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Ils dansaient sur un volcan Co Cae a ol a ete LT TAG ENE) Garconne... Bie tL og Vis Bar d’aujourd’hui AZZEBDINE ALATA AVEC DONATIEN GRAU AZZEDINE ALATA Azzedine Alaia a marqué l'histoire et le systéme de la mode. Toute son existence, i s'est battu contre Paceélération du temps, contre le fait que les artistes et les créateurs n’aient plus espace de réaliser des oeuvres nouvelles, qu’ils n’aient plus le temps de vivre, et avec PRENDRE eux chacune et chacun d’entre nous. LE TEMPS Pendant les cing dernitres années de sa vie, avec son proche Donatien Grau, il a ouvert sa table A ses amis et invité architectes, actrices, danseuses, chanteur opéra, écrivains, philosophes, légencles de la mode, de Part, du. design, du cinéma, de trente & quatre-vingt-dix ans, a venir ensemble prendre un moment et donner lexemple, parler de leur rapport au temps, de la fagon dont ils pourraient cxéer et vivre mieux. Ce recueil de leurs ‘roface de Naomi Campbell conversations est son manifeste, Acres su Les conversations : Jean Nouvel et Claude Parent | Maé! Renouard et Christoph von Weyhe Blanca Li et Rossy de Palma | Jéréme Batout et Bettina | Jean-Claude Carriere et Julian Schnabel Jonathan Ive et Marc Newson | Ronan Bouroullec et Didier Krzentowski | Vittorio Grigolo et Alexandre Singh | Isabelle Huppert et Robert Wilson | Michel Butor et Tristan Garcia | Adonis et Alejandro Jodorowsky | Emanuele Coccia et Carla Sozzani | Charlotte Rampling et Olivier Saillard ACTES SUD édito Blouses blanches et rouge coeur Par Nicolas Domenach a pandémic aura favorisé un retour en grice bienvenu des « blouses blanches » dont le pouvoir politique se sera systématiquement éntouré pout donner crédi 4 son combat contre le virus mortel. Docteurs, scientifiques, experts patentés, tous semblaient pourtant, hdlas! cos demigres années, emportés parle tx nami dediscrédic qui frappe les ices. Maislagra- vité de 'épreuve sanitaire nous obliga depas- ser notre crise de repéres, cette « crise desoleils», nous permettant ainsi de ne pas sombrer dansune dobscurité sans fin, de ne pas errer dans la nuit de ignorance. Encore faut accepterI'idée que les médecins ne sont pas des oracles, que leurs avis doiventére confrontés, mais qu'il ut commen- ar les entendre. On a méme vu le prs verude cettetunique de sagesse, ressortirdu fond. denotee histoire 'appel ancestrala « l'Union sa cexée », En cette année de Gaulle, on saitI"écho ‘que peut rencontrer,dans es téfondls querellewes cde ce pays « archipellisé », ce désir union au- fercingétorix: « Quand ne formerons en Gaule qu'une seule volon monde entier ne pourra nous résister. » “Mais faucra plas queblousesblancheset ma- titregrise pour opére ce sursautsarateur de ras semblement. Car sa nécesscé impérative ressur- git alors méme que le monde se perd dans les intéxéts particuliers. Notre pays Sabime chaque jour davantage dans les égoismes, les déchirures, Ia haine des uns pour les autres et la détestation de soisméme. Avant de I'étre par le virus, notre climat national éait empoisonne d autodenigre- ment, dhostilités,d'excommunications sansap- pel Ainsi cour récemmene encore... Homme, je suis de ceux qui se seraient levés et se seraient «« cassés » avec 'acerice Addle Haenel quand le César du « meilleur réalisareur » a é & Polanski pour son film, . ocrite de vouloirséparer Peeuvre et l'homme, fanenjeu ea alleurs: Ere ou pos du ch des humiliés, ce qui était une fagon estimable de dé- fendre cette valeur usiverselle, ladignité del’hu- smanié qui veut ne plus ere domince. Diautres et non des moindres (Finkielkraue, Bruckner, Beigbedes) étaient d’avis inverse, et il fallaie sans conteste les écouter. Sauf que la vi lence « ergotique » de leurs attaques redoublé surla plapart des pla:eaux radios téls les rend: inaudibles,blessanes Jusqu’a cette tragique é¥0- cation dela « Nuicdes Césars » comme « un ee Homme, je suis de ceux qui se seraient levés. ee pogrom féministe»,ce qui éraicinsulranc’la fois pourles emmesee pour les victimes des massacres antisémites. Il est i que le texte incandescent de Virginie Despentes ~ « Désormais on se ltve ton se barre » ~ pouvait leur servir de prétexte Ase réfugier dans I'ffroi devant les amalgames ~ « le viol est ce qui fonde le style des puis- sants » ~ plutée quedes‘fforcer a a pensée et Vrincerrogation, Le suecés que vemportait ce ma- nifeste nous rappelit certes qua ieézature peut dre unearmede combat, maisau-delide-son style «: futurs monopoles, dépouillement de pays en faillite, spéculations lucr tives... Lorsque la eataserophe sera vé- c, lat d'exception deviendra la ‘gle, permertant des régnes sans par tage : Trump souhaite, oui, que les Frats-Unisdeviennencune ile, et Pou tine réve que la banquise fonde et lui ouvrela route du Nord. Les ties libérales prennent encore des pré- cautionsoratoires tour en guettant les miettes du giteau, Let « catbofscistes », ans que Mark Alizart les nomme, ne perdent pas de temps en assumant franche- ‘ment la dévastation écologique et le sacrifice ds plus faibles. « Le dernier debour la table du monde raflera la mise de tous les autres joueurs. » Le Coup d’Biat dimatigne ne relive pasdelathétorique complotiste. Ine conjecture pas tn plan coordonné, mais une convergence d'intéréts et Le diagnostic est d’autane plus gla- sant qu'l fue montze d'un bel esprit desynthtse.Surles eponses possibles, ils‘en tient pouel"heures signaler des présupposés contre-productifs selon lui. Prmieux:ladéfiance l'égard des technologies, le mantra d'une « so- bbriéeé » qui n’a jamais été le fore de Phumanité, et le pari de reffondre- rent du capitalisme lui-méme, Pour ‘Alizar, cette situation ne profiterait 4qu'al'aucoritarismeetcela lui rappelle Vaveuglement dela gauche allemande en 1933 : divisée sur la stratégie & adopter face au capitaisme — promu seul adversaire-, elle Iissa Hitler ac- céder au pouvoir en le considérant comme un symptéme passage. Nous ppourrions faire laméme erreurface aux potentats contemporains, selon Fes- sayist, pour qui, dans cette guerre de basse intensité dont la nature est de- venuele « champ de batille», leseul choix aujourd'hui prioritaire doit se faire entre « écosocialisme » et « car bofascisme ».Nousen souviendrons- rnousquand nous sortirons demos ter- riers? Hervé Abr Le Coup d’ Fat climatique, Mark Azar 2 PUF #Pespectves critiques», 960,990 € quelle histoire! de Fabrice dAlmeida ) h Pie XII et ses secrets ans un tonnerre mésiatique Tis cision to les archives cu ponticat de Pie XI. LLévenement est crucial car, depuis sa mort 11958, la polemique sur ce sowverain pontfe nen fnit as. Un pape violemment Critiqué pour son rapport avec le nazisme, dpuisla piéce pionnire du dramaturge allemand Rolf Hochhuth Le Vcare, montée pour la premiére fois en1963. Tout partait du témoignage de Kurt Gerstein, un 8S qui avait transmis au Vatican ses informations sur la Shoah, sans aucune réaction du souverain pontife. La piéce sintitultiitialement Le Calvaire, une tragédie chrétinne, le titre était prémonitoire, Car, des ce moment, la. mémoire de Pie Xila été Fenieu d'une guerre de tranchées entre intellectuels Rolf Hochhuth lu-méme étant un enjeu secondaire du confit, puisque ses amitiés avec des membres de extreme droite comme le négationniste David Irving tl ‘ee Complicité tacite avec la politique nazie, pour les uns. e@ vvaudront des poursuites udiciaires dans trois pays. Dans les années 1950, quelques voix siétaiont élevées pour déplorer le silence de Pie Xil. arm les chrétiens dabord, le directeur dela revue Esprit, Jean-Marie Domenach, considérait que le pape avait une ‘gestion autortaire de institution; il nhésitait pas le désigner comme «le Staline de 'Eglise»,taciturne toujours sur le méme sujet. Léditoraiste était en retour critique ppour sa théologie. Le but était dele ‘marginaliser.. Mais le coeur de 'assaut sest livré surle terrain de "histoire, Léon Polakov dans son Bréviaire dela haine attaquait le pape, en 1951. Pus, en 1964, Saul Friedlinder ppubliit un ouvrage soutenant que Pie Xi Professeur dhistoire contemporaine ’ Tuniversté ParisI-Panthéon-Assas, Fabrice Almeida est Fauteur de nombreux ‘ouvrages, dant récemment un « Gue saisje? > sur Nelson Mandela (PUF 2018) avait volontairement caché tholocauste afin cde ménager ses bonnes relations avec Fallemagne nazie. Mais, surprise! en 1965, Eglise trouvait une parade pour répondre aux critiques. Le 19 novembre 1965, le proces en béatification de Pie XI! stat ouvert. Une maniére de dire que le pape serait Un jour un saint, en somme spirtuellement immaculé. Dans le méme temps, Paul Vi ‘nommait une commission chargée de publier des documents relatifs & ce pontifcat. Comission dont le travail bonthomme s'est a6 jusqu'en 1981, sans conclure a une {uelconque responsabilté vaticane. La béatification alat son chemin au Vatican Jean-Paul ll, prudent, n’arétait pas le processus et faisait le dos rond face aux polémiques. Ainsi en alla-til en 1999 quand parat Ie livre de John Cornwell, Le Pape er Hitler, ou en 2002 avec le film de Costa-Gavras Le Vicare.Le 7 novembre 2008, Bencit XVI allt plus lon il annongait Son intention de faire de Jean-Paul I de Pie Xil deux venérabies. Et voici que ddifenseurs et contempteurs se relancaient les mémes arguments. Silence et complicits tzcite avec la poltique nazie, pour les uns expression prudente et sauvetage de miliers dd Jul, pour les autres. Aujourd'nu, ouverture des archives secrétes - c'est-d- dire des archives particulléres du pape Pie Xl et non de celle de tat du Vatican ~ ‘ourrat-lle les mettre d'accord? Crest peu \vaisemblable, cares historians ont deja eu acces & ces dossiers. Certes, la masse impressionne : plus dun milion trois cent mille documents numérisés; des dzaines de rillers de dossiers alr, entre correspondances diplomatiques et fichiers de lacongrégation du Saint-Office. Avec leur lot dd révélations en tout genre sur les mceurs et Fecelésioogie. Pourtant, peut-on prouver un sience, en sondant des écrits et des paroles? Etpeut-on démontrer une cohérence en suivant les contradictions des messages dlplomatiques? La seule question valable restera sans réponse : une autre attitude df Pie XIl aurait-elle changé Mistoire? Caacun y répondra selon foptimisme de ses réves ou le réalisme de sa pensée. = Irsauts Conteurs confinés ‘Avec Le Décaméron de Boccace, la prose italienne est née de I'isclement durant une épidémie. ‘euvrede Boccace est peatétrele plus puissanede tousleshymnest mais écrit Alors que Flo- ravage par la peste, les dix protagonistes et conteurs du Déca- ‘meron on choisi de jouir du temps qui Jeurestimpart:ils discurene,boiventet dansent. La Divine Comédie — et done Ja possieitalienne — est née des troubles sociaux qui ravageaient le pays au xurr siéele, ec e'esc Fombre de la peste