­­Mardi 4­ juillet 2023
79e année – No 24415
3,40 € – France métropolitaine
www.lemonde.fr –
Fondateur : Hubert Beuve-Méry
Directeur : Jérôme Fenoglio
Le bilan très lourd de cinq jours d’émeutes
▶ Incendies, dégrada-
tions, vols… les victi-
mes directes des cinq
nuits de violences
urbaines se comptent
par dizaines de milliers
▶ Un bilan déjà
très supérieur
aux trois semaines
d’émeutes de 2005
▶ A Marseille et à
Montargis (Loiret), des
reporters du « Monde »
racontent la désolation
▶ Macron propose
une stratégie en trois
temps : retour à l’ordre,
fermeté pénale
et sursaut moral
▶ Il recevra, mardi,
des élus locaux, sou-
vent pris pour cibles
▶ L’Haÿ-les-Roses
(Val-de-Marne)
sort difficilement
de la sidération
après la tentative
d’assassinat du maire
Pages 2-9
Ukraine Transports Le train de nuit
A Kherson, réinvestit le rail européen
l’église orthodoxe
qui défie
la Russie
Dans cette ville d’Ukraine
située près de la ligne
de front, les paroissiens
ont quitté, en juin,
le patriarcat de Moscou,
pour rejoindre l’Eglise de
Kiev. Un acte de bravoure
Page 11
Vu par Urbs (France)
ÉDITION SPÉCIALE
Le grand désarroi
des enseignants
de banlieue
Des professeurs revien-
nent sur les humiliations
subies au quotidien
par leurs jeunes élèves
des banlieues ghettoïsées
Pag e 9
« Sortir
les quartiers
du vide politique »
Une urgence pour le so-
ciologue François Dubet.
Les politistes Sebastian
Roché et Emmanuel
Blanchard plaident pour
une réforme de la police
Idées – Pag es 2 4- 25
1 éditorial
L’impératif
de l’apaisement
Dans le 6e arrondissement de Lyon, le 30 juin. BRUNO AMSELLEM/DIVERGENCE POUR « LE MONDE » Page 27
Turquie Europe Logement
De plus en plus de Pour tenter
Portrait de dirigeants prônent de changer
Au début de la décennie 2010, ont déjà été relancés le Paris-Nice
Hakan Fidan, une pause dans son image,
les uns après les autres, les pays et le Paris-Tarbes-Lourdes. La
la « boîte noire » la mise en œuvre Airbnb passe à
européens ont renoncé aux liaison Paris-Aurillac est attendue
du Pacte vert la contre-offensive
trains de nuit. Une véritable hé-
catombe à laquelle quelques li-
gnes seulement ont échappé.
pour la fin de l’année, et Elisabeth
Borne devra rendre des arbitra-
ges cet été, dans le cadre de sa
d’Erdogan Page 13 Page 15
Graduellement, au prix d’un ef- « nouvelle donne ferroviaire ». Le nouveau chef de la di-
fort conjugué de l’Union euro- Selon son choix, la France en
plomatie a été l’exécuteur
péenne et des Etats, grâce aussi à restera à cinq lignes ou doublera
un regain d’intérêt des passa- la mise. Pour pousser leur avan- des basses œuvres
gers, soucieux de modérer leur tage, les défenseurs de la formule du maître d’Ankara
empreinte carbone, l’offre se re- voudraient rendre compétitif ce Pag e 10
constitue. A l’international, de voyage lent, sorte de produit de
nombreuses lignes ont déjà été luxe concurrencé par les petits
rouvertes, reliant des capitales
en traversant les frontières. La
prix des compagnies aériennes
low cost. Ecologie
France n’est pas en reste. Ainsi Pages 16 -1 7
Le rural aux
Cartooning for Peace
avant-postes
de la transition Quelles solutions pour un monde
Les maires des communes plus durable et solidaire ?
de moins de 3 500 habi-
tants veulent être associés Inscrivez-vous pour suivre le live
à la planification via ce QR code
Pag e 13
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 Émeutes urbaines
0123
2| ­
­Mardi 4­ juillet 2023

▶▶▶

Violences : un bilan sans précédent

En cinq jours, les victimes directes d’incendies, de dégradations ou de vols se comptent en milliers

L
es violences commises en France
n’ont désormais plus grand-
chose à voir avec la mort du jeune
Nahel M., tué par un policier à
Nanterre, mardi 27 juin. Depuis
vendredi 30 juin, les émeutes qui
touchent des centaines de communes en
France ont changé de nature, avec une inten-
sité inédite, des niveaux de violence extrême,
des pillages de commerces, des attaques con-
tre des services publics, contre des fonction-
naires, contre des élus et, finalement, plu-
sieurs milliers de victimes directes d’incen-
dies, de violences, de dégradations ou de vols.
En cinq nuits et autant de journées de vio-
lences, le bilan a dépassé en gravité, de l’avis
de plusieurs sources, celui des émeutes de
l’automne 2005 qui avaient duré trois semai-
nes. Les chiffres ne donnent qu’un aperçu de
ces très longues heures où des groupes
d’émeutiers ont pris le contrôle de leurs
quartiers – ce qui était déjà arrivé. Mais ils
ont aussi attaqué des services publics ou des
commerces dans les centres-villes, provo-
quant la panique à Marseille, Lyon, Toulouse
ou Strasbourg, parfois noyées sous les lacry-
mogènes, le bruit des explosions et l’odeur
des incendies. La nuit, mais aussi en plein
jour, malgré un dispositif policier considéra-
ble, avec plus de 40 000 fonctionnaires mo-
bilisés, dont des unités comme celle des poli-
ciers du RAID ou des gendarmes du GIGN, et
le recours à des blindés de la gendarmerie.
Dimanche 2 juillet, le ministère de l’inté-
rieur comptabilisait plus de 5 000 véhicules
incendiés, 10 000 feux de poubelles, près de
1 000 bâtiments brûlés, dégradés ou pillés,
250 attaques de commissariats ou de gen-
darmeries, plus de 700 blessés parmi les po-
liciers. Une arme à feu a été utilisée contre les
forces de l’ordre dans le quartier de Pissevin
à Nîmes, où le gilet pare-balles d’un policier a Sur la place Nelson-Mandela, à quelques mètres du lieu où Nahel M. a été victime d’un tir mortel, à Nanterre, le 29 juin. SAMUEL GRATACAP POUR « LE MONDE »
bloqué un projectile de 9 mm – cela avait été
le cas en 2005 à Grigny (Essonne) et à Mont-
fermeil (Seine-Saint-Denis). Un homme de Des dizaines de véhicules ont brûlé dans cupération, dans des directions différentes, En près de deux décennies, les émeutiers
54 ans est mort dans la nuit de jeudi à cette ville parmi les plus pauvres de France. de l’extrême droite et de l’extrême gauche. ont beaucoup appris des modes opératoires
­vendredi, en Guyane, touché par une balle Dont douze véhicules municipaux sortis un « Réseaux sociaux ». Sans réduire à une des forces de l’ordre. « En 2005, le schéma
perdue tirée par un émeutier, selon la police. par un du garage pour être incendiés. « Ils cause unique la flambée de violences des ­restait classique : les émeutiers attiraient les
­veulent casser les reins de notre ville », témoi- ­derniers jours, la plupart des acteurs de la pompiers dans un guet-apens avec un feu de
« La loi, c’est nous » gne le maire, en se disant « terrifié » par la ­sécurité intérieure soulignent le rôle joué poubelle et en profitaient pour s’en prendre
Fait inédit, des émeutiers s’en sont pris à des ­découverte d’un tag affirmant : « Vous nous dans la propagation extrêmement rapide de aux unités qui protégeaient les secours »,
élus, marquant une étape supplémentaire avez pris une vie, on veut un policier. » l’émeute par les plates-formes de communi- ­analyse un hiérarque policier. Cette fois, la di-
dans la radicalisation, comme à Pontoise Ces émeutes témoignent d’une forme d’ul- cation en ligne, les boucles Telegram et, mension offensive a pris le dessus « et ils ont
(Val-d’Oise), Montluçon (Allier) ou L’Haÿ-les- traviolence. Y compris dans des villes moyen- ­surtout, Snapchat, une application très prisée montré qu’ils étaient capables de décider où et
Roses (Val-de-Marne) où le maire (Les Répu- nes. Et bien au-delà des grandes métropoles Des élus de des plus jeunes, qui compte plus de vingt mil- quand frapper ». En témoigne le nombre de
blicains, LR), Vincent Jeanbrun, a été directe- urbaines. « On a vu que les grands frères de 25 banlieue pourtant lions d’utilisateurs actifs quotidiens en commissariats, de brigades de gendarmerie
ment visé : une voiture a été projetée sur sa ou 30 ans étaient dépassés par les petits, beau- France. « Ça n’existait pas il y a dix-huit ans et et de bureaux de police pris pour cibles : 58
maison puis incendiée, obligeant son épouse coup de gamins de 14 ou 15 ans », témoigne habitués à des ça a changé la donne, avance Grégory Joron, pour la nuit de mercredi à jeudi, 90 le lende-
et ses deux jeunes enfants à fuir. « Un cap a été Olivier Bianchi, maire (Parti socialiste) de secrétaire national du syndicat Unité SGP Po- main et plus d’une centaine entre le 30 juin et
franchi dans l’horreur et l’ignominie », s’est Clermont-Ferrand, où une école et une situations tendues lice FO et ancien CRS engagé au cours des in- le 2 juillet malgré des centaines d’interpella-
­révolté l’édile. « Le véhicule a été lancé pour ­maison de quartier ont été incendiées. Tout cidents de 2005. Les émeutiers se donnent ren- tions et le déploiement d’unités spécialisées.
brûler le pavillon », a estimé le procureur de la comme une épicerie bio portée par une asso-
font état, avec dez-vous beaucoup plus facilement, peuvent Le phénomène n’est pas nouveau, il est
République de Créteil. Une enquête pour ciation pour apporter des aliments de qua- leurs mots, d’une se coordonner en des points différents d’un même pratiquement quotidien. Mais son
­tentative d’assassinat a été ouverte. lité, au cœur d’une cité. « Depuis trente ans, territoire, se replier et recommencer plus loin. » ampleur et les dégâts occasionnés sont, eux,
Les innombrables scènes décrites par les nous avons tous constaté sur le terrain que la tentative de prise Conscient de l’impact et des conséquences sans précédent. Dans le Val-de-Marne, le
témoins dans des centaines de lieux diffé- violence des bandes ne cessait de croître », se de cette viralité, le gouvernement a convo- commissariat de Choisy-le-Roi a été attaqué
rents sont effarantes de violence et de déter- désole Manuel Valls, qui fut maire d’Evry de pouvoir d’une qué les représentants des principales plates- deux nuits d’affilée et des casseurs ont été
mination. Des élus de banlieue pourtant pendant onze ans avant de devenir ministre génération de très formes de réseaux sociaux comme Meta, repoussés de justesse alors qu’ils s’étaient in-
­habitués à des situations tendues racontent de l’intérieur puis premier ministre. Twitter, Snapchat ou TikTok, vendredi, pour troduits dans le sas de celui du Kremlin-Bicê-
des passages à l’acte extrêmement brutaux. La gravité des violences provoque une très jeunes hommes leur demander de « s’engager activement tre ; à Limoges, le commissariat du quartier
Ils font état, avec leurs mots, d’une tentative grande colère parmi les habitants, premières pour retirer instamment les messages qui leur de la Bastide a été ravagé par un incendie.
de prise de pouvoir d’une génération de très victimes des dégradations. « Des criminels sont signalés et identifier les utilisateurs de Utilisation ponctuelle de drones ou de jeu-
jeunes hommes. ont décidé d’anéantir nos institutions républi- ­réseaux sociaux qui participent à la commis- nes femmes, moins suspectes à leurs yeux,
A Corbeil-Essonnes (Essonne), le maire ­(di- caines », a réagi Valentin Ratieuville, maire sion d’infractions ». Sans qu’il soit possible de pour renseigner les émeutiers sur les mouve-
vers gauche), Bruno Piriou, a passé des nuits (LR) de Persan (Val-d’Oise) après l’incendie de mesurer concrètement l’impact de cette re- ments des policiers, appels malveillants pour
à suivre les déplacements de groupes à tra- la mairie. Sur sa page Facebook, l’élu a publié quête auprès des opérateurs, ni sur le terrain. engorger les lignes des services de secours
vers les nombreuses caméras de vidéosur- un texte traduisant son émotion et l’ampleur lors de l’attaque du commissariat de Val-de-
veillance. Quelque 300 individus, sur une po- du choc ressenti : « L’objectif de ces malfrats Mimétisme concurrentiel Reuil (Eure), individus barrant une rue le
pulation de 52 000 habitants. « J’ai vu des jeu- était clair : détruire et anéantir coûte que coûte Les réseaux sociaux ne servent pas unique- temps pour leurs complices de dévaliser des
nes très organisés, qui se préparent, tous ha- (…). Les Persanais ne peuvent accepter d’être les ment à coordonner l’action des émeutiers. commerces, comme à Paris dans la nuit de
billés pareil. Il y avait même un groupe de sept victimes de ces malfaiteurs. Qu’ils assument Vecteurs d’une propagande d’autant plus ef- jeudi à vendredi, « certains groupes sont clai-
individus habillés avec des combinaisons blan- d’être des lâches et qu’ils soient jugés et punis ficace que ses effets sont immédiats, ils s’ins- rement capables de s’organiser et nous ont fait
ches et des grosses lunettes pour utiliser une d’avoir trahi et d’avoir martyrisé Persan. » crivent dans une logique de mimétisme con- craindre le pire », estime un commissaire
scie à disque et couper les poteaux où sont ins- currentiel entre villes, quartiers, cités dont les ­parisien. D’où une démonstration de force
tallées les caméras. » Sur les murs, des tags ra- Viralité relations quotidiennes sont déjà empreintes sans commune mesure avec 2005.
content la volonté de prendre le pouvoir. « La L’effarement et l’incompréhension. Mathias de rivalité. « Quand un groupe se filme, Pour nombre de policiers, la différence
loi, c’est nous », « A mort les porcs », « Un keuf Wargon, le chef des urgences de l’hôpital De- l’image circule et d’autres sont tentés de l’imi- ­essentielle entre les affrontements de 2005
bon, c’est un keuf mort ». « Il y a une partie de la lafontaine, à Saint-Denis (Seine-Saint-De- ter, pour montrer qu’ils sont là aussi, et capa- et ceux qui ont émaillé la semaine passée
jeunesse qui passe à l’acte pour attaquer ce qui nis), raconte les insultes et les menaces bles de causer autant de dégâts, sinon plus », tient cependant, avant tout, à leur mobile.
leur paraît être l’ordre établi », constate l’élu. à l’encontre des personnels soignants de la analyse Johann Cavallero, délégué national « A l’époque, ils voulaient se faire du flic
A Sevran (Seine-Saint-Denis), les émeutiers part d’émeutiers – une vingtaine – venus CRS pour le syndicat Alliance, qui a servi dans comme une expédition punitive après la mort
ont attaqué frontalement le commissariat et ­accompagner leurs blessés – une douzaine – les rangs de la CRS 15 de Béthune (Pas-de-Ca- de Zyed et Bouna, assure un policier en poste
la mairie. Du jamais-vu dans cette ville pour- dans la nuit de jeudi à vendredi. « Ce qui me lais) en région parisienne, en 2005. Les ima- en région parisienne. Cette fois, celle de
tant sujette à des tensions importantes frappe, c’est le décalage entre les analyses que ges de pillage, relayées en temps réel, ont non ­Nahel, pour dramatique qu’elle soit, leur
­depuis des années. « C’est toute la ville qui a j’entends sur la politique et la réalité du seulement occasionné un « opportunisme de a juste fourni un prétexte pour piller. » La
été impactée, pas seulement des quartiers. On ­terrain où je vois de la violence et une forme prédation » de la part de riverains, dixit un preuve, avance Johann Cavallero : « Des ga-
a pris un gros coup », témoigne le maire (di- d’opportunisme quand il s’agit d’aller piller un ­enquêteur, mais aussi donné des idées : après mins encore plus jeunes que Nahel meurent
vers gauche), Stéphane Blanchet, effaré par le centre commercial. On sous-estime la conne- l’attaque d’un tabac dans le quartier de la sous les balles de kalachnikov dans des règle-
niveau de détermination des émeutiers. La rie d’une partie de ces gens », relate le méde- ­Roseraie, à Angers, la police a interpellé un ments de comptes presque chaque semaine.
galerie commerciale de Carrefour a été pillée. cin urgentiste, ancien de l’hôpital Avicenne à ­individu venu d’une commune distante de Et pourtant, les banlieues ne bougent pas. » p
Le magasin Action ravagé par un incendie. Bobigny, très critique sur les tentatives de ré- vingt kilomètres pour profiter du saccage. Antoine Albertini et Luc Bronner
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4 | Émeutes urbaines ­
­Mardi 4­ juillet 2023

A Montargis, la volonté de rebondir

La sous-préfecture du Loiret a subi,
dans la nuit de jeudi à vendredi,
l’attaque des commerces
du centre-ville par quelque
300 casseurs. Un choc

Reportage porte plus de voir les gravats et les

poutres calcinées de l’immeuble
Montargis (Loiret) -
envoyée spéciale
commercial pris pour cible par
les vandales, qui s’est effondré

D
éblayer, net-
toyer, puis se re-
lancer. Vite, très
vite. D’abord, se
débarrasser des
décombres en-
core fumants des immeubles in-
cendiés et retirer ces tristes pan-
neaux de contreplaqué qui protè-
gent les magasins dévalisés…
Depuis trois jours, Montargis,
sous-préfecture du Loiret, s’em-
presse d’effacer les traces des vio-
lences urbaines qui l’ont frappée
en plein cœur, durant la longue
nuit du jeudi 29 au vendredi
30 juin. Pour Benoît Digeon, le
maire (Les Républicains) de la
commune de 15 000 habitants,
penser à ce « jour d’après » est une
obsession. L’élu de 70 ans poursuit
un seul objectif : tourner la page
des émeutes. Voilà ce qu’il répond
inlassablement à ses administrés
qui l’interrogent, la gorge serrée,
sur le devenir de leur cité.
La ville compte beaucoup de re-
traités qui n’avaient jamais as-
sisté à un tel déchaînement de
haine. « La dernière catastrophe,
c’était en 2016, quand le Loing a
quitté son lit, les poissons na-
geaient dans les rues. Et puis, on a
eu le Covid-19, mais ça… », raconte,
médusé, Jean-Yves, un vieux
Montargois.
En ce dimanche 2 juillet au ma-
tin, Benoît Digeon peine à dissi-
muler son agacement. Il ne sup-
place Mirabeau, près de l’église
Sainte-Madeleine, joyau architec-
tural de la région. L’édile de-
mande au chef de chantier d’accé-
lérer les travaux. Pas si simple.
Des poutres fragilisées menacent
le bâtiment voisin, dont le toit a,
lui aussi, brûlé.
Derrière les barrières de protec-
tion, des lève-tôt s’amusent de
voir leur maire s’agiter. Ils ne
quittent pas des yeux les ruines
qui leur font face, terrible cica-
trice du passage des 300 casseurs
qui ont déferlé, trois jours plus
tôt, en centre-ville aux cris de « on
va brûler Montar’ ». Cette nuit de
fin juin, la horde vêtue de noir et
encagoulée a visé en priorité les
boutiques de tabac, de téléphonie
et de jeux vidéo.
« Des clients pleuraient »
Au total, quatre-vingts magasins
ont été dégradés et quinze pillés.
Deux autres immeubles ont suc-
combé aux flammes des cocktails
Molotov. « Tout ça pour venger le
jeune Nahel, tué par un policier à
Nanterre ? Je peux comprendre la
colère, mais regardez les murs de
notre ville, il n’y a aucun graffiti
qui fait allusion à cette mort. Alors,
quoi ? », dit, en soupirant, Nadia,
rencontrée place Mirabeau.
Se relancer ? Bruno Chaton,
46 ans, veut y croire, mais, à la pâ-
leur de son teint, on comprend
qu’il a besoin d’un peu de temps.
UNE VIE, UNE ŒUVRE
Un habitué
d’un café
dans
le centre-
ville de
Montargis
(Loiret),
samedi
1er juillet.
CLÉMENCE LOSFELD
POUR « LE MONDE »
L’immeuble effondré de la place
Mirabeau hébergeait sa pharma-
cie, l’une des plus grandes de
Montargis. « Je n’ai plus rien, ils ont
volé les médicaments, et puis tout
a brûlé. Heureusement, je n’étais
pas de garde, car je dors alors dans
une chambre au premier étage. »
Le pire aurait pu arriver, il en est
conscient. La municipalité a pro-
mis de lui trouver un nouvel em-
placement et de bousculer le ca-
lendrier des indemnisations. « Et
puis, se reprend-il, moins abattu,
ces messages de soutien reçus de
nombreux confrères, ça donne la
pêche. Oui, c’est vrai, je repars de
zéro, mais je vais repartir. »
Le feu de la pharmacie s’est pro-
pagé à la chocolaterie voisine et a
aussi endommagé la cordonne-
rie. Les autres locaux incendiés
« Ces messages abritaient un magasin de décora-
de soutien (...), tion et une boutique de vête-
ments haut de gamme. « Vous sa-
ça donne la pêche. vez qu’au lendemain des émeutes,
vendredi, des clients pleuraient
Oui, c’est vrai, devant nos boutiques sacca-
gées », confie Viviane Malet, pré-
je repars de zéro, sidente de l’Union commerciale
mais je vais de Montargis, qui rassemble
135 enseignes.
repartir » Son fief à elle, c’est la rue Dorée,
Bruno Chaton l’artère piétonne où il fait bon flâ-
pharmacien ner et acheter les dernières nou-
veautés. C’est là où la majorité des
pillages ont eu lieu. « Au début,
comme le maire, je râlais du man-
que de moyens policiers dans no-
tre commune, mais, depuis, je ne
pense qu’à avancer, nous avons eu
tant de marques de solidarité.
Dans quelques jours, nous allons
tous nous réunir et réparer les dé-
gâts. La vie doit continuer. »
Samedi 1er juillet, sur le marché
de Montargis, l’humeur semble
plus partagée. Il y a des optimis-
tes, prêts à vendre comme avant,
et des dubitatifs, inquiets du re-
tour possible des « jeunes à capu-
che », comme les désigne une
marchande de quatre saisons.
Impossible de laisser cette hy-
pothèse de côté. Montargis est-
elle encore cette tranquille bour-
gade aux multiples canaux et
ponts de pierre qui lui ont valu
l’appellation de « Venise du Gâti-
nais » ? Ce nom charmant mas-
que une partie de la réalité. La
commune se trouve à 125 kilo-
mètres de Paris ; le train la relie

Bercy appelle à verser les indemnisations « le plus vite possible »

Après les discours politiques, les
­réponses financières. Samedi 1er juillet, le
ministre de l’économie, Bruno Le Maire,
et la ministre déléguée chargée des petites
Orwell et moyennes entreprises, Olivia Grégoire,
ont reçu les représentants du commerce,
dérange de l’hôtellerie-restauration, des agences
toujours bancaires et des assureurs, ainsi que le
Medef et la confédération des petites et
moyennes entreprises. Objectif : organi-
ser la gestion des indemnisations et
autres facilités de trésorerie pour les lo-
caux professionnels touchés par des dé-
Vu par Aron, Kundera, Leys, Rosat, Rushdie, Truong…
gradations, après plusieurs nuits d’émeu-
tes partout en France.
Au total, au moins une dizaine de centres
commerciaux et plus de deux cents ensei-
gnes de la grande distribution ont été « at-
tions versées par les assureurs. Elles « doi-
vent arriver le plus vite possible », « dans des
délais qui doivent se chiffrer en jours et pas
en semaines », a insisté M. Le Maire. Les
­assureurs se sont engagés à réduire au
maximum le montant des franchises sur
les indemnisations, comme leur demande
le ministre de l’économie. En outre, le
­gouvernement presse les banques de faire
preuve de « la plus grande compréhension
vis-à-vis des échéances bancaires ».
« Il faut que les délais de déclaration
soient allongés, mais les assureurs doivent
aussi adapter les reconnaissances de sinis-
tres », a remarqué Philippe Coy, président
de la confédération des buralistes, auprès
de l’Agence France-Presse. « C’est hypercri-
tique et il y a vraiment des dégâts très
charges sociales et fiscales. Quant à Olivia
­Grégoire, elle va étudier la possibilité de
prolonger les soldes d’une semaine – ils
ont débuté le 28 juin et sont censés se
­terminer le 25 juillet.
Les modalités concrètes de ces annonces
seront précisées prochainement, assure
l’entourage du ministre de l’économie, qui
n’était pas encore en mesure, ce week-end,
de chiffrer les dégâts des derniers jours.
« On a encore des remontées parcellaires.
On va étudier les demandes au cas par cas,
secteur par secteur. Il faut le temps que les
fédérations fassent le point aussi avec leurs
adhérents. Pour le moment, on est beau-
coup dans l’émotion », précise-t-on à Bercy,
où l’on se veut tout de même vigilant sur
les demandes d’aides.

GEORGE ORWELL
taqués et pillés » – dont quinze incendiés –,
de même que 250 débits de tabac et autant
d’agences bancaires, des magasins de vête-
DÉRANGE TOUJOURS ments de sport et des enseignes de restau-
ration rapide, a énuméré M. Le Maire.
Un hors-série du « Monde » Une série de mesures ont été annoncées :
les commerces et les restaurants touchés
124 pages - 10,50 € pourront bénéficier de délais supplémen-
Chez votre marchand de journaux taires pour faire leur déclaration de
et sur lemonde.fr/boutique ­sinistre ou de perte d’exploitation pour
ceux qui seraient « sous le choc ». Les deux
ministres ont aussi prôné « simplicité, rapi-
dité et bienveillance » pour les indemnisa-
­importants », a souligné Alain Di Cres-
cenzo, président des chambres de
­commerce et d’industrie.
Reports des charges sociales et fiscales
Côté Etat, Bercy réactive les « conseillers
de sortie de crise », présents dans chaque
­préfecture, qui avaient été mobilisés au
moment des « gilets jaunes », puis lors de
la crise énergétique pour épauler les PME
et les TPE. Bruno Le Maire a également
évoqué la possibilité, pour les entreprises
en difficulté, de bénéficier de reports des
Alors que l’heure est aux économies dans
le prochain budget et que Bruno Le Maire
vient une énième fois de siffler la fin du
« quoi qu’il en coûte », le ministère se veut
rassurant en ce qui concerne un éventuel
impact sur la croissance du ­produit inté-
rieur brut, qui devrait déjà ralentir cette an-
née. « On ne pense pas qu’il y aura un sujet
tourisme et attractivité, expliquait-on di-
manche à Bercy. On a dit la même chose
avec les “gilets jaunes”, les retraites… et il n’y
a jamais eu autant de touristes ! » p
Audrey Tonnelier
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023
en une heure à la capitale. « En
réalité, nous sommes devenus la
troisième couronne de l’Ile-de-
France, la banlieue de la banlieue
parisienne », constate un respon-
sable politique régional, qui sou-
haite rester anonyme. « L’agglo-
mération montargoise s’est pau-
périsée et elle accueille, depuis
une dizaine d’années, de nouvel-
les populations défavorisées ins-
tallées dans des quartiers sensi-
bles », poursuit-il.
« Délinquance plus virulente »
L’un des quatre policiers munici-
paux, qui a réussi, lors de la nuit
fatidique, à repousser l’assaut
d’une cinquantaine de jeunes
contre la mairie, atteste, lui
aussi, de cette mue. « La délin-
quance est plus virulente et le tra-
fic de drogue mieux organisé. L’at-
taque de jeudi en est une preuve,
explique-t-il, en évoquant des
bandes plus réactives et se con-
certant sur les réseaux sociaux.
J’ai vécu les émeutes de 2005 à
Montargis, elles n’ont jamais été
d’une telle ampleur. »
Ce regain de violence gagne les
communes limitrophes parmi
les plus paisibles comme Ville-
mandeur, un bourg pavillon-
naire de 7 000 habitants apparte-
nant à l’agglomération. Sa maire
divers droite, Denise Serrano,
une femme de terrain, appelle,
elle aussi, à serrer les rangs. Deux
commerces y ont été vandalisés
la nuit du vendredi 30 juin : un
bureau de tabac et une boulange-
rie, dont le propriétaire, Hassan
Bertal, 52 ans, a eu le temps de se
réfugier à l’étage avant d’assister
au pillage de sa boutique. « C’était
des petits, et ils n’ont peur de rien,
je vous le dis. Qu’est-ce qu’on peut
faire contre ça ? »
Benoît Digeon a suivi de près
ces événements. Il comprend que
la tâche va être rude. Lundi
3 juillet, il a convoqué son conseil
municipal pour lui présenter le
programme auquel il a réfléchi.
Nom de code : « Rebondir ». p
Marie-Béatrice Baudet
Après les pillages, Marseille sonnée
La ville, qui entretient sa légende d’unité, avait été épargnée par les émeutes en 2005
Marseille - correspondant
T u viens avec moi, on pille
Louis Vuitton ? » A l’angle
de la Canebière et du cours
Belsunce (1er arrondissement), sa-
medi 1er juillet en début de soirée,
même les arguments de drague
s’imprègnent de l’air du temps. Le
cœur de Marseille vient de vivre
deux soirs de violents incidents
marqués par la mise à sac de cen-
taines de commerces et s’apprête
à entrer dans une troisième nuit
de pillages. L’atmosphère est pe-
sante. Comme la veille, les trans-
ports publics ont été arrêtés à
18 heures, les manifestations sont
interdites et les opérateurs de
« mobilité douce » priés de faire
disparaître vélos électriques et
trottinettes, potentielles « armes
par destination » pour défoncer
des vitrines. Mais cette fois, des
dizaines de camions de CRS blo-
quent les accès des rues commer-
çantes ravagées.
La nuit n’en sera pas moins ex-
plosive. Bilan : 71 interpellations
et sept policiers blessés. La veille,
95 personnes avaient été arrêtées
et 31 membres des forces de l’or-
dre blessés. Epargnée par les
émeutes des quartiers populaires
en 2005, touchée marginalement
par des débordements pendant
les manifestations des « gilets jau-
nes » ou plus récemment contre
la réforme des retraites, Marseille
entretenait sa légende de ville
unie en toutes circonstances. Le
poids des réseaux de vente de stu-
péfiants était souvent évoqué
pour expliquer le calme relatif
des quartiers populaires.
Autant d’éléments mis à mal par
le vent de révolte qui suit l’affaire
Nahel M., tué par le tir d’un poli-
cier mardi 27 juin à Nanterre. Les
cités du nord de la ville n’ont pas
flambé, mais les centres commer-
ciaux du Merlan (14e) et de Grand
Littoral (15e) ont été visés par des
raids d’émeutiers. Un supermar-
Forces de l’ordre: la stratégie du recours aux unités d’élite
En faisant appel à la BRI, au RAID et au GIGN contre les émeutiers, Gérald Darmanin a voulu frapper les esprits
Analyse
L’ image a fait le tour des ré-
seaux sociaux avant d’être
reprise en boucle par les
journaux télévisés : dans la soirée
du jeudi 29 juin, le « Sherpa », un
blindé de la brigade de recherche
et d’intervention (BRI) de la Préfec-
ture de police de Paris, rugit en
­balayant des barricades érigées
sur une avenue de Nanterre, épi-
centre des émeutes urbaines qui
secouent le pays. Deux jours après
la mort de Nahel M., 17 ans, tué par
un policier lors d’un contrôle rou-
tier, personne ne s’attendait à voir
mobilisés les effectifs de cette
prestigieuse unité, ni ceux du
RAID (Recherche, assistance, inter-
vention, dissuasion), du Groupe
d’intervention de la gendarmerie
nationale (GIGN) et de leurs anten-
nes locales, davantage rompus
aux prises d’otages et à l’intercep-
tion de « go fast » qu’à la gestion
des « VU » – les violences urbaines.
Oubliées, les consignes de rete-
nue données lors des premiers
­affrontements. Avec la multiplica-
tion de scènes de pillage et
­d’extrême violence, les images ac-
cablantes du contrôle routier qui a
coûté la vie à Nahel M. ont disparu
des écrans en quelques heures, au
profit de séquences apocalypti-
ques, avenues en flammes, cen-
tres commerciaux dévalisés, ger-
ché Aldi a été pillé et incendié aux
­Flamants (14e). Une concession
Volkswagen a été attaquée, elle, di-
manche 2 juillet, tôt dans la nuit.
Marseille s’est enflammée avec
retard, jeudi 29 juin, alors que
d’autres grandes agglomérations
étaient déjà sous haute tension.
Après un rassemblement pour dé-
noncer « le racisme, les discrimina-
tions et les violences policières » et
« rendre hommage à ­Nahel », à
l’appel de la Coordination des
40 ans de la marche pour l’égalité
et contre le racisme, la soirée a dé-
généré dans le secteur de Belsunce
et de la Joliette (2e). Dans le sillage
d’un cortège de plusieurs centai-
nes de personnes, des dizaines de
poubelles et quatorze véhicules
ont été brûlés, quelques Abribus
brisés, selon les chiffres de la mu-
nicipalité. Les images, diffusées
sur les réseaux sociaux, d’un fu-
migène lancé à travers la façade
brisée de l’Alcazar ont laissé croire
à un incendie de la plus grande bi-
bliothèque de Marseille. En marge
du défilé, une trentaine de bouti-
ques, notamment de téléphonie,
étaient déjà dévalisées par des pe-
tits groupes de jeunes gens sou-
vent masqués.
« Vendredi matin, nous avons
alerté la préfecture de police du ris-
que de voir ces pillages se démulti-
plier. Nous avions des informa-
tions fiables disant que ceux qu’on
appelle les “émeutiers” seraient
plus nombreux et viseraient les
principales rues commerçantes »,
raconte l’adjoint à la sécurité de
Marseille
s’est enflammée
avec retard, jeudi,
alors que d’autres
villes étaient déjà
sous haute tension
bes des mortiers d’artifice tirés
contre des bâtiments publics.
Depuis la place Beauvau, le mi-
nistre de l’intérieur, Gérald Dar-
manin, a compris que l’opinion se
retournait, que le risque d’un
­procès en incompétence – pire à
ses yeux : en laxisme – excédait
celui, pourtant bien réel, d’une
nouvelle bavure. Politiquement,
il a aussi estimé avoir les coudées
franches. Contrairement à un
­Nicolas Sarkozy empêtré dans ses
mensonges après la mort de Zyed
Benna et Bouna Traoré, deux ado-
lescents électrocutés après une
course-poursuite avec des poli-
ciers, en octobre 2005, n’a-t-il pas
jugé « extrêmement choquantes »
les images du contrôle routier
mortel de Nanterre, filmées par
une passante et devenues virales ?
« Démonstration de force »
Le ton et la méthode changent.
« Des instructions d’intervention
systématiques ont été données aux
forces de l’ordre », a-t-il écrit sur
Twitter, jeudi. Le matin même,
dans le cadre du dispositif Coordi-
nation opérationnelle renforcée
dans les agglomérations et les
­territoires, une décision a autorisé
les pelotons de sécurité et d’inter-
vention de la gendarmerie à agir
en zone police. Puis est venue celle
d’engager sur le terrain les unités
d’élite de la police et de la gendar-
Marseille, Yannick Ohanessian. Il
évoque des « concours informels »
sur les réseaux sociaux comme
Snapchat ou TikTok, « mettant les
jeunes Marseillais au défi » de faire
« aussi bien » que dans les villes
d’Ile-de-France. Les arrêtés préfec-
toraux pour interdire la vente et
le transport de feux d’artifice,
l’annulation de la première soirée
du festival Acontraluz, la pré-
sence d’un hélicoptère de la gen-
darmerie dans le ciel n’ont pas
permis d’éviter ce que les élus lo-
caux redoutaient.
« Il n’y a plus rien à prendre »
Vendredi 30 juin, le dispositif po-
licier, en place dès la fin d’après-
midi, se montre vite peu adapté à
la mobilité de centaines de jeu-
nes signalant la présence des for-
ces de l’ordre sur les réseaux so-
ciaux et visant débits de tabac, bi-
jouteries, boutiques de vête-
ments de luxe, mais aussi une
armurerie. « Contrairement à ce
qui doit se passer dans un main-
tien de l’ordre classique, ce sont
eux qui nous baladent », confirme
à La Provence le secrétaire natio-
nal zone sud du syndicat policier
SGP-FO, Bruno Bartocetti. Dans
une ville qui, en début de se-
maine, avait été quadrillée par les
forces de l’ordre pour sécuriser la
visite du président Macron, la
comparaison trouble.
« Le seul objectif de tous ces
groupes était le pillage. Il n’y a pas
eu de revendication d’aspect poli-
tique tout au long de la soirée », as-
sure la préfecture de police qui es-
time à 3 000 le nombre d’émeu-
tiers ce soir-là. Des ados venus
des quartiers populaires du cen-
tre, comme Noailles, Belsunce ou
la Belle-de-Mai ou, plus margina-
lement, d’autres parties de la
ville. « Parmi les interpellés, il y a
une majorité de 15-20 ans », con-
firme une source policière.
Depuis le centre de supervision
urbaine, le maire (divers gauche)
merie. Pour une « démonstration
de force totalement assumée et
­revendiquée, affirme l’entourage
du ministre, avec un double objec-
tif opérationnel et psychologique ».
Il s’agit de reprendre l’initiative
en bousculant les émeutiers, loin
de la stratégie habituelle du main-
tien de l’ordre, qui consiste théori-
quement à tenir les manifestants
à distance. Les blindés du RAID et
de la BRI sont engagés au plus près
des affrontements. A la demande
des pouvoirs publics, trois véhicu-
les supplémentaires ont été prê-
tés en urgence par le constructeur,
la société Arquus, sans que celle-ci
ait eu le temps de repeindre leur li-
vrée couleur sable, qui évoque
plutôt les opérations militaires au
Sahel que le dédale urbain des ci-
tés de la région parisienne. De son
côté, la gendarmerie aligne ses
4 × 4 Centaure flambant neufs,
mastodontes de 7,4 mètres de
long et 14,5 tonnes, et donne à ses
hélicoptères l’instruction de
­décoller dès 19 heures, avant la
tombée de la nuit, pour survoler
les zones sensibles et renseigner.
Le RAID et la BRI sont également
autorisés à utiliser des munitions
« sacs à haricots », utilisées lors des
émeutes urbaines aux Antilles fin
2021, puis à Mayotte depuis le
­début de l’opération « Wuam-
bushu » de lutte contre l’immigra-
tion clandestine, en avril. Ces pro-
Émeutes urbaines | 5
« La vidéo
de Nanterre
a profondément
touché ces ados
qui s’identifient
à Nahel »
Zohra Boukenouche
éducatrice
Benoît Payan a lancé en pleine
nuit un appel à l’Etat pour de-
mander des renforts. « Il n’y a
pas eu d’événement particulier
­conduisant à cet appel. Mais nous
avons eu le sentiment, en obser-
vant l’évolution de la soirée et la
capacité des émeutiers à se dépla-
cer, casser des vitrines, piller et re-
partir, que le dispositif serait in-
suffisant », témoigne son adjoint
Yannick Ohanessian.
Entre samedi et dimanche, le
dispositif a donc été renforcé
d’une unité de CRS, des troupes
du groupe d’intervention de la
gendarmerie nationale (GIGN) et
d’un second hélicoptère d’obser-
vation, précieux pour lire les dé-
placements des émeutiers et
compléter les observations des
caméras urbaines. Un déploie-
ment qui a réussi à limiter les
pillages dans les rues commer-
çantes du centre-ville.
« De toute façon, ici, il n’y a plus
rien à prendre », dit, en souriant
jaune, Abou (il a souhaité garder
l’anonymat), pharmacien, en
montant la garde vers 23 heures
devant son officine sur la
­Canebière. Avec « Boss », le patron
du Vizir, le débit de tabac voisin
qui a été attaqué jeudi et a refait
une partie de son stock depuis, il a
décidé de passer la nuit sur place.
Des amis « qui travaillent dans la
sécurité » ont été rameutés. Ils fil-
trent les clients à la grille qui ferme
jectiles tirés par des fusils à pompe
sont constitués d’un sachet de
­coton renfermant de minuscules
plombs. Considérés comme plus
précis et d’une portée supérieure
aux munitions des lanceurs de
balles de défense (LBD), ils sont dé-
criés pour les risques de blessures
graves qu’ils peuvent occasionner.
« Ce format inédit interroge »
Sur le terrain, la principale mis-
sion assignée aux forces de l’or-
dre reste bien d’effectuer le maxi-
mum d’interpellations. Trente et
une personnes avaient été appré-
hendées dans la nuit de mardi à
mercredi. Elles sont 207 le lende-
main, 875 le jour suivant, plus de
2 000 entre vendredi et diman-
che. « Nuit plus calme grâce à l’ac-
tion résolue des forces de l’ordre »,
tweete encore M. Darmanin, di-
manche 2 juillet. La nuit suivante,
le calme perdure, et les interpella-
tions s’élèvent à 157, selon les chif-
fres du ministère de lundi matin.
Le pari du recours à des services
non spécialisés dans le maintien
de l’ordre était pourtant hasar-
deux. Au plus fort de la contesta-
tion des « gilets jaunes », le
­gouvernement s’était attiré de sé-
vères critiques, y compris à l’inter-
national, en raison de dizaines de
cas d’éborgnements après des tirs
de LBD, de matraquages, de vio-
lences commises par des policiers
▶▶▶
la boutique. Leurs gabarits et la
matraque que « Boss » tient à por-
tée de main évitent jusqu’alors les
intrusions. Dans l’avenue, émeu-
tiers et CRS échangent projectiles
et gaz lacrymogènes. Des touris-
tes, venus là pour le festival Acon-
traluz ou le défilé de la Gay Pride,
annulé lui aussi, cherchent déses-
pérément à rejoindre leur hôtel.
Plus efficace dans l’hypercentre,
le dispositif de sécurité n’a pu em-
pêcher les incidents de déborder
dans les quartiers périphériques.
Le gérant du Bergerac, un bar-ta-
bac du boulevard National (3e),
s’est barricadé à l’intérieur de son
établissement. Sur cette artère
qui borde le quartier populaire de
la Belle-de-Mai, aucune force de
police n’est déployée. Quand la
colonne des policiers du RAID ar-
rive à 0 h 13, emmenée par un im-
pressionnant engin blindé, le mal
est fait. Le rideau de fer du Berge-
rac a été arraché, cigarettes et jeux
à gratter raflés, patron molesté…
« Je fais partie des gens surpris
parce que, jusqu’alors, cela n’avait
pas éclaté à Marseille, où nous
avons pourtant eu notre lot de vio-
lences policières et racistes. La
belle histoire d’une ville unie s’ef-
frite », concède, dimanche Zohra
Boukenouche, éducatrice et pilier
de collectifs militants. Si elle re-
connaît être « démunie face à ces
jeunes qui se foutent de ce qu’[elle
peut] leur raconter », elle refuse de
voir dans la révolte une simple
question de prédation. « Bien sûr
que certains jeunes suivent le mou-
vement de façon inconsciente,
mais il y a une vraie portée politi-
que dans ce qui se passe. La vidéo
de Nanterre a beaucoup tourné et
a profondément touché ces ados
qui s’identifient à Nahel. Pour eux,
ce sont des images du réel, pas un
film ou un jeu vidéo. »
A Marseille, la préfecture de po-
lice a prolongé jusqu’à lundi l’in-
terdiction de manifester. p
Gilles Rof
n’appartenant pas à des unités
constituées comme les CRS, dont
la gestion des manifestations est
le cœur de ­métier. « Mais cette fois,
analyse un responsable policier,
ce n’est plus du maintien de l’ordre,
même dégradé. C’est de la lutte
contre les violences urbaines, avec
de petits groupes très agressifs et
capables de se coordonner. Le RAID
ou la BRI savent faire, il leur suffit
d’adapter leurs procédures. »
Dimanche, pour la troisième
nuit consécutive, 45 000 fonction-
naires de police et gendarmes res-
taient mobilisés. « Ce format inédit
interroge, observe Mathieu Za-
grodski, chercheur associé au Cen-
tre d’études sociologiques sur le
droit et les institutions pénales. Il
représente le quart des services ac-
tifs des deux forces. » D’après l’uni-
versitaire, spécialiste des ques-
tions de sécurité, un tel niveau
d’engagement signe la volonté des
pouvoirs publics « d’éteindre l’in-
cendie aussi rapidement que possi-
ble et d’éviter l’entrée dans un cycle
sans fin comme en 2005, lorsque
les émeutes avaient duré trois se-
maines ». Après des mois de crise
engendrée par la réforme des
­retraites, ponctués d’épisodes de
violences policières, il permet
aussi d’échapper à l’écueil, politi-
quement désastreux, d’un ­recours
à l’état d’urgence. p
Antoine Albertini

