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Une Brève Histoire de La Stomatologie - BIU Santé, Paris
Une Brève Histoire de La Stomatologie - BIU Santé, Paris
biusante.parisdescartes.fr
François LEGENT
Oto-rhino-laryngologiste
Université de Nantes
flegent@free.fr
mars 2012
Entre ces deux dates, les études dentaires ont connu des soubresauts difficiles à
comprendre sans connaissance de certaines clés.
La question de fond
Au XIXe siècle
Les spécialités étaient mal vues par les ténors encyclopédistes qui n’acceptaient pas
d’être débordés par des confrères reconnus plus compétents.
Alors que c’est en France qu’on trouve dès le début du XIXe siècle le premier hôpital
d’enfants, des hôpitaux spécialisés en dermatologie, en psychiatrie, un "bureau central"
installé à l’Hôtel-Dieu pendant tout le XIXe siècle pour orienter les hospitalisations en
fonction des maladies, et le premier établissement spécialisé pour les maladies d’oreille
avec l’Institution des sourds-muets et Itard, la conception encyclopédiste des
responsables médicaux a fait barrage aux tentatives d’organisation officielle
d’enseignement des spécialités. Les premiers ORL devaient aller en Autriche ou en
Allemagne pour parfaire leurs connaissances (4).
Le monde médical était hostile aux certificats obligatoires de spécialité qui risquaient de
rogner le champ d’activité potentielle des docteurs en médecine générale.
Dès la parution des lois des années 1880 autorisant les syndicats professionnels, les
médecins ont créé les leurs. En se regroupant dans la Confédération des syndicats
médicaux de France en 1929, le syndicalisme médical devint un interlocuteur privilégié
des instances officielles, notamment pour les réformes concernant les études médicales.
Concernant les spécialités, cette CFSM était écartelée entre les spécialistes qui
souhaitaient un diplôme reconnaissant leur compétence vis-à-vis de leur clientèle et les
généralistes qui n’acceptaient pas la limitation de leur compétence, ce qu’auraient
entraîné des diplômes obligatoires de spécialités. Le syndicat admettait la qualification
sans la certification. Ce refus était considéré par la CMSF comme un préliminaire à
toute discussion. Cette situation perdura jusqu’à la création des CES après la guerre.
créait trois écoles de santé pour former les médecins, les chirurgiens officiers
de santé dont la nation avait besoin pour ses armées, en fusionnant la médecine
et la chirurgie.
Cette loi de ventôse an XI instaurait des écoles de médecine. La distinction était abolie
entre médecins et chirurgiens, tout en distinguant le doctorat en médecine et le doctorat
en chirurgie, distinction qui disparaîtra en 1892. La médecine comportait désormais
deux niveaux :
celui des docteurs, issus des écoles de médecine dont le titre donnait le droit
d'exercer la médecine et la chirurgie sur tout le territoire ;
celui des officiers de santé, pratiquant une médecine restreinte après des études
plus brèves. Jusqu’en 1855, les officiers de santé étaient reçus par des jurys
médicaux dans les départements. L’officier de santé ne pouvait exercer que
dans les limites du département où il avait été reçu.
Cette loi de ventôse an XI a fait couler beaucoup d’encre au XIXe chez les dentistes. En
effet, elle n’évoquait que les docteurs en médecine, les officiers de santé et les sages-
femmes. Elle ignorait les différents "experts" de l’ancien régime : dentistes, et oculistes
notamment. Plusieurs dentistes furent poursuivis par des confrères dentistes "diplômés
médecins" devant des juridictions locales de police correctionnelle pour exercice de l’art
dentaire sans diplôme, qui se sont portés partie civile, au prétexte que "si la loi de
ventôse n’évoquait pas les dentistes, l’esprit de cette loi le sous-entendait". Devant la
clémence de certains tribunaux, le procureur général fit appel devant la Cour de
cassation.