noire qu’apoussé Le Décaméron, et, avec Jui,laproseitaienne salangue estleros- langue vernaculaire En 1348, la « mortelle pestilence » envahit Florence : les hit dixiémes de la population périssene. Les cadavres jonchent les ues, « lefrére abandonne le rére, Ponce le neveu, lasceur le rere, ct souvent Mpouse son mari ». Non seulement l'on meure de Vinfection, maislechaoss installe. « Nous voyons circuler travers laville,y répandant la violence, des gens que 'antorité des ois 2ftappés publiguernencd er maisqul Sten moquent, lesexécuteurs dees ois éant malades ou morts. » Florence, sige est mosibonde. Diautant qu’avec ces dévaseations le nihi- lisme a gagné les cavurs, poussant tantér balicencechon- tée, tanta des démonstrations d'ascé- tisme et d'intolérance que Boccace va renter de fait. C’est que, en Europe, la peste noire pas pourun da divin:ls Ragellantsdéfilent pour expier leurs pé chés et attrer la clémence de leur Dieu tandis que uifs, mendiants etautressor- citres, accusés d'avoir propagé la mala- die, sone massacrés. Les cent contes du Décaméron n'ont cessé d’inspirer la lieérature et les art, ‘mais toutcommence par un merveilleux «« técitcadre ». SiBoceace estle pére de Ja nouvelle, ce réeit est un veritable roman initiatique. Tout commence & Santa Maria Novella oit sept amies ee L’épidémie pousse Boccace a Pirrévérence, voire au blasphéme. @@, ‘Lessept ames endeullées des Contes tans ce Pao et Vittorio Taian adapts de Boccace. endeuillées ec craignant pour leur vie, belles et de haute lignée, se proposent leurville pour un coin decam- coi elles pourront « gotiter route +») sans transgresser en rien les limites de la raison ». Mais voici qu’entrent dans Véglise trois jeunes sis. Pamplnte. adres & eux es dela suivresles deux groupes sont dgja igs, parla parenté ou par Pamour ledepart nese fera done pas attendre. Boccace est tributaire d’une culture i sera encore celle de Rabelais, oi Vérudition voisine avec le grotesque, les raffinements les plus exquis avec la plas franche truculence : pornographie, sca- tologie, humournoir sont omniprésents dans Le Décaméron. Fr pourtant, cest bien pour tromper la mort que les dix héros, pareils Shehérazade, racontent. A ourde role, chacun dira dix histoires, raison d une par jour Lalictéracure est {e seul salut Sil'épidémic remplit tous les autres Flor pousse Boceace a I'ire'vérence, voire au blasphéme. Il n'a jamais de mots assez s de crainte, elle durs contre les prétres, moines et nonnes la luxure, naturelle et peu cou- pable & ses yeux, obséde ces religieux dont il s'amuse & merere & nu les vices. Tel moine prompt 4 admonester les autres est surpris chevauché par une ferume, son surpoids l'empéchant de tholdrunesmum potion cab sermonne une novice ayant succombé aupéche..latétecouronnéeduealegon de son propre amant que, danssa préci- pitation, elle avait pris pour son voile. Liéerivain n’hésite pas faire V'loge, par contrast des infidéles: Saladin fai ici preuve demagnificence, regoit i, d juif Melchisédech, une legon de tolé zance qui vaut dabord pour ’auditoire cchrécien des contes; quand Abraham, tun antrejuif, ne se convertitau christia- nisme que pour sauver le clergé de sa corruption ! Dansle contexte dela peste noire et deshainesquielea suscitées, de semblables histoires n'ont rien de gra- cuit, « N’ayez pas peur! », a dit un pape du xx" siele. Ce pourrait éere la devise de Boccace. N’écoutez pas les corbeaux, joussez de l'instant, aimez- vvousles unsles autres - amour du pro- chain n'empéchant jamais dese moguer un peu de lui. David Hazica la chronique philo de Marylin Maeso Résurgences de La Peste LE PRINTEMPS DU LIVRE DE MONTAIGU uise fait le témoin de ce que - « pour le malheur et enseignement des hommes » les léaux cisent de nous, Réct clinique de Févolution d'une maladie aussi meurriére que spectaculaire, La Peste est également histoire de Faveuglement colectf d'un peuple révellé sans sommation. Les Oranais, qui rechignent a renoncer leurs petites habitudes, comprennent, en voyant les portes dea vill se fermer et les ciffres des morts augment, qu'une epidémie est nécessairement, quils le veullent ou ron, affare de tous. Le pharmakon du confinerent, en infligeant& la population lesupplice de rex intérieur et de la séparation, li offre expérience dela solidarté dans la souffrance. Et il met fen lumiere la cohabitation d'un sens algu Victor JESTIN iW c-- tao) edi, 4 Ouest 2020 cf erie Co er ee eee a de la responsabilité collective ~ incarnée par ia création de formations sanitaires assurées par quelques résistants deétermings ~ et d'un indécrottable rnombrilsme. Comme les Oranals insouciants continuent a Sagglutiner dans les bars, les Francais ont majoritairement fait fi des mesures prophyactiques élémentaires recommandées par les ‘meédecins, Cest que nous manquons, ‘nous aussi, cruellement c'imagination Celle qui fait deviner, au-dela de Fternuement qu'on ne prend pas a peine de retenir dans son coud, le passant immunodéprimé dont on souffle farrét cde mort. Puisse la prose de Camus ous inoculer ce vertige qui seul peut nous rappeler au sens de la responsabilité {ui fat le commun des mortels. Peele oem ions sonra VietorJestin La chaleur Last aol) ty plese] —————— TERRES DE IGU les idées Politique - Economie « Société Michelle Perrot « On est loin de la parité » Alors que les esprits s‘enflamment a propos de l'affaire Matzneff, du César décerné & Polanski ou du report de la parution des Mémoires de Woody Allen, rencontre avec la pionniére de l'histoire des femmes, qui met en perspective les progrés accomplis en la mati@re, mais aussi le long chemin qui reste a faire. vancgardistedel'his 6 toire des femmes, Mi- celle Perrotavait fin 1990, accordé un ong liste Jean Lebrun, sur laquestion des femmes dans espace pu- blic. En 2020, at ceeurdes jones sla place des femmes dans un paysage pu blic dominé par les hommes, cer entre- tien ae réactualisé sous la formed an beau live. occasion dereveniesurcette conquete encore difficile au XX siécle La Place des femmes avait é publise 1997, Pourquoi avoir réécité ce lvre d’ontretion aujourd'hui? Michelle Perrot. — J'y ai conserve tou ce qui concerne lx problématique de fond, mais, en vingt ans, beaucoup de Propos recueillis par Marie Fouguet choses ont changé, et essentiellement dansle rapport des femmes la place pu blique eeau public, 'avais intiulé lapre miere édition Femmes publiques. Or il semble que etitreait été compriscomme « les prostituées ». L’expression « femme publique » voulat justement seallgpequ'lyeanepande liflence centreun « homme public », pourlequel il ‘agit d’accomplissement, et une «« femme publique », pourlaquellecest Vhorreur, surtout chez une jeune femme, Jai donc été réservée, mais j'ai Michelle Perot, 66, Texte, 60, 39€ fini paraccepter. Ercest bien ¢al'objet ‘monerer la difficulté qu‘ont ls femmes Apenérrer dans Fespace public, et expo- serlesfondements de ce systéme pourle- quel lexi sigcle a été fondarcur. Comment percevez-vous les changements actuels surles questions de genre? Les frontiéres ont beaucoup bougé ‘entree privé cele public. Ee, pour tout le monde ~ on le voit bien avec l'affaire Griveau, qui eserévélatrice de ce effi tement du mur dela ve privée, Cette = aration entre le privé et le public cor Fespond aussi 4 une division sexuele Diuneééeshommes,k publicetla po- litiques de Ianre, les femmes, le privé ~ coujours souslecontréle des hommes. n'y a plus tour 3 fut les mémes fron- res aujourd hui, Diabord parce queles femmesont pénéeé espace public, aussi les idées. see bien dans la ville que dans la cité. Cette frontitrea peu prés disparu, avec ijckgues ances: Bain ste nuit, dans a vill est-elle aussi tranguille qu'un homme? Non. Méme en plein jour lecorpsd'une femmeestencore dé- sirg, caressé, regard, et cest ce contre quoi les jeunes femmes du xx siécle $ insurgencabsolument,cequicllesn’au nt pas os6 autrefois. Le deuxiéme sens du mot « public» est trouver du é, de la vie publique. Aussi mmes daujourd hui pratiquent: elles de plus en plus lexpression pu- blique dans es médias,I'édition. Lesro- rmaneiéres sone ers présentes, ce qui ne veut pas dire qu’elles sont considérées comme elles le devraient, notamment dans es prix ieéraiees Beaucoup de noms féminins dans les liste, mais presaue aucun prix en effet en 2019, contrairement aux deux années ui ont suivi le mouvement MeToo... On vot aussi que les postes de pouvoir restent dominés par les hommes dans les raisons d'édition ou es titres de presse. La parole publique resee encore dif cile pour les femmes. Dans le domaine du travail, les différences demeurent pas les mémes postes, pas les mémes sx epourcentage de postes de di rection dans les médias est encore bien inférieur pour les femmes. On est loin dela parte. Done, qu'il yait eu des pro- grés, oui, certainement. Mais l'égalicé "est pas arteinte. Méme chose en poli- tique. La loi sur la parité de 2000 a changé beaucoup de choses. A partir du moment oi il a éeé dit que les partis, sous peined'amendes,devaient présen- rer autane de femmes que d’hommes, cela a un peu changé... méme s ils ont parfoispreferé payer. Aujourd’hui ilya environ 40 % de femmes au Parlement. Ce sone les femmes maires qui sone les moins nombreuses: pas plus de 17 % & Pheure actuelle alorsqu’ellessonc beau- coup plus nombreuses dans les conse municipaux. Beaucoup de ces com- runes sont rurales, ete patriareaty est encore ts fortetjoue comme un Les villes sone plus favorables & Paceés des ferumes & des postes de pouvoir ~ comme Paris. Vous avez expliqué dans vos livres que la ibération des femmes est auss passée parla libération de son corps. UNE PIONNIERE 711928. Naissance & Paris. 711947. Entre & la Sorbonne, suit Venseignement d'Emest Labrousse. 1951. Agrégée, elle est nommée professeur de lycée et écrit une these sur les gréves ouvrigres au xu sidcle. 1955. Adhere au PCF, qu'elle quitte en 1958, reste « compagne de route » AIOTI. Professeur d'histoire contemporaine 3 Pars-Vil-Diderot. 1973. Donne un cours, « Les femmes ont-lles une histoire? », avec le Groupe d'études féministes quelle a cocréé. 71990. Histoire des femmes en Occident, avec Georges Duby (Pion). 