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Institutions

Quel avenir pour les Gardiens de la révolution iranienne ?


William Scott Lucas , Traduction de Marie-José Sfeir
Dans Les Cahiers de l'Orient 2016/3 (N° 123), pages 123 à 143
Éditions Centre d'études et de recherches sur le Proche-Orient
ISSN 0767-6468
ISBN 9791095992011
DOI 10.3917/lcdlo.123.0123
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__ INSTITUTIONS : L’équilibre des pouvoirs remis en cause

Quel avenir pour les Gardiens


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de la révolution iranienne ?
Par William Scott Lucas *
Traduction de Marie-José Sfeir

E
n septembre 2015, le commandant du Corps
des Gardiens de la révolution (CGR), le général
Mohammad Reza Jafari, dénonçait l’accord nucléaire
signé en juillet entre l’Iran et les puissances des 5 + 1 (États-
Unis, Grande-Bretagne, France, Allemagne, Russie et Chine) :
«  La source de préoccupation après l’accord n’est pas tant la
menace militaire ou sécuritaire, mais la croyance de certains qui
pensent que l’hostilité des États-Unis contre nous a pris fin ou a
diminué. L’inimitié de l’Arrogance mondiale [l’Ouest] n’a pas
diminué contre nous. Ses instruments ont changé vers la guerre
douce et nous devons être vigilants. Comme le Guide suprême l’a
souligné, il est du devoir des dirigeants de déclarer sans ambages
leur position révolutionnaire1 ».

1. De l’auteur, « Iran Daily : Head of Revolutionary Guards Challenges the President »,


EA WorldView, 2 septembre 2015.

* Enseignant à l’Université de Birmingham depuis 1989, Scott Lucas y est professeur


d’études américaines depuis 1997 et de politique internationale depuis 2014. Spécialiste des
politiques étrangères américaine et britannique, ses recherches couvrent également l’actualité
internationale – Afrique du Nord, Moyen-Orient et Iran –, les nouveaux médias et les services
de renseignement. Journaliste depuis 1979, le professeur Lucas est le fondateur et rédacteur en
chef de EA WorldView, site d’informations et d’analyses quotidiennes sur l’Iran, la Turquie,
la Syrie, le Moyen-Orient et la politique étrangère américaine.

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Quelques jours plus tard, le Guide suprême freinait le


commandant et ses Gardiens : «  Nous avons accepté de tenir
des pourparlers avec [les Américains] uniquement sur la question
nucléaire et pour des raisons particulières et, Dieu merci, nos
négociateurs ont fait un bon travail. » Après cette déclaration
de Khamenei, ni Jafari ni les officiels des Gardiens n’ont émis
d’autres critiques au sujet de l’accord ou de l’équipe de négo-
ciation iranienne, y compris du ministre des Affaires étran-
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gères, Mohammad Javad Zarif. L’organe de presse du CGR,
Fars News, n’a plus publié d’articles remettant l’accord en
question. Si les Gardiens n’en appréciaient pas les termes et
implications, ils ne disposaient d’aucune base pour tenir leur
position2.

Six mois après la confirmation de la mise en œuvre de


l’accord nucléaire, les rôles étaient inversés. C’était au tour du
gouvernement Rohani d’être prévenu par le Guide suprême
contre toute tentative de modérer les Gardiens : « L’Arrogance
[l’ennemi] croit que si la nation iranienne veut se débarrasser des
États-Unis, elle doit abandonner le contenu de la République
islamique et les notions islamiques, ainsi que sa sécurité. »

L’ayatollah Khamenei a couplé l’avertissement avec


la suggestion qu’il pourrait éloigner du gouvernement le
contrôle de l’économie, dans laquelle les Gardiens ont des
intérêts substantiels – alors même que le président Rohani
promet un redressement post-sanctions. Khamenei a
déclaré : « Face aux sanctions de l’ennemi, nous devrions soit
tolérer les difficultés des sanctions, soit résister par « l’économie
de résistance3 ».

Le gouvernement a renoncé à la confrontation, assurant


qu’il poursuivrait les projets économiques destinés à mettre en
œuvre ladite économie de résistance. Cependant, le général de

2. « Iran Will Never Negotiate with US on Matters Other Than Nuclear Issue : Leader »,
Press TV, 9 septembre 2015.
3. Ayatollah Ali Khamenei, « Islamic Republic Has Destroyed Enemy Trenches Inside
Iran », Khamenei. ir, 20 mars 2016.

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brigade Masoud Jazayeri, chef d’état-major adjoint de l’armée


et officier du CGR, a enfoncé le clou, mettant en évidence
la situation économique des Gardiens : « Le principal public
pour [le concept du Guide suprême de] l’économie de résistance
est le gouvernement. Les forces armées sont prêtes à jouer un rôle
important dans l’économie de la résistance et la mise en œuvre des
suggestions du Guide suprême4 ».
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Ces épisodes sont de vives illustrations de la tension qui
règne autour de la position du CGR. Cette force reste l’une
des institutions les plus puissantes de la République islamique
mais, même lorsqu’elle est soutenue par le Guide suprême,
elle fait face à ses plus grands défis politiques et économiques
depuis une génération.

Les Gardiens vont essayer de maintenir leur position à tra-


vers l’exaltation de la défense de l’Iran, à l’intérieur et dans les
conflits régionaux comme ceux de Syrie et d’Irak. Cependant,
les menaces ne proviennent pas tant des ennemis américains,
«  sionistes  » et «  terroristes takfiri  », que les Gardiens fus-
tigent de façon rhétorique et quasi quotidienne, mais bien
des investisseurs étrangers à la recherche d’opportunités post-
sanctions en Iran et, surtout, de groupes à l’intérieur du pays
qui ne sont plus convaincus que les Gardiens, voire le Guide
suprême, doivent garder une prééminence.

