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Pivotal Payments Corporation c.

Kukura 2016 QCCS 3969

COUR SUPÉRIEURE
(Chambre civile)

2016 QCCS 3969 (CanLII)


CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE MONTRÉAL

N° : 500-17-095218-163

DATE : LE 23 AOÛT 2016


______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE GÉRARD DUGRÉ, J.C.S.


______________________________________________________________________

PIVOTAL PAYMENTS CORPORATION


Demanderesse
c.

DOUGLAS KUKURA
Défendeur

______________________________________________________________________

JUGEMENT
______________________________________________________________________
I
[1] Par sa demande en injonction interlocutoire provisoire, la demanderesse Pivotal
Payments Corporation (« Pivotal ») requiert l’émission de diverses ordonnances visant
à obliger le défendeur, M. Kukura, à respecter les obligations auxquelles il s’est engagé
dans son contrat de travail, à savoir des engagements de non-concurrence et de non-
sollicitation de clients ou d’employés pendant une période de 12 mois suivant la fin de
son emploi et un engagement de non-divulgation de renseignements confidentiels.

[2] M. Kukura, par l’entremise de ses procureurs, conteste vivement cette demande
d’injonction provisoire et en demande le rejet pour divers motifs qui seront analysés ci-
après.
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II

[3] Pivotal est un fournisseur de services aux marchands de paiements

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électroniques, au point de vente, « B2B » et dans l’industrie du commerce électronique.
Directement ou par l’entremise de ses filiales, elle offre de la technologie, des logiciels
et des appareils qui permettent aux marchands d’accepter les paiements pour la vente
de leurs biens et services par cartes de crédit, cartes de débit ou cartes de fidélité.

[4] La technologie et les services de Pivotal sont utilisés par plus de 60 000
marchands à travers le Canada, les États-Unis et l’Europe. Le principal établissement
de Pivotal et son siège social sont situés à Montréal d’où ses employés peuvent
dispenser des services et interagir avec la plupart des marchands.

[5] Afin de desservir d’une façon globale l’industrie du commerce électronique,


Pivotal opère GlobalOnePay (« an online proprietary payment getaway »). Elle recrute
les marchands par l’entremise de ses propres employés ainsi que par l’intermédiaire de
sous-traitants indépendants.

[6] Elle affirme que l’industrie du e-commerce est très compétitive. En tout temps,
les marchands peuvent cesser d’utiliser ses services et sa technologie pour utiliser ceux
d’une entreprise compétitrice. Afin d’assurer la rétention de sa clientèle, Pivotal assigne
à ses plus importants marchands un petit groupe d’employés afin qu’ils reçoivent un
service hors pair. Pour mieux servir ses marchands et générer une nouvelle clientèle,
Pivotal donne à ses gérants accès à des informations hautement confidentielles sur ses
stratégies d’affaires.

[7] Afin de s’assurer de la compétence de ses gérants, Pivotal leur fournit une
formation de six à douze mois pour qu’ils puissent desservir adéquatement la clientèle.

[8] M. Kukura a été engagé par Pivotal à titre de « Relationship Manager » [gérant
des relations avec la clientèle] le 7 avril 2014, tel qu’en fait foi son contrat de travail
signé le 2 avril 2014 (P-2).

[9] Ce contrat d’emploi comportait trois clauses importantes : (1) un engagement à


ne pas utiliser l’information confidentielle appartenant à Pivotal; (2) un engagement de
non-concurrence interdisant M. Kukura, pour une période de 12 mois suivant la fin de
son emploi, de travailler pour une entreprise faisant concurrence à Pivotal; et (3) un
engagement de M. Kukura de ne pas solliciter les clients et les employés de Pivotal
pour une période de 12 mois suivant la fin de son emploi. Toutefois, ces engagements
n’interdisent pas à M. Kukura de gagner sa vie à titre de représentant des ventes dans
un secteur différent de celui dans lequel œuvre Pivotal, comme il le faisait d’ailleurs
avant d’être embauché par cette dernière.
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[10] Quoique M. Kukura pouvait négocier les termes de son contrat de travail, il n’a
pas jugé bon de le faire, même si d’autres employés de Pivotal l’ont fait.

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[11] M. Kukura a été engagé par Pivotal parce qu’il avait de l’expérience dans la
vente, bien que cette expérience n’était pas liée au secteur des paiements
électroniques.

