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Des Sarabaites A Lecclesiologie Copte Qu
Des Sarabaites A Lecclesiologie Copte Qu
D E COPTOLOGIE
L I L L E - PARIS '
C A H I E R S D E L A BIBLIOTHÈQUE COPTE zyxwvutsrqponmlkjihgfe
CENTRE DE RECHERCHES D'HISTOIRE DES RELIGIONS
DE L'UNIVERSITÉ DES SCIENCES HUMAINES DE STRASBOURG
13
D É J À P A R U S D A N SzyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
L A MÊME C O L L E C T I O N :
ÉTUDES COPTES V I I I
1. — ÉCRITURES E T T R A D I T I O N S D A N S L A LITTÉRATURE C O P T E (Journée
d'Études Coptes — Strasbourg 28 mai 1982),^ouvain, 1983 (vi-i70 pages)
[ÉTUDES COPTES I]
DIXIÈME JOURNÉE D'ÉTUDES
2. — M.O. STRASBACH - B . BARC, D I C T I O N N A I R E INVERSÉ D U COPTE, Louvain Lille 14-16 juin 2001
1984 (VI-192 pages)
3. — DEUXIÈME JOURNÉE D ' É T U D E S C O P T E S (Strasbourg 25 mai 1984), Lou-
vain, 1984 (VI-192 pages)
4. — ÉTUDES C O P T E S I I I (Troisième Journée d'Études — Musée du Louvre 23 éditées sous la direction de
mai 1986), Louvain-Paris, 1989 (vi-154 pages) Christian C A N N U Y E R
5. — H . D E VIS, HOMÉLIES C O P T E S D E L A V A T I C A N E I (réédition), Louvain-
Paris, 1990 (viii-220 pages)
avec le soutien de la
6. — H . DE VIS, HOMÉLIES C O P T E S D E L A V A T I C A N E I I (réédition), Louvain-
FACULTÉ DE THÉOLOGIE CATHOLIQUE DE L I L L E
Paris, 1990 (vii-315 pages)
7. — L ' E G Y P T E E N PÉRIGORD — DANS L E S PAS D E J E A N CLÉDAT (Catalogue
raisonné de l'exposition — Musée de Périgord), Louvain-Paris, 1991 (vi-121
pages)
8. — ÉTUDES C O P T E S I V (Quatrième Journée d'Études — Strasbourg 26-27 mai
1988), Louvain-Paris, 1994(vi-122 pages)
9. — CHRISTIANISME D ' E G Y P T E — HOMMAGES À RENÉ-GEORGES COQUIN,
Louvain-Paris, 1995 (vi-169 pages)
10. — ÉTUDES C O P T E S V (Sixième Journée d'Études — Limoges 18-20 juin 1993
& Septième Journée d'Études — Neuchâtel 18-20 mai 1995), Louvain-Paris,
1998 (x-200 pages)
11. — ÉTUDES C O P T E S V I (Huitième Journée d'Études — Colmar 29-31 mai 1997),
Louvain-Paris, 2000 (164 pages)
12. — É T U D E S C O P T E S V I I (Neuvième Journée d'Études — Montpellier 3-4 juin
1999), Louvain-Paris, 2000 (xiv-358 pages)
2003
DES SARABAÏTES À L'ECCLÉSIOLOGIE COPTE.
QUELQUES RÉFLEXIONS SUR L E « PHARAONISME PATRIARCAL »
DE L'ÉGLISE D ' E G Y P T E
par
Christian CANNUYER
' Cette communication intitulée «Encore la question des 'sarabaïtes' chez Jean Cassien » n'a
pu être publiée dans les Actes de ladite Journée : Études Coptes VU, sous la dir. de N. B O S S O N
{CBC, 12), Paris, Louvain, 2000. Dans l'avant-propos de ces Actes, p. V I I , Nathalie Bosson,
sur la foi d'une information que je lui avais donnée, annonçait la publication de mon étude sur
les sarabaïtes dans le numéro jubilaire de l'an 2000 du Bulletin de la Société d'Archéologie
Copte. E n réalité, elle a finalement paru, sous le titre L'identité des sarabaïtes, ces moines
d'Egypte que méprisait Jean Cassien, dans les Mélanges de Science Religieuse, 58/2 (2001),
pp. 7-19. Peu connus des coptologues, les Mélanges de Science Religieuse sont édités par
l'Université catholique de Lille ; pour toute commande ou information, contacter Martine Golon :
martine.golon@fupl.asso.fi-
- Mon excellent collègue et compatriote Alain D E L A T T R E , dans une lettre du 20 juillet 2001,
me fait d'ailleurs remarquer que dans la minuscule grecque du I X ' siècle, il y a aussi une grande
similitude entre KU) et B A . I , pouvant prêter à confusion, K U J s'écrit U . oo et B A I U - O J . C f V.
G A R D T H A U S E N , Griechische Palàographie. II Die Schrift, Unterschriften und Chronologie im
Altertum und im byzantinischen Mittelalter, 2' éd., Leipzig, 1919, p. 207, fig. 60 (voir aussi les
planches à la fin de l'ouvrage).
' Je renvoie ici à un essai de synthèse auquel je me suis employé : C. C A N N U Y E R , Le
monachisme copte (III'-VIL s.), données nouvelles des sources écrites et de l'archéologie, dans
Le Monachisme Syriaque aux premiers siècles de l'Église, colloque « Patrimoine Syriaque »,
Actes du Colloque V, 1.1, Beyrouth, 1998, pp. 85-86.
60 Christian C A N N U Y E R
dans les bourgs sans fixité et pratiquant un métier pour subvenir à leurs
besoins^ Avec le temps, le développement du monachisme régulier, que ce fût
le semi-anachorétisme antonien ou le cénobitisme pachômien, avait jeté le
discrédit sur cette forme de vie érémitique très ancienne mais non normée'.
