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Frédérique Langue

La fête travestie. Diversions et passions dans le Venezuela


colonial
In: Caravelle, n°73, 1999. La fête en Amérique latine. pp. 95-110.

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Langue Frédérique. La fête travestie. Diversions et passions dans le Venezuela colonial. In: Caravelle, n°73, 1999. La fête en
Amérique latine. pp. 95-110.

doi : 10.3406/carav.1999.2855

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/carav_1147-6753_1999_num_73_1_2855
Resumen
RESUMEN- Convertida en una próspera provincia en los márgenes del imperio de ultramar, la
Venezuela del siglo XVIII es el escenario de un sinfín de afirmaciones y redefiniciones de índole
identitaria. Las élites locales, pero también el mundo de los mestizos, tienden en ocupar el espacio
ceremonial y festivo en rituales de transgresión cuyo simbolismo no se les escapa a sus actores. Más
allá de los ritos de inversión o de evasión a que se presta tradicionalmente la fiesta colonial, este
artículo contempla las consecuencias y los logros de ese universo transaccionai influido por una cultura
de las apariencias sumamente original, siendo su expresión más destacada la llamada aristocracia
mantuana, así nombrada por las mantas que llevaron en su tiempo las nobles criollas.

Abstract
ABSTRACT- Promoted to the rank of a prosperous province in the margins of the Empire, 1 8th Century
Venezuela multiplies the affirmations and redefinitions of identity. The elites, and the «metis» world as
well, tend to invest the ceremonial and festive space through a ritual of transgression whose symbolism
doesn't escape its inspirers. Beyond the rituals of inversion or escape which are traditionally
characteristic of Colonial festivals, this paper looks at what is at stake in this universe of transactions,
which is underlined by a truly original culture of appearances and whose most accomplished expression
remains the aristocracy, also called «mantuana» (after the clothes worn by creóles).

Résumé
RÉSUMÉ- Promu au rang de province prospère des marges de l'empire, le Venezuela du XVIIIe siècle
voit se multiplier les affirmations et redéfinitions de type identitaire. Les élites, mais aussi le monde
métis, tendent à investir l'espace cérémoniel et festif en un rituel de la transgression dont le symbolisme
n'échappe pas à ses inspirateurs. Au-delà des rites d'inversion ou d'évasion auxquels se prête
traditionnellement la fête coloniale, cette contribution examine les enjeux de cet univers de transactions
marqué par une culture des apparences particulièrement originale et dont l'expression la plus accomplie
demeure l'aristocratie dite mantuana, ainsi nommée en raison des vêtements portés par les nobles
créoles.
C.M.H.LB. Caravelle
n° 73, pp. 95-110, Toulouse, 1999

La fête travestie.

Diversions et passions
dans le Venezuela colonial

PAR

Frédérique LANGUE
CNRS

« ¡O infeliz Provincia de Caracas, pues en ti ha plantado ya el


Demonio Asmodeo la pública deshonestidad, encubierto su honor a
pretexto de esos bailes! ». Que tremblent donc ces paroissiens à l'immod
estieflagrante et ces pécheurs inconscients! Ces foules caraqueñas, toutes
classes sociales confondues, qui se meuvent au rythme de la fête, qu'elle
soit l'un des marqueurs symboliques du calendrier religieux ou une
création profane n'auront fait que peu de cas des diatribes et lettres
pastorales de leur rigoriste évêque Francisco de Ibarra. A preuve le
tremblement de terre de 1812, dont son successeur à la charge épiscopale
— Narciso Coll y Prat — ne manquera pas de souligner les liens de cause à
effet, unissant dans une même condamnation libertinage, dépravation
des mœurs, corridas, théâtre, livres séditieux, franc-maçonnerie et
proclamation de l'Indépendance 1 ! La fête unit dans une même
célébration — religieuse s'entend — un ensemble de fidèles, elle est une
occasion de communion en une croyance universelle, de célébrations tant
religieuses que civiles et politiques.
La diversion y acquiert cependant rang d'évasion et dérange par sa
profanité. Elle est aussi prétexte à transgression, tant du point de vue des
apparences que des relations qui se tissent entre les participants. L'un des

1 La plupart des indications relatives au gouvernement spirituel de Francisco de Ibarra


sont tirées de notre article, accompagné d'une sélection de textes, "De moralista a
arbitrista: Don Francisco de Ibarra, obispo de Venezuela (1798-1806)", Historiografía y
Bibliografia americanistas, suplemento del Anuario de Estudios Americanos, Seville, n°l,
1992, pp. 55-84 ; Narciso Coll y Prat, Memoriales sobre la Independencia de Venezuela,
Caracas, A.N.H., I960, p. 126.
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prédécesseurs d'Ibarra exigera d'ailleurs de ses fidèles qu'ils « fuient »


littéralement les jeux, les danses, les discussions et débats publics, les
banquets, les fêtes, les mascarades et autres spectacles profanes (Diez
Madroñero, 1766). Dans la Caracas de la fin du XVIIIe siècle, le relâch
ementdes mœurs accompagne insensiblement les modifications du tracé
urbain, les recompositions sociales imposées par la croissance démograp
hique,en particulier celle du monde métis. Le pardo, de par ses origines
(ascendants africains, même lointains), porte le stigmate de l'incontrôl
able. Telle est du moins la crainte constante des autorités locales, tant
religieuses que civiles, et à tous les niveaux de leurs hiérarchies respect
ives,devant cette fluidité croissante des relations sociales et des « fron
tières » socio-ethniques, et sur laquelle pastorales, bandos de buen gobierno
- ainsi celui de 1 806 - et règlements de quartier défendus par les fameux
alcaldes de barrio, vecinos honrados et autres capitaines de milices urbaines
(milices blanches ou de morenos) s'efforcent d'exercer quelque contrôle2.
La valeur déictique de la fête n'en est que plus évidente, car constitutive
de ces identités fractales que nous avions évoquées à propos du monde
métis et plus encore de ses représentantes : non que ces identités soient
dépourvues de définitions, elles se prêtent au contraire à des définitions
multiples, variées, plurielles et en tout état de cause non univoques, et
l'examen de la culture matérielle, de la vie quotidienne et des imaginaires
permettent d'appréhender plus aisément les déclinaisons symboliques.