Ces défis sont susceptibles de se regrouper autour d’un


gouvernement Rohani qui utilisera sa responsabilité dans
l’avenir économique de l’Iran non seulement dans des pro-
grammes qui pourraient avoir une incidence sur les inté-
rêts économiques du CGR, mais aussi pour tester l’étau
des Gardiens sur les sphères politique et culturelle de la
République islamique.

4. « Minister Highlights Resolve to Pursue Resistance Economy Guidelines », Tasnim


News Agency, 21 mars 2016 ; Bozorgmehr Sharafedin, « Revolutionary Guards Look to
Play Bigger Role in Iran’s Economy », Reuters, 22 mars 2016,

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L’influence des Gardiens


Le CGR domine encore les forces militaires et de sécu-
rité iraniennes. Il compte environ 150 000 soldats dans ses
troupes, dont des unités terrestres, aériennes et navales. Il
contrôle la milice paramilitaire Basij, qui dispose d’environ
90 000 membres actifs et environ 300 000 réservistes. Sa
branche de renseignement est directement responsable de
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détentions massives, et gère ses propres quartiers dans les pri-
sons iraniennes. Il a en outre influencé le système éducatif
en faisant pression sur les membres de la faculté, en forçant
leur retraite anticipée, en plaçant leurs propres professeurs à
l’université et en contrôlant l’Organisation étudiante Basij. Il
dispose enfin d’un vaste empire médiatique allant de services
d’information à des magazines et des sites Internet.

Sur le plan politique, les Gardiens sont liés au Guide


suprême par le biais de contacts au plus haut niveau au sein
de son entourage proche – le conseiller militaire personnel
du Guide, le général Yahya Rahim Safavi, est un ancien com-
mandant du CGR. Des officiers de haut rang sont devenus
des personnalités politiques de premier plan : l’amiral Ali
Shamkhani, chef du Conseil de sécurité nationale ; Mohsen
Rezaï (ancien commandant en chef des Pasdarans pendant
seize ans, ndlr) à la tête du Conseil de discernement et
Mohammad Baqer Qalibaf, maire de Téhéran depuis 2005.
La plupart des gouverneurs provinciaux et des membres du
Cabinet du premier mandat de Mahmoud Ahmadinejad
(2005-2009) étaient des vétérans du CGR, de même que près
d’un tiers des députés de la septième législature (2004-2008)5.
Sur le plan économique, les Gardiens détiennent des

5. Parmi les analyses des Gardiens de la révolution (en anglais) : Frédéric Wehrey et
al., The Rise of the Pasdaran : Assessing the Domestic Roles of Iran’s Islamic Revolutionary
Guards Corps (Rand, 2009) ; Ali Alfoneh, Iran Unveiled : How the Revolutionary Guards
is Transforming Iran from Theocracy into Military Dictatorship (AEI Press, 2013) ; Hesam
Forozan, The Military in Post-Revolutionary Iran : The Evolution and Roles of the Revolu-
tionary Guards (Routledge, 2016) ; Bayram Sinkaya, The Revolutionary Guards in Iranian
Politics : Elites and Shifting Relations (Routledge, 2016) ; Afshon Ostovar, Vanguard of the
Imam : Religion, Politics, and Iran’s Revolutionary Guards (Oxford University Press, 2016).

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intérêts d’une valeur de plusieurs milliards de dollars dans


presque tous les secteurs. Le chiffre exact est difficile à déter-
miner, avec des estimations allant de 10 % à 33 % de l’écono-
mie iranienne liée aux fonds et filiales du CGR. Cependant,
l’étendue de la pénétration des Gardiens est manifeste par le
biais des liens avec plus de cent entreprises, avec un revenu
annuel dépassant 12 milliards de dollars dans les affaires et la
construction. Le CGR a des milliards de dollars de contrats
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dans les industries pétrolières, gazières et pétrochimiques
ainsi que les grands projets d’infrastructure, grâce à ses diffé-
rentes entreprises, dont Khatam al-Anbia Construction, qui
comprend environ 25 000 ingénieurs et employés6.

Les avoirs du CGR se sont considérablement étendus,


avec l’absence d’appels d’offre et de privatisation nominale
des entreprises d’État durant la présidence Ahmadinejad.
En septembre 2009, le gouvernement a vendu 51  % des
actions de la Société iranienne de télécommunications au
Mobin Trust Consortium, un groupe affilié au CGR, pour
7,8 milliards de dollars – la plus importante transaction
dans l’histoire de la Bourse de Téhéran. Les Gardiens pos-
sèdent 45 % du Groupe automobile Bahman et détiennent
une participation majoritaire dans la compagnie d’industrie
marine SADRA. Le CGR a également une influence dans
les bonyads, les fondations caritatives non gouvernementales
contrôlées par les plus grands clercs, comme la Fondation
de l’Opprimé et la Fondation des Martyrs et des Anciens
combattants7.

6. Parisa Hafezi et Louis Charbonneau, « Iranian Nuclear Deal Set to Make Hardline
Revolutionary Guards Richer », Reuters, 6 juillet 2015 ; Iran Pulse, « IRGC Construction
Projects Continue While Private Sector Lags », Al Monitor, 30 octobre 2014.
7. Michael Slackman, « Elite Guard in Iran Tightens Grip With Media Move », New
York Times, 8 octobre 2009 ; Benoit Faucon et Asa Fitch, « Iran’s Guards Cloud Western
Firms’ Entry After Nuclear Deal », Wall Street Journal, 21 juillet 2015 ; Julian Borger
et Robert Tait, «  The Financial Power of the Revolutionary Guards  », The Guardian,
15 février 2010.