6 | Émeutes urbaines
Macron cherche la sortie de crise
Le chef de l’Etat se retrouve déstabilisé par des émeutes sans message politique, ni revendications précises
A
ppels réguliers à
sa première mi-
nistre, Elisabeth
Borne, et à son
ministre de l’inté-
rieur, Gérald
­Darmanin, messageries instanta-
nées ouvertes sur ses téléphones,
échanges directs avec des maires…
Pendant deux jours, ­Emmanuel
Macron a vécu suspendu aux aler-
tes, aux incendies et aux pillages.
« Jusque très tard les nuits », glisse
un de ses conseillers.
Voulant rester « agile » et « sou-
ple », désireux surtout ne pas
donner l’image d’un chef s’envo-
lant à l’étranger, le président de la
République a annulé sa visite
d’Etat en Allemagne. Dimanche,
au moment où il aurait dû pren-
dre l’avion, il tenait un « point de
situation » entouré de ses princi-
paux ministres. Un week-end sur
le qui-vive donc.
Un week-end où l’Elysée a sur-
tout voulu montrer l’image
d’un Emmanuel Macron à la
manœuvre. Samedi, le chef de
l’Etat a « demandé » au ministre
de l’économie, Bruno Le Maire, de
recevoir les commerçants et res-
taurateurs. Dimanche, il a « de-
mandé » à sa cheffe du gouverne-
ment de se rendre à L’Haÿ-les-Ro-
ses (Val-de-Marne).
Deux jours aussi pour réfléchir
à la meilleure façon de sortir de
cette crise. « Si nous n’étions que
dans l’empathie, on nous accuse-
rait de ne pas être assez fermes. Si
nous étions seulement dans une
répression aveugle, on nous accu-
serait de jeter de l’huile sur le
feu », résume le conseiller d’un
exécutif plus que jamais sur une
ligne de crête.
Dimanche, le chef de l’Etat a
passé sa journée partagé entre
deux sentiments. Le soulage-
ment de voir que les émeutes
avaient baissé en intensité mal-
gré certains points toujours très
chauds, comme à Marseille et à
Lyon, vendredi soir. Le dégoût de-
vant l’attaque contre le domicile
privé du maire (Les Républicains,
LR) de L’Haÿ-les-Roses, Vincent
Jeanbrun, en présence de sa
femme et de ses deux enfants. Un
élu municipal a également été
blessé à la tête par un jet de pierre
à Montluçon (Allier).
L’ensemble du personnel politi-
que a condamné ces agressions
contre les élus de la République.
L’Association des maires de
France a appelé à des rassemble-
ments de soutien devant les mai-
ries, lundi, à midi.
Des parents « pas à la hauteur »
Dimanche soir, après la réunion
élyséenne, des proches
­d’Emmanuel Macron ont an-
noncé qu’il recevrait, mardi, les
maires des « plus de 220 commu-
nes victimes d’exactions ». Lundi, il
s’entretiendra avec Yaël Braun-Pi-
vet, la présidente (Renaissance) de
l’Assemblée nationale, et avec Gé-
rard Larcher, son homologue (LR)
du Sénat. Le même jour, Elisabeth
Borne accueillera les présidents
des groupes parlementaires.
« Nous ne laisserons rien passer.
Nous serons aux côtés des maires »,
a déclaré la première ministre lors
de sa visite à Vincent Jeanbrun,
avec notamment le ministre de
l’intérieur, Gérald Darmanin.
Malgré cette solidarité avec les
élus de terrain, le débat politique
s’embourbe. Avec d’un côté, une
droite identitaire et une extrême
droite flirtant avec l’idée d’une
guerre de civilisation en cours et
réclamant l’instauration de l’état
d’urgence – « Il ne faut rien céder
face à ces barbares », a écrit sur
Twitter Eric Ciotti, président de
LR, après avoir décrit, sur Eu-
rope 1 et CNews, Jean-Luc Mélen-
chon comme un « chef de bande »,
un « factieux », un « séditieux ».
Sur LCI, le chef de file de La France
insoumise a, lui, renvoyé la res-
ponsabilité sur les « riches et les
puissants », qu’il accuse de s’être
« ensauvagés ». « Ils ont l’idée qu’ils
vont vivre à part, que cette faune,
les “nuisibles”, comme disent leurs
policiers, sont un problème, il faut
les tenir à distance, les mater, [uti-
liser] la chicotte [une sorte de
fouet] », a-t-il estimé.
Face à cela, l’exécutif veut pour
le moment déployer son action
en trois temps. L’urgence est de
permettre un retour à l’ordre
le plus rapide possible. Diman-
che soir, M. Darmanin a mobilisé
45 000 agents, comme lors des
deux nuits précédentes. Après
cinq nuits de violences, un retour
au calme s’est esquissé : le nom-
bre d’interpellations était en
nette baisse dans la nuit de di-
manche à lundi, et aucun inci-
dent majeur n’était signalé.
Ensuite, la réponse pénale doit
être « rapide, ferme et systémati-
que », selon les mots du ministre
de la justice, Eric Dupond-Mo-
retti, alors que les interpellations
se multiplient (719 person-
nes dans la nuit de samedi à di-
manche, 1 300 la veille) et que les
comparutions immédiates s’en-
chaînent. Vendredi, le garde des
sceaux a diffusé une circulaire
qui a permis des interpellations
préventives, samedi soir, dans
plusieurs endroits de France.
Le troisième pilier de la réponse
gouvernementale est plus subtil.
Emmanuel Macron, selon ses pro-
ches, espère un sursaut moral de
la société, ce qui explique son in-
tervention à destination des pa-
trons des réseaux sociaux et des
parents, vendredi. « C’est aux pa-
rents d’éduquer leurs enfants et,
En 2017, le candidat
Macron avait
entamé un dialogue
avec une partie
des banlieues,
mais depuis, ce
début de relation
s’est effiloché
dans certains endroits, des parents
ne sont pas à la hauteur de leur res-
ponsabilité », affirme un proche
du chef de l’Etat. Un vœu autant
qu’un constat d’échec pour la ma-
jorité en place depuis 2017. Car, au
fil des nuits d’émeutes, l’exécutif
apparaît tétanisé devant ce dé-
chaînement. Que répondre à des
émeutiers sans demandes socia-
les et politiques précises ?
« Il y a déjà eu des mouvements
de revendication politique, parfois
des marches émaillées de violen-
ces, mais des violences contenues, a
ainsi affirmé Olivier Véran, porte-
parole du gouvernement, diman-
che, lors de l’émission « Questions
politiques » sur France Inter, avec
Franceinfo et en partenariat avec
Le Monde. Ici, il n’y a pas de mes-
sage politique. Quand vous pillez
un magasin Foot Locker, Lacoste
ou une boutique Sephora, il n’y a
pas de message politique. C’est du
pillage. » En off, certains proches
d’Emmanuel Macron continuent
à prolonger son analyse sur « le
processus de décivilisation » qui se-
rait à l’œuvre dans la société. Le
président de la République avait
évoqué ce sujet, le 24 mai, lors
d’un conseil des ministres après la
mort de trois policiers du com-
missariat de Roubaix (Nord) dans
une collision. Depuis cinq jours, il
a été sidéré de voir remonter les
données des services de police.
L’âge médian des interpellés est de
17 ans ; certains ont 13 ans ; la ma-
jorité n’a pas de casier judiciaire.
D’où ses propos sur la responsa-
bilité des parents, des jeux vidéo,
des réseaux sociaux. D’où aussi
l’absence de mesures rapides
pour sortir de cette crise. « Il ne
peut pas y avoir de réponses immé-
diates à des problèmes aussi pro-
fonds, il y a des réponses politiques
structurelles mais elles ne porte-
ront leurs effets qu’à moyen ou
long terme, analyse le sociologue
Olivier Galland, directeur de re-
cherche au CNRS et auteur d’une
étude à Aulnay-sous-Bois (Seine-
Saint-Denis), après les émeutes de
2005. En attendant, il faut parvenir
à rétablir l’ordre sans qu’il y ait un
nouveau drame car on rentrerait
dans une spirale incontrôlable. »
Ignorance réciproque
Parfaitement conscient de ça, le
chef de l’Etat veut se donner un
peu de temps pour voir comment
la situation évolue. Et attendre un
retour au calme pour effectuer un
déplacement ou prendre la parole
de façon un peu plus solennelle,
deux idées à l’étude du côté de
l’Elysée. « Nous devons d’abord
prendre le temps de qualifier les
événements avant d’en tirer les
conclusions », a glissé M. Macron
devant ses ministres lors de la
réunion de dimanche soir.
Après cette série de déflagra-
tions, il sera alors temps de re-
construire. Et peut-être de tenter
de reparler à cette jeunesse qui a
pu se sentir délaissée. En 2017,
lors de son ascension politique
jusqu’à l’Elysée, M. Macron avait
entamé un dialogue avec une
partie des banlieues. Il avait plu-
sieurs fois tonné contre « l’assi-
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023
Emmanuel
Macron préside
une cellule
de crise
à l’Elysée,
à Paris,
dimanche
2 juillet.
Cyril Bitton/Divergence
pour Le « monde »
gnation à résidence », vantant le
modèle de l’autoentrepreneur
méritant. Un discours qui avait
eu un écho chez certains jeunes
des quartiers. Cela lui avait valu
un relatif succès dans les urnes au
premier tour de la présidentielle
et un franc soutien lors du se-
cond face à Marine Le Pen.
L’Elysée a beau vanter le dédou-
blement des classes de CP ou
l’augmentation importante du
budget de l’Agence nationale de
rénovation urbaine, ce début de
relation s’est effilochée. La fin de
non-recevoir apporté aux idées
de Jean-Louis Borloo, en 2018, a
été le symbole de cette ignorance
réciproque. « Le chantier a été
laissé en déshérence. Il était jeune,
il savait assez bien communiquer
sur les réseaux sociaux et le chan-
gement générationnel pouvait
plaire, mais ça s’est évaporé »,
poursuit Olivier Galland.
« Vous en connaissez beaucoup
des présidents qui peuvent aller
pendant trois heures échanger
franchement avec les habitants
d’un quartier ? », rétorque un
­conseiller élyséen, en référence
au récent déplacement du chef de
l’Etat, le 26 juin, dans celui de la
Busserine à Marseille.
En 2022, le verdict des urnes
avait pourtant été sans appel. Le
bureau de vote numéro 44 de la
commune de Nanterre est situé
dans l’école élémentaire Pablo-
Picasso, à deux pas de la cité du
même nom où les émeutes ont
débuté après la mort de Nahel M.
Au premier tour de 2017, Emma-
nuel Macron avait obtenu 23,6 %
des suffrages ; en 2022, il n’a ré-
colté que 14,8 %. Et l’abstention a
augmenté de 15 points lors du se-
cond tour face à la candidate d’ex-
trême droite, atteignant le taux
vertigineux de 47 %. p
Matthieu Goar
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023
L’attaque du domicile du
maire de L’Haÿ-les-Roses
sidère les habitants
L’élu de la commune du Val-de-Marne et sa famille
ont été la cible d’une tentative d’assassinat
à la voiture-bélier. Déconcertés, les administrés
s’interrogent sur le mobile d’une telle exaction
Reportage
D e mémoire sidérée de
l’Haÿssien, et Maurice
(les personnes citées
n’ont pas souhaité donner leur
patronyme) habite L’Haÿ-les-Ro-
ses depuis 1958, il n’avait jamais
vu, cru, ou même pu imaginer
qu’une chose aussi grave puisse
se produire dans une ville « si
tranquille, si normale ».
Dans cette commune du Val-de-
Marne, en banlieue parisienne,
les événements des derniers
jours, provoqués par la mort de
Nahel M., ont effectivement pris
une tournure très particulière.
Durant les trois premières nuits
d’émeutes, la mairie a été la cible
d’attaques, de dégradations et de
tentatives d’incursion. Le bâti-
ment public est dorénavant en-
cerclé par d’imposants barbelés
et sécurisé par des policiers na-
tionaux et municipaux.
Mais dans la nuit du samedi
1er juillet au dimanche 2, c’est,
cette fois, le domicile du maire
Les Républicains (LR), Vincent
Jeanbrun, qui est directement
Les agressions se multiplient contre les maires, « en première ligne »
Depuis le début des violences urbaines, une partie de la colère se retourne contre les élus locaux, qui sont plusieurs à avoir été ciblés
C ette nuit, un cap a été fran-
chi dans l’horreur et l’igno-
minie », a écrit Vincent
Jeanbrun, dimanche matin sur
Twitter. Le maire (Les Républi-
cains, LR) de L’Haÿ-les-Roses (Val-
de-Marne) a été victime d’une
violente attaque dans la nuit du
samedi 1er au dimanche 2 juillet.
Vers 1 h 30 du matin, dimanche,
tandis que l’élu dormait à l’hôtel
de ville, une voiture bélier a été
lancée contre son domicile, puis
un incendie déclenché pour brû-
ler le pavillon. L’épouse du maire
et ses deux enfants, de 5 et 7 ans,
se trouvaient dans la maison.
­Entendant du bruit et voyant des
flammes, ces derniers ont pris la
fuite par le jardin à l’arrière du pa-
villon. Dans sa course, pour met-
tre ses enfants à l’abri, l’épouse de
l’édile s’est blessée au tibia et a été
hospitalisée. « C’est une tentative
d’assassinat d’une lâcheté inquali-
fiable », a dénoncé l’édile de cette
ville de plus de 30 000 habitants,
située à cinq kilomètres de Paris,
en affirmant « une détermination
à protéger et à servir la République
plus grande que jamais ».
Dès l’incendie de L’Haÿ-les-Ro-
ses connu, l’émoi a été vif et les
condamnations unanimes dans
la classe politique. Condamnant
des « faits intolérables », la
­premier ministre Elisabeth Borne,
ainsi que le ministre de l’intérieur,
Gérald Darmanin, se sont rendus
sur les lieux, dans l’après-midi.
« Nous ne laisserons rien passer », a
affirmé sur place la cheffe du
­gouvernement, à l’intention des
élus confrontés à des violences.
Car si l’attaque de L’Haÿ-les-Ro-
ses intervient dans un moment
visé. Le portail est défoncé par
une voiture-bélier en feu, proje-
tée par un groupe d’individus.
L’épouse du maire est victime
d’une fracture du tibia alors
qu’elle tente de s’enfuir avec ses
deux enfants, âgés de 5 et 7 ans,
dont l’un a également été blessé.
Les assaillants incendient la
voiture familiale « dans l’inten-
tion manifeste de mettre en feu
le domicile », selon l’entourage
du maire, avant d’être mis en
fuite par la police et les pom-
piers. Vincent Jeanbrun se trou-
vait, au même moment, dans les
« Nous serons
aux côtés des
maires. On a tous
été très choqués
par cette attaque
intolérable »
Élisabeth Borne
première ministre
de grande tension dans le pays,
après cinq nuits d’émeutes urbai-
nes, il révèle surtout qu’une
­partie de la colère se retourne
contre les élus locaux, nombreux
à être ciblés personnellement.
Un dispositif destiné « sans
­ambiguïté » à provoquer un feu a
été retrouvé dimanche matin au
domicile du maire d’une petite
ville du Rhône au sud de Lyon,
Charly, ont indiqué dimanche ses
services. « Heureusement, aucune
victime n’est à déplorer », écrit la
municipalité dans un communi-
qué, précisant que la gendarme-
rie est intervenue, qu’une plainte
a été déposée et le procureur de la
République informé.
« On va se le faire ! »
« C’est un choc », a réagi le maire
de Charly, Olivier Araujo, sur
France 3 dimanche, ajoutant qu’il
« ne baisse pas les bras ». « Il y a
une remise en question de tout, et
au-delà des institutions, on s’en
prend aux personnes qui essaient
de les faire vivre. Mais, attaquer les
personnes à leur domicile, ça inter-
roge vraiment sur la relation d’une
minorité vis-à-vis de l’autorité. On
a l’impression qu’il n’y a plus de
­règles, c’est fou ! », a-t-il ajouté.
Dans l’agglomération de Tours,
deux maires ont été violemment
visés : celui de Saint-Pierre-des-
Corps (Indre-et-Loire), Emmanuel
François (sans étiquette), a vu sa
voiture incendiée, dans la nuit de
jeudi à vendredi. Dans la nuit de
samedi à dimanche, des émeu-
tiers se sont introduits dans le
­jardin du maire de La Riche ­ (In-
dre-et-Loire), avant d’incendier sa
voiture de fonction.
locaux de sa mairie. « Cette nuit,
un cap a été franchi dans l’hor-
reur et l’ignominie, a-t-il réagi sur
Twitter. (…) Ma détermination
à protéger et servir la République
est plus grande que jamais. Je
ne reculerai pas. »
Samedi, quelques heures avant
l’attaque, interrogé par LCI,
­Vincent Jeanbrun avait raconté :
« Ce matin, on s’est levés avec des
tags un peu partout sur les murs
de la ville, et à certains endroits, il
y a marqué : “On sait où vous ha-
bitez, on va vous brûler vivant.” »
Une enquête a été ouverte pour
tentative d’assassinat, a an-
noncé, dimanche 2 juillet, Sté-
phane Hardouin, le procureur
de Créteil. La première ministre,
Elisabeth Borne, et le ministre
de l’intérieur, Gérald Darmanin,
se sont rendus sur place dans
l’après-midi. « Le gouvernement
ne laissera passer aucune vio-
lence, a déclaré la cheffe du gou-
vernement. Nous serons aux cô-
tés des maires. On a tous été très
choqués par cette attaque intolé-
rable. On est très mobilisé pour
­rétablir l’ordre républicain. »
Vendredi, la maire de Pontoise
(Val-d’Oise), Stéphanie Von Euw
(Libres !), a affirmé avoir été atta-
quée par des émeutiers la nuit
précédente, rapporte Le Parisien.
Sur Europe 1, Mme Von Euw a
­expliqué avoir été « reconnue »
alors qu’elle se déplaçait en ville.
Son véhicule, a-t-elle raconté, a
été visé par des tirs de feux d’arti-
fice. « Ils m’ont littéralement bom-
bardée. Ensuite, deux émeutiers
ont sauté sur la voiture et ont com-
mencé à la cabosser. J’ai entendu :
“C’est la maire, c’est la maire, on va
se la faire !” », témoigne-t-elle.
D’autres élus ont également
été agressés ces derniers jours.
A Montluçon (Allier), rapporte
La Montagne, l’un d’eux, qui
­tentait avec le maire de calmer des
jeunes s’en prenant à plusieurs
magasins, a reçu une pierre sur la
tête et a été transporté aux urgen-
ces. C’est également le cas de
l’édile (LR) de Charleville-Méziè-
res, Boris Ravignon, visé par des
jets de pierre alors qu’il se trouvait
avec d’autres élus dans le quartier
de la Ronde-Couture, dans la nuit
de vendredi à samedi. Bernard
­Jamet, maire (divers droite) de
Sannois (Val-d’Oise), a également
été pris à partie en voulant défen-
dre l’hôtel de ville, que des jeunes
voulaient incendier, dans la nuit
de jeudi à vendredi.
Le président de l’Association des
maires de France (AMF), David
Lisnard, a fait état auprès de l’AFP
de « 150 mairies ou bâtiments mu-
nicipaux attaqués » depuis mardi
27 juin. « Une première dans l’his-
toire du pays. » Dans ce contexte
de violences urbaines, qui ciblent
désormais les élus, l’AMF a lancé
Dimanche après-midi, les rues
de cette commune de 32 000 ha-
bitants étaient redevenues aussi
paisibles qu’à l’ordinaire. Les en-
fants étaient de sortie, les plus
grands lézardent en bande au so-
leil. Seules des équipes de télévi-
sion, françaises, mais aussi an-
glaise ou autrichienne, venaient
troubler l’harmonie ambiante
et le train-train d’habitants tout
aussi éberlués que Maurice,
73 ans, en polo bleu et sandales,
qui prend des photos de la mairie
durant sa promenade quoti-
dienne. Mais il ne pourra pas
­cocher les cases de son Loto,
comme à son habitude, car tous
les tabacs alentour sont fermés.
« Ces barbelés devant la mairie,
ce n’est pas pour les vaches… Im-
pressionnant. La mairie a brûlé il
y a une dizaine d’années, toutes les
archives avaient cramé… C’était
accidentel. Mais sinon, je n’ai pas
vraiment de souvenirs de bazar en
ville. Il ne se passe jamais rien. » Il
se gratte la tête un moment en
fronçant les sourcils pour déni-
cher la trace d’un incident majeur
depuis 1958. « Ah si ! Il y a eu une
tentative d’évasion à la dynamite
à la prison de Fresnes, toute pro-
che… Et aussi, il y a deux ou trois
ans, un dealer en fuite qui s’était
fait tirer dessus… Mais sinon, non,
je ne vois pas. »
Enigmatique
A L’Haÿ-les-Roses, évidemment,
il y a une roseraie, « l’une des plus
belles d’Europe », selon Maurice,
un centre-ville fonctionnel sans
place véritable, surtout des pa-
villons et des jardinets à perte de
vue, et « oui, un quartier un peu
chaud, la Vallée aux renards, mais
qui n’a rien à voir avec les cités de
Cachan ou de Villejuif ».
Samedi soir, Valérie, retraitée,
était chez elle, à proximité de la
mairie, occupée « à tailler [ses]
lauriers quand j’ai entendu des
voix très fortes qui sortaient de
haut-parleurs. J’ai trouvé ça bi-
un appel à des rassemblements
« sur le perron de chaque mairie »
lundi 3 juillet, à midi, pour récla-
mer un « retour à la paix civile ».
Maire (Union des démocrates et
des indépendants, UDI) d’Auber-
villiers (Seine-Saint-Denis), ville
de banlieue limitrophe de Paris
­confrontée à plusieurs nuits de
violences, Karine Franclet consi-
dère qu’avec l’attaque de L’Haÿ-
les-Roses, un palier a été franchi.
« Profondément choquée », elle
ressent également de « la colère » :
« Nous les maires, on est en pre-
mière ligne, la dernière lumière
qui s’éteint dans la ville, rappelle-t-
elle. On passe notre temps à
­essayer de trouver des solutions. »
En fonction depuis 2020, Karine
Franclet raconte avoir été, elle
aussi, victime de violences, en
mars 2021, lorsqu’elle a voulu
­sécuriser l’accès au parking de la
mairie. Une semaine plus tard,
sa voiture y était incendiée, et
­plusieurs autres à la suite.
« Aujourd’hui, soupire-t-elle, je
suis la consigne qui m’impose de
ne jamais être seule. Et la police
municipale sécurise mes déplace-
ments et mon domicile. »
« Extrêmement grave »
Il est manifestement de plus en
plus compliqué d’être maire en
France. En témoigne le nombre
élevé de démissions (1 300 depuis
2020, sur environ 35 000 commu-
nes). ­Entre 2021 et 2022, le nom-
bre d’agressions d’élus réperto-
riées est passé de 1 720 à 2 265, soit
un bond de 32 %. Le 10 mai, la dé-
mission du maire (divers droite)
de Saint-Brevin-les-Pins (Loire-At-
lantique), Yannick Morez, après
Émeutes urbaines | 7
« On n’a jamais
eu de problème
avec le maire.
On est surpris.
Sincèrement,
la ville est
tranquille »
Mohamed
comptable
zarre car inhabituel. Et ce matin,
on apprend que la maison du
maire a été attaquée. Je ne com-
prends pas, on n’a tellement ja-
mais de problèmes ici… ».
Une imprévisible secousse tel-
lurique qui brouille les repères.
« Ça fait drôle, poursuit-elle.
Même si on n’est pas en Ukraine
ou en guerre civile, cela nous rend
inquiets, tout de même. Ils vont
s’en prendre à qui, la prochaine
fois ? » La commune a subi des dé-
gradations mineures au regard
de l’attaque du domicile de
l’édile : le distributeur automati-
que de La Poste a été incendié,
les vitres des nouvelles halles ont
été abîmées, des poubelles et une
voiture ont été brûlées. Valérie
conclut, énigmatique : « Pourquoi
ces jeunes s’en sont-ils pris au
maire de cette façon ? Je ne sais
pas ce qu’il a pu faire ou dire pour
qu’on en arrive là. »
Maurice, qui fut expert-comp-
table pour le journal Le Nouveau
Détective, s’interroge tout
autant. Il lance spontanément
quelques hypothèses en nous
menant devant la rue où le maire
a élu domicile, bloquée par une
voiture de police : « Je ne savais
même pas laquelle de ces maisons
était la sienne. Comment ont-ils
eu son adresse ? Depuis qu’il a été
élu – en 2014 –, le maire a installé
des caméras de surveillance un
l­ ’incendie criminel de sa maison,
avait provoqué une indignation
générale au sein de la classe poli-
tique. Lui était en butte aux inti-
midations de certains habitants
et de groupes d’extrême droite.
« On est en train de démolir la
­démocratie. C’est extrêmement
grave », se désole Françoise Gatel,
sénatrice centriste d’Ille-et-Vi-
laine. Celle qui est également
­présidente de la délégation séna-
toriale aux collectivités territoria-
les prévient avec solennité :
« Maintenant, les républicains
- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense
– Tour A – 110 esplanade du Général de
Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX
(RCS NANTERRE 842 689 556), succur-
sale de QBE EUROPE SA/NV, dont le siège
social est à 37, Boulevard du Régent, 1000
BRUXELLES - BELGIQUE, fait savoir que,
la garantie financière dont bénéficiait la :
ARGIMMO SARL
47 Chemin de Palau Del Vidre 66700
ARGELÈS-SUR-MER RCS: 451 374 920
depuis le 01/07/2004 pour ses activités de
: TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES
ET FONDS DE COMMERCE depuis le
07/04/2017 pour ses activités de : GESTION
IMMOBILIERE cessera de porter effet trois
jours francs après publication du présent avis.
Les créances éventuelles se rapportant à ces
opérations devront être produites dans les trois
mois de cette insertion à l’adresse de l’Établis-
sement garant sis Cœur Défense – Tour A –
110 esplanade du Général de Gaulle – 92931
LA DEFENSE CEDEX. Il est précisé qu’il
s’agit de créances éventuelles et que le pré-
sent avis ne préjuge en rien du paiement ou du
non-paiement des sommes dues et ne peut en
aucune façon mettre en cause la solvabilité ou
l’honorabilité de la SARL ARGIMMO.
▶▶▶
peu partout, ce qui n’a pas plu aux
dealers qui profitaient de la quié-
tude des environs pour faire leurs
petites affaires. Ça les dérange !
Peut-être profitent-ils de la confu-
sion régnante pour intimider le
maire. Il passe aussi sur BFM-TV…
Est-ce que ses déclarations sou-
vent énergiques énervent ? Et puis,
il a ce grand projet de réhabilita-
tion des abords de l’église qui est
systématiquement bloqué par
l’opposition municipale… Mais
bon, ça irait loin, là… »
« Des voyous venus d’ailleurs »
Mohamed, 34 ans, qui habite
juste en face de la mairie, comp-
table, prend la parole au milieu
des amis qui l’attendent pour al-
ler disputer le traditionnel
match de foot du dimanche. Il est
dubitatif sur l’existence d’un lien
direct entre les émeutes qui se-
couent le pays et l’attaque ad ho-
minem du maire : « On n’a jamais
eu de problème avec le maire. On
est surpris, choqués. Sincèrement,
la ville est tranquille, conviviale
même. Pour nous, ce sont des
voyous venus d’ailleurs. Et on
aimerait comprendre ce qu’il s’est
passé. » Mohamed et les autres
évoquent, pourquoi pas, un rè-
glement de comptes ou un
­message personnel passé vio-
lemment sous forme d’ultime
avertissement.
Contacté, le parquet s’en tient,
pour l’instant, aux éléments de
contexte, des violences urbaines
qui visent des mairies, symboles
de l’autorité républicaine, pour
expliquer le mobile de telles exac-
tions. Mais la justice attend les
premières conclusions de la po-
lice scientifique – qui a découvert
sur place un produit « accélé-
rant » dans une bouteille de
­Coca-Cola – pour explorer toutes
les pistes, y compris celles qui
ne seraient pas liées directement
au soulèvement général qui per-
dure depuis cinq jours. p
Laurent Telo
­ oivent dire : “ça suffit”. » « Il faut
d
aujourd’hui oser se poser la ques-
tion : “notre République, c’est
quoi ? ” », estime la sénatrice,
à l’unisson de nombreux maires,
devant les scènes quotidiennes
de chaos qui dévastent des villes
partout en France. Elle considère
que l’on est « au bout d’un modèle
très permissif où l’individu est
roi », qu’« il faut un sursaut, et
­bâtir un projet de société » qui
­réhabilitera l’autorité, « au sens
de l’exigence et du respect ». p
Benoît Floc’h
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense
– Tour A – 110 esplanade du Général de
Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX
(RCS NANTERRE 842 689 556), succur-
sale de QBE EUROPE SA/NV, dont le siège
social est à 37, Boulevard du Régent, 1000
BRUXELLES - BELGIQUE, fait savoir
que, la garantie financière dont bénéficiait
la :
GNN GESTION SARL
32 Rue Poncelet
75017 PARIS RCS: 879 170 322
depuis le 29/01/2020 pour ses activités de :
GESTION IMMOBILIERE cessera de por-
ter effet trois jours francs après publication
du présent avis. Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront être
produites dans les trois mois de cette inser-
tion à l’adresse de l’Établissement garant sis
Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du
Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE
CEDEX. Il est précisé qu’il s’agit de
créances éventuelles et que le présent avis
ne préjuge en rien du paiement ou du non-
paiement des sommes dues et ne peut en au-
cune façon mettre en cause la solvabilité ou
l’honorabilité de la SARL GNN GESTION.

