MERCREDI 21 JUIN 2023

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Paris penche pour l’intégration de Kiev à l’OTAN

▶ Selon nos informations, ▶ Cette approche est ▶ Paris y voit une garantie ▶ Cette perspective ▶ Bien que tactique, cette
un récent conseil de dé- désormais privilégiée par de sécurité, susceptible pourrait aussi convaincre ouverture est une conver-
fense tenu à l’Elysée a exa- la France dans les discus- de décourager Moscou de l’Ukraine d’entrer en sion pour la France, qui
miné l’hypothèse d’une sions en amont du som- poursuivre la guerre ou, si négociation le moment se rapproche des positions
adhésion de l’Ukraine met annuel de l’OTAN, le conflit s’arrête, d’empê- venu, selon les résultats polonaise et balte
à l’Alliance atlantique les 11 et 12 juillet, à Vilnius cher une autre agression de la contre-offensive PAGE 2 E T Idées PAGE 2 6

Italie La culture Politique

selon la droite 80 % DES GLACIERS DE L’HIMALAYA MENACÉS A l’Assemblée,
▶ L’essentiel des glaces du « troisième pôle » devrait disparaître
de Meloni d’ici à la fin du siècle avec l’accélération du réchauffement PAGE 8 une année
le gouvernement de la cheffe sous tension
de Fratelli d’Italia renouvelle les
directions d’institutions culturel-
les, accusées d’être à gauche. Avec
constante
pour ambition de construire « un Obstruction de l’opposi-
nouvel imaginaire italien », selon tion, reprise en main
les termes du ministre de la
culture, Gennaro Sangiuliano. Il du gouvernement par
allierait la défense d’un certain le 49.3… La perte de
conservatisme moral et la réhabi- la majorité absolue par
litation d’un sentiment national le camp présidentiel,
que l’histoire récente aurait le 19 juin 2022, a boule-
étouffé. Parmi les cibles, l’audio-
visuel public, la RAI, recadrée versé les équilibres
pour y faire valoir une « nouvelle PAGE S 1 0 - 1 1
narration ». Avec l’arrivée à ses
commandes, le 15 mai, d’un fer-

Economie
vent partisan de Giorgia Meloni,
Giampaolo Rossi, le changement
a déjà provoqué le départ d’un
animateur vedette de talk-show.
PAGE 5 Dumping social
sur les ferrys
1
ÉD ITO R IAL
transmanche
Le glacier de Siachen, Des compagnies paient
L’EUROPE FACE source du fleuve Indus
(Pakistan), en octobre 2019.
les marins moitié moins
que le salaire minimal
AUX ALLIANCES BÉNÉDICTE VAN DER MAAR/HANS LUCAS
français ou britannique.
DES DROITES De nouvelles lois visent à
mettre fin à ces pratiques
P A G E 29 PAGE 1 5

Justice Madagascar Agriculture Rencontre

Au procès La nationalité Le Bordelais
de Gabriel Fortin, française contraint Wes Anderson,
le témoignage
du DRH rescapé
du président
fait polémique
à l’arrachage
de vignes
cinéaste
PAGE 1 4 PAGE 7 PAGE 1 6 du burlesque et
de la mélancolie
VU PAR AMORIM (BRÉSIL) CARTOONING FOR PEACE Le réalisateur raconte
les figures qui ont inspiré
Djamel Tatah, Sans titre (2018), huile et cire sur toile, 160 x 160 cm © Adagp, Paris, 2023 © Photo : Franck Couvreur / Design graphique : Les produits de l’épicerie / Lille

son onzième long-

métrage, « Asteroid City »,
porté par un casting
faramineux
PAGE 2 1

Disparition
Claude Sarraute,
grande plume
du « Monde »
La journaliste culturelle
devenue chroniqueuse
puis romancière s’est
éteinte dans la nuit montpellierdanse.com
de lundi à mardi,
à l’âge de 95 ans
PAGE 2 0

Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,70 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 3,80 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
2|
INTERNATIONAL
Paris penche pour l’entrée de Kiev dans l’OTAN
La France se rapproche de la position défendue par la Pologne et les pays baltes mais écartée par l’Allemagne
D
éfendre la perspective
d’une adhésion de
l’Ukraine à l’Alliance at-
lantique (OTAN) pour
peser sur le conflit et tenter d’ame-
ner Moscou et Kiev à la table des
négociations. Telle est l’approche
désormais privilégiée par la France
dans les délicates discussions en-
gagées entre les alliés de l’Ukraine
en prélude au sommet annuel de
l’OTAN, prévu à Vilnius, la capitale
de la Lituanie, les 11 et 12 juillet.
D’après nos informations, un ré-
cent conseil de défense, réuni le
12 juin à l’Elysée, a examiné l’hypo-
thèse d’une éventuelle adhésion
de l’Ukraine, une option désor-
mais considérée à Paris comme
une garantie de sécurité à part en-
tière, car susceptible de découra-
ger la Russie de poursuivre la
guerre ou, si le conflit devait s’arrê-
ter, d’empêcher toute nouvelle
agression. Faire miroiter cette
perspective pourrait, au passage,
convaincre le président ukrainien,
Volodymyr Zelensky, d’entrer en
négociation, quand il en jugera le
moment venu, en fonction des ré-
sultats de la contre-offensive.
Pour tactique qu’elle soit, cette
ouverture constitue une vraie
conversion pour la France. En
agissant ainsi, Paris se rapproche
des positions défendues par les
pays d’Europe centrale, dont la
plupart, au premier rang desquels
la Pologne et les Etats baltes, plai-
dent sans relâche pour l’adhésion
de l’Ukraine à l’OTAN. « La posi-
tion française est désormais plus
proche de celle de la Pologne que
de celle de l’Allemagne », confirme
un diplomate étranger.
En 2008, au sommet de Buca-
rest, le président français Nicolas
Sarkozy avait bloqué, avec la
chancelière allemande Angela
Merkel, toute perspective d’adhé-
sion rapide de l’Ukraine à l’OTAN,
contre l’avis des Etats-Unis, qui
plaidaient à l’époque pour son in-
tégration. Une façon, dans l’espri-
tdes deux dirigeants européens,
de ménager la Russie.
Emmanuel Macron s’est long-
temps tenu à cette ligne, avant
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
De gauche
à droite.
Le président
polonais, Andrzej
Duda, Emmanuel
Macron, et le
chancelier
allemand, Olaf
Scholz, lors d’une
conférence de
presse, à l’Elysée,
le 12 juin.
SARAH MEYSSONNIER/AP
comme après le début de l’inva- L’idée de Paris est plutôt d’ouvrir occupés par les forces de Moscou. nique, que Londres fournit à Kiev
sion russe, en février 2022 : « L’en- un chemin vers l’adhésion et d’of-
L’évolution de la La situation ukrainienne est depuis mi-mai, ce projectile peut
trée de l’Ukraine dans l’OTAN se- frir des « garanties de sécurité » posture française d’autant plus précaire que le sou- atteindre des cibles dites « dur-
rait perçue par la Russie comme susceptibles de pérenniser l’aide tien militaire occidental est sans cies », comme des bunkers ou des
quelque chose de confrontation- militaire apportée par les Occiden-
s’explique par doute arrivé à son point culmi- sous-sols de bâtiments, situés à
nel. Ce n’est pas avec cette Russie-là taux à l’Ukraine. Mais rien ne dit les difficultés nant, pense-t-on dans certains plusieurs centaines de kilomètres,
que vous pouvez l’imaginer », que ces discussions, très comple- milieux diplomatiques. avec une très grande précision.
avait indiqué le chef de l’Etat au xes de l’avis général, seront suffi-
militaires A eux seuls, les Etats-Unis ont en- « La décision n’est pas prise mais
Monde en décembre 2022. samment avancées, voire ache- auxquelles voyé pour plus de 40 milliards de elle est sérieusement étudiée », con-
Pour la France, il n’est pas ques- vées, d’ici au prochain sommet de dollars (36,6 milliards d’euros) de firme l’entourage de M. Macron.
tion de laisser l’Ukraine rejoindre l’OTAN. Dans un récent discours
l’Ukraine blindés, canons, drones et équipe- Selon nos informations, la fourni-
l’OTAN en pleine guerre, une pers- à Bratislava, Emmanuel Macron est confrontée ments depuis le début de l’inva- ture de cinquante missiles Scalp
pective que les Etats-Unis et l’Alle- avait appelé les alliés de Kiev à sion russe, le 24 février 2022. De français serait envisagée.
magne redoutent par-dessus tout mettre en place des garanties leur côté, l’Union européenne et Conscients de la réticence occi-
car elle pourrait entraîner l’activa- « tangibles et crédibles ». « Il nous hommes comme en matériel. ses Etats membres en sont à dentale à faire entrer l’Ukraine
tion de la clause d’assistance mu- faut être beaucoup plus ambitieux Après avoir reconquis 100 kilomè- 14 milliards d’euros, selon un dé- dans l’OTAN, certains pays, no-
tuelle (Article 5) de l’organisation que nous ne le sommes parfois sur tres carrés de territoire lors de la compte communiqué par l’Elysée. tamment à l’est de l’Europe, se-
et précipiter les Occidentaux dans ces questions », avait-il ajouté. première semaine, l’armée ukrai- Une aide inédite dans l’histoire raient même prêts à envisager
le conflit. « Pour un militaire, faire nienne n’en aurait gagné que des conflits modernes mais qui ne l’envoi de troupes au sol si Kiev
adhérer un pays en guerre à Les limites du soutien militaire 15 lors de la deuxième. « Paris croit pourra pas être indéfiniment pro- devait rester à la porte de l’Al-
l’OTAN, c’est comme entrer en Cette évolution de la position en la capacité de l’Ukraine à ga- longée, estiment les milieux mili- liance atlantique. « Si l’OTAN ne
guerre », confirme une source mi- française s’explique par les diffi- gner du terrain, à mettre la Russie taires, même si un soutien una- parvient pas à s’entendre sur une
litaire française. D’ailleurs, le pré- cultés militaires auxquelles Kiev en difficulté et à arriver à des condi- nime est affiché en public. voie claire pour l’Ukraine, il y a une
sident américain, Joe Biden, a en- est aujourd’hui confronté. Certes, tions lui permettant de négocier la Signe qu’elle entend néanmoins possibilité évidente que certains
core répété samedi 17 juin que la les Ukrainiens progressent depuis paix », martèle une source diplo- poursuivre son soutien, la France pays agissent individuellement.
candidature ukrainienne ne pou- le lancement, le 4 juin, de leur matique française. Mais de l’avis étudie la livraison à l’Ukraine de (…) Je n’exclurais pas la possibilité
vait bénéficier d’aucun traite- contre-offensive, mais celle-ci général, Kiev aura du mal à récu- missiles air-sol guidés Scalp. Frère que la Pologne s’engage encore
ment de faveur. s’avère laborieuse et coûteuse en pérer l’ensemble des territoires jumeau du Storm-Shadow britan- plus fort dans ce contexte sur une
base nationale et soit suivie par les
Etats baltes, y compris peut-être la
Emmanuel Macron critique le bouclier antimissile européen possibilité de troupes sur le ter-
rain », a déclaré, dans un article
publié le 7 juin par le quotidien
le projet de bouclier antimissile euro- groupe européen d’armement MBDA et Rien ne dit que ces initiatives françaises britannique The Guardian, l’ex-se-
péen porté par l’Allemagne « prépar[e] les peuvent atteindre des cibles jusqu’à 6 kilo- dissuadent les pays qui ont déjà manifesté crétaire général de l’OTAN Anders
problèmes de demain », a déclaré Emma- mètres. Le chef de l’Etat a aussi officialisé le leur intérêt pour l’ESSI. L’espoir de Paris ré- Fogh Rasmussen. Cette participa-
nuel Macron. Le président de la Républi- ralliement de la Belgique au projet euro- side dans le fait que, pour beaucoup d’entre tion pourrait prendre la forme
que a critiqué l’European Sky Shield Initia- péen d’avion de chasse de sixième généra- eux, le projet de « bouclier du ciel » allemand d’une « coalition de volontaires »,
tive (ESSI), auquel se sont déjà ralliés dix- tion, le SCAF. Cet énorme programme de n’en est qu’au stade de la lettre d’intention. pour éviter l’envoi de troupes ré-
sept pays, dont la plupart des Etats coopération, lancé depuis 2017 entre la Mais le Bundestag a déjà voté, le 14 juin, la gulières, a ajouté l’actuel con-
d’Europe centrale, lors d’une conférence France, l’Allemagne et l’Espagne, vise à première tranche nécessaire à l’acquisition seiller du président Zelensky.
sur la défense aérienne de l’Europe organi- remplacer à l’horizon 2040 le Rafale fran- du système israélien de longue portée Ar- Cette initiative pourrait-elle être
sée à Paris, en marge du Salon internatio- çais de Dassault Aviation et l’Eurofighter row 3, soit une enveloppe de 560 millions soutenue par la France ? Selon nos
nal de l’aéronautique et de l’espace du Typhoon d’Airbus. A ce stade, Bruxelles n’y d’euros sur un total de 4 milliards. informations, l’éventualité serait
Bourget (Seine-Saint-Denis), lundi 19 juin. sera toutefois qu’un « observateur ». Une autre course se joue en coulisse entre en tout cas étudiée par l’état-ma-
L’ESSI repose principalement sur l’acqui- Berlin et Paris, celle pour la maîtrise de la jor tricolore, tout comme celle
sition en commun de systèmes allemands, Au stade de lettre d’intention défense du ciel contre les missiles hyperso- d’une participation française à
américains et israéliens. « Ce qui nous vient Quatre mois après l’avoir promis à Kiev, niques, en plein essor. Alors qu’Israël a dé- une ou plusieurs « bulles d’inter-
de tiers non européens est moins maniable, M. Macron a enfin annoncé que le premier voilé un projet baptisé Sky Sonic, le 15 juin, diction aérienne » au-dessus de
d’évidence, a affirmé le chef de l’Etat. Sujet Mamba, un système de défense sol-air de le missilier français MBDA devait commu- certaines zones de l’Ukraine. Mais
au calendrier, aux files d’attente, aux priori- moyenne portée fabriqué par la France et niquer mardi sur sa candidature à un projet il y a un gouffre entre examiner de
tés, parfois aux autorisations des pays tiers l’Italie, a été livré en Ukraine et qu’il est de recherche, baptisé Hydis 2, auquel l’Alle- telles options et décider de les
et dépendant trop de l’extérieur. » En guise « opérationnel ». Paris a espéré un temps magne participe. Il est doté d’une enve- mettre en œuvre, la France,
de contre-feu, Paris a dévoilé une initiative pouvoir intégrer ce système au projet de loppe de 80 millions d’euros par le Fonds comme ses alliés de l’OTAN ayant
d’achat en commun de plusieurs centaines bouclier antimissile allemand, alors que la européen de défense et devrait être piloté jusqu’ici exclu tout engagement
de missiles sol-air de courte portée Mistral fabrication d’une nouvelle version a été par l’Organisation européenne de coopéra- direct dans le conflit. p
avec l’Estonie, la Hongrie, la Belgique et lancée en février. Mais les discussions avec tion en matière d’armement. p cédric pietralunga
Chypre. Ces missiles sont fabriqués par le Berlin apparaissent au point mort. élise vincent et philippe ricard
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MERCREDI 21 JUIN 2023

En Cisjordanie, la colonisation juive à plein régime

Le ministre d’extrême droite Bezalel Smotrich a été nommé à la tête de l’autorité de planification des colonies

jérusalem - correspondance
« Construire des

L’
Etat d’Israël a fait un logements dans
pas de plus, lors du con-
seil des ministres du di-
les colonies de
manche 18 juin, vers Cisjordanie sera
une annexion de la Cisjordanie.
Cette nouvelle victoire du camp
presque aussi
des colons comprend deux vo- simple qu’à Tel-
lets. Le premier est la nomination
du ministre des finances, Bezalel
Aviv ou Haïfa »
Smotrich, farouche partisan du MAURICIO LAPCHIK
Grand Israël, à la tête de l’autorité La Paix maintenant
de planification des colonies – un
dossier qui relevait jusqu’alors du
ministre de la défense. Le second Dimanche, la diplomatie améri-
simplifie le lancement de ces caine s’est dite « profondément
constructions : là où, auparavant, troublée », rappelant que « les
il fallait franchir six étapes avant Etats-Unis s’opposent à de telles ac-
que les projets soient validés, il tions unilatérales qui rendent plus
n’y en a plus que deux. M. Smo- difficile de parvenir à une solution
trich donnera le feu vert initial, à deux Etats et sont un obstacle
puis la proposition sera revue par pour la paix ». « Ce n’est pas assez, il
un comité de planification. est temps d’agir », rétorque M. Lap-
Aucune autre instance politique chik. Les annonces israéliennes
ou militaire ne sera impliquée. constituent un camouflet pour
Ce faisant, M. Smotrich, qui Washington : elles ont été rendues
avait déclaré lors de sa venue à publiques en pleine visite en Is-
Paris, en mars, que le peuple pa- raël de la sous-secrétaire d’Etat
lestinien était une « invention », aux affaires du Proche-Orient
obtient quasi les pleins pouvoirs américaine, Barbara Leaf. En fé-
pour étendre la colonisation, au vrier, lors d’un sommet à Aqaba,
mépris du droit international. La en Jordanie, Israël avait promis à
promotion de ce représentant de son protecteur américain de sus-
la frange extrémiste du courant pendre la mise en chantier de
sioniste religieux avait été déci- Le ministre des finances israélien, Bezalel Smotrich, à Jérusalem, le 27 mars. MAYA ALERRUZZO/AP nouveaux logements dans les co-
dée en février lorsqu’il avait pris lonies pendant quatre mois.
la tête de l’administration char-
gée de la Cisjordanie, au sein du occupée – ils sont actuellement ces nouvelles mesures, « cons- ses, en coulisse, pour ralentir ou quante et soixante-dix colonies Le prix de la résistance
ministère de la défense. 700 000, dont 229 000 à Jérusa- truire des logements dans les colo- suspendre certains projets, sauvages, illégales même aux yeux Sur le terrain, l’activisme des co-
Son objectif, énoncé dans l’ac- lem-Est, selon l’ONG israélienne nies de Cisjordanie sera presque comme celui baptisé « E1 », à l’est de l’Etat israélien, pourraient être lons, galvanisés par le gouverne-
cord de coalition négocié par son La Paix maintenant. aussi simple que dans les villes du de Jérusalem, qui couperait la Cis- légalisées », dit-il. La semaine pro- ment d’extrême droite de M. Né-
parti avec le premier ministre, centre du pays comme Tel-Aviv ou jordanie en deux s’il voyait le jour. chaine, Israël va approuver la tanyahou, alimente le cycle de
Benyamin Nétanyahou, est de Impuissance palestinienne Haïfa », ajoute-t-il. En retirant des Malgré l’insistance des organisa- construction de milliers de nou- violences qui s’est enclenché au
contraindre ce dernier à travailler « Le gouvernement annexe de étapes avant la validation finale tions procolonisation, il n’a tou- veaux logements dans les colo- printemps 2022, avec une série
« à la formulation et à la promo- facto les territoires, il ne les annexe des projets, le gouvernement is- jours pas été remis à l’agenda du nies – 4 560 selon la presse israé- d’attentats en Israël, suivis d’une
tion d’une politique où la souverai- pas de jure, parce qu’il ne le dira raélien restreint la capacité des ca- gouvernement Nétanyahou. lienne, 4 799 selon le décompte de offensive massive de l’armée is-
neté sera appliquée en Judée-Sa- pas officiellement, mais les mesu- pitales occidentales à freiner la La nouvelle promotion de La Paix maintenant. A cela s’ajou- raélienne en Cisjordanie. Alors
marie ». Autrement dit, à l’an- res montrent qu’il va dans cette di- colonisation. M. Smotrich est la « première tent les quelque 10 000 construc- que des colons ont réinvesti la co-
nexion formelle de la Cisjordanie. rection », juge Mauricio Lapchik, Depuis les accords de paix étape », met en garde M. Lapchik, tions qui ont déjà reçu le feu vert lonie d’Homesh, évacuée en 2005,
M. Smotrich entend doubler le directeur des relations extérieu- d’Oslo, en 1993, les Américains qui craint d’autres annonces dans du gouvernement Nétanyahou qui est située entre Jénine et Na-
nombre de colons sur cette terre res de La Paix maintenant. Avec sont intervenus à plusieurs repri- les prochains mois. « Entre cin- ces six derniers mois. « Un record plouse, deux foyers de la résis-
depuis dix ans », note le journal is- tance armée palestinienne, des
raélien de droite Maariv. voix s’élèvent parmi les responsa-
Six Palestiniens tués dans un raid de l’armée israélienne à Jénine « Nous allons continuer à déve-
lopper l’entreprise des colonies et
bles politiques israéliens pour
que l’armée lance une attaque
renforcer l’emprise d’Israël sur le d’ampleur contre ces deux villes.
ce devait être une simple incursion en adolescent de 15 ans. Un seul combattant a nie de missiles tirés depuis un hélicoptère. terrain », s’est félicité M. Smo- En face, qu’ils luttent avec les ar-
Cisjordanie, comme l’armée israélienne en été identifié parmi eux. Un septième Pales- Une grève générale a été déclarée en Cisjor- trich, lors de cette annonce di- mes ou pacifiquement, les Palesti-
mène tous les jours dans ce territoire oc- tinien a été tué, lundi, d’une balle dans la danie. L’Autorité palestinienne a dénoncé manche. L’Autorité palesti- niens spoliés de leur terre paient le
cupé. Mais lundi 19 juin, l’entrée des sol- tête, vers Bethléem, dans le sud de la Cisjor- des « massacres incessants ». nienne, spectatrice impuissante prix de leur résistance. Début juin,
dats dans Jénine, dans le nord de la Cisjor- danie. Le ministère de la santé à Ramallah Le premier ministre israélien, Benyamin de l’accaparement des terres qui l’armée israélienne a tué un en-
danie, a déclenché des affrontements fait état de 91 blessés, dont une vingtaine Nétanyahou, s’est félicité de son côté auraient dû lui revenir après les fant de 2 ans à Nabi Saleh, village
d’une rare intensité. Après avoir arrêté dans un état grave ou critique. Parmi eux, qu’Israël ait tué « et arrêté un nombre re- accords d’Oslo, mais où elle du centre de la Cisjordanie qui
deux Palestiniens à l’aube, aux alentours une jeune fille de 15 ans et un journaliste. cord de terroristes » ces derniers mois. Mal- n’exerce aucun contrôle, en a ap- tente depuis plus d’une décennie
du camp de réfugiés jouxtant la ville, les Le Croissant-Rouge palestinien a accusé gré les coups de boutoir de l’armée israé- pelé à la communauté interna- d’endiguer l’avancée de la colonie
militaires se sont retrouvés sous un feu l’armée d’empêcher les ambulances d’ac- lienne, la résistance armée palestinienne tionale – sans réponse convain- voisine, Halamish. Cette dernière
nourri de combattants armés. Un véhicule céder aux blessés. L’une d’elles a même été continue d’enfler, faute d’horizon politi- cante. Elle a boycotté, lundi, une est comprise dans le programme
israélien a été endommagé par un engin heurtée par un véhicule israélien. que. Sur Twitter, le ministre Bezalel Smo- réunion de coopération écono- de construction qui sera validé la
explosif, nécessitant l’envoi de renforts et Sept soldats israéliens ont été blessés trich, champion des colons, a appelé à une mique avec Israël, la première de- semaine prochaine : des centaines
d’un hélicoptère pour que les troupes puis- dans les combats. Pour la première fois de- « campagne de large envergure » de l’armée puis des années que les Etats- de nouveaux logements devraient
sent être extraites de la ville. Six Palesti- puis la seconde Intifada, au début des an- en Cisjordanie. p Unis avaient péniblement réussi y être érigés prochainement. p
niens ont été tués dans ce raid, dont un nées 2000, l’armée a fait usage en Cisjorda- c. mr. (jérusalem, correspondance) à programmer. clothilde mraffko

La Chine et les Etats-Unis d’accord pour « stabiliser leur relation »

Les deux parties ont assumé leur divergence sur Taïwan, lors d’une visite à Pékin du secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken

pékin - correspondant tions », a déclaré M. Blinken lors ricain. Taïwan en fait partie. Les Unis s’étaient engagés à donner à allons continuer d’y travailler », a- publié un communiqué disant
d’une conférence de presse. Le se- Chinois ont réaffirmé que Taïwan Taïwan les moyens de se défendre, t-il dit. Début juin, le ministre chi- qu’« un choix doit être fait entre le

E n visite officielle à Pékin di-

manche 18 et lundi 19 juin,
le secrétaire d’Etat améri-
cain, Antony Blinken, a d’abord
rencontré son homologue chi-
nois, Qin Gang, durant plus de
sept heures ; puis, lundi, Wang Yi,
directeur du bureau de la Commis-
sion centrale du Parti commu-
niste pour les affaires étrangères
pendant environ deux heures ; et,
enfin, le président Xi Jinping, pen-
dant trente-cinq minutes. Il s’agis-
sait de la première visite à Pékin de
M. Blinken depuis sa nomination
en 2020, et du premier entretien
de Xi Jinping avec un membre de
l’administration américaine de-
puis sa rencontre avec le président
Biden, en novembre 2022.
« Nous sommes d’accord sur la
nécessité de stabiliser nos rela-
crétaire d’Etat a réaffirmé que les
Etats-Unis n’étaient pas favora-
bles à un « découplage » des éco-
nomies, mais a insisté sur le « de-
risking » (« atténuation des ris-
ques »), une notion initialement
portée par la présidente de la
Commission européenne, Ursula
von der Leyen, puis reprise par
l’administration Biden.
On ignore si les Chinois ont été
convaincus. Ces dernières semai-
nes, ces derniers n’ont cessé d’af-
firmer que les deux termes, équi-
valents à leurs yeux, relevaient au
final d’un objectif identique :
« contenir » la Chine – ce qu’a dé-
menti le responsable américain.
« Il y a de nombreuses questions
sur lesquelles nous sommes en pro-
fond, voire véhément désaccord »,
a déclaré le secrétaire d’Etat amé-
constituait « le noyau » de leurs in-
térêts fondamentaux et que ce su-
jet était « purement interne ». An-
tony Blinken a réaffirmé que les
Etats-Unis « s’opposent au change-
ment du statu quo par quelque
partie que ce soit » et qu’ils ne sou-
tiennent pas l’indépendance de
Taïwan. « Nous sommes, comme
beaucoup d’autres, profondément
préoccupés par certaines des pro-
vocations menées par la Chine ces
dernières années, depuis 2016 »,
dans le détroit de Taïwan.
Il a rappelé qu’une « crise » dans
le détroit aurait forcément un im-
pact mondial, car 50 % du com-
merce maritime international
transite par ce passage, et que
70 % des microprocesseurs sont
fabriqués sur l’île. Devant la
presse, il a annoncé que les Etats-
ce qui est la position officielle des
Etats-Unis. Mais les Chinois – et
les Taïwanais – notent que Joe
Biden a déclaré, à quatre reprises
depuis qu’il est président, que les
Etats-Unis « défendraient Taïwan »
en cas d’attaque chinoise. A trois
reprises, ses conseillers ont dé-
menti ses propos.
Assurances sur l’Ukraine
Si M. Blinken a mis en avant l’inté-
rêt qu’avaient les deux pays à coo-
pérer sur des questions telles que
le climat, la sécurité alimentaire
mondiale et la santé publique, il a
reconnu que la Chine n’avait pas
accepté de rouvrir des canaux de
communication directe entre mi-
litaires. Pour les Etats-Unis, « il est
absolument vital que nous ayons
ce genre de communication. Nous
nois de la défense, Li Shangfu – qui
fait l’objet de sanctions américai-
nes –, avait explicitement refusé
de rencontrer son homologue
américain, Lloyd Austin, en marge
du Dialogue de Shangri-La qui s’est
tenu à Singapour. Durant ce som-
met, un chasseur chinois avait
coupé la route à un avion améri-
cain qui survolait les eaux interna-
tionales du détroit de Taïwan.
A propos de la guerre en Ukraine,
Antony Blinken a déclaré que la
Chine avait renouvelé sa promesse
de ne pas envoyer d’armes à la Rus-
sie : « Nous, ainsi que d’autres pays,
avons reçu l’assurance de la part de
la Chine qu’elle ne fournit pas et ne
fournira pas d’aide létale à la Russie
pour une utilisation en Ukraine. »
A l’issue de la discussion entre
MM. Blinken et Wang, la Chine a
dialogue et la confrontation, la
coopération et le conflit ».
Pour la Chine, l’administration
Biden veut certes discuter avec
Pékin, mais cherche parallèle-
ment à l’affaiblir. Notant que les
relations bilatérales sont « à un
point bas », M. Wang « a souligné
que la cause fondamentale est la
perception erronée [des Etats-
Unis] envers la Chine ». Wang Yi a
« exhorté la partie américaine à ne
pas projeter sur la Chine l’hypo-
thèse selon laquelle un pays fort est
tenu de chercher l’hégémonie, et
de ne pas se méprendre en jugeant
que la Chine emprunte la voie prise
par les puissances occidentales
traditionnelles ». « Une visite ne ré-
sout pas tous les problèmes », a re-
connu Antony Blinken. p
frédéric lemaître
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
En Italie, la droite
de Giorgia
Meloni investit
le monde culturel
L’exécutif procède au
renouvellement des dirigeants
de plusieurs institutions
accusées d’être orientées à gauche
rome - correspondant
C
onstruit à la marge de
l’Italie républicaine, le
monde politique autre-
fois ultraminoritaire de
Giorgia Meloni est confortable-
ment installé au pouvoir huit
mois après une victoire électorale
nette. La coalition de droite domi-
née par son parti, Fratelli d’Italia,
est fermement tenue. L’assise de
la présidente du conseil dans
l’opinion ne fléchit pas et l’oppo-
sition continue de se diviser.
Pourtant, pour la cheffe de file
de la droite nationale-conserva-
trice et héritière de la tradition
politique post-fasciste, la victoire
ne serait pas encore totale. Un des
lieux du pouvoir résisterait en-
core. « Je veux libérer la culture ita-
lienne d’un système dans lequel on
ne pouvait travailler qu’en se dé-
clarant d’un certain camp politi-
que », a ainsi déclaré la présidente
du conseil lors d’un meeting
politique à Catane, en Sicile, le
26 mai, faisant référence à un
monde culturel qui serait encore
la dernière citadelle de la gauche.
Le récit appelant à l’émergence
d’une nouvelle classe dirigeante
« méritocratique et pluraliste »,
face à une élite de gauche « intolé-
rante », est un trait classique des
discours culturels de la droite
mélonienne. Mais les promesses
de libération formulées par
Mme Meloni ont pris une réso-
nance particulière fin mai. Après
une série de polémiques sur le sa-
lon du livre de Turin, puis l’an-
nonce de changements droitiers à
la tête de l’audiovisuel public et le
départ de présentateurs emblé-
matiques, l’atmosphère était
alourdie par la relance du débat
sur l’« hégémonie culturelle » re-
vendiquée autour de l’exécutif.
Emprunté à l’intellectuel com-
muniste italien Antonio Gramsci
(1891-1937), ce concept est au
cœur de l’approche du ministre
Les tribulations en Europe d’un ex-agent russe renvoyé à Moscou
La Pologne a expulsé un homme se disant ancien membre du FSB et ayant proposé son aide à différents services de renseignement
A u sein de la commu-
nauté du renseignement
occidental, on parle d’un
« retour à l’envoyeur ». Voilà
plusieurs années qu’Emran
Navrouzbekov tentait de con-
vaincre. Ce Russe, se disant dissi-
dent et ancien agent du Service
fédéral de sécurité de Russie
(FSB), le renseignement inté-
rieur, promettait de précieuses
informations pour lutter contre
le régime du Kremlin.
Selon les informations du
Monde, il a fait le tour de l’Europe
et rencontré plusieurs services
secrets étrangers, dont les fran-
cais. Tous ont décliné son offre,
mais un pays a réagi de manière
inattendue. La Pologne a décidé
de l’expulser, le 6 juin, et de le
remettre à la Russie, considérant
que sa présence sur son sol
constituait une « menace ». En
de la culture, Gennaro Sangiu-
liano. Détenir l’hégémonie cultu-
relle revient théoriquement à
maîtriser les forces de persuasion
permettant d’obtenir le consente-
ment d’une société à un change-
ment politique. Dans les diverses
familles des droites radicales ita-
lienne mais aussi française, la
construction d’une hégémonie
culturelle est conçue comme un
impératif inséparable de la
conquête du pouvoir.
Personnalités compatibles
Dans le cas de l’Italie de l’ère
Meloni, le ministre Sangiuliano a
appelé au développement d’un
« nouvel imaginaire italien » al-
liant la défense d’un certain
conservatisme moral, présenté
comme consensuel mais attaqué
par les minorités, et la réhabilita-
tion d’un sentiment national que
l’histoire récente aurait étouffé.
Une telle démarche, régulière-
ment énoncée mais encore dé-
pourvue de traduction concrète,
impliquerait l’idée d’une politi-
que culturelle résolument conser-
vatrice ayant vocation à favoriser
la création d’œuvres en résonance
avec les orientations du pouvoir
sorti des urnes. Construire l’hégé-
monie culturelle reviendrait donc
à mettre les idées avant les conte-
nus, la doctrine avant la création.
Nommé dès le mois de novem-
bre 2022 par M. Sangiuliano à la
« Le discours
sur la droite
culturelle
masque mal une
soif de pouvoir
et de fauteuils »
NICOLA LAGIOIA
ancien directeur
du Salon du livre de Turin
d’autres termes, qu’il s’agissait
d’un agent provocateur envoyé
par Moscou.
Emran Navrouzbekov a trouvé
refuge, en 2017, en Pologne en
transitant par la Biélorussie.
Dans un premier temps, il choi-
sit la discrétion. Sa défection
reste confidentielle. Il en profite
pour rendre visite aux princi-
paux services de renseignement
européens, dont la direction gé-
nérale de la sécurité intérieure
(DGSI), en France, à qui il assure
avoir servi dans le contre-espion-
nage du FSB au Daghestan et
disposer d’une connaissance ap-
profondie des activités et des
services de sécurité russes.
Il affirme détenir des informa-
tions prouvant que Moscou a
profondément pénétré les servi-
ces de sécurité ukrainiens et des
éléments, telles des intercep-
Le ministre de la culture italien, Gennaro Sangiuliano, à Rome, le 22 octobre 2022. ELISA GESTRI/SIPA USA VIA REUTERS
présidence de la Fondation
Maxxi, le Musée national des arts
du XXIe siècle à Rome, l’ancien
journaliste Alessandro Giuli,
47 ans, est désormais la figure la
plus installée, mais aussi la plus
consensuelle, issue du renouvelle-
ment voulu par l’exécutif à la tête
des institutions culturelles ita-
liennes. Il se félicite de voir « l’at-
mosphère nouvelle » se traduire
par des nominations aux postes-
clés de personnalités politique-
ment compatibles avec les orien-
tations gouvernementales et par
des créations reflétant des sensibi-
lités non représentées auparavant
et qui restent à définir.
Pour autant, d’après M. Giuli, « il
n’y a pas de stratégie de prise en
charge complète de l’espace cultu-
rel. Cela ferait trop XXe siècle. La
gauche a longtemps exercé une do-
mination culturelle sans légitimité
politique. Désormais, on va simple-
ment vers l’équilibre ». Au mur de
son bureau, cet ami de jeunesse de
Giorgia Meloni a accroché une
œuvre d’Alfredo Jaar figurant la
« une » de l’ancien journal antifas-
ciste en exil Giustizia e Libertà.
L’artiste chilien y a percé une cel-
lule ouverte et en a changé le titre :
« Antonio Gramsci est vivant. »
Daté du 30 avril 1937, le numéro re-
produit est celui qui annonçait la
mort du penseur communiste
préféré de la droite européenne.
« La culture de droite italienne ne
peut pas être une caserne. On ne
crée rien de nouveau entre gens
qui pensent de la même façon »,
tonne de son côté l’écrivain Pie-
trangelo Buttafuoco, 59 ans. An-
cien membre du Mouvement so-
cial italien, romancier, fasciné par
tions téléphoniques, pouvant
porter préjudice aux relations
entre les Etats-Unis et l’Ukraine.
La DGSI, comme les services
alliés, reste dubitative face à ces
déclarations et finit par décliner
les offres de Navrouzbekov. Elle
reçoit régulièrement ce type de
propositions et prend son
temps. L’information est jugée
suspecte. Il est notable, dans
cette affaire, que l’ensemble des
services européens contactés par
l’intéressé soient parvenus à la
même conclusion : « Soit un
escroc, soit un agent provoca-
teur », résume un haut représen-
tant de la communauté du
renseignement français.
De retour en Pologne, parallèle-
ment à sa procédure de demande
d’asile, au cours de laquelle il est
autorisé à rester dans le pays,
Navrouzbekov change de straté-
l’âge d’or de la Sicile islamique, il
occupe une place singulière dans
le paysage culturel en tant que re-
présentant d’une certaine droite
libertaire et réclame des horizons
plus vastes que ceux de la seule
Italie. « Maintenant nous pouvons
nous offrir le luxe d’accueillir les ex-
clus du monde culturel internatio-
nal ! », se réjouit-il, confiant avoir
défendu l’idée auprès de Giorgia
Meloni d’une Italie comme « ha-
vre de liberté » ouvert à ceux qu’ils
désignent comme les « victimes
de la censure woke et de la cancel
culture à travers le monde ».
Malgré les débats intenses
qu’elles ont pu susciter, pour l’an-
cienne députée et écrivaine Flavia
Perina, 65 ans, les ambitions
culturelles de la droite italienne
sonnent creux pour le moment.
« L’hégémonie de la gauche a
existé. Mais elle a pris fin il y a
trente ans avec l’ascension de Sil-
vio Berlusconi, qui a justement
préparé le terrain à celle de
Meloni », relève Mme Perina, qui
fut aussi directrice du Secolo
d’Italia, le journal historique de la
famille politique de Giorgia
Meloni. Avant de conclure : « Ils
disent vouloir transformer la
culture ? Ce n’est qu’un récit. On
verra dans six mois où sont les fic-
tions, les films, les programmes du
nouvel imaginaire national. Cette
opération culturelle vient juste de
commencer et, pour le moment,
elle tourne entièrement autour de
la question de la RAI. »
Depuis les années 1970, les partis
politiques se partagent les postes
stratégiques de la RAI, l’audiovi-
suel public italien, et la présence
en son sein d’alliés idéologiques
gie et joue la carte des médias. En
décembre 2022, il accorde un
long entretien à Vladimir Osset-
chkine, le fondateur de l’organi-
sation Gulagu.net, qui œuvre
auprès des soldats russes ayant
fait défection. Il lui dit avoir fui la
Russie alors que le FSB venait de
lui confier une mission de sur-
veillance de militants d’opposi-
tion du Caucase du Nord ayant
émigré en Turquie.
Crainte d’être « tué »
Navrouzbekov propose d’aider à
documenter les crimes de guerre
russes en Ukraine. Il décrit égale-
ment la politique de terreur du
FSB dans le Caucase du Nord, qui
met en scène des « actes terroris-
tes », fabrique des preuves judi-
ciaires, torture et assassine pour
éliminer des opposants ou de
simples habitants refusant de
international | 5
Le ministre de la
culture, Gennaro
Sangiuliano,
a appelé au
développement
d’un « nouvel
imaginaire
italien »
de Giorgia Meloni n’est pas nou-
velle. Gennaro Sangiuliano lui-
même y a occupé des postes de di-
rection. Une alternance à sa tête
n’aurait donc rien eu de notable si
le gouvernement ne s’était pas
déjà voué, au début de l’année, à
recadrer l’entreprise au nom d’une
« nouvelle narration » qui serait
conforme aux sensibilités suppo-
sées de la majorité des Italiens.
« Un discours vide »
Avec l’arrivée aux commandes, le
15 mai, d’un fervent partisan de
Giorgia Meloni, Giampaolo Rossi,
adhérent au projet du « nouvel
imaginaire italien » voulu par le
ministre Sangiuliano, le change-
ment à la tête de l’audiovisuel pu-
blic a déjà provoqué le départ d’un
animateur vedette de talk-show :
Fabio Fazio, qui a pris, avec sa sen-
sibilité de gauche et ses très fortes
audiences, le chemin du privé.
« Le discours sur la droite cultu-
relle est vide et masque mal une
soif de pouvoir et de fauteuils et
peut-être, à terme, une tentative
autoritaire », juge Nicola Lagioia,
50 ans, écrivain et directeur, jus-
qu’à sa dernière édition, du salon
collaborer. En janvier, il fait part à
CNN de sa crainte d’être « tué » à
cause de ses révélations.
Sa demande d’asile refusée par
la Pologne, il fait appel et vit, pen-
dant ce temps, dans un camp de
réfugiés. Il est arrêté mi-mai, et
expulsé le 6 juin, avant que la
procédure n’aille à son terme. Le
jour même, le bureau du secré-
taire d’Etat à la chancellerie du
premier ministre polonais, coor-
dinateur des services spéciaux,
Stanislaw Zaryn, justifie cette
décision : « Les informations four-
nies par le Russe ont été minutieu-
sement vérifiées par les services
compétents. (…) L’analyse a mon-
tré que l’histoire de cet homme
n’était pas très crédible. »
Outre que les données biogra-
phiques, le parcours profession-
nel et les connaissances revendi-
quées sur le Caucase « se sont
du livre de Turin. Sa succession
avait aussi fait polémique avant
que soit désignée une personna-
lité jugée neutre, la journaliste An-
nalena Benini. « Les grandes
œuvres culturelles se défendent
elles-mêmes par leur qualité et
n’ont pas besoin d’une hégémonie
de droite ou de gauche pour voir le
jour », affirme M. Lagioia, qui pré-
cise que, selon lui, « il n’est pas
question de culture dans ce débat
mais d’idéologie ».
L’écrivain se déclare à ce titre in-
quiet de voir les représentants
d’un exécutif tout-puissant garder
le ton polémique des opposants
sur le sujet culturel : « Une in-
fluence accrue des intellectuels or-
ganiques de droite sur les médias
me préoccupe, il pourrait préparer
l’opinion à des tournants politiques
encore inacceptables à ce stade. »
Pour le politiste Lorenzo Castel-
lani, qui se revendique de la tradi-
tion libérale italienne, laisser
trop d’espace aux franges conser-
vatrices « doctrinaires » pourrait
être un mauvais calcul pour la
majorité. « L’électorat de droite ne
s’intéresse pas à la culture. Il veut
payer moins d’impôts et conduire
sa voiture à moteur thermique en
paix, résume le chercheur, pro-
fesseur à la Luiss à Rome. Sur le
plan des idées, les Italiens qui vo-
tent à droite soutiennent la criti-
que du “politiquement correct” de
gauche. Cela ne veut pas dire pour
autant qu’ils vont apprécier une
tentative d’endoctrinement venue
de l’autre bord. » Pour M. Castel-
lani, les appétits culturels de la
droite mélonienne pourraient
lasser ses propres électeurs. p
allan kaval
révélés incohérents et, à de nom-
breux endroits, faux ou invérifia-
bles », les services polonais ju-
gent que « les intentions et les té-
moignages soulèvent de réels
doutes quant à la raison de [la]
présence [de Navrouzbekov] en
Pologne ». Pour le bureau du mi-
nistre, sa décision de parler aux
médias ressemble à une dernière
tentative pour « rendre crédi-
bles » ses déclarations et obtenir
le soutien de l’opinion.
Navrouzbekov est aujourd’hui
à Moscou, entre les mains de la
police. La Pologne a accordé
l’asile à son épouse et à ses deux
enfants. Sa femme, Irada, et
l’avocate Karinna Moskalenko
affirment qu’il risque la mort, en
Russie, et les membres de sa fa-
mille des représailles dans son
pays natal, le Daghestan. p
jacques follorou
6 | international
Argentine: Javier Milei à la recherche de relais locaux
Le candidat populiste à la présidentielle noue des alliances avec des personnalités politiques sulfureuses
REPORTAGE
san miguel de tucuman
(argentine) - envoyée spéciale
L
a première bataille ! »,
clame l’affiche de campa-
gne tapissant le siège de
Fuerza Republicana
(« Force républicaine »), parti local
ultraconservateur à San Miguel de
Tucuman (capitale de la province
de Tucuman, dans le Nord-Ouest
argentin). Son président, Ricardo
Bussi, candidat au poste de gou-
verneur pour la septième fois, sait
qu’il n’a aucune chance de décro-
cher le plus haut poste de l’exécu-
tif provincial dans ce pays fédéral.
Mais il a bon espoir de faire des
étincelles en ce dimanche 11 juin,
jour d’élection : sur son affiche
électorale il pose, poing érigé au
niveau de la poitrine, aux côtés de
Javier Milei, 52 ans, candidat ultra-
libéral à l’élection présidentielle
du 22 octobre.
Javier Milei, un économiste ul-
tralibéral aux accents trumpistes,
a bouleversé le jeu politique ar-
gentin en s’imposant dans les
sondages au coude-à-coude avec
les forces traditionnelles pour le
scrutin. Phénomène né sur les
plateaux de télévision aux alen-
tours de 2016 et très présent sur
les réseaux sociaux, le député de
Buenos Aires n’est appuyé par
aucune structure politique préa-
lable et, hors de la capitale, il est
contraint de « s’allier avec des ac-
teurs résiduels du paysage politi-
que, sur le modèle d’un système de
franchise », explique Lucas Ro-
mero, politologue et directeur du
cabinet de conseil Synopsis.
Du mal à maîtriser ses troupes
A Tucuman, c’est avec Ricardo
Bussi que Javier Milei s’est allié : il
s’agit du fils d’un militaire de la
dictature (1976-1983) et ancien
gouverneur de la province (1995-
1999), le général Antonio Do-
mingo Bussi. Cultivant une atti-
tude de cow-boy revêche, assis le
buste en avant, les avant-bras ap-
puyés sur les genoux et un cigare
éteint entre les doigts, Ricardo
Bussi défend la mesure phare de
son programme provincial, dans
le sillage des propositions de Ja-
vier Milei : le libre port d’armes.
« Libéral sur l’économie, conser-
vateur sur le plan culturel », il se dit,
comme Javier Milei, contre l’avor-
tement légal (approuvé par le Par-
lement en 2020), pour la suppres-
Au Vietnam, une attaque fait ressurgir la crainte des conflits ethniques
Des assaillants issus des hauts plateaux ont tué des responsables du Parti communiste de deux communes et mis le feu à leurs bureaux
bangkok -
correspondant en Asie du Sud-Est
D ans le Vietnam commu-
niste, les attentats contre
des représentations du
Parti communiste sont assez ra-
res pour que la double attaque ar-
mée du dimanche 11 juin, contre
les sièges de ses comités dans
deux communes de la région des
hauts plateaux et les bureaux de
police contigus, ait provoqué un
choc. Neuf personnes ont été
tuées dans ces actions, les locaux
ont été incendiés. Les autorités
ont déployé un vaste dispositif
militaire et policier qui a mené, à
ce jour, à l’arrestation de cin-
quante personnes.
Dix jours après les événements,
les interrogations demeurent sur
les motivations réelles de ces atta-
ques. Si la presse officielle a large-
ment couvert la capture des as-
saillants, la censure veille au grain :
une centaine de personnes se sont
vues infliger des amendes pour
avoir partagé sur les réseaux so-
ciaux de « fausses informations ».
Javier Milei, candidat de La Libertad Avanza, lors d’une interview, à Buenos Aires, le 14 juin. TOMAS CUESTA/GETTY IMAGES VIA AFP
sion de la Banque centrale et pour
une réduction massive des dépen-
ses publiques. Et il défend son
père, condamné à perpétuité
en 2008 pour crimes contre l’hu-
manité, un jugement « arbitraire
et contraire au droit », estime-t-il,
son père s’étant comporté « en sol-
dat ». L’héritier politique du mili-
taire, âgé de 59 ans, enchaîne de-
puis 1997 les mandats : député, sé-
nateur, parlementaire de sa pro-
vince. Il appartient de toute
évidence à « la caste politique »
pourtant conspuée par Javier
Milei. Il n’empêche, le candidat à la
présidentielle et chef du mouve-
ment La Libertad Avanza (« La li-
berté avance ») a misé fort sur Tu-
cuman, en espérant voir Ricardo
Bussi renouveler ou dépasser son
bon résultat de 2019 (13,78 %). Le
résultat a été un fiasco : le candidat
n’a finalement récolté que 3,9 %
des votes le 11 juin.
Ce n’est pas le premier échec de
Javier Milei. Différentes élections
locales prouvent les difficultés
qu’il rencontre à transformer son
Les assaillants ont été décrits par le
ministère de la sécurité publique
comme « organisés, violents, auda-
cieux, barbares et inhumains ».
Le sujet est sensible au Viet-
nam : les deux communes con-
cernées, Ea Ktur et Ea Tiêu, sont si-
tuées dans la province du Dak Lak,
la région des Montagnes centra-
les, ces hauts plateaux peuplés de
minorités ethniques longtemps
réfractaires à la domination dé-
sormais écrasante des Vietna-
miens des plaines – l’ethnie majo-
ritaire (dite « Kinh ») constituant
85 % des 97 millions de Vietna-
miens. C’est l’ancien « Pays mon-
tagnard du Sud-Indochinois »,
aux peuples évangélisés par les
Français et les Américains.
Spoliation de terres
Depuis la réunification, en 1976,
sous l’égide du Parti commu-
niste, du Nord et du Sud Vietnam,
le gouvernement communiste
est accusé de persécuter ces eth-
nies qui l’ont souvent combattu
lors des guerres contre la France,
les Etats-Unis ou le Cambodge, et
succès dans les sondages (entre
15 % et 20 % des intentions de vote)
en victoire dans les urnes. Diman-
che 7 mai, la province de La Rioja
(Nord-Ouest) élisait elle aussi son
gouverneur. La Libertad Avanza
attendait beaucoup de cette élec-
tion. Là encore, le mouvement de
l’ultralibéral avait tissé une al-
liance avec un candidat au patro-
nyme lourd de symboles : Martin
Menem, neveu de l’ancien prési-
dent Carlos Menem (droite, 1989-
1999), artisan de politiques néoli-
bérales qui ont précédé la crise so-
ciale et économique de 2001. Elu
parlementaire provincial en 2021 –
avec le soutien de Javier Milei –, cet
avocat se définit cependant
comme un outsider. Il visait l’élec-
tion ou du moins la deuxième
place. Il est finalement arrivé troi-
sième, avec 15 % des suffrages.
Le même jour, dans la province
de Neuquen (Sud), le candidat
soutenu par Javier Milei, le jour-
naliste local et sans expérience
politique Carlos Eguia, arrivait à la
quatrième place seulement, avec
dont les doléances, lors de rares
irruptions de violence ou de ma-
nifestations brutalement répri-
mées, portent sur la spoliation de
leurs terres ou leurs forêts, les dé-
gradations de l’environnement et
les atteintes à la liberté de culte.
Au moins une manifestation de
villageois avait été rapportée, le
20 avril, dans le même district
que les attaques, par des associa-
tions en exil de défense des droits
des « Montagnards », à la suite
d’un rejet d’eaux usées dans un
lac. Les manifestants, selon l’ONG
True Voice of Dega aux Etats-
Unis, auraient été frappés par des
matraques électriques, et sept
personnes avaient été blessées.
L’attaque simultanée des deux
communes, distantes d’une di-
zaine de kilomètres, a été menée
dans la nuit du samedi 10 au di-
manche 11 juin par des hommes
armés et vêtus de treillis. Quatre
policiers qui étaient sur les lieux
ont été tués, d’autres blessés,
puis les assaillants ont assassiné
le secrétaire du Parti de l’une des
communes, et le président de
8 % des voix. Signe que Javier
Milei a du mal à maîtriser ses
troupes : jeudi 15 juin, M. Eguia re-
grettait publiquement de s’être
allié à lui, qualifiant son ancien
parrain de « déchet humain » et de
« fou à lier » et enchaînant : « Milei,
en plus d’être un menteur, tu es
hypocrite et faux. »
La candidate à la vice-prési-
dence pour La Libertad Avanza,
Victoria Villarruel, elle aussi fille
de militaire et négationniste no-
toire des crimes de la dictature, a
tenté de justifier les piètres résul-
tats provinciaux, dimanche
11 juin, sur la chaîne de télévision
LN + : « Nous sommes présents
dans les provinces, mais nous
sommes une force politique nou-
velle. Nous allons être présents,
mais nous avons besoin du sou-
tien de la population. »
Novices ou politiques confir-
més, les alliés de Javier Milei ont
des profils divers, sans autre dé-
nominateur commun qu’une cer-
taine affinité idéologique. Ainsi,
Ricardo Bussi, à Tucuman, ne se
CHINE
LAOS
Hanoï
VIETNAM Mer de Chine
méridionale
THAÏLANDE
Ea Ktur
CAMBODGE Province
du Dak Lak
Ea Tiêu
500 km
l’autre, alors qu’ils arrivaient sur
place. Trois civils qui ont croisé
leur chemin ont aussi été abat-
tus, trois autres pris en otage
puis libérés lors de la chasse à
l’homme qui a suivi.
L’un des assaillants, Y Tho Ayun,
35 ans, a été présenté comme le
« cerveau » de l’opération. Il a dé-
claré, lors de ce qui a été présenté
comme des « confessions » aux
autorités, avoir incité les villa-
définit-il ni comme « antisys-
tème » ni comme anarcho-capita-
liste, contrairement à son parrain.
Dans certaines provinces, comme
à Cordoba (Centre), la deuxième
plus peuplée du pays, La Libertad
Avanza n’est pas parvenue à tisser
d’alliance et le courant libertarien
se lance divisé dans l’élection au
poste de gouverneur, dimanche
25 juin, avec deux candidats. Dans
la province de Buenos Aires, La Li-
bertad Avanza a vu son candidat
démissionner le 14 juin et cherche
un remplacement dans l’urgence.
« Pas de cohérence »
Ces situations « révèlent l’impro-
visation, le manque d’intelligence
et d’expérience politiques de La Li-
bertad Avanza. Il n’y a pas de cohé-
rence », analyse le politiste Lucas
Romero. L’ultralibéral ne serait-il
finalement qu’un personnage
cantonné aux réseaux sociaux, à
Buenos Aires et sa région ? « Les
sondages montrent qu’il est com-
pétitif dans les provinces. Mais les
personnes faisant part aux enquê-
geois de Dak Lak à perpétrer ces
attaques, et enrôlé « des gens en
qui [il a] confiance ». Les partici-
pants aux deux opérations sont
« des hommes jeunes appartenant
aux ethnies des hauts plateaux », a
par ailleurs confirmé le ministère
de la sécurité publique. L’enquête,
a précisé vendredi l’un des res-
ponsables du ministère, « montre
que des acteurs hostiles au Viet-
nam, y compris des membres exi-
lés du Front unifié de lutte des ra-
ces opprimées [FULRO] étaient
derrière ces actes » qui visent « à
diviser [la société entre] l’ethnie
majoritaire Kinh [et les] minorités
ethniques et à donner un écho in-
ternational à leur organisation ».
Le FULRO, guérilla armée des
Montagnards née dans les années
1960 et opérant depuis le Cam-
bodge voisin, a déposé les armes
en 1992, mais il continue d’être ré-
gulièrement dénoncé par le gou-
vernement communiste, au côté
d’autres groupuscules mais aussi
des « forces hostiles » qu’incar-
nent les associations de défense
des droits de l’homme Dega
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
Les alliés
du candidat
ultralibéral ont
des profils divers,
sans autre
dénominateur
commun qu’une
certaine affinité
idéologique
tes d’opinion de leur intention de
voter pour Milei le font-elles vrai-
ment dans l’isoloir ? Ou est-ce seu-
lement une colère exprimée pen-
dant le sondage ? », s’interroge
Lucas Romero, qui nuance : « Des
résultats médiocres en province
ne signifient pas forcément qu’il y
aura un mauvais résultat au ni-
veau national. »
D’autant que les élections pro-
vinciales restent animées de dy-
namiques locales. Tucuman, où
les péronistes de centre-gauche,
au pouvoir depuis vingt-qua-
tre ans, ont été réélus à la tête de la
province, le 11 juin, est « une pro-
vince à part, un califat, insiste
Irene Benito, journaliste d’inves-
tigation et autrice d’ouvrages sur
la politique locale. Tucuman est
marquée par le clientélisme, la cor-
ruption à tous les niveaux, un sys-
tème électoral et institutionnel
opaque. On ne peut pas extrapoler
ce qui se passe ici à la politique na-
tionale », estime-t-elle. Des témoi-
gnages recueillis par Le Monde
font état, dans les quartiers pré-
caires, de l’offre de 5 000 pesos
(18 euros) ou de sacs de nourriture
en échange d’un vote.
L’assise provinciale n’en de-
meure pas moins cruciale pour Ja-
vier Milei, avant les primaires
ouvertes et obligatoires du
13 août, sorte de tour préliminaire
précédant l’élection présiden-
tielle proprement dite. Une struc-
ture en région sert de courroie de
transmission, notamment pour
l’organisation de la campagne et
des meetings. C’est aussi elle qui
permet d’avancer des pions et de
bâtir l’influence politique en ma-
tière de représentants parlemen-
taires. Des élections législatives
partielles doivent également se
tenir dans les deux chambres le
22 octobre. p
flora genoux
(l’autre appellation des Monta-
gnards), basées aux Etats-Unis.
Ces associations ont déclaré
n’avoir aucun lien avec les événe-
ments du 11 juin. « Aucun membre
de notre organisation n’a été impli-
qué dans cet incident, mais nous
disposons d’informations selon les-
quelles les Montagnards se sont re-
bellés pour leurs droits parce qu’ils
n’en pouvaient plus », nous expli-
que par courriel Yduen Buondap,
un responsable de l’association
True Voice of Dega aux Etats-Unis.
« Chaque jour, ils sont persécutés,
battus, arrêtés par le gouverne-
ment vietnamien. Ils ont commis
cet acte pour faire connaître au
monde leur situation après avoir
tenté en vain pendant des années
de trouver une solution pacifique »,
estime-t-il. Le militant affirme
qu’après les attaques du 11 juin, les
autorités vietnamiennes ont armé
des civils pour aider l’armée à
pourchasser les assaillants. Au
moins quatre paysans Dega
auraient été abattus alors qu’ils
étaient dans leurs champs. p
brice pedroletti
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
Le marché incendié d’Al-Geneina, au Darfour occidental (Soudan), le 29 avril. AFP
Soudan : la guerre des chefs vire
au conflit ethnique au Darfour
Dans l’ouest du pays, des combats opposent les milices janjawids et les
communautés non arabes, qui ont formé des groupes d’autodéfense
I
l règne à Al-Geneina une
odeur de mort. Nous étions
pris pour cible même lors-
qu’on enterrait nos défunts »,
décrit le docteur Rabih Saleh, ori-
ginaire de la capitale du Darfour
occidental et tout juste réfugié
dans le nord de cette province de
l’ouest du Soudan, après deux
jours de minibus. Dimanche
11 juin, dix roquettes tombaient
sur son quartier de Shati, tuant
trois civils sur le seuil de sa mai-
son. « Quand on est passés au
rond-point principal, on a caché les
yeux des enfants pour ne pas qu’ils
voient les tas de corps en décompo-
sition. L’odeur était irrespirable »,
poursuit ce vétérinaire employé
au ministère de l’agriculture.
Les combats qui ont éclaté à
Khartoum le 15 avril entre les for-
ces armées soudanaises (FAS), di-
rigées par le général Abdel Fattah
Abdelrahman Al-Bourhane, et les
Forces de soutien rapide (FSR) du
général Mohammed Hamdan
Daglo, « Hemetti », n’ont pas tardé
à déborder sur le Darfour, la ré-
gion d’origine de ce dernier. Le bi-
lan des affrontements à Al-Ge-
neina s’élève désormais à plus de
1 200 morts et plusieurs milliers
de blessés, selon des médecins et
militants des droits humains.
Après avoir perdu le contrôle des
points stratégiques de la ville, de
l’aéroport et d’une base militaire,
les FAS se sont repliées le 24 avril
dans leur quartier général, à 7 ki-
lomètres du centre. La population
(près de 200 000 habitants) s’est
alors retrouvée en première ligne
face aux FSR et leurs alliés.
Me
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ÉGYPTE
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TCHAD SOUDAN
Adré DARFOUR
ÉRY.
Al-Geneina Khartoum
ÉTHIOPIE
SOUDAN
DU SUD
500 km
Pour quitter la ville, Rabih Sa-
leh a dû passer par des miliciens
arabes, dépensant l’équivalent
de 90 euros pour chaque mem-
bre de sa famille. « Il faut un peu
d’argent et, surtout, ne pas être
[du groupe ethnique] masalit
pour avoir une chance de s’en-
fuir », conclut le père de famille,
issu d’une tribu arabe. La guerre
au Darfour occidental a pris un
tournant ethnique. Les combats
se sont rapidement transformés
en conflit opposant les milices
arabes janjawids, soutenues
massivement par les FSR, et les
communautés dites « africai-
nes », c’est-à-dire non arabes,
dont les Masalit, qui ont formé
des groupes d’autodéfense. Cel-
les-ci constituent la majorité des
victimes des violences.
Camps de déplacés incendiés
La guerre déclenchée en 2003 au
Darfour avait déjà entraîné le dé-
placement de près de la moitié des
Masalit du Darfour occidental
vers le Tchad. « A partir des années
2000, Omar Al-Bachir y avait ins-
tallé une paix des vainqueurs, don-
nant le pouvoir à des chefferies ara-
bes créées de toutes pièces par le ré-
gime islamiste, décrypte le cher-
cheur Jérôme Tubiana, l’un des
meilleurs spécialistes de la région.
Après sa chute en 2019, puis les ac-
cords de Juba signés en 2020 entre
le gouvernement et des groupes re-
belles, ces leaders communautai-
res ont senti leurs acquis menacés
et ont contribué à replonger la ré-
gion dans la violence. »
« Les acteurs locaux font peu de
cas du conflit au niveau national.
Ils instrumentalisent la guerre qui
a éclaté à Khartoum pour mener
leur propre guerre, ou plutôt con-
tinuer la guerre qu’ils avaient déjà
commencée. Les milices arabes
profitent des deux belligérants
pour faire avancer leur campagne
d’accaparement des terres et leur
projet de domination sur l’Etat du
Darfour occidental », poursuit Jé-
rôme Tubiana.
Al-Geneina est aujourd’hui as-
siégée. Le marché principal, les
administrations et les camps de
déplacés ont été incendiés. De-
puis la fin mai, les réseaux électri-
ques sont coupés, rendant les
Lorsqu’ils ne sont
pas massacrés
dans les rues, les
civils sont
pourchassés sur
les routes vers le
Tchad voisin, où
plus de 120 000
personnes se
sont réfugiées
communications téléphoniques
impossibles. Touchés par les com-
bats et faute de médicaments ou
d’électricité, tous les centres de
santé sont hors service.
A la suite d’une interview télévi-
sée au cours de laquelle il a accusé
les FSR et les milices alliées de per-
pétrer un « génocide », le gouver-
neur masalit du Darfour occiden-
tal, Khamis Abdallah Abakar, a été
arrêté mercredi 14 juin par des
soldats du général « Hemetti ».
Quelques heures plus tard, il a été
exécuté et sa dépouille mutilée.
La mort de cette figure historique
de la rébellion du Darfour, de-
venu gouverneur après la signa-
ture des accords de paix de Juba
en 2020, est imputée aux FSR.
Celles-ci ont nié toute implica-
tion, rejetant la faute sur « des
hors-la-loi » affiliés au régime is-
lamiste. « Tout confirme l’implica-
tion des FSR. Mais cela n’exonère
pas l’armée régulière de sa respon-
sabilité à protéger un haut fonc-
tionnaire de l’Etat », se désole le
journaliste Fayez Al-Sulaik dans
les colonnes du Sudans Post.
Au milieu des combats, de
nombreuses personnalités pu-
bliques sont également prises
pour cible par les FSR et leurs al-
liés. Le barreau des avocats du
Darfour a déploré les assassinats
de plusieurs de ses membres, de
journalistes, de médecins, de mi-
litants politiques et de chefs tra-
ditionnels. La famille du sultan
masalit a été décimée par une ro-
quette tirée par les paramilitai-
res. « Ce sont des ciblages ethni-
ques et politiques. Ils forcent l’en-
trée des maisons des intellectuels.
Leur idée est d’installer ici une na-
tion arabe, de remplacer les Ma-
salit, de s’approprier des terres »,
s’insurge un ancien collabora-
teur d’une ONG française ayant
fui la ville, mardi 13 juin, avec
quelques vêtements, son ordina-
teur et trois livres.
Lorsqu’ils ne sont pas massa-
crés dans les rues, les civils sont
pourchassés sur les routes de
l’exil menant au Tchad voisin, où
plus de 120 000 personnes se
sont réfugiées en deux mois. « Il y
a des checkpoints partout. Les FSR
ou les miliciens qui leur sont pro-
ches t’arrêtent, demandent de
quelle tribu tu es, où tu vis, plein de
détails, raconte Mohamed, arrivé
lundi à Adré. Un mot de travers et
ils t’exécutent sur le bord de la
route. C’est arrivé devant moi, ils
ont lié les mains d’un homme, l’ont
fouetté et l’ont abattu sous nos
yeux avant de nous dépouiller. »
« Calamité humanitaire »
Pour gagner ce poste-frontière
tchadien, des colonnes de mil-
liers de civils traversent à pied les
étendues de terres détrempées
par les premières pluies. Sur cer-
taines vidéos consultées par
Le Monde, des groupes de réfu-
giés, certains portant leurs en-
fants dans les bras, sont sommés
de courir par les soldats tcha-
diens qui les accueillent, alors
que les balles tirées par les mili-
ciens soudanais retentissent
autour de la frontière, dont la po-
rosité fait craindre un déborde-
ment du conflit.
Depuis le début de la guerre des
chefs à Khartoum, sur près de
2 millions de déplacés, plus de
270 000 l’ont été au Darfour occi-
dental. « Le Darfour sombre rapi-
dement dans une calamité huma-
nitaire. Le monde ne peut pas lais-
ser cela arriver. Pas une nouvelle
fois », s’alarme Martin Griffiths,
secrétaire général adjoint aux af-
faires humanitaires des Nations
unies, en référence à la guerre qui,
vingt ans plus tôt, avait fait plus
de 300 000 morts. p
eliott brachet
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international | 7
A Madagascar, polémique
autour de la nationalité
française du président
L’opposition dénonce une trahison d’Andry
Rajoelina et pourrait demander sa destitution
A ndry Rajoelina peut-il
encore être considéré
comme le chef de l’Etat
malgache au regard de la loi ?
Peut-il être le « président français
de la république de Madagascar »,
comme s’interrogeait La Tribune
de Madagascar dans son édition
du samedi 17 juin ? La question se
pose depuis la divulgation, le
15 juin, de sa naturalisation fran-
çaise par un décret signé par le pre-
mier ministre Manuel Valls et le
ministre de l’intérieur Bernard Ca-
zeneuve le 19 novembre 2014. Se-
lon plusieurs témoignages, cette
nationalité lui avait été accordée
en échange de son retrait – qui ne
fut que temporaire – de la scène
politique un an plus tôt, en 2013.
Quatre ans après le coup d’Etat qui
lui avait permis d’accéder à la tête
de Madagascar, cela devait per-
mettre au pays de tourner la page
du régime de la transition.
Dès lors, Andry Rajoelina
n’aurait pas dû être autorisé à se
présenter à l’élection présiden-
tielle de 2018 puisque tout préten-
dant doit justifier de la nationalité
malgache, comme l’exige l’arti-
cle 46 de la Constitution. Ce n’est
pas le fait que le président puisse
bénéficier d’une double nationa-
lité qui pose ici problème, mais
qu’il ne soit plus malgache. Le
code de la nationalité est clair sur
ce point : « Perd la nationalité mal-
gache, le Malgache majeur qui ac-
quiert volontairement une natio-
nalité étrangère », selon l’article 42.
Passé le moment de stupéfac-
tion face à la possible portée de
l’information, les proches du pré-
sident ont multiplié ces derniers
jours les contre-feux pour démi-
ner la bombe lâchée par des sour-
ces anonymes à plusieurs jour-
naux, dont Le Monde, à quelques
mois du prochain scrutin prési-
dentiel, prévu en novembre.
« Faute morale »
Après une première réaction de la
directrice de cabinet d’Andry Ra-
joelina dans Le Monde, affirmant
que la nationalité française lui a
été octroyée par filiation, la porte-
parole du gouvernement et mi-
nistre de la communication, Lala-
tiana Rakotondrazafy, a déclaré à
la télévision nationale que le chef
de l’Etat « n’a pas encore perdu sa
nationalité malgache », car il n’en
a pas demandé l’autorisation au
gouvernement comme le prévoit
le code de la nationalité, sous cer-
taines conditions. Dimanche soir,
Andry Rajoelina a, de son côté,
profité de la réouverture au pu-
blic du Rova, cet ensemble de de-
meures royales qui domine Anta-
nanarivo, pour tenter de minimi-
ser : « Personne ne pourra effacer
le fait qu’on soit malgache et nul
ne peut changer le sang malgache
qui coule dans nos veines. »
Des justifications jugées ni
convaincantes ni suffisantes. Le
parti d’opposition MMM (Mala-
gasy Miara-Miainga) a réclamé
des explications sur « ce sujet qui
offense la souveraineté des Mala-
gasy qui ont été trahis ».
Rivo Rakotovao, à la tête du parti
HVM, dénonce également une
« trahison » et une « faute morale ».
« Il existe un problème juridique
criant, mais, ce qui me gêne sur-
tout, c’est qu’il ait menti. Il est de-
venu français et, ce faisant, il a fait
allégeance à un autre pays. Quelle
« Nul ne peut
changer le sang
malgache
qui coule dans
nos veines »
ANDRY RAJOELINA
président de Madagascar
Selon
l’article 46 de la
Constitution,
tout prétendant
à la présidentielle
doit justifier
de la nationalité
malgache
crédibilité a-t-il pour défendre Ma-
dagascar ? », condamne l’ancien
président du Sénat en faisant no-
tamment référence à un des
points de mésentente entre Paris
et Antananarivo, la demande de
restitution des îles Eparses.
Ce chapelet de terres situées
dans le canal du Mozambique a
été soustrait par la France à son an-
cienne colonie au moment de l’in-
dépendance en 1960. Andry Ra-
joelina avait promis la résolution
de ce contentieux territorial, mais
les négociations se sont enlisées ;
les dessinateurs de presse malga-
ches ont eu vite fait ces derniers
jours d’en trouver l’explication en
caricaturant le président embar-
rassé de deux drapeaux : celui de
la Grande Ile brandi bien haut et
celui de la France dans le dos.
Refonte inachevée
Alors que les discussions se pour-
suivent au sein des états-majors
politiques de l’opposition, la dési-
gnation d’une commission d’en-
quête parlementaire qui pourrait
aboutir à une procédure de desti-
tution est évoquée par le HVM.
En France, l’opposante en exil
Fanirisoa Ernaivo a annoncé
lundi 19 juin qu’une plainte serait
déposée auprès du tribunal de
première instance d’Antanana-
rivo pour statuer sur le cas inédit
d’extranéité du chef de l’Etat. L’an-
cienne dirigeante du Syndicat de
la magistrature de Madagascar,
demande aux gouvernements
étrangers et aux institutions fi-
nancières internationales de sus-
pendre « tout nouvel engagement
tant que le statut de M. Rajoelina
n’aura pas été tranché ». Une lettre
a été adressée aux parlementaires
français pour les alerter.
Les représentations diplomati-
ques sont jusqu’à présent restées
silencieuses, mais une nouvelle
réunion était prévue lundi entre
plusieurs d’entre elles. « Pour
l’instant on observe seulement,
mais il est clair que, si la loi devait
être appliquée, il reviendrait à la
Haute Cour constitutionnelle de
constater que M. Rajoelina n’est
plus malgache et de le destituer »,
lâche toutefois l’un d’eux.
L’attitude des partenaires étran-
gers pourrait à nouveau être dé-
terminante. Leur participation au
financement du processus électo-
ral de la présidentielle du 9 no-
vembre a été sollicitée et un ac-
cord de principe a été consenti du
bout des lèvres. L’organisation des
élections fait l’objet de vives criti-
ques de la part de l’opposition, qui
voit notamment dans la refonte
inachevée de la liste électorale des
risques importants de fraude.
L’interdiction de réunions pu-
bliques en plein air imposée dé-
but avril alors que le président
sillonne le pays pour défendre
son bilan a fait monter d’un cran
la tension dans un pays exténué
par les difficultés économiques et
la restriction des libertés. Des af-
frontements se sont produits à
Antsirabe (Centre), samedi 17 juin,
entre les partisans de l’ancien
président Marc Ravalomanana et
les forces de l’ordre, qui tentaient
de l’empêcher d’accéder au lieu de
son meeting. Quatre personnes
ont été blessées. p
laurence caramel
8 | planète 0123
MERCREDI 21 JUIN 2023

