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Québec francais Québée frangais La conversation, la discussion, le débat... et les autres Astrid Berrier Numéro 128, &¢ 2000, ‘La communication orale URL: hutpsfid.eruditorglideruditS6057a¢ ‘Aller au sommaire du numéro Ediceurts) Les Punliations Québec francals ssw 016.2052 dmprime) 19255119 (numérique) Découvrit la revue iter cet article Berrie, A. (2000) La conversation la dscusion le Aébat.. eles autres Quebec rang, (18), 39-41 Tous droits réservés © Les Pblieations Québec frangais, 2000, ‘ce docurnet ext protégé par lal sur le doit auteur. uisation des services rut (y compris a reproduction) et asujti sa pollique ‘Futlisation que vous pouver consulteren ligne. ps:faproposeruditoritrusagersipoitiquedutisstion érudit ees naps eruicorg par Astrid Berrier La conversation, la discussion, le dehat... et les autres L’exemple suivant risque de laisser plus d'un lecteur perplexe, mais rencontrer quelqu’un que Von connait dans la rue et le saluer suppose tout tn rituel, un rituel de reconnaissance. Le salut entre deux interlocuteurs A et B peut qu'un salu (A : Bonjour Bs Bonjour), un échange en paires, mais il peut aussi donner liew 8 une eourte cone versation qui est a la fois ritualisée — on esaffirme que la relation entte les deux personnes existe bel et bien — mais aussi, quoi qu’on en pense, structurée : elle Ccomporte une ouverture (les salutations et la prise de contact), le cops principal (parler dela pluie et du beau temps, ou de tour autre sujet précis — les enfants) ct une cloture, peut-étre elle-méme précédée d'une pré- cldture. A ct B peuvent également choisir de ne pas se dire bonjour, mais c'est également un type de commu nication. En effet, on signe alors implicitement : « Je veux ignores. » ot «Je n'ai pas le temps de placoter avec toi. » ou encore « Je ne te reconnais pas. », etc slawick et '6cole de Palo Alto, on NE peut pas NE PAS communiqu: lune premidre rencontre (lors d'un party, d'un repas, etc.) il faut, outte la prise de contact et les salueations, titer le terrain par des questions (Bertier, 1995) et se mettre ala recherche d'un sujet commun, ce qut peut ere rapide, selon les individius, ou trés long... et parfois sméme génant si le silence sinstalle et que Von romp le Ily a bien d'autres exemples: Malheureusement, oral et sa complenite intéressent peu, sont peu valor sé, et ne sont largement étudiés qu'en langue seconde ou érrangere, car on considere que I’éleve doie matte Pour une conversation lors te compétence. La conversation, la discussion, le débat... et les autres peuvent étre désignés sous le terme global interaction. Les frontiéres entre ces notions ne sont pas fines, et les typologies ou taxonomies sont variées (Kerbrat-Orecchioni, 1990) ‘Nous voudrions ii faire Ia synthese de diverses typologies en nous inspirant de Kerbrat-Orecchioni (1990), de Jacques (1991) et de Vion (1992). L'essai de Xefinicion qui va suivre ne se veut pas technique, mais tente de replacer les choses dans leur perspective. interaction Selon Goffman (1974), un des grands spécialistes de la (question, une inveraction verbale, gui apparcient & la classe des contacts personnels (ou des rencontres auto: contrbilées), fait entrer en ligne de compre « tout un systdme de pratiques, de con: ventions et de rigles de procé- dure quisert& orienter et 8 organiser le ‘emis. Pour Goffman, sauver la face reste Ia question mae un repas, etl faut outrela prise de contact etles salute | tions, hterleerrain | cles messages jeure de ces rencontres la face tant congue comme « I valeur sociale positive qu'une personne revendique effect vement 2 travers la ligne dlaction que les autres suppo- sent qu'elle a adoptée au cours dun contact particu. Lier ». Pour Vion (1992), Vinteraction est une « action conjointe ». Certains chercheurs emploient les termes ‘interaction » et » conversation » comme des synony. Toute interaction implique des participants, au minimum deux. Le nombre peut jouer un rile impor tant, car il peut étre plus difficile de prendre la parole a uit qu’a deux. Les participants ont un cert un rdle dans interaction. Chaque locuteur a appris et sair donc implicitement « quia le droit de parler qui cen quelles circonstances » (Andeé-Larochebouvy, 1984) et quoi dite, Selon André-Larochebouvy, il existe des interlocuteurs de plein droit, des incerlocu- tours legitimes, des interlocuteurs autorisés ou improba: bles. Avec ce dernier, le quidam rencontré par hasard done la rue, on ne dira pas ; » Salut, comment va ta mite ?» La situation joue auss un rOle iinportanc : on ne dira pas la méme chose a un ami entre deux portes, la bangue en public, ou dans l'intimité. Le jeune du se- ccondaire ne racontera pas ses frasques en camp de jour & ses amis, A ses parents ou 2 son enseignant-e (au plan da contenu, il va sans dire, mais ausst de la forme, du vocabulaire utilisé ere) de la meme manitre. Par ailleurs, dans une interaction, ily a alter: nance dans les tours de parole, car fa conversation cst un texte composé d plusicurs. Pour construire ce texte, la coopération entre les participants est néces- saire. Des auteurs se sont penchés sur ce concept de coopération, chacun a sa manitre (Flahault, 1978 5 Grice, 1979 ; Goffman, 1974). De plus, dans une f€ 2000 | wunéxo 118 | ovéaEc RANGAIS. 39 interaction, chavun a Pobligacion de parler, Pobliga- tion «écouter et Pobligation de répondte, Chacun a done des obligations et des droits (droit de ne pas tte interrompu et obligation de ne pas monopoliser, par exemple), ce qui fait de la conversation une activité égalitaire — normalement. Sion est top detache de la conversation ou pas intéressé ct si, done, on afécoute pas (entendte on ne manifeste pas de signaus d’écoute), on peut Etre rappelé 3 ordre Goffman (1973 ; 1974) a étudié ce genre d'errements cou de manguements 3 un code social. La politesse fenire aussi dans ce type de codification, celle-ct ayant é€ imposée par une cettaine classe social. Le non-verbal joue également un sole important on peut prendie la patole parle regard ov par une autre ‘mimigue et il peut étre plus facile de discuter avec son voisin imonéaiae gu'avec celui qui se trouve & Pautre cextemits d'une table de din. De meme, on peut exe mer une ide par un geste (pensons la enuduite sue mobile) ou étendte le bras vers quelqu'un qui se prepare A prendre la parole poor éviter dete intertomp. Le malentendu et Vimplicite fone partic inhetente de a communication et sont dus au non-dit qui appar tient 3 toute communication pourdes raisons d’éeone ‘mie: Ainsi Coulon (1987) tauit un extrait de dle ag empruncé 3 Garfinkel (1967), dialogue entre une femme et son mari enfin de journée, = relat inaccessible un tees», et en exparge tous les nonlits ot implicit Conversation et discussion La conversation est une activité de la vie quotidienne «qui aun rble social ts fort. Elle est le ciment des rolations entre les gens, entre amis, et elle sert 3 la « e€aetualisation des lens sockaux », La conversation ‘a.un caractere immédiat,familier, gratuit, non finalisé et éyalitaire » (Kerbrat-Orecchioni, 1990) La conversation et la discussion sont des types din. teraction qui peuvent se caraecériser par leur earactére informel. la grande différence étant que lune a.un sujet de « discussion » déterminé (3 Vavance ou a posteriori) ct précis, andis que Fautre est spontanée, ou a bitons romps. La discussion, selon Vion (1992), peut étre conyen- suelle et jouer sur fa coopération, ou conflictuelle et jouer sur la compétiivité, « Elle peut, & Pexemple de Ia conversation, étre relativement informelle ou, & exemple du débar, exiger une verbalisation des ob- jectifs ou des themes et une organisation explicite des tours de paroles. » Mais « Texpression d'une diver- gence et Vaffirmation dune competitivits » font que la discussion, selon Vion, est difference de la conversa tion. Elle » a pour objet expression de la difference ». Diot le fait qu'elle contienne, por ailleurs, une dimen sion argumentative, ct soir animée par le désir de convainere Fautre. Le débat «Crest une interaction qui se donne en spectacle » (Vion, 1992), Que on songe 2 la politique. Vion “40. usec raancas | FTE 2000 | NuéRD 118 compare le déhat 4 une compétition sportive. Selon Kerbrat-Orecchioni (1990), c'est = une discussion plus corganisée, moins informelle « of il ya un public €t un ‘modérateur. Sont déterininés 3 Vavance le theme du sa durée, le nombre de participants, et parfois Toxie des