8 | Émeutes urbaines
Olivier Klein, ministre délégué au logement et à la politique de la ville, à Matignon, le 30 juin. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
Klein, ministre dans la tourmente
Chargé de la ville au sein du gouvernement, l’ancien maire de Clichy-
sous-Bois confie ses inquiétudes sur les conséquences des émeutes
C’
était le soir du 31 oc-
tobre 2005, Clichy-
sous-Bois (Seine-
Saint-Denis) venait
de connaître plusieurs nuits
d’émeutes urbaines causées par la
mort de deux adolescents, Zyed
Benna et Bouna Traoré, électrocu-
tés après s’être réfugiés dans l’en-
ceinte d’un poste électrique pour
échapper à un contrôle policier.
Olivier Klein, 38 ans, était premier
adjoint communiste au maire de
Clichy-sous-Bois, Claude Dilain,
chargé de la politique de la ville. Il
s’était assis sur un banc dans un
couloir de la mairie, épuisé par
des heures de médiation.
C’était une autre époque, avant
la vague de terrorisme, et ce
soir-là, une soixantaine de volon-
taires, des hommes barbus, en
­tenue blanche traditionnelle, mo-
bilisés par la mosquée, s’étaient
interposés entre les jeunes et les
forces de l’ordre, limitant puis
empêchant les jets de pierre.
« Dans l’urgence, toutes les bonnes
volontés sont importantes, expli-
quait Olivier Klein à l’issue d’une
soirée de tensions extrêmes. Leur
présence a contribué à apaiser les
choses. » Ajoutant : « J’espère qu’on
ne regrettera pas un jour. »
Dix-huit ans plus tard, Olivier
Klein, devenu ministre délégué
au logement et à la politique de la
ville, semble tout aussi épuisé. La
nuit du vendredi 30 juin au
­samedi 1er juillet, il l’a passée à Pa-
ris, et non pas dans son pavillon
de Clichy-sous-Bois. Afin de ne
pas avoir à mobiliser de ressour-
ces policières, trop utiles ailleurs,
pour sa protection. « Je suis inter-
pellé par ce que nous vivons mais
pas découragé », explique-t-il au
téléphone avant de partir à
­Persan (Val-d’Oise), où la mairie a
été incendiée dans la nuit.
Le ministre a participé la veille
au comité interministériel des
­villes et à la cellule de crise au mi-
nistère de l’intérieur. Sur France
Inter, il avait déclaré, vendredi,
que le recours à l’état d’urgence,
comme en 2005, constituerait un
« aveu d’échec ». Le propos est
moins définitif, vingt-quatre heu-
res plus tard, après des nuits – et
des jours – de violences et de pilla-
ges : « A ce stade, rien de ce qui peut
permettre le retour au calme ne
doit être écarté. »
L’élu a passé du temps à Clichy-
sous-Bois pour tenter de com-
prendre la gravité de la crise : « Les
parents et même les jeunes que j’ai
vus n’aspirent qu’à une chose, c’est
que ça s’arrête. » Même les média-
teurs les plus aguerris, dit-il, ont
ressenti un sentiment d’impuis-
sance face à des jeunes, très
­jeunes, perçus comme « incontrô-
lables ». Avec un phénomène
d’« émulation » et d’« auto-entraî-
nement » dans la destruction.
L’ancien maire de Clichy-sous-
Bois souligne que le discours du
président de la République, Em-
manuel Macron, de la première
ministre, Elisabeth Borne, et l’atti-
tude de la justice après la mort de
Nahel M. n’avaient rien à voir avec
2005, lorsque Nicolas Sarkozy
était ministre de l’intérieur, et
que Zyed Benna et Bouna Traoré
sont morts. A l’époque, le premier
plan Borloo venait certes d’être
mis sur les rails, mais la police de
proximité avait été supprimée et
une partie des crédits pour les
­associations de banlieue annulée.
Bouc émissaire
La violence (« insupportable ») le
désarçonne. Les pillages encore
plus. « J’avoue mon incompréhen-
sion, dit-il. En quoi ça reste une
réaction de colère au décès d’un
jeune homme ? » La mairie de
­Clichy-sous-Bois a été dégradée.
Plus grave, la bibliothèque a été
partiellement détruite par un
­incendie. « Hier, j’ai vu des grands,
des étudiants, des lycéens énervés,
très énervés, que les petits s’en
prennent à des lieux aussi impor-
tants pour eux », rapporte-t-il. De
la complexité du regard sur la
banlieue où les actes de quelques-
uns balaient les vies et les
­opinions de tous les autres.
La politique de la ville est l’éter-
nel bouc émissaire. Jamais suffi-
sante. Toujours trop chère. Et
­évaluée à la lumière des violences
urbaines récurrentes depuis
­quarante ans. Olivier Klein a
­présidé l’Agence nationale de ré-
« Dans ces quartiers,
on investit beaucoup.
Mais la réalité montre
que ce n’est pas qu’une
question de moyens »
Olivier Klein
ministre délégué au logement
et à la politique de la ville
novation urbaine, l’outil inventé
par Jean-Louis Borloo, le Jack Lang
de la politique de la ville. Son bi-
lan, près de vingt ans après son
lancement, est incontestable. Sur
le plan de l’urbanisme en tout cas.
« Dans ces quartiers, on investit
beaucoup, assure-t-il. Mais la réa-
lité montre que ce n’est pas qu’une
question de moyens. Ce qui nous
rattrape, c’est le temps de l’action
publique, c’est pas tellement ce que
l’on fait, c’est en combien de temps
on le fait. On agit fort mais les
­résultats sur le terrain ne sont pas
assez rapides, c’est surtout ça. » Le
ministre espère pouvoir déver-
rouiller rapidement le dossier des
copropriétés dégradées où
­s’entasse depuis vingt ans toute la
misère du monde – au sens
­propre. Claude Dilain, en avait fait
une bataille politique.
A Clichy-sous-Bois, les dossiers
avancent. Mais toujours trop
­lentement. Le chantier du métro,
impressionnant, progresse lente-
ment, comme ailleurs. Le tram-
way – obtenu de haute lutte après
les émeutes de 2005 – fonctionne
ainsi depuis 2019. Mais une partie
des terrains le long de son axe sont
restés vierges de toute construc-
tion alors que les besoins sont im-
menses. A cause d’études environ-
nementales rendues obligatoires
par « un putain de crapaud-je-ne-
sais-quoi », s’énerve-t-il en privé.
Le ministre s’agace aussi quand
ses interlocuteurs, notamment
les maires de banlieue, lui
­renvoient le refus de M. Macron
de mettre en œuvre les recom-
mandations de M. Borloo en 2018.
L’épisode avait été vécu comme
un camouflet et, plus grave,
comme la preuve que le chef de
l’Etat se désintéressait du sujet.
Olivier Klein rétorque en citant
les milliards de la rénovation ur-
baine engagés pendant le premier
quinquennat. Il veut développer
les cités éducatives pour agir à la
racine des tensions : « Il faut dire à
ces gamins qu’on est là pour leur
égalité des chances, que l’école va
jouer tout son rôle pour eux. Ils ont
les meilleurs enseignants de ce
pays parce que ce sont des ensei-
gnants motivés. » Même si l’école
ne peut pas tout : « Passé 22 heu-
res, quand on a 14 ans, on est à la
maison ! », clame-t-il, en appelant
à la responsabilité des parents.
« Une question de sur-mesure »
Depuis sa prise de fonction minis-
térielle, il a été critiqué par ses in-
terlocuteurs, y compris au sein de
l’exécutif. Pas assez de poids poli-
tique. Et des choix rejetés par les
élus et les lobbys pour leur man-
que d’ambition. L’ex-militant
communiste est un modéré.
Quelques semaines avant d’arri-
ver au ministère, dans un café du
Raincy, la ville bourgeoise voisine
de sa commune, alors que son
nom circulait, notamment du fait
de sa proximité avec Brigitte Ma-
cron, très présente à Clichy-sous-
Bois pour soutenir les projets
éducatifs, il donnait une vision
très technique de sa mission : « La
question n’est pas de faire le
“grand soir” dans les quartiers po-
pulaires. C’est plutôt une question
de politiques publiques, de sur-me-
sure qu’il faut mettre en place. »
La banlieue, cet objet politique
tellement sensible. Olivier Klein
sait aussi que les habitants des
quartiers populaires s’abstien-
nent massivement aux élections
et que, à l’inverse, la stigmatisa-
tion des quartiers est rentable
électoralement, et le sera sans
doute un peu plus après ces épiso-
des d’émeutes. « Il ne faut pas jeter
l’opprobre sur ces quartiers et
se dire : “C’est la part du feu, ça
­explose une fois tous les vingt ans,
c’est pas si grave” », prévient-il,
comme en écho à ses craintes
­formulées il y a dix-huit ans. p
Luc Bronner
La position de Mélenchon
critiquée même à gauche
Socialistes, écologistes et communistes
lui reprochent son refus d’appeler au calme
D es prises de position qui
marquent une vraie dif-
férence avec celles de ses
­alliés. Depuis le début des émeu-
tes urbaines, à la suite de la mort
de Nahel M., mardi 27 juin, le fon-
dateur de La France insoumise
(LFI), Jean-Luc Mélenchon, et ses
troupes sont pointés du doigt par
le camp présidentiel, la droite et
l’extrême droite, qui leur repro-
chent de ne pas condamner fer-
mement les violences et les pilla-
ges et de jeter de l’huile sur le feu.
Mais pas seulement. A gauche, les
autres forces de la Nouvelle Union
populaire écologique et sociale
(Nupes) – socialistes, communis-
tes et écologistes – critiquent éga-
lement le leader des « insoumis »,
en déplorant qu’il n’appelle pas
à l’apaisement.
Dimanche 2 juillet, sur LCI,
M. Mélenchon refusait toujours
« d’appeler au calme ». Il n’a pas
non plus voulu soulever la res-
ponsabilité des casseurs, qui com-
mettent les actes de violence. « Ce
sont les pauvres qui s’insurgent »,
a-t-il affirmé, en estimant que les
policiers « sont responsables d’une
partie de la situation ». Et d’ajou-
ter : « C’est celui qui porte l’autorité
qui porte la responsabilité. »
Deux jours plus tôt, le triple can-
didat à la présidentielle faisait le
tri entre les dégradations accepta-
bles et les autres. Dans une vidéo
diffusée après le saccage de nom-
breux services publics, il deman-
dait aux « plus jeunes » de ne « pas
toucher » aux écoles, aux biblio-
thèques et aux gymnases, en les
présentant comme « notre bien
commun ». « Cela veut dire quoi,
que tout le reste, on peut le brû-
ler ? », s’est interrogé, samedi
1er juillet, à Lyon, l’ancien premier
ministre de François Hollande,
Bernard Cazeneuve. Il assistait
aux journées d’été de la maire de
Vaulx-en-Velin (Rhône), Hélène
Geoffroy, à la tête d’un courant op-
posé à la Nupes. Egalement pré-
sent, le premier secrétaire du PS,
Olivier Faure, accusé d’avoir in-
féodé le parti à LFI, a été une nou-
velle fois sommé de se justifier. Il a
dû concéder « un profond désac-
cord » avec le leader des « insou-
mis » : « Nous n’avons pas à encou-
rager les exactions sur les commer-
ces et les biens publics. »
Les prises de position de Jean-
Luc Mélenchon tranchent avec le
reste de la Nupes, qui a condamné
sans réserve les violences de ces
derniers jours. Interrogé sur Fran-
ceinfo, samedi, Fabien Roussel a
reconnu tenir « un discours diffé-
rent » du leader de LFI. Le chef de
file communiste a précisé qu’il
avait « dès le début » appelé « au
calme », comme les écologistes, et
a refusé d’établir une hiérarchie
entre les dégradations commises
ces derniers jours.
Débat anesthésié
Jean-Luc Mélenchon poursuit sa
stratégie de conflictualité et
­semble même avoir changé de
­logiciel idéologique. En 2012, alors
à la tête du Front de gauche, ­il avait
qualifié de « crétins », de « larbins »
et de « bouffons » de « la société
­capitaliste » les auteurs de violen-
ces et de dégradations sur des bâ-
timents publics à Amiens, après la
mort d’un jeune à scooter. Il les
avait distingués du reste de la jeu-
nesse en proie au désespoir social,
s’attirant les foudres de la gauche
anticapitaliste, l’un des courants
de son parti. « Loin d’être le fruit de
“casseurs” (…), les émeutes partici-
pent de l’actualité politique et so-
ciale », jugeait ce courant dans une
tribune publiée sur le site de L’Obs,
estimant que le Front de gauche
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023
Le chef de file de
La France insoumise
n’évoque pas
des émeutes, mais
une « révolte »
n’avait « rien à gagner à tourner le
dos aux révoltes urbaines et aux
luttes des quartiers populaires ».
Dix ans plus tard, Jean-Luc Mé-
lenchon n’avait pas hésité à fusti-
ger « les violences parasites du
­1er-Mai », qui « invisibilisent la mar-
che des syndicats et servent la pro-
pagande à nos pires adversaires ».
Une nouvelle fois, cette sortie
avait suscité la colère à l’extrême
gauche. Révolution permanente,
organisation trotskiste issue du
Nouveau Parti anticapitaliste
(NPA), l’avait alors accusé de faire
le distinguo « entre les “bons” et les
“mauvais” manifestants ». Désor-
mais, plus question de jeter l’op-
probre sur qui que ce soit. Jean-
Luc Mélenchon n’évoque pas des
émeutes, mais une « révolte ». Une
terminologie qui assimile les évé-
nements dans les quartiers à un
soulèvement populaire, donc po-
litique. La députée LFI de Seine-
Saint-Denis Aurélie Trouvé corro-
bore l’analyse de son mentor.
Que se serait-il passé si, « en 1789,
en 1968, on avait dit “calmez-
vous” ? », s’interroge-t-elle.
Le NPA évoque, lui aussi, des « ré-
voltes urbaines », comme Révolu-
tion permanente. « Pour les “gilets
jaunes” on parle de révolte ; pour
les quartiers populaires, on parle
d’émeutiers », déplore le cheminot
Anasse Kazib, l’une des figures de
l’organisation trotskiste. L’organi-
sation politique a salué en creux
ce virage sur l’aile de M. Mélen-
chon. Dans son dernier éditorial,
elle a accusé « le PCF, le PS, et EELV »,
de jouer « le jeu de Macron face aux
révoltés », évitant de citer LFI.
­Samedi, à l’initiative de la CGT, la
FSU, Solidaires, Attac et SOS-Ra-
cisme, une réunion en ligne s’est
tenue entre les différentes organi-
sations de gauche. Le NPA et LFI y
ont participé. Là aussi, il a plutôt
été question de « révolte » que
d’« émeute », rapporte un témoin.
Pour le sociologue et directeur
de recherche émérite au CNRS
­Olivier Galland, l’extrême gauche
se trompe d’analyse. Dans la re-
vue Telos, le chercheur souligne le
« caractère apolitique », voire « an-
tipolitique » du mouvement. « Les
émeutiers n’ont pas vraiment
de revendications à faire valoir » et
ne cherchent pas « de relais politi-
que pour les exprimer », dévelop-
pe-t-il. « Mélenchon fait le calcul
que les conflits – sociaux, climati-
ques… – vont se multiplier et que
tout ce qui va dans ce sens va lui
être favorable », estime le politolo-
gue Rémi Lefebvre. Au sein de LFI,
certains pensent le septuagénaire
­convaincu que la société est arri-
vée à un moment insurrectionnel
qu’il faudrait pousser.
Une nouvelle fois, cette stratégie
clivante n’a pas fait l’objet de
­débat au sein de LFI. « A La France
insoumise, notre position est une
évidence. On dit la même chose de
manière différente », défend Auré-
lie Trouvé. En réalité, certains ne
partagent pas l’analyse et se dé-
solent des sorties du fondateur,
qui anesthésient le débat. Ainsi,
le « plan d’urgence de sortie de
crise » concocté par LFI, compor-
tant des mesures pour la police
et les quartiers, passe complète-
ment ­inaperçu. p
Sandrine Cassini
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023
Les enseignants de banlieue désemparés
Les professeurs sont marqués par les violences, d’autant que nombre d’émeutiers ont l’âge de leurs élèves
Témoignages
L
e vertige du pressenti-
ment a rapidement suc-
cédé à l’effroi des images.
Il était environ midi,
mardi 27 juin lorsque Claire (les
enseignants cités par leur pré-
nom ont souhaité rester anony-
mes) a appris la mort de Nahel M.,
17 ans, tué par un policier à
­Nanterre. « J’ai eu l’impression d’un
jet de flammes sur un baril de pou-
dre », relate l’enseignante d’histoi-
re-géographie au lycée Joliot-Cu-
rie de la préfecture des Hauts-de-
Seine, chez qui l’inquiétude
monte vite quant au risque d’em-
brasement. Elle sait qu’une bonne
partie des élèves de l’établisse-
ment vit dans les tours de la cité
Pablo-Picasso et apprend qu’ils
sont très nombreux à connaître
Nahel. Elle connaît aussi la tension
permanente entre ces jeunes et la
police. « Dans notre travail, on sent
du désespoir et de la colère chez nos
élèves et anciens élèves, qui peu-
vent les pousser à une forme de ni-
hilisme », explique la professeure,
en poste à Nanterre depuis 2009.
Comme elle, tous les ensei-
gnants de banlieues que Le
Monde a interrogés observent les
violences qui ont émaillé les nuits
et certaines journées de centaines
de communes françaises depuis
mercredi avec d’autant plus d’af-
fliction qu’une large partie des
émeutiers sont en âge d’être leurs
élèves : un tiers des 2 000 person-
nes interpellées depuis le début
des troubles ont moins de 18 ans,
certains sont même âgés de
12 ans. En dépit du choc, chez eux
domine le fatalisme de ceux
qui constatent au quotidien que
la crise est profonde.
« C’était une Cocotte-Minute, dé-
plore Chiraz, enseignante de phy-
sique-chimie dans un collège de
Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise),
où la mairie a été incendiée et où
des appels à s’en prendre au col-
lège ont circulé sur les réseaux so-
ciaux. Tous les éléments étaient
réunis pour que ça tourne mal. »
A commencer par la fracture en-
tre la police et les adolescents, que
la vidéo de la mort de Nahel est
venue creuser un peu plus. Chiraz
qui, à 35 ans, n’a « jamais eu affaire
à la police que pour demander
[son] chemin », travaille avec des
élèves, notamment des garçons,
qui, dès 11 ou 12 ans, témoignent
de contrôles, de fouilles, d’invecti-
ves, de courses-poursuites avec
les forces de l’ordre, voire d’alter-
cations violentes. « Les violences
policières font partie de leur vie,
ils ne voient pas la police comme
une protection », observe la pro-
fesseure, à qui ses collègues font
tous échos pour décrire un pro-
fond sentiment « d’arbitraire ».
A Montreuil, Benjamin Marol
entend aussi cette « peur de la
­police » que partagent beaucoup
de ses collégiens de REP+. L’ensei-
gnant d’histoire-géographie est
parfois amené à aborder les
émeutes de 2005 en 3e et a face à
lui certains élèves qui, bien que
beaucoup trop jeunes pour avoir
connu les événements, connais-
« On essaye de faire
vivre les valeurs
“liberté, égalité,
fraternité”, mais
les élèves nous disent
qu’ils ne vivent aucun
de ces trois mots »
Gundo Diawara
conseillère principale d’éducation
Émeutes urbaines | 9
sent l’histoire de Zyed Benna et
Bouna Traoré, morts électrocutés
ment sont surreprésentés en ly-
cée professionnel, où un tiers des
parvenu et les en dissuader, rap-
pelant que l’école était celle de
« Les violences « voi[t] très bien quels gamins
­risquent de s’engouffrer » et « es-
à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint- élèves décrochent, et à l’issue du- « leur petits frères et sœurs ». « Ces policières font père surtout que, si ça dérape,
Denis) en 2005 en essayant de fuir quel seule la moitié des bacheliers gamins étaient dans mes classes ils ne seront pas là ».
un contrôle de police. Il constate a un emploi au bout d’an, tandis il y a quelques années…, se désole partie de leur vie, Ils partagent aussi le même sen-
surtout chez tous, ou presque, la que seuls 53 % de ceux qui pour- cet homme de 50 ans face à ce timent d’impuissance et la même
même réaction : « Je sais qu’une suivent leurs études obtiennent ­cercle vicieux. Ce sont des décen- ils ne voient pas appréhension pour les jours à ve-
partie des gens se demanderaient leur BTS en deux ou trois ans. nies de travail dans nos quartiers la police comme nir, alors que les cours ont pris fin
pourquoi ces jeunes courent s’ils « Ce sont des populations stig- qui partent en fumée. » dans les collèges et lycées. « Il n’y
n’ont rien à se reprocher mais, moi, matisées, précarisées et ghettoï- une protection » a plus moyen d’échanger, de met-
mes élèves disent que, “évidem- sées où l’amertume et l’humilia- « Effet de groupe » tre des mots, de réfléchir avec eux
Chiraz
ment”, ils partent en courant tion laissent place à la colère et la Depuis des jours, les enseignants à ce qu’il se passe, de prendre du
professeure de physique-chimie
quand ils voient la police. » rage viscérale », se désespère un des quartiers s’interrogent. Dans recul », regrette Séverine, profes-
Au-delà de cette défiance que les directeur d’école de Creil, dans quelle mesure leurs élèves sont- seure dans un lycée de Seine-
années ancrent chez leurs élèves, l’Oise, qui a requis l’anonymat. ils impliqués dans les actes de Saint-Denis, dans la proche ban-
la communauté éducative de ces Dans la nuit du jeudi 29 au ven- violence et les dégradations, que entraîner de nombreux adoles- lieue parisienne. Comme ses col-
« quartiers sensibles », dont la dredi 30 juin, un groupe de jeunes toute la communauté éducative cents, même ceux qui ne revendi- lègues, elle ignore si ses élèves
géographie épouse celle de la pré- adolescents a tenté de s’en pren- condamne ? Même s’ils ne le sont quent rien », estime Arthur, pro- sont dans la rue, mais sait que,
carité et de la ségrégation socios- dre à l’établissement après avoir pas, comment vivent-ils ce mo- fesseur d’éducation physique et quoi qu’il en soit, « l’école ne
patiale, voit aussi dans l’explo- incendié des voitures et des com- ment ? « L’effet de groupe et les ré- sportive dans un collège de Sei- pourra pas faire tampon ». p
sion de violences le fruit d’un merces. Le gardien, présent, est seaux sociaux sont de nature à ne-et-Marne. Dans ses classes, il Éléa Pommiers
­sentiment de relégation contre
­lequel l’école, service public pour-
tant présent dans tous les territoi-
res, a du mal à lutter.
« On leur transmet et on essaye
de faire vivre les valeurs républicai-
nes de “liberté, égalité, fraternité”,
mais les élèves nous disent qu’ils
ne vivent aucun de ces trois mots »,
constate Gundo Diawara,
­conseillère principale d’éducation
dans un collège de Garges-lès-Go-
nesse et secrétaire nationale du
Front de mères, un syndicat de pa-
rents dont le but est de lutter
­contre les discriminations et vio-
lences que subissent les enfants.
Dans cette ville, le taux de pau-
vreté approche les 40 %. « Nos élè-
ves habitent à quinze minutes de
Paris gare du Nord et vivent dans
une profonde précarité, la violence
fait partie de leur vie, ils manquent
de services publics et ils ont l’im-
pression d’être abandonnés face à
tout ça », abonde Chiraz, l’ensei-
gnante de physique-chimie. En
2022, dans l’engrenage des guer-
res de gangs, un adolescent a été
poignardé dans le lycée de secteur,
que beaucoup de ses élèves de 3e
cherchent désormais à fuir. « Ils
ont demandé des dérogations pour
l’éviter, mais aucune n’a été accep-
tée. Les élèves ont peur d’y aller,
mais on n’a rien d’autre à leur pro-
poser », se désole l’enseignante.
Le poids de l’ancrage social
S’ajoute une lente détérioration
des services publics qui ne fait
qu’accentuer les difficultés. « On
manque d’infirmières scolaires,
d’assistantes sociales, de profs,
on a trop peu de médiateurs, de
centres sociaux… », liste Abdel
­Mesbahi, de la Fédération des
­conseils de parents d’élèves
(FCPE) dans les Hauts-de-Seine,
qui rappelle que « la sonnette
d’alarme est tirée depuis des an-
nées ». « Nous connaissons de
grandes réussites dans les quar-
tiers, les élèves réalisent de belles
choses, mais l’école ne peut pas lut-
ter contre tous les maux sociaux.
Nous les formons à une citoyen-
neté dans laquelle ils ne se retrou-
vent souvent pas dans leur quoti-
dien », analyse Mohand-Kamel
Chabane, professeur d’histoire-
géographie à Paris et coauteur de
Parce que chaque élève compte
(éditions de l’Atelier, 2022).
Ces enseignants le savent, le
poids de l’ancrage social entache
la promesse de l’école de la
­République pour leurs élèves.
Presque 95 % des collèges d’édu-
cation prioritaire renforcée
(REP+) se situent parmi le quart
des établissements ayant les plus
faibles moyennes à l’écrit du bre-
vet. Près des trois quarts des élè-
ves de 6e de ces établissements
ont des parents ouvriers ou inac-
tifs, deux fois plus que dans le
reste de l’enseignement public,
quatre fois plus que dans le privé
sous ­contrat. Les élèves les plus
fragiles socialement et scolaire-
 International
10 |
Hakan Fidan, ministre turc des affaires étrangères, devant les portraits de Mustafa Kemal (à gauche) et de Recep Tayyip Erdogan, le 5 juin à Ankara. MURAT GOK/Anadolu Agency via AFP
Hakan Fidan, la « boîte noire » d’Erdogan
Le chef de la diplomatie turque, ancien maître espion, a été l’exécuteur des basses œuvres du maître d’Ankara
Portrait
Istanbul - correspondant
P
endant treize ans,
­Hakan Fidan est resté
dans l’ombre de son pro-
tecteur, toujours pré-
sent, là quand il le faut, dans les
réunions, dans les coulisses et sur
les photos protocolaires, mais à
bonne distance. Lorsque le prési-
dent turc, Recep Tayyip Erdogan,
voyageait à l’étranger, en compa-
gnie de son ministre des affaires
étrangères, Mevlut Çavusoglu, il
était l’autre homme de la déléga-
tion, prince des ténèbres de la po-
litique, aussi efficace que discret.
Aujourd’hui chef de la diploma-
tie turque, Hakan Fidan n’a jamais
beaucoup parlé, mais, lorsqu’il di-
rigeait le Milli Istihbarat Teskilati
(MIT), les services de renseigne-
ment turcs, sa voix n’en portait
pas moins. Il avait l’oreille du chef
de l’Etat. Au point qu’on le présen-
tait comme le responsable politi-
que le plus puissant du pays après
son mentor. Le fidèle d’entre les
­fidèles, longtemps chargé des bas-
ses œuvres du régime, et possible
successeur du président. Ce der-
nier n’a-t-il pas un jour affirmé,
dans une formule éloquente, qu’il
était « sa boîte noire » ?
Alors, quand Recep Tayyip Erdo-
gan, réélu, jette son nom en pleine
lumière en le plaçant à la tête du
ministère des affaires étrangères,
la décision ne surprend personne.
Depuis longtemps, on parlait de
lui à ce poste. En tant que chef du
renseignement, Hakan Fidan a
géré les dossiers brûlants du Pro-
che-Orient. C’est lui qui a ­préparé
le terrain à la reprise des relations
avec l’Egypte et l’Arabie saoudite.
Lui, bien plus que son prédéces-
seur Çavusoglu, qui a mené les
tractations avec la Libye et aussi la
Syrie, avec laquelle le président Er-
dogan tente de renouer par l’inter-
médiaire de Moscou.
Devant la presse, lors de la céré-
monie de passation au ministère
des affaires étrangères, le 5 juin, il
s’est fendu d’une phrase : « Je
poursuivrai la vision nationale de
la politique étrangère. » Ankara
défend depuis des années une
­diplomatie fondée sur le concept
d’autonomie stratégique, visant
à déterminer, de manière indé-
pendante, sans influence ni
­contrainte extérieures, sa propre
politique sur la scène internatio-
nale. Un cadre qui colle comme
un gant à cet habile touche-à-tout.
A Londres, le 21 juin, à la confé-
rence internationale sur la re-
construction de l’Ukraine, Hakan
Fidan a affirmé que « la Turquie
[était] déterminée à garantir l’in-
dépendance, la souveraineté et
l’intégrité territoriale de l’Ukraine,
y compris de la Crimée, l’ancienne
patrie des Turcs tatars ». La préci-
sion en dit long sur le degré d’im-
plication du gouvernement turc
sur le dossier ukrainien. Lors
d’une réunion dans la capitale bri-
tannique avec le secrétaire d’Etat
américain, Antony Blinken, qu’il a
croisé à de nombreuses reprises
dans le passé, le nouveau minis-
tre lui donne du « merci, Tony ».
Et, lorsqu’un nouvel exemplaire
du Coran est brûlé à Stockholm, il
n’a pas de mots assez durs : « Tolé-
rer des actes aussi haineux, c’est
être complice. » Le message
s’adresse évidemment à la Suède,
qui voit s’éloigner chaque jour un
Bien plus que son
prédécesseur,
c’est lui
qui a mené
les tractations
avec la Libye
et la Syrie
peu plus la perspective d’une ad-
hésion à l’OTAN, au sommet de
l’Alliance à Vilnius, le 12 juillet, en
raison des blocages hongrois et
turc. C’est aussi une manière de
flatter l’électorat islamo-nationa-
liste, socle du pouvoir d’Erdogan.
A 54 ans, l’ex-chef des services se-
crets possède un avantage rare en
Turquie : il connaît non seulement
l’armée de l’intérieur, mais égale-
ment les arcanes et les méandres
de l’administration civile. Né à An-
kara, d’un père d’origine kurde, il
sort diplômé à 18 ans de l’acadé-
mie militaire et de l’école militaire
des études linguistiques. Il sert
comme soldat pendant quinze
ans, avant de finir son cursus mili-
taire en Allemagne, comme sous-
officier dans une unité de la Force
de réaction rapide de l’OTAN.
Une carrière dans le civil
Titulaire d’un double diplôme – li-
cence de management à l’univer-
sité du Maryland, aux Etats-Unis,
et doctorat en relations internatio-
nales à l’université Bilkent, à d’An-
kara – il décide de poursuivre sa
carrière dans le civil. Auteur d’une
thèse sur la politique énergétique
de l’Iran, il est successivement af-
fecté à l’Agence internationale de
l’énergie atomique, à Vienne, puis
à l’Institut des Nations unies pour
la recherche sur le désarmement, à
Genève, avant de rejoindre
l’Agence turque de coopération et
de développement, levier d’in-
fluence de la Turquie dans les pays
en développement, en particulier
les pays turciques. Vite repéré, il
entre en 2007 dans le cabinet de
Recep Tayyip Erdogan, alors pre-
mier ministre, en tant que sous-se-
crétaire d’Etat adjoint, un poste de
conseiller en politique étrangère.
En 2009, alors qu’Ankara tente
de rapprocher l’Occident et Téhé-
ran sur le dossier du nucléaire ira-
nien, Hakan Fidan, impliqué dans
la médiation, défend le droit de la
République islamique à mener un
programme atomique à des fins
pacifiques. L’année suivante, il est
propulsé à la tête du MIT, les servi-
ces de renseignement turcs.
Il réorganise immédiatement
l’agence, la rendant encore plus
puissante en incorporant le ren-
seignement militaire. Toutefois,
les débuts de cet homme discret,
par nature et fonction, provo-
quent un nombre surprenant de
gros titres dans les médias.
L’homme lige d’Erdogan se re-
trouve au cœur d’une polémi-
que qui éclot en 2013 après la pa-
rution d’un article du Washington
Post. Selon l’éditorialiste David
Ignatius, Israël, qui voit en lui un
ami de Téhéran, l’accuserait
d’avoir transmis à la République
islamique le nom d’une douzaine
de ses espions en Iran.
Dans un long portrait que lui a
récemment consacré le quotidien
suisse de langue allemande Neue
Zürcher Zeitung, on apprend qu’il
aurait aussi entretenu de bonnes
relations avec le général Ghassem
Soleimani, qui dirigeait les opéra-
tions extérieures des gardiens de
la révolution, avant d’être tué par
les Etats-Unis en 2020.
En Syrie, le patron du MIT aurait
aussi organisé des livraisons d’ar-
mes aux rebelles à partir de 2012.
La nouvelle fait sensation lors-
qu’elle sort dans le quotidien d’op-
position Cumhuriyet. Il affirme
que ces convois clandestins par-
viennent non seulement à l’Armée
syrienne libre, mais aussi aux isla-
mistes radicaux. Son rédacteur en
chef, Can Dündar, sera poursuivi
par la justice turque pour ces révé-
lations, avant de s’exiler à Berlin.
Hakan Fidan s’attaque aux dos-
siers les plus sensibles, dont il
rend compte directement au chef
de l’Etat. Pendant plusieurs an-
nées, il joue le rôle d’intermé-
diaire du président dans les tracta-
tions secrètes avec la guérilla
La Turquie
défend une
diplomatie basée
sur le concept
d’autonomie
stratégique. Un
cadre qui colle
comme un gant à
ce touche-à-tout
kurde du Parti des travailleurs du
Kurdistan (PKK). Il se rend à la pri-
son d’Imrali, établissant des rela-
tions de confiance avec le chef em-
prisonné du mouvement, Abdul-
lah Ocalan, qui, dans ses messages
à ses avocats, ne tarit pas d’éloges
à son égard. Au point qu’un juge
d’Ankara ouvrira une enquête, re-
prochant au chef du renseigne-
ment d’entretenir des échanges
« illégaux avec des terroristes ».
Cette fois, c’est M. Erdogan en
personne qui fait barrage. Il as-
sume et prend l’entière responsa-
bilité des négociations. On décou-
vrira plus tard que cet épisode fut
l’un des premiers de la guerre fra-
tricide que les hommes d’Erdogan
livrèrent aux réseaux gülenistes,
des adeptes du prédicateur con-
servateur Fethullah Gülen, très in-
troduits dans l’appareil d’Etat.
L’imam sunnite, aujourd’hui ins-
tallé en Pennsylvanie, a toujours
refusé de se confronter à la ques-
tion kurde. Et Hakan Fidan, con-
trairement à d’autres cadres de la
formation au pouvoir, le Parti de la
justice et du développement, était
connu pour n’avoir que peu de
sympathie pour ladite confrérie.
Le point culminant de cette
guerre survient durant l’été 2016,
avec le coup d’Etat manqué d’une
faction de militaires. Là encore,
Hakan Fidan est aux premières lo-
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023
ges, mais de manière bien
étrange. Dans l’après-midi du
15 juillet, il est informé d’activités
suspectes, notamment sur une
base aérienne près d’Ankara. Le
patron du MIT informe, à 16 heu-
res, le chef d’état-major, Hulusi
Akar, mais pas les autorités civiles.
« J’ai appris la nouvelle par mon
beau-frère à 20 heures », racontera
­Recep Tayyip Erdogan, qui était en
vacances à Marmaris, une ville
balnéaire. Le président ne s’échap-
pera de sa villégiature, dans le jet
du gouvernement, que trois heu-
res après le début du putsch.
« Vous avez raté l’examen »
Une fois la situation reprise en
main, M. Erdogan aurait dit à son
bras droit : « Vous avez raté l’exa-
men », tout en refusant sa démis-
sion. « On ne change pas de cheval
au milieu du gué », a expliqué
l’homme fort d’Ankara, plus tard,
à plusieurs médias. A ce jour, on
ne sait toujours pas si Hakan
­Fidan a hésité parce que ses
­renseignements n’étaient pas as-
sez précis ou s’il a délibérément
laissé les putschistes lancer leur
tentative afin de les cueillir dans
un piège plus grand.
D’après le quotidien Hürriyet, le
débriefing avec le président a duré
plusieurs heures. « Vous avez
maintenant une tache sur votre
parcours », l’aurait tancé M. Erdo-
gan. « Tout ce que vous ordonnerez,
je suis prêt à le faire », aurait ré-
pondu M. Fidan. Par la suite, le
chef du MIT n’a eu de cesse de tra-
quer les responsables du PKK, tout
comme les fidèles du prédicateur
Gülen. Sans un mot, ou presque,
en bon soldat du « reis ». Hakan
­Fidan a prospéré dans les zones
grises du pouvoir, l’opacité propre
au domaine du renseignement l’a
servi. Mais la « boîte noire » est dé-
sormais sous les projecteurs. Il va
devoir s’y habituer. p
Nicolas Bourcier
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023
A Kherson, l’église orthodoxe qui défie la Russie
Dans cette ville d’Ukraine près de la ligne de front, des paroissiens ont rompu avec le patriarcat de Moscou
Reportage
Kherson (Ukraine) -
envoyée spéciale
D
epuis peu, l’église or-
thodoxe de la Nativi-
té-de-la-Vierge-Marie
est plus communé-
ment appelée « l’église aux
couilles d’acier ». L’employée de la
paroisse, Marina Grigorovitch, le
raconte avec une gravité où se
mêle un peu de fierté. A vrai dire,
l’histoire ne prête pas à rire. Situé
à Kherson, dans le sud de
l’Ukraine, l’édifice est régulière-
ment la cible de bombardements
russes et, de temps à autre, cette
quadragénaire lève un œil vers les
cieux, par précaution plus que par
piété : début juin, à la sortie de la
messe, ce sont des grenades qui
sont tombées, larguées par des
drones ennemis. Mais quelle que
soit la manière dont on la
nomme, cette modeste église de
quartier est devenue l’avant-
poste à Kherson – après le départ
des troupes russes et la libération
de la région – d’une guerre qui tra-
verse aussi les sacristies.
Des décennies durant, les égli-
ses orthodoxes ukrainiennes
ont, en effet, souffert d’« une ma-
ladie cachée qu’elles transmet-
taient à leur tour : la propagande
russe », explique Valentyn Horo-
khovskyi, 49 ans, prêtre à la Nati-
vité-de-la-Vierge-Marie, dans le
quartier Kindijka. Aujourd’hui
encore, en parler l’émeut,
comme un secret trop long-
temps tu. A l’origine, le clergé
ukrainien était directement su-
bordonné au patriarcat de Mos-
cou, lui-même sous le contrôle
du Kremlin, créant ainsi une
forme de réseau capable d’in-
fluencer profondément les âmes
et les cœurs. Si ce mécanisme
était connu, peu de religieux en
dévoilaient les rouages concrets.
« Il est temps de dire la vérité »,
assure le prêtre Horokhovskyi.
Lui se souvient, par exemple, de la
campagne électorale ukrainienne
de 2010, où 200 prêtres de la ré-
gion de Kherson avaient reçu une
convocation de leur hiérarchie
épiscopale. Le thème : inciter les
fidèles à voter en faveur de Viktor
Ianoukovitch, l’ex-président,
alors candidat prorusse. A la sor-
tie de la réunion, des gros bras dis-
tribuaient le « matériel électoral »,
autrement dit des tracts,
2 000 hryvnias (200 euros, à l’épo-
que) en cadeau dans une enve-
loppe, et un sévère avertissement
à ne pas « chercher les problèmes ».
L’homme d’Eglise s’était senti
« traité comme une prostituée ».
L’avenir incertain des trolls de Prigojine et de son empire médiatique
Les opérations d’influence menées par le chef de Wagner pourraient être reprises par d’autres acteurs, son entreprise poursuit ses activités
Moscou - correspondant
L âché par ses propres trolls.
Durant la mutinerie ratée
de son groupe de mercenai-
res, les 23 et 24 juin, les commenta-
teurs stipendiés et autres « bots »
(robots) relayant le travail des pre-
miers n’ont pas soutenu Evgueni
Prigojine, insistant plutôt sur la
sagesse de Vladimir Poutine. Ce
constat – qui ne manque pas d’iro-
nie, le nom de M. Prigojine ayant
été associé aux trolls avant de
l’être à Wagner – est dressé par
trois observateurs de l’action en li-
gne des réseaux Prigojine, cités,
samedi 1er juillet, par le média d’in-
vestigation en exil Agentstvo.
Selon ces experts, certains des
trolls de l’Internet Research
Agency, la structure qui les cha-
peaute, ont commencé dès le
mois de mai à s’en prendre à leur
patron, dénonçant comme dan-
gereuses ou « hystériques » ses at-
Le père Horokhovskyi à l’église de la Nativité-de-la-Vierge-Marie, à Kherson (Ukraine), le 18 juin. Guillaume Herbaut/Vu’pour « LE MONDE »
Avec la guerre dans le Donbass
lancée en 2014 par des séparatistes
soutenus par la Russie, les prêtres
de Kherson furent à nouveau solli-
cités par leur hiérarchie, poursuit
Valentyn Horokhovskyi. Cette fois,
il s’agissait d’attirer à part les com-
battants pro-ukrainiens après la
messe. Il fallait leur serrer les
mains en les regardant dans les
yeux et leur glisser : « N’allez pas
tuer vos frères russes. » Rien que d’y
penser, le religieux soupire. « Ça
marchait, évidemment. »
Inconnus et « espions »
A la fin des années 2010, le père
Horokhovskyi partage l’aspiration
qui traverse le clergé : prendre ses
distances avec Moscou. La recon-
naissance de l’Eglise orthodoxe
d’Ukraine par le patriarcat de
Constantinople, en 2019, marque
une première étape. A Kherson,
des fidèles manifestent devant la
cathédrale du Saint-Esprit pour
qu’elle se rallie à l’Eglise d’Ukraine :
ils sont rossés publiquement par
une équipe d’hommes de main.
taques contre le ministère de la
défense. Ce revirement tendrait à
montrer que Evgueni Prigojine
avait commencé à perdre le con-
trôle de son groupe avant même
le dénouement de la mutinerie.
Autre constat fait par Agents-
tvo : malgré les annonces de sus-
pension ou d’arrêt de leurs activi-
tés, les trolls et les bots actifs sur
Twitter et VKontakte (le Facebook
russe) poursuivent jusqu’à pré-
sent leur activité. Ce dernier point
est peut-être le plus important :
l’avenir des activités d’influence
de l’homme d’affaires est à peine
moins stratégique que celui des
mercenaires armé.
Faux experts
« Le groupe de médias Patriot
ferme et sort de l’espace informa-
tionnel russe », assurait le 29 juin
Evgueni Zoubarev, directeur géné-
ral de RIA FAN, le média le plus im-
portant de ce groupe formelle-
A l’époque, le père Horokhovs-
kyi, lui, avance à petits pas, sans
faire d’éclat. Sa messe se dit désor-
mais en ukrainien, plus en russe,
et les prières soutiennent les sol-
dats de l’armée nationale sur le
front du Donbass. A l’entrée de la
Nativité-de-la-Vierge-Marie, Ma-
rina Grigorovitch, 42 ans, a accro-
ché une tapisserie de sa confec-
tion au milieu des icônes : un dra-
peau ukrainien réalisé au petit
point. L’emprise du patriarcat de
Moscou est si forte alors, et de-
puis si longtemps, que c’est déjà
une rébellion.
Parmi les 500 fidèles, quelques-
uns changent de paroisse. Marina
remarque la présence d’inconnus
le dimanche, pendant la messe.
Certains jouent ouvertement des
muscles, expliquant vouloir « con-
trôler que tout se passe bien ».
D’autres se contentent d’écouter.
« Des espions », tranche l’em-
ployée. D’elle, les paroissiens di-
sent qu’elle a « un sacré caractère et
beaucoup d’organisation ». Le prê-
tre, grands yeux bleus et barbe
ment créé en 2019 qui compte une
douzaine de sites Internet et des
centaines de médias partenaires.
Si les 300 millions de visites quoti-
diennes revendiquées par Patriot
sont sujettes à caution, ce réseau
constitue bien un poids lourd de la
scène médiatique russe – connu
pour son traitement outrancier de
l’actualité et son rapport décom-
plexé aux fausses informations.
RIA FAN, qui se présente comme
une agence de presse, publiait en-
tre 800 et 900 articles par jour.
Dès le 23 juin, les autorités ont
bloqué l’accès à certains des sites
du groupe. D’autres ont eux-mê-
mes mis en suspens leur activité.
Des salariés ont été renvoyés, ou
mis au chômage technique, avec
l’ordre d’effacer leurs traces sur
Internet. Les médias russes évo-
quent les noms de possibles re-
preneurs, en premier lieu celui de
Iouri Kovaltchouk, proche de lon-
gue date de Vladimir Poutine.
Une seule
paroisse
de la région
a publiquement
félicité « l’église
aux couilles
d’acier ». Les
autres se taisent
blonde et frisée d’apôtre, la recon-
naît volontiers comme son chef
d’état-major et son garde du corps.
L’invasion du 24 février 2022 va
donner à la Nativité-de-la-Vierge-
Marie une autre dimension. En
même temps que les chars russes,
une nouvelle injonction hiérarchi-
que arrive dans les églises : il faut
fêter les militaires de Moscou en li-
bérateurs et décourager la popula-
tion de s’armer. Dès les premiers
jours, Kherson est occupée, la ré-
pression s’installe avec ses cham-
bres de tortures et ses listes d’« élé-
« La structure capitalistique du
groupe est si complexe qu’il est
difficile de s’y retrouver, note Co-
lin Gérard, chercheur au centre
Géode (université Paris-VIII) et
auteur d’une thèse sur les activi-
tés d’influence de Prigojine. Mais
c’est bien une restructuration du
groupe qui semble se profiler, pas
une fermeture complète. » Jusqu’à
présent, la force de Patriot était
de former un écosystème cohé-
rent. Les différents sites du
groupe ne cessent de reproduire
à l’infini les mêmes textes. Ils
peuvent aussi construire des arti-
cles entiers sur des commentai-
res de faux experts ou de trolls,
qui eux-mêmes amplifient en-
suite l’écho des publications.
A cet édifice s’ajoute le travail
d’experts (polit-tekhnology, selon
le jargon russe) qui dirigent les
opérations d’influence. En Russie,
la mission première est de chan-
ter les louanges du régime et de
International | 11
ments subversifs », associatifs, vé-
térans, professeurs ou religieux.
Valentyn Horokhovskyi doit fuir
avec sa famille, son église est fer-
mée. Il ne reste que Marina Grigo-
rovitch, « pour garder le territoire »,
dit-elle. En cachette, elle laisse par-
fois quelques fidèles venir se re-
cueillir. Elle-même vit recluse, ou
presque. Aujourd’hui, elle assure
avoir traversé les huit mois d’occu-
pation sans être maltraitée par les
Russes, « seulement interrogée ».
Dieu l’a protégée, dit-elle.
Vote à l’unanimité
A la libération de Kherson par les
troupes nationales, le 11 novem-
bre 2022, Kherson regarde fuir
32 prêtres ukrainiens de la région
(près de 10 % du clergé) au milieu
des militaires russes en débâcle et
des collaborateurs. De son côté,
Kiev multiplie perquisitions et ar-
restations dans les 12 000 églises
du pays, dépendantes du patriar-
cat de Moscou : armes, documents
militaires secrets, tracts prorusses
auraient été découverts dans cer-
s’en prendre à ses ennemis, jour-
nalistes compris. A l’étranger, les
opérations vont de la déstabilisa-
tion d’opposants africains aux
tentatives d’ingérence dans les
élections américaines, dont
Evgueni Prigojine a reconnu la
réalité. C’est cet ensemble (trolls-
médias-influence) que ses em-
ployés nomment entre eux « Pro-
jet Lakhta », du nom d’un quartier
de Saint-Pétersbourg.
Grand déballage
« Dans cette construction, il faut
distinguer les activités africaines,
estime Colin Gérard. Le groupe de
Prigojine a une expérience et un
savoir-faire qui ne sont pas faciles
à transmettre, et trop stratégiques
pour disparaître. C’est en plus une
composante intrinsèque de l’offre
que propose Wagner aux Etats
africains, qui va des mercenaires
jusqu’aux campagnes contre les
opposants ou d’autres acteurs,
Présence des troupes russes
RUSSIE
Kiev
Kharkiv
Dn
iep
UKRAINE r
Dnipro
Donbass
Kherson
Mykolaïv
Odessa
Crimée
annexée
Mer par la Russie
Noire
200 km
taines d’entre elles. Aucun bilan
global n’est connu à ce jour.
Le prêtre est revenu à la Nativité-
de-la-Vierge-Marie. Les sacs d’aide
humanitaire s’empilent parmi les
cierges, les crucifix dorés, les vitres
éclatées par les bombardements,
et Marina Grigorovitch court in-
lassablement de l’un à l’autre. Dès
la réouverture de l’église, une
question s’était mise à tourner
dans leur tête à tous deux : fallait-il
ou non quitter le patriarcat de
Moscou pour rejoindre l’Eglise in-
dépendante de Kiev ? Aucune pa-
roisse de la région ne s’y était en-
core risquée depuis la libération.
Valentyn Horokhovskyi pen-
chait pour attendre un ralliement
général. Ou, au moins, qu’une
autre paroisse ouvre la voie. Ma-
rina Grigorovitch, au contraire,
voulait que leur église soit la pre-
mière à sauter le pas. Le 4 juin, les
fidèles ont finalement été appelés
à se prononcer. L’employée en a
encore la chair de poule : les
238 personnes présentes ont voté
à l’unanimité pour le patriarcat de
Kiev. A Kherson, on n’en revient
pas, d’autant que l’Eglise se
trouve au bord du Dniepr, qui fait
aujourd’hui figure de ligne de
front, à portée de l’artillerie russe.
Une seule paroisse de la région a
publiquement félicité l’« église
aux couilles d’acier ». Les autres se
taisent, attendant parfois un or-
dre de la municipalité. « Beau-
coup restent sous l’influence men-
tale de Moscou, d’autres ont peur
de devenir les cibles de bombarde-
ments à leur tour », estime le père
Horokhovskyi. Par-dessus sa sou-
tane, il enfile son gilet pare-balles
pour descendre jusqu’au fleuve,
au bout de la rue, vérifier si les sni-
pers russes sont encore en posi-
tion. Un sifflement de mortier
l’accueille, le souffle le jette au sol.
Les bombardements reprennent.
A l’église, pas un fidèle n’a fait un
geste pour se mettre à l’abri. p
Florence Aubenas
comme la France. » Selon le cher-
cheur, les faux comptes actifs en
Afrique ont tous repris le travail.
Cette période d’incertitude est
propice au grand déballage. Vla-
dimir Poutine en a donné le coup
d’envoi en rappelant que la so-
ciété Wagner avait reçu en un an
80 milliards de roubles (830 mil-
lions d’euros) de l’Etat, et sa mai-
son mère, Concord, autant en
contrats publics. Dans son mes-
sage d’adieu, Evgueni Zoubarev,
le directeur général de RIA FAN,
fait lui aussi des confessions. Il
explique notamment que l’em-
ploi de trolls a commencé dès
2009, avec « vingt commenta-
teurs installés dans le village de
Severny Versal », près de Saint-Pé-
tersbourg. A l’époque, les cibles
trahissaient déjà les obsessions
du régime : « Alexeï Navalny et les
autres opposants déterminés à
détruire notre pays. » p
Benoît Vitkine