[12] La position de M. Kukura au sein de Pivotal impliquait qu’il avait une


connaissance intime des produits et services de son employeur, une relation étroite
avec les marchands ainsi qu’une excellente compréhension des stratégies
commerciales de Pivotal. Il a acquis dans le cadre de son emploi beaucoup
d’informations confidentielles appartenant à son employeur. Le portfolio de marchands
dont il s’occupait était situé partout au Canada, soit en Nouvelle-Écosse, au Québec, en
Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique.

[13] Quand M. Kukura a quitté Pivotal le 8 juillet 2016, il était alors responsable des
relations avec 89 marchands V.I.P. représentant approximativement 94 comptes de
marchands. De surcroît, le portfolio de marchands V.I.P. dont il s’occupait représentait
des revenus bruts annuels excédant 2 millions de dollars. Entre autres, M. Kukura
administrait 11 comptes appartenant aux 50 plus importants marchands de Pivotal
incluant le deuxième plus important compte de la compagnie.

[14] Le 8 juin 2016, M. Kukura a avisé Pivotal qu’il démissionnait de son poste à
compter du 8 juillet 2016. Son courriel de démission mentionne notamment :
« [h]owever, I’ll be leaving to welcome my son into this world then pursue a new
opportunity »1. Cette démission a littéralement pris par surprise Pivotal étant donné
l’intense implication de M. Kukura dans les activités de l’entreprise.

[15] Le 4 août 2016, Pivotal a appris que M. Kukura avait été engagé depuis juin
2016 par son compétiteur direct Paysafe Group (« Paysafe »). À la lumière de ces faits,
la demanderesse a été en mesure de conclure que les agissements de M. Kukura
étaient en violation des engagements de son contrat d’emploi, notamment
l’engagement de ne pas travailler pour un compétiteur direct, l’engagement de ne pas
utiliser de l’information confidentielle appartenant à Pivotal et l’engagement de ne pas
solliciter ses clients ou ses employés.

[16] C’est ainsi que, sur le fondement de ces violations, Pivotal a intenté le 17 août
2016 sa demande d’injonction provisoire, interlocutoire et permanente afin d’obliger
M. Kukura à respecter les engagements qu’il a contractés en vertu de son contrat de
travail .

1
Pièce P-3.
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III

[17] L’instruction de cette demande d’injonction provisoire a eu lieu les 18 et 19 août

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2016. Au soutien de sa demande particulièrement détaillée, Pivotal a soumis la
déclaration assermentée de son vice-président sénior, M. Ed Garcia, et a produit
plusieurs pièces.

[18] Les procureurs du défendeur ont produit quant à eux une déclaration
assermentée de M. Kukura qui explique notamment les raisons de sa démission du 8
juin 2016. Cette déclaration confirme aussi qu’il a été engagé en juin 2016 par la
compagnie Paysafe, compétitrice directe de Pivotal. Selon M. Kukura, son départ de
Pivotal et son emploi au sein de Paysafe ne causent absolument aucun préjudice à la
demanderesse.

[19] Les procureurs du défendeur ont aussi produit la déclaration assermentée de


Mme Mary Borsellino, directrice des ressources humaines chez Paysafe pour la
province de Québec. Selon cette dernière, M. Kukura, dans le cadre de son emploi
chez Paysafe, n’est pas appelé à solliciter les clients de la demanderesse ni à utiliser
de l’information confidentielle appartenant à cette dernière. Mme Borsellino affirme qu’à
la réception de la lettre de mise en demeure de Pivotal, il fut ordonné au défendeur de
ne pas utiliser de l’information confidentielle appartenant à la demanderesse et de ne
pas solliciter ses clients, fournisseurs ou employés pour quelque raison que ce soit. Elle
affirme elle aussi que le départ du défendeur à titre d’employé de Pivotal ne cause
absolument aucun préjudice à cette dernière. Elle souligne toutefois qu’il est connu
dans l’industrie que Pivotal a perdu ou mis à pied un nombre significatif d’employés au
cours des 12 derniers mois. D’ailleurs, elle confirme que Paysafe a reçu – et continue
de recevoir – des demandes d’emploi d’un certain nombre d’employés de la
demanderesse. Enfin, elle souligne que Pivotal n’aurait pas les mains propres
puisqu’elle aurait elle-même sollicité agressivement divers employés séniors de
Paysafe.
IV

[20] Une seule question se pose en l’espèce : la demanderesse est-elle en droit


d’obtenir l’émission d’une injonction interlocutoire provisoire afin de faire respecter les
trois obligations (1) de non-concurrence; (2) de confidentialité et (3) de non-sollicitation
stipulées dans le contrat de travail signé par le défendeur Kukura le 2 avril 2014 (P-2)?