Mon hypothèse d'une identification deszyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYX
sarabaitae aux cA.pxKUJTe aurait
pu jusque récemment être déforcée par le fait que ce terme copte n'est pas,
dans la documentation, attesté pour désigner des moines chrétiens ; son
emploi le plus connu se rencontre dans les textes manichéens, où il désigne
des missionnaires itinérants ou l'errance spirituelle de toute âme exilée dans
la matière^ Toutefois, l'usage de cA.pA.KU)Te pour évoquer aussi une catégorie
de moines chrétiens aux mœurs contestables est indirectement illustré par un
texte arabe qu'a récemment édité Ugo ZANETTI, La Vie de saint Jean,
higoumène de Scété au VIL siècle \s un premier temps, le P. Zanetti fut
' Sur ce point, une des meilleures spécialistes de la terminologie monastique primitive,
Françoise M O R A R D (cf. son travail fondamental, Monachos, Moine. Histoire du terme grec
jusqu 'au IV' siècle, dans Freiburger Zeitschrift fur Philosophie und Théologie, 20, 1973), ainsi
que Vincent D E S P R E Z , moine de Ligugé et auteur d'une synthèse remarquable sur Le monachisme
primitif des origines jusqu'au concile d'Éphèse (Spiritualité Orientale, 72), Abbaye de
Bellefontaine, 1998, m'ont affirmé par écrit avoir été convaincus par ma conclusion. L a seule
réserve qu'ils émettent concerne le tableau de la p. 13 et l'identification des catégories de moines
évoquées par Égérie. Pour F. Morard (lettre du 6 février 2002), « les apotactites d'Égérie pour-
raient être considérés comme des survivances de ces encratites qui, en Syrie-Mésopotamie, for-
maient, au début, l'élite de la communauté chrétienne, vivant dans cette communauté, à proxi-
mité des églises et dont Aphraate nous donne une idée dans sa septième Démonstration ». Pour
V. Desprez, mon équation entre les monazontes d'Égérie et les cénobites est sujette à discussion.
Chez Athanase, il semble à V. Desprez que les monazontes représentent des ascètes à l'ancienne
mode (c.-à-d. des sarabaïtes/saracôtes), tandis que les monachoi sont des ermites post-antoniens,
mais on est là en grec, non en latin. V. Desprez rapprocherait volontiers les ascites d'Égérie avec
les « ascètes supérieurs » de VEpistula Magna (CPG 2415/2) du Pseudo-Macaire, alias Macaire-
Syméon (cf. W. J A E G E R ,zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
TWO Rediscovered Works of Ancient Christian Literature : Gregory of
Nyssa and Macarius, Leyde, 1954, pp. 258-259) et de VHomélie II, 53, attribuée au même auteur,
§ 8-12 (voyez l'éd. de G . L . M A R R I O T T , Macarii Anecdota. Seven Unpublished Homilies of
Macarius, Harvard Theological Studies, 5, Cambridge Ma, 1918). Mais le contexte est-il le
même ? Je suis bien conscient que la terminologie employée par Égérie pose des problèmes déli-
cats d'interprétation et je n'y avais eu recours qu'incidemment. L'essentiel de mon argumenta-
tion reposait sur la comparaison entre les terminologies respectives de S. Jérôme, Jean Cassien et
S. Benoît, entre lequelles mon tableau des correspondances, art. cit. p. 13, me paraît difficilement
contestable.
• Les conclusions de mon étude rejoignent une intuition de C R U M (Coptic Dictionary, 354b),
rejetée selon moi à tort comme invraisemblable par J. H O R N , « Tria sunt gênera monachorum ».
Die dgyptischen Bezeichnungen fiir die 'dritte Art'des Mônchtums bel Hieronymus undJoannes
Cassianus, dans H. B E H L M E R (éd.), Quaerentes scientiam. Festgabe fîir W. Westendorf zu .seinem
70. Geburtstag, Gôttingen, 1994, pp. 63-82 ; je ne m'accorde absolument pas à l'hypothèse de
Horn, qui à la suite d'A. Alcock, fait dériver sarabaitae de *cA.-pA.YM, « homme de voisinage »,
terme non attesté par ailleurs et dont l'éventuel lien étymologique avec sarabaitae soulève de
sérieuses objections d'ordre morphologique et sémantique (voir pour le détail de mon argumen-
tation, mon art. cit., pp. 14 suiv.).
" P. N A G E L , Die Psalmoi Sarakoton des manichdischen Psalmbuches, dans OLZ, 62 (1967),
pp. 123-130 ; A. V I L L E Y , Psaumes des errants, écrits manichéens du Fayyûm, Paris, 1994.
' Dans Analecta Bollandiana, 114 (1996), pp. 273-405.
DES SARABAÏTES À L'ECCLÉSIOLOGIE COPTE 61
^5^3^!zyxwvutsrqponmlkjihgfed
intrigué par le sens et la vocalisation du terme arabezyxwvutsrqponmlkjihgfedc
, qui apparaît
à deux reprises dans ce récit hagiographique ( §§ 58 et 66, pp. 306-309) et
signale des chrétiens à la conduite scandaleuse. Sur une suggestion de Hans
Q U E C K E , Zanetti a finalement reconnu que ce mot,zyxwvutsrqponmlkjihgfedcba
sarâkûdâ, ne pouvait
représenter que la transcription du copte cxpARture*. Il est ainsi prouvé
qu'encore après la conquête musulmane, on affublait du sobriquet de
cA.pA.K(UTe des chrétiens qu'on jugeait peu fréquentables, sans doute des
moines gyrovagues et non réguliers. L'emploi de ce terme dans cette accep-
tion doit évidemment remonter à une époque antérieure. S'il fut d'abord
surtout utilisé par les cercles manichéens dans le sens de «ascète errant », il a
pu, peut-être par dérision, être ensuite attribué à des ermites chrétiens
vagabonds qui passaient pour dégénérés. Cela nous reporte immanquable-
ment à l'époque où les chrétiens égyptiens étaient en contact avec les
manichéens", notamment dans la seconde moitié du IV' siècle'", à l'époque de
Jean Cassien".