71998. Les Femmes ou es Silences de ‘histoire (Flammarion). A 2019. Le Chemin des femmes (Robert Laffont, « Bouquins »). Les enjeux autour dela sexualité sont semblables aujourd'hui? La sexualité fait partie de la vie, du corps, eta été trés longtemps refoulée, surtout pourles femmes, Mais clase ré- duiesouvent au seul corps: performant, sexucl beau done. Il ait inévitable que les femmes, toujours réduites & leur corps, soient amenées & en parler. Cs ainsi elles sen emparent elles-mé avec leurs mots. Dansmagénération, on nauraic pas écrit un livre sur le clitoris, ‘on n’employaic méme pas le mot. Le coxps.a pris cette place, le corps sexu, sexuel, et je trouve trés bien que les fermes en parlent. Chague generation pre esprobldmes ule rencontect essaie de faire avec. Aujourd hui, Del- phine Gardey écrit Politique du clitoris, Myaquelquesannées soreaient Les Mo- rnologues du vagin... Benoite Groule me disait : « Je vais aller les voir Monologues du vagin, mais ga me fait ‘quand méme un drole d’effet! » Parlez-nous de votre propre position ‘de femme dans une profession qui acelle aussi toujours été dominée par es hommes. Avez-vous percu, & mesure ‘que les femmes arrivaient en poste & Funiversité, ce qu'on appelle aujourd hui Ia sororit, ta solidarité entre femmes, pour ltter contre la persistance d'une ‘domination masculine? ‘Quand j'ai commence dans l’ensei- gnement supérieur, j’étais la seule fermen histoite la Sorbonne. Jesuis arrivéeen 1962, j’étais assistante de re cherche. Je ne travaillais avee ces mes- sieurs qu’en périodes dexamens, pour ccorriger les copies. Mais, lors des réu- nions pour mettre au point la correc tion des copies, ils s‘adressaient tou: jours aux hommes, ils ne me voyaient pas. Cait eréshigrarchisé, Maisil ya euderapides changements danslesan- nées 1965 puis dans les années 1970. Apris 1968, le pouvoir a pris peur eta ‘eréé des universicés. Des postes ont été ‘ouverts. II y avai des possibilicés qui nfexistent plus aujourd'hui. Beaucoup de femmes compétentes sont arrivées. Mais c'est avec le Mouvement de libé- ration des femmes (MLF), avee mes Les métiers pour Ferme, son TABC des mato en 1945, mies militantes de Jussieu, quej'aires- senti la sororité et que j'ai eu envie de travailler sur les femmes. Done plutét dans les miliux militants. ‘Vous parle ailleurs des femmes gilets junes dans cette version actualisée de votre entretien.. nous manque une recherche sur les femmes et les rapports de sexes dans le ‘mouvement des giletsjaunes. Ce serait passionnant, Ce qui m’a frappée, c'est d abord leur présence, conviviale et ma- ternelle, sur les ronds points, dans une tradition populaire de longue durée Mais aussi leur prise de parole, leur ac tion charismatique, voire leur désir de rile public et méme politique. Maiscette frontitre est difficile & franchir, et cer- taines se sont fait vertement rappeler & ordre, commesidécidémentles femmes ne pounaient prétendre au powvoi espace public apparait aussi comme tn lieu de reappropration. Surtout en ville. Avez-vous entendu parler de cette campagne eattichage sauvage contr les {éminicides dans plusieurs grandes viles? Cela faie écho aux affichages qui avaient cours aussi au XIX" siécle. Olympe de Gouges le faisait par exemple : la Dé ration des droies de la femme et de la ci- toyenneaétéune es peced’affiche. Case faisaic déja, mais ga sefaitdavantage au- jourd’hui,ersurdes themes nouveau : des phrases chocs comme « Papa a tué maman », c'est complétement nouveau. Hy aaussi une autre hypothése, sur laquelle je r cune conclusion, qui serait de dire que Jes hommes se sentent agressés par les femmes, par la place qu’elles prennent, et ces hommes réagissent violemment. cas de Mare Lépine, i Mon: |4 femmes & ue. I sese expliqué en disane qu'il ne pouvait plus suppor- tera présence des femmes partout. Yartil une spécifcté dur sidcle? Peut-on parler 'une accélération en termes davancée des droits des femmes ‘t do portée de leurs revendications? Oui, bien stir, er elle va dans le sens dune accélération générale de toute chose. C'est aussi lig aux techniques et ee A partir du moment od elles prennent la parole, les femmes cessent d’étre victimes. ee La feminite Hubertine Auclert,créarce journal La Croyeme, vers 1200. aux réseaux sociaux. On levoit dans le mouvement MeToo. qui est une prise de parole publique des femmes pour parler de leurs corps et de leur refus du hareélement. C’est une expression pu- blique. Or ce mou- vvement est lig aux réseaux sociaux, & Internet, au fait quill est plus facile de s‘exprimer sur social ignages donnent le courage aux autres femmes de parler. « Moi aussi » : expression est magnifique: ily adesdiférences générationnelles et de classe qui entrent aussi en jeu ii. Latribune signée dans Le Monde par des fernmes sur la « liberté dimporcu- ner > a produit un décalage avec les té- rmoignages d’anonymes qui se sont em parées d'une expression nouvelle et accessible avec les réseaux sociaux. Pu- blier cette tribune au moment oi les femmes de MeToo se libéraient éraitun manque de solidarité terrible. Jen’ai pas aimé du tout. Je pense que ces femmes privigiges avaient un peu peur d’éere dévaluées dans tout ga. D'aurane plus qu'elle sone des femmes eélebres, ad lees. Le mouvernent MeToo les déran- igées dans leur propre statut. Cela dit, Ces és avec le recul et en écoutant Caroline Fourest ce matin sur France Inter, qui protestait contre le statutde « victime » dans lequel on enferme les femmes: la limite, lalibertéd importuner pourrait tre comprise en ces termes, mais pasat smocient od les és Bie, A pari da ‘moment oi elles prennent la parole es femmes cessentd ere victimes. Comme le disac eres bien Frangoise Hériticr, la honte. changé de camp. Crest ausi ce qu’a dit Adble Hacnel cen quitant ia salle des Césars a annonce de Polanski comme meilleuréalisateur: ‘Lahonte!» Quel a été votre sentiment face cet événement,et la tribune de Virginie Despentes notamment? ‘Tai éprouve un sentiment contrasté : admiration pout k textelibertaire, sa force, sons compapre ge prota contenu quiamalgame, de fagon confuse ctparfois populist, Polanski, « les puis- sants >, son fric, qui le rend quasi s pect de bénéficier de 'antisémitisme, * le viol, les exactions de votre police, vorre réforme des retraite», le49. Devenu métaphore du pouvoir viol est méme ce qui fonde votre fol perd sa réalité exist edlgpense pasdel analyse, laviolence verbale ne sauraitsuffre. Du cbté de la justice, des avocates ont rappel, eles aussi dans une tibun lanécessité dene pas remettre en cause la présomption innocence te principe de la prescrition. Qu'en pensez-vous? Lesavocates ont raison de rappel les principes du droit pénal, qui fondent notre démocratic. Les victimes ne doivent pas éere sacralises. Mais e droit doit tenir compte des rapports de pou- voir, dela « domination masculine >» quiréduieles ermesau silence etlesas- signe A un pseudo-« consentement », dont on a bien vu les mécanismes dans le livre de Vanessa Springora. A la - miére decesréflexionscontemporaines, sans doute faueil modifier la loi. ais une révicence devant un Aire aussi sur le sito du WML ~ « Pour changer le cours de isto, ilest nacescaire de sort de scene», par Réjane Sénac = «On se lev et on se casse” : mais 00? », par Jeanne Burgart Goutal les idées. Une nouvelle mythologie Alerte rouge Les lanceurs d’alerte sont devenus des personages omniprésents dans espace public et dans la fiction. Par Valentine Faure our Bernard Henti Lévy,ifssone «une figure de la derne » des « hé- ros du quotidicn selon Cynthia Fleury. Geoffroy de Lagasnerie préfére les appeler des « ac tivistes » om des « personages exer plaires », qui ont « inventé une nou- velle maniére d’entrer sur la scene publique, de se constituer en sujet po- litique ». A -heure oi les vulnérabili- tésetles inquiéeudes se muleipient, le lanceus d’alere fait gure de garant de ues de vé- certaines valeurs démocrat rité, de justice, de liberté, « Le senti- ment d'une perte de controle collectif largemenc le fait que nos sociéeés sone de plus en plus dans un état d’alerte permanent », dit Francis Chateauray naud, le sociologue quia définien 1996 Ia notion de lanceur d’alerte, adaptée del'américain whistleblower CRISTALLISATION DES ANGOISSES Ces nouveaux héros nfattendent en gé néral paslongrempsavant de devenir des personnages. « Ils sont des vecteurs de Crisallsation ers forts pour lesangoisses contemporaines, analyse Julien Gester, critique de cinéma a Libération. On vie tune époque intensément paranoiaque, sans doute 4 raison. On est persuadé qu'on nous ment. Ex des gens « priori ASSANGE PASSE Depuis le 1 avril 2019, jour de son arres- tation 3 rambassade d'Equateur, Julian ‘Assange, fondateur de WikiLeaks, est in- carcéré en Grande-Bretagne, oli attend la décision de la justice & issue de son procés s'il est transféré aux Etats-Unis, ilencourt jusqu’a 175 ans de prison pour «espionage ». En attendant, il tient le deuxieme réle du livre que Juan Branco vient de lui consacrer, le premier étant dévolu a I'auteur lui-méme (Julian As- ange. LAnti-souverain, 6d. du Cerf): i permet a 'avocat de faire le grand écart entre Wikileaks et Pornpolitics, au nom d'une information révolutionnaire « dés- Intermédiée ». VF. cordinaires vont trouver le ressort d'in- nation, de ens commun, pourse sa crifir,saborder leur vie de famille, peut éxrealleren prison. » En quelques mois, cing films one misI’honneur des lan cours d’alerte : le documentaire The Great Hack, sur Vaffaire Cambridge Analytica, suceéde & The Laundromat (cur les Panama Papers). Dark Waters, de Todd Haynes s'intéresse& un juriste de DuPont Chemical qui se retourne contre son employeur, responsable dela contamination de terresen Virginie. The Report, distbué par Amaze histoire d'un enquéeeur du Se par Adam Driver, chargé de meetre au AN Julian Assange jourlestoreures pratiquées parles forces américaines dansle cadre dela «guerre contre la terreur ». Ou encore Official Secrets, dans lequel Keira Knightley joue le réle d'une lanceuse d’alerte traduc- uricedel‘ONU. Ilssoncvenus rejoindse le récent Snowden, d’Oliver Stone The Past, qui racontat Vaffare des P tagon Papers avec en son cae éxalon du lanceut d’aleree, Daniel Ells- berg. On parie qu'il ne nous faudra pas patienter longtempsavant devoiradap- tée l'histoire du mystérieux whistle- blower Vorigine de l'impeachment de Trump, ou celle de Christopher Wylie, Vancien développeur de Cambridge fondateur use Wikileaks, alors QU et transtee a tnBunal de Westminster, & Londres en ave 2019 Analytica, quidonne sa version des fits danse passionnant Mind} paru chez Grasset (lire « Cette résurgence dit quelque chose surle Hollywood d’aujourdhui, quin’a plusniie désirniie es sort de produire une ck, toutjuste ages suivantes). poursuit Julien Gester. Il n'y a pas de place entre “This isa true ony” et“ Dans une ge luxe ers lointaine”. Les fictions paranos des années 1970, lesfilmsd’Alan Pakula, de Brian De Palma, éeaient des extra polations de fats contemporains. » Pour Dark Waters, Todd Haynes dit $ eoreinspiré des Hommes du president ceuvreséminale dece qui est devenu de puis un sous-genre et a fourni quelques grandsfilmsetde grands héros: Serpico, Te flicen luete contre la Un retour au cinéma Paranoiaque des années 1970. bliable Erin Brocko- vich a @ —enfantssouslebras,ou, dans une version moins ses dossierset ‘gure qui prend des formes différentes selon histoire e les enjews, poursui Francis