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biusante.parisdescartes.fr

Une brève histoire de la stomatologie — BIU


Santé, Paris

François LEGENT
Oto-rhino-laryngologiste
Université de Nantes
flegent@free.fr

mars 2012

L’Oto-Rhino-Laryngologie et la stomatologie ont des zones de confluences liées au flou


des limites territoriales. Pour qui s’intéresse à l’histoire de l’ORL, celle de la
stomatologie ne peut laisser indifférent. Cette spécialité de médecine bucco-dentaire
revendiquant son appartenance médicale, a eu maille à partir avec les chirurgiens-
dentistes dont les manifestations d’indépendance remontent au XIX siècle. L’histoire de
la stomatologie se trouve ainsi intriquée avec celle de l’odontologie, l’une ne va pas sans
l’autre.

Une ordonnance royale de 1768 a organisé la profession de chirurgien et


notamment le collège de chirurgie de Paris. Cet édit distinguait des spécialistes ou
"experts "tels que les dentistes, les oculistes, les renoueurs d’os, les lithotomistes. Après
deux années chez un maître en chirurgie ou un expert de la même spécialité à Paris, ou
trois années en province, ils devaient se faire recevoir au collège de chirurgie avec
justification de stage. L’édit précisait les conditions des examens, théorique et pratique.
"Il devait prêter serment entre les mains du premier chirurgien du roi. Il édictait aussi
les pénalités encourues pour le cas où l’expert dentiste sortirait de sa spécialité ". Ne
pouvait se prévaloir chirurgien-dentiste que les chirurgiens ayant suivi les études
complètes (1) (2) (3).

En janvier 2011 un décret , précisé par un arrêté publié au JO du 14 avril 2011,


créait le DESCO (Diplôme d‘Études Spécialisées de Chirurgie Orale) accessible aux
internes en odontologie et aux internes en médecine. Après les épreuves classantes
nationales pour l'accès au 3ème cycle des études médicales en 2011, les futurs internes
trouvaient au choix dans la spécialité chirurgicale 12 villes offrant le DES de Chirurgie
orale mais aucune offre aux internes de médecine pour le DES de stomatologie ; il avait
donc disparu.

Entre ces deux dates, les études dentaires ont connu des soubresauts difficiles à
comprendre sans connaissance de certaines clés.

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La question de fond

L’apprentissage de l’art dentaire relève-t-il d’une école professionnelle

ou doit-il être considéré comme une spécialité médicale labellisée ?

La conception des spécialités par les instances médicales

Au XIXe siècle

Les spécialités étaient mal vues par les ténors encyclopédistes qui n’acceptaient pas
d’être débordés par des confrères reconnus plus compétents.

Alors que c’est en France qu’on trouve dès le début du XIXe siècle le premier hôpital
d’enfants, des hôpitaux spécialisés en dermatologie, en psychiatrie, un "bureau central"
installé à l’Hôtel-Dieu pendant tout le XIXe siècle pour orienter les hospitalisations en
fonction des maladies, et le premier établissement spécialisé pour les maladies d’oreille
avec l’Institution des sourds-muets et Itard, la conception encyclopédiste des
responsables médicaux a fait barrage aux tentatives d’organisation officielle
d’enseignement des spécialités. Les premiers ORL devaient aller en Autriche ou en
Allemagne pour parfaire leurs connaissances (4).

Dans la première moitié du XXe siècle

Le monde médical était hostile aux certificats obligatoires de spécialité qui risquaient de
rogner le champ d’activité potentielle des docteurs en médecine générale.

Dès la parution des lois des années 1880 autorisant les syndicats professionnels, les
médecins ont créé les leurs. En se regroupant dans la Confédération des syndicats
médicaux de France en 1929, le syndicalisme médical devint un interlocuteur privilégié
des instances officielles, notamment pour les réformes concernant les études médicales.
Concernant les spécialités, cette CFSM était écartelée entre les spécialistes qui
souhaitaient un diplôme reconnaissant leur compétence vis-à-vis de leur clientèle et les
généralistes qui n’acceptaient pas la limitation de leur compétence, ce qu’auraient
entraîné des diplômes obligatoires de spécialités. Le syndicat admettait la qualification
sans la certification. Ce refus était considéré par la CMSF comme un préliminaire à
toute discussion. Cette situation perdura jusqu’à la création des CES après la guerre.

Ces deux positions très fermes, encyclopédiste au XIXe siècle et


anti-certification plus tard, expliquent les échecs successifs des projets
concernant une spécialité dentaire médicale reconnue officiellement par
les facultés de médecine pendant près d’un siècle et demi.

De 1791 à 1794, une succession de décrets et de lois

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supprimait les corporations, les facultés de médecine et écoles de chirurgie,

déclarait pour tout citoyen la liberté de l’exercice des professions et métiers,

créait trois écoles de santé pour former les médecins, les chirurgiens officiers
de santé dont la nation avait besoin pour ses armées, en fusionnant la médecine
et la chirurgie.

La loi du 19 ventôse an XI (10 mars 1803)

Elle terminait le cycle révolutionnaire des bouleversements concernant la médecine en


réorganisant l'ensemble de la profession : nul ne peut désormais exercer la
médecine ou la chirurgie sans diplôme. Elle ne sera abolie qu’en 1892 par la
deuxième grande loi d’organisation de la médecine.

Cette loi de ventôse an XI instaurait des écoles de médecine. La distinction était abolie
entre médecins et chirurgiens, tout en distinguant le doctorat en médecine et le doctorat
en chirurgie, distinction qui disparaîtra en 1892. La médecine comportait désormais
deux niveaux :

celui des docteurs, issus des écoles de médecine dont le titre donnait le droit
d'exercer la médecine et la chirurgie sur tout le territoire ;

celui des officiers de santé, pratiquant une médecine restreinte après des études
plus brèves. Jusqu’en 1855, les officiers de santé étaient reçus par des jurys
médicaux dans les départements. L’officier de santé ne pouvait exercer que
dans les limites du département où il avait été reçu.

Le doctorat en médecine ou en chirurgie était obtenu après quatre années d'études, et


une thèse en français ou en latin.

Cette loi de ventôse an XI a fait couler beaucoup d’encre au XIXe chez les dentistes. En
effet, elle n’évoquait que les docteurs en médecine, les officiers de santé et les sages-
femmes. Elle ignorait les différents "experts" de l’ancien régime : dentistes, et oculistes
notamment. Plusieurs dentistes furent poursuivis par des confrères dentistes "diplômés

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médecins" devant des juridictions locales de police correctionnelle pour exercice de l’art
dentaire sans diplôme, qui se sont portés partie civile, au prétexte que "si la loi de
ventôse n’évoquait pas les dentistes, l’esprit de cette loi le sous-entendait". Devant la
clémence de certains tribunaux, le procureur général fit appel devant la Cour de
cassation.

En février 1827, la Cour de cassation , en reprenant la législation sur l’exercice


chirurgical de l’ancien régime, décidait que la loi qui évoquait les chirurgiens "ancien
régime" ne pouvait s’appliquer aux "experts-dentistes" qu’elle ignorait et rejetait le
pourvoi du procureur général.

Dans les années suivantes, plusieurs jugements contradictoires encouragèrent des


dentistes-médecins ou chirurgiens à poursuivre des personnes exerçant l’art dentaire
sans diplôme, invoquant l’esprit de la loi de ventôse non respecté. Mais ils furent
déboutés.

Dans une chronique des Annales d’hygiène publique et de médecine légale de 1846
intitulée De la profession de dentiste (2), l’auteur faisait remarquer que si la loi de
ventôse n’évoquait ni les dentistes ni les oculistes, ce n’était pas par oubli mais "pour
faire disparaître toutes les anomalies de l’ancienne législation, et de ramener l’art de
guérir à une unité de pratique que réclamait l’intérêt de la santé publique". L’auteur
terminait en écrivant "qu’on ne peut pas abandonner l’exercice de l’art du dentiste au
premier ignorant qui voudra s’y livrer ; si on pense qu’il serait peut-être rigoureux
d’exiger pour cette profession un diplôme de docteur ou d’officier de santé, on pourrait
au moins demander des examens spéciaux, ainsi que le prescrivait l’ordonnance de
1768 ; cette question est de la plus haute importance ; il faut espérer qu’elle sera
résolue par la nouvelle loi qu’on prépare sur l’exercice de la médecine". L’auteur
mettait tous ses espoirs dans le projet Salvandy.