Or, i l se trouve qu'U. Zanetti incline à penser que les « saracôtes » de la
Vie de saint Jean de Scété pourraient bien être des moines mélitiens, dont
quelques communautés résiduelles, surtout composées de moines peu instru-
its issus de la paysannerie copte, aux coutumes archaïques et méprisées, sub-
sistèrent jusqu'en plein VHP siècle'-. C'est bien possible : je note que dans
les Canons d'Athanase, CA.pA.KU)T6 correspond à l'arabe J l ^ l , «les igno-
* *
" P. M A R A V A L , zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
op. cit., pp. 888.
de Nicée jette en effet les bases d'une Église dont l'évêque d'Alexandrie est
le seul chef incontesté. Pour cette raison, l'institution métropolitaine ne s'est
jamais développée en Egypte". Quand, après Chalcédoine (451) et plus
encore après la conquête musulmane, l'Église copte s'est trouvée isolée et
complètement séparée de l'Église impériale, son caractère monocéphale s'est
encore accentué : le patriarche d'Alexandrie a réuni toute l'autorité entre ses
mains-". Bien que ce soit pour des raisons historiques différentes, l'Église
copte, de nos jours encore, n'est pas très éloignée du modèle « pétrinien » de
l'Église romaine, dont elle surpasse peut-être même la nature monarchique. Il
est d'ailleurs significatif de constater que son chef est le seul, avec celui de
l'Église romaine, qui porte constamment le titre de « pape »-', « Père »^°.
nelle chiese cristiane di Oriente e Occidente, dans Actes du XII' Congrès des Orientalsites, III/2,
1904, pp. 4 7 - 1 0 0 ; R D E L A B R I O L L E , Une esquisse de l'histoire du mot « papa », dans Bulletin
d'ancienne littérature et d'archéologie chrétienne, 1 ( 1 9 1 1 ) , pp. 2 1 5 - 2 2 0 ; H. L E C L E R C Q , Papa
dans DACL, I , Paris, 1911, pp. 2 1 5 - 2 2 0 .
" H. B R A K M A N N , Die Einwurzelung der Kirche im spatantiken Reich von Aksum, Bonn, 1994,
pp. 5 8 - 6 0 ; C . C A N N U Y E R , AUX origines de l'Église éthiopienne, dans Revue d'Histoire
Ecclésiastique, 9 1 / 3 - 4 ( 1 9 9 6 ) , p. 8 6 6 .
Il n'y eut que deux exceptions : sous le règne de Zar'a Yâ'eqob ( 1 4 3 4 - 1 4 6 8 ) , qui reçut un
second hiérarque, et sous Yohannes I V ( 1 8 7 2 - 1 8 8 9 ) , qui obtint non sans mal un véritable métro-
polite et trois évêques.
" K . S T O F F R E G E N - P E D E R S E N , Les Éthiopiens (Fils d'Abraham), Tumhout - Maredsous, 1990,
p. 155.
" Pendant l'occupation de l'Ethiopie par l'Italie mussolinieime ( 1 9 3 6 - 4 1 ) , les Italiens avaient
déjà, motu proprio, érigé l'Église locale en patriarcat autocéphale (1937), à la tête duquel ils
avaient placé comme patriarche l'un des évêques autochtones nommés en 1929, 'Abuna
' Abrehâm, aussitôt excommunié par Alexandrie. Rétabli sur son trône, Haïlé Sélassié n'avait pas
voulu entériner le fait accompli, par fidélité envers le Siège alexandrin, mais il ne cessa plus de
négocier avec ce dernier pour obtenir l'autocéphalie complète et légitime de l'Église d'Ethiopie.
Sur tout cela, voyez K . S T O F F R E G E N - P E D E R S E N . op. cit., pp. 156-157; O . F.A. M E I N A R D U S ,
Christian Egypt. Faith and Life, Le Caire, 1970, pp. 3 6 9 - 3 9 8 ; S. M U N R O - H A Y , Ethiopia and
Alexandria: The Metropolitan Episcopacy of Ethiopia, Wiesbaden - Varsovie, 1997; M. B O U T R O S
G H A L I , Ethiopian Church Autocephaly, dans CE, pp. 9 8 0 - 9 8 4 . Lorsqu'en 1998, le patriarche
Shenouda III a avalisé la sécession de l'Église d'Erythrée de celle d'Ethiopie et consacré le pre-
mier patriarche érythréen Philippos I", il a de nouveau manifesté Vexousia plénière revendiquée
par le Siège d'Alexandrie sur l'Église d'Abyssinie.