Espaces et rythmes festifs

Ces deux éléments de définition de la fête apparaissent intimement


liés dès l'origine des pratiques coloniales à un calendrier religieux, pour
ne pas dire liturgique. Comme en Europe méditerranéenne, fêtes et
offices religieux s'avèrent indissociables les uns des autres, et le commun
des mortels n'osait guère éluder ce genre d'obligation, partagée de
surcroît par l'ensemble de la société indiana. Seules les cérémonies
publiques étaient l'occasion pour les pouvoirs constitués — civils et
religieux — de rivaliser en ces conflits de préséance qui marqueront

2 Nous renvoyons sur ce dernier point à l'excellente synthèse de Santiago-Gerardo


Suárez, Las milicias. Instituciones militares hispanoamericanas, Caracas, Academia Nacional
de la Historia, 1984, Coll. "Fuentes para la Historia Colonial de Venezuela" n°171 ;
Frédérique Langue, "La pardocratie ou l'itinéraire d'une "classe dangereuse" dans le
Venezuela des XVIIIe et XIXe siècles", Caravelle, n°67, 1997, pp. 57-72. Sur les
vocations de la fête en Amérique espagnole et particulièrement en Nouvelle-Espagne :
Juan Pedro Viqueira, ¿Relajados o reprimidos? Diversiones públicas y vida social en la ciudad
de México durante el Siglo de las Luces, México, FCE, 1987. Un exemple de controle social
au Venezuela et d'interdiction d'une manifestation collective de ce type dans le pueblo de
indios de San Mateo : Frédérique Langue, "Diversiones y devoción popular en Venezuela
colonial. Fiesta en San Mateo (1804)", Tiempo y Espacio (Instituto Pedagógico de
Caracas), n°20, julio-diciembre de 1993, p. 33-42.
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durablement la vie des institutions caraqueñas. Rares étaient à Caracas


même les jours non marqués d'une quelconque célébration : saints,
neuvaines, octaves meublaient les esprits tout en occupant les corps, dans
la mesure où des bals et feux d'artifice — en dépit de l'opposition réitérée
des autorités religieuses — les accompagnaient. Il n'est donc pas faux de
souligner que, par le biais de la Sainte Congrégation des Rites
Ecclésiastiques, l'Eglise s'était approprié très tôt chaque « parcelle
temporelle », transformant l'année « civile » en un dense réseau et en un
cycle de célébrations d'importance variable, et « récupérant », comme de
droit, les célébrations correspondant à l'anniversaire d'un monarque ou à
son accession au trône. Les fidèles étaient parfois tenus de ne se consacrer
qu'aux offices, devant de la sorte renoncer au travail bien que des
exceptions aient été consenties sur ce point (meuniers, curanderos,
lavandières, barbiers) 3.
Entre l'épiphanie et les Cendres, le carnaval constituait l'occasion de
déviances par excellence — avant l'austère recueillement de Carême,
époque de confession et d'abstinence —, bien que les tavernes en tout
genre aient eu une fâcheuse tendance à demeurer ouvertes en dépit de
toutes les prohibitions et quelle que fût la fête concernée (une plus
grande rigueur présidait en principe aux célébrations de Pâques, du
Corpus et de l'Ascension). L'action du rigoriste évêque Diez Madroñero
ne put limiter que très provisoirement l'attrait qu'exerçaient les
réjouissances carnavalesques sur ses ouailles : dès son départ en 1769,
danses - fandangos, contradanzas, et même le menuet - et fêtes reprirent
de plus belle, fréquentés par tous les estamentos, l'aristocratie mantuana
en tête, mais aussi par les métis et les noirs. Quant au très rigide
professeur de morale, proviseur et vicaire général, et commissaire du
Saint-Office à Caracas, Gabriel Lindo, incitant les prêtres à « apartar el
pueblo de las máscaras y desórdenes del carnaval » il dut s'incliner devant
l'indulgence manifestée de toute évidence par les prélats, désireux de
réunir les croyants le dimanche lors d'un « concert de musique ». Les
autorités civiles et la corporation municipale, bien que directement
impliquées dans ces célébrations et parties prenantes lors des réjouissan
ces et agapes, n'étaient pas en reste. En 1789, le cabildo caraqueño se
préoccupe du Bando de Buen Gobierno, s'inquiète de la participation
notoire des femmes et des mendiants, de la fréquentation assidue des
débits de boisson en tout genre, et manifeste son intention d'y inclure les
considérations suivantes :
Que con los días de fiesta durante los divinos oficios de la Santa Iglesia
Catedral, estén cerradas las bodegas, guaraperías y demás casas en que se

3 Katty Solórzano, Se hizo seña. Medición y percepción del tiempo en el siglo XVIII
caraqueño, Caracas, Editorial Planeta, 1998, pp. 166-192, a notamment reconstitué un
fort utile calendrier des fêtes urabines à partir des Constituciones sinodales de l'évêque
Baños y Sotomayor (1687) et des Fiestas de tabla de Oviedo y Baños (1710).
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venden licores, o no se permita dentro de ellas gente de asiento desde el


amanecer hasta que se concluya la misa mayor en cuyo intermedio
podrán vender por reja para las urgencias del público a efecto de procurar
por este medio algún acatamiento a Nuestro Santísimo Sacramento. Que
ninguna mujer entre en bodegones, figones o casas en que se hace y
vende comidas, para evitar los daños que se siguen de su mezcla con los
hombres en tales lugares; y que para ellas se asigne casa adonde puedan
concurrir ellas, o de contrario se les venda, o despache en las otras a la
puerta de la calle para que lleven a sus habitaciones y a otras partes. Que
ningún bodeguero, pulpero ni otras gentes que vende licores dé a
mendigo alguno de beber a título de caridad, ni otro motivo, pues
habiendo varios individuos de ambos sexos entre los de esta clase,
inclinados a beber con exceso y fáciles a perder su conducta, se originan
de esta abominable costumbre las consecuencias más perniciosas 4.
Dans le registre profane mais suivant fréquemment l'une de ces célé
brations, et particulièrement prisées du public, les corridas font même
l'objet d'une réclamation des « députés de la Casa de Misericordia » de
Caracas, établissement charitable et de contrôle social, les représentants
de l'établissement sollicitant des entrées à un tarif modéré 5. La fête colo
niale, qu'elle soit religieuse, civile, ou se situe dans un registre authen-
tiquement profane de diversions en tout genre, s'avère, de fait, difficil
ement dissociable d'un ensemble de festivités ou de réjouissances : corridas
(dans les villes d'importance, c'est-à-dire ciudades ou villas), mais aussi
théâtre (quand existe un lieu de représentation), comédies des plus va
riées, spectacles de marionnettes, saltimbanques et autres cracheurs de feu
accompagnent ou plutôt précèdent ces danses si reprehensibles aux yeux
des gardiens de l'ordre moral et social. Leur multiplication à la fin du
XVIII e siècle explique que diverses tentatives soient faites afin d'en limi
terles effets. A Guanare, centre urbain de moyenne importance, situé à la
limite du monde des llanos, le curé Benito Cebrián, commissaire du
Saint-Office, vicaire et juge ecclésiastique du lieu, en précise les modalités
en des termes hautement représentatifs des réactions émanant des
autorités morales, y compris lors de manifestations de ferveur collective
spontanées. Le prêtre s'appuie notamment sur ce texte fondateur de