incerventions, en politique notamment. «Le débat consiste & jouer de manigre compétitive dans la cooperativité » (Vion), Pour demner une idée dle ce que Vion entend, on peut prendre Vexemple de la scene de ménage, méme si ce n'est pas un débat: celle cine peut se poursuivte que si les sux partenaires collaborent... pour exécuter I scéne de ménage, et en. ‘compétition. Par ailleurs, le debat « et le liew de tous les dan gers» (Vion), car « est une confrontation d'opinions 8 propos d'un objet particulier » (Kerbrat-Orecchioni, 1990). Mais i encore, i 'agirait de comprende que cce peur tre un jeu. André-Larochebouvy (1984) Compare toute interaction (conversation ou diseus- sion) 8 un jeu. Méme si ambiance esta joute, cela ne veut pas dire que, méme si 'on est en désaccord, Yon se quitte ennemis jurés,.. comine apres un jeu. La communteation comme jeu n'est pas & prendre au premier degré. Débat d'idées pour faite avaneer une ‘cause ne veut pas dire guerre déclatée entre individus. Les déhats sont ailleurs réglés par des codes d’hon- eur, ainsi que le précise Vion (1992). expose ‘Leexposé ne semble pas appartenir la méme catéyorie que les genres dont il vient dre fait mention, En cffet, ce n'est pas un dialogue, tant donné Pabsence interaction entre les participants. Seu, le locuteur parle =i tent le plus grand role et les autres ne sont que des récepteuts, Ceperdlant, pendant la période de questions la fin de expose, questions dont ln durée cst parfois réduite, Pauditeur peut devenit le locteur DDe plas alors que, dans la diseussion et dans le débat, i fauc convainere et utiliser des arguments, Texposé aun caractére informatif: le locuteur donne les informations que Haudiceur cherche, Le locuteur doit évidemment les ‘organiser, t ce, de fagon claire. C'est une forme d'éerit oralsg, Enfin, le destinataite est indérerming, ce aut diffrence enone Vexporé des autres genres abonlés plus haut. Pistes pédagogiques La discussion, qui est un mode priviléyié de ravail de oral en salle de classe de langue seconde, demande que Ton s'y améce. Rien n'est fixé 3 Favance dans une discus- sion « naturelle », méme pas le eujet, puisque la conver: sation i barons rempus peur & rout moment se eransfor- meren discussion sur un sujet précis (Traverso, 1996). La maniére don les participants se sslectionnent ec le moment of isle font est tout de méme laisse au hasard Le ype arguments dont is vont se servie n'est pos nom plus pré-aléterming, ni préparé SS « la discussion est un cas particulier de conver- sition » (Kerbrat-Orecchioni, 1990), est-ce Toutil ‘principal que I'on veut que nos éleves manipulent en classe et mattrisent en bout de ligne ? Nous avons deja ‘essayé de montrer (Bertier et Blart, 1996) que la discus- sion n'est peut-étre pas le meilleur moyen + de faire parler» les élévesen langue seconde en ce sens qu'elle ne les contraint pas & parler, contrairement d une activité d'écart d'informations (c'est-Aire quand deux éleves possident des informations différentes uils doivent absolument échanger pour pouvoir réaliser la ciche). De plus, les éleves risquent d’avoir fortemeat recours A leur langue maternelle dés que le professeur s'est éloigné sans compter que €e son tou- jours les mémes qui monopolisent la parole, en d'autres termes ceux qui ont une meilleure msitrise de ta langue seconde. Pour Fensecignement du frangais langue mater- nell, il n'est pas dit non plus que ce soi le meilleur moyen d'eugmenter la maitre du frangais oral des élaves (structuration du discours utilisation d'un regise tre plus soutenu). Et pourquoi ? C'est de la discussion, pas une dissertation éerive. Quand, dans un guide pésla- sogique, on peut lire « les éleves discurent », ou « les élaves et Ie profesieurdiscutent...», on a un peu cette impression que « la discussion est un cas particulier de conversation », que l'on se retrouve dans un salon de the De plus, on utilise souvent le terme de discussion ‘pour signifier que les éléves diseutent de leeuvre de Marie-Claite Blais ou d'Anne Hebert: Diseutent-ils ow sont-ilsen situation de dialogue pédagogique avec le professeur qui anime ! C'est un terme pratique pour dire ue le sujet est fixé 3 Mavance (contrairement 3 une conversation-discussion dite naturelle) Par