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Dictadura y Despotismo Chantal Millon Delson
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d'Histoire des Idées Politiques
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C O L L O Q u E
DICTATURE ET DESPOTISME
CHEZ LES ANCIENS
ET CHEZ LES MODERNES
L'exercice comparatif est l'un des plus périlleux. Je m'y essaierai avec
prudence : en proposant de décrire deux aspects qui relient, l'un la dictature
ancienne à certaines dictatures modernes préalablement spécifiées, l'autre
le despotisme ancien à certains systèmes politiques modernes. Il s'agit, pour
le premier, de la notion de salut public. Pour le second, de la différence
qualitative entre gouvernant et gouvernés, assortie d'une organisation cen
tralisée.
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246 / COLLOQUE
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DICTATURE ET DESPOTISME CHEZ LES ANCIENS ET CHEZ LES MODERNES / 247
fait un instrument délicat qui s'use sans peine et dont on peut facilement
abuser ; pour cette raison, il ne faut pas qu'elle aspire à l'éternité », Une
révolution dans la paix, p.80). Le concept de salut est utilisé à satiété par
Mussolini et par Salazar. En justifiant son pouvoir par l'argument du salut
public, Mussolini établit clairement la comparaison avec l'ancien pouvoir
romain. Mais la magistrature dictatoriale était légitimée par une crise tem
poraire et par la faiblesse limitée et structurelle du régime de liberté. Tandis
qu'ici, la crise est donnée comme structurelle et durable, face à un régime
de liberté en déclin et à des institutions devenues pour ainsi dire inutilisables.
Il y a donc, par rapport à ce qui se passait dans l'antiquité, une transfor
mation de la nature de la crise. La situation exceptionnelle n'est plus un
passage douloureux et transitoire qu'il s'agit de franchir : mais un moment
historique de rupture des temps, justifiant l'avènement d'un autre régime.
La dictature devient le seul moyen, non plus de sauver une société saine
accusant une faiblesse momentanée, mais de sauver une société considérée
comme globalement malade, qui refuse tout naturellement de mourir. Cette
interprétation rappelle l'état d'esprit qui présida à la naissance du principat
romain à la fin du Ie siècle avant J.-C. A cette époque, la crise est vécue
comme structurelle, il ne s'agit plus d'une situation exceptionnelle tempo
raire mais d'une rupture des temps, et les institutions républicaines elles
mêmes sont remises en cause. La nécessité du salut public devient alors
capable d'abolir la valeur de référence à laquelle jusque là, la cité s'iden
tifiait : la liberté politique. A ce stade, la dissociation entre les valeurs de
la cité, et la survie de la cité, dissociation amorcée au temps de la création
de la dictature, devient complète : la survie de la cité passe par la négation
de ses valeurs. Le principe en est ainsi expliqué par Cicéron (cité par
Augustin, Cité de Dieu, XXII, 6) : un individu peut choisir de sacrifier sa
vie à ses valeurs ou à son honneur, mais un peuple ne le peut, il lui faut
d'abord survivre, car « lorsqu'un État disparait, s'abîme, est anéanti, c'est
en quelque sorte, pour comparer les petites choses aux grandes, comme si
le monde entier périssait et s'écroulait ».
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248 / COLLOQUE
tous êtres inférieurs soit temporairement soit par nature. Dans le royaume
oriental, ils sont sujets immatures, privés d'autonomie, considérés comme
ignorants de leur propre bien, que le roi est seul à connaître. Le gouverne
ment du despote traduit donc une différence qualitative entre le gouvernant
et les gouvernés, dans la maison comme dans le royaume, tandis que la
politique ou gouvernement de la cité, traduit une égalité de nature entre
tous les hommes, les hommes libres en tout cas, d'où la création démocra
tique : il faudra gouverner tour à tour. L'analogie entre le despotès-maître
de maison et le despotès-roi oriental, explique qu'à l'époque de la défail
lance démocratique, un défenseur de la monarchie comme Xénophon iden
tifie le gouvernement à l'économie, identification que l'on trouvait déjà chez
Platon, quand il défend une autocratie éclairée (c'est sur ce point qu'Aristote
le critique au début de La Politique). Le despotisme transpose le pouvoir
domestique au niveau de la société toute entière. Ici le pouvoir est absolu
par le monopole et la solitude de la compétence.