4 Francisco Depons, Viaje a la parte oriental de Tierra firme en la América Meridional,


Caracas, Banco Central de Venezuela, I960, tome 2, p. 148 ; ANH, Collection L.
Villanueva, II parte, doc. 42 : documents relatifs à "la orden del Pbro. Gabriel Lindo a
los sacerdotes para apartar al pueblo de los desórdenes del carnaval", Caracas, 14/2/1788.
Archivo del Consejo Municipal de Caracas (ACM), Libros de cabildo : junta ordinaria
del 19/1/1789, P12 ; sur la diffusion des boissons alcoolisées et les rituels de
consommation : Frédérique LANGUE, "Libations et repentirs. Du bon usage des
boissons alcoolisées dans le Venezuela colonial", Espaces Caraïbes, Université des Antilles-
Guyane, Pointe-à-Pitre, n°2, 1994, p. 199-214.
5 ACM, 1790, libros de cabildo : 11/1/90, P42 v°. Nous avons étudié le rôle de cette
institution, ses implications en terme d'assistance mais aussi de contrôle social dans :
"Desterrar el vicio y serenar las conciencias. Mendicidad y pobreza en la Caracas del siglo
XVIII", Revista de Indias, vol. LIV, núm. 201, 1994, p. 355-381.
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l'ordre moral et des normes sociales que sont pour la Capitanía General
les Constituciones sinodales pour stigmatiser ce type de fête, et plus encore
lorsque le lieu en est quelque pueblo de indios ou arrabal de mauvaise
fréquentation, et que l'obscurité en accompagne les débordements et
autres actos pecaminosos que pourrait commettre la « multitud pro-
miscual » des esclaves et métis, pourtant soumise à la surveillance — et à
l'exemple — des « padres de familia » que sont censés être les blancs
créoles et plus particulièrement l'aristocratie créole des mantuanos :
Por cuanto incumbe a la juridicción eclesiástica quitar todo motivo y
ocasión y ofensas a Dios Nuestro Señor Jesucrito y daños espirituales de
la República, que por experiencia lo son comedias, entremeses, coloquios
y pandorgas, bailes, fandangos y danzas de la calidad que fueren, rosarios
públicos de un sitio a otro en los campos y despoblados arrabales, y
romerías en las casas particulares y algunas de las imágenes de santos que
las suelen adornar, juegos de títeres y pruebas con pretexto de destreza,
altares por temporadas del año en casas particulares con título de devo
ción a algún santo que se celebra en la iglesia, y velorios de párvulos
difuntos; en todo lo cual hay frecuentemente concurso de mujeres y
hombres de todas familias que proceden, y a cada paso se experimentan
los inconvenientes de solicitaciones deshonestas, celos impuros, raptos de
mujeres, adulterios, incestos, fornicaciones, desafíos, quimeras y otras
consecuencias perniciosas de que ha habido y hay repetidas quejas y
denuncias en este juzgado, que pide el más pronto y eficaz remedio y
reforma. 6

Les cérémonies publiques : apparences, préséances et passions

De la fête, les cérémonies publiques caraqueñas, qu'elles soient civiles


ou religieuses, n'auront souvent que l'apparence. Les cérémonies
publiques sont en effet le lieu privilégié des affrontements de nature
politique depuis le XVIIe siècle : en première instance d'institutions, de
pouvoirs constitués en médiation institutionnelle, voire des affront
ementspolitiques et catégoriels. L'ordonnancement des cérémonies
publiques — civiles ou religieuses — ne laisse donc aucune place au hasard.
Toute variation par rapport à l'ordre établi - disposition des participants,

6 Leonardo Azparren Giménez, Documentos para la historia del teatro en Venezuela. Siglos
XVI, XVII y XVIII, Caracas, Monte Avila Editores, 1996, p. 165-168. Les constitutions
synodales, dont l'importance a bien été soulignée par Elias Pino Iturrita (Contra lujuria,
castidad, Caracas, Alfaldil Ediciones, 1992, cap. I ; se reporter pour des études de cas à
l'ouvrage coordonné par le même auteur : Quimeras de amor, honor y pecado en el siglo
XVIII venezolano, Caracas, Planeta, 1994) ; sur le rôle exemplaire dévolu aux "padres de
familia", voir l'art. 343, vol. II, p. 144, des Constituciones Sinodales, reproduit dans
Manuel Gutiérrez de Arce, El Sínodo diocesano de Santiago de León de Caracas de 1687.
Valoración canócia del regio placet a las constituciones sinodales indianas, Caracas, Academia
Nacional de la Historia, 1975, coll. "Fuentes para la Historia colonial de Venezuela" 124-
125.
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vêtements portés, participation de non-membres des corporations


concernées — est perçue comme une atteinte aux privilèges de tel groupe
dominant et par conséquent comme la transgression volontaire d'un
ordre divin par nature.
En 1789, un incident témoigne de la persistance de l'investissement
symbolique de l'espace public et des conflits que génère son occupation.
Parvenue jusqu'au Conseil des Indes, l'altercation oppose les dignitaires
ecclésiastiques aux juges de l'Audience. Le fait n'est en soi que peu
significatif, tant sont fréquentes, dans l'histoire du Venezuela colonial,
ces rivalités de type institutionnel 7. Le degré d'irrévérence et de passion
atteint confirme en revanche les remises en cause amorcées depuis le
XVIIe siècle et l'affirmation de l'un des vecteurs de cette appropriation de
l'espace public, à savoir les femmes. C'est en vertu d'une cédule royale,
celle du 1er juillet 1790, qu'il est accordé à l'évêque la faculté de choisir,
sur la place publique (Plaza mayor), et après que le cabildo ait fait son
propre choix, la place (balcon ou estrade) d'où il allait suivre, accom
pagné des membres du séminaire, les cérémonies d'usage en l'honneur du
nouveau monarque, Charles IV. Troisième intervenant dans ce scénario
surprise : l'Audience, qui contribue de toute évidence à casser le modèle
juridiquement établi, puisqu'ayant choisi de destiner le premier balcon
aux autorités municipales et d'occuper le second (épouses des ministres et
du président de l'Audience comprises, sans compter la présence de
domestiques de couleur), laissant aux dignitaires de l'Eglise le troisième
rang
. . . poniendo al obispo en el estrecho de que omitiese su concurrencia, o
se viese precedido no sólo de la ciudad con su gobierno como es ordinario
y conforme a la RC, sino también de los oidores que asistieron vestidos con
indiferencia, y lo que era más de las mujeres de éstos que fueron acompañadas
de otras, y de sus criadas indias y mulatas^.
Afin d'éviter l'affront et l'ignominie — publique — qui en résulte,
l'évêque s'abstint de choisir un siège, le faisant toutefois pour ses pairs du
collège-séminaire et en réaffirmant son droit de choisir un emplacement
immédiatement après le cabildo. Telle fut la teneur de la demande
déposée par Mariano Martí auprès de Antonio Ventura de Taranco,
secrétaire en titre du Conseil des Indes (30 décembre 1789). L'ecclésias
tique insiste sur le fait qu'il a été dépossédé de sa faculté d'intervenir
après les autorités municipales, et que lui conférait la RC de 1763.