Dans une chronique des Annales d’hygiène publique et de médecine légale de 1846
intitulée De la profession de dentiste (2), l’auteur faisait remarquer que si la loi de
ventôse n’évoquait ni les dentistes ni les oculistes, ce n’était pas par oubli mais "pour
faire disparaître toutes les anomalies de l’ancienne législation, et de ramener l’art de
guérir à une unité de pratique que réclamait l’intérêt de la santé publique". L’auteur
terminait en écrivant "qu’on ne peut pas abandonner l’exercice de l’art du dentiste au
premier ignorant qui voudra s’y livrer ; si on pense qu’il serait peut-être rigoureux
d’exiger pour cette profession un diplôme de docteur ou d’officier de santé, on pourrait
au moins demander des examens spéciaux, ainsi que le prescrivait l’ordonnance de
1768 ; cette question est de la plus haute importance ; il faut espérer qu’elle sera
résolue par la nouvelle loi qu’on prépare sur l’exercice de la médecine". L’auteur
mettait tous ses espoirs dans le projet Salvandy.
La patente fut créée en France avec la loi de mars 1791 par l’assemblée constituante. Le
but de la patente était alors de taxer un revenu présumé en fonction de l'outil de travail.
En 1844, la loi réorganisait complètement cet impôt. Elle prévoyait avant son passage à
la Chambre des députés l’exonération pour certaines professions, dont les médecins,
chirurgiens, officiers de santé, sages-femmes, oculistes, dentistes, ce qui reconnaissait
officiellement ces professions (5). Le député Jean-Baptiste Bouillaud, le médecin dont le
nom reste attaché aux liens entre rhumatisme articulaire aigu et cardiopathie, fit
ramener la liste aux médecins, officiers de santé, sages-femmes et vétérinaires. Les
dentistes n’y figuraient plus. Bouillaud avait demandé que "l’article de loi fut conforme
aux termes de la loi de l’an XI "qui ne mentionnait pas les dentistes. Il ne voulait pas
ouvrir la boîte de Pandore des frontières entre les champs d’activité des médecins et
ceux des auxiliaires médicaux. La patente créait de fait deux catégories de dentistes :
d’une part les médecins-dentistes (docteurs ou officiers de santé) non patentés, d’autre
part les dentistes patentés, non médecins mais reconnus. Cette distinction aura son
importance lors de l’application de la loi de 1892. Quant aux dentistes non médecins et
non patentés, ils regroupaient surtout les charlatans.
Le projet précisait aussi que "nul ne peut exercer la profession de dentiste s’il n’est
docteur en médecine ou s’il ne justifie pas d’un brevet spécial délivré par une école ou
une faculté". Les débats à la Chambre des pairs se prolongèrent au cours de l’année
1847. En janvier 1848, le ministre défendait son projet devant la chambre des députés.
Mais la révolution de février 1848 envoya cette loi rejoindre le musée des occasions
perdues, laissant se développer de nombreuses installations de dentistes en France.
En 1871, Amédée Dechambre revenait dans la Gazette médicale sur l’aspect juridique de
la profession de dentiste (8). Le directeur-fondateur de ce journal faisait remarquer
que, "dans l’état actuel de la législation, un cabinet de dentiste peut être ouvert sans
obligation de diplôme ; mais la pratique dentaire devrait être exclusivement manuelle
; s’abstenir de tout traitement médical, de toute opération chirurgicale. En dehors de
ces limites, que reste-t-il ? Le nettoyage, le limage, la pose des dents, leur extraction
peut-être, la construction d’appareils prothétiques...Seulement, entre les divers
moyens à employer dans la pratique dentaire, ceux du domaine médical et ceux du
domaine manuel, il y a souvent des connexités qui rendraient très mal aisé et fort
incommode pour le patient le partage du terrain entre le médecin et l’expert".
Dechambre terminait en écrivant qu’il fallait laisser au dentiste "toute l’étendue que
comporte sa profession mais en le soumettant à des épreuves spéciales, ainsi qu’il a été
fait pour les sages-femmes".
