), 5/288; Soucex, Rodos (cité n. 31), p. 587-589; A. H. pe Groot, Kubrus, EP, V, p. 30. 49. Tabari, Tarth (cité n. 35), 6/523, 530-531 ; Ya'qubi, Tarih al-Ya' gibi, Beyrouth s.d., 2/298-299. 50. Les sources arabes ne sont pas trés claires & ce sujet. Les plus anciennes ne mentionnent pas directement Pintervention de navires égypriens et ifrigiyens, ce qui représente pourtant un fait de guerre important (on évoque jusqu’s 1000 navires). L’inefficacité de cette action maritime, pour ne pas parler de déroute, a-telle poussé les historiens de 'slam a tire cet épisode? Toutefois, des sources plus tardives comme Ibn ‘Asakir (m. 571/1175) et al-Dahabt (im. 748/1348) Pattestent. Ibn ‘Asakir, Tarih madinat Dimaig, éd. Magma’ al-luga al~arabiyya, Damas s.d., 58/22; Al-Dahabi, Tarih al-Islam twa waftydt al-maiahir wa La'lam, 6d, Dar al-kitab al-arabt, Beyrouth 2005, 5/270. 51. Tabati, Tarif (cité n. 35), 6/530. 52, Bvénement assez probable si l'on se fonde sur la chronique de Théophane le Confesseur; cf. Honan, Seeing Islam as others saw it (cité n. 40), p. 653 et n. 140, GRAFFITI ARABES DE CNIDE ET DE KOS 755 DEs GRAFFITI DANS LA DETRESSE Ala lecture des graffiti de Cnide et de Kos, deux questions au moins viennent 4 esprit : quand furent-ils gravés et qui en furent les auteurs? Il est délicat de répondre & l'une des questions sans évoquer la seconde. Les auteurs des graffiti sont des Arabes musulmans, si Pon se fonde sur la constitution de leurs noms : “Umar, Yazid, al-Walid, Hattab, Hagar, ‘Abd Allah, Sufyan et, plus rares, Sarahil ou ‘Adwan. La plupart d’entre eux apposent une signature de type tribale au travers de leurs ethnonymes dont nous avons moneré qu’ils, se rattachaient généralement & des groupes «tibaux qui pour certains ont migré avec les campagnes des conquétes. Certains durent méme séjourner durablement sut la cbte et dans les ports ott ils furent enrélés; l'un des personages se nomme d’ailleurs al-‘Akki, originaire de ‘Akka, Acre. Trois d’entre eux portent une double nisba entre lesquelles se glisse la particule arabe fumma (ensuite, puis) : 4 Cnide, al-Sabri puis al-Ammi, al-Gadmi puis al-Gurti; & Kos, al-Ru‘ayni puis al-Bunani®. On sait fort peu de chose sur cette question des doubles adjectifs de relations que nous retrouvons dans les graffiti du Proche-Orient dés les premiéres heures de l’islam’. Ils renvoient probablement & des statuts de convertis origin tribale mis sous la tutelle d’autres groupes tribaux. Notons que le terme de mawla (client), ordinairement utilisé dans les graffiti du Proche-Orient, n’est pas employé dans les graffiti de la mer Egée. A la mention des groupes tribaux, vient s'ajouter celle des contingents de la conquéte au travers du terme ah/ que nous avons glosé plus haut. Il semble évoquer des contingents basés ou enrdlés en Palestine et en Iftiqiyya plutét que des « gens ou habitants », ce qui sous-tendrait une sorte de conscience d'appartenance collective & des provinces, au sein d’un Empire omeyyade toujours en expansion’. Quatre graffiti font écat d’appartenance & des contingents armés : 8 Cnide, trois personnages mentionnent en plus de leur nom leur rattachement aux troupes de Palestine, et & Kos un rattachement & celles d’Iftiqiyya®. Pour ce qui est de la Palestine, un graffito évoque un autre groupe, ashab ‘Abd Allah, les compagnons de ‘Abd Allah, personnage sans ascendance, connu par son seul ism ou prénom. Sans doute le lapicide fait-il référence & son équipage, parti avec lui des cétes palestiniennes et probablement commandé par un certain ‘Abd Allah”. En ce qui concerne la mention de abl [frigiyya, les troupes d’Ifriqiyya, il serait hitif de penser qu’elles furent envoyées de ce que nous appelons aujourd'hui la Tunisie. C’est assez tardivement que le terme d’Iétiqiyya qualifia Ia partie orientale du Maghreb qui correspond grosso modo 3 la Tunisie actuelle. Chez les historiens et géographes arabes les plus anciens, Ifriqiya renvoie & l'ensemble du Maghreb « de Egypte & Tanger »**, Les troupes qui prétérent main-forte & celles engagées dans 53. Cf. graffiti C1, C7, K2. 