Les glaciers de l’Himalaya pourraient disparaître

Jusqu’à 80 % des gigantesques réserves de glace du « troisième pôle » pourraient fondre d’ici à la fin du siècle

L
e Toit du monde est en pé-
ril. Jusqu’à 80 % des gla-
ciers de l’Himalaya et de
l’Hindou Kouch pour-
raient fondre d’ici à la fin du siècle
sous l’effet de la crise climatique,
un rythme qui s’est fortement ac-
céléré au cours de la dernière dé-
cennie. Ces changements « sans
précédent » et « largement irréver-
sibles » menacent deux milliards
de personnes et aggravent le dé-
clin des espèces. Voilà les conclu-
sions très inquiétantes d’une
vaste étude scientifique publiée
mardi 20 juin par le Centre inter-
national de développement inté-
gré de la montagne (Icimod), une
organisation intergouvernemen-
tale basée à Katmandou, au Népal.
Couvrant plus de 4,2 millions de
kilomètres carrés de l’Afghanis-
tan à la Birmanie, la région mon-
tagneuse de l’Hindou-Kouch-Hi-
malaya (HKH) est qualifiée de
« troisième pôle » par les scientifi-
ques en raison de ses gigantes-
ques réserves de glace. Elle abrite
les plus hauts sommets du
monde, comme l’Everest et le K2,
et alimente douze rivières majeu-
res de seize pays asiatiques, du
Gange au Mékong en passant par
l’Indus ou le fleuve Jaune, le long
desquelles sont structurés d’im-
menses bassins de population.
Risques de crues majeures
L’étude, rédigée par trente-
cinq scientifiques de douze pays,
détaille les bouleversements très
rapides auxquels est soumise la
cryosphère de cette région − à
l’image du reste du monde. Les
glaciers pourraient perdre entre
55 % et 75 % de leur volume actuel
en 2100 comparé à 2015, si la pla-
nète reste sur la même trajectoire
d’émissions de gaz à effet de serre
qui nous mène vers un réchauffe-
ment mondial de près de 3 °C.
Dans un monde à + 4 °C, 80 %
des géants blancs pourraient dis-
paraître. Le chiffre est réduit à en-
tre 30 % et 50 % si la hausse du
thermomètre est limitée entre +
1,5 °C et 2 °C, soit les objectifs de
l’accord de Paris sur le climat.
« C’est ahurissant. Même 50 % en
moins, c’est une perte colossale,
sans précédent sur des échelles de
temps géologiques », réagit Philip-
pus Wester, chercheur associé sur
le climat et l’eau à l’Icimod, qui a
coordonné le rapport.
Ces travaux dressent un pano-
rama un peu plus grave que la
« C’est
ahurissant.
Même 50 % en
moins, c’est une
perte colossale et
sans précédent »
PHILIPPUS WESTER
chercheur
d’habitants de ces montagnes et
1,65 milliard d’autres personnes
qui vivent dans les bassins flu-
viaux en aval. L’étude montre que
la disponibilité en eau des rivières
et bassins de l’Hindou-Kouch-Hi-
malaya devrait atteindre un
maximum autour de 2050-2060,
sous l’effet de la fonte accélérée de
la glace et de la neige, avant de dé-
croître d’ici à la fin du siècle.
Déplacements de communautés
De quoi mettre à mal l’agriculture
qui fait vivre 70 % des habitants
des régions montagneuses. Les dé-
ficits en eau toucheront les cultu-
res de riz, de millet, d’orge ou de su-
cre de canne. « Les changements
dans la cryosphère affectent aussi
les élevages, comme ceux de yaks,
Le glacier de Siachen, source du fleuve Indus (Pakistan), en octobre 2019. BÉNÉDICTE VAN DER MAAR/HANS LUCAS ou le commerce de plantes aroma-
tiques et médicinales, important
pour les communautés des monta-
première évaluation réalisée par l’Hindou-Kouch-Himalaya, no- très élevée en altitude. On est dans le HKH depuis le début du XXIe siè- gnes », ajoute Amina Maharjan.
l’Icimod en 2019, et que les don- tamment dans le sud-est du Tibet. la fourchette haute de ce que proje- cle à de rares exceptions près, Etant donné que la fonte d’une
nées du dernier rapport du A l’ouest de l’Himalaya, la région taient les modèles climatiques, pourrait encore diminuer d’un partie des glaciers va se poursuivre
Groupe d’experts intergouverne- du Karakoram, que l’on pensait précise M. Wester. L’essentiel des quart dans un scénario d’émis- quoi qu’il arrive, les pertes et dom-
mental sur l’évolution du climat, épargnée, montre désormais pertes aura lieu entre aujourd’hui sions élevées. Les chutes de neige mages (les dégâts irréversibles)
dont la synthèse est parue en des bilans de masse négatifs, avec et un réchauffement de 2 °C, ce qui seront plus erratiques, survenant vont s’amplifier pour ces commu-
mars. La nouvelle étude mesure des fontes qui dépassent les ap- montre l’urgence de réduire nos plus tôt ou plus tard dans la saison nautés, entraînant davantage de
une accélération de la perte de ports en neige. Seul l’ouest de la émissions de gaz à effet de serre. » − et pas forcément au moment où déplacements, prévient-elle.
glace dans le massif, de 65 % sur la région du Kunlun garde un bilan Sous l’effet de ces dérèglements, les humains ont besoin de cette « Or, ces communautés vulnéra-
dernière décennie comparé à la relativement équilibré. la montagne devient plus dange- eau pour l’agriculture ou l’indus- bles contribuent très peu aux émis-
précédente. Les fontes les plus « La glace répond très vite à la reuse. Les lacs glaciaires, formés trie −, et pourront provoquer des sions de gaz à effet de serre et ont
graves sont observées à l’est de hausse de la température, qui est par le recul des glaciers, voient leur tempêtes imprévues. La même peu de ressources financières pour
nombre augmenter, ce qui accroît tendance est à l’œuvre avec les y faire face », rappelle-t-elle. Les
les risques de crues majeures liées pluies, qui entraîneront davan- scientifiques appellent la commu-
Le réchauffement accélère en Europe à leur rupture. Deux cents de ces tage d’inondations. « Les commu- nauté internationale à augmenter
lacs sont d’ores et déjà jugés dan- nautés vivant dans ces montagnes les financements climat destinés à
L’Europe a connu une année 2022 plus chaude de 2,3 degrés gereux dans la région. Le dégel du sont habituées aux incertitudes. l’adaptation et aux pertes et dom-
que le climat de la fin du XIXe siècle, confirmant la surchauffe permafrost (ces terrains dont la Mais ces changements sont désor- mages dans cette région, ainsi que
du continent à un rythme deux fois plus rapide que la moyenne température est toujours néga- mais trop rapides pour qu’elles les pays de la zone à mieux colla-
mondiale, qui alimente canicules, sécheresses et incendies, tive), qui fait office de ciment des puissent entièrement s’adapter », borer pour faire face à ces défis.
ont annoncé lundi l’Organisation météorologique mondiale montagnes, entraîne également prévient Amina Maharjan, spécia- Dans cet écosystème fragile, qui
(OMM) des Nations unies et le réseau européen Copernicus. davantage de glissements de ter- liste des moyens de subsistance et abrite une riche biodiversité, les
L’année 2022 a été la plus chaude jamais enregistrée pour rain et d’écroulements rocheux. des migrations à l’Icimod. changements liés à la cryosphère
la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Irlande, l’Italie, le Luxem- Les deux tiers du permafrost pour- La métamorphose de ces « châ- vont aussi pousser des espèces
bourg, le Portugal, l’Espagne, la Suisse et le Royaume-Uni. raient disparaître sur le plateau ti- teaux d’eau » a des conséquences animales et végétales à migrer à
« L’Europe est la région du monde qui se réchauffe le plus rapide- bétain entre 2071 et 2100 dans un dramatiques pour l’approvision- des altitudes plus élevées, dégra-
ment », a rappelé le professeur Petteri Taalas, secrétaire général scénario de fortes émissions. nement en eau, la sécurité ali- der leurs habitats, provoquant des
de l’OMM. L’augmentation des températures pourrait atteindre La couverture neigeuse, qui se mentaire, les sources d’énergie et déclins voire des extinctions. p
ou dépasser 4 °C d’ici à la fin du siècle. réduit également fortement dans donc les vies des 240 millions audrey garric

Pollution de l’air : l’Etat condamné à indemniser deux familles

Le tribunal administratif de Paris a estimé que les bronchiolites et les otites affectant deux enfants résultaient en partie d’une faute de l’Etat

C e sont deux jugements qui

devraient intéresser les
milliers de parents dont
les enfants souffrent d’asthme, de
bronchiolite ou encore d’otites à
chaque pic de pollution de l’air.
Dans des décisions rendues ven-
dredi 16 juin, le tribunal adminis-
tratif de Paris a condamné l’Etat à
indemniser des familles victimes
de la pollution, a appris Le Monde.
En l’espèce, l’Etat a été condamné
à verser 3 000 euros et 2 000 euros
aux parents de deux enfants
ayant souffert de bronchiolites et
d’otites à répétition au cours de
leurs premières années passées
en région parisienne. Le juge ad-
ministratif a estimé qu’« une par-
tie des symptômes » dont ils ont
souffert a été « causée par le dépas-
sement des seuils de pollution ré-
sultant de la faute de l’Etat », à sa-
voir son incapacité à faire respec-
ter les normes sanitaires.
« C’est la première fois en
France, que la justice reconnaît
un préjudice en lien avec une ca-
rence de l’Etat à garantir un air
sain et qu’elle demande sa répara-
tion », commentent Hermine Ba-
ron et François Lafforgue, les
avocats des familles, qui souhai-
tent garder l’anonymat. Jus-
qu’ici, la responsabilité de l’Etat
avait certes été engagée dans des
dossiers similaires, notamment
dans celui de la très polluée val-
lée de l’Arve (Haute-Savoie), mais
le lien de causalité entre la faute
de l’Etat et les maladies des plai-
gnants n’avait jamais été établi.
Otites à répétition
Dans une première décision ren-
due en février 2022, le tribunal
administratif de Paris avait jugé
que l’Etat avait commis une faute
susceptible d’engager sa respon-
sabilité en ne prenant pas les me-
sures adaptées pour mettre fin
aux périodes de dépassements
des valeurs limites de concentra-
tions de polluants en Ile-de-
France : particules fines, ozone et
en particulier le dioxyde d’azote
émis par le trafic routier. Il avait
alors ordonné une expertise afin
d’établir le lien entre ces dépasse-
ments et la santé des victimes.
Selon les études scientifiques,
30 % à 50 % des bronchiolites sé-
vères et 30 % des otites sont attri-
buables à la pollution.
Née le 25 mai 2015, la première
petite fille a été hospitalisée du
7 au 10 octobre 2015 pour bron-
chiolite et a ensuite souffert
d’épisodes de bronchiolite à répé-
tition, avec plusieurs consulta-
tions aux urgences, conduisant à
un diagnostic d’asthme du nour-
risson le 25 août 2016 et à la mise
en place d’un traitement quoti-
dien à base de bronchodilata-
teurs et de corticoïdes, ainsi que
de séances de kinésithérapie res-
piratoire. A plusieurs reprises,
note le juge administratif, les
symptômes ont « coïncidé avec
des épisodes de pollution » mar-
qués par des dépassements des
seuils : les 13 mai, 15 août et 7 dé-
cembre 2016, ainsi que les 19 jan-
vier, 26 janvier et 11 février 2017.
Le rapport d’expertise précise
que ses parents sont non fumeurs,
que leur logement ne présentait
pas d’éléments favorisant asthme
ou allergies, mais que la famille a
résidé à Saint-Ouen (Seine-Saint-
Denis), à 700 mètres du périphéri-
que, jusqu’à son déménagement à
Agde (Hérault) et qu’une « amélio-
ration nette de [son] état de santé a
été observée postérieurement à ce
déménagement, puisque aucun
épisode de gêne respiratoire sif-
flante n’a été ensuite enregistré et
que le traitement de fond a pu être
abandonné ».
Le deuxième dossier est simi-
laire. Née le 15 mars 2014 dans une
famille non fumeuse habitant à
Paris à environ 500 mètres du pé-
riphérique, l’autre petite fille a
souffert d’épisodes d’otites à répé-
tition et d’affections douloureu-
ses (conjonctivite, rhinite puru-
lente) entre mars 2015 et
août 2018. Là aussi, les symptômes
ont coïncidé avec les épisodes de
pollution. Et son état de santé s’est
nettement amélioré après son dé-
part de la région parisienne sur les
recommandations d’un médecin.
Les familles demandaient cha-
cune environ 220 000 euros. « Les
montants obtenus sont assez fai-
bles, mais les déménagements ont
permis à l’état des enfants de
s’améliorer et donc d’éviter des sé-
quelles importantes, commen-
tent Hermine Baron et François
Lafforgue. Nul doute que, dans un
cas plus grave, l’indemnisation
sera plus importante. »
« Le tribunal ouvre une brèche »
Le jugement ne risque-t-il pas
d’entraîner une explosion des
contentieux chez les familles dont
les enfants souffrent de patholo-
gies respiratoires ? « Le tribunal
ouvre une brèche pour les victimes
de la pollution de l’air mais pas la
boîte de Pandore, estiment Mes Ba-
ron et Lafforgue. Pour prétendre à
une indemnisation, il faut réunir au
moins deux conditions : le lien en-
tre la maladie et la pollution de l’air
doit être médicalement documenté
et les médecins doivent avoir de-
mandé avec insistance que les en-
fants soient soustraits à un milieu
toxique par un déménagement. »
Président de Respire, associa-
tion de défense des victimes de la
pollution de l’air, Tony Renucci,
salue « un acte fort qui va faire ju-
risprudence ». Alors que le dé-
ploiement des zones à faibles
émissions (ZFE) – qui visent à in-
terdire les véhicules les plus pol-
luants des grandes aggloméra-
tions – se heurte à des résistan-
ces, M. Renucci estime que « ce
jugement rappelle l’importance
de prendre des décisions certes
peut-être impopulaires, mais in-
dispensables en termes d’urgence
sanitaire ». Outre les maladies
cardiorespiratoires, la pollution
de l’air est à l’origine d’au moins
40 000 décès prématurés cha-
que année en France.
Contacté par Le Monde, le mi-
nistère de la transition écologi-
que n’a pas précisé s’il ferait ap-
pel de ce jugement qui, rappelle-
t-il, « se base sur les années 2015-
2020 ». De même source, on
indique, en référence aux ZFE
que, « pour être efficaces, les me-
sures sur la qualité de l’air nécessi-
tent des changements structurels
qui peuvent toucher au quotidien
des Français et nécessitent d’être
concertées et adaptées ». p
stéphane mandard
COMMUNIQUÉ Mercredi 21 juin 2023

www.grandanglesante.fr

Spécial Migraine

RECONSIDÉRER LA PATHOLOGIE
Plus qu’un symptôme, la migraine est une véritable pathologie neurologique qui a un retentissement
considérable sur la vie des patients. Entretien avec le Dr Lucas, neurologue Chef de service du Centre
d’Evaluation et de Traitement de la Douleur au CHU de Lille.
Qu’est-ce que la migraine chronique ? Comment ces nouvelles
La migraine touche de 8 à 10 millions de options thérapeutiques
personnes en France. Episodique ou chro- sont-elles accueillies
nique, la migraine est définie par des maux par les autorités sanitaires ?
de tête plutôt d’un côté, plutôt battants avec La France est le seul pays euro-
une gêne fonctionnelle (on est obligé de péen dans lequel ces traite-
ralentir ses activités ou de se coucher) et ments ne sont pas remboursés.
une accentuation de la douleur au bruit et à Pourquoi ? La Haute Autorité
la lumière, avec des troubles digestifs dans de Santé (HAS) a une doctrine,
© AdobeStock / DR

25 % des cas. La migraine peut être et rester elle exige des études cliniques
épisodique, mais elle peut également évo- versus comparateur actif pour
luer vers une forme chronique dont les crises obtenir un remboursement.
sont plus fréquentes (maux de tête plus de Ces traitements sont indiqués
15 jours par mois, 8 paroxysmes migraineux chez des patients en échec
par mois depuis au moins trois mois). thérapeutique. Les inclure
2 % des adultes en France sont concernés, dans un essai contre compara-
soit près de 1 million de patients. Ce tableau teur actif (qu’ils ont déjà testé
clinique fait de la migraine chronique une avec un résultat ineicace ou
pathologie invalidante synonyme de souf- une mauvaise tolérance) pose
france pour le patient, dans sa vie sociale, sur 10 consultent ment liés à l’anxiété et la dépression. Malgré une problématique éthique ; il est donc im-
familiale, estudiantine ou professionnelle, pour ce motif, dont ces caractéristiques neurobiologiques et cli- possible de réaliser ces études. Pourtant, les
avec un retentissement médico-économique 20 % restent dans le niques, les traitements utilisés dans le traite- traitements ciblés (par voie injectable) blo-
© DR

important pour la société (environ 4 milliards circuit de soins. Ce
d’euros par an en France, dont 80 % de coûts Dr Christian Lucas maintien dans le par-
indirects). cours médical est motivé par la qualité de la
première consultation (écoute,considération,
Pourquoi la migraine soufre-t-elle eicacité des traitements). De ce fait, il existe
d’un manque de considération tant sur une forte automédication qui peut favoriser
le plan médical que sur le plan sociétal ? la chronicisation de la douleur. La migraine
Le terme « migraine » est utilisé pour difé- est une maladie neurobiologique génétique-
rents types de maux de tête, alors qu’il y a ment déterminée dans laquelle sont impli-
une définition bien précise. Seuls 6 patients qués 180 gènes, dont certains sont égale-
ment de la migraine n’étaient jusqu’à présent
pas spécifiques, ne ciblaient pas des méca-
nismes particulièrement impliqués dans le
phénomène de la migraine,comme le blocage
du CGRP.Ils n’étaient pas d’une eicacité opti-
male et étaient à l’origine d’efets indésirables
importants, comme, notamment, la prise de
poids. Les nouvelles thérapies apportent une
solution spécifique, plus eicace et beaucoup
mieux tolérée.
quant le CGRP ont obtenu une AMM et sont
remboursés sous conditions médicales dans
24 pays. En Allemagne, 26 000 patients les uti-
lisent. En France, ils sont seulement 2 000,
faute de remboursement. Seuls les patients
ayant les moyens de s’ofrir ce type de trai-
tement peuvent y accéder. Un rembourse-
ment permettrait de réduire les coûts indi-
rects liés à la maladie, principalement celui
de l’absentéisme. Gésabelle Hauray

RECONNAÎTRE LA MALADIE ET
Enjeux
MIEUX LA TRAITER GRÂCE À L’INNOVATION
Souvent banalisée, la migraine est une véritable pathologie neurologique
qui nécessite un traitement adapté. Explications de Jérôme Bancarel, Directeur
de l’unité Médecine interne et Inflammation-Immunologie chez Pfizer France.
Qui est concerné par la migraine ? Quels sont les impacts de productivité au travail au cours
La migraine est l’une des maladies de la maladie et quel est des trois derniers mois(5). En France,
© Pfizer France / DR

les plus fréquentes ; elle concerne son coût pour la société ?
près de 20 % de la population fran- La migraine a de nombreux retentis-
çaise, majoritairement des per- sements sur la vie des patients : 61 %
sonnes entre 20 et 50 ans(1). Dès des personnes migraineuses rap-
lors qu’elle est sévère, la migraine portent des douleurs et un impact
est très invalidante, et classée par de la maladie sur leurs activités so-
l’Organisation mondiale de la Santé ciales, 53 % sont sensibles au bruit, à
(OMS) parmi les 20 maladies ayant la lumière et aux odeurs(3). La moi-
le plus fort impact sociétal(1). tié des patients sévères soufrent
En efet, 40 % des migraineux ont ou ont soufert d’anxiété et/ou de
des céphalées plus de 15 jours par dépression(4). Récemment, nous
mois au cours des trois derniers avons soutenu l’étude MoiPatient
mois(2) ; c’est ce qu’on appelle une de l’association La Voix des migrai-
migraine chronique, et qui peut neux.Elle a révélé que plus des deux
être associée à un abus médica- tiers des patients interrogés ont
menteux(1). déclaré avoir perdu plus de 21 jours
La migraine est une maladie qui se traite
Dr Amine Saighi, Directeur médical Pfizer Médecine Interne et Inflammation-Immunologie.
La crise migraineuse est due à une hyper-
excitabilité neuronale, liée à des facteurs
génétiques complexes associés à des élé-
ments environnementaux(7) ; seuls 20 %
des malades bénéficieraient d'un véri-
table suivi médical(2). Pourtant, il faut à
© Pfizer France / DR
ce sont près de 20 millions de jour-
nées de travail perdues à cause de la
migraine et des dépenses de santé
annuelles estimées à près de 3 mil-
liards d’euros(1). 40 % des personnes migraineuses
sont réfractaires aux traitements « En France, ce sont
Quel est l’engagement de Pfizer spécifiques actuels ou présentent près de 20 millions
dans le traitement de la migraine ? une tolérance insuisante à ces der-
Pfizer a une expertise historique en niers(6). La migraine sévère ne tue
de journées de travail
neurologie ; nous avons fait partie de pas, mais elle tue des moments de perdues à cause
cette première révolution des anti- vie. Il faut faire évoluer la science de la migraine. »
migraineux il y a vingt ans. Notre dans ce domaine. Le besoin médi- Jérôme Bancarel
engagement se poursuit aujourd’hui cal est important et nous voulons
avec l’acquisition du pipeline dans contribuer à améliorer la prise en d’accès, qui peut être liée au
la migraine de la société biophar- charge de cette maladie chronique. manque de reconnaissance de la
maceutique Biohaven. Environ 30 à Il y a une vraie problématique pathologie. Or, notre souhait est
d’apporter des solutions le plus
rapidement aux patients qui en
ont besoin, surtout quand il y a un
besoin médical non couvert. G. H.
(1) FFN – La migraine
notamment de découvrir le rôle du CGRP coordination de l’ensemble des acteurs (2) Y.Détraigne JO Sénat 7/7/2022
(calcitonin gene related peptide) dans le est nécessaire pour améliorer le traite- (3) Paris N & al. Eur Academy of
déclenchement des crises migraineuses : ment des patients soufrant de migraine, Neurology Congress 2017
cette molécule est naturellement pro- notamment pour les formes les plus sé- (4) Lanteri-Minet & al. Rev Neurol 2016
(5) Enquête MoiPatient 2022
duite en grande quantité par l'organisme vères,et pour permettre un accès à l’inno- pour La voix des migraineux
lors d’une crise(2). Cette avancée a ouvert vation. Cela passe aussi par une meil- (6) Donnet A & al. Recommandations

la fois traiter les crises pour limiter la
sévérité et la durée de la céphalée mi-
graineuse, mais également diminuer
leur fréquence (7). La recherche a permis
la voie au développement d’une nouvelle
classe thérapeutique : les anti-CGRP. En
France,certains médicaments ne sont pas
pris en charge par le système de santé. La
leure reconnaissance de la maladie, ou 2021 migraine
encore par la mise en place de nouvelles (7) Inserm – la migraine
recommandations françaises incluant les Informations communiquées
récentes avancées thérapeutiques. G. H. en collaboration avec Pfizer
- PP-UNP-FRA-1748

Daté du 21 juin 2023, Grand Angle est édité par CommÉdition • Directeur général Éric Lista • CommÉdition, agence de communication éditoriale • www.commedition.com • Rédaction Gézabelle Hauray •
Secrétariat de rédaction Iris Mondrian • Maquette & réalisation Aline Joly (andie.j) • LA RÉDACTION DU QUOTIDIEN LE MONDE N’A PAS PARTICIPÉ À LA RÉDACTION DE CE COMMUNIQUÉ. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT. •
10 |
FRANCE
U N A N D ’A S S E M B L É E N AT I O N A L E
O
ui, on est en majorité relative.
Et alors ? » Dans la quiétude
de son bureau du ministère
des relations avec le
Parlement, Franck Riester
affiche un optimisme non
feint à l’heure d’évoquer cette législature si
particulière. Un an après le second tour des
élections législatives, le 19 juin 2022, qui a
bouleversé en profondeur les équilibres de
l’Assemblée nationale – avec la perte de la
majorité absolue pour le camp présidentiel
et l’arrivée de 89 députés du Rassemblement
national (RN) –, « la réalité, c’est que le Parle-
ment fonctionne », assure M. Riester, rappe-
lant que vingt-huit projets de loi ont été
adoptés, « dont trois seulement avec le
49.3 [cet article de la Constitution permet
d’adopter un texte sans vote] ». Minimisant
ainsi l’incapacité de l’exécutif à trouver une
majorité dans cette Assemblée sur ses deux
textes budgétaires à l’automne 2022 et sur-
tout sur sa réforme emblématique, celle des
retraites, en mars.
La sérénité du ministre des relations avec le
Parlement contraste avec la tension
constante et l’imprévisibilité qui prévaut, de-
puis maintenant un an, dans l’hémicycle du
Palais-Bourbon. « Les textes passent. Mais à
quel prix ? Celui de s’éloigner un peu plus à
chaque fois de notre capacité à réformer »,
note la vice-présidente (Horizons) de
l’Assemblée nationale, Naïma Moutchou.
Les élections législatives de 2022 ont con-
firmé la tripartition de la vie politique, avec
trois blocs principaux : au centre, les trois
groupes de la coalition présidentielle – Re-
naissance, MoDem et Horizons – avec 251 dé-
putés ; à gauche, les 151 élus de la Nouvelle
Union populaire écologiste et sociale (Nu-
pes) ; et, à l’extrême droite, les députés RN.
Mais cette 16e législature est avant tout
marquée par l’antagonisme entre le pouvoir
exécutif et le pouvoir législatif. Avec, de ma-
nière sous-jacente, une confrontation de
deux légitimités qui ne cessent de se rejouer
dans la vie parlementaire, depuis un an :
celle de l’élection présidentielle, où
Emmanuel Macron a été réélu sans élan face
à l’extrême droite ; et celle d’une Assemblée
fragmentée en dix groupes, où le chef de
l’Etat ne dispose pas d’une majorité absolue
pour appliquer à la lettre son programme.
Les premiers débats parlementaires ont été
marqués par la résurgence du clivage gau-
che-droite sur des textes comme le pouvoir
d’achat ou l’assurance-chômage. Mais l’exa-
men des budgets à l’automne et surtout de la
réforme des retraites ont exposé au grand
jour les difficultés structurelles du gouver-
nement, condamné à suivre une stratégie du
« texte par texte » portée par la première mi-
nistre, Elisabeth Borne.
Au cours de séances publiques souvent
chaotiques, chaque scrutin peut se jouer à
quelques voix près, obligeant tous les grou-
pes à surmobiliser leurs troupes dans l’Hémi-
cycle. Le cycle de la réforme des retraites, qui
aura duré cinq mois au Parlement, aura été le
paroxysme de cette première année de légis-
lature, oscillant entre luttes idéologiques et
batailles réglementaires et procédurales.
A coups de milliers d’amendements d’obs-
truction, les députés de la Nupes, et surtout
de La France insoumise (LFI), ont cherché à
délégitimer un texte impopulaire. En retour,
le gouvernement, lui, s’est empêtré dans une
« contre-obstruction » à travers une litanie de
dispositions constitutionnelles (articles 40,
44.2, 44.3, 47-1, 49.3), visant à contourner les
oppositions. « Il y a une espèce de contradic-
A l’Assemblée,
une année de tensions
entre les pouvoirs
exécutif et législatif
Tentative d’émancipation des macronistes, obstruction
de l’opposition, reprise en main du gouvernement
à coups de 49.3… La perte de la majorité absolue
par le camp présidentiel a eu de lourdes conséquences
tion entre deux régimes rendus impuissants »,
analyse le chef de file des députés socialistes,
Boris Vallaud : « Le présidentialisme rendu
impuissant par ce parlementarisme de fait ; ce
parlementarisme rendu impuissant par la
pratique cinquièmiste de l’exécutif. »
A défaut de trouver des compromis satisfai-
sants avec l’exécutif, les oppositions ont pris
l’habitude de se coaliser pour sanctionner ce-
lui-ci sur des textes plus ou moins symboli-
ques, comme la loi de programmation des fi-
nances publiques, la fin de la suspension des « C’EST QUOI
soignants non vaccinés contre le Covid-19 ou
encore le non-démantèlement d’EDF. Des vo-
CET HÉMICYCLE ?
tes « démagogiques », aux yeux du camp pré- C’EST LA SOMME
sidentiel. « En majorité relative, être dans l’op-
position vous fait porter plus de responsabili- D’INEXPÉRIENCES
tés qu’en majorité absolue », rappelle le prési-
dent Renaissance de la commission des
QUI
affaires économiques, Guillaume Kasbarian. S’ENTRECHOQUENT »
« IL FAUDRA UNE RUPTURE » BENJAMIN SAINT-HUILE
Pour les macronistes, l’échec de dix-sept mo- député du groupe LIOT
tions de censure en moins d’un an est
d’ailleurs la démonstration qu’il n’y a pas
« d’alternative à leur majorité relative », sauf à
admettre « une alliance des contraires », de la
gauche radicale à l’extrême droite. « C’est
quoi, cet Hémicycle ? C’est la somme d’inexpé-
riences qui s’entrechoquent : l’inexpérience
d’une bonne partie des élus LFI et du RN, qui
sont pour la plupart des primo-députés,
l’inexpérience de la radicalité dans les dis-
cours, et les postures et l’inexpérience de tous
ceux qui découvrent la majorité relative », ob-
serve le député du groupe Libertés, indépen-
dants, outre-mer et territoires (LIOT) du
Nord Benjamin Saint-Huile.
De rares moments de concorde subsistent
dans l’Hémicycle, grâce au vote de certaines
propositions de loi transpartisanes. Décon-
jugalisation de l’allocation adulte handica-
pée, constitutionnalisation de l’interruption
volontaire de grossesse, encadrement des
influenceurs… « Si, depuis les élections, le
Parlement est redevenu un lieu central de la
vie politique, il n’est toujours pas un lieu cen-
tral de décision », tempère la députée com-
muniste des Hauts-de-Seine Elsa Faucillon.
Pour chaque camp, l’épisode houleux des
retraites a marqué un basculement en
contribuant à radicaliser les positions, y
compris celle d’un groupe modéré comme
LIOT, qui pouvait être considéré comme un
potentiel allié de l’exécutif à l’aube de cette
législature. « Cela ne peut pas tenir quatre
ans comme ça. Il faudra à un moment une
rupture. Sinon on risque de s’affaiblir collecti-
vement », estime le député Renaissance des
Hauts-de-Seine Pierre Cazeneuve.
La Nupes, elle-même, n’est pas sortie in-
demne de cet épisode qui a ravivé les diver-
gences de stratégie entre les « insoumis »,
qui ont tout fait pour éviter un vote sur les
64 ans, et leurs alliés socialistes, écologistes
et communistes. « On a gagné la bataille
culturelle, mais on est en train de perdre la ba-
taille politique à cause de notre attitude dans
l’Hémicycle. Il nous faut un choc de crédibi-
lité », estime le député socialiste de l’Eure,
Philippe Brun, pointant du doigt les élus de
LFI. Ces derniers ont écopé d’une grande par-
tie des 95 sanctions distribuées, durant cette
première année de législature, par la prési-
dente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, et
son bureau. Un chiffre jamais atteint en si
peu de temps sous la Ve République.
Cette stratégie d’opposition frontale menée
par la Nupes est à rebours de celle opérée par
le groupe RN, piloté par Marine Le Pen. En-
core soumis au « cordon sanitaire », les élus
d’extrême droite visent le statut de la « nor-
malisation » en vue de l’élection présiden-
tielle de 2027. Le RN s’évertue à voter la grande
majorité des motions de censure déposées
par la Nupes tout en s’exprimant en faveur
des textes gouvernementaux sur le pouvoir
d’achat, sur le nucléaire ou encore sur la sécu-
rité intérieure. Il est ainsi le troisième groupe
qui vote le plus avec le camp présidentiel
après Les Républicains (LR) et LIOT.
Au milieu de l’Hémicycle, le groupe
Renaissance – avec 171 députés – a dû faire
« l’apprentissage » de cette majorité relative,
reconnaît sa présidente, Aurore Bergé. Dé-
semparés face à l’attitude hostile de la
Nupes, le manque de fiabilité des LR et l’ins-
titutionnalisation du RN, les élus macronis-
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
tes subissent également la faiblesse politi-
que d’Elisabeth Borne et de ses ministres.
Plus expérimentés et plus distants de M. Ma-
cron qu’en 2017, les députés du camp prési-
dentiel peinent aussi à comprendre le projet
de ce second quinquennat et s’inquiètent de
leur avenir, lié à un président de la Républi-
que qui ne pourra pas se représenter.
En attendant, ils tentent de porter leurs pro-
pres marqueurs politiques, au risque d’entrer
en confrontation avec la ligne gouvernemen-
tale. « Cette configuration nous donne plus de
pouvoir et je souhaite que l’on exerce pleine-
ment la liberté qui est la nôtre », explique
Mme Bergé, qui cite des propositions de loi
Renaissance adoptées sur l’accès aux soins, le
logement ou encore les relations commercia-
les entre les distributeurs et les fournisseurs.
Mais cette émancipation ne s’est pas faite
sans heurts, que ce soit avec ses partenaires
du MoDem et d’Horizons ou face aux opposi-
tions. Beaucoup reprochent aux dirigeants
du groupe macroniste de traiter leurs adver-
saires « comme des ennemis » et non comme
de potentiels alliés à convaincre pour bâtir
des majorités. La volonté récente d’Aurore
Bergé d’éjecter les vice-présidents RN, Sébas-
tien Chenu et Hélène Laporte, et « insou-
mis », Caroline Fiat, ainsi que le président LFI
de la commission des finances, Eric Coquerel,
au moment de leur renouvellement, en octo-
bre 2023, pour les remplacer par des élus LR
ou du camp présidentiel en est une nouvelle
illustration. « S’ils se mettent à nous enlever
des postes qui ont été acquis dans le consensus
entre les forces parlementaires que les Fran-
çais ont désigné, tout cela se terminera mal »,
prévient M. Chenu. La présidente de l’Assem-
blée nationale a, elle, recadré Mme Bergé : « Je
souhaite que le bureau soit stabilisé dans sa
composition actuelle », a-t-elle averti le 17 juin,
dans un entretien à l’Agence France-Presse.
« PRIS ENTRE DEUX MÂCHOIRES »
Mais pour la cheffe de file des députés
Renaissance, cette offensive vise avant tout à
envoyer un signal d’ouverture envers LR
pour la suite du quinquennat. Car la straté-
gie du groupe dirigé par Olivier Marleix reste
complexe à appréhender pour le camp prési-
dentiel.Les députés de droite sont les alliés
les plus récurrents de l’exécutif et, en même
temps, à l’origine, par leurs divisions inter-
nes et leur aversion à l’égard d’Emmanuel
Macron, du recours au 49.3 sur les retraites.
Par peur d’une dissolution précipitée, les
62 députés LR sont restés, la plupart du
temps, à distance des initiatives visant à ren-
verser le gouvernement, à l’exception de la
motion transpartisane défendue le 20 mars
par le groupe LIOT sur la réforme des retrai-
tes, où dix-neuf élus de droite s’étaient alliés
au RN et à la Nupes. Pour autant, les diri-
geants de droite écartent toute main tendue
du camp présidentiel, en revendiquant une
position d’indépendance vis-à-vis des ma-
cronistes, comme l’a rappelé le président LR
du Sénat, Gérard Larcher, samedi.
« Cela fait six ans que nous sommes pris en-
tre ces deux mâchoires que sont Emmanuel
Macron et Marine Le Pen. Donc, ce n’est pas
au moment où l’une des deux commence à
perdre ses dents que l’on va céder », fait valoir
M. Marleix. Cette relation teintée à la fois de
méfiance réciproque et d’intérêts com-
muns sera une nouvelle fois mise à
l’épreuve à l’occasion du projet de loi sur
l’immigration, qui doit être présenté au
conseil des ministres, en juillet. p
mariama darame
et jérémie lamothe
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
« A terme, le blocage législatif est suicidaire
pour le système politique tout entier »
Le politiste Olivier Rozenberg estime que les nombreux incidents et rappels à l’ordre
sont inquiétants pour le Parlement, mais aussi pour la démocratie dans son ensemble
ENTRETIEN
U n an après le second tour
des élections législati-
ves, qui a notamment
entraîné la perte de la majorité
absolue pour le camp présiden-
tiel, le politiste et chercheur au
Centre d’études européennes et
de politique comparée de
Sciences Po, Olivier Rozenberg,
tire les premiers enseignements
de cette législature hors norme.
La première année de cette
législature a été marquée
par des séances très houleuses
et une hausse des sanctions
prononcées contre les députés.
De quoi est-ce le symptôme ?
Depuis un an, quatre-vingt-
quinze sanctions ont été pronon-
cées par la présidente de l’Assem-
blée nationale, Yaël Braun-Pivet,
ou le bureau de l’institution.
Parmi ces sanctions, soixante-huit
l’ont été contre des députés de la
Nouvelle Union populaire, écolo-
giste et sociale [Nupes], principale-
ment de La France insoumise (LFI),
après avoir brandi dans l’Hémicy-
cle, le 16 mars, des pancartes au
moment du recours à l’article 49
alinéa 3 par la première ministre,
Elisabeth Borne, sur la réforme des
retraites. A titre de comparaison, il
y avait eu quinze sanctions pro-
noncées entre 2017 et 2022 et
vingt-trois entre 1958 et 2017.
On assiste donc à une véritable
explosion des sanctions. Elle ré-
sulte, en partie, de l’augmenta-
tion des tensions verbales qui
tient à la fois au nombre record
d’élus issus des extrêmes et du re-
fus de certains de jouer le jeu du
club codifié de l’institution parle-
mentaire. Certains députés LFI
notamment sont dans une straté-
gie populiste assumée. Cela s’est
illustré avec le député « insou-
mis » Thomas Portes et son tweet
où il arbore le visage d’Olivier
Dussopt [le ministre du travail]
sur un ballon. Alors que la prési-
dence lui demandait de s’excuser
en séance, il a répondu : « Je ne me
coucherai pas devant la bourgeoi-
sie. » A ce compte-là, la sanction
est presque une médaille.
Seconde explication, la majorité
relative et le suspense sur l’issue
de nombreux votes qui en dé-
coule, y compris une des motions
de censure, provoquent de la ten-
sion. Comme la majorité est ser-
rée, le gouvernement et ses dépu-
tés utilisent toutes les armes de la
procédure à leur disposition pour
contourner les oppositions. Or,
les outils ne manquent pas sous
la Ve République et chaque usage
provoque des mécontentements,
non parce qu’ils surprennent,
mais parce qu’ils réactualisent
l’infériorité procédurale de l’insti-
tution parlementaire.
Mais cette tension verbale
dans l’Hémicycle n’est-elle pas
consubstantielle à l’Assemblée,
où il y a toujours eu des coups
d’éclat ?
Les spécialistes ont tendance à
relativiser la violence des échan-
ges parlementaires en disant
qu’elle était encore plus palpable
sous la IIIe ou la IVe République.
En fait, le débat est faussé
d’avance car la notion de tension
ou les termes des insultes chan-
gent avec le temps. Donc on ne
peut faire de comparaison que
sur de courtes périodes. Et là-des-
sus, il ne fait pas de doute qu’il y a
bien plus de tensions qu’il y a
vingt ans quand presque tout le
monde s’accordait sur des règles
au sein de l’institution.
En revanche – et c’est la troi-
sième explication à la hausse des
sanctions –, on observe une plus
grande judiciarisation de la régu-
lation des comportements au sein
de l’institution. Le manque d’auto-
rité de la présidence y contribue
certainement. Surtout, la tolé-
rance à certains excès décroît et la
solution du recours à la règle for-
melle s’impose, à l’Assemblée
comme dans le reste de la société.
A cet égard, on voit que l’échelle
de sanctions inscrites dans le rè-
glement de l’Assemblée est dépas-
sée. Les deux premières sanctions
ne sont que symboliques. Cela
comptait beaucoup dans une ins-
titution où l’on partageait des va-
leurs communes, c’est moins le
cas aujourd’hui. Celles qui comp-
tent vraiment sont la troi-
sième, une retenue de la moitié
de l’indemnité parlementaire sur
un mois, et la quatrième, une sus-
pension de quinze jours de séance
en plus de la privation de la moitié
de l’indemnité parlementaire
pendant deux mois. Il est clair que
ce n’est pas assez proportionné.
Outre la tension de plus en
plus exacerbée entre les grou-
pes parlementaires, qu’est-ce
qui vous a le plus marqué
dans ce début de législature ?
Avant tout, il y a l’obstruction.
Sur la réforme des retraites, il est
dramatique pour l’institution
que les députés n’aient pas dis-
cuté et voté l’article 7 du texte [où
« DEPUIS UN AN,
QUATRE-VINGT-QUINZE
SANCTIONS ONT
ÉTÉ PRONONCÉES
PAR LA PRÉSIDENTE
DE L’ASSEMBLÉE
NATIONALE
OU PAR LE BUREAU
DE L’INSTITUTION »
figurait le report de l’âge légal de
départ de 62 à 64 ans] à cause de
l’obstruction de LFI. Cela donne le
sentiment que ce groupe a cher-
ché à se prévaloir d’une absence
de légitimité démocratique qu’il a
lui-même organisée.
Même si l’obstruction est un
phénomène ancien, elle pèse da-
vantage sur le fonctionnement de
l’Assemblée compte tenu de la fai-
blesse numérique de la majorité.
Quand il y a une majorité absolue,
le pouvoir a les moyens de passer
outre plus facilement par des vo-
tes bloqués, en accélérant les dé-
bats… Là, c’est beaucoup plus com-
pliqué, chaque décision de procé-
dure va être contestée et peut en-
traîner la défaite de la majorité.
Le gouvernement est-il
condamné à subir son état
de « minorité » au Parlement ?
Pour un gouvernement minori-
taire, le plus grand risque c’est
l’immobilisme. Durant les pre-
miers mois de la législature, l’exé-
cutif a réussi à négocier avec Les
Républicains (LR) sur le pouvoir
d’achat, avec la gauche sur les
énergies renouvelables, avec LR et
le Parti communiste sur le nu-
cléaire, donc il n’y a pas de fatalité
culturelle française. Depuis les
budgets et la réforme des retraites,
cette méthode ne marche plus, et
il y a un doute sur le fait que cela
puisse fonctionner à nouveau.
S’il n’y arrive pas, ou seulement
sur les textes comme la loi de pro-
grammation militaire, je ne vois
pas ce que le camp présidentiel
peut faire pendant quatre ans. A
terme, le blocage législatif est sui-
cidaire pour le Parlement, mais
aussi pour le système politique
tout entier. Sur l’immigration,
par exemple, qui est quand
même une préoccupation en
France, s’il n’y a pas de lois in fine,
après des mois de déclarations
sur le thème « on y va, on n’y va
De gauche à
droite : Elisabeth
Borne prend
la parole
à l’Assemblée
nationale,
le 6 juin.
Le député du RN
Jean-Philippe
Tanguy discute
avec Marine
Le Pen, le 8 juin.
La présidente
du groupe LFI,
Mathilde Panot,
lors des débats
sur la réforme
des retraites,
le 8 juin.
JULIEN MUGUET
POUR « LE MONDE »
pas », cela donnera le sentiment
que les questions ne sont pas trai-
tées par le politique et ça ouvre la
voie dans l’opinion au désir de so-
lutions plus autoritaires.
La culture politique et
parlementaire française,
fondée sur la conflictualité,
explique-t-elle cette absence
de dialogue et de compromis
à l’Assemblée ?
S’il y a un biais français, il est
plus lié à la structure d’incitation
imposée par la conjonction du
mode de scrutin majoritaire pour
les législatives et de la présiden-
tielle. Les partis politiques pivots,
LR et Parti socialiste, n’ont pas
vraiment intérêt à s’entendre
avec la majorité. Et de son côté, la
majorité n’a pas tellement envie
non plus de leur tendre la main.
Si l’on passe à la proportionnelle,
c’est autre chose, aucun d’entre
eux ne pourra tout d’un coup es-
pérer être majoritaire. Cela pous-
sera davantage au compromis. Ce
qui interroge aussi sur la suite du
quinquennat : comment trouver
des majorités avec un tel indivi-
dualisme à l’intérieur des groupes
et des partis, notamment chez LR ?
La Ve République est au cœur
de toutes les critiques sur
son hyperprésidentialisme,
certains articles de la Constitu-
tion comme le 49.3 sont perçus
comme l’expression d’une
pratique autoritaire du pou-
voir. Est-ce un régime profon-
dément antiparlementaire ?
La Ve République est bien plus
parlementaire qu’on ne le dit. Le
contrôle parlementaire est beau-
coup plus rigoureux que dans les
années 1960-1970, la part des tex-
tes d’origine parlementaire dans
la législation n’a jamais été aussi
importante… Mais personne ne
le voit vraiment compte tenu de
la domination du président de la
République sur le gouvernement
et l’actualité médiatique. L’utili-
sation à outrance des outils du
parlementarisme rationalisé de-
puis un an, notamment du 49.3,
vient renforcer cette perception à
mon sens biaisée. Outre que cela
ne rend pas justice au dévoue-
ment et à la rigueur de bien des
députés, cette sorte de négation-
nisme dévalorise tout projet de
réformisme institutionnel précis
au profit d’un grand soir consti-
tutionnel. p
propos recueillis par
mariama darame
et jérémie lamothe
Ferrand empêtré dans la
polémique du troisième
mandat présidentiel
L’ancien président de l’Assemblée nationale
regrette qu’Emmanuel Macron ne puisse pas
se présenter de nouveau en 2027
U ne maladresse, à moins
d’un aveu inconscient ?
Depuis l’entretien qu’il a
accordé au Figaro dimanche
18 juin, Richard Ferrand, ancien
président de l’Assemblée natio-
nale, tente d’éteindre la polémi-
que qu’il a lui-même déclenchée.
Dans le quotidien, ce très proche
d’Emmanuel Macron, resté silen-
cieux depuis sa défaite aux élec-
tions législatives de juin 2022, dit
regretter que le chef de l’Etat ne
puisse se représenter en 2027 et
laisse entendre qu’il faudrait ré-
former la Constitution. « A titre
personnel, je regrette tout ce qui
bride la libre expression de la sou-
veraineté populaire », défend-il,
déplorant la « limitation du man-
dat présidentiel » qui « corsète no-
tre vie publique ». « Changeons
tout cela, appelle-t-il de ses vœux,
en préservant le bicamérisme et le
Conseil constitutionnel, gardien
vigilant des principes républicains
et des libertés publiques. »
Il n’en fallait guère davantage
pour que les oppositions soup-
çonnent M. Macron de vouloir
prolonger une décennie de pou-
voir suprême. « Et pourquoi pas
restaurer l’empire avec Macron Ier ?
Richard Ferrand, le visage de la dé-
rive autocratique de la Macronie »,
a accusé la cheffe de file des dépu-
tés La France insoumise, Mathilde
Panot, sur Twitter.
« Modifier la Constitution pour se
permettre de rester au pouvoir. Les
deux derniers à l’avoir fait s’appel-
lent Xi Jinping et Vladimir Poutine…
Voilà donc le plan démocratique
d’Emmanuel Macron ? », s’inter-
roge le sénateur (Les Républicains,
Côte-d’Or), Alain Houpert.
Le président de la République
envisage une vaste réforme insti-
tutionnelle, mais n’a jamais publi-
quement évoqué l’idée de retou-
cher l’article 6 de la Constitution,
selon lequel le locataire de l’Elysée
« ne peut exercer plus de deux man-
dats consécutifs ». Ce qui empêche
donc l’actuel chef de l’Etat de bri-
guer un nouveau mandat en 2027.
Dans un entretien au Point, en
avril 2022, Emmanuel Macron
n’évoquait qu’un retour au sep-
tennat, assorti d’une « respiration
démocratique » à mi-mandat. « La
question du retour au septennat
doit être posée. Il faut instaurer
une respiration démocratique à
mi-mandat, avec les élections lé-
gislatives », répète le chef du parti
Renaissance, Stéphane Séjourné,
dans Le Figaro, le 12 janvier.
« A la différence d’un despote… »
En droit, la manœuvre qui permet-
trait à M. Macron de se représenter
dès 2027 existe, sous réserve
qu’elle soit votée à l’identique par
les deux Chambres, puis à la majo-
rité des trois cinquièmes des suf-
frages exprimés du Parlement
réuni en Congrès. « Dans la
Constitution, on peut faire ce qu’on
veut. Rien ne l’interdit », estime
Jean-Philippe Derosier, professeur
de droit public.
Dans les faits, ce scénario reste
en France improbable, a fortiori
dans un contexte de majorité rela-
tive au Palais-Bourbon et d’un
Sénat dominé par la droite. Mais,
étrange paradoxe, c’est par
Richard Ferrand, qui présida l’As-
semblée nationale durant près de
quatre ans, que ressurgit la petite
musique autour d’un troisième
mandat présidentiel. De même
qu’il a porté haut la menace d’une
dissolution, esquissée lors d’un dî-
ner à l’Elysée fin 2022, l’ex-député
du Finistère semble planter une
épine dans la réforme constitu-
tionnelle de 2008, qui visait à ren-
forcer les pouvoirs du Parlement.
« A l’époque, Nicolas Sarkozy re-
cherchait la démocratisation », se
france | 11
« Le président
est le seul élu
concerné
par la limitation
du nombre
de mandats »
SACHA HOULIÉ
député Renaissance
de la Vienne
souvient Jack Lang, ancien vice-
président de la commission
Balladur, qui avait planché en
2007 sur cette modernisation des
institutions. « Notre régime est
trop présidentialiste, ce n’est pas la
réélection indéfinie du président de
la République qui va démocratiser
le système ! », maintient aujour-
d’hui le président de l’Institut du
monde arabe qui, en 2008, avait
été le seul député socialiste à voter
la révision constitutionnelle criti-
quée par la gauche.
Malgré l’activisme de Jack Lang,
le comité Balladur n’avait pas pro-
posé de limiter le cumul des man-
dats dans le temps. C’est le chef de
l’Etat lui-même qui avait pris les
devants au nom… de la respiration
démocratique. « Je rappelle qu’à la
différence d’un despote, je suis élu.
A la différence d’un despote, je li-
mite le nombre de mandats succes-
sifs du président », revendiquait
même M. Sarkozy dans un entre-
tien au Monde, le 16 juillet 2008.
Fixer « une ligne » au pouvoir,
était, à ses yeux, « être démocrate,
profondément démocrate ».
Sous le second quinquennat de
M. Macron, l’argument inverse re-
vient comme un leitmotiv. Pour-
quoi limiter la liberté des élec-
teurs, interrogent les défenseurs
des mandats illimités, à l’instar de
Richard Ferrand ? L’ancien occu-
pant du perchoir tente, depuis di-
manche, de dissiper le trouble sur
les intentions du chef de l’Etat.
Après avoir fustigé sur Twitter
un « panurgisme imbécile » des op-
positions et des médias, il a assuré
sur Sud Radio qu’« on ne change
pas les règles du jeu en cours de
match ». Auprès du Monde, il fait
valoir une « pensée autonome » de
celle de M. Macron : « Mon propos
ne consistait pas à dire qu’il fallait
changer des règles en vue de 2027
mais que, d’une manière générale,
il fallait permettre à notre démo-
cratie, à mon avis, de respirer
mieux. » Un refrain entonné de
longue date à droite et éloigné de
la Macronie originelle, qui clamait
que l’engagement politique ne de-
vait pas être un « cursus à vie ».
En 2017, Emmanuel Macron
avait proposé de limiter à trois le
nombre de mandats successifs
des parlementaires, maires et élus
à la tête d’exécutifs locaux. Au
Congrès de Versailles de juillet
2018, le chef de l’Etat vantait une
« clé de voûte d’un renouvelle-
ment », qui « deviendra le rythme
normal de la respiration démocra-
tique ». Un discours que les ma-
cronistes réinterprètent en rêvant
de décorseter leur champion.
« Le président est le seul élu
concerné par la limitation du
nombre de mandats, déplore le
député (Renaissance) de la Vienne
Sacha Houlié, président de la
commission des lois. Soit on li-
mite tout le monde ; soit personne
n’est concerné. » Quitte à plaider
pour une réforme ? Sans emboî-
ter le pas de Richard Ferrand, les
fidèles d’Emmanuel Macron sou-
lignent, à l’unisson, que la Consti-
tution ne limite la présidence
qu’à deux mandats… successifs. p
claire gatinois
et ivanne trippenbach
12 | france 0123
MERCREDI 21 JUIN 2023