12 | International
La politique étrangère
française malmenée
par les crises intérieures
Les émeutes ont obligé le président Macron
à renoncer à sa visite d’Etat en Allemagne
Berlin - correspondant
L es émeutes suscitées par la
mort du jeune Nahel, tué
par un policier à Nanterre
mardi 27 juin, perturbent l’agenda
diplomatique d’Emmanuel Ma-
cron. Le chef de l’Etat s’est résolu,
samedi 1er juillet, après quelques
heures d’hésitation, à annuler sa
visite d’Etat en Allemagne, prévue
du 2 au 4 juillet. Le déplacement
devait le conduire, entre diman-
che et mardi, à Ludwigsburg (Ba-
de-Wurtemberg), Berlin, puis
Dresde. Vendredi, le président
français était rentré précipitam-
ment du Conseil européen, à
Bruxelles, pour tenir une réunion
de crise à Paris, sans tenir son ha-
bituelle conférence de presse à l’is-
sue du sommet avec ses homolo-
gues des Vingt-Sept.
En Allemagne, le chancelier, Olaf
Scholz, et le président, Frank-Wal-
ter Steinmeier, ont assuré « com-
prendre » la décision prise par
M. Macron de reporter sa visite
d’Etat, la première d’un chef d’Etat
français depuis celle de Jacques
Chirac en juin 2000. « J’aurais fait
pareil », a même pris soin de préci-
ser le premier, dimanche, sur la
chaîne de télévision publique
ARD. Alors que les relations fran-
co-allemandes traversent une
passe difficile, marquées par d’im-
portants désaccords sur des dos-
siers majeurs comme la défense,
l’énergie ou la réforme du pacte de
stabilité et de croissance, le report
de ce voyage, qui était précisé-
ment censé montrer que ces diver-
gences ne remettent pas en cause
l’amitié unissant les deux pays,
tombe à un très mauvais moment.
M. Macron « perd le contrôle »
Pour l’image de la France et de
son président outre-Rhin, ce re-
port est d’autant plus négatif qu’il
rappelle un précédent : en mars,
le nouveau roi d’Angleterre, Char-
les III, a dû effectuer en Allema-
gne son premier déplacement à
l’étranger, alors qu’il avait prévu
de se rendre auparavant en
France. Une visite annulée à la
dernière minute, déjà, en raison
du climat tendu dans l’Hexagone,
en pleine contestation de la ré-
forme des retraites. Aucune autre
date n’a encore été fixée, mais la
venue du successeur d’Eliza-
beth II pourrait avoir lieu lors de
la prochaine Coupe du monde de
rugby, en France, en septembre et
octobre. A l’époque, les manifes-
tations contre la réforme des re-
traites avaient aussi perturbé une
visite d’Etat de M. Macron aux
Pays-Bas, en raison de la présence
de quelques militants d’extrême
gauche à chaque étape, ou pres-
que, du déplacement.
En Allemagne, les émeutes
­consécutives à la mort de Nahel
M. sont suivies de très près par les
auto­rités, tout comme l’avait été le
mouvement contre la réforme des
retraites – un chantier mis au cré-
dit du président français, les res-
ponsables allemands s’étonnant
cependant, en privé, de l’impuis-
sance du gouvernement à faire ac-
cepter le recul de l’âge de départ,
comme cela a été fait ailleurs sur le
continent. « J’espère vraiment – et
C i sj o r da ni e
Cinq Palestiniens tués
dans un raid israélien
L’armée israélienne a lancé
dans la nuit du dimanche 2
au lundi 3 juillet une opéra-
tion de grande ampleur
dans la ville de Jénine, bastion
de la résistance armée palesti-
nienne en Cisjordanie. Lundi,
en milieu de matinée, alors
que le raid était toujours en
j’en suis convaincu – que le prési-
dent français trouvera les moyens
de faire en sorte que la situation
s’améliore rapidement », a déclaré
M. Scholz, dimanche, à la chaîne
ARD. Le chancelier allemand a as-
suré qu’il ne s’attendait pas « à ce
que la France devienne instable,
même si les images sont très im-
pressionnantes ». Avant d’ajouter,
peut-être en direction de ceux qui
voient dans ces violences l’expres-
sion d’une singularité française
dont l’Allemagne serait protégée :
« En même temps, il faut le répéter :
nous devons tout faire pour que le
vivre-ensemble dans nos sociétés
fonctionne convenablement. »
Les conséquences politiques du
déchaînement des violences in-
quiètent aussi beaucoup. L’atti-
tude de La France insoumise (LFI)
est jugée sévèrement, et nombre
de commentateurs craignent que
la situation profite à l’extrême
droite. « Les responsables de LFI se
refusent à appeler au calme. (…)
Marine Le Pen et Eric Zemmour se
sentent confortés dans leurs sinis-
tres prophéties de guerre cultu-
relle. Au président Macron de faire
en sorte que l’Etat de droit libéral
prenne le dessus », pouvait-on lire,
vendredi, dans le journal conser-
vateur Frankfurter Allgemeine
Zeitung.
« L’annulation de la visite d’Etat
de Macron en Allemagne montre
que le président français perd le
contrôle de la situation. Cette crise
est la plus dangereuse de celles
qu’il a dû affronter depuis son arri-
vée au pouvoir », commentait, di-
manche, le même journal.
Si les images de tels accès de vio-
lence interpellent, les interlocu-
teurs européens de M. Macron
sont parfois prompts à en tirer
des conclusions définitives, dans
l’idée, entre autres, de contester
les positions françaises. Lors du
dernier Conseil européen, le pre-
mier ministre polonais, Mateusz
Morawiecki, a invoqué les violen-
ces en France pour justifier sa po-
litique anti-immigration. Il venait
de bloquer, avec son homologue
hongrois, Viktor Orban, les con-
clusions relatives à de nouvelles
législations communes sur l’asile
et l’immigration : « Rassemblons
ces deux images (…) : d’un côté,
celle de la banlieue parisienne
aujourd’hui, des grandes émeutes,
des pillages dans les magasins, des
vitres brisées, des voitures en feu et
[de l’autre côté celle] des villes, des
villages polonais tranquilles. (…)
La Pologne a opté pour la sécurité,
la paix et l’ordre public. »
En Italie, Maurizio Gasparri,
­vice-président du Sénat et cadre
de Forza Italia, en a profité pour ta-
cler Gérald Darmanin, qui avait,
en mai, mis en cause l’« échec » du
gouvernement Meloni sur le plan
migratoire. « Le ministre de l’in­-
térieur français nous a longue-
ment expliqué comment gérer
l’immigration. Un jour, ils mettent
à feu et à sang Paris, un jour, les
banlieues. Darmanin, si tu veux un
coup de main, je te donne mon nu-
méro », ­a-t-il lancé. Une façon de
dire que la France n’a pas de leçons
à ­donner. p
Philippe Ricard (À Paris)
et Thomas Wieder
cours, le ministère palestinien
de la santé décomptait
5 morts et 27 blessés, dont
7 graves. Selon l’armée israé-
lienne, des drones ont pro-
cédé à des frappes aériennes
et des centaines de soldats
ont été envoyés dans la région
de Jénine, un déploiement
d’une ampleur jamais vue
depuis la seconde Intifada,
il y a deux décennies. – (AFP.)
La jeune thaïlandaise Thanalop « Yok » (à gauche) et sa tutrice, Netiporn Sanehsankhom « Boong », à Bangkok, le 27 juin. DOCUMENT « LE MONDE »
En Thaïlande, la fronde de « Yok »
contre les abus de la monarchie
L’incarcération de cette lycéenne pendant cinquante et un jours, pour
lèse-majesté, symbolise jusqu’à l’absurde les excès du camp royaliste
Bangkok - correspondant
en Asie du Sud-Est
A
ncienne plus jeune dé-
tenue pour lèse-ma-
jesté de Thailande – elle
avait 15 ans lors de son
placement en maison de correc-
tion fin mars –, Thanalop, « Yok »,
n’est pas du genre à s’en laisser
conter. Elle n’a jamais exprimé de
remords pour le délit dont elle est
accusée, elle s’est même assise dos
au juge durant son audition : elle a
refusé de céder aux exigences de
son lycée, un établissement public
prestigieux de Bangkok, qui a
tenté de la désinscrire après la ren-
trée scolaire de mai.
Non seulement Yok a escaladé
à trois reprises le portail en juin
pour venir s’imposer en cours,
mais elle a surenchéri, se teignant
les cheveux en rose et abandon-
nant l’uniforme obligatoire, ce qui
a fait d’elle l’égérie des mouve-
ments de lycéens contre les con-
traintes vestimentaires. « J’ai une
personnalité qui n’accepte pas le
pouvoir autoritaire », nous disait-
elle, fin juin, vêtue d’un sweat-
shirt mauve « Alice au pays des
merveilles » (en anglais), dans le
studio de la banlieue de Bangkok
où l’a accueillie sa tutrice, la mili-
tante antimonarchiste Netiporn
Sanehsankhom « Boong », 27 ans,
en l’absence de ses parents. Ces
derniers ont coupé tout contact
avec leur fille, par crainte des re-
tombées de la loi de lèse-majesté.
Carcan militaire
La détention de Yok pendant cin-
quante et un jours, donc à cheval
sur la campagne électorale et les
élections du 14 mai, a symbolisé
jusqu’à l’absurde les excès des ul-
traroyalistes, qui enchaînent les
plaintes au nom de cette loi fourre-
tout. Mais les ennuis de la ly-
céenne interviennent alors que les
milieux les plus conservateurs
cherchent le moyen de faire dé-
railler l’arrivée au pouvoir des
vainqueurs du scrutin de mai, en
l’occurrence le parti Aller de
l’avant (Move Forward Party, MFP)
et ses partenaires de coalition.
Porteur des espoirs d’une jeu-
nesse lasse du carcan militaro-mo-
narchique, seul parti à avoir
­proposé durant la campagne
La jeune « Yok »
s’est transformée
en égérie
des mouvements
de lycéens contre
les contraintes
vestimentaires
d’adoucir la très sévère loi de lèse-
majesté – plus de 240 personnes
ont été condamnées ou inculpées
à ce titre depuis novembre 2020,
parmi lesquelles les leaders histo-
riques du MFP –, le MFP n’a pas en-
core levé tous les obstacles à son
accession au pouvoir. Après la te-
nue, le 3 juillet, de la première ses-
sion du Parlement issu des élec-
tions, la candidature de Pita Limja-
roenrat, dit « Pita », chef de Move
Forward, au poste de premier mi-
nistre, sera soumise, au plus tôt le
13 juillet, au vote des 500 députés
nouvellement élus, en même
temps qu’à celui des 250 sénateurs
nommés par l’ex-junte militaire.
Son élection dépendra du rallie-
ment de suffisamment de séna-
teurs conservateurs à la nouvelle
coalition menée par le MFP mais
aussi de l’issue de plusieurs procé-
dures pour disqualification inten-
tées contre lui – dont l’une pour
avoir « proposé de réformer la loi de
lèse-majesté », un motif présumé
de… lèse-majesté. Le cas échéant,
un autre candidat sera proposé par
une coalition alternative.
L’interpellation de Yok, le
28 mars, est intervenue alors
qu’elle assistait à la réalisation, par
un militant, d’un graffiti dénon-
çant « l’article 112 » du code pénal
(la loi de lèse-majesté) sur les murs
du palais royal, à Bangkok. Elle a
alors été embarquée au commis-
sariat, où les policiers l’ont malme-
née et lui ont arraché son iPad,
sans rien y trouver. Or, son nom
apparaissait déjà dans les registres
de la police en 2022 : le 13 octobre,
jour de la commémoration de la
mort du roi Rama IX, père de l’ac-
tuel monarque, elle avait tracé à la
craie, au pied d’un monument, les
noms de ce dernier et de trois
autres membres de la famille
royale en les désignant comme
responsables du massacre de ma-
nifestants, en octobre 1976, im-
puté à des milices ultraroyalistes.
« Ces policiers n’auraient jamais dû
agir ainsi avec une mineure. Ils ont
dit qu’elle n’avait pas répondu à une
convocation à la suite de l’incident
précédent. Or, elle en avait fait re-
pousser la date, car elle avait des
examens », explique Boong.
Aussitôt, l’incarcération de l’ado-
lescente dans un établissement
pénitentiaire pour mineurs est de-
venue une cause de ralliement
pour les ONG thaïlandaises et
étrangères. Durant la campagne, le
candidat « Pita » a appelé plusieurs
fois à sa libération. Avant Yok, plu-
sieurs jeunes femmes membres
du mouvement antimonarchiste
ThaluWang (« Briser le palais »)
avaient organisé des actions de
protestation. Boong, la tutrice, en
faisait partie. Fille d’un juge d’ins-
truction, elle a été mise en examen
en 2022 pour avoir participé à la te-
nue d’un sondage sur les désagré-
ments provoqués par les cortèges
royaux. Inculpée, elle a fait soixan-
te-quatre jours de grève de la faim
avant d’être libérée sous caution.
Yok a vécu avec stoïcisme sa dé-
tention, malgré, dit-elle, un Covid
mal soigné. « Chaque seconde a été
un combat. Plus ça allait, plus je
voyais que le système s’affaiblis-
sait », dit-elle, entre deux coups
d’œil sur son smartphone. Sous
pression de l’opinion, le tribunal a
décidé sa remise en liberté, le
temps de l’enquête, toujours en
cours. « J’ai senti que j’avais gagné »,
raconte-t-elle. Le succès de Move
Forward, notamment à Bangkok,
où le parti a remporté la quasi-to-
talité des sièges, aurait-il ramolli
des institutions aux ordres, qui
sentent le vent tourner ? Un tribu-
nal de Bangkok a acquitté, le
L’incarcération
de l’adolescente
est devenue
une cause
de ralliement
pour les ONG
thaïlandaises
et étrangères
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023
26 juin, un groupe de cinq mili-
tants prodémocratie accusés de
comportement menaçant lors
d’un cortège de la reine en 2020.
Quand Yok se rend à son lycée, le
19 mai, le lendemain de sa libé­-
ration – la rentrée scolaire
thaïlandaise débute le 16 mai –,
l’établissement demande que ses
parents confirment sa réins­-
cription. Or, ceux-ci avaient dis-
paru. Boong et d’autres militants
ont fait valoir que la tutrice est en
mesure de remplir ce rôle. L’admi-
nistration du lycée a fait mine
­d’accepter, puis a posé un ultima-
tum pour que l’un des parents de
Yok se manifeste.
Un « pion politique »
Le zèle du lycée a soulevé un tollé.
Des pressions ont-elles été exer-
cées sur l’administration ? Un
édito daté du 19 juin du Bangkok
Post, le quotidien anglophone
conservateur, dénonçait en Yok un
« pion politique » aux mains de
« certains activistes, groupes d’inté-
rêt et hommes politiques [qui] se
sont emparés [de son cas] pour
faire avancer leur propre agenda
politique », y lit-on en référence
aux mouvements progressistes.
Après avoir forcé trois fois le pas-
sage, et avoir été empoignée par
des enseignants, Yok n’est plus
empêchée d‘aller en cours, mais
son statut reste en suspens. A la
fin du mois de juin, la ville de
­Bangkok, dirigée par le gouver-
neur progressiste Chadchart Sitti-
punt, élu en 2022, a ­publié une di-
rective autorisant les 437 établis-
sements publics à ­permettre aux
étudiants de venir habillés et coif-
fés comme ils le veulent au moins
un jour par ­semaine.
Mais ces petites victoires ris-
quent de s’avérer bien illusoires si
Move Forward échoue à former un
gouvernement. Le camp de la ré-
forme est vu comme une menace
directe par la monarchie, que le
parti veut replacer dans son strict
cadre constitutionnel, et par l’ar-
mée, qu’il a promis de réformer en
mettant fin à la conscription. La
militante Boong n’est donc pas
très optimiste : « Je ne pense pas
que le Palais royal puisse accepter
que Pita devienne premier minis-
tre », nous dit-elle. p
Brice Pedroletti
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023
Les maires ruraux planchent
sur la transition écologique
Les petites communes veulent voir le rôle de leurs territoires reconnu
D
evant la centaine de
maires des petites
communes rurales,
réunis pour les
­conclusions du grand atelier sur
la transition écologique mis en
place par l’Association des maires
ruraux de France (AMRF), diman-
che matin 2 juillet à Paris dans son
ministère, Christophe Béchu, le
ministre de la transition écologi-
que et de la cohésion des territoi-
res, ne pouvait pas ne pas évoquer
la crise actuelle et les émeutes.
« Rien de ce que nous venons de
vivre ne va renforcer la cohésion
des territoires », a-t-il déclaré, lis-
tant les nombreuses attaques
contre les hôtels de ville ou les
­bâtiments publics, avant de de-
voir quitter la séance, pour ac-
compagner Elisabeth Borne, la
première ministre, à L’Haÿ-les-
Roses (Val-de-Marne), une com-
mune dans laquelle le domicile
du maire, Vincent Jeanbrun, a été
attaqué par les émeutiers. Les
maires ruraux ont aussi ­actualisé
leur réflexion. « La ruralité, dans
un souci de cohésion ­nationale,
peut contribuer à la ­politique de la
ville », a expliqué au Monde Fanny
Lacroix, la vice-présidente de
l’AMRF chargée de la transition
écologique.
Bien que relativement épargnés
par les émeutes par rapport à
leurs collègues des grandes villes,
ces édiles ont pris en compte
la crise dans leurs conclusions,
en demandant notamment « une
grande politique nationale de re-
lance des centres de vacances et
des classes vertes permettant
­l’accueil des enfants des quartiers
et des villes dans nos ruralités,
toute l’année, pour favoriser les
rencontres et les échanges ».
Avant que l’actualité n’impose
ses urgences, les maires des peti-
tes communes rurales, dont le
nombre d’habitants est inférieur
à 3 500, ont travaillé sur la transi-
tion écologique, lors de quatre
week-ends entre février et juillet.
Une centaine d’entre eux parmi
la dizaine de milliers d’élus que
Le rejet imminent des eaux de Fukushima
provoque des tensions en Corée du Sud
La crainte d’une pollution radioactive entraîne une ruée sur le sel de mer
Tokyo - correspondance
L’ imminence du rejet dans
le Pacifique des eaux
­contaminées de la cen-
trale nucléaire de Fukushima, au
Japon, provoque une pénurie de
sel en Corée du Sud, où la question
a pris une tournure politique. Face
à l’urgence, le vice-ministre sud-
coréen de la pêche, Song Sang-
keun, a annoncé jeudi 29 juin la
mise en vente, jusqu’au 11 juillet,
de 50 tonnes de sel par jour puisé
dans les réserves d’urgence. Ce sel
sera proposé à un prix inférieur
de 20 % aux prix du marché.
Difficile de dire si cela suffira
alors que l’opération à Fukushima
doit commencer cet été. Elle se
traduira par le déversement dans
un premier temps de 1,25 million
de tonnes d’eau issu du refroidis-
sement des réacteurs endomma-
gés à la suite du séisme et du tsu-
nami du 11 mars 2011.
Le rejet durera le temps du dé-
mantèlement du site, soit une
quarantaine d’années. Il est sou-
tenu par l’Agence internationale
de l’énergie atomique, dont le di-
recteur général, Rafael Grossi, est
attendu mardi 4 juillet au Japon.
compte l’AMRF – au niveau natio-
nal, ces maires de communes ru-
rales sont 30 000, représentant
quelque 80 % du territoire – ont
participé à ces réunions, sur le
modèle de la convention ci-
toyenne pour le climat.
Ce grand atelier, qui était ac-
compagné par de nombreux par-
tenaires dont l’Agence nationale
de la cohésion des territoires, le
WWF, ou encore EDF, a débouché
sur des propositions qui seront
soumises au prochain congrès de
l’AMRF, en septembre.
« L’échelle de la commune est
pertinente car elle est proche des
gens et les communes rurales sont
prêtes à jouer le jeu car on sait que
le succès de la transition écologi-
que va se jouer en grande partie
chez nous », juge Fanny Lacroix,
qui a conçu et conduit les travaux
de cette assemblée. Elle est maire
de Châtel-en-Trièves, village isé-
rois de quelque 500 habitants.
« La fracture des territoires est
réelle et la transition écologique
peut être un moyen de la réduire.
Mais il faut que le récit qui l’ac­-
compagne, qui doit embarquer
les citoyens, soit sincère, proche
d’eux et de leurs aspirations », esti-
me-t-elle encore.
Associer les élus locaux
Les maires se sont focalisés sur
trois questions : les énergies
­renouvelables, les aménités rura-
les – les richesses naturelles (fo-
rêts, champs, eau…) de ces terri-
toires qui profitent à tout le pays –
et « les leviers et ressources pour
la transition écologique », en par-
ticulier les problèmes de finance-
ment et d’ingénierie.
Sur le premier de ces dossiers, la
question de l’acceptation des pro-
jets d’énergies renouvelables (éo-
lien, solaire…) ne peut être réso-
lue que par l’association des élus
locaux aux décisions et à la plani-
fication, plaident-ils. « Les com-
munes rurales acceptent d’être so-
lidaires et de produire de l’énergie
afin de pourvoir aux besoins des
territoires notamment urbains,
La compagnie d’électricité de To-
kyo (Tepco, propriétaire de la cen-
trale) affirme que l’eau sera rejetée
après un passage dans ses systè-
mes de filtration par absorption
ALPS (« advanced liquid processing
system »). Le dispositif réduit la
présence des nucléides qu’elle
contient encore, à l’exception du
tritium. L’eau sera diluée pour que
le niveau de ce nucléide soit
abaissé à un septième des normes
fixées par l’Organisation mon-
diale de la santé pour l’eau potable.
L’opération suscite des craintes
dans l’Archipel, notamment chez
les pêcheurs de Fukushima et des
départements voisins, mais aussi
à Taïwan, en Chine et, surtout, en
Corée du Sud, où les promesses de
Tepco et de Tokyo ne convain-
quent guère. Un sondage de l’ins-
titut Gallup révélait le 30 juin que
80 % des ­Coréens du Sud redou-
tent les conséquences du rejet de
Fukushima. Cette crainte provo-
que une ruée des consommateurs
sur le sel de mer, dont les prix ont
bondi de 27 % en juin par rapport
à avril. Certains marais salants
ont suspendu leurs ventes.
De quoi embarrasser le gouver-
nement du président, Yoon Seok-
« L’échelle
de la commune
est pertinente,
car elle est
proche des gens »
Fanny Lacroix
maire de Châtel-en-Trièves
(Isère)
mais elles souhaitent en maîtriser
le modèle », écrivent les élus. Ils
appellent donc à la « coconstruc-
tion dès la conception du projet »,
ainsi qu’à la mise en place d’aides
en matière d’ingénierie, mais
aussi de compétences techni-
ques, administratives, financiè-
res et juridiques. Par ailleurs, la
valeur ajoutée que représentent
ces projets « doit profiter directe-
ment au développement des com-
munes » et être équitable.
« Une société nous a proposé
d’implanter des éoliennes sur notre
territoire, mais on a refusé, en expli-
quant que c’était trop tôt, trop ra-
pide, on n’avait pas le temps d’étu-
dier le dossier, il nous était imposé
d’en haut sans qu’on ait les capaci-
tés de l’expertiser. Le maire d’une
autre commune a accepté, lui, ce
qui a suscité beaucoup d’opposi-
tion dans les villages voisins, qui
voient leurs paysages se modifier,
sans aucune retombée pour eux »,
raconte ainsi Catherine Hamelin,
maire de Fontain, petit bourg de
1 300 habitants dans le Doubs.
Sur la question des énergies
toujours, les maires ont insisté
sur la nécessité de renforcer les
politiques de sobriété, dans une
démarche globale plus ver-
tueuse. Ils demandent aussi que
le développement des énergies
renouvelables ne se fasse pas
« au détriment des aménités
­rurales, prairies, forêts… ».
Ce sujet des biens naturels et
des aménités a longuement été
développé. Leur gestion, « réali-
sée par les communes rurales au
profit de tous, doit être reconnue
youl, engagé dans un rapproche-
ment avec le Japon qui pourrait
se traduire, entre autres, par une
levée des restrictions imposées
depuis la catastrophe nucléaire
aux produits alimentaires impor-
tés de la région de Fukushima.
La question a pris une tournure
politique puisque le Parti démo-
crate (PD), principale formation
de l’opposition, a soumis à l’As-
semblée nationale un projet de ré-
solution exigeant l’abandon par
le Japon du projet de déversement
des eaux. Il demande le dépôt
d’une plainte auprès du Tribunal
international du droit de la mer.
« Propagande non scientifique »
Suh Kune-yull, ancien professeur
au département d’ingénierie nu-
cléaire de l’université nationale
de Séoul, avait affirmé, en mai
sur la chaîne YTN, que les eaux de
Fukushima pourraient se répan-
dre dans la mer de l’Est (mer du
­Japon) dans les cinq à sept mois
suivant le début du déversement
en raison des courants marins, et
que les navires japonais pour-
raient déverser leurs eaux de bal-
last contaminées lors des escales
dans les ports sud-coréens.
par les pouvoirs publics et la
­société », écrivent les membres
du grand atelier. Selon eux, le
­financement ne peut être seule-
ment dicté par le nombre d’habi-
tants, mais doit intégrer aussi la
taille du territoire et l’impor-
tance de ces aménités.
La question des moyens
En présentant ces conclusions,
Antoine Pichon, maire de Quisti-
nic, une commune de 1 500 habi-
tants du Morbihan, a expliqué
qu’il avait quelque 120 kilomètres
de sentiers de randonnée. « Com-
ment puis-je entretenir ces petits
chemins creux avec quatre agents
des services techniques qui ont
déjà beaucoup de travail ? J’ai
aussi le projet d’une réserve de
­biodiversité, sur quatre hectares
de bois, mais il faut que j’aie quel-
qu’un pour m’aider à monter le
dossier et s’en occuper après »,
­détaille l’élu.
Cette question des moyens est
le dernier point sur lequel ont tra-
vaillé ces maires ruraux. Parmi
leurs propositions, une meilleure
formation des élus, la création
d’une « dotation aménités rura-
les » en complément de la dota-
tion ­globale de fonctionnement,
« qui n’est plus adaptée à nos terri-
toires », ou le financement de l’in-
génierie sur la transition écologi-
que. « Les maires sont déjà en diffi-
culté pour faire fonctionner leurs
petites communes, ils doivent gé-
rer le quotidien, ils ont du mal à se
projeter. Et ce sont toujours les mê-
mes qui récupèrent les subven-
tions, car ils ont l’ingénierie pour
le faire », résume Fanny Lacroix.
Si leurs propositions ne figure-
ront pas au menu du Conseil de
planification écologique que doit
présider Emmanuel Macron, et
qui devrait se tenir mercredi
5 juillet, Christophe Béchu leur
a promis que cette question des
moyens, de la fiscalité par exem-
ple, serait intégrée dans le pro-
chain projet de loi de finances qui
devra être discuté à l’automne. p
Rémi Barroux
D’après le Parti du pouvoir
­ opulaire (au pouvoir), le public
p der Leyen, on souligne qu’elle est
sud-coréen ne devrait pas être
trompé par une « propagande non
scientifique ». La posture gouver-
nementale va jusqu’à attribuer la
hausse des prix aux fortes pluies
à l’origine d’une baisse de la pro-
duction nationale, plutôt qu’à la
peur du rejet de Fuku­shima.
Soucieux de rassurer les
­consommateurs, le ministère des
pêches effectue chaque mois de-
puis avril des tests dans dix ma-
rais salants. « Au moment de
­l’accident nucléaire de Fukushima,
des tests avaient été effectués
286 fois et, même à ce moment-là,
aucune substance radioactive
n’avait été détectée dans notre sel
de mer », ­a-t-il rappelé. Entre
juillet et la fin de l’année, le gou-
vernement prévoit de mener des
inspections dans 150 marais sa-
lants, qui représentent 50 % de la
production nationale de sel.
Et le ministre des pêches, Cho
Seung-hwan, écume les marchés
aux poissons, pour « empêcher la
diffusion de fausses informations
et de rumeurs infondées sur les
eaux de Fukushima ». p
Philippe Mesmer
Planète | 13
Pacte vert en Europe :
les conservateurs
appellent à une pause
Des dirigeants des Vingt-Sept citent les défis
économiques liés à la guerre en Ukraine
Bruxelles - bureau européen
P our Ursula von der Leyen,
l’affaire est complexe.
Alors que la présidente
de la Commission européenne
a fait du Pacte vert l’une des prio-
rités de son mandat, elle doit
aujourd’hui affronter une levée
de boucliers des conservateurs du
Parti populaire européen (PPE),
dont l’ancienne ministre d’Angela
Merkel est issue. Ils contestent en
effet de plus en plus ouvertement
les mérites de cette politique. A
l’approche des élections euro-
péennes, prévues en juin 2024,
l’Allemande, qui pourrait briguer
un deuxième mandat et qui aura,
pour cela, besoin du soutien de
son camp, marche sur des œufs.
Jeudi 29 juin, les chefs d’Etat et
de gouvernement européens de
droite – Nikos Christodoulides
(Chypre), Krisjanis Karins (Letto-
nie), Ulf Kristersson (Suède),
­Kyriakos Mitsotakis (Grèce), Karl
Nehammer (Autriche), Petteri
Orpo (Finlande), Andrej Plenko-
vic (Croatie) et Leo Varadkar
­(Irlande) –, qui se réunissaient à
Bruxelles avant de se rendre à un
Conseil européen, ont tous ap-
prouvé une déclaration du PPE
qui demande « une pause régle-
mentaire » au niveau européen,
en particulier sur le Pacte vert.
Le texte appelle à « tenir compte
des nouvelles réalités économi-
ques et sociales après l’attaque de
la Russie » contre l’Ukraine.
Ursula von der Leyen, qui,
comme à chaque fois, assistait à
cette rencontre, n’est pas interve-
nue dans le débat. Plusieurs diri-
geants, dont MM. Plenkovic,
­Varadkar et Karins, ont néan-
moins souligné que, en attaquant
le Pacte vert, il fallait prendre
garde à ne pas « fragiliser » la prési-
dente de la Commission, qui pour-
rait permettre au PPE de garder la
tête de l’exécutif communautaire
après les élections européennes.
Mue radicale du PPE
De fait, sur les questions environ-
nementales, le PPE a toujours
évité, jusqu’ici, de s’en prendre di-
rectement à Ursula von der Leyen,
qui a pourtant fait du Pacte vert
une pièce maîtresse de son action
en Europe. Il préfère stigmatiser
Frans Timmermans, le vice-prési-
dent de la Commission chargé du
Pacte vert, issu pour sa part des
rangs sociaux-démocrates. Le PPE
ne rate jamais une occasion de
rappeler que le directeur de cabi-
net du commissaire néerlandais
est un ancien de Greenpeace.
Dans l’entourage d’Ursula von
tenue d’assister aux présommets
du PPE en tant que présidente de
la Commission. Mais qu’en aucun
cas elle ne participe à la rédaction
des conclusions. « C’est un peu
­hypocrite », juge un cadre du PPE.
Interrogée par Le Monde, elle ré-
pond qu’elle « écoute bien en-
tendu les voix de ceux qui doivent
mettre en œuvre la législation
dans leur entreprise ou leur
ferme », précisant : « Ma position
est bien connue : réglementation
environnementale et compétiti-
vité ou agriculture peuvent aller
main dans la main. »
« Son groupe
politique se retire
du Pacte vert.
Ursula von der
Leyen, vous
devez réagir »
César Luena
eurodéputé
socialiste espagnol
Le Parti populaire
européen se livre
à une guerre
sans merci
contre deux
projets de loi sur
l’environnement
Ces derniers mois, au Parlement
européen, où il représente la pre-
mière force politique, le PPE a
opéré une mue radicale. Après
avoir soutenu une trentaine de
textes du Pacte vert d’Ursula von
der Leyen – notamment ceux qui
doivent permettre à l’Union euro-
péenne de s’acheminer vers la
neutralité climatique en 2050 –, il
se livre désormais, au côté de l’ex-
trême droite, à une guerre sans
merci contre deux projets de loi
emblématiques de son volet envi-
ronnemental : ceux sur la restau-
ration de la nature et sur la réduc-
tion de l’usage des pesticides.
Doutes des libéraux
Le président du groupe politique
au sein de l’assemblée, qui est
aussi le président du PPE, Manfred
Weber, argue qu’ils menacent la
production agricole, compromet-
tent la sécurité alimentaire et font
encore monter le coût de la vie.
Entre la guerre en Ukraine et l’in-
flation, poursuit le Bavarois de la
CSU, il y a urgence à faire une
pause. La récession en Allemagne
n’arrange pas les choses, ajoute-
t-il. Le fait que la CDU-CSU soit dé-
sormais dans l’opposition à Berlin
n’aide sans doute pas non plus.
Pour l’heure, l’avenir du projet de
loi sur la restauration de la nature
est compromis, alors que trois
commissions parlementaires (en-
vironnement, agriculture et pê-
che) l’ont rejeté. Son sort sera
scellé lors de la séance plénière du
Parlement qui se tiendra à Stras-
bourg en juillet (ou en septembre).
Dans ce contexte, l’eurodéputé
socialiste espagnol César Luena a
interpellé la présidente de la Com-
mission européenne, le 27 juin, lui
demandant de se positionner clai-
rement sur le sujet. « Son groupe
politique se retire du Pacte vert. Elle
n’a encore rien dit. Ursula von der
Leyen, vous devez réagir », a-t-il dé-
claré. A ce stade, cette dernière n’a
pas répondu. Frans Timmermans
a néanmoins jugé utile de le faire
« en son nom et sous son contrôle »,
le 28 juin, en apportant une nou-
velle fois son soutien au projet de
loi sur la restauration de la nature.
Jusqu’à une date récente, seuls
les chefs d’Etat et de gouverne-
ment de certains pays d’Europe de
l’Est, aux économies très carbo-
nées, disaient leurs réticences. Il y
a peu, on a vu des dirigeants libé-
raux exprimer aussi leurs doutes.
Le président français, Emmanuel
Macron, a lui aussi demandé une
« pause réglementaire » après
2024, exaspérant une partie de ses
troupes. Alexander De Croo, le
premier ministre belge, a suivi :
« Il faut éviter (…) de surcharger la
barque, en ajoutant aux objectifs
d’émissions de CO2 de nouvelles
normes », notamment « dans le
domaine de la biodiversité. Je de-
mande qu’on appuie sur le bouton
pause, sauf pour le CO2 ». Aux
­Pays-Bas, Mark Rutte ne s’est pas
exprimé aussi clairement. Mais
le succès du « parti des agricul-
teurs », un mouvement anti-Pacte
vert qui, en mars, a opéré une vé-
ritable percée aux élections régio-
nales, amène le premier ministre
à prôner une certaine prudence.
A un an des élections européen-
nes, le sujet n’a pas fini d’animer
les débats politiques. p
Virginie Malingre
 Économie & Entreprise
0123
14 | ­
­Mardi 4­ juillet 2023

Au Nigeria, les audaces du nouveau président

En un mois, Bola Tinubu a surpris les investisseurs avec une série de mesures économiques chocs

D
ans son discours d’in-
vestiture, le 29 mai, le
nouveau président du
Nigeria, Bola Tinubu,
promettait de travailler à la refon-
dation d’un « idéal nigérian » qui
aille au-delà d’« une simple amé-
lioration des statistiques économi-
ques ». Mais c’est bien sur ce
front-là que le dirigeant a aussitôt
jeté ses forces. Démantèlement
des subventions au carburant, dé-
valuation de la monnaie natio-
nale, limogeage du gouverneur
très controversé de la Banque
centrale… Au cours de son pre-
mier mois à la tête de la plus im-
portante économie du continent
africain, Bola Tinubu a fait preuve
d’un activisme qui a surpris la
majorité des observateurs.
« Jusqu’ici, il a fait plus et plus vite
qu’aucun ne l’attendait », confirme
Tokunbo Afikuyomi, économiste
pour la publication nigériane
Stears. Un changement de cap, es-
pèrent les analystes, après les huit
ans de présidence de Muham-
madu Buhari marqués par l’im-
mobilisme. Les attentes étaient
pourtant modestes à l’égard de
l’ancien gouverneur de Lagos, issu
comme son prédécesseur du Con-
grès des progressistes (APC). Un
leader vieillissant (71 ans), élu avec
seulement 8,8 millions de voix
dans un pays de 220 millions d’ha-
bitants, et symbolisant pour beau-
coup une ancienne garde politi-
que incapable de gérer la crise po-
litique et sécuritaire.

