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« 

Mais si faut-il mourir »

Mais si faut-il mourir, et la vie orgueilleuse, (v.1)


Qui brave de la mort, sentira ses fureurs ; (v.2)
Les Soleils hâleront ces journalières fleurs, (v.3)
Et le temps crèvera ceste ampoule venteuse. (v.4)

Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse, (v.5)


Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs ; (v.6)
L'huile de ce Tableau ternira ses couleurs, (v.7)
Et ces flots se rompront à la rive écumeuse. (v.8)

J'ai vu ces clairs éclairs passer devant mes yeux, (v.9)


Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux. (v.10)
Ou d'une ou d'autre part éclatera l'orage. (v.11)

J'ai vu fondre la neige, et ses torrents tarir, (v.12)


Ces lions rugissants, je les ai vus sans rage. (v.13)
Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir. (v.14)

Sonnet 2, Essai de quelques poèmes chrétiens, 1588, Jean de Sponde.


Lecture analytique n°1.
(1ères S, L.).

« Mais si faut-il mourir », Sonnet 2, Essai de quelques poèmes chrétiens, 1588, Jean de
Sponde.

INTRODUCTION.
● Jean de Sponde (1557-1597) est issu d'une famille protestante. Grâce à la situation de son père,
qui est secrétaire de la reine de Navarre, il reçoit une éducation humaniste. Ayant embrassé la cause
d'Henri IV, il se convertit au catholicisme en même temps que le roi, qui le nomme en 1592 lieutenant
général de la sénéchaussée de La Rochelle. Mais son abjuration a brisé sa carrière. Réputé pour ses
traductions latines d'Homère, d'Hésiode et de La Logique d'Aristote, il a composé l'une des œuvres
les plus éclatantes de la poésie baroque qui tient tout entière en deux minces recueils : Les Amours.
D'inspiration religieuse, les Amours visent à faire éclater aux yeux du croyant la vanité et les illusions
de la vie mondaine. Cette poétique culmine avec les Douze Sonnets de la mort, suivis de Sonnets
sur le même sujet, dans l’Essai de quelques poèmes chrétiens en 1588. Il a écrit aussi les
Méditations sur les psaumes en 1588, elles annoncent en une prose coupée et anti-cicéronienne,
certaines des Pensées de Pascal.
● La poésie baroque, ancré dans les guerres de religion, s’illustre par plusieurs thèmes, propres à
un monde en pleine tourmente : La métamorphose, l’inconstance, l’omniprésence de la mort. L’Essai
de quelques poèmes chrétiens, fondée sur l'incommensurable écart entre la créature et le Créateur,
est une poésie métaphysique, qui apparaît indissociable de la pensée protestante et s'apparente à
celle d'un John Donne. Théâtralisation souvent violente du parcours conduisant l'âme à se convertir
en abandonnant les réalités de ce monde promises à la décrépitude, elle met en exergue
l'inconstance de la vie humaine, poussant le lecteur à se tourner vers Dieu.
● Ce sonnet, le deuxième du recueil, fait partie d’une suite de douze sonnets intitulée Sonnets sur
le même sujet qui apparaît comme un ensemble composé : Les six premiers sonnets se caractérisent
comme étant l’énonciation du prédicateur qui sermonne, et qui le droit d’interroger. Aussi, Jean de
Sponde s’adresse-t-il à son lecteur, sur le ton de la menace, de l’ironie amère, voire de la pitié, afin de
le remettre dans le droit chemin. Il propose un discours sur la vie, et reflète la volonté d’incliner
l’homme à prendre conscience de la précarité radicale de sa vie : C’est un memento mori (« Souviens
toi que tu meurs »). Assaillis par la représentation de leur mort, de la corruption de leur corps, les
vivants ne pourront échapper à l’évidence qu’ils meurent un peu plus à chaque instant. Jean de
Sponde épouvante le lecteur, pour susciter un élan de conversion.

PROBLEMATIQUE.
Comment le poète, à travers un sonnet fort en images, donne-t-il un conseil de vie à son lectorat ?

PLAN.
I- L’Art de l’argumentation.
1°- Une structure qui interpelle le lecteur.
2°- Les stratégies argumentatives.

II- Le portrait d’un poète baroque.


1°- La présence du poète.
2°- Son caractère.

III- Que vivre, c’est apprendre à mourir.


1°- Une ode à la vie.
2°- L’omniprésence de la mort.