D E S SARABAÏTES À L'ECCLÉSIOLOGIE COPTE 67
" De 1216 à 1235 et de 1243 à 1250, le siège patriarcal resta ainsi vacant, au point qu'il ne
subsista plus, à un moment donné, que deux malheureux évêques pour toute l'Egypte, ce qui
montre bien que seul le patriarche pouvait en consacrer. Le pontificat de Cyrille III ibn Laqlaq
(1235-1240) fut, quant à lui, très troublé ; ce patriarche dut avaliser les décisions d'un synode
réuni contre lui (cf l'article de Subhi L A B I B , dans CE, III, p. 677 ; O.H.E. B U R M E S T E R , The
Canons of Cyril III ibn Laqlaq. 7S" Patriarch of Alexandria, dans BSAC,\2{\, pp. 85-
111 ; I D . et A. K H A T E R , History of the Patriarchs ofthe Egyptian Church, IV/1 -2, Le Caire, 1974:
A. S i D A R U S , Essai sur l'âge d'or de la littérature copte arabe (13'-I4'' siècles), dans Proceedings
ofthe Vth International Congress of Coptic Studies (Washington, 1992), 1993, pp. 443-462.
" C f A. W A D I , Studio su al-Mut'taman Ibn al-'Assâl (Studia Orientalia Christiana -
Monographiae, 5), Le Caire - Jérusalem, 1997.
" Édition en cours du texte arabe dans les Studia Orientalia Christiana - Monographiae, 7b, et
de la traduction italienne accompagnée de notes par Bartolomeo P I R O N E , dans la même collection,
vol. 9.
Dans la même veine : J E A N I B N S A B À ' (début X I V siècle), La perle précieuse (ch. I-LVI),
éd. J . P É R i E R (Patrologia Orientalis, XVI/4), Paris, 1922, chapitre 51 : « Le patriarche, par son
ordre, est le Père des Pères, le chef des chefs. Il bénit et ne reçoit pas de bénédictions... Aucun
évêque ou métropolitain n'est autorisé à faire visite au roi, sans la permission et la licence du
patriarche ».
C f B. L . C A R T E R , The Copts in Egyptian Politics 1918-1952, Le Caire, 1986, pp. 26-43 ;
C. C A N N U Y E R , Les Coptes, pp. 47-48.
* Sur la manière dont l'actuel pape Shenouda III gouverne son Église et les communautés
coptes de la diaspora, mais aussi sur les critiques que suscite son autoritarisme, voir : P. M A R T I N ,
68 Christian C A N N U Y E R
*
* *
Si l'on se retourne à nouveau vers le passé, trois figures emblématiques de
l'autoritarisme avec lequel les évêques d'Alexandrie ont tôt conçu leur rôle à
la tête de l'Église égyptienne, sont certainement Athanase, Théophile et son
neveu Cyrille. Une quasi-autocratie^' dont le pontife alexandrin entendait
d'ailleurs faire sentir les effets jusqu'au-dehors de l'Egypte"-. Athanase (pont.
328-373) est tout auréolé d'avoir été le défenseur opiniâtre de la foi de Nicée,
mais ses premiers démêlés avec ses fi-ères dans l'épiscopat fiirent sans doute
suscités par ses méthodes autoritaires : ce n'est pas sans raison qu'il fut
déposé au concile de Tyr (335) et exilé par l'empereur Constantin pour avoir
usé de violences contre des prêtres et des évêques autrefois mélitiens ; on l'ac-
cusait même d'avoir été l'instigateur du meurtre de l'évêque Arsénios.
Accusation vraisembablement fausse mais, pour sûr, Athanase entendait
diriger son Église d'une main dezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQ
fef\e Théophile (pont. 386-412)"^ on
retient surtout la rage avec laquelle il incita en 391 à la persécution du paga-
nisme après l'Édit de Théodose interdisant les sacrifices sanglants"', mais
aussi les déplorables méthodes qu'il mit en œuvre contre Jean Chrysostome'^
et qui aboutirent à la déposition de ce dernier par le synode du Chêne en 403
et à son douloureux exil. Quant à Cyrille (pont. 412-444), ses empiétements
constants sur le pouvoir civil — qui engendrèrent des tensions gravissimes
avec le préfet augustal Oreste — se concrétisent dans la lutte qu'il mena sans
indulgence contre les hérétiques"', son rôle personnel dans le pogrom anti-juif
de 414/15"" et dans le répugnant lynchage de la malheureuse philosophe
païenne Hypatie"" ; au service de sa politique interventionniste et musclée,
Cyrille pouvait compter sur les quelques centaines dezyxwvutsrqponmlkjihgfedc
parabalans — à l'orig-
ine les infirmiers de l'Église d'Alexandrie, devenus une sorte de corporation
de barbouzes à la dévotion du patriarche'" —, toujours prêts à faire le coup de
main ; la manière dont il mena, au mépris de toutes les règles, le concile
d'Éphèse (431) et poussa à la condamnation hâtive de Nestorius révèle toute
la démesure d'une volonté de domination sans borne". Comment s'étonner
* Lequel avait eu le mauvais goût d'accueillir à Nitrie les Longs Frères, moines origénistes
de Nitrie rebelles aux diktats théologiques de Théophile. Cf. J.-M. L E R O U X , Jean Chrysostome et
la querelle origéniste, dans Epektasis, Paris, 1972, pp. 335-341.
" C f p. ex. C. H A A S , op. cit., p. 299 (avec bibliographie).
" Il a lui-même encouragé le pillage des synagogues et l'expulsion d'un grand nombre des
Juifs d'Alexandrie, réduisant dramatiquement leur communauté. H.I. B E L L , Anti-Semitism in
Alexandria dans Journal of Roman Studies, 31 (1941), pp. 1-18 ; F. LovsKY, Antisémitisme et
mystère d'Israël, Paris, 1955, pp. 56-61 ; C. H A A S , op. cit., pp. 299-305. Que les Juifs aient été,
dans ce conflit, eux-mêmes coupables de graves violences voire d'un massacre de chrétiens n'ex-
cuse pas totalement l'attitude de Cyrille auquel, pour ma part, je refuse depuis longtemps le qual-
ificatif de « saint », n'en déplaise à mes amis coptes (mais même A . S . A T I Y A , Cyril I, dans CE,
p. 672, concède, visiblement un peu mal à l'aise, qu'il était un « implacable fighter »).