Chateauraynaud, Sion parle d pandémic,on n’apasles mémesacteurs, 3s procédures que dans des af secret mili- es, pas seulement aux lanceurs dlalerte. » En termes de fiction, il cite méme des ceuvres plus que des person- fle de Godard, Dune certaine maniére cst un mouvement dialerte, comme I'a été 1984 d’Onwi Lalerte c'est ce qui va mobiliser les autres, sou nger, ce qui va moriver des processus d enquéte. Mais jeconnaisdeslanceursd alerte solitaires les idées. eee quienontvude toutes escouleurs, rméme sis ne se reconnaissent pas tous dans la figure du justicier », concede Francis Chateauraynaud Dansun monde inquirane, face aux menaces sans visages de la finance in- ternationale, des technologies, du changement climatique,deVindustrie, Je lanceur d’alerte anonyme est une fi gure humaine & laquelle se acerocher. Le gentil, qui résiste la banalité du mal, « Iy acu un déplacement de la figure d’enquétcur, policier, détective, journaliste, au ceeur des films para: noiaques des années 1970, vers eelle de personnages anonymes, poursuit Ju- lien Gester. Cela die I’évolution d'un imaginaire on considére que les insti- tutions que sont la presse ou la police sont trop corrompues pour fournir des hiéros, Pourtant, sion regarde le monde réel, beaucoup de scandales sont levés pardes journalistes:les affaires . Cahuzae, I'affaice libyenne... st cerrible pour Fabrice Arfi [jour naliste d’investigation & Médiapart} il a eravaillé étaient portés A'écran, I'éeae des imaginaires fait que ce ne se rait pas lui le héros. » « Leslanceursd/aleree revanche de monsieur Tou explique Mare Syrigas, s LAffaire Gordji ct de La Mécanique de Vombre. Ils sont dans des conflits de Joyauté, ont arouilleen permanenceet partagentaveclespectateur une compli- cité contre les autres, ceux qui ne savent pas que, sous leurs dehors insignifiants, ils sone des fouteurs de merde ec des hé- 1s, » Pour Francis Chateauraynauad, le esttun peula Mark Rufio, avocat de Dark Waters, Auxbords de Vieréversble, Sociologie pragmatique des transformations, Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz, | Pita « Pragmatione » 5460. 356 lanceurd’alerte nait d'un impératifface une situation bloquée, il s'affirme comme tel dans l'adversité. « Avant Valerte, ily a 'artention, la vigilance, le signalement, la verification, le contrdle, ily a tour un chemin > qui n’a pas, ou pas encore, de ressort dramatique. On commence’ parlerde « lanceurd’alerte, quand il y aeu silence, absence de ré pponse, déni ou pression. Cestquand on ne Vous éeoute pas ». [ASSUMER LES CONSEQUENCES Tlyaunedimension sacrificiellesansla yellelelanceurd’alerte ne seraitpasun Feros parfait, John Le Carré déniaie ainsi Edward Snowden litre de lan- ceurd’alerte,en cequ’il semblaitniavoir pas pris la mesure de ce qu'il risquaie réellement. « Si vous étes un whisle- blower, vous y allez en toute connais- sance de cause, et vous swvez que vous al: ezdevoir porterle chapeau, disaitil la BBC. Vous pouvez vousen sortir, mais est peu probable. Si vous choisissez de devenirlanceurd’alerte i faucassumer lesconséquences, ou trouver un endroit stir ot vivre. » Or les lanceurs d’alerte ne finissent pas toujours par triompher = quelon songe & Julian Assange, em muré sept ans durant, Chelsea Man. ning, condamnée pour violation del’ Es ‘Keira Knipe jue le ole dune couse alerte danse flm OfetalSecets. sesuicider lors de on ineareération pour avoir refusé de témoigner contre As- sange, ou Snowden, condamné@ laclan- destinité. « Quand on regande précisé- itr sje Pads espe, les configurations d’alerte ne sont pas toutes les mémes : face & un sq de cancers infantiles li ddustrelle, personne ne vajustifier cequi arriveaux enfants mémeen absence de preuve. Par contre, si vous tuez des gens en Trakavecdesdronesily aura des gens pour le justifier ou le relativiser. C'est tune configur: mpsopposés. Pour certain: esepasséd'un camp A autre nt contre les services de renseigne- ment, et done, pour certains, ily at rise, d’ott Fimportance d pour défendee la gi rmiéde son geste, » En se sicuant sur terrain de valeurs supéricures a la Joi, le lanceur d’alerte prend le risque de diviser. Dans 'affaire Griveaux Pavlenski ily avait tout pour unseénario parfait: lesexe, a politique, lesvidéos vlées, cela mystcrisuse perce amie. Maisil manqueT'essentiel :lebien commun. « Dans le contexte russe, Piotr Pavlenskiavait ke crédicet la git mitéd’un combactant de intérieut, qui prend descoups dicencore Francis Cha- teauraynaud. Mais il est dans un autre contexte, C'est un manipulateur et un calculateur. Sion luiattribuele statu de lanceur d’alerte, le concept est définit vement corrompu. Lalerte doit faire objet de débats, de résolutions, pro- duire des effets bien au-dela de la per- sonnedu lanceur. » Alors seulement, i peut devenir un héros, . n de conilit, avec des n fort ‘Alorander No POG de Cambrige Analytica, on 2018 Londres. Témoignage DANS LUSINE A INFOX Christopher Wylie & Forigine des révélations sur Cambridge Analytica, livre un réct instruct sur les nouvelles formes de manipulation politique. ‘Mindifuck est un roman d'apprentissage a Fépoque de la politique digitale. Lenarreteur, Christopher Wylie, est ddevenu le principal lanceur dalerte du cas Cambridge Analytica quand ila réveié les pratiques manipulatoires et les utilisations abusives de données ppersonnelles commises parla société de conseil employée, entre autres, par la campagne en faveur du Bresit et par Celle de Donald Trump en 2016. Mais, ‘on live nest pas Texercice convenu ‘auguel s'adonnent habituellement les protagonistes dun scandale qui ccherchent & prolonger leur quart iheure de célébrité. Le parcours de Christopher Wylie resume & lui seul la transformation radicale quia connue la communication politique a partir de 2008. Cette année-a, le jeune miltant politique, passionné dinformatique, est ‘envoye parle Part libéral canadien pour suivre la campagne électorale de Barack Obama. Et, alors que la plupart des observateurs sont éblouls par le charisme et les vidéos YouTube du candidat démocrate, il comprend ‘que le vrai changement introduit par ccette campagne réside dans un élément ‘un peu moins glamour, mais beaucoup plus redoutable : utilisation d'une immense base de données électorales cconstituée grace & internet. Un instrument qui permet la campagne dObama cavoir une connaissance détallée de ses soutiens, de leurs preferences et de leurs comportements. Une fois rentré au Canada, Christopher Wylie essaie, sans succ’s, de convaincre son parti de mettre sur pied une ‘opération de ce type. Puls il déménage A Lonctes, ou il commence & collaborer avec les Libéraux-démocrates. LA aus ‘ares sont ceux qui comprennent le potentiel explosif de usage des réseaux sociaux en politique. Celui qui le comprend trés bien, en revanche, est Alexander Nix, 'ambitieux rejeton lune dynastie de banquiers londoniens, éduque & Eton et toujours vetu postulée par Alexandre Astruc en 1948 avait fini par se renver: ser en stylo-caméra. La mutation de I'écrivain en scénariste que Hollywood appelaiede ses varux en fasant des ponts d'or Faulkner, Fitzgerald ou Dorothy Parker, sans grand succes, semble s'éere ainsi naturcllement opérée. Cela ca traine ce qu’on pourrait appeler un va- «illemene des supports, Pour acquérit le seautdceuvre partentiére, celleci doit éxre disponible désormais en bande dessinée, livre audio, film... Aussi n’éprouvons-nous aucune surprise en apprenant récemment que Guillaume Gallicnne sappréteraicaréaliserd lare- cherchedu temps perdi en série tlevisée. ‘Onsedemande juste combien heures cela nous prendra pour la regarder. asl alonspeceed ane oettice tion » dela lieéravure, d'une soumis- sion del’écrit image etdu mondede Védition 4 lindustrie audiovisuelle? Une choseest certaine sansadapration rélévisuelle & la esque est vouée 3 I’éch Philippe Djian, le premiers en Francedansla fabrication dece now: vel objet lieeéraize, en a fait Pamére périence avec Dogey Bag, malgeé six « saisons » publiges aux éditions Jul- iard entee 2005 et 2008. Liadaprati audiovisuelleeréeun cerele eonomique vertueuxoi, loin de se concurrencer ou de doublonner, en additionnant leurs publics respectif, le livee et I’écran s épaulencetse nourrissent de leurs césen miroir, I'un érant un produit dé- rivé de Pautre tout aussi bien que Vauf cela poule. Aprés le soman-feuilleron du x1 siécle, le roman-fleuve du Xx sidelelasaga liteéraire du xxr'sicle prouve, une foisencore lacapacité dela lircérature se réinventer dans indus- trie des formes euleurlles.w SLIMANI LANCE SA GAMME as question d'etfrayer le lecteur. Le Paysdesautres, troisiéme ‘roman de Leila Slimani est le premier tome d'un cycle roma~ nnesque. Seule la page de garde en fait mention, oi on peut lire «Le Pays desautres, premiére partie: La guerre, la guerre, la guerre ». Drole de pacte de lecture puisque nous voici em- bbarqués dans une histoire quine fera que commencer lorsque nous en aurons achevé le premier volume, qui s‘étale sur dixans, de 1946 1956. Aurons-nous envie de continuer? Rien ‘fest moins sir. Formellement, on est surprs pare ton dou- ‘cement suranné de ce récit, ces maniements scoaires dupassé simple et de imparlait qui évitent comme la peste le subjonc- {if Surle fond, Le Pays des autres est histor d'une greffe quine prend pas. En1944, Mathilde, une jeune Alsacienne, s'éprend cu Marocain Amine Belhaj.Le couple part vivre au Maroc, dans une ferme. Ils auront deux enfants: Aicha puis le petit Selim. Aa naissanc 'AIcha, Amine greffe une branche de citronnier sur un ora ‘itrange ». A la fin du roman, alors que les indépendantistes marocains artivent, ‘Amine découvre que les fruits du citrange sont « immangeables »; et le voila qui songe lourdement « qu'il en va des hommes comme dela botanique ». En exergue, tne citation d’Edouard Glissant: « La damration de ce mot :métissage,inscrivons-la ‘en énorme sur la page. » C’estfalt. AY. Le Pays des autres, Lela Simari, 6. Gama 3685, 20€ les idées. Océanie Sit’as été a Tahiti Loin des poncifs de Ihistoriographie coloniale qui évite d2 prendre en compte la vision des « autres », 'anthropologue britannique Nicholas Thomas scrute dans le détail les destins singuliers des insulaires océaniens. ommes et femmes d’Océanie: voici main- tenant plus d'un siécle qu'on les imagine & Pidentique. On se 8 gure des peuples saisis entre loan et les roles, des individas hhabieés par leurs coutumes ansestrales, brefunchumanité figée dansletempset isolée dans l’espace par son insulate Dans cet imaginaire folklorist, les Océ niens paraissent su- blimesdu faiede leurs réations plastiques, de leur diversité de meeurs er de leur in- ventivité mythologique: maison dépeint comme d’autant plus calamiteuse leur déchéance pendant et apris l'ére colo- niale. « En général, observe Nicholas ‘Thomas, directeurdu