7 Nous avons eu l'occasion de les évoquer dans certains de nos travaux : "Antagonismos y
solidaridades en un cabildo colonial: Caracas 1750-1810", Anuario de Estudios
Americanos., Seville, vol. XLIX, 1992, pp. 371-393 ; et "Del "cabildo de ranchería" al
escenario político. Algunas reflexiones acerca de las formas de representación política en
Venezuela colonial", Libro de amigos. Homenaje a Guillermo Morón, Caracas, Academia
Nacional de la Historia, 1996, p. 203-216.
8 AGI, Caracas, 307 : informe del fiscal, Madrid, Consejo, 1/7/1790.
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Illégitimité de la démarche des oidores certes, irrévérence tout aussi


bien, comme en témoignent les vêtements choisis avec « indifférence »
par les juges et leurs épouses lors de cette cérémonie, plus précisément en
cette après-midi du 17. Vêtements de pourpre, port de l'épée, domest
iques de couleur, préséance des femmes des auditeurs et de leurs
domestiques de couleur, tels furent les ingrédients de cette représentation
publique censée allier réjouissances et célébration politique.
... y principalmente por manifestar al pueblo el deseo que tenía de
presenciarlas, concurrió el obispo a los balcones de la Audiencia, donde
inmediato al palio en que estaban expuestos los Rs Retratos de Vuestra
Magestad, y de Vuestra Augusta Esposa la Reina Nuestra Sra, se hallaban
los individuos de esta Audiencia vestidos de casaca y espada, y aun alguno de
ellos de capa encarnada, con cuya indiferencia y trajes han proseguido. Y lo
que es más notable, e indecoroso a la dignidad episcopal, precisaron al
obispo a que, si quisiese sitio propio, lo tuviese inferior al de las mujeres
del Presidente e oidores, que se verificó fueron acompañadas de estas
mujeres y de sus criadas indias y mulatas.
Fête politique, fête religieuse, fête profane aussi : les minutes du
cabildo retracent les différentes étapes de la proclamation et fournissent
une liste exhaustive des festivités prévues, depuis la cérémonie à la
cathédrale en présence des dignitaires ecclésiastiques et des « titres de
Castille » (les aristocrates portant le titre de comte ou marquis), les défilés
de cavalerie des milices, les pièces de théâtre, à proximité de la résidence
du marquis de Mijares, sur le territoire de la paroisse d'Altagracia. De la
municipalité {Ayuntamiento) dépendait en effet l'administration et le
financement de ce théâtre fréquenté par la haute société caraqueña^.

Sensibilités : des marges à la place ou la transgression comme


mécanisme identitaire

Plus que les frictions d'ordre éminemment politique impliquant en


définitive les élites locales, qu'elles soient sociales ou institutionnelles, ce
sont en fait les comportements de « ceux d'en bas » qui posent problème
aux intervenants sur la scène juridique et morale, et sont assimilés de ce
fait à une transgression de l'ordre établi, même si certains éléments de
l'aristocratie mantuana (les femmes en particulier) jouent également le
rôle de vecteur de ces attitudes allant à l'encontre des bonnes mœurs. La
multiplication des conflits et dénonciations au fur et à mesure que nous
avançons dans le XVIII e siècle est due de toute évidence à une donnée
clef : la croissance démographique de ce groupe de déviants en puissance
que constitue au premier chef la population noire, esclaves en tête, mais
aussi cette foule des métis ou pardos qui acquiert à la fin du siècle un

9 ACM, 1790, libros de cabildo : 4/5/90 P89 ss.; 12/12/90, P80 ss.
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poids numérique décisif mais également une respectabilité, un pouvoir


économique, social voire intellectuel que les élites locales ne peuvent plus
ignorer. Nous avons eu l'occasion d'aborder la question de cette quête et
de cette recherche identitaire du monde métis, de sa reproduction
paradoxale du modèle aristocratique et pas seulement dans l'ordre du
discours (voir la fameuse guerre des tapis et coussins dans les églises de
Coro à la fin du siècle, dont les protagonistes sont des pardos et mulâtres,
des femmes pour l'essentiel), et par conséquent l'extrême fluidité des
frontières du social dans le contexte colonial de cette fin de siècle. En
tant qu'espace ouvert et mobile, la fête se prête plus que toute autre
manifestation de sociabilité de ce monde d'Ancien Régime peut-être, à
ces transgressions, voire à ces inversions plus ou moins ritualisées et
répétitives qui provoquent l'inquiétude des élites locales 10.
L'évêque Mariano Martí ne manqua pas, dans sa visite pastorale, de
relier transgressions diverses et caractère populaire des fêtes, voire les
origines « identitaires » et même - à l'occasion - les glissements idolâ-
triques de celles-ci. En juin 1781, soucieux de la « santé spirituelle et
temporelle » de ses ouailles, en particulier des Indiens prompts aux
borracheras, il souligne, lors de son passage dans les vallées d'Aragua et
plus particulièrement au pueblo de San Mateo,
el ningún celo y cuidado de algunos padres de familia en contener a los
hijos, hijas y domésticos permitiéndoles antes bien disimulándoles su
concurrencia a cierta danza que llaman Gaita, en que formando una
rueda va indistintamente asidas de las manos personas de ambos sexos, a
que da mayor ocasión ejecutarse dicha danza más comúnmente de noche,
cediendo todo en grave deservicio y ofensa de Dios nuestro Señor.
Quelques années auparavant (1772), toujours dans le cadre de sa
visite pastorale, et soucieux de faire respecter ce texte fondateur de la
morale criolla que sont les Constituciones sinodales, il s'était longuement
penché sur le cas des danses, bailes, saraos, diables dansants, autres danses
tout aussi suggestives comme les bailes de tambor, danzas de monos, ou
fandangos appréciés des deux sexes, en un mot, l'« abus pernicieux de ces
danses » et les « abominables pratiques » et la promiscuité qui en
résultaient (« enlaces de los brazos o manos de los hombres con las
mujeres »), et le rôle en principe dévolu aux padres de familia dans
l'observance de la morale chrétienne, bien que les « personnes de dis
tinction », à Caracas, Puerto Cabello, ou Maracaibo pour ne citer que ces
trois villes, se soient tout autant prêtées aux jeux de la séduction — pu
blique et par conséquent hautement condamnable — des contredanses et
autres seguidillas. A la fin du XVIIIe siècle, ce type de transgression

