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Nuit blanche

Le mythe en littérature
Pierre Rajotte

Numéro 83, été 2001

URI : https://id.erudit.org/iderudit/20739ac

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Éditeur(s)
Nuit blanche, le magazine du livre

ISSN
0823-2490 (imprimé)
1923-3191 (numérique)

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Citer cet article


Rajotte, P. (2001). Le mythe en littérature. Nuit blanche, (83), 8–9.

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Le mythe en littérature
Professeur à la Sorbonne bien connu pour ses
nombreux travaux consacrés aux mythes littéraires -
notamment à titre de directeur du Dictionnaire des
mythes littéraires (1988) et du Dictionnaire des mythes
d'aujourd'hui (1999) -, Pierre Brunei a largement
contribué à l'avancement des connaissances sur
la présence des mythes dans les textes littéraires,
sur leur prégnance dans l'imaginaire individuel et
collectif, sur leurs divers niveaux de sens, de même
que sur la configuration qu'ils prennent selon les
auteurs et les époques.
Par
Pierre Rajotte
pour les romanciers, mais également pour trice de renouveau. Déconstruire un my-
les biographes s'il faut en croire Daniel the, c'est aussi bien souvent lui permettre
Madelénat. À ses yeux, toute biographie, de renaître. « Qui nous délivrera des
aussi scientifique et démythifiante qu'elle Grecs et des Romains ? », lançaient les
frères Goncourt au milieu du XDCe siècle.

C
'est pour lui rendre puisse paraître, « reste toujours, à un titre
hommage et souligner sa ou à un autre, une mythographie » : « Le Ces velléités iconoclastes, dira Robert
carrière de chercheur que mythe arrange, comme un aimant, la Kopp en terminant son article, se
ses collègues et amis lui limaille factuelle en figures cohérentes et heurtent « à un problème qui, pour les
offrent le recueil de textes fournit un schéma d'assemblage aux Goncourt, reste insoluble : celui de
Le mythe en littérature1. atomes d'information ». Béatrice Didier l'œuvre d'art, de la notion d'œuvre ».
Le collectif réunit des articles, ordon- donne une bonne illustration de cette Comme le souligne Camille Dumoulié,
nés en quatre parties. Plus imposante, la fonction préfigurative en montrant « on n'en finit pas avec les mythes ». C'est
première partie, intitulée « Inscription », que « le mythe du musicien va pouvoir pourquoi, dit-elle, Nietzsche proposait
propose quelques retours sur l'origine et apparaître à la fin du XVIIP siècle peut- l'invention de nouveaux mythes, et
la signification du mot « mythe », de être grâce à la reviviscence d'un mythe Antonin Artaud, de débusquer l'uni-
même que sur son rapport avec la litté- antique », celui d'Orphée. Tania Franco verselle Mythomanie.
rature. Comme le démontre Jean-Louis Carvalhal s'intéresse également au mythe Les articles des deuxième - « Poïesis »
Backès, le mot a connu, après Homère, d'Orphée mais à partir de deux célèbres - et troisième parties - « Figurations » -
une éclipse au profit du mot « fable ». variantes : le film de Marcel Camus, démontrent, de différentes façons,
« Quand nous parlons de "mythes" à Orpheo Negro, et la pièce de théâtre dont il comment les mythes inspirent les créa-
propos de Racine, écrit-il, nous oublions est l'adaptation, Orfeu da Conceiçao de teurs qui, consciemment ou non, les
parfois qu'il ignorait le mot. » Or la Vinicius de Moraes. Elle est ainsi à même réactivent dans leurs œuvres, soit par des
résurgence du vocable est significative d'analyser deux tendances expressives et structures mythiques traditionnelles
dans la mesure où elle témoigne, notam- créatrices, « deux façons distinctes de empruntées à la Bible, soit par des redon-
ment chez des auteurs comme Herder, réécrire la tradition ». dances sémantiques révélant, implici-
Hôlderlin ou Novalis, d'une « volonté de Cette réécriture de la tradition peut tement ou explicitement, des homologies
retrouver, par-delà toute interprétation également prendre la forme d'une avec certains mythes antiques (Orphée,
allégorique, la réalité concrète des figures déconstruction des mythes. Les nom- Aristée, Pygmalion, etc.) ou avec certains
mythiques, voire le sens du sacré ». breuses interprétations modernes voire mythes proprement littéraires (Don Juan,
Daniel-Henri Pageaux propose pour sa « postmodernes » du mythe de Don Juan Faust, Hamlet, Werther, etc.). Selon Marc
part une lecture de Don Quijote qui en témoignent. Selon Wladimir Kry- Fumaroli, rien « n'illustre mieux cette
montre à quel point le fameux roman de sinski, « Don Juan est un objet qui se persistance des structures mères que
Cervantes constitue, à certains égards, un prête à toutes les déconstructions- l'extraordinaire fécondité, jusqu'à nos
réinvestissement mythologique largement reconstructions, à la manière précisément jours des vers de Virgile dans la IVe
tributaire de la Bible. On sait en effet d'un ready-made ». Comme le laisse Géorgique, évoquant les mythes associés
qu'en plus de leur fonction étiologique, entendre Yves-Michel Ergal au sujet de la d'Aristée et d'Orphée ». Danièle Chauvin
les mythes se sont imposés comme une même figure mythique, la déconstruction s'intéresse pour sa part à « quelques
nécessité organisatrice et structurante ou la disparition est souvent annoncia- irradiations bibliques dans l'œuvre de