54. En Jordanie, sure site de Rajm al-'Abd, nous avons relevé un triple ethnonyme :«al-Sarami puis al-Murti puis encore al-Mari ». CE A. aL-Husin, Nuga ft -Mafraq wa Ma’an (cité 18), n° 10, p. 25-26. 55. Comme nous dirions aujourd'hui breton, basque ou catalan, 56. Cf. graffici C2, C3, C4 pour Filastin et K2 pour Iffiqiyya. 57. Cf. graffito C2. 58. Le géographe al-Himyari, a la fin du vu’ sitcle de I'Hégire (xu s.), décrit encore I'Iftiqiyya comme « une grande province & ouest de I'Egypte qui s'écend de Barqa jusqu’a Tanger »; M. al-Himyar, Al-Rawd al-mi‘rar ft habar al-aglar, Beyrouth 1984, p. 47. Yaqut al-Hamawi (m. 1229) donne globalement la méme étendue « les territoires qui font face & la Sicile et 3 'Espagne ». Al-Hamawi, Mu'fam (cité n. 45), 1/228. Cf. également M. Tatar, Iftikiya, EP, Il, p. 1073-1076. 756 FREDERIC IMBERT le siége de Constantinople étaient cantonnées quelque part sur les cotes du Maghreb, logiquement, plutdt & lest oit la distance entre la céte africaine et l’Asie Mineure est la plus courte. LExrEDITION SANS NOM Quoi qu’il en soit, la question du groupe se place au coeur des écrits épigraphiques de Cnide et de Kos : groupes tribaux, compagnons de voyage, troupes de conquéte palestiniennes et maghrébines. Sans doute les graffiti ne furent-ils pas gravés individu- ellement lors de passages successifs de marins arabes, mais plutét écrits lors de cantonnements intermittents de petites troupes chargées de surveiller les cdtes. Les seules dates mentionnées sur les sites (98 et 99 de I’Hégire) suggérent une chronologic trés bréve, durant la dernigre campagne omeyyade contre Constantinople et Asie Mineure lancée par le calife Sulayman. Nous ne pensons pas qu’ils puissent étre antérieurs et dater des campagnes de Mu'awiya, bien qu’en termes paléographiques, rien ne s’y oppose totalement, Les deux dates que nous venons d’évoquer correspondent par ailleurs aux heures les plus sombres de cette campagne militaire : les troupes sont affaiblies et affamées devant une Constantinople qui résiste; les renforts tardene & arriver alors que Ton vient apprendre le décés du calife Sulayman et que l'on s‘appréte & retirer des troupes de Rhodes et de ses environs. C’est durant ces longs mois d’incertitude, dans des cantonnements incertains, que ces soldats arabes laisstrent des traces de leur passage, dans lesquelles ils affichene encore un certain espoir : quelques-uns demandent & Dieu le pardon de leurs fautes et sa miséricorde, manitre indirecte de pérenniser leur nom™; un autre invoque l’aide de Dieu et la victoire contre les infidéles® ; un troisitme exprime sa confiance en Dieu. Au-del& de ces sobres priéres, ces hommes ont conscience d’étre tous engagés dans une campagne militaire qui tourne mal mais qu’ils continuent d’appeler gazwat..., une expédition qui porte pourtant un nom que les hommes de Cnide et de Kos sont maintenant les seuls 4 connaftre‘. L’historiographie arabe, quanc a elle, a choisi de ne pas nommer cette ficheuse expédition. Silles graffiti représentent des documents historiques attestant indubitablement de la présence musulmane en Méditerranée, ils n’en demeurent pas moins des écries privés et personnels au travers desquels on décéle, en filigrane, le sentiment d’isolement et d’exil ressenti par ces hommes. C'est la gurba, absence et le temps interminable que l'on passe Join des siens, sentiment si cher 4 l’auteur arabe Abii I-Farag al-Isbahani (m. 356/966). Dans un ouvrage qu’il nomme a dessein Le livre des étrangers, le Kitab al-guraba’, il rapporte une anecdote singuliére qui illustre bien notre propos : lors d'une campagne militaire menée par les Abbassides en territoire byzantin, un soldat escorta le calife al-Ma'miin (813-833) dans une église : « Je ’accompagnai, dit-il, lorsqu’il entra dans une église d’aspect étrange. Il ne cessa de s'y promener et lorsqu'il désita sortir, il me confia : les exilés en voyage, ceux dont le foyer est loin, qui sont coupés de leurs fréres ct de leurs 59. Surlastratégie de invocation, F. Iomenc, L'Islam des pierres : expression de la foi dans les graffiti arabes des premiers siécles, Revue des mondes musulman et méditerranéen 129, Aix-en-Provence 2011, p. 69. 