Un pays aux abois
Le chef de l’Etat a donné le ton dès
le jour de son entrée en fonctions,
en annonçant la suppression im-
minente des subventions au car-
burant, un dispositif populaire
mais coûtant 10 milliards de dol-
lars chaque année aux finances
publiques. La mesure, préconisée
de longue date par le Fonds moné-
taire international (FMI) et la Ban-
que mondiale, figurait bien dans
le programme de Bola Tinubu.
« Mais le risque était qu’il tarde
un peu trop et finisse par [y] renon-
cer. Or, cette subvention a des ef-
fets perturbateurs énormes sur
l’économie et cela dure depuis un
demi-siècle », souligne Amaka
Meg­walu Anku, directrice Afrique
au sein du cabinet de conseil Eura-
sia Group. En 2012, une première
tentative d’y mettre fin avait dé-
clenché une vague de grèves et de
manifestations, conduisant les
autorités à faire marche arrière.
Cette fois, l’annonce n’a pas jeté
les foules dans les rues, malgré un
triplement du prix de l’essence à
la pompe. « Je reconnais que la dé-
cision imposera un fardeau sup-
Bola Tinubu, nouveau président du Nigeria, lors de son discours d’investiture, à Abuja, le 29 mai. KOLA SULAIMON/AFP
plémentaire à la population », a
déclaré M. Tinubu le 12 juin, pro-
mettant en retour d’investir
« massivement » dans l’éducation,
la santé et l’accès à l’électricité. Le
chef de l’Etat n’a pas dévoilé de
mesure compensatoire, mais
s’est engagé dans une négocia-
tion avec les principaux syndicats
du Nigeria pour trouver un ac-
cord d’ici à la mi-août visant à
augmenter le salaire minimum.
« S’il s’était montré hésitant sur
sa volonté d’en finir, il y aurait sans
doute eu plus de pression sociale,
estime Mme Megwalu Anku. Mais
au fond, les classes moyennes – cel-
les qui en profitaient le plus – sa-
vent qu’il n’y a pas d’alternative. »
Car le pays est aux abois, lesté par
une dette dont le rembourse-
ment absorbe l’équivalent de plus
de 90 % des revenus de l’Etat.
Quelques jours après cette an-
nonce choc, Bola Tinubu s’est
montré tout aussi entreprenant
en décidant de suspendre puis de
faire arrêter le gouverneur de la
Dès son entrée
en fonctions,
le chef de l’Etat
a annoncé
la suppression
des subventions
au carburant
Banque centrale du Nigeria (CBN),
Godwin Emefiele. Le responsable
monétaire était l’artisan d’un sys-
tème de change constitué de régi-
mes multiples et de restrictions
sur les mouvements de capitaux.
Bâti pour maintenir artificielle-
ment la stabilité du naira, la mon-
naie nigériane, ce dispositif était
accusé d’alimenter la corruption
en permettant à certaines per-
sonnes bien connectées de se pro-
curer des dollars auprès de la Ban-
que centrale pour aller les reven-
dre plus cher sur le marché noir.
Suivant la mise à l’écart de
M. Emefiele, l’institution moné-
taire a annoncé adopter un taux
de change unifié et laissé fluctuer
le naira selon le taux du marché.
Cette décision a provoqué une dé-
valuation radicale de la devise,
qui a chuté de plus de 60 % en un
mois. Son taux de change officiel,
autour de 770 nairas pour 1 dollar,
est désormais à peu près aligné
avec celui en vigueur sur le mar-
ché noir. « Ces changements corri-
gent des distorsions de marché qui
décourageaient les investisse-
ments. Personne ne voulait venir
dans un pays doté d’un système de
change aussi complexe, avec une
monnaie surévaluée d’au moins
50 % », décrit Charlie Robertson,
économiste pour le fonds d’inves-
tissement dans les marchés
émergents FIM Partners.
L’arrestation de Godwin Eme-
fiele, actuellement détenu par les
services de renseignement, n’a pas
suscité de réactions indignées au
sein de l’opinion. Sans doute car la
population nigériane le juge res-
ponsable d’avoir conduit le pays
au bord du chaos en début d’an-
née : le gouverneur avait provoqué
une grave pénurie de liquidités en
orchestrant une réforme moné-
taire censée remplacer en un
temps record la quasi-totalité des
billets de banque en circulation.
Une insécurité endémique
Dans un premier temps, les auda-
ces économiques de Bola Tinubu
ont été saluées par les investis-
seurs qui ont plébiscité les obliga-
tions nigérianes comme les ac-
tions de la Bourse de Lagos. « Mais
cela peut prendre un moment
avant que les investisseurs se déci-
dent à revenir pour de bon, car les
chantiers auxquels le Nigeria doit
s’atteler sont gigantesques », note
Charlie Robertson.
De fait, le nouveau président va
se retrouver confronté à des défis
plus complexes s’il est déterminé
à enrayer une insécurité endémi-
que et stimuler la croissance dans
un pays où 40 % de la population
vit dans l’extrême pauvreté. Lors
de sa prestation de serment, il
s’est engagé à porter l’activité à un
rythme de 6 % par an (contre 1,4 %
en moyenne les huit dernières
années) et à doubler la produc-
tion d’électricité.
Mais, dans l’immédiat, ses pre-
mières décisions risquent surtout
d’alimenter une inflation qui dé-
passe déjà les 22 %. En s’envolant,
les prix de l’essence ont déjà en-
traîné dans leur sillage ceux des
transports, de l’électricité et des
denrées alimentaires. « Les réfor-
mes qu’il a initiées sont bonnes sur
le long terme mais douloureuses à
court terme, insiste Tokunbo
Afikuyomi. Sa priorité aujourd’hui
est de s’occuper des plus vulnéra-
bles en prenant des mesures pour
alléger leurs difficultés. » p
Marie de Vergès
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus

La foodtech israélienne, un enjeu politique et économique

De nombreuses start-up émergent dans le domaine des innovations liées à l’alimentation et à l’agriculture

A u dernier étage d’une

tour moderne de Reho-
vot, une ville à 30 kilomè-
tres au sud de Tel-Aviv, Didier Tou-
bia, le patron d’Aleph Farms, pré-
sente au visiteur ce produit dont
il est si fier et qui ressemble à s’y
méprendre à une fine lamelle de
bœuf emballée sous vide. A ceci
près que ce n’est pas de la viande,
mais un aliment issu de la culture
cellulaire. Comme beaucoup de
start-up ­israéliennes, la start-up
Aleph Farms émane des travaux
de recherches faits au Technion,
un institut de technologies mon-
dialement reconnu, qui, à Haifa,
constitue une ville dans la ville.
Dans un de ses nombreux labo-
ratoires, on continue à travailler
pour perfectionner cette alimen-
tation du futur, et notamment
permettre la production de pièces
plus épaisses grâce à l’impres-
sion 3D. Signe de l’intérêt appuyé
du Technion, un centre d’innova-
tion consacré à la foodtech doit
tème technologique israélien
­(organisée par l’agence Raoul)
y voir le jour en 2025.
Le sujet majeur de l’eau
Aleph Farms entend se lancer en
production au plus vite. Dans ses
locaux à Rehovot, elle dispose déjà
d’un démonstrateur pour affiner
ses processus de production et
elle programme l’ouverture d’usi-
nes en Israël et à Singapour d’ici à
2025 permettant de produire des
dizaines de tonnes par an de cet
aliment. Ce, alors même que le feu
vert des autorités sanitaires inter-
nationales est encore attendu.
Didier Toubia − rencontré lors
d’une immersion dans l’écosys-
pour des journalistes français − ne
doute pas que la solution dévelop-
pée par sa société s’imposera au
regard des impératifs écologiques.
Sa « viande » − le mot est soigneu-
sement évité par l’entreprise − gé-
nérerait 78 % moins d’émission de
CO2, et permettrait de réduire la
dépendance à l’égard de l’étranger
pour des pays où l’élevage n’est
pas développé, comme Israël, qui
importe 90 % de sa viande de
bœuf. Déjà l’entreprise s’intéresse
à de nouveaux champs d’action
comme les collagènes pour l’ali-
mentation ou les cosmétiques.
Dans un rapport du début d’an-
née, l’organisme Start-Up National
Center − au cœur de l’écosystème
tech israélien − recense 637 jeunes
pousses consacrées à l’agriculture
et à l’alimentation, dont une majo-
rité (90 %) a moins de 5 ans. « Il y
a indéniablement un boom », es-
time Alon Turkaspa, expert au
sein de l’organisme. Parmi ces so-
ciétés, on en trouve qui cherchent
des sources de protéines alternati-
ves, d’autres qui s’intéressent aux
emballages. De son côté, AKA
Foods travaille à élaborer une in-
telligence artificielle permettant
d’accélérer la production de pro-
duits végétaux imitant le goût et la
consistance d’aliments carnés.
Un « boom » mais aussi une
­tradition. Dès sa création, l’Etat
d’Israël a deux problèmes à résou-
dre : celui de sa défense, d’une
part, et celui de l’alimentation sur
un territoire quasiment déserti-
que. Un des premiers grands suc-
cès technologiques dont accou-
chera le pays est lié à ce dernier
enjeu. Netafim, créé en 1965 (ra-
cheté depuis par un groupe mexi-
cain), lance la révolution du gout-
te-à-goutte irriguer les champs.
Le sujet de l’eau reste majeur en
Israël : la société Watergen a déve-
loppé une solution pour capter
l’humidité dans l’air, y compris
dans les zones les plus déserti-
ques. Celle-ci apportera selon son
responsable, Steve Elbaz, une par-
tie de la réponse dans un monde
où « en 2025, 50 % de la population
mondiale se trouvera dans des
­zones asséchées ». Même si les en-
treprises de l’agritech et de la food-
tech ne sont pas les champions de
la tech Israélienne − dont les plus
connus sont le service de naviga-
tion Waze ou Mobileye, dans la
conduite autonome −, la résilience
de ce secteur dans une période de
retrait des fonds d’investissement
démontre son dynamisme.
En Israël, le sujet est politique et
le président Isaac Herzog a récem-
ment affirmé son ambition de
faire émerger un hub internatio-
nal pour des solutions dans le
­domaine de l’eau et de l’alimenta-
tion. Anne Baer, fondatrice de
l’agence Ikare Innovation, qui
met en relation entreprises étran-
gères et start-up ­israéliennes, va
plus loin : « Dans le cadre de la po-
litique de soft power d’Israël, la
tech est aussi utilisée dans les dis-
cussions avec les pays africains ou
arabes qui peuvent avoir ces mê-
mes problématiques de nourri-
ture, d’agriculture et d’eau. » p
Vincent Fagot
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023
Airbnb passe à la contre-offensive
Accusée de contribuer à la flambée des prix de l’immobilier et de siphonner une partie de
l’offre du parc locatif, la plate-forme de meublés touristiques cherche à changer son image
C’ est une grogne qui n’a
cessé d’enfler ces der-
niers mois. Face à des
difficultés grandissantes d’accès
au logement dans leur commune,
des élus de tout bord sont montés
au créneau contre la vague de
transformation d’appartements
en meublés touristiques, alimen-
tée par le succès d’Airbnb. Des mé-
dias en ont fait des « unes » au vi-
triol. « Le cancer Airbnb », a titré le
magazine Marianne le 25 mai.
Quand Nice-Matin, le 15 juin, inter-
rogeait : « Interdire Airbnb ? »
Le groupe de San Francisco,
poids lourd des plates-formes de
location de meublés touristiques,
est accusé de contribuer à la flam-
bée des prix de l’immobilier et de
siphonner une partie de l’offre du
parc locatif. « Tous les élus que je
croise se disent en faveur d’une li-
mitation des plates-formes », sou-
ligne Frédéric Hocquard, adjoint
au tourisme à la Mairie de Paris.
La niche fiscale dont bénéficient
les propriétaires de logements de
type Airbnb constitue l’un des
principaux chevaux de bataille.
Les loueurs de meublés touristi-
ques classés bénéficient d’un
abattement forfaitaire de 71 %
(jusqu’à 176 200 euros de recet-
tes), contre 50 % pour les meublés
classiques, et 30 % pour les loca-
tions classiques vides (dans la li-
mite de 15 000 euros de loyers).
Au printemps, le dépôt d’une
proposition de loi transpartisane
visait à resserrer le barème des
abattements fiscaux − un texte re-
porté sine die alors qu’il devait
être examiné mi-juin à l’Assem-
blée nationale. Et l’exécutif ne
pouvait pas rester indéfiniment
sourd à l’appel des élus. Le 9 juin,
le ministre de l’économie, Bruno
Le Maire, s’est finalement déclaré
prêt à lancer une réforme. « Nous
allons travailler, faire des proposi-
tions, mais j’ai du mal à compren-
dre la fiscalité très favorable qui
s’applique aujourd’hui à Airbnb »,
a-t-il assuré sur RMC/BFM-TV. Une
mesure qui pourrait figurer dans
le projet de loi de finances 2024.
Face à cette levée de boucliers, la
firme américaine adopte un nou-
veau positionnement. « Je suis
pour la réglementation, clame Em-
manuel Marill, le directeur général
d’Airbnb en France, y compris en
faveur des mesures de compensa-
tion, afin de ne pas retirer de loge-
ments aux habitants. » La compen-
sation prévoit qu’un logement
transformé en meublé touristique
doit être compensé par la transfor-
mation d’un commerce ou d’un
bureau en habitation.
Non aux quotas
« Airbnb mène une opération de sé-
duction à l’égard des élus, estime
Didier Lechien, maire (Horizons)
de Dinan (Côtes-d’Armor). Ils sont
très bien informés : à peine avait-on
eu l’intention de mettre en place
une réglementation qu’une diri-
geante de la plate-forme m’a con-
tacté. » Mi-avril, celle-ci a proposé
à l’édile « un accompagnement, en-
tre partenaires, raconte M. Le-
chien. Elle a dit comprendre nos
préoccupations. Tout pour que
l’image d’Airbnb ne soit pas abîmée
par les débats en cours ».
CONCOURS CADRE
DE DIRECTION
Inscriptions du 1er juin au 12 juillet 2023
Épreuves écrites le 23 septembre 2023
Rejoignez une institution au cœur
de l’Europe et au service des Français.
« Airbnb mène
une opération
de séduction à
l’égard des élus »
Didier Lechien
maire de Dinan
La plate-forme a de même cher-
ché à rencontrer le maire nationa-
liste de Bastia (Haute-Corse),
Pierre Savelli, mi-mai, avant que
le conseil municipal ne vote une
réglementation des locations de
courte durée. « Ils ont beaucoup
insisté, j’ai dit non, pas avant le
vote, s’ils avaient des choses à
nous dire, il fallait le faire plus
tôt », rapporte l’élu.
« Toutes les réglementations ont
été mises en place malgré Airbnb »,
s’agace également Ian Brossat,
l’adjoint (communiste) au loge-
ment à la Mairie de Paris. En 2016,
à la suite d’un amendement
adopté par les sénateurs, autori-
sant les communes de plus de
200 000 habitants à rendre obli-
gatoire l’enregistrement de loca-
tions saisonnières sur des plates-
formes, Airbnb avait déploré une
mesure qui « défavorisera les par-
ticuliers ».
« Ils ont tout fait pour esquiver
les règles, et on les a même fait
condamner à payer 8 millions
d’euros pour publication d’annon-
ces sans numéro d’enregistrement.
Qu’ils n’aillent pas nous faire croire
qu’ils sont partisans de la régle-
mentation », poursuit l’élu.
Niveau Bac+5 minimum
#1001MÉTIERSPOURVOUSRÉALISER
Économie & Entreprise | 15
Le géant américain a-t-il changé
de stratégie ? Face au mécontente-
ment, il choisit en tout cas ses
combats. Oui dans une certaine
mesure à la réglementation, mais
non aux quotas, comme ceux que
la municipalité de Saint-Malo (Il-
le-et-Vilaine) a mis en place. La
plate-forme constate que la niche
fiscale de 71 % « choque », mais pas
question de passer à un seul abat-
tement, limité à 30 %, pour toutes
les locations. « Les propriétaires
qui louent ne sont pas des spécula-
teurs, 25 % d’entre eux sont des se-
niors, et une telle réforme taperait
sur le pouvoir d’achat », met en
avant Emmanuel Marill, directeur
général d’Airbnb en France.
Cette stratégie passe aussi par
des propositions. Dans une lettre
au ministre délégué au logement,
Olivier Klein, le groupe propose
plusieurs pistes de travail. En pre-
mier lieu, que les revenus tirés des
locations de meublés de tourisme
soient mieux pris en compte par
les banques dans le calcul de la ca-
pacité d’emprunt des ménages.
La plate-forme voudrait aussi
faciliter la sous-location, ce qui
lui ouvrirait un nouveau marché,
tout en donnant du pouvoir
d’achat aux locataires. Enfin, la
firme suggère « un cadre fiscal in-
citatif pour les hôtes qui utilisent
leurs revenus pour financer leurs
travaux de rénovation ». Des pis-
tes qui restent éloignées des
principaux enjeux de la crise du
logement : la pénurie et la hausse
des loyers. p
Marjorie Cessac
et Véronique Chocron
Pertes & profits |
par J ean-Mic hel Bezat
Trois mille milliards,
du bon et du mauvais
Les gros chiffres peuvent cacher
une bonne ou une mauvaise
nouvelle. Prenez celui de
3 000 milliards, en euros ou
en dollars. Quand il s’agit de la
capitalisation boursière d’une
entreprise, c’est tout bénéfice
pour ses actionnaires ; quand
il concerne une dette publique,
contribuables et générations
futures ont du souci à se faire.
Par un curieux hasard de calen-
drier, vendredi 30 juin, Apple a
franchi pour la première fois en
clôture du Nasdaq les 3 000 mil-
liards de dollars de capitalisation
boursière, au moment où l’Insee
annonçait que l’endettement
de la France avait atteint
3 013 milliards d’euros fin mars.
Un mauvais résultat et un bon ?
Assis sur une montagne de cash
Que la dette se creuse à 112,5 % du
PIB est évidemment une nouvelle
aussi inquiétante qu’attendue.
Elle a doublé depuis la crise de
2008, et la politique du « quoi
qu’il en coûte » pour répondre à
une crise liée à la pandémie de
Covid-19 et à la flambée des prix
de l’énergie l’a creusée. Cela relati-
vise les critiques d’une gauche ra-
dicale accusant sans ciller Emma-
nuel Macron de se plier à l’ortho-
doxie libérale, alors que la France
en a fait plus pour soutenir l’acti-
vité que pour réduire ses déficits.
Il reste que son taux d’endette-
ment est de dix points supérieur
à la moyenne de la zone euro,
compliquant sa relation déjà dif-
Finance
ficile avec l’Allemagne, qui lui
réclame plus de rigueur. Quant
à son taux d’emprunt à dix ans,
il flirte avec les 3 %. « Laisser filer
la dette, c’est léguer à nos enfants
moins de services publics, moins
de protection sociale et plus d’im-
pôts », a prévenu la première mi-
nistre, Elisabeth Borne. Ce qui
n’empêche pas Paris de refuser
toute règle automatique de ré-
duction de l’endettement souhai-
tée par les « frugaux » du Nord.
Pour les actionnaires d’Apple,
le seuil de 3 000 milliards de
dollars (3 051 milliards d’euros)
est un événement aussi positif
qu’attendu : 1 000 milliards sup-
plémentaires depuis janvier,
2 000 milliards depuis 2018, c’est
l’assurance de plus de dividen-
des. Assis sur une montagne de
cash (170 milliards), le géant est
le plus généreux des Gafam.
Hausse des taux d’intérêt et
menaces de récession n’y ont
rien fait : chahutées en 2022, les
valeurs technologiques ont re-
bondi. Leurs plans de licencie-
ments et surtout les promesses
de l’intelligence artificielle sédui-
sent les marchés. Que les Big Tech
pèsent lourd dans les indices aux
Etats-Unis et en Asie est logique,
mais la valorisation globale sem-
ble déconnectée de la réalité éco-
nomique. « Les attentes en ma-
tière de bénéfices sont trop élevées
et les valorisations trop importan-
tes », prévient Pimco. Mais il est
vrai que c’est le premier gestion-
naire mondial… d’obligations. p

16 | Économie & Entreprise
Dossier
C’
est une lente renaissance.
Au début de la décennie
2010, les uns après les
autres, les pays européens
ont renoncé aux trains de
nuit. Une véritable héca-
tombe. Seules quelques exceptions, comme
le Paris-Briançon, le Paris-Rodez-Latour-de-
Carol, via Toulouse, le Rome-Palerme ou les
lignes autrichiennes, ont échappé à cette
lame de fond. Dans certains Etats, comme
l’Espagne, ces trains ont complètement dis-
paru. De Paris, on ne peut plus aller à Venise
par le rail, sauf à voyager dans le luxueux et
inaccessible Venise-Simplon-Orient-Express.
Les liaisons qui se sont maintenues ont beau-
coup souffert : peu d’investissements, pas de
renouvellement du matériel roulant, de gros
défauts de ponctualité.
Cela commence toutefois à changer. Gra-
duellement, au prix d’un effort conjugué de
l’Union européenne et des Etats, grâce aussi
à un regain d’intérêt des passagers, soucieux
de modérer leur empreinte carbone, l’offre se
reconstitue. « Un voyage en train de nuit pol-
lue vingt-huit fois moins qu’un voyage en
avion », calcule l’organisation non gouverne-
mentale Transport & Environment, dans
une étude qu’elle vient de publier avec l’asso-
ciation Back-on-Track. « C’est cinquante fois
moins de CO2 par personne et par kilomètre »,
renchérit Andreas Matthä, le PDG d’Österrei-
chische Bundesbahnen (ÖBB), les chemins
de fer fédéraux autrichiens, champions des
trains de nuit avec leur marque européenne
Nightjet. A l’international – deux tiers des li-
gnes de nuit autrichiennes commencent ou
finissent à l’étranger –, Vienne-Paris, via Mu-
nich, et Zurich-Amsterdam, via Cologne, ont
été relancées. L’ouverture de deux lignes noc-
turnes Paris-Berlin et Bruxelles-Berlin est at-
tendue à la fin de l’année et une liaison Zu-
rich-Barcelone pourrait voir le jour en dé-
cembre 2024.
La Question du modèle économique
La start up belgo-néerlandaise European
Sleeper, créée sous forme de coopérative,
fait déjà circuler trois trains de nuit par se-
maine entre les capitales belge et allemande.
La prochaine frontière, ce sont les liaisons
entre les Pays-Bas et l’Espagne, à la fois pour
Nightjet et European Sleeper. « Quand nous
avons ouvert la liaison vers Amsterdam, le
train a tout de suite été complet », se félicite la
ministre autrichienne du climat, de l’envi-
ronnement, de l’énergie et des mobilités,
l’écologiste Leonore Gewessler.
En France, un rapport de mai 2021, réalisé
par les services du ministère des transports
sur les trains d’équilibre du territoire, ceux
que l’Etat commande à la SNCF et subven-
tionne, a préconisé la relance des trains de
nuit domestiques. Jean Castex, alors premier
ministre et amoureux du rail, et son ministre
délégué, Jean-Baptiste Djebbari, ont promis
une dizaine de lignes à l’horizon 2030. Ont
Le train de nuit attend
son grand soir
Alternative séduisante au TGV ou à l’avion pour limiter les émissions de CO₂,
les trains de nuit font leur retour en Europe. Mais le big bang tant espéré par leurs
fervents défenseurs se heurte à de nombreux obstacles économiques et industriels
déjà été relancés le Paris-Nice et le Paris-Tar-
bes-Lourdes. La liaison Paris-Aurillac est at-
tendue à la fin de l’année. Faut-il aller plus
loin ? A quel prix ? Le débat est ouvert, et c’est
maintenant à Elisabeth Borne de rendre les
arbitrages cet été, dans le cadre de sa « nou-
velle donne ferroviaire » : reste-t-on à cinq li-
gnes ou double-t-on la mise ?
La première question à laquelle doivent ré-
pondre les défenseurs du train de nuit est
celle du modèle économique. Comment
rendre compétitif ce voyage lent qui peut
apparaître comme un produit de luxe lors-
que l’on veut dormir dans une couchette ou
dans un wagon-lit face aux petits prix des
La stratégie gagnante d’ÖBB, pionnier autrichien des « Nightjet »
Sur le quai numéro 8 de la gare
principale de Vienne, les voyageurs en
partance pour Bruxelles, Amsterdam
ou Hambourg par le Nightjet de 19 h 35
se dirigent vers leur voiture, prêts
pour y passer la nuit. Ils regardent par-
tir un autre train de nuit, à destination
d’Ancône, en Italie, via La Spezia. De-
puis Vienne, la compagnie nationale
autrichienne Österreichische Bundes-
bahnen (ÖBB) dessert les principales
villes d’Europe en train de nuit, sous la
marque Nightjet. C’est une tradition
nationale et un choix volontariste,
confirmé lorsque la Deutsche Bahn,
la compagnie de chemins de fer alle-
mande, a décidé d’arrêter ce type de
voyages, trop peu rentables. « C’était
en octobre 2016, se souvient Andreas
Matthä, le géant qui a pris la direction
d’ÖBB en 2016, après trente-quatre ans
de maison. Nous leur avons racheté
une partie de leur réseau et tout leur
matériel. A l’époque, cela faisait sourire.
Dans le métier, tout le monde sait qu’on
ne fait pas fortune avec les trains de
nuit. Et puis il y a eu Greta Thunberg… »
La jeune militante suédoise a contri-
bué à populariser le mouvement dit
billets des compagnies aériennes low cost ?
« C’est très compliqué », reconnaît l’étude de
Transport & Environment, pour une raison
simple : un vol en avion coûte cher au décol-
lage et à l’atterrissage, du fait notamment
des frais d’aéroport, mais il ne nécessite pas
d’infrastructures entre les deux. Plus il reste
longtemps en vol, plus il amortit ses coûts
aux deux bouts du voyage. Or, plus il vole
haut et longtemps, plus il aggrave l’effet de
serre. Le train, c’est l’inverse : il utilise une in-
frastructure lourde – les rails, les aiguillages,
la signalisation à terre – qu’il rémunère par
un coût de péage. Plus la distance est longue,
plus ce coût est élevé.
« de flygskam », « honte de voler », et
l’impératif de réduire nos émissions
de CO₂. Depuis, le train de nuit a re-
trouvé des couleurs et surtout sa po-
pularité. Chaque année, ÖBB Nightjet
étend sa toile, sous l’œil bienveillant
de l’Union européenne. En décem-
bre 2020 à Bruxelles, sous l’égide de
quatre ministres, en particulier de
Leonore Gewessler, chargée du cli-
mat, de l’énergie et des mobilités à
Vienne, la compagnie autrichienne a
signé avec la SNCF, la Deutsche Bahn
et CFF, les chemins de fer suisses, un
accord pour ouvrir de nouvelles li-
gnes, dont le Paris-Vienne, opéré par
la SNCF sous la marque Nightjet, qui
relie trois fois par semaine les deux
capitales depuis décembre 2021.
Mardi 27 juin, le Vienne-Bruxelles-
Hambourg-Amsterdam compte qua-
tre voitures pour Bruxelles, cinq pour
Amsterdam et quatre pour Ham-
bourg. A Nuremberg (Bavière), il re-
joint le train Innsbruck-Munich-Ams-
terdam-Hambourg pour former un
seul convoi jusqu’à Cologne (Rhéna-
nie-du-Nord-Westphalie), où ils se sé-
parent vers leur destination finale.
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023
Une cabine
individuelle dans
un train de nuit
autrichien ÖBB,
novembre 2018.
CHRISTIAN BEUTLER/
KEYSTONE/MAXPPP
« C’est un énorme défi, explique Alain
Comment rendre Krakovitch, directeur général de TGV-Inter-
compétitif cités à SNCF Voyageurs. Une place assise
dans un avion peut être vendue jusqu’à cinq
ce voyage lent fois par jour, une place assise dans un TGV
jusqu’à quatre fois, mais une place dans le
face aux petits train de nuit n’est vendue qu’une seule fois. »
Sans compter, comme le rappelle l’étude de
prix des billets Transport & Environment, que les sièges in-
des compagnies clinables nécessitent 10 % à 30 % d’espace
supplémentaire par rapport aux sièges clas-
d’aviation siques, une couchette entre 30 % et 100 % de
plus, une cabine entre 100 % et 300 %. Le
low cost ? dernier-né des trains de nuit européen, le
Viaggio Comfort, de Siemens, propose certes
Ces combinaisons, qui optimisent ment pleines. Cela représente 15 % de
l’utilisation du matériel et des sillons notre chiffre d’affaires. On pourrait
ferroviaires, permettent à ÖBB d’at- faire plus ». Les lignes les plus fréquen-
teindre la rentabilité, avec une sub- tées sont Vienne-Hambourg, Zurich-
vention de 10 % de l’Etat autrichien. Hambourg, Munich-Rome ou Vienne-
Paris. Sur cette dernière, le taux de
« Bon pour l’âme » remplissage atteint 70 %. Paris-Bruxel-
Pour répondre aux besoins de tous les les-Berlin va aussi ouvrir en décembre.
types de passagers, les Nightjet Les réservations pour ce Paris-Berlin
­comprennent trois types de voitures : ouvriront le 19 septembre.
celles avec des places assises, inclina- Mais les plus chanceux sont les
bles, réparties en compartiments de voyageurs qui iront en Nightjet vers
six, avec des billets en vente dès l’Italie. C’est là que seront mises en
29,40 euros sur le Paris-Vienne. Des service les nouvelles rames Viaggio
voitures-couchettes, par quatre ou que Siemens commence tout juste à
six, et les wagons-lits, où alternent livrer à ÖBB. « Nous avons commandé
les cabines de deux ou trois lits trente-trois nouveaux trains avant la
(douillets, avec couette, oreillers et pandémie, en 2018 : ils ont un retard
chaussons fournis et même une mini- d’un an mais les tests sont en cours et
serviette), équipées d’un petit lavabo, nous espérons que les premiers roule-
et les cabines de luxe (un ou deux lits) ront en décembre. C’est un investisse-
avec W.-C. et douche. Comptez de 175 à ment de 700 millions d’euros. » Nou-
371 euros, dans cette voiture. veau design, « cabine capsule » pour
La demande est clairement là pour plus d’intimité dans les wagons-lits,
ce slow travel, le voyage lent, « qui est couchettes plus confortables,
bon pour l’âme, philosophe Andreas meilleur confort sonore et pointes à
Matthä, que l’on prépare à arriver dans 230 kilomètres à l’heure, autant de
un autre pays. Nous avons vingt lignes progrès appréciables. p
de trains de nuit, et elles sont pratique- S. Fa (Vienne, envoyée spéciale)
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023
Réouverture des lignes
de nuit en France
Lignes de train de nuit
au départ ou passant
par la France
En service
Ouverture annoncée
entre fin 2023 et 2030
(tracé de lignes non définitif)
Au départ-arrivée de Paris
Lignes internationales
Gare de départ
ou d’arrivée
Lignes existantes en 1981
supprimées depuis
Autres lignes de nuit
en service en Europe Bayonne
Hendaye
(juillet-
septembre)
Madrid
Le train de nuit avantageux sur les moyennes distances
Prix moyen d’un billet de train de nuit en Europe
en fonction de la distance parcourue, en euros
Péage ferroviaire Autres (infrastructure,
personnel...)
250
200
150
100
50
600 1 000 2 000
une nouvelle formule, des « capsules », qui
permettent d’avoir plus d’intimité que les
couchettes, sans pour autant occuper une
cabine réservée, mais elles sont toujours
plus encombrantes que des sièges.
Pour le Pyrénéen Pascal Dauboin, l’un des
cofondateurs de l’association Oui au train de
nuit !, seul un choc d’offre peut rendre le mo-
dèle rentable. Il s’appuie sur le rapport de
mai 2021 confirmé par le dernier rapport du
Conseil d’orientation des infrastructures
(COI), l’organe transpartisan qui hiérarchise
les priorités à la demande du gouverne-
ment. A ce titre, il exclut le statu quo : « La
poursuite d’un nombre limité de lignes ne
permet pas de perspectives dans la durée. »
Mais il ajoute : « La mise en place d’un réseau
peut en revanche avoir un impact sur la visi-
bilité, l’offre commerciale, la communication,
la mutualisation des ressources et charges, et
permettre le développement d’un matériel
adapté. » C’est ce que fait ÖBB. Transposé en
France, ce modèle permettrait, en augmen-
tant de quelques dizaines de millions
d’euros la subvention d’équilibre que dé-
pense déjà l’Etat (175 millions d’euros par an
pour les Intercités et les trains de nuit),
d’économiser 110 000 tonnes de CO2 par an,
de diminuer les accidents de voiture, sans
compter « la valeur du temps pour les voya-
ges de nuit », sur laquelle il n’y a pas de con-
sensus entre économistes, note le COI.
Un savoir-faire qui ne s’invente pas
A lire ces rapports, on se demande pourquoi
Elisabeth Borne hésite encore ! Et pourquoi,
par exemple, les parlementaires du Cantal
ont dû monter au créneau et interpeller le
gouvernement lors des questions d’actualité
pour faire respecter la promesse de Jean
­Castex de mettre en place un train de nuit
quotidien entre Aurillac et Paris, et pas seu-
lement le week-end et pendant les vacances
scolaires de l’Ile-de-France. Au ministère des
transports, on fait mine de ne jamais avoir
entendu l’ancien premier ministre men-
tionner de fréquence et l’on concède que le
train de nuit circulera quotidiennement
pendant les vacances de la zone A (académie
de Clermont-Ferrand). Mais on ne s’avance
pas davantage. Car il y a un bémol au raison-
nement des adeptes du train de nuit : il faut
acheter du matériel roulant. Et l’affaire se
complique à cette étape, aussi bien financiè-
rement que sur le plan opérationnel.
« Nous avons toujours dit qu’il faudrait in-
vestir 1,5 milliard d’euros pour acheter
600 nouvelles voitures », poursuit Pascal
Dauboin, défendant toujours le choc d’offre.
Lille
Printemps
2025
Paris
Les Aubrais-
Orléans
2027
2024
Clermont-Ferrand
Déc.
Lyon
2023
Bordeaux
Aurillac
Dax Montauban Rodez
Avignon
Toulouse
Albi
Marseille
Pau
Lourdes Tarbes Montpellier
Foix
Perpignan
Latour-de-Carol
Portbou
Gérone
2030
Barcelone
Temps de trajet réel en fonction de la distance
par moyen de transport en Europe*
en heures et en km
15 Train classique (175 km/h)
Compétitif jusqu’à
10 500 km
5 à 95 €
Compétitif de 500
0 à 1 500 km. Les huit
heures de sommeil n’étant
pas considérées comme
–5
« perdues » dans le trajet
2 600 km 100 500 1 500
Il rappelle que c’est une dépense pour qua-
rante ans. La preuve, les actuels trains de
nuit fonctionnent avec 129 voitures qui ont
45 ans d’âge moyen. On a même dépensé
106 millions d’euros pour les rénover entre
2021 et 2023, aux trois quarts financés par
France Relance. Un programme lourd, alors
qu’elles ne répondent pas toujours aux nor-
mes européennes « du fait de la présence
d’amiante », peut-on lire dans le rapport du
COI. Commander du matériel n’a rien de
simple : les capacités de production des in-
dustriels sont saturées. Les délais de livrai-
son sont de cinq à huit ans.
C’est le principal obstacle que rencontrent
les start-up comme Midnight Trains. Et
l’ouverture à la concurrence – à l’horizon
2028 pour ces trains d’équilibre du territoire
aujourd’hui confiés en totalité à la SNCF –
vient tout compliquer. Avant, l’Etat déléguait
ces achats à SNCF Voyageurs, qui assurait la
maîtrise d’ouvrage. Désormais, il doit faire
l’appel d’offres lui-même en s’appuyant sur
des conseils extérieurs, faute d’avoir les com-
Paris-Venise en grand luxe pour 4 000 euros
C’est à James Sherwood (1933-
2020) que l’on doit le sauvetage
du mythique Venise - Simplon
- Orient-Express (VSOE), seul
moyen aujourd’hui de relier Ve-
nise en train direct depuis Paris.
Cet Américain installé à Londres a
fondé le groupe Belmond. Tout
commence en 1976, lorsqu’il ac-
quiert l’Hôtel Cipriani, à la pointe
de la Giudecca. Quelques années
plus tard, lors d’une vente aux en-
chères organisée par Sotheby’s à
Monaco, il parvient à acheter deux
des voitures du train mythique de
la Compagnie des wagons-lits, le
roi du Maroc s’offrant les deux
autres. Il charge ensuite une
équipe d’ingénieurs de parcourir
le monde pour reconstituer le
train et ses dix-sept voitures. Les
meilleurs artisans de France sont
mobilisés, comme l’expert en mar-
queterie de Clermont-Ferrand Phi-
lippe Allemand, formé à l’Ecole
Boulle, dont les deux enfants ont
repris l’entreprise, pour les restau-
rer dans les règles de l’art. « Ce sont
eux qui ont fait la marqueterie des
nouvelles suites que nous allons
Économie & Entreprise | 17
Amsterdam 2024 Varsovie
Berlin
Décembre
2023 Sources : SNCF ; Toute l’Europe ; Michelin ; Ademe ;
Back-on-Track.eu ; Transport & Environment ;
Midnight Trains
Infographie Le Monde ; Victoria Denys ;
Sylvie Gittus-Pourrias ; Benjamin Martinez
Vienne
Linz
Strasbourg
Munich
Zurich
Dijon
Le rail, un moyen de transport plus écologique
Décembre
Comparatif des moyens de transport d’un Paris-Nice
2024
avec une réservation un mois à l’avance, établi le 26 juin 2023
pour le 26 juillet 2023.
Milan Vérone Emissions de CO2
2025 Temps Prix* par passager
Venise
Briançon
51 kg
Gap 9 h 16 à 46 €
Nice Florence 15 heures à 74 € (24 kg pour
une voiture
Voiture
(4 places) électrique)
Cannes
2029
Toulon
1 h 35** 76 € 158 kg
Rome Avion
15 h 50 43 € 27 kg
à 16 h 40 à 75 €
Bus
Avion (900 km/h)
5 h 31 64 € 2,3 kg
Compétitif au-delà de 1 500 km. à 6 h 45 à 89 €
Temps d’attente et de trajet
vers l’aéroport compris TGV
Train de nuit
(125 km/h) 82 € 6 kg
12 h 33
* Selon le think tank
Train de nuit
Back-on-Track.eu
* Pour des billets en seconde classe et classe économique sans Carte avantage
qui promeut le train
de nuit en Europe ** Ne prend pas en compte le temps des trajets vers l’aéroport et l’attente
avant le vol
3 000 5 000
pétences pour élaborer le cahier des charges les coûts moindres chaque année finissent
du train et en vérifier les spécificités. Un sa- Le taux par représenter une addition plus salée à
voir-faire qui ne s’invente pas. Il suffit d’ac- d’occupation long terme, comme souvent dans les parte-
compagner une nuit les équipes de travaux nariats public-privé.
de la SNCF : chaque outil, chaque aménage- des trains de nuit Au ministère des transports, le scénario de
ment sur les rails ou les voies est un progrès rêve des lobbyistes du train de nuit – une
incrémental développé après un incident est passé de 40 % vingtaine de lignes au lieu de cinq – n’est pas
plus ou moins grave. Dans le ferroviaire, le sur la table. Mais il faut choisir entre consoli-
retour sur expérience est stratégique.
en 2019 à 70 % der les cinq lignes qui existeront une fois
Pour l’achat de nouveaux matériels, le mi- aujourd’hui sur lancé le Paris-Aurillac ou en créer cinq autres.
nistère des transports s’interroge aussi sur Pour l’instant, côté SNCF, l’opération de re-
deux modes de financement possibles. Soit le Paris-Toulouse lance des trains de nuit est un succès com-
l’Etat investit en direct, soit il confie l’acqui- mercial. Alain Krakovitch constate un chan-
sition à ce que les financiers appellent une ou le Paris-Nice gement dans la clientèle : « Ce n’est plus la
Rosco, pour rolling stock company, une so- même qu’il y a dix ans : il y a plus de clients en
ciété opérant du matériel roulant, laquelle semaine, signe qu’il y a plus de déplacements
s’endette pour acheter les voitures, puis les professionnels. » C’est notamment visible sur
loue à l’Etat ou à l’opérateur. Une sorte de le Paris-Toulouse, qui propose des douches
leasing. Ce mode de fonctionnement est dans chaque gare à l’arrivée du train pour les
déjà très utilisé pour les wagons de trans- passagers de première classe. Les voyages de
port de marchandises. Avantage : la Rosco nuit représentent 8 % du trafic total sur cette
peut se charger de l’entretien et des risques ligne. Le taux d’occupation de ces trains est
opérationnels, et l’Etat n’a pas à décaisser passé de 40 % en 2019 à 70 % aujourd’hui sur
une grosse somme initiale. Inconvénient : le Paris-Toulouse ou le Paris-Nice.
Distorsions de concurrence
Durant l’été, la SNCF prolonge le Paris-Tar-
bes-Lourdes jusqu’à Hendaye (Pyrénées-At-
lantiques). Quant au train de nuit Paris-Cer-
ouvrir en juillet », explique Pascal est recommandé de porter robe bère, il sera quotidien à partir du 8 juillet.
Deyrolle, directeur du VSOE. longue ou smoking. Le bar reste Alain Krakovitch rappelle que le choix a été
Ce passionné est monté à bord ouvert toute la nuit. Le succès est fait d’avoir des trains de nuit accessibles à
en 1992. « J’ai eu la chance d’y servir là : 28 % de hausse du chiffre d’af- tous avec des premiers prix en seconde
le cinéaste Francis Ford Coppola faires entre cette année par rapport classe à partir de 29 euros. Et qu’actuelle-
et sa fille Sofia, Keith Richards, le à 2022, qui avait battu le record de ment la subvention de l’Etat équivaut au
guitariste des Stones, qui s’est mis 2019. Belmond, qui appartient à prix payé par le passager.
au piano dans la nuit au wagon- LVMH, élargit donc son offre. Il est Pour soutenir le mouvement de relance et
bar alors qu’il ne restait plus que le maintenant possible d’aller à Moû- réduire les distorsions de concurrence avec
personnel », raconte cet amoureux tiers, Albertville ou Bourg-Saint- l’avion, Transport & Environment milite
du train, intarissable sur les mo- Maurice (Savoie) en décembre, et à pour que la TVA sur les billets internatio-
ments uniques vécus à bord. La- Vienne à Noël. Le groupe fait voya- naux soit supprimée : ce que font déjà la
ques de Chine, bouquets de fleurs ger d’autres trains mythiques, France et plusieurs pays européens, mais
en marqueterie ou cristaux de Lali- comme le Royal Scotsman en pas tous. Ou pour que les Etats allègent le
que, chaque voiture est un décor Ecosse, équipé d’un spa Dior. coût du péage des sillons : c’est ce à quoi
unique, conçue par un designer dif- La concurrence essaie de s’organi- s’emploie la Belgique pendant deux ans
férent dans les années 1920. « Vous ser, mais le train de nuit, même de pour redynamiser les liaisons internationa-
pouvez même voyager dans le 3309, luxe, ne s’improvise pas. Accor, à les. « Lorsqu’on lance une nouvelle ligne, il faut
qui s’est retrouvé bloqué cinq jours qui appartient la marque Orient- la soutenir, mais il faudrait une politique euro-
dans la fameuse tempête de neige Express, ne fera pas circuler le sien péenne en la matière », préconise Leonore
avant Istanbul en 1929 », ajoute l’in- avant… fin 2025. Quant à la start-up Gewessler, la ministre autrichienne, pour
tarissable Pascal Deyrolle. Midnight Trains, lancée par Adrien qui « l’Europe a besoin du train, notamment
Aucun voyage à bord du Ve- Aumont, fondateur de KissKiss- pour atteindre la neutralité en carbone, mais
nise - Simplon - Orient-Express BankBank, pour relancer le Paris- le train a besoin d’Europe ». Pour que la vente
ne ressemble à un autre, mais cela Milan-Venise de nuit, avec une offre de billets soit plus fluide, pour qu’il puisse y
a un coût. Le « classique Paris-Ve- haut de gamme, elle n’a pas encore avoir un jour un système de billet européen
nise » approche 4 000 euros par trouvé de matériel roulant, mais a – on en est loin – et surtout pour venir à bout
personne. Un chauffeur vient vous sélectionné l’industriel qui fera ses de la principale distorsion de concurrence :
chercher chez vous, le dîner est voitures, sans en dévoiler le nom. p l’absence de taxation du kérosène. p
conçu par le chef Jean Imbert et il S. Fa. Sophie Fay
18 | Carnet ­
0123
­Mardi 4­ juillet 2023