La loi d’avril 1844 sur la patente

La patente fut créée en France avec la loi de mars 1791 par l’assemblée constituante. Le
but de la patente était alors de taxer un revenu présumé en fonction de l'outil de travail.
En 1844, la loi réorganisait complètement cet impôt. Elle prévoyait avant son passage à
la Chambre des députés l’exonération pour certaines professions, dont les médecins,
chirurgiens, officiers de santé, sages-femmes, oculistes, dentistes, ce qui reconnaissait
officiellement ces professions (5). Le député Jean-Baptiste Bouillaud, le médecin dont le
nom reste attaché aux liens entre rhumatisme articulaire aigu et cardiopathie, fit
ramener la liste aux médecins, officiers de santé, sages-femmes et vétérinaires. Les
dentistes n’y figuraient plus. Bouillaud avait demandé que "l’article de loi fut conforme
aux termes de la loi de l’an XI "qui ne mentionnait pas les dentistes. Il ne voulait pas
ouvrir la boîte de Pandore des frontières entre les champs d’activité des médecins et
ceux des auxiliaires médicaux. La patente créait de fait deux catégories de dentistes :
d’une part les médecins-dentistes (docteurs ou officiers de santé) non patentés, d’autre

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part les dentistes patentés, non médecins mais reconnus. Cette distinction aura son
importance lors de l’application de la loi de 1892. Quant aux dentistes non médecins et
non patentés, ils regroupaient surtout les charlatans.

La réforme Salvandy de 1847

Le comte Narcisse-Achille de Salvandy, ministre de l’instruction publique, présenta


début 1847 un projet de réforme d’ensemble de la profession médicale. Les discussions
tournèrent surtout sur l’avenir de l’officier de santé (6). Fallait-il le maintenir? Dans son
projet de février 1847, le ministre ne s’attardait guère sur les dentistes "que la loi peut
maintenir avec de suffisantes précautions et de sages réserves". En mai 1847, le projet
de loi prévoyait que "les aspirants au brevet de dentiste doivent avoir fait un stage
délivré après quatre années chez un dentiste régulièrement établi ou de deux années
d’études soit dans une école préparatoire soit dans une faculté. Deux années de stage
comptent pour une année d’études. Dans tous les cas, ils devront subir deux examens
spéciaux".

Le projet précisait aussi que "nul ne peut exercer la profession de dentiste s’il n’est
docteur en médecine ou s’il ne justifie pas d’un brevet spécial délivré par une école ou
une faculté". Les débats à la Chambre des pairs se prolongèrent au cours de l’année
1847. En janvier 1848, le ministre défendait son projet devant la chambre des députés.
Mais la révolution de février 1848 envoya cette loi rejoindre le musée des occasions
perdues, laissant se développer de nombreuses installations de dentistes en France.

L’art dentaire sans contrainte au XIXe

La décision de la Cour de cassation de février 1827, en décidant que les dentistes


n’appartiennent à aucune des trois professions de médecin, de chirurgien ou d’officier
de santé, a contribué à encourager les "installations sauvages" d’individus
s’autoproclamant dentistes. Le Bulletin général de thérapeutique médicale et
chirurgicale de 1846 expliquait que, depuis cet arrêt de la cour de cassation, "il était
loisible à chacun de se faire dentiste. Cet abus, qui avait été rare jusque là, a pris ces
dernières années un grand développement. On comptait par douzaines, à Paris, les
personnes qui, sans aucun titre médical, avaient ouvert des cabinets de dentistes où ils
appelaient les clients à grand renfort d’annonces et de prospectus". Les abus étaient si
notoires qu’en 1853 (7), le préfet de police de Paris était amené à adresser aux
commissaires de police de Paris et aux maires des communes environnantes, une
circulaire pour "s’opposer à ce que tout individu, prenant le titre d’opérateur dentiste,
se livre à l’extraction des dents, fasse usage du chloroforme, et se livre à aucune
pratique chirurgicale ou médicale. Si l’administration, en présence de la jurisprudence
à cet égard, ne permet d’exiger la justification d’un diplôme d’officier de santé ou de
docteur, elle peut interdire à ceux qui n’ont aucun diplôme, d’administrer des remèdes
ou préparations dont l’emploi maladroitement appliqué, peut entraîner de graves
accidents. Je citerai le chloroforme et l’éthérisation".

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En 1871, Amédée Dechambre revenait dans la Gazette médicale sur l’aspect juridique de
la profession de dentiste (8). Le directeur-fondateur de ce journal faisait remarquer
que, "dans l’état actuel de la législation, un cabinet de dentiste peut être ouvert sans
obligation de diplôme ; mais la pratique dentaire devrait être exclusivement manuelle
; s’abstenir de tout traitement médical, de toute opération chirurgicale. En dehors de
ces limites, que reste-t-il ? Le nettoyage, le limage, la pose des dents, leur extraction
peut-être, la construction d’appareils prothétiques...Seulement, entre les divers
moyens à employer dans la pratique dentaire, ceux du domaine médical et ceux du
domaine manuel, il y a souvent des connexités qui rendraient très mal aisé et fort
incommode pour le patient le partage du terrain entre le médecin et l’expert".
Dechambre terminait en écrivant qu’il fallait laisser au dentiste "toute l’étendue que
comporte sa profession mais en le soumettant à des épreuves spéciales, ainsi qu’il a été
fait pour les sages-femmes".

Cette situation de "non loi" ne pouvait laisser indifférents les médecins spécialisés dans
l’art dentaire ou "médecins-dentistes". Aussi les plus dynamiques de ces médecins se
regroupèrent pour poursuivre les dentistes non diplômés.

Naissance de la stomatologie

De quand dater cette spécialité médicale de l’art dentaire ? Le nom a été créé en 1868
par le docteur Edmond Andrieu, chirurgien-dentiste, médecin-dentiste de l'hospice des
Enfants-assistés et de la Maternité avec son Traité complet de stomatologie (9). Il
expliquait dans l'avant-propos pourquoi il avait créé le terme stomatologie. "Nous
désignons sous le nom de stomatologie la partie de l’art médical qui comprend l’étude
de la bouche et de ses maladies, et sous celui de stomatologiste le médecin qui se livre
spécialement à cette étude", et qui, désormais, allait se substituer à celui de médecin-
dentiste. En toute logique, on peut qualifier de "stomatologistes" les dentistes
revendiquant leur attachement au corps médical, soit pour l’époque comme docteurs en
médecine soit comme officiers de santé spécialisés dans l’art dentaire. On verra plus
tard des médecins-dentistes revendiquer le doctorat dentaire comme Chactas Hulin de
Paris lors de sa présidence de la Section dentaire du Conseil supérieur de l'Ordre des
Médecins sous Vichy.

C’est un médecin-dentiste particulièrement actif, Joseph Audibran, qui créa en mai


1845 la Société de chirurgie dentaire de Paris avec une soixantaine de confrères
dentistes "munis d’un diplôme", c’est-à-dire de docteur ou d’officier de santé. Le but
officiel était la défense de ces dentistes diplômés et la poursuite en justice de "dentistes
marrons" (selon l’expression d’Audibran) non diplômés, pour permettre à la profession
de maintenir son honorabilité. Ils choisirent quatre dentistes exerçant à Paris, dont un
étranger, pour les poursuivre devant le tribunal correctionnel pour préjudice porté aux
dentistes diplômés, c’est-à-dire médecins (docteurs ou officiers de santé) en arguant
qu’ils contrevenaient à la loi de ventôse an XI. Audibran reçut les encouragements du
doyen Orfila et des grands chirurgiens de l’époque comme Roux et Velpeau (10). Pour

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Roux, "nul de devrait exercer l’art du dentiste s’il ne possède pas le titre de docteur, ou
au moins celui d’officier de santé, et qu’en conséquence, les dentistes pourvus de ces
diplômes font nécessairement partie du corps médical". Velpeau allait plus loin : "L’art
du dentiste est une partie essentielle de la médecine....Pour exercer cet art, il est
indispensable d’être médecin ou chirurgien".

L’avocat d’un des dentistes poursuivis avançait que la plainte était liée à la jalousie du
succès en clientèle de son client, et que la loi de ventose an XI ne s’appliquait qu’aux
vrais chirurgiens et non aux chirurgiens-dentistes. Comme preuves, un autre avocat mit
les rieurs de son côté en expliquant : "Les grands et vrais chirurgiens ont toujours
dédaigné d’arracher les dents. Adressez-vous à M. Velpeau, à M. Malgaigne, et
présentez votre mâchoire, et vous verrez comment vous serez reçus".