I U I I B L A N C H E
Philippe Jaccottet » et plus particu- initiatique, fondement de la formation modernes sont des réinvestissements
lièrement à la rencontre d'Emmaiis qui symbolique et mythique du franc-maçon. mythologiques plus ou moins avoués.
est au cœur de l'interrogation méta- Michel Delon jette son dévolu sur l'un des D'une part, le mythe donne forme au récit
physique du poète. Claude De Grève éminents membres du bestiaire mythique, littéraire et l'ordonne ; d'autre part, le
aborde « le mythe de Satan dans le récit le rat, qui touche, encore aujourd'hui, récit opère une sélection parmi les motifs
contemporain ». « Y a-t-il un mythe de « à des hantises profondes, à des peurs du mythe et en accuse certains traits au
Judas ? », demande pour sa part Jean de essentielles ». À ses yeux, le supplice du rat détriment d'autres. Cette mise en relief,
Palacio. Il semble que oui. Avec la dans la littérature apparaît bien souvent de même que les variantes apportées au
laïcisation de la société, certaines œuvres comme « une situation limite qui résume mythe original, permettent une réactua-
littéraires de la fin du XIXe siècle tendent certains des grands enjeux à l'œuvre dans lisation perpétuelle des mythes qui est
de plus en plus à considérer l'Iscariote les récits mythiques : la rencontre avec souvent révélatrice des valeurs d'une
comme un héros plutôt que comme un l'altérité, la découverte de la monstruosité, époque et d'une société données. Bref, cet
traître honni. « Tout se passe comme si la définition même de l'humain ». Enfin, ouvrage, Le mythe en littérature, s'inscrit
Jésus avait besoin de Judas pour que sa dans « Arcadie blessée, Arcadie dévastée : dans la perspective des études sur la pré-
Passion prenne tout son sens et aille Mario Luzi et le jardin d'Armide », Jean- sence des mythes dans le texte littéraire,
jusqu'au bout. » Au terme de ce renver- Yves Masson propose quelques consi- sur les modifications qu'ils y subissent,
sement, Judas, « ouvrier de la Rédemp- dérations qui rejoignent la réflexion sur la lumière éclatante ou diffuse qu'ils y
tion et avatar de Jésus, prend sur lui tout entreprise par Pierre Brunei sur la émettent. Cette perspective a donné lieu
le mal du monde ». persistance (douloureuse, et souvent niée) depuis les années 1960 à une nouvelle ten-
Enfin, la quatrième partie, « Espaces », de la nostalgie d'un monde idéal dans la dance critique dont l'intérêt heuristique et
porte, comme l'indique le titre, sur des poésie contemporaine. Il en conclut qu'il la riche bibliothèque des travaux qui lui
mythes en rapport avec l'altérité et l'es- faut à l'âme ce désir de jardins possibles, ont fait escorte ne se démentent pas
pace. Antoine Compagnon attire notre cette pensée des primavere inattuate, des depuis. Une tendance critique à laquelle,
attention sur l'inflexion moderne d'un printemps virtuels, pour pouvoir s'établir faut-il le répéter, Pierre Brunei n'a pas
lieu commun, le « Suave mari magno », dans l'existence et ne pas se résigner à ce peu contribué. N _
soit la réaction complexe que l'on éprouve que le monde reste à jamais tel qu'il est.
face à la mort ou au malheur de l'Autre. Il ne s'agit là que de quelques exemples
Dans « Mythe et franc-maçonnerie », d'analyses proposées par cet ouvrage qui
Marcel De Grève s'intéresse à la tentation montre bien, pour reprendre l'hypothèse 1. Collectif, Le mythe en littérature, Essais en
mythique qui a « envahi la maçonnerie » de Mircéa Eliade (dans Le mythe de l'éter- hommage à Pierre Brunei, Presses Universitaires de
et, plus particulièrement, au parcours nel retour, 1949), à quel point les récits France, « Écriture », Paris, 2000,404 p. ; 94,95 $.

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