Mme Michèle Gille, Sophie Garcelon, Romain Vidonne,

son épouse, Philippe Pouletty, son fils, Concerts
Anne et Philippe, Jean-François Pouletty, Danielle Perroton,
ses enfants ses enfants sa compagne
en vente et leurs conjoints, Anne et Robson, et leurs conjoints, Et ses frères
actuellement Le Carnet Rebecca, Chiara, Marina, Cléo et Ses neuf petits-enfants
et leurs conjoints,
Ainsi que la famille Vidonne,
Vinicius,
Ses dix-neuf arrière-petits-enfants, ont le chagrin de faire part du décès
ses petits-enfants,
K En kiosque Son frère et sa belle-sœur,
de
Ses neveux et nièces
Vous pouvez nous faire ont la tristesse de faire part du décès et leurs enfants,
de Paul VIDONNE,
HORS-SÉRIE
HANS HARTUNG ET
parvenir vos textes Les familles Pouletty, Brunet, Drutel,
Garcelon, Rameau,
ANNA-EVA BERGMAN
JOSÉPHINE BAKER M. Bernard GILLE, survenu le 29 juin 2023,
SARAH BERNHARDT
ROSA BONHEUR soit par e-mail : professeur agrégé d’espagnol ont la grande tristesse de faire part à l’âge de soixante-seize ans.
et maître de conférences du décès du
PIERRE CARDIN
CEZANNE
DALI
MIRO
carnet@mpublicite.fr en littérature espagnole Docteur d’État en économie, maître Du 2 au 22 juillet 2023,
MONET
(en précisant impérativement à la Sorbonne, docteur Jacques POULETTY, de conférence des Universités, expert vibrez au son
80
GUSTAVE MOREAU
CAROL RAMA
né Jacques POLETTI, informatique près la cour d’appel de
LA VILLA SEURAT
VAN GOGH votre numéro de téléphone survenu le 27 juin 2023, à Paris, officier de la Légion d’honneur, Grenoble, fondateur du LERTI, il avait de la musique de chambre
MAISONS
D’ARTISTES et votre éventuel numéro à l’âge de quatre-vingt-huit ans.
survenu le 29 juin 2023, à l’aube de
eu le plaisir de faire deux fois la au cœur du Marais,
traversée de l’Atlantique à la voile.
d’abonné ou de membre
P O U R L’ É T É
ses quatre-vingt-quatorze ans. à la cathédrale Sainte-Croix
Une cérémonie religieuse sera
La maison
de Claude Monet à Giverny.

Hors-série de la SDL) célébrée ce 4 juillet, à 10 h 30, en Il a rejoint son épouse,

La cérémonie aura lieu ce 4 juillet, des Arméniens,
l’église Sainte-Thérèse de Boulogne- à 10 heures, en l’église de Reignier
Billancourt. (Haute-Savoie). ainsi qu’aux Archives nationales
soit sur le site : Michèle POULETTY,
et en Île-de-France.
HORS-SÉRIE

https://carnet.lemonde.fr « Je ne parlerai pas, décédée le 25 décembre 2018. Sa famille

je ne penserai rien :
Mais l’amour infini
L’équipe du Carnet me montera dans l’âme,
INCLUS
Et ses amis,
La cérémonie religieuse sera célébrée Venez vivre
le jeudi 6 juillet, à 10 heures, en
ont la tristesse d’annoncer le décès

l’église Saint-Louis-en-l’Ile, Paris 4e, de grands moments

des dessins

reviendra vers vous Et j’irai loin, bien loin,

rares et inédits

dans l’intimité familiale. de

comme un bohémien, d’évasion musicale
dans les meilleurs délais Par la Nature, heureux
L’inhumation aura lieu le même Claudine VILLAIN, avec les jeunes musiciens
BLUEBERRY pour vous confirmer comme avec une femme. »
Arthur Rimbaud, Sensations. jour, à 15 h 30, au cimetière de
Montgivray (Indre). survenu le 25 juin 2023,
les plus talentueux
UNE LÉGENDE DE LA BANDE DESSINÉE
NUMÉRO SPÉCIAL 60 ANS
la parution. de leur génération
à l’âge de quatre-vingts ans.
En partenariat avec

Hors-série Natalia Lendzian,

Paris. Marseille. parfois accompagnés de leurs aînés :
sa compagne, La cérémonie religieuse sera célébrée
carnet@mpublicite.fr M. et Mme Daniel Lebard, Romain Leleu, le Quatuor Ellipsos
Philippe Delarue, David Rivoire, le mercredi 5 juillet, à 10 h 30, en l’église
HORS-SÉRIE
https://carnet.lemonde.fr Mme Brigitte Lebard, Thomas Rivoire, de Veules-les-Roses.
ses frère et belles-sœurs et, bien sûr,
ses fils,

L’ATLAS
et leurs enfants, Pascal et Marie- Cet avis tient lieu de faire-part. les incontournables Théo Ould,
AU CARNET DU «MONDE» Cécile, Frédéric, Xavier, David et Lina, annoncent que Orlando Bass, le Trio Pantoum
6000 ANS
D’HISTOIRE DES 200
CARTES
Nicolas et Elisabeth, Cyrille, Alice, souvenirclaudinevillain@gmail.com
Décès Hélène, Laurent, Alexis, Anne Maryse RIVOIRE-DELARUE, et tant d’autres.
AFRIQUES et leurs petits-enfants, Pompes funèbres Abraham,
Mme Maria-Thereza Carregal Ferreira a choisi de mourir, paisiblement, 76460 Saint-Valéry-en-Caux.
Cazes, ont la douleur de faire part du décès, chez elle, le dimanche 25 juin 2023, Du mardi au samedi
Chambre Funéraire/Marbrerie,
son épouse, survenu le 29 juin 2023, dans sa à l’âge de quatre-vingt-trois ans. à 20 heures,
Tél. : 02 35 57 42 64.
ÉDITION 2023 Kinou, Marina, Catherine et Jean- soixante-dix-neuvième année, du
Charles, Elle sera incinérée et reposera de 8 € à 23 €.
Hors-série ses enfants, docteur Christian LEBARD, auprès de notre cher père et beau- Appel en héritiers Les samedis et les dimanches
Farzine Hachemian et Yonatan ancien interne père,
Ben-Israel, Ouverture du testament à partir de 16 h 30 (entrée libre).
des Hôpitaux de Paris,
UNE VIE, UNE ŒUVRE
ses gendres, Christian RIVOIRE,
Sara, Afsaneh, Nour, Tal, Elisa et chirurgien cardio-vasculaire. Informations et réservations sur
BIENZ Gertrud Alice, née le
Noa, au cimetière de Lambesc (Bouches- 25 juillet 1922, de Rüderswil BE, jeunes-talents.org
ses petits-enfants, La cérémonie religieuse aura lieu du-Rhône).
le mercredi 5 juillet, à 15 heures, en la célibataire, domiciliée à 3012 Berne, Tél. : 01 40 20 09 20.
ont la tristesse de faire part du décès cathédrale orthodoxe russe, 12, rue Blinden-und Behindertenzentrum
Orwell
Une cérémonie aura lieu au mois Bern, Neufeldstrasse 97, est décédée
de Daru, Paris 8e. de septembre.
dérange
toujours le 2 février 2023, à Berne. Communication diverse
M. Jean-Michel CAZES, La famille recevra le mercredi
chevalier de la Légion d’honneur, Enghien-les-Bains (Val-d’Oise). Les deux dispositions testa-
Vu par Jean-Jacques Rosat, Simon Leys, Rushdie, Kundera…
5 juillet, à 16 h 30, à « La ville de
mentaires du 23 avril 1999 et du
Petrograd », 13, rue Daru, Paris 8e. Marie-Christine,
Hors-série survenu le 28 juin 2023. 31 octobre 2012 modifiant l’ordre
son épouse, successoral prévu par la loi, les legs
La cérémonie religieuse sera célébrée Farida Lespert, Caroline, Marie-Agnès, Pierre- ainsi que l’institution d’un exécuteur
le mardi 4 juillet, à 11 heures, en l’église son épouse, Cristian, testamentaire ont été ouvertes le
Saint-Martin de Pauillac. Jalil Lespert, ses enfants, 27 mars 2023, respectivement le
Cyril et Mathieu, 2 mai 2023, à l’héritier institué,
HORS-SÉRIE
SAISON 2

300 QUESTIONS
DE CULTURE GÉNÉRALE Férial Lespert,
par les journalistes du Monde Elle sera suivie de l’inhumation à Yaniss Lespert, ses gendres, aux héritières légales connues et
l’ancien cimetière de Pauillac. Gladys, Balthazar, Sibylle, Ferdinand, héritiers légaux connus ainsi qu’aux
ses enfants,
ses petits-enfants, légataires.
Ses petits-enfants,
Martine Dubois, Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
ont l’immense tristesse de faire part Pour les éventuelles autres héritières
sa femme, ont la douleur de faire part du décès
Emmanuelle et Marie Pascale, du rappel à Dieu du légales et éventuels autres héritiers
de
ses filles, légaux, la présente publication vaut Les bénévoles de SOS Amitié
Hector et Joséphine, professeur ouverture au sens de l’article 558 du
ses petits-enfants, Jean LESPERT, Jean-Michel SCHERRMANN, écoutent
Code civil suisse.
Hors-série Sa famille professeur émérite
Et ses amis, survenu le 26 juin 2023, de pharmacocinétique, par téléphone et/ou par internet
doyen honoraire de la faculté Les dispositions testamentaires
à Boulogne-Billancourt. peuvent être consultées auprès de ceux qui souffrent de solitude,
HORS-SÉRIE

ont la tristesse de faire part du décès de pharmacie de Paris,

médaille d’honneur la notaire mandatée, Sibyl Matter, de mal-être et peuvent avoir
de La cérémonie aura lieu ce mardi Bundesgasse 18, CH-3011 Berne
4 juillet, à 15 h 30, en la salle de du Service de santé des armées,
(Suisse). Les héritières légales et des pensées suicidaires.
Francis DUBOIS, la Coupole du crématorium du héritiers légaux peuvent consulter
ancien conseiller principal le 26 juin 2023, à l’aube de ses
cimetière du Père-Lachaise, 71, rue les dispositions testamentaires dans
LES d’éducation au collège Victor Hugo soixante-quinze ans.
HDE
ÉROS à Paris,
des Rondeaux, Paris 20e. le délai de dépôt, en demander des Nous recherchons des écoutants
LA Un culte d’action de grâce sera copies et, le cas échéant, faire
MYTHOLOGIE survenu le 21 juin 2023. Vous pouvez adresser vos dons à célébré au Temple du Saint-Esprit, opposition. bénévoles
GRECQUE & ROMAINE
https://www.fo-rothschild.fr/ Paris 8 e , le mercredi 5 juillet, à sur toute la France.
En partenariat avec
Une cérémonie aura lieu le 5 juillet, patient/loffre-de-soins/sarcoidose 17 heures. En l’absence d’opposition dans
au crématorium du cimetière du Père- le délai d’un mois à compter de L’écoute peut sauver des vies
Hors-série Lachaise, Paris 20e, à 13 heures. Anne et Renaud d’Hautefeuille, Ni fleurs ni couronnes. la troisième publication, l’héritier et enrichir la vôtre !
institué se voit délivrer, sur
Hélène et Christian Hennes, Choix des heures d’écoute,
demande, un certificat d’héritier
Denis Flacelière et Bernadette, ses enfants, Agnès et Laure,
son frère et sa belle-sœur, ses filles, conformément à l’article 559 du formation assurée.
100 GRILLES Cécile et Philippe, Flore, Armelle, Code civil suisse, sous réserve des
Anouche Khoubesserian, Aurore, Claire, Nicolas, Amélie Romane, Garance, Léon et Anne-
sa petite-fille, Rose, actions en droit successoral.
PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 6

Marianne Khoubesserian, et Charles, Béatrice et Clément, ses petits-enfants, En IdF RDV sur
sa belle-fille, ses petits-enfants, Madeleine, Berne, le 23 juin 2023.
Françoise Philippon, Arthur, Faustine, Anne, Alice, sa sœur, www.sosamitieidf.asso.fr
son amie, ses arrière-petits-enfants, La mandataire :
ont la tristesse de faire part du décès Sibyl Matter, notaire, En région RDV sur
ont la douleur de faire part du décès ont la tristesse de faire part du rappel de Bundesgasse 18, www.sos-amitie.com
de à Dieu, le 24 juin 2023, au seuil de ses 3011 Berne (Suisse).
M. Jean VERDETTI,
Hélène FLACELIÈRE, quatre-vingt-treize ans, de professeur des Universités.
Magazine n°6 agrégée de Lettres classiques,
maître de conférences en sanskrit Alain PIERRET, La cérémonie aura lieu le jeudi
à Aix, université de Provence, ancien ambassadeur, 6 juillet 2023, à 10 heures, au centre
funéraire de La Tronche (Isère).
Nº 6 JUIN - JUILLET - AOÛT 2023

École nationale de la France

survenu le 23 juin 2023, d’Outre-Mer (ENFOM) 1950,
à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. Une pensée pour son épouse,
VIVRE L’ART AUTREMENT
officier de la Légion d’honneur,
Les obsèques auront lieu le 5 juillet, commandeur Françoise.
à 16 h 45, au cimetière de Bédoin de l’ordre national du Mérite,
Cézanne
L’inventeur
(Vaucluse), où est son fils, croix de guerre TOE,
de la modernité
Sourdon (Somme). Creil (Oise).
Peindre
au féminin
médaille coloniale,
Damien VEYNE. commandeur
L’émancipation par le pinceau

Rencontre avec
Stéphane Bern Josette Verdure,
Basquiat / Warhol
dans l’ordre du Mérite agricole, son épouse,
Gréco / Picasso,
Ramsès…
Nos 10 expos coups de cœur chevalier dans l’ordre Christine, Philippe, Véronique,
Société éditrice du « Monde » SA des Palmes académiques. ses enfants,
Président du directoire, directeur de la publication
La revue n° 6 Louis Dreyfus Moustafa,
Directeur du « Monde », directeur délégué de la La cérémonie religieuse sera célébrée son gendre,
Nos services publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction
en la basilique Sainte-Marie-Madeleine
de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume
Yassine, Hélène, Aya, Alice, Anna,
ses petites-enfants,
Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian, (Var), le jeudi 6 juillet, à 14 heures. Gabriel,
Lecteurs Philippe Broussard, Nicolas Chapuis, Emmanuelle
Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre
son arrière-petit-fils,
Lannelongue, Franck Nouchi, Harold Thibault L’inhumation aura lieu le vendredi ont la douleur de faire part du décès
K Abonnements Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Directrice déléguée au développement des services 7 juillet, à 15 heures, au cimetière de la de
Sur abo.lemonde.fr abonnés Françoise Tovo chapelle Vendômoise (Loir-et-Cher),
Par tél. au 03 28 25 71 71 Directeur délégué aux relations avec les lecteurs
Gilles van Kote
où reposent son épouse, Michel VERDURE,
de 9 h à 18 h (prix d'un appel local) Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel né le 5 juin 1929, à Sourdon,
Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel Jacqueline
K Le Carnet du Monde Guerrin, Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux
(cheffe d’édition), Alain Salles (Débats et Idées)
survenu le 25 juin 2023, à Creil.
carnet@mpublicite.fr Directrice du design Mélina Zerbib et sa fille,
Direction artistique du quotidien Natalie Lebreton Son engagement au sein de la
Infographie Delphine Papin Sécurité sociale et des Donneurs
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Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, annedhautefeuille@gmail.com
présidente, Gilles Paris, vice-président helene_hennes@yahoo.fr veroniqueverdure5@gmail.com

0123
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­Mardi 4­ juillet 2023
« “L’Opéra
de quat’ sous”
parle de
notre monde »
Thomas Ostermeier, codirecteur de
la Schaubühne, livre, pour les 75 ans
du Festival d’Aix-en-Provence,
sa première mise en scène lyrique
Entretien
T
homas ­Ostermeier a
longtemps arpenté les
scènes du Festival d’Avi-
gnon, où il a présenté en
presque trois décennies une ving-
taine de pièces de théâtre. Il avait
toujours décliné toutes les propo-
sitions d’opéras. Jusqu’à celle de
Pierre Audi, directeur du Festival
d’art lyrique d’Aix-en-Provence
(Bouches-du-Rhône) : L’Opéra de
quat’ sous (1928), de Kurt Weill et
Bertolt Brecht. Une entrée au ré-
pertoire pour les 75 ans de la ma-
nifestation aixoise, consubstan-
tielle du travail du metteur en
scène allemand, héritier d’une
tradition brechtienne, dont il se
dit l’un des derniers dépositaires.
Nous avons rencontré l’actuel co-
directeur de la Schaubühne de
Berlin à trois ­semaines de la pre-
mière au ­Théâtre de l’Archevêché.
Quelles relations
entretenez-vous avec l’opéra ?
Assez complexe. J’ai toujours
trouvé curieux, et un peu ridicule,
qu’on regarde une tragédie et que
les gens se mettent à chanter.
Mais, après mon baccalauréat à
Landshut, dans le sud de l’Allema-
gne, je suis allé à Hambourg, où
j’ai travaillé pendant deux ans
comme figurant au Staatsoper. Il
y avait des productions comme
Idomeneo, de Mozart, Tosca, de
Puccini, L’Opéra de quat’ sous, jus-
tement, ou Die Hamletmaschine,
de Wolfgang Rihm. J’ai fréquenté
les coulisses de metteurs en scène
comme Harry Kupfer, Giancarlo
del Monaco, Günter Krämer, Götz
Friedrich. Cela m’a permis d’ap-
préhender le fonctionnement des
grosses machines du théâtre. J’ai
tout de suite compris que la plus
grande contrainte à l’opéra est le
temps, qui n’est jamais assez long.
Un facteur qui se double,
selon vous, d’une omerta sur
les conséquences du Covid-19…
Le Covid-19 affecte directement
la qualité des productions. Après
Le Roi Lear à la Comédie-Fran-
çaise, où nous avons perdu un
tiers du temps de répétition, nous
avons eu à Aix plusieurs person-
nes malades. Je m’inquiète du
déni qui règne autour de cela : il
faut arriver au même résultat ar-
tistique avec moins de temps.
Cela veut dire que le travail des
trois dernières semaines, centré
sur le rythme et la dynamique du
spectacle, ne sera peut-être pas
aussi abouti que je le rêve.
Pouvez-vous expliquer ce que
vous entendez par « travail
sur le rythme » ?
J’ai écrit un texte là-dessus
­publié en 2016 dans Le Théâtre et
la Peur, aux éditions Actes Sud. La
plupart des scènes de théâtre
aujourd’hui utilisent un temps
horizontal, plus large que celui de
la vraie vie. Mon travail consiste à
resserrer ce temps, et même à le
presser un poil, afin de créer un
espace de jeu plus vivant que la
vie. Autour de nous, tout va plus
vite. Les médias narratifs (sauf la
littérature, car chacun peut déci-
der de son rythme) sont accélérés,
le montage dans les films, les ré-
seaux sociaux (TikTok, Insta-
gram). Il y a un mode où l’on peut
écouter plus vite ses messages. Si
le théâtre n’intègre pas cela, il de-
vient anachronique et perd l’es-
poir d’intéresser les jeunes géné-
rations et les classes sociales qui
ne viennent pas habituellement
au théâtre.
Vous êtes musicien et avez
même envisagé d’en faire votre
profession. Quel rôle joue la
musique dans votre théâtre ?
Très important. J’ai toujours
adoré assister aux répétitions
d’orchestre, impressionné par la
discipline, le niveau profession-
nel et la qualité artistique des mu-
siciens. J’ai aussi un respect fou
pour l’art lyrique, que j’aime bien
voir en version de concert !
Malgré vos préventions,
vous avez néanmoins accepté
une mise en scène lyrique.
Pourquoi ?
Parce que L’Opéra de quat’ sous
n’est pas un opéra mais un stück
mit musik, une « pièce avec musi-
que », en même temps qu’une
sorte de parodie de l’opéra. Il y a
un orchestre, des airs, des grands
finals, mais l’esprit épouse celui
du théâtre et du cabaret des
­années 1920. Je travaille avec la
troupe de la Comédie-Française et
la musique a été écrite pour des
acteurs. J’ai moi-même été formé
à l’école de théâtre Ernst-Busch à
Berlin-Est, dont l’œuvre de Brecht
est un peu le catéchisme, avant de
jouer dans la troupe du Berliner
Ensemble. Je suis dans la filiation
de cette tradition.
Pourquoi rompre avec cette
tradition allemande et monter
« L’Opéra de quat’ sous »
en ­version française ?
Parce que j’ai l’impression qu’elle
me parle davantage. En allemand,
je connais trop les chansons – la
chanson. On a dans l’oreille les
­interprétations de Milva, Ute Lem-
per, des grands chansonniers ita-
liens, allemands. Cela véhicule, au
mieux, un petit côté nostalgique,
au pire, un côté carrément ringard.
Le français apporte un élan, une
bouffée d’air pour le chant, no-
tamment, grâce à la nouvelle tra-
duction d’Alexandre Pateau, tota-
lement en phase avec notre épo-
que. Il s’agit avant tout de com-
prendre ce que chantent les gens.
« J’ai compris que
la plus grande
contrainte
à l’opéra
est le temps,
qui n’est jamais
assez long »
Culture
| 19
Thomas Ostermeier (à gauche), lors d’une répétition de « L’Opéra de quat’ sous », à la Comédie-Française, à Paris, le 31 mai.
JEAN-LOUIS FERNANDEZ/COMÉDIE-FRANÇAISE
De quoi nous parle aujourd’hui chose de l’ordre du transcendan- la pitié, de la grâce. Et à la Demut – Mise en scène de Thomas
« L’Opéra de quat’ sous » ? tal existe, c’est elle qui le porte. On l’« humilité », en allemand. p Ostermeier. Direction musicale
D’un monde en crise comme se demande d’où vient cette Propos recueillis par de Maxime Pascal.
en 1928, au bord d’une crise finan- beauté métaphysique. Cela nous Marie-Aude Roux Les 4, 5, 7, 10, 12, 14, 18, 20, 22
cière mondiale qui va faire bascu- rendrait presque proches des et 24 juillet au Théâtre
ler le monde. C’est le temps des dieux s’il y en a. La musique de L’Opéra de quat’ sous, de l’Archevêché, à Aix-en-
« années dorées » (die Goldenen Bach, par exemple, peut nous ra- de Kurt Weill et Bertolt Brecht, Provence (Bouches-du-Rhône).
Zwanziger Jahre), dont l’hédo- mener à l’existence de la mort, de en version française. Durée : 2 heures. De 9 € à 165 €.
nisme jouisseur et le luxe ostensi-
ble côtoient l’extrême pauvreté et
la misère totale. C’est la situation
dans laquelle nous nous trouvons
actuellement. J’en ai seulement
pris conscience en travaillant.
Brecht, qui n’a pas encore rencon-
tré les idées de Karl Marx, y ex-
prime un nihilisme désespéré qui
va de pair avec une satire de
l’opéra. Je retrouve ce sentiment
d’impuissance à changer le
monde que nous éprouvons
aujourd’hui. Brecht n’avait pas
encore de réponse. Nous n’en
avons pas non plus.
C’est pourquoi vous avez choisi
cette première version ?
Brecht a élaboré la dernière
mouture de 1948 en réaction
­contre le fascisme. Quant à celle
de 1931, elle ne fait que dévelop-
per l’aspect psychologique des
­personnages. A tort. Pour moi, il
s’agit en effet de typologies, de
­caractères, avec un côté Grand-
Guignol qui est la plus grande
qualité de l’œuvre. Et même dans
la première version créée en 1928,
j’ai fait pas mal de coupes. Nous
essayons d’aller dans la direc-
tion d’un spectacle qui joue avec
la salle et les spectateurs.
Qu’apporte le chant dans
le travail des comédiens ?
Ils ont visiblement beaucoup de
plaisir à chanter et jubilent à faire
rayonner leur voix dans sa tota-
lité. Cela libère aussi le jeu d’ac-
teur car tout ce qu’ils doivent ex-
primer est déjà dans la musique.
Ils ne doivent rien ajouter car cela
sonnerait faux. Surtout ne pas
surjouer le chant même si l’aspect
parodique est présent, en particu-
lier dans les trois finals. Le troi-
sième, qui interrompt la repré-
sentation pour s’adresser au spec-
tateur, est d’une liberté folle. On a
du mal à imaginer aujourd’hui
qu’un auteur ait cette fantaisie de
remplacer la catharsis par une ca-
ricature de deus ex machina.
Dans cet opéra sans pitié
pour l’humanité, qui traite des
­bassesses les plus révoltantes
de la nature humaine, y a-t-il
l’espoir d’une transcendance ?
Chaque fois que ça chante, il y a
transcendance. Parce que la musi-
que (et je deviens un peu pathéti-
que en disant cela), si quelque

