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Ville de Baie-d'Urfé c.

Hirtle 2020 QCCS 2975

COUR SUPÉRIEURE

2020 QCCS 2975 (CanLII)


(Chambre civile)

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE MONTRÉAL

N: 500-17-113628-203

DATE : Le 18 septembre 2020


______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE BABAK BARIN, J.C.S.


______________________________________________________________________

VILLE DE BAIE-D’URFÉ
Demanderesse
c.

ANN HIRTLE
Défenderesse

______________________________________________________________________

ORDONNANCE D’INJONCTION PROVISOIRE


(ARTICLE 510 C.P.C.)
______________________________________________________________________

CONTEXTE
[1] La demanderesse, la Ville de Baie-D’Urfé, cherche par l’entremise d’une
injonction provisoire à interrompre ou à arrêter les travaux de construction entrepris par
la défenderesse à sa résidence située au [...]. Il s’agit d’un bâtiment résidentiel
unifamilial de deux (2) étages.
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[2] Selon la Ville, la défenderesse est en défaut d’obtenir un permis de construction


avant d’entreprendre des travaux, tel que requis par l’article 4.1 du Règlement 878 sur
les permis et certificats de la Ville. Cet article se lit comme suit1 :

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Chapitre 4
PERMIS DE CONSTRUCTION

4.1 NÉCESSITÉ D’UN PERMIS DE CONSTRUCTION

Sur l’ensemble du territoire de la Ville de Baie-D’Urfé, on ne peut :

- entreprendre un projet de construction, de transformation,


d’agrandissement, d’addition de bâtiments ou de piscines ou d’excavation
à cet effet,

- entreprendre un projet de construction d’un mur de soutènement de un


(1,0) mètre (3,3’) ou plus de hauteur,

- réaliser toute construction, tout ouvrage ou tous travaux susceptibles de


détruire ou de modifier la couverture végétale des rives, de porter le sol à
nu, d’en affecter la stabilité ou qui empiètent sur le littoral;

- dans les plaines inondables, réaliser toute construction, tout ouvrage ou


tous travaux susceptibles de modifier le régime hydrique, de nuire à la
libre circulation des eaux en période de crue, de perturber les habitats
fauniques ou floristiques ou de mettre en péril la sécurité des personnes
et des biens,

sans obtenir au préalable un permis de construction.

[3] De l’avis de la Ville, la seule exception prévue dans le Règlement 878 à l’égard
des obtentions de permis se trouve à l’article 4.2 (d) qui prévoit :

4.2 PRÉSENTATION DES DEMANDES DE PERMIS DE CONSTRUCTION

[…]

d) Nonobstant les dispositions de l’alinéa c) qui précède, dans le cas de


travaux de rénovation intérieure d’une habitation unifamiliale ou de finition d’un
sous-sol d’une habitation unifamiliale, aucun permis de construction n’est requis
en autant qu’aucun de ces travaux n’implique :

1
Toutes les citations dans ce jugement sont reproduites telles quelles.
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- l’enlèvement ou la construction d’un mur porteur ou d’une partie de mur


porteur,
- l’enlèvement ou la coupe d’une solive, d’une poutre ou d’une colonne,

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- l’enlèvement, le changement ou la fermeture d’un escalier ou autre moyen
de sortie,

- l’augmentation du nombre de chambres ou de salles de toilette,

- la transformation d’un accès ou d’une issue.

[4] La Ville soumet que l’article 1.5 (b) de son règlement lui permet, outre les
recours par action pénale, d’exercer, devant les tribunaux de juridiction compétente,
tous les recours de droit nécessaires pour faire respecter les dispositions de ce
règlement – d’où sa demande en injonction provisoire qui nécessite la satisfaction des
quatre critères suivants : l’apparence du droit, le préjudice irréparable, la balance des
inconvénients et l’urgence.