1" "El honor es una pasión honrosa. Vivencias femeninas e imaginario criollo en
Venezuela colonial", in Anuario de Estudios Bolivarianos, Caracas, Universidad Simón
Bolívar, Año VII, n)s 7-8, 1998-1999, p. 151-168.
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s'affiche désormais sans réticence aucune, et nul d'y trouve à redire, si ce


n'est les gardiens d'une foi idéalisée dans sa forme et dans son contenu H.
Comme l'indiquera Ibarra quelques années plus tard, c'est en fait le
mélange des genres et des couleurs (« la mezcla de clases ») qui fait peur,
cette rupture des frontières relationnelles qui affaiblit durablement les
hiérarchies sociales coloniales. Dans cet univers aux contours désormais
fluctuants, les femmes - de l'esclave à l'aristocrate - occupent une place
de choix en tant que stratèges d'une transgression à la fois vestimentaire
et morale, et ... figures sataniques par excellence. La mentalité « obsi-
dionale » évoquée par Jean Delumeau participe de cette tradition
chrétienne hautement défavorable à la gent féminine. Incarnations du
péché, car imparfaites par nature, les femmes provoquent et trompent
recourant pour ce faire au vêtement et autres « parures lascives ». La
condamnation d'Ibarra va bien au-delà de la dénonciation de la
corruption des moeurs et s'inscrit à cet égard dans une tradition judéo-
chrétienne déterministe qui fait de la femme un agent de la volonté
satanique, en une confusion exemplaire entre vie laïque, sexualité et
péché. Eve et Satan se rejoignent de ce fait et tout particulièrement dans
la fête, tout à la fois lieu, espace et moment de licence, et expression
achevée de la décadence et des dangers - intérieurs et extérieurs,
imaginaires ou réels — que connaîtrait alors la province de Caracas . . .
... a la verdad no podemos disimularlo y a pesar de la vergüenza y las
lágrimas que nos cuesta referirlo, la inmodestia de muchos de vosotros
ofende nuestros ojos, y escandaliza bastante a los piadosos, a los
inocentes, y a los penitentes, dejando otras abominaciones pésimas a que
ha conducido a muchos la corrupción de costumbres, de que no se ve
libre ni la doncella más recatada, ni tal vez la casada o viuda mas honesta,
dejando que en este mismo sexo en quien la naturaleza destiló el pudor ya
se advierte la libertad y la incitación de ella misma a la impureza. El
público se lastima y ve con vergüenza un aire inhonesto y provocativo en
los trajes, en el decoro, estos públicos enlaces de brazos de ambos sexos,
en las concurrencias de las comedias, en las expresiones cariñosas, en las
ideas y sentimientos puramente mundanos y deliciosos de que están
poseídos, viendo lo menos con indiferencia las cosas santas o haciéndolas
por ceremonia y con más escándalo por su inmodestia en las Iglesias, o
tan presto en el Templo como en la comedia, en el Altar que en el baile, y
en la misma profanidad y trato licencioso. Tenemos justísimamente hijos
muy amados qué nos hace temblar y debéis vosotros temerlo mucho más
que la guerra intimada por la Nación Inglesa, no sea ya una amenaza y
amago de la ira de Dios, no lo han sido la peste y la hambre, sino que a
proporción de nuestra resistencia, de nuestro olvido de Dios y de nuestro

H Documentos relativos a su visita pastoral de la Diócesis de Caracas (1-771-1784), Caracas,


Academia Nacional de la Historia, 1989, tomo V, Providencias, p. 363-367. Des
exemples de ces fêtes mentionnées par Mariano Martí et désormais bien connues des
spécialistes, du moins pour cette période de visite du diocèse, dans : José Angel
Rodríguez, Babilonia de pecados, Caracas, Alfadil Ediones/FHE-UCV, 1998, p. 143-160.
104 C.M.H.LB. Caravelle

atrevimiento en continuar con más ardor y mas gala nuestros delitos, sea
también el golpe que descargue el brazo poderoso del Altísimo, y que
para refrenarnos ya que no ha sido bastante su bondad tome su causa la
Divina Justicia^.
Dans une autre admonestation à ses paroissiens et aux nombreuses
brebis égarées de la capitale (octobre 1803), l'évêque Ibarra réitère ses
avertissements et condamnations, s'attachant plus particulièrement aux
apparences que revêt l'intervention des forces du mal en ces lieux de
diversion quand ce n'est pas dans les lieux de prières eux-mêmes. Le
paraître et ses corollaires, le goût du luxe et l'oubli de la modestie
chrétienne, se transforment en un véritable langage de la perversion dont
les femmes sont, là encore, les principaux interprètes :
Notábamos que esta pompa se presentaba hasta en las gentes de inferior
clase, en sayas de seda con flecos costosos, paños bordados, cintas, y ador
nos para ella muy sobresalientes. Al mismo tiempo observábamos que
acompañaba a la vanidad la inmodestia, y que las galas se disponían de
suerte que descubriesen el cuerpo de las mujeres. Los velillos los más
transparentes, las mantas que más se traslucieran, y que no cubriesen la
cabeza, ni la espalda, las mangas cortadas que defundasen los brazos, las
camisas descotadas, o ceñidas de suerte que presentasen con mucha
distinción los pechos, y sobretodo cierto decoro, libertad, poco pudor y
franqueza que se manifestaba en el paso, en la risa, en la llaneza, en los
enlaces de brazos de hombres y mujeres públicamente por las calles, valses
inhonestos, poco recato, palabras o desenvueltas o sospechosas, modos
provocativos, y en fin cuanto podía ofender la modestia cristiana, y
cuanto podía fomentar la disolución en una vida mundana de vanidad,
paseos, juntas ociosas, convites y diversiones. Reparábamos con mucho
dolor en triste estado de nuestras ovejas y los gravísimos empeños de
nuestros deberes. Nos afligíamos cuanto no podemos explicaros; pero por
entonces nos alentó y consoló la docilidad que conocíamos bien de nues
trorebaño, y los medios que nos propusimos de exhortaciones por los
pulpitos, zelo por los confesionarios, misiones, ejemplo de otras personas
edificantes, y sobre todo una apertura de ejercicios de San Ignacio
mensualmente con que nos prometimos, que poco a poco se iría
reformando el desorden, convirtiéndose a una vida cristiana, y unos
mañana otros. Se han continuado nuestros remedios y hemos visto
frustradas nuestras esperanzas sirviéndonos los mismos ejercicios de más
penetrante dolor, porque frecuentándolos por nuestra persona hemos
visto que no hay en ellos más que un cortísimo número de mujeres de las
devotas y muy tal cual de los hombres. Ha llegado por último el caso de
ejecutar lo que prescribe el Profeta Isaías. «Grita, clama sin cesar con una
voz fuerte como de una trompeta y anuncia al Pueblo sus delitos. Si
nuestros clamores con los mayores esfuerzos fueren despreciados
habremos satisfecho nuestra conciencia y nos contentaremos con