ailleurs, on ne peut pas apprendre aux éleves qui existe que des discussions consensuelles. Si fon dis ‘ete, est qu'on nest pas accord quelque part, ne seraicce qu'un minimum, sinon i ya pls de diseus- sion. I faudaic done provoquer les désaccords et appren- dre aux éleves les gérer, mais surtout 8 ne pas en avoir peur, Exre en désaccond fait partie de la vie quotidienne. Ine fauc évidemment pas eonfordre désaccord avec agressivité, ni méme ave riglement de compte. Le bur dans une discussion estll de convaincre ? Pas ‘toujours. I peut consiter @ montrer qu’on a raison, qu'on veut remporter le morceau ou que Ton veut jouer... pour jouer. Par contre, il faucait,en classe, faire de Pexposé un usage modéré, davantage pour des raisons pédago- siques.. car un grand nombre d’éléves ne sont que des récepteuts, ce qui peut provoquer ennui (ou conduire au chahut), Celui quia ehoisi le sujet est pénérale- rent le seul incéressé par son sujet. Il ne fait énérale ment pas animation en posant des questions au groupe en face de lui. Ainsi que nous V'avons men- tionné, exposé est en grande partic un monologue, et tués souvent ue lecture (ou un texte appris par coeur), ce qui ne le dynamise pas davantage pour les récep- teurs, les autres éléves. Comme, par es temps qui courent, on parle assez souvent de surcharge cognitive, exposé en est un bon exemple pour ceux qui écou- tent ils regoivent des informations et ily en a trop a Ia fois. L'enseignane peut exiger que le vocabulaitey soit un peu pls éaboré que dans une discusion, par exem- ple, en particulier pour un article dans un journal télé visé film en vidéo (ce qui contextulise les exposé) et aque les interventions se limitene 4 tois minutes. Done, estce un hon moyen dassurer une « maitrise de Tora», comme le prétendent Dol: et Schnewsly (1998) ? Qu'or nous permette d’en douter, tout dépendane éviderment dece quilsentendent par « matrise de Voral Le deat, qui peut faite intervene plusieurs eves sur un theme donne, reste peut- re le meilleur out pour faire travailer les arguments, la stucturation dia dliseours, la prise de parole, les interruptions et. On peut, de plus, faire observer aux élaves ce qui se passe dors de debats enregstés. On pourrait ensuite tansfor- mer une partie de la classe en tribunal, comme cela se feit en langue seconde, of chaque éleve adopte un role cedéfend un point de vue. Il faudeait, par contre, pour Tobservation, ne pas choise de prétendusdebats 8 plus dle huit personnes c'est une aberration de Vémission rote de porole,L'émission présentée comme un debat lest en fai, la plupast da temps, quane série de témoi- agnoges& caraetére informa (de chacun des partic pants) ponctuée de bréves périodes de débat Conclusion Lorsque Von mentionne lenseignement de oral, on ‘veut surtout apprendte aux éléves 3 argumenter pour aque cela leur serve plus tard. Mais plurdt que de se concentrer, ver a fin du secondaire sur tel ou tel type oul, débar, exposé, ou discussion, ne vaudraitil pas ‘mieux suseiter une reflexion sur les grandes questions propres 3 la communication, en plus de celles sur la langue ! Des questions telles les reistres de langue, Vimplicite et le none, les tours de parole, la nécessaire coopération entre les pat pants lors de la construction du rexte oral, les droits et les ddevoirs de chaque participant Le débat, ql peut faire Incervant plusieurs ‘aves sucun thime donne, reste peut: bre dans une interaction, les ‘Je meilleur out pour malentendus, Ploteraction —_ talee travail es comme jeu, les regles de arguments la structo- politesse, les régles régissant —ratlondudiscours la les différentes situations de prise de parole les ‘communication ainsi que les Interruptions ete. differences (de regles dans la prise de patole, par exemple) ‘entre ces situations. On pourrait ainsi valoriser le dilo~ ‘ue, lt négociation, et apprendre 2 résouxie les coniits par Mécoute et l nésoeiation, en minimisant ainst agressive tion nescelle pas une forme de négociation ? voire la violence. En effer, toute interac + Asti berer est proesreure de cdactique A FUnivere ds Quebec Monta BraLIOGRAPHIE ‘oir bisographie gentle dase pource numdro. FE 2000 | muméno 116 | audeeC FRANGnIS 62

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