[21] La demanderesse soutient qu’elle a un droit clair à obtenir l’exécution en nature


de ces trois obligations, qu’elle subira un préjudice irréparable si sa demande
d’injonction est refusée et que la prépondérance des inconvénients la favorise
nettement.
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[22] Les procureurs du défendeur plaident que le droit de la demanderesse est au


mieux douteux étant donné que la clause de non-concurrence est invalide, parce que le

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délai de 12 mois est déraisonnable dans les circonstances, que le territoire « Canada »
est trop vaste et que cette obligation est beaucoup plus large que ce qui est nécessaire
pour protéger les intérêts légitimes de Pivotal en tant qu’employeur de M. Kukura.

[23] Ils contestent aussi la demande d’injonction provisoire visant le respect de son
obligation de non-sollicitation de clients et d’employés vu l’absence de preuve de
préjudice à cet égard.

[24] Les procureurs du défendeur soutiennent que le droit de la demanderesse étant


douteux, le poids des inconvénients le favorise clairement puisque si l’injonction
sollicitée est émise par le tribunal, M. Kukura sera empêché de travailler jusqu’à ce que
la validité des obligations de son contrat de travail soit tranchée au mérite. C’est donc
M. Kukura qui subirait un préjudice irréparable résultant de l’émission d’une injonction
provisoire, et non Pivotal.

[25] Toutefois, les procureurs de M. Kukura ne s’opposent pas à ce qu’il lui soit
ordonné de respecter l’obligation de confidentialité stipulée dans son contrat de travail2.

[26] Pour répondre à la question en litige, le tribunal se penchera d’abord sur les
principes régissant l’exécution en nature d’obligations contractuelles en droit civil
québécois. Ensuite, il examinera le droit substantiel invoqué par Pivotal. Il s’attardera
enfin sur le véhicule procédural utilisé en l’instance pour obtenir l’exécution en nature
afin de déterminer si Pivotal a droit aux ordonnances d’injonction provisoires sollicitées
et s’il est opportun pour le tribunal de les accorder.

A. L’exécution en nature d’obligations contractuelles

[27] En droit civil québécois, le créancier a droit, en principe, à l’exécution en nature


des obligations contractuelles dans les cas qui le permettent (art. 1590 et 1601 C.c.Q.).
Il existe au moins quatre exceptions à ce principe, mais aucune d’elles ne s’applique en
l’espèce (Baudouin, no 739, p. 866-869) 3.

2
L’art. 2088 al. 1 C.c.Q. oblige d’ailleurs le salarié à ne pas faire usage de l’information à caractère
confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail.
3 e
Jean-Louis BAUDOUIN, Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7 éd., Cowansville,
Éd. Yvon Blais, 2013 (ci-après « Baudouin »).
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[28] L’exécution en nature comporte deux composantes qui ne doivent pas être
confondues : (1) le droit substantiel dont on veut forcer l’exécution en nature; et (2) le
véhicule procédural pour mettre en œuvre l’exécution en nature de ce droit substantiel
(Baudouin, no 732, p. 859). Il importe d’analyser chacune de ces composantes.

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(1) Le droit substantiel

[29] En l’espèce, Pivotal veut forcer M. Kukura à respecter trois obligations


contractuelles : (a) celle de ne pas travailler pour un concurrent; (b) celle de ne pas
utiliser ou divulguer des renseignements confidentiels appartenant à Pivotal; et (c)
l’obligation de ne pas solliciter de clients ou d’employés de Pivotal.

[30] Il s’agit de trois obligations de ne pas faire (art. 1373 C.c.Q.). L’exécution en
nature de ces trois obligations est reconnue depuis longtemps en droit civil québécois et
ne pose donc pas problème en l’espèce.

[31] Il importe de souligner que la demanderesse n’a pas à démontrer un préjudice


sérieux ou une violation marquée de ces trois obligations afin d’obtenir l’exécution en
nature de celles-ci (Baudouin, no 731, p. 859). Évidemment, on peut être tenté de
s’interroger sur la façon de concilier cette affirmation avec les exigences propres au
recours en injonction. La solution est simple : le droit à l’exécution en nature d’une
obligation est une chose; les conditions pour l’émission d’une ordonnance d’injonction
en sont une autre. Bref, ces deux notions ne doivent pas être confondues.

[32] En l’espèce, Pivotal a clairement le droit de forcer le respect des trois obligations
de ne pas faire auxquelles s’est engagé M. Kukura en signant son contrat de travail, en
acceptant pendant deux ans le salaire qui lui a été versé et en profitant de la formation
que Pivotal lui a fournie dans le cadre de son emploi.