12 Les références et textes de Francisco de Ibarra sont tirées de notre article "De moralista
a arbitrista ...", op. cit.
FÊTE TRAVESTIE 105

derramar abundantemente lágrimas por un Pueblo que con razón


debemos temer comprehendido en la horrible sentencia de Dios nuestro
Señor por el mismo Profeta. Ciega mucho, le dice el corazón de este
Pueblo, cierra sus oídos, no sea que oigan y entiendan se conviertan y me
vea en la necesidad de sanarlos». No permita el Cielo que caiga sobre
vosotros sentencia tan funesta y terrible. Oid la voz de vuestro Pastor.
Una corrupción grande de liviandad que despide muy mal olor se siente
en la Ciudad, pero cierto aire de libertad, y de ostentación de la impureza
en el traje, en el modo, y en las acciones públicas, en las concurrencias, y
conversaciones apestan ya y contagian a los más sanos devotos. El vestiros
con tanta delicadeza vuestras plumas, recortes, guarniciones, gazas, olores
y demás por sí solos, mueven más bien a risa y compasión de vuestra
demencia, viendo que hacéis gala de las vendas con que cubrís las llagas
de la culpa, cuando os habían de servir de confusión como el San Benito
para demostrar a los hijos del pecado; pero pasar con vuestra inmodestia a
hacerlas servir de red por vuestro escándalo, presentándoos al público con
desnudeces, libertad y ningún pudor, esto es lo que apura las lágrimas de
los piadosos, y lo que obliga a gritar a vuestro Prelado. No me censuréis
de rígido. No pretendo quitar todo adorno principalmente en las
mujeres. (...) ¡Santo Dios! ¡Qué delito! ¡Y a qué grado no ha llegado! No
es ya la asistencia a las fiestas y procesiones para adorar el Señor y venerar
a sus Santos, es para ir al concurso, para prenderse con más gusto y
artificio, y ser vistas de una multitud más numerosa. Se ha acabado la
devoción. No se ven en los Rosarios y procesiones acompañando las
Imágenes, ni en los ejercicios de San Ignacio que se dan en todas las
Iglesias, aquellas gentes del primer orden. Ellas sólo se encuentran a
tropas entre el concurso que se dispersa por el lugar y carrera de las
fiestas; No se observa en las Iglesias el respeto, los ojos bajos, el vestido
humilde y sencillo, los labios sólo abiertos para alabar a Dios. Allí mismo
se ve el traje del teatro, vista libre, bullicio de conversación y sobre todo
la misma indecencia en el vestido con que se pasea por los puestos que se
escogen para la presunción y el atractivo, y traspasando hasta los límites
de aquellas reglas observadas desde el tiempo de los Apóstoles porque las
cabezas no sólo de las personas de más esplendor sino de la de inferior
orden y hasta de las criadas están descubiertas en la Iglesia para que se les
vean las cintas, peines y alfileres, contra un precepto formal de San Pablo,
renovado por el segundo de los Pontífices y guardado por una disciplina
constante de la Iglesia. Por todo hijos míos muy amados vivamos
abatidos inconsolables y sobresaltados de temor, porque semejantes
excesos los castiga Dios con una avenida de males sobre los Pueblos. Oid
los enojos de Dios por el Profeta Ezequiel: «Porque violaste mi templo en
todas tus ofensas y en todas tus abominaciones, yo también haré pedazos
y ni perdonarán mis ojos ni tendré misericordia». Es muy creíble que las
pestes, las calenturas, y enfermedades desconocidas antes en esta Ciudad,
y muertes repentinas que han arrebatado tantas gentes sean un azote
misericordioso del Señor, y quien sabe si reservará uno que nos arruine y
consuma del todo si se continua sin penitencia y sin enmienda.
106 C.M.H.LB. Caravelle

Quelques années plus tard, la croisade spirituelle aux accents


volontiers apocalyptiques de celui qui est alors devenu le premier
archevêque de Caracas, dénonce les nombreux maux - autant d'ordre
moral que politique d'ailleurs — qui affligent la province et s'oppose
toujours à ce jeu des apparences partagé par les différents groupes
sociaux, à la bataille de la vertu et du péché et à son expression majeure,
la diversion sous ses multiples aspects, et à ses interprètes féminins (mars
1806) :
Es el uno de estos males un traje inmodesto, lascivo e incitativo, sin que
se dejan ver en estas calles, y aun en estos templos, gran parte de las
mujeres: sería increíble aun a los turcos, Moros y otras Naciones paganas,
si se les refiriese que en una Ciudad Católica han tomado las mujeres
cristianas el impuro traje de sus públicas rameras. Tales, el con que Nos
llenó de confusión y pudor, las vemos por nuestros propios ojos. Y a la
verdad, qué ojos cristianos pueden ver, sin horrorizarse algunas de las
mujeres que aparecen en los lugares más públicos con ambos brazos
totalmente desnudos, con los pechos levantados y descubiertos, con la
cabeza, espalda, y hombros visibles por una red, y llamando la atención
por varios curiosos relucientes adornos. ¿No es éste a la verdad el traje
concedido por los Gentiles a sus públicas rameras? ¿Y será acaso irregular
el que Nos llamemos a tales mujeres con la voz de San Juan Crisóstomo,
corruptas y deshonestas? ¿Con la de Tertuliano, infelicísimas víctimas de
públicas liviandades? ¿Con la de San Agustín nunciadoras de un corazón
adúltero? ¿Con la de San Jerónimo, casa de todos demonios diformes?
¿Con la de San Bernardo, órganos de Satanás? Mujeres que lleváis tales
trajes, sabed que su inventor es el Demonio: este horrendo enemigo es el
que os alucina para que operando tanto mal, no conozcáis su deformidad.
Os tiene entretenidas, mudando casi cada día traje más impuro en que
caigan muchas Almas; y como infelices Ministras de Satanás, el mismo os
engaña, ocultándoos el depravado fin con que os inspira vuestros lascivos
adornos. Vosotras sois las redes floridas en que hace la pesca de innu
merables Almas. Es la desnudez de vuestras carnes el instrumento de su
furor contra Nuestro Señor Jesu Cristo que desnudo en la Cruz lo venció.
Y vosotras con el libidinoso atractivo de unas partes de vuestro cuerpo
descubiertas y otras adornadas, llamando de unas a otras la incauta
curiosidad, sois con estas iniquidades como dijo un Santo Profeta, la
alegría y el placer del Diablo, acrecentando por vuestro medio su caudal
de condenados y su alimento de ofensas al Señor. Causas por las cuales os
inspira vuestra concurrencia en tal traje a las más sagradas funciones.
De este horrendo mal es necesaria contingencia el otro que tiene más
herido nuestro corazón por las noticias ciertas que a él han entrado por el
oído; ni podemos dejar de llorar amarguísimamente los indecibles
horrorosos pecados que produce un mal que hasta ahora no sabemos se
haya permitido, ni conceptuamos que jamás pudo ejecutarse aún entre
los más bárbaros Gentiles. El palparse, abrazarse, besarse, enlazarse y de
diversos modos unirse, estrecharse y rozarse cuerpo con cuerpo, carne con
carne, vestido con vestido entre hombres y mujeres, mozos y mozas, y
aun ancianos y ancianas a vista, ciencia, y consentimiento de Padres y
FÊTE TRAVESTIE 107