Cette situation de "non loi" ne pouvait laisser indifférents les médecins spécialisés dans
l’art dentaire ou "médecins-dentistes". Aussi les plus dynamiques de ces médecins se
regroupèrent pour poursuivre les dentistes non diplômés.
Naissance de la stomatologie
De quand dater cette spécialité médicale de l’art dentaire ? Le nom a été créé en 1868
par le docteur Edmond Andrieu, chirurgien-dentiste, médecin-dentiste de l'hospice des
Enfants-assistés et de la Maternité avec son Traité complet de stomatologie (9). Il
expliquait dans l'avant-propos pourquoi il avait créé le terme stomatologie. "Nous
désignons sous le nom de stomatologie la partie de l’art médical qui comprend l’étude
de la bouche et de ses maladies, et sous celui de stomatologiste le médecin qui se livre
spécialement à cette étude", et qui, désormais, allait se substituer à celui de médecin-
dentiste. En toute logique, on peut qualifier de "stomatologistes" les dentistes
revendiquant leur attachement au corps médical, soit pour l’époque comme docteurs en
médecine soit comme officiers de santé spécialisés dans l’art dentaire. On verra plus
tard des médecins-dentistes revendiquer le doctorat dentaire comme Chactas Hulin de
Paris lors de sa présidence de la Section dentaire du Conseil supérieur de l'Ordre des
Médecins sous Vichy.
Roux, "nul de devrait exercer l’art du dentiste s’il ne possède pas le titre de docteur, ou
au moins celui d’officier de santé, et qu’en conséquence, les dentistes pourvus de ces
diplômes font nécessairement partie du corps médical". Velpeau allait plus loin : "L’art
du dentiste est une partie essentielle de la médecine....Pour exercer cet art, il est
indispensable d’être médecin ou chirurgien".
L’avocat d’un des dentistes poursuivis avançait que la plainte était liée à la jalousie du
succès en clientèle de son client, et que la loi de ventose an XI ne s’appliquait qu’aux
vrais chirurgiens et non aux chirurgiens-dentistes. Comme preuves, un autre avocat mit
les rieurs de son côté en expliquant : "Les grands et vrais chirurgiens ont toujours
dédaigné d’arracher les dents. Adressez-vous à M. Velpeau, à M. Malgaigne, et
présentez votre mâchoire, et vous verrez comment vous serez reçus".
A en croire Audibran, les poursuites judiciaires contre ces dentistes non diplômés qui
entachaient l’honorabilité de la profession eurent d’heureux résultats. Condamnés en
première instance pour exercice sans diplôme, ces dentistes "se disposèrent presque
tous à étudier, afin d’acquérir les connaissances nécessaires pour pouvoir se faire
examiner et obtenir le diplôme qui pouvait seul les autoriser à continuer d’exercer la
profession de dentiste. C’est là ce que désirait le corps des dentistes poursuivants."
Mais les jugements en appel condamnaient aussi les dentistes non diplômés. Un seul
alla jusqu’à la cour suprême, un étranger d’origine néerlandaise, Benjamin Cohen, qui
avait adopté le pseudonyme anglicisant de William Rogers pour se faire passer pour un
praticien londonien alors qu’il n’avait aucun diplôme. Installé à Paris en 1836, il
revendiquait l’invention d’amalgame en platine, de dentiers "osanaures "en ivoire
d’hippopotame "maintenus par la seule action de la pression atmosphérique", et
n’hésitait pas à recourir à la presse pour se faire une publicité par des articles
dithyrambiques ou l'emploi d’hommes sandwich alors appelés "laquais-affiche".
Dans son livre sur la Fondation de la Société de chirurgie dentaire de Paris, Audibran
reprend l’historique de ce combat, poursuivi après pendant les années 1860 par Andrieu
auprès des différents ministères, des corps législatifs et du sénat. Dans une pétition de
1877, Andrieu allait même jusqu’à demander le doctorat obligatoire pour exercer l’art
dentaire.