La tentative de J. R O U G É {La politique de Cyrille d'Alexandrie et le meurtre d'Hypatie,
dans Cristianesimo nella Storia, U , 1990, pp. 485-504) d'amoindrir la responsabilité de Cyrille
dans cette affaire, de la lier presque exclusivement à la rivalité qui l'opposait au préfet Oreste et
de présenter le bouillant Alexandrin comme un évêque ni plus ni moins violent que les autres
n'est pas tout à fait convaincante, ou plutôt elle n'enlève rien à l'antipathie que peut susciter le
personnage. On verra aussi M. D Z I E L S K A , Hypatia of Alexandria, Cambridge Ma, 1998, pp. 85-
100 et C. H A A S , op. cit., pp. 307-315, avec une riche note bibliographique (n. 61, p. 467) sur les
historiens qui, au regard de cette horreur, furent plutôt favorables ou plutôt défavorables à Cyrille.
Haas cite le célèbre jugement de Gibbon (chap. 47 de son Décline and Fall of the Roman
Empire), auquel je continue pour ma part de souscrire : « The murder of Hypatia has inprinted an
indelible stain on the character and religion of Cyril of Alexandria ».
Après le meurtre d'Hypatie, Théodose édicta en 416 une loi pour restreindre leurs activités
« non hospitalières », mais ils furent encore les ordonnateurs des basses besognes du patriarche
Dioscore lors du « Brigandage d'Éphèse » en 439. C f A. P H I L P S B O R N , La Compagnie d'ambu-
lanciers « parabalani » d'Alexandrie, dans Byzantion, 20 (1950), pp. 185-190 ; W. S C H U B A R T ,
Parabalani, dans Journal of Egyptian Archaeology, 40 (1954), pp. 97-101.
" E n fait, comme l'a si bien montré l'une des dernières études du regretté Père André D E
HALLEUX, Nestorius. Histoire et Doctrine, dans Irénikon, 66 (1993), pp. 38-50 et 163-178, ce
concile fut surtout un procès inique (« tenu dans l'illégalité par un tribunal où le juge était aussi
l'accusateur », p. 45) et un véritable déni de justice. Au demeurant, la querelle entre Cyrille et
Nestorius semble avoir eu pour cause initiale non pas un problème de christologie mais bien le
fait que des clercs alexandrins s'étaient plaints à Constantinople d'avoir été malmenés par leur
évêque (p. 40) !
70 Christian C A N N U Y E R
que moins de vingt ans plus tard, en 449, à l'occasion de ce qu'il est convenu
d'appeler « le Brigandage d'Éphèse »zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZ
(latrocinium Ephesinum), son suc-
cesseur Dioscore ait cru pouvoir recourir aux mêmes procédés pour imposer
ses vues. Hélas pour l'Égyptien, le vent de l'histoire avait tourné à
Constantinople et en 451 c'est lui qui se trouverait bientôt anathématisé par le
concile de Chalcédoine".
À ce point de la réflexion, on peut se poser la question de l'origine d'une
telle propension centralisatrice et autoritaire du patriarcat d'Alexandrie. N'y
aurait-il pas là un héritage plus ou moins inconscient et implicite du modèle
centralisateur de l'État pharaonique Plus que beaucoup d'autres dans l'an-
tiquité, l'État pharaonique, aux meilleurs temps de son histoire, se caractérise
en effet par une hyper-centralisation du pouvoir entre les mains du roi. Juste
avant l'ère chrétienne, les derniers rois indépendants, les Lagides, quoiqu'ils
fussent grecs d'origine, avaient d'ailleurs renoué avec l'absolutisme des sou-
verains indigènes, reprenant à leur bénéfice la sacralisation du pouvoir carac-
téristique de la religion traditionnelle-". Au service de cette idéologie, ils
s'efforcèrent de renforcer l'organisation et la centralisation des clergés
de la Vallée du Nil". Les empereurs romains qui leur succédèrent
n'agirent pas autrement : se posant en successeurs des pharaons'^ ils garrot-
tèrent littéralement les milieux sacerdotaux en les soumettant à la surveillance
Que, non sans humour ni pertinence, certains de nos amis coptes appellent le « Brigandage
de Chalcédoine ». E n fait, ces conciles furent aussi de solides foires d'empoigne politique. Selon
ou non qu'ils parvinrent finalement à rallier une majorité dans l'Église et surtout à s'assurer l'ap-
pui de l'Empereur, ils furent ensuite reconnus comme « œcuméniques ». Sinon, l'historiographie
officielle de l'orthodoxie les rejeta dans les oubliettes de l'histoire. En réalité, Éphèse I ( 4 3 1 ) n'a
certainement pas été un moindre « brigandage » qu'Éphèse I I ( 4 4 9 ) : ces deux conciles ont été
conduits par les évêques d'Alexandrie comme des instruments au service de leur puissance. Mais
seul Éphèse I I fut ensuite officiellement discrédité : malheur aux vaincus ! Se reporter à
l'étude classique de R T . C A M E L O T , Éphèse et Chalcédoine, Paris, 1 9 6 2 .
" J'ai déjà posé cette question dans une étude précédente : C. C A N N U Y E R , Paternité et filia-
tion spirituelles enzyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHG
Egypte pharaonique et copte, dans I D . et J.-M. K R U C H T E N , Individu, société et
spiritualité dans l Egypte pharaonique et copte. Mélanges égyptologiques offerts au Professeur
Arisitide Théodoridès, Ath - Bruxelles - Mons, 1993, pp. 59-86, spéc. pp. 6 3 et 83.
