Vous êtes sur la page 1sur 5

Dall'evento di un aborto all'avvento del desiderio di

essere madre – Céline Aulit


pipol10.eu /2021/06/24/from-levenement-dune-ivg-to-lavenement-du-desir-detre-mère-celine-aulit/

“Ho sentito un violento bisogno di cagare. Corsi in bagno dall'altra parte del corridoio e mi
accovacciai davanti al gabinetto, di fronte alla porta. Ho visto le piastrelle tra le mie
cosce. Ho spinto con tutte le mie forze. Sparò come una granata, in uno spruzzo d'acqua
che si riversò sulla porta. Ho visto una piccola bagnante pendere dal mio pene
all'estremità di un cordone rossastro. Non avevo immaginato di avere questo in me. Ho
dovuto camminare con esso nella mia stanza. Lo presi in una mano - era stranamente
pesante - e camminai lungo il corridoio, stringendolo tra le mie cosce. Ero una bestia. [1]
 »

Nel suo romanzo  L'Événement pubblicato nel 2000, Annie Ernaux torna indietro nel
tempo e ci immerge nel freddo inverno del 1964. Aveva allora 23 anni e venne a sapere
di essere incinta. L'Événement , che ha scritto 36 anni dopo gli eventi, racconta questo
aborto, che all'epoca era necessariamente clandestino. Anche se ne aveva già parlato
nel suo primo libro Les Armoires vides , ci sono voluti tutti questi anni perché “questo
evento diventasse una scrittura e la scrittura diventasse un evento” come premette
Michel Leiris.

Un silenzio

« Pour penser ma situation, je n’employais aucun des termes qui la désignent, ni


²j’attends un enfant², ni ²enceinte², encore moins ²grossesse² voisin de grotesque. Il
contenaient l’acceptation d’un futur qui n’aurait pas lieu. Ce n’était pas la peine de
nommer ce que j’avais décidé de faire disparaître [2] ».

1/5
Pourtant, A. Ernaux n’a eu de cesse d’accompagner ces quelques mois de notes qu’elle
prenait à la volée dans un carnet, comme pour tenter de capitonner à l’aide de quelques
signifiants ce Réel qui l’absorbait. Après cela, une chappe de silence s’est installée,
recouvrant ce qui a eu lieu. Ce silence entoure d’ailleurs d’autres expériences qui
traversent le corps d’une femme. C’est le cas pour l’accouchement qui bien qu’enveloppé
dans un tissu de techniques diverses et variées visant à banaliser ce moment de la vie
d’une femme, reste une énigme. Un non-dit frappe cette expérience de réel.

« J’ai tué ma mère en moi »


Toute l’œuvre d’A. Ernaux est traversée par l’arrachement à sa condition sociale en tant
qu’elle a très tôt cogné son corps de mots crus et ciselés.  Elle écrit la vie. « Non pas ma
vie, ni sa vie, ni même une vie. La vie avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous
mais que l’on éprouve de façon individuelle. [3] » Elle trace des moments de passage
depuis le temps de l’épicerie dans le petit bourg où elle a grandi jusqu’à la femme de
lettres qu’elle est devenue. Elle tente d’écrire cette traversée et elle aura fait de cet
avortement une dalle du ponton.

D’emblée, elle établit un lien entre sa classe sociale d’origine et ce qui lui arrive. Première
à faire des études de lettres, elle avait échappé à l’usine « mais ni le bac ni la licence de
lettres n’avaient réussi à détourner la fatalité de la transmission d’une pauvreté dont la
fille enceinte était, au même titre que l’alcoolique, l’emblème. J’étais rattrapée par le cul
et ce qui poussait en moi était d’une certaine manière, l’échec social. [4] » Le ciel des
idées lui était devenu inaccessible, embourbée dans le réel de la grossesse. « L’acquis
intellectuel était une construction factice qui s’était écroulée définitivement. [5] »