En février 1888 était créée la Société de stomatologie de Paris. Pour en faire partie, il
fallait être pourvu d’un diplôme de médecin français ou d’un diplôme étranger reconnu
équivalent par la Société.
La scission
Pour le Cercle des dentistes de Paris, avec à sa tête Emmanuel Lecaudey et Charles
Godon, l'objectif essentiel résidait dans l'établissement d'une école professionnelle libre,
où la tutelle de l'État était totalement exclue. Le diplôme dispensé serait de :
"Chirurgien-dentiste de l'École professionnelle dentaire de Paris ". Dès décembre 1879,
ce Cercle des dentistes de Paris présentait son projet de fondation d'une École
professionnelle de chirurgie et de prothèse dentaire à Paris ainsi que d'une clinique en
"hôpital dentaire adjointe à l'École " et lançait une souscription nationale permanente
auprès des dentistes, du monde médical et du public.
Ainsi furent crées en France les deux première écoles dentaires parisiennes privées:
Une commission fut constituée de trois professeurs et deux chirurgiens, dont Le Fort
qui était très impliqué dans l’enseignement de la Faculté. Ce futur professeur de
clinique chirurgicale comprenait l’importance de la spécialisation (12). La "commission
Le Fort" étudia le dossier et conclut que l’art dentaire nécessitait deux à trois ans de
stage chez un praticien. Si on exige d’eux le diplôme de docteur en médecine, ce que
certains représentants des dentistes réclamaient, "on leur donne une sorte de
supériorité sur les médecins ordinaires". Si on exige le diplôme d’officier de santé, on
va augmenter le nombre de ces médecins alors qu’il faut aller progressivement vers leur
disparition. On peut aussi créer des "écoles libres qui délivrent des brevets de
chirurgien-dentiste après deux ans d’études comme il en existe une à Paris depuis deux
ans". En fait, la commission rejetait tout diplôme médical obligatoire pour les dentistes,
et proposait la création d’un diplôme de dentiste. La commission ne pouvait admettre
un diplôme privé à côté d’un titre officiel. Elle proposa un "diplôme spécial de dentiste"
après deux années de cours dans une faculté ou école de médecine, avec un stage dans
un service de chirurgie, et deux années de stage dans une école d’odontologie ou chez
un dentiste.
La "réforme Le Fort" prévoyait que "les docteurs en médecine et les officiers de santé
qui désireront pouvoir joindre à leur titre celui de dentiste, ne seront astreints qu’aux
deux années de stage spécial, et n’auront à subir d’autre examen que l’épreuve
pratique". Elle traduisait la pensée de la commission que le médecin, malgré le
caractère général d’exercice, ne pouvait pas pratiquer l’art dentaire sans avoir eu une
formation spéciale. Elle rejetait le terme de "chirurgien dentiste" afin de marquer
l’interdiction de pratiquer des opérations chirurgicales.
Après le projet gouvernemental déposé devant les Chambres, un autre projet émanant
de l'initiative parlementaire fut présenté trois ans plus tard. Ces deux projets, fusionnés
en 1889, soumis à la Chambre et au Sénat en 1890, ont été à l’origine de la loi
promulguée le 30 novembre 1892.
Elle est parfois appelée loi Brouardel, doyen de la faculté de médecine, son rapporteur
devant les instances législatives. Après la loi de ventôse an XI, ce fut la deuxième grande
loi sur l’organisation de la médecine en France. Elle supprimait l’officiat de santé et
règlementait l’exercice de la médecine, de la profession de dentiste et de la profession
de sage-femme. Elle créait le diplôme de chirurgien-dentiste (1).
Art. 2. - Nul ne peut exercer la profession de dentiste, s'il n'est muni d'un diplôme de
docteur en médecine ou de chirurgien-dentiste. Le diplôme de chirurgien-dentiste
sera délivré à la suite d'examens subis devant un établissement d'enseignement
supérieur médical de l'État.