60. CE. graffico K1. 61. Ce graffici K1 et C1. GRAFFITI ARABES DE CNIDE ET DE KOS 737 amis, lorsqu’ils entrent dans un endroit connu et contemplent un paysage superbe, se doivent d’y laisser une trace afin de bénir les pritres des autres exilés. Améne-moi donc de quoi écrire! »® ‘Annexe — Nore SpiGraPHiQue SUR LA DECOUVERTE RECENTE DE GRAFFITI ARABES MENTIONNANT LE CALIFE ‘UMAR B. AL-HATTAB (NaJRAN, ARaBIE SAOUDITE) La mission franco-saoudienne chargée de prospections épigraphiques aux alentours de Iaville de Najrin (sud de’ Arabie Saoudite) a récemment fait une découverte éronnante®. ‘Au lieu-dic al-Murakkab, 30 kilométres a 'est de Najrin, une cinquantaine de graffiti @époque islamique ont éé relevés sur des amoncellements de rochers entourant un cirque naturel, Les inscriptions appartiennent toutes au registre du coufique anguleux archaique (vit® et vin sidcles) et certaines sont paléographiquement trés abouties (procédés de justification des lignes, soulignement). Parmi ces textes épigraphiques, deux ont particulidrement attiré Partention de la mission : il s’agit de graffiti mentionnant clairement le nom de ‘Umar b. al-Hattab, compagnon du prophéte Muhammad et second calife mort en 24/644. Le premier graffito est une invocation rappelant Pattachement du personage & Dieu (‘Umar b, al-Hattab yatiq bi-Llah) et le second est une simple signature portant le méme nom et trouvée dans un éboulement naturel ayant formé une grotte. Lors des prospections de novembre 2012, le site nous est apparu comme une sorte de sanctuaire des premiers temps de Vislam : outre la mention de ‘Umar, nous avons relevé un graffito daté de 59 de I'Hégire (678-679) au cOté duquel se dresse un personnage gravé sur le rocher, grandeur nature, élevant les mains au-dessus de sa téte (position, dite de Porant). Il conviendsa d’analyser l'ensemble de ces éléments & Jeur juste valeur en les mettant sans doute en relation ; le site formant un cirque naturel, plusieurs grottes et baumes, la signature d'un des personnages les plus notables de P'islam primitif, une datation de 59/678, des représentations figurées multiples. Plus que Pinvocation en ant que telle, la signature demeure assez intrigante. Généralement, les signatures de ce type, lorsqurelles ne sont accompagnées d’aucune eulogie, titre ou invocation, one plutét tendance ’ étre considérées comme des autographes, apposées par leur auteur. S'il s'agit bien du célebre ‘Umar b. al-Hattab, compagnon et calife, il faudra nécessairement évoquer sa présence prés de Najrdn, avant ou aprés son 62. Tl grave ensuite 3 vers au-dessus de Pautel: « Puisse Dieu vous garantir un bon retour et que vous retrouiviez vite vos proches | Mon cceur ressent pour vous pitié tout autant que frayeur | j'ai écrit afin de vous soutenir; alors quand vous lirez, reconnaissez mon écriture! ». A. F. al-Isbahini, Kirab dab al-gurabd’, Beyrouth 1972, p. 23; P. Crone, S. Morex, The book of strangers, medieval Arabic graffiti on the theme of nostalgia, Princeton 1999, p. 2. 63. Prospections effectuées par M. Arbach, S, Bin Tairan, F. Imbert, Ch. Robin, etS. al-Thecb dans lecadre de la Mission archéologique Oasis d’Arabie dicigée par G. Charloux (chantiers Dirmat al-Jandal ec Najrin, CNRS, UMR 8167) et projet ANR-DFG Coranica (co-dir. par A. Neuwirth et Ch. Robin). 58 REDERIC IMBERT élection au califat, avant ou apres I'Hégire, avant ou aprés Pavenement de Pislam. Quoi quil les graffiti coufiques anciens citant ‘Umar [b. al-Lattab] sone désormais au nombre de trois en Arabie", faisant de lui une figure historique incontournable des s décennies de lislam. n soi premié Photo 12 — Graffito de Najrin. G4, A-at-Gannan, L'inscription de Zuhayr, la plus ancienne inscription arabe islamique datée de Pannée 241644-45, Arabia : reoue de sabéologie 1, 2003, p. 293-343.

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