20 | Culture
A Belfort, le retour tout en discrétion de Siouxsie
Après seize ans d’absence en France, la prêtresse du gothique, avec les Banshees, a envoûté les Eurockéennes
Musique
A
près deux éditions an-
nulées par la pandé-
mie de Covid-19 et celle
de 2022 gâchée par de
violents orages, les Eurockéennes
de Belfort ont repris leurs bonnes
vieilles habitudes. Retour à l’ordi-
naire sur la presqu’île de Mal-
saucy : la pluie a transformé le sol
en gadoue et l’odeur de graillon
qui flotte dans l’air atteste que le
festival n’est pas près de céder au
100 % végétarien.
Les têtes d’affiche, cependant,
constituées de nationaux et de
rappeurs, ne se distinguent guère
de la concurrence cet été : Orel-
san, Lomepal, Phoenix, Pomme…
La présence de Shaka Ponk et celle
d’Indochine pour la soirée de clô-
ture, dimanche 2 juillet, a laissé
quand même place au rock aux
Eurockéennes. Et même au plus
brutal, avec les frappes chirurgi-
cales des metalleux Gojira.
Pour sa 35e édition, le géant de
l’Est s’est tout de même offert une
exclusivité hexagonale. Un come-
back que même les fans n’atten-
daient plus : Siouxsie, grande prê-
tresse du gothique d’Albion, a
chanté dans la nuit du samedi
après une longue absence – son
dernier concert en France remon-
tait à 2007. Ce retour en toute dis-
crétion, défie les lois de la promo-
tion moderne : aucune interview
à la presse, aucun tee-shirt au
stand de merchandising et, pas de
nouvel album.
Le dernier en date, et le seul sans
groupe associé ne date pas vrai-
Siouxsie, aux Eurockéennes de Belfort, samedi 1er juillet. Olivier Hoffschir
ment d’hier : Mantaray a été pu-
blié en 2007. Depuis, rien, sinon
un single, Love Crime, pour la sé-
rie Hannibal en 2015. C’est par ce
biais que les nouvelles généra-
tions ont pu découvrir le nom de
la quasi-retraitée, quand sa chan-
son Spellbound a été sélectionnée
en 2022 dans Stranger Things. A
l’écoute de ce chef-d’œuvre, beau-
coup ont dû croire qu’il s’agissait
d’un inédit de PJ Harvey. Sauf que
la sauvageonne du Dorset était
âgée de 12 ans en 1981.
Siouxsie est en effet une des
personnalités les plus originales
et influentes apparues dans le
sillage des Sex Pistols. Un constat
qui s’est fait a posteriori, avec la
succession de revivals post-punk
depuis les années 2000. Au mo-
ment où se dressaient à Londres
les premières crêtes iroquoises,
Susan Ballion avait opté pour un
nom indien qui se prononce
comme son diminutif (Suzie). Elle
devint une des figures en vue du
fameux Bromley Contingent, le
fan-club qui accompagnait le
groupe de Johnny Rotten.
Une sorcière plutôt bienveillante
A l’époque, ne pas savoir jouer et
encore moins chanter était un
atout dadaïste. Elle forme donc
les Banshees avec l’apprenti bas-
siste Steven Severin, dont le pre-
mier album, The Scream (1978),
avec ses guitares lugubres, ses
tambours tribaux et cette voix
d’asociale réfugiée dans un
monde imaginaire pour exorciser
les traumas de son enfance, inspi-
Polnareff bien en voix à l’Accor Arena
Dimanche 2 juillet, le chanteur, actuellement en tournée, a donné
le premier de ses deux concerts dans la grande salle parisienne
Chanson
L ors de la commercialisa-
tion de son album Polna-
reff chante Polnareff (Par­-
lophone/Warner Music) mi-no-
vembre 2022 – une douzaine de
ses succès interprétés sous la
forme piano et voix –, le chanteur
avait annoncé lors de quelques
entretiens qu’il garderait cette
approche minimale pour sa tour-
née à venir. Tout en laissant
ouverte la possibilité que cela
puisse évoluer. En définitive,
pour cette tournée qui a com-
mencé le 24 mai, au Palais Nikaïa,
à Nice, le pianiste et auteur-com-
positeur est avec cinq musiciens
– « my english band », dira-t-il –
sur une scène centrale installée
dans les fosses des grandes salles
de type Zénith et Arena.
Dimanche 2 juillet, c’est le pre-
mier des deux concerts à l’Accor
Arena, à Paris – celui du lundi
3 juillet correspond au jour anni-
versaire de ses 79 ans. Le public
accompagne de « Michel ! Michel !
Michel !… » l’arrivée de Polnareff,
qui passe entre les rangées de siè-
ges dans la fosse. Quelques mots :
« Il y a eu des messages qui disent
“Michel, il peut plus monter” », lan-
rera tout ce qui va compter musi-
calement dans l’Angleterre de
Margaret Thatcher : Joy Division,
The Cure, The Smiths… Un geste
fondateur de l’esthétique cold
wave. Les Banshees ne s’en tien-
dront pas là, élargissant par la
suite leur palette au hip-hop et à
l’exotica, comme à des sons venus
d’Inde ou du Japon.
A proximité de la scène Green-
room, un stand promet « un ma-
quillage géant pour un festival dé-
ment ». Mais Siouxsie, à 66 ans, ne
force plus sur les peintures de
guerre. Elle apparaît telle une re-
venante sur l’Aquarium du Carna-
val des animaux de Saint-Saëns.
En guise de look « corbeau », une
queue-de-pie sur toge blanche re-
couvrant un pantalon noir. Le
cheveu n’est plus de jais mais poi-
vre et sel, le teint blafard.
Une sorcière certes, mais plutôt
bienveillante, qui tient à s’expri-
mer en français, la langue de son
père, un Wallon qui a vécu au
ce-t-il, référence à des constats au
début de la tournée. Alors Polna-
reff commence, voix grave avec
Love Me Please Love Me. Puis
monte, trouve vite les aigus dans
son interprétation de cette chan-
son de 1966.
Voilà pour la voix. Elle est bien
là. Dans les courbes de L’Amour
avec toi, les vocalises de La Mou-
che et son traitement funky bien
tourné, dans les virevoltes de
Sous quelle étoile suis-je né ? ou de
Tout tout pour ma chérie avec son
arrangement de 1969 clavecin, or-
gue et basse en avant, dans Lettre
à France chantée a cappella pres-
que à la fin de la soirée… Rejoint à
ce moment-là par son fils, Louka,
qui se tient près de lui, Polnareff
laisse alors passer quelques fragi-
lités vocales, signes de son émo-
tion, partagée par le public.
Un groupe précis, rigoureux
En majorité, les chansons choi-
sies sont celles des années 1960 et
1970. Le groupe, précis, rigoureux
– Matthew Bramhall et Chris
Pemberton aux claviers, le guita-
riste Paul Sayer, Oscar Golding à
la basse et le batteur Dewi
« Rocky » Young –, donne des ver-
sions assez proches des origi-
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­Mardi 4­ juillet 2023
Siouxsie est
l’une des
personnalités
les plus originales
et influentes
apparues dans
le sillage des
Sex Pistols
Congo belge. « Merci beaucoup, de
gros bisous pour vous. Un peu de
pluie mais pas de souci, on est sous
“la grande parapluie” », en-
tend-on avant Kiss Them For Me,
fusion habile de funk et de punk.
L’absence de nouveauté offre
l’avantage de remettre les
Banshees à l’honneur, dès Night
Shift, dont la reprise du Dear Pru-
dence des Beatles. Son nouveau
groupe est lui dépourvu de nom,
comme, semble-t-il, les musi-
ciens. Elle ne prendra pas la peine
de les présenter, même si le bat-
teur aura droit à un Happy Birth­-
day a cappella de la patronne. Le
son replonge directement dans la
new wave d’antan, guitares plutôt
que synthétiseurs, ce qui couvre
malheureusement le chant. Mar-
quée par le timbre grave, théâtral
et psalmodique de Patti Smith,
Siouxsie n’en a pas la puissance et
la projection.
Sur l’écran défilent des symbo-
les ésotériques, des images d’ex-
plosions et de lave en fusion, que
l’on se garde bien de tenter d’in-
terpréter. La chanteuse a déjà rou-
vert au monde ce sanctuaire
qu’est sa chambre et cela suffit au
contentement. La voilà qui mime
une danseuse orientale pour Face
to Face, contorsionne ses bras fa-
çon Shiva, se rêve en ballerine à
mesure que son répertoire monte
en puissance : mystères, tensions
et dangers de Land’s End, But Not
Them et Sin in My Heart (pour le-
quel elle emprunte une guitare
électrique afin de répéter les mê-
mes notes), le rockabilly glacial de
Christine, la désolation indus-
trielle de Happy House, enfin le
rap joyeux de Peak-a-Boo, sur
fond de carnaval vénitien. Sioux-
sie, incomparablement unique. p
Bruno Lesprit
naux, plutôt en accentuant un as-
pect rock, retrouvant ici et là une
dimension plus pop comme dans
Le Bal des Laze. De son dernier al-
bum de chansons originales en
date, Enfin !, publié en 2018, Pol-
nareff ne présente rien. Pas
même l’instrumental Phantom
qui aurait pu, comme Voyages,
autre instrumental qui ouvrait
l’album Polnareff’s en 1971, être
préféré à Coucou me revoilou
jouée par le seul groupe.
Sur la scène, sa compagne Da-
nyellah assise près de lui, Michel
Polnareff est au piano. Dont
pourtant il ne joue guère. Parfois
sa main droite se déplace sur le
clavier pour quelques phrases,
mais l’instrument semble plus
être un élément de décor que per-
mettre au musicien de faire en-
tendre son talent d’interprète
dans les déploiements mélodi-
ques. A la sortie, dans les rangs du
public, l’on entendait le souhait
que cela ne soit dû qu’à une fati-
gue temporaire. p
Sylvain Siclier
Concert « exceptionnel »
au Palace, Paris 9e, le 10 juillet.
Réservations sur le site Internet
Polnaweb.com.
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­Mardi 4­ juillet 2023
Bologne célèbre
des cinéastes de
l’ombre, peu ou
mal reconnus
Le festival Il Cinema Ritrovato a mis
à l’honneur le réalisateur japonais
Teinosuke Kinugas a, dont une
dizaine de films ont été présentés
Reportage
Bologne (Italie)
D
u 24 juin au 2 juillet, le
festival Il Cinema
­Ritrovato (« le cinéma
retrouvé ») reprenait
ses quartiers d’été dans l’atmos-
phère brasillante de Bologne, frin-
gante cité de briques rouges
chauffées à blanc par le soleil du
sud de l’Italie. Dans la crise de
­fréquentation que traversent
­actuellement les salles italiennes,
la ­manifestation, consacrée au
passé du cinéma et à l’actualité
des restaurations, fait figure de
trêve ou de microclimat : six ­salles
qui jouent pendant dix jours à
guichets fermés, sans compter les
projections à la belle étoile dans le
décor majestueux de la piazza
Maggiore, noires de monde.
Après trente-sept éditions qui
l’ont vue croître bien au-delà de la
réunion d’archivistes initiés, l’évé-
nement fait évidemment la part
belle aux classiques et aux grands
cinéastes maison : Bellissima
(1951), de Luchino Visconti, Le
­Narcisse noir (1947), de Michael
Powell et Emeric Pressburger, ou
La Maison du docteur Edwardes
(1945), d’Alfred Hitchcock, présen-
tés, en grande pompe, piazza Mag-
giore, mais pas seulement. Sa pro-
grammation en forme de corne
d’abondance, riche de rétrospecti-
ves en tout genre, se fait fort, cha-
que année, de slalomer entre les
jalons institués, à la recherche de
pans méconnus, de noms méses-
timés et de géographies lointai-
nes, encore à exhumer.
A fouiller ces franges ignorées,
cette 37e édition se retrouvait à
éclairer la figure du « petit-maî-
tre » : ces artistes peu ou mal re-
connus malgré leur contribution,
artisans de l’ombre progressant
en termites dans les détours de
leur art. On retrouvait l’un d’entre
eux à l’honneur de la tradition-
nelle section japonaise program-
mée par Alexander Jacoby et
­Johan Nordström : Teinosuke
­Kinugasa (1896-1982), dont une
petite dizaine de titres, parmi les
plus rares, étaient présentés, sur
Cinéma
Les acteurs poursuivent
les négociations avec
les studios d’Hollywood
Le syndicat représentant
160 000 acteurs a accepté,
in extremis, vendredi
30 juin, de prolonger les dis-
cussions avec les studios hol-
lywoodiens jusqu’au
12 juillet, évitant pour l’ins-
tant une grève. La Screen Ac-
tors Guild (SAG-AFTRA), qui a
entamé des négociations
avec des sociétés comme
Netflix et Disney, menaçait
de rejoindre les scénaristes
en grève. Les acteurs récla-
ment de meilleures rémuné-
rations pour lutter contre
l’inflation et des garanties
face aux bouleversements
potentiels liés à l’usage de
l’intelligence artificielle. Ils
protestent aussi contre la
baisse de leurs rémunéra-
tions « résiduelles », dues à
chaque rediffusion d’un film
une filmographie en rassemblant
cent vingt. De deux ans l’aîné de
l’illustre Kenji Mizoguchi (1898-
1956), Kinugasa fit comme lui ses
débuts à l’écran en tant qu’onna-
gata, acteur spécialisé dans les
­rôles de femmes, quand celles-ci
n’étaient pas encore admises dans
la profession. Il passe derrière la
caméra au temps du muet et res-
tera majoritairement un réalisa-
teur de commande (une pléthore
de chanbara, films de ­sabre japo-
nais), soumis à des impératifs
commerciaux, entre lesquels il a
toujours guetté des ­brèches d’ex-
pression personnelle.
Variations sur la folie
Dans le triptyque La Vengeance
d’un acteur (1935-1936), il expédie
un improbable feuilleton de ven-
detta pour s’adonner à des jeux
formels autour du théâtre kabuki
(alternance entre scènes et coulis-
ses, rouages mécaniques, coulisse-
ments de décors) dans un espace
intégralement mouvant. Après-
guerre, ses films n’échappent pas
aux nouvelles conventions régis-
sant la production sous tutelle
américaine, comme avec La Lé-
gende du grand Bouddha (1952). Ce
film d’époque (jidaigeki) drama-
tise l’érection d’une monumen-
tale statue de Bouddha au VIIe siè-
cle, dans une veine naturellement
édifiante, mais s’attache à une fi-
gure d’architecte ignorée, alter ego
du réalisateur, et orchestre un
grand entrechoquement de ma-
tières (cuivre en fusion, échafau-
dage de bois, pluies lustrales, etc.).
Les deux sommets de la carrière
de Kinugasa remontent conjointe-
ment à l’époque muette et corres-
« Une page folle »
invente
un langage
mystérieux,
comme jailli
du cœur même
de l’aliénation
ou d’une série, provoquée
par le streaming. – (AFP.)
L’acteur américain
Alan Arkin est mort
L’acteur américain Alan Arkin
est décédé chez lui en Califor-
nie à l’âge de 89 ans, a an-
noncé sa famille vendredi
30 juin. Au cours de ses
soixante-dix ans de carrière,
ce second rôle apprécié du ci-
néma américain et reconnu
pour ses talents d’improvisa-
tion a joué de nombreux per-
sonnages pince-sans-rire. Son
interprétation la plus fa-
meuse reste celle d’un grand-
père grossier et toxicomane
dans Little Miss Sunshine,
pour lequel il a reçu l’Oscar du
meilleur second rôle en 2007.
Ces dernières années, il a joué
aux côtés de Michael Douglas
dans la série comique de Net-
flix La Méthode Kominsky, un
rôle qui lui a valu deux nomi-
nations aux Emmy Awards.
Culture | 21
« Une page folle » (1926), de Teinosuke Kinugasa, l’un des films projetés au festival Il Cinema Ritrovato. KINUGASA PRODUCTIONS
pondent à sa brève incursion dans de Josef von Sternberg). Un jeune ses coutures et accompagne l’im-
le champ de l’indépendance, grâce
Les deux homme fou d’une geisha est battu possible résolution de la jeune
à sa propre société de production, sommets par son souteneur. Un soir, il femme, dans un suspense moral
Kinugasa Eiga Renmei, rapide- ­revient aveuglé auprès de sa sœur, languissant, torpide et déchirant.
ment ruinée et absorbée par la
de la carrière qui n’a pas un sou pour le soigner, Une splendeur inouïe qui invite à
Shochiku. Une page folle (1926) a de Kinugasa en dehors de l’option de se sacri- la réflexion : et s’il n’existait pas
longtemps été considéré comme fier à son logeur libidineux. de « petits-maîtres », mais simple-
perdu, avant d’être ressuscité dans
(1896-1982) Le mélodrame se concentre ment des œuvres à réévaluer ?
les années 1970, le cinéaste en remontent à dans le réduit misérable qu’habi- Vaste tâche à laquelle Bologne
ayant retrouvé une copie dans sa tent frère et sœur, filmé comme contribue chaque année. p
cabane de jardin. Sur un scénario
l’époque muette une caverne que Kinugasa illu- Mathieu Macheret
coécrit par le futur prix Nobel mine par une somptueuse série
­Yasunari Kawabata (1899-1972), le de gros plans en clairs-obscurs Festival Il Cinema Ritrovato,
film s’est avéré l’une des plus gran- ­ciselés. La caméra toujours inven- 37e édition, à Bologne (Italie).
des variations cinématographi- tive couvre l’espace sous toutes Jusqu’au 2 juillet.
ques sur la folie, inventant un lan-
gage mystérieux comme jailli du
cœur même de l’aliénation.
Un vieil homme travaille
comme concierge dans un asile
pour demeurer auprès de sa
femme ayant perdu la tête.
­Kinugasa construit sa mise en
scène dans l’axe d’un unique
couloir où s’alignent les cellules
des internées. De cette travée, il HORS-SÉRIE
fait surgir en surimpression des
bribes du passé, où les parades
d’antan se superposent au défilé
des fous. Le réalisateur y crée une
étrange sarabande de visages
convulsifs et de postures déman-
L’ATLAS
tibulées qui évoquent l’expres-
sionnisme de la danse butô. La
folie est aussi celle de la mise en
scène, qui confond le passé et le
présent, l’intérieur et l’extérieur,
passant le réel à la moulinette
des subjectivités en jeu.
Tourné deux ans plus tard pour
éponger les dettes d’Une page
folle, Carrefour (1928), autre film
6000 ANS
D’HISTOIRE DES 200
CARTES
AFRIQUES
miraculé, le premier japonais dis-
tribué en Occident, en renouvelle
les audaces, cette fois plus ­proches
de l’école germanique et du
­Kammerspiel (on pense beaucoup
aux muets de Georg W. Pabst ou
M us i qu e
Le mythique album
« Chrome Dreams »,
de Neil Young, sera
publié le 11 août
Conçu à partir de plusieurs
séances d’enregistrements ÉDITION 2023
qui ont eu lieu entre fin 1974
et début 1977, l’album
Chrome Dreams de Neil Une histoire enfin réhabilitée
Young, qui aurait dû être Elle a porté les premiers pas de l’humanité, a vu naître la civilisation
commercialisé en 1977, était pharaonique, de riches royaumes médiévaux… Pourtant, la longue
resté dans les archives du
et brillante histoire de l’Afrique est souvent réduite aux temps tragiques
chanteur, guitariste et
de l’esclavage et de la colonisation, ou à ses fléaux : la faim, la guerre,
auteur-compositeur, deve-
le sous-développement... Balayant les préjugés, cette édition actualisée
nant ainsi un projet mythi-
de L’Atlas des Afriques en offre une lecture originale. Ce récit révèle
que. Si certaines des compo-
le dynamisme d’un continent d’avenir, sans ignorer les défis politiques,
sitions, dans des versions
économiques, sanitaires, climatiques, démographiques… auxquels
différentes, avaient été dissé-
il est confronté.
minées sur plusieurs albums
par la suite, c’est la configu-
ration originale de l’album
L’ATLAS DES AFRIQUES
qui sera publiée le 11 août, Un hors-série
comme indiqué dans 180 pages - 14,90 €
un communiqué de presse chez votre marchand de journaux
diffusé vendredi 30 juin et sur Lemonde.fr/boutique
par Warner Music, la maison
de disques de l’artiste.
22 | Télévision
Road trip dans un nord de l’Inde à l’équilibre menacé
La série « Les Routes de l’impossible » fait découvrir cette région mise en péril par le réchauffement climatique
France 5
Mardi 4 – 21 h 00
Série documentaire
T
enzin est un paysan
de l’Himachal Pradesh,
dans l’Himalaya. Il vit
dans un village isolé de
la vallée de Pangi, à 3 000 mètres
d’altitude, où les routes et le ré-
seau téléphonique ne sont pas en-
core arrivés. Pour vendre ses pe-
tits pois, son unique source de re-
venu, il doit effectuer, avec ses
mules, 24 kilomètres à pied pour
rejoindre une piste où l’attend
un camion qui le conduira, sur
une route non asphaltée et verti-
gineuse, à la première ville.
Malgré le danger et un véhicule
dont la direction est à moitié dé-
faillante, il lui faut aller vite pour
que ses petits pois gardent toute
leur fraîcheur et se vendent à
bon prix. La moindre faute de
conduite peut être fatale. Le pay-
san ne se plaint pas. « Avant, dit-il,
les gens faisaient le chemin à pied
pour se ravitailler deux fois par an
en blé et en riz. »
« Le peuple des rivières »
Lorsqu’il franchit un col redouté,
le paysan s’arrête au temple pour
prier la déesse Durga. « A chacun
de mes passages, je lui demande sa
protection. Grâce à elle, j’évite les
accidents et j’ai du succès dans mes
affaires. » Le gouvernement in-
Histoire du Ku Klux Klan, le plus ancien groupe terroriste des Etats-Unis
David Korn-Brzoza se penche sur les racines de la société secrète suprémaciste née en 1865 et sur les démons qui hantent le pays
ARTE
MARDI 4 JUILLET - 20 H 50
DOCUMENTAIRE
L es documentaires histori-
ques signés David Korn-
Brzoza laissent rarement
indifférent. Qu’il se penche sur les
services secrets français, la déla-
tion sous l’Occupation, l’argent de
la Résistance, la police de Vichy, les
Jeunesses hitlériennes, la coloni-
sation et la décolonisation, le réa-
lisateur fait un travail rigoureux,
sur le fond comme sur la forme.
Un constat confirmé par ce docu-
GRILLE N° 23 - 153
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V 8 Complétez
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 152
HORIZONTALEMENT I. Prolongateur. II. Lapiner. Iole. III. Avisèrent. Ut.
IV. Fin. RF. Oubli. V. Otite. Ambrée. VI. Nao. UNR. Aï. VII. Niñas. Attend.
VIII. Il. Réussi. Or. IX. Elan. Hé. Ocra. X. Remontrances.
VERTICALEMENT 1. Plafonnier. 2. Ravitaille. 3. Opinion. AM. 4. Lis. Arno.
5. Onéreuse. 6. Nerf. UHT. 7. Gré. Araser. 8. Nom. Ts. 9. Titubation.
10. EO. Brie. Cc. 11. Ulule. Nore (orné). 12. Retiendras.
Tenzin, paysan originaire de l’Himachal Pradesh. TONY COMITI
dien a bien entrepris d’asphalter
la route, mais les ouvriers qui
­travaillent avec des moyens ar-
chaïques ne progressent que de
2 kilomètres par an.
La nouvelle saison des « Routes
de l’impossible » démarre dans
le nord de l’Inde. Frédéric Elhorga
et Antonin Marcel, les réalisa-
teurs de cet épisode, ont choisi
d’explorer des terres du sous-con-
mentaire en deux parties consa-
cré à l’histoire aussi sanglante que
sulfureuse du Ku Klux Klan (KKK).
Depuis plus d’un siècle et demi,
ce qui est devenu, de fait, le plus
ancien groupe terroriste sur le
territoire nord-américain fait ré-
gner la haine. Sa naissance res-
semble pourtant à un mauvais (et
sinistre) gag : à la fin de la guerre
de Sécession, en 1865, une poi-
gnée de jeunes vétérans sudistes,
la plupart de souche écossaise,
certains ayant étudié le grec et le
latin, refusent la défaite et sur-
tout l’abolition de l’esclavage.
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
tinent encore à l’écart du dévelop-
pement, où le lien qui unit les
hommes à la nature est mis en
péril par le changement climati-
que. Le périple nous conduit dans
l’Himalaya, la vallée de Pangi,
le Ladakh, et au-delà dans le
­Meghalaya et dans l’Assam où
les îles ­fluviales sont en train
de disparaître sous l’effet du ré-
chauffement et de l’érosion.
Dans la petite ville de Pulaski
(Tennessee), ils décident autour
d’un verre de fonder une société
secrète dans le simple but de ter-
roriser la population noire.
Son nom, Ku Klux Klan, fait vrai-
semblablement référence au grec
kuklos (« cercle »). La sinistre aven-
ture commence, avec hommes
encagoulés, lynchages, menaces
et crimes en tous genres. Raciste,
mais aussi anticatholique, antisé-
mite, anticommuniste, le « Klan »
(comme disent les Américains)
connaîtra son apogée dans les an-
nées 1920 avec près de 4 millions
HORIZONTALEMENT
I. Aide le jardinier à se débarrasser
des chenilles et autres bestioles
indésirables. II. Pas facile à dégoter.
Moment de liberté. Signal sonore.
III. Italien, auteur de lettres licen-
cieuses. Passe à Saint-Omer. Assure
la réunion. IV. Tintin est l’un des rares
à l’avoir aperçu. Deux syllabes dans
le pied. V. Très élevé. Porteurs
de grappes. VI. En nage. Comme un
propos confus. Champion. VII. Fera
grand tort. Draine la Tarentaise et
le Sillon alpin. VIII. Edentés.
Le seigneur des anneaux. Fut dans
l’obligation. IX. Suit de nombreuses
affaires. X. Ont tendance à passer au
rouge.
VERTICALEMENT
1. Travail préparatoire ou jeu d’en-
fant. 2. Sa pêche produira bouffis et
gendarmes. 3. Soutient la vieille. Ré-
sulte. 4. Assurer une nouvelle impres-
sion. Bonne appréciation. 5. A beau-
coup perdu. 6. Compétition sportive.
On raconte qu’Homère y aurait vécu.
7. Bout de navet. Direction générale.
Jamais hier. 8. Tendue en remontant.
Mesure d’ailleurs. Négation. 9. A cre-
ver rapidement. Repart à la fin.
10. Conjonction. Fin de journée.
Décret du roi. 11. Symbole de dureté.
Mise pour sortir, enlevée avant cuis-
son. 12. Nettoyés au plumeau.
C’est sur l’une d’elles qu’est né
Kotai, de la communauté des Mi-
sing, « le peuple des rivières ». Ko-
tai sait qu’il devra bientôt démé-
nager. « J’ai de moins en moins
d’espace pour cultiver mes bam-
bous et mon riz », confie-t-il. Son
île, sur le Brahmapoutre, rétrécit à
vue d’œil, elle est passée de 15 à
4 kilomètres carrés. Chaque jour
ses berges s’effondrent dans le
de membres, et une influence
énorme sur la vie sociale, politi-
que et culturelle des Etats-Unis
de l’époque.
Nombreuses archives
Plusieurs fois dissous, fragilisé,
ruiné, vidé de ses troupes, le KKK,
qui ne compte plus aujourd’hui
que quelques milliers de mem-
bres, continue d’appeler à la haine
avec des slogans explicites (« Se-
gregation forever ! »). L’intérêt de
ce documentaire est qu’il décrit
avec minutie les différentes étapes
de son existence, investigue sur
sudoku
n°23-153
8 9
2 7 9 4
9 2
2 5
6 3 4 5
7 8 6 3 seule fois par ligne,
2 4 8 6 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
Notre
numéro été
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND
DE JOURNAUX
fleuve, gonflé par la fonte des gla-
ciers. Kotai achemine ses bam-
bous assemblés pour former un
radeau jusqu’à ­Jorhat sur le conti-
nent. Des bancs de sable obs-
truent le passage, la descente
­fluviale est périlleuse.
Au spectaculaire Meghalaya,
un des endroits les plus humides
au monde, où il pleut quasiment
toute l’année, la tribu khasi fabri-
que des ponts vivants avec les seu-
les racines des Ficus elastica, les
­arbres à caoutchouc, pour relier
les villages reculés de la monta-
gne. Tenzin, Kotai, les Khasi vénè-
rent la nature et les dieux, mais
leurs efforts sont ruinés par le
­développement effréné de l’Inde
et le changement climatique.
Le château d’eau que constitue
l’Himalaya est en train de se tarir.
« Les glaciers disparaissent, et il y a
moins de neige. Le manque d’eau
met en péril nos pâturages, nos ani-
maux et nos cultures », se désole
le producteur de petits pois. Au
­Ladakh, un ingénieur a eu l’idée de
créer, grâce à l’eau et au froid, des
stupas de glace, d’immenses cô-
nes qui, en fondant au printemps,
se transforment en réservoirs
d’eau pour irriguer les champs. p
Sophie Landrin
(New Delhi, correspondante)
Inde. Des dieux et des hommes,
de Frédéric Elhorga et Antonin
Marcel (Fr. 2023, 45 minutes) ;
les personnalités troubles de ses
dirigeants successifs, et décrypte
le pouvoir qu’il continue d’exercer
sur la vie politique locale.
L’élection, avec le soutien des
­suprémacistes blancs, de Donald
Trump en 2016 a ravivé la flamme
du racisme sans complexe. Et re-
lancé les lynchages ouvertement
revendiqués. Ainsi du meurtre,
en 2017 à Charlottesville, en
­Virginie, de la militante Heather
Heyer, fauchée par la voiture-bé-
lier d’un néonazi de 22 ans.
Pour retracer les vies successi-
ves du Klan, David Korn-Brzoza
1 4
3 Très facile
toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
1 Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
colonne et par
carré de neuf cases.
Juin-juillet-août 2023. Numéro 1-Été
­
0123
­Mardi 4­ juillet 2023
Notre
sélection
Mar di 4 juil l et
LCP
La Notte più longa.
Rome, ville occupée
20.30 Ce documentaire d’Anna-
Francesca Leccia appuyé d’archives
inédites, retrace l’occupation de
la Ville éternelle par les troupes
allemandes, entre septembre 1943
et juin 1944. La nuit la plus longue…
Ciné+ Premier
Le Dernier Loup
20.50 Film de Jean-Jacques Annaud
(2015) avec Feng Shaofeng, Shawn
Dou. Un conte moderne dans les
steppes de Mongolie. Images
spectaculaires et scènes d’action.
Où l’on apprend que l’homme est
un loup pour l’espèce animale…
Canal+
Ouistreham
21.10 Film d’Emmanuel Carrère
(2021) d’après le livre de Florence
Aubenas Le Quai de Ouistreham.
Juliette Binoche incarne une reporter
travestie en femme de ménage pour
dénoncer les conditions de travail
à bord de ferrys dans la Manche.
Paris Première
Paris. Capitale
de la gastronomie
23.05 Des bistrots populaires
aux grandes tables en passant par
l’histoire des Halles, François-Régis
Gaudry raconte la grande saga de
la « bonne bouffe » dans la capitale.
a assemblé de très nombreuses
archives filmées et photographi-
ques, parfois directement chez les
militants de l’organisation terro-
riste. Il a également interrogé
des témoins variés, comme Chris
Buckley, membre repenti du
Klan, des militants pour les droits
civiques, ou encore Bill Baxley,
procureur général de l’Etat d’Ala-
bama dans les années 1970. p
Alain Constant
Ku Klux Klan. Une histoire
américaine, de David Korn-
Brzoza (Fr., 2019, 2 × 55 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
3 6 7 9 2 8 4 5 1
8 5 4 1 6 7 2 3 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
1 2 4 7 5 3 9 6 8 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
7 1 5 9 2 8 3 6 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
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Elisabeth Cialdella
CES Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
VILLES
QUI
BOUGENT
Street art, street food,
docks aménagés, lieux
industriels reconvertis, L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
skate, clubbing…
Comment la culture
93290 Tremblay-en-France
bouleverse les
dynamiques urbaines.
Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023
Le lobby du Grand Magic Hotel, près de Disneyland Paris, réalisé par Oscar Lucien Ono. didier delmas
Design
E
n mai, il a fêté ses 30 ans et fait
la couverture du Elle Décora-
tion américain, et sera du 7 au
11 septembre une des stars du
prochain salon Maison & Objet, sur le
thème « Enjoy ! », invitant à une « quête
de plaisirs ». Le Parisien Julien Sebban,
fondateur en 2019 du collectif pluridis-
ciplinaire Uchronia, appartient à ces ar-
chitectes d’intérieur, du genre tapageur
et partageur, qui repeignent depuis peu
la ville en couleurs. Comme avant lui
Rodolphe Parente et Oscar Lucien Ono,
il pratique un joyeux télescopage des
­années 1970 pop et des années 1980
bling-bling, métamorphosant nos ca-
dres de vie en petits théâtres riants.
Tables fleurs ou cacahuètes aux des-
sins naïfs, murs et sols arc-en-ciel, gra-
phisme façon ORTF, époque Yves Mou-
rousi : il est certes le plus déjanté de
tous. A rebours des décors léchés et
monochromes, ce doublement formé à
l’Ecole ­supérieure d’architecture, à
­Paris, et à Architectural Association
School of ­Architecture de Londres fait
souffler un vent bigarré et espiègle
Quand le design
fait pop et bling
dans les in­térieurs contemporains : du
rooftop bariolé des Galeries Lafayette
en 2019 jusqu’aux boutiques néopop
de Sonia Rykiel en 2023 (avec, dans
l’historique adresse de Saint-Germain-
des-Prés, des présentoirs fleurs laqués
orange sur moquette fleurie) ou ce res-
Tables fleurs, mosaïque de miroirs,
taurant Forest à Marseille (sanguine et
bleu méditerranée), en passant par les
moquette jaune vif… une nouvelle
deux cafés Nuances, littéralement ka-
léidoscopiques, de la capitale.
génération d’architectes d’intérieur
« Ma chance, souligne-t-il, c’est que je
n’ai jamais travaillé en agence avant de
ose couleurs vives et formes
me lancer. Ce manque de peur nous a
­permis d’accepter sans complexe de gros
géométriques, pour un mix joyeux
projets, tel, dès 2020, le restaurant du Mu-
sée d’art moderne à Paris de Julien Sebbag
entre les années 1970 et 1980
(son ami d’enfance et presque homo-
nyme), que nous avons décoré après la
pandémie de Covid-19 tel un lieu postapo-
calyptique dans lequel la nature aurait re-
pris ses droits, avec un bleu roi victorieux.
La couleur, véhicule de bonne humeur et
de joie, est un peu notre sésame. »
« Provoquer des chocs visuels »
On frise parfois le kitsch, mais entrer
dans le monde d’Uchronia arracherait
le sourire au pire des grincheux. « A mes
yeux, il n’y a pas de faute de goût tant
qu’on provoque une réaction, rétorque
avec passion Julien Sebban, sorte de Zé-
bulon sur ressort de 1,84 mètre. Moi, les
intérieurs beiges et le mobilier bouclette,
façon Jean Royère ou Pierre Yovanovitch,
ça me laisse froid. Couleurs et lumières
sont les outils de la vie », précise ce
brillant phénomène, qui a réalisé sa
thèse d’architecture sur la chromo­-
thérapie, inspirée par l’horloge interne
du corps humain. « L’orange, ma couleur
fétiche, active la bonne humeur et la pro-
duction de mélatonine », résume-t-il.
Depuis 2021, une ligne de mobilier
Uchronia Wave, en forme de vagues,
complète son univers qui, avec ses tein-
tes incendiaires et ses formes organi-
ques, n’aurait pas déplu à un Verner
Panton. Les dernières pièces, réalisées
avec le savoir-faire parisien d’Atelier
­Roma-Kazus (spécialiste en fresque,
­patine et texture), sont exposées à la
biennale Révélations des métiers d’art
et de création, jusqu’au 11 juin, à Paris.
Salle à manger où la lumière, filtrée
aux fenêtres par des films au plissé di-
chroïque, déploie ses rayons roses, or
La chaise Tagadà,
conçue par
le studio suédois
Stamuli.
Francesco stelitano
Le bougeoir
N°3, Les
Immobiles,
de Thomas Dariel
pour Maison
Dada. maison dada
ou fuchsia, salle de bains couleur anti-
lope avec miroir kaléidoscopique, lit
podium couvert de Lurex… Rodolphe
Parente signe, lui, des univers intimis-
tes et festifs à l’image de son expo­-
sition « Contre-Soirée », présentée au
public en 2022, à l’occasion de la
sixième Design Parade Toulon, dans
l’ancien évêché de la ville.
Tout ici miroitait ou irradiait de re-
flets multicolores. « J’ai gommé les piè-
ces de réception pour montrer que les
lieux, parmi les plus modestes et oubliés
de la maison, peuvent provoquer des
Styles | 23
Le salon d’un appartement privé haussmannien repensé par Julien Sebban. fÉlix dol maillot
« Le secret en décoration d’intérieur
est que rien ne soit stéréotypé, comme
une surprise renouvelée », souffle
­Rodolphe Parente qui a fait ses classes
auprès de la papesse du design, Andrée
Putman. « Moi, j’aime multiplier les
clins d’œil : au pop art, aux architectures
du Mexicain Luis Barragan ou aux
­installations lumineuses de l’Américain
James Turrell, sans compter des jeux de
textures ou de volumes pour que l’usa-
ger ne se lasse jamais. »
Avec le Grand Magic Hotel, ouvert à
l’automne 2022 près du parc Disneyland
Paris (Seine-et-Marne), Oscar ­Lucien
Ono plonge la clientèle dans un film en
technicolor inspiré du Grand Budapest
Hotel (2013), du réalisateur Wes ­Ander­-
son. « Il m’a fallu planter un décor fort
pour accompagner ce premier hôtel en
immersion numérique d’Europe, doté
de murs aux écrans vidéo ­signés de
­Moment Factory. Aussi ai-je pensé les
espaces communs en rouge, orangé et
violet, avec un soin particulier au ca-
drage ou à la composition grâce à un
jeu d’arches et de lumière », précise le
fondateur de Maison Numéro 20.
Angelots et teintes électriques
Pour l’hôtel Nest Paris à la Défense, c’est
l’esprit ébouriffant du mouvement
­italien Memphis (1981-1988) fondé par
­Ettore Sottsass, gourou des eighties, qu’il
convoque. Moquette mouchetée noir et
blanc, colonnes de béton transformées
en totems graphiques surdimension-
nés, moquette jaune, corail ou chocolat…
« Dans le gris bétonné de la ­Défense, il fal-
lait convier de l’optimisme : j’ai eu recours
à la fantaisie sottsassienne, celle-là même
qui lui a permis de révolutionner le design
de son époque, en tournant le dos au
­modernisme et au fonctionnalisme rigo-
ristes », note Oscar Lucien Ono.
chocs esthétiques visuels », explique D’autres marques de design contem-
Rodolphe Parente. « Le lit flanqué d’un porain hissent désormais haut les cou-
petit vestiaire et d’une écritoire, au dos, leurs, en en faisant leur signe distinctif.
est un objet meuble, comme une île La maison d’édition Maison Dada,
dans l’espace. De par ses fonctions mul- créée en 2016 entre Shanghaï et Paris,
tiples, il devient un élément de scéno- par Thomas Dariel et Delphine ­Mo­-
graphie du quotidien », ajoute l’archi- reau, invite des designers de renom
tecte qui, depuis lors, applique sa pa- (Arik Levy, Claudio Colucci, etc.) à
lette flamboyante, invitant à une exal- ­« injecter une dose de dadaïsme dans la
tation retrouvée, dans des intérieurs vie de tous les jours ». Ainsi, le couturier
privés. Et a lancé, à l’automne, sa collec- et artiste Jean-Charles de Castelbajac
tion de mobilier Aperture aux cou- signe une série de tapis et d’assises
leurs tranchantes, du fauteuil monoli- (avec floraison d’angelots et teintes
thique rose aux luminaires gelati. électriques) pour la collection estivale
« Les intérieurs
beiges me
laissent froid.
Couleurs et
lumière sont les
outils de la vie »
Julien Sebban
architecte d’intérieur
de l’éditeur, qui propose aussi des lam-
pes multicolores et graphiques à la
­Calder ou de petits secrétaires rigolos à
multiples tiroirs vermillon. Fort de son
succès, Maison Dada ouvre mi-juin sa
première boutique en nom propre, au
101 rue du Bac, à Paris.
Présentée au dernier salon Maison
& Objet de Paris, le mobilier Tagadà du
studio Stamuli, basé à Stockholm, fait
mentir l’idée d’un design scandinave
toujours blanc et lisse. Ici, on use et
abuse de la géométrie et des teintes pri-
maires, en témoigne cette chaise tirée
au cordeau quoique « cartoonesque »,
violette, jaune et rouge, qui célèbre les
lignes rigoureuses et les couleurs déjan-
tées d’Alchimia, studio italien des an-
nées 1970, dont le maestro Andrea
Branzi était un membre fondateur.
Jusqu’à l’enseigne de meubles Ikea qui
célèbre, en juillet, « un design qui ose »,
caractérisé par des « lignes gra­phiques
épurées et des couleurs éclatantes », avec
la collection Nytillverkad. Rien de
plus, pour fêter ses huit décennies de
­création, qu’une revisite dans des
­tonalités vivifiantes de ses produits ­em­-
blématiques : voilà la table d’appoint
Lövbacken (1956) réinterprétée pour la
première fois de son histoire dans
d’audacieux bleu, vert amande ou
­mandarine, le tabouret empilable
Domsten (1973) trempé dans un bain
d’orange, de parme ou de céladon et le
portemanteau tubulaire en métal Smed
(1978), sublimé de lilas ou de jaune serin.
Une seule de ces pièces de mobilier
au caractère libertaire suffit, selon le
géant suédois, à donner une forte
­identité à ­votre intérieur. Qui proclame
même dans un slogan que, grâce à
­elles, « starring : you », la vraie vedette,
c’est vous ! p
Véronique Lorelle
 Idées
24 |
François Dubet
« Tout se passe comme si les rages
et les révoltes ne débouchaient
sur aucun processus politique »
Entretien explique que ni les
P
rofesseur émérite de sociologie à
l’université de Bordeaux, Fran-
çois Dubet a travaillé sur la théo-
rie sociologique, la sociologie de
l’éducation, les inégalités sociales
et les sentiments d’injustice. Il est
notamment l’auteur de La Préférence pour
l’inégalité. Comprendre la crise des solidari-
tés (Seuil, 2014), Le Temps des passions tris- en revendications ou
tes. Inégalités et populisme (Seuil, 2019),
Tous inégaux, tous singuliers. Repenser la
solidarité (Seuil, 2022).
Que vous inspirent la mort, à Nanterre,
de Nahel M., tué par un policier, et
les émeutes qui ont éclaté ensuite dans
la plupart des banlieues françaises ?
Chaque « bavure » policière, chaque ré-
volte des banlieues est singulière, mais c’est
la répétition des événements qui devrait
nous interroger. Depuis les émeutes de la
banlieue lyonnaise, dans les années 1980,
nous avons connu plusieurs dizaines de ré-
voltes – certaines locales, d’autres plus lar-
ges, comme en 2005, certaines dans des
grandes villes, d’autres dans des plus peti-
tes. Chaque fois, un ou plusieurs jeunes ont
été tués ou blessés par la police et, chaque
fois, les jeunes ont saccagé les équipements
publics de leur quartier : les mairies, les cen-
tres sociaux, les écoles… Chaque fois, la vio-
lence a débordé des cités et, chaque fois, les
pillages se sont mêlés à la révolte. Dans tous
les cas, les parents ont compris ces jeunes
qui sont leurs enfants, tout en condamnant
les violences qui détruisent leur quartier.
Chaque fois, aussi, les uns condamnent
les violences policières, la ségrégation, le ra-
cisme, la pauvreté et les ghettos urbains,
alors que d’autres condamnent les immi-
grés et l’ensauvagement de la société. L’im-
puissance des acteurs politiques semble
aussi se répéter : la fermeté de Nicolas
Sarkozy en 2005 [alors ministre de l’inté-
rieur] n’a pas plus éteint les incendies que
l’attitude plus compréhensive d’Emmanuel
Macron aujourd’hui. La seule nouveauté
des événements d’aujourd’hui, à Nanterre
et ailleurs, c’est le rôle croissant des réseaux
sociaux et, semble-t-il, l’extrême jeunesse
des émeutiers.
Les jeunes ont le sentiment que les pou-
voirs publics n’ont rien fait, ou presque,
dans les quartiers populaires depuis
le début des années 1980. Est-ce exact ?
On ne peut pas dire que rien n’a été fait.
Dans beaucoup de quartiers, l’habitat et les
équipements se sont améliorés : on a refait
des appartements, détruit les immeubles
les plus insalubres, ouvert des écoles et des
équipements sociaux, multiplié les lignes
de bus… C’est sans doute insuffisant, mais
le cadre de vie a été un peu amélioré – Nan-
Nous sommes passés d’une
société dans laquelle
les individus étaient
définis par leur travail
à une société dans
laquelle ils le sont par
leur niveau d’exclusion
Après la mort de
Nahel M., le sociologue
mouvements sociaux
ni les partis politiques
ne parviennent
à transformer
en actions organisées,
en projets le sentiment
d’abandon des
habitants des cités
terre n’est d’ailleurs pas la plus dégradée
des cités populaires.
Tout le problème vient de ce qu’on agit
plus facilement sur le bâti que sur le peuple-
ment. Les politiques de la ville n’ont pas ré-
duit la ségrégation sociale et ethnique : les
habitants des quartiers « prioritaires » et
des quartiers « difficiles » sont toujours les
plus pauvres et les plus précaires, ils sont
immigrés ou issus de l’immigration.
Souvent, ces caractéristiques se renfor-
cent au fil des ans, dans la mesure où ceux
qui « réussissent » grâce au travail et aux
études quittent le quartier et sont rempla-
cés par des familles encore plus pauvres qui
sont issues d’immigrations encore plus
lointaines.
On n’aime guère parler de ghettos, mais
c’est bien d’une ghettoïsation qu’il s’agit.
Les pauvres et les immigrés sont contraints
de vivre ensemble et, peu à peu, le ghetto se
constitue à l’intérieur même du quartier.
Les garçons, qui échouent plus à l’école que
les filles, occupent la rue. Les familles se re-
plient. Les écoles et les établissements so-
ciaux sont perçus comme étrangers au
quartier. Malgré les politiques locales, mal-
gré l’engagement des travailleurs sociaux et
des enseignants, les habitants se sentent
mis à l’écart en raison de leurs origines, de
leur culture, de leur religion et de leur
adresse : leur quartier les exclut et les en-
ferme en même temps qu’il les protège.
Les jeunes des quartiers populaires
se disent victimes de discriminations
dans les institutions scolaires et dans
le monde du travail. Les chercheurs
aboutissent-ils à la même conclusion ?
La discrimination n’est pas un phantasme :
elle se mesure. Nous savons qu’un jeune
d’origine étrangère vivant dans un quartier
réputé difficile a beaucoup moins de chan-
ces qu’un autre de trouver un emploi à quali-
fications et à compétences égales. Nous sa-
vons de manière objective que ses chances
d’être interpellé par la police sont considéra-
blement plus élevées que celle d’un jeune
« blanc » des classes moyennes.
Mais la discrimination peut être plus sub-
tile. Quand le collège du quartier concentre
des élèves pauvres, immigrés ou issus de
l’immigration, ses chances de réussir sont
nettement plus faibles que celles qu’il
aurait dans un établissement socialement
et culturellement plus mixte : le niveau
d’ambition est plus faible, l’émulation joue
moins, il y a moins de relations et de sou-
tiens familiaux efficaces. D’ailleurs, les ha-
bitants du quartier qui le peuvent essaient
de fuir le collège du quartier. Il n’est pas né-
cessaire que les individus ou les institu-
tions soient explicitement racistes pour
que les élèves se sentent discriminés : ils le
sont objectivement par la seule répartition
spatiale des inégalités sociales et culturel-
les. Tous les jeunes de ces quartiers ont le
sentiment d’être prisonniers d’un destin
social et « racial » figé.
Est-ce qu’on discrimine plus aujourd’hui
qu’hier ? Il n’est pas facile de répondre à
cette question, d’autant plus qu’hier bien
des discriminations étaient perçues
comme allant de soi. On était sans doute
plus discriminé dans le bidonville de Nan-
terre des années 1960 que dans les cités
d’aujourd’hui, mais les discriminations
sont devenues intolérables parce que le
droit à l’égalité s’est renforcé, parce que
nous pensons que nous devons tous avoir
les mêmes chances, parce que nous vou-
lons que l’égale dignité des identités et des
cultures soit reconnue. De ce point de vue,
les jeunes des quartiers ne sont pas diffé-
rents des femmes et des minorités sexuel-
les, qui ont été si longtemps discriminées et
qui ne supportent plus de l’être : tous adhè-
rent à une promesse démocratique qui
n’est pas tenue.
Si ces émeutes se répètent, est-ce parce
qu’elles n’ont pas trouvé de débouché
politique ?
Seules les émeutes des Minguettes, dans
la banlieue de Lyon, ont engendré un vaste
mouvement de protestation – la Marche
pour l’égalité et contre le racisme de 1983.
Depuis, aucune émeute n’a eu de véritable
conversion politique. Tout se passe comme
si les quartiers étaient dans un vide politi-
que, comme si les rages et les révoltes ne dé-
bouchaient sur aucun processus politique,
comme si les élus commentaient les événe-
ments plus qu’ils ne relayaient des colères.
Dans les démocraties, les mouvements
sociaux et les partis politiques ont pour-
tant un rôle essentiel : celui de transformer
les émotions en actions organisées, en re-
vendications, en projets. Les émeutes
ouvrières sont devenues des syndicats et
des partis de gauche. Au début de cette an-
née, les syndicats, par exemple, ont donné
une forme sociale au refus de la réforme
des retraites : sans eux, il n’y aurait eu que
la violence et le silence.
Les émeutes des banlieues sont un pro-
blème social, mais elles ne débouchent pas
sur l’émergence d’un acteur : il n’est donc
pas étonnant qu’elles se répètent plus ou
moins à l’identique. Ce vide politique ne
concerne pas uniquement les banlieues : la
colère des « gilets jaunes », bien différente
de celle des jeunes des cités, n’est pas parve-
nue à se donner une forme politique. Là en-
core, au bout d’un moment, tout a paru se
réduire à des affrontements avec la police :
comme tous les porte-parole étaient
­contestés, les dirigeants n’ont pas eu de
« vrais interlocuteurs ».
Il existe, dans les quartiers populaires,
des élus locaux, des associations,
des travailleurs sociaux, des syndicats.
Pourquoi ne parviennent-ils pas
à politiser la colère des habitants ?
Les appels au calme des maires, des mili-
tants associatifs, des enseignants, des tra-
vailleurs sociaux et des imams ne sont pas
entendus : tous avouent leur impuissance.
Malgré le travail des élus, malgré les politi-
ques sociales, les habitants des quartiers
n’ont pas de voix propre. Le contraste avec
les anciennes banlieues rouges est saisis-
sant : ces villes communistes de l’après-
guerre n’étaient pas riches, mais elles
étaient encadrées par des partis, des syndi-
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023
cats et des mouvements d’éducation popu-
laire. Les enseignants et les travailleurs so-
ciaux vivaient dans les quartiers où ils tra-
vaillaient. De ce point de vue, ces banlieues
étaient dans la société.
Tous ces relais, ou presque, ont disparu.
Les intervenants sociaux viennent du de-
hors et les services municipaux ont rem-
placé les mouvements d’éducation popu-
laire. Les élus ne sont pas entendus et les ha-
bitants, surtout les jeunes, pensent qu’ils ne
les entendent pas. Cette expérience est si
violente qu’elle conduit les jeunes à détruire
tout ce qui peut les relier à la société – les bi-
bliothèques, les écoles, les centres sociaux…
Nous sommes passés d’une société dans
laquelle les individus étaient définis par
leur travail à une société dans laquelle ils le
sont par leur niveau d’exclusion. Les jeunes
s’en prennent aux symboles – celui de l’Etat
qui les réprime et celui de la consommation
qui les frustre. Ils sont enragés parce que les
injustices n’ont d’autre cause à leurs yeux
que le « système » incarné par la police.
Quelles seront, à vos yeux, les consé-
quences politiques de cette crise ?
Cette incapacité à construire des acteurs
politiques nourrit une crise démocratique.
C’est peu dire que cette situation est dange-
reuse, car si les individus ont le sentiment
d’être méprisés, de n’être pas représentés, il
ne leur reste que la violence ou l’adhésion
aux pouvoirs autoritaires qui promettent
de tout résoudre par la « fermeté », c’est-à-
dire par la force.
Personne ne « fait le jeu » de personne,
mais comment ne pas voir que l’extrême
droite et une partie de la droite construi-
sent un récit parfaitement raciste dans le-
quel la question des banlieues est, avant
tout, une affaire culturelle et nationale,
dans lequel le maintien de l’ordre est la fin
de toute politique ? Quand les images de
violences passent en boucle sur les réseaux
et les écrans, on peut craindre que, sans
trop dire et sans rien faire, l’extrême droite
tire les marrons du feu.
Comment ne pas voir aussi que, si la gau-
che condamne le racisme et la violence po-
licière, elle propose de réformer la police,
ce qui est indispensable, sans être très
créative sur la question des banlieues elle-
même ? Tant que nous en resterons là, le
face-à-face des jeunes et des policiers res-
tera la règle, jusqu’à la prochaine bavure et
la prochaine émeute.
Feriez-vous un parallèle entre la France
et les Etats-Unis ?
Les Français n’aiment guère se comparer
aux Etats-Unis pour de bonnes raisons : ni
le racisme, ni la violence policière, ni les
ghettos urbains ne sont comparables. Long-
temps, ces différences nous ont rassurés :
nous aimons opposer le républicanisme
français au communautarisme américain.
Cependant, la ghettoïsation de certains
quartiers français devrait nous inquiéter.
En France comme aux Etats-Unis, les vio-
lences policières ne sont pas de simples ac-
cidents quand la confrontation des jeunes
et de la police est une expérience quoti-
dienne. En France comme aux Etats-Unis,
les « petits Blancs » qui se sentent ignorés et
maltraités finissent par rejeter ceux qui
sont encore plus maltraités qu’eux, mais
qui, à leurs yeux, leur ressemblent si peu. La
manière dont les médias internationaux
rendent compte des émeutes françaises
n’est pas sans rappeler les images du meur-
tre de George Floyd et des émeutes qui ont
suivi. Cela devrait nous inquiéter. p
Propos recueillis par Anne Chemin
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023 Idées | 25

Sebastian Roché
Les mauvaises pratiques des policiers
sapent les fondements de la République
Le politiste appelle à une réforme systémique pour lutter contre les violences policières,
dont les hommes politiques sont à la source en votant des lois trop permissives.
Comme celle de 2017 sur le refus d’obtempérer qui a pu mener à la mort du jeune Nahel M.