A en croire Audibran, les poursuites judiciaires contre ces dentistes non diplômés qui
entachaient l’honorabilité de la profession eurent d’heureux résultats. Condamnés en
première instance pour exercice sans diplôme, ces dentistes "se disposèrent presque
tous à étudier, afin d’acquérir les connaissances nécessaires pour pouvoir se faire
examiner et obtenir le diplôme qui pouvait seul les autoriser à continuer d’exercer la
profession de dentiste. C’est là ce que désirait le corps des dentistes poursuivants."

Mais les jugements en appel condamnaient aussi les dentistes non diplômés. Un seul
alla jusqu’à la cour suprême, un étranger d’origine néerlandaise, Benjamin Cohen, qui
avait adopté le pseudonyme anglicisant de William Rogers pour se faire passer pour un
praticien londonien alors qu’il n’avait aucun diplôme. Installé à Paris en 1836, il
revendiquait l’invention d’amalgame en platine, de dentiers "osanaures "en ivoire
d’hippopotame "maintenus par la seule action de la pression atmosphérique", et
n’hésitait pas à recourir à la presse pour se faire une publicité par des articles
dithyrambiques ou l'emploi d’hommes sandwich alors appelés "laquais-affiche".

La Cour de cassation confirma de nouveau en 1846 la position prise par son


arrêt de 1827 en relaxant Rogers. La déception d’Audibran fut immense. On peut lire
dans son livre sur la Fondation de la Société de chirurgie dentaire de Paris, un chapitre
intitulé Effets déplorables produits par les deux arrêts rendus par la cour de cassation,
relativement à la profession de dentiste : "Depuis le premier arrêt, on remarquait
parmi les nouveaux dentistes des femmes galantes, des individus ayant fait
auparavant toutes sortes de métiers, et même des condamnés pour escroquerie.
Maintenant, après le second arrêt récemment rendu, il faut s’attendre à voir s’y
introduire des filles publiques et peut-être des forçats libérés, car désormais tous les
gens réprouvés peuvent trouver un refuge dans l’exercice de la profession de dentiste...
Et ne peut-on pas avec raison s’écrier : Intriguants de toutes les nations ! Anglais
surtout, si habiles en charlatanisme ! Accourez à Paris, venez y prendre le titre de
Dentiste, et si vous êtes poursuivis comme exerçant sans diplôme cette profession,
soyez certains de l’impunité, car la cour suprême vous y autorise !!!"

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Dans son livre sur la Fondation de la Société de chirurgie dentaire de Paris, Audibran
reprend l’historique de ce combat, poursuivi après pendant les années 1860 par Andrieu
auprès des différents ministères, des corps législatifs et du sénat. Dans une pétition de
1877, Andrieu allait même jusqu’à demander le doctorat obligatoire pour exercer l’art
dentaire.

En février 1888 était créée la Société de stomatologie de Paris. Pour en faire partie, il
fallait être pourvu d’un diplôme de médecin français ou d’un diplôme étranger reconnu
équivalent par la Société.

La scission

La tutelle de la Faculté de médecine paraissait très pesante à certains dentistes. La loi


sur la liberté de l'enseignement supérieur de juillet 1875 allait permettre d’ouvrir des
"écoles dentaires libres", à l’occasion de la création d’un syndicat de dentistes favorisée
par l'Union nationale des chambres syndicales du commerce et de l'industrie. Cette
UNCI a été créée en 1860 pour défendre les intérêts des artisans et commerçants
patentés, notamment contre la fraude, défendre les brevets, régler les conflits à
l’intérieur des divers métiers. En 1878, le président de l’UNCI a pensé qu'il serait utile
de créer un "syndicat de l'Art dentaire" compte tenu de la présence au sein de l’Union
nationale de 94 adhérents exerçant la profession de dentiste. Au début de 1879 fut
constitué un premier "comité de l’Art dentaire" de 15 membres (représentant toutes les
catégories d'une profession très hétérogène : médecins, officiers de santé, dentistes
patentés, mécaniciens) pour représenter la Chambre syndicale de l'Art dentaire qui
venait ainsi d'être fondée (11). Le Dr Andrieu, élu président, posa d'emblée le problème
de la réglementation de l'art dentaire ce qui déclencha immédiatement une dissidence
car certains membres étaient farouchement opposés à une quelconque règlementation
et voulaient la liberté d’exercice. C’est de cette époque que date l’opposition de deux
conceptions de l’apprentissage de l’art dentaire, branche de la médecine ou école
professionnelle, avec très rapidement création de deux syndicats :

la Société syndicale odontologique, pro-médecin, avec à sa tête Edmond


Andrieu,

le Cercle des dentistes de Paris.

Pour la Société syndicale odontologique, alors majoritaire, la mise en place d'une


réglementation constituait le projet prioritaire des réformes ; l'art dentaire étant
considéré comme une branche de la médecine, la formation du dentiste devait être
sanctionnée par le diplôme de docteur en médecine. La création d'une école dentaire

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serait envisagée en second lieu. Elle dépendrait de la faculté de médecine et serait


financée et gérée par l'État.

Pour le Cercle des dentistes de Paris, avec à sa tête Emmanuel Lecaudey et Charles
Godon, l'objectif essentiel résidait dans l'établissement d'une école professionnelle libre,
où la tutelle de l'État était totalement exclue. Le diplôme dispensé serait de :
"Chirurgien-dentiste de l'École professionnelle dentaire de Paris ". Dès décembre 1879,
ce Cercle des dentistes de Paris présentait son projet de fondation d'une École
professionnelle de chirurgie et de prothèse dentaire à Paris ainsi que d'une clinique en
"hôpital dentaire adjointe à l'École " et lançait une souscription nationale permanente
auprès des dentistes, du monde médical et du public.

Ainsi furent crées en France les deux première écoles dentaires parisiennes privées:

l'école et l'hôpital dentaires libres de Paris en 1880 (installés d’abord rue


Richer, et ultérieurement rue de Latour d’Auvergne, pour devenir la future
faculté Montrouge)

l'école dentaire de France constituée au sein de l'Institut


odontotechnique de France en 1884 (situés d’abord rue de l’Abbaye puis
rue Garancière).

La création de ces deux écoles allait amener la transformation complète de la profession


dentaire en France. Elle réveilla l’administration universitaire.

Le projet Le Fort de 1881

En mai 1880, les services du ministre de l’Instruction publique, Jules Ferry,


demandaient au doyen de la faculté de médecine de Paris "s’il fallait exiger de tout
dentiste qu’il ait acquis par des examens, au moins par ceux d’officier de santé, le droit
d’exercer la médecine et s’il y avait lieu d’imposer aux futurs dentistes un stage
professionnel qui aurait pour conséquence un examen de validation de stage. "

Une commission fut constituée de trois professeurs et deux chirurgiens, dont Le Fort
qui était très impliqué dans l’enseignement de la Faculté. Ce futur professeur de
clinique chirurgicale comprenait l’importance de la spécialisation (12). La "commission
Le Fort" étudia le dossier et conclut que l’art dentaire nécessitait deux à trois ans de
stage chez un praticien. Si on exige d’eux le diplôme de docteur en médecine, ce que
certains représentants des dentistes réclamaient, "on leur donne une sorte de
supériorité sur les médecins ordinaires". Si on exige le diplôme d’officier de santé, on

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va augmenter le nombre de ces médecins alors qu’il faut aller progressivement vers leur
disparition. On peut aussi créer des "écoles libres qui délivrent des brevets de
chirurgien-dentiste après deux ans d’études comme il en existe une à Paris depuis deux
ans". En fait, la commission rejetait tout diplôme médical obligatoire pour les dentistes,
et proposait la création d’un diplôme de dentiste. La commission ne pouvait admettre
un diplôme privé à côté d’un titre officiel. Elle proposa un "diplôme spécial de dentiste"
après deux années de cours dans une faculté ou école de médecine, avec un stage dans
un service de chirurgie, et deux années de stage dans une école d’odontologie ou chez
un dentiste.

La "réforme Le Fort" prévoyait que "les docteurs en médecine et les officiers de santé
qui désireront pouvoir joindre à leur titre celui de dentiste, ne seront astreints qu’aux
deux années de stage spécial, et n’auront à subir d’autre examen que l’épreuve
pratique". Elle traduisait la pensée de la commission que le médecin, malgré le
caractère général d’exercice, ne pouvait pas pratiquer l’art dentaire sans avoir eu une
formation spéciale. Elle rejetait le terme de "chirurgien dentiste" afin de marquer
l’interdiction de pratiquer des opérations chirurgicales.