Le Maire tente de clore

COLLECT I VI T ÉS
La maire de Saint-Brevin 50 centimes d’euros par boîte Bercy. Le président (La France in-
va déposer une (dans la limite de 50 euros par an) soumise) de la commission des fi-
quatrième plainte n’a pas bougé depuis 2008, pes- nances de l’Assemblée nationale a

le « quoi qu’il en coûte »

La maire de Saint-Brevin-les- tent les budgétaires de Bercy. déploré l’absence de prise en
Pins (Loire-Atlantique), Doro- Second axe d’économie, celui-là compte du financement de la
thée Pacaud (sans étiquette), déjà évoqué par l’exécutif : les cou- transition climatique : « Rien
s’apprête à déposer une pes dans les politiques du loge- qu’avec la crise écologique, on ne
quatrième plainte contre les ment – fin de la niche Pinel et re- peut pas dire qu’on est revenu
« intimidations » de l’extrême
droite, a-t-elle annoncé,
Le ministre de l’économie a promis lundi « au moins centrage du prêt à taux zéro, an-
noncés il y a deux semaines par
à une situation normale. Dire que
le “quoi qu’il en coûte” est derrière
lundi 19 juin, à l’Agence Fran-
ce-Presse. « Il faut couper
10 milliards d’euros d’économies» dans le budget 2024 Elisabeth Borne dans son plan lo-
gement, pour une économie de
nous, ça n’existe pas ! »

court à ces intimidations plus de 2 milliards d’euros à Fin des boucliers énergétiques
et à ces incitations à la haine moyen terme – et du travail. M. Le Maire a aussi confirmé la fin

U
et à la violence et arrêter
de faire des gens des cibles »,
a déclaré l’édile. Son prédé-
cesseur, Yannick Morez, avait
démissionné le 9 mai après
avoir été visé par des mena-
ces et des violences venues
de l’extrême droite à cause
d’un projet de transfert d’un
centre d’accueil de deman-
deurs d’asile dans la station
balnéaire. – (AFP.)
Un maire du Vaucluse
démissionne après
l’agression d’un adjoint
Le maire du village de Lauris
(Vaucluse), André Rousset,
ainsi que les membres de
son groupe au conseil muni-
cipal ont annoncé, lundi,
avoir présenté leur démis-
sion de leurs fonctions après
l’agression, le 13 juin, d’un
adjoint par un administré
de la ville qui avait demandé
de l’aide après les violents
orages ayant touché la ré-
gion et sa maison. L’agres-
seur présumé a été déféré
en vue de sa convocation de-
vant un juge et placé « sous
contrôle judiciaire avec inter-
diction d’entrer en contact
avec la victime », a déclaré
la procureure de la Républi-
que d’Avignon, Florence
Galtier. – (AFP.)
n rassemblement de
quelque 200 élus, par-
lementaires et direc-
teurs d’administra-
tions, des annonces couvrant l’en-
semble des politiques publiques
et une première ministre, Elisa-
beth Borne, réduite à un discours
conclusif d’à peine plus d’un quart
d’heure : alors que les couloirs des
ministères bruissent de rumeurs
de remaniement, c’est un Bruno
Le Maire particulièrement volon-
tariste qui a présidé, lundi 19 juin,
les assises des finances publiques.
D’abord prévu pour février,
puis avril, l’événement a occupé la
matinée, au septième étage de
Bercy, autour d’un sous-titre sans
équivoque : « désendetter la
France ». La dette publique a at-
teint 111,6 % du produit intérieur
brut (PIB) du pays au terme de
trois années de crise sanitaire et
énergétique, et l’exécutif a senti le
vent du boulet en passant près de
la dégradation par l’agence de no-
tation Standard & Poor’s, en juin.
Dans ce contexte, le message du
ministre de l’économie et des fi-
nances s’est voulu clair. « Nous
sortons des temps exceptionnels.
Nous devons revenir à la normale
en matière de dépenses publi-
ques », a insisté M. Le Maire, ar-
guant de la nécessité de « res-
pect[er] nos engagements auprès
de nos électeurs ». Mais aussi dans
un souci de « crédibilité auprès de
nos partenaires européens ».
L’ex-élu du parti Les Républicains
(LR) ne s’est toutefois pas privé
d’élargir son propos : « Derrière la
question des finances publiques (…)
se pose une question plus fonda-
mentale (…) Voulons-nous être une
nation de redistribution ou une na-
tion de production ? » En privé, ce-
lui qui tente en vain depuis
deux ans de siffler définitivement
la fin du « quoi qu’il en coûte » dé-
plore qu’« on ne tape à [s]a
porte que pour demander de l’ar-
gent et de la redistribution ». Et s’il
réfute tout appel du pied à la
droite, ses annonces de lundi se
voulaient marquées du sceau de la
responsabilité budgétaire.
A l’heure où son collègue, le mi-
nistre délégué aux comptes pu-
blics, Gabriel Attal, termine les tra-
ditionnelles réunions d’arbitrage
« On va faire
des économies
sur la santé
ou le logement,
ça me sidère »
ÉRIC COQUEREL
président (LFI) de
la commission des finances
de l’Assemblée nationale
budgétaire avec les ministères en
vue de la construction du projet de
loi de finances (PLF) 2024, présenté
en septembre, Bruno Le Maire
a promis « au moins 10 milliards
d’économies » – et plus probable-
ment 12 milliards – en 2024. Une
partie de ces sommes proviendra
des « revues de dépense » menées
depuis la fin 2022 par ses adminis-
trations, et qui vont être recondui-
tes chaque année, dans le but de
dégager, d’ici à 2027, une enve-
loppe d’un montant similaire
(10 milliards d’euros).
Un message de fermeté
Bruno Le Maire a pour cela évoqué
trois champs d’économies.
D’abord les dépenses de soin. Le
coût des arrêts-maladie ayant gon-
flé d’un tiers en dix ans (pour un
total de 16 milliards d’euros de dé-
penses), il estime que les indemni-
tés journalières pourraient être
davantage à la charge des entrepri-
ses. « L’absentéisme n’est pas une
fatalité », a-t-il asséné, en propo-
sant aux « parties prenantes » de
« travailler ensemble », afin de « lut-
ter contre ces dérives ». Un mes-
sage de fermeté qui rappelle ses
propos controversés tenus à la mi-
avril sur la fraude sociale.
Quant au remboursement de
médicaments, il mérite d’être
« plus strict », selon le ministre de
l’économie. Le reste à charge de
« Quand le taux de chômage dimi-
nue, le coût des aides à l’emploi doit
diminuer », a plaidé Bruno Le
Maire. Il entend réduire le prix
payé par l’Etat aux centres de for-
mations d’apprentis, afin de
« compenser certains abus sur les
marges ». Autre piste : « Introduire
un ticket modérateur sur le compte
personnel de formation, pour res-
ponsabiliser les utilisateurs. » Les
opérateurs de l’Etat – ces grands
établissements publics ou privés
placés sous le contrôle de Bercy
comme les universités, Pôle em-
ploi, Météo-France…) verront, eux,
leur trésorerie « limitée ».
Enfin, troisième axe : le verdisse-
ment de la fiscalité, avec la sup-
pression des niches « brunes », ces
avantages dont bénéficient les en-
treprises en lien avec les énergies
fossiles, comme celui sur le gazole
non routier. Ce dernier point ne se
fera toutefois que de manière
« progressive », d’ici à 2030, a con-
cédé M. Le Maire. De sorte que, si la
contribution des trois axes aux
économies n’est pas arrêtée, les
mesures sur la santé et sur l’em-
ploi devraient s’appliquer les pre-
mières, indique son entourage.
De quoi faire bondir à gauche.
« Les efforts demandés vont porter
sur les usagers et les salariés, et on
va faire des économies sur la santé
ou le logement, ça me sidère », a
réagi Eric Coquerel, invité lundi à
des boucliers énergétiques. Celui
sur le gaz, qui n’est « plus néces-
saire », s’arrêtera dès ce mois
de juin (il coûtait quelque 2 mil-
liards d’euros) et celui sur l’électri-
cité, fin 2024. « Nous arrêterons les
chèques exceptionnels », a assuré
le ministre, qui entend aussi « an-
nuler une partie » du 1,8 milliard
de crédits récemment gelés par
précaution cette année. Autant de
manières de tenir les objectifs de
déficit public que s’est fixés le
gouvernement : 4,9 % du PIB
en 2023 et 4,4 % en 2024.
Pas suffisant, en revanche, pour
mener jusqu’au bout la trajec-
toire de redressement des finan-
ces publiques envoyée en avril
par Bercy à Bruxelles, et qui pré-
voit d’abaisser la dette de plus de
trois points de PIB et de ramener
le déficit budgétaire à 2,7 % en fin
de quinquennat. « Faire 10 mil-
liards d’euros d’économies structu-
relles revient à réduire le déficit de
0,1 point de PIB par an. Ce n’est pas
négligeable, mais ça ne suffira ni à
repasser sous les 3 % de déficit ni
à financer les nouveaux investisse-
ments (transition, défense…) », es-
time Mathieu Plane, économiste
à l’Observatoire français des con-
jonctures économiques. « Le bou-
clage du prochain budget exigera
des choix difficiles », a conclu Elisa-
beth Borne. A bon entendeur. p
audrey tonnelier

La réforme des retraites ne suffira pas

à rééquilibrer le système d’ici à 2030
Le rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites montre
que les régimes de pensions seraient déficitaires

C ontrairement à ce qu’avait et 2020 (+ 0,7 %). Dans les autres privé seraient excédentaires dès
HORS-SÉRIE
SAISON 2

pronostiqué le gouverne- hypothèses de croissance de la à présent et pour les quarante-

300 QUESTIONS ment, le système de retrai- productivité, les caisses de re- cinq années à venir. Quant aux

DE CULTURE GÉNÉRALE
tes ne devrait pas renouer avec
l’équilibre financier en 2030. C’est
l’un des enseignements du
par les journalistes du Monde
rapport annuel du Conseil d’orien-
tation des retraites (COR), qui doit
être rendu public jeudi 22 juin et
que Le Monde a pu consulter dans
une version quasi définitive, lundi
19 juin. Après trois exercices excé-
dentaires en 2021, 2022 et 2023, les
régimes de pension devraient, par
la suite, être déficitaires, avec un
solde entre les dépenses et les re-
cettes qui serait légèrement néga-
tif en 2030, le « trou » représentant
entre – 0,2 % et – 0,3 % du produit
intérieur brut (PIB), selon les scé-
narios.
Cette projection, si elle se con-
firmait, tendrait à montrer que la
réforme des retraites promul-
guée le 14 avril n’atteindrait pas
tout à fait son objectif : l’exécutif
ambitionnait de ramener le dis-
positif sur la ligne de flottaison
en 2030, en repoussant l’âge lé-
gal de départ de 62 ans à 64 ans et
en accélérant la mise en applica-
tion de la loi de janvier 2014 sur
l’allongement de la durée de coti-
Et si vous jouiez avec vos connaissances ? Et si revenait le plaisir de cet effort sation requise pour avoir droit
si particulier qui consiste à retrouver une date, un lieu, un nom, un événement, au taux plein. De tels chiffrages
le titre d’un livre, un chiffre significatif ? sont susceptibles d’accréditer la
Ce hors-série saison 2 vous invite à cultiver vos savoirs de façon ludique, à travers thèse selon laquelle les mesures
prises récemment ne seraient
de nouvelles questions, les extraits d’articles et nouvelles infographies du Monde. pas suffisantes pour rééquilibrer
La satisfaction de comprendre, d’apprendre, de mémoriser. le système et qu’il en faudrait
d’autres, à terme.
Les régimes, regardés dans leur
300 QUESTIONS DE CULTURE GÉNÉRALE - SAISON 2 globalité, ne sortiraient de la zone
rouge qu’à la fin des années 2040,
Un hors-série du « Monde » dans le scénario le plus optimiste,
100 pages - 8,95 € avec une productivité progres-
Chez votre marchand de journaux et sur lemonde.fr/boutique sant de 1,6 % par an en moyenne,
soit un taux plus que deux fois su-
périeur à celui observé entre 2009
traite resteraient durablement
déficitaires, avec des besoins de fi-
nancement oscillant entre 0,2 %
et 1,6 % du PIB en 2070.
Pour autant, il ne faut pas en dé-
duire que les changements de pa-
ramètres récemment adoptés
n’ont aucun impact. L’accroisse-
ment des dépenses de pensions
devrait être freiné : alors qu’elles
avaient connu une hausse de 1,8 %
par an en moyenne entre 2002 et
2022, le tempo se ralentirait, redes-
cendant entre 1,3 % et 1,4 % en
moyenne annuelle entre 2023 et
2030. Grâce à cette évolution, la
part de richesse nationale consa-
crée au paiement des retraites re-
culerait légèrement, passant de
13,7 % du PIB en 2022 à 13,5 %
en 2030. « Sans la réforme, ce ratio
serait resté globalement stable sur
cette période », souligne le COR.
Situations diverses
Précision importante : les situa-
tions sont extrêmement diverses
d’un dispositif à un autre. Ainsi,
les régimes de base des salariés du
privé et le fonds de solidarité qui
finance le minimum vieillesse se-
raient à l’équilibre durant les an-
nées 2030, puis leurs comptes se
dégraderaient « continûment dans
trois scénarios sur quatre ». Les
caisses de la fonction publique et
assimilées, de leur côté, affiche-
raient un solde négatif jusqu’en
2070, quelle que soit l’hypothèse
de croissance envisagée, du fait
notamment des difficultés de tré-
sorerie rencontrées par le régime
des agents hospitaliers et des fonc-
tionnaires territoriaux.
En revanche, les caisses com-
plémentaires des salariés du
dispositifs pour les travailleurs
non salariés, ils seraient de nou-
veau dans le vert à partir du mi-
lieu des années 2030.
Le rapport fournit des éclairages
très intéressants sur les inciden-
ces concrètes de la réforme. Les
assurés seront – évidemment –
conduits à décaler l’âge auquel ils
prendront leur retraite, mais ce
report sera plus marqué pour les
femmes que pour les hommes :
par exemple 7,8 mois en plus dans
le premier cas contre cinq mois
et demi supplémentaires dans le
second, pour la génération 1972.
La loi du 14 avril se traduira par
des pensions un peu plus élevées
que celles qui auraient été accor-
dées sans réforme, puisque les in-
dividus augmenteront leurs
droits à l’assurance-vieillesse en
restant en activité plus long-
temps, avec – bien souvent – de
hautes rémunérations. Le gain se-
rait plus marqué pour les femmes
que pour les hommes : + 3,4 %
contre + 1,7 %, s’agissant de la gé-
nération née en 1984.
Si l’on raisonne sur le montant
total de retraites perçues (jus-
qu’au décès, donc), les résultats
sont contrastés : ils sont positifs
pour tout le monde, quand on
s’intéresse à la génération 1984
(+ 0,9 %), mais négatifs si on
prend en considération ceux nés
en 1966 (– 1 %), sachant que les
femmes s’en sortent mieux que
les hommes, quel que soit le cas
de figure examiné. Enfin, « les
personnes au chômage avant la
retraite seraient les plus perdan-
tes à la réforme », quelle que soit
la génération étudiée. p
bertrand bissuel
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
Vivre au long cours en hébergement d’urgence
Plusieurs familles près de Lyon racontent leur quotidien, alors que les associations s’inquiètent de la situation
TÉMOIGNAGES
lyon et tassin-la-demi-lune
(rhône) - envoyée spéciale
M
ohammed a 6 ans.
Il a presque tou-
jours vécu dans cet
apparthôtel de Tas-
sin-la-Demi-Lune, à la périphérie
de Lyon, dans le même studio que
ses parents et son frère de 12 ans.
Ses sœurs aînées, 17 ans et 21 ans,
vivent dans des chambres sur le
même palier, après avoir dû, pen-
dant des années, descendre
deux étages pour aller dormir et
faire leurs devoirs.
L’hébergement à l’hôtel repré-
sente une part croissante de l’hé-
bergement d’urgence, que l’Etat a
portée à un niveau record à l’hiver
2022-2023 : 205 000 personnes ont
été accueillies, sans toutefois em-
pêcher une recrudescence du
nombre de celles à la rue. Et cet hé-
bergement d’urgence porte de
moins en moins bien son nom,
tant il dure : 2,5 ans en moyenne en
Ile-de-France, au lieu de 1,6 an
en 2015. Dans le Rhône, 25 % des
personnes hébergées fin
2019 l’étaient depuis plus de
trois ans. Fin 2022, cette durée est
passée à plus de quatre ans. Et ce
malgré le plan logement d’abord,
qui a permis à 440 000 personnes
sans domicile d’accéder à un loge-
ment depuis 2017, et dont la suite
était dévoilée mardi 20 juin.
« Ici, c’est mieux que le centre
d’hébergement d’urgence du dé-
but, quand les sanitaires et les cuisi-
nes étaient collectifs », salue Maissa
(les personnes citées par leur pré-
nom souhaitent rester anony-
mes), la mère de Mohammed, au
visage avenant. C’est aussi mieux
que la plupart des hôtels qui font
de l’hébergement d’urgence – il est
rare de pouvoir y préparer un re-
pas, les chambres sont générale-
ment étroites, les problèmes de ca-
fards ou de punaises de lit fré-
quents. « On essaie de loger dans
des apparthôtels, plus adaptés, les
familles qui risquent de rester long-
temps », explique Romain Gachet,
responsable de la cellule « hôtel »
créée par l’association Le Mas et fi-
nancée par la préfecture du Rhône,
donc l’Etat.
Promiscuité au quotidien
Maissa et son mari, Hocine, ont été
bloqués dans l’hébergement d’ur-
gence faute d’être en situation ré-
gulière et d’avoir le droit de tra-
vailler. Leurs aînées sont nées en
France, quand ils louaient un ap-
partement. Par deux fois, ils sont
rentrés en Algérie « parce que la fa-
mille avait besoin de nous », remet-
tant à zéro le compteur en vue
Des moyens pour faciliter l’accès au logement des sans-domicile
Le ministre Olivier Klein devait détailler, mardi, le deuxième plan quinquennal Logement d’abord, très attendu
L ongtemps attendue, la
suite du plan Logement
d’abord devait être présen-
tée, mardi 20 juin, par le ministre
délégué au logement, Olivier
Klein. Lancé en 2017 par Emma-
nuel Macron, qui disait ne plus
vouloir « d’hommes et de femmes
à la rue », ce plan a permis, en
cinq ans, à 440 000 personnes
sans domicile d’accéder à un lo-
gement, sans forcément passer
par l’hébergement d’urgence et
sans le long parcours d’insertion
auparavant requis. Le deuxième
plan, lui aussi quinquennal, en-
tend « réitérer ce rythme (…) pour
sortir plus de 80 000 personnes
de la rue en dix ans », a déclaré
Olivier Klein, dans un entretien
au quotidien La Croix, un jour
avant de détailler ses mesures,
auxquelles Le Monde a eu accès.
Le gouvernement compte « in-
tensifier » les attributions de lo-
gements sociaux en faveur de
d’une carte de séjour. Ils sont reve-
nus. « Nos filles ne se voyaient pas
vivre ailleurs qu’ici », explique sim-
plement leur père.
Ils s’estiment chanceux d’avoir
un toit. A force de questions, ils
surmontent leur pudeur pour ra-
conter la promiscuité au quoti-
dien : une table basse dépliée pour
les repas, des matelas installés par
terre pour la nuit, les devoirs faits
dans la salle de bain. Priée d’évo-
quer l’année où elle a préparé et
réussi son bac, l’aînée, Katia, s’ex-
cuse : « Je n’ai pas les mots. »
Tout leur rappelle qu’ils ne sont
pas chez eux. Il a fallu s’engager
par écrit à ne rien accrocher au
mur, à ne pas ajouter d’électromé-
nager – ils font la lessive à la main,
faute de pouvoir payer les 5 euros
par machine de l’apparthôtel. Ils
vont chercher leur courrier
auprès d’une association du cen-
tre de Lyon. Ils ne peuvent pas
laisser les enfants jouer au pied
du bâtiment, afin de ne pas gêner
la clientèle classique.
« Tout ce que l’on possède, même
dans les placards, se trouve dans
des cabas, comme si l’on partait
demain. Et l’on ne sait pas si l’on
part demain », glisse la mère de fa-
ménages ou individus sortant de
la rue ou de l’hébergement d’ur-
gence, qui avaient permis de lo-
ger la majorité des bénéficiaires
du premier plan. Ces attribu-
tions sont déjà passées d’environ
19 000 à 27 600 par an, soit une
hausse de plus de 45 % en
cinq ans.
Un des outils consiste à « main-
tenir une ambition forte » sur la
production de logements très so-
ciaux (dits PLAI et PLAI adaptés,
car financés par le Prêt locatif aidé
d’intégration), aux loyers moins
chers. Le premier plan n’a pas per-
mis de créer, comme escompté,
40 000 logements de ce type cha-
que année. Cette fois, le ministère
souhaite qu’ils représentent 35 %
de la production totale de loge-
ments sociaux – production pour
laquelle les objectifs annuels
n’ont pas encore été fixés.
L’accent sera à nouveau mis sur
l’intermédiation locative, qui
« Tout ce
qu’on possède
se trouve dans
des cabas,
comme si on
partait demain »
MAISSA
bénéficiaire d’un
hébergement d’urgence
mille, qui a pris beaucoup de
poids à force de stress. Ils ont vu
des voisins de longue date s’en al-
ler soudain, sans avoir le choix,
parce que des places se libéraient
dans un centre d’hébergement.
Ils se souviennent que, après
avoir dû changer à deux reprises
d’école en cours d’année, leur ca-
det a redoublé autant de fois – il a
depuis sauté une classe.
Le couple espère pouvoir partir
de lui-même, bientôt, puisqu’il
vient d’être régularisé. Maissa a
aussitôt signé un CDI comme
aide à domicile. « Je suis prête à
travailler le jour et la nuit pour
avoir un appartement », rit-elle.
consiste, pour une association, à
accompagner une personne pré-
caire en lui sous-louant à petit
prix un logement du parc privé.
Le premier plan a permis de dou-
bler ces dispositifs, pour attein-
dre 40 000 places. La deuxième
mouture prévoit 30 000 nouvel-
les places. « C’est un objectif réa-
liste, car il est difficile de capter
des logements dans le parc privé,
la fiscalité n’est pas suffisamment
incitative pour les propriétaires »,
regrette Sébastien Cuny, délégué
général de la Fédération des as-
sociations et des acteurs pour la
promotion et l’insertion par le
logement (Fapil).
Seront également ouvertes
10 000 places dans des pensions
de famille, qui favorisent la réin-
sertion en mixant logements in-
dividuels et espaces et activités
communs. Elles s’ajouteront aux
7 200 places issues du premier
plan. Le dispositif Un chez soi
Hocine, qui gérait la paie d’un hô-
pital en Algérie, a hâte de com-
mencer, à 60 ans, comme agent
d’entretien. « Une fois leurs pa-
piers obtenus, les personnes que
nous accompagnons trouvent
très vite un emploi », constate Ro-
main Gachet, du Mas.
Nune Harutyunyan, qui vit dans
le même apparthôtel, vient d’ob-
tenir son titre de séjour, à la diffé-
rence de son compagnon, Artok
Gregeryan. Ils sont arméniens.
Réfugiés en France voilà presque
sept ans, ils n’avaient pas obtenu
l’asile. Le couple accueille Romain
Gachet avec des pâtisseries et des
caramels faits maison. « On veut
remercier Le Mas, c’est une très
bonne association », explique
cette mère de famille énergique,
dans un français presque fluide.
« Une impasse collective »
Faute d’avoir pu travailler jus-
qu’ici, Nune s’est engagée comme
bénévole à la Croix-Rouge, tandis
qu’Artok, carreleur, « donne des
coups de main. C’est mieux que de
rester sans rien faire. » Ils subsis-
tent avec leurs deux enfants grâce
aux associations d’aide alimen-
taire et aux 55 euros de Chèques
d’abord, destiné aux personnes
souffrant de troubles psychi-
ques, doit être étendu au pu-
blic jeune, et développé dans
les villes moyennes et les zo-
nes rurales.
« Il reste beaucoup de flou »
Quelques nouveautés sont an-
noncées : 25 000 logements en
résidences sociales et foyers de
jeunes travailleurs seront créés,
alors que ces modes de logement
temporaire n’étaient pas concer-
nés par le premier plan. L’aide à la
gestion locative sociale, qui fi-
nance l’accompagnement par les
résidences sociales, sera revalori-
sée et son octroi simplifié. « On
demande qu’elle soit accordée de
droit et son enveloppe doublée,
mais nous ne sommes pas encore
fixés », relève le délégué général
de l’Union professionnelle du lo-
gement accompagné, Arnaud de
Broca. Autre projet important,
de Services mensuels qu’allouent
Le Mas à chacun d’eux. « On a pris
l’habitude », évacue Nune.
Eux aussi « rêvent » d’un apparte-
ment. Mais être en situation régu-
lière, et justifier de revenus adap-
tés, ne le garantit pas. C’est le cas de
Karim, qui a quitté femme et en-
fants il y a plus de deux ans pour
faire opérer en France leur aînée,
lourdement handicapée. Il coha-
bite avec l’adolescente de 13 ans
dans un studio vaste et nu. S’il n’y
avait, face aux deux lits simples,
un grand bureau orné d’un PC fixe,
on jurerait qu’ils sont arrivés la
veille. « C’est bien ici, mais ma fille
grandit, et doit être opérée à nou-
veau. Il faut un appartement », dit
le père. Sa demande de logement
social est restée sans réponse, ce
qui ne surprend pas M. Gachet :
« Avec la crise du logement, ces fa-
milles n’ont quasiment aucune
chance de trouver dans le parc
privé, et une demande HLM prend
désormais trois ou quatre ans. » Ka-
rim a déposé une nouvelle de-
mande grâce au dispositif métro-
politain d’accès au logement pour
les personnes en hébergement
d’urgence. Il a des chances d’en ob-
tenir un dans huit à douze mois.
mais dont l’ampleur et le bud-
get restent à déterminer : les ser-
vices intégrés d’accueil et
d’orientation, qui gèrent l’héber-
gement d’urgence, notamment
par le biais du 115, seront renfor-
cés afin de coordonner l’accès
au logement.
Comme le demandaient l’en-
semble des acteurs, le plan béné-
ficie de moyens supplémentai-
res. La hausse de 44 millions
d’euros accordée en 2023 sera
prolongée et bonifiée chaque an-
née, pour atteindre 160 millions
d’euros en 2027. Cela représen-
tera un effort cumulé de 510 mil-
lions d’euros sur le quinquennat,
« c’est-à-dire un doublement des
moyens par rapport au premier
plan Logement d’abord », précise
l’entourage d’Olivier Klein.
« Sans ce plan, on aurait encore
plus de sans-abri que les
330 000 estimés. De vrais efforts
sont prévus, note le directeur des
france | 13
Le dispositif
porte de moins
en moins bien
son nom, tant
il dure : deux ans
et demi
en moyenne
en Ile-de-France
Voir ces vies mises entre paren-
thèses met en colère ceux qui les
accompagnent. « Ceux qui ont
quitté leur foyer et leur pays ne
l’ont pas fait sur un coup de tête. Ils
arrivent plein d’espoir et sont con-
frontés à un parcours du combat-
tant, à la violence d’être mis dans
un hôtel, sans pouvoir travailler,
alors qu’on leur reproche d’être des
assistés. Beaucoup font des sortes
de dépression. Et nous ne pouvons
qu’essayer de les aider à attendre »,
regrette Audrey Pelmoine, éduca-
trice spécialisée dans la cellule
« hôtel » du Mas.
Autre inquiétude : l’héberge-
ment d’urgence accueille de plus
en plus de personnes aux lourdes
pathologies ou qui nécessite-
raient une prise en charge psy-
chiatrique. « Il ne peut pourtant
pas résoudre toutes les faiblesses
de notre système d’insertion, de lo-
gement, de soin, de traitement des
migrations, note le directeur gé-
néral de l’association, Pierre Mer-
cier. C’est une impasse collective et
ce n’est pas digne de laisser des
gens attendre ainsi. »
Une politique de « zéro remise à
la rue » a prévalu depuis la crise
sanitaire, alors que le principe de
continuité de l’hébergement ins-
crit dans la loi était auparavant
peu respecté. Mais le vent tourne.
La préfecture a entamé la ferme-
ture progressive des 377 places ex-
ceptionnelles mobilisées cet hi-
ver dans le Rhône, tout en assu-
rant que « tous ceux dont la vulné-
rabilité demeure ont été, ou seront,
orientés vers des places adaptées ».
Un centre d’hébergement prévu
pour une centaine de personnes a
fermé afin d’accueillir un des « sas
d’accueil temporaire régionaux »,
destinés à désengorger l’Ile-de-
France. Pourtant, 305 enfants et
leur famille sont à la rue dans la
métropole de Lyon, selon l’asso-
ciation Jamais sans toit. « Trou-
vons des marges pour accueillir
tous ceux qui dorment dehors,
sans remettre dehors ceux qui sont
hébergés ! », exhorte la directrice
régionale de la Fondation Abbé
Pierre, Véronique Gilet. p
claire ané
études de la Fondation Abbé
Pierre, Manuel Domergue. Mais
il reste beaucoup de flou. Et ces
mesures sont très insuffisantes
face à d’autres politiques contrai-
res : la réduction drastique des
aides pour construire des loge-
ments sociaux, le manque de ré-
gularisations qui bloque de nom-
breux sans-papiers dans l’héber-
gement d’urgence, la hausse des
expulsions que provoquera la
nouvelle loi antisquat… ». Le pré-
sident de la Fédération des ac-
teurs de la solidarité, Pascal
Brice, est lui aussi critique : « Nos
associations ont été les pionniè-
res du Logement d’abord, nous
soutenons le plan. Mais nous crai-
gnons qu’il serve surtout à mas-
quer l’inaction sur le logement so-
cial et les fermetures de places
d’hébergement d’urgence qui dé-
butent à bas bruit, alors que le be-
soin ne faiblit pas. » p
cl. a.
14 | france
Au procès de Gabriel Fortin,
le témoignage du DRH rescapé
Visé par un tir en 2021, Bertrand Meichel a raconté devant la cour le
licenciement de l’ingénieur en 2006. Une version que conteste la défense
valence - envoyée spéciale
D
ans
Bertrand
ce procès,
Meichel
tient une place haute-
ment singulière : un, il
est le seul rescapé des quatre victi-
mes de Gabriel Fortin, jugé pour
le triple assassinat et la tentative
d’assassinat de responsables des
ressources humaines et d’une sa-
lariée de Pôle emploi, en 2021 ;
deux, il s’est comporté avec un
courage inouï en poursuivant son
agresseur ; trois, il est le premier
DRH à avoir licencié l’ingénieur
Fortin ; quatre, il a été le « men-
tor » d’Estelle Luce, abattue de
quatre balles, quarante-cinq mi-
nutes avant qu’il soit lui-même
pris pour cible. Tout cela faisait de
sa déposition, lundi 19 juin, un
moment très attendu. « Si je suis là
devant vous, c’est grâce à un carton
de pizza », annonce-t-il.
Le 26 janvier 2021, à 18 h 45, il était
en téléconférence avec des collè-
gues depuis son domicile de Wat-
twiller (Haut-Rhin), quand il est in-
terrompu par un coup de sonnette
à la porte. Il ouvre et fait face à un
livreur coiffé d’une casquette, le vi-
sage partiellement couvert d’un
masque chirurgical, les mains dis-
simulées sous un carton de pizza,
qui lui demande : « Vous êtes bien
monsieur Meichel ? » Il entend une
détonation sourde, ne comprend
pas, voit le livreur détaler.
« Je le course, je l’attrape, et on
commence à se battre », raconte-
t-il. Bertrand Meichel reçoit des
coups au visage, le sang coule, ses
lunettes se brisent dans l’affronte-
ment, son agresseur parvient à
s’enfuir et à sauter dans sa voiture,
garée juste à côté. « Je cours en
chaussettes dans la neige, je frappe
sur la vitre, j’essaie de le sortir. Il
n’arrivait pas à mettre le contact, je
frappe encore, à son regard je vois
qu’il a peur, il desserre le frein à
main, la voiture commence à pren-
dre de la vitesse, je lâche. J’essaie de
lire la plaque d’immatriculation
mais avec le sang et sans lunettes,
je ne voyais rien. » Ce n’est qu’en re-
venant devant sa porte que
A Biarritz, un meublé touristique occupé
pour dénoncer les pratiques des propriétaires
Par cette action, l’association Alda veut alerter sur les difficultés qu’ont les locaux à se loger
bayonne - correspondant
L’ opération coup de poing
s’est déroulée dans un
quartier tranquille de
Biarritz, proche de l’océan, où rien
ne trouble d’ordinaire la quiétude
ambiante. Lundi 19 juin, dans la
matinée, une vingtaine de mili-
tants d’Alda, association pour la
défense de l’accès au logement, a
investi un meublé de tourisme et
déployé des banderoles sur les
balcons et la devanture de la mai-
son avec le slogan « Herrian bizi
nahi dugu » (« Nous voulons vivre
au pays » en basque).
Une autre inscription, « Viol [de
la] compensation = 50 000 euros
d’amende », se réfère au principe
de compensation des logements
touristiques, entré en vigueur le
1er mars dans la Communauté
Pays basque, et qui prévoit qu’un
logement transformé en meublé
touristique doit être compensé
par la transformation d’un com-
merce ou d’un bureau en habita-
tion. La mesure est contraignante
puisque le local doit être de sur-
Bertrand Meichel voit qu’elle a été
traversée d’une balle. Le tireur l’a
raté de 10 centimètres. Alors qu’il
a déjà longuement répondu aux
questions des gendarmes dépê-
chés sur les lieux, et qu’il monte à
bord du camion de pompiers
pour être conduit à l’hôpital, une
autre équipe de gendarmes se
précipite vers lui : « L’un d’eux me
demande si… [la voix de Bertrand
Meichel se brise], si je connais une
autre DRH [il s’interrompt de nou-
veau] qui s’appelle Estelle Luce. »
Estelle Luce avait été sa stagiaire
quinze ans plus tôt, en 2006, dans
une filiale du groupe Emerson, à
Chartres. « Je n’ai jamais connu
dans ma carrière quelqu’un avec
autant de capacité, de volonté et de
compétence. Elle était profession-
nellement exceptionnelle », dit-il.
Traque méthodique
Le groupe traversait une passe
difficile, il venait de décider de
fermer trois sites européens,
dont celui de Chartres. DRH pour
l’Europe, Bertrand Meichel est
sur tous les fronts, jonglant de
plan social en plan social, quand
la direction l’alerte d’un pro-
blème posé par un ingénieur tout
juste embauché au bureau d’étu-
des de Chartres, Gabriel Fortin.
« On n’y arrivera pas, il faut le li-
cencier », lui dit-on, en évoquant
un cadre « ingérable et incapable
de travailler en équipe ».
A sa stagiaire si volontaire, tout
juste diplômée d’un DESS de droit
social, qui souhaite assister à une
procédure de licenciement pour
son mémoire, Bertrand Meichel
délègue le soin de rassembler les
éléments pour le dossier de licen-
ciement. Puis ils rédigent ensem-
ble la lettre de convocation de l’in-
génieur à un entretien préalable.
« Elle m’a proposé de la lui remet-
tre en mains propres et m’a ensuite
demandé si elle pouvait assister à
l’entretien », raconte-t-il. Celui-ci
est d’une durée « exceptionnelle-
ment longue », deux heures
trente. « Je m’attendais à un entre-
tien dur sur la forme, ça n’a pas été
le cas. On a pu discuter. Pour moi,
face au moins équivalente et situé
dans la même commune.
L’association est entrée sans en-
combre dans le meublé touristi-
que, au premier étage du bâtiment
Les Marguerites. Elle avait loué le
logement, légalement, pour trois
jours et au tarif de 450 euros, via la
plate-forme de location Gites.fr, et
envisage une « occupation illimi-
tée », le temps d’obtenir des résul-
tats. « Le problème, avec ces Mar-
guerites, c’est que le propriétaire
n’avait aucun droit de louer en loca-
tion de courte durée, assure Malika
Peyraut, une des responsables du
mouvement Alda. Autrefois, l’en-
semble était habité à l’année, puis il
est passé en meublé de tourisme. Le
logement du rez-de-chaussée est
ensuite redevenu une habitation à
l’année, ce n’est pas le cas du pre-
mier étage, qui se trouve donc dans
l’illégalité, faute de satisfaire à
l’obligation de compensation. »
Un autre grief est reproché à la
société propriétaire de l’immeu-
ble : selon l’association, elle loue-
rait le premier étage sur les plates-
formes Booking.com et Gites.fr
« Si je suis là
devant vous,
c’est grâce à un
carton de pizza »
BERTRAND MEICHEL
victime de Gabriel Fortin
j’avais atteint l’objectif, permettre
au salarié de comprendre ce qui
n’allait pas, apprendre et repartir
plus fort ailleurs. Quand j’ai appris
que M. Fortin engageait une pro-
cédure devant les prud’hommes,
j’ai été surpris. » Entretemps,
Estelle Luce a été embauchée,
c’est elle qui s’y colle. Mais la pro-
cédure ne va pas à son terme, des
papiers manquent, Bertrand
Meichel n’en entend plus parler.
Chacun poursuit sa carrière de
son côté, tout en gardant le
contact. Quand, des années plus
tard, Estelle Luce alerte son men-
tor professionnel sur des faux
profils LinkedIn créés à leurs deux
noms et des messages injurieux
sur Twitter ou Facebook les visant
sous le mot-dièse « balanceton-
DRH », aucun des deux ne songe à
l’épisode Gabriel Fortin. Bertrand
Meichel porte plainte, sans suc-
cès, Estelle Luce devient très pru-
dente sur les réseaux sociaux.
Derrière tous ces faux profils,
l’enquête découvrira une seule
adresse IP, celle que Gabriel Fortin
utilise en se connectant à la biblio-
thèque municipale de Nancy, ainsi
que sa traque méthodique des
adresses professionnelles et per-
sonnelles des deux anciens DRH.
Mais en cette aube des années
2020, Estelle Luce est heureuse,
elle a refait sa vie, s’est installée
avec ses deux jeunes enfants chez
son nouveau compagnon, lui-
même un père divorcé, ils ont
agrandi la maison, sont fous
amoureux, songent à se marier,
elle prévoit de s’inscrire à un MBA.
Revenons à Bertrand Meichel.
Les questions du président, des
avocats des parties civiles et de
l’avocat général, sont attention-
sous un numéro d’enregistre-
ment erroné. Or, les annonces illé-
gales peuvent faire l’objet de sanc-
tions financières pour les loueurs
mais aussi les plates-formes.
« Action pédagogique »
Un dialogue téléphonique
amorcé avec le propriétaire
tourne vite court : celui-ci argue
d’une démarche en mairie avant
de raccrocher. Alda a, de son côté,
une argumentation toute prête :
si l’enregistrement du meublé
touristique n’est pas valable, ses
militants peuvent alors rester da-
vantage que les trois jours prévus,
et basculer dans un bail classique,
soit une durée de trois ans !
Entre-temps, la police nationale
a fait son apparition. Quelques re-
levés d’identité plus tard, un com-
missaire s’approche dans le calme.
Cofondateur d’Alda, Txetx Etche-
verry énumère les infractions qu’il
estime avoir constatées, en citant
le code de la construction et de
l’habitation, et celui du tourisme.
Alda n’en est pas à son coup
d’essai. Depuis plusieurs mois,
nées, délicates, pour le rescapé
héroïque et le DRH « aux trente-
quatre ans de métier » qui évo-
que si passionnément ses fonc-
tions – « Dans une entreprise, le DG
[directeur général], c’est le maire,
le DRH, c’est le curé », « licencier est
toujours un échec. Pour moi, il n’y a
pas de mauvais salarié », il faut
« donner une seconde chance » – et
cite avec fierté les « 87 % de taux de
reclassement » qu’il obtenait dans
les plans sociaux.
A propos de Gabriel Fortin, il
précise avoir refusé la demande
de sa direction de le licencier pour
« faute grave » et avoir appliqué
chaque étape, dans le respect de la
procédure, avant la remise « en
mains propres » au salarié de sa
lettre de convocation à l’entretien
préalable. « C’est plus humain. En-
voyer la lettre par la poste, c’est se
défausser sur le facteur », dit-il.
On en était là, quand le tour de
la défense est arrivé. De ce pre-
mier licenciement de Gabriel
Fortin, Mes Laetitia Galland et
Romaric Chateau livrent un récit
bien moins « humain ».
Embauché début octobre 2005,
l’ingénieur passe un rendez-vous
d’évaluation le 26 juillet 2006.
Mécontent du rapport qui en est
établi, il s’en plaint dans un mail
adressé le 28 juillet à sa hiérar-
chie, puis il part en congés. A par-
tir de là, tout s’accélère. La lettre
de convocation à un entretien
préalable « remise en mains pro-
pres » par Estelle Luce ? Faux, sou-
tiennent-ils, dossier à l’appui. « Il
n’était pas présent dans l’entre-
prise. Elle lui a été envoyée en re-
commandé pendant ses congés le
7 août, pour un rendez-vous à son
retour le 16 août. » Le licencie-
ment est prononcé le 28 août.
« Elle est où, la seconde
chance ? », lance Me Galland au
DRH. « Pouvez-vous comprendre
que Gabriel Fortin ait ressenti ce li-
cenciement comme brutal ? », ren-
chérit Me Chateau. Tous ces élé-
ments, la défense les a puisés
dans le mémoire très détaillé ré-
digé par… Estelle Luce. p
pascale robert-diard
l’association multiplie les actions
au Pays basque contre les baux
abusifs ou les annonces trompeu-
ses. Si elle pratique la désobéis-
sance civile, ses opérations res-
tent pacifiques. Ses revendica-
tions s’adressent d’abord à la
mairie de Biarritz, pour qu’elle vé-
rifie les normes d’enregistrement
des meublés touristiques et les
conditions d’application de la
compensation. Mais son mes-
sage vise aussi les plates-formes,
afin qu’elles contrôlent les an-
nonces mises en ligne et retirent
celles qui n’ont pas de numéro
d’enregistrement valable.
« Notre action de ce matin est en
premier lieu pédagogique, assure
Txetx Etcheverry. Elle est égale-
ment dissuasive : nous estimons à
plusieurs milliers les situations de
fraudes au logement touristique
sur le littoral, dans la zone tendue. »
C’est-à-dire la côte basque, autour
de Bayonne-Anglet-Biarritz. Dans
ces villes très attractives et très
chères, la population locale ne par-
vient plus à se loger à l’année. p
michel garicoïx
A Mayotte, l’Etat appelé
au secours de la PMI
La chambre régionale des comptes livre
un rapport très critique de la gestion
de la protection maternelle et infantile
saint-denis (la réunion) -
correspondance
M issions imparfaitement
remplies », « dysfonc-
tionnements », « bud-
get insuffisant », « lourd déficit
programmé »… Un rapport de la
chambre régionale des comptes
(CRC) de La Réunion-Mayotte, pu-
blié lundi 19 juin, livre un bilan
très critique de la gestion de la
protection maternelle et infantile
(PMI), compétence du conseil dé-
partemental, pour la prise en
charge de la santé des enfants de
0 à 6 ans et des femmes enceintes.
En toile de fond, le document ren-
voie la collectivité et l’Etat à leurs
responsabilités respectives dans
le processus de départementali-
sation enclenché en 2011.
En matière d’accès aux soins, la
PMI de Mayotte doit pourtant ré-
pondre à « d’immenses défis », rap-
pelle la juridiction, en raison « de
la natalité qui est la plus forte de
France, du taux de malnutrition des
enfants de 0 à 6 ans qui est compris
entre 5 % et 10 %, d’une très forte im-
migration clandestine, et de la fai-
ble densité médicale ». Le rapport
s’étonne que 40 % des centres ont
été supprimés en quinze ans alors
que la population de Mayotte a
augmenté de 21 % entre les recen-
sements de 2012 et de 2017.
Autres griefs : des résultats
« médiocres » avec moins de trois
consultations en moyenne sur les
sept obligatoires par femme en-
ceinte, peu d’activité de préven-
tion médico-sociale de dépistage
des handicaps et de la malnutri-
tion, et les « IVG [interruptions
volontaires de grossesse] médica-
menteuses [qui] ne sont pas en-
core effectuées ».
« Pas à la hauteur de l’urgence »
La chambre régionale des comp-
tes reproche au département de
ne pas assumer « financièrement
sa compétence » car « il n’affecte à
cette mission que les recettes dé-
diées par l’Etat ». Sans verser de
dotation supplémentaire. Lors du
transfert de compétence, l’Etat
n’a toutefois pas montré l’exem-
ple puisqu’il n’a jamais versé de
compensation au département
entre 2009 et 2017.
La situation a fini par être régula-
risée en 2018 avec une compensa-
tion rétroactive de 105,7 millions
d’euros. Et un droit annuel de
14,5 millions, une somme qui a été
déterminée en 2015 par l’inspec-
tion générale des affaires sociales
et qui n’a pas bougé. Aujourd’hui,
le département considère ces
sommes comme « un plafond de
ressources devant être consacrées
à ce service public alors qu’en réa-
lité elles doivent être considérées
comme un minimum », observent
les magistrats financiers.
La chambre régionale des comp-
tes estime que, malgré les efforts
réalisés ces derniers mois, « les ré-
sultats ne sont pas à la hauteur de
l’urgence de la situation ». Surtout,
elle émet « des doutes sérieux » sur
la capacité du département « à re-
lever les multiples défis dans le do-
maine de la PMI » : « Le départe-
ment, comme nombre de collecti-
vités locales à Mayotte, manque
EN VI R ON N EMEN T
Le manifestant de Sainte-
Soline grièvement blessé
est en rééducation
Serge Duteuil-Graziani, le ma-
nifestant le plus grièvement
blessé fin mars lors de la ma-
nifestation contre la mégabas-
sine de Sainte-Soline (Deux-
Sèvres), a indiqué récupérer
en centre de rééducation
après avoir passé plusieurs se-
maines dans le coma avec
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
de moyens financiers ainsi que
d’expertise et d’ingénierie. » La si-
tuation financière est jugée très
préoccupante : les réserves seront
consommées entièrement en
2023. Et le pire des scénarios pré-
voit un déficit de 155 millions
en 2025 du budget « santé famille
enfance » (qui regroupe la PMI et
l’aide sociale à l’enfance), soit un
tiers du budget du département
en 2021. Ce qui suffirait « proba-
blement à mettre en péril le fonc-
tionnement de la collectivité ».
Contacté par Le Monde, Madi
Moussa Velou (centriste, membre
de la majorité Les Républicains),
septième vice-président du con-
seil départemental de Mayotte,
chargé des solidarités, de l’action
sociale et de la santé, affirme
avoir mis en place depuis 2021 au
sein de la PMI « une nouvelle
équipe avec une nouvelle dynami-
que ». Depuis plusieurs mois, sa
collectivité exige de l’Etat une
augmentation singulière de sa
dotation. Principal argument :
85 % des personnes accueillies
dans les services de PMI sont « des
non-assurés sociaux », autrement
dit des étrangers en situation irré-
gulière. Or, l’aide médicale d’Etat
(AME), destinée aux étrangers,
n’existe pas à Mayotte en raison
d’un système dérogatoire. La
mise en place de l’AME ou d’un
dispositif équivalent est « une de-
mande historique des élus maho-
rais », remarque le rapport.
Pour montrer sa détermina-
tion, le conseil départemental,
par la voix de Madi Moussa Velou,
a annoncé, mi-avril, que la PMI
n’accueillera plus « les non-assu-
rés sociaux à partir du 1er juillet ».
« Le centre hospitalier de Mayotte
[CHM] les accueille très bien en bé-
néficiant d’un remboursement dé-
guisé, argumente le vice-prési-
dent. Nous voulons être traités de
la même manière. On ne peut,
d’un côté, donner des moyens au
CHM et, de l’autre, trouver des ar-
guments pour dire que le conseil
départemental n’est pas à la hau-
teur. Si nous n’accueillions que des
Français, notre budget suffirait
largement. Il faut arrêter d’em-
brouiller le débat et dire les choses
comme elles sont. »
Dans ses conclusions, la CRC es-
time que le département « a be-
soin d’un accompagnement,
d’autant plus que ses difficultés
sont liées en partie aux effets d’un
contexte migratoire sur lequel il
n’a aucune prise ». L’hypothèse
d’une nouvelle aide ne devra pas
être un chèque en blanc, ajoute la
juridiction, mais être condition-
née à « un contrat pluriannuel
d’objectifs » avec un suivi « rigou-
reux et régulier ».
La collectivité départementale
évalue les dépenses cumulées de
la PMI « à 35 millions d’euros par
an ». M. Velou indique que des dis-
cussions déjà entamées avec
l’Etat se poursuivent dans le cadre
de la préparation du comité inter-
ministériel des outre-mer qui se
tiendra à Paris le 12 juillet. Les res-
ponsables politiques mahorais
attendent des décisions fortes
pour renforcer les budgets de la
PMI et de l’ASE. p
jérôme talpin
pronostic vital engagé, selon
un communiqué diffusé sur
un blog samedi 17 juin et
authentifié lundi auprès de
l’Agence France-Presse par son
avocate. Lors des affronte-
ments entre manifestants et
forces de l’ordre, il avait été
blessé à la tête par une gre-
nade, « probablement tirée en
tendu par un gendarme équipé
d’un lanceur de grenades Cou-
gar », selon lui. – (AFP.)
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
Dumping social sur les ferrys transmanche
Entre Calais et Douvres, des compagnies paient les marins moitié moins que le smic français ou britannique
douvres (royaume-uni), calais
(pas-de-calais) - envoyé spécial
C’
est l’histoire d’une
course au moins-di-
sant social, aussi lo-
gique qu’implacable.
Elle mène, en toute légalité, à avoir
des marins travaillant sur la
liaison Calais-Douvres, donc ex-
clusivement dans les eaux françai-
ses et britanniques, mais payés la
moitié du salaire horaire mini-
mum de ces deux pays, actifs sept
jours sur sept, sans jour de repos
jusqu’à quatre mois de suite.
Déjà deux des trois compagnies
de ferrys qui relient Calais (Pas-de-
Calais) à Douvres (Royaume-Uni),
P & O et Irish Ferries, fonctionnent
entièrement ou partiellement sur
ce modèle, risquant d’emporter le
reste du secteur. Pour tenter d’en-
rayer le mouvement, les gouver-
nements des deux côtés de la
Manche préparent de nouvelles
lois. Côté français, la proposition
de loi de « lutte contre le dumping
social sur le transmanche » va arri-
ver en séance plénière au Sénat
mercredi 21 juin.
Ils viennent d’Inde, des Philippi-
nes, d’Indonésie, de Géorgie, de
Roumanie… A raison de quatre,
voire cinq allers-retours par jour
sur ces monstres des mers aux
noms ronflants (Pride-of-Canter-
bury, Spirit-of-France…), ces marins
venus du monde entier reçoivent
les passagers à Douvres ou à Calais,
dans un incessant ballet à la choré-
graphie millimétrée. Embarque-
ment des camions, des voitures
puis des cars. Accueil des passa-
gers, bureau de change à faire
fonctionner, buffet du « club
lounge » à préparer (« Désirez-vous
du champagne ? »), espace pour
chauffeurs routiers, magasin duty
free. Puis, une heure et demie plus
tard, débarquement : camions,
voitures, cars…
Rythmes intenses
Sur ces navires de P & O, des portes
discrètes et verrouillées mènent
au sommet des bateaux, qui dé-
passent parfois 200 mètres de
long. Là-haut se trouvent les cabi-
nes, où dort le personnel navigant,
quasiment sans toucher la terre
ferme pendant dix-sept semaines,
parfois plus.
Un bon boulot, raconte dans un
grand sourire cet Indonésien aux
allures de jeune premier : « On a
chacun notre cabine. » « Il y a même
une salle de gym », renchérit un de
ses compatriotes. La plupart des
LES CHIFFRES
52 %
C’est, en pourcentage, l’écart
entre le coût de la main-d’œuvre
d’un ferry assurant la liaison
Calais-Douvres sous pavillon
chypriote, par rapport au pa-
villon français. Le premier est
donc deux fois moins cher. Sur
la liaison Le Havre-Portsmouth,
le coût est inférieur de 65 %,
selon les calculs de l’Institut
supérieur d’économie maritime.
14
C’est le nombre de ferrys
assurant la liaison Calais-
Douvres, et Dunkerque-Douvres,
contre 10 en 2021.
Ils se répartissent entre DFDS (6),
P & O (5) et Irish Ferries (3).
100 MILLIONS
C’est, en livres sterling, la perte
enregistrée par P & O en 2021,
soit 117 millions d’euros,
en raison de la pandémie de
Covid-19 et du ralentissement
du trafic lié aux difficultés
administratives du Brexit.
A Douvres (Royaume-Uni), le 23 avril 2022. STUART BROCK/ANADOLU AGENCY VIA AFP
marins disent la même chose : tra-
vailler sur la Manche, c’est mieux
que sur les bateaux de croisière, où
la plupart d’entre eux servaient
auparavant. Le salaire est similaire
mais le contrat est plus court. « On
est en mer quatre mois au lieu de
sept ou huit mois », confie l’un.
« Mes amis, qui travaillent dans les
croisières, veulent tous signer pour
ces ferrys », ajoute un autre.
Selon un contrat de travail que Le
Monde a consulté, leurs salaires
tournent autour de 2 000 dollars
(environ 1 830 euros) par mois,
heures supplémentaires compri-
ses, nourri et logé. « C’est deux à
trois fois ce que je peux espérer
dans mon pays », témoigne un Phi-
lippin. Irrésistible, donc, mais, en
salaire horaire, cela correspond à
un peu plus de 6 dollars
(5,50 euros). Soit la moitié du sa-
laire minimum français ou britan-
nique, avec des rythmes particu-
lièrement intenses.
« De l’esclavage humain », con-
damne John Lansdown. Il y a un
peu plus d’un an, lui aussi tra-
vaillait sur ces bateaux de P & O en
tant que sous-chef. En mars 2022,
la compagnie, propriété du con-
glomérat de Dubai DP World, a
provoqué le scandale. Dans un
message vidéo de quatre minutes,
elle a annoncé le licenciement im-
médiat de 786 marins, qui ont reçu
l’ordre de sortir de leur ferry. Sur le
quai attendaient leurs rempla-
çants, arrivés du monde entier.
« On nous a dit qu’on avait trente
minutes pour quitter le navire. J’ai
des collègues qui ont laissé derrière
eux des objets personnels, des pho-
tos de famille… »
M. Lansdown n’en veut pas aux
marins internationaux, dont il
comprend parfaitement la posi-
tion : « C’est vrai, il y a un puits
sans fonds de main-d’œuvre prête
à travailler à ces conditions, mais
c’est une course permanente au
moins-disant social. Par ailleurs,
les emplois d’autrefois allaient à
des gens qui vivaient pour l’essen-
tiel dans le Kent [sud-est de l’An-
gleterre]. Leur disparition est aussi
un mauvais coup pour le tissu éco-
nomique local. »
Le problème est que les prati-
ques de P & O et d’Irish Ferries sont
Le salaire,
« c’est deux
à trois fois ce que
je peux espérer
dans mon pays »,
témoigne
un Philippin
parfaitement légales. Les deux
compagnies utilisent des pa-
villons de Chypre, qui n’impose
comme minimum social que la
Convention du travail maritime,
signée en 2006 sous l’égide du Bu-
reau international du travail. Cel-
le-ci avait été rédigée pour assurer
un filet de sécurité aux marins sur
les mers internationales, pas pour
le détroit de la Manche.
« Concurrence déloyale »
En face, la concurrence crie au
dumping social. DFDS, un groupe
danois qui opère six navires entre
Calais, Dunkerque (Nord) et Dou-
vres, emploie 800 marins en con-
trat français et 400 en contrat bri-
tannique. Non seulement le sa-
laire minimum de ces pays s’im-
pose, mais les horaires de travail
aussi : les marins doivent passer
autant de temps à terre qu’en mer,
par rotations de deux semaines.
« Nous faisons face à des conditions
de concurrence déloyale », dénonce
Mathieu Girardin, le vice-prési-
dent pour la division ferry.
Il attire aussi l’attention sur le
danger des pratiques de P & O et
d’Irish Ferries. « La Manche est
l’une des mers les plus fréquentées
au monde, et les ferrys font quatre à
cinq allers-retours par jour, avec
manœuvres d’accostage et de dé-
part à chaque fois. C’est un rythme
beaucoup plus intense qu’ailleurs.
Pour cela, il faut des marins qui
n’ont pas un niveau excessif de fati-
gue, ce qui n’est pas le cas s’ils pas-
sent dix-sept semaines à bord. »
La compagnie française Brittany
Ferries, qui n’opère pas à Calais
mais sur d’autres ports de la Man-
che, tire aussi le signal d’alarme.
« Pour Brittany Ferries, la survie,
c’est soit la mise en place par l’Etat
ou l’Union européenne d’une régu-
lation, soit de copier le même mo-
dèle », alerte son président, Jean-
Marc Roué. Il prend l’exemple du
Pont-Aven, son plus gros ferry, qui
emploie près de 200 personnes :
« Au pavillon chypriote, ça nous
coûterait 17 500 euros par jour,
contre 35 000 euros au pavillon
français. »
D’autres coûts entrent en jeu − le
navire, le carburant, les frais de
port… − mais un tel changement
de modèle représenterait une éco-
nomie de 30 %. « La situation ac-
tuelle n’est pas tenable dans le
temps », renchérit Yann Leriche, le
directeur général de Getlink, l’opé-
rateur du tunnel sous la Manche,
qui sert le même marché. « La
grande inquiétude est de voir tout
le secteur obligé de s’aligner », aver-
tit Martyn Gray, du syndicat Nau-
tilus, spécialiste des questions
marines. Si cette course au moins-
disant social se déroule
aujourd’hui, c’est en grande partie
à cause… du Brexit. Alors que le
Royaume-Uni préparait sa sortie
de l’Union européenne (UE), le
port de Calais, inquiet d’une
baisse du trafic, a sollicité Irish Fer-
ries pour mettre en place une nou-
velle liaison avec Douvres.
Or, la compagnie irlandaise, dès
2005, avait mis en place un mo-
dèle social reposant sur les marins
internationaux. L’entreprise ne les
faisait pas venir d’Inde ou d’Indo-
nésie, mais essentiellement d’Eu-
rope centrale. Rythme de travail :
six semaines de suite sur le ba-
teau, suivies de trois semaines de
récupération.
Tant qu’il s’agissait de liaisons
entre l’Irlande et la Grande-Breta-
gne, personne ne s’en souciait.
Mais son arrivée sur le transman-
che en juin 2021 a chamboulé la
donne. Irish Ferries a d’abord ins-
tallé un ferry, puis deux et désor-
mais trois. De onze navires en con-
currence, la liaison Calais-Douvres
est passée à quatorze. Dans le
même temps, les affres de la pan-
démie de Covid-19 et le ralentisse-
ment du trafic lié aux difficultés
administratives du Brexit ont sé-
vèrement réduit le marché.
En 2021, P & O a perdu 100 millions
de livres (117 millions d’euros).
Un an après son passage contro-
versé aux marins internationaux,
la compagnie maritime assume
entièrement : « Grâce à notre nou-
veau modèle opérationnel flexible,
(…) le service s’est amélioré, notre
compétitivité aussi, et nous géné-
rons de la croissance tout en rédui-
sant nos émissions de CO2. » Irish
Ferries va dans le même sens : « Il
nous est reproché d’exploiter nos
membres d’équipage, ce qui est par-
faitement faux. » Selon elle, ses
marins sont payés un minimum
de 3 382 euros par mois.
Très inquiètes, les autorités bri-
tanniques et françaises ont lancé
la contre-attaque. A Westminster,
la loi « sur le salaire des navi-
gants » a été officiellement ap-
prouvée le 23 mars. Elle prévoit
que le salaire minimum britanni-
que soit payé au personnel des
ferrys qui entrent dans un port
britannique plus de 120 fois par
an. Mais il faudra encore plu-
sieurs mois pour que l’équivalent
du décret d’application soit publié
et entre en vigueur. En France,
une proposition de loi, portée par
le député du Finistère Didier Le
Gac (Renaissance), va plus loin.
Non seulement elle impose le res-
pect du salaire minimum fran-
çais, mais aussi le temps de repos
obligatoire, à savoir autant de
temps en mer qu’à terre. La pro-
position de loi, soutenue par le
gouvernement, doit être votée −
probablement à l’unanimité − par
le Sénat le 21 juin.
« Ensuite, on espère signer le dé-
cret d’application à l’automne » , as-
sure M. Le Gac. Pour lui, ces deux
lois, française et britannique, mar-
quent la fin des pratiques de P & O
et Irish Ferries. « D’ici à 2024, il ne
sera plus possible de pratiquer le
dumping social des deux côtés de la
« La grande
inquiétude
est de voir tout
le secteur obligé
de s’aligner »
MARTYN GRAY
syndicat Nautilus
| 15
Manche. » Pas si sûr, réplique un
bon connaisseur du dossier : « J’ai
peur que la loi française soit trop
ambitieuse et très difficile à appli-
quer. » Car la question légale est
compliquée.
Dans la mesure où il s’agit de ba-
teaux qui circulent entre diffé-
rents pays, le droit de la mer s’y ap-
plique et le pavillon chypriote
reste légal. Pour contourner le pro-
blème, la loi française a choisi
d’utiliser la question de la sécurité
comme angle d’attaque. « La Man-
che est très fréquentée, et des ba-
teaux dangereux circulent, expli-
que M. Le Gac. Avec des marins cor-
véables à merci, le risque d’accident
est important. » Dès lors, la France
va faire passer ce qui s’appelle une
« loi de police », qui permet d’impo-
ser une norme supérieure pour la
« sauvegarde des intérêts publics ».
La sécurité en mer pourrait être la
façon d’y parvenir.
Bataille à Bruxelles
« La loi française est un très bon pas
en avant, mais elle contient une fra-
gilité juridique », avertit Daniel Fas-
quelle, juriste et maire du Touquet-
Paris-Plage (Pas-de-Calais), qui a
travaillé sur la proposition de loi.
Potentiellement, les recours peu-
vent monter jusqu’à la Cour de jus-
tice de l’Union européenne, l’UE
étant compétente sur la question
des « lois de police ».
Pour cette raison, la bataille est
en train de démarrer à Bruxelles.
Le service juridique de la Com-
mission européenne regarde le
dossier, sans prendre position
pour l’instant. Mais Chypre, avec
son pavillon de complaisance, ou
d’autres pays méditerranéens
qui utilisent des marins interna-
tionaux, pourraient s’opposer à
des normes sociales strictes. Irish
Ferries ne s’y trompe pas. Dans
son rapport annuel 2022, Irish
Continental Group, sa maison
mère, annonçait avoir lancé un
contre-feu de lobbying « au ni-
veau gouvernemental et de
l’Union européenne ». L’avenir des
marins indiens, indonésiens et
philippins sur le transmanche
semble encore garanti pour un
bon moment. p
éric albert
16 | économie & entreprise 0123
MERCREDI 21 JUIN 2023