L
es mauvaises pratiques
­policières, violence en tête,
sont toxiques pour la na-
tion. Le régime démocrati-
que ambitionne de réunir les dif-
férences sur la base de l’égalité
afin d’assurer la cohésion sociale,
mais celle-ci est corrodée par des
comportements que la morale
­réprouve et que la loi interdit. Il
est temps que la classe politique
en prenne conscience et déchire
le voile d’ignorance qu’elle pré-
fère se mettre sur les yeux.
Comme à Los Angeles en 1992,
à Clichy (Seine-Saint-Denis) en
2005, à Londres en 2011, le tir
mortel sur Nahel à Nanterre pro-
voque une indignation morale,
et une colère qui déclenche des
émeutes, déchirant la collectivité
politique. Il est trop facile, et sur-
tout erroné, de blâmer les com-
portements individuels des poli-
ciers. Les hommes politiques qui
votent les lois, permettant aux
policiers de tirer lorsqu’il n’y a
pas de danger, sont à la source
des émeutes destructrices.
Blâmer les familles, les jeux vi-
déo, les médias sociaux ou en-
core les quelques « pommes pour-
ries » dans la police – qu’il con-
vient de sévèrement punir – est la
tactique des décideurs qui visent
à s’exonérer de leurs propres res-
ponsabilités. Ce sont pourtant
eux qui choisissent de donner
plus d’armes aux agents (Flash-
Ball, LBD, grenades, armes lon-
gues), de réduire leur formation,
pour « mettre du bleu » dans la
rue, et d’élargir les conditions
d’usages des armes. Quoi qu’il en
coûte. Ce sont nos gouvernants
qui, puisant leurs références à
l’extrême droite, propagent des
« concepts » comme décivilisa-
tion et ensauvagement auxquels
font écho des syndicats de police
qui parlent de « guerre » contre
« les nuisibles », un vocabulaire
colonial, comme dans le tract
d’Alliance et de l’UNSA du 30 juin.
Perte de confiance dans les élus
Un homicide policier « de trop » a
mis le feu aux banlieues. Mais
quel est le carburant qui a été
­enflammé ? Il est composé des
émotions accumulées par les
adolescents, lors de ces contacts
ordinaires avec des policiers,
faits de peur et d’humiliation. La
­jeunesse y est particulièrement
sensible, plus que tout autre seg-
ment de la population. Ces expé-
riences engendrent non seule-
ment un rejet de la police, mais
aussi une perte de confiance dans
les élus et la loi, et un effondre-
ment de la croyance dans la va-
leur des processus démocrati-
ques. Ceci explique que les appels
au calme ou la décision de mettre
le policier en examen pour homi-
cide volontaire n’ont guère d’effet
d’apaisement.
La discrimination et la brutalité
sont régulières, lors des contrôles
La discrimination
et la brutalité
sont régulières
lors des
contrôles
d’identité,
et l’existence
de contrôle au
faciès est prouvée
d’identité. Nous disposons main-
tenant de plus d’une dizaine d’en-
quêtes de politistes, démogra-
phes ou du défenseur des droits
qui prouvent l’existence de con-
trôles au faciès de Paris à Mar-
seille en passant par Lyon. La dis-
crimination est un délit, quand
bien même un policier en est
l’auteur.
Côté violences, qui a oublié les
trente mutilés du mouvement
des « gilets jaunes », et les six de
celui contre la réforme des retrai-
tes ? On doit ajouter à cela la mul-
tiplication par six des tirs mortels
sur les véhicules depuis la loi de
2017, qui fait de la France le
« champion » d’Europe des pays
étudiés. Le bilan pour la police
française est accablant pour une
démocratie occidentale.
Heureusement que la gendar-
merie, bien que généreuse dans
son usage des grenades comme à
Sainte-Soline (Deux-Sèvres), se
démarque tant en matière de res-
pect de l’égalité que de maîtrise
de l’usage des armes à feu.
Les problèmes sont systémi-
ques, mais ce mot paraît impro-
nonçable à nos ministres ou pré-
sidents successifs. Est-il encore
temps de cacher la poussière sous
le tapis quand la France brûle une
seconde fois, plus souvent même
que le Royaume-Uni dont les
émeutes de 2011 ont ravagé Lon-
dres. Emmanuel Macron tient
une position de modération fort
bienvenue pendant la crise ac-
tuelle. Déjà après l’affaire Michel
Zecler, en 2020, il avait dénoncé
« l’agression inacceptable » du
producteur noir par des policiers,
et demandé des propositions
pour réformer la police, « pour
réaffirmer le lien de confiance (…)
et pour lutter plus efficacement
contre toutes les discrimina-
tions ». Quant à la « nouvelle ins-
tance parlementaire de contrôle
des policiers » annoncée en 2021,
elle a disparu dans les sables.
Contrôle externe insuffisant
La botte secrète pour ne rien
changer ? Parler de déontologie et
de changement de la formation
des policiers. Ce sont deux
feuilles de vigne posées sur les
problèmes systémiques. Elles ca-
chent les problèmes de doctrine
approximative, de contrôle ex-
terne insuffisant, d’encadrement
local inadapté. Et surtout, le
laxisme des responsables politi-
ques en matière de discrimina-
tion et de violence policière.
­Résultat : pas de stratégie pour
changer la police, pas de suivi,
pas d’évaluation. Mais que faut-il
pour que les élus ouvrent les
yeux ?
La violation des droits par des
policiers, à commencer par le
droit à la vie, est vécue comme
particulièrement insupportable.
La raison en est simple : la police
agit au nom de la loi. Comment
croire dans les grands principes
déclamés du haut des estrades
lorsqu’on fait de manière répétée
l’expérience de leur vacuité ? C’est
pourquoi les mauvaises prati-
ques policières sapent les fonde-
ments de la République.
Il est temps d’y mettre un
terme. Seule une réforme systé-
mique le permettra, en commen-
çant par l’abrogation de la loi
de 2017. p
Sebastian Roché est direc-
teur de recherche au CNRS,
auteur de « La Nation inache-
vée. La jeunesse face à l’école
et la police » (Grasset, 2022)

Emmanuel Blanchard : « La France a une histoire longue

de la racialisation de l’emprise policière »
Entretien Pour le politiste, il faut prendre en compte devant le palais de justice de Paris, à l’ini-

D
irecteur adjoint de Sciences Po
Saint-Germain-en-Laye, Emma-
nuel Blanchard est maître de con-
férences en science politique de
l’université de Versailles-Saint-Quentin-
en-Yvelines et chercheur au Centre de re-
cherches sociologiques sur le droit et
les institutions pénales. Il est l’auteur
de La Police parisienne et les Algériens,
1944-1962 (Nouveau Monde, 2011) et
d’une Histoire de l’immigration algérienne
en France (La Découverte, 2018).
La loi de 2017 a desserré les contraintes
qui pesaient sur les policiers lors
de l’usage de leurs armes. A-t-elle,
selon vous, encouragé des dérives ?
Depuis 2017, les sociologues et les jour-
nalistes ont documenté une hausse im-
portante des tirs mortels liés à des refus
d’obtempérer. Cet assouplissement des
conditions d’usage des armes n’a pas con-
duit à une augmentation aléatoire des
tirs : ils se concentrent sur les populations
les plus contrôlées, en particulier les jeu-
nes hommes perçus comme noirs ou ara-
bes. L’emploi de l’arme à feu s’inscrit alors
dans un continuum de violences qui
­visent une petite partie de la population.
Le législateur aurait dû anticiper les biais
ethno-raciaux d’un tel durcissement sécu-
ritaire : cela fait maintenant plus de qua-
rante ans que les crimes racistes et les vio-
lences policières sont dénoncés comme
générateur d’une citoyenneté de seconde
zone par des descendants d’immigrés par-
ticulièrement mobilisés sur ces questions.
S’agit-il, selon vous, d’un héritage
de l’histoire coloniale de la France ?
La France a une histoire longue de racia-
lisation de l’emprise policière. Si l’on ne
prend pas en compte l’histoire coloniale,
l’histoire coloniale afin de saisir pourquoi le nombre
de personnes trouvant la mort dans des interactions
avec des policiers est plus élevé en France que dans d’autres
pays européens comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni
on ne comprend pas pourquoi le nombre
de personnes trouvant la mort dans des
interactions avec des policiers est, en
France, beaucoup plus élevé – de deux à
cinq fois – que dans des pays européens
comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni.
La France a été une capitale impériale
dont les indigènes étaient aussi des natio-
naux qui venaient par centaines de mil-
liers chercher de l’emploi en métropole,
où ils étaient largement considérés
comme indésirables, en particulier dans
le cas de l’immigration algérienne.
C’est dans cette histoire que s’est cons-
truit un répertoire policier (contrôles
d’identité, fouilles corporelles…) et des il-
légalismes violents (bavures, ratonna-
des…) qui n’ont pas cessé avec les indépen-
dances des années 1960. La sortie de la
guerre d’Algérie ne s’est pas faite en un
jour : est profondément ancré dans les
­représentations d’une partie des autorités
et de la population française qu’une part
des habitants de ce pays, qu’ils soient ou
non de nationalité française, n’y ont pas
une véritable place. Leur présence appa-
raît illégitime dès lors que les indépen-
dances ont été arrachées. Cette illégitimité
politico-sociale se traduit par des contrô-
les policiers rugueux pouvant aller jus-
qu’à l’acceptation, y compris judiciaire,
de violences afflictives, voire létales.
Vous comparez le choc moral provoqué
par la mort de Nahel M. à celui qui a
suivi le passage à tabac par des
policiers de Rodney King, en 1991,
à Los Angeles. Quels sont les points
communs entre ces deux affaires ?
Il y a bien sûr des différences : Rodney
King a survécu à son passage à tabac et les
émeutes de Los Angeles ont commencé
après l’acquittement de trois des quatre
policiers. Mais le « choc moral » provoqué
par la diffusion d’images, habituellement
inaccessibles, de violences extrêmes les
rapproche. En 1991, il était encore très
rare que le profilage racial et les abus
­policiers qui fondent la communauté
d’expérience de nombreux Afro-Améri-
cains fassent l’objet d’images diffusées
en boucle à la télévision.
Avec le cas de Nahel M., c’est la première
fois, en France, qu’un homicide policier,
dont les images et la bande-son suggèrent
qu’il a été précédé par des menaces de
mort, est instantanément diffusé sur les
réseaux sociaux, alors même que les
­forces de police s’emploient à imposer le
récit habituel de la légitime défense. Des
habitants des quartiers populaires au
sommet de l’Etat, chacun a compris, au
moment même où ces images étaient dif-
fusées, que la mécanique de l’émeute
pouvait s’enclencher.
Elle était d’autant plus prévisible que
d’autres formes de dénonciation des vio-
lences policières n’avaient pas été enten-
dues, voire avaient été délégitimées par les
autorités : la manifestation, en juin 2020,
tiative du comité Adama et en lien avec le
mouvement international Black Lives
Matter, a ainsi fait date dans l’histoire de
l’antiracisme en France – mais comme la
plupart des mobilisations sociales de ces
dernières années, elle a reçu une fin de
non-recevoir et elle n’a pas eu de débou-
chés institutionnels ou législatifs.
Le policier qui a tué Nahel M. a fait
de fausses déclarations pendant
sa garde à vue. Comment expliquer
ce comportement de la part
d’un fonctionnaire de l’Etat ?
Le nombre d’affaires dans lesquelles
des vidéos amateurs sapent, non seule-
ment le récit policier, mais des procédures
entières qui, y compris devant les tribu-
naux, apparaissent comme des faux en
écriture, est inquiétant. Le rapport au Le rapport au
droit des forces de l’ordre est, de longue
date, ambivalent et essentiellement ins-
droit des forces
trumental, mais il semble s’être encore de l’ordre est,
­relâché ces dernières années.
La position de force occupée par des syn- de longue date,
dicats de police dont les argumentaires
empruntent de plus en plus au registre de ambivalent et
l’extrême droite joue sans doute un rôle – essentiellement
d’autant que le pouvoir exécutif, particu-
lièrement affaibli, s’appuie depuis des an- instrumental
nées sur la contention, voire la répression,
des mouvements sociaux (« gilets jau-
nes », écologistes, syndicats…) pour impo-
ser un agenda politique n’ayant pas de
soutien populaire, ni même de véritable
majorité législative. Dans ces conditions,
les forces de police deviennent une insti-
tution politique centrale à ne pas mécon-
tenter. D’où la ligne de crête sur laquelle
s’avance l’exécutif qui, plus que jamais,
­apparaît en débiteur de syndicats de po-
lice qui n’hésitent pas à le lui faire savoir
de la manière la plus virulente. p
Propos recueillis par Anne Chemin
 0123
26 | Idées ­
­Mardi 4­ juillet 2023

Ulrike Lune Riboni

« Le “vidéoactivisme” a
un fort pouvoir évocateur »
L’universitaire, spécialiste de l’image et de la communication, retrace l’histoire
des pratiques audiovisuelles contestataires et leur signification politique

Entretien Les pratiques contemporaines,

Le Livre
Vidéoactivismes
« La révolution sera uploadée. » Difficile
de donner tort au titre du cinquième
chapitre de l’ouvrage Vidéoactivismes.
Contestation audiovisuelle et politisa-
tion des images (Amsterdam, 208 p.,
18 €), tant les images numériques
sont aujourd’hui au cœur des luttes
sociales et politiques. De la vidéo du
passage à tabac de l’Africain-Améri-
cain Rodney King par des policiers,
en 1991, au soulèvement populaire tu-
nisien, filmé et partagé en ligne par
des milliers d’anonymes, en 2011, jus-
qu’aux images de femmes iraniennes
se coupant les cheveux pour protester
contre le régime de Téhéran,
à l’automne 2022, filmer et se filmer
est devenu un acte contestataire in-
contournable. Partant de ce constat,
Ulrike Lune Riboni propose de repla-
cer ces nouveaux usages dans la lon-
gue histoire des pratiques audiovi-
suelles militantes et des croyances sur
lesquelles elles reposent. Les activis-
tes ne sont d’ailleurs pas les seuls à
avoir foi dans la capacité des images
à influer sur le rapport de force politi-
que. En témoignent, en France, les
projets de loi portés pour entraver la
circulation de certaines images ou
pour doter les forces de l’ordre d’un
arsenal de technologies audiovisuel-
les. Raison de plus pour suivre
l’autrice dans sa réflexion afin de
comprendre comment l’image
peut renforcer les inégalités et les
oppressions et à quelles conditions
elle peut être un outil d’émancipation.
D
ans Vidéoactivismes. Contestation
audiovisuelle et politisation des
images (Amsterdam, 208 pages,
18 euros), Ulrike Lune Riboni, maî-
tresse de conférences en sciences de l’in-
formation et de la communication à
l’université Paris-VIII, souligne la conti-
nuité entre le cinéma militant de la pre-
mière moitié du XX siècle, les expériences
des collectifs de vidéoactivistes des an-
nées 1980 et les images contemporaines
réalisées par des anonymes pour docu-
menter manifestations, révolutions et
violences policières.
Qu’est-ce que le vidéoactivisme ?
Est-ce une catégorie unifiée ?
Non seulement ce n’est pas une catégo-
rie unifiée, mais elle est scientifiquement
employée de manière assez confuse. Dans
le langage courant, le mot « vidéoacti-
visme » émerge autour des années 1980
dans les milieux militants de la gauche
­radicale – il désigne alors des pratiques
­vidéo qui mettent en cause les institutions
médiatiques et cinématographiques et qui
sont conçues comme des outils de lutte. Je
choisis, de mon côté, de l’utiliser pour
­désigner les pratiques audiovisuelles
­contestataires historiques et contemporai-
nes. C’est une expression séduisante, qui a,
à mes yeux, un fort pouvoir évocateur.
Quelles sont les étapes de cette
­histoire des images contestataires ?
D’abord, comme toute histoire, ce n’est
qu’une version possible de l’histoire, et
une version nécessairement partielle et
parcellaire. Disons que tout commence
avec le cinéma, d’abord utilisé par les
grands partis (en particulier communis-
tes) et les organisations de masse. Puis
des collectifs de cinéastes ayant des
­ancrages variés dans la gauche radicale
prennent le relais et filment les luttes
­sociales des années 1960 et 1970, en pelli-
cule puis en vidéo. L’émergence des tech-
nologies audiovisuelles légères permet
ensuite la démocratisation des pratiques
et la multiplication des expériences de
vidéo militante, par des collectifs ou par
des anonymes.
comme le fait de filmer une
­manifestation ou une scène
­de violence policière, sont-elles
en continuité ou en rupture avec les
traditions précédemment évoquées ?
Je défends justement l’idée que ces prati-
ques contemporaines sont liées à l’his-
toire de l’image audiovisuelle contesta-
taire. Plutôt que de ne considérer dans
l’histoire du vidéoactivisme que les pro-
ductions que l’on doit à des cinéastes, des
artistes ou des militants organisés, je crois
qu’il faut voir dans les images anonymes
d’aujourd’hui la continuité d’un geste, la
revendication d’un même droit de regard.
Pour autant, les choses ont bien changé,
et on ne peut évoquer les continuités
sans souligner aussi les ruptures. Les
­expériences audiovisuelles collectives
sont devenues très rares ; le cinéma mili-
tant est devenu ultraminoritaire ; beau-
coup des images qui font l’objet d’une
­politisation aujourd’hui ne sont pas né-
cessairement produites au départ dans
une visée contestataire – elles prennent Yann Legendre
ce sens par la suite, lorsqu’elles sont diffu-
sées. Mais les pratiques d’hier comme
d’aujourd’hui ont en commun ce geste de
documentation et cette volonté d’étendre
radicalement le domaine de la visibilité.
« Les expériences La « guerre des images » ne se joue
c­ ependant pas que dans ce champ. En 1991,
audiovisuelles la vidéo du tabassage de Rodney King
Vous notez que la production et la dif- [tournée par un vidéaste amateur alors que
fusion d’images dans un but militant collectives cet Afro-Américain était frappé par quatre
ou contestataire traduisent une forme policiers blancs lors de son arrestation pour
de croyance dans les pouvoirs de
sont devenues excès de vitesse] n’a pas été efficace dans le
l’image. Quels pouvoirs les vidéo­- très rares » champ judiciaire, puisqu’elle n’a pas
activistes prêtent-ils à l’image filmée ? abouti à la condamnation des policiers.
Il y a, à mes yeux, deux dimensions à Mais elle a pu constituer, par l’indignation
cette croyance dans le pouvoir des images. Toutes les images produites et qu’elle a provoquée, un tournant histori-
D’abord, la croyance en un pouvoir de ­diffusées dans un but contestataire ne que dans l’élargissement de la cause anti-
­révélation : celle des réalités invisibilisées, parviennent pas à influer sur le monde raciste. De la même façon, la vidéo mon-
des corps et des subjectivités absentes, de social et politique. A quelles conditions trant les conditions de la mort de
la violence. Mais il y a aussi une croyance une image est-elle « efficace » ? ­Nahel M., à Nanterre, ne sera peut-être pas
en un pouvoir de transformation de Tout dépend de ce qu’on considère une preuve suffisante de la culpabilité des
l’image. Et si cette croyance est souvent comme « efficace ». S’agit-il, par ces ima- policiers dans le cadre judiciaire, mais elle
­arrimée à la forme documentaire, c’est-à- ges, de « prouver » quelque chose dans le est déjà une preuve aux yeux de celles et
dire à des images envisagées comme preu- cadre judiciaire, ou de mobiliser les ceux qui se révoltent, et un élément de l’in-
ves, ce n’est pas toujours le cas : on prête ­affects et, potentiellement, de provoquer dignation. De manière générale, il s’agit
aussi ce pouvoir de transformation du l’indignation et l’engagement ? Le cadre toujours de se demander aux yeux de qui
monde à des formes susceptibles de judiciaire est un champ spécifique avec on considère qu’une image est efficace, et
­subvertir les représentations existantes, et ses règles et ses mécaniques singulières, dans quel contexte elle est diffusée – car ce
donc les hiérarchies sociales qu’elles dans lequel l’image n’a pas toujours contexte peut influer sur sa réception. p
­soutiennent ou contribuent à créer. ­valeur de preuve. Propos recueillis par Marion Dupont

Les afro-descendants s’imposent enfin dans le cinéma français

M
ercredi 5 juillet, un documen-
taire intitulé Au cimetière de la
pellicule sort dans les salles
françaises. Son jeune auteur,
le Guinéen Thierno Souleymane Diallo, fei-
gnant d’ignorer que l’œuvre est perdue, part
en quête de ce premier film signé par un Afri-
cain francophone – Mouramani légende
noire (1953), de son compatriote Mamadou
Touré – depuis la Guinée jusqu’à Paris, où il
Plus que fut tourné. Il n’y a pas si longtemps, cette
le nombre de œuvre fantôme balançant entre l’Afrique et
la France aurait pu constituer une juste mé-
films, plus que taphore de la présence noire dans le cinéma
français. Ce n’est plus le cas.
le nombre L’efflorescence d’un cinéma réalisé et inter-
prété par une nouvelle génération d’afro-des-
d’entrées, compte cendants est aujourd’hui un phénomène
ici la diversité d’autant plus remarquable que la qualité es-
thétique ainsi que la diversité des registres et
des genres des genres le caractérisent. Contrairement
aux artistes issus de l’immigration maghré-
et des styles bine, qui ont réussi à imposer une présence de
plus en plus irréfragable dans le cinéma fran-
çais à compter des années 1980, la représenta-
tion artistique des Français afro-descendants,
derrière ou devant la caméra, aura donc beau-
coup tardé à s’imposer. Il appartiendrait sans
doute à un sociologue, davantage qu’à un
­critique de cinéma, d’en dire la raison.
En tout état de cause, il faut rappeler que
des tentatives, et non des moindres, eurent
lieu en leur temps. Principalement celles de
Med Hondo et d’Euzhan Palcy. Le premier, né
en 1936 en Mauritanie, s’installe en France
en 1958, y demeure jusqu’à sa mort en 2019.
Il signe une œuvre hantée par le colonia-
lisme, hyperinventive, engagée, brechtienne,
farcesque, lyrique, impitoyable. Trois de ses
films – Soleil O (1970), West Indies ou les
­nègres marrons de la liberté (1979) et Sarraou-
nia (1986) – ressortent aujourd’hui, restaurés
et réédités dans un coffret vidéo par Ciné-Ar-
chives. Il est loisible de mettre la main des-
sus. La Martiniquaise Euzhan Palcy, d’un
tempérament moins aventureux, réalise
quant à elle son premier film, Rue Cases-Nè-
gres, en 1983. C’est le roman de formation
d’un enfant pauvre et racisé de la Martinique
qui s’élève par le savoir. Le film est un tel suc-
cès que Hollywood tend les bras à la réalisa-
trice. Elle y fera carrière, plutôt qu’en France,
récompensée d’un Oscar d’honneur en 2022.
Signe indubitable de vitalité
La mémoire de ces deux pionniers glisse
donc rapidement dans les oubliettes ciné-
matographiques. Il faut attendre les années
2010 pour que des cinéastes et des acteurs
noirs, en nombre suffisant si ce n’est néces-
saire, crèvent enfin l’écran où leur invisibi-
lité jusqu’alors brillait. Trois « locomotives »
font démarrer ce train. La Première Etoile, de
Lucien Jean-Baptiste, en 2009, ou les aven-
tures familiales d’un pilier de PMU antillais
au ski, succès surprise qui rassemble 1,6 mil-
lion de spectateurs. Case départ, de Lionel
Steketee, Fabrice Eboué et Thomas Ngijol,
variation sur Les Visiteurs à la sauce esclava-
giste, cumule 1,8 million d’entrées. Et évi-
demment Intouchables (2011), d’Olivier Na-
kache et Eric Tolédano, histoire d’un jeune
Noir des cités plein de vie qui passe l’envie
d’en finir à un vieux Blanc paralytique au
bout du rouleau. On aura vu le topo. Ce raz-
de-marée historique à 19 millions d’entrées
expédie le Trappiste Omar Sy dans la stra-
tosphère de la staritude.
Voici donc trois comédies qui assouplis-
sent le vivre-ensemble. On n’en est plus là.
Plus que le nombre de films, plus que le
nombre d’entrées, compte ici la diversité des
genres et des styles, signe indubitable de la
vitalité de cette nouvelle génération de ci-
néastes, nés en France, trentenaires ou qua-
dragénaires pour la majorité d’entre eux.
Nommons-les. Alain Gomis (Felicité, 2017),
Mati Diop (Atlantique, 2019) et la jeune Ra-
mata-Toulaye Sy, découverte au dernier Festi-
val de Cannes (Banel et Adama, 2023), vont en
Afrique renouer un dialogue avec le monde
de leurs pères aussi bien qu’y éprouver l’effi-
cience du cinéma d’auteur français. Alice
Diop (Nous, 2021, Saint Omer, 2022), de son
côté, prend le relais de son aîné Raoul Peck
(Lumumba, la mort d’un prophète, 1990 ; I Am
Not Your Negro, 2017), cinéaste haïtien inté-
gré de longue date dans le système de pro-
duction français, sur le terrain du documen-
taire, de l’essai et de la fiction politique.
Ladj Ly (Les Misérables, 2019) renouvelle le
film de banlieue. Jean-Pascal Zadi se risque gé-
nialement à la comédie conceptuelle avec
Tout simplement noir (2020), qui démontre
que la communauté noire n’est pas une vue
de l’esprit moindre que la blanche. Steve
Achiepo signe un remarquable polar social
dans Le Marchand de sable (2023), tandis que
Jean-Luc Herbulot (Saloum, 2021) et Cédric Ido
(La Gravité, 2023) entrent avec une belle con-
viction poétique sur le terrain du fantastique.
De nouveaux visages – s’ajoutant à la géné-
ration « franco-antillaise » des Legitimus
(Theo, Darling et Pascal), Firmine Richard ou
Alex Descas – trouvent à s’incarner dans
cette vague, notamment ceux d’Aïssa Maïga,
d’Eye Haïdara, d’Annabelle Lengronne, de
Steve Tientcheu, d’Ahmed Sylla ou de
Moussa Mansaly.
Dernier point, qu’il importe de signaler : la
belle manière dont l’ensemble du cinéma
français, à la suite de la pionnière Claire De-
nis (S’en fout la mort, 1990), est à l’unisson de
ce mouvement : Abdellatif Kechiche (Vénus
noire, 2010), Roschdy Zem (Chocolat, 2016) ,
Céline Sciamma (Bande de filles, 2014), Ber-
trand Bonello (Zombi Child, 2019), Léonor
Serraille (Un petit frère, 2022), Mathieu Vade-
pied (Tirailleurs, 2022), Kim Chapiron (Le
Jeune Imam, 2023). Un nouveau paysage se
dessine donc sur le grand écran, celui d’une
France multiculturelle avec ses joies et ses
douleurs, à l’instar de celle que chantait
Charles Trenet. p
Jacques Mandelbaum
(Service Culture)
0123
­
­Mardi 4­ juillet 2023 0123 | 27

Économie | Chronique Émeutes

par J ean-M ic he l B e zat
urbaines :
des destructions, répandues dans toute la depuis près d’une semaine une double
l’impératif
Des canons de l’apaisement
France, dépasse celui des troubles d’il y a
près de vingt ans, concentrés pendant
trois semaines dans l’Ile-de-France. La co-
peine avec la destruction des moyens de
transport, des infrastructures administra­-
tives et des commerces qui s’ajoute à la
et du beurre lère des premiers jours a rapidement muté
vers une forme d’ultraviolence sans mes-
sage, accompagnée par la systématisation
stigmatisation dont ils sont fréquemment
les victimes. Ils font face à une épreuve qui
impose notre solidarité.
des pillages. Il est de même inquiétant que certaines

S
i le rituel est respecté, Em-
manuel Macron s’adres-
sera à la haute hiérarchie
militaire, jeudi 13 juillet, à
Paris, dans la cour de l’hôtel de
Brienne, siège du ministère des ar-
mées. Le lendemain, il descendra
les Champs-Elysées dans son com-
mand-car pour le défilé de la fête
nationale. Cette année, le prési-
dent de la République aura un peu
plus de munitions que les précé-
dentes, au moins sur les questions
de défense. Il pourra inscrire à son
bilan le vote d’une loi de program-
mation militaire (LPM) 2024-2030
affichant une hausse de 40 % des
crédits (413 milliards d’euros) par
rapport à la précédente, au service
d’une « économie de guerre ».
En ces temps de dérive budgé-
taire, les militaires ne s’atten-
daient pas à un « pognon de din-
gue ». L’effort est réel, mais l’affi-
chage avantageux : l’inflation va
rogner cette enveloppe de 30 mil-
liards d’euros, l’incertitude plane
sur les 13 milliards de recettes
­extrabudgétaires, les programmes
lancés et la modernisation de la
dissuasion nucléaire absorberont
La loi de
programmation
militaire 2024-
2030 affiche une
hausse de 40 %
des crédits
En période d’accalmie géopoliti-
que et de croissance solide, la ten-
dance est à la baisse des dépenses
militaires dans le PIB. En outre, les
armées occidentales sont moins
coûteuses en « main-d’œuvre » et
les salaires absorbent environ un
tiers des budgets. La technologie
compense la faiblesse des effec-
tifs, la « masse » ne pouvant être
obtenue que dans le cadre de l’Al-
liance atlantique. Les Etats cher-
chent moins des soldats que des
ingénieurs de l’armement et des
as de l’intelligence artificielle (IA).
Le premier risque de dérapage fi-
nancier vient donc de plates-for-
mes de plus en plus sophistiquées
et coûteuses. Les industriels pro-
L’attaque de L’Haÿ-les-Roses s’est ajoutée
à une série ininterrompue d’agressions
d’élus locaux, toujours en première ligne
face aux fractures qui minent notre pacte
républicain. Elle a suscité des condamna-
tions unanimes et sans réserve. A la lu-
mière de l’ampleur et de la gravité des
L e drame aurait pu s’ajouter au
drame. Selon les premières constata-
tions, l’attaque à la voiture-bélier qui
a visé dans la nuit du 1er au 2 juillet le domi-
cile du maire de L’Haÿ-les-Roses, dans le
­troubles, on ne peut que regretter que
l’unanimité n’ait pas été au rendez-vous
partout à gauche aux premières heures de
l’embrasement, après la mort de l’adoles-
cent, pour faire baisser les tensions.
Val-de-Marne, visait à incendier le pavillon. Il est certes légitime de s’interroger sur les
Vincent Jeanbrun, membre du parti Les Ré- racines, nécessairement multiples, d’une
publicains, veillait dans sa mairie, mais son explosion qui altère une fois de plus
épouse, qui s’est fracturé une jambe en l’image de la France, comme l’atteste le re-
s’enfuyant, et ses deux jeunes enfants, âgés port, devenu inévitable, de la visite d’Etat
de 5 et 7 ans, se trouvaient sur place. que devait effectuer Emmanuel Macron en
Cette attaque a souligné combien la Allemagne. Le temps de cet examen vien-
France reste sur le fil du rasoir, six jours dra. Il est impératif. Mais la gravité de la
après le tir d’un policier qui a tué le jeune ­situation impose à tous, pour l’instant, le
Nahel M. à Nanterre, le 27 juin, après un devoir d’appeler au calme.
­refus d’obtempérer. Sa mort tragique a été Tout d’abord dans l’intérêt des habitants
le déclencheur des pires émeutes qui ont des quartiers réputés difficiles, ravagés par
touché le pays depuis 2005. Déjà, le nombre ces nuits de fureur. Ces derniers subissent
organisations représentatives des forces de
police, Alliance et UNSA-Police, aient au
contraire choisi la provocation en publiant
un communiqué incendiaire aux accents
séditieux le 30 juin, quelques heures avant
une nuit qui s’annonçait particulièrement
périlleuse. Le ton comme les mots em-
ployés, dont certains sont intolérables, ont
semblé valider les accusations visant le
comportement des policiers vis-à-vis des
jeunes des quartiers défavorisés.
Face au tollé, les deux organisations ont
argué d’une déformation de leur parole,
sans la rectifier. Personne ne peut nier la
difficulté de la tâche de policiers et de gen-
darmes constamment sur la brèche au
cours d’une décennie de crises, du terro-
risme à la pandémie en passant par les
­contestations sociales. Ils n’en restent pas
moins tenus à un devoir d’exemplarité qui
constitue l’une des bases de notre pacte
­républicain. Si l’exaspération de ceux qui
doivent assurer l’ordre et la sécurité de tous
alimentait une surenchère, cette dernière
précipiterait une course à l’abîme. p

l’essentiel des crédits d’équipe-
ment. Les livraisons de véhicules
blindés (Jaguar, Griffon…), d’avi-
ons Rafale et de frégates seront
plus étalées pour privilégier le
maintien en condition opération-
nelle des matériels et les stocks de
munitions, les missiles sol-air et
les drones, ou renforcer le rensei-
gnement, le cyber et l’espace. Au
moins les armées disposent-elles
d’une programmation plurian-
nuelle leur donnant une visibilité
absente dans la plupart des pays.
Course au leadership
Durant les trois décennies qui ont
suivi la chute de l’URSS, le monde
occidental a touché les « dividen-
des de la paix » en s’illusionnant
sur la fin de l’histoire (et de la
guerre). Tout ce qui n’était plus
consacré aux armées pouvait
l’être à la santé, à l’éducation ou
aux infrastructures. Tout pousse
désormais à une augmentation
soutenue des budgets militaires,
du conflit russo-ukrainien aux
tensions autour de Taïwan, sur
fond de course effrénée au lea-
dership mondial entre les Etats-
Unis et la Chine. Il n’est plus de
pays qui ne réarment. La hausse
continue des dépenses depuis
2014 s’est accélérée en 2022 (+ 3,7 %
en termes réels) pour dépasser
2 000 milliards d’euros.
En France, à l’absence de débat
public, cantonné au Parlement et
à ses élus des commissions de la
0123
posent le nec plus ultra de l’inno-
vation à des états-majors qui re-
doutent, à raison, un décrochage
UN HORS-SÉRIE
technologique par rapport aux
forces étrangères, hostiles ou non.
L’heure est venue d’un contrôle
plus exigeant. Le délégué général
pour l’armement, Emmanuel
Chiva, a prévenu le Parlement qu’il
allait « remettre au premier
plan l’analyse de la valeur fournie »,
démarche fréquente dans le civil, HORS-SÉRIE
et évaluer « l’articulation coût-dé-
lai-performance de chaque pro-
gramme » d’armement, qui se
chiffre souvent en milliards. La di-
rection générale de l’armement
(DGA) veut simplifier le besoin des
armées et les normes de certifica-
tion des matériels. Enfin, elle re-
cherche la performance dans les
nouvelles technologies, notam-
ment l’IA. Développées par les
grands « systémiers-intégrateurs »
(Airbus, Naval Group, Dassault,
MBDA…) associés à des start-up de
la « deftech » drainant de plus en
plus de capital-risque, elles per-
mettraient de démultiplier l’effica- INCLUS
cité des systèmes d’armes, comme des dessins
les forces ukrainiennes l’ont rares et inédits
prouvé sur le champ de bataille.
Reste l’interrogation : la défense
redevient-elle une forme d’« im-
pôt de guerre » prélevé sur la ri-
chesse produite au détriment
d’autres politiques, comme la
lutte pour le climat ou la prise en
charge du grand âge, voire un
frein à la croissance ? Les écono-

défense, répond l’absence de dé-
bats sur les effets économiques
d’un tel réarmement. Trop chère,
la défense ? Il y a deux manières de
mesurer l’effort de la collectivité :
son poids dans le budget et sa part
dans la richesse créée. La première
approche est trompeuse : la som­-
me en apparence colossale de
BLUEBERRY
mistes peinent à trancher. Une
approche libérale souligne no-
tamment que ces dépenses creu-
sent les déficits publics ; l’analyse
keynésienne assure que 1 euro
­investi génère de 1 à 1,5 euro de re-
tombées. The Economist a com-
pilé des données de la Banque
mondiale pour conclure que la

UNE LÉGENDE DE LA BANDE DESSINÉE

2 000 milliards ne représente défense n’a pas affecté l’activité
qu’un peu plus de 2 % du produit entre 1960 et 2021. Israël consacre
intérieur brut (PIB) mondial. 5 % de son PIB à Tsahal sans obé- NUMÉRO SPÉCIAL 60 ANS
Si la « LPM » est respectée, la rer son dynamisme ; le Japon, qui En partenariat avec

France dépassera tout juste ces a jusqu’à présent peu dépensé

2 %, objectif fixé par l’OTAN à ses pour sa Force d’autodéfense, affi-
trente et un Etats membres. Loin che une croissance molle.
des dépenses d’éducation (6,8 % En France, les milliers d’entrepri-

Blueberry, personnage mythique

en 2021), de santé (12,1 % selon la
direction de la recherche, des
­études, de l’évaluation et des sta-
tistiques) et de retraite (13,8 %).
Loin, aussi, de l’effort consenti au
début de la présidence gaul-
lienne, en pleine guerre froide et
guerre d’Algérie (5,5 % en 1960).
La sécurité
est un facteur
de prospérité
dans les pays
développés
ses de la base industrielle et tech-
nologique de défense tirent la
­productivité, dynamisent la R&D
et créent des emplois qualifiés,
peu délocalisables et bien répartis du western en BD
sur le territoire. Elles exportent
plus de la moitié de leur produc-
tion et peuvent jouer un rôle Le Monde présente le hors-série Blueberry, anti-héros charismatique
contra­cyclique quand la crois-
sance fléchit. Sans oublier que la
création de deux auteurs légendaires de la BD, Jean-Michel Charlier
sécurité est un facteur de prospé- et Jean Giraud. Un passeport pour la grande épopée de l’Ouest.
rité dans les pays développés. Plus
CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX ET SUR LEMONDE.FR/BOUTIQUE
de canons ne signifie pas moins de
beurre. A moins d’être dans une
« économie de guerre ». La vraie,
116 PAGES - 10,99 €
celle de Vladimir Poutine, qui a sa-
crifié le bien-être du peuple à son
rêve de « grande Russie ». p
COLLECTION MÉTIERS D’ART 2022/23