DEVELOPPEMENT.
I- L’Art de l’argumentation.
1°- Une structure qui interpelle le lecteur.
● v.1, premier hémistiche : L’argument : Le poète souligne, dès le début du sonnet que la destinée
de tout être humain, voire vivant, de toute chose vivante est la mort.
● v.1, deuxième hémistiche à v.8 : L’exemple :
v.1 à 2 : Premier exemple : La vie, quelle que fière qu’elle soit, ce qui est souligné par le
champ lexical de la fierté : « Orgueilleuse (v.1), brave (v.2) », sera mâtée par la mort.
v.3 : Deuxième exemple : La chaleur du soleil réduira les fleurs à néant.
v.4 : Troisième exemple : L’action du temps envers la vanité humaine.
v.5 à 6 : Quatrième exemple : Toute flamme, symbolisée par son champ lexical : « Flambeau,
flamme (v.5), ardeurs (v.6) », qui peut représenter la vie, la passion, est vouée à disparaître.
v.7 : Cinquième exemple : L’art, représenté par le champ lexical de la peinture : « Huile,
Tableau, couleurs » (v.7), est lui aussi éphémère.
v.8 : Sixième exemple : L’eau, le flux, représentés par leur champ lexical : « Flots,
écumeuse » (v.8), se brisent sur la rive, donc meurent aussi.
● v.9 à 13 : Explication des exemples, qui atteste de la disparition à laquelle toute forme de vie est
vouée, ce qui est représenté par :
v.9 à 11 : Première explication : La disparition due à l’orage, lequel évoque l’Apocalypse de
Saint-Jean, et qui et valorisé par son champ lexical : « Eclairs (v.9), tonnerre, gronde (v.10),
éclatera, orage (v.11) ».
v.12 : Deuxième explication : La disparition de l’eau, base de toute vie.
v.13 : Troisième explication : Le temps rend apathique.
● v.14, premier hémistiche : Explication de l’argument : Il faut profiter de la vie, le temps passe trop
vite.
● v.14, deuxième hémistiche : Reprise de l’argument, pour prouver qu’il y a eu démonstration.
═► Ce poème est un sonnet, en alexandrins, ABBA / ABBA / CCD / EDE, formé de deux quatrains et
de deux tercets.
═► Le schéma argumentatif est complètement déstructuré, le poète met en valeur les exemples, et
leurs explications, lesquelles ne peuvent que terroriser le lecteur, et le registre tragique, renforcé par
la reprise à la fin du poème, dans le deuxième hémistiche, du premier hémistiche du premier vers, en
une sorte d’épanalepse, laquelle forme une boucle, propre au sonnet, qui enferme le lecteur, souligne
alors efficacement le registre didactique :
Le poème est composé de quatre strophes, deux quatrains et un sizain coupé en deux
tercets, dans lequel les rimes sont organisées de la manière suivante : ABBA / ABBA / CCD /
EDE : Jean de Sponde sacrifie à la forme du sonnet français.
Le poème est fait en alexandrins, aux rythmes qui différent :
Alexandrins réguliers (v.1 à 13) : 6 / 6 : Il est considéré comme l’alexandrin classique,
mouvement qui n’a pas encore pris naissance à l’époque de Jean de Sponde, mais il
donne malgré tout au poème une connotation tragique.
Alexandrin irrégulier, au vers 14 : 2 / 2 / 2 / 6, dont le rythme valorise l’antithèse entre
la vie et la mort inéluctable.
Les rimes :
Elles sont embrassées, des vers 1 à 8, puis plates, des vers 9 à 10, puis croisées, des
vers 11 à 14.
Les rimes suffisantes (v.1 à 8).
Les rimes riches (v.9 à 14).
Les rimes féminines (v.1/4, 5/8, 9/10/11/13).
Les rimes masculines (v.2/3, 6/7, 12/14).
Présence d’un enjambement (v.1/2).
Présence d’une diérèse (v.13).
Les assonances et allitérations participent et à l’ode à la vie, et au tragique de la mort :
Les assonances :
 L’assonance en [i] qui exprime le cri d’agonie : « Mais si faut-il mourir » (v.1,
14).
 L’assonance en [an] : « Et le temps crèvera ceste ampoule venteuse » (v.4).
Les allitérations :
 L’allitération en [t] qui martèle la destruction : « Et le temps crèvera ceste
ampoule venteuse » (v.4).
 Allitérations en [s] et en [f] qui rendent l’effet sonore de la flamme : « Ce beau
flambeau qui lance une flamme fumeuse (v.5), sur le vert de la cire éteindra ses
ardeurs (v.6) ».
 Allitérations en [l], et en [s] qui rendent le flux et le reflux : « L’huile de ce
Tableau ternira ses couleurs (v.7), Et ces flots se rompront à la rive écumeuse
(v.8) ».
 L’allitération en [r] qui rappelle l’agonie d’une chandelle qui s’éteint : « Sur le
vert de la cire éteindra ses ardeurs (v.6) / Et le tonnerre encor qui gronde dans
les Cieux (v.10) / Ou d’une ou d’autre part éclatera l’orage (v.11) ».
═► Le tragique est alors renforcé par le lyrisme.

2°- Les stratégies argumentatives.