Le Bordelais contraint à l’arrachage de vignes

La région traverse une crise de surproduction, et 1 371 viticulteurs se déclarent en difficultés économiques

A
ujourd’hui, je suis dé-
couragée. Quand je me
suis installée dans la
ferme familiale, après
une formation en viticulture, je rê-
vais de supprimer le troupeau de
bovins et de ne faire que de la vi-
gne. Maintenant, je m’interroge
pour savoir si je vais arracher les
5 hectares de vigne qui me reste »,
raconte Fabienne Krier, qui ex-
ploite un vignoble et un troupeau
de blondes d’Aquitaine à Bayas,
en Gironde, une commune dont
elle est maire.
Cette question de l’arrachage des
vignes, de nombreux viticulteurs
bordelais se la posent. Contraints
à une décision difficile alors
qu’une partie de ce vignoble pres-
tigieux traverse une crise sans
précédent. « Il y a vingt ans, lors de
la précédente crise viticole, le cours
du tonneau de vin était tombé à
800 euros, mais on le vendait. Les
négociants achetaient les vins qui
sortaient de la propriété.
Aujourd’hui, le prix est de 650 à
700 euros, quand notre coût de
production est à 1 200 ou
1 400 euros, mais aucune transac-
tion ne se fait. Cela va très, très
mal », affirme Didier Cousiney,
installé au Pian-sur-Garonne,
avant d’ajouter : « Il y a des gens qui
ne peuvent plus payer leurs sala-
riés. Avant, les prestataires et four-
nisseurs jouaient le jeu, faisaient
des échéanciers. Aujourd’hui, il
faut payer rubis sur l’ongle. »
Une désaffection
M. Cousiney, déjà porte-parole
d’un groupement de viticulteurs
lors de la crise viticole de 2004, a
accepté de reprendre le porte-
voix il y a quasiment un an, au
nom du collectif Viti33, pour aler-
ter sur la situation financière ten-
due de nombre de ses pairs. L’en-
quête menée par la chambre
d’agriculture de Gironde, dont les
résultats ont été publiés en dé-
cembre 2022, montre que 1 371 ex-
ploitants se déclarent en difficul-
tés économiques. Ils représentent
35 000 hectares de vignes, princi-
palement situées dans les régions
de l’Entre-deux-Mers, des Côtes et
du Médoc. Naturellement, cet
état de crise aiguë ne concerne
pas les grands crus, immunisés
dans leur bulle de luxe.
Pour expliquer cette situation,
nombre de raisons sont évo-
quées. « La consommation de vin
baisse en France, surtout depuis
2018, et touche tout particulière-
Arrachage de pieds de vigne, à Haux (Gironde), le 18 janvier. ROMAIN PERROCHEAU/AFP
L’enveloppe
de 57 millions
d’euros doit
permettre
l’arrachage de
9 500 hectares,
avec une prime
de 6 000 euros
à l’hectare
ment les rouges. Or, Bordeaux pro-
duit 85 % de rouge », reconnaît
Bernard Farges, vice-président du
Conseil interprofessionnel du vin
de Bordeaux (CIVB). Cette désaf-
fection, surtout sensible dans la
grande distribution, touche
d’abord les appellations bor-
deaux et bordeaux-supérieur,
très présentes dans les linéaires
des supermarchés et commercia-
lisées à un prix moyen de 6 euros
la bouteille. En 2022, ces ventes
accusent un repli de 8 % en vo-
lume et, en cumul sur dix ans, le
recul atteint 44 %.
A ce contexte déjà morose s’est
ajouté le choc du Covid-19. La Gi-
ronde, qui avait beaucoup misé
sur la Chine, devenue son pre-
mier pays d’exportation, a subi
un brusque ralentissement des
commandes. Elles se sont re-
pliées, en 2022, de 23 % en vo-
lume à 309 000 hectolitres, selon
le CIVB. « Au total, nous commer-
cialisons annuellement entre
3,7 et 3,8 millions d’hectolitres de
vin, soit moins que nous ne pro-
duisons », souligne Bernard
Farges. Ce surplus vient s’ajouter
aux stocks déjà présents dans les
caves. Le trop-plein est estimé
entre 800 000 et 1 million d’hec-
tolitres. D’où une chute des cours
et un blocage des ventes qui ont
conduit à une décision drastique.
« Nous ne publions plus les statis-
tiques de prix du vrac depuis
l’automne 2022 », explique
M. Farges.
Pour expliquer cette panne iné-
dite de commercialisation, Régis
Falxa, président des Vignerons
indépendants de Gironde, qui
gère, avec sa sœur, Château Lalan-
de-Labatut et Château Les Gau-
thiers aux portes de l’Entre-deux-
Mers, n’hésite pas à évoquer éga-
lement « les négociants bordelais
qui ont baissé les bras sur les vins
d’entrée de gamme et vont à la fa-
cilité en commercialisant les
grands crus plus rémunérateurs ».
Il ajoute : « La part du négoce re-
présentait 40 % de mes volumes.
Elle est tombée à zéro. »
C’est sur la propriété de M. Falxa
que le ministre de l’agriculture,
Marc Fesneau, a officialisé, le
5 juin, le déblocage du plan d’aide
à l’arrachage, annoncé lors du Sa-
lon de l’agriculture, à Paris, début
mars. L’enveloppe globale d’un
montant de 57 millions d’euros
doit permettre l’arrachage d’envi-
ron 9 500 hectares avec une
prime de 6 000 euros à l’hectare.
L’Etat a mobilisé 38 millions
d’euros, le CIVB débloqué 19 mil-
lions et le conseil régional de
Nouvelle-Aquitaine 10 millions.
Mais les fonds d’Etat, destinés à
primer des arrachages dits sani-
taires pour éviter d’éventuelles
propagations de maladies dans
les vignes abandonnées, sont as-
sortis de conditions draconien-
nes. Les terres doivent être lais-
sées en jachère vingt ans ou être
recouvertes de forêt pen-
dant trente ans. Les autres fonds
sont, eux, conditionnés à des pro-
jets de diversification. Les dossiers
seront traités selon le principe du
premier arrivé, premier servi, et
les arrachages pourront débuter
en octobre, après la vendange.
« Je n’ai pas de succession »
Ce plan est critiqué par le collec-
tif Viti33, dont les demandes
étaient de 10 000 euros de prime
par hectare sur un total de
10 000 à 15 000 hectares, soit
10 % du vignoble. « Avec le coût de
l’arrachage à 1 500 euros l’hec-
tare, il va rester 4 500 euros au vi-
ticulteur, qui sera obligé de laisser
ses terres en jachère vingt ans
sans pouvoir les louer. C’est scan-
daleux », réagit Serge Rizzetto,
propriétaire de Château Le Frè-
gne, à Castelviel. Lui-même avait
La Gironde, qui
avait beaucoup
misé sur la Chine,
a subi
un brusque
ralentissement
des commandes
arraché 3 hectares en 2005 avec
une prime de 15 000 euros à
l’hectare. Il lui reste 19 hectares
dans l’Entre-deux-Mer.
« Après l’arrachage, je me suis re-
positionné. Alors que je vendais
tout mon vin en vrac, je n’en écoule
plus que 10 % par ce biais. Je mets
désormais 20 % de ma production
en bouteilles que je commercialise
à la propriété, ou sur les marchés,
et j’ai des accords avec deux pro-
priétés pour leur vendre le raisin
sur pied. Je m’en sors, mais la situa-
tion reste fragile », témoigne-t-il.
« Je suis la quatrième génération
sur la propriété. Je suis attaché à
mon activité. Je vais déposer un
dossier pour arracher 3 hectares de
vigne et les convertir peut-être en
surface fourragère, mais je n’ai pas
de succession. Mes filles ne veulent
pas prendre la suite », ajoute-t-il.
Alors que, comme dans le
monde agricole en général, la
question de la pyramide des âges
et du renouvellement des généra-
tions se pose, la crise bordelaise
risque de mettre fin à des histoi-
res de transmission familiale de
propriétés.
M. Cousiney a été confronté à ce
dilemme. « Mon fils est parti. Il
m’a dit qu’il ne voulait pas tra-
vailler comme moi pendant vingt
ans sans rien gagner. J’ai trouvé un
repreneur fin 2022 », raconte-t-il.
Sa propriété va passer sous le
contrôle de Jean Merlaut, pro-
priétaire des eaux Abatilles d’Ar-
cachon et de plusieurs propriétés
viticoles bordelaises. M. Cousi-
ney a gardé ses vins et espère les
vendre. Pas question de les dis-
tiller, même si une aide à la dis-
tillation va aussi être débloquée
pour réduire les stocks. M. Falxa
devra y recourir. « Je vais distiller
des rouges qui auraient dû être
vendus il y a deux ans. C’est un crè-
ve-cœur. » Entre arrachage et dis-
tillation, le coup est rude pour les
viticulteurs bordelais. p
laurence girard

IndiGo passe une commande record de 500 Airbus A320

Avec ce contrat, la compagnie indienne devient le plus important acquéreur de A320 avec 1 330 exemplaires commandés ou déjà livrés

C’ est un moment histori-

que ! », s’est exclamé
avec une pointe d’émo-
tion Guillaume Faury, PDG
d’Airbus. Il faut dire que l’avion-
neur européen venait de créer,
lundi 19 juin, la première grosse
sensation du 54e Salon de l’aéro-
nautique et de l’espace du Bour-
get (Seine-Saint-Denis) avec l’an-
nonce d’une commande ferme
de cinq cents moyen-courriers
A320 par la compagnie aérienne
indienne à bas coûts IndiGo. Un
contrat évalué à plus de 44 mil-
liards d’euros. « C’est un jour que
je n’oublierai pas », a commenté
Christian Scherrer, directeur
commercial d’Airbus, un peu ému
lui aussi. « Il s’agit de la plus grosse
commande de l’histoire de l’avia-
tion » pour un seul type d’avion,
s’est félicité le patron d’Airbus.
Fort de ce nouveau contrat,
IndiGo devient le plus gros client
d’Airbus, avec 1 330 appareils
A320 commandés ou déjà livrés.
Suivant à la lettre le business mo-
dèle des compagnies à bas coût
qui privilégie un seul type
d’avion, le plus récent possible,
pour réduire au minimum les
coûts de maintenance et de for-
mation des équipages, pilotes
comme personnels navigants
commerciaux –, IndiGo n’a com-
mandé que des Airbus depuis sa
création, en 2006.
Croissance de la population
Avant même ce nouveau contrat,
IndiGo s’est déjà adjugé la place
de numéro un des compagnies en
Inde. A elle seule, avec sa flotte de
trois cents appareils, elle détient
déjà près de 40 % de parts du
marché indien. La nouvelle com-
mande « est un très fort signal de
la montée en puissance du marché
indien, notamment domestique »,
a précisé M. Scherrer. « Le marché
indien est l’un des plus rapides. Il
deviendra la troisième économie
au monde et c’est juste le commen-
cement », s’est écrié Pieter Elbers,
ancien directeur général de KLM
et aujourd’hui PDG d’IndiGo. Le
dirigeant faisait référence à la
croissance de la population in-
dienne, qui a dépassé le seuil du
1,4 milliard d’habitants.
Avec Pieters Elbers aux com-
mandes, IndiGo veut aller vite.
mande commenceront d’être li-
vrés seulement à partir de 2030 et
jusqu’en 2035. Ce n’est qu’à partir
de la réception du premier exem-
plaire qu’IndiGo précisera ses
son challenge, c’est la montée en
cadence », convient M. Faury.
Pour ne pas casser sa chaîne de
fournisseurs, Airbus doit aug-
menter progressivement son
après son rachat par le groupe in-
dien Tata. L’objectif des compa-
gnies indiennes est d’imposer le
sous-continent comme un hub
entre l’Asie et l’Europe. Avec ses
« La compagnie va doubler de choix entre l’A320 Neo et les diffé- rythme de production. Il prévoit commandes géantes, l’Inde va
taille à la fin de la décennie », a pré- rents modèles d’A321 Neo, notam- de sortir de ses chaînes d’assem- tenter de rivaliser avec la Turquie
cisé l’ex-patron de KLM. Surtout, ment la version XLR. Celle qui per- blage 65 exemplaires mensuels et les compagnies du golfe
ajoute-t-il : « Cette commande met aux compagnies d’opérer des en 2024 puis 75 avions par mois comme Emirates.
nous aide à planifier notre déve- destinations long-courriers avec en 2026. In fine, a précisé le PDG Une concurrence qui va faire le
loppement. » En pratique, les pre- un moyen-courrier. Airbus est d’Airbus, l’objectif est de produire bonheur d’Airbus comme de
miers appareils de cette com- bien conscient qu’« à court terme, environ « 4 500 avions entre 2030 Boeing. « Le potentiel est énorme »,
et 2035 ». M. Faury est sûr de son se réjouit déjà M. Faury. Il faut dire
fait : « Nous ne sommes pas sur- qu’en Inde moins de 10 % des ha-
Des taxis volants au Bourget bookés pour la prochaine décen- bitants ont un passeport. Pour te-
nie. » L’avionneur peut donc pren- nir le rythme de production, le pa-
Les taxis volants font leur entrée au Salon du Bourget, dre de nouvelles commandes. tron de l’avionneur exclut toute-
où un hall d’exposition leur est réservé. Pas moins de huit eVTOL fois d’ouvrir une usine dans le
(aéronefs électriques à décollage et atterrissage verticaux) Tenir le rythme de production pays. « Pas question d’ouvrir une
y sont présentés. Ainsi, l’allemand Volocopter se prépare pour les A l’examen, la commande miracle ligne d’assemblage final dans
Jeux olympiques de Paris de 2024, et teste en région parisienne d’IndiGo ne doit rien au hasard. tous les pays où nous vendons des
son Volocity avec le groupe Aéroports de Paris, la RATP et Elle fait suite au contrat géant avions », a-t-il ironisé. Airbus se
la région Ile-de-France. Il s’agit d’un biplace pouvant parcourir passé par Air India, la rivale de la satisfait des dix lignes d’assem-
35 kilomètres à 110 km/h qui a effectué un premier vol d’essai compagnie à bas coût. En février, blage d’A320, à Hambourg (Alle-
public à l’aérodrome de Pontoise, en novembre 2022. Lundi elle avait passé commande de magne), Toulouse, Tianjing
19 juin, la start-up toulousaine Ascendance Flight Technologies 470 avions, partagée entre Airbus (Chine) et à Mobile (Alabama).
a signé des intentions d’achat avec deux opérateurs pour (250) et Boeing (220). A l’avenir, « C’est assez pour le moment ! », a
110 exemplaires de son futur Atea, un avion de cinq places IndiGo va devoir affronter une assuré M. Faury. p
à propulsion hybride électrique. Air India totalement relancée guy dutheil
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
Intel investit 30 milliards d’euros
en Allemagne
Le groupe américain augmente son investissement dans deux usines
de puces, en échange d’une rallonge de la subvention de Berlin
berlin - correspondance
C’
est un deal aux pro-
portions gigantes-
ques, qui en dit long
sur la résolution de
Berlin de jouer toutes ses cartes
dans la course mondiale aux in-
vestissements industriels. Le gou-
vernement allemand a accordé
une subvention de 9,9 milliards
d’euros à Intel, en échange d’un
quasi doublement de l’investisse-
ment de l’américain outre-Rhin.
Celui-ci passera de 17 milliards à
30 milliards d’euros, pour deux
usines de semi-conducteurs à Ma-
gdebourg (Saxe-Anhalt). Le con-
trat a été signé à la chancellerie
lundi 19 juin, il s’agit du plus grand
investissement direct à l’étranger
jamais réalisé en Allemagne.
L’annonce met un terme à un
conflit qui s’était ouvert en début
d’année. Intel, arguant de la
hausse des prix de l’énergie et des
matières premières, réclamait à
l’Etat et à la région une rallonge de
la subvention initialement accor-
dée pour son implantation. Il exi-
geait au moins 10 milliards
d’euros, et non plus 6,8 milliards,
ce qui a semé le trouble au sein de
la coalition gouvernementale. Le
ministre des finances, le libéral
Christian Lindner, s’est opposé à
ce que tant d’argent public soit
transféré à un groupe mondial
coté en Bourse. Les Verts et les so-
ciaux-démocrates étaient bien dé-
cidés à trouver un compromis.
L’accord conclu lundi prévoit fi-
nalement une hausse de la sub-
vention accordée, mais sa part
dans le volume d’investissement
total a baissé : elle ne couvre plus
que 33 % des coûts du projet, con-
tre 40 % dans le premier accord.
Difficile d’ignorer l’importance
politique considérable du projet :
non seulement l’arrivée d’Intel
renforce la position allemande
Le nucléaire, point de discorde européen
Texte après texte, le clan antinucléaire, autour de l’Allemagne, affronte celui des pro-atome, emmené par la France
bruxelles - bureau européen
C ela fait des mois que ça
dure : la question du nu-
cléaire empoisonne la vie
des Européens qui ont le plus
grand mal à s’entendre sur son
sort. Le réchauffement climati-
que et la fin du gaz russe bon mar-
ché, dans la foulée de la guerre en
Ukraine, les ont convaincus de lé-
giférer tous azimuts pour décar-
boner leur économie, renforcer
leur indépendance énergétique,
mais aussi s’éviter une flambée
des prix de l’énergie comme celle
de l’été 2022. Texte après texte,
deux clans s’écharpent, celui des
antinucléaires, emmené par l’Al-
lemagne, et celui des pro- atome,
dont la France a pris la tête.
Lundi 19 juin, les ministres de
l’énergie européens ont encore
passé de longues heures à discuter,
sans parvenir à un accord sur la ré-
forme du marché de l’électricité,
que la Commission européenne a
imaginée pour contenir la volati-
lité des prix de l’électricité et offrir
aux investisseurs dans les éner-
gies décarbonées un cadre clair.
Aujourd’hui, les ménages et les
entreprises paient le kilowat-
theure au prix auquel il est pro-
duit dans la dernière centrale,
souvent à gaz, mise en service
pour répondre à la demande. De-
puis que Moscou a coupé le robi-
net du gaz à ses clients européens,
dans la très stratégique industrie
microélectronique, mais elle crée
des milliers emplois à haute va-
leur ajoutée dans une région de
l’Est faiblement industrialisée, où
l’extrême droite est créditée de
26 % des intentions de vote dans
deux sondages récents.
Dans son communiqué, le
groupe Intel a précisé que le futur
site de Magdebourg, serait amé-
lioré par rapport à ce qui était
prévu au départ. « Silicon Junc-
tion », le nom du complexe indus-
triel, « devrait entrer en produc-
tion avec une technologie plus
avancée que celle prévue à l’ori-
gine et elle sera la première du
genre en Europe ».
« Un élément essentiel »
Selon la presse allemande, Intel
devrait ainsi doter cette usine des
installations les plus modernes :
les machines utilisant la technolo-
gie de lithographie extrême ultra-
violet, fabriquées par le néerlan-
dais ASML, en coopération avec les
sous-traitants allemands Trumpf
et Carl Zeiss, qui permet de fabri-
quer les puces les plus performan-
tes du marché. Intel précise que la
production devrait démarrer dans
quatre à cinq ans, en fonction de la
date à laquelle la Commission
européenne donnera son feu vert
pour le programme de subven-
tions. « La construction de la “Sili-
con Junction” est un élément essen-
tiel de notre stratégie de croissance
pour Intel », a déclaré le PDG, Pat
Gelsinger.
L’accord avec Berlin survient
une semaine après l’annonce
d’un investissement de 4,6 mil-
liards d’euros à Wroclaw, en Polo-
gne. Ces nouvelles capacités de
production, combinées aux usi-
nes du groupe déjà existantes en
Irlande, doivent créer « une
chaîne de valeur de semi-conduc-
teurs complète, à la pointe de la
ces derniers cherchent un autre
modèle qui permette aux con-
sommateurs de bénéficier des
prix de l’énergie produite sur leur
sol, sans pour autant décourager
les producteurs d’énergie.
Dans ce contexte, la Commis-
sion propose des contrats à long
terme entre consommateur final
et producteur d’électricité décar-
bonée ou entre producteur et
Etat, selon les cas, afin d’offrir
une certaine sécurité aux deux
parties. C’est sur les « contrats sur
différence » (contract for diffe-
rence ; CFD), grâce auxquels l’Etat
garantit un prix fixe aux produc-
teurs d’électricité, que les débats
achoppent. En vertu de ce méca-
nisme, le producteur d’électricité
doit reverser les revenus engran-
gés si le cours sur le marché est
supérieur au prix garanti et per-
çoit une compensation dans le
cas contraire.
L’exécutif communautaire pro-
pose que tout soutien public à de
nouveaux investissements dans
Le ministre
allemand
de l’économie
redoute
les « distorsions
de marché »
Pour Olaf Scholz,
cet accord arrive
à point nommé
pour rehausser
un bilan
économique
récemment
assombri
technologie, la première du genre
en Europe », a ajouté M. Gelsinger.
Pour le chancelier Olaf Scholz,
cet accord arrive à point nommé
pour rehausser un bilan économi-
que récemment assombri. Après
le soulagement d’avoir échappé
sans trop de casse à l’arrêt des li-
vraisons de gaz russe, les milieux
économiques s’inquiètent désor-
mais du ralentissement durable
de la machine allemande.
La première économie euro-
péenne, entrée en récession tech-
nique au printemps, affiche une
des performances les plus faibles
des pays de l’OCDE. Les prix de
l’énergie, le manque de personnel
qualifié et les lenteurs administra-
tives sont régulièrement pointés
du doigt par les milieux économi-
ques, inquiets d’une perte de com-
pétitivité et d’une désindustriali-
sation rampante.
« L’Allemagne est en train de de-
venir un des plus grands sites de
production de semi-conducteurs
dans le monde », a contré Olaf
Scholz lundi matin, lors de son
discours aux Journées de l’indus-
trie, rendez-vous annuel de la Fé-
dération des industriels (BDI).
Outre les investissements récents
des groupes de microélectronique
Infineon et Wolfspeed, « d’autres
discussions se trouvent actuelle-
ment dans les starting-blocks, a-t-il
glissé. C’est un message à ceux qui
la production d’électricité décar-
bonée − y compris nucléaire − se
fasse avec cet outil. Pour la France,
qui pourrait mettre à niveau son
parc nucléaire sans contrevenir à
la législation en matière d’aides
d’Etat, c’est fondamental. Sans un
tel mécanisme, la ministre fran-
çaise Agnès Pannier-Runacher an-
nonce des « difficultés importan-
tes en matière de sécurité d’appro-
visionnement comme de capacité
à tenir [les] objectifs climatiques ».
Pour Berlin et ses alliés, il est
hors de question que Paris finance
ainsi son grand carénage. Le mi-
nistre de l’économie allemand,
Robert Habeck, redoute les « dis-
torsions de marché » que créerait
un tel avantage fait à la filière fran-
çaise. Claude Turmes, le Luxem-
bourgeois, dénonce un « énorme
cadeau au nucléaire français ».
Accord au niveau diplomatique
Autre point de discorde, la Com-
mission prévoit que l’Etat reverse
aux consommateurs – ménages
comme entreprises – tout revenu
supérieur au plafond de prix. Ber-
lin demande plus de flexibilité.
« L’Allemagne veut surtout verser
l’argent aux industriels. Mais ça,
c’est de l’aide d’Etat, et ça nécessite
une autorisation de la Commis-
sion », précise un diplomate euro-
péen du camp pronucléaire.
La Commission prévoit aussi
d’autoriser les Etats à aider finan-
économie & entreprise | 17
se sont habitués à ne voir que ce qui
ne fonctionne pas. En réalité, tout
converge vers l’Allemagne ».
Reste que cette « convergence »
est fortement liée à une large poli-
tique d’aides à l’économie menée
par Berlin depuis plusieurs mois,
de plus en plus débattue. Le chè-
que promis au groupe américain
n’est qu’une petite partie de l’en-
veloppe envisagée pour soutenir
la transformation de l’économie,
en ligne avec les programmes
européens : le groupe sidérurgi-
que ThyssenKrupp pourrait ainsi
recevoir 2 milliards d’euros pour
décarboner sa production d’acier.
Le producteur de batteries Nor-
thvolt devrait recevoir un subside
important pour s’installer dans le
nord de l’Allemagne. Et, en mai, le
ministre de l’économie, Robert
Habeck, a proposé de subvention-
ner l’électricité pour les indus-
triels très consommateurs
d’énergie, à travers un contro-
versé « prix de l’électricité pour
l’industrie », qui pourrait coûter
30 milliards d’euros au contribua-
ble jusqu’en 2030.
Cette politique industrielle re-
vendiquée, menée au nom de la
décarbonation et de la résilience
des chaînes de valeur industrielle,
ne fait pas l’unanimité parmi les
économistes, qui redoutent
l’inefficacité de ces subventions.
« Nous devrions nous concentrer
sur les secteurs dans lesquels des
dépendances et des externalités
géoéconomiques importantes
peuvent se produire. Et pas organi-
ser un concours de vœux de politi-
que industrielle », a ainsi critiqué
Moritz Schularick, le nouveau
président de l’Institut pour l’éco-
nomie mondiale de Kiel, dans la
presse. En Allemagne, ancienne
championne du libre-échange et
de la concurrence non faussée, un
nouveau modèle se cherche. p
cécile boutelet
cièrement des centrales, qui pour-
raient être mises à contribution de
manière épisodique, lorsque le
Vieux Continent serait menacé de
pénurie. La Pologne souhaite que
ce dispositif s’applique transitoi-
rement aux centrales à charbon,
dont elle est très dépendante. La
France s’y montre favorable
quand l’Allemagne, le Luxem-
bourg ou l’Autriche s’insurgent.
Ces derniers jours, la France a ob-
tenu satisfaction dans un autre
dossier qui a, lui aussi, à faire avec
la question nucléaire. Le 16 juin,
lors d’une réunion des ambassa-
deurs des Vingt-Sept auprès de
l’Union européenne (UE), après
plusieurs semaines de négocia-
tions difficiles, Paris a obtenu une
exemption dans le cadre de la di-
rective concernant les énergies re-
nouvelables, qui prévoit que, d’ici
à 2030, 42,5 % du mix énergétique
proviendra des éoliennes et autres
panneaux photovoltaïques.
Si elles font l’objet d’investisse-
ments pour réduire leur em-
preinte carbone, les usines d’am-
moniac (utilisé dans l’alimentaire
et la chimie) fonctionnant à l’hy-
drogène fossile ne seront pas pri-
ses en compte pour calculer la part
d’hydrogène vert, produit à partir
du solaire et autres éoliennes : cela
laisse plus de place à l’hydrogène
produit à partir du nucléaire, et
cela bénéficie essentiellement à
l’Hexagone. Le Parlement euro-
PERTES & PROFITS | ÉLECTRICITÉ
p a r p h il ip p e e s c a nde
L’Afrique et les
réfrigérateurs américains
Il y aura du beau monde à Paris
les 22 et 23 juin. La secrétaire au
Trésor américaine, Janet Yellen, le
premier ministre chinois, Li
Qiang, et pas moins de 21 prési-
dents africains se croiseront au
Palais Brongniart. Le Sommet
pour un nouveau pacte financier
mondial entend aider les pays les
plus défavorisés à réaliser leur
transition énergétique en inves-
tissant dans les infrastructures
« vertes » et à s’adapter à la nou-
velle donne climatique. D’où
l’importante présence africaine.
Il sera question de dette et d’in-
vestissement, les deux faces
d’une même pièce, celle de l’éter-
nel combat pour le développe-
ment des pays d’Afrique subsaha-
rienne. Ces derniers se seront
réunis auparavant, ce mardi
20 juin à Nairobi, pour parler du
sujet très proche de l’énergie, et
notamment de l’électricité, à la
fois la plaie et l’espoir de l’Afrique.
Pour comprendre l’ampleur du
défi, faisons un détour par le
rayon électroménager. La star du
moment est le réfrigérateur
américain. Généralement de fa-
brication coréenne, turque ou
chinoise, il brille de tous ses
chromes avec ses deux portes et
son distributeur de glaçons. Il
consomme en moyenne
640 kWh/an. Une paille pour nos
bourses occidentales.
Des pénuries régulières
C’est pourtant exactement trois
fois et demie la consommation
totale d’électricité d’un Africain
moyen sur un an. Sur le conti-
nent, un habitant sur deux, soit
590 millions de personnes, n’y a
tout simplement pas du tout ac-
cès. Sans développement, pas
d’électricité, mais sans électricité,
pas de développement possible.
Selon un sondage de l’ONG
Energy for Growth, les trois
quarts des entreprises africaines
sont confrontées à des pénuries
régulières d’électricité.
péen ne devrait pas s’opposer à ces
aménagements, reste maintenant
aux Etats à valider l’accord trouvé
au niveau diplomatique.
Dans une déclaration adjointe à
la directive, la Commission s’ap-
prête par ailleurs à reconnaître
que le nucléaire contribue lui
aussi à la lutte contre le réchauf-
fement climatique. Concrète-
ment, explique-t-on au cabinet
de Mme Pannier-Runacher, « cela
engage la Commission, cela lui
sera opposable dans les prochai-
nes propositions et dans toutes les
négociations. Politiquement, c’est
absolument majeur pour la suite
des discussions européennes ».
« Politiquement, c’est important
pour la France. Mais, en pratique,
ça ne change pas grand-chose »,
nuance un haut fonctionnaire
européen.
Depuis février, la France multi-
plie les initiatives pour faire valoir
ses points de vue en matière de
nucléaire. Elle a, entre autres, créé
une « alliance du nucléaire » qui
réunit une quinzaine de pays,
dont la Bulgarie, la Croatie, la
Hongrie, la Finlande, la Pologne,
la République tchèque, la Rouma-
nie, la Slovaquie, la Slovénie et la
Suède. La bataille est loin d’être
terminée. Mais, de tous les textes
en discussion, celui sur la réforme
du marché de l’électricité est le
plus significatif pour Paris. p
virginie malingre
Pourtant, paradoxe suprême,
l’Afrique est le continent le plus
richement doté dans ce do-
maine. Nombre de pays dispo-
sent de réserves de gaz, son enso-
leillement peut lui fournir de
l’électricité à foison, y compris
pour produire de l’hydrogène ex-
portable, son sous-sol regorge
des ingrédients nécessaires pour
produire des batteries, des mo-
teurs et des panneaux solaires, et
l’on vient même de découvrir
que l’immense faille géologique
du Rift, qui traverse le Kenya de
part en part, serait un endroit
idéal pour stocker et transformer
en roche du gaz carbonique
capté dans l’atmosphère.
Conscients de ces atouts, les
pays occidentaux multiplient les
projets, que ce soit dans le gaz où
même pour tester la production
d’hydrogène sous forme d’am-
moniac. Mais ces réserves, à l’ins-
tar des minerais de cobalt ou de
cuivre partent vite en bateaux.
Selon l’Agence internationale de
l’énergie, la production d’électri-
cité du continent est de 260 GW,
soit 3 % de la capacité mondiale,
alors que l’Afrique représente
18 % de la population du globe.
Pour se développer, il lui fau-
drait doubler sa capacité, et donc
investir en masse pour ses be-
soins. Avec une autre contrainte,
si au lieu de le faire avec des
énergies fossiles, elle adoptait les
énergies renouvelables, elle de-
vrait multiplier par six son parc
actuel. Une installation d’électri-
cité solaire est très économe en
fonctionnement, puisque l’éner-
gie est gratuite, mais en revanche
elle est très intensive en capital.
Et celui-ci est de plus en plus rare
et cher en raison du surendette-
ment des pays et de la remontée
des taux d’intérêt. Voilà un sujet
de discussion tout trouvé à Nai-
robi et à Paris pour tenter d’évi-
ter que, une fois de plus, l’Afrique
ne soit la grande oubliée des
changements du monde. p
AU TOMOBI LE
Tesla : Musk juge « très
probable » un projet
« important » en France
Il est « très probable que Tesla
fera quelque chose de très
important en France dans
les années à venir », a déclaré
le patron du constructeur
automobile, Elon Musk, sans
confirmer l’implantation de
l’usine souhaitée par Emma-
nuel Macron, dans un entre-
tien diffusé lundi 19 juin
sur France 2. – (AFP.)
Luca de Meo nommé
PDG d’Ampere, filiale
électrique de Renault
Le conseil d’administration
de Renault a confié, lundi
19 juin, à son actuel directeur
général Luca de Meo les
rênes de sa nouvelle filiale,
Ampere, qui produira les vé-
hicules électriques de la mar-
que. Il devra « assurer le lan-
cement de la société et la
réussite de son projet d’intro-
duction en Bourse », tout en
conservant ses responsabili-
tés chez Renault, a indiqué
le groupe. – (AFP.)
E- COMMER C E
Un nouveau patron
pour Alibaba
Alibaba, géant chinois de l’e-
commerce, a annoncé mardi
20 juin le remplacement
de son PDG Daniel Zhang,
en poste depuis huit ans
par Joseph C. Tsai, actuel vice-
président exécutif du groupe
en pleine restructuration
avec la division de ses activi-
tés en six entités. – (AFP.)
18 | économie & entreprise
REPORTAGE
abidjan (côte d’ivoire) -
envoyée spéciale
C’
est un combat
et, à la fin, on
sait qui sera le
gagnant », lâ-
che Jérémie
Koffi N’Gues-
san, alors qu’un orage colossal
s’abat, à la mi-journée, sur son
restaurant d’Abidjan. Le toit fuit
et, par la fenêtre, on ne peut pres-
que plus distinguer les tombe-
reaux de pluie des vagues rageu-
ses qui viennent s’écraser juste
au-dessus des fondations.
M. N’Guessan est depuis
quinze ans le gérant du Petit Ba-
teau, une cantine réputée située
le long d’un chemin de terre dans
le quartier de Vridi. Aujourd’hui,
la volée de tables en bois sur-
plombe presque directement les
flots. « Avant, poursuit-il, le res-
taurant était situé à au moins
20 mètres de la mer, il y avait des
cocotiers, une plage… Mais, avec
les années, la mer avance. »
« La mer avance, répète-t-il, et
nous, on recule, on a déjà re-
construit trois fois. Certaines an-
nées, c’est calme, mais d’autres, la
mer casse les cloisons, les vagues
arrosent la toiture. » Ces an-
nées-là, dit-il, le propriétaire est
bon pour un chèque de « 15 mil-
lions de francs CFA » (22 800 euros)
pour refaire le béton et protéger
son établissement. Une coquette
somme pour ce restaurant sans
prétention qui réunit les familles
le dimanche autour d’une lan-
gouste grillée, sa spécialité. Mais
sans commune mesure avec les
montants en jeu pour les infras-
tructures qui l’entourent.
DES VILLES À FAIBLE ALTITUDE
A quelques dizaines de mètres
s’élèvent les énormes cuves grises
et l’entrelacs de cheminées de la
Société ivoirienne de raffinage,
l’une des principales raffineries
d’Afrique de l’Ouest. Vridi, une île
et une zone industrielle cruciale
pour le pays, compte aussi une
centrale électrique, des usines de
transformation de cacao ou
d’huile de palme, sans compter de
nombreux sites logistiques et en-
trepôts. A quelques kilomètres
vers l’est, sur la même bande de
terre plate qui s’étend face à
l’océan, se trouve l’aéroport inter-
national Félix-Houphouët-Boigny.
Composée d’îles et de presqu’îles
séparées par des bras de lagune, la
capitale économique ivoirienne
est littéralement assise sur l’eau.
Des ponts conduisent aux quar-
tiers centraux, vers le « conti-
nent », un peu plus en hauteur,
mais dont certains bâtiments af-
fleurent juste au-dessus de l’eau.
La ville, qui regroupe plus de
6 millions d’habitants, soit plus de
20 % de la population du pays, a
conscience de sa vulnérabilité.
« Les problèmes d’érosion côtière
constituent une préoccupation
majeure pour la Côte d’Ivoire, ex-
plique Abé Delfin Ochou, ensei-
gnant à l’université et coordina-
teur d’un programme de rési-
lience au réchauffement climati-
que associant les autorités
ivoiriennes et la Banque mon-
diale, le West Africa Coastal Areas
Management (WACA). Depuis au
moins deux décennies, la mer pro-
gresse à un rythme de 1 à 2 mètres,
voire 3 mètres par an, et surtout
avec des avancées spectaculaires
où parfois, en une nuit, on peut
avoir 10 mètres de terre engloutie ! »
Le poumon ivoirien n’est pas
une exception. La majorité des ca-
Vue aérienne d’Abidjan (Côte d’Ivoire), le 29 septembre 2019. KEREN SU/CHINA SPAN/ALAMY/HÉMIS.FR
PLEIN CADRE
Les ports africains
rongés par la mer
Situées sur une côte particulièrement sensible aux altérations
du climat, les capitales économiques d’Afrique de l’Ouest doivent
s’adapter en supportant des investissements très lourds
pitales économiques d’Afrique de du département environnement,
l’Ouest, et certaines du centre du ressources naturelles et économie
continent, sont situées sur le litto- bleue pour l’Afrique de l’Ouest à la
ral. Des ports dont l’activité est en Banque mondiale.
forte croissance et qui ont pris une En raison de cette topographie,
importance considérable dans le ces villes sont très exposées à ce
développement de leur pays, pour que les scientifiques appellent le
exporter les matières premières « recul du trait de côte », soit le gri-
mais aussi importer des biens à gnotage de la terre par la mer. Il ré-
destination du grandissant mar- sulte de l’action combinée de plu-
ché local ou des Etats enclavés. sieurs facteurs, présents et à venir :
Or, cette côte est extrêmement érosion côtière naturelle, accéléra-
sensible aux altérations du climat, tion de cette érosion en raison des
tout d’abord parce qu’elle se activités humaines (ponction du
trouve à très faible altitude. Le sable pour la construction, instal-
cœur de Lagos, bouillonnante mé- lation d’infrastructures qui désé-
galopole nigériane de 20 millions quilibrent le déplacement des sé-
d’habitants, est, lui aussi, installé diments), montée des eaux liée au
sur un chapelet d’îles, au ras de réchauffement climatique…
l’eau. Nouakchott, en Mauritanie, Ce recul ne doit pas être unique-
est même sous le niveau de la mer, ment vu comme lent et linéaire : il
seulement protégée par un cor- se produit aussi par à-coups, en
don dunaire aujourd’hui menacé raison d’événements climatiques
par des brèches. « Si l’une des brè- extrêmes. Parfois, l’eau finit par se
ches était amenée à rompre, envi- retirer, mais les dégâts sont là. En
ron un tiers de la capitale pourrait Guinée-Bissau, une bonne partie
être submergé, touchant directe- de la capitale, Bissau, sera inondée
ment près de la moitié de sa popu- au moins une fois par an à partir
lation, soit environ 500 000 habi- de 2050, selon un scénario moyen,
tants », note Maria Sarraf, cheffe souligne Mme Sarraf. Pour les pays
à très faibles revenus comme ce-
lui-ci (800 dollars de PIB par habi-
tant, soit 732 euros, contre
43 600 dollars pour la France), « les
MAURITANIE pertes dues à l’érosion côtière pour-
Nouakchott raient atteindre des dizaines de
pourcents du PIB et ce seront sou-
Dakar vent les populations les plus pau-
SÉNÉGAL
vres qui en payeront le prix ».
Bissau CÔTE L’évaluation économique de la
NIGERIA menace reste relativement parcel-
GUINÉE- D’IVOIRE
BISSAU Lagos laire, beaucoup de villes man-
Abidjan quant de moyens et de données.
Dans un chapitre consacré à l’Afri-
que de son dernier rapport, le
Océan
Atlantique Groupe d’experts intergouverne-
1 000 km
mental sur l’évolution du climat
(GIEC) a cependant donné des esti-
mations assez précises : dans
douze villes côtières majeures du
continent, les coûts liés à l’aug-
mentation du niveau de la mer et
aux événements climatiques ex-
trêmes devraient totaliser 57 mil-
liards de dollars entre 2020 et
2050 dans un scénario à environ +
1,5 °C, soit le plus optimiste.
A Abidjan, parmi les métropoles
les plus affectées, la facture atteint
16 milliards de dollars. La menace
n’est pas limitée à l’Afrique de
l’Ouest : Alexandrie, à la jonction
de la Méditerranée et du delta du
Nil, cumulera près de 33 milliards
de dollars de dommages.
SOLUTIONS ONÉREUSES
A quoi correspondent ces coûts ?
Ils touchent à la fois à des éléments
tangibles, comme la pure perte de
lopins de terre, et à d’autres plus
théoriques, comme la diminution
de l’activité économique sur ces
parcelles ou dans un secteur en gé-
néral. Au Sénégal, l’érosion à elle
seule a fait perdre à Dakar 537 mil-
lions de dollars en 2017, selon une
étude du programme WACA : effa-
cement de terrains immobiliers,
dont le coût est très élevé sur cette
péninsule par rapport au reste du
pays ; perte d’actifs ou encore
chute de la production, notam-
ment agricole. Soit, alors, l’équiva-
lent de 3,3 % du PIB sénégalais.
En Côte d’Ivoire, on mesure déjà
comment cette érosion peut bou-
leverser le secteur du tourisme,
souvent crucial en matière d’em-
plois mais aussi d’entrées de devi-
ses. Tout près d’Abidjan, la cité bal-
néaire de Grand-Bassam est célè-
bre pour son ambiance détendue
et ses bâtiments classés au Patri-
moine mondial de l’Unesco. Là
aussi, la mer « est venue de très
En Côte d’Ivoire,
on mesure
déjà comment
cette érosion
peut affecter
le secteur
du tourisme
loin », témoigne Louise Martin
Kaoucou, arrivée il y a qua-
torze ans comme serveuse à
l’Etoile du Sud, un hôtel désormais
situé juste devant les eaux.
En 2011, un raz-de-marée a dé-
truit plusieurs établissements voi-
sins. En ce jour de saison des
pluies, à marée haute, la plage n’est
plus qu’une fine bande de sable
qui plonge abruptement dans
l’océan. Un drapeau rouge interdit
la baignade en raison des forts
courants. Quelques jours plus tôt,
la houle est venue s’introduire jus-
que dans l’élégante piscine entou-
rée de cocotiers. « Il faut tout le
temps nettoyer. On avait placé une
clôture, tout est parti », poursuit la
maîtresse d’hôtel. Une question
de coûts mais aussi d’image pour
cet établissement « connu ».
A quelques mètres de là, le
« grand projet » de Désiré Marius
Tohou a fait long feu. Avec son as-
sociation, l’Association des jeunes
plagistes pour l’assainissement du
littoral, il ambitionnait de cons-
truire sur ce tronçon des équipe-
ments sportifs et ludiques, Les
Grands Jeux du littoral. « Nous sou-
haitions valoriser la plage, la rendre
plus attractive, que les gens ne puis-
sent pas seulement se baigner mais
aussi se distraire. (…) Mais on n’a
plus d’espace pour réaliser ces pro-
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
jets », déplore cet homme de
40 ans qui s’est reconverti dans la
collecte de déchets. « Il n’y a pas
réellement d’opportunités écono-
miques ici parce que tout est con-
centré sur le tourisme. »
Des solutions existent pour pro-
téger, du moins partiellement, vil-
les et infrastructures. Au Togo et
au Bénin, le programme WACA tra-
vaille notamment à ériger le long
du rivage des épis, qui permettent
de ralentir l’érosion. Mais chacune
de ces longues digues de rochers
ne coûte pas moins de 1 milliard de
francs CFA, soit 1,5 million d’euros.
De même, « les ports, les quais doi-
vent être plus hauts », là encore
pour un coût additionnel, note
Marcus Mayr, expert en urba-
nisme au sein de la Banque afri-
caine de développement (BAD).
« Si nous finançons un port pour
100 millions de dollars, cela va coû-
ter peut-être 110 millions de dollars
pour le rendre résilient. Il y aura
10 millions à payer en plus », pour-
suit-il à titre d’exemple, souli-
gnant que la BAD propose, comme
d’autres institutions de dévelop-
pement, des subventions ou des
prêts à faible taux pour ces sur-
charges. Car ce surcoût lié à l’adap-
tation est un sérieux écueil. D’un
côté, le secteur privé rechigne à
prendre en charge ces montants
qui altèrent la rentabilité des pro-
jets. « Ils estiment que c’est peut-
être l’Etat qui doit le faire. Or, l’Etat
a peu de moyens et doit se faire ac-
compagner », soupèse M. Ochou.
De l’autre, les gouvernements pei-
nent à mobiliser en priorité ces
sommes gigantesques, dans une
région aux prises avec de multi-
ples urgences (emploi de la jeu-
nesse, santé, menace terroriste).
Les institutions multilatérales ?
Malgré l’affichage proclimat et la
multiplication des instruments
de financement en ce sens, elles
vont aussi devoir opérer des
choix. « Nous devons comprendre
que nous ne pouvons pas protéger
tout le littoral africain avec des in-
frastructures, pointe Mme Sarraf,
de la Banque mondiale. Nous de-
vons accepter que des zones seront
perdues du fait de l’érosion et de
l’élévation du niveau de la mer. » p
marion douet
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0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
Les élèves soignants face à la mort de leurs patients
Dans des hôpitaux sous tension, les étudiants ne sont pas toujours bien préparés à cette expérience difficile
C’
est un rendez-vous
que les élèves infir-
miers et les futurs
médecins ne peu-
vent pas reporter, un imprévu
qui se glisse subrepticement
dans le fil d’une journée, une pre-
mière rencontre qu’ils n’oublie-
ront jamais, celle avec la mort.
Lorsque les étudiants en santé se
trouvent confrontés les premiè-
res fois à la fin de vie de patients.
« Ils sont encore tout petits »,
souligne la docteure en pharma-
cie Sophie Séronie-Vivien, profes-
seure à la faculté de santé de Tou-
louse et présidente de la commis-
sion pour le bien-être étudiant. Ils
doivent pourtant gérer leurs émo-
tions, et ils le font souvent seuls.
Alexis, étudiant en médecine à
l’université Paris Cité, commence
un stage de troisième année en
cancérologie, en 2022. Un méde-
cin lui confie le bilan de santé
de routine d’une patiente âgée
d’une cinquantaine d’années,
« une femme pétillante, en bonne
forme », se souvient l’étudiant. Le
premier examen est inquiétant,
l’examen complémentaire révèle
un cancer du sein métastasé.
« C’était l’une de mes premières pa-
tientes, elle était condamnée. Un
truc sous-marin est monté en moi,
j’ai pensé à ma mère, j’ai fait un
transfert sur ma propre famille, ça
m’a remué. C’était fort. »
Cette émotion, à la suite du dé-
cès d’un de ses premiers patients,
Maëlys, aujourd’hui 21 ans, en
deuxième année à l’Institut de
formation en soins infirmiers
(IFSI) de Grenoble, l’a également
éprouvée. Début 2022, elle réalise
son premier stage au centre hos-
pitalier universitaire (CHU) de sa
ville en traumatologie. « Ce n’est
pas le service où il y a le plus de dé-
cès », observe-t-elle. On lui confie
une patiente. « Je l’aide à manger,
je fais sa toilette », résume Maëlys.
La malade ne parle presque plus.
« Mais je découvre la communica-
tion non verbale, à travers la pa-
tience, le temps passé à réaliser des
soins, à l’attention que je lui
porte », dit l’élève infirmière. Un
matin, Maëlys aperçoit dans le
couloir un chariot d’urgence
ouvert, l’indice qu’un patient a
quitté le service. Elle interroge
l’infirmière de garde : « Elle me ré-
pond que ma patiente est décédée,
elle prononce les mots sans tris-
tesse, je sens que c’est normal pour
elle, alors qu’on parle d’un décès. »
L’émotion la submerge, l’étu-
diante en premier semestre
pleure, mais d’autres patients at-
tendent des soins, et les effectifs
sont en tension. « On en parlera
plus tard », lui lance sa tutrice.
L’hôpital doit tourner.
Première immersion
Lorsque, baccalauréat en poche,
les élèves infirmiers quittent le ly-
cée pour un IFSI, il leur est dis-
pensé quelques semaines de for-
mation théorique durant lesquel-
les sont abordés l’empathie, la
bienveillance, qui feront d’eux
des « soignants ». Puis les élèves
sont envoyés en stage pour une
première immersion. Celle-ci se
fait souvent en établissement
d’hébergement pour personnes
âgées dépendantes (Ehpad).
« C’est une étape essentielle, ex-
pose Jean-Marc Boussard, direc-
teur des instituts de formation du
groupe hospitalier du sud des
Yvelines, ils apprennent à réaliser
les soins primaires de confort,
d’hygiène et de bien-être à la per-
sonne [toilette, alimentation]
qu’ils pratiqueront durant toute
leur vie de soignant. »
Au sein de l’hôpital de Ram-
bouillet, cette proximité entre
l’accompagnement à la fin de vie
et la formation des soignants se
retrouve dans l’aménagement
même de l’établissement. L’IFSI
jouxte l’Ehpad et c’est à l’ombre
des mêmes arbres que les étu-
diants et les résidents se protè-
gent de la chaleur de ce mois de
campus | 19
« Quand un chef
de clinique a la
charge de cinq
ou six étudiants,
le système
se grippe »
SOPHIE SÉRONIE-VIVIEN
professeure à la faculté
de santé de Toulouse
évoquées. « Ce sont des séances de
dialogue où l’on appréhende ce
que les autres ont vécu. Il n’y a pas
de jugement, que de l’écoute, de
l’échange et de la bienveillance »,
décrit Angeline Sanier.
Au sein de l’IFSI Bicêtre de
l’Assistance publique-Hôpitaux
de Paris, au Kremlin-Bicêtre (Val-
de-Marne), des groupes compo-
sés de néobacheliers et d’aides-
soignants en reprise d’études
sont créés pour faciliter « l’ap-
prentissage entre pairs ». « Dans
les situations professionnelles et
humaines que les plus jeunes vont
découvrir, ils seront aidés par
l’expérience des plus capés », expli-
que Karine Corbrion, directrice
de l’établissement.
Cette bienveillance entre soi-
ANNA WANDA GOGUSEY gnants, les apprentis médecins
peuvent parfois la rencontrer : cela
dépend des services et des person-
juin. « J’appréhendais ce premier ment un service. S’ils prennent le Un jour, il a une insuffisance respi- nes qui les dirigent. « C’est très hu-
stage, c’est une approche particu-
« La sympathie, temps de nous donner des cours, ratoire et décède lors de son trans- main dépendant », constate Alice.
lière d’apporter des soins à une c’est s’attacher. c’est déjà très bien, témoigne fert en réanimation. Cette première Raphaël Canonne, 22 ans, étudiant
personne âgée, d’entrer directe- Alexis, étudiant à Paris Cité. Se expérience a été choquante pour en quatrième année de médecine,
ment dans son intimité, alors
Il ne faut pas poser pour parler avec un forma- moi, j’ai eu du mal à digérer. Mais, lui aussi à Sorbonne Université, en
qu’elle a derrière elle une longue s’investir de teur d’une situation compliquée, avec le temps, j’apprends à mieux a fait l’expérience lors d’un stage
vie d’histoires et d’expériences », c’est du jamais-vu. » gérer mes émotions dans les situa- au SAMU de la Pitié-Salpêtrière, en
témoigne Angeline Sanier, 20 ans,
cette façon, car Comment s’investir sans s’im- tions de fin de vie. » septembre 2022. Pour sa première
élève de première année. Sans at- la descente peut pliquer émotionnellement ? La La frontière entre bienveillance intervention, il part avec un méde-
tendre, on la met en relation avec théorie, les élèves médecins la et engagement émotionnel est cin, un interne, un infirmier et un
une « dame qui ne voulait plus
être brutale » connaissent par cœur. « C’est une ténue. « Avoir de l’empathie, c’est ambulancier. Un septuagénaire,
s’alimenter ». Une équipe de soins ALICE définition que nous avons tous ap- écouter les patients, accepter ce victime d’un arrêt cardiaque. Sur
palliatifs est mobilisée pour l’ac- étudiante en médecine prise en première année : l’empa- qu’ils ressentent et prendre cela place, les pompiers tentent de le
compagner. Sa patiente mourra à Sorbonne Université thie est une disposition d’esprit en considération. La sympathie, réanimer. Mais l’homme est mort,
quelques jours plus tard. Ange- qui permet de reconnaître et de c’est se rapprocher et s’attacher. et son épouse est en état de choc.
line n’en a jamais parlé, ni a ses tu- comprendre ce que ressent son in- Il ne faut pas s’investir de cette Le médecin laisse poursuivre le
teurs ni à ses camarades. « Lors- terlocuteur, sans y adhérer en tota- façon, car, quand cela se passe massage cardiaque. « J’ai découvert
que le patient d’un élève meurt, les lité. La compassion quant à elle mal, la descente est brutale », té- la réanimation compassionnelle,
soignants et tuteurs savent qu’il supprime cet esprit critique… Cela moigne Alice, 24 ans, en cin- explique l’externe. Il ne s’agissait
traverse un moment particulier, ils mène à des implications émo- quième année de médecine à plus de sauver cet homme, mais
vont prendre le temps d’accompa- tionnelles trop importantes », Sorbonne Université. d’aider sa compagne à faire sa tran-
gner l’apprenant, même s’ils ne récite Yaël Thomas, président de sition vers la période de deuil.
l’ont pas, ce temps », assure Jean- l’Association nationale des étu- « Séances de dialogue » C’était violent, je ne savais pas où
Marc Boussard. Mais, sur le ter- diants en médecine de France et Pour marcher sur cette ligne de me mettre. Après coup, l’équipe en-
rain, les situations diffèrent. élève en troisième année de crête, « il faut y être confronté, c’est tière s’est réunie, nous avons parlé,
« Quel que soit le service, l’hôpi- médecine à Brest. le job et on l’apprend sur le tas », se- expliqué. J’ai pu dire comment
tal est sous une pression per- Kaëlig Delaunay, 20 ans, en lon Alexis. La médecine, c’est un j’avais vécu ce moment, ce que j’ai
manente, rend compte Emma deuxième année à l’IFSI de Ren- apprentissage. « Cela s’expéri- ressenti. C’était utile et nécessaire. »
Peltais, 20 ans, secrétaire générale nes, réalise son premier stage dans mente avec quelqu’un qui ac- Afin d’accompagner les futurs
de la Fédération nationale des le service de soins de réadaptation compagne, rappelle la docteure soignants dans la gestion de leurs
étudiants en sciences infirmières, du CHU de la capitale bretonne, Séronie-Vivien, mais quand un émotions, « petit à petit les choses
et étudiante en troisième année à en 2021. « On me confie un patient, chef de clinique a la charge de se mettent en place, notamment
l’IFSI de Rennes. Les soignants un homme, octogénaire. On m’assi- cinq ou six étudiants, le système se avec des groupes de parole pour
sont pris par le rythme de leur jour- gne les soins d’hygiène et de con- grippe. Il faut plus d’encadrants. » les étudiants », assure la docteure
née et le décès d’un patient est de- fort. Je le vois tous les jours, il me ra- Les IFSI ont néanmoins cons- Séronie-Vivien. Une nécessité
venu quelque chose de banal. Ils ne conte des périodes de sa vie comme cience de la nécessité d’accompa- pour les hôpitaux sous tension
mesurent pas l’impact que cela un grand-père parlerait à son petit- gner leurs jeunes élèves. L’IFSI de constante, pour garder leurs
peut avoir sur un jeune élève, et ils fils. Notre relation se développe, Rambouillet organise des mo- soignants, mais aussi pour encou-
n’en ont surtout pas le temps. » tandis que son état de santé se dé- ments d’échange entre élèves et rager les prochaines générations
Idem pour les élèves médecins. grade, je comprends que ma pos- formateurs, durant lesquels les si- à les rejoindre. p
« Nos formateurs gèrent égale- ture de soignant n’est pas adaptée. tuations de tension peuvent être éric nunès
Le « service civique solidarité seniors », cure de vieillesse pour les 18-25 ans
alignés sur des chaises dans la salle d’animation de Maritime pour « initier les seniors à la technolo- Pour aider les volontaires à se sentir bien, l’Agence du
l’établissement d’hébergement pour personnes âgées gie ». Dans les faits, ils ont surtout joué au bowling vir- service civique garantit aux jeunes qu’ils seront tou-
dépendantes (Ehpad) de la petite commune de Saint- tuel – tous les prétextes sont bons pour sortir un peu jours au moins en binôme. L’association Unis-Cité, qui
Sauveur-d’Aunis (Charente-Maritime), à trente minu- les résidents de leur chambre. est à l’origine de la création du dispositif et qui encadre
tes de La Rochelle, une vingtaine de résidents fixent Louka Domenec, 19 ans, est accroupi auprès de Mau- les volontaires de l’Ehpad de Saint-Sauveur-d’Aunis, af-
l’écran sur lequel est projetée une partie de Wii Sport rice Bayonne, 87 ans, qui s’est assis au premier rang. firme, quant à elle, toujours essayer de placer les vo-
Bowling, un jeu vidéo où les joueurs reproduisent les Tout doucement, il manipule son bras raidi par l’âge lontaires dans des équipes plus nombreuses.
mouvements d’une partie de quilles. Autour d’eux, pour l’aider à comprendre la manœuvre. « La première Mais s’ils sont appelés « volontaires », les jeunes en
quatre jeunes s’activent pour les encadrer et les encou- fois que je suis rentré, j’avais l’impression que c’était SC2S le sont souvent faute de mieux. « La plupart des
rager. Ça n’est pas facile : il faut sans arrêt réexpliquer tous des zombies, admet Louka. Mais plus on y va, plus gens font ça parce qu’ils ne savent pas quoi faire
les règles. L’activité fait cependant son effet ; chaque on apprend à connaître la personnalité des résidents », d’autre, et qu’ils se donnent du temps pour trouver quel-
lancer réussi arrache aux aînés exclamations et ap- raconte celui qui s’est engagé dans le SC2S après avoir que chose en gagnant un peu d’argent », explique Blan-
plaudissements enthousiastes. laissé tomber un BUT (bachelor universitaire de tech- dine Poirier, 19 ans, l’une des collègues de Louka à
Les jeunes qui sont venus cet après-midi de juin sont nologie) en génie mécanique. Saint-Sauveur-d’Aunis. Elle-même s’est tournée vers
des volontaires du service civique solidarité seniors le SC2S après avoir abandonné une licence de
(SC2S), un dispositif lancé en 2021 par l’Etat pour rom- Conditions de travail difficiles commerce, qui l’a « dégoûtée » au bout d’un an.
pre l’isolement des personnes âgées. Pour une durée L’animatrice de l’Ehpad de Saint-Sauveur-d’Aunis, Vé- Pour Marion Pichot, qui coordonne les programmes
de six à douze mois, les participants du SC2S sont in- ronique Pladys, garde un œil sur les jeunes volontai- de service civique en Charente-Maritime pour
demnisés à hauteur de 600 euros mensuels par l’Etat res. « L’aide est vraiment bienvenue, on n’est jamais trop l’association Unis-Cité, le SC2S peut servir de tremplin
et par une association partenaire. Au total, depuis à donner de l’attention aux résidents », témoigne-t-elle. pour beaucoup de jeunes. « En parallèle des tâches
2021, 10 000 jeunes de 18 à 25 ans ont accompagné des Si l’expérience de Louka et de ses collègues s’est dérou- qu’on leur demande, on a tout un suivi avec eux
aînés à domicile, au téléphone ou dans des Ehpad. lée jusqu’ici sans accrocs. Certains témoignent de pour parler de leurs projets d’avenir et de leur réinser-
Blandine, Louka, Toinon et Léanne, âgés de 17 à 19 ans, conditions de travail difficiles, en particulier quand tion professionnelle. ». p
sillonnent depuis huit mois les Ehpad de Charente- leur arrivée vient combler un manque de personnel. rafael miró
20 | carnet MERCREDI 21 JUIN 2023
0123