[5] La défenderesse réplique que la Ville ne satisfait surtout pas le critère de


l’urgence. Elle allègue que l’absence de ce critère est fatale à l’égard de sa demande.
Elle ajoute qu’en aucun moment avant le 15 septembre 2020 elle n’a obtenu les avis ou
correspondance antérieurs de la Ville. Apparemment, elle a commencé à habiter au [...]
seulement à compter du 11 septembre 2020. Avant, elle demeurait à son ancienne
adresse sur la rue Picardie et chez des amis, passant à la propriété située au [...] sur
une base quasi-quotidienne afin, entre autres, de récupérer la poste.

[6] Enfin, la défenderesse explique par l’entremise de la vice-présidente et


secrétaire de la société Construction & Rénovation Josan inc., l’entreprise mandatée
pour compléter les travaux de construction au [...], que Mme Sandra Mateus a été
avisée par M. Philippe Lacavone, le directeur de l’urbanisme de la Ville, que « le simple
remplacement de vieux matériaux par du neuf, sans changer la structure,
l’agrandissement et sans ajout de chambre ne nécessitait aucun permis ».

[7] Selon Mme Mateus, les travaux effectués au [...] sont de nature à rénover une
propriété construite en 1957, ne modifient pas la structure du bâtiment existant et
n’ajoutent aucune pièce ou chambre.

[8] La défenderesse demande ainsi le rejet de la demande de la Ville. Elle ajoute


que son projet se termine vers la fin septembre et, sans admission, qu’elle est disposée
à déposer une demande de permis.
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ANALYSE

[9] À mon avis, la demande d’injonction provisoire de la Ville doit être rejetée. La
demanderesse n’a pas réussi à démontrer l’urgence ni le préjudice sérieux ou

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irréparable.

[10] La demande d’injonction provisoire est un remède exceptionnel qui doit être
interprété avec beaucoup de rigueur et ne doit être accordé que pour éviter un mal
évident, imminent et irréparable. S’il y a le moindre doute, la demande doit être rejetée.

[11] En l’espèce, la question de l’urgence mérite certes une considération spéciale


puisque sans elle la demande de la Ville ne saurait être émise. L’urgence dans ce
contexte doit être immédiate et apparente. Quoique le fait d’effectuer des travaux de
construction – même s’il s’agit de rénovation et du simple remplacement de vieux
matériaux par du neuf – sans permis laisse planer un certain doute, il n’en demeure pas
moins que les critères de l’émission d’une injonction provisoire doivent être appliqués
rigoureusement.

[12] Or, la preuve prima facie à ce stade-ci démontre qu’une technicienne au service
de l’urbanisme de la Ville a inspecté la résidence de la défenderesse le 8 juillet 2020 et
qu’elle a constaté que des travaux non autorisés par la Ville et sans permis municipal
étaient en cours.

[13] Trois photos en couleur datées du 8 juillet 2020, prises à 14 h 31, démontrent
clairement la présence de deux conteneurs bleus remplis de débris de construction à
l’avant du [...]. Les photos montrent aussi que la résidence en question est sous
construction.

[14] Dix-neuf jours plus tard, soit le 27 juillet 2020, dans un courrier recommandé, la
Ville envoie l’avis suivant à la défenderesse :

Following an inspection carried out at the above mentioned address on July 08th,
2020 we noticed that construction works are being done without a permit, as per
art 4.1 of Permits and certificates By-Law 878.

Since we are receiving complaints about what is going on your property and this
situation needs to be resolved immediately.

Please contact the Urban Planning Department in the next five (5) days to open
your permit application and to obtain a building permit to finish the work and
remediate the situation. In the meantime, all works shall be stopped onsite.

Please note that if this notice is not respected, fines and court proceedings will
follow.

Best regards,
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[15] Il est clair à la lumière de cet avis que la défenderesse est mise en demeure de
se conformer aux exigences de la Ville. L’historique de repérage de l’avis du 27 juillet
démontre qu’il a été « livré » le 31 juillet 2020, à 8 h 13.

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[16] Plus d’un mois plus tard, trente-trois jours pour être précis, le 2 septembre 2020,
la Ville réécrit à la défenderesse la lettre suivante :

Madam,

This letter is in response to the first notice of violation, dated July 27, 2020,
concerning work being done without permit on your property located at [...], in
Baie-D’Urfé.

