Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Kern 1879-80 Inscription de Prea Khan
Kern 1879-80 Inscription de Prea Khan
L’EXTRÊME ORIENT DE
B U L L E T I N
DE LA
SOUS LA DIRECTION DU
TOME SECOND
JUILLET 1879 — J U I N 1880
PARIS
CHALLAMEL AINÉ, LIBRAIRE - ÉDITEUR
Dépositaire des cartes et instructions de la marine française.
5, RUE JACOB, 5
Et chez les principaux Libraires en France et à l’Etranger.
Inscription de Préa-Khang (Compong-Soai)
INSCRIPTIONS CAMBODGIENNES
p a r le D o c t e u r H. K e r n ,
ARTICLE 1 er .
(1) La lecture du texte est difficile et la transcription incertaine; sha(m)dî est une or-
thographe peut-être peu correcte, mais certainement très usitée pour shandhî. Les dic-
tionnaires ne connaissent pas shandhî (shandî) comme un nom de Durgâ, mais le masc.
shandha étant une des épithètes de Çiva, il suit que le mot féminin a pu devoir signifier sa
femme. Proprement le mot désigne la nature androgyne de Çiva-Durgâ. — Pour°râdhâ
il faudra lire, il nous semble, ° râdha, car un mot râdha, soit masc. ou neutre dans le
sens de râdhâ, splendeur, est inconnu, quoique dans un autre sens un tel mot masc. est
synonyme de madana qui aussi signifie «amour.»
(2) Indra, l’atmosphère, dispensateur des pluies et du tonnerre.
(3) En même temps: «les beaux palais».
(4) Autrement: la sueur ruisselante du corps du danseur, et en môme temps «la fraî-
che pluie.»
(5) Durgâ, la Nature, et, en certain sens, la Terre.
(6) Autrement: «dont tous les êtres vivants de Brahma jusqu’aux plantes dépendent
dans leur subsistance».
336
(1) Arañaâni est une orthographe incorrecte au lieu de aranyânî. Le texte montre
en outre, le signe pour û au-dessous de une combinaison impossible; le mètre enlève
tout doute, parce que la syllabe précédente ta doit être longue.
(2) Vança est une fausse orthographe pour vamça.
(3) Le texte a pî, par erreur.
(4) L’inscription écrit shad avec la lettre dentale, ce qui est fautif.
(5) Deux syllabes manquent; nous les avons ajoutées par conjecture.
(6) Tantra-tari proprement le dogme que l’on peut comparer à une nacelle. La même
idée au fond est exprimée par des termes comme yâna, véhicule. — Taryau est une faute
grammaticale; on peut dire taryâm et tarau, mais non pas taryau. La confusion est assez
compréhensible, du moins de la part d’un copiste.
337
(1) Les Hindous comptent six organes, les cinq sens et le manas, l’organe de sensa-
tion intérieure.
(2) A la duplicité de ce vers nous reviendrons plus tard.
(3) Ce roi était Dharanîn draçarman, comme nous l’apprend l’inscription de Bassac
qui sera publiée dans un article suivant.
(4) Dans chaque âge du monde, yuga, le Dharma perd, en phrase mythologique, un
quart (pâda, pada), en quantité et en qualité. Pâda signifie aussi «fond, fixe, base», et,
dans le sens propre les padas du dharma sont les quatre divisions fondamentales de la
morale, les vertus capitales; satya la véracité; dâna, la charité; vidyâ, la science; tapas,
la contrainte de soi-même.
22
338
qui n’a rien d’étonnant. Car ainsi que M. Barth l’a dit dans une récente publi-
cation (1): «Non-seulement les princes d’une même dynastie professent
les croyances les plus diverses, mais le même prince partage souvent ses
libéralités entre plusieurs sectes, et on ferait une assez longue liste de rois qui,
sans professer le bouddhisme, en ont été les bienfaiteurs. Plusieurs des
monarques, par exemple, que Hiouen-Fhsang mentionne comme des patrons
déclarés de l’église, paraissent avoir été en réalité des sectateurs de l’une
ou l’autre des nombreuses religions néo-brahmaniques. Plus tard, à l’époque
même à laquelle d’absurdes légendes nous représentent Çankara extermi-
nant les bouddhistes de l’Himalaya au cap Comorin, nous voyons des prin-
ces vishnouïtes appartenant à des dynasties vishnouïtes, faire des donations
à une religion sœur du bouddhisme, celle des Jainas, que les brahmanes
ont tout autant détestée (2); et ces témoignages ne sont nullement contredit
par les documents littéraires contemporains.» C’est ainsi que s’exprime
un savant européen très-consciencieux et de grande circonspection; enten-
dons maintenant ce que dit un Hindou lettré. M. Kâsinâth Trimbak
Telang (3):
«Des allusions nombreuses à Çiva, dans les inscriptions des Sîlâras, nous
pouvons conclure que la famille a bien été dévouée au culte de Çiva. Le nom
de Jîmûtavâhana, cependant, nous fait penser à des relations avec le
bouddhisme. Très probablement la foi religieuse des princes n’était pas
d’une espèce étroite et chaque jour les preuves s’accumulent, mettant en
lumière que, même jusqu’aux 10e et 11e siècles de l’ère chrétienne, plusieurs
princes hindous montraient une considérable catholicité d’esprit à l’égard
d’Hindou, Bouddha et Jaina».