Claude Sarraute
Marguerite Cotis, Les familles Roge, Sequier,
née Léon, Ternois, Guillemet, Piazza, Bass,
son épouse, Hagenmüller,
Marianne Cotis
et Sébastien Raspiller, ont la profonde tristesse de faire part en vente
Le Carnet Pierre et Fanny Cotis, du décès de
Ancienne journaliste Camille Cotis et Paul Baudin,
ses enfants,
Adèle, Mahault, Noé, Eléonore
Marie-Ange PIAZZA BASS,
veuve de
actuellement

au « Monde » Vous pouvez nous faire

parvenir vos textes
et Clément,
ses petits-enfants,
Jacques BASS,
décédé le 18 juillet 2022,
K En kiosque
ont l’immense tristesse de faire part survenu le 15 juin 2023, à Paris.
du décès de
soit par e-mail : Une cérémonie aura lieu le 28 juin, UNE VIE, UNE ŒUVRE

Jean-Philippe COTIS, à 16 heures, au crématorium du Val-

carnet@mpublicite.fr économiste, de-Bièvre, 8, rue du Ricardo, à Arcueil
(Val-de-Marne).
(en précisant impérativement haut fonctionnaire,
chevalier de la Légion d’honneur,
votre numéro de téléphone colette.roge@hotmail.fr
Orwell
survenu le 11 juin 2023, à Paris, hagenmuller.bass@orange.fr
et votre éventuel numéro à l’âge de soixante-cinq ans.
dérange
toujours

d’abonné ou de membre Nice. Toulon. Draguignan.

La cérémonie sera célébrée le jeudi
de la SDL)
Vu par Jean-Jacques Rosat, Simon Leys, Rushdie, Kundera…

22 juin, à 16 h 30, au crématorium du Benoît, Sébastien, Justine,

Mont-Valérien, 104, rue du Calvaire, ses enfants,
Dès jeudi 22 juin
soit sur le site : à Nanterre (Hauts-de-Seine). Jean-Marc Caterdjian,
son gendre,
https://carnet.lemonde.fr L’inhumation aura lieu ultérieu- Héloïse et Léonie,
rement, au cimetière de Soorts- ses petites-illes,
Hossegor (Landes).
L’équipe du Carnet ont l’immense tristesse de faire part

HORS-SÉRIE
SAISON 2
300 QUESTIONS
reviendra vers vous La famille tient à remercier les
équipes de soins palliatifs de l’hôpital
du décès de DE CULTURE GÉNÉRALE
par les journalistes du Monde

dans les meilleurs délais Cognacq-Jay, Paris 15e. M. Joël RIDEAU,

pour vous confirmer Des dons peuvent être faits au
proit de la recherche sur la maladie
la parution. d’Alzheimer.
7, square Charles-Laurent,
carnet@mpublicite.fr 75015 Paris.
https://carnet.lemonde.fr
Montrouge.
AU CARNET DU «MONDE»
Jean-Luc Tavernier,
directeur général de l’Insee,
A Paris, en octobre 2001. Ses anciens collègues de l’Institut,
PHILIPPE MATSAS/OPALE.PHOTO Naissance
ont la tristesse de faire part du décès
professeur émérite des Universités,
agrégé de droit public,
membre honoraire
de l’Institut universitaire de France,
chevalier de la Légion d’honneur,
survenu le 17 juin 2023,
à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Hors-série
Les obsèques auront lieu au
crématorium de Cuers (Var), dans la
stricte intimité familiale.
100 GRILLES
Christine Rifault,
son épouse, PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 6

Léon de Alexandre et Ariane Rifault,

a la grande joie d’annoncer la naissance ses enfants,
Jean-Philippe COTIS,

Q
de sa petite sœur,
ue faire quand on a 24 JUILLET 1927 Naissance ont la douleur de faire part du décès
survenu le 11 juin 2023, à Paris, de
une mère roman- à Paris Elsa, à l’âge de soixante-cinq ans.
cière, Nathalie Sar- 1953 Entre au « Monde » Jacques RIFFAULT,
raute (1900-1999), 1983-1992 Signe le billet le 16 juin 2023. Jean-Philippe Cotis a dirigé psychanalyste,
qui sera l’un des pha- du « Monde » « Sur le vif » l’Institut national de la statistique
et des études économique de 2007 survenu le 11 juin 2023, à Paris. Magazine n°6
res d’une école littéraire, le Nou- 1985 Participe aux « Grosses Louise, Raphaël et Léon Hindre. à 2012. Durant ces années, son
veau Roman, et aura, de son vi- Têtes » sur RTL engagement pour la statistique Les obsèques seront célébrées
vant, en 1996, sa « Pléiade » ? 2023 Mort à Paris publique, la qualité et la notoriété de le vendredi 23 juin, à 10 h 30, en la
Décès ses travaux a permis des évolutions chapelle du cimetière du Père-Lachaise,
Sûrement pas devenir sa pâle majeures de l’Institut. Paris 20e. HORS-SÉRIE

copie, pensait, avec raison, Claude Paris.

Sarraute. Comédienne ? Elle s’y 9 h 30 ? Croiser chaque matin L’Insee et tout son personnel Sa famille
essaya, mais elle était, elle aussi, Claude Sarraute rue des Italiens Philippe Bück, s’associent à la peine de sa famille et
de ses proches. a la profonde tristesse de faire part
habitée par le désir d’écrire. Alors (dans l’immeuble historique du son mari, LES
du décès de
journaliste. Claude Sarraute a as- Monde), c’était rencontrer une tor- Arnaud et Karine Jacquin, Priscille
Rachel Gebrowicz,
HDE
ÉROS
LA
sumé avec panache sa passion nade blonde à l’heure où d’autres et Christophe de Pous,
ses enfants,
son épouse, M. Daniel ROCHER,
germaniste et médiéviste,
MYTHOLOGIE
pour l’éphémère de ce métier, en sont encore un peu endormis. Elle Florence Gebrowicz, GRECQUE & ROMAINE

Anne et Charles Penne, professeur à l’Université,

sachant qu’elle mourrait sans avait pris à l’aube le métro à la sta- Zoé, Iris, Victoire, Céleste, Octave,
ses illes,
En partenariat avec

« Pléiade ». tion Pont-Marie – près de l’île Balthazar, survenu le 16 juin 2023,

Née le 24 juillet 1927, à Paris, elle
est morte dans la nuit de lundi à
mardi à son domicile parisien à
95 ans. Elle avait déjà fait graver
son nom sur sa tombe au cime-
Coline, Isis, Zoé Abeille,
Saint-Louis où elle habitait avec ses petits-enfants, Agathe et Axel Penne, à Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône), Hors-série
La famille Bück, ses petits-enfants, à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans.
Revel –, était descendue à Chaus-
sée-d’Antin, avait pris son cachet ont la tristesse de faire part du décès Les obsèques auront lieu le
quotidien de corydrane, un stimu- ont la douleur de faire part du décès de mercredi 22 juin, à 14 h 30, en l’église
de Saint-Jean de Malte d’Aix-en-Provence
lant à base d’aspirine et d’amphé- (Bouches-du-Rhône). HORS-SÉRIE

Henri GEBROWICZ,
SES RÉGIONS
SON PAYSAGE POLITIQUE

tière du Montparnasse, au côté de tamines – « comme en prenait Sar- SES INÉGALITÉS

idèle lecteur du Monde,

celui de l’essayiste Jean-François
Revel (1924-2006). Elle a passé
trente-neuf ans avec ce troisième
tre, ça me rend plus intelligente » –,
avait distribué quelques « chéri »,
Alison BÜCK,
née KRAMER, survenu le vendredi 9 juin 2023,
Cet avis tient lieu de faire-part et
de remerciements. 40
CARTES
« mon amour » ou « ma puce, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. POUR COMPRENDRE

époux, après le journaliste améri-
cain Stanley Karnow, puis Chris-
tophe Tzara – le fils de Tristan
Tzara, avec lequel elle a deux en-
fants. « Je ne sais rien, il sait tout,
disait-elle à propos de Jean-Fran-
çois Revel, avec qui elle a eu un fils
et une fille. Il est ravi de m’appren-
dre. Ma naïveté a toujours fait hur-
COMMENT
t’aurais pas une histoire pour survenu le 14 juin 2023, Communication diverse VALA
Les obsèques ont lieu ce mardi FRANCE
moi ? », et se mettait au travail. dans sa quatre-vingt-troisième année. 20 juin, à 14 heures, au cimetière
Le 11 juillet 1992, elle a écrit le der- parisien de Bagneux.
nier « Sur le vif » avec pour titre « A La cérémonie religieuse sera célébrée
Et rappellent le souvenir de son
bientôt » et commençant ainsi : ce mercredi 21 juin, à 10 h 30, en l’église père,
Notre-Dame-de-l’Assomption, 88, rue Hors-série
« Je m’en vais, là, les enfants. Je pars
demain. Et, au retour des vacances, de l’Assomption, Paris 16e. Zélik GEBROWICZ,
vous ne me trouverez plus dans ma mort en déportation à Sobibor en
loge, en haut, à droite, à la sortie du Bruno et Flora Cabanes, 1943 et de sa mère, HORS-SÉRIE

ler de rire Revel et les garçons. »
Fausse ingénue
Cette naïveté revendiquée était
plutôt une pose, ou une manière
de se protéger. Il suffit de la lire
pour s’en convaincre. Elle faisait
journal. On la ferme. C’est pas que Cécile Cabanes, Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
Philippe Cabanes, Ida GEBROWICZ,
j’en aie marre de faire pipelette, pas
du tout, je me plais bien avec vous. ses enfants, décédée en 1994. Les bénévoles de SOS Amitié
Mais j’ai l’impression de tourner en Ses petits-enfants écoutent
Et ses arrière-petits-enfants, henri.gebrowicz@orange.fr par téléphone et/ou par internet
rond dans mon petit encadré. J’ai
RAMSÈS
Sa famille ceux qui soufrent de solitude,
envie de changer. Pas de ton, ça
Et ses amis, Anne, Françoise et Jean-Marie, de mal-être et peuvent avoir
non. De longueur. » Sa nouvelle ru- ses enfants,
& L’OR DES PHARAONS

croire qu’il ne lui restait rien de ses brique, « Quelle histoire ! », n’est Ses petits-enfants, des pensées suicidaires. ÉDITION SPÉCIALE POUR L’EXPOSITION ÉVÈNEMENT

ont la douleur de faire part du décès

années à l’Ecole alsacienne et à la
Sorbonne où elle avait passé une
licence d’anglais, ou de la lecture
de sa mère, qu’elle admirait. Mais
ce n’était pas vrai. Des quarante
pas devenue une institution de
comme « Sur le vif ». ont la tristesse de faire faire part du Nous recherchons des écoutants Hors-série
décès de bénévoles
Pour « changer de longueur, pas Pierre CABANES,
de ton », Claude Sarraute a aussi Bernard L’HUILLIER, sur toute la France.
président honoraire
écrit des livres « de plage », L’écoute peut sauver des vies
de l’université Clermont-Ferrand II, survenu le 14 juin 2023,
Nº 6 JUIN - JUILLET - AOÛT 2023

années qu’elle a passées au Monde,
à partir de 1953, on retient souvent
son billet quotidien « Sur le vif »,
comme elle disait en riant. Une
quinzaine, de Dites donc ! (JC Lat-
tès, 1985) à Encore un instant
ancien professeur
d’histoire de l’antiquité
à l’université Clermont-Ferrand II
et enrichir la vôtre !
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
Choix des heures d’écoute,
La cérémonie aura lieu le jeudi formation assurée. VIVRE L’ART AUTREMENT

22 juin, à 15 heures, en l’église de

en dernière page, de 1983 à 1992. (Flammarion, 2017), en passant et à l’université Paris X-Nanterre, Saint-Hilliers (Seine-et-Marne). En IdF RDV sur Cézanne
Elle avait auparavant écrit dans la par Allô Lolotte, c’est Coco (Flam- fondateur L’inventeur
de la modernité

de la Mission archéologique www.sosamitieidf.asso.fr

rubrique appelée « Spectacles », marion, 1987, qui a eu beaucoup Bordeaux.
Peindre
au féminin

En région RDV sur

L’émancipation par le pinceau

puis avait tenu une chronique sur de succès). Pendant qu’elle était et épigraphique française en Albanie, Rencontre avec
Stéphane Bern

la télévision durant sept ans. Ce encore au Monde, et après, elle a oicier de la Légion d’honneur, Laurent, Philippe et Pascale, www.sos-amitie.com Basquiat / Warhol
Gréco / Picasso,
Ramsès…
décoré de l’ordre ses enfants, Nos 10 expos coups de cœur

billet, qu’elle voulait celui d’une
« pipelette », où elle parlait volon-
tiers de son « Mimi » – François
Mitterrand – ou de son « Jacquot »
– Jacques Chirac –, lesquels n’ap-
préciaient pas toujours ses propos,
détonnait dans un journal fier de
sa réputation austère. D’ailleurs,
quand, en novembre 1983, André
Laurens, alors directeur du Monde,
proposa « Sur le vif », l’accueil des
chefs de service fut glacial.
Qui peut jurer n’avoir jamais été
agacé par les propos à l’emporte-
pièce de cette fausse ingénue ?
Mais quel journaliste peut ignorer
combien il est difficile d’avoir une
idée bonne, et drôle, chaque jour,
pour un texte qu’on doit rendre
impérativement, au plus tard, à
mis sa verve et son franc-parler au
service d’émissions de radio de di-
vertissement. De 1985 à 1995 aux
« Grosses têtes », de Philippe Bou-
vard. Puis avec Laurent Ruquier,
« Rien à cirer », « On va s’gêner », et
de nouveau « Les Grosses Têtes »,
reprises par Ruquier en 2014. Elle
était parfois absente pour raison
de santé, et revenait en disant dé-
tester « le grand âge, car tout fout
le camp. Heureusement, il y a la
tête qui marche ». Et le rire. p
josyane savigneau
[Claude Sarraute était une journaliste
dont la liberté de style a marqué l’histoire
de notre journal. « Le Monde » présente à
sa famille, à ses proches et à toutes celles
et ceux qui l’ont connue et appréciée
ses plus sincères condoléances. J. Fe.]
Gjergj Kastrioti Skenderbeu
de la République d’Albanie,
survenu le 13 juin 2023,
à Clermont-Ferrand,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
Une messe d’action de grâce sera
célébrée le vendredi 23 juin, à 14 heures,
en la basilique Notre-Dame-du-Port,
à Clermont-Ferrand.
En union avec son épouse,
Monique CABANES,
décédée le 2 janvier 2021.
3, rue Saint-Hérem,
63000 Clermont-Ferrand.
Michael, Léa, Simon, Agathe, Nathan
et Bérénice, La revue n° 6
ses petits-enfants, Société éditrice du « Monde » SA
Les familles Nouchi, Benabou, Président du directoire, directeur de la publication
Louis Dreyfus
Rezlan, Delfassy et Aitman,
Nos services
Directeur du « Monde », directeur délégué de la
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
ont la tristesse de faire part du décès Directrice de la rédaction Caroline Monnot
de Direction adjointe de la rédaction
Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian,
Guy NOUCHI,
Philippe Broussard, Nicolas Chapuis, Emmanuelle
Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre
Lecteurs
docteur d’État, Lannelongue, Franck Nouchi, Harold Thibault
oicier dans l’ordre Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann K Abonnements
des Palmes académiques, Directrice déléguée au développement des services
Sur abo.lemonde.fr
ancien directeur de reherche
abonnés Françoise Tovo
Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Par tél. au 03 28 25 71 71
au CNRS, Gilles van Kote de 9 h à 18 h (prix d'un appel local)
engagé dans la communauté juive Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel
de Bordeaux, Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel
Guerrin, Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux K Le Carnet du Monde
(cheffe d’édition), Alain Salles (Débats et Idées)
survenu le 17 juin 2023, Directrice du design Mélina Zerbib carnet@mpublicite.fr
à Bordeaux, Direction artistique du quotidien Natalie Lebreton
à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe
Emilie Conte
Résidence Les Hespérides, Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
4, rue Beaubadat, Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum,
33000 Bordeaux. présidente, Gilles Paris, vice-président

0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
pppp CHEF-D'ŒUVRE pppv À NE PAS MANQUER
Scarlett Johansson incarne Midge Campbell, une star hollywoodienne fraîchement divorcée. POP. 87 PRODUCTIONS/FOCUS FEATURES
Une galerie de cœurs brisés en quête de sens
Wes Anderson évoque le monde du théâtre, la question de l’acteur et de l’incarnation, avec un casting fabuleux
ASTEROID CITY
pppv
I
l y a un peu plus d’un an, avec
The French Dispatch (2021), le
dandy texan Wes Anderson
rendait hommage à la presse
écrite américaine et se rêvait ré-
dacteur en chef d’un film foison-
nant, où la mise en scène accom-
plissait un fantasme de mise en
page. Tourné dans la foulée, mar-
quant en cela une accélération
inédite dans la carrière du ci-
néaste, Asteroid City convoque,
quant à lui, la tradition scénique,
et pas n’importe laquelle : le théâ-
tre psychologique de l’après-
guerre, qui déferla à Hollywood
avec des figures telles que Joshua
Logan (Picnic, Arrêt d’autobus), Elia
Kazan (Un tramway nommé désir,
Sur les quais) ou Richard Brooks
(La Chatte sur un toit brûlant).
A cette école qui introduisit le
jeu d’acteur moderne se réfère
donc ouvertement un film se dé-
roulant sur deux niveaux : dans
une petite localité inventée pour
les besoins d’une pièce et dans les
coulisses de la fabrication de cel-
le-ci. The French Dispatch était un
film sur l’écriture ; Asteroid City
en sera un sur le théâtre, prenant
à bras-le-corps la question de
l’acteur et de l’incarnation.
Wes Anderson : « Un film, c’est d’abord un scénario, un casting… »
Le cinéaste américain explique combien James Dean et Marlon Brando, figures de l’Actors Studio, ont inspiré son onzième long-métrage
ENTRETIEN
D ans une rue anonyme du
6e arrondissement de
Paris, un édifice se distin-
gue, tout de briques symétriques,
d’ornementations fleuries, de
végétation foisonnante. C’est là,
non loin de son domicile, que Wes
Anderson, 54 ans, a monté son
onzième long-métrage, Asteroid
City, et qu’il nous a reçus, en mai.
« Asteroid City » se déroule
en septembre 1955, dans une
Amérique désertique et moto-
risée. C’est aussi le mois durant
lequel James Dean est mort
dans un accident de voiture.
Ah bon ? Ça alors… Ça me ra-
mène en 1989, au Texas. J’avais
19 ans, mon ami Owen Wilson en
avait 20. Pourquoi cet acteur nous
importait-il autant qu’à ma mère,
trente-cinq ans plus tôt ? Les films
ppvv À VOIR
La scène s’établit en 1955, dans le
désert de l’Ouest américain. Aste-
roid City est une petite ville pous-
sée à proximité d’un cratère
creusé par la chute d’une météo-
rite, depuis transformé en site
touristique. Autour de la route
rectiligne qui traverse les lieux,
on décompte un diner flanqué
d’un garage, un lot de bungalows,
une rampe d’accès autoroutière
jamais terminée et, au loin, quel-
que champignon sporadique
d’essai nucléaire.
Mélancolie diffuse
Chaque année, les élèves du pays
affluent en bus pour participer à
un concours d’inventions scien-
tifiques. Augie Steenbeck (Jason
Schwartzman), photoreporter de
guerre, y débarque avec son gar-
çon, Woodrow (Jake Ryan), petit
inventeur dit « Brainiac » (« le cer-
veau »), et ses trois fillettes, à
peine relevés du décès de leur
mère. Il y fait la rencontre de
Midge Campbell (Scarlett Johans-
son), star hollywoodienne fraî-
chement divorcée, qui occupe le
bungalow voisin. Au cours de la
cérémonie, un alien descendu
d’une soucoupe s’invite inopiné-
ment pour dérober l’astéroïde. Ce
qui vaut à tout ce petit monde,
dès le lendemain, d’être immobi-
d’Elia Kazan, les acteurs qu’il avait
formés à l’Actors Studio, comme
James Dean ou Marlon Brando,
étaient ceux qui nous parlaient le
plus. On idolâtrait cette manière
si directe de faire du cinéma, cette
fatalité qui émanait d’eux. Hier
soir, je répétais avec l’acteur prin-
cipal de mon prochain film,
Benicio Del Toro. On n’a cessé de
parler du Parrain (1972), du
Dernier Tango à Paris (1972)… Il y a
quelque chose de triste dans la
manière dont Brando ne traitait
pas son propre travail et celui des
autres avec respect, même s’il
pouvait se montrer très impliqué.
Savez-vous que Matt Dillon vient
de tourner à Paris un film où il
joue le rôle de Brando, justement ?
Dans « Asteroid City », son per-
sonnage évoque James Dean…
C’est un clin d’œil volontaire.
Notre film se divise entre le
pvvv POURQUOI PAS vvvv ON PEUT ÉVITER
lisé sur place par l’armée, qui ver-
rouille le site sur-le-champ.
A la folle agitation de The French
Dispatch succède donc ce théâtre
horizontal d’attente et d’immobi-
lité, où tout fonctionne comme
en modèle réduit. Dans cette
plaine nue et presque absurde,
Wes Anderson réunit une petite
communauté de cœurs brisés (et
l’un de ces castings faramineux
dont le cinéaste a le secret : Tom
Hanks, Tilda Swinton, Willem Da-
foe, Margot Robbie, Matt Dillon,
etc.), des êtres endeuillés aux-
quels manque tous quelque
chose ou quelqu’un. Le récit en
couleurs chatoyantes est entre-
lardé d’encarts « méta » en noir et
blanc, où l’on suit les étapes de fa-
brication du spectacle. A l’auteur
(Edward Norton) et au metteur en
scène (Adrien Brody), il arrive
d’avouer que le sens de la pièce
leur échappe. C’est qu’Asteroid
City résiste à la tentation de la
fable, à laquelle il préfère un ver-
tige pirandellien : une myriade de
personnages en quête de sens,
perdus quelque part entre scène
et coulisses, suspendus dans la
mise en abyme.
Pourtant, il ne faut pas chercher
très loin pour voir dans cette
troupe coincée au milieu du dé-
sert, mise sous cloche par la sol-
monde du théâtre new-yorkais,
en noir et blanc, et le désert
hollywoodien, en couleurs et en
panoramique – un format popu-
larisé par La Fureur de vivre (1955).
A travers James Dean, qui parlait
et se déplaçait différemment des
autres acteurs, Nicholas Ray ex-
primait un sentiment nouveau :
l’incertitude rêveuse de l’adoles-
cence, cette infinité de possibili-
tés coexistant avec un sens du dé-
sastre, tragique et stylisé. Elia
Kazan avait révélé Dean peu
avant, dans A l’Est d’Eden (1955). La
Film Foundation créée par Martin
Scorsese, dont je fais partie, a ré-
cemment restauré ce film : lors de
la projection, je me souvenais de
chaque réplique. Dans la plupart
des films de cette époque, il y a
une friction entre un acteur qui
apporte quelque chose de neuf, et
le reste du casting, plus tradition-
nel. Pensez à Johnny Guitare
Burlesque
et rêveur, le film
tout entier
s’apparente
à une cérémonie
pour ressusciter
un personnage
absent
datesque, une possible évocation
du confinement. Devant la ca-
méra d’Anderson, la chose prend
une dimension scénographique :
une humanité engluée dans une
horizontalité générique.
A la drôlerie guindée et à la dis-
position excentrique de l’ensem-
ble (un volatile qui s’invite inopi-
nément dans le cadre comme
sorti du dessin animé Bip Bip
& Coyote) répond une mélancolie
diffuse, qui est le véritable objet
du film. Pour conjurer cette éten-
due aride, il suffit d’un geste : le-
ver les yeux vers le ciel, d’où peu-
vent encore surgir l’imaginaire
(l’extraterrestre, créature poéti-
que à laquelle Jeff Goldblum, en
combinaison noire, imprime une
délicate pantomime de timidité),
(1954), par exemple. Les studios
étaient alors engoncés dans une
approche très théâtrale ; parado-
xalement, leur renouvellement
sera assuré par des artistes issus
du théâtre new-yorkais !
La relation entre Jason
Schwartzman et Scarlett
Johansson s’inspire-t-elle du
couple que formaient Arthur
Miller et Marilyn Monroe ?
Au départ, nous avions fait du
personnage de Jason un drama-
turge traversant les Etats-Unis à
bord d’une voiture familiale. Il
aurait probablement porté les lu-
nettes de Miller… Mais, en cours
d’écriture, j’ai lu un livre sur la re-
lation secrète entre le photogra-
phe Robert Capa et l’actrice Ingrid
Bergman. C’était un moyen d’évo-
quer le trauma de la deuxième
guerre mondiale, pour les Améri-
cains qui en étaient revenus.
CULTURE
mais aussi le silence cosmique,
l’absence de réponse (« Je ne crois
plus en Dieu », affirmera Woo-
drow, en bout de course). Interro-
ger les hauteurs célestes : tel est le
mouvement-clé du film, qui se
concentre dans la figure du travel-
ling ascendant, sous forme de
« sortie vers le haut ».
Ossatures labyrinthiques
Le style tiré à quatre épingles de
Wes Anderson n’a pas changé, il
s’est même raffermi dans sa fron-
talité (les êtres et les choses y
semblent dressés sur présentoir),
son goût de la symétrie et son art
prodigieux de la vignette, digne
d’une bande dessinée. Un ordre
monomaniaque, fourmillant de
détails à appréhender (dont une
multitude de pancartes et d’ins-
criptions), comme une façon de
contenir un chaos plus fonda-
mental : la pagaille des senti-
ments, l’angoisse de la mort, le
désordre d’un monde qui flotte
dans son absence d’explication.
Toutefois, depuis The French
Dispatch, la structure des films
d’Anderson s’est considérable-
ment complexifiée : c’est une vé-
ritable folie du chapitrage, une
cascade de sections et sous-sec-
tions, qui s’est emparée de ses
récits, désormais broussailleux.
Aux cieux, observés par les
jeunes astronomes, s’oppose le
sol, sur lequel pleurent les
adultes endeuillés. Est-ce ainsi
que vous apparaît l’Amérique,
scindée en deux ?
En surface, l’Amérique ressem-
ble à ces bolides flambant neufs,
traversant des routes et des villes
tout juste sorties de terre. Mais
certaines sombrent vite dans
l’abandon. Wim Wenders décrit
bien toutes ces villes fantômes
dans le désert californien : des
rues sans le moindre immeuble,
avec juste un panneau rouillé… Il
n’y a rien de tel en Europe. Sur le
plateau, nous avons littéralement
érigé un cimetière de voitures.
Que vous inspirent
les hommages à votre style
sur TikTok ou Instagram ?
Je m’en protège. J’aurais peur de
penser : « Est-ce vraiment ainsi
| 21
Plus qu’un délire formaliste, ces
ossatures labyrinthiques recè-
lent une part non négligeable du
plaisir éprouvé : le goût des écha-
faudages inutiles, le loisir de s’y
perdre, de ne pas tout saisir du
premier coup.
Présenté à Cannes en compéti-
tion, Asteroid City fut accueilli
dans une relative indifférence.
Dommage, tant ce film burles-
que et rêveur s’apparente tout
entier à une cérémonie pour res-
susciter un personnage absent, à
savoir la mère morte (Augie
transporte ses cendres dans une
boîte en plastique). A celle-ci, le
cinéaste réserve un splendide re-
tour sous les traits de Margot
Robbie, lors d’une bouleversante
pause cigarette. Ce n’est pas le
couple de personnages, mais
bien leurs interprètes qui se re-
trouvent sur un balcon, entre
deux répétitions, se souvenant
de leurs rôles comme de vies
antérieures. Et le théâtre de se ré-
véler alors pour ce qu’il est : le ci-
metière des rêves perdus et des
existences impossibles. p
mathieu macheret
Film américain de Wes Anderson.
Avec Jason Schwartzman, Scarlett
Johansson, Tom Hanks, Jeffrey
Wright, Tilda Swinton (1 h 44).
que les gens voient mon ci-
néma ? » Même si la forme est es-
sentielle, un film, c’est d’abord un
scénario, un casting…
L’un de ces comptes s’intitule
« Accidentally Wes Anderson ».
Y a-t-il une place pour les
accidents dans votre cinéma ?
C’est l’un des seuls hommages
qui m’a touché ! Il s’agit de
photos, très belles, d’endroits où
j’aurais aimé me rendre. Je pense
mes castings de manière que les
acteurs puissent se surprendre
les uns les autres. Mes plans,
souvent très longs, leur laissent
une grande marge de liberté.
Cela étant dit, j’essaie d’anticiper
au maximum les imprévus.
Robert Altman ou Werner
Herzog me diraient sûrement :
« Détends-toi, Wes ! » p
propos recueillis par
aureliano tonet
22 | culture
Portrait
d’un transfuge
à la cour du roi
de Naples
Le cinéaste tchèque Petr Vaclav
raconte la vie de Josef Myslivecek,
compositeur méprisé, puis oublié
IL BOEMO
ppvv
A
u cinéma, le genre bio-
graphique, très prisé
du public, est aussi
le refuge des académis-
mes en tout genre, la vie des
grands hommes s’y déroulant
selon une mythologie très solen-
nelle de la prédestination. La
chose gagnerait en intérêt à se
pencher sur des vies obscures, de
celles qui n’ont pas complètement
rencontré leur destin, ou alors qui
sont superbement passées à côté.
Car alors l’histoire se fait mieux
sentir, non plus comme un récit
officiel coulant de source, mais
comme résistance opaque, une
force capricieuse se jouant des
volontés humaines et disposant
des êtres à sa guise.
Ainsi en va-t-il du septième long-
métrage du Tchèque Petr Vaclav,
consacré à son compatriote Josef
Myslivecek, dit « Il Boemo » (« le
Bohémien », en référence à sa ré-
gion d’origine), compositeur mé-
connu du XVIIIe siècle, contem-
porain de Mozart (1756-1791), qui
n’en marqua pas moins de son ap-
port le baroque tardif italien.
Ce n’est pas la première fois que
le cinéaste de 56 ans évoque ce
musicien ignoré, puisqu’il lui avait
déjà consacré un documentaire,
Confessions d’un disparu, en 2015.
chaillot
theatre-chaillot.fr
Né à Prague, en 1737, le jeune
homme, violoniste talentueux
promis par son père minotier à un
avenir de commerçant, a quitté
sa Bohême pour l’Italie, alors l’épi-
centre de la musique européenne,
et plus précisément à Venise,
en 1764, où il ambitionne de faire
jouer ses opéras. Après des années
de vaches maigres, au cours des-
quelles il survit en donnant des
cours particuliers, « Il Boemo »
(Vojtech Dyk) fait la rencontre
d’une aristocrate libertine (Elena
Radonicich), qui le prend sous son
aile – et dans son lit – et l’introduit
dans les cercles du pouvoir.
Confrontations et malentendus
Lui échoit alors une commande
inespérée du Théâtre de Naples,
en l’honneur du roi Ferdinand IV,
pour laquelle le débutant doit
diriger la grande diva de l’époque,
Caterina Gabrielli (Barbara Ron-
chi), soprano furieuse qui lui
en fait voir de toutes les couleurs.
S’ouvre pour le compositeur, de-
mandé dans toutes les cours de la
Péninsule, une période de succès
et d’amours, sans qu’il parvienne
pour autant à acquérir une quel-
conque position ou un quelcon-
que statut social. Il meurt en 1781,
des suites de la syphilis, dans
le plus complet dénuement.
Il Boemo se présente comme
le drame d’un homme dont per-
saison 23→24
danse
Caterina Gabrielli (Barbara Ronchi) et Josef Myslivecek (Vojtech Dyk). NOUR FILMS
sonne n’est capable de prononcer
le nom correctement, encore
moins de le retenir, et donc voué
à rester ignoré de tous. Non dé-
nué de talent, Myslivecek doit
surtout son ascension à ses traits
avenants, comme à ses succès
auprès des femmes, avec lesquel-
les il entretient autant de compa-
gnonnages amoureux et artisti-
ques, dont la succession donne
au récit sa structure.
Pour Petr Vaclav, l’artiste appar-
tient de plain-pied à la sphère de la
sociabilité et de la sensibilité fémi-
nine : son « Boemo » ne connaît,
avec les autres hommes influents,
que confrontations furtives et
malentendus. Son ascension dans
la société libertine s’assimile à une
forme de corruption, d’immer-
sion dans la fange des temps, que
le film ne craint pas d’exposer crû-
ment, par saillies organiques. Telle
cette entrevue avec Ferdinand IV,
où le monarque commande un
Les studios Pixar de retour avec
une ode au multiculturalisme trop formatée
Visuellement ambitieux, le nouveau film d’animation de la maison Disney souffre
d’un scénario paresseux qui l’empêche d’égaler en créativité « Coco » ou « Soul »
ÉLÉMENTAIRE
ppvv
A chaque nouvelle produc-
tion Pixar, la même im-
patience mêlée de fébri-
lité : le studio parviendra-t-il à re-
nouer avec sa grandeur perdue ?
Cette époque où les chefs-d’œuvre
s’enchaînaient, où petits et grands
parvenaient à rire et à pleurer des
mêmes choses, où chaque nou-
veau film constituait immédiate-
ment un fragment de notre ima-
ginaire collectif. On ne sait plus
à quand remonte le dernier grand
tour de magie Pixar : sans doute
à Coco (2017), peut-être même
à Soul (2020), si l’absence de
la salle n’avait pas quelque peu
amoindri l’expérience du film.
Entre les deux, des spin-off sans
saveur (Cars 3, Buzz l’Eclair), des
films sans ambition directement
catapultés sur la plate-forme
Disney+ (Luca, Alerte Rouge), des
objets sympathiques et oubliables
(En avant, 2020). C’est que le
Covid-19 est passé par là, justifiant
le développement de Disney+, qui
explique en partie ce nivellement
par le bas : il faut nourrir un ogre
insatiable, peu regardant sur
la qualité des contenus, de plus
en plus aseptisés, de moins en
moins originaux. La politique zéro
risque de Disney (qui a racheté
le studio en 2006), embourbée de-
Le réalisateur
aborde le genre
d’époque
sans pompe
ni solennité, mais
sous l’angle
d’un naturalisme
bien senti
opéra au musicien tout en défé-
quant sous son nez. Autre passage
marquant : l’une des conquêtes du
musicien, Anna Fracassatti-Man-
ciniani (Lana Vlady), épouse napo-
litaine brimée et mélancolique,
se suicide en se concoctant un sor-
bet à la poudre de diamant pilé.
Petr Vaclav aborde le genre
d’époque sans pompe ni solen-
nité, mais sous l’angle d’un natu-
ralisme bien senti, qui fait des
puis longtemps dans des remakes
en live action, a fini de contaminer
son poulain le plus novateur.
De loin, Elementaire, de Peter
Sohn (Le Voyage d’Arlo, 2015), sem-
ble promettre un regain de créati-
vité. Dans la ville d’Element City,
les éléments cohabitent, formant
des communautés, dont chacune
a son quartier : il y a les flam-
boyants, les aquatiques, les ter-
riens et les aériens. Ayant quitté
leur pays natal pour s’installer
dans la métropole, Flam, une
jeune femme intrépide, et ses pa-
rents font prospérer une épicerie
où les flamboyants – largement
marginalisés – ont pris l’habitude
de se retrouver. Flam épaule son
père en attendant, un jour, de de-
venir la gérante du magasin.
Triomphe de la tolérance
Visuellement, le film s’affirme
comme le plus ambitieux vu de-
puis longtemps, prenant pied sur
une assez belle idée : Element City,
pareil à un New York foutraque et
multiculturel où chaque élément
viendrait symboliser une com-
munauté ethnique. Toutes se re-
gardent en chiens de faïence (l’eau
étant une menace pour le feu,
le feu une menace pour la terre…),
et chaque interaction entre élé-
ments devient le prétexte à un gag
ou à une idée visuelle. On est ici
dans le sillage de Vice Versa (2015),
états du corps et des accès du dé-
sir ses principales lignes harmo-
niques. Sa caméra se tient plus vo-
lontiers à ras de présence, proche
des individus, qu’elle n’emprunte
une hauteur historique – on perd
en ampleur et en souffle ce que
l’on gagne en nervosité du trait.
Le cinéaste donne une belle place
à la musique, exécutée in extenso
(le Collegium 1704, orchestre ba-
roque de Prague, est aux pupi-
tres) et fondue habilement dans
la dramaturgie générale.
Moment cruel, à ce titre, que
la rencontre du Bohémien avec
un Mozart enfant, parachevant
au clavecin une ébauche de l’aîné
par une brillante improvisation.
La scène résume tout le drame
du transfuge tchèque : le talent
laborieusement acquis au fil
des ans se voit balayé en une se-
conde par l’éclair du génie, dans
une fulgurance qui lui restera à
jamais inaccessible.
dans cette manière toute pixa-
rienne de nous perdre dans le film
comme à l’intérieur d’une grande
ville abstraite et électrisée qu’on
arpenterait par soi-même – par-
fois, on se croirait propulsé dans
une peinture de Marc Chagall.
Le scénario, lui, se révèle ne ja-
mais être à la hauteur de ce qu’il
se passe à l’image. C’est la pre-
mière fois que Pixar succombe
à la paresse en réchauffant un
vieux canevas de comédie ro-
mantique : au détour d’un dégât
des eaux, l’intrépide Flam rencon-
tre le très sensible Flack (un aqua-
tique), inspecteur des travaux qui
menace de fermer le commerce,
car il ne répond à aucune règle
de conformité. Emotif, le jeune
homme décide d’aider Flam à sau-
ver l’épicerie familiale. Les voilà
jetés dans la grande ville, où ils re-
joueront les grandes lignes d’une
C’est la première
fois que Pixar
succombe
à la paresse,
en réchauffant
un vieux canevas
de comédie
romantique
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
Construit en flash-back, le film
s’ouvre directement sur la dé-
chéance et la mort du personnage,
comme si l’anéantissement était
le motif premier de toute son exis-
tence, son centre aveugle. On y
découvre « Il Boemo » comme un
monstre, le visage masqué par
une prothèse, la syphilis y ayant
creusé une cavité à la place du nez,
rongé par l’infection. Ce masque,
bien sûr, c’est aussi celui de son
pseudonyme, derrière lequel
le film va s’appliquer à recons-
truire le vrai visage du musicien.
On n’oubliera pas pour autant
l’horrible plaie dévorant l’homme
de l’intérieur, pour n’y laisser que
le trou béant de l’anonymat. p
mathieu macheret
Film tchèque, italien, slovaque
de Petr Vaclav. Avec Vojtech Dyk,
Elena Radonicich, Barbara
Ronchi, Lana Vlady, Alberto
Cracco (2 h 20).
plate « rom com » : incompatibi-
lité insurmontable, naissance du
sentiment amoureux, opposition
des parents, qui finiront par bais-
ser les armes lors d’un happy end
qui verra le triomphe de la tolé-
rance et du multiculturalisme.
Après l’époque où les « vieux
mâles blancs » régnaient en maî-
tres, Pixar a confié ses clés à une
nouvelle génération de scénaris-
tes-réalisateurs, soucieuse d’offrir
un film à leur communauté : Soul
et la culture afro-américaine,
Alerte rouge, hommage à la famille
sino-canadienne de la réalisatrice,
Domee Shi, qui confiait : « J’aime
penser qu’au lieu de faire une théra-
pie, j’ai réalisé ce film. » Pour Ele-
mentaire, Peter Sohn dit s’être lui-
même inspiré de sa famille, des
immigrés coréens qui se sont ins-
tallés dans le Bronx au début des
années 1970. Désormais brandie
en étendard, cette inclusivité s’est
rétractée en formatage narratif,
au littéralisme du récit de soi thé-
rapeutique exaltant la fierté cultu-
relle et le courage de papa-ma-
man. Pixar s’obstine désormais
à vouloir panser nos plaies, et en-
visage la névrose communautaire
comme l’alpha et l’oméga de l’ex-
périence humaine. p
murielle joudet
Film d’animation américain
de Peter Sohn (1 h 45).
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023 culture | 23

ppvv À VOIR
E

Polaris
N

Film documentaire groenlandais, français, espagnol

d’Ainara Vera (1 h 18).
I

Hayat, capitaine de bateaux, navigue dans l’Arctique.

A

Dès qu’elle a du réseau, elle appelle sa sœur : Leila vit dans

le sud de la France, où elle vient de mettre au monde une fille
M

en sortant de prison. Au-delà du lien fusionnel entre les sœurs,

un des traits remarquables de ce double portrait réside dans la
E

manière singulière dont l’une et l’autre surmontent le souve-

S

nir d’une enfance ballottée entre des familles d’accueil et une

mère toxicomane. Marqué par une esthétique soignée, le film
dessine deux modes de vie et surtout deux solitudes. p m. dl.
A
L

Pornomelancolia
Film argentin, français, brésilien, mexicain de Manuel
Abramovich (1 h 35).
E

Pornomelancolia s’attache à décrire un hardeur gay, dont

D

la mélancolie peut peut-être s’expliquer par la sensation

d’une vie solitaire que provoque la dictature du monde virtuel
d’Internet, dans lequel il se met en scène. Elle s’explique aussi,
S

peut-être, par la conscience que ce qui pourrait échapper Daniel Isaacson

aux prescriptions de la société et du travail salarié, le sexe, (Timothy Hutton),
M

l’y ramène lorsqu’il devient un spectacle marchand, même dans « Daniel »,

L

ironique. Le film de l’Argentin Manuel Abramovich est une de Sidney Lumet.

réflexion avisée sur le sexe comme spectacle et réalité. p j.-f. r. SPLENDOR FILMS
I
F

pvvv POURQUOI PAS

La Fille et le Garçon
Film français de Jean-Marie Besset (1 h 24).
S

Jean-Marie Besset adapte en film sa pièce du même nom,

Enquête sur une condamnation

E

une tentative de réinvention du couple et du désir. Soit

deux tandems, l’un bourgeois et âgé, cultivé, évoluant dans
R

le milieu littéraire et artistique ; l’autre jeune, pauvre et issu

à mort programmée
T

de la migration – ce qui donne parfois lieu à des dialogues

très irritants entre l’homme dit « cultivé » apprenant à l’autre
U

des rudiments de littérature. Le manuel fait des travaux dans

A

la demeure du couple bourgeois, et commence une relation

à trois. Personne n’est dupe dans cette romance en forme
de théâtre filmé. La manière dont Jean-Marie Besset interroge « Daniel » de Sidney Lumet, sur l’affaire des époux Rosenberg, ressort en salle
S

cette histoire à l’aune d’enjeux sociétaux – prostitution

E

ou amour libre ? – finit par devenir un peu scolaire. p cl. f.