On July 8, 2020, an inspection was carried out by an employee of the Urban


Planning Department, Ms. Yasmine Ben. It appeared that work was being done
prior to a duly issued permit by the Town, in violation of Article 4.1 of By-law no
878 – Permits and Certificates. As a result, the first notice of violation dated July
27, 2020, was sent to your attention by registered mail.

On September 1, 2020, the construction work on your property has not ceased
but persisted, as noted by another employee of the Urban Planning Department
during his inspection.

As of this date, the Town continues to receive complaints regarding your property
for work done without permit. As the owner of the property, you must obtain the
necessary permits beforehand in order to proceed with the work. Otherwise, you
are not authorized to continue with the work and the latter must immediately be
stopped.

Considering the foregoing, you are officially given formal notice to submit to the
Urban Department within ten (10) days following receipt of this letter:

- A permit request;

- Any other document or requirement that may be required by the Urban


Planning Department.

Should you fail to comply with this formal notice within the deadline mentioned
above, we will proceed with all administrative and judicial recourses necessary to
ensure compliance with the municipal by-laws, without further notice or delay.

THEREFORE, DO GOVERN YOURSELF ACCORDINGLY.

Encore une fois, l’historique de repérage de la lettre du 2 septembre démontre qu’elle a


été « livrée » le 8 septembre 2020, à 12 h 22.

[17] La Ville s’est présentée devant le Tribunal avec une grande précipitation le 16
septembre 2020 et a inclus avec sa preuve les photos en couleur datées du 14
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septembre 2020 qui décrivent l’état encore plus avancé des travaux chez la
défenderesse.

[18] À noter qu’au moment où la Ville présenté sa demande au Tribunal, le délai

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d’échéance de dix (10) jours prévu dans la lettre du 2 septembre n’est pas encore
expiré. Ce délai venait à échéance dix jours suivant le 8 septembre 2020, moment où,
selon l’historique de repérage de Postes Canada, la lettre du 2 septembre a été
« livrée ». Ainsi, le délai de dix jours expire aujourd’hui le 18 septembre 2020.

[19] En soi, ce seul fait, sans prendre en considération les autres critères de
l’injonction provisoire recherchée, est fatal pour la Ville. Sa demande doit donc être
rejetée.

[20] Mais, il y a plus.

[21] Pourquoi est-ce plus urgent le 16 septembre que le 6 août 2020, lorsque le délai
de cinq (5) jours prévu dans la lettre de la Ville datée du 27 juillet 2020 est échu, alors
que la Ville avait constaté au moins depuis le 8 juillet 2020 que la défenderesse
entreprenait des travaux de construction?

[22] Si la Ville a décidé d’attendre, de ne pas agir et d’envoyer un deuxième avis près
de deux mois plus tard, elle ne peut aujourd’hui se plaindre de ses propres décisions.

[23] Donc, sur ce point aussi, la demande d’injonction provisoire de la Ville doit être
rejetée.

[24] Mais, il y a plus encore.

[25] À l’audience, l’avocat de la Ville a concédé que même si la demande d’injonction


provisoire de la Ville est rejetée, elle ne sera pas sans recours même si la construction
entreprise par la défenderesse est complétée. Encore une fois, c’est la Ville qui a
sciemment choisi les conclusions recherchées dans sa demande introductive d’instance
en injonction provisoire, interlocutoire et permanente. Si tel est le cas, comme le soumet
l’avocate de la défenderesse, le préjudice sérieux et irréparable, si tant qu’il existe,
serait plutôt au détriment de la défenderesse dans les circonstances.

[26] La Ville n’a donc pas, ici non plus, réussi à démontrer qu’elle rencontrait ce
critère.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE la demande introductive d’instance en injonction provisoire;

AVEC FRAIS DE JUSTICE.


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BABAK BARIN, J.C.S.

Maître Alex Lévesque


DUNTON RAINVILLE
Avocat de la demanderesse

Maître Marie-Pier Rodi


CROCHETIÈRE PÉTRIN
Avocate de la défenderesse

Date d’audience : Le 16 septembre 2020

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