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Succès en 2009, revers en 2013


Le rôle grandissant des Gardiens a été à la fois mis à
l’épreuve et renforcé par l’élection présidentielle contestée de
2009. Le CGR n’a pas été à l’abri des tensions causées par
les manifestations de masse, avec plusieurs officiers critiquant
leurs supérieurs quant aux mesures répressives visant à sup-
primer le Mouvement vert et les revendications en matière
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de droits et de réformes.8 Cependant, la direction du CGR
a maintenu son emprise, et la poursuite de la politique du
«  tout-sécuritaire  » de la République islamique a bénéficié
à l’organisation. Les budgets et le personnel ont augmenté
en dépit des problèmes économiques croissants de l’Iran ; le
programme nucléaire a été développé ; des initiatives telles
que l’Organisation Cyber-défense ont été lancées ; enfin la
branche des renseignements a été renforcée par davantage de
détentions et d’interrogatoires.

Paradoxalement, les Gardiens ont aussi profité des sanc-


tions américaines qui visaient les officiers et unités du CGR.
Le départ des entreprises étrangères, notamment dans le
secteur de l’énergie, a ouvert la voie de grands projets aux
branches de logistique et d’ingénierie des Gardiens. D’autres
possibilités ont surgi sur les marchés noirs et dans la contre-
bande, au point que le président Ahmadinejad – déjà en
pleine bataille politique avec le Guide suprême pour le minis-
tère du Renseignement – a publiquement dénoncé le CGR
en juillet 20119.

Une contribution supplémentaire à la position des


Gardiens est liée à la participation accrue de l’Iran dans le
conflit syrien. Alors que la stratégie politique du Guide
suprême d’un «  éveil islamique  » a cédé la place à la crise

8. De l’auteur, « WikiLeaks & Iran Special (June 2009) : Brother of Supreme Leader’s
Military Advisor “The Election Was a Political Coup” », Enduring America, 16 septembre
2011.
9. Martin Fletcher, « President Ahmadinejad Turns Against Regime’s Guard in Iran »,
The Times, 5 juillet 2011.

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du régime Assad, le CGR – qui a fourni renseignements,


logistique et conseillers militaires à Damas depuis le début
du soulèvement en mars 2011 – a pris la direction de la réor-
ganisation de l’effort de guerre contre les rebelles syriens. En
septembre 2012, le général Jafari a confirmé publiquement
que les Gardiens supervisaient la création d’une milice de
50 000 membres, les Forces de défense nationale, pour sou-
tenir l’armée syrienne débordée. La Force d’élite Al-Qods,
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l’unité des Gardiens consacrée aux opérations spéciales, et
son chef, le général Qassem Soleimani, sont ainsi sortis de
l’ombre pour commencer à assumer le rôle de service de rela-
tions publiques du régime, apportant leur soutien pour une
mission « consultative 10 ».

Les Gardiens étaient non seulement fermement implantés


dans le système iranien mais, en coopération avec le cabinet
du Guide suprême, frôlaient la domination. C’est alors qu’ils
ont subi un choc inattendu : l’élection du président centriste
Hassan Rohani, contre toute attente, en 2013.

Les éléments conservateurs du régime étaient censés ren-


forcer leur emprise avec le remplacement d’Ahmadinejad,
devenu gênant dans ses affrontements avec d’autres groupes
comme le CGR et même le Guide suprême, par un successeur
issu de leurs rangs. Le Conseil des Gardiens a tenté de bloquer
toute menace en disqualifiant l’ancien président Hachemi
Rafsandjani, évincé en marge de la politique depuis qu’il avait
soutenu le droit de manifester en 2009.

Cependant, la stratégie conservatrice s’est effondrée


lorsque trois présidents potentiels ont commencé à se disputer
entre eux, refusant de s’unir derrière un seul candidat. Malgré
les rumeurs selon lesquelles les Gardiens avaient bloqué sa
candidature, Rohani a été approuvé, comme une sorte de
consolation après l’interdiction de son mentor Rafsandjani.

10. De l’auteur, « Syria & Iran Follow-Up : The Real Story of “Syria’s Iran-Hezbollah
50,000-Man Militia” in 3 Easy Steps », EA WorldView, 12 février 2013.

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Plus important encore, il a surpris l’establishment iranien en


remportant une majorité de voix au premier tour. La vague
de soutien pour Rohani a dissuadé les plus hauts niveaux du
régime de manipuler le résultat ; au lieu de cela, le bureau
du Guide suprême a seulement obtenu la promesse que les
partisans de Rohani n’invoqueraient pas l’esprit de 2009 en
célébrant le résultat.
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Bien que Rohani ait été un serviteur de longue date du
régime, de son mandat parlementaire à ses seize ans en tant que
secrétaire du Conseil national de sécurité, son ascension a rendu
l’avenir moins prévisible pour les Gardiens. Ahmadinejad pou-
vait être d’humeur versatile, mettant même en scène un boycott
de son bureau pendant onze jours, mais il était incapable d’agir
avec succès contre les intérêts du CGR en dépit de ses sorties
contre leurs activités économiques. Le nouveau président pro-
mettait de libérer les prisonniers politiques – peut-être même
les dirigeants de l’opposition au moment des élections de
2009 – et de relancer les négociations nucléaires, en partie pour
conjurer la menace sur l’économie iranienne.