L

Magnificat du beau-frère de Julius), était de doute pas, pour des raisons tant
Film français de Virginie Sauveur (1 h 37).
REPRISE toute évidence décrétée à l’avance
C’est du point biologiques qu’idéologiques, le

L’
Au chevet du père Fouchet, curé de Saint-Laurent qui vient hommage rendu, à
de rendre l’âme, un médecin fait appeler la chancelière l’automne 2022, par
du diocèse (Karin Viard) pour lui faire constater que l’Institut Lumière de
le défunt est une femme. L’Eglise étouffe l’affaire. A cette Lyon à Sidney Lumet,
découverte surréaliste, le scénario ajoute une autre piste admirable cinéaste américain,
narrative, qui touche à la vie privée de la chancelière. Un plai- auteur de quelques chefs-d’œuvre
doyer plutôt délicat pour l’intégration des femmes dans la prê- – Douze hommes en colère (1957),
trise et contre le célibat des prêtres, écrit sur une voie étroite Le Prêteur sur gages (1964), Serpico
entre affabulation romanesque et dossier à charge. p j. ma. (1973), Un après-midi de chien
(1976) – et d’un nombre plus que
Sisu : de l’or et du sang raisonnable de films passion-
Film américain, finlandais de Jalmari Helander (1 h 31). nants, aura légitimement ouvert
1944 : durant la déroute de l’armée allemande, un orpailleur l’appétit de ceux qui y auront dé-
découvre une mine d’or au fin fond de la Laponie. En route couvert quinze films sur la qua-
vers la ville, il croise une escouade de soldats nazis, qui tentent rantaine, réalisés entre 1957 et
de mettre la main sur son butin. Sisu est tiraillé entre l’idiotie 2007, que comporte son œuvre.
d’un pur et simple zigouillage de nazis et l’envie de bander Grâce à Splendor Films, un autre
les muscles – Hollywood, on le sent, n’est pas loin. p m. jo. titre ressort aujourd’hui, qui n’in-
firmera pas tout le bien qu’on peut
vvvv ON PEUT ÉVITER penser de ce cinéaste que le temps
3805 quai des Orfèvres a injustement mis en sommeil.
Film français de Benjamin Lehrer (1 h 24). Daniel, réalisé en 1983 et sorti en
Le commissaire Keller (Didier Bourdon) et son assistante France en 1984, est inspiré de l’af-
Clarisse Sterling (Caroline Anglade) doivent résoudre l’énigme faire Rosenberg. En pleine guerre
d’un tueur en série qui laisse des alexandrins sur les scènes froide, l’ingénieur Julius Rosen-
de crime, quelque part entre Seven et Le Silence des Agneaux. berg et sa femme, Ethel, militants
Par quoi l’on constate que la parodie du film de serial killer communistes juifs, sont soupçon-
est un genre décidément risqué. p j. ma. nés d’être des espions impliqués
dans la fuite d’informations mili-
Zillion taires durant la seconde guerre
Film belge, néerlandais de Robin Pront (2 h 18). mondiale, alors que les Etats-Unis
En 1997, le génie de l’informatique Frank Verstraeten a à peine et l’Union soviétique sont alliés.
30 ans lorsqu’il brasse déjà des millions. Il décide de collaborer La condamnation à mort du cou-
avec un roi du porno local : à Anvers, ils ouvrent le Zillion, ple (ils seront exécutés le
en son temps la plus grande boîte de nuit d’Europe. Zillion suit 19 juin 1953) , disproportionnée au
la voie d’un « rise and fall movie » électrisé par l’ambition, regard des preuves présentées (re-
le sexe, la drogue et les tubes de techno. Hanté par l’œuvre posant sur l’unique témoignage
scorsesienne, le film cite aussi bien Les Affranchis, Casino, que
Le Loup de Wall Street. Autant de références écrasantes face
auxquelles Zillion fait figure de très pâle contrefaçon. p m. jo.
par l’appareil maccarthyste.
Trente ans plus tard, Lumet
adapte la fiction historique du ro-
mancier Edgar Lawrence Docto-
row, consacrée aux implications
intimes de cette affaire, The Book
of Daniel (Le Livre de Daniel), paru
en 1971. Le cinéaste est sensible au
point de vue que le livre adopte
sur l’affaire et à son traitement
temporel. C’est en effet du point
de vue des enfants du couple (ici
renommé Isaacson), adoptés par
un assistant de l’avocat qui plaida
leur cause, que l’histoire nous est
contée, alors qu’eux-mêmes se
trouvent pris dans le tourbillon
politique et la résurgence de la
gauche dans les années 1960.
Victimes expiatoires
La mise en tension du passé et du
présent, les implications silen-
cieuses et tragiques du premier
dans le second sont des questions
qui passionnent le cinéaste,
comme en attestent au moins
deux autres de ses plus beaux
films : Le Prêteur sur gages, dans le-
quel un modeste prêteur sur gages
d’Harlem semble n’être jamais
sorti des camps de la mort, et A
Bout de course (1988), où deux an-
ciens gauchistes des années 1960
continuent de fuir le FBI.
Dans Daniel, Lumet recourt à la
technique narrative du montage
de vue des
enfants
du couple
que l’histoire
est contée
alterné entre les deux époques,
procédé fastidieux, mais qui peut
se révéler riche d’émotions et
d’intuitions lorsqu’il est, comme
ici, maîtrisé avec un art à la fois
sensible et d’une profonde intelli-
gence. Le couple de parents, mili-
tants purs et durs de l’égalité, rigi-
des dans leur croyance, grugés
par le stalinisme, voit se refermer
sur eux le piège d’un procès tru-
qué dont ils seront les victimes
expiatoires.
La part quasi documentaire ré-
servée à l’exécution et au fonction-
nement de la chaise électrique
(Ethel survivra à trois chocs suc-
cessifs avant de succomber) fait
d’ailleurs partie de ces moments
de commotion par lesquels Lumet
fait entrer toute la violence de
l’histoire dans ses films. Notons,
au passage, pour les amateurs de
série, que le personnage du père,
stalinien pur jus, est ici interprété
par Mandy Patinkin jeune, en le-
quel ils ne reconnaîtront sans
Saul Berenson d’Homeland.
Le couple d’enfants orphelins,
devenus jeunes adultes, voit Su-
san, militante radicale des sixties,
révérer et répéter la geste paren-
tale, tandis que Daniel, marié et
père d’un garçonnet, a de longue
date marqué ses distances. Il fau-
dra l’internement de Susan en hô-
pital psychiatrique – « Et si elle
n’était pas malade mais inconsola-
ble ? », s’interroge un personnage –
pour que Daniel bouge sur ses ba-
ses, entreprenne de sonder l’his-
toire familiale et assume une part
de son héritage en défilant avec sa
famille contre la guerre du Viet-
nam. Sa quête recouvre en réalité
celle du film, qui dépasse de loin la
question de l’innocence ou de la
culpabilité des Rosenberg.
Réalisé en plein reaganisme, ce-
lui-ci s’interroge plutôt sur le
grand arasement mémoriel de la
société américaine et sur l’échec
réitéré des mouvements de gau-
che, partant des idéaux de justice
sociale qui les animent, à laisser
leur empreinte sur ce pays. C’est
dire si ce film, si touchant, n’a rien
perdu de son actualité. p
jacques mandelbaum
Film américain de Sidney Lumet
(1983). Avec Timothy Hutton,
Mandy Patinkin, Lindsay Crouse,
Amanda Plummer (2 h 10).

À L’AFFICHE ÉGALEMENT
La Sorcière et le Martien
Film français de Thomas Bardinet (1 h 17).
Le dilemme d’une famille syrienne face à la guerre
Le Challenge
Film américain de Gene Stupnitsky (1 h 43).
Empreint de réalisme magique, le film de Soudade Kaadan peut séduire un jeune public
bombardements – le film a été rité d’Hala et de Zeina, alors qu’en paternelle, exorbitante, qui en-
NEZOUH tourné dans les environs de Ga- refusant de fuir il les expose aux ferme les femmes et décide à leur
ppvv ziantep, en Turquie. Le père, Mo- plus graves dangers. Pour Zeina, place, l’adolescente s’affirme.
LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE
Nombre
de semaines Nombre Nombre
Evolution
par rapport
à la semaine
Total
depuis
U ne question taraude le ci-
néma de la Syrienne
Soudade Kaadan, née
en 1979 : doit-on quitter son pays
en guerre, et quand décide-t-on
taz (Samer Al Masri), préfère rester
chez lui plutôt que de partir sur
les routes et de devenir un réfugié.
Il perdrait alors ses marques, son
pouvoir. Sa femme, Hala (Kinda
les draps fleuris qu’étend son père
sont comme des voiles claquant
au vent. Elle aimerait devenir pê-
cheuse à bord d’un bateau et, dans
ses yeux, le ciel se met à scintiller
Dans sa deuxième partie, Nezouh
– terme qui évoque le déplace-
ment des âmes et des personnes –
s’inscrit dans les codes plus atten-
dus du conte d’émancipation.
d’exploitation d’entrées (*) d’écrans précédente la sortie
de fuir ? Plutôt que d’ancrer ses Alloush), n’est pas d’accord avec comme la mer. La cinéaste installe On passe du dedans au dehors,
The Flash 1 335 420 785 335 420 films dans le réel du conflit, la ci- lui et enrage. La fille, âgée de 12 ans, le merveilleux dans l’espace du familier à l’inconnu. Jamais to-
néaste choisit l’onirisme et le réa- Zeina (Hala Zein), s’évade dans ses et dans la gestuelle de l’héroïne, talement noir ni désespéré,
Spider-Man : Across… 3 218 973 700 ↓ – 34 % 1 160 583
lisme magique, les effets spéciaux rêveries. Le jour où une explosion laquelle ne voit pas seulement Nezouh peut séduire un jeune pu-
Transformers : Rise… 2 193 200 661 ↓ – 52 % 644 252 installant le trouble dans le quoti- perce les façades et le plafond de de la désolation dans le paysage blic avec ses deux héros adoles-
La Petite Sirène 4 148 638 845 ↓ – 33 % 1 327 594 dien : dans Le jour où j’ai perdu la maison, Zeina en profite pour de ruines alentour. cents, Zeina et Amer, et le person-
mon ombre (2018), qui obtint s’échapper un peu, grimpant sur nage de la mère qui s’ouvre
Fast & Furious X 5 70 607 540 ↓ – 49 % 2 172 210 le Lion du futur à Venise, une le toit-terrasse pour retrouver un Conte d’émancipation à l’aventure, avec son baluchon,
L’Amour et les Forêts 4 54 811 686 ↓ – 35 % 529 974 femme partie en quête d’une copain, Amer (Nizar Alani), dont Comme la Fée des Lilas transper- sans trop savoir où aller. « Tu
bonbonne de gaz pour cuisiner les parents se préparent à partir. çant le plafond et apparaissant n’étais jamais sortie seule », lui dit
Les Gardiens
de la Galaxie. Volume 3
7 53 000 372 ↓ – 39 % 3 298 013 se retrouvait piégée dans une Avec un certain sens du comi- comme par magie dans Peau d’âne sa fille. La mère vide son sac,
zone assiégée et découvrait que que, et du pathétique, Motaz sur- (1970), de Jacques Demy, Zeina se au propre et au figuré. p
Des mains en or 2 49 279 458 ↓ – 41 % 158 379 des gens perdaient leur ombre. joue le chef de famille, accrochant laisse tomber du toit-terrasse (par clarisse fabre
Sexygénaires 1 46 807 412 46 807 Dans Nezouh, de nouveau sélec- des draps pour boucher les trous le trou d’obus) et atterrit sur son lit,
tionné à la Mostra (prix du public d’obus – et aussi pour protéger lorsqu’elle entend son père l’appe- Film britannique, syrien,
Wahou ! 2 41 465 316 ↓ – 46 % 137 075 Orizzonti), une famille syrienne sa fille des regards, au cas où quel- ler de sa grosse voix. La voici de français de Soudade Kaadan.
AP : Avant-première * Estimation s’entête à rester à Damas, ville ques curieux traîneraient encore… nouveau dans sa chambre, fausse- Avec Kinda Alloush, Hala Zein,
Source : « Ecran total » Période du 14 au 18 juin inclus quasi désertée, sous la menace des Il est persuadé qu’il veille à la sécu- ment docile. Face à cette autorité Samer Al Masri (1 h 43).
24 | télévision
Samuel L. Jackson sort Nick Fury de sa retraite
Dans « Secret Invasion », l’acteur reprend, quinze ans après, le costume du super-héros Marvel, devenu un vieillard
DISNEY+
À LA DEMANDE
SÉRIE
D
u 15 janvier 2021 au
13 octobre 2022, du
pilote de WandaVision
au finale de la pre-
mière saison de She-Hulk, Marvel
Studios a mis en ligne sept séries
sur la plate-forme de sa maison
mère, Disney, soit une nouvelle
production tous les trois mois.
Secret Invasion arrive après un
hiatus de huit mois, symptôme de
l’austérité qui régit le monde du
streaming. Plutôt que de saturer le
marché, Disney et ses pairs préfè-
rent rentabiliser chaque titre.
Ces considérations triviales ne
sont pas incompatibles avec le
spectacle qu’offre Secret Invasion,
récit presque réaliste – pour une
série Marvel – dont l’univers visuel
s’inspire plus des films d’espion-
nage de Carol Reed ou des romans
de John le Carré que des inven-
tions cosmiques de Stan Lee.
Nouvelle génération de Skrulls
Secret Invasion voudrait être à
l’univers Marvel ce qu’Andora été à
celui de Star Wars. Une production
pour les adultes qui ont laissé les
angoisses adolescentes des X-Men
et les exploits martiaux des
Avengers. Voire le troisième âge,
puisque le héros de Secret Invasion
est un vieillard sorti de sa retraite,
De Barbès à Marseille, Tewfik Hakem capture l’« Esprit des lieux »
Le journaliste étudie la place occupée par des lieux culturels et insolites comme le disquaire parisien Chez Sauviat et le Stade-Vélodrome
FRANCE CULTURE
À LA DEMANDE
PODCAST
C’ est dans une échoppe
du 18e arrondissement
que se niche Chez
Sauviat, le plus vieux disquaire du
quartier de Barbès, à Paris. Pour
saisir la singularité du lieu, Tewfik
Hakem a tendu le micro à des pro-
ducteurs de musique et des jour-
nalistes : Michel Lévy, Kamel
Hamadi, Zoulikha Guellil et Raoul
Belaïche. Etudier la place occupée
par des lieux culturels et insolites,
GRILLE N° 23 - 142
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I être déplacée. Grande école fermée.
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 141
HORIZONTALEMENT I. Passionnante. II. Ameublie. Sac. III. Gâté. Iéna. Pô.
IV. Iridescentes. V. Ne. Elbe. Oa. VI. Aye (aye-aye). Losanges.
VII. Tenues. Ane. VIII. IUT. Are. Dé. IX. Osés. Fi. Rhum. X. Néerlandaise.
VERTICALEMENT 1. Pagination. 2. Amareyeuse. 3. Séti. Entée.
4. Suède. Sr. 5. Ib. Elles. 6. Olisbos. Fa. 7. Nièces. Ain. 8. Néné. Aar.
9. Anonnera. 10. NS. Tage. 11.Tape. Dus. 12. Ecosystème.
Nick Fury (Samuel L. Jackson) dans « Secret Invasion ». DES WILLIE/2023 MARVEL
Nick Fury, rôle que Samuel L.
Jackson a endossé il y a quinze ans.
Fury, qui coulait des jours pai-
sibles quelque part dans l’espace,
revient sur Terre, à Moscou, où l’a
rappelé l’agent Maria Hill (Cobie
Smulders), après qu’elle a décou-
vert qu’une nouvelle menace exis-
tentielle pesait sur la planète.
Les deux épisodes qui ont été
montrés avant le début de la mise
tel est l’objet d’« Esprit des lieux »,
émission hebdomadaire produite
par France Culture. Dans un
format immersif de trente minu-
tes, Tewfik Hakem y propose des
témoignages vivants et incarnés.
A Barbès, on s’engouffre dans
l’intimité de Chez Sauviat. Tapissé
de CD et d’affiches de chanteurs
maghrébins, le magasin, créé
en 1947, s’est très tôt spécialisé
dans la musique orientale.
En 1958, le plan de Constantine,
un programme économique qui
cherche à valoriser les ressources
algériennes, est lancé par Charles
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11
en ligne, mercredi 21 juin (qui se
fera au rythme d’un épisode par
semaine), mettent en œuvre des
moyens impressionnants. Il ne
s’agit pas tant de détruire des cités
entières (quoique la conclusion
du pilote soit explosive) que de
réunir une compagnie d’acteurs
capables de tenir leur rang face à
Samuel L. Jackson. Les apparitions
successives de Ben Mendelsohn,
de Gaulle et Paul Delouvrier (en
pleine guerre d’Algérie). La musi-
que est une de ces ressources.
Les maisons de disques parisien-
nes, pour capter les subventions,
produisent de la musique algé-
rienne. Léa Sauviat, fine connais-
seuse du genre, les aiguille vers les
artistes les plus en vue. Mélomane
avertie, « Madame Sauviat »,
comme l’appelle l’auteur-compo-
siteur-interprète Kamel Hamadi,
86 ans, avait un magasin de dis-
ques dans le 13e arrondissement de
Paris, avant d’ouvrir son enseigne
boulevard de La Chapelle, en 1947.
HORIZONTALEMENT
I. La preuve d’un succès en librairie.
II. Mettrai à l’abri pour un temps.
Démonstratif. III. Serré au comptoir.
Garnir le pays. IV. Dévoilée. Assure
12
le partage. L’argon. V. Ceinturée pour
VI. Larve de crustacé. En pleine
expansion avec Internet. Fit circuler.
VII. Regardées avec plus ou moins
d’attention. Regardée avec attention.
Bâtisseur de pyramides. VIII. Points
opposés. Dirige, baguette en main.
IX. Suit immédiatement certaines di-
zaines. Donné pour être suivi. X. Etats
d’Amérique du Nord. Hors de prix.
VERTICALEMENT
1. Une fois pris, il ne faudra pas l’ou-
blier. 2. Plume de la botte. Retiennent
à l’avance. 3. Renforcée d’un dur mé-
tal blanc. En liasse. 4. Grand et Petit,
ils rejoignent la Marne. Avant Hally-
day. 5. Forme de pouvoir. Sillonne
l’Europe. Chevillées aux corps.
6. Regarnies comme avant. 7. Des
siècles et des siècles. Dans la poche
de la boulangère. 8. Fait passer les
plats. Un danger pour le marin.
9. Essence souvent plaquée. 10. Pas
très adroit de ses mains. 11. Le plus
petit continent. Souvent plaqué.
12. Exposés détaillés.
Olivia Colman (qui s’amuse beau-
coup en agente du MI5), Emilia
Clarke, ou les retrouvailles avec
Don Cheadle, dont le personnage
James « Rhodey » Rhodes a été
promu au rang de conseiller du
président des Etats-Unis, génè-
rent assez d’énergie pour mas-
quer la faille qui empêche Secret
Invasion de satisfaire ses ambi-
tions tragiques.
Un autre numéro d’« Esprit des
lieux » nous plonge dans l’ébulli-
tion du Stade-Vélodrome. Tout
Marseillais vous le dira : bien plus
qu’une enceinte sportive, c’est un
morceau de l’histoire marseillaise.
Mémoire collective
Plusieurs universitaires, assistant
à un match de football qui a des al-
lures de derby méditerranéen
(Marseille-Nice), brossent le
portrait de ce lieu effervescent où
l’identité et la mémoire collective
de la cité phocéenne se construi-
sent, deux week-ends par mois,
SUDOKU
N°23-142
5 1
8 4
2 1
6 4 3 5
3 5 8 4 Chaque chiffre ne doit
2 6 3 7 8 seule fois par ligne,
4 8 7 1 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
NOTRE NOUVEAU
HORS-SÉRIE
Qu’est-ce qu’on mange demain ?
Insectes, viande de mammouth, algues…
Dans les cuisines et les laboratoires
s’invente la gastronomie du futur.
Pour nourrir la planète sans la détruire.
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
Il ne suffit pas de précipiter un
personnage familier dans les rues
d’un Moscou générique où le guet-
tent des ennemis que l’on ne peut
distinguer des alliés, pour mettre
les angoisses métaphysiques des
espions de Graham Greene ou
John le Carré à l’heure du XXIe siè-
cle. Nick Fury a été ramené sur
Terre pour faire face à la possibilité
d’une invasion de la planète par les
Skrulls, peuple qui erre dans l’es-
pace interstellaire depuis la des-
truction de son monde. Fury et
Carol Danvers (Captain Marvel)
leur ont promis jadis de leur trou-
ver une planète rien que pour eux.
Et puis, il y a eu Thanos, le Blip,
qui ont fait oublier ce projet. Une
nouvelle génération de Skrulls a
donc décidé de s’emparer de notre
monde, en s’appuyant sur leur fa-
culté à prendre la forme de leur
choix. Ce transformisme est un
moyen sûr de tuer le suspense.
L’incertitude sur l’identité des per-
sonnages génère l’indifférence.
Elle se propage au reste du récit
dont ne reste que la bizarrerie qui
déploie la mythologie Marvel dans
des paysages qui sont les champs
de bataille du monde réel. p
thomas sotinel
Secret Invasion, de Kyle
Bradstreet. Avec Samuel
L. Jackson, Ben Mendelsohn,
Emilia Clarke, Olivia Colman
(EU, 2023, 6 × 55 min).
sur la pelouse et en tribune. « Le
Stade-Vélodrome, c’est un lieu de
socialisation, de fusion et de
communion qui célèbre l’identité
marseillaise », souligne Christian
Bromberger, professeur d’ethno-
logie à l’université de Provence-
Aix-Marseille. Les évolutions ar-
chitecturales de l’édifice, rénové
au fil des compétitions sportives
françaises, changent l’atmosphère
de l’arène : « Avant que l’on
construise un toit, l’ambiance s’en-
volait vers le ciel. Maintenant qu’il y
en a un, l’ambiance résonne », ana-
lyse le journaliste Mourad Aerts.
1 6
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6 Facile
Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
être utilisé qu’une
colonne et par
carré de neuf cases.
Hors-série
Juin-juillet 2023
À TABLE !
Qu’est-ce qu’on mange demain ?
Insectes, viande de mammouth,
algues… Les chefs se mettent au vert
pour nourrir la planète sans la détruire.
Dans les cuisines et les laboratoires
s’inventent les assiettes du futur.
La gastronomie a de beaux
jours devant elle.
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
NOTRE
SÉLECTION
M ER CR ED I 21 JU IN
Radio Libertaire
Femmes libres : les pétroleuses
18.30 Pendant la Commune
de Paris, en 1871, des femmes
combattantes furent accusées
d’actions incendiaires. Elles
y gagnèrent le surnom de
« pétroleuses », choisi aujourd’hui par
quatre chanteuses et musiciennes qui
racontent l’histoire de ces militantes.
LCP
The Beatles vs the Rolling
Stones : it’s not only rock’n’roll
20.30 Pour la Fête de la musique,
un retour sur l’affrontement des deux
groupes mythiques du rock anglais.
Dans l’Angleterre des années 1960,
ils rivalisaient pour se propulser
en haut de l’affiche, avant que leur
duel se joue à l’échelle de la planète.
Arte
Mademoiselle Chambon
20.55 Le film de Stéphane Brizé
(2009) mène une exploration subtile
de l’amour et de la complexité
des sentiments à travers une relation
ordinaire en apparence, incarnée par
Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain.
Canal+
Ennio
23.30 A partir d’entretiens avec
le maestro et de témoignages
d’artistes, Giuseppe Tornatore
retrace la vie du compositeur
Ennio Morricone (1928-2020).
Dans « Esprit des lieux », l’am-
biance résonne chaque semaine
dans les oreilles des auditeurs. Ici,
des chants de supporteurs
coupent les mots d’un chercheur,
là, un producteur de raï est inter-
rompu par une connaissance qui
le salue en pleine rue… p
djaïd yamak
Chez Sauviat, le dernier
disquaire de Barbès à Paris et
Le Stade-Vélodrome
de Marseille : tout un symbole,
toute une histoire (Fr., 2022
et 2023, 2 x 29 min)
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
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Midi-Print, Gallargues le Montueux
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Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
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MERCREDI 21 JUIN 2023
styles | 25
MILAN | HOMMES PRINTEMPS-ÉTÉ 2024

Un homme libéré pour l’été

Pantalon en dentelle
chez Dolce & Gabbana,
shorts taille haute
chez Prada… les créateurs
italiens osent la féminité,
la nudité et les imprimés

MODE
milan (italie) - envoyée spéciale

A
lors que la fashion week mascu-
line de Paris, qui débute le
20 juin, s’annonce spectaculaire
– avec le premier défilé de
Pharrell Williams pour Vuitton –, c’est une
petite saison de fashion week homme prin-
temps-été 2024 qui s’est déroulée à Milan du Prada. MONIC
16 au 20 juin : seulement vingt-deux défilés
et trente-six présentations. Petite, mais pas
insignifiante ! Pour une fois, Milan n’a pas
joué la carte de la garde-robe formelle et élé-
gante, mais a montré un vestiaire libéré-dé-
livré qui ose la féminité, la nudité, les paillet-
tes et les imprimés.
Domenico Dolce et Stefano Gabbana se
sont posé la question : « Qui est l’homme
Dolce & Gabbana ? Ces dernières années ont
généré de la confusion à cause des réseaux
sociaux, où tout va très vite, où il y a beau-
coup d’images. On veut maintenant revenir à
nos racines et à une image claire », explique
le duo, qui s’est concentré sur « la qualité des
tissus, la coupe, l’attention aux détails ». « Le
style » est le maître mot d’une collection
monochrome, avec une palette restreinte :
noir, ivoire, beige, gris. Ce cadre chromati-
que permet à D&G d’exprimer sa fantaisie
stylistique dans les formes. Il y a bien évi-
demment des costumes, un peu old school,
avec rayures de tennis et pantalons larges.
Des slips et des marcels. Mais aussi toute
une veine plus féminine, toujours portée
par de solides gaillards tout en muscles : des
hauts brodés de fleurs ou drapés de manière
à souligner la taille ; un chandail et un pan-
talon en dentelle qui laissent voir la peau ;
des tee-shirts très échancrés.
Une fois n’est pas coutume, on trouve des
points communs entre Dolce & Gabbana et
le maître de la sobriété Giorgio Armani. Pour
sa ligne Emporio Armani, il a aussi misé sur Emporio Armani. EMPORIO ARMANI Dolce & Gabbana. MONIC
le noir, l’ivoire et le beige, et a partiellement
dénudé le corps masculin. Evidemment,
chez Armani, la coupe est plus ample et les collection questionne les conventions : constitué de guirlandes de Noël, un vaste « Le costume avec veste et pantalon assortis
tissus plus souples, fidèles au chic décon- qu’est-ce que la structure, qu’est-ce que la manteau à motifs et pompons orange est n’est plus d’actualité, estime Alessandro
tracté qui caractérise la maison. Le point de masculinité ?, note Raf Simons, codirecteur porté avec un collier de coquillages et un pan- Sartori, directeur artistique de Zegna.
départ de cette collection est la feuille de gin- artistique avec Miuccia Prada. On s’efforce de talon baggy de couleur pêche, les chemises Aujourd’hui, tout va avec tout, et ça libère le
kgo que l’on retrouve brodée sur des tee- Chez Etro, comprendre comment le costume peut être brodées de perles et de sequins rayonnent consommateur qui peut jouer avec les formes
shirts en cuir perforé, en imprimé scintillant complètement différent de ce que l’on con- comme des boules à facettes. On croise aussi et les couleurs. » Pour établir « une garde-robe
sur des chemises sombres, en dentelle trans-
un vaste naît. Ici, il est confortable et laisse le corps li- des reproductions d’allégories du XVIIe siè- efficace », et donc sans contraintes, il propose
parente sur des hauts près du corps, en motif manteau bre de ses mouvements. » Pour ce faire, le tan- cle : « Elles synthétisent des valeurs dans une une base de vêtements amples en lin beige,
géométrique sur des pulls à capuche, ou sous dem s’est concentré sur la chemise. En pope- image forte, et ça correspond bien à notre épo- où les volumes sont fluides, les vestes dés-
forme de collier doré.
à motifs line souple, elle est travaillée avec des épau- que si focalisée sur l’image », justifie-t-il. tructurées avec les épaules tombantes, des
Une forme de décontraction sophistiquée et pompons les très larges et une taille fine, façon années pantalons flottant autour de la jambe. Et pi-
que l’on aperçoit aussi sur sa ligne plus ha- 1940 (« Quand on idéalisait le corps mascu- « Jouer avec les formes et les couleurs » mente l’ensemble avec d’intrigantes chemi-
billée Giorgio Armani, qui déploie un éven-
orange est lin », dixit Raf Simons). Elle est décorée de Pour Valentino, Pierpaolo Piccioli a investi le ses en cuir sans bouton, des shorts aux lignes
tail de costumes pour être chic en toutes cir- porté avec motifs hawaïens, de fleurs en 3D un peu in- jardin du cloître de l’université de Milan. Un irrégulières et des souliers tout-terrain à se-
constances : en lin grège, laine noire ou soie quiétantes, de poches épaisses, de franges choix qui traduit sa volonté de parler à un pu- melles épaisses. Pour Zegna aussi, l’audace
bleue, avec un simple châle noué autour du
un collier de qui se balancent au rythme des pas. La che- blic jeune, tout comme la présence d’égéries passe par la couleur : le vert acidulé ou
cou en guise de cravate, des espadrilles ou coquillages mise est couvrante, mais pas les shorts à de K-pop au premier rang et le concert en di- l’orange flamboyant sont travaillés en total
des mocassins aux pieds. Pour symboliser la taille haute et coupés court sur la jambe qui rect du jeune chanteur américain d4vd. La look, des doses de vitamines bienvenues.
réécriture permanente de son style, Giorgio lui sont associés, ni ces polos rétrécis qui garde-robe, elle, ne fait pas de jeunisme et Bleu ciel, ocre, émeraude… Les belles cou-
Armani, qui reçoit ses hôtes dans le sous-sol laissent entrevoir le caleçon. Sous leur veste reste fidèle au romantisme épuré de Valen- leurs de la collection Fendi rappellent l’envi-
de ses appartements privés, avait installé un en cuir taillée comme des chemises, que tino : vestes de costume portées avec des ronnement du défilé : la griffe a fait une infi-
crayon à papier géant en guise de décor. portent les mannequins ? Pas grand-chose. shorts, débardeurs à lavallière, chemises bro- délité à Milan en défilant, le 15 juin, dans le
Changement d’ambiance chez Prada, qui Chez Etro, Marco de Vincenzo a voulu met- dées de pivoines, jupes qui se confondent cadre du salon de mode masculine Pitti
accueille ses invités à sa fondation, dans un tre en valeur « le pouvoir du textile », donnant avec des bermudas… Le tout dans des cou- Uomo dans sa toute nouvelle usine de maro-
décor de grillages en fer, où un liquide lieu à un foisonnement d’imprimés et de leurs fortes signatures de la maison, noir ou quinerie de Capannuccia, près de Florence.
visqueux s’échappe du plafond. « Cette couleurs : un tee-shirt échancré semble fuchsia, bleu pétrole ou vert tendre. Un lieu idéal pour imaginer une jolie garde-
robe empreinte de clins d’œil à l’artisanat, où
les chemises en soie sont imprimées de tour-
Gucci et Tod’s soignent leurs présentations nevis ou de clés à molette ; les tabliers de cuir
courts ont des airs de jupettes ; les imper-
méables se confondent avec des blouses…
à milan, la culture du défilé n’est chemises en lin moelleuses mais Assis sur des bancs, d’élégants manne- Chez Gucci, en attendant le premier Pour la marque qui porte son nom, JW
pas aussi prégnante qu’à Paris. Sans structurées, des polos en coton tricoté, quins en chemisette vert amande et défilé du nouveau directeur artistique, Anderson s’est inspiré des meubles autour
doute parce que l’on considère moins des manteaux en cuir délicat. Et puis il pantalon anthracite ou total look beige Sabato de Sarno, en septembre, la mar- de lui : le tissu d’un canapé des années 1970 a
la mode comme un spectacle que y a ces somptueuses vestes de costume regardent l’assemblée qui trinque au que florentine a imaginé une présenta- donné naissance à des shorts duveteux, le
comme une industrie fondée sur de où les différentes couches de tissu à champagne d’un air rêveur. tion-exposition qui mêle quelques sil- bras d’une chaise à des sabots compensés,
solides savoir-faire, et qu’il n’y a rien de l’intérieur ne sont pas collées entre el- Un format festif qui rappelle celui de houettes masculines tout en imprimés un balai à franges à des tee-shirts près du
mieux qu’une « présentation » où les les comme c’est l’usage : pour plus de Brunello Cucinelli, dont les présenta- célébrant le mors emblématique de la corps. « C’est une collection pas trop céré-
invités peuvent toucher et observer les souplesse, elles sont simplement cou- tions ont des airs de garden-party. marque, au milieu d’installations pho- brale, où l’on coupe la manche d’un pull
vêtements de près pour s’en rendre sues à quelques endroits stratégiques. Dans une cour intérieure ombragée, togéniques pensées par dix artistes et parce que l’on en a envie, sans raison », expli-
compte. Cette saison, une majorité de Tod’s investit la villa Necchi, bijou un orchestre joue des airs entraî- designers. On rencontre une table sur- que le designer irlandais, qui a aussi ima-
maisons ont privilégié ce format. d’Art déco transformé en musée. Dans nants, près d’un bar à cocktails et d’un réaliste, dont les pieds sont des jambes giné des pulls à capuche perforés d’un vaste
C’est le cas de Brioni, qui a investi le la serre du jardin, entre deux feuilles de buffet gargantuesque… et, au milieu humaines en jean et mocassins à mors triangle au niveau du torse. « C’est le fan-
39e étage d’une tour moderne. Sur le bananier, émergent des mocassins en des invités, des grappes de manne- (signée Pitterpatter), un lit poilu au- tasme de ce que j’aimerais porter », admet-il,
toit-terrasse, un mannequin en bois veau velours ocre, ornés d’un T, et la quins à leur aise dans des tenues chics dessus duquel plane un escarpin à vêtu d’un simple jean et d’un maillot de
observe la vue avec ses jumelles, un ceinture assortie, un sac de voyage en et un peu rétro inspirées par la French mors (Sylvie Fleury)… Comme quoi, rugby. Hors des podiums, les hommes
autre se rafraîchit les pieds dans une cuir grainé ivoire, ou encore l’emblé- Riviera, costumes crème à rayures nul besoin de défiler pour faire le bon- souscriront-ils à la fantaisie du vestiaire mi-
fontaine, un troisième s’est installé à matique chaussure de conduite, dont tennis, vestes prince-de-galles croi- heur des instagrameurs. p lanais ? Réponse l’été prochain. p
l’ombre d’un buisson… Ils portent des les picots de la semelle ont été gonflés. sées ou vestes en jean décontractées. e. v. b. elvire von bardeleben
26 |
IDÉES
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023

Pierre Haroche L’adhésion de l’Ukraine

à l’OTAN va dans
La France aurait intérêt à soutenir l’adhésion
de l’Ukraine à l’OTAN, car elle renforcerait
les projets d’« autonomie stratégique

le sens de l’histoire
européenne » défendus par Emmanuel
Macron, estime le chercheur, spécialiste
des questions de sécurité internationale

A
Vilnius, les 11 et 12 juillet, les
alliés de l’Organisation du traité
de l’Atlantique Nord (OTAN)
devront apporter une réponse à
la candidature de l’Ukraine, et la France
aurait tout intérêt à apporter un soutien
clair à une perspective d’adhésion, qui
pourrait prendre effet à l’issue de la
guerre en cours.
Comme le président Macron l’a indiqué
à Bratislava, le 31 mai, il n’y aura sans
doute pas de consensus en faveur de l’en-
trée de l’Ukraine dans l’Alliance, mais des
propositions en termes de garanties de
sécurité que les alliés pourraient offrir à
Kiev. Alors qu’en Pologne et dans les pays
baltes on met en avant le fait que seule
une adhésion pleine et entière constitue-
rait une garantie solide pour l’avenir,
d’autres observateurs, en particulier aux
Etats-Unis, évoquent le risque de
confrontation avec la Russie et l’engage-
ment militaire supplémentaire que repré-
senterait la défense de la frontière Russie-
Ukraine. Entre les deux camps, le prési-
dent Macron est resté relativement
ouvert, évoquant une possible « voie vers
l’adhésion ». La France devrait-elle signa-
ler une position plus tranchée en faveur
de la candidature de Kiev ? Trois argu-
ments plaident en faveur de cette option.
Premièrement, cette adhésion va dans
le sens de l’histoire. Au-delà des circon-
locutions diplomatiques, à partir du
moment où l’Ukraine sera non seule-
ment armée et entraînée par les alliés,
mais où, en plus, elle bénéficiera de
garanties de sécurité de la part de ces der-
niers, y aura-t-il encore un sens à lui refu-
ser le titre de membre, qui ne viendrait
qu’officialiser une réalité de fait ? Il y a
fort à parier que cette ambiguïté apparaî-
tra à l’avenir de plus en plus vaine, voire
dangereuse, en incitant Moscou à tester
les limites de notre soutien à l’Ukraine.
Confiance mutuelle
Or si tôt ou tard l’Ukraine est vouée à
entrer dans l’Alliance, la France a tout
intérêt à anticiper le mouvement plutôt
qu’à le subir. C’est cette logique qui, dans
les années 1948-1950, a guidé la politique
française à l’égard de l’Allemagne. Puis-
que le relèvement allemand était inéluc-
table, plutôt que de chercher à l’entraver,
il valait mieux l’accompagner et l’orien-
ter vers une voie favorable à la France,
c’est-à-dire une voie européenne.
Deuxièmement, une Ukraine intégrée
à l’OTAN peut justement être une chance
pour la vision française de la sécurité
européenne. La France plaide en effet
pour plus d’« autonomie stratégique
européenne », c’est-à-dire, une défense de
l’Europe moins dépendante des forces
armées américaines.
Or, un des principaux obstacles à cette
vision française a longtemps été la
conviction, partagée par beaucoup de
dirigeants européens, que l’Europe serait
tout simplement incapable de se défen-
dre en cas de guerre sans un engagement
massif des troupes américaines. Pour-
tant, l’Ukraine démontre aujourd’hui
qu’un pays européen, même faiblement
équipé au départ, même renforcé au
compte-gouttes par des transferts de
matériels relativement disparates, est
capable, certes dans la douleur, mais capa-
ble quand même, de tenir tête à une inva-
sion russe semblant tout droit sortie des
pires scénarios de la guerre froide.
Si l’OTAN pouvait compter à l’avenir
sur le nombre, l’expérience unique et la
force morale des combattants ukrai-
niens, qui pourrait encore douter que la
UNE RÉPONSE
DÉCEVANTE
DE L’OTAN
AUX ASPIRATIONS
DE KIEV POURRAIT
ENGENDRER
UN DIVORCE EST-
OUEST EN EUROPE
trentaine de membres européens de l’Al-
liance ne seraient pas en mesure, collec-
tivement, d’opposer à la Russie au moins
une première ligne de défense solide,
sans avoir à tout miser sur l’arrivée des
troupes américaines ? Autrement dit, le
projet, esquissé par le président Macron
à Bratislava, d’un « pilier européen au sein
de l’OTAN », verrait sa crédibilité considé-
rablement renforcée si l’Ukraine en fai-
sait pleinement partie. Et à l’heure où les
Etats-Unis anticipent de plus en plus la
nécessité de concentrer leurs efforts en
Asie pour faire face à la menace chinoise,
ce projet a tout son sens.
Troisièmement, fermer la porte de l’Al-
liance à l’Ukraine n’est pas sans danger.
Certains pays d’Europe centrale et orien-
tale voient dans la protection de l’Ukraine
une garantie de leur propre sécurité. Une
réponse décevante de l’OTAN aux aspira-
tions de Kiev pourrait raviver des ten-
sions, voire engendrer un divorce straté-
gique Est-Ouest en Europe. Par exemple,
l’ancien secrétaire général de l’Alliance
Anders Rasmussen a récemment averti
que la Pologne pourrait être tentée d’or-
ganiser autour d’elle une mini-alliance du
« flanc Est », à côté de l’OTAN.
Or, dans son discours de Bratislava, le
président français s’est précisément
donné pour mission de resceller l’unité
entre l’est et l’ouest de l’Europe, recon-
naissant entre les lignes que la France
avait historiquement plus d’efforts à
faire que d’autres afin de restaurer la
confiance mutuelle. En affirmant claire-
ment son soutien à la perspective d’une
adhésion pleine et entière de l’Ukraine à
l’OTAN, la France démontrerait aux yeux
de ses partenaires du « flanc Est » qu’elle
est un allié fiable pour construire la
défense européenne de demain.
Mieux : alors que les Etats-Unis hésitent
encore sur le sujet, le soutien explicite de
la France à la candidature ukrainienne
pourrait faire de cette position une illus-
tration politique de l’idée d’« autonomie
stratégique européenne » au sens large,
en renvoyant l’image d’une Europe, tant
à l’Ouest qu’à l’Est, à la pointe du débat
sur sa propre défense.
Les forces armées ukrainiennes sont
aujourd’hui engagées dans une coura-
geuse contre-offensive contre l’occupant.
Comme dans toute guerre, l’espoir et le
sentiment d’être soutenus par une vaste
communauté sont pour les combattants
de précieuses ressources morales. Au
fond, l’enjeu du sommet de Vilnius est de
leur faire une promesse : à l’avenir, vous
ne serez plus jamais seuls. p
Pierre Haroche est maître de confé-
rences en sécurité internationale
à l’université Queen Mary (Londres)

Azat Miftakhov,
nier politique dès 2019. Human
Rights Watch a qualifié le verdict
d’injuste et d’abusif, et a appelé
les autorités à l’annuler.
attaché à Azat Miftakhov après a été un important levier de
son transfert à la colonie péniten- mobilisation. Après sa trans-
tiaire d’Omoutninsk. formation en congrès virtuel
Les offensés sont souvent isolés après l’invasion russe de

mathématicien victime
Azat Miftakhov purge actuel-
lement sa peine à la colonie péni-
tentiaire numéro 17, à Omout-
ninsk, dans la province de Kirov.
de la population carcérale géné- l’Ukraine, nous poursuivons la
rale. Il est strictement interdit aux mobilisation pour la libération
autres détenus de les toucher, de d’Azat Miftakhov en l’inscrivant
toucher leurs affaires ou de leur dans celle, plus générale, contre

des atrocités commises

Il est affecté à des travaux phy- emprunter de la nourriture ou des les atrocités commises par les
siques pénibles dans un atelier de cigarettes, sous peine d’être eux- autorités russes contre le peuple
menuiserie. Il devrait être libéré mêmes rétrogradés. Tout le sale ukrainien, et contre la répression
le 23 septembre. Cependant, boulot, comme le nettoyage des de toutes les voix libres en Russie

par les autorités russes selon plusieurs reportages, le FSB

serait en train de fabriquer une
nouvelle affaire pénale contre lui,
en envisageant de l’accuser d’être
membre du groupe antigou-
Alors qu’un nouveau procès de l’opposant Alexei Navalny vernemental « Réseau ». Le FSB a
obtenu un faux témoignage forcé
s’ouvre en Russie, un collectif international d’Igor Chichkine, un prisonnier
de mathématiciens alerte sur le sort du jeune chercheur et qu’il interrogeait dans la colonie
pénitentiaire à Valdaï. Igor Chi-
militant anarchiste, otage du système carcéral chkine a été exfiltré de Russie et
s’est réfugié en France. Il a
raconté à Mediapart comment il
toilettes, est généralement laissé
aux membres de cette caste.
Compte tenu du niveau extrême
d’homophobie dans la société
russe, les détenus LGBT sont parti-
culièrement vulnérables dans le
système pénitentiaire et sont
automatiquement intégrés à la
caste des « offensés ». Selon les ex-
perts, environ 40 % des « offen-
sés » sont forcés d’avoir des rela-
tions sexuelles. Une caste sociale
similaire existe dans l’armée
qui osent exprimer leur opposi-
tion à la guerre. Nous puisons
notre inspiration et notre foi dans
l’effet cumulatif de nos actions
dans l’histoire des engagements
de la communauté mathémati-
que pour la défense des droits
fondamentaux et contre les injus-
tices, notamment ceux du comité
Audin et du comité de mathé-
maticiens pour la défense de plu-
sieurs mathématiciens persécu-
tés dans le monde, en particulier

L
orsque le doctorant en
mathématiques de l’uni-
versité d’Etat de Moscou et
militant anarchiste Azat
Miftakhov a été arrêté en fé-
vrier 2019, la Russie n’était pas
encore le pays paria qu’il est
devenu depuis l’invasion de
l’Ukraine. Au contraire, la ville de
Saint-Pétersbourg venait d’être
choisie pour accueillir le
AZAT MIFTAKHOV Congrès international des
PURGE SA PEINE mathématiciens (CIM) en jui-
llet 2022. Cela n’a pas incité le
À LA COLONIE FSB, le service de renseignement
russe héritier du KGB, à la moin-
PÉNITENTIAIRE dre retenue : arrestation musclée
NUMÉRO 17, d’Azat Miftakhov, filmée et dif-
fusée par la télévision publique
À OMUTNINSK, Rossia 24, torture, simulacre de
procès sur de fausses accusa-
OÙ IL EST AFFECTÉ tions d’« hooliganisme », peine
énorme de six ans de prison et
À DES TRAVAUX exploitation homophobe de la
DANS UN ATELIER bisexualité d’Azat Miftakhov ; ce
dernier sévice a été révélé récem-
DE MENUISERIE ment par son épouse.
Lors de son arrestation, Azat
Miftakhov a été accusé de « fabri-
cation d’explosifs ». Il a été torturé
au poste de police mais, au bout
de trois jours, le tribunal a rejeté
l’affaire faute de preuves. Il a été
relâché, puis arrêté de nouveau ;
cette fois, il a été accusé d’avoir
participé à un complot plus d’un
an plus tôt pour briser une fenê-
tre dans un bureau du parti Rus-
sie unie du président Vladimir
Poutine. Il a plaidé non coupable.
Mais, le 18 janvier 2021, un tri-
bunal de Moscou a prononcé une
peine de six ans d’emprisonne-
ment dans une colonie pénitenti-
aire, sur la base du témoignage de
deux témoins secrets – dont l’un
a affirmé l’avoir identifié, alors
qu’il était prétendument mas-
qué, par ses « sourcils expressifs »
et est décédé plusieurs mois
avant le procès. L’organisation
russe de défense des droits de
l’homme Memorial a reconnu
Azat Miftakhov comme prison-
a fini par accepter sous la torture
de compromettre Azat Mif-
takhov en chargeant son dossier
de crimes imaginaires. S’il est re-
connu coupable de ces fausses
accusations, Azat Miftakhov ris-
que une peine de prison supplé-
mentaire beaucoup plus longue.
Peu de temps après son arresta-
tion, Rossia 24 a diffusé un
deuxième reportage sur Azat
Miftakhov montrant des photo-
graphies privées et intimes de lui
saisies lors de la perquisition de
son appartement à Moscou.
Elena Gorban, l’épouse d’Azat
Miftakhov, a récemment an-
noncé que, à peu près au même
moment, le FSB avait révélé la bi-
sexualité d’Azat Miftakhov à ses
codétenus en leur dévoilant des
photographies similaires – vrai-
semblablement les mêmes –
pour qu’il soit étiqueté comme
membre de la caste des « offen-
sés », la pire dans la hiérarchie des
prisons russes. Ce statut est resté
russe depuis l’époque soviétique.
Mobilisation internationale
La communauté mathématique
internationale s’est mobilisée
pour défendre Azat Miftakhov
dès son arrestation. De nombreu-
ses associations professionnelles,
y compris les sociétés mathéma-
tiques nationales de France, des
Etats-Unis, du Royaume-Uni, du
Brésil, d’Italie et d’Espagne, ont
publié des déclarations publiques
exprimant leur inquiétude au
sujet de son cas. L’école doctorale
de mathématiques Hadamard de
l’université Paris-Saclay a France et professeur à l’univer-
nommé Azat Miftakhov étudiant
honoraire et l’a invité à terminer
son doctorat à Paris une fois
libéré. La section Scholars at Risk
de l’université Harvard a accordé
à Azat Miftakhov une bourse
pour poursuivre ses recherches
dans le célèbre campus.
Le CIM initialement prévu à
Saint-Pétersbourg en juillet 2022
de l’Ukrainien Leonid Pliouchtch
à l’époque soviétique. p
Ahmed Abbes, directeur
de recherche au CNRS (Paris) ;
Alexandre Borovik, profes-
seur à l’Umist et à l’université
de Manchester ; Michel
Broué, professeur émérite
à l’université Paris-Diderot ;
Fabien Durand, président
de la Société mathématique de
sité de Picardie-Jules-Verne ;
Ivar Ekeland, professeur
émérite et ancien président
de l’université Paris-Dauphine ;
Michael Harris, professeur
à Columbia University ; Ilya
Kapovich, professeur à
Hunter College (New York) ;
Raphaël Rouquier, profes-
seur à UCLA (Los Angeles)
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023 idées | 27

L’
affaire du fonds Marianne est
révélatrice des errements de l’anti-
terrorisme français. On aurait tort
d’y voir de simples erreurs person-
nelles d’un directeur de service, de mem-
bres de cabinet ou même d’une ministre
déléguée. Tous les éléments rassemblés à
ce jour sont cohérents et font système :
aveuglé par une perspective idéologique,
le gouvernement mène une politique
erratique, voire contre-productive, sur la
lutte contre le séparatisme, qui gagnerait
à être davantage nourrie par les recher-
ches en sciences sociales.
L’assassinat de Samuel Paty en octo-
bre 2020 a légitimement suscité une
émotion intense dans la société française
et s’est traduit par des décisions rapides
du gouvernement. L’une de ces réponses
a été de créer le fonds Marianne pour
soutenir des actions de lutte contre le sé-
paratisme. Outre que les subventions ont
alimenté des associations à l’activité pour
le moins discrète, les logiques de copi-
nage nourries d’accointances politiques
et idéologiques qui ont rendu cette ré-
ponse gouvernementale manifestement
inutile sont aujourd’hui mises au jour.
Une autre réponse à l’assassinat du
professeur d’histoire avait d’abord été,
quelques semaines après l’attentat, la
dissolution du Collectif contre l’islamo-
phobie en France (CCIF), accusé de com-
plicité de terrorisme par le ministre de
l’intérieur dans la justification de la pro-
cédure de dissolution administrative. Le
Conseil d’Etat n’avait, finalement, pas
retenu ce motif, ce qui indique que le mi-
nistre avait accusé à tort cette association
de complicité de terrorisme. Si la disso-
lution du CCIF a néanmoins été effective,
c’est en raison des prises de position de
l’association – relatives notamment à la
notion d’« islamophobie d’Etat », perçues
comme des appels à la haine et à la discri-
mination – et de l’absence de modéra-
tion de ses réseaux sociaux.
Dans le cadre d’une enquête (« La
France tu l’aimes mais tu la quittes. Ces
musulmans qui prospèrent aux quatre
coins du monde », collectif, à paraître au
Seuil en 2024) que nous conduisons
actuellement sur des Français de confes-
Julien Talpin L’affaire du fonds
Marianne et les errements de
la lutte contre le séparatisme
Le chercheur en science politique invite le gouvernement à revoir sa politique
contre le terrorisme en s’appuyant sur les travaux des universitaires spécialistes
de ces questions, et non sur les opinions de polémistes ou d’idéologues
Ces Français qui quittent leur pays,
souvent à regret, n’ont pas n’importe
quel profil : ce sont des diplômés du su-
périeur qui ont connu une trajectoire
d’ascension sociale entravée par les dis-
CES FRANÇAIS QUI criminations. Certains avaient même
QUITTENT LEUR PAYS voté pour Emmanuel Macron en 2017.
Pas toujours très religieux, ils sont loin
SONT DES DIPLÔMÉS de l’image de « séparatisme » que
d’aucuns accolent aux musulmans fran-
DU SUPÉRIEUR çais, et déplorent que les institutions
n’aient pu suffisamment les protéger
QUI ONT CONNU de la stigmatisation – quand elles n’y
UNE TRAJECTOIRE ont pas activement concouru –, les
conduisant à mettre la France à distance.
D’ASCENSION Ce faisant, notre pays se coupe d’élites
sociales, économiques, intellectuelles et
SOCIALE ENTRAVÉE politiques qui pourraient constituer des
vecteurs de représentation des musul-
mans en France dont on ne cesse de
sion musulmane qui s’expatrient pour déplorer la fragmentation. Au nom de la
mettre à distance les discriminations, lutte contre le séparatisme, des person-
plusieurs ont mentionné cet épisode nes qui, au contraire, ont le sentiment
comme la « goutte d’eau » les ayant d’avoir « joué le jeu de l’intégration » se
convaincus de quitter la France. A leurs sentent mises à distance.
yeux, non seulement leurs droits de Ces choix discutables – dissoudre une
citoyens français ne sont pas toujours association légaliste et soutenir des ac-
respectés, mais encore, avec la dispari- teurs inutiles – ne sont pas erratiques. Ils
tion de la principale organisation per- s’inscrivent dans une matrice idéologi-
mettant l’accès au droit des personnes que peu nourrie par les faits et les scien-
de confession musulmane, ils n’ont ces sociales. De fait, un des principaux
même plus la possibilité de les défendre. « experts » qui a inspiré les travaux du
Comité interministériel de prévention de
la délinquance et de la radicalisation n’est
autre que Mohamed Sifaoui, dont les tra-
vaux sont contestés de longue date par
nombre de chercheurs. Il a également été
un des inspirateurs de la loi « confortant
les principes de la République », dite loi
« séparatisme », d’août 2021.
Retrouver la raison
De fait, cette loi a davantage été alimen-
tée par les opinions d’essayistes et de
polémistes que par les travaux de recher-
che des universitaires spécialistes de ces
questions. Sur ces derniers, l’action publi-
que se fait presque contre la science, à
quelques exceptions près. Il faut dire que
la rédaction de cette loi a été conduite en
pleine polémique sur « l’islamo-gau-
chisme », la ministre de l’enseignement
supérieur accusant les chercheurs de dé-
rives idéologiques. Si aucun élément n’a
permis, depuis, de prouver concrètement
ces accusations, elles ont des incidences
bien réelles, puisque les gouvernants ne
se nourrissent pas véritablement des
connaissances accumulées, discutées et
validées par les pairs selon les méthodes
éprouvées des sciences sociales.
Il est urgent, au regard de l’importance
des enjeux, de retrouver la raison.
Au-delà de la démission de telle ou telle
personne qui aurait fauté, il convient
d’analyser les mécanismes ayant
conduit aux errements qui éclatent
aujourd’hui à nos yeux. Renouer le lien
entre sciences sociales et décisions
publiques serait utile, et pas uniquement
sur les questions relatives à l’islam.
Au-delà, l’affaire du fonds Marianne
devrait nous pousser à nous interroger
sur les modalités de financement de la
vie associative et sur la capacité des exé-
cutifs à décider seuls, ou presque, sans
avoir de compte à rendre, de l’attribution
ou du retrait de financements. Il en est
ainsi dans presque toutes les mairies, ré-
gions ou départements, loin du plura-
lisme et de la transparence qui permet-
traient d’éviter l’arbitraire et assure-
raient un meilleur respect des libertés
associatives. p
Julien Talpin est chargé de recherche
en science politique au CNRS et
directeur adjoint du Centre d’études
et de recherches administratives
politiques et sociales (Ceraps). Il est
codirecteur du groupement d’intérêt
scientifique Démocratie et Participation

Clémentine Buisson et Marie Donzel Il faut banaliser

les figures féminines dans les sphères dirigeantes
Alors que Sophie Binet est la première femme élue à la tête de la CGT et que Marylise Léon succédera à Laurent Berger le 21 juin,
les deux expertes en innovation sociale mettent en garde face au « syndrome de la Schtroumpfette » et à la « falaise de verre »

O
n les appelle « pionniè-
res », et l’on s’étonne qu’il
y ait encore en 2023 des
« premières femmes à »
prendre des fonctions jusqu’alors
occupées par des hommes. Ainsi,
Sophie Binet a-t-elle été, en mars,
la première femme élue à la tête
de la CGT. Marylise Léon, qui suc-
cédera à Laurent Berger le 21 juin,
sera la deuxième en soixante ans
pour la CFDT. De son côté, Domi-
nique Carlac’h sera peut-être la
deuxième dirigeante du Medef,
puisqu’elle est candidate à la suc-
cession de Geoffroy Roux de Bé-
zieux en juillet.
Pour l’expliquer, il faut rappe-
ler que le monde du syndica-
lisme est longtemps resté mé-
fiantface à un féminisme perçu
comme concurrent et contra-
riant la grille de lecture de la lutte
des classes. Il faut évoquer aussi
les effets de structure de l’emploi
des femmes. Surreprésentées au
sein des métiers et secteurs
moins impliqués dans les rap-
ports de force sociaux, surexpo-
sées dans les angles morts de la
défense des droits des tra-
vailleurs : les occasions de faire
dépasser leur tête ont manqué.
Il reste que l’on pourrait se trou-
ver cet été dans une situation iné-
dite : deux femmes à la tête des
plus grosses centrales syndicales
et une femme à la tête de la pre-
mière organisation patronale.
Cet alignement est intéressant en
ce qu’il constitue une rupture
avec le « syndrome de la Sch-
troumpfette ». C’est l’essayiste Ka-
tha Pollitt, qui, en 1991, a proposé
cette image pour décrire l’hypo-
crisie et l’inefficacité de la figure
de la « femme d’exception ».
Seule femme dans un monde
masculin, la Schtroumpfette n’est
vouée qu’à performer ou contre-
performer son genre. Et ce, sans
avoir jamais la possibilité d’exis-
ter autrement que comme « une
femme qui dirige » – et non une
dirigeante comme une autre.
Ce syndrome n’a qu’un
antidote : il faut multiplier le
nombre de femmes en res-
ponsabilité pour diversifier et
banaliser les figures féminines
dans les sphères dirigeantes.
Ainsi, sous réserve que Domini-
que Carlac’h soit élue patronne
des patrons, on peut s’attendre à
ce que cet effet de banalisation
s’installe.
Néanmoins, ce n’est pas parce
que la féminisation se banalise
que les conditions dans lesquel-
les ces femmes accèdent au pou-
voir sont dépourvues de pièges.
La notion de « falaise de verre »
expose l’un d’entre eux. Issu des
recherches de Michelle Ryan et
d’Alexander Haslam en 2005, ce
concept décrit le fait que les no-
minations de femmes à la tête
d’organisations se font quand ces
dernières sont en difficulté.
Ainsi, quand le bateau prend
l’eau, il y a moins de compétition
entre hommes pour en devenir le
capitaine, voire une certaine
promptitude à soutenir en der-
nier recours la solution d’une
femme à la barre. Cet effet est à
surveiller de près dans les nomi-
nations de femmes.
Pour cette raison, nous avons
analysé la santé des organisations
en question. Mal-aimés depuis
des décennies, contournés par les
« gilets jaunes », les syndicats ont
retrouvé un bon niveau de popu-
larité tant en matière d’adhésions
que de mobilisation pendant les
manifestations contre la réforme
QUAND LE BATEAU
PREND L’EAU,
IL Y A MOINS
DE COMPÉTITION
ENTRE HOMMES
POUR EN DEVENIR
LE CAPITAINE
des retraites. C’est une condition
favorable pour épargner à Sophie
Binet et à Marylise Léon la « fa-
laise de verre ».
Dans tout environnement
marqué par les rapports de
pouvoir, il faut s’attendre à des
contextes complexes d’accès aux
premières places. Mais, contre
toute attente, le dernier congrès
de la CGT voyait deux femmes en
lice – avant que ce soit une
troisième, Sophie Binet, qui
remporte le match –, les contes-
tations de la légitimité et des
compétences ont évité la colora-
tion sexiste.
Choc des styles
Pour Marylise Léon, présentée
comme un choix de continuité,
l’état-major de la CFDT a
communiqué sur sa légitimité.
Le tableau est moins net au
Medef, où le duel entre Patrick
Martin, autre candidat à la prési-
dence, et Dominique Carlac’h se
scénarise comme un choc des
styles. Pour lui, l’expérience,
l’autorité et la défense des fonda-
mentaux de la croissance ; pour
elle, la modernité, le sens de l’in-
fluence et l’idée qu’une autre
performance est possible.
Troisième élément pour analy-
ser la sincérité des progrès de la
parité dans les organisations
syndicales – et peut-être patrona-
les : la qualité des dossiers, qui
permettent d’inscrire ou non un
mandat dans l’histoire. Ce n’est
pas la même chose d’être
nommé patronne ou patron
quand il y a surtout des affaires
courantes à gérer ou peu de
transitions à mener, et lorsqu’il y
a de grands chantiers structu-
rants à conduire.
L’agenda est propice à l’ex-
pression des compétences, de
l’habileté et de la vision des ac-
teurs de premier plan du dialo-
gue social : en sus de la réforme
des retraites, sur laquelle les par-
tenaires sociaux n’ont probable-
ment pas dit leur dernier mot,
devrait arriver un projet de loi
« travail », début 2024, qui entraî-
nera de nécessaires débats, lors
desquels on devrait entendre
fortement la voix des « numéros
une » des syndicats.
Il sera alors intéressant d’obser-
ver si la « féminisation » de la tête
des organisations syndicales
produit les mêmes effets que
ceux induits par la loi Copé-Zim-
mermann, relative à la représen-
tation équilibrée des femmes et
des hommes au sein des conseils
d’administration et de sur-
veillance et à l’égalité profession-
nelle, promulguée en 2011.
La dynamique de parité dans
les conseils d’administration des
grandes entreprises s’est ainsi ac-
compagnée d’un rajeunissement
de ces instances. Elle est égale-
ment allée de pair avec une di-
versification des profils, tant sur
le plan de l’interculturel et que
sur celui des parcours. Elle est en-
core corrélée à une meilleure
place dans les espaces de la déci-
sion stratégique à l’innovation et
a enfin créé un appel d’air pour
l’ambition des femmes à tous les
échelons des entreprises.
Sans que l’on puisse parler de
ruissellement de la culture de la
mixité, il faut donc signaler une
meilleure prise en compte de
l’égalité professionnelle depuis
que les dirigeants sont aussi des
dirigeantes. Les grands syndicats
français verront-ils de sembla-
bles mouvements s’opérer en
leur sein ? Dans ce cas, la grande
avancée de la parité dans les syn-
dicats s’inscrira dans un mouve-
ment plus global de progrès de la
diversité dans le monde du tra-
vail et dans la société. p
Clémentine Buisson et
Marie Donzel sont autrices
du «Rapport AlterNego sur
l’égalité pro 2023 » et expertes
en innovation sociale
au cabinet AlterNego
28 | idées 0123
MERCREDI 21 JUIN 2023