● L’art de convaincre, avec le fait que la fuite du temps est irrémédiable, ce qui est démontré par :
Le champ lexical de la mort : « Mourir (v.1, 14), mort (v.2), crèvera (v.4), éteindra (v.6), ternira
(v.7), rompront (v.8), fondre, tarir (v.12) », qui s’oppose, en une vaste antithèse, à l’isotopie de
la vie : « Vie (v.1), Soleils, fleurs (v.2), flambeau, flamme (v.5), ardeurs (v.6), couleurs (v.7),
flots (v.8), éclairs (v.9), tonnerre (v.10), orage (v.11), neige, torrents (v.12), lions, rugissants
(v.13), vivez (v.14) », qui développe les champs lexicaux de :
De la passion : « Soleils (v.2), flambeau, flamme (v.5), ardeurs (v.6), éclairs (v.9),
tonnerre (v.10), orage (v.11) ».
De la vie : « Vie (v.1), vivez (v.14) ».
De l’orage : « Eclairs (v.9), tonnerre (v.10), orage (v.11) ».
De l’eau : « Orage (v.11), neige, torrents (v.12) ».
La personnification, renforcée par l’enjambement, et la métaphore : « La vie orgueilleuse
(v.1) / Qui brave de la mort, sentira ses fureurs (v.2) » qui explique que toute vie aboutit à la
mort.
La personnification, qui montre que le soleil, source de vie, peut être porteur de mort : « Les
Soleils hâleront ces journalières fleurs » (v.3), ce qui est exact, car il peut brûler.
La personnification, combinée à la métaphore : « Et le temps crèvera ceste ampoule
venteuse » (v.4) désigne métaphoriquement la mort, qui a pour but de transformer l’homme,
qui n’est qu’une mécanique mue par de l’air, en néant, en poussière, ce qui est vrai
également.
La lente destruction de toute bougie, représentée par les personnifications : « Ce beau
flambeau qui lance une flamme fumeuse (v.5) / Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs
(v.6) ».
Les peintures des tableaux, qui avec le temps s’estompent, ce qui est souligné par la
personnification : « L'huile de ce Tableau ternira ses couleurs » (v.7).
La vague ne fait que mourir, dès qu’elle arrive sur n’importe quelle plage, ce qui est attesté
par la métaphore : « Et ces flots se rompront à la rive écumeuse » (v.8).
La conviction est également illustrée par le témoignage du poète :
Ses dires sont le fruit de ses expériences, ce qui est souligné par la présence du
pronom personnel sujet de la première personne du singulier, placé en anaphore :
« J’ » (v.9, 12).
Ils sont d’autant plus réels qu’il use de deux des sens pour les décrire :
 La vue, avec :
 Son champ lexical : « Vu (v.9, 12), yeux (v.9), vus (v.13) », renforcé par
celui de la lumière : « Clairs, éclairs » (v.9), lequel est valorisé par le
polyptote.
 L’anaphore : « J’ai vu » (v.9, 13).
 La personnification : « J'ai vu ces clairs éclairs passer devant mes yeux »
(v.9).
 Le chiasme : « J'ai vu fondre la neige, et ses torrents tarir (v.12) / Ces
lions rugissants, je les ai vus sans rage (v.13) ».
 L’ouïe, avec :
 Son isotopie : « Tonnerre, gronde (v.10), éclatera, orage (v.11), rugissants
(v.13) », dans laquelle figure le champ lexical de l’orage : « Tonnerre,
gronde (v.10), éclatera, orage (v.11) ».
 La personnification, combinée à l’hyperbole : « Et le tonnerre encor qui
gronde dans les Cieux » (v.10).
 L’hyperbole, renforcée par la métaphore : « Ou d'une ou d'autre part
éclatera l'orage » (v.11).
 La périphrase métaphorique : « Lions rugissants » (v.13).
═► Afin de faire passer son message, le poète se base donc bien sur une réalité, qui prise au premier
degré de lecture, est tout à fait vraie, d’où le registre réaliste qui semble souligner le registre
didactique.
● L’art de persuader : Si l’art de convaincre est bien présente dans le texte, Jean de Sponde se sert
habilement de lui pour créer des émotions chez le lectorat, et le pousser à la réflexion. En effet, il lui
décrit la toute chose vivante comme vouée à la mort et à la destruction, ce qui donne à son poème
une dimension cathartique, et en usant régulièrement du tragique et du pathétique, il démontre à son
lecteur que la mort est partout, avec :
L’emploi du connecteur logique d’opposition « Mais » (v.1, 14) choque le lecteur, et le pousse
au questionnement.
Les antithèses qui prouvent que la vie a pour aboutissement ultime la déchéance et la mort :
« Vie orgueilleuse (v.1) ┴ Mort (v.2), Crèvera (v.4) ┴ Ampoules venteuses (v.4), Flambeau,
flamme (v.5) ┴ Eteindra (v.6), Ternira (v.7) ┴ Couleurs (v.7), Flots (v.8) ┴ Rive (v.8), Fondre
(v.12) ┴ Neige (v.12), Torrents (v.12) ┴ Tarir (v.12), Lions rugissants (v.13) ┴ Sans rage