Ce projet de réforme, paru dans la Gazette Hebdomadaire de médecine et de chirurgie


en septembre 1881, était présenté par Amédée Dechambre personnage alors très
influent. Il critiquait l’obligation faite aux médecins d’avoir une formation spéciale. "On
comprendra difficilement qu’un docteur qui peut faire l’ablation des deux mâchoires
n’ait pas le droit de soigner les dents. Le rapport fait remarquer que la technique de
l’art dentaire n’est pas enseignée dans les Facultés et Écoles médicales. Qu’est-ce qui
n’est pas enseigné de l’art dentaire? Est-ce la partie chirurgicale? On a tort : les
maladies de la bouche appartiennent au programme des professeurs de chirurgie.
Est-ce la partie manuelle, la prothèse ? En fait, de nombreux médecins de campagne
sont appelés à donner des soins dentaires. C’est donc à l’ensemble des praticiens qu’il
faut apprendre à soigner les dents..." Dechambre se montrait à l’égal d’un fort courant
encyclopédiste et en fait hostile aux spécialités. Le projet Le Fort fut adopté par la
faculté de médecine de Paris en juin 1882. Et pourtant, elle battait en brèche le
caractère universel du diplôme de docteur en médecine et remettait en cause l’exercice
des spécialités médicales, à commencer par la chirurgie. Ce fut la seule fois où la Faculté
de médecine de Paris fut appelée à donner son avis sur la formation dentaire.

Émile Magitot s’insurgea contre ce projet et réclamait pour pouvoir obtenir la


qualification de dentiste, d’avoir au préalable obtenu devant une faculté de médecine ou
une école secondaire le droit d’exercer la médecine (13). Ce médecin, fils de dentiste,
membre de la Société de chirurgie de Paris et de l’Académie de médecine, s’intéressa
très tôt à la pathologie et à la chirurgie bucco-dentaire. Il insistait avec force sur l’état
catastrophique de l’exercice de l’art dentaire en France, tant dans le privé que dans les
hôpitaux. Il joua un rôle important dans la défense de la stomatologie.

Après le projet gouvernemental déposé devant les Chambres, un autre projet émanant

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de l'initiative parlementaire fut présenté trois ans plus tard. Ces deux projets, fusionnés
en 1889, soumis à la Chambre et au Sénat en 1890, ont été à l’origine de la loi
promulguée le 30 novembre 1892.

La loi de novembre 1892

Elle est parfois appelée loi Brouardel, doyen de la faculté de médecine, son rapporteur
devant les instances législatives. Après la loi de ventôse an XI, ce fut la deuxième grande
loi sur l’organisation de la médecine en France. Elle supprimait l’officiat de santé et
règlementait l’exercice de la médecine, de la profession de dentiste et de la profession
de sage-femme. Elle créait le diplôme de chirurgien-dentiste (1).

Art. 2. - Nul ne peut exercer la profession de dentiste, s'il n'est muni d'un diplôme de
docteur en médecine ou de chirurgien-dentiste. Le diplôme de chirurgien-dentiste
sera délivré à la suite d'examens subis devant un établissement d'enseignement
supérieur médical de l'État.

A la différence des médecins, les dentistes n’avaient pas l’obligation d’être bacheliers (il
fallut attendre un décret de janvier 1909 pour rendre obligatoire le brevet et faire passer
le nombre d’années d’études de 3 à 5 ans). Ils devaient dans ce cas passer un examen
d’entrée à l’école. Au titre de dentiste qui avait été conservé par les députés a été
substitué celui de chirurgien-dentiste à la demande du sénat. Il ne fallait pas marquer
d’infériorité par rapport à certains confrères étrangers, notamment américains qui
avaient pour titre "surgeon-dentist". Ils retrouvaient ainsi un titre perdu avec
l’ordonnance 1768. A titre transitoire, les officiers de santé reçus antérieurement auront
le droit d'exercer la médecine et l'art dentaire sur tout le territoire de la République.

Cette loi précisait que "Les dentistes seront soumis à toutes les obligations imposées
par la loi aux docteurs en médecine. Un règlement, délibéré en Conseil supérieur de
l'instruction publique, déterminera les conditions dans lesquelles un dentiste, qui
bénéficie des dispositions transitoires, pourra obtenir le diplôme de chirurgien-
dentiste. Le droit d'exercer l'art dentaire est maintenu à tout dentiste justifiant qu'il est
inscrit au rôle des patentes au 1er janvier 1892".

Ainsi, tous les dentistes qui avaient pris patente avant la parution de cette loi purent
continuer à exercer sans passer d’examen. Quant aux "dentistes non patentés" qui
n’avaient pu bénéficier des mesures transitoires, ils vont s’établir "mécaniciens-
dentistes".

Les deux Ecoles Dentaires fondées antérieurement furent reconnues d'utilité publique
et considérées par l'Etat comme Écoles préparatoires où les élèves font un stage de trois
ans, avant leurs examens devant la Faculté qui leur confère le titre de Chirurgien-
Dentiste, permettant aux impétrants de mettre sur leur carte de visite, après leur nom :

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chirurgien-dentiste de la faculté de médecine de Paris.

Après la loi qui fixait le domaine du chirurgien-dentiste, des décrets complémentaires,


notamment en juillet 1893 et décembre 1894, déterminèrent les conditions d’inscription
dans les écoles, celles des examens, précisèrent la situation légale des écoles dentaires
qui eurent la délégation de l’enseignement. Le décret du 25 juillet 1893 indiquait : "Les
études en vue du diplôme de chirurgien-dentiste ont une durée de trois ans. Pour la
première inscription, les aspirants doivent produire le baccalauréat ou le certificat
d'études primaires".

Dès lors, la faculté de médecine contrôlait les études des chirurgiens-dentistes et la


délivrance des diplômes. La nouvelle loi permettait à tout docteur en médecine d’ouvrir
un cabinet dentaire, sans aucun contrôle de compétence.

Certains dentistes, apôtres de la liberté d’enseignement, s’insurgèrent contre cette loi,


comme Charles Godon. Ce dentiste un des plus ardents défenseurs de cette liberté pour
les écoles dentaires, professeur à l‘École Dentaire de Paris, édita une plaquette dès 1893
intitulée "L’exercice de la profession de dentiste doit-il rester libre en France ?". En fait,
cette loi de 1892 avait été considérée par Brouardel comme devant être complétée
ultérieurement. Jean-Marie Rédier la trouvait "précipitée". Son flou permettait de la
contourner comme le raconta le Rapport sur le programme professionnel des
mécaniciens dentistes, publié par le syndicat des mécaniciens dentistes édité en 1922
(14). "Durant une période de 1892 à 1911 où trois années seulement de préparation
étaient demandées à des étudiants, munis d'un certificat d'études secondaires et où on
avait la prétention de leur apprendre, d'une part la prothèse dentaire, la chirurgie
dentaire et, de plus, des études, ou plutôt des données générales, sur l'anatomie, la
pathologie, la physiologie...Une concurrence directe s'ensuivit, à l'encontre des
docteurs dentistes, appelés stomatologistes, qui, spécialisés dans l'art dentaire,
avancèrent que le diplôme de chirurgien-dentiste accordait trop, en rapport des études
si peu étendues, ou plutôt dans un délai si court pour être profitables. Quantité
d'étudiants se prédestinant aux études de la médecine, de la pharmacie et même de
l'enseignement, en profitent pour passer, avec armes et bagages, dans les écoles
dentaires, si accueillantes et si bienveillantes aux ratés du bachot".

Si tous les dentistes qui avaient pris patente avant la parution de cette loi pouvaient
continuer à exercer sans passer d’examen, la loi avait toutefois apporté une restriction à
leur exercice. "Ces dentistes n'auront le droit de pratiquer l'anesthésie qu'avec
l'assistance d'un docteur ou d'un officier de santé."

Cette loi de 1892 ne pouvait satisfaire les dentistes qui se trouvaient concurrencés par
des officiers de santé sans aucune obligation de formation adaptée ou par ceux qui
voulaient garder la liberté d’organiser librement la profession. Elle constituait une
bombe à retardement qui explosa en 1968. De plus, si la loi de 1892 reprenait l’idée du

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rapport Le Fort de 1881 de création d’un diplôme de dentiste, elle supprimait toute
notion d’obligation de formation spéciale pour les médecins.