A la différence des médecins, les dentistes n’avaient pas l’obligation d’être bacheliers (il
fallut attendre un décret de janvier 1909 pour rendre obligatoire le brevet et faire passer
le nombre d’années d’études de 3 à 5 ans). Ils devaient dans ce cas passer un examen
d’entrée à l’école. Au titre de dentiste qui avait été conservé par les députés a été
substitué celui de chirurgien-dentiste à la demande du sénat. Il ne fallait pas marquer
d’infériorité par rapport à certains confrères étrangers, notamment américains qui
avaient pour titre "surgeon-dentist". Ils retrouvaient ainsi un titre perdu avec
l’ordonnance 1768. A titre transitoire, les officiers de santé reçus antérieurement auront
le droit d'exercer la médecine et l'art dentaire sur tout le territoire de la République.
Cette loi précisait que "Les dentistes seront soumis à toutes les obligations imposées
par la loi aux docteurs en médecine. Un règlement, délibéré en Conseil supérieur de
l'instruction publique, déterminera les conditions dans lesquelles un dentiste, qui
bénéficie des dispositions transitoires, pourra obtenir le diplôme de chirurgien-
dentiste. Le droit d'exercer l'art dentaire est maintenu à tout dentiste justifiant qu'il est
inscrit au rôle des patentes au 1er janvier 1892".
Ainsi, tous les dentistes qui avaient pris patente avant la parution de cette loi purent
continuer à exercer sans passer d’examen. Quant aux "dentistes non patentés" qui
n’avaient pu bénéficier des mesures transitoires, ils vont s’établir "mécaniciens-
dentistes".
Les deux Ecoles Dentaires fondées antérieurement furent reconnues d'utilité publique
et considérées par l'Etat comme Écoles préparatoires où les élèves font un stage de trois
ans, avant leurs examens devant la Faculté qui leur confère le titre de Chirurgien-
Dentiste, permettant aux impétrants de mettre sur leur carte de visite, après leur nom :
Si tous les dentistes qui avaient pris patente avant la parution de cette loi pouvaient
continuer à exercer sans passer d’examen, la loi avait toutefois apporté une restriction à
leur exercice. "Ces dentistes n'auront le droit de pratiquer l'anesthésie qu'avec
l'assistance d'un docteur ou d'un officier de santé."
Cette loi de 1892 ne pouvait satisfaire les dentistes qui se trouvaient concurrencés par
des officiers de santé sans aucune obligation de formation adaptée ou par ceux qui
voulaient garder la liberté d’organiser librement la profession. Elle constituait une
bombe à retardement qui explosa en 1968. De plus, si la loi de 1892 reprenait l’idée du
rapport Le Fort de 1881 de création d’un diplôme de dentiste, elle supprimait toute
notion d’obligation de formation spéciale pour les médecins.
Certains dentistes finirent par admettre cette nouvelle loi, comme Charles Godon qui
l’avait vigoureusement combattue. Il changea de comportement en quelques années,
allant même jusqu’à passer une thèse de médecine en 1900 sur l’Évolution de l’art
dentaire (15). Il y racontait l’histoire de l’École dentaire de Paris créée en1880, dont il
était devenu le directeur. Pour lui, la loi de 1892 était la Charte du chirurgien-dentiste;
il admettait cette loi puisque c’est la loi, Dura lex, sed lex écrivait-il. C’était la main
tendue aux médecins-dentistes. En 1900, à côté de l’École dentaire de Paris et de
l‘École Odontotechnique, on dénombrait en France trois autres écoles dentaires
ouvertes au cours des années 90, l’École dentaire pratique à Paris en 1892 créée par un
dissident de l’École Dentaire de Paris, une école à Bordeaux en 1895 et à Lyon en 1898.
Ce fut le début de l’âge d’or de la stomatologie.