muséed’Anthro- pologic et d’Archéologie de Cambridge et professeur au Trinity College, on considére les relations entre les Euro- péenset lespeuplesindigénes|.. comme tune série de déprédations perpétrées par Jes premiers sur les seconds : les incur sions desexplorateurs ouvrent lavoieaux rmarchands, puis puissances coloniales et, au bout du compte, auxxentreprises multinationales, ‘Autrement dit, ces histoires racontent tun “impact” sur des peuples inertes. » (Cette vision participed une mythologi occidentale qu’ilestlong de défaireerde remplacer. Nicholas Thomass'y emploie depuis trenteans. ee La nouvelle histoire doit d’abord se penser comme locale. ee Par Maxime Rovere Il faut d'abord accepter de renoncer & approche culturaliste,qui tend iessen- tialiser eva rgidifierce qu'on ppelleune « culture »». Aucune culeure n'est ho- mogtne, et celles du Pacifique ne décer- minent pas plus mécaniquemene que les autreslescomportements desindividus; si clles nous semblent ~ tradition- nelles », cela n'exclut pasdes ruprureset des différences en leur sein bien aussi permet de prendre conscience d’un autre point: est que Vanthropologie, 4 force de vouloir éeu- ier lescultures,amisde cbtéce quiper met d’en faire I’histoire. Elle a youlu fixer des formes sans observer les dyna- miques de transformation, qu'elle a méme occultées, notamment pour la raison que! anthropologuc ui-méme y Premier insulated Pacque a vister Europe, ‘nt pate James Cook dans ses Voyages. e 4 prenait part, chose inconcevable selon le canon de la science entre 1880 et 1960. Entreprendre histoire des uples indigenes n'est done pas seules- etn atl deste de menor destiné & panser les plaies postcolo- niales; il agit d’apporcer un corre fondamental danslamanigscdone!'l ‘mani se représente elle-méme. PONTS MULTICULTURELS Or le plus fore de approche mise en ‘euvre par Nicholas Thomas tienten cect ‘que cette nouvelle histoirehumaine peut cet doit considérer des singularieés — elle ne peut pas se concenter d’ére « glo- bale »elledoitd abord se penser comme « locale ». Une histoire obsédée par des mouverentsde grandeampleuren vient 4 formuler des vérités biaisées & force © générales. Au contraire, 'atten- tion auxeasépars permet non seulement desosdn compe de « la shlon des autres », mais de laisser éclater cette image des « autres » en deséalités pro- fondément plurielles, contradictoires, ‘opposées. Prenez lecas dujeune Kualelo avec lequel souvre le livre. Kualelo dé- ida volontairemene de quitter son ile natale en 1788 et de sengager dans la marine afin de visiter non seulement Angleterre, mais aussi « différents en- droits de la planéte ». Il découvrit des insulaires du Pacifique, les peuplesindi gincs du nord-ouesedel’Amérique et de PAretique, les ports de Chine et d”Eu- rope, lesponts mulkiculeurels des navires civilsec militaires ecpuis Londres..Son Le chet Paou,recvant les ofclers de etat-major ae rastrolabe (extra de Voyage de ia corvette Astrolabe de Jules Dumont c'Urvile, 1853). as rappelle que les sociéxés qu’on dit « traditionnelles » n’exeluent pas que certains de leurs membres aient le goit du voyage il permet de metereen valeur leur « cosmopolitisme > ~ un trait de caractére assez courant chez ces peuples qui, fuel ke rappeler, one entrepris des voyages d’ implantation vers des les in- visiblesavec une audace qui fair plir nos reves de conquete spatiale. Océaniens ne propose done pas une histoire générale del’ Ocganie oi les sta tuesdes onguérants seraient remplacées paeeller d hares bcos, ancoslonia: listesetrésstants. Nicholas Thomas pré- fere pointerlessingulartés qui déjouent les simplifications. A travers les quatre sitcles de teansformation du Pacifique au'il trace par touches légires e singu Hires, image du « face-face » entre Occidentaux et Océaniens s'estompe les prétendues barrigres culturelles sont souvent moins importantes que des al- liances locales, des intéréts communs, des gots personnels. Le devenie parti culier desculeuresse révélele produitde mouvementsd échangesde toutes sortes sone et prbeemans torr pene vi Jents, mais oi 'isolemene ne prend au- ccune part. Il faut apprendre & lie les relationsen mille-feuilles, des niveaux de généralité et des échelles spatio- temporelle diversiiges NOTION DE CHEFS LOCAUX La colonisation et la christianisation cessent des lors d'apparaitre comme des phénoménes subis par des Océaniens ppassfs. Des individus ont profitéde ces nouveaux échanges pour assurer Vex- ploitation des autres, d'autres ont voulu embrasser la modernité, d'autres enfin one alimenté les univers dits tradition- nels avec les éléments des nouvelles configurations, En mémetempsquel’on soit) utopisme etl 'espérance de mis- sionnaires loin des caricatures, on com- prend que I'introduction d'un nouvel ordre chrétiena souventétésoutenue par leschefslocaux, pour le maintien de leur pouvoir. C’ese au poine que la notion méme de chefs locaux devient problé- matique : « Si le terme “autochtone” sous-entend une communauté circons- crite & une échelle réduite alors|es insu- [aires n’étaient pas des autochtones. » Court-on le risque d’arriver & une forme de révisionnisme, ot des as par- 1s pourraient masquer la tragedie époque coloniale? Aucontraire, La méthode de Nicholas Thomas restitue aux Oeéaniens la réalité de leurs sout- frances et la continuité de leur liberté ~ car, pour beaucoup d’entre eux, « la colonisation officielle, cest-dire I’hy- pothése d'une souverainerédes Eeatseu- ropéens sur les sociétés insulaires, ne parvint pas & advenir pleinement ». ‘Ainsion peutse rgjouir des découvertes que cette histoire permet de mettre en valeur. La nouveauté du regard de Ni cholas Thomas surprend et désaltére : lorsqu’il observe que les voyages de Cook permirent aux insula connaitre entre eux, lorsqu'i collectionneursd objets occidentanx ob- servéspar R.L. Stevenson, ilrenverseles préjuges et ouvre esprit des représen- tarionsautres. Cela a quelque chose d’ frayant ec d’excitant la fois ~ une im- pression tour 3 fait comparable, oui, 3 celle que donne la liberté. . Océanicns. Histoire du Pacifique AD age des empires, Nicholas Thomas, trade angi par Paulin Daa (a. anachass 256 0,24€ Comme elles nous paraissent légéres, ces Années folles de fétes et d’écriture, vues a un siécle de distance! Révolution dans les moeurs, dans les arts, dans la technique... les Années folles cavaiaient vers la modernité et se sont achevées dans l'abime. Mais leur élan ne s‘est pas perdu : il vibre dans les ceuvres de Cocteau et dans les expériences des avant-gardes, dans les échos du jazz et dans les foules qui peuplent les romans de Dos Passos. Dossier coordonné par Alexis Brocas et Aurélie Marcireau ouverture: La décennie de lillusion Créatives et effervescentes, convulsives et dissonantes, éprises de vitesse et de volupté, les années 1920 regorgeaient déja des signes de la catastrophe a venir. Par Myriam Boucharenc Hes fleurent le cuir des mallesde voyage, les efflaves orientaux L ’Habanita, le rabac blond des cigarcetes Lucky Strike « qui aidene’garder unesilhouette mince », se prévalait la marque américaine, dé sireuse de conquérirle marché féminin. Elles font un bruit de moteurs, de fox- trotetde gantsde boxe sur fond de ma- sique syncopée ou d’orgue de cinéma, Elles ont le goite du rouge levees Bai ser (« qui permet le baiser >, disait le slogan), du cocktail icalien Negroni, des pommesalhuile de chez Lipp, dont se souvient Hemingway dans Pavisestune fete. Elles s sent, rose et vert ppoudrés, blew persan et rouge égyptien, Artista au Jockey a Pars vers 192 ‘Assis; de gauche 8 ote: Man Ray, Mina Loy, “ston Tzaa et Jean Cocts tango, le maillor de Musidora cele de Wall Sereee RODES-CIIEMISCS, NUQUES TONDUCS « C'est l'époque négre, l’époque jazz, celle dela robe-chemise, des nuques ton. dues, du cubisme apprivoisé, des audaces sexuelles, des actes gratuits », résume André Fraigneau. Reve, évolte et now- veauté, ve, vitesse et volupté, sont ses mots d'ordre. La beauté moderne sera dissonante en musique, convulsive en poésc, racionnelle ec épurée dans les “« Arts décoratifs ». Aucune époque — aussi breve du moins — aura produit une si abondante écume mythique que cette décennie serrée entre armistice et le krach de 1929. Tl est vrai que Paris était alors le « nombril >» du monde, selon lemot de Henry Miller. Les artistes y venaient depuis toute I'E rope, Amérique, et le Japon méme (Foujita). Ils en par taient aussi sporadiquement Aragon 3 Berlin, « l’érrange Babyloneruinée », Duhamel, jy Luc Durtain ~ et Tintin ~ «au pays des Soviets », Bre ton & Vienne (oii rencontre Freud ~ qui n’en a cure du surréalisme), Cendrars au Le Pals, hls tole do Piero Sica, Brésil, tout juste centenaire. Groupes, écoles et nationalités se croisent, se cO- toient et s'injurient parfois dans le triangle Montparnasse-Vavin-Raspail, lorsqu’ils ne se retrouvent pas en « Odéonie », chez Adrienne Monnier ou Sylvia Beach, au fameux Boeuf sur le Toit ou dans les boites russes de Montmartre, par atavisme slave, comme Joseph Kessel ct André ye Réve, révolte, vie, vitesse et volupté, tels sont les mots d’ordre. Beucker... En 1928 paraissent Les Der aniéres Nuits de Paris, roman crépuscu- laire de Philippe Soupaule traduie par William Carlos Williams. Lannéesui- vante Diaghilev encerre avec lila lam. boyante épopée des Ballets russes ‘« Dans la vie faut pas sen faire », fredonne Maurice Chevalier. Que de ddrames sont pourtane venus assombrir Iajoie de vivre de cette (poque prompre Aula nervous breakdown, comme ilse dt sait nouvellement, non sans snobisme. Iycutle tagique destin de la danscuse Isadora Duncan, la disparition en plein vol de Nungesser et Coli la mort sus- peete du député de la Guyane, J ints on 1925 Galmot. Radiguet emporté & 20 ans, Rudolph Valentino 31, et,d’un bout Paurre de la décennie, Jeanne Hébu- terme, 22 ans, enceinte se défenestre au Jendemain dela morede Modigliani; le dadaiste Jacques Rigaur se tireune bale danse cceur, Par chance le eripe Myo- sotis, qui « tésiste aux larmes », pro- mettait « I'élégance discréte qui convient au deuil ». Sans compter qu'un Modigliani acheté peu apres le ddécts de artiste se revendaitcinguante fois plus cher cing ans plus tad... INTENSITE EXACERBEE Quilles ae somment| x Années folles »ou Roaring Twenties, elles ne sont pas solubles dans es éviquettes qui en ont fait miroiter effervescence, 1'in- tensité exacerbee et le mobilisme tri dant. Ceux dont elles Furent la patrie ‘temporelle es ressentirentde fagon plus nuiancée, Maurice Sachs nomma la pé- riode « la décade de illusion » quand Paul Nizan n'y voyait dans Aden Arabie (1932) qu’« années molles ». Spectacu- Jaires, elle le Furent, assurément. Tant parleurpassion des planches et du grand écran que par leur propension & se mirer au miroir que leur tendaient leurs propres