Certains dentistes finirent par admettre cette nouvelle loi, comme Charles Godon qui
l’avait vigoureusement combattue. Il changea de comportement en quelques années,
allant même jusqu’à passer une thèse de médecine en 1900 sur l’Évolution de l’art
dentaire (15). Il y racontait l’histoire de l’École dentaire de Paris créée en1880, dont il
était devenu le directeur. Pour lui, la loi de 1892 était la Charte du chirurgien-dentiste;
il admettait cette loi puisque c’est la loi, Dura lex, sed lex écrivait-il. C’était la main
tendue aux médecins-dentistes. En 1900, à côté de l’École dentaire de Paris et de
l‘École Odontotechnique, on dénombrait en France trois autres écoles dentaires
ouvertes au cours des années 90, l’École dentaire pratique à Paris en 1892 créée par un
dissident de l’École Dentaire de Paris, une école à Bordeaux en 1895 et à Lyon en 1898.
Ce fut le début de l’âge d’or de la stomatologie.

L’âge d’or de la stomatologie

Certains médecins-dentistes ne pouvaient accepter cette loi de 1892 car ils se voyaient
concurrencés par des dentistes formés en trois années, avec pour tout bagage le
certificat d’études. De plus, la contrepartie de cette loi était de refuser l’officialisation
d’un enseignement de stomatologie par la faculté. Ils durent créer leur propre
enseignement payant mais non obligatoire, perdant la chance de voir une double
formation officielle médicale et dentaire pour certains spécialistes.

La loi reconnaissait aux docteurs en médecine le droit d'exercice de la dentisterie sans


aucune formation et aucun contrôle préalable. Certains en profitèrent ; ils se faisaient
volontiers appeler "docteur-dentiste". D’autres s'intitulèrent stomatologistes suivant
l’idée d’Andrieu. Ils se retrouvaient au sein de la Société de stomatologie de Paris créée
en 1888, à l’initiative d’Émile Magitot. "L’objet officiel de cette société est l’étude
scientifique des maladies de la bouche, de l’appareil dentaire et de leurs annexes". Les
fondateurs de la Société de stomatologie "placent au-dessus de toute contestation que
la stomatologie fait partie intégrante de la médecine, et quelle exige, pour être exercée
avec autorité, une instruction scientifique aussi variée et aussi complète que les autres
spécialités médicales. Or, l’exercice de la médecine en France n’étant pas libre, ils
invoquent l’application du droit commun, c’est-à-dire la pratique de la stomatologie
par les médecins".

En 1894, Magitot lançait la Revue de stomatologie dont le premier rédacteur en chef fut
Ludger Cruet. En 1897, le doyen Paul Camille Brouardel obtenait du ministère de
l’Instruction publique, une mission d'étude sur le fonctionnement des écoles dentaires à
l'étranger pour un jeune médecin, Paul Gires, l’année suivant sa soutenance de thèse sur
un sujet de stomatologie. Après un séjour de plus de deux années aux USA d’où il revint
avec un diplôme universitaire de dentiste, Gires fit un rapport publié en 1900 et prit
plus tard des responsabilités dans la spécialité;

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En 1909 les stomatologistes ouvraient à Paris, dans un appartement de la rue Dauphine,


une école appelée École française de stomatologie, dirigée d’abord par Ludger Cruet,
puis par Paul Gires à partir de 1920.

En 1920, la Faculté de médecine de Paris créait un poste de "chargé de cours" de


stomatologie. L’enseignement des stomatologistes parisiens était bien structuré alors
que la formation de certains dentistes était contestée.

En province, la faculté libre de médecine de Lille, nouvellement créée, recrutait dès 1877
Jean-Marie Rédier pour assurer l’enseignement de la pathologie externe et de la
stomatologie. Ce médecin militaire, qui avait dû interrompre sa préparation au
concours d’agrégation du Val de Grâce pour raisons de santé, s’intéressait à la
stomatologie. Il organisa un cours et une clinique des maladies de la bouche et des
dents, et donna plusieurs publications dans ce domaine dont un précis de stomatologie.

Pour les dentistes : "La situation des stomatologistes était prépondérante malgré leur
faiblesse numérique. La possession du doctorat ne les soumet pas, comme c'est le cas
pour les chirurgiens-dentistes, à des limites thérapeutiques strictes. Les services
hospitaliers deviennent leur domaine exclusif, le service aux Armées ne confie les soins
et la prothèse qu'aux stomatologistes" (16).

Mais la situation des mécaniciens vis-à-vis du diplôme de dentiste allait mettre le feu
aux poudres et envenimer les rapports avec les chirurgiens-dentistes.

Les mécaniciens-dentistes

Certains mécaniciens-dentistes avaient pu bénéficier de facilités pour obtenir le


diplôme d’officier de santé, au milieu du XIXe siècle, leur donnant accès au titre de
médecin-dentiste. Le Rapport sur le programme professionnel des mécaniciens
dentistes, publié par le syndicat des mécaniciens dentistes de 1922 est particulièrement
éloquent sur la situation des différentes catégories de professionnels dentaires (14).

Dès la parution de la loi de 1892, les dentistes "qui n'ont pu bénéficier de la patente de
1892, vont chercher à s'établir à façon et c'est seulement vers cette époque, que nous
voyons se créer des laboratoires de prothèse à façon". C’est ainsi qu’un ancien
bijoutier, "ingénieux et d'une grande puissance de travail va monter une maison où il
ne tardera pas à employer une trentaine d'ouvriers mécaniciens-dentistes, à Paris. A
partir de ce moment, cette autre profession semble prendre corps et n'aura plus à faire
directement à la clientèle du public ; les prothésistes semblent perdre de plus en plus
contact, à la grande satisfaction du Syndicat des Chirurgiens-dentistes qui, de son
côté, mène une campagne violente contre ceux qui enfreignent la loi sur l'art dentaire
et comme cette loi ne stipule pas nettement et en détail les conditions de la prothèse, on
englobe dans un intérêt particulier, l'une et l'autre".

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La grande question concernait le droit à la prise d’empreinte par les mécaniciens-


dentistes et la pose des prothèses, ce qui mettait en fureur les chirurgiens-dentistes.
"Une série de procès a lieu dans toute la France. Malheureusement la plupart des
poursuivis se sont laissés aller à pratiquer les extractions et même des soins et des
condamnations sont prononcées, laissant dans l'esprit du public, et même dans celui
des juges, une confusion dans l'exercice illégal de la prothèse dentaire. Pourtant, un
procès assez retentissant a lieu, en 1907, qui va remettre entièrement la question. Ce
qu'il y a de plus curieux, c'est le témoignage de la part des plus grandes sommités du
monde médical et dentaire venir déclarer que la prise d'empreinte n'offre aucun
danger, pratiquée par un mécanicien habile et avec quelques années de métier. C'est le
son de cloche des stomatologistes. D'autre part, la partie civile, en la personne du
Syndicat des Chirurgiens-dentistes, demande la condamnation pure et simple. Après
une brillante plaidoirie de Me Ducos de la Haille, la Cour condamne le délinquant, non
sur la prise d'empreinte, mais sur le diagnostic établi par lui, et par conséquent,
d'avoir outrepassé son droit sur l'exercice légal de la médecine. De ce jour, c'est une
rivalité sans nom que se sont déclarés docteurs-stomatologistes et chirurgiens-
dentistes".

Nombre de mécaniciens-dentistes bénéficièrent des mesures transitoires pour passer


les examens de chirurgien-dentiste. "En 1910, on s'inquiète tout de même du manque
d'expérience et surtout du peu d’instruction relevé sur tous ces nouveaux promus,
instruction acquise à force de cours du soir, ou dont le passage à certaines écoles de
préparation universitaire, ne leur laissait qu'un bagage très élémentaire de
connaissances générales. Des suspicions même, coururent sur quantité d’examens
passés par fraude. Bref, les stomatologistes avaient la partie belle pour ironiser les
chirurgiens-dentistes, diplômés à 19 et 20 ans. A la suite des plaintes et par raison
sociale, ceux-ci demandèrent l'exigibilité du certificat d'études primaires supérieures
et cinq années d'études dentaires dont deux ans de stage au début et spécialement
réservés à la prothèse dentaire. Pendant ce temps, les laboratoires à façon avaient
augmenté dans une énorme proportion et le régime de trois ans pour les étudiants
était cause, pour une grande part, de leur manque de pratique, ce qui exigeait que
leurs travaux fussent faits par les mécaniciens-dentistes aux compétences
professionnelles reconnues. On comptait dans cette dernière fournée plus de neuf cents
inscriptions d'élèves dans les écoles. Si cela ne devait pas faire l'affaire du public, du
moins, faisait-elle celles des écoles".