Il faut conclure de la priorité donnée à Bouddha dans notre strophe que le
bouddhisme était la secte dominante, ou bien prédominante en nombre. Le
roi Sûryavarman semble n’avoir été ni bouddhiste, ni çivaïte. Il était per-
sonnellement peut-être un sectateur de Vishnou. S’il en était autrement, on ne
s’expliquerait guère le calembourg dont nous avons fait mention plus haut.
La répétition du même mot, quoique dans un sens un peu différent, n’est
certainement pas sans dessein; elle arrête l’attention du lecteur et le force,
pour ainsi dire, à trouver la véritable intention du poëte officiel. On peut
dire qu’en général les rois, dans l’Inde, comme personnes, avaient leur
Nous passerons sous silence les éloges que le poëte fait de feu le roi
Sûryavarman, pour nous arrêter à la question de la destination de l’édifice
fondé par ce prince. Pour décider cette question nous n’avons d’autres don-
nées, il nous semble, qu’une indication dans le 5e çloka qui renferme un
double sens. Le mot mati signifie tantôt «l’esprit, la pensée», tantôt «une
idée, un dessein». Outre la substitution de «dessein» au mot «esprit», la
traduction reste à peu près la même: Son dessein prit une forme vivante
(c’est-à-dire se réalisa), ayant la grammaire pour pied, les belles-lettres pour
mains, la philosophie pour organes des sens, la science du droit et de la loi,
etc. pour tête». Qu’est-ce que cela veut dire? Nous pensons ceci, que Sû-
ryavarman destinait l’édifice à être un collége, où l’on devait commencer par
étudier la grammaire, pour passer ensuite à l’étude de la poésie, plus tard
à la philosophie, et finir par le dharmaçâstra. Par «etc.» suivant dhar-
maçâstra, il faut probablement entendre quelques produits de la littérature
qui, sans appartenir au dharmaçâstra proprement dit, y sont alliés et, par
là, reçoivent quelquefois le nom de dharmaçâstra. De tels livres sont le
Mahâbhârata et quelques Purânas. Il y a lieu de croire que le collége fût une
Dharmaçâlâ, car chez les Bouddhistes du Sud dharmaçâlâ (en Pâli dham-
masâlâ) désigne une école où les livres sacrés étaient étudiés et expli-
qués (1). Apparemment les cours au collége fondé par Sûryavarman étaient
plus compréhensibles et moins monastiques, mais cela ne constitue pas une
différence de genre. Le relief donné par l’inscription au dharma, dans le
sens le plus étendu, semble confirmer l’opinion émise. Nous avons vu que
la nândi, l’ouverture de l’inscription dans son ensemble, célèbre Çiva.
Comme il est, aussi bien que Brahma, le dieu de la science, l’Apollon
indien, et comme en même temps il est le Vrshadhvaja, celui qui porte
comme enseigne le Taureau désignant le Dharma (2), il avait un double
titre à la place à lui accordée.
En fondant un collége, Sûryavarman voulut faire non-seulement un acte
méritoire, mais laisser aussi un monument digne de son amour pour le beau.
La création devait être vouée au culte du Vrai et du Bien à l’intérieur, au
culte du Beau, à l’extérieur. D’ailleurs, il n’était pas le seul de sa race qui
eut le goût d’ériger des colléges magnifiques. Le poëte Kashmirien Kahlana
Pandita loue avec une fierté légitime et en termes chaleureux les beautés
naturelles et le doux climat de sa patrie, la douceur des mœurs de ses
(1) Nous exceptons l’écriture singalaise, dont nous connaissons la forme la plus
ancienne, peu differente de celle sur les monuments d’Açoka, et la forme moderne, mais
pas encore les phases intermédiaires.
(2) Yoy. ces Annales.