stéréotypes — autant dire leurs premitres rides -, scrutant fiévreuse- ‘ment, dansletohu-bohude ce qui’érait pasencor une époque ns salen our ceux quilavivaient une période, le Hesei dtdece Ells scares de cae de s‘ausculter, prenant leur pouls & chaque mode nouvelle, sondant leurs tendances. « Trouvez-vous la vie dréle? » « Le suicide esti une solu- tion?» « Aimez-vousvotte époque? » ‘Tels sont quelques-uns des sujets ‘quéte quifaisaient florés. ued maladesnedisgosiqucton pasalors! La revue Marges sinterroge surcelles dela litérature: « eapitalisme du porce-plume » et triomphe des «donton-parle », « L’affairomanie >, ainsi nommée par Jean de Pierrefeu, a ses héros attr: le Babbite de Sinclair Lewis et le Lewis de Paul Morand qui joueau jeu de amour et del'argentavec Iréne ~ « dépendants l'un de autre ‘comme l'offe de la demande ». La su- renchére estau gotit du jour:onsenivre de chiffres, de paris et de records ~ « 50000kilométres,28 paysnégres », comprabilise Paul Morand en 1928. La vie se conjugue au verbe « partic ». Danscette « cosmo- politite aigué » stigmatisée par Dominique Braga, Marcel Ar land croit aperce- voir l'un des symptomes du « Nouveau Mal du sidcle » dont souffie le personage roma- nesque d'aprés guerre en proic au désarroi et l'inguig- vogue culmine en 1924, année des Jeux sta ears cdeistique de l'apeds guerre, elle ne sau- raitmasquer ce que Benjamin Crémieux: és 1931 commeune « crise trace ses limites et ne es hisse franchir par personne sansun passeport en régle,passeport de race, de classe ou de parti», écrieil dans Inguiétude et r- construction. Nérité d'un cOtédel’Atlan- tigue, erreur de Pautre. En Amérique, Nancy Cunard ot sonamant, pianists jazz Heny Crowder v= les flappers, alias nos gargonnes, font scandale, mais elles votent ~ sau sielles sont noites. Tandis que Josephine Baker apporte au dire d’Erich Maria R ‘marque « le souffle de lajungle, la foree etla beauté élémentaires, sur les scén fatiguées dela civilisation de l'Ouest », Nancy Cunard choque la bonne société britannique en affichant sa liaison avec artiste noir américain Henry Crowder. Dixansapréssa premiére représentation 1 Pats, Le Sacre du printomps~ son «massacre », disaient ses déeracteurs ~ faitencore scandale Vienne en 1924 et 4 Philadelphie en 1928 (les speceateurs quiteerenea salle) PARADIS ARTIFICIELS Discontinuitésee particularismesd’une époque done Robert Musil disait dés 1922 quelle « abritecéte Acéee erdans la plus totale dysharmonie tous les contraires ». Discréditée par un confit qu'elle n'a passuempécher, la politique rete entre communisme et fascisme. L’Europe ba- lance enere america \ ion forcen “8 effrayé. Incitatios = au désordre eta Pat paeordce foe ment un mélange déconanet. Paradis, naturists et parse dis artificiels ne sont pas exclusifs les tunsdes autres, non plus que la fiction et le docu- mente la presse etl édition 4 grand renforede « sensation nels reportages » et de « romans vé- cus ». Et quand les surréalistes pro- ‘meuvent la supériorité du réve sur le « pou de réalité », la Nouvelle Objec- eg ume dela xépublique de Weimar. C'est Cocteau qui aura trouvé les mots pour dire ces frivoles et fragiles années 1920 qui oscillérent entre « parade » et « grand écart ».m Professeur de literature & funiversité Paris-Ouest-Nanterre, Myriam Boucharene test fautour de De insolte. Esaf sur la Intérature due site (Hermann). couverture Les « garconnes » des Années folles Pointes diceberg La libération des contraintes vestimentaires a engendré celle des comportements, mais il faudra encore attendre pour le sexe sans entraves et la fin de la domination masculine. Par Emmanuelle Retaillaud ela ferme années 1920, la mémoire collective retient image d'une affranchie, in carnée pares vedettes emblé matiques de la période, Coco Chanel, Joséphine Baker ou Kiki de Montpar- nasse. Libérées des corsets et crinolines deleurs grands-méres, partics,n 1914 1918, la conquéte de métiers mascu lins, les gargonnes de 1920 auraient inauguré la premiere décennie « fémi- niste » de histoire, bien avant le wo- rmen'slib desannées 1970. Historienset historiennes se veulent plus nuancées : cette « libération » fur, en réalié, un processus de longue haleine: elle concemne avanctout une poignée de pr- Vilégiées, laissane la fermme moyenne dans des jeux de roles beaucoup plus conventionnels; elle différe selon les contextes la France offrant, Acct égard le visage le plus conerasté,rerre de libé ralisme culturel et sexuel, mais terre, asi, de sourdes résistances misogynes, qui maintiennent hermétiquement fer ées es portesdu suffrage. Entre liberté comportementale, idéal d’élégance et sujétion politique ec civle, la Frangaise des Années folles reste un ereuset de contradictions et de tensions. Enseignante-chercheuse & funiversté de Tours, Emmanuelle Retallaud est spécialiste histoire sociale et culturelle dela France de Fentre-deux-guerres. lle a notamment publi Mireile Have, enfant Dificle, cependant, de ne pas com- mencer par cette « gargonne » quia tant frappé les contemporains,faisant craindre& beaucoup la « fin dela lisation » ou une émasculation géné ralisée de la gent masculine : une femme qui non seulement masculinise son apparence en 3¢ coupant les che- veux, en aplarissant sa silhouette, en ‘sant parfois le pantalon, mais qui re- vendique, homme » en s'investissant dans une carriére, en multipliant les coucheries, cen refusant méme le mariage et la ma termite, alors queles pertesdela Grande Guerre ~ un million quatre cent mille morts, quatre millions de blessés ~ ont accentué les vieilles angoisses démographiques. aussi, de « vivre comme un @e Le changement profite plus aux pi légiées qu’aux prolétaires. ee Le type a été synthétisé par le sulfu reux bestseller de Victor Margueritte, La Gargonne, en 1922, qui value son auteur, ouere la dégradation de a Iégion @honneur, des pelletées d’articles hai neux, mais aussi de nombreuses réédi- tions ct adaprations, signes queson per- sonnage fascinait. Avec Monique Lerbier, jeune bourgeoise parisienne qui. par dépic amoureux, se mue en « célibattante » avant la lectre, Viewor La stylste Coco Chanel, en 1928, Margueritte offrait une formidable caisse de résonance ila peur dominante de l'époque, le brouillage des identités de genre. Le happy end du roman avec mariage et enfant restait pourtant bien conventionnel, mais la gargonne s'érait bien muce en symbole del 'époque. LIBRES PARISIENNES Monique Lerbier représentait-lle la Frangaise de 1922? Difficile de l'afir mer. Le changement le plus évident concerne la mode. Si le costume nin sest simplifié des la Belle Epoque, si plusieurs pionnitres, Colette, Po- Iaire, Chan courts avant routle monde, candis que des coututiers d’avant-garde, Paul Poi- retou Jeanne Lanvin, remisaient le cor- set au grenier, ce sont bien les années 1920 qui imposent un look nouveau, rendu néces- saire par les évolutions du monde du travail et de la vie urbaine, Son symbole le plus spectaculaire, la coupe « 3 la gar gonne », suscite certes maintes résis- tances et moqueties. Mais, passé 1925, tune majorité de fernmesI'a peu ou prot adoptée, en méme temps que la robe droite, lajupe au genou,letalon « trot cur», lechapeau cloche la silhouette est désormais libérée de I’étouffance gangue d’écoffes des si¢les antérieurs. Cette révolution stylistique accom- pagne les progrés del activité physique, |, ont osé les cheveux gymnastique, natation, vélo, et la conqueéte de I'espace public par les femmes ~ pour sot re des courses, allerau cinéma, au musée,au café..Le changement profite plus aux urbaines quiaux paysannes, aux privilégiées dau proleairer, aux jeune ils gu’a leurs meres. Mais il reléve bien dune lame de fond irréversible. Les meeurs de Monique Lesbicr, en revanche,sontcellesdun tout peti mi: sible, mais peu représencatif Il est peu plé de fortes personnalités qui ne sont plus seulement des mondaines ou des cocottes, mais entendent bien « se réaliser » par elles-mémes. Dans le monde du spectacle et de la scéne, dabord, auquel s'ajoute, désormais, le cinéma (Eve Francis) la chanson (Da- mia, Fréhel, Suzy Solidor) le music hall (Mistinguett, Josephine Baker); dans les ares plastiques et le design (Sonia Delaunay, Tamara de Lempicka, Char lotte Perriand), dans les leeeres (Co- Jette), mais plus encore dans la mode, avec Gabrielle Chanel en fer de lance Beaucoup d'étrangéres inseallées & Tallose de damants (len 192 2. métier mascutn avant guerre r extrait e George Blanchet sourit ~Certes, madame. Aussi, pouvez-vous étre persuadée que la... voyons, comment appelierons-nous cette émancipée?...la...gargonne de demait = An! non! déclara Monique. Garconne, je le suis un peu. Et je vous jure que je n'ai aucune des velléités dont vous parlez! = Oh! mademoiselle, la garconne de demair ne ressemblera pas plus & celle aujourd'hui que vous ne ressemblez 8 vossceurs diya vingt ans. Songez 8 ce qu'l tient de révolution, et dans tous les ordres, on Vespace d'une génération!... Eh bien, cette gargonne-la fera comme le garcon. Elle ra un peu plus a 'école de Malthus, vol tout. Sans compter qu’ellen’a plus grand-chose 8 y apprencre!...Lanatalité baisse Et pour cause! On ne verra bientot plus, pour avoir des enfants quand elles nen voudront pas, que les idiotes. Et les séducteurs en deviendront du coup moins imprévoyants, et moins mufles. ~ Mais c'est Ia fin du monde que vous annoncez a! se récra la tante Sylvestre, éberluée. = Non, madame. La fin d'un certain monde, seulement. La fin des crimes passionnels, de Vhypocrisieet des préjugés. Le retour 3 la nature, dont le mariage contemporain Glude et méconnait Vordre. [La Gargonne, Victor Marguerite (1922) Paris, de Gertrude Stein 4 Romaine majorité des Frangaises,eependant, cet Brooks, vont également nourrir cette créativité nouvelle D'adoption ou de souche, ces Pari- libre, dégagée des conventions bour- {geoises, avec, pour certaines, un pen chant saphique assumé. Pour la avant gardisme érotique restaiinacc sible, voire choquant, comme en moigne la réaction outrée des f nistes modérées fice a La Gargonne. Si les années 1920 virent bien les progres dda ire entre jouncs gon, sles femmes se montrent plus exigcantes en matiére de satisfaction charnelle, l'amour ro- mantique couronné parle mariage eta famille reste l'idéal dominant, avec incitation autoritaire des pouvoirs pu- lois de 1920 et 1923 punissent lourde- ‘ment contraception et avortement. DROIT DE VOTE RETOQUE EN 1922 Stimulant pour les élites, le eravail reste, pour la femme ordinaire, un vestissement ambivalent. Lemploi minin a certes profité de la croissance du tertiire, commerce, banque adi hisraton, PTT, comme du develope. ‘mene de la grande usine fordienne, oi les ouvriéres se convertissent aux en- jeux des luttes syndicales et politiques. Dansla petice et moyenne