En 1933, la Confédération Française des Syndicats Médicaux (CFSM) discutait d’un


projet de loi sur les auxiliaires médicaux, dont les mécaniciens-dentistes, qui prévoyait
que ceux-ci pourraient exercer leur art (prise d'empreinte ; essayage et pose d'appareils
de prothèse dentaire) sans ordonnance médicale toutes les fois qu’une intervention
médico-chirurgicale n'est pas nécessaire. Ce projet fut retiré devant des oppositions à la
Chambre des députés. Pour la CFSM, "le droit pour les mécaniciens-dentistes de prise
d'empreinte, essayage et pose d'appareils de prothèse dentaire, était un empiétement
manifeste sur la profession de dentiste et un recul sur ce qui se passe actuellement, au

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point de vue légal" (17).

Le projet de loi Milan et Rio

La loi de 1892 ne donnait pas satisfaction, ni aux dentistes, ni aux stomatologistes. Son
flou avait permis des abus concernant la formation de certains dentistes. Pour
Brouardel, cette loi de 1892 n’avait qu’un caractère provisoire concernant les dentistes.
Une révision s’imposait. En 1930, un projet de loi des sénateurs François Milan et
Alphonse Rio proposait d’imposer le diplôme de médecin pour avoir le droit d’exercer
l’art dentaire. Ce projet supprimait le diplôme de chirurgien-dentiste ce que certains
dentistes déploraient. D’autres en espéraient pouvoir obtenir rétroactivement le titre de
docteur. L’avis de la CFSM fut d’abord sollicité. A la demande du représentant du
syndicat des stomatologistes, le Dr Herpin, la CFSM accepta la plus grande partie du
projet mais rejeta les mesures transitoires qui envisageaient de permettre aux dentistes
d’obtenir le grade de docteur en médecine selon un règlement à déterminer par le
Conseil supérieur de l’Instruction publique. Mais les syndicats médicaux s’opposaient à
l'accès au doctorat en médecine pour les chirurgiens-dentistes (18).

Pour Alexandre Herpin, "il y a une considération qui prime tout, c'est le fait de faire
entrer dans le cadre médical une spécialité qui produit actuellement 500 praticiens
par an. Il n'y a aucune raison pour que cette spécialité continue à évoluer parmi les
empiriques, parce que nous sommes bien obligés de considérer que ce sont des
empiriques qui l'exercent actuellement" (19). D’autre part, le représentant des
stomatologistes attirait l’attention sur le fait que les dentistes allaient demander
l’obligation du baccalauréat pour s’inscrire dans une école dentaire ; "cela nous
ramènerait peut-être au doctorat dentaire. "

Le gouvernement demanda son à l’Académie nationale de médecine (ANM) son avis sur
le projet des sénateurs, notamment l'article 2 qui précisait : "Nul ne peut exercer la
profession de dentiste s'il n'est muni d'un diplôme de docteur en médecine". Le diplôme
de chirurgien-dentiste se trouvait supprimé. Pour l'ANM, "les problèmes de la
pathologie buccale exigent actuellement des connaissances médicales étendues,
anatomo-pathologiques, bactériologiques, etc. Ces problèmes peuvent nécessiter,
d'autre part, de véritables interventions chirurgicales ; aussi ne sauraient-ils rester
plus longtemps en dehors du cadre de la pathologie médicale ou chirurgicale. Par
ailleurs, les questions d'ordre technique ou manuel, qui ont, dans l'art dentaire, une
réelle importance, paraissent pouvoir être résolus, au même titre que pour d'autre
spécialités médicales, comme la radiologie." Après une longue discussion au cours de
l’année 1931, il était proposé de ne pas modifier ce projet d'article 2. Mais il ne fallait
pas léser les chirurgiens-dentistes déjà diplômés ou en formation. À titre transitoire,
l'ANM proposait que "ces chirurgiens-dentistes pourraient obtenir le titre honorifique
de docteur après avoir soutenu une thèse dans des conditions d'un règlement délibéré
en Conseil supérieur de l'Instruction publique." Pour un des membres de l’ANM : "le
reproche le plus grave qu’on doive faire à la loi Milan-Rio, c’est qu’elle ne fait aucune

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mention des études complémentaires qu’il y aurait lieu d’imposer aux docteurs en
médecine voulant se spécialiser dans l’art dentaire". Imposer officiellement une
formation odontologique après le doctorat aurait été une reconnaissance implicite des
spécialités médicales, ce qui n’était pas encore dans l’air du temps (20). Une des
conséquences des discussions de l’ANM a été l’obligation du baccalauréat pour
l’admission dans les écoles dentaires pour la rentrée de 1935 (décret 19 juillet 1932).
Mais cette discussion incita le gouvernent à retirer ce projet de loi.

La prophétie de Marcel Béliard

La loi de 1892, comme le projet de loi Milan et Rio, creusait un fossé entre les dentistes
et les stomatologistes. Mais certains stomatologistes n’étaient pas satisfaits de cette
situation. Le CFSM, regroupement de syndicats médicaux, avait été fondé en 1929 à
l’occasion de la création des assurances sociales qui allaient modifier la vie des
médecins. Le président fondateur en était le Doyen Balthazard qui écrivait dans le
premier numéro de la revue de la CSMF, le Médecin français : "Le syndicalisme
représente actuellement la puissance la plus considérable pour assurer le triomphe des
revendications médicales ". Le président du syndicat des stomatologistes, le Dr Marcel
Béliard, stomatologiste des hôpitaux de Paris, intervint en mars 1933 devant la
commission enseignement de la CFSM qui étudiait l’épineux sujet des certificats de
spécialités (21). Le secrétaire de la CFSM faisait la déclaration liminaire suivante : "Le
Diplôme d'Etat de docteur en médecine conserve à tous ceux qui le possèdent le droit
absolu et incontestable d'exercer l'intégralité de l'art médical conformément à la loi du
30 novembre 1892 sur l'Exercice de la Médecine. "Cette déclaration liminaire fixait
bien le champ des discussions. La CFSM était écartelée entre les spécialistes qui
souhaitaient être reconnus comme tels, ne serait-ce que vis-à-vis de leur clientèle, et les
généralistes qui refusaient des certificats de spécialités obligatoires qui auraient
restreint leur champ d’activité. Béliard insistait sur le "caractère obligatoire que devait
revêtir le certificat de spécialité bucco-dentaire par égard à l'intérêt des malades et en
raison d’un protocole d’accord conclu avec les Odontologistes, en présence du Ministre
de l'Education nationale, en vue de réaliser l'unité de la profession dentaire."

Mais la Commission n’accepta que le Certificat non obligatoire comportant seulement


"qualification" du spécialiste et lui donnant exclusivement le droit de porter le titre
spécialiste breveté. "La demande de qualification devra être faite aux Facultés de
médecine ou Écoles de plein exercice, qui ne pourront se prononcer qu'après avis de la
Confédération certifiant la qualité de spécialiste".

Quelques semaines plus tard, le conseil d’Administration de la CFSM revenait sur ce


sujet brûlant des spécialités. Le représentant des chirurgiens était le seul, avec le
stomatologiste, à défendre le certificat obligatoire. Le représentant des stomatologistes
déclara vouloir essayer de convaincre le conseil d’administration de créer un certificat
de spécialité obligatoire pour sanctionner les études stomatologiques et buccodentaires.

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Il rappela le protocole (dit protocole de Monzie, ministre de l’Éducation nationale)


signé début mars entre les stomatologistes et les chirurgiens-dentistes pour réaliser
l’unité de la profession avec intégration de l’art dentaire dans le cadre des études de
médecine mais sous la condition de l’obtention d’un certificat d’état garantissant les
capacités techniques du futur spécialiste. C’était la condition sine qua non de l’accord.