Madres, de Señores y Señoras, o ejecutándolo por sí, o consintiéndolo a


sus hijos e hijas, criados y criadas, ningún racional habrá llegado a
conceptuar que en algún tiempo se permitiese. ¿Y no es esto mismo lo
que se está haciendo y permitiendo en esta Ciudad en estas danzas,
contradanzas y bailecillos que actualmente se practican? ¡O infeliz
Provincia de Caracas, pues en ti ha plantado ya el Demonio Asmodeo la
pública deshonestidad encubierto su honor a pretexto de esos bailes! ¡O
desdichados moradores a quiénes amenaza la ira del Omnipresente con
tanta desvergüenza ofendido! Si solo el baile entre hombres y mujeres, sin
aquellas formidables circunstancias, ha sido declarado peste de las Almas,
destrucción de la probidad y honestidad Rompimiento de la vergüenza.
Pompa de Satanás. Junta llena de gran iniquidad causativa de torpezas.
Maestra de toda maldad Invención del Diablo subrogada en suplemento
de la idolatría. ¿Qué dirían estos Santos si hubiesen imaginado las contra
danzas y bailecillos que de presente aquí se practican? Es el demonio su
inventor, como lo advirtió San Efrem desde el cuarto siglo de la era
cristiana. Este astuto enemigo es el que dispone su son, figura y canto,
mudándola con tanta frecuencia que no hay año en que no salga nuevo
baile, y ¿sabeis cuál es su fin? Es, o infelices hombres y mujeres, para
divertiros los espantos de la muerte, la terribilidad del juicio, y los
horrores del infierno. Es ¡O estupenda ingratitud! para haceros olvidar y
aun despreciar el inestimable beneficio de la Pasión de Jesu Cristo. A esto
conspira tan continua mutación, para que estos desdichados discípulos, y
discípulas del mismo Lucifer, transformados en demonios, estén en
continuo movimiento, siempre aprendiendo nuevo canto, nuevo son y
nuevas figuras. Pero ya ha llegado su introducción a tanta deformidad,
que de presente en esta infeliz Provincia, ha hecho en público
establecimiento de acciones deshonestidades en las contradanzas y bailes
actuales, donde roto el velo de la natural vergüenza de las mujeres, que
podemos esperar, cuando San Juan Climaco conceptuó, que llegado este
caso ninguno podría aliviarse.
(...) Los males que lloramos, son la pública escandalosa propagación de
los pecados torpes en el impuro traje de las mujeres y en los bailes
lascivos; ambos están en un extremo que parece toca, o está por tocar en
aquel mismo que vio Dios a los hombres, cuando demostró su enojo con
la terrible expresión de pesarle haberlos criado, y su furor en el terribil
ísimo castigo del Diluvio universal... y otros posteriores que ha hecho por
la pública deshonestidad en todos tiempos y lugares aun en esta misma
América. Y en esta nuestra Provincia ha ido manifestando su enojo la
Divina Justicia, al paso que se han ido propagando aquellos males.
Acordaos de la sequedad del año antepasado y de los incendios que se
siguieron, que nos obligaron a tantas rogativas públicas. Acordaos
también de la peste que poco después destruyó tanta gente, y os hizo
ocurrir compungidos a implorar el favor del Cielo, y pues al mismo
tiempo que debía demostrarse la gratitud a los beneficios que se han
recibido de la Divina Misericordia, se ha visto haberse desvergonzado más
las mujeres en sus trajes y establecidos con ceremonias más impuras los
bailes y contradanzas. Debemos llenos de sumo temor esperar, si no se
remedian estos males, que justamente irritado el Omnipotente, descargue
108 C.M.H.LB. Caravelle