(v.13), Vivez (v.14) ┴ Mourir (v.14) ». Certaines d’entre elles sont accentuées par des
assonances ou des allitérations, qui soulignent soit la vie, soit la mort :
Celles qui mettent en valeur la vie, avec :
 Allitérations en [s] et en [f] qui rendent l’effet sonore de la flamme : « Ce beau
flambeau qui lance une flamme fumeuse (v.5), sur le vert de la cire éteindra ses
ardeurs (v.6) ».
 Allitérations en [l], et en [s] qui rendent le flux et le reflux : « L’huile de ce Tableau
ternira ses couleurs (v.7), Et ces flots se rompront à la rive écumeuse (v.8) ».
Celles qui mettent en valeur la mort, avec :
 L’assonance en [i] qui exprime le cri d’agonie : « Mais si faut-il mourir » (v.1, 14).
 L’assonance en [an] : « Et le temps crèvera ceste ampoule venteuse » (v.4).
 L’allitération en [t] qui martèle la destruction : « Et le temps crèvera ceste
ampoule venteuse » (v.4).
 L’allitération en [r] qui rappelle l’agonie d’une chandelle qui s’éteint : « Sur le vert
de la cire éteindra ses ardeurs (v.6) / Et le tonnerre encor qui gronde dans les
Cieux (v.10) / Ou d’une ou d’autre part éclatera l’orage (v.11) ».
Les personnifications : « La vie orgueilleuse (v.1) / Qui brave de la mort, sentira ses fureurs
(v.2) / Les Soleils hâleront ces journalières fleurs (v.3) / Et le temps crèvera ceste ampoule
venteuse (v.4) / Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse (v.5) / Sur le vert de la cire
éteindra ses ardeurs (v.6) / L'huile de ce Tableau ternira ses couleurs (v.7) / Et ces flots se
rompront à la rive écumeuse (v.8) / Ces clairs éclairs passer devant mes yeux (v.9) / Et le
tonnerre encor qui gronde dans les Cieux (v.10) / Ces lions rugissants, je les ai vus sans rage
(v.13) ».
Les hyperboles : « La vie orgueilleuse (v.1) / Qui brave de la mort, sentira ses fureurs (v.2) /
Et le temps crèvera ceste ampoule venteuse (v.4) / Ce beau flambeau qui lance une flamme
fumeuse (v.5) / Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs (v.6) / Et ces flots se rompront à la
rive écumeuse (v.8) / Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux (v.10) / Ou d'une ou
d'autre part éclatera l'orage (v.11) / Ses torrents tarir (v.12) ».
La gradation ascendante dans la mort : « J'ai vu fondre la neige // et ses torrents tarir » (v.12),
soulignée par le rythme binaire de l’alexandrin, qui deviendra quelques années plus tard, celui
de l’alexandrin classique, et par le parallélisme.
La dimension tragique du statut humain, désigné par cette kyrielle de métaphore est aussi
symbolisée par le jeu des rimes :
La rime embrassée, féminine et suffisante : « Orgueilleuse (v.1) / Venteuse (v.4) »,
n’est pas sans rappeler les paroles de l’Ecclésiaste : « Vanitas vanitaum et omnia
vanitas », à savoir, « Vanité des vanités, tout est vanité », ce qui signifie que le propre
de l’Homme est d’être vain, de n’avoir en lui rien de profond, d’autant plus que toute
forme de vie est balayée par la mort.
La rime embrassée, masculine et suffisante : « Fureurs (v.2) / Fleurs (v.3) » souligne
bien que ces dernières, symbole de jeunesse, de beauté sont condamnés à mourir.
La rime embrassée, féminine et riche : « Fumeuse (v.5) / Ecumeuse (v.8) », combinée
à la rime masculine et suffisante : « Ardeurs (v.6) / Couleurs (v.7) », renforce bien
l’idée que tout périt en ce bas monde, et accentue la peur du lecteur.
La rime croisée, féminine, riche : « Orage (v.11) / Rage (v.13) » accentue énormément
l’intensité de sa destruction.
La rime croisée masculine et riche : « Tarir (v.12) / Mourir (v.14) », renforce, elle aussi,
implicitement l’évocation d’un paysage de désolation.
L’idée de l’anéantissement de toute vie est également représentée par d’autres jeux
phoniques qui semblent figurer le renversement que constitue ce passage de la vie à la mort :
Dans le vers 4, l’assonance : « Et le temps crèvera ceste ampoule venteuse », [tan],
passe à [an], pour devenir [ant], ce qui symbolise l’action de la mort.
Dans le vers 13 : « Ces lions rugissants, je les ai vus sans rage » la même technique
est appliquée, en une sorte de chiasme phonique.
De plus, la majorité des verbes est placée soit en fin d’hémistiche, soit au début, ce qui
accentue l’idée de destruction.
═► L’art de convaincre est donc habilement entremêlé à celui de persuader, ainsi le tragique,
saupoudré de pathétique, vient renforcer le didactique.