Le représentant de la stomatologie demanda avec insistance la création d’un tel


certificat pour sa spécialité, "différente de toutes les autres ", et implorait littéralement
le soutien du conseil d’administration de la CSMF. "Est-ce que d'autres spécialistes que
nous ont à lutter contre la menace de développement d'une corporation organisée,
doublant leur spécialité, la submergeant par le nombre et dont les membres sont
susceptibles de rechercher une évolution autonome, en dehors du cadre médical ? Ne
sont-ce pas là des contingences dont il y a lieu de tenir le plus grand compte, pour ce
qu'elles touchent notre Spécialité exclusivement, et méritent des mesures d'exception ?
Dès lors, le principe accepté, pourquoi refuserait-on aux praticiens de l'art dentaire de
réaliser leur unité, quand leurs représentants qualifiés ont signé, tous ensemble, un
accord général pour atteindre ce but, témoignant ainsi d'une bonne volonté
exceptionnelle. Notre spécialité ne doit pas être le refuge des incapacités ou des
déchéances physiques. Elle vaut mieux que cela! Faut-il vous dire, Messieurs, la
pénible situation qui est aujourd'hui réservée à la profession dentaire, exercée d'une
part par des chirurgiens-dentistes dont beaucoup sont sans culture secondaire, sans
connaissances générales, sans connaissances médicales, et d'autre part par des
médecins dont un grand nombre n'ont pas consenti l'effort d'acquérir les
connaissances techniques indispensables, à l'exercice correct de notre spécialité ! De
ces Confrères si nombreux qui ne comptent à aucun Syndicat.

Une réforme s'offre à vous, Messieurs, pour soustraire la profession dentaire à


l'anarchie qui la déchire. Je vous supplie d'observer l'intérêt qu'il y a pour nous tous à
sa réalisation. Faute de favoriser l'ascension du chirurgien-dentiste, faute d'étudier le
problème posé devant vous dans un large esprit d'indépendance, la réforme prévue
sera peut-être ajournée pour toujours... Alors les Odontologistes, repoussés par les
médecins qui n'auront distingué ni leur bonne volonté, ni leurs sacrifices, reprendront
leur liberté d'action. Ils se rejetteront à la poursuite de l'autonomie de l'art dentaire
pour rechercher un doctorat en chirurgie dentaire dont nous avons évité la menace et
dont le risque deviendrait plus grand que jamais. Ainsi la notion d'un danger
hypothétique conduirait vers une solution redoutable : la création d'un doctorat
spécial. Or, où s'arrêterait le législateur dans cette voie vers le morcellement du
diplôme que nous avons toujours défendu et que nous voulons un et indivisible, comme
la médecine elle-même?

Pour conclure, je vous demande, Messieurs, d'admettre qu'une mesure d'exception


puisse être retenue, posant le principe d'un Certificat d'Etat obligatoire, complétant le
Doctorat en médecine, pour le seul exercice de là spécialité bucco-dentaire".

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Pourriez-vous méconnaître que cette solution est un peu inespérée et feriez-vous bon
marché de notre doctrine en méprisant une acquisition dont nous devrions nous
réjouir confraternellement, tous ensemble. Mais alors à quoi auraient servi les efforts
des médecins-stomatologistes, efforts poursuivis sans relâche depuis quarante ans ?

La supplique du représentant des Stomatologistes ne fut pas entendue. Le conseil


d’administration de la CFSM fit le communiqué suivant : "Le conseil d’administration
de la Confédération des syndicats médicaux français, s'appuyant sur les votes
antérieurs tant de la Fédération nationale que de l'Union des Syndicats médicaux de
France, se déclare à nouveau résolument opposé à tout démembrement du diplôme de
Doctorat en médecine sous forme de Certificat d’État de spécialités".

Cette position devait ulcérer d’autant plus le représentant des stomatologistes que le
"ministre de l‘Éducation nationale lui avait dit vouloir entreprendre une réforme des
études médicales (en chantier depuis plusieurs années), d’accord avec le syndicat et
s’appuyer sur les propositions du syndicat. Il serait inadmissible de refuser une telle
offre aussi amicale qu’inhabituelle" (22). Il rappelait "l'action tenace des chirurgiens-
dentistes en vue d'obtenir une modification à la loi".

Cette occasion unique de réunir les chirurgiens-dentistes et les stomatologistes pour


constituer une spécialité bucco-dentaire médicale avait été refusée par le principal
syndicat médical.

L’invention du docteur-dentiste

La position de la CFSM ne permettant pas la mise en application du "protocole de


Monzie" de 1933 créant une fusion des professions dentaires qui avaient trouvé un
terrain d’entente, un autre projet était de nouveau mis en chantier et aboutit après deux
années de discussions entre les syndicats respectifs à un accord en septembre 1936,
discuté à la CFSM en décembre. Le projet de loi imposait le doctorat en médecine aux
futurs dentistes. Pour le secrétaire de la CFSM, "ce sera un débouché pour 7 à 8 000
médecins. Ceci est fort important". Depuis plusieurs années, la CFSM attirait l’attention
sur le "pléthore médicale" et menait une "campagne destiné à réfréner l'engouement
excessif qui pousse les jeunes générations, insuffisamment renseignées, vers la
carrière médicale ", incitant certains de ses représentants à aller porter le message dans
les lycées (23). Comme l’exposait Béliard, le projet tendait "à mettre aux mains des
seuls Docteurs en Médecine l'exercice de l'Art dentaire que les Chirurgiens-Dentistes
détiennent en majeure partie aujourd'hui, par un singulier privilège qui leur vient de
la loi de 1892, laquelle leur permet de disputer aux médecins la prophylaxie et le
traitement des maladies d'une importante région du corps humain." Un protocole
d’accord était signé entre les deux confédérations médicale et dentaire. Pour la période
transitoire, il était prévu que les "chirurgiens-dentistes et dentistes conservent les
droits qu'ils tiennent de la loi du 30 novembre 1892, de la loi du 26 juillet 1935 ... Ils

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pourront remplacer l’appellation chirurgiens-dentistes par celle de docteur-dentiste


figurant sans disjonction à la suite immédiate du nom patronymique." (24)

Le projet était approuvé par l’assemblée générale de la CFSM en décembre. Ce fut la


dernière tentative d’élaboration d’un projet commun des chirurgiens-dentistes et des
stomatologistes pour harmoniser la profession dentaire.

D’autres sujets plus préoccupants allaient chasser ce projet d’autant plus facilement que
la période de guerre allait inaugurer la "descente aux enfers" de la stomatologie.

La descente aux enfers de la stomatologie

La loi du 17 novembre 1941 organisait l'exercice de la profession dentaire (J.O. du 6


décembre 1941) et créait auprès du Conseil supérieur de l'Ordre des Médecins, une
Section dentaire du Conseil supérieur de l'Ordre, et auprès de chaque Conseil
départemental de l'Ordre des Médecins, une Section dentaire du Conseil de l'Ordre.

Elle nommait le Dr Chactas Hulin de Paris, docteur en médecine, chirurgien-dentiste,


président de la Section dentaire du Conseil supérieur de l'Ordre des Médecins. Parmi
les membres, on retrouvait le docteur Béliard, stomatologiste des Hôpitaux de Paris.

La commémoration du cinquantenaire de la création du titre de chirurgien-dentiste


célébrée à Paris lors de la séance solennelle du 28 novembre 1942, a été marquée par un
discours retentissant de Hulin. Il prônait une nouvelle législation basée sur
l’indépendance de la profession dentaire avec création d’un doctorat en Chirurgie
dentaire délivré par une Faculté dentaire. Les intentions étaient clairement exprimées.
Elles pourront se réaliser après mai 1968.

En attendant, la stomatologie s’organisait à Paris qui accueillait Michel Dechaume en


1927. Ancien interne et aide d'anatomie de Lyon, il venait d'être admissible à
l’agrégation de chirurgie. Il commença une brillante carrière hospitalo-universitaire en
passant le diplôme de l’École de stomatologie de Paris en 1928. Reçu au concours de
stomatologie des Hôpitaux de Paris en 1929, il occupa le poste de chargé de cours en
1941 avant d'être le premier professeur de clinique stomatologique parisien en 1946.

En province, la faculté de médecine de Bordeaux fondait une chaire de stomatologie en


1932, la première en France. Des chaires de clinique stomatologique furent aussi créées
à Paris, Lille, Lyon, Nancy et Nantes en 1946.

A Paris, l’École Française de Stomatologie était rattachée à la Faculté de Médecine de


Paris en 1944. Le titulaire de la chaire n’avait qu’une consultation de stomatologie à la
Pitié baptisée "clinique de stomatologie". Il obtint avec difficultés la construction d’une

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véritable "clinique" appelée Institut de stomatologie, pour la formation pratique des


stomatologistes avec une hospitalisation, dont le début des travaux commença en 1960.