Face à un règlement nucléaire


Les Gardiens ont accepté d’honorer l’engagement de
Rohani quant à la libération des détenus. Certains hommes
politiques, avocats et journalistes ont été relâchés en octobre
2013 ; cependant, leur libération était subordonnée à un enga-
gement à renoncer à leurs activités professionnelles, les margi-
nalisant ainsi au sein du système iranien. Malgré cela, certains
des prisonniers ont été arrêtés à nouveau, notamment dans une
opération de répression du CGR à l’automne 201511.

Cependant, les Gardiens ne pouvaient bloquer le lien éta-


bli par Rohani entre les questions nucléaires et économiques.
En septembre 2013, le président approcha le Guide suprême

11. Ibid., «  Iran Daily, Nov 10 : Divide Within Regime Grows Over Crackdown by
Revolutionary Guards », EA WorldView, 10 novembre 2015.

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muni d’un épais dossier exposant la situation. Il déclara de but


en blanc à l’ayatollah Khamenei que, si les discussions avec les
puissances 5 + 1 n’étaient pas renouvelées, la République isla-
mique risquait l’effondrement12.

En quelques jours, le dossier nucléaire fut retiré des mains


du Secrétaire du Conseil national de sécurité, où Saeed Jalili,
partisan de la manière forte, avait supervisé les négociations
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de 2007 à 2013, et confié au ministre des Affaires étrangères
Mohammad Javad Zarif, un défenseur de «  l’engagement  »
de Rohani, ayant fait ses études aux États-Unis et ayant
travaillé avec les Américains pendant qu’il était en poste à
l’ONU de 2002 à 2007. Le Guide suprême approuva par la
suite les discussions, en introduisant la notion de « flexibilité
héroïque », tandis que Rohani et Zarif rencontraient des res-
ponsables occidentaux à New York à la réunion annuelle de
l’Assemblée générale des Nations unies13.

Fin novembre 2013, Zarif avait établi un accord intéri-


maire avec les puissances 5 + 1. Bien que les jusque-boutistes
en Iran et aux États-Unis contestèrent la conclusion de l’ac-
cord, ce dernier fut finalement signé en juillet 2015. Six mois
plus tard, la confirmation de la mise en œuvre de l’accord
entraîna la levée des sanctions américaines et européennes, y
compris dans les secteurs financiers et énergétiques.

Les dilemmes du CGR


Le début de l’ère post-sanctions pose un défi aux Gardiens.
La résurrection des secteurs clés de l’économie iranienne
repose sur l’investissement étranger et les liens commerciaux.
Cependant, des aménagements réussis pourraient empiéter
sur la position privilégiée que le CGR a mise en place dans les
secteurs clés au cours de la dernière décennie.

12. Ibid., « Iran Celebrates Historic Nuclear Deal – All Eyes Now on Supreme Leader »,
The Conversation, 3 avril 2015.
13. Arash Karami, « Ayatollah Khamenei’s “Heroic Flexibility” », Al Monitor, 19 sep-
tembre 2013.

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Les négociations ont été ouvertes par Rohani le 16 sep-


tembre 2013, juste après avoir averti le Guide suprême que
les pourparlers avec l’Occident étaient essentiels pour éviter
l’effondrement économique. Le président avait prudem-
ment averti les Gardiens de rester en dehors de la sphère
politique : «  Le CGR est au-dessus et au-delà des courants
politiques, et non pas à côté d’eux ou en leur sein. Il a un
statut plus élevé, qui est celui de toute la nation ». Cependant,
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dans un accord apparent pour faire accepter aux Gardiens
les négociations nucléaires, le président a concédé l’impor-
tance des intérêts économiques du CGR, louant l’efficacité
de leur institution dans les infrastructures et l’ingénierie :
« Aujourd›hui, notre économie étant une cible [des sanctions],
le CGR doit entrer en action et entreprendre trois ou quatre
grands projets nationaux. »

Toutefois, avec l’accord nucléaire aujourd’hui confirmé, il


n’y a aucune garantie que Rohani demeure accepté. Inquiets
d’un changement de gouvernement, les ultra conservateurs
ont tenté de contenir le ministre du Pétrole Bijan Namdar
Zanganeh, qui avait entretenu des contrats avec des entre-
prises occidentales pendant qu’il était en poste de 1997 à
2005, et ont même évoqué sa destitution pour des infractions
non spécifiées.

Même si cette menace s’est éloignée, les critiques de


Zanganeh ont continué à lui reprocher ses contrats avec
des sociétés étrangères. Alors que l’Iran a récupéré une par-
tie de la perte des exportations – bien que toujours en deçà
du niveau de 2,2 millions de barils par jour de 2012 – le
ministre du Pétrole a été incapable de confirmer de nouveaux
investissements. Les partisans des Gardiens ont refusé d’enté-
riner des contrats avec des entreprises étrangères, prétendu-
ment sur la base de l’article 44 de la Constitution iranienne,
mais plus probablement pour défendre la part du CGR dans
cette industrie. Seyed Mehdi Hosseini, le chef du comité de
rédaction [de l’accord], a déclaré que la branche des Gardiens
Khatam al-Anbia devait continuer à être impliquée, comme

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les Basij l’ont manifesté devant le ministère du Pétrole en


scandant : « Rendez-nous nos contrats14 ».

Pendant ce temps, le spectre des châtiments demeure


toujours présent. Un dirigeant de l’industrie pétrolière de
nationalité irano-américaine, Siamak Namazi, a été arrêté en
octobre 2015. Bien que quatre autres Irano-Américains aient
été libérés dans la foulée de la confirmation de la mise en
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œuvre de l’accord nucléaire en janvier, Namazi est resté der-
rière les barreaux. Son père, un ancien employé de l’UNICEF
de 80 ans, a également été arrêté en février15.