bourgeoisie, les eunes filles sont désormais incitées A décrocher un dipléme. Le nombre d'avocates ou de doctoresses esten aug- mentation, et plus encore celui des seignantes ~ en 1924, le décret Berard aligne les programmes des ycées fémi- nnins sur ceux des garcons. I ne sagit encouverture. pourtant pas de nourrir des am: bitions trop élevées : beaucoup sar ent de travaillerau premier enfant, et le taux d' activité des femmes pla fonne 336%, Surle terrain des droitscivilset po- litiques, les inégalités restent les plus criantes. Sile droit de vote bilicé, depuis longeemps les férinistes, a été adopré par la ambre des députés en 1919, il ese retoquéen 1922 teur Sénat qui affirme crane le comble de labsurdie est atteint en 1936, lorsque trois femmes de- Viennent secrétaires d’Etat dans le ar le plus conserva- ical » des électrices. L Le Sénat craint le vote « clérical » des électrices. @ gouvernement de Léon Blum, sans éxrenilectricesni dligibles, alors que Ja majeure partie des pays occiden- aux ont, depuis 1918, accorde le su :minin. La contradiction, au etdes droits de Thomme, est soulignée avec fureur par ls suffragistes. Danse domaine privé, les femmes ne sont guére mieux loties, malgré quelquesavancées:en 1920, elles sont ainsi autorisées a se syndiquer sans ‘accord de leur mati, mais il faut at tendre 1938 pour que soitsupprimée Pincapacité juridique des femmes mariées, inscrite dans le Code civil depuis 180: nnées 1970 pour que les dernigzes iné- galiés juridiques soient levees - sans préjuger de I’égalitérélle, toujours a conquétie. . I faudra attendrelesan: ‘Victor Marguerite, = Si0p, RINE | LaGargonne, & Louise Brooks LA TETE AU CARRE lcéne indémodable, la star a déserté Hollywood pour tourner & Berlin avec Pabst 'immortelle Loulou. Pal apn Sacre oe ‘entrées dans notre imaginaire, Dans ALIRE {oul La Bae de Pande sre nos a aC Ma ek arb =e ctl te [uke tomar Brooks. Peut-étre par contraste avec la Louise Brooks, Tacha ee pene atc tat cg tnt) Timon kee once eee pegeeiaeancntl senctiiins ay aca eae Bea eade mee ea oe cet orem epee pufacedeees Mémotes soulone? _cestornnms ies ql rer es eae ad a sala dec a eae Pad and solani starrer: ale Sasa an ski ioe fee bciee cas ark” eeisuun fren oES eine ge ra (eae satel MER ae oNC Ek cea Loulou A Hollywood. pour devenir une New-Yorkaise «Thollywoodite », Cette force lui vient distinguée. Cn fat, etait un de lenfonce : « Nrayant jamais eu handicap. » Ele préfére alors, « belle besoin de mentir& la maison, je me suis lancée dans le monde avec Thabitude de dire la vérits. » Elle cexplique ainsi son « inaptitude plus tard & [se] soumettre a lesclavage des Usines de films ». Loulou change sa vie :« A Hollywood, tals une jolie écervelée [.].A Berlin, [je devins actrice, » Elle incame cette « jouisseuse ‘amorale qui vit dans instant et détruit les hommes sur son chemin », selon. William Shawn. Une me qui ll resemble sans doute un peu. Pour ce rOle, elle a été préferée a Dietrich Pabst racontait : « Marlene était trop 4gée et trop réelle. Un regard sexy, et le film virat au vaudeville. » Aucun risque, avec Louise et son insolence « Mon incarnation de la tragique Loulou dénourvue de tout sentiment du péché fut généralement taxée diinacceptable pendant un quart de siécle.» Louise Brooks incarne une ‘éminité actuelle, « La seule ferme qui posséde le talent de transformer fen chef-cfceuvre rvimporte quel film », écrivait le critique et cinéaste ‘Ado Kyrou, ‘Aurélie Marcireau Louise Brooks, re osleuse ¢ Holiwood» v= Mireille Havet (1898-1932) Au bout de la nuit Homosexuelle et opiomane, amie de Cocteau et de Colette, la poéte noctambule a laissé un journal troubl unique sur un aprés-guerre joyeux et désespéi Par Emmanuelle Retaillaud témoignage Fh ei asere fugace dans la ga- laxie des Années folles, Pécrivaine Mireille Havet restepeu connuedu public, ‘malgeé la publication, depuis 2003, de son journal aux éditions Claire Paul- han: malgré, aussi, 'attribution de son ‘nom a une place danse LI arrondisse- mentde Paris. Gargonne canaille etles- bienne assumée, elle Fut aussi toxico- mane, dépressive et suicidaire : un nocud de contradictions qui révélent les des soustroublesd une décennie moins op- timiste qu'il n'y parat. Elle était née en 1898 d'un pére artiste peintre et d'une mire cultivee, quirévaitde voirses deux filles réussir dans les lettres ou les arts. Trés jeune, Mireille fut louée pour son talent poétique, qu lui value 'attention de Guillaume Apollinaire. Sa « petite poyetesse »,commeil lasurnommaitat fecrueusement dans leur correspon- dance (publige en 2000), donna ses pre- miers poémes & sa revue Les Soirées de Paris. C'est Colette, rencontrée lors d'un diner chez Héléne et Philippe AURE Journal 1918-1919, Mirelle Haver, (Clare Pouitin 2560, 20€ Berthelot, qui endossa ensuite le cos- tume de mentor, en acceprant de préfa- cer La Maison dans il du chat. Publié en 1917, Pouvrage valut & fa jeune pro- digede'19 anion stance «fine poir desleteres » qui se révéla pourtant difficile A mainteni. Ses 20 ans coin- cident presquc exactement, 6 symbols, avec 'armistice de 1918 noceambuleet mondaing, d'une séduisante andvogy: nie, Mireille ne masque plus rien des penchants lesbiens quelle confie & son journal depuis age de 15 ans. Noutrris Dar une we debe, ses projets ie raires prennent corps, sousle patronage de son nouvel ami Jean Cocteau. © Mireille Havet ne masque plus rien de ses penchants lesbiens. ee En 1923, Albin Michel public Carns tal, subi transposition de sa liaison avee Madeleine de Limur, une grande bourgeoise parisienne au « chien » de femme fatale. La jeune écrivaine a d’aucres textes en réserve : Rencontres A aprés minuis, série de nowvellesconsa- cxées i sa vie amoureuse le cinéaste Yann Gonzalez s'est inspiré du titre pour son film de 2013; feunesteperdue, qui évoque la destinée tragique de la gé niération d apres-guerte, Le premier, re= fusé parles éditeurs, n'a paséxé retrouve, lesecond ne fur jamais achevé, bien que En 917, peu de temps avant a partion de ‘on recall a Nalson dans Pel chat. Je manuserit ait retenu attention de Jeanne Delamain et de Jacques Char- donne au comire éditorial de Stock. Mireille fu victime du fond dépressif desa famille — son péres'était suicidé,& moitié fou, en 1913. Dés 1918, l'intré- pide noceuse se livra sans mod aux sortiléges ambigus des pipes opium et des rails de cocaine. Elle de- vine vite acero 2 la morphine ee 4 "h roine. Ses ambi nérent court, en méme temps que les soucis d'argent s'aggra- vaient. En 1926, Cocteau lui fit jouer, dans sa pitce Orphee, tun réle qui semblat tallé pour Jui dela More. Six ans plus tard, alle elle décédait précocement, dans un s2- natorium suisse, d'une pleurésie mal soignée, apres plusieursannées de galére dans les hotels miteux de Montpar- nasse. Miraculeusement sauvés du dé- sastre les 17 cahiersde son journal, ten es oe eB ems hasard, qu’en 1995, Lyriques, éche sans abou ilsforment aujourd huil’es- sentiel d'une ceuvre pleinement ori place dans la let guerre . en couverture. Tournant Foules time ‘Aux émois intimes, les écrivains des années 1920 ont substitué le monde urbain et ses destins collectifs. Par Claude Arnaud a roire que les mo- mentslibérateurs de histoire suscitent de grandes formes Aare est centant, plus compliqué ele eraing La Rew francaise n’apasengendré deroman ajous alors ct cnsuite, tour juste de grands chroniqueurs (Chateaubriand) exdeshistoriensd exception (Michelet) Le texte indépassable de la Révolution c reste la Constitution de 1776, ec karusse ne connut ni Tolsco¥ ni Dostoievski. Lefferde soufflede Mai 68 inhiba lui-méme toute expression lieé- naire daborée. Comme si ces boulever sements historiques, en réveillane nos séves les plus messianiques, seerétaient Jeur propre romanesque devant equella fiction éerte se révele démunie. LUNE AME COLLECTIVE Les guerres, ces briscusesd 'utopic, ont parol effccimerse La condi lane raire des campagnes napoléoniennes nest plus a prouver, de Stendhal & Bal- zac en passant encore par Tolstoi, Avec ses millions de soldats soumis & des dé- luges d’acier le confle de 1914-1918 fie deson ebté bruralement sentir auxeréa- teurs qu’on entrait dansIére des masses Ressortdutroman balzacien, flaubertien crivain ot essayist, claude Arnaud est aussi biogrape. Ila notamment rit Jean Cocteau (Galirmard, 2003). ou zolesque, individu aux prises avec la sociéeé cessa d’étre I'unité de compte de histoire : dans l'anonymat des tranchées, il n’ ait plus qu'un ingré- dient de ce compostde boue, de chair et demétal ot se défaisaient mores, blessés et survivants, Cette gigantesque entre- prised égalisation, cncorescnsibledans Tes croix alignées & la parade des cime- tiéres miltaires, survine au termed une fre artistique qui eneouragea son ex- @ Des poétes avaient pressenti la petite foule qui grouille en nous. e¢ pression inverse le culke du moi. Elle bouleversa des écrivains grandis dans es bbrumes de symbolismequis'inspiraiene de leurs songes pour affirmer ce qu'ils avaient de plus singulier. Elleles obligea Aconsidérerde nouveau existence phy- sique des masses, jusque- exclues de leur préoccupation artistique. Porté par l'euphorie des Années folles,ce choc de culeures fu fécond i encouragea les auteurs & faire parler dune seule voix desvilleset despeuples, les poussa aux extrémes duu nombre Jules Romainsavaiteu,dés 1903, «I'in- tuition d'un éere vaste ex clément done la rue, les voitures et les passants formaienclecorpsetdonclerythmeem- portait ou recouvrait les rythmes des consciences individuelles ». I se langa Fen 1930 dans a rédac tion d'un vasteeyele, Les Hommes de bonne volonte, afin de décrire la société par couches, etdemaniéresimultanée, jusqu’ en dé sgager "ame unanime, Freud avaicrévélé Temprise parfois tyrannique de notre inconscient individuel ? La littérature de laprts-guerre allaie moncrer que nous sommes aussi pensés par cet in- cconscient collectif que Psychologie des Joules de Gustave Le Bon wvaitdejacencé de préciser,en 1895, Lunani- mismede Jules Romainseut:l tune influence directe sur Dos Passos? La question reste dis- putée. Maisleromancieramé- ricain, ambulancier durant la Premitre Guerre, va chercher lui aussi synthétiser jusqu’a I'épique la réalité humaine de son pays, & travers ses deux trilogies, USA (1930-1936) puis District of Columbia (1939-1940), en ayant re- ‘cours & des techniques inspirées par le cinéma, collage, montage, simulta- iisme, Dos Passos avait deja cherché& ndreI'incroyable entrelacs de dest juise trame 4 New York, danse kigen- lire Manhattan Transfer (1925).Tout ‘comme Joyce avait voulu reeréer, 8 tra- vers l'errance urbaine de Leopold Bloom et dans le laps d'une seule jour- née (le 16 juiller 1904), la vie débor- dante de sa ville natale (Dublin) dans Ubsse (écrit de 1914 & 1922). Des cités ‘entidres