L. K o E N E N , Die Adaptation Àgyptischer Kônigsideologie am Ptolemderhof dans Egypt
and the Hellenistic World, Louvain, 1 9 8 3 , pp. 1 4 3 - 1 9 0 ; R D U N A N D , dans E D U N A N D et C. Z i v i E -
C O C H E , Dieu.x et hommes en Égvple, Paris, 1 9 9 1 , pp. 1 9 9 - 2 1 3 .
* Avec une différence de taille, toutefois : leur titulature pharaonique comporte désormais
une allusion au fait qu'ils sont des souverains étrangers et que leur qualité de « pharaon » ne
provient plus de leur intronisation par les dieux de l'Egypte mais de Vimperium à eux conféré par
le sénat et le peuple romains. C f J.-C. G R E N I E R , Le protocole pharaonique des empereurs
romains (analyse formelle et signification historique), dans Revue dÉgyptologie, 38 (1987),
pp. 81-104 ; I D . , Les titulatures des empereurs romains dans les documents en langue égyptienne
(Papyrologica Bruxellensia, 2 2 ) , Bruxelles, 1989. Le lien personnel unissant l'Egypte à
l'empereur était concrétisé, comme on le sait bien, par le régime administratif spécial de cette
« province » gouvernée par un préfet (praefectus Aegypti), qui était un chevalier romain et non
D E S SARABAÏTES À L'ECCLÉSIOLOGIE COPTE 71
un sénateur ; nommé par l'empereur lui-même, il n'était responsable que devant lui et non devant
le sénat ( B O W M A N ,zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCB
op. cit., pp. 65-78 ; M. S A R T R E , L'empereur, le préfet, la province, danszyxwvutsr
Egypte
romaine, l'autre Egypte, cat. exposition Marseille, 4/4-13/7 1997, pp. 41-45.).
" Depuis Athanase, ils sont presque exclusivement choisis parmi les moines, principe qu'on
retrouve dans les autres Églises orientales, le célibat étant imposé aux évêques (contrairement aux
prêtres qui peuvent être mariés). Cf. H . B A C H T , Die Rolle des orientalischen Mônchtums in den
kirchenpolitischen Auseinandersetzungen um Chalkedon (431-519), dans A. G R I L L M E I E R et I D . ,
Das Konzil von Chalkedon, I I , 2' éd., Wurzbourg, 1969, p. 303 et n. 52.
-* Le patriarche choisit en fait lui même ses évêques et procède seul à leur ordination, con-
trairement aux règles édictées à ce sujet par le concile de Nicée ; c f E . W I P S Z Y C K A , Patriarcha
aleksandiyjski i Jego biskupi (IV-VII w.), dans Przeglad Histoiyczny, 73 (1982), pp. 177-193 ;
R. B A G N A L L , op. cit., p. 286. Encore aujourd'hui, dans l'Église copte orthodoxe, le patriarche
reste le consécrateur obligé de tout nouvel évêque (cf l'espèce de catéchisme publié en plusieurs
volumes par l'évêque Mettaous, supérieur du monastère du Deir as-Souriân, The Sacrament of
Church, 1 Priesthood, St Mina Monastery Press, 2000, pp. 143 et suiv.).
^ M. K R A U S E , Das christliche Alexandrien und seine Beziehungen zum koptischen Agypten,
dans N. H I N S K E (éd.), Alexandrien. Kulturbegegnungen dreier Jahrtausende im Schmelztiegel
einer mediterranen Grofistadt (Aegyptica Treverensia, 1), Mayence, 1981, p. 54.
" Cf. C. C A N N U Y E R , Variations sur le thème de la ville dans les ma.ximes sapientiales de
l'Egypte ancienne, dans Chronique d'Egypte, 64 (1989), pp. 44-54, spéc. p. 44.
" S'il y a un pays où se vérifie im certain déterminisme géographique, c'est bien l'Egypte.
Sans doute l'émergence très précoce d'une monarchie sacrée et absolue, d'un État puissamment
organisé et centralisé, dès le début du I I L millénaire av. n.-è., tient-elle en partie à la singularité
géographique, partant culturelle de la Vallée du Nil. B . J . K E M P , Ancient Egypt, Anatomy of a
Civilization, Londres- New York, 1989, spéc. pp. 31 et suiv.
l izyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDC
Christian C A N N U Y E R
* *
Récemment toutefois, dans les Mélanges rassemblés en mémoire du
regretté Jan Quaegebeur"-, Hans Hauben a, par un article fort bien documen-
té et intelligent, critiqué le recours à ce texte pour justifier l'habitude que
nombres de chercheurs''', dont moi-même*", ont prise de qualifier l'Église
copte ancienne de « pharaonisme patriarcal ». Dans cette étude, Hauben mon-
tre que le qualificatif disqualifiant de « pharaon » lithomaniaque" n'a été
appliqué au seul Théophile que dans le contexte de l'apologie de son rival
Jean Chrysostome ; le reproche de se conduire tel un « pharaon » ne lui a en
fait été adressé que par Jean Chrysostome lui-même, par Pallade
d'Hélénopolis et par Isidore de Péluse ; l'accusation de « pharaonisme litho-
maniaque » se retrouve aussi dans une œuvre beaucoup plus tardive, la Vie de
Jean, écrite vers 680 par Théodore de Trimithus"'. Selon Hauben, sous la
plume d'Isidore, la comparaison de Théophile avec un pharaon ne comportait
aucune allusion au contexte spécifiquement égyptien, qu'il fut ecclésial, poli-
tique ou culturel : le texte d'Isidore fait manifestement référence au Pharaon
de la Bible, au tyran du livre de I Exode. Pharaon est vme figure de toute
comme une opposition nationaliste copte à l'égard des Grecs (W.H.C. P R E N D , The Rise ofthe
Monophysite Movement, 2' éd., Cambridge, 1979 ; I D . , Nationalism as factor in antichalcedon-
ian feeling in Egypt, dans Studies in Church histoiy, 18 [1982], pp. 39-46); Ewa W I P S Z Y C K A a
mis pertinemment en garde contre cette manière anachronique de voir, qui ne trouve aucune jus-
tification dans la documentation : cf. sa remarquable étude Le nationalisme a-t-il existé dans
l'Egypte Byzantine, dans The Journal of Juristic Papyrology 22 (1982), pp. 83-128 (repris dans
Etudes sur le christianisme dans l'Egypte de l'Antiquité tardive [Studia Ephemeridis
Agustinianum, 52], Rome, 1996, pp. 9-61). Qu'aucun « nationalisme » n'ait travaillé la société
égyptierme à l'époque byzantine, j'en conviens aisément, si l'on entend le terme au sens du X I X '
siècle; il n'en demeure pas moins que l'Église et son patriarche représentaient bien une certaine
« conscience nationale » (je maintiens ce que j'ai écrit dans Les Coptes, p. 23) ou, mieux, une
« conscience égyptienne ». Il faut distinguer « nationalisme » et « conscience régionale » (cf les
remarques judicieuses et pleines de finesse de D. F R A N K F U R T E R , Elijah in Upper Egypt. The
Apocalypse of Elijah and Early Egyptian Christianity, Minneapolis, 1993, spéc. pp. 253-257).
Faute de le faire, le débat sur cette question se radicalise inutilement. Pour une évaluation
nuancée d'une conscience « identitaire » égyptienne manifestée par l'opposition au pouvoir
« étranger » dès les époques ptolémaïque et romaine, voir A. B L A S I U S , Zur Frage des geistigen
Widerstandes im griechisch-romischen Agypten — Die historische Situation, dans I D . et B . U .
S C H I P P E R (éd.), Apokalyptik und Àgypten. Eine kritische Analyse der relevanten Texte aus dem
griechisch-romischen Àgypten (OLA, 107), Louvain, 2002, pp. 41-62 (avec une abondante
bibliographie sur le sujet).
74 Christian C A N N U Y E R
Cela étant, dans le cas du texte d'Isidore, qui était Égyptien de souche et
n'a probablement jamais quitté son pays'", comment soutenir que le recours à
l'image du « pharaon » pour déprécier Théophile ne revêtait pas une colo-
ration plus marquée qu'ailleurs ?" C'est bien sur ce point que je ne peux sui-
vre entièrement H. Hauben et que, sans doute, celui-ci ne me suivra pas.
J'estime en effet que sa position est trop radicale quand il écrit (p. 1351) :
« Even in Egypt people do not seem to have been really aware of their 'nation-
al' past. So, when Christians in Egypt as well as abroad talked or were told
about 'Pharaoh', they ail thought of him in pureley biblical terms ». Certes,
en Théophile les partisans de Chrysostome reconnaissaient et flétrissaient
l'égal du pharaon de Moïse, mais c'est parce que dans le pays de cet autocrate
d'antan, chacun pouvait constater que Théophile renouait avec le fîl de la tra-
dition indigène en se conduisant réellement en monarque absolu, grand ama-
teur de monuments et de trésors'-. Hauben semble oublier qu'à l'époque de
Théophile (fin du IV' siècle), la culture" et le paganisme égyptien tradition-
nels était encore vivants'" et que pour bon nombre d'Égyptiens contemporains
du patriarche le mot « pharaon » devait encore renvoyer directement à l'his-
toire indigène et pas seulement à une référence biblique" : l'ultime empereur
™ Prêtre natif de Péluse, il fit sans doute des études à Alexandrie et passa le reste de sa vie
dans un monastère de sa ville natale, où il mourut vers 435. P. E V I E U X ,zyxwvutsrqponmlkjihgfedcba
Isidore de Péluse. État des
recherches, dans Recherches de Science Religieuse, 64 (1976), pp. 321-340.
" Me permettra-t-on une comparaison un peu audacieuse ? Si, en Italie, un homme politique
de gauche traite aujourd'hui le premier ministre Silvio Berlusconi de « Mussolini au petit pied »,
cela n'a évidemment pas la même résonance que si cette épithète est flanquée à la tête d'un
dirigeant dans un autre pays. La nuance est sans doute subtile mais elle est réelle.
'- La même ambiguïté se retrouve dans l'emploi du terme arabe///'WM/;, « pharaon », par les
islamistes actuels lorsqu'ils veulent dénoncer un chef d'État à leurs yeux illégitime, despotique
et infidèle aux principes de l'islam. L a figure est évidemment directement issue de la symbolique
coranique ; dans le Coran comme dans la Bible, le Pharaon est le paradigme même du mauvais
roi qui fait souffrir le peuple et offense Dieu {Fir 'awn, dans Enc. Islam, II, 938-39). Mais il est
clair qu'utilisé par les islamistes égyptiens, le terme a une portée plus précise et plus forte
qu'ailleurs. Lorsqu'en octobre 1981, Khalid al-Islambouli a assassiné le président Sadate, il n'a
pas hésité à proclamer, lors de son arrestation : « J'ai tué Pharaon ! » (d'où le titre du livre de G.
K E P E L , Le Prophète et le Pharaon. Au.x sources des mouvements islamistes, 2' éd., Paris, 1993,
voir spéc. les pp. 207-240). Au pays de Chéops, c'était significatif : l'insurgé voulait clairement
dire par là qu'à ses yeux l'autoritarisme du régime égyptien ne faisait que s'inscrire dans la con-
tinuité du régime pharaonique et du paganisme.