II- Le portrait d’un poète baroque.


1°- La présence du poète.
● Nomination :
Jean de Sponde est réellement présent dans ce poème, comme l’atteste le pronom personnel
sujet de la première personne du singulier, placé en anaphore : « J’ » (v.9, 12). Il est
uniquement sujet, donc actant.
Il est également présent tout au long du poète, puisque par convention, c’est le poète qui
prend la parole, ainsi que le montre l’assertion : « Mais si faut-il mourir » (v.1, 14) qui rappelle
que la vie n’est qu’un leurre, puisque son aboutissement est la mort.
● Statut :
Un poète, admirateur des Anciens, comme le furent ceux de la Pléiade, puisqu’il use d’une
forme venant d’Italie : Le sonnet, avec le fait que le poème est composé de quatre strophes,
deux quatrains et un sizain coupé en deux tercets, dans lequel les rimes sont organisées de la
manière suivante : ABBA / ABBA / CCD / EDE : Jean de Sponde sacrifie à la forme du sonnet
français, il est fait en alexandrins, aux rythmes, et rimes qui différent, et qui sont soulignés par
assonances et allitérations :
Alexandrins réguliers (v.1 à 13) : 6 / 6 : Il est considéré comme l’alexandrin classique,
mouvement qui n’a pas encore pris naissance à l’époque de Jean de Sponde, mais il
donne malgré tout au poème une connotation tragique.
Alexandrin irrégulier, au vers 14 : 2 / 2 / 2 / 6, dont le rythme valorise l’antithèse entre
la vie et la mort inéluctable.
Les rimes sont embrassées, des vers 1 à 8, puis plates, des vers 9 à 10, puis
croisées, des vers 11 à 14.
Les rimes suffisantes (v.1 à 8).
Les rimes riches (v.9 à 14).
Les rimes féminines (v.1/4, 5/8, 9/10/11/13).
Les rimes masculines (v.2/3, 6/7, 12/14).
Présence d’un enjambement (v.1/2).
Présence d’une diérèse (v.13).
Les assonances :
 L’assonance en [i] qui exprime le cri d’agonie : « Mais si faut-il mourir » (v.1,
14).
 L’assonance en [an] : « Et le temps crèvera ceste ampoule venteuse » (v.4).
Les allitérations :
 L’allitération en [t] qui martèle la destruction : « Et le temps crèvera ceste
ampoule venteuse » (v.4).
 Allitérations en [s] et en [f] qui rendent l’effet sonore de la flamme : « Ce beau
flambeau qui lance une flamme fumeuse (v.5), sur le vert de la cire éteindra ses
ardeurs (v.6) ».
 Allitérations en [l], et en [s] qui rendent le flux et le reflux : « L’huile de ce
Tableau ternira ses couleurs (v.7), Et ces flots se rompront à la rive écumeuse
(v.8) ».
 L’allitération en [r] qui rappelle l’agonie d’une chandelle qui s’éteint : « Sur le
vert de la cire éteindra ses ardeurs (v.6) / Et le tonnerre encor qui gronde dans
les Cieux (v.10) / Ou d’une ou d’autre part éclatera l’orage (v.11) ».
Un homme élevé dans la religion chrétienne, et particulièrement protestante, car son père,
calviniste, était un proche de la mère du futur Henri IV, et donc cultivé, comme l’attestent :
Le champ lexical de la religion : « Orgueilleuse (v.1), Cieux (v.10) » :
 L’orgueil est l’un des sept péchés capitaux (Ils sont : L’envie, la colère, l’orgueil,
la paresse, la gourmandise, la luxure, l’avarice.).
 La majuscule à « Cieux », qui les personnifie est un hommage que rend le poète
à Dieu.
La référence implicite à l’Ecclésiaste, avec la rime embrassée, féminine et suffisante :
« Orgueilleuse (v.1) / Venteuse (v.4) ».
La référence à l’Apocalypse de Saint-Jean, avec la description d’un paysage qui
meurt, et ce à cause de l’orage, comme le montrent :
 Les antithèses qui prouvent que la vie a pour aboutissement ultime la
déchéance et la mort : « Vie orgueilleuse (v.1) ┴ Mort (v.2), Crèvera (v.4) ┴
Ampoules venteuses (v.4), Flambeau, flamme (v.5) ┴ Eteindra (v.6), Ternira
(v.7) ┴ Couleurs (v.7), Flots (v.8) ┴ Rive (v.8), Fondre (v.12) ┴ Neige (v.12),
Torrents (v.12) ┴ Tarir (v.12), Lions rugissants (v.13) ┴ Sans rage (v.13), Vivez
(v.14) ┴ Mourir (v.14) ».
 Les personnifications : « La vie orgueilleuse (v.1) / Qui brave de la mort, sentira
ses fureurs (v.2) / Les Soleils hâleront ces journalières fleurs (v.3) / Et le temps
crèvera ceste ampoule venteuse (v.4) / Ce beau flambeau qui lance une flamme
fumeuse (v.5) / Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs (v.6) / L'huile de ce
Tableau ternira ses couleurs (v.7) / Et ces flots se rompront à la rive écumeuse
(v.8) / Ces clairs éclairs passer devant mes yeux (v.9) / Et le tonnerre encor qui
gronde dans les Cieux (v.10) / Ces lions rugissants, je les ai vus sans rage
(v.13) ».
 Les hyperboles : « La vie orgueilleuse (v.1) / Qui brave de la mort, sentira ses
fureurs (v.2) / Et le temps crèvera ceste ampoule venteuse (v.4) / Ce beau
flambeau qui lance une flamme fumeuse (v.5) / Sur le vert de la cire éteindra ses
ardeurs (v.6) / Et ces flots se rompront à la rive écumeuse (v.8) / Et le tonnerre
encor qui gronde dans les Cieux (v.10) / Ou d'une ou d'autre part éclatera
l'orage (v.11) / Ses torrents tarir (v.12) ».
 La gradation ascendante dans la mort : « J'ai vu fondre la neige // et ses torrents
tarir » (v.12), soulignée par le rythme binaire de l’alexandrin, qui deviendra
quelques années plus tard, celui de l’alexandrin classique, et par le parallélisme.
═► Le personnage semble torturé, mais pas antipathique : Registre épidictique.