Certains médecins-dentistes ne pouvaient accepter cette loi de 1892 car ils se voyaient
concurrencés par des dentistes formés en trois années, avec pour tout bagage le
certificat d’études. De plus, la contrepartie de cette loi était de refuser l’officialisation
d’un enseignement de stomatologie par la faculté. Ils durent créer leur propre
enseignement payant mais non obligatoire, perdant la chance de voir une double
formation officielle médicale et dentaire pour certains spécialistes.
En 1894, Magitot lançait la Revue de stomatologie dont le premier rédacteur en chef fut
Ludger Cruet. En 1897, le doyen Paul Camille Brouardel obtenait du ministère de
l’Instruction publique, une mission d'étude sur le fonctionnement des écoles dentaires à
l'étranger pour un jeune médecin, Paul Gires, l’année suivant sa soutenance de thèse sur
un sujet de stomatologie. Après un séjour de plus de deux années aux USA d’où il revint
avec un diplôme universitaire de dentiste, Gires fit un rapport publié en 1900 et prit
plus tard des responsabilités dans la spécialité;
En province, la faculté libre de médecine de Lille, nouvellement créée, recrutait dès 1877
Jean-Marie Rédier pour assurer l’enseignement de la pathologie externe et de la
stomatologie. Ce médecin militaire, qui avait dû interrompre sa préparation au
concours d’agrégation du Val de Grâce pour raisons de santé, s’intéressait à la
stomatologie. Il organisa un cours et une clinique des maladies de la bouche et des
dents, et donna plusieurs publications dans ce domaine dont un précis de stomatologie.
Pour les dentistes : "La situation des stomatologistes était prépondérante malgré leur
faiblesse numérique. La possession du doctorat ne les soumet pas, comme c'est le cas
pour les chirurgiens-dentistes, à des limites thérapeutiques strictes. Les services
hospitaliers deviennent leur domaine exclusif, le service aux Armées ne confie les soins
et la prothèse qu'aux stomatologistes" (16).
Mais la situation des mécaniciens vis-à-vis du diplôme de dentiste allait mettre le feu
aux poudres et envenimer les rapports avec les chirurgiens-dentistes.
Les mécaniciens-dentistes
Dès la parution de la loi de 1892, les dentistes "qui n'ont pu bénéficier de la patente de
1892, vont chercher à s'établir à façon et c'est seulement vers cette époque, que nous
voyons se créer des laboratoires de prothèse à façon". C’est ainsi qu’un ancien
bijoutier, "ingénieux et d'une grande puissance de travail va monter une maison où il
ne tardera pas à employer une trentaine d'ouvriers mécaniciens-dentistes, à Paris. A
partir de ce moment, cette autre profession semble prendre corps et n'aura plus à faire
directement à la clientèle du public ; les prothésistes semblent perdre de plus en plus
contact, à la grande satisfaction du Syndicat des Chirurgiens-dentistes qui, de son
côté, mène une campagne violente contre ceux qui enfreignent la loi sur l'art dentaire
et comme cette loi ne stipule pas nettement et en détail les conditions de la prothèse, on
englobe dans un intérêt particulier, l'une et l'autre".
La loi de 1892 ne donnait pas satisfaction, ni aux dentistes, ni aux stomatologistes. Son
flou avait permis des abus concernant la formation de certains dentistes. Pour
Brouardel, cette loi de 1892 n’avait qu’un caractère provisoire concernant les dentistes.
Une révision s’imposait. En 1930, un projet de loi des sénateurs François Milan et
Alphonse Rio proposait d’imposer le diplôme de médecin pour avoir le droit d’exercer
l’art dentaire. Ce projet supprimait le diplôme de chirurgien-dentiste ce que certains
dentistes déploraient. D’autres en espéraient pouvoir obtenir rétroactivement le titre de
docteur. L’avis de la CFSM fut d’abord sollicité. A la demande du représentant du
syndicat des stomatologistes, le Dr Herpin, la CFSM accepta la plus grande partie du
projet mais rejeta les mesures transitoires qui envisageaient de permettre aux dentistes
d’obtenir le grade de docteur en médecine selon un règlement à déterminer par le
Conseil supérieur de l’Instruction publique. Mais les syndicats médicaux s’opposaient à
l'accès au doctorat en médecine pour les chirurgiens-dentistes (18).
