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L'interprétation Des Contrats en Droit Québécois.
L'interprétation Des Contrats en Droit Québécois.
Le droit des contrats – Gérard Cornu l'a très bien dit – est fait d'un
corps de règles, d'un corps de jurisprudence et d'un corps de doctrine 1. Les
règles sont celles du Code civil du Québec ; la jurisprudence est celle des
décisions de justice ; la doctrine est celle des auteurs qui ont étudié la
question. En matière d'interprétation, toutefois, il semble que le Code civil
ne donne au juge que des conseils. De même, la doctrine peut avoir inspiré
bien des décisions et, à l'avenir, en inspirer encore bien d'autres, mais c'est
tout. Elle n'a évidemment pas force obligatoire. Il reste la jurisprudence.
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G. CORNU, Droit civil, introduction : les personnes, les biens, 9e éd., Paris,
Montchrestien, 1999, pp. 16, 107, 167, 174.
1
C’est la source principale. Elle illustre concrètement la façon dont les
tribunaux peuvent envisager et résoudre un problème d'interprétation.
Cela dit, il semble que les tribunaux mettent en pratique une méthode
nouvelle d’interprétation. Cette méthode participe elle-même de la
philosophie nouvelle qui régit maintenant le droit des contrats.
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tribunaux y voient aussi « une convergence d'intérêts communs et
équilibrés ». Le point de vue s'est déplacé.
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toujours un contrat comme le moyen d'atteindre un but. Or, dans les
vicissitudes du commerce juridique, nul n'a pour objectif de donner plus
qu'il ne reçoit. C'est la raison pour laquelle un contrat déséquilibré apparaît
comme affecté d'un vice intrinsèque. Il appelle le redressement.
Le contrat n’est donc plus la seule affaire des parties ; de chose privée,
il est à certains égards devenu chose sociale. La jurisprudence est de plus en
plus abondante où le tribunal se réfère toujours à la volonté des parties, bien
sûr, mais aussi à des considérations de bonne foi et d’équité. L’interprétation
enregistre ainsi un recul des intérêts individuels au profit des valeurs
sociales.
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Cette approche, qu’on a appelée l’approche spirituelle du contrat, est
bien sûr une affaire de logique : le tribunal constate les faits de l’espèce,
énonce la règle de droit qui s’y applique, et de cela il tire sa décision. Il
procède par syllogisme, et la logique constitue l’armature de son
raisonnement.
C’est aussi une affaire de droit. On sait que, par leur contrat, les
parties se sont donné une loi particulière. Cette loi les régit, naturellement,
mais, en règle générale et réserve faite de l’ordre public, le tribunal lui doit
de même obéissance. C’est en effet en regard de la loi des parties qu’il doit
arbitrer leur différend. Et cette loi ne réside pas dans ce qu’en dit le tribunal.
Elle préexiste au contraire à sa décision et doit en constituer le fondement, la
ratio decidendi.
C’est encore une affaire de bonne foi. La bonne foi est devenue le
principe directeur de toute interprétation. Elle a transformé la conception
classique du contrat. On y voyait un compromis ponctuel entre des intérêts
opposés ; on y voit maintenant aussi « une convergence d’intérêts communs
et équilibrés ». D’où, par exemple, le devoir positif de collaboration que la
jurisprudence a découvert aux parties dans la réalisation des objectifs
qu’elles se sont fixés.
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La méthode textuelle pose que le texte se suffit à lui-même.
L’interprète peut donc en extraire la substance par exégèse grammaticale et
d’après le sens objectif des mots. Mais il ne saurait lui faire dire autre chose
que ce qu’il dit.
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À certains égards, l’interprétation des contrats reste ce qu’elle a
toujours été : un discours d’exactitude présenté avec méthode, où le tribunal
applique aux parties la loi qu’elles se sont donnée. De plus en plus,
cependant, ce discours prend appui sur des considérations morales de bonne
foi et d’équité pour consacrer, au-delà de la lettre du contrat, une solution
qui soit d’abord juste et utile. Le fait est clair : l’interprétation des contrats
s’inspire maintenant d’une nouvelle philosophie qui, par-delà la Révolution
française, renoue avec la tradition des moralistes inaugurée dans l’Antiquité
par Cicéron, et perpétuée par les glossateurs et les canonistes au Moyen Âge.
Cette philosophie qu’Emmanuel Gounot a bien caractérisée, pose que le
contrat n’est juridiquement efficace que s’il est juste. Elle s’inspire en cela
du principe commutatif qui veut, pour toute obligation, une contrepartie qui
l’explique et la justifie. Le contrat est en effet une commutatio, et c’est ce
qu’illustrait l’adage des romanistes : Do ut des ; do ut facias ; facio ut des ;
facio ut facias, c’est-à-dire : je donne pour que tu donnes ; je donne pour que
tu fasses ; je fais pour que tu donnes ; je fais pour que tu fasses. Illustration,
donc, du principe de l’équivalence des prestations, qui reflète l’équilibre des
intérêts en présence. Cette nouvelle philosophie fait du tribunal non plus
seulement l’arbitre des volontés privées, mais le délégué de la loi qui, dans
les contrats, fait respecter la justice.