" La dernière inscription hiéroglyphique attestée date de 394 (H. S T E R N B E R G - E L H O T A B I , Der
Untergang der Hieroglyphenschrift, dans Chronique d'Egypte, 69 [1994], p. 218), mais les
derniers textes démotiques connus sont les graffiti 365 et 377 de Philae, datés de 452 ! (cf P.W.
P E S T M A N , Chronologie égyptienne d'après les textes démotiques [Papyrologica Lugduno-Batava,
15], 1967, p. 127).
R. R É M O N D O N , L'Egypte et la suprême résistance au christianisme, dans BIFAO, 51 (1952),
pp. 62-78. L . K À K O S Y , Die àgyptische Religion unter Constantinus undseinen nachfolgern, dans
Acta Classica Univ Scient. Debrecen, X I X (1983), pp. 107-112: I D . , Das Ende des Heidentums
in Àgypten, dans P. N A G E L (éd.), Graeco-coptica. Griechen und Kopten im byzantinischen
Àgypten, Halle, 1984, pp. 61-76.
De même, quand Hauben (p. 1351, se référant à A. C A M P L A N I , Le lettere jestali di Atanasio
di Alessandria. Studio storico-critico, Rome, 1989, p. 216), fait remarquer que le terme
DES SARABAÏTES À L'ECCLÉSIOLOGIE COPTE 75
« Egypte », chez Athanase, peut désigner 1' « hérésie », cela me semble évidemment indis-
sociable, chez le patriarche, d'une attitude négative envers l'ancienne religion de son propre peu-
ple, qui, de son temps, était loin d'être morte et dont les derniers fidèles étaient les ennemis jurés
de l'Église, à l'instar des hérétiques.
(3M! M) G ^ E S ^ , se lit K'-js^rs
" Le double cartouche de Maximin Daïa,zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSR
'Iwlyrs M'kinws, soit Kaisaros Oualerios Mak(sim)inos. Cf. H . G R É G O I R E , L'énigme de Tahta,
àaxis Chronique d'Egypte, 15(1940)pp. 119-123 ; J.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJ
VONBECKERATH, Handbuch der Àgyptischen
Kônigsnamen (MÀS, 49), 2' éd., Mayence, 1999, pp. 266-267.
" Un exemple frappant : à Ermant, en Thébaïde, la stèle funéraire d'un taureau sacré
Boukhis, sans doute le demier de son esf)èce, porte trois dates : l'an 33, l'an 39 et le 8 Hathyr de
l'an 57 du « pharaon » Dioclétien, lequel n'a régné que de 284 à 305, soit onze ans ! « Que sig-
nifient donc ces trois dates correspondant successivement aux années 316/317, 322/323 et au
4 novembre 340 ? — se demande J.-C. G R E N I E R , dans Egypte romaine, op. cit., p. 40 —. Cette
ère 'païenne' de Dioclétien (qui n'est pas à confondre avec l'ère copte dire 'des Martyrs') se ren-
contre pour dater de l'an 33 (316/317) à l'an 173 (456/457) une série de documents qui, avec
notre stèle, sont tous le fait de tenants des croyances et coutumes traditionnelles (horoscopes,
grafïïtes démotiques et grecs des derniers prêtres et fidèles de l'Isis de Philae). Il est révélateur
de noter que cette ère n'apparaît qu'... en 316/317, au lendemain de l'élimination en 313 de
Maximin Daïa qui, pendant son règne en Orient (305-313), avait favorisé la reprise du paganisme
et des cultes indigènes, au lendemain surtout de la promulgation par Constantin de l'édit de Milan
(daté lui aussi de 313) qui, on le sait, reconnaissait officiellement l'existence du christianisme...
Au début du règne de Constance II, lorsque les prêtres d'Ermant, le 4 novembre 340, refermèrent
la tombe de leur taureau, ils savaient qu'ils ne pouvaient pas dater leur acte pieux du nom d'un
prince qui, sans être vraiment lui-même 'chrétien', contribuait au triomphe d'une religion qui
excluait toutes les autres et proclamait sa détermination à s'établir sur leur ruine » (voir aussi
J.-C. G R E N I E R , La stèle funéraire du dernier taureau Boukhis, dans BIFAO, 83 [1983], pp. 197-
209). Jusqu'en plein V' siècle donc, la « fiction pharaonique » a fonctionné dans les milieux
païens.
™ Il est piquant de constater que ce n'est pas moi mais H A U B E N lui-même, dans un addendum
à son art. cit., p. 1352, qui repère en dernière minute cette accusation portée contre Dioscore, ce
qui me paraît en fait conforter mon argumentation et non la sienne. Selon les Actes du concile de
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hiérarques à avoir subi le même sort. Et c'est en cela qu'il reste, selon moi,
légitime de se poser la question d'une sorte de continuité souterraine entre le
modèle pharaonique et le modèle patriarcal égyptiens.
Toujours est-il que la tonalité originale de l'ecclésiologie copte au sein des
ecclésiologies orientales mériterait sans doute un examen approfondi".
L'ecclésiologie de type « monarchique » qu'a développée Alexandrie à partir
du IIP siècle procède sans doute de facteurs multiples, elle a connu au fil de
l'histoire des infléchissements et des raidissements, et elle évoluera encore.
Il serait faux de dire qu'elle est congénitale au christianisme égyptien"" —
l'ecclésiologie de Cyrille n'est certes pas celle de Clément d'Alexandrie ou
d'Origène"' —, mais il serait aussi certainement prématuré d'affirmer qu'elle
ne doit absolument rien aux traditions centralisatrices et monocratiques de
l'ancienne culture pharaonique"'.
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mulant xv-xx
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