Le Certificat d’études spéciales (CES) de Stomatologie était créé en 1949. Le sérieux de


la formation tant théorique que pratique en deux années, était reconnu pour donner des
odontologistes réputés. Les internes n’en n’étaient pas dispensés alors que les internes
des autres disciplines bénéficiaient d’équivalence (excepté aussi pour la radiologie et
l’anesthésie).

En 1953, la Société de Stomatologie de Paris créée en 1888, devenue en 1953 Société


Française de Stomatologie, franchissait une nouvelle étape en devenant Société
Française de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-Faciale.

Les dentistes ne restent pas inactifs. L’enseignement dentaire s’intègre à l’enseignement


officiel avec la création des Écoles Nationales de Chirurgie Dentaire (ENCD) en 1965,
avec un enseignement public financé. Les établissements de statut privé ou municipal et
les instituts des facultés de médecine qui préparent au diplôme de chirurgien-dentiste
peuvent être érigés en ENCD. Dès lors, des conventions vont pouvoir lier ces écoles avec
les Centres Hospitaliers Régionaux pour transformer les "cliniques dentaires" en
services de consultations et de soins dentaires. Ces écoles nationales vont rapidement
disparaître avec la création des facultés de chirurgie dentaire après 1968. Cette année
1968 sera cataloguée d’emblématique par les chirurgiens-dentistes car le dispositif de
formation va intégrer les universités, au même titre que les facultés de médecine.

L’après 1968

Cette période voit la dégradation des rapports entre stomatologistes et dentistes avec la
création des UER d’odontologie, devenues UFR puis facultés dentaires.

L’odontologie se libère de la tutelle de la stomatologie. Dans les CHU avec facultés


dentaires, les centres de soins dentaires sont confiés aux dentistes de la faculté dentaire.
On note une désertification progressive des dentistes des services de stomatologie qui
contribuaient à la formation des internes stomatologistes. Le diplôme d’état de docteur
en chirurgie dentaire se substitue au diplôme d’état de chirurgien-dentiste à compter de
la l’année universitaire 1972-1973.

Les premières thèses dites d’exercice sont soutenues en 1973 pour tous les étudiants
achevant leur 5e année. De très nombreux chirurgiens-dentistes diplômés
antérieurement souhaiteront devenir "docteur" et prépareront leur thèse et la
soutiendront en revenant à la faculté. La liberté non limitative de prescription accordée
aux chirurgiens-dentistes en 1972 amènera la faculté à renforcer les enseignements de
pharmacologie et de thérapeutique.

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La réforme des études médicales de 1984 fait disparaître le Certificat d’études spéciales
(CES) de Stomatologie. Les spécialités chirurgicales (dont la Stomatologie) doivent
passer par "l’internat qualifiant "avec le Diplôme d’études spécialisées (DES) de
Stomatologie.

De leur côté, les odontologistes obtiennent en 1989 la création d’un Diplôme d’Etudes
Supérieures de Chirurgie Buccale (DESCB) non qualifiant (arrêté du 2 Août 1989).

A la même époque, peut-être par réaction, les stomatologistes obtiennent en 1988, en


plus du DES de stomatologie, un Diplôme d’études spécialisées complémentaires
(DESC) de Chirurgie maxillo-faciale et Stomatologie passant par le DES de chirurgie
générale. Au dire de responsables de la spécialité, c’est "la voie d’excellence" de la
stomatologie. Cette voie sera privilégiée par les générations successives d’internes,
même si la durée des études est plus longue (6 ans contre 4 ans), à un point tel que le
recrutement du DES a inexorablement décliné (le dernier étudiant titulaire du DES de
stomatologie, à Paris, l’a été en 2003). Il en a été de même dans les autres facultés. En
s’élevant dans la voie chirurgicale, la spécialité s’éloignait de la base dentaire sur
laquelle elle reposait, même si "l’art dentaire" a fait place officiellement en 2009 à la
médecine bucco-dentaire avec la norme iso 1942:2009 proposée par l’Association
dentaire française (ADF) et publiée en décembre 2009.

Conclusion

Cette histoire amène une première réflexion. Les défenseurs de la stomatologie qu’on
peut dater de la création de la Société de chirurgie dentaire de Parisiens en mai 1845
pour un art dentaire de qualité, se sont battus pendant un siècle et demi pour obtenir
une médicalisation de l’art dentaire. Les successeurs tout aussi imprégnés d’une
médecine dentaire d’excellence, se sont trouvés confrontés à des dentistes de niveau
très variable. A plusieurs reprises, les projets de modus vivendi acceptable, si ce n’est de
fusion entre les deux professions, se sont trouvés enrayés par des obstacles de tous
genres, allant de la révolution de 1848 qui ne permit pas la promulgation de la loi
Salvandy, au blocage de la CFSM dans les années 1930.

La récente création du DESCO est le premier trait d’union entre les deux conceptions de
l’enseignement de la médecine buccodentaire tant souhaité par certains depuis plus
d’un siècle.

Bibliographie

1. Roger, É., Godon, Charles - Code du chirurgien-dentiste : Explication de la loi du 30


Novembre 1892, sur l'exercice de la médecine, en ce qui concerne exclusivement les
Chirurgiens-Dentistes, Paris : J- Baillière, 1893 http://www.archive.org/details
/codechirurgiende00roge

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2. De la profession de dentiste - Annales d'hygiène publique et de médecine légale. -


1846. n° 35, série 1, p. 157-170
3. Caron, Ph. - La législation des arts de guérir au début du XIXe siècle Actes. Société
française d'histoire de l'art dentaire, 1995, p. 13-16 ../../../ressources/pdf/sfhad-
1995-1995-05.pdf
4. Legent, F. - L’enseignement de l’ORL à Paris au XIXe siècle. Annales françaises
d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale (2010) 127, 103-108 et 127,
150-156 ../../../ressources/pdf/sfhm-journees-2009-01.pdf
5. "Suppression de la patente médicale", Bulletin général de thérapeutique médicale et
chirurgicale, 1844, n° 26, p. 240
6. "Projet de loi sur l'enseignement et l'exercice de la médecine et de la pharmacie avec
l’exposé des motifs". Publication Union Médicale, 1847
7. "Variétés" - Archives générales de médecine. - 1853. - 1853, série 5, n° 02, p. 370
8. Dechambre, A. - "Jurisprudence médicale. Exercice de l’art dentaire". Gazette
hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 1871 série 2, tome 08. 14 avril p. 177-184

9. Andrieu, E. - Traité complet de stomatologie, comprenant l'anatomie, la


physiologie, la pathologie, la thérapeutique, l'hygiène et la prothèse de la bouche,
Paris, 1868
10. Audibran, J. - Fondation de la société de chirurgie dentaire de Paris. Paris: chez
l'auteur, 1847
11. Société française d’histoire de l’art dentaire - L’Ecole et l’hôpital dentaires libres de
Paris au 23 rue Richer. http://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhad/cab_txt10.htm
12. "Organisation de la profession de dentiste - Projet Le Fort", Gazette hebdomadaire
de médecine et de chirurgie, 1882. - série 2, tome 19, p. 419
13. Magitot, É. - A propos du projet récent de réglementation de l'art dentaire en
France. Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie 1881. - série 2, tome 18, p.
623, 640, 654
14. Rapport sur le programme professionnel des mécaniciens dentistes, publié par le
Syndicat des mécaniciens-dentistes, 3 rue du Château d'Eau, 1922
15. Godon, Charles. - L'évolution de l'art dentaire : L'école dentaire, son histoire, son
action, son avenir, thèse de médecine de Paris 1901 n° 133.
16. Vidal, F. - Regards sur l’histoire de l’art dentaire, de l’époque romaine à nos jours.
Document auparavant accessible en ligne sur le site de l’Académie nationale de
chirurgie dentaire.
17. Le Médecin de France. Journal officiel de la Confédération des Syndicats médicaux
de France. 1er nov. 1933, n° 20, p. 828, 834
18. ibid. 15 déc. 1930, n°23, p.1089
19. ibid. 1er mars 1931, n° 5, p. 198
20. Bulletin de l’Académie nationale de médecine, troisième série, tome 105, 1931, 3
mars, 17 mars, 31 mars, 14 avril, 26 mai, 9 juin.

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21. Le Médecin de France. Journal officiel de la Confédération des Syndicats médicaux


de France. 15 avril 1933, n° 8, p. 271, et 1er mai n° 9, p. 357
22. ibid. août 1933, n° 16 p. 648
23. ibid. mai 1930, n° 10, p 379
24. ibid. 1er janv. 1937, n°1, p. 148

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