Le sort des autres intérêts des Gardiens est toujours incer-


tain. Le CGR a subi une réduction de 20 % de son finance-
ment dans le budget proposé pour 2016-2017, bien que le
soutien à la milice Basij doive augmenter de 5 %.

Le gouvernement Rohani soumet actuellement un plan


quinquennal de développement (2016-2020) qui promet un
changement par rapport à la gestion des années Ahmadinejad,
jugée mauvaise, notamment en ce qui concerne l’étendue
des projets alloués aux Gardiens. Le président Rohani et ses
conseillers ont indiqué que plusieurs projets d’infrastructure
seraient confiés au secteur privé, éventuellement en les arra-
chant aux entreprises appartenant au CGR. Il reste également
à voir si les Gardiens sont impliqués dans l’enquête sur la
disparition d’une grande partie des 650 milliards de dollars de
revenus pétroliers iraniens entre 2005 et 2013, un épisode qui
a déjà conduit à des condamnations à mort, parmi lesquelles
celle du multimilliardaire Babak Zanjani16.

14. Golnar Motevalli, « Iran Cancels London Summit for New Oil Deals », Bloomberg,
30 janvier 2016.
15. Reza Haghighatnejad, « The Guards : Namazi Arrest is part of Anti-Infiltration Op-
eration », IranWire, 26 février 2016.
16. Thomas Erdbrink, « Sanctions Eased, Iran Sends Black Market a Strategic Warn-
ing », New York Times, 19 mars 2016.

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Les Cahiers de l’Orient nº 123 - Été 2016____________________

Aussi grave que les problèmes économiques puissent être,


le CGR peut voir une opposition encore plus sérieuse dans
la politique gouvernementale envers le système même de
la République islamique. Rohani a évité une confrontation
directe avec les Gardiens, mais s’en est pris à d’autres factions
et institutions au sein du régime : il a réprimandé les clercs sur
leur invocation du « fouet céleste » pour restreindre l’espace
politique et social ; dans la période précédant les élections de
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février, il a critiqué le contrôle des candidats par le Conseil
des Gardiens. Dans le même temps, Rafsanjani, le mentor de
Rohani, a proposé qu’un Conseil de dirigeants remplace le
Guide suprême après la mort de l’ayatollah Khamenei17.

Les Gardiens étaient assez inquiets pour rejoindre les ultra


conservateurs, et accuser avec eux les réformistes et les cen-
tristes, parmi lesquels Rafsanjani, de faire partie d’un complot
de l’étranger visant à saper la République islamique. Jafari
proclama une «  quatrième sédition  », après la guerre Iran-
Irak dans les années 1980, les manifestations de Téhéran en
1999 et les marches de protestation de masse suite à l’élection
présidentielle contestée en 2009. Le Guide suprême offrit son
soutien, sans nommer spécifiquement l’un des suspects, en
proclamant que « l’infiltration… mentale, culturelle et poli-
tique » était un danger encore plus grand que les questions
économiques ou des menaces sécuritaires. Le Conseil des
Gardiens tenta d’émousser toute perspective centriste-réfor-
miste en disqualifiant des milliers de candidats – dont tous les
réformistes sauf 90 d’entre eux – au Parlement et à l’Assem-
blée des experts, où siègent les 88 clercs qui choisissent le
Guide suprême18.

17. De l’auteur, « Iran : Rouhani Hits Back at “Delusional” Hardliners Over “Heaven’s
Whip” », EA WorldView, 1er juin 2014 ; Arash Bahmani, « Rafsanjani Talks of “Commit-
tee to Elect Leader” », Rooz Online, 14 décembre 2015.
18. Arash Karami, « IRGC Head Warns of “Sedition” Post-Nuclear Deal », Al-Monitor,
2 novembre 2015 ; « Supreme Leader Meets Basij Commanders », Khamenei. ir,
25 novembre 2015.

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______ INSTITUTIONS : L’avenir des Gardiens de la révolution

Pourtant, comme lors de l’élection présidentielle de 2013,


les factions du régime ont mal fait leurs calculs. Les centristes
et réformistes restants formèrent une Liste commune de l’Es-
poir pour tirer le meilleur parti de leurs candidats approuvés,
et l’ancien président Mohammad Khatami – malgré l’interdit
décrété sur son image ou des citations de ses propos dans les
médias iraniens – diffusa un message vidéo qui a aidé à mobi-
liser les électeurs.
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À Téhéran, la Liste de l’Espoir captura la totalité des trente
sièges parlementaires, le chef du bloc conservateur, Gholam
Ali Haddad Adel – un ancien président du Parlement et
membre du cercle intérieur du Guide suprême – étant relé-
gué à la 31e place. Sur les seize clercs victorieux à l’Assemblée,
quinze étaient soutenus par l’alliance centriste-réformiste ;
l’actuel président de l’Assemblée, l’ayatollah Mohammad
Yazdi, perdit son siège et le chef du Conseil des Gardiens,
l’ayatollah Ahmad Jannati, survécut de justesse à la 16e place.

Les conservateurs ont conservé une certaine pluralité dans


le Majlis en raison des résultats en dehors de Téhéran, et –
dans l’attente de la réconciliation entre députés indépendants
et vainqueurs de l’élection finale en avril – peuvent encore
détenir la majorité. Cependant, le succès centriste-réformiste
n’a pas seulement assuré une minorité importante derrière le
gouvernement Rohani ; elle a aussi émis un puissant message :
malgré la stricte intervention du Conseil des Gardiens – et
donc du Guide suprême – ils ont mobilisé le soutien de de
nombreux Iraniens qui réclamaient un exutoire pour leurs
espoirs refoulés en 200919.