C’était une évidence qu’elle avorterait coûte que coûte, elle devait se débarrasser de cet
enfant qui en la renvoyant à sa condition d’ouvrier dont elle était en train de s’extirper,
avait parasité son ventre. [6] Tout au plus « une épreuve ordinaire qui ne demandait pas
de courage ». Vu les conditions de l’époque, c’était plutôt une gageure de voir les choses
de cette façon : il lui fallut trouver la faiseuse d’ange qui lui insérera une sonde à deux
reprises et puis, expulser cette livre de chair dans sa chambre d’étudiante. C’est toute la
haine qui revient au galop. « J’ai failli leur lancer à la figure que j’étais enceinte […] crier
de joie, de rage, qu’ils ne l’avaient pas volé, que c’était à cause d’eux que je l’avais fait,
eux, moches, minables, pequenots [7] ». Ce qu’elle est en train d’expulser c’est cette
haine du milieu social dont elle s’arrache du fond de ses entrailles. Un fossé se creuse,
un écart se crée grâce à cet événement, dans lequel elle se faufile non sans une certaine
fierté que l’on peut lire dans ces lignes :

« Je marchais dans les rues avec le secret de la nuit du 20 au 21 janvier dans mon corps,
comme une chose sacrée. Je ne savais pas si j’avais été au bout de l’horreur ou de la
beauté. J’éprouvais de la fierté. Sans doute la même que les navigateurs solitaires, les
drogués et les voleurs, celle d’être allés jusqu’où les autres n’envisageront jamais d’aller.
C’est cette fierté qui m’a fait écrire ce récit. [8] »

De l’événement à l’avènement d’être mère

2/5
A. Ernaux témoigne que cet événement lui a permis d’être mère, quelques années plus
tard. Cette traversée corporelle a laissé des traces et a ouvert la porte à un désir d’être
mère. Dans l’hôpital où elle est soignée, elle ne se sent pas différente des femmes de la
salle voisine. « Il me semblait même en savoir plus qu’elles en raison de cette absence.
[…] j’avais accouché d’une vie et d’une mort en même temps. Je me sentais pour la
première fois, prise dans une chaîne de femmes par où passaient les générations [9]».
C’est pour le moins interpellant que ça soit une faiseuse d’ange qui lui donne l’accès à
cette chaîne de femmes. « Il me semble que cette femme qui s’active entre mes jambes,
qui introduit le spéculum, me fait naître. J’ai tué ma mère en moi à ce moment-là. [10]»
 Non pas la mère, mais sa mère. Elle a dû en passer par une séparation dans le Réel de
son corps pour ouvrir la brèche qui permet à une filiation d’advenir. « Je sais aujourd’hui
qu’il me fallait cette épreuve et ce sacrifice pour désirer avoir des enfants. Pour accepter
cette violence de la reproduction dans mon corps et devenir à mon tour lieu de passage
des générations. [11] »

Ce témoignage illustre bien ce que Pierre-Gilles Guéguen avance à propos de la


maternité qu’il situe comme un fait de culture et non pas un fait de nature. « Un fait de
culture qui accompagne un fait biologique. [12] » Il s’agit d’aborder les choses « en
considérant ce qu’est l’événement de corps pour le sujet féminin lors de la naissance
d’un enfant en s’attachant à saisir la manière dont sa jouissance en est affectée [13] ».

Je relève ce point qui me semble important : ce qui fait événement, ce n’est pas la
naissance en tant que tel ou même l’IVG mais plutôt la manière dont la jouissance d’une
femme s’en trouve touchée. Cela rejoint une question qui sera abordée dans le courant
de cette soirée à propos des femmes qui subissent des IVG à répétition. Peut-on
considérer qu’il s’agit d’une itération, quelque chose qui se répète à l’identique par le fait
même que la jouissance ne s’en trouve pas affectée ?