Adapter la France à + 4 0C suppose un grand débat démocratique

ANALYSE On ne peut que saluer ce changement de
braquet, réclamé de longue date par les spé-
la tendance. Le réchauffement pourrait, par
exemple, atteindre + 5,6 0C dans l’Hexagone
sur la façon d’agir, a finalement du sens,
même si sa technicité tend à dépolitiser un

L
a France cesse enfin de se voiler la
face. L’été 2022, marqué par un
cortège de catastrophes, a suscité
une prise de conscience généralisée :
le dérèglement climatique, causé par les acti-
vités humaines, frappe aussi notre territoire
et va s’aggraver. Pour la première fois, le
gouvernement assume de se préparer à deux
trajectoires de réchauffement afin de mieux
UNE BONNE GESTION prendre en compte les risques.
DES RISQUES Jusqu’à présent, le pays avait seulement
pris des mesures – insuffisantes – pour faire
IMPLIQUE DE face à un réchauffement de 2 0C à la fin du
siècle, le niveau qui sera atteint si les Etats
REGARDER D’AUTRES parviennent à respecter les objectifs de l’ac-
SCÉNARIOS, cord de Paris. C’est à ce stade hautement
improbable. Désormais, sous l’impulsion du
PLUS CHAUDS QUE ministre de la transition écologique, Chris-
tophe Béchu, la France va se préparer à une
LA TENDANCE : élévation de 4 0C de la température en 2100 en
métropole, ce qui correspond à une hausse du
+ 5,1 0C, + 7 0C, thermomètre de 3 0C au niveau mondial, la
+ 8 0C… trajectoire vers laquelle nous mènent les
politiques actuelles des pays.
Fin mai, le gouvernement a décidé
d’ouvrir une consultation publique sur
cette hypothèse et sur ses conséquences
pour la population, les filières économiques
et les collectivités territoriales. Cette
discussion doit contribuer à la définition du
prochain plan national d’adaptation
au changement climatique, qui devrait être
publié à la fin de l’année.
cialistes du climat. En imposant ce chiffre, de
nature à effrayer la population, Christophe
Béchu a fait montre de courage politique. Les
réactions qui se multiplient ces dernières
semaines confirment que le sujet est pé-
rilleux. L’adaptation au changement climati-
que, qui consiste à se préparer et à répondre à
ses impacts, est restée longtemps le parent
pauvre des politiques climatiques, tant on
craignait qu’elle ne détourne les Etats de l’in-
dispensable réduction des émissions – ce
que l’on appelle l’atténuation. Mais si l’adap-
tation s’est imposée comme une action
nécessaire, elle reste encore mal comprise.
Les propos de Christophe Béchu ont suscité
une levée de boucliers. D’abord parce que
nombre de Français n’ont pas encore mesuré
la gravité de la situation et qu’une partie
reste climatosceptique. Ensuite, parce que
certains ont considéré que le gouvernement
abandonnait la lutte contre les émissions.
L’adaptation et l’atténuation sont pourtant
complémentaires. Aucune ne pourra être
menée sans l’autre. Un gouvernement plus
crédible sur les enjeux de transition écologi-
que aurait sans doute été mieux compris.
Le ministère a aussi une part de responsabi-
lité en ayant présenté le scénario de + 4 0C
comme « pessimiste », alors qu’il est réaliste.
Se préparer au pire reste nécessaire, et c’est là
un autre reproche d’experts du climat. Une
bonne gestion des risques implique de regar-
der aussi d’autres scénarios plus chauds que
dans un scénario émetteur, qui reste proba-
ble. La trajectoire à + 4 0C – une moyenne – né-
cessite aussi d’ajuster les politiques d’adapta-
tion sur des valeurs plus élevées, + 5,1 0C l’été,
et + 7 0C, + 8 0C ou + 9 0C lors d’étés exception-
nels, comme 2022 le fut dans le climat actuel.
Des choix, souvent douloureux
Le débat est lancé, et il était temps. C’est une
question de responsabilité. Mais la manière
dont le gouvernement le présente pose pro-
blème, en particulier les trois questions sou-
mises à consultation du public. Elles deman-
dent : « La France doit-elle se doter d’une trajec-
toire de réchauffement de référence d’ici à la fin
du siècle pour l’adaptation (…) ? Que pensez-
vous d’une trajectoire de réchauffement de (…)
+ 4 0C en 2100 par rapport à l’ère préindus-
trielle ? Quels outils et quel accompagnement
pour les grands chantiers identifiés (mise à jour
des normes, référentiels et réglementations
techniques, adaptation des collectivités territo-
riales, adaptation des filières économiques) ? »
Si l’on devine une volonté du gouverne-
ment de permettre une appropriation par
chacun de ces enjeux complexes, les deux
premières questions n’ont pas lieu d’être.
Elles reviennent à demander à la population
si la France doit s’adapter au changement
climatique, alors qu’elle n’a pas le choix, et à
quel réchauffement, ce qui doit être décidé
par le gouvernement après avis des scienti-
fiques. Seule la dernière question, qui porte
débat majeur.
Comment comprendre, par ailleurs, qu’un
tel enjeu soit cantonné à une page sur le site
Internet du ministère de la transition écolo-
gique ? Cette nouvelle trajectoire de + 4 0C
devrait être l’occasion d’une large mobili-
sation, au-delà des clivages partisans, et du
lancement d’un vaste débat public, jusqu’à
l’Assemblée nationale.
Ne nous trompons pas : l’adaptation est
éminemment politique, bien plus que tech-
nique. Elle implique des choix, souvent dou-
loureux, qui doivent être tranchés par les
citoyens et leurs représentants : quelles acti-
vités, infrastructures et habitations devront
être protégées ou relocalisées ? Quels sinis-
tres faudra-t-il indemniser et qui va payer ?
Faut-il investir massivement dans les stocka-
ges d’eau pour irriguer les cultures lors des
sécheresses ou transformer les filières agri-
coles ? En cas de pénurie d’eau, comment
partager la ressource restante entre les be-
soins des consommateurs, des agriculteurs,
des industriels ou des golfs ? Si l’on ne veut
pas voir se multiplier les conflits locaux,
comme celui contre la mégabassine de
Sainte-Soline (Deux-Sèvres), il y a urgence à
ouvrir un véritable débat démocratique. Il
faudra ensuite avoir le courage de trancher et
d’allouer les financements – rehaussés et pé-
rennisés – à ce chantier du siècle. p
audrey garric
(service planète)

CHRONIQUE | PAR JULIEN BOUISSOU

L’ÉTAT DE DROIT RESTREINT PAR LE COVID-19
Transition écologique : LIVRE
quand la marine marchande
P arce que le blog de la revue
Jus Politicum s’est imposé
comme un espace in-
contournable de réflexion sur le
droit constitutionnel, il a désor-
municipales à la « curieuse » sus-
pension des délais d’examen des
belge, britannique, autrichienne,
chilienne et américaine montrent
questions prioritaires de consti-
tutionnalité, l’ouvrage analyse
avec précision et rigueur les mul-
tiples facettes juridiques de la
crise sanitaire mondiale.
qu’une même dérive s’est pro-
duite à l’étranger. Si les outils juri-
diques ont varié, ils ont nourri,
dans le monde entier, une limita-
tion « drastique » des libertés fon-

L es compagnies maritimes ont

des comptes à rendre sur leur
rôle dans la lutte contre le
réchauffement climatique. Elles pol-
luent au moins autant que le trans-
port aérien, avec 3 % des émissions de
carbone de la planète et 45 % de celles
du transport mondial. Or, comme le
souligne l’étude 2022 de la Conférence
des Nations unies sur le commerce et
le développement (Cnuced), « l’évolu-
tion des émissions de gaz à effet de
serre de la flotte maritime mondiale va
dans la mauvaise direction ».
Alors que la flotte marchande reje-
tait en moyenne 684 millions de ton-
nes par mois en 2012, elle en rejette
désormais 847 millions de tonnes,
soit un bond de presque 25 % en l’es-
pace de dix ans. Mais elle est aussi l’un
des modes de transport les moins
polluants par kilomètre parcouru. Un
navire chargé de 24 000 conteneurs
qui relie l’Asie à l’Europe pollue moins
que 24 000 camions transportant
chacun un conteneur de Marseille à
Paris. Si on parle si peu de ces émis-
sions, c’est sans doute parce qu’elles
sont exclues des accords de Paris et ne
sont comptabilisées dans aucune des
contributions des Etats.
Il a fallu attendre l’hiver 2022 pour
que les législateurs européens obli-
gent les armateurs à payer leurs émis-
sions polluantes en les incluant dans
le marché du carbone. En mars, elles se
sont engagées auprès de Bruxelles,
après deux ans de négociations, à con-
sommer davantage de carburant vert
pour limiter leurs émissions. Lors
d’une conférence sur la mondialisa-
tion organisée fin mai par l’Ecole
d’économie de Paris, Michel Sirat, le vi-
ce-président de l’armateur CMA CGM,
n’a pas caché son pessimisme : « Toute
la difficulté c’est de savoir comment
nous allons tenir nos objectifs d’ici 2030
au vu de la croissance du secteur et de
l’absence de carburant propre. »
« Nous voulons tous décarboner le
transport maritime, mais nous
n’avons pas la technologie pour y
parvenir, et nous avons besoin d’un
IL A FALLU ATTENDRE
L’HIVER 2022 POUR QUE LES
LÉGISLATEURS EUROPÉENS
OBLIGENT LES ARMATEURS
À PAYER LEURS ÉMISSIONS
carburant vert, qui est difficile à obte-
nir », a souligné M. Sirat, ajoutant
qu’il « fallait une politique industrielle
dans le domaine du carburant vert ».
Demander l’aide de l’Etat, notam-
mais un prolongement « papier » :
les Editions Panthéon-Assas ont
réuni dans un ouvrage, Les démo-
craties face au Covid, les billets pu-
bliés en 2020-2022 dans cet espace
La même dérive à l’étranger
Le paysage dessiné par ces experts
n’est guère rassurant. Le « traite-
ment politico-institutionnel de la
damentales. « Sans doute la pro-
tection juridictionnelle des droits
fondamentaux a-t-elle mieux ré-
sisté ici que là – en Allemagne qu’en
France, par exemple –, mais les dif-
ment financière, est toutefois une po- qui se veut, comme la revue élec- pandémie », écrivent Olivier férences ne se discernent qu’à la
sition délicate à tenir de la part d’un tronique du même nom, un « lieu Beaud et Cécile Guérin-Bargues marge », constatent Olivier Beaud
armateur qui paie peu d’impôts grâce LES DÉMOCRATIES de dialogue entre juristes, philoso- dans l’avant-propos du livre, a agi et Cécile Guérin-Bargues.
à un régime fiscal très avantageux. FACE AU CCOVID. LES phes, historiens et politistes ». Di- comme un « miroir grossissant » Destiné aux juristes, aux étu-
En 2021 et 2022, CMA CGM n’a payé BILLETS DU BLOG rigé par Denis Baranger, Olivier en accentuant, parfois jusqu’à la diants en droit, mais aussi à tous
que 370 millions et 587 millions JUS POLITICUM Beaud et Cécile Guérin-Bargues, le caricature, les déséquilibres de la les citoyens qui s’intéressent au
d’euros d’impôts alors qu’elle a enre- sous la direction livre explore la manière dont le Ve République. La lutte contre la fonctionnement des pouvoirs pu-
gistré des chiffres d’affaires de 56 mil- de Denis Baranger, Covid-19 a transformé le droit po- pandémie s’est en effet accompa- blics, l’ouvrage fait une œuvre pro-
liards de dollars (environ 51 milliards Olivier Beaud sitif des démocraties. gnée d’un renforcement de la pri- fondément utile en analysant des
d’euros) et 74,5 milliards de dollars. et Cécile Guérin- De l’analyse de la loi sur l’état mauté du chef de l’Etat, d’une relé- dérives qui, en raison de leur com-
Malgré des profits record, elle n’a an- Bargues, d’urgence sanitaire à l’« hyperacti- gation au second plan du Parle- plexité juridique, sont souvent ab-
noncé récemment que 300 millions Panthéon-Assas, vité » du Conseil de défense, de ment et d’un affaiblissement des sentes des controverses publi-
d’euros d’investissements par an, 288 pages, 24 € l’étude des recours devant la Cour contrôles juridictionnels. « Le ques. Les articles sont parfois un
pendant cinq ans, pour « accélérer la de justice de la République aux in- droit constitutionnel a été mis au peu techniques, mais l’écriture et
décarbonation de ses activités ». terrogations sur les pouvoirs d’en- service de la puissance de l’Etat », la pédagogie sont toujours au ren-
quête de la Mission d’information analysent les deux juristes. dez-vous : on sort de cette lecture
Taxe en discussion sur le Covid, de la « surprenante » La France n’a rien d’une excep- informé, documenté – et inquiet
Qui paiera cette transition verte ? Le invocation de l’article 16 sur les tion : les billets du blog de Jus Poli- au sujet de l’état des libertés publi-
client. « La décarbonation va doubler pouvoirs exceptionnels du prési- ticum consacrés à la situation ita- ques en France. p
les coûts de transport maritime », pré- dent lors du report des élections lienne, allemande, portugaise, anne chemin
vient M. Sirat, qui se demande « com-
ment répercuter cette hausse auprès de
nos clients et comment ces derniers
vont réagir ». La compagnie pointe le
risque d’une concurrence déloyale si L’avion du futur | par serguei
les règles ne s’appliquent pas à tous les
modes de transport. « Les navires sont
soumis aux régulations vertes, et je ne
pense pas que ce soit le cas des ca-
mions, ce qui entraîne des différences
importantes de coût », observe M. Sirat,
qui estime que « la question d’une taxe
verte sur les camions est nécessaire » et
réclame des « régulations ».
Jan Hoffmann, chef du départe-
ment de la logistique commerciale à
la Cnuced, appelle aussi à des régula-
tions claires : « Un armateur veut
savoir quels seront le prix du carbone,
les carburants disponibles et les régle-
mentations avant de commander un
nouveau navire. Les incertitudes ralen-
tissent les investissements. » Une taxe
sur le transport maritime est en dis-
cussion à l’Organisation maritime
internationale (OMI), dont les recet-
tes seraient versées aux Etats ou aux
compagnies maritimes pour accélé-
rer la décarbonation.
Problème : le consensus est loin
d’être atteint. Certains pays pauvres
redoutent qu’une hausse du prix du
transport maritime leur fasse perdre
leur compétitivité, tandis que les îles
craignent une augmentation du coût
de la vie. Les compagnies maritimes
ne peuvent pas attendre des régula-
tions internationales pour investir
davantage dans la décarbonation. p
0123
MERCREDI 21 JUIN 2023
FRANCE | CHRONIQUE
par fr ançoise fr e s s o z
Les ressorts d’une
improbable remontada
L AUX GRANDS BRÛLÉS
es « cent jours » étaient un
leurre. Lorsque, au lende-
main de la promulgation
de la très impopulaire ré-
forme des retraites, le chef de
l’Etat les a annoncés aux Français,
comme un défi pour repartir de
l’avant, les regards se sont tour-
nés vers Elisabeth Borne. Le con-
trat semblait clair : trois mois
pour réussir à reprendre langue
avec le pays ou alors la porte. Pas
de quoi s’en offusquer, puisque se
trouvait ainsi réhabilité le rôle
classique du premier ministre, fu-
sible par temps de crise.
Or, la réalité n’est pas exacte-
ment celle-ci. Certes, la cheffe du
gouvernement a exposé sa feuille
de route devant les députés, puis
elle a bétonné ses soutiens et ma-
nifesté l’envie de rester à son
poste dans un pays qui, progressi-
vement, se décrispe. Cependant,
l’incertitude dans laquelle elle se
trouve à l’approche de l’échéance
montre que la Rue de Varenne
n’était pas le centre névralgique
de la reconquête. Les cent jours
ne concernaient pas directement
Elisabeth Borne. Ils s’appli-
quaient au chef de l’Etat lui-
même, obligé de mouiller sa che-
mise pour conserver les mains li-
bres le plus longtemps possible.
Depuis la mi-avril, Emmanuel
Macron tente la remontada de la
dernière chance. Victime des
conduites à risque, il est tombé
dans les abysses de l’impopu-
larité moins d’un an après sa réé-
lection, cerné par ses opposants
qui exploitent autant qu’ils peu-
vent l’absence de majorité abso-
lue à l’Assemblée nationale. Ce
n’est certes pas la première fois
que sa relation avec les Français
est aussi dégradée, mais le
contexte politique est encore
plus inquiétant que lors du mou-
vement des « gilets jaunes » : le
fonctionnement institutionnel a
été contesté avec la polémique
déclenchée par l’utilisation de
l’article 49.3 pour faire passer la
réforme des retraites ; l’extrême
droite est en embuscade.
Rassurer sa base
Aux grands brûlés de la politique,
il est d’ordinaire conseillé de ne
pas s’exposer directement et de
mettre la pédale douce sur les ré-
formes. Emmanuel Macron a fait
tout le contraire. Depuis la mi-
avril, on le voit partout : dans les
usines, les lycées professionnels,
au sommet Choose France, à
VivaTech, au Bourget, dans les
journaux, VRP en chef de sa pro-
pre politique, prêt à mettre un
coup d’accélérateur sur toutes les
réformes qui préparent l’avenir.
Cette surexposition a constitué
une indéniable prise de risque, en
particulier au début, lorsque les
casserolades organisées par la
gauche maintenaient la colère in-
tacte sur le terrain. Au fil des jours,
elle a fini par se révéler payante.
Une détente s’est produite. En
mai, la chute dans les sondages a
été enrayée ; en juin, une remon-
tée a été amorcée, qu’il ne faut pas
surinterpréter, mais pas minimi-
ser non plus. « Les Français en
veulent toujours à Emmanuel
Macron, mais une partie lui sait
gré de redonner le cap », résume
Jérôme Fourquet, directeur du
département opinion de l’IFOP.
Environ 30 % d’entre eux soutien-
nent aujourd’hui son action.
LES DÉPLACEMENTS
DU PRÉSIDENT
ONT MIS EN AVANT
SES THÈMES
CLASSIQUES : TRAVAIL,
PRODUCTION, PROGRÈS
0123 | 29
L’EUROPE FACE
AUX ALLIANCES
DES DROITES tion en bonne et due forme étayée par un climatique, dont le coût social est jugé exor-
contrat de gouvernement au soutien sans
participation. De l’Europe du Nord, où el-
les sont désormais totalement banalisées,
bitant pour sa clientèle électorale.
Depuis sa fondation, l’Union européenne
a reposé sur deux piliers politiques : les
à certains pays du Sud, en Italie comme
potentiellement en Espagne après les légis-
latives de juillet, une droitisation sans
chrétiens-démocrates, regroupés au sein
du Parti populaire européen, et la social-
démocratie, élargie aux partis écologistes
précédent de l’Union est en marche. également pro-européens. Les alternances
Si elle devait se vérifier dans les urnes à entre ces deux grandes forces politiques,
l’occasion des élections européennes qui en recul lors des dernières élections de
se tiendront dans moins d’un an, cette 2018, ont toujours eu pour constante le res-
DE LA POLITIQUE, évolution porterait en germe le risque pect du principe européen de la solidarité,
d’un affaiblissement interne de l’Union, comme celui des règles du jeu institution-
IL EST CONSEILLÉ DE attisé par des partis qui l’ont toujours ago- nelles en vigueur au sein de cette commu-
NE PAS S’EXPOSER. nie et jugée attentatoire à un nationalisme nauté de culture et de destin.
MACRON FAIT TOUT
LE CONTRAIRE
A u défi de deux crises majeures, la
pandémie puis la guerre en
Ukraine, l’Union européenne a ap-
porté la preuve de sa capacité de résilience
et d’adaptation. Condamnée, selon les
étriqué. Les crises passées comme celles à
venir ont pourtant déjà montré et conti-
nueront de démontrer que ce dernier est
incapable de protéger les peuples euro-
péens de défis désormais planétaires.
Il en irait autrement dans le cas d’un bloc
rassemblant le camp conservateur et des
courants fondamentalement euroscepti-
ques, illibéraux, par ailleurs incapables de
s’entendre entre eux. Ces derniers s’en
sempiternels prophètes d’un inéluctable Les thèmes sur lesquels prospère cette hy- sont pris par le passé avec férocité à la rai-
Le principal enjeu des cent jours délitement, à être minée par des intérêts bridation entre la droite et l’extrême droite son d’être de l’Union, et ont vanté les méri-
a été d’effacer Les Sans Jours, cette nationaux contradictoires réduisant à sont bien identifiés. Il s’agit tout d’abord tes d’une rupture dont le Brexit a été
période du début du second néant l’idée même une souveraineté euro- de la politique migratoire. A la dénoncia- l’exemple mortifère.
mandat, bien décrite par notre péenne, elle a pourtant résisté à de puis- tion d’une Europe présentée abusivement La tentation du reniement par une partie
confrère Ludovic Vigogne (Bou- sants chocs externes. comme sans frontières s’ajoutent de la droite européenne de ses convictions
quins, 198 pages, 19,90 euros). Le Cette solidité inattendue, pour le plus aujourd’hui les attaques contre les droits européennes par pur opportunisme électo-
chef de l’Etat réélu est alors ap- grand bénéfice de ses citoyens, rend des minorités au nom d’un anti-wokisme ral, comme on le voit en France, ne pose pas
paru désorienté. Après une cam- d’autant plus paradoxale la perspective que de circonstance. Plus inquiétant encore, seulement une question morale. Le fait
pagne présidentielle dominée par dessine la multiplication des alliances ras- cette forme de populisme de droite, qui op- qu’elle s’associe avec des partis qui n’ont eu
des coups tactiques destinés à semblant dans de nombreux Etats mem- pose respect de l’Etat de droit et volonté po- de cesse de l’affaiblir livrerait l’Europe au jeu
affaiblir la droite et à contrer la bres la droite et l’extrême droite. Les modè- pulaire, est tentée de remettre en cause la lé- des grandes puissances. Les citoyens euro-
progression de Jean-Luc Mélen- les varient d’un pays à l’autre, de la coali- gitimité de la lutte contre le réchauffement péens en seraient les premières victimes. p
chon, Emmanuel Macron a peiné
à imprimer une direction claire à
son second mandat.
Sous la pression de sa majorité,
il a changé à la dernière minute
le nom de sa première ministre
et s’est peu investi dans la cam-
pagne des législatives, qui allait
pourtant structurer la tripar-
tition de la vie politique. La
priorité de ces dernières semai-
nes a donc été de rassurer sa base
électorale et de consolider le bloc
majoritaire à un moment où la
gauche et la droite en contestent
la pérennité. Les déplacements
présidentiels ont mis en avant
les thèmes classiques du ma-
cronisme : le travail, la produc-
tion, le progrès.
Après la très décriée réforme
des retraites, l’objectif proclamé 100 GRILLES
du plein-emploi avait cependant
peu de chances de faire mouche
dans l’opinion s’il ne s’accom-
pagnait pas de gestes plus inclu-
sifs. La réindustrialisation et la PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 1
souveraineté, incarnées par la
visite d’usines, ont donc été mi-
ses en avant pour acclimater un
discours fédérateur et optimiste
susceptible d’atténuer les divi-
sions et le pessimisme ambiant.
La plupart des annonces, tra-
vaillées de longue date, ont été
plutôt bien reçues, à l’exception
notable de celles concernant le
logement, insuffisamment mû-
ries. Elisabeth Borne a été chargée
d’en assumer la publicité.
Il n’est pas impossible que, du-
rant cette période, les erreurs de
l’opposition aient aussi contribué
à redonner un peu d’air au chef de
l’Etat : la gauche a perdu de son
crédit en cherchant à jouer les
prolongations sur le conflit des
retraites, alors que la partie était
manifestement perdue… Non
seulement la proposition de loi
déposée par le groupe LIOT pour
abroger la mesure d’âge de la ré-
forme des retraites n’a pas été dis-
cutée en séance publique, mais la
vaine esbroufe déployée autour
d’elle a permis à Emmanuel Ma-
cron de jouer la carte de l’ordre.
Cette thématique était absente
du début de son premier quin-
quennat. Elle figure désormais
aux côtés des deux autres priori-
tés revendiquées : le progrès et les
services publics. La droite a,
quant à elle, présumé de ses for-
ces, en croyant pouvoir imposer
une forme de cohabitation à ses
conditions au chef de l’Etat, alors
qu’elle reste profondément divi-
sée et de plus en plus à la remor-
que du Rassemblement national
sur le thème de l’immigration.
Un peu moins d’un mois avant
l’échéance du 14-Juillet, les spécu-
lations autour du prochain rema-
niement ministériel décrivent as-
sez fidèlement la position du chef
de l’Etat. Emmanuel Macron est
loin d’avoir reconstitué son jeu,
mais il a récupéré suffisamment
de cartes pour n’apparaître à la re-
morque de personne. p
Cette édition de bougie n’est pas commercialisée

La restauration hors norme
du mammouth du Muséum
L’un des plus grands fossiles quasi complets de mammouth méridional
au monde revient prendre sa place au Jardin des plantes, à Paris,
après une cure de jouvence. Récit d’une épopée qui aura duré treize mois
vahé ter minassian
L
e 28 juin, le public pourra de nouveau admi-
rer le principal hôte de la galerie de paléonto-
logie du Muséum national d’histoire natu-
relle, à Paris. Le squelette fossilisé du mam-
mouth de Durfort reprend, après treize mois
d’absence pour une restauration et un lifting complets,
la place où il trônait depuis 1898. Il reste l’un des plus
grands fossiles quasi complets de mammouth méridio-
nal au monde. Le Monde a suivi pas à pas ce chantier
hors du commun, riche en rebondissements.
Mardi 31 mai 2022, galerie de
paléontologie du Muséum, Paris 5e
Il est 14 h 30, et le mammouth de Durfort n’a déjà plus
de pattes. Tibias et fibulas, humérus et fémurs ont
disparu, privant le squelette de la majesté de son port
altier. Il semble, à présent, jeter un regard dépité sur
les techniciens qui, montés sur des échafaudages,
s’affairent à le démembrer. Car, bientôt, tel le fameux
chat du Cheshire dans Alice au pays des merveilles, il
s’éclipsera, par petits bouts. D’abord, les côtes et les
vertèbres. Puis, les omoplates et le bassin. Avant de
terminer par la tête, dont on ôtera les puissantes
mandibules et les élégantes défenses pour ne laisser
que le crâne. Ne restera alors sur l’emplacement où
Cahier du « Monde » No 24404 daté Mercredi 21 juin 2023 - Ne peut être vendu séparément
trônait depuis cent vingt-quatre ans l’un des plus
gros mammifères terrestres de la Création qu’un po-
dium vide entouré d’une palissade…
Le 31 mai 2022 était lancé, dans les locaux du Mu-
séum national d’histoire naturelle (MNHN), l’un de ces
chantiers de restauration qui font date dans l’histoire
des sciences. Celui, hautement délicat, d’une pièce
emblématique de la vaste collection d’échantillons et
d’artefacts du Jardin des plantes, à Paris : le très fameux
et encore assez mystérieux mammouth de Durfort. Ce
squelette monumental de Mammuthus meridionalis,
ou mammouth méridional, d’une longueur de
6,80 mètres pour une hauteur de 3,80 mètres au garrot,
occupait le second étage de la galerie de paléontologie
et d’anatomie comparée depuis 1898, année même de
la construction par l’architecte Ferdinand Dutert de ce
magnifique bâtiment Art nouveau sur la rue Buffon. Il
n’avait jamais été touché ni même simplement nettoyé
jusqu’ici, exception faite d’une intervention, dans les
années 1970, pour retirer ses pieds, menacés de vol.
Nécessité ne fait pas toujours loi. Et il arrive parfois
que, se jouant des murs épais des musées, la brise du
hasard vienne rafraîchir les fossiles les plus poussié-
reux. C’est d’un de ces coups de chance qu’a profité
l’archaïque animal. En 2019, la direction chargée du
« mécénat » de l’institution propose de lancer un ap-
pel aux dons pour financer la restauration d’une
pièce de la galerie. Rapidement, le choix se porte sur le
mammouth de Durfort.
Le mammouth de Durfort,
en cours de remontage,
après restauration dans
les locaux d’Aïnu, entreprise
spécialisée, à Aubervilliers
(Seine-Saint-Denis), en juin.
JULIEN FAURE
Première étude
sur la santé
mentale
des écoliers
Selon Santé publique
France, 13 % des enfants
scolarisés de 6 ans
à 11 ans présenteraient
un trouble « probable »
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Ce spécimen, un proboscidien répandu en Europe à
l’époque du pléistocène (de 2,6 millions d’années à
11 700 ans avant le présent), semble remplir toutes les
conditions pour participer à cette opération de
communication. « Son squelette, découvert solidarisé,
est complet à 90 % ou 95 %, ce qui est rare pour cette
espèce et le rend précieux. Et il a l’avantage d’avoir été
trouvé en France, à Durfort-et-Saint-Martin-de-Sosse-
nac, dans le Gard, explique Cécile Fromont-Colin, la
directrice de la galerie. De plus, il continue à faire
l’objet d’interrogations d’ordre scientifique du fait
d’un manque de connaissances, quant à la manière
exacte dont il fut exhumé en 1869, puis conservé,
restauré et remonté au Muséum. » Surtout, sa date
Rencontre avec
précoce d’arrivée et son positionnement sur l’axe
central de la galerie ont fait de l’éléphantidé l’un des le découvreur
chefs du « troupeau ».
Cet alignement quasi artistique de spécimens classés
par ordre chronologique avait été imaginé par le pre-
de Lucy
mier conservateur de la collection de paléontologie du
Muséum, le professeur Albert Gaudry, afin de démon-
Le paléoanthropologue
trer, par les fossiles, la validité des thèses alors encore américain Donald
contestées de Charles Darwin sur l’évolution… De sa Johanson revient, pour
hauteur de 4,30 mètres, le mammouth de Durfort do-
mine toute la zoologie de la galerie, de ses ères géologi- « Le Monde », sur ce jour
ques depuis le lointain paléozoïque (de – 542 à – 251 mil- de 1974 où, en Ethiopie,
lions d’années) à l’actuel cénozoïque (commencé il y a
65 millions d’années), en passant par le mésozoïque.
il est tombé sur un os...
→ L I R E L A S U I T E PAG E S 4- 5 PAGE 8
 ACTUALITÉ
2| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 21 JUIN 2023

Un trouble mental probable présent chez 13 % des écoliers

ÉPIDÉMIOLOGIE - Santé publique France livre les premiers résultats d’une étude menée auprès de plus de 8 000 enfants scolarisés de 6 à 11 ans

C’
est une première : 13 % des en-
fants scolarisés de 6 ans à 11 ans
présenteraient un trouble « pro-
bable » de santé mentale, selon
les premiers résultats de l’étude
Enabee dévoilée mardi 20 juin par Santé publique
France (SPF), lors des rencontres de l’agence sani-
taire. Cela représente environ trois enfants dans
une classe de 30 élèves. C’est la première fois
qu’une étude épidémiologique d’ampleur natio-
nale est réalisée sur la santé mentale auprès de
cette population, pour laquelle il n’y avait jus-
qu’ici aucun indicateur. « Avoir enfin une étude
d’une grande ampleur sur la santé mentale de
l’enfant est une bonne nouvelle », souligne Diane
Purper-Ouakil, responsable du service de pédo-
psychiatrie du CHU de Montpellier, qui n’a pas
participé à ce travail. Le manque de données avait
d’ailleurs été signalé pendant la crise sanitaire,
alors que des besoins criants avaient été mis en
lumière à cette occasion.
« C’est un très grand pas en avant, une première
brique à un dispositif d’observation épidémiologi-
que pérenne », explique Stéphanie Monnier-Bes-
nard, épidémiologiste, cheffe de projet d’Enabee,
pour qui « l’enjeu est d’en parler, d’informer, afin
d’accélérer la prise de conscience, la destigmatisa-
tion du trouble mental ». « Cette étude – représenta-
tive de la population française métropolitaine –
donne une vision des difficultés de l’enfant à l’école.
C’est une victoire d’avoir réalisé en un temps record
une telle étude permettant de croiser les regards
des enfants, des parents et des enseignants », es-
time le professeur Richard Delorme, responsable
du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Robert-
Debré (AP-HP), qui a coordonné la partie scientifi-
que de l’étude. « Cela témoigne aussi d’un engage-
ment fort pour une politique publique en faveur de
l’enfance et de son avenir. » YASMINE GATEAU
Derrière ce chiffre de 13 % se cachent des trou-
bles potentiels et de diverses natures : 5,6 % ont l’environnement de l’enfant : logement, fratrie, c’est l’affaire de tous », observe Richard Delorme. plus efficace et moins inégalitaire. » Dans un rap-
une forte probabilité d’avoir un trouble émotion- habitudes de vie (temps d’écran, activité sportive Un bémol toutefois, pointé du doigt par les port rendu public en mars, la Cour des comptes
nel (troubles anxieux ou dépressifs), 6,6 % un ou culturelle…), sa santé, celle de ses parents, le auteurs, ce sont des évaluations épidémiologi- avait souligné le manque de données épidémio-
trouble oppositionnel (irritabilité, humeur coléri- soutien social, le ressenti de l’épisode Covid, etc. ques et non des diagnostics médicaux. logiques et le nombre d’enfants et adolescents
que, comportement querelleur qui dépasse les Originalité, les enfants ont eux aussi répondu sur « Les analyses vont être poursuivies, et les don- sans soins. « Sur 1,6 million d’enfants et d’adoles-
querelles de fratries et persiste plusieurs mois), et tablette à un questionnaire (appelé « Dominique nées seront appariées à celles du Système natio- cents souffrant de troubles psychiques, 750 000 à
3,2 % un trouble déficit de l’attention avec ou sans interactif »), lors de sessions en classe, sur les trou- nal des données de santé (SNDS), notamment sur 850 000 bénéficient de soins prodigués en pédo-
hyperactivité (TDAH). Fait notable : les troubles bles émotionnels, et un autre (Kid-Kindl), sur le le recours au soin – les hospitalisations, les traite- psychiatrie par les professionnels spécialisés », aler-
anxieux et dépressifs sont plus élevés chez les bien-être, la qualité de vie en lien avec la santé… ments médicamenteux, etc. – et des données in- taient des spécialistes en avril dans nos colonnes.
filles tandis que les troubles du comportement Puis l’ensemble des informations a été combiné directes comme le nombre de consultations chez Le nombre de passages aux urgences fin mai pour
sont plus fréquents chez les garçons. grâce à un algorithme. le généraliste, par exemple », précise Nolwenn geste suicidaire reste à des niveaux élevés chez les
« Cela va dans le même sens que des données de Regnault, épidémiologiste, responsable de l’unité 11-14 ans, selon l’enquête mensuelle de SPF.
la littérature scientifique », précisent les auteurs. Interrogation de l’enfant périnatalité, petite enfance et santé mentale de Parallèlement, 12 % des 3-17 ans ont eu recours à
Une étude européenne, publiée en 2016, utilisant Pour les troubles anxieux et dépressifs, « il est SPF. L’enjeu est d’identifier les facteurs de risque – un professionnel de santé pour un motif psycho-
une méthode similaire, montrait que 12,8 % des reconnu que l’enfant est un meilleur informant », ou protecteurs. Le dispositif de l’étude pourrait logique entre mars 2020 et juillet 2021, selon une
enfants de 6 ans à 11 ans présentaient un trouble indiquent les auteurs de ce travail. Le taux également mesurer l’impact d’une crise (climati- étude réalisée en juillet 2021 à partir du troisième
probable de santé mentale. d’incidence se révèle plus élevé (5,6 %) quand le que, sanitaire, industrielle, attentat…) sur la santé volet de l’enquête Epidémiologie et conditions
L’enquête Enabee, qui s’est déroulée du 2 mai au point de vue des enfants est interrogé. Il est de mentale. « Des politiques publiques, notamment de vie liées au Covid-19 (EpiCov), publiée mardi
31 juillet 2022, a porté sur 8 172 enfants de 400 éco- 3,8 % quand les données proviennent des de prévention, pourraient être adaptées en fonc- 20 juin par la Direction de la recherche, des étu-
les publiques et privées tirées au sort. Les cher- parents et enseignants. Il est donc essentiel tion de ces paramètres », poursuit Nolwenn des, de l’évaluation et des statistiques (Drees).
cheurs se sont appuyés sur le questionnaire SDQ d’interroger l’enfant. Regnault. L’étude est destinée à être répétée, « Les besoins sont immenses. Or on est très loin
(Strengths and Difficulties Questionnaire), qui Elément important : « Ces premiers résultats ne probablement tous les cinq ans, pour mesurer des ressources allouées aux maladies cardio-vas-
mesure en vingt-cinq questions les compétences mettent pas en évidence de différence significative l’évolution de la santé psychique des écoliers. culaires ou au cancer », explique Diane Purper-
et les difficultés de l’enfant, d’éventuels symptô- de prévalence des troubles selon le niveau scolaire, « Ces résultats soulignent également l’impor- Ouakil, qui insiste aussi sur la nécessité des ac-
mes associés à des troubles, leur retentissement ni selon le statut, ou le secteur de l’école (réseaux tance des moyens à déployer pour mieux accompa- tions de prévention, primaire et secondaire, qui
sur la vie des enfants… Il est rempli par les ensei- d’éducation prioritaire ou pas) », indiquent ces ré- gner la santé mentale de tous ces enfants, affirme peuvent changer les trajectoires. Le repérage et la
gnants et les parents. Ces derniers doivent aussi sultats. « Cela souligne plus encore que les problè- Richard Delorme. Le système actuel, déjà saturé, prise en charge précoce sont cruciaux. p
répondre à des questions sur le recours aux soins, mes de santé mentale touchent tous les univers, doit transformer son organisation pour le rendre pascale santi

Les « drogues des concours » n’augmentent pas les performances

COGNITION - Une étude montre que la prise de médicaments détournés de leur usage n’améliore pas la réussite à un test

O n les nomme « dopants

cognitifs » ou « psycho-
stimulants ». A l’appro-
che des examens et des concours,
bien des étudiants se laissent ten-
ter par ces substances, espérant
ainsi renforcer leur mémoire, ac-
croître leur concentration et
booster leurs performances intel-
lectuelles. Il s’agit souvent de pro-
duits en vente libre (boissons
énergisantes, comprimés de ca-
féine…). Mais il peut aussi s’agir de
médicaments délivrés sur ordon-
nance, détournés ici de leur usage
médical, comme le méthylphéni-
date (Ritaline), prescrit contre les
troubles déficitaires de l’atten-
tion (TDA), ou encore le modafi-
nil, indiqué contre l’hypersomnie
et la narcolepsie.
Recourir à ces médicaments psy-
chostimulants n’est pourtant pas
une bonne idée, révèle une étude
parue le 14 juin dans la revue
Science Advances. Leur surnom
anglo-saxon de smart drugs
(« drogues intelligentes »), en effet,
y apparaît largement usurpé.
Sous la direction de Peter
Bossaerts, de l’université de Cam-
bridge (Royaume-Uni), les auteurs
ont recruté 40 participants volon-
taires (23 femmes, 17 hommes)
âgés de 18 à 35 ans. Ces personnes
ont été tirées au sort pour recevoir
soit un placebo, soit du méthyl-
phénidate, soit du modafinil ou
de la dextroamphétamine (un
médicament non autorisé en
France, utilisé dans certains pays
pour traiter l’hyperactivité ou
l’hypersomnie), à des doses habi-
tuelles dans leur indication médi-
cale. Ni l’expérimentateur ni les
participants ne savaient à quel
groupe ces derniers apparte-
naient lors des tests, mais tous les
participants ont testé tour à tour
chacune des trois drogues.
Une heure et trente minutes
après l’ingestion d’une des trois
drogues ou du placebo, les volon-
taires ont été soumis à un test co-
gnitif, le « problème d’optimisa-
tion du sac à dos ». En clair, ils de-
vaient choisir un certain nombre
d’objets de poids et de valeurs va-
riables pouvant entrer dans un
sac à dos d’une capacité donnée,
tout en maximisant la valeur to-
tale du contenu du sac. Soit « une
tâche cognitive à la complexité
proche de celle de nombreuses si-
tuations de la vie quotidienne », es-
time Lionel Naccache, neurologue
à l’Institut du cerveau (hôpital de
la Pitié-Salpêtrière, Paris).
Résultats : lorsque les partici-
pants utilisaient une de ces molé-
cules, ils passaient plus de temps
sur cette tâche et testaient plus de
solutions, mais ces efforts accrus
n’augmentaient pas leurs chances
de trouver la solution. En clair, ils
déployaient plus d’efforts pour
moins de réussite ! Finalement,
ces drogues réduisaient la produc-
tivité, définie comme la valeur de
la réponse, rapportée au nombre
de tentatives.
Raisonnements plus aléatoires
« Nos résultats suggèrent que les
“drogues intelligentes” augmen-
tent la motivation, mais qu’elles ré-
duisent la qualité de l’effort, cru-
ciale pour résoudre des problèmes
complexes », résument les auteurs,
ce dernier effet annulant les béné-
fices du premier. « Les volontaires
ayant pris un de ces prétendus
dopants cognitifs semblent livrés
à des raisonnements et à des choix
plus impulsifs et aléatoires », ana-
lyse Lionel Naccache.
« Ces résultats devraient décou-
rager ceux qui sont tentés par leur
consommation », estime Jean-
Antoine Girault, neurobiologiste,
directeur de recherche Inserm. « Si
ces molécules ne rendent pas plus
intelligent, elles peuvent cependant
aider des personnes fatiguées ou en
manque de sommeil à retrouver
une certaine énergie et à travailler
plus longtemps, nuance Mathias
Pessiglione, neuroscientifique à
l’Institut du cerveau, à Paris.
Gare toutefois à l’effet rebond sur
la fatigue, après les examens. »
Dans des indications thérapeu-
tiques bien posées, la balance
bénéfice/risque du méthylphé-
nidate ou du modafinil est sou-
vent favorable. En revanche, « il
n’existe aucune indication pour
leur prescription au long cours
chez un sujet sain », relève Lionel
Naccache. Comme tout médi-
cament, ces molécules ont des
effets indésirables. Le méthyl-
phénidate, en particulier, « s’avè-
re extrêmement dangereux dans
les cas de malformations cardia-
ques ou de dépression », alertait
l’Inserm en 2017.
Par ailleurs, « ces molécules peu-
vent augmenter les troubles du
sommeil et l’irritabilité, indique
Jean-Antoine Girault. Et elles indui-
sent un petit risque d’addiction, lié
à leur mode d’action ». Toutes agis-
sent en augmentant la concentra-
tion de dopamine et de noradré-
naline, deux molécules essentiel-
les à la transmission du message
nerveux, dans les synapses, ces
zones de contact entre neurones.
« A l’heure des pressions sociales
et économiques visant à promou-
voir la neuro-amélioration, cette
étude contribue à remettre les pen-
dules à l’heure, estime Lionel Nac-
cache. Avant même de se confron-
ter aux questions éthiques et nor-
matives ouvertes par ces techni-
ques, il faut commencer par faire la
part entre fantasme et réalité. » p
florence rosier
 ACTUALITÉ
·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 21 JUIN 2023 |3

En Inde, le révisionnisme scientifique s’attaque à Darwin

SOCIÉTÉ - La purge de la théorie de l’évolution des manuels scolaires illustre la défiance du gouvernement de Narendra Modi envers les sciences
new delhi - correspondante lui aussi passé à la trappe. Le ma- Inde. Plus de 4 500 chercheurs et de la pauvreté, de l’insalubrité et de risibles faites par les dirigeants po- geons, c’est que Dieu a construit le
gazine indien Frontline a égale- enseignants ont signé un appel l’analphabétisme, de la supersti- litiques », on assiste à « un assaut système de telle sorte qu’il puisse

C harles Darwin ne figure

plus dans le programme
obligatoire des élèves de
seconde. Sa théorie de l’évolution
expliquant les origines des êtres
humains et affirmant que toutes
les espèces, y compris l’homme,
ont évolué au fil du temps grâce à
un processus de sélection natu-
relle, que les hommes et les singes
partageaient un ancêtre commun
qui vivait il y a plus de 7 millions
d’années, ne mérite pas d’être étu-
diée par la majorité des jeunes
Indiens. Seuls les élèves qui se spé-
cialiseront en biologie dans les
classes supérieures y auront accès.
Ainsi en a décidé le Conseil na-
tional de la recherche et de la for-
mation pédagogique, chargé de
réviser les manuels scolaires, pour
officiellement alléger la charge de
travail des élèves après les deux
ans de fermeture de classe durant
l’épidémie de Covid-19. Cette
purge s’ajoute à des dizaines
d’autres concernant l’histoire,
l’environnement, la société. La pé-
riode des empereurs musulmans
ment relevé la suppression des
enseignements communs des
contributions de Michael Fara-
day sur la compréhension de
l’électromagnétisme et même du
théorème de Pythagore.
Un singe devenu humain
Voilà quelques années que Darwin
était dans le viseur du gouverne-
ment de Narendra Modi. En 2018,
Satyapal Singh, alors ministre de
l’enseignement supérieur, avait
déclaré devant le Parlement que
la théorie de l’évolution de
Darwin était « scientifiquement
erronée ». « Depuis que l’homme
est apparu sur Terre, il a toujours
été un homme ! Personne, y com-
pris nos ancêtres, que ce soit par
écrit ou oralement, n’a jamais dit
avoir vu un singe se transformer
en être humain ! », avait raillé le
ministre, avant d’indiquer que les
programmes scolaires et univer-
sitaires devraient être modifiés
en conséquence.
Sous le feu des critiques, le mi-
nistre avait persévéré, déclarant
organisé par la plate-forme
Breakthrough Science Society,
pour demander de rétablir l’ap-
prentissage de la théorie de l’évo-
lution. Ils soulignent que « les étu-
tion, des coutumes et des tradi-
tions, du gaspillage de vastes res-
sources, d’un pays riche habité par
des gens affamés », avait-il plaidé
devant le Congrès scientifique in-
bien plus sérieux contre la ratio-
nalité scientifique ».
Narendra Modi a donné le ton,
en premier, dès le lendemain de
son élection en 2014. Devant une
s’équilibrer de lui-même. »
Dans son sillage, les théories les
plus fumeuses ont été véhiculées
par les nationalistes hindous,
ministres et députés, mélangeant
diants seront gravement handica- dien, le 26 décembre 1937. En 1976, assemblée d’experts médicaux allègrement mythologie indienne
pés dans leur processus de pensée la Constitution indienne a même réunis à Bombay, il avait affirmé et science. L’Inde ancienne aurait
s’ils en sont privés ». été modifiée par ses successeurs que le seigneur Ganesh (dieu à tête inventé, outre la chirurgie esthéti-
La défiance du gouvernement pour inclure « la diffusion de l’es- d’éléphant monté sur un corps hu- que, la télévision et Internet,
actuel à l’égard de la science mar- prit scientifique, de l’humanisme et main) était la preuve que le pays l’avion, le théorème de Pythagore
que une rupture majeure avec la vi- de l’esprit de recherche et de ré- maîtrisait la chirurgie plastique il et même les lois du mouvement
sion portée par Jawaharlal Nehru, forme » parmi les devoirs fonda- y a des millénaires et que la nais- bien avant Newton.
le premier premier ministre de mentaux de chaque citoyen. sance de Karna, un personnage de Pour Gauhar Raza et Surjit
l’Inde. Formé à Cambridge, ami l’épopée du Mahabharata, mon- Singh, « ces déclarations faites en
d’Einstein, celui qui a gouverné Loin d’être inoffensif trait qu’il pratiquait la génétique public par les dirigeants politi-
l’Inde pendant dix-sept ans, de Gauhar Raza et Surjit Singh, deux de la reproduction avant tout le ques ne sont pas des dérapages.
1947 à 1964, avait une foi inébran- scientifiques indépendants qui monde. Puis, devant des étudiants Chacune d’entre elles est mûre-
lable dans la science qui, défen- ont consacré en 2018 une étude qui s’inquiétaient du changement ment réfléchie et fait appel à la
dait-il, permet de s’élever au-des- sur la place de la science sous climatique, il avait répondu : « Le conscience antirationaliste et
sus des jugements religieux Modi, estiment que, derrière « des climat n’a pas changé. Nous avons antiscientifique des nationalistes
étroits. « Seule la science peut ré- déclarations apparemment inof- changé notre tolérance, et nos ha- religieux de droite ». p
soudre les problèmes de la faim et fensives, irrationnelles et parfois bitudes ont changé. Si nous chan- sophie landrin

moghols, l’assassinat du Ma-
hatma Gandhi, le réchauffement
climatique, les sources d’énergie
comme les combustibles fossiles
et les énergies renouvelables, la
gestion durable des ressources na-
turelles… les manuels scolaires
KENZA
que son ministère était prêt à
accueillir une conférence interna-
tionale au cours de laquelle « les
scientifiques pourraient dire quelle
est leur position sur la question ».
« J’ai une liste d’environ 10 à
15 grands scientifiques dans le

ont été expurgés de tout ce qui ne
convient pas aux nationalistes
hindous qui dirigent le pays.
Selon la revue Nature, le tableau
périodique des éléments chimi-
ques du Russe Dmitri Mende-
leïev (1834-1907), qui recense la
A PLEIN
monde qui ont déclaré qu’il n’y a
pas de preuve que la théorie de
l’évolution est correcte », avait-il
assuré, ajoutant qu’Albert Eins-
tein avait reconnu que la théorie
n’était pas « scientifique ».
La communauté scientifique

DE CHOSES
totalité des 118 atomes connus et du pays est affligée par le révi-
aide le chimiste à se repérer, est sionnisme général qui sévit en

TÉLESCOPE
b

À FAIRE
Mutuelle soumise aux dispositions du livre II du Code de la mutualité, n° SIREN 538 518 473, n° LEI 969500JLU5ZH89G4TD57. Crédit Photo : Nicolas Prado —

PALÉON TOLOGI E
Des reptiles marins disparus,
décapités à cause de leur long cou
Les paléontologues soupçonnent depuis long-
temps que le très long cou de certains reptiles
marins aujourd’hui disparus les rendait vulnéra-
bles aux attaques de leurs prédateurs. L’hypo-
thèse est confirmée par une étude s’intéressant
aux restes fossiles de deux représentants du
genre Tanystropheus. Ces animaux, dotés d’un
cou surdimensionné, qui vivaient il y a environ
240 millions d’années, ont été décapités lors
d’une attaque violente, ainsi que le suggèrent
des traces de dents laissées sur les vertèbres.
Selon les auteurs, cette découverte constitue un
témoignage rare d’interactions entre prédateurs
et proies du début du mésozoïque. (PHOTO : ROC OLIVE/
INSTITUT CATALA DE PALEONTOLOGIA MIQUEL CRUSAFONT/FECYT)
> Spiekman et al., « Current Biology », 19 juin.