por último en esta Provincia un severo castigo, en que seamos todos


comprehendidos, unos por sus iniquidades, y otros porque no las
corrigieron. Por tanto, nos urge duplicar nuestras Oraciones al Cielo sin
intermisión.
Ya vosotras mujeres impuras en vuestros trajes, hombres y mujeres
ejecutores de los bailes lascivos, os exortamos a la reforma, os instamos a
la penitencia, y con el mayor efecto de nuestro corazón os suplicamos
reparéis el escándalo que como vuestro Pastor, usando de la unción, que
aunque indigno nos ha conferido el Altísimo para vuestro gobierno en
esta parte de la Santa Universal Iglesia, de cuyo místico cuerpo por el
Sancrosanto bautismo con que estáis caracterizados, sois verdaderos
miembros, y en descargo de los fuertes estímulos con que la Divina
piedad agita nuestra conciencia, os prohibimos todo baile en que haya
tacto entre hombre y mujer, o algún signo o ceremonia impura, y a toda
mujer de cualquier calidad y edad (en el supuesto de que en nuestra
Diócesis no se permiten mujeres rameras), mandamos: que no salga en
público con los brazos totalmente desnudos, que no descubra parte
alguna de sus pechos, y que no use de mantilla de red clara; estando en la
negligencia de que seréis responsables ante Dios del cumplimiento de
estos preceptos de vuestro legítimo Pastor (...)
Ya vosotros nuestros amados hermanos Sacerdotes estrechamente os
mandamos conforme a la preocupación hecha por el Apóstol San Pablo a
la Iglesia de Corinto, y a su discípulo San Timoteo y a lo mandado en los
Sagrados Cañones; que si alguna mujer viniere a las Iglesias descubierta la
cabeza totalmente, o con alguna parte descubierta de sus pechos, o alguna
otra parte de las que debe tener cubiertas en su cuerpo, no le administréis
Sacramento alguno, como indigna públicamente de su recepción, proce
diendo en esto con prudencia y disimulo, llenos de aquella compasiva
caridad, que dulcemente corrige sin estrépito de voces, sin palabras
injuriosas, y sin nota de la corrección, considerándonos como dice el
Apóstol a nosotros mismos, de otro modo delincuentes, sobre que os
hacemos el más eficaz encargo a fin de que no se empeore el mal con los
sentimientos y querellas, si bien que esperamos no llegue jamás este caso,
pues estamos persuadidos que con estas nuestras Pastorales moniciones,
ninguna mujer Cristiana será contraventora a ellas, ni tampoco a lo que
dejamos ordenado en cuanto a los bailes, sino que más bien cooperarán a
la reforma aquellas que por su noble calidad o edad están en la mayor
obligación de dar buen ejemplo; y mucho más los Padres de familias, en
virtud de que más estrechamente les incumbe.
Dans une société où la culture des apparences trouve à s'exprimer
dans les dénominations données aux représentants des groupes sociaux
dominants, les mantuanos, l'étude des mentalités et représentations, voire
des sensibilités permet de discerner l'une des évolutions majeures du
XVIII e siècle vénézuélien, tout du moins dans sa version urbaine. Le
passage de la sphère de la vie privée à un espace public, et ce, pour des
« catégories » socio-ethniques précédemment exclues des formes tradi
tionnelles de la représentation -au sens politique du terme- et du
paraître. Ainsi les femmes de toutes classes s'affichent-elles délibérément,
FÊTE TRAVESTIE 109

dans les conditions stigmatisées par le rigoriste Ibarra, situation qui ne


manque pas d'avoir des répercussions sur la vie « républicaine » au XIXe
siècle. Ces usages revendicatifs de la fête correspondent en effet à deux
types de lectures : d'une part, l'action individuelle, celle-là même que
l'on trouve au même moment dans l'ordre du discours, plus ou moins
influencée par des comportements collectifs juridiquement assumés
(revendications explicites des pardos), et d'autre part, sa fonction spéci
fique, créatrice d'un univers de transgressions — car d'extériorisations —
mais aussi de transactions.
De sorte que se trouve remise en question la structure normative
traditionnelle, et tout particulièrement la faculté de dire, de désigner, sur
un terrain tout aussi bien matériel que symbolique, ce qu'il convient
d'être ou de faire, faculté précédemment dévolue aux détenteurs du
pouvoir normatif, juges ecclésiastiques ou civils. Cette relativisation des
espaces du pouvoir colonial facilite la « porosité urbaine ». Cette
« délégitimation » des formes de pouvoir, en d'autres termes cette remise
en question des légitimités traditionnelles dans un univers qui est loin
d'être immobile, va de pair avec une plus grande autonomie des acteurs
sociaux visés dans les libelles moralisateurs de la fin du siècle — esclaves,
métis, femmes — . Elle implique enfin un déplacement des ordres, des
caractérisations voire des discours, et une reconstruction in situ des
catégories de la perception et de la représentation de cadres sociaux, voire
des formes de l'altérité en cette veille de l'Indépendance riche en
bouleversements identitaires, qu'ils soient sociaux précisément,
politiques, ou territoriaux !3.

13 Voir Elias Pino Iturrieta, "¿Hasta dónde llegaremos en esto de la belleza? Agraciadas y
desgraciadas en Venezuela republicana", Caravelle, 1996, n°66, reproduit dans Ideas y
mentalidades de Venezuela, Caracas, Academia Nacional de la Historia, 1998, Estudios
Monografías y Ensayos , n°179, p. 179 et ss. Simona Cerrutti, "La construction des
catégories sociales", Passés recomposés. Champs et chantiers de l'histoire, Autrement, n°l 50-
151, enero 1995, p. 224-242 ; Ariette Farge, "Proximités pensables et inégalités
flagrantes. Paris, XVIIIe siècle", in A. Farge, C. Dauphin (coord.), De la violence et des
femmes, Paris, Albin Michel, 1997, p. 73 et ss.
110 C.M.H.LB. Caravelle

RÉSUMÉ- Promu au rang de province prospère des marges de l'empire, le


Venezuela du XVIIIe siècle voit se multiplier les affirmations et redéfinitions de
type identitaire. Les élites, mais aussi le monde métis, tendent à investir l'espace
cérémoniel et festif en un rituel de la transgression dont le symbolisme
n'échappe pas à ses inspirateurs. Au-delà des rites d'inversion ou d'évasion
auxquels se prête traditionnellement la fête coloniale, cette contribution examine
les enjeux de cet univers de transactions marqué par une culture des apparences
particulièrement originale et dont l'expression la plus accomplie demeure
l'aristocratie dite mantuana, ainsi nommée en raison des vêtements portés par les
nobles créoles.

RESUMEN- Convertida en una próspera provincia en los márgenes del imperio


de ultramar, la Venezuela del siglo XVIII es el escenario de un sinfín de
afirmaciones y redefiniciones de índole identitaria. Las élites locales, pero
también el mundo de los mestizos, tienden en ocupar el espacio ceremonial y
festivo en rituales de transgresión cuyo simbolismo no se les escapa a sus actores.
Más allá de los ritos de inversión o de evasión a que se presta tradicionalmente la
fiesta colonial, este artículo contempla las consecuencias y los logros de ese
universo transaccionai influido por una cultura de las apariencias sumamente
original, siendo su expresión más destacada la llamada aristocracia mantuana, así
nombrada por las mantas que llevaron en su tiempo las nobles criollas.

ABSTRACT- Promoted to the rank of a prosperous province in the margins of


the Empire, 1 8th Century Venezuela multiplies the affirmations and
redefinitions of identity. The elites, and the «metis» world as well, tend to invest
the ceremonial and festive space through a ritual of transgression whose
symbolism doesn't escape its inspirers. Beyond the rituals of inversion or escape
which are traditionally characteristic of Colonial festivals, this paper looks at
what is at stake in this universe of transactions, which is underlined by a truly
original culture of appearances and whose most accomplished expression
remains the aristocracy, also called «mantuana» (after the clothes worn by
creóles).

MOTS-CLÉS tVenezuela colonial, fetes, identités, transgressions, femmes.

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