2°- Son caractère.


● Un prédicateur dans l’âme, avec la manière qu’il a de faire adhérer le lecteur à son discours, en
jonglant avec l’art de convaincre et l’art de persuader (Cf.2° du I), et en sachant déstructurer son
argumentation, pour qu’elle ait plus d’impact (Cf. 1° du I).
● Un observateur de la vie qu’il apprécie, d’autant plus qu’elle est menacée en permanence par la
mort, avec :
La présence de l’eau, avec :
Son champ lexical : « Flots, écumeuse (v.8), éclatera, orage (v.11), fondre, neige,
torrents (v.12) ».
La personnification : « Et ces flots se rompront à la rive écumeuse » (v.8).
La métaphore : « Ou d'une ou d'autre part éclatera l'orage » (v.11).
La gradation ascendante dans la destruction, combinée au parallélisme, et au rythme
binaire, promesse de tragique : « J'ai vu fondre la neige, et ses torrents tarir » (v.12).
Allitérations en [l], et en [s] qui rendent le flux et le reflux : « L’huile de ce Tableau
ternira ses couleurs (v.7), Et ces flots se rompront à la rive écumeuse (v.8) ».
La présence du feu, avec :
Son champ lexical : « Soleils, haleront (v.3), flambeau, flamme (v.5), ardeurs (v.6),
clairs, éclairs (v.9) ».
L’allitération en [s] et en [f] qui rendent l’effet sonore de la flamme : « Ce beau
flambeau qui lance une flamme fumeuse (v.5), sur le vert de la cire éteindra ses
ardeurs (v.6) ».
Les personnifications : « Les Soleils hâleront ces journalières fleurs (v.3) / Ce beau
flambeau qui lance une flamme fumeuse (v.5) / Sur le vert de la cire éteindra ses
ardeurs (v.6) / Ces clairs éclairs passer devant mes yeux (v.9) ».
La présence de l’air, avec :
Son champ lexical : « Venteuse (v.4), fumeuse (v.5) ».
La métaphore ; « Ampoule venteuse » (v.4).
L’oxymore : « Flamme fumeuse » (v.5).
La présence de la terre, avec :
Le champ lexical de la nature : « Fleurs (v.3), lions (v.13) ».
L’hyperbole : « Journalières fleurs » (v.3).
La périphrase : « Lions rugissants » (v.13).
La lumière est soulignée par son champ lexical : « Soleils (v.3), flambeau, flamme (v.5),
ardeurs (v.6), clairs, éclairs (v.9) », le polyptote : « Clairs / Eclairs » (v.9), les
personnifications : « Les Soleils hâleront ces journalières fleurs (v.3) / Ce beau flambeau qui
lance une flamme fumeuse (v.5) / Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs (v.6) / Ces clairs
éclairs passer devant mes yeux (v.9) », et le champ lexical des couleurs : « Vert (v.6),
couleurs (v.7) ».
● Un homme qui craint la mort, comme le soulignent :
Le champ lexical de la mort : « Mourir (v.1, 14), mort (v.2), crèvera (v.4), éteindra (v.6),
ternira (v.7), rompront (v.8), fondre, tarir (v.12) », qui s’oppose, en une vaste antithèse, à
l’isotopie de la vie : « Vie (v.1), Soleils, fleurs (v.2), flambeau, flamme (v.5), ardeurs (v.6),
couleurs (v.7), flots (v.8), éclairs (v.9), tonnerre (v.10), orage (v.11), neige, torrents (v.12),
lions, rugissants (v.13), vivez (v.14) », qui développe les champs lexicaux de la passion :
« Soleils (v.2), flambeau, flamme (v.5), ardeurs (v.6), éclairs (v.9), tonnerre (v.10), orage
(v.11) », la vie : « Vie (v.1), vivez (v.14) », et de l’orage : « Eclairs (v.9), tonnerre (v.10), orage
(v.11) », l’eau : « Orage (v.11), neige, torrents (v.12) ».
La personnification, renforcée par l’enjambement, et la métaphore : « La vie orgueilleuse
(v.1) / Qui brave de la mort, sentira ses fureurs (v.2) » qui explique que toute vie aboutit à la
mort.
La personnification, qui montre que le soleil, source de vie, peut être porteur de mort : « Les
Soleils hâleront ces journalières fleurs » (v.3), ce qui est exact, car il peut brûler.
La personnification, combinée à la métaphore : « Et le temps crèvera ceste ampoule
venteuse » (v.4) désigne métaphoriquement la mort, qui a pour but de transformer l’homme,
qui n’est qu’une mécanique mue par de l’air, en néant, en poussière, ce qui est vrai
également.
La lente destruction de toute bougie, représentée par les personnifications : « Ce beau
flambeau qui lance une flamme fumeuse (v.5) / Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs
(v.6) » : Elle éteint la lumière, donc la passion, l’amour, la vie.
Les peintures des tableaux, qui avec le temps s’estompent, ce qui est souligné par la
personnification : « L'huile de ce Tableau ternira ses couleurs » (v.7) : Elle est maîtresse de
l’art, lequel est symbolisé par la personnification de la peinture, grâce à la majuscule de
« Tableau » (v.7), qui n’a aucune chance de perdurer face à elle, elle efface donc toute trace
humaine : Plus aucun espoir d’immortalité pour l’Homme.
La vague ne fait que mourir, dès qu’elle arrive sur n’importe quelle plage, ce qui est attesté
par la métaphore : « Et ces flots se rompront à la rive écumeuse » (v.8).
Le rôle des assonances et des allitérations :
L’assonance en [i] qui exprime le cri d’agonie : « Mais si faut-il mourir » (v.1, 14).
L’assonance en [an] : « Et le temps crèvera ceste ampoule venteuse » (v.4).
L’allitération en [t] qui martèle la destruction : « Et le temps crèvera ceste ampoule
venteuse » (v.4).
L’allitération en [r] qui rappelle l’agonie d’une chandelle qui s’éteint : « Sur le vert de la
cire éteindra ses ardeurs (v.6) / Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux (v.10) /
Ou d’une ou d’autre part éclatera l’orage (v.11) ».
Le rôle des rimes qui expliquent qu’elle est là où l’ont ne l’attend pas :
La rime embrassée, féminine et suffisante : « Orgueilleuse (v.1) / Venteuse (v.4) »,
n’est pas sans rappeler les paroles de l’Ecclésiaste : « Vanitas vanitaum et omnia
vanitas », à savoir, « Vanité des vanités, tout est vanité », ce qui signifie que le propre
de l’Homme est d’être vain, de n’avoir en lui rien de profond, d’autant plus que toute
forme de vie est balayée par la mort.
La rime embrassée, masculine et suffisante : « Fureurs (v.2 → A noter qu’il s’agit d’une
force aveugle, qui représente la Fatalité, et accentue le registre tragique.) / Fleurs
(v.3) » souligne bien que ces dernières, symbole de jeunesse, de beauté sont
condamnés à mourir.
La rime embrassée, féminine et riche : « Fumeuse (v.5) / Ecumeuse (v.8) », combinée
à la rime masculine et suffisante : « Ardeurs (v.6) / Couleurs (v.7) », renforce bien
l’idée que tout périt en ce bas monde, et accentue la peur du lecteur.
La rime croisée, féminine, riche : « Orage (v.11) / Rage (v.13) » accentue énormément
l’intensité de sa destruction.
La rime croisée masculine et riche : « Tarir (v.12) / Mourir (v.14) », renforce, elle aussi,
implicitement l’évocation d’un paysage de désolation.
● Un sage, mais un sage désabusé, comme l’atteste le conseil de vie qu’il donne au lecteur, en
usant de :
L’épanalepse : « Vivez, Hommes, vivez » (v.14).
L’apostrophe : « Hommes ».
L’antithèse : « Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir » (v.14).
Le rythme à quatre temps du vers : 2 / 2 / 2 / 6, qui tendrait à montrer que la plénitude est
quand même dans la mort, pas dans la vie et ses tourments.
═► En faisant peur à son lecteur, le poète lui donne un conseil de vie, celui du CARPE DIEM : Il faut
profiter de l’instant présent, car la mort est plus que proche. Chaque seconde doit être savourée, car
nul ne sait de quoi va être fait demain. Mais il ne faut pas non plus perdre de vue que derrière la mort
se cache le jugement de Dieu, lequel est présent grâce au lexique de la religion, et par les évocations
de l’Ecclésiaste et de l’Apocalypse (Cf.1° du II.). Le poète conseille donc à l’Homme de ne pas
gâcher sa vie en faisant n’importe quoi, mais d’avoir toujours en tête, à chacune de ses actions, que la
mort est peut-être tout proche de lui, et que Dieu le regarde et le juge.
═► En homme de son temps, en poète baroque qui s’interroge sur le bien-fondé de la vie qui
n’aboutit qu’à la mort, il s’inquiète du devenir de l’Homme : Registres épidictique, tragique, pathétique
et didactique.