MALGRÉ SON TRAVAIL ET SA MÈRE MALADE,

EN TOMOLOGI E
Des mouches vieillissent plus vite
ELLE A PU RÉDUIRE SA CHARGE MENTALE.
à la vue d’autres mouches mortes Avec son service d’accompagnement social, Harmonie Mutuelle s’engage
Une équipe de l’université de Chicago a voulu auprès des entreprises et des salariés pour les aider à traverser des
comprendre comment la mouche des fruits,
situations personnelles diiciles. C’est en agissant sur les déterminants
Drosophila melanogaster, était affectée par la vue
de ses congénères mortes. Placer des cadavres de santé que nous avons un impact positif sur la société.
de mouches à leurs côtés accélère le processus
de vieillissement de ces insectes et réduit leur
Découvrez tous nos engagements sur harmonie-mutuelle.fr
durée de vie de 30 %. Les chercheurs ont identi-
fié deux types de neurone, R2 et R4, qui sont
activés lorsque les mouches sont entourées de
drosophiles mortes. Stimuler ces neurones chez
des mouches en dehors de ce contexte morbide
a eu le même effet sur leur vieillissement.
> Gendron et al., « PLoS Biology », 13 juin
 ÉVÉNEMENT
4| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 21 JUIN 2023
Le mammouth
de Durfort ressuscite
une deuxième fois
▶ SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE
Avec 160 000 euros récoltés en trois mois
auprès de 1 900 donateurs, l’opération lancée
en 2020 est un succès. Après deux ans d’attente,
le chantier peut enfin démarrer. Et ce dernier
s’annonce périlleux ! Le squelette compte 180
ossements attachés aux segments du socle par
des colliers en acier. Or, certaines des pièces,
fragilisées par les variations d’hygrométrie et de
température de la salle, pourraient s’effriter ou
casser au moment de leurs dégagements. C’est
pourquoi, avant de les manipuler, les techni-
ciens de l’entreprise Aïnu, qui a remporté le
contrat, commencent par les renforcer en col-
lant des bandelettes de papier japonais sur les
fractures les plus apparentes. Chaque élément
décroché va rejoindre une palette recouverte de
polystyrène en vue de son acheminement jus-
qu’au hangar de taxidermie où se déroulera, de
l’autre côté de la rue Buffon, la restauration.
Ce qui ne sera pas toujours la partie la plus fa-
cile : trop gros pour entrer dans l’ascenseur, le bas-
sin de 150 kilos et le crâne de 400 kilos finiront par
être descendus, à bout de bras, par le grand esca-
lier ! Même la ferronnerie est précieusement con-
servée pour le futur remontage. En effet, le lieu est
patrimonial. Et les changements apportés à la
suite de l’intervention devront être minimaux.
C’est à peine si les paléontologues ont pu arra-
cher à l’architecte en chef des monuments histori-
ques l’autorisation de modifier la posture erronée
du mammouth de façon à le faire marcher à l’am-
ble comme tous les proboscidiens, les mammifè-
res dotés d’une trompe, ainsi que celle de raccour-
cir son cou et d’accentuer la pente de son dos par
le retrait des disques vertébraux en bois qui
avaient été inutilement ajoutés à l’ensemble.
En revanche, ils ne toucheront pas à la tête. De
toutes les parties du squelette, c’est elle qui intri-
gue le plus les spécialistes. « Elle ne ressemble pas à
sa représentation sur les gravures datant de l’épo-
que de la découverte, constate Régis Debruyne,
phylogénéticien au MNHN et coordinateur des re-
cherches sur le mammouth de Durfort. Cela laisse
entrevoir la possibilité qu’elle ait été dégradée puis
remodelée afin de lui donner son aspect “éléphan-
tesque” actuel. » Mais il est difficile de trancher. Le
mammouth de Durfort pourrait tout aussi bien
correspondre à un stade intermédiaire et inconnu
de la lignée des mammouths méridionaux.
« Même transfiguré, il pourrait livrer des infor-
mations. » C’est du moins ce qu’espérait avant le
Le mammouth
de Durfort, avant
démontage,
dans la galerie
de paléontologie
et d’anatomie
comparée
du Muséum
national
d’histoire
naturelle,
à Paris.
JC DOMENECH/MNHN
début de la restauration Régis Debruyne. Mais,
maintenant que les mandibules et les défenses
ont été retirées et qu’il peut enfin examiner le
crâne par le dessous, il n’en est plus tout à fait aussi
sûr. « Je suis assez inquiet, murmure-t-il, songeur. Il
n’est pas certain que le palatin soit fait d’os… »
Jeudi 16 juin 2022, Durfort-et-
Saint-Martin-de-Sossenac, Gard
A une heure et demie près, on assistait à la scène.
Hélas, lorsque, au troisième coup de godet, la pel-
leteuse a dégagé une côte gauche d’hippopotame
du terrain de Durfort-et-Saint-Martin-de-Sosse-
nac, le train n’était pas encore entré en gare de
Nîmes. Le temps de dénicher un taxi et d’effectuer
le trajet jusqu’à la cité du Gard, et l’ossement avait
été retiré de la fosse. « Je suis désolé, il était impossi-
ble d’attendre. Nous avons mis au jour ce fossile au
niveau de la nappe phréatique. Et il fallait le déga-
ger au plus vite, car il aurait pu être noyé par des
remontées d’eau, s’excuse Régis Debruyne, en
montrant le fond boueux de la tranchée dont le
préhistorien Jean-Jacques Bahain et la sédimento-
logue Cécile Chapon-Sao sont en train de relever
la coupe. De toute façon, il n’est pas certain que
nous ayons déjà atteint la couche d’argile gris foncé
caractéristique des milieux lacustres d’où provient
le mammouth de Durfort. »
Ce spécimen – probablement un mâle âgé d’une tut de pièce patrimoniale intouchable. Il a aussi
vingtaine d’années – fut trouvé par des passion- un réel intérêt scientifique. Avec celui qui a été dé-
nés d’archéologie, non pas dans ce pré, mais à une couvert en 1948 à Scoppito, dans les Abruzzes (Ita-
soixantaine de mètres de là, de l’autre côté de la lie), il compte parmi les deux spécimens les plus
départementale D982, sous ce qui est, de nos complets du monde de Mammuthus meridionalis.
jours, un petit bassin cimenté au milieu des bois. « Issu des premières lignées d’animaux à avoir colo-
Au terme d’une enquête conduite dans les nisé l’Eurasie à partir de l’Afrique, cet amateur de
rayonnages de la bibliothèque du Muséum, les feuillages adapté au milieu forestier a prospéré en
fonds d’archives du département de l’Ardèche et Europe, il y a entre 2,5 millions d’années et
les dossiers, riches en cartes, relevés, photogra- 700 000 ans, explique Régis Debruyne. Par la
phies, croquis et gravures, conservés par les fa- suite, il a évolué d’abord, avec l’aridification du cli-
milles des deux inventeurs, la directrice de la gale- mat et l’ouverture des plaines, en un mangeur
rie, Cécile Fromont-Colin, et la spécialiste de l’his- d’herbe, le mammouth des steppes (M. trogonthe-
toire locale Elisabeth Vauclard sont en mesure de rii), puis, il y a 200 000 ans, sous l’effet de la baisse
retracer les circonstances de cette découverte. « En des températures, en une espèce plus petite, cou-
novembre 1869, Cazalis de Fondouce et Jules Ollier verte de poils, le mammouth laineux (M. primige-
de Marichard voyagent en calèche dans la région nius), le plus connu de tous, car le plus souvent re-
quand le premier avise sur le tas de déblais d’un présenté sur les peintures rupestres. »
cantonnier ce qui ressemble à des dents », raconte Où placer le mammouth de Durfort dans cette
Cécile Fromont-Colin. Aussitôt, les deux savants chronologie ? Impossible de répondre à cette
entreprennent des fouilles. « Ils dégagent, au bout question qui intrigue les paléontologues depuis
de quelques semaines, la tête et les deux vertèbres plus de cent ans. D’après Régis Debryune, « il
cervicales du mammouth, qu’ils envoient à la fa- n’était pas d’usage au XIXe siècle d’accompagner
culté de médecine de Montpellier. » une fouille d’un relevé stratigraphique précis du
L’arrivée de l’hiver stoppe les travaux. Ils ne site. Or, faute de savoir de quelle couche sédimen-
reprendront que quatre années plus tard, une taire vient cet individu, il nous est difficile de propo-
fois la guerre franco-prussienne de 1870-1871 ter- ser un âge ». Certes, rappelle Jean-Jacques Bahain,
minée et au terme de difficiles négociations des méthodes paléodosimétriques existent pour
entre le propriétaire du terrain, l’université de dater, avec une précision de l’ordre de 10 % à 15 %,
Montpellier et le Muséum, intéressé par l’acqui- des restes vieux de vingt mille ans à deux mil-
sition du squelette. Restauré et monté entre 1873 lions d’années. Combinant spectrométrie de réso-
et 1876 au sein du laboratoire d’anatomie com- nance de spin électronique et mesure du rapport
parée du Jardin des plantes, il sera plus tard récu-
péré par le paléontologue Albert Gaudry. Deux
déménagements précéderont son installation
définitive dans la galerie. « FAUTE DE SAVOIR
Entre-temps, Cazalis de Fondouce et Jules Ollier
de Marichard ont continué à exploiter le gise- DE QUELLE COUCHE
ment. Ils exhument d’autres fossiles d’animaux SÉDIMENTAIRE
et de végétaux. Mais de ces restes de mam-
mouths, de bisons, d’hippopotames, de cerfs, de VIENT CET INDIVIDU,
bœufs, de poissons, de batraciens, de rhinocéros, IL NOUS EST DIFFICILE
de rongeurs, de canidés, de feuilles ou de fruits, il
ne subsiste aucune trace dans les réserves… DE PROPOSER UN ÂGE »
Une énigme de plus à résoudre. Car la valeur du RÉGIS DEBRYUNE
mammouth de Durfort ne se limite pas à son sta- PHYLOGÉNÉTICIEN AU MNHN

Ci-contre, lors de la restauration du mammouth de Durfort,
dans les locaux du Muséum, à Paris, le 6 octobre 2020.
Ci-dessous, analyse tomographique de la tête, le 7 décembre 2022.
En bas, à gauche, fouilles organisées à Durfort-et-Saint-Martin-de-
Sossenac (Gard), sur le site de la découverte de 1869, le 16 juin 2022.
En bas, à droite, les pieds du mammouth, dans les locaux d’Aïnu,
à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), en juin 2023.
uranium/thorium, elles tirent parti d’un phéno-
mène survenant durant la fossilisation : l’incorpo-
ration dans les tissus minéralisés des squelettes
de radionucléides provenant de l’eau en circula-
tion dans le milieu. Malheureusement, ces procé-
dés nécessitent de disposer de dents à la surface
recouverte d’émail. Ce qui n’est pas le cas de celles
des mammouths ou des éléphants…
D’où ce retour des paléontologues à Durfort-
et-Saint-Martin-de-Sossenac, une commune de
750 habitants où, faute d’avoir conservé des té-
moignages matériels de leur dernier passage, on
en a entretenu la mémoire. De la gazette munici-
pale L’Echo du mammouth au club du troisième
âge L’Eléphant, en passant par l’auberge Le Re-
paire du mammouth, nul n’a oublié, ici, l’aven-
ture scientifique d’il y a… cent cinquante ans.
Le site originel n’ayant probablement plus
aucune information à fournir, les chercheurs
concentrent leurs efforts sur une zone voisine
qui, coup de chance, recèle dans une cuvette de
200 mètres de large creusée dans des terrains du
crétacé (de – 145 à – 65,5 millions d’années) les mê-
mes sols de l’ère quaternaire dont fut extrait le
squelette. En cette journée étouffante de canicule,
ils s’emploient fiévreusement à traquer des
échantillons à même de leur permettre de déter-
miner l’âge du mammouth. En comparant les
lames de ses molaires à celles d’autres individus
découverts en France, à Saint-Prest (Eure-et-Loire)
et à Chilhac (Haute-Loire), l’équipe du CNRS et du
MNHN a estimé qu’il pourrait avoir entre
800 000 ans et 1,2 million d’années. Mais encore
faudrait-il pouvoir confirmer cette hypothèse par
des observations de terrain.
Les pieds dans l’eau jusqu’aux genoux, le paly-
nologue Vincent Lebreton travaille à récupérer
sur plusieurs niveaux de la tranchée de 4,5 mètres
de profondeur des débris de pollens, de feuilles et
de branchages qu’il espère parvenir à identifier et
à rattacher à un type d’environnement et à une
époque précise. Pendant ce temps-là, Cécile Cha-
pon-Sao s’occupe de préparer la paroi à un prélè-
vement de sédiments. Une fois leur composition,
leur texture et leurs propriétés magnétiques éta-
blies en laboratoire, ces derniers pourraient livrer
JULIEN FAURE
des informations sur la vitesse de fossilisation du
squelette, mais aussi, précise-t-elle, sur « l’orienta-
tion du champ magnétique terrestre à l’époque de
ces dépôts ». Les pôles de la Terre ont connu plu-
sieurs inversions au cours de l’histoire de notre
planète. La dernière fois, il y a 780 000 ans.
Quant à Grégoire Métais, il vient de découvrir
dans le tas de débris organiques qu’il examinait à
l’aide de lunettes grossissantes de minuscules
morceaux d’écorces et de coquilles de gastéropo-
des. Ce spécialiste de la microfaune est allé récu-
pérer des mottes de terre sur les tas de déblais,
puis les a mises à « défloquer » dans de l’eau avant
de les laisser sécher au soleil sur une bâche et de
les ranger dans des poches en plastique. Avec un
espoir : exhumer des dents recouvertes d’émail
suffisamment grosses pour être datées par les
méthodes paléodosimétriques. Les argiles de
Durfort ne consentiront à livrer ces précieuses
pièces qu’au terme d’une seconde campagne, or-
ganisée en septembre 2022. Une canine d’hippo-
potame et une molaire de cervidé viendront alors
récompenser la ténacité des paléontologues.
Lundi 28 novembre 2022,
hangar de taxidermie, Paris 5e
C’est l’effervescence au hangar de taxidermie.
Debout face à des établis ou agenouillées devant
des palettes, une demi-douzaine de personnes
s’activent au milieu des fossiles dans la salle où
se déroule, depuis plusieurs semaines, la restau-
ration du mammouth. Une fois réceptionné
dans ces locaux en juillet 2022, chaque élément
avait été examiné par les techniciens de l’entre-
prise Aïnu, qui ont rapidement confirmé l’hypo-
thèse initiale. A savoir que, pour remédier au
mauvais état dans lequel était arrivé le squelette
en 1873, les monteurs du Jardin des plantes
avaient remplacé les parties manquantes de
nombreux ossements par du plâtre, du bois, de la
ferraille ou du mastic. « C’est pourquoi nous
avons dû commencer par établir, avec le Muséum,
un protocole d’intervention tenant compte des
matériaux présents et précisant la nature des sol-
LE CRÂNE DU MAMMOUTH
DE DURFORT S’EST AVÉRÉ
CONTENIR TOUT JUSTE…
2 % D’OS FOSSILISÉ !
UN CAUCHEMAR
DE PALÉONTOLOGUE
vants à utiliser », avait alors expliqué Catherine
Crocq, responsable du chantier chez Aïnu. Une
fois cette étape franchie, le travail a pu démarrer.
Vertèbres, côtes, épaules, pattes, bassin, défen-
ses, maxillaire et mandibule ont été, un à un, dé-
barrassés de leurs bagues d’acier ou de leurs ban-
des réversibles, puis lavés et nettoyés de leurs an-
ciennes colles avant d’être renforcés en injectant
consolidant ou adhésif dans leurs fractures et fê-
lures. Pour cette épiphyse de vertèbre caudale sur
laquelle intervient la restauratrice Stéphanie Ni-
sole, il a fallu aller plus loin et déployer de vérita-
bles talents de sculpteur afin de reconstituer avec
de la résine des morceaux disparus d’ossements
ou modifier la forme des anciens ajouts en plâtre.
Faute de disposer d’un modèle de mammouth,
les préparateurs du XIXe siècle – qui n’étaient pas
paléontologues – se sont inspirés de la morpholo-
gie des éléphants. L’équipe s’est efforcée de corri-
ger leurs erreurs lorsque cela ne constituait pas un
danger pour la structure. Ainsi, la pointe en plâtre
de la mandibule fut adoucie, sans chercher à ré-
duire l’espacement, pourtant bien trop important,
entre les deux demi-mâchoires en os. La technolo-
gie a parfois guidé la main de l’artiste. Occupée à
corriger la forme aberrante des ajouts en plâtre
d’un humérus gauche, la restauratrice Anne-
Laure Goron jette, de temps à autre, un coup d’œil
sur l’écran diffusant l’image, en trois dimensions
et inversée, de l’autre humérus du squelette.
Au second étage, cet ingénieur au CR2P (Centre
de recherche en paléontologie, MNHN-CNRS-
Sorbonne Université) explique comment il a réa-
lisé un modèle 3D complet du mammouth qui
ÉVÉNEMENT
·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 21 JUIN 2023 |5
pourra être utilisé à des fins scientifiques ou mu-
séographiques. Muni d’un scanner ressemblant à
un batteur électrique de cuisine, il balaie d’un fais-
ceau de flashs l’ensemble de la surface d’une ver-
tèbre, récoltant, en quelques secondes, des centai-
nes d’images. Une fois traités par l’informatique,
ces clichés permettront de produire une vue en
trois dimensions de la pièce, conforme, à une frac-
tion de millimètre près, à l’original.
Bref, la restauration avance bien. L’un des so-
cleurs d’Aïnu, Yann Troel, en est déjà au stade du
remontage des ferrures. Concentré sur sa tâche, il
ajuste l’une de ces pièces sur une côte serrée dans
un étau… « Et cela au millimètre près », précise-t-il.
Lundi 5 juin 2023, Aubervilliers,
Seine-Saint-Denis
Treize mois après sa délicate exfiltration, le mam-
mouth de Durfort s’apprête à retrouver son po-
dium au second étage de la galerie de paléontolo-
gie et d’anatomie comparée du Jardin des plantes,
à Paris. Nettoyé, réparé et renforcé, le revenant du
fond des âges, dont on est en train de tester le re-
montage dans les locaux de la société Aïnu, à
Aubervilliers, est prêt à affronter un siècle de plus.
Sa couleur gris poussière a viré en un hygiénique
beige foncé. Ses quatre pieds, longtemps exilés
dans l’obscurité d’un tiroir, ont repris leurs places,
cette fois les plantes tournées vers le sol. Et la mo-
dification de sa posture vers une démarche à l’am-
ble lui a rendu sa dignité de proboscidien. Bref, sa
sortie en extérieur lui a fait du bien…
D’autant que les craintes du début se sont avé-
rées injustifiées. La restauration s’est déroulée
sans incident, mis à part les trois mois de retard
occasionnés par le remplacement des mâts métal-
liques du socle, trop vétustes. L’étude scientifique
a, elle aussi, répondu aux attentes des chercheurs,
même s’il faudra patienter plusieurs mois ou an-
nées avant de connaître les conclusions des
deux campagnes de fouilles conduites à Durfort-
et-Saint-Martin-de-Sossenac. Celles-ci devraient
permettre de dater le spécimen et d’établir dans
quel type d’environnement il évoluait au mo-
ment de sa mort. « L’alimentation des mam-
mouths méridionaux étant constituée de feuilla-
ges, il serait logique que ce milieu corresponde à des
forêts. Mais, dans leur dossier de fouilles, Cazalis de
Fondouce et Jules Ollier de Marichard déclarent
avoir aussi déterré des fossiles d’animaux de plaine,
comme des chevaux et des rhinocéros, et des restes
d’espèces aquatiques, poissons, batraciens et hip-
popotames », explique Régis Debruyne.
En revanche, le bilan de l’analyse tomographi-
que conduite par Florent Goussard apparaît
beaucoup plus mitigé. Ce spécialiste de l’image-
rie 3D était chargé de coordonner les investiga-
tions conduites sur la tête. Avec son front large et
plat doté de deux bosses latérales, le mammouth
de Durfort ressemble bien plus à un éléphant
qu’aux autres représentants connus de son es-
pèce. Ces derniers affichent un front concave et
un creux au-dessus de la fosse nasale qu’il ne
possède pas. Pourquoi ? C’est ce qu’a voulu déter-
miner l’équipe. Celle-ci a demandé au laboratoire
de mesures nucléaires du CEA à Cadarache de
soumettre, au cours de l’été 2022, le crâne de
400 kilos et de 1,10 mètre de large à un examen
par tomographie X à hautes énergies. Ce centre,
spécialisé dans l’analyse des colis de déchets nu-
cléaires, était le seul en France à même de traiter
une pièce d’une telle taille, de façon à en pro-
duire une vue 3D montrant (à 0,5 millimètre
près) la répartition des différents matériaux qui
le composent en interne.
Le résultat ? Un cauchemar de paléontologue !
En effet, le crâne du mammouth de Durfort s’est
avéré contenir tout juste… 2 % d’os fossilisé !
Comme le montrent les images qu’affiche Florent
Goussard sur l’écran de son ordinateur, tout le
reste est fait d’un mélange de plâtre, de tenons en
bois et d’une forêt de tiges métalliques entremê-
lées. « Nous ignorons tout des événements qui ont
précédé l’arrivée de la tête au Muséum, en 1873, ex-
plique, désolé, Régis Debruyne. Mais l’encéphale
des mammouths recèle une structure osseuse en
nid d’abeilles, très fragile, qui, vraisemblablement,
n’a pas résisté à l’entreposage ou au transport. »
Confrontés à un matériel à ce point dégradé, les
restaurateurs du Jardin des plantes ont fait ce
qu’ils ont pu. Ils ont reconstitué un crâne, sembla-
ble à celui d’un éléphant, en y incluant les rares
éléments préservés : les dents, un morceau de l’ar-
cade zygomatique et un reliquat d’occiput. « Evi-
demment, la découverte est choquante. Mais, en
même temps, elle fournit enfin une explication
scientifique aux bizarreries de ce spécimen qui n’en
demeure pas moins l’un des plus complets au
monde, même au niveau des prémaxillaires et de la
mandibule. » Cent vingt-quatre ans après son ins-
tallation sur l’emplacement central de la galerie, le
mammouth de Durfort a réussi un nouveau tour
de force : parvenir, une fois de plus, à surprendre
les paléontologues… p
vahé ter minassian
 RENDEZ-VOUS
6| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 21 JUIN 2023

L’EXPOSITION

Blaise Pascal
fête ses 400 ans
Tous les aspects de l’œuvre
et de la vie du savant
sont célébrés par le MARQ,
à Clermont-Ferrand

L e 19 juin 1623, Blaise Pascal naissait à

Clermont-Ferrand. La célébration de ce
400e anniversaire est marquée, tout au
long de l’année, par de nombreuses mani-
festations, principalement dans la capitale
auvergnate. Temps fort de ces initiatives : l’ex-
position « Les Mystères de Pascal », présenté
au Musée d’art Roger-Quilliot (MARQ).
Bien que tous les aspects de l’œuvre et de la
vie de celui qui fut tout à la fois mathémati-
cien, physicien, géomètre, ingénieur, inven- UN BATEAU COUSU MAIN entre la fin du XIIe siècle av. J.-C. et la (CNRS), qui dirige le programme de
teur, philosophe, théologien… y soient abor- fin du Xe siècle av. J.-C., est, de loin, recherche « Adriboats, navires et na-
VIEUX DE 3 000 ANS le plus ancien exemple de navire vigation en Adriatique orientale dans
dés, cette exposition ne peut prétendre à l’ex-
entièrement cousu de Méditerranée. l’Antiquité ». Cette épave, découverte
haustivité, tant son héritage est considérable
C’est une épave exceptionnelle Certes, il existait des embarcations en 2008 par 2 mètres de fond, à
et parfois difficile d’accès. Aussi, les cocom- qui s’apprête à sortir de l’eau, début cousues sur le Nil plusieurs siècles 600 mètres d’une plage touristique
missaires, Cécile Dupré et Justine Bouju, ont- juillet, sous les yeux d’une équipe plus tôt, « mais cela n’a rien à voir du nord de la Croatie, va faire l’objet
elles contextualisé ses travaux pour les ren- de chercheurs français et croates. avec cette technique qui s’est déve- d’un ambitieux programme de
dre plus accessibles. Si elles ont traité large- Ce bateau, qu’une première datation loppée de façon indépendante en recherche et de sauvegarde. (PHOTO :
ment de la question religieuse et de ses écrits, au carbone 14 a permis de situer Méditerranée », précise Giulia Boetto P. GROSCAUX CNRS CCJ/MISSION ADRIBOATS)
elles ont également mis en exergue son acti-
vité scientifique et entrepreneuriale.
Trois de ses réalisations et expériences
tiennent la vedette. Il s’agit tout d’abord de
ses machines arithmétiques, appelées
aujourd’hui « pascalines », ancêtres de nos VIE DES LABOS
calculatrices. Elles effectuent additions,

UN RAPPORT DU CNRS DÉNONCE

soustractions, multiplications et divisions.
Sur la vingtaine de machines qu’il a fabri-
quées, il n’en reste que huit. Deux d’entre
elles sont présentes au MARQ : celle qu’il
avait adressée à la reine Christine de Suède
et celle du chevalier Durant-Pascal, du nom
d’un cousin. C’est probablement cette der-
nière qu’il avait réalisée, à 22 ans, pour aider
son père dans ses comptes alors qu’il venait
d’être nommé collecteur d’impôts à Rouen.
La reconstitution d’un carrosse d’époque,
à l’échelle 1, nous rappelle qu’il créa, en
mars 1662, le premier transport en commun
au monde avec le carrosse à cinq sols. On y
monte et on y descend à des arrêts fixes et sa
fréquence est de huit par heure. Les visiteurs
peuvent refaire le trajet d’une des cinq lignes
alors en service dans un décor d’époque à
l’aide d’un casque de réalité virtuelle.
Parmi ses nombreuses expériences, celle
du puy de Dôme, en 1648, qui confirma
l’existence de la pression atmosphérique, est
la plus connue. Elle est évoquée ici à l’aide de
gravures : Pascal, malade à Paris, demande à
son beau-frère, Florin Périer, de se rendre sur
l’actuelle place de Jaude à Clermont-Ferrand
(350 mètres d’altitude) avec un tube de verre
de 1 mètre de long, rempli de mercure, re-
tourné dans un récipient rempli du même
liquide. Le mercure, dans le tube, se stabilise
à 71,2 centimètres. Périer se rend ensuite au
sommet du puy de Dôme (1 457 mètres). Là,
la hauteur du liquide n’est plus que de
62,7 centimètres, prouvant ainsi la réalité de
la pression atmosphérique. Ce sont là les bal-
butiements de la météorologie.
Tous ses travaux mathématiques, comme
la géométrie projective, les calculs de proba-
bilité, le calcul infinitésimal, l’étude du
triangle arithmétique sont également pré-
sentés à l’aide de gravures, de dessins et
d’ouvrages. La visite au MARQ peut être
complétée par une autre au Muséum Henri-
Lecoq, qui consacre un espace scientifique
permanent au génie clermontois. p
francis gouge
« Les Mystères de Pascal », au Musée d’art
Roger-Quilliot (MARQ), à Clermont-Ferrand,
jusqu’au 15 octobre.
LES ENTRAVES ADMINISTRATIVES
Par DAVID LAROUSSERIE congrès, ou des candidatures de chercheurs refusées « Antoine Petit veut croire à une division entre recher-
sans motif détaillé, pour cause de « sécurité défense »… che et administration, alors qu’il faudrait rassembler »,
L a recherche française pâtit d’un manque de
moyens, de salaires peu élevés et d’une organi-
sation en millefeuille peu lisible. Un autre péril
la menacerait : les « entraves administratives », comme
les a baptisées dans un Livre blanc le conseil scientifi-
« On passe un temps disproportionné sur des questions
de faibles montants, tandis que des questions d’impor-
tance (dizaines ou centaines de milliers d’euros) sont
traitées à la hâte », regrette un directeur d’unité. « Des
collègues, pourtant expérimentés, ont craqué dans
regrette Lydéric Bocquet. La direction montre « un
mur de déni en béton armé », estime Philippe Balcou.
Dans sa lettre, Antoine Petit ne nie pas les difficultés,
mais estime que beaucoup sont externes au CNRS,
par exemple liées à des règles de l’Union européenne
que du CNRS, instance consultée notamment sur les mon bureau devant l’accumulation de ces entraves », ou de la fonction publique.
orientations de politique scientifique. Selon ce texte, raconte Laurence Magaud, directrice de l’institut Néel, D’autres causes dépassent l’organisme, comme le
mis en ligne le 25 mai, un mois après son approbation à Grenoble. Lydéric Bocquet (laboratoire de physique manque de moyens ayant pour conséquences des
par le conseil, règles, procédures, outils informati- de l’ENS à Paris), l’un des deux rapporteurs du Livre salaires peu élevés, un nombre important de CDD et
ques, au lieu de faciliter le travail des scientifiques, blanc avec Philippe Balcou (Centre lasers intenses et des services débordés. La multiplication des structu-
sont à l’origine de retards, voire d’abandons de projets applications à Bordeaux), insiste sur l’« infantilisa- res et des guichets de financement, avec des règles
ou d’interruption de paiement de salaires… Les tion » de certaines procédures. « On considère a priori qui leur sont propres, complexifie aussi la donne.
auteurs dénoncent une situation « systémique » et de- qu’on est des menteurs », ajoute un de leurs collègues. Les tâches des gestionnaires prennent aussi le pas
mandent une réflexion sur le rôle de l’administration. La charge n’a pas plu à Antoine Petit, le PDG du sur la finalité du service, au point qu’une adminis-
Leurs mots sont durs, « défiance généralisée » (de l’ad- CNRS, qui a écrit aux responsables administratifs tration peut s’enorgueillir de labels de qualité, ou de
ministration envers les chercheurs), « exaspération », pour se « désolidariser » de ce « pamphlet » et les as- simplification, sans que les chercheurs en voient les
« déni du problème » (par la direction)… surer de son soutien. Dans sa réponse, il estime que bénéfices au quotidien.
Cela se traduit, par exemple, par des tickets de métro le texte « oppose scientifiques et fonctions support », Les recommandations originales du Livre blanc,
qu’il faut scanner pour remboursement, des retards alors que ses auteurs considèrent que les person- comme recenser et analyser les causes des dysfonc-
de signature d’accords de protection intellectuelle nels administratifs sont les « premières victimes des tionnements, réfléchir au rôle de l’administration
entre partenaires qui ont abouti à des arrêts, des de- dérives d’un système » et qu’ils n’attaquent pas les ou passer d’une logique de contrôle à une logique de
mandes de justification de participation « active » à un personnes mais des procédures. facilitation ont peu de chances d’aboutir. p
AFFAIRE DE LOGIQUE – N° 1251
Exacts… gones N° 1251
Solution du problème 1250
Alice a rempli les 14 hexagones de la grille ci-contre à l’aide des nombres entiers de 1 à 14. 1. Alice gagne dès que la ligne contient 5 cases.
Elle a fait en sorte que, pour chaque disque rouge, la somme des nombres inscrits Elle commence par colorier la case 1 dans la couleur A.
dans les trois hexagones qui le touchent soit égale à 20. Le plus petit des nombres - Si Bob colorie la case 2 (avec la couleur A, sinon Alice gagne
écrits dans les quatre hexagones de couleur l’est dans le jaune. immédiatement en coloriant la case 3), Alice colorie la case
5 avec une couleur B (autre que A). Quelle que soit la couleur
1. Quels sont les nombres inscrits dans l’hexagone jaune et dans le vert ?
2. Quels sont les nombres inscrits dans l’hexagone orange et dans le bleu ? choisie par Bob en case 3 ou 4, Alice terminera avec 3 cou-
leurs consécutives différentes.
3. Retrouvez tous les nombres de la grille.
- Si Bob colorie la case 3 (avec la couleur A, sinon Alice
gagne immédiatement en coloriant la case 2), Alice colorie
la case 4 avec une couleur B. Quoi que joue Bob, Alice
pourra terminer en coloriant en C la case 2 ou 5.
DES MATHÉMATIQUES PRÉSENTES MATHÉMATIQUES EN VACANCES UNIVERSITÉ D’ÉTÉ MATH.EN.JEANS
- Si Bob colorie la case 4, elle colorie la case 3 dans une autre
AU FESTIVAL DE CANNES POUR COLLÉGIENS ET LYCÉENS EN AOÛT, À COSNE-D’ALLIER

L’AGENDA Les mathématiques se sont invitées cette
année au Festival de Cannes, dans le film
Le Théorème de Marguerite, présenté en
avant-première. La réalisatrice, Anna
AST R ON OMI E
Novion, qui a travaillé avec la mathémati-
On the moon again
cienne française Ariane Mézard, y retrace,
Pour la quatrième année d’affilée, la Société à travers l’actrice Emma Rumpf, l’histoire
L’association Science ouverte organise
divers séjours d’été à destination de jeunes
publics.
- Deux stages, en journée (de 10 h à 17 h),
sur le campus de l’université Paris-Nord
(74, rue Marcel-Cachin, 93000, Bobigny),
l’un pour lycéens de 2 de du 26 juin au
L’association Méthodes d’apprentissage
des théories mathématiques en jumelant
des établissements pour une approche
nouvelle du savoir, dont l’un des fonda-
teurs est le regretté Pierre Audin, qui était
médiateur au Palais de la découverte, orga-
nise son université d’été du 21 au 25 août au
couleur et terminera forcément en coloriant la case 2 ou 5.
- Si Bob colorie la case 5, elle colorie la case 3 dans une cou-
leur différente de A et de celle de Bob. Quoi que fasse Bob,
Alice gagnera en coloriant la case 2 ou 4.
2. Alice gagnera encore en neuf tours au plus avec la
deuxième règle. N° de case 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

astronomique de France invite les amateurs de Marguerite, brillante élève de l’ENS en 7 juillet, l’autre pour collégiens de 3e, du château de Petit-Bois, à Cosne-d’Allier (03). Pour cela, elle colorie Couleur A B A B B C D

à sortir dans la rue ou dans leur jardin leurs
télescopes et leurs lunettes astronomiques
les 23, 24 et 25 juin. En France, plusieurs cen-
taines de sites d’observation sont proposés.
Mais chacun peut s’inscrire pour en suggérer
un afin d’observer la Lune avec ses voisins
et les passants. Environ 100 000 personnes
y participent chaque année.
> Onthemoonagain.org
mathématiques, à l’avenir tout tracé. Mais
voilà que, le jour de la soutenance de sa
thèse, une erreur vient bousculer ses certi-
tudes et qu’elle décide de tout quitter pour
tout recommencer. On découvre surtout
avec ce film la charge qui pèse sur les
épaules des femmes immergées dans un
milieu essentiellement masculin.
Infos sur Festival-cannes.com
E. BUSSER, G. COHEN ET J.-L. LEGRAND © POLE 2023
30 juin au 7 juillet. Des semaines de
sciences, sport et détente ! Le thème de
l’édition 2023 : les réseaux (de transport,
de neurones, sociaux…).
- Mat’les vacances, une colonie de vacances
mathématiques à La Chapelle-d’Abon-
dance, en Savoie, du 17 au 28 juillet, organi-
sée en partenariat avec l’association Pastel.
Infos sur Scienceouverte.fr
Ouvert à tous ceux qui aiment les mathé-
matiques, ce séjour permettra à des publics
divers, bénévoles, futurs bénévoles, ou
simples curieux, de réfléchir, de se retrou-
ver, de se former et d’échanger dans un
cadre splendide avec, en plus des exposés,
jeux et tables rondes liés aux mathéma-
tiques, tennis, piscine et balades en forêt.
Infos et inscriptions sur Mathenjeans.fr
affairedelogique@poleditions.com
2 4 1 6 3 5 7
la case 6 dans la cou- Tour
leur A. A une symétrie près, Bob colorie la case 4 (en A,
sinon Alice gagne en deux coups) ou une case inférieure.
Alice colorie alors la case 8 en B. Bob est obligé de colorier
la case 5 en A ou B, sous peine de permettre à Alice de colo-
rier la case 7 en C, puis de gagner. Alice colorie la case 9 en
C. Bob doit colorier la case 7 en A, B ou C pour empêcher
Alice de la colorier en D. Alice colorie alors la case 11 en D,
et gagnera en coloriant ensuite la case 10 en A.

CARTE
BLANCHE
Les robots, encore
loin de bouleverser
l’industrie
Par JEAN PONCE et ISABELLE RYL
P lus de 6 000 chercheurs et industriels
se sont réunis à Londres fin mai pour
la Conférence internationale sur la ro-
botique et l’automatisation (ICRA), la grand-
messe annuelle de la robotique, mêlant pré-
sentations des derniers résultats de recher-
che – dans des domaines aussi variés que la
locomotion ou l’interaction homme/robot –
et démonstrations allant des quadrupèdes
Spot et Go1 au robot ailé Nimble.
Côté matériel, l’image du robot auprès du
grand public est souvent anthropomorphe.
En 1996, après des années de recherche
menées dans le plus grand secret, Honda
dévoile P2, qui ressemble à un astronaute en
combinaison spatiale, mesure 1,80 mètre et
pèse plus de 200 kilos, mais, surtout, marche
avec une aisance et un naturel jamais vus
jusque-là. Des humanoïdes de plus en plus
évolués vont mener en 2013 à Atlas, de Bos-
ton Dynamics, un prodige de mécatronique
et de design, capable aujourd’hui de danser,
sauter, faire des pirouettes, etc.
Force est néanmoins de constater
qu’aucune de ces incroyables machines,
malgré leur retentissement médiatique et
académique, n’a (pour l’instant) eu un
impact réel sur l’industrie, et cela malgré
les ambitions affichées récemment par
Tesla pour Optimus.
Majoritairement des bras articulés
Aujourd’hui comme il y a soixante ans, la
majorité des robots industriels sont, en fait,
des bras articulés installés sur des chaînes
de montage et consacrés à des tâches répéti-
tives comme la peinture ou l’assemblage. Ils
sont construits par une poignée de grands
industriels majoritairement installés en
Asie du Sud-Est et en Europe du Nord, et non
plus, paradoxalement, aux Etats-Unis, pour-
tant pionniers dans ce domaine à la fin des
années 1950. Des robots spécialisés trou-
vent, en revanche, de nombreuses nouvel-
les applications, allant des aspirateurs
Roomba aux plates-formes mobiles Kiva,
déployées par dizaines de milliers dans les
entrepôts d’Amazon.
Côté intelligence, la robotique fait face à
trois difficultés majeures. Elle doit, tout
d’abord, intégrer de nombreux aspects de
l’intelligence artificielle moderne, dont la
navigation, la planification et la perception.
Ensuite, un robot est une machine bien
réelle dont les interactions physiques avec
l’environnement peuvent entraîner des dé-
gâts matériels, ce qui fait de la fiabilité et de
la sûreté deux enjeux primordiaux et rend
extrêmement délicat le processus d’explora-
tion, une des clés de l’apprentissage par ren-
forcement, par exemple. Dans ce contexte,
l’arrivée sur le marché de plates-formes de
simulation sophistiquées peut avoir un im-
pact important.
Enfin, la grande disparité des plates-formes
de robotique des laboratoires rend la repro-
ductibilité des résultats, élément central de
la démarche scientifique, très difficile. Là
encore, la disponibilité récente de plates-
formes robotiques fiables et relativement
bon marché, comme Go1, peut changer la
donne. S’il est aujourd’hui possible de cons-
truire des quadrupèdes qui apprennent
« tout seuls » à marcher au milieu d’une fo-
rêt, l’aide aux personnes fragiles, ou même
l’apprentissage autonome de fonctions quo-
tidiennes, comme vider un lave-vaisselle,
restent, pour l’instant, hors de portée.
Il faudra pour y parvenir des progrès scienti-
fiques fondamentaux, dont le développe-
ment d’algorithmes exploitant à la fois des
modèles physiques sophistiqués et des don-
nées d’apprentissage par nature limitées.
Hyundai et Boston Dynamics ne s’y sont pas
trompés, en investissant, en août 2022,
400 millions de dollars dans la création d’un
Institut IA, dont le but est de mener des re-
cherches à long, voire très long terme. C’est
aussi un domaine où, comme le disait notre
regretté collègue Jean-Paul Laumond, disparu
en 2021, la France a un vrai rôle à jouer, en par-
ticulier dans des domaines tels que la modéli-
sation mathématique ou l’intégration. p
Jean Ponce et Isabelle Ryl
Professeur d’informatique à l’Ecole normale
supérieure - PSL et professeure d’informatique
à l’université de Lille, en détachement à l’Inria
Interdire le protoxyde d’azote n’est pas la solution
à son détournement comme gaz hilarant
TRIBUNE - Le spécialiste de la douleur Daniel Annequin déplore la confusion entre le produit consommé
par les jeunes pour ses effets récréatifs et le Meopa, utilisé pour réduire la douleur liée à certains soins
L e 4 mars, les autorités sanitaires
britanniques ont annoncé leur
projet de criminaliser la posses-
sion et l’usage de protoxyde d’azote
(N2O) comme gaz hilarant. Cette déci-
gaz pur peut entraîner des effets indé-
sirables graves, notamment neurolo-
giques, majoritairement réversibles
après supplémentation de vitamine
B12. Ils concernent uniquement les ra-
sion va à l’encontre des recommanda- res mésusages avec consommation
tions du groupe d’experts qui avait, un massive et prolongée de N2O (de l’or-
mois plus tôt, réfuté le recours à la pro- dre de 10 cartouches de 8 grammes par
hibition dans un éditorial du British jour, pendant plusieurs semaines).
Medical Journal. En France, la vente Pourtant, le protoxyde d’azote mé-
aux mineurs est interdite depuis 2021 langé avec de l’oxygène, le Meopa, a
et la consommation sur la voie publi- révolutionné, en France, la prise en
que l’est dans plusieurs métropoles. charge des soins douloureux. Tout a
Le protoxyde d’azote a été décou- débuté en 1992, quand nous avons
vert et synthétisé au XVIIIe siècle en présenté à l’Unesco les premières vi-
Grande-Bretagne. Les premières déos montrant les effets bénéfiques
« proto parties » datent de 1799, quand du Meopa sur les enfants leucémi-
la bonne société anglaise inhalait ce ques de l’hôpital Trousseau (Paris).
gaz pour ses effets hilarants et désin- Pour beaucoup d’équipes, ce fut un
hibants. Il est devenu, cinquante ans véritable choc de voir pour la pre-
plus tard, un produit antalgique uti- mière fois des ponctions lombaires,
lisé avec l’éther pour les premières des prélèvements de moelle effectués
anesthésies générales. sur des enfants souriants, en pré-
C’est un gaz naturel émis majoritai- sence des parents et, surtout, sans
rement par la décomposition des sols, contention physique.
les engrais azotés, les océans, les déjec- En moins de cinq ans, la majorité des
tions animales ; il est aussi produit services d’oncohématologie pédiatri-
industriellement pour la fabrication, que adoptèrent cette méthode. La
entre autres, du gaz propulseur des- France est ainsi devenue l’un des pays
tiné aux siphons de crème chan- leaders concernant l’utilisation du
tilly. C’est ce dernier usage qui fait l’ob- Meopa. Tous les services pédiatriques
jet d’un détournement récréatif, grâce ainsi que les urgences en disposant
à de petites cartouches de N2O pur dorénavant et l’utilisant quotidienne-
transféré dans un ballon, puis inhalé. ment, les adultes et les personnes
Sa consommation est en pleine ex- âgées peuvent aussi en bénéficier.
pansion pour plusieurs raisons : sa dis- Les données de pharmacovigilance
ponibilité en vente libre en magasin et accumulées depuis plus de trente ans
sur Internet, son coût réduit et l’arri- sont particulièrement rassurantes. Le
vée sur le marché de bonbonnes con- Meopa peut être administré en toute
tenant l’équivalent de 80 cartouches sécurité par de nombreux profession-
(640 grammes). Cet usage détourné de nels formés : médecins, dentistes, infir-
Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à sciences@lemonde.fr
UN FLASH LUMINEUX PERÇU PAR ULTRASONS CHEZ DES SOURIS
1 MscL, un mécanocapteur sensible aux ultrasons
De nombreuses bactéries sont équipées d’une protéine sensible
aux ultrasons : un canal mécanosensible, nommé MscL.
Grâce à ce canal, elles peuvent « sentir » les pressions
physiques qui les entourent.
Bactéries
2 Inoculation d’un vecteur viral contenant
le gène MscL
Les chercheurs injectent dans le cortex visuel d’une
souris, à travers une fenêtre découpée dans sa boîte
crânienne, un vecteur viral – adenovirus rendu
inoffensif – contenant le gène
du mécanocapteur MscL.
Gène codant MscL
Vecteur
viral
Les neurones du cortex
visuel ont incorporé ce
gène et fabriqué ce canal.
Source : Cadoni S. et al, Nature Biotechnology, 3 avril 2023 • Infographie : Victoria Denys
Après l’optogénétique, la sonogéné- longueur d’onde spécifique. Mais, dans
tique. Dans le premier cas, on force un le tissu cérébral, la lumière ne franchit
neurone à fabriquer une protéine pas plus de 1 millimètre, une profon-
photosensible en y introduisant un deur insuffisante pour atteindre les
gène délivrant les instructions pour couches intermédiaires du cortex vi-
cela ; puis on l’active avec un laser de suel. D’où l’idée, pour traiter certaines
RENDEZ-VOUS
· LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 21 JUIN 2023 |7
LE MEOPA
A RÉVOLUTIONNÉ,
EN FRANCE, LA PRISE
teurs souhait[aient] interdire la vente de
protoxyde d’azote aux mineurs » ; or le
texte était illustré par l’image d’un en-
fant dans un service d’urgences avec
une bouteille de… Meopa.
EN CHARGE DES Ces messages alarmistes sur les usa-
ges détournés du N2O pur doivent être
SOINS DOULOUREUX nettement dissociés des recommanda-
tions de bonne pratique concernant le
Meopa. La prohibition du protoxyde
miers, sages-femmes, kinésithérapeu- d’azote ne résoudra pas le problème.
tes. Malgré sa puissance modeste, ce Comme pour toutes les substances ad-
produit rend d’immenses services. La dictives, non seulement elle n’empê-
combinaison d’un effet anxiolytique chera pas la consommation, mais elle
souvent euphorisant, voire hilarant (un créera de nouveaux risques : vol et dé-
effet antidépresseur est en cours de dé- tournement vers le marché illicite, ap-
veloppement), et d’un effet antalgique provisionnement dans des pays où le
permet de diminuer la douleur, voire produit n’est pas contrôlé, ou substitu-
de la supprimer, tout en gardant les tion par des substances plus nocives.
sensations associées. Les patients di- Il est essentiel, en revanche, de sensi-
sent souvent après l’acte : « J’ai senti biliser les professionnels, les usagers,
mais sans avoir mal. » les parents, les éducateurs aux mésusa-
Cette « sédation consciente » est par- ges, aux signes évocateurs d’une com-
ticulièrement utile dans la réalisation plication neurologique, aux comporte-
de soins douloureux et/ou anxiogè- ments à éviter en cas de consomma-
nes. La brièveté d’action – quelques mi- tion massive. Les complications parfois
nutes – et l’absence d’accumulation graves associées au mésusage du N2O
dans l’organisme en font un produit en tant que gaz hilarant ne doivent pas
très sûr. Le mésusage est exceptionnel, occulter, disqualifier ni limiter les bé-
mais, comme pour d’autres antalgi- néfices majeurs du Meopa comme
ques, ce risque est maintenant mieux outil essentiel dans le traitement de la
connu des professionnels de santé, qui, douleur provoquée par les soins. p
sans le nier ni le surestimer, doivent
exercer une vigilance continue. ¶
Les informations très inquiétantes Pofesseur Daniel Annequin, psychia-
qui circulent dans les médias depuis tre, anciennement anesthésiste. Fondateur
cinq ans concernant l’usage détourné du Centre de la douleur et de la migraine
du protoxyde d’azote pur et ses dan- de l’enfant (hôpital Armand-Trousseau,
gers sont source de confusion. Ainsi, Paris) et du groupe Pediadol, responsable
en 2019, un article paru dans un quo- médical du deuxième Plan national
tidien médical indiquait que « des séna- de lutte contre la douleur (2002-2005).
MscL
Membrane
de la bactérie
3 Perception d’un flash lumineux après
stimulation par ultrasons
L’animal a d’abord été éduqué à boire de l’eau
dès qu’il discernait un signal lumineux.
Ensuite, l’envoi d’ultrasons de haute fréquence
(de 10 à 15 mégahertz), via un implant inséré
dans la boîte crânienne, active des neurones du
cortex visuel – mais uniquement s’ils
fabriquent le canal mécanosensible.
Membrane
Résultat, cette stimulation
du neurone
induit chez l’animal
MscL le réflexe de boire.
Implant
déficiences visuelles, de remplacer la de la vision, à Paris. Résultat, la souris a
protéine sensible à la lumière par une perçu un flash lumineux… qui n’exis-
protéine sensible aux ultrasons. C’est tait pas. C’est une preuve de concept.
donc le principe de la sonogénétique, Un premier essai clinique est envisagé
dont la faisabilité a été établie chez la d’ici à cinq ans. p
souris par des chercheurs de l’Institut florence rosier
 RENDEZ-VOUS
8| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 21 JUIN 2023
« Comprendre l’évolution est important,
car elle nous lie au monde naturel »
ENTRETIEN - Le paléoanthropologue américain Donald Johanson, découvreur de Lucy, raconte
son lien avec la créature de 3,2 millions d’années, en marge d’un colloque en hommage à Yves Coppens
P
resque un an après la mort du
paléontologue Yves Coppens, un
colloque en son hommage, intitulé
« Les héritiers de Lucy », était orga-
nisé, les 15 et 16 juin au Collège de
France. L’occasion de revenir, près de cin-
quante ans après la découverte de la petite aus-
tralopithèque en Ethiopie, sur la place de cette
créature, datant de 3,2 millions d’années, dans
le toujours plus buissonnant rameau humain.
Donald Johanson (Institute of Human Origins,
université d’Etat de l’Arizona), qui dirigeait avec
le géologue français Maurice Taieb et Yves
Coppens la mission qui allait révéler au monde
cette icône, revient sur le jour où il l’a repérée
dans une zone perdue de l’Afar, en Ethiopie.
Pouvez-vous nous raconter ce fameux
dimanche 24 novembre 1974 ?
Nous étions dans notre deuxième saison de
terrain, nous savions qu’il y avait des restes
d’hominines à trouver parce que, l’année
précédente, nous avions découvert un genou
– mais nous ne savions pas à qui il appartenait.
Je m’apprêtais à remplir de la paperasse en re-
tard. Mais mon étudiant, Tom Gray, m’a indi-
qué que nous devions renseigner des lieux sur
notre carte de terrain, notamment un point
où, en 1973, un géologue avait trouvé un crâne
de cochon. Nous sommes partis ramasser cet
ossement et marquer l’endroit. Nous avons
prospecté alentour sans trouver grand-chose.
Puis nous sommes retournés à la voiture,
toujours les yeux rivés sur le sol.
Parce que les ossements sont directement
visibles à la surface, sans qu’il soit besoin
de creuser ?
Oui, ils sont dans du sédiment qui s’érode
progressivement. J’ai regardé par-dessus mon
épaule, et j’ai vu ce petit morceau d’os à la sur-
face, manifestement un fragment d’ulna, un os
de l’avant-bras qui s’insère dans l’humérus. Je
l’ai saisi et je me suis dit que cela ne provenait
pas d’un singe ni d’une antilope. J’ai dit à
Tom : « Je pense que ça vient d’un hominine »,
un ancêtre de l’homme.
Pouviez-vous directement l’assurer
à la première inspection ?
Vous savez, j’avais suivi deux cursus d’anato-
mie, dont un sur des singes que nous avions
disséqués. Et j’avais passé trois saisons de
fouilles dans la vallée de l’Omo [Ethiopie], où,
chaque fin de journée, je devais identifier
l’ensemble de spécimens trouvés, comparés à
un catalogue général. Ensuite, nous avons vu
des petits morceaux de crâne, puis une man-
dibule, la mâchoire inférieure. Nous avons re-
gardé la pente et nous avons vu d’autres frag-
ments, dont le fémur. Il était clair qu’il s’agis-
sait d’une sorte d’ancêtre humain. Le lende-
main, nous avons commencé à collecter des
données, à faire des relevés systématiques de
la zone et à ramasser toute la terre meuble que
nous avons finement tamisée pour récupérer
le moindre éclat d’os les jours suivants.
Comme un puzzle ?
Un puzzle en trois dimensions. Et, bien sûr, le
soir du jour où nous avons fait la découverte,
nous avons fêté ça au camp. Nous écoutions la
bande de l’album des Beatles Sgt. Pepper’s
Lonely Hearts Club Band. Ma petite amie m’a
demandé si je pensais que c’était une femelle.
J’ai répondu que oui, parce que sa troisième
molaire, une dent de sagesse, était déjà formée,
mais qu’elle était d’une stature très petite. Elle a
donc suggéré de l’appeler Lucy, comme dans la
chanson Lucy in the Sky With Diamonds. Le len-
demain, tous les membres de l’expédition se
demandaient si nous allions retourner sur le
site de Lucy, quel âge avait Lucy… C’est resté, il
n’y avait aucun moyen de changer ce nom.
Yves Coppens n’était-il pas avec vous ?
Il était alors à Paris, mais nous a rejoints très
rapidement. Il m’a demandé si nous savions à
qui nous avions affaire. J’ai répondu que ce
devait être un australopithèque, mais diffé-
rent de ceux retrouvés en Afrique du Sud.
Nous avons donc seulement annoncé la dé-
couverte d’un australopithèque, sans préciser
de nom d’espèce. Nous n’avons publié son
nom, Australopithecus afarensis, qu’en 1978.
Avez-vous jamais connu la même exultation
professionnelle que ce jour de 1974 ?
L’année précédente, lors de la découverte du
genou, j’avais eu l’impression que c’était trop
Donald Johanson, à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne, en novembre 2018. SILAS STEIN/DPA PICTURE-ALLIANCE VIA AFP
beau pour être vrai, car on n’avait encore ja-
mais trouvé d’hominine dans cette région
d’Ethiopie. Je n’arrivais pas à y croire. Cela sé-
curisait le financement de ces missions. Avec
Lucy, j’ai su immédiatement que c’était im-
portant parce que nous avions le squelette le
plus complet jamais retrouvé.
Et ensuite ?
Eh bien, l’année suivante, un médecin de
l’équipe a trouvé la première dent de ce qui al-
lait devenir la première famille afarensis [au
moins treize individus, adultes et enfants des
deux sexes]. Mais je ne l’avais pas réalisé avant
de rentrer aux Etats-Unis, quand le National
Geographic m’a demandé un article sur le sujet
et m’a proposé de l’intituler « La première
famille ». J’étais là, assis au laboratoire, avec un
étudiant, et tous ces spécimens que nous
avions pu emporter pour cinq ans parce qu’il
n’y avait pas d’université pour les étudier sur
place. J’ai réalisé, sans pouvoir le prouver, que
l’un de ces bébés pourrait être l’enfant d’un de
ces adultes. J’en ai eu la chair de poule.
Lors du colloque en hommage à Yves
Coppens, les arbres phylogénétiques présen-
tés suggèrent que la place de Lucy, cousine
d’une branche éteinte ou ancêtre directe,
reste débattue. Quelle est votre position ?
Quand Charles Darwin a publié L’Origine
des espèces, en 1859, il n’y avait qu’une seule
illustration, en noir et blanc, un arbre théori-
que, signifiant qu’il y a un ancêtre et des des-
cendants. La question que je me posais était
donc de savoir de quel ancêtre il pouvait
s’agir. Aujourd’hui, nous avons une idée as-
sez précise de l’origine de ces espèces. Zeray
Alemseged (université de Chicago) vient de
publier dans Nature un article sur le statut
des australopithèques.
En 1978, lors d’une conférence en Suède, j’ai
proposé que l’espèce afarensis soit le dernier
ancêtre commun aux australopithèques ulté-
rieurs et à notre propre genre Homo. Quelque
chose a provoqué la bifurcation de l’espèce
afarensis, qui a disparu il y a environ trois mil-
lions d’années, à un moment où il y a eu un
changement du climat. Je pense que certains
des descendants de Lucy avaient un régime
végétarien, tourné vers les herbes, comme
l’australopithèque boisei. Tandis qu’une autre
branche était plus adaptable face au change-
ment, moins spécialisée. Je pense que c’est pour
cela qu’Homo a survécu. Je suis très chanceux
que la prédiction que j’avais faite en 1978 se
retrouve dans cette publication de Zeray.
La découverte de Lucy a-t-elle eu un impact
sur le créationnisme, très fort aux Etats-Unis ?
Oui, c’est mieux aujourd’hui qu’il y a cin-
quante ans. Lors de conférences publiques, je
pose la question : « Qui croit à l’évolution dans
cette salle ? » Beaucoup de mains se lèvent,
mais beaucoup n’y croient pas. Je dis alors que
je ne crois pas à l’évolution et les gens lâchent
un « waouh ! », mais je poursuis en disant que
je ne crois pas plus en l’évolution qu’en la gra-
vité. Lâchez un objet, il chutera, c’est un fait,
pas une croyance. Nous connaissons l’ADN, les
acides aminés, les gènes. Nous savons que c’est
la base de toute vie sur la planète. Mais il est
impossible de discuter avec les créationnistes.
Je crois fermement que, s’il y a un créateur de
cette planète, son nom est Nature. Je ne peux
pas vous parler du début de l’Univers, il faudra
vous adresser à un autre scientifique. Mais le
fait est que la vie sur cette planète a évolué et
s’est transformée au cours de milliards d’an-
nées. Nous le savons. Et nous avons beaucoup
de chance d’être une créature qui a cette fasci-
nation pour ses racines. Je pense vraiment que
c’est un cadeau de naître. Si mes gènes étaient
juste un peu différents, je ne serais pas qui je
suis. Je pense que le savoir aide à combler le
fossé entre qui vous êtes et d’où vous venez, à
développer une perspective plus raisonnable
concernant le monde naturel.
Si je pense que Dieu est responsable de tout,
pourquoi s’en préoccuper ? Mais si nous som-
mes vraiment issus de la sélection naturelle,
nous sommes une espèce fragile, qui peut
disparaître parce que 98 % de toutes les espè-
ces qui ont vécu sur la planète ont disparu.
Pourquoi serions-nous différents ?
L’anti-évolution est une idée dangereuse
parce qu’elle permet aux gens de penser que
Dieu, qui qu’il soit, prendra soin d’eux. Je suis
donc assez convaincu que comprendre l’évolu-
tion est important parce qu’elle nous lie au
monde naturel. Et qu’ainsi nous nous sentons
un peu responsables de notre créateur. p
propos recueillis par
hervé morin
ZOOLOGIE
Comment les
fourmis perçoivent
l’odeur du danger
L a société des fourmis ne fait rien à la lé-
gère. Ni se jeter sur la première source
alimentaire venue, ni décider d’un lieu
de villégiature. Mais la fourmi n’est pas prê-
teuse, c’est bien connu. Aussi elle n’aban-
donne gîte et couvert qu’en cas de grand dan-
ger. L’une d’entre elles émet alors un signal
d’alarme et les autres lèvent instantanément
le camp. Depuis soixante-cinq ans, des scien-
tifiques de toutes obédiences se sont penchés
sur le phénomène. En commençant par mon-
trer la nature de ce signal : une phéromone,
autrement dit un composé chimique odo-
rant produit par l’animal pour communi-
quer. Dans la foulée, les myrmécologues ont
mis en évidence le rôle essentiel de l’odorat
chez ces insectes sociaux.
Mais comment ces signaux sont-ils traités
dans le système nerveux de l’animal ?
L’équipe de Daniel Kronauer, à l’université
Rockefeller de New York, a dévoilé, mercredi
14 juin, dans la revue Cell, ce qui se passe dans
les antennes de ces insectes, là où se situent
leurs bulbes olfactifs. Pour cela, ils ont com-
mencé par réaliser une prouesse scientifique :
la création de la première lignée de fourmis
transgéniques. Il faut dire que la fourmi
pilleuse Ooceraea biroi présente la particula-
rité de se reproduire par parthénogenèse. Pas
besoin, donc, de manipuler le génome de rei-
nes, en espérant une éventuelle transmission
à la descendance, ce que personne ne sait
faire. Il « suffit » d’intervenir sur celui d’une
ouvrière – ou plutôt de 4 000 d’entre elles –,
pour construire une lignée de clones.
En l’occurrence, Taylor Hart, la première si-
gnataire de l’article, a modifié le code généti-
que de l’insecte de façon à introduire une pro-
téine dans les neurones olfactifs de la fourmi.
Celle-ci devient fluorescente au contact du
calcium. Comme le niveau de calcium bondit
lorsque les neurones sont actifs, l’opération
permet de suivre l’activité des lobes anten-
naires. D’autant que les chercheurs ont pro-
fité de microscopes à deux photons, qui per-
mettent une observation en 3D des appendi-
ces. « Jusqu’ici, on regardait sous le réverbère,
nous avons pu regarder l’ensemble du pay-
sage », résume Daniel Kronauer.
Ce que les chercheurs new-yorkais ont dé-
couvert les a « beaucoup surpris ». On le savait,
le système olfactif de la fourmi est hyperdéve-
loppé, avec pas moins de 500 groupes de
synapses – nommés glomérules – associés à
autant de récepteurs odorants (contre
50 pour les mouches, 120 pour les abeilles).
Fourmis pilleuses « Ooceraea biroi ». DANIEL KRONAUER
En étudiant le traitement par les antennes
de quatre phéromones d’alarme, ils ont
constaté qu’à chaque fois, moins de six glo-
mérules étaient mobilisés. Très peu, donc.
Mieux : l’un d’eux se montre actif avec les
trois phéromones provoquant une réaction
de panique des fourmis et reste inactif face
au quatrième signal d’alarme, qui entraîne
une réaction plus mesurée des insectes. Un
« hub sensoriel » spécialisé, concluent les
auteurs de l’article.
Pour Patrizia d’Ettorre, professeur d’étholo-
gie à l’université Paris-XIII et spécialiste des
fourmis, « il est remarquable d’observer que,
malgré la complexité du système olfactif, les
fourmis ont conservé une extrême simplicité
pour répondre à des questions vitales. Le si-
gnal d’alarme, elles le traitent en ligne directe ».
Plus largement, elle salue « l’avancée techni-
que », qui « va permettre de beaucoup mieux
comprendre la neurobiologie des fourmis ».
Pour les New-Yorkais, le programme s’an-
nonce lourd. Ils entendent étendre leurs étu-
des à de nombreuses autres phéromones.
Regarder comment le statut social des four-
mis influence la perception des phéromo-
nes et si cette perception structure la divi-
sion du travail. Enfin, ils rêvent d’activer eux-
mêmes, chez les fourmis, les glomérules
d’alarme. Faire danser la fourmi, ne lui dé-
plaise : la cigale aurait apprécié. p
nathaniel herzberg