Le président Rohani et son prédécesseur Rafsanjani ont


rapidement tiré parti des soutiens manifestés. Le chef de
l’État a contesté le pouvoir judiciaire à propos de l’interdic-
tion de citation et de photos de son prédécesseur réformateur

19. De l’auteur, « Iran Daily, March 1 : A “Victory for All” in the Elections », EA Worl-
dView, 1er mars 2016.

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Les Cahiers de l’Orient nº 123 - Été 2016____________________

Mohammad Khatami, que Rohani a appelé « mon cher frère »


tandis que la foule scandait son nom. Rafsandjani a pour sa
part critiqué le Conseil des Gardiens et a salué le peuple ira-
nien pour avoir bravé les disqualifications20.

Loin d’être une directe remise en question du CGR et de sa


position au sein de l’establishment iranien, ce pourrait toutefois
représenter un premier coup pour saper les bases de l’influence
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des Gardiens. Le défi que Rohani a lancé au pouvoir judiciaire
pourrait être le début d’une campagne visant à limiter le har-
cèlement par le CGR de ceux qu’il juge indésirables, sinon à
libérer des prisonniers politiques connus. Si Rafsanjani peut
reprendre la présidence de l’Assemblée, alors la proposition
d’un Conseil à durée déterminée pourrait préoccuper le Guide
suprême, même si elle ne redéfinit pas directement son rôle.

D’ici là, le gouvernement Rohani mettra en avant ses


plans économiques quinquennaux. Bien que le Parlement
puisse poser un obstacle à leur approbation immédiate, il est
peu probable que soit présentée l’alternative d’une « écono-
mie de résistance » favorable aux Gardiens. Ainsi ces derniers
encourent-ils la perspective d’un gouvernement qui cherchera
à limiter leur influence et leurs avoirs. Ils sont également tou-
jours confrontés à un gouvernement américain qui détient le
pouvoir d’éliminer certaines entités du CGR de la liste noire
de ses sanctions, tout en maintenant ses restrictions sur les
autres, au nom du soutien iranien au terrorisme ou de son
programme de missiles balistiques.

Une solution étrangère


Les Gardiens rencontrent par ailleurs des difficultés dans
leurs relations publiques avec le gouvernement : dans la culture
politique de la République islamique, sinon dans son système
formel, le CGR est restreint par l’injonction de feu l’ayatollah

20. Ibid., « Iran Daily, March 9 : Boosted by Elections, Rafsanjani Challenges Guardian
Council », EA WorldView, 9 mars 2016.

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______ INSTITUTIONS : L’avenir des Gardiens de la révolution

Khomeini contre une « ingérence directe dans les affaires du


gouvernement ». Bien que cette restriction puisse être « large-
ment théorique » dans la pratique21, dans le discours public en
revanche, les opinions des Gardiens doivent être soigneuse-
ment définies ou, mieux encore, laissées à d›autres situés hors
des branches militaires.

Cependant, ces acteurs ont maintenant leurs propres pro-


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blèmes. Les députés ultra conservateurs ont été mis à l’écart
par le résultat électoral inattendu. Le pouvoir judiciaire est
confronté à un président de plus en plus sûr de lui, qui peut
ne pas se plier aux complaisances. Même le Guide suprême
trouve que ses ordres et l’écho qu’il a donné aux menaces de
« sédition » des Gardiens ne sont pas forcément acceptés.

Le CGR compte donc sur le pare-feu de la « sécurité ». Son


réseau, composé de troupes régulières, de services de rensei-
gnement et de la milice Basij, est complété par la ligne rhéto-
rique de la nécessité qu’il représente à une époque de menaces
sur tout le Moyen-Orient.

Les proclamations des Gardiens quant à leur force et aux


ennemis – perfides, sinon inférieurs – de l’Iran, sont loin
d’être nouvelles. Mais depuis l’automne dernier, les annonces
de tests de missiles balistiques ont dû être faites par le CGR
dans le cadre de sa résignation réticente à l’accord nucléaire. Il
a dû trouver un équilibre entre la saisie des marins américains
aventurés dans les eaux iraniennes et la nécessité de confirmer
la mise en œuvre de l’accord. De plus, ces derniers mois, les
déclarations ont été étalonnées pour répondre à la fois aux exi-
gences et aux perspectives des interventions de la République
islamique en Irak et en Syrie.

Le rôle du CGR fut significatif en Irak lorsque l’État isla-


mique, ayant déjà saisi le territoire à l›ouest, balaya le pays
en juin 2014, prenant des villes comme Mossoul et Tikrit

21. Communication d’Ali Ansari à l’auteur, 22 mars 2016.

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Les Cahiers de l’Orient nº 123 - Été 2016____________________

et avançant sur Bagdad. Les Gardiens envoyèrent officiers


– notamment le chef de la force d’élite Al-Qods, le général
Qassem Soleimani –, troupes, armes et véhicules blindés
pour consolider les défenses irakiennes. Après avoir atténué
la menace immédiate, les officiers du CGR ont joué un rôle
important dans la direction de la milice chiite pour accompa-
gner l’armée irakienne dans sa reconquête du territoire, dont
Tikrit et Ramadi, dans l’ouest de l’Irak.
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Cependant, même la première ligne iranienne en Irak
a été dépassée par la crise en Syrie. L’aide essentielle des
Gardiens au régime Assad – conseil militaire, logistique,
renseignements, aide à la reconstruction, création de la
milice des Forces de défense nationale et mobilisation du
Hezbollah libanais – a été élargie en juillet 2015. Avec le
régime et l’armée syriens sur le point de tomber après un sur-
saut rebelle dans une grande partie du pays, le commandant
de la force Al-Qods, Soleimani, a rencontré des dirigeants
russes à Moscou pour discuter d’une intervention militaire à
grande échelle. Dès le 30 septembre, les Russes ont entrepris
des milliers de missions de bombardement, tandis que les
Iraniens fournissaient officiers, troupes et milices étrangères
au cours de cinq offensives terrestres contre les rebelles et
une contre l’État islamique22.