Pour Alexandre Herpin, "il y a une considération qui prime tout, c'est le fait de faire
entrer dans le cadre médical une spécialité qui produit actuellement 500 praticiens
par an. Il n'y a aucune raison pour que cette spécialité continue à évoluer parmi les
empiriques, parce que nous sommes bien obligés de considérer que ce sont des
empiriques qui l'exercent actuellement" (19). D’autre part, le représentant des
stomatologistes attirait l’attention sur le fait que les dentistes allaient demander
l’obligation du baccalauréat pour s’inscrire dans une école dentaire ; "cela nous
ramènerait peut-être au doctorat dentaire. "
Le gouvernement demanda son à l’Académie nationale de médecine (ANM) son avis sur
le projet des sénateurs, notamment l'article 2 qui précisait : "Nul ne peut exercer la
profession de dentiste s'il n'est muni d'un diplôme de docteur en médecine". Le diplôme
de chirurgien-dentiste se trouvait supprimé. Pour l'ANM, "les problèmes de la
pathologie buccale exigent actuellement des connaissances médicales étendues,
anatomo-pathologiques, bactériologiques, etc. Ces problèmes peuvent nécessiter,
d'autre part, de véritables interventions chirurgicales ; aussi ne sauraient-ils rester
plus longtemps en dehors du cadre de la pathologie médicale ou chirurgicale. Par
ailleurs, les questions d'ordre technique ou manuel, qui ont, dans l'art dentaire, une
réelle importance, paraissent pouvoir être résolus, au même titre que pour d'autre
spécialités médicales, comme la radiologie." Après une longue discussion au cours de
l’année 1931, il était proposé de ne pas modifier ce projet d'article 2. Mais il ne fallait
pas léser les chirurgiens-dentistes déjà diplômés ou en formation. À titre transitoire,
l'ANM proposait que "ces chirurgiens-dentistes pourraient obtenir le titre honorifique
de docteur après avoir soutenu une thèse dans des conditions d'un règlement délibéré
en Conseil supérieur de l'Instruction publique." Pour un des membres de l’ANM : "le
reproche le plus grave qu’on doive faire à la loi Milan-Rio, c’est qu’elle ne fait aucune
mention des études complémentaires qu’il y aurait lieu d’imposer aux docteurs en
médecine voulant se spécialiser dans l’art dentaire". Imposer officiellement une
formation odontologique après le doctorat aurait été une reconnaissance implicite des
spécialités médicales, ce qui n’était pas encore dans l’air du temps (20). Une des
conséquences des discussions de l’ANM a été l’obligation du baccalauréat pour
l’admission dans les écoles dentaires pour la rentrée de 1935 (décret 19 juillet 1932).
Mais cette discussion incita le gouvernent à retirer ce projet de loi.
La loi de 1892, comme le projet de loi Milan et Rio, creusait un fossé entre les dentistes
et les stomatologistes. Mais certains stomatologistes n’étaient pas satisfaits de cette
situation. Le CFSM, regroupement de syndicats médicaux, avait été fondé en 1929 à
l’occasion de la création des assurances sociales qui allaient modifier la vie des
médecins. Le président fondateur en était le Doyen Balthazard qui écrivait dans le
premier numéro de la revue de la CSMF, le Médecin français : "Le syndicalisme
représente actuellement la puissance la plus considérable pour assurer le triomphe des
revendications médicales ". Le président du syndicat des stomatologistes, le Dr Marcel
Béliard, stomatologiste des hôpitaux de Paris, intervint en mars 1933 devant la
commission enseignement de la CFSM qui étudiait l’épineux sujet des certificats de
spécialités (21). Le secrétaire de la CFSM faisait la déclaration liminaire suivante : "Le
Diplôme d'Etat de docteur en médecine conserve à tous ceux qui le possèdent le droit
absolu et incontestable d'exercer l'intégralité de l'art médical conformément à la loi du
30 novembre 1892 sur l'Exercice de la Médecine. "Cette déclaration liminaire fixait
bien le champ des discussions. La CFSM était écartelée entre les spécialistes qui
souhaitaient être reconnus comme tels, ne serait-ce que vis-à-vis de leur clientèle, et les
généralistes qui refusaient des certificats de spécialités obligatoires qui auraient
restreint leur champ d’activité. Béliard insistait sur le "caractère obligatoire que devait
revêtir le certificat de spécialité bucco-dentaire par égard à l'intérêt des malades et en
raison d’un protocole d’accord conclu avec les Odontologistes, en présence du Ministre
de l'Education nationale, en vue de réaliser l'unité de la profession dentaire."