Dans le cas d’A. Ernaux, elle accouche de ses origines, de ce qu’elle a été comme objet :
« L’objet a,  [dit Lacan,] c’est ce que vous êtes tous, en tant que rangés là – autant de
fausses-couches de ce qui a été, pour ceux qui vous ont engendrés, cause du désir.  Et
c’est là que vous avez à vous y retrouver, la psychanalyse vous l’apprend [14] ».

Si l’on part de l’hypothèse que la jouissance a été affectée, comment l’a-t-elle été ? Bien
sûr, il y a cette livre de chair qu’elle tente de nous faire toucher du bout de son écriture
ciselée mais tout aussi réel, il y a cette parole du chirurgien qu’il lui vocifère au moment
où elle arrive hémorragique à l’hôpital : « Je ne suis pas le plombier [15] ». Une de ces
phrases très ordinaires, comme tant d’autres, qui jalonne cet événement et qui la percute
de plein fouet. Une violence qui la roue de coups et la ramène à ce statut de déchet, une
déflagration qui « sépare les médecins des ouvriers et des femmes qui avortent, les
dominants des dominés [16] ». On sent le pouvoir du signifiant qui affecte le corps de
l’être parlant, en faisant saillir le plus-de-jouir, « jusqu’à en faire sourdre la
jouissance [17] ».

3/5
Quand elle se réveille de son anesthésie, l’infirmière étonnée lui demande pourquoi elle
n’a pas fait valoir son statut d’étudiante, ce nouveau statut qui lui aurait permis d’être
traitée tout autrement par le chirurgien. C’est peut-être ce second temps qui nomme un
écart dans lequel elle peut se faufiler, délestée d’une couche de réel.

L’écriture
Ce qui est frappant dans l’écriture d’A. Ernaux, c’est qu’elle ne vise pas à raconter des
souvenirs. Il ne s’agit pas « d’une jouissance du déballage des souvenirs [18] » comme
elle en parle dans Mémoire de fille. Elle utilise plutôt l’écriture pour cerner le plus intime
de son expérience, de femme en l’occurrence, que les mots chargés d’une jouissance
crue qu’elle lie à sa condition sociale a, depuis la plus tendre enfance, percutée.

Elle tente de sculpter ce matériel brut incrusté dans le corps. Ponctuation, respiration,
coupe et découpe, autant de manières qui tentent de loger la jouissance inéliminable, de
« donner os à toutes les jouissances [19] ». Peut-être la seule façon d’en faire surgir une
trace ?

Photographie : ©Dubuisson Hughes : www.hughesdubuisson.be

[1] Ernaux A., L’Événement, Folio, 2021, p. 100.

[2] Ibid., p. 30.

[3] Ernaux A., Écrire la vie, Paris, Quarto Gallimard, 2011, quatrième de couverture.

[4] Ernaux A., L’Événement, op. cit., p. 32.

[5] Ibid., p. 50.

[6] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une bévue s’aile à
mourre », leçon du 16 novembre 1976, Ornicar ?, n°12/13, décembre 1977, p. 4-9.

[7] Ernaux A., Les Armoires vides, Folio, 2020, p. 14.

[8] Ernaux A., L’événement, op. cit.,  p. 119.

[9] Ibid., p. 114.

[10] Ibid., p. 85.

[11] Ibid., p. 124.

[12] Gueguen P-G., « Être femme et mère »,  La petite Girafe, n° 18, décembre 2003, p.
13.

4/5
[13] Ibid., p. 14.

[14] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A.
Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 207.

[15] Ernaux A., op.cit., p. 107.

[16] Ibid., p. 108.

[17] Miller J.-A., “Biologie lacanienne”, La Cause freudienne , n° 44, febbraio 2000, p. 57.

[18] Ernaux A., La memoria della figlia, Parigi, Gallimard, 2016, p. 18.

[19] Lacan J., Le Séminaire , libro XVIII, Su un discorso che non sarebbe parvenza , testo
stabilito da J.-A Miller, Paris, Seuil, 2007, p. 149.

5/5

Vous aimerez peut-être aussi