Ces opérations constituent un paradoxe pour les Gardiens.


D’une part, leur rôle « consultatif » en Syrie peut représenter
une vaillante défense des sanctuaires musulmans chiites et
une campagne contre les «  terroristes takfiri  » [musulmans
sunnites salafistes, ndlr]. D’autre part, ils ne peuvent dissimu-
ler les victimes loin des sanctuaires. Le 7 octobre, le comman-
dant général des forces iraniennes en Syrie, le général Hossein
Hamedani, fut tué par une bombe en bordure de route, près
d’Alep. Au cours des cinq mois suivants, les médias iraniens
confirmèrent la mort de dix autres officiers et de plus de deux

22. De l’auteur, « Why Putin Gambled on Airstrikes in Syria – and What Might Come
Next », The Conversation, 1er octobre 2015.

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______ INSTITUTIONS : L’avenir des Gardiens de la révolution

cents soldats, ainsi que d’un nombre inconnu mais considé-


rable de miliciens irakiens, afghans et pakistanais23.

Les opérations syriennes coïncidant avec les campagnes


électorales, le régime a opté au plus haut niveau pour une
stratégie basée sur le «  martyre  ». Dans une série d’appari-
tions publiques aux côtés des familles des combattants tués, le
Guide suprême a salué les Gardiens ainsi que d’autres forces
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iraniennes. Le commandant de la Force Al-Qods, Soleimani,
a déclaré : « Le takfirisme est un incendie dans les foyers de nos
frères sunnites. Et ceux qui l’ont créé ont pensé qu’ils pourraient…
[l’utiliser pour] mettre la République islamique et [l’islam] chiite
à genoux24 ».

Cette approche a poussé le président Rohani à adopter ce


qui a été sa plus forte approbation de l’intervention iranienne.
Ayant mis l’accent sur une résolution diplomatique du conflit
depuis sa prise de fonctions en août 2013, le ton de Rohani
a changé après les élections. Le Jour des Martyrs, il affirmait :
« La question n’est pas de savoir si [l’ennemi] est basé en Irak,
en Syrie ou dans d’autres pays… Les martyrs nous ont appris à
protéger les musulmans voisins et les lieux saints chaque fois qu’ils
sont en danger25 ».

Mais les hommages aux Gardiens et à leurs martyrs peuvent


ne pas suffire à préserver la position du CGR. Des signes
indiquent que l’appareil de l’organisation est sous pression,
cette dernière comptant sur les agents retraités volontaires pour
aller sur le champ de bataille syrien, et fournissant aux troupes
à peine quelques semaines de formation de base avant leur
déploiement. Le retrait par la Russie de « la plupart de » ses
forces, annoncé le 14 mars, pourrait faire peser d’autres exi-
gences sur les Gardiens pour soutenir le régime Assad.

23. « Iranian Casualties in Syria Megathread », Reddit Iran Politics.


24. « Iran Defends All Muslims Against Daesh : Soleimani », Press TV, 13 mars 2016.
25. « Iran to Protect All Muslim Holy Shrines : Rouhani », Press TV, 12 mars 2016.

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Les Cahiers de l’Orient nº 123 - Été 2016____________________

Tout en s’étant eux-mêmes couverts en adhérant aux opéra-


tions au-delà des frontières, Rohani et Rafsanjani ont soigneu-
sement mais clairement intensifié leur opposition aux Gardiens
et à leurs alliés, Rohani critiquant l’interdiction judiciaire
visant la couverture médiatique de l’ancien président Khatami,
et Rafsandjani le Conseil des Gardiens. Les factions du régime,
dont le Guide suprême, craignent que le bloc centriste-réfor-
miste ne cherche à remplacer le Guide par un Conseil à durée
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de mandat déterminée après la mort de l’ayatollah Khamenei.

Un tel changement pourrait exposer les Gardiens, qui ont


toujours dépendu de la protection du Guide suprême, à un exa-
men plus approfondi. Ainsi, alors qu’ils sont restés silencieux
sur cette question spécifique, Khamenei et le chef des prières
du vendredi ont mis en garde contre toute ébauche d’un tel
projet. Les ultras et les conservateurs, en dépit de leur position
affaiblie, bloqueront probablement la tentative de Rafsandjani
de regagner la présidence de l’Assemblée des Experts.

Une institution inébranlable ou en difficulté ?


Après près de quatre décennies, les Gardiens de la Révolution
sont implantés au cœur du système de la République islamique.
Leur position militaire d’élite s’ajoute à leurs intérêts écono-
miques en constante expansion, à leurs réseaux de renseigne-
ment et de sécurité, ainsi qu’à leurs relations politiques.

Même avant les manifestations de masse de 2009, les ana-


lystes américains suggéraient que « l’expansion et de la primauté
du CGR comme un acteur politico-économique n’[était] pas
incontestée  », car «  il y a[vait] des limites inhérentes à toute
symbiose se produisant entre les élites civiles et les entreprises
économiques dirigées par des militaires, en particulier lorsque
ces activités financières sont perçues comme portant atteinte
aux intérêts supérieurs de sécurité nationale de l’État 26 ».

26. Wehrey et. al., The Rise of the Pasdaran : Assessing the Domestic Roles of Iran’s Islamic
Revolutionary Guards Corps.