se mirent ainsi parler et a di- vaguer, dans a frénésie ambiante. Elles estns qu setramalta New York semblaient en appeler parfois & une forme de psychanalyse sauvage, comme Paul Morand s'y essaya avec New York (1930), bientot suivi par Londres (1933) et Bucarest (1934). Cechoc radicalisaen _méme temps intuition des poétes qui avaientsual inverse, dés avantlecontli, pressentr la petite foul qui grouille en chacun de nous. I cncouragsa Pesioa 3 se mettre au service des poétes hétéro- nymes quiallaine se disputer sa plume, vingecing ans durant, chacun ayant son style, sa Weltanschauung et son es- thétique, A l'image des chapelles soon ganas el pd lear 1 Le bonne, a Pars, Saint Pétersbourg- et jusqu’en Amérique latine. Il donna aussi 4 Pirandello le ressore mental Un, personne et cont mille(1926), un roman dans lequel Pantihéros cesse de se voir comme un étre unique, comme ordre social nous y oblige, ex décide de tirer parti des cent mille personnes que Jafréquentation desautres ait naitreet ‘mourir en lui, au gré des rencontres. Méme un éerivain aussi peu avant- gardiste que Proust fue affecté par ce choc du massif et deIintime. Non seu lement la guerre donna 4 La Recherche une profondeur temporelle imprévue, en retardant toute publication pendant quatre ans, mais elle accéléra les prodi- gicuses mutations quesubissentses per sonnages et le milieu tentaculaire qui Jes unit. Le Charlus du Temps retrouue, gui rile sous les coups de fouet dans la ‘maison Jupien, n'a strictemene plus voir avec apparent Womanizerde ses debuts, tout comme la sociéeé dont il éraie ke héraue se rerouve ruinge ou ri- diculisée. Iasi radicalement évolué que seul son nom semble semble lesinnombrables Charlus qui se sont suceédé en Ini Albertine grouille aussi de personages contradictoires que le narrateurs'¢puise& faire coinci- der, dans sa folie possessive. LEMO1PROFOND Les frontires de individu, qui nfavaient cessé de se préciser depuis la Renaissance, se relichérentainsidurant les Années folles. Révélé par les pro- phétesde inconscient, notre chaos psy- chique suscital’émergence litéraire du stream of consciousness, cette technique visane rendrel'anarchie ds reves et des fantasmes quitravaillent notre moi pro- fond, Répuclianea notion de caractére, le roman pilote des années 1920-1930 (Use de James Joyce, Les Vagues de Virginia Woolf) tendra a rendre le magma psychique de personages per- dantrout contour, cmblables es alls de gare oit se croisent foules en artente et trains en partance, comme le Viennois Ernst Mach Vavait pressenti dans Analyse des sensations (1886).Ce désir de réinsérer l'individuel dans le collectfn’a pas touché que!" Europe oc- tideneale ou les Etat Unis. I ext aus sensible dans le Petersbourg d’Andtei Bidly (1922), dontle vrai heros n'est pas Nikolai Ableoukov, cet écudiant tenté par le terrorisme, mais la ville de Saint Pérersbourg, ainsi qu’Alexandrie le sera dans le Quatuor de Lawrence Durrell. Tout comme les bas-fonds de la capitale allemande était au coeur du Berlin Alexanderplated’ Alfred Doblin (1926), ce roman choral en neuf livres nourri de coupures de journaux, de chansons, de discours politiques... ‘On pourrait éprouver de a nostalgic pour Vambicion qui présida & ees grandes machines, au regard de ex: treme individualisme de la création contemporaine. Mais histoire n'a pas ditson dernier mot, Avec ladémondia- lisation, le réveil des appétitsimpériaux et les guerres qui menacent, elle pour- faienous contrandre&recoleetvser nosaventurcs individuelles. Nosannées 2020 risquenc d’étre bien. moins joyeuses que les leurs, néanmoins. = LA TOUCHE McCOWN ‘Cest parla magie d'un piano quella vied’Eugene McCown sefon- . Lesavant-gardes one restées dansla mémoirecollectivecomme un exemple de fraternité artistique et de cosmopo: litisme heureux. « En art il étrangers » : le mot du sculpteur Brancusisembleen érela devise. est oublier que les avane-gardes se sont construites 4 une époque de fortes as chocolat, de vanieé vanillée apas pitations nationalists, et que celles-ci ‘ont pas toujours été le fait des seuls conservateurs. Les mots de Brancusi one d’ailleursété prononcésustement Afoceasion du confit qui opposa Bre- n 1922 eequi devaitn la dissolution de D: (0 versie retour3 forte. avant-garde Sliver (989), tad de anglais Etats-Unis par Dennis Colin, #4. Flammarion, 19 Modernité Et en vitesse! Le progrés technique a bouleve’sé les temporalités, y compris chez les écrivains, jusqu’a I’écriture automatique. Par Myriam Boucharene jen ne demeurait in- selonk changé, sinon les — corsee: fai (merci M. Poi rages» scestainsique ret). Tandis quen 1917 «T'rinoie » Walter Benjamin &o- de Duchamp fiisaie A New York une guait Pimpression d’ écroul breve apparition, & Paris Philippe Sou- d'un monde qui suceéda a la fin des pauleprétae sa main 4 Cendrars pour combats. Tout était 8 réinventer, en applaudir Charlo, en passe de devenir somme. Acommencer parlexx'sitcle Tun des mages de la modernité 1920 Iui-méme, que John Dos Passos fait — avec le Bebé Cadumm et Fantomas. debuteren 1919. Lesavane-gardesn'at- Les Années folle ont fait du scandale tendirent pourtant pas le traité de un des beaucarts et de la légende un Versailles pour exprimer leur désir mode d’appethension du réc dinnovation :dixansplustét, Robert Delaunay avait « cassé » Latour Eiffel, LES MOTS EN « GRAPHE » Ce niese pas le moindre des paradoxes . decetteépoque dominée parle prog Profesew ce true ct sic technique, le principe d'wtilité et le Fae bonanteres cniciaie fordisme. Touslesmorsen « graphe » de enrerdeur-guerres, sevoient soudainement réhabiliés. La TSF et ses applications modifient les modes de communication, Avec la mise en place des premiers postes émerteurs, Jejournal par, les émissions musicales, voire les eampagnes électorales par- viennent simultanément aux oreilles de tous. Le tééphone inspire & Cocteau la forme soliloquée de La Voix humaine. ‘Tandis quele réseau routiersedéveloppe Aviveallure, lesgrandsexpressne cessent dl'accroitre le luxe de leurs prestations, Jes transatlantiques se muencen musées foctants de I'Are déco, Avant méme la lel’Aclancique par Lindbergh, ites lignes de navigation aé- rienne eiviles voient le jour, fasant pas- ser Faviation de I'age des records spor- ifs celui dela commercalisation du ciel, Paul Morand a décrit les sensations des premiers voyageurs transportés «« sur lair dlastique > et les paysages métamorphosés en « pices coustes » eten « échantillons ». ‘La modernités'ineroduie aussi dans les intérieurs. Voici A quoi ressemblaitla cuisine modele, telle que décrite par Dicerc Mac Orlan : = Cte 3 cbee dans leurs livrées de nickel et de faiences blanches la lessiveuse électrique, la cui- siniére électrique, tillage qui marche rout seul depuisle moulin dcatéjusqu’a Jalessiveuse de vaiselle »:& quoiil faut ajouter, le réfrigérateur, Faspirateur et tous ces « petits appareils rigolos qui fontle travail domestique », comme les appelle Cendrars, que l'on pouvait voir expoxésau Salon desarts ménagers dont Ja premigre édition date de 1923 : fours lectriques,alhumoirs& gxz, appareils & tieflechautite bokewt nbn lieeérature aurai cas « I'écriture automatique » qui consisted « noixcirdu papier » Ala plus grande vitesse possible, sansaucun souci derésultaresthétique. Ainsisortirene de Ja plume inconerélée de Breton et Sou- paule Les Champsmagnétiques, quid nérent naissance au surréalisme. Mais, siun Cendrars ou un Fernand Léger ne jurent que parle « le bel optimisme des ‘machines », Drieu la Rochelle s incer roge: «Comment? hommes arrangera- tildeses¢pousallesavec lamachine? » Valéry fait monere d’unc conscience écologique: « Songex ce qui se consume chaque jour dans cette quan titéde moteurs de toute espece, ila des- truction de réscrves qui s‘opére dans le monde » (Propos sur le progrés, 1929). LE JAZZ, PARLONS-EN Maurice Sachs, qui tient registre des nouveautés, mentionne : « le bridge Aleve al'éxatd’instivution >, « les ais selles tondues ».Iy eur aussila décou- verte de la pénicilline, la création par Cassandredu caractére Bifur qui révo lurionna la typographie, le lancement en 1928 du magazine Vi qui vulgacisa le photomontage, la sortie aux Etats Unis de The Jazz Singer, premier film parlane réalisé grice au Vitaphone. Le jazz était alors un mélange dearly jazz incarné par Sidney Becher, de jazz adapté au music-hall et de jazz sym- @ La pub fut a la révolution visuelle ce que le jazz fut a la révolution sonore. ee phonique danslesillage dela Rhapsody in Blue de Gershwin. Sa nouveauté « catastrophe apprivoisée », selon le mor de Cocteau, sa force subversive : «un étendard orgiaque aux couleurs du moment », se souvient Michel Lei- ris dans Lidge d ‘homme. Sil sest im- posé comme embléme des Années falles, estan déeriment de la publiceé qui fut 4 la révolution visuelle de Pépoque ce que le jaz fut 4 sa révolu- tion sonore, De ult, Ceroénafiche son nom en leetres de néon sur la tour Eiffel et de jour en lettres de fumée dansle ciel de Paris, ebahi. Ce n'est pas qu'une esthétique inédite de la ruc, maisune maniére nouvelle d’existence médiacique ATPorée dela décennie, le procts de Landru, couvert par Colette et André Salmon, inaugure le fait divers élevé & la hauteur d'un divertissement de masse. Un « train Landru » escaffiéeé spécialemene pour se rendreauxassises de Versailles. Les « landruistes » dé- signent alors aussi bien les femmes éprises du « Barbe Bleue de Gambais » que les 4000 citoyens qui votérent pour lui en 1920! La specta- cularisation de I’événement devient tune modalité nouvelle de sa réalité. ‘Ainsi Radiguetficil son apparition aux actualitésfilmées avant méme la paru- tion du scandaleux Diable au corps. Le livre, commentait Cocteau avec lu dité, 'imposa « & cause et malgré les efforts de la presse pour le couler& pic. Ensuite ces maeurs éeranges devinee Vhabitude ».C'estainsi que L’Homme 4 U Hispano de Pierre Frondaie, La ‘Madone des sleepings de Maurice De- kobratalonnérent La Garzone de V tor Margueriete, devenue emblém: tique de cette époque qui inventa les premiers bestsellers avant la lettre en méme temps que « la célébrité en Lheure » et le « personage publici- ent les journaux. Recensant dans dujour- 2 hui 1931 essepe me veilles di poondle aip- derne, Cendeats listait: 1) Lemoteura explosio 2) Le roulement & billes SKF;3) Lacouped’un grand taille 4) La rmusique de Savie qu'on peut en fin écouter sans se prendre la tee dans lesmains; 5) Vargent:6) La nuque dé- nudée d’une ferme qui vient de se faire couper les cheveux 7) La publi- cité. « Jen connais, ajouraitil, encore 700 ou 800 autres qui meurene et qui naissent tous les jours. » Et sila plus belle invention des années folles avait &éL'esprit mémed’invention? Lorie dune cuisine modtte (1925).

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