III- Que vivre, c’est apprendre à mourir.


1°- Une ode à la vie.
Le poète est conscient de la beauté de la vie, qu’il arrive à dépeindre avec beaucoup de réalisme,
avec :
● Le champ lexical de la nature : « Soleils, fleurs (v.3), neige, torrents (v.12), lions (v.13) ».
● La présence de plusieurs des éléments :
L’eau, avec :
Son champ lexical : « Flots, écumeuse (v.8), éclatera, orage (v.11), fondre, neige,
torrents (v.12) ».
La personnification : « Et ces flots se rompront à la rive écumeuse » (v.8).
La métaphore : « Ou d'une ou d'autre part éclatera l'orage » (v.11).
La gradation ascendante dans la destruction, combinée au parallélisme, et au rythme
binaire, promesse de tragique : « J'ai vu fondre la neige, et ses torrents tarir » (v.12).
Allitérations en [l], et en [s] qui rendent le flux et le reflux : « L’huile de ce Tableau
ternira ses couleurs (v.7), Et ces flots se rompront à la rive écumeuse (v.8) ».
Le feu, avec :
Son champ lexical : « Soleils, haleront (v.3), flambeau, flamme (v.5), ardeurs (v.6),
clairs, éclairs (v.9) ».
L’allitération en [s] et en [f] qui rendent l’effet sonore de la flamme : « Ce beau
flambeau qui lance une flamme fumeuse (v.5), sur le vert de la cire éteindra ses
ardeurs (v.6) ».
Les personnifications : « Les Soleils hâleront ces journalières fleurs (v.3) / Ce beau
flambeau qui lance une flamme fumeuse (v.5) / Sur le vert de la cire éteindra ses
ardeurs (v.6) / Ces clairs éclairs passer devant mes yeux (v.9) ».
L’air, avec :
Son champ lexical : « Venteuse (v.4), fumeuse (v.5) ».
La métaphore ; « Ampoule venteuse » (v.4).
L’oxymore : « Flamme fumeuse » (v.5).
La terre, avec :
Le champ lexical de la nature : « Fleurs (v.3), lions (v.13) ».
L’hyperbole : « Journalières fleurs » (v.3).
La périphrase : « Lions rugissants » (v.13).
● Elle est présente à travers ses couleurs, la lumière, ce qui est attesté par :
Le champ lexical de la lumière : « Soleils (v.3), flambeau, flamme (v.5), ardeurs (v.6), clairs,
éclairs (v.9) ».
Le polyptote : « Clairs / Eclairs » (v.9).
Les personnifications : « Les Soleils hâleront ces journalières fleurs (v.3) / Ce beau flambeau
qui lance une flamme fumeuse (v.5) / Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs (v.6) / Ces
clairs éclairs passer devant mes yeux (v.9) ».
Le champ lexical des couleurs : « Vert (v.6), couleurs (v.7) ».
═► La vie que décrit le poète est belle, ainsi que l’atteste le champ lexical de la beauté : « Fleurs
(v.3), beau (v.5), couleurs (v.7), clairs (v.9), neige, torrents (v.12) », elle est tumultueuse, ainsi que le
montrent celui du mouvement : « Brave (v.2), hâleront (v.2), lance (v.5), passer (v.9) », et sa mort n’en
que plus sinistre et triste : Registres lyrique et épidictique.

2°- L’omniprésence de la mort.