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______ INSTITUTIONS : L’avenir des Gardiens de la révolution

Toutefois, cette perspective est restée théorique après


2009 car, dans la politique du « tout-sécuritaire » qui a brisé
les manifestations, les Gardiens ont pu maintenir leur rôle
essentiel dans la défense du territoire. Dans le même temps,
l’accent mis sur la répression de la « sédition » ainsi que les
sanctions et le conflit en cours sur le programme nucléaire
iranien a empêché le gouvernement Ahmadinejad – en proie
à ses propres problèmes de gestion et de la corruption – d’éta-
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blir une approche efficace de l’économie.

Six ans plus tard, sous un gouvernement différent, et les


mises en garde contre la « sédition » ayant du mal à rallier les
Iraniens, les Gardiens se trouvent devant un obstacle. S’ils
détiennent des pans importants de l’économie iranienne, ils
ne peuvent pour autant la contrôler.

C’est cette autorité qui procure un effet de levier au gou-


vernement Rohani. À moins que le Guide suprême ne veuille
assumer la responsabilité directe de l’économie – et donc le
blâme si elle continue à souffrir – il doit laisser au président et
à ses conseillers assez d’espace pour agir. Alors que l’ayatollah
Khamenei s’est préparé à ce scénario avec son appel à une
« économie de résistance » en 2012, son cabinet n’en a pris en
charge ni la planification ni la mise en œuvre. Cette respon-
sabilité économique a été utilisée par le président pour tester
sa latitude politique face à des éléments du régime comme les
Gardiens.

Mais son autorité est loin d’être suffisante pour per-


mettre à Rohani de tenir les promesses flamboyantes de sa
campagne de 2013, comme la libération des prisonniers
politiques. Les dirigeants du Mouvement vert – les candi-
dats à la présidence de 2009 Mir Hossein Mousavi et Mehdi
Karroubi, ainsi que l’épouse de Moussavi, l’universitaire,
activiste et artiste Zahra Rahnavard – sont en résidence
surveillée depuis février 2011. Alors que certains détenus
ont été libérés depuis l’automne 2013, les Gardiens ont mis
davantage de militants, d’avocats et d’artistes derrière les

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Les Cahiers de l’Orient nº 123 - Été 2016____________________

barreaux, en particulier au cours de la répression qu’ils ont


menée depuis septembre dernier.

Toutefois, le président a tenté de rénover cet exercice du


pouvoir et d’ouvrir progressivement les sphères politiques
et sociales. L’an dernier, il a fustigé les clercs et les services
de sécurité qui réclamaient de réguler l›espace social. À l’au-
tomne, il a contesté le contrôle du Conseil des Gardiens sur
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les candidats. Deux semaines après les élections, il s’en est pris
à la logique des conservateurs et des ultras : « À quoi sert de
dire que je suis un révolutionnaire ?… Pourquoi ne recherchons-
nous pas le bien-être des gens et la gloire de notre pays ?27 »

Les Gardiens et leurs alliés avaient réprimé une autre ten-


tative d’opposition présidentielle il y a plus d’une décennie.
Bien que Mohammad Khatami était au pouvoir de 1997
à 2005, il a été freiné tout au long de ses deux mandats et
presque privé de pouvoir dans les deux dernières années. Mais
Rohani n’est pas Khatami et l’Iran de 2016 n’est pas l’Iran de
2003, année où les conservateurs se sont fermement empa-
rés du Parlement. Khatami ne pouvait appuyer son autorité
sur le prétexte de la crise économique, et il n’a pas disposé
d’alliés tels que l’ancien président Rafsandjani ou un bloc
« centriste ».

Peut-être plus important encore, la culture politique ira-


nienne se fonde maintenant sur l’expérience des élections
présidentielles contestées de 2009 et des manifestations de
masse qui ont suivi. Bien que ce mouvement ait finalement
été réprimé par le Guide suprême et les services de sécurité,
dont les Gardiens, les causes de la protestation n’ont pas été
dissipées. Beaucoup d’Iraniens ont encore une soif de réformes
et de droits, soif qui a porté en partie le succès centriste-réfor-
miste, malgré la tentative de limiter les élections de février.

27. Bozorgmehr Sharafedin, « Iran’s Rouhani Criticises ‘Revolutionary’ Opponents as


Rift Widens », Reuters, 12 mars 2016.

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______ INSTITUTIONS : L’avenir des Gardiens de la révolution

Répondre à cette demande de transparence pourrait être


la tâche la plus importante qui échouera aux Gardiens. Dans
son domaine officiel, la sécurité, l’organisation peut reven-
diquer d’être au service aux Iraniens à travers la défense du
territoire et les campagnes régionales. Il est plus difficile d’éta-
blir la même justification pour les activités économiques du
CGR et ses interventions politiques.
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Dans l’avenir proche, l’équilibre du pouvoir pourrait être
affecté par des événements intérieurs et extérieurs au pays.
Un revers en Syrie, ou même une guerre d’usure prolongée
pour les troupes iraniennes, pourraient stimuler le méconten-
tement envers le CGR, tandis que la place de Rohani et ses
alliés pourrait être renforcée ou affaiblie selon le résultat des
initiatives économiques du gouvernement.

Mais même si les Gardiens profitent de ces développe-


ments, cela peut ne pas suffire à affermir leur position après
les catalyseurs du soulèvement de 2009 et la résolution de
la question nucléaire. La position institutionnelle du CGR
– tant politique et économique que militaire – repose sur la
légitimité reconnue du régime de la République islamique, y
compris le rôle du Guide suprême. Cette légitimité est loin
d’être assurée.

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