La centralisation du pouvoir provient directement de cette supposée dif
férence de nature entre gouvernant et gouvernés : comment laisser leur
autonomie à des gouvernés inférieurs ? Les Anciens savent peu de choses
sur l'organisation sophistiquée et titanesque des monarchies orientales. On
trouve dans les textes quelques mentions concernant la bureaucratie, la
centralisation économique, la fonctionnarisation chez les Égyptiens ou les
Perses aux époques des grands rois. Les Grecs relèvent un certain nombre
de détails pittoresques, devant lesquels ils s'exclament : les provinces du
Grand Roi pillées par l'impôt afin de payer la coiffe ou la ceinture de la
reine (Platon, Alcibiade, 123 b et ss), la pyramide de Chéops érigée grâce
au système de la corvée (Hérodote, II, 124), ou la rapidité de la poste perse
(Hérodote, VIII, 98). Mais les auteurs anciens vont pour ainsi dire à l'essen
tiel : ils ont bien vu que là-bas le monarque est le seul connaisseur du « bien
commun », par une supériorité intrinsèque due à son caractère divin ou
apparenté, selon les cas. Ils aperçoivent que le prince à lui seul résume
l'État, identifie le domaine public et le domaine privé, et enfin, égalise tous
ses sujets par l'obéissance et le service. Et, avec ironie ou mépris, résument :
« Les barbares sont tous esclaves, sauf un seul » (Euripide, Hélène, V, 276),
ou encore : « Tous les hommes de l'empire perse, sauf un seul, sont plus
exercés à la servitude qu'à la vaillance» (Xénophon, Hélléniques, VI, 1,
12).
D'où la fatale erreur du pouvoir despotique vu par les Anciens, erreur
qui l'empêche d'être un véritable « gouvernement politique » : il traite en
inférieurs des êtres qui en réalité ne le sont pas, il « transgresse l'égalité
originelle » (Aristote, Politique, VII, 3, 1325 b, 5).
Il est impossible de ne pas comparer le despotisme tel que les Anciens
le regardent, avec les régimes centralisés de l'ère moderne et essentiellement
du siècle qui vient de s'écouler. La centralisation apparait d'abord dans les
régimes totalitaires, où elle représente le moyen de la transformation du
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DICTATURE ET DESPOTISME CHEZ LES ANCIENS ET CHEZ LES MODERNES / 249
monde social : elle traduit bien la volonté d'imposer d'en haut une image
du bonheur que les individus ne poursuivraient pas séparemment. Face au
courant représenté par Plekhanov, qui sera finalement vaincu dans la course
au pouvoir, Lénine institue le gouvernant comme « celui qui sait », trans
formant finalement la dictature du prolétariat en dictature sur le prolétariat.
Le système communiste apparait ainsi proche du despotisme ancien. D'ail
leurs les commentateurs ne s'y sont pas trompés, puisque c'était bien dans
l'esprit de cette analogie que Karl Wittfogel publiait en 1957 son ouvrage
Le despotisme oriental, bientôt mis à l'index et ridiculisé par l'idéologie
soviétique et pro-soviétique. On se souvient que Marx, lors de la querelle
avec Proudhon et Bakounine, avait en son temps buté sur le concept de
« despotisme oriental », qui représentait le point d'achoppement de sa théo
rie (en supprimant les classes sociales, ne retournera-t-on pas vers un sys
tème où se rejoignent l'égalité et le pouvoir autocratique, conjonction déjà
présente chez les monarques orientaux de l'antiquité ? La suppression des
classes ferait émerger un État tentaculaire, plutôt que de permettre l'abolition
de l'État). Lénine, dans ses notes de Décembre 1922, écrivait avec tristesse
que le régime soviétique risquait de devenir un avatar du despotisme des
tsars. Ses successeurs vont escamoter le mot pour se débarrasser de l'idée
gênante, et dans les textes historiques, remplacer « despotique » par « féo
dal », ce qui signifie à peu près le contraire... En tout cas, le pouvoir
centralisé des Soviets, qui concentre dans sa main l'ensemble de la puissance
politique, économique et créatrice, rappelle celui des rois égyptiens des
époques absolutistes, pendant lesquelles aucun paysan ne pouvait couper un
arbre sans autorisation administrative. Les rois égyptiens nationalisaient les
biens essentiels, de même que l'empereur chinois avait nationalisé le sel et
le fer. Les caractères spécifiques du totalitarisme sont à ce jour suffisamment
connus pour que l'on n'insiste pas davantage sur l'infantilisation des indi
vidus, et la privation d'autonomie qu'on leur impose, dans un but d'égalité
- lequel était également l'une des finalités du despotisme chinois ancien -.
On peut se demander si une forme différente du despotisme moderne
n'est pas également repérable dans les manifestations les plus développées
de l'État-providence démocratique, mâtiné ou non d'idéologie socialiste.
Dans la société française contemporaine, le discours de la classe politique,
qui se confie pour gouverner à la science plus qu'à la prudence, prétend à
tout propos que sa politique est « la seule politique possible », et gère plutôt
qu'elle ne gouverne, entre bien souvent dans le registre de l'économie plus
que dans celui de la vraie « politique » : ce qui est fondamentalement
l'essence du despotisme tel que le décrivent les anciens.
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