Pourriez-vous méconnaître que cette solution est un peu inespérée et feriez-vous bon
marché de notre doctrine en méprisant une acquisition dont nous devrions nous
réjouir confraternellement, tous ensemble. Mais alors à quoi auraient servi les efforts
des médecins-stomatologistes, efforts poursuivis sans relâche depuis quarante ans ?
Cette position devait ulcérer d’autant plus le représentant des stomatologistes que le
"ministre de l‘Éducation nationale lui avait dit vouloir entreprendre une réforme des
études médicales (en chantier depuis plusieurs années), d’accord avec le syndicat et
s’appuyer sur les propositions du syndicat. Il serait inadmissible de refuser une telle
offre aussi amicale qu’inhabituelle" (22). Il rappelait "l'action tenace des chirurgiens-
dentistes en vue d'obtenir une modification à la loi".
L’invention du docteur-dentiste
D’autres sujets plus préoccupants allaient chasser ce projet d’autant plus facilement que
la période de guerre allait inaugurer la "descente aux enfers" de la stomatologie.
L’après 1968
Cette période voit la dégradation des rapports entre stomatologistes et dentistes avec la
création des UER d’odontologie, devenues UFR puis facultés dentaires.
Les premières thèses dites d’exercice sont soutenues en 1973 pour tous les étudiants
achevant leur 5e année. De très nombreux chirurgiens-dentistes diplômés
antérieurement souhaiteront devenir "docteur" et prépareront leur thèse et la
soutiendront en revenant à la faculté. La liberté non limitative de prescription accordée
aux chirurgiens-dentistes en 1972 amènera la faculté à renforcer les enseignements de
pharmacologie et de thérapeutique.
La réforme des études médicales de 1984 fait disparaître le Certificat d’études spéciales
(CES) de Stomatologie. Les spécialités chirurgicales (dont la Stomatologie) doivent
passer par "l’internat qualifiant "avec le Diplôme d’études spécialisées (DES) de
Stomatologie.
De leur côté, les odontologistes obtiennent en 1989 la création d’un Diplôme d’Etudes
Supérieures de Chirurgie Buccale (DESCB) non qualifiant (arrêté du 2 Août 1989).
Conclusion
Cette histoire amène une première réflexion. Les défenseurs de la stomatologie qu’on
peut dater de la création de la Société de chirurgie dentaire de Parisiens en mai 1845
pour un art dentaire de qualité, se sont battus pendant un siècle et demi pour obtenir
une médicalisation de l’art dentaire. Les successeurs tout aussi imprégnés d’une
médecine dentaire d’excellence, se sont trouvés confrontés à des dentistes de niveau
très variable. A plusieurs reprises, les projets de modus vivendi acceptable, si ce n’est de
fusion entre les deux professions, se sont trouvés enrayés par des obstacles de tous
genres, allant de la révolution de 1848 qui ne permit pas la promulgation de la loi
Salvandy, au blocage de la CFSM dans les années 1930.
La récente création du DESCO est le premier trait d’union entre les deux conceptions de
l’enseignement de la médecine buccodentaire tant souhaité par certains depuis plus
d’un siècle.
Bibliographie