Si la vie est magnifique, comme nous venons de le montrer, elle est vouée à la mort, et c’est ce que
le poète veut prouver :
● Le champ lexical de la mort : « Mourir (v.1, 14), mort (v.2), crèvera (v.4), éteindra (v.6), ternira
(v.7), rompront (v.8), fondre, tarir (v.12) », qui s’oppose, en une vaste antithèse, à l’isotopie de la vie :
« Vie (v.1), Soleils, fleurs (v.2), flambeau, flamme (v.5), ardeurs (v.6), couleurs (v.7), flots (v.8), éclairs
(v.9), tonnerre (v.10), orage (v.11), neige, torrents (v.12), lions, rugissants (v.13), vivez (v.14) », qui
développe les champs lexicaux de :
De la passion : « Soleils (v.2), flambeau, flamme (v.5), ardeurs (v.6), éclairs (v.9), tonnerre
(v.10), orage (v.11) ».
De la vie : « Vie (v.1), vivez (v.14) ».
De l’orage : « Eclairs (v.9), tonnerre (v.10), orage (v.11) ».
De l’eau : « Orage (v.11), neige, torrents (v.12) ».
● La personnification, renforcée par l’enjambement, et la métaphore : « La vie orgueilleuse (v.1) /
Qui brave de la mort, sentira ses fureurs (v.2) » qui explique que toute vie aboutit à la mort.
● La personnification, qui montre que le soleil, source de vie, peut être porteur de mort : « Les
Soleils hâleront ces journalières fleurs » (v.3), ce qui est exact, car il peut brûler.
● La personnification, combinée à la métaphore : « Et le temps crèvera ceste ampoule venteuse »
(v.4) désigne métaphoriquement la mort, qui a pour but de transformer l’homme, qui n’est qu’une
mécanique mue par de l’air, en néant, en poussière, ce qui est vrai également.
● La lente destruction de toute bougie, représentée par les personnifications : « Ce beau flambeau
qui lance une flamme fumeuse (v.5) / Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs (v.6) » : Elle éteint la
lumière, donc la passion, l’amour, la vie.
● Les peintures des tableaux, qui avec le temps s’estompent, ce qui est souligné par la
personnification : « L'huile de ce Tableau ternira ses couleurs » (v.7) : Elle est maîtresse de l’art,
lequel est symbolisé par la personnification de la peinture, grâce à la majuscule de « Tableau » (v.7),
qui n’a aucune chance de perdurer face à elle, elle efface donc toute trace humaine : Plus aucun
espoir d’immortalité pour l’Homme.
● La vague ne fait que mourir, dès qu’elle arrive sur n’importe quelle plage, ce qui est attesté par la
métaphore : « Et ces flots se rompront à la rive écumeuse » (v.8).
● Le rôle des assonances et des allitérations :
L’assonance en [i] qui exprime le cri d’agonie : « Mais si faut-il mourir » (v.1, 14).
L’assonance en [an] : « Et le temps crèvera ceste ampoule venteuse » (v.4).
L’allitération en [t] qui martèle la destruction : « Et le temps crèvera ceste ampoule
venteuse » (v.4).
L’allitération en [r] qui rappelle l’agonie d’une chandelle qui s’éteint : « Sur le vert de la cire
éteindra ses ardeurs (v.6) / Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux (v.10) / Ou d’une
ou d’autre part éclatera l’orage (v.11) ».
● Le rôle des rimes qui expliquent qu’elle est là où l’ont ne l’attend pas :
La rime embrassée, féminine et suffisante : « Orgueilleuse (v.1) / Venteuse (v.4) », n’est
pas sans rappeler les paroles de l’Ecclésiaste : « Vanitas vanitaum et omnia vanitas », à
savoir, « Vanité des vanités, tout est vanité », ce qui signifie que le propre de l’Homme est
d’être vain, de n’avoir en lui rien de profond, d’autant plus que toute forme de vie est
balayée par la mort.
La rime embrassée, masculine et suffisante : « Fureurs (v.2 → A noter qu’il s’agit d’une
force aveugle, qui représente la Fatalité, et accentue le registre tragique.) / Fleurs (v.3) »
souligne bien que ces dernières, symbole de jeunesse, de beauté sont condamnés à
mourir.
La rime embrassée, féminine et riche : « Fumeuse (v.5) / Ecumeuse (v.8) », combinée à la
rime masculine et suffisante : « Ardeurs (v.6) / Couleurs (v.7) », renforce bien l’idée que tout
périt en ce bas monde, et accentue la peur du lecteur.
La rime croisée, féminine, riche : « Orage (v.11) / Rage (v.13) » accentue énormément
l’intensité de sa destruction.
La rime croisée masculine et riche : « Tarir (v.12) / Mourir (v.14) », renforce, elle aussi,
implicitement l’évocation d’un paysage de désolation.
═► La mort détruit donc tout, la vie, laquelle est perpétuellement en mouvement, ce qui est un thème
propre au Baroque, et qui est symbolisée par la personnification, grâce à la majuscule : « Soleils »
(v.3), l’art, par le même procédé : « Tableau » (v.7), et ce, sous l’œil de Dieu, comme l’atteste la
personnification : « Cieux » (v.10), d’un Dieu en colère, ce qui est symbolisé par le champ lexical de
l’orage : « Eclairs (v.9), tonnerre, gronde (v.10), éclatera, orage (v.11), par les personnifications : « J'ai
vu ces clairs éclairs passer devant mes yeux (v.9) / Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux
(v.10) », et par l’hyperbole : « Ou d'une ou d'autre part éclatera l'orage » (v.10).
═► Registres tragiques, pathétiques et didactique.

CONCLUSION.
Dans ce poème, Jean de Sponde donne donc bien une leçon à l’homme, il lui prouve que la vie est
magnifique, riche, mouvementée, mais aussi instable, et qu’il faut donc en profiter, en pensant qu’il ne
faut pas non plus mécontenter Dieu. Il rend ainsi compte de la condition de l’Homme, et de sa volonté
de vivre qui ressemble à un éternel défi.
Ce poème n’est pas sans évoquer un célèbre texte de Montaigne, dans les Essais : « Que
philosopher c’est apprendre à mourir ».
Document complémentaire.
« Que philosopher, c’est apprendre à mourir »

Cicéron dit que philosopher n'est autre chose que de se


préparer à la mort. C'est qu'en effet, l'étude et la contemplation
retirent en quelque sorte notre âme en dehors de nous, et
l'occupent la part de notre corps, ce qui constitue une sorte d'apprentissage
de la mort et offre une certaine ressemblance avec
elle. C'est aussi que toute la sagesse et le raisonnement du monde
se concentrent en ce point : nous apprendre à ne pas craindre de
mourir.

Qu'il est sot de nous tourmenter à propos du moment où


nous serons dispensés de tout tourment ! C'est par notre naissance
que toutes choses sont nées ; de même la mort fera mourir toutes
choses. Il est donc aussi fou de pleurer parce que nous ne vivrons
pas dans cent ans que de pleurer parce que nous ne vivions pas
il y a cent ans. La mort est l'origine d'une autre vie. Il nous en
coûta d'entrer en celle-ci et nous en avons pleuré. Car nous avons
dû dépouiller notre ancien voile en y entrant.

Lla nature d'ailleurs nous y contraint : « Sortez, dit-elle, Le discours


de ce monde, comme vous y êtes entrés. Le passage qui fut le vôtre de "Nature"
de la mort à la vie, sans souffrance et sans frayeur, refaites-le de
la vie à la mort. Votre mort est l'un des éléments de l'édifice de
l'univers, c'est un élément de la vie du monde.

« Les mortels qui se sont transmis entre eux la vie,


Sont pareils aux coureurs se passant un flambeau »..
Lucrèce.

Chapitre 19, Livre I, Les Essais, Michel-Eyquem de Montaigne.

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