(2) Le véhicule procédural : l’injonction interlocutoire provisoire

[33] Essentiellement, Pivotal doit établir qu’elle a droit aux ordonnances d’injonction
provisoires sollicitées et qu’il est opportun pour le tribunal de les accorder. En effet,
l’injonction – il convient de le rappeler – est un recours exceptionnel et discrétionnaire
tirant son origine de la common law (A.I.E.S.T., local de scène no 56 c. Société de la
Place des Arts de Montréal, 2004 CSC 2; [2004] 1 R.C.S. 43, par. 13-14).

[34] Il reste donc maintenant à déterminer si les conditions régissant le recours en


injonction interlocutoire provisoire sont satisfaites dans les circonstances et s’il est
opportun de l’accueillir.
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B. Pivotal a-t-elle droit aux ordonnances d’injonction provisoires


sollicitées?

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[35] Afin d’avoir droit aux ordonnances qu’elle sollicite, Pivotal doit démontrer qu’elle
remplit les quatre conditions suivantes : (1) l’urgence; (2) l’apparence de droit; (3) un
préjudice sérieux ou irréparable; et (4) que la prépondérance des inconvénients la
favorise.

(1) L’urgence

[36] La demanderesse a appris le 4 août 2016 que M. Kukura travaillait maintenant


pour une de ses compétitrices directes, soit Paysafe. Le 18 août, elle a présenté sa
demande d’injonction provisoire dont l’audition s’est poursuivie le lendemain. Chaque
jour qui passe sans que M. Kukura ne respecte son contrat de travail, Pivotal voit ses
droits, clairement stipulés dans ce contrat, bafoués. Cette situation confirme l’urgence
d’agir en l’espèce.

[37] Lors de l’audience du 19 août, le tribunal a émis une ordonnance de gestion du


présent dossier et fixé l’instruction de la demande d’injonction interlocutoire au
25 octobre 2016. Le tribunal formulera plus loin une observation sur cette décision.

[38] La demande d’injonction provisoire d’une durée de 10 jours vise à fixer la


situation des parties pendant cette période eu égard aux trois obligations de ne pas
faire auxquelles s’est engagé M. Kukura en signant son contrat de travail. Il est donc
manifestement urgent de statuer sur cette question.

[39] En conséquence, le tribunal estime que ce critère est clairement satisfait en


l’espèce.

(2) L’apparence de droit

[40] Ce critère est peu exigeant et vise essentiellement à écarter les recours futiles
ou vexatoires : RJR — Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S.
311, 337-338; 143471 Canada Inc. c. Québec (Procureur général); Tabah c. Québec
(Procureur général), [1994] 2 R.C.S. 339; Placements Pellicano inc. c. Montréal (Ville
de), 2012 QCCS 2805, par. 62.

[41] Évidemment, l’apparence de droit doit être examinée à la lumière de l’art. 2089
C.c.Q., règle d’ordre public, qui dispose :
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2089. Les parties peuvent, par écrit et en termes exprès, stipuler que, même
après la fin du contrat, le salarié ne pourra faire concurrence à l’employeur ni
participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui lui ferait concurrence.

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Toutefois, cette stipulation doit être limitée, quant au temps, au lieu et au genre
de travail, à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de
l’employeur.

Il incombe à l’employeur de prouver que cette stipulation est valide.

[42] Le tribunal devra, au mérite, trancher la validité des trois engagements


contractuels du défendeur à la lumière des exigences impératives de l’art. 2089 qui
impose d’ailleurs le fardeau de la preuve à Pivotal.

[43] Cependant, à la présente étape des procédures, le tribunal estime que les
arguments du défendeur, fondés sur le caractère déraisonnable du délai de 12 mois, du
territoire canadien, de l’interdiction de travailler pour une entreprise faisant concurrence
à Pivotal et de la protection des intérêts légitimes de cette dernière, ne rendent ni futile
ni vexatoire son recours fondé notamment sur la clause de non-concurrence stipulée
dans le contrat de travail de M. Kukura. Ces arguments soulèvent tout au plus des
questions sérieuses à juger satisfaisant ainsi au critère de l’apparence de droit.

[44] Mais il importe de souligner cet extrait des motifs conjoints des juges Sopinka et
Cory dans RJR – MacDonald, préc., p. 337-338, qui confirme sans équivoque que le
présent jugement ne préjuge aucunement de la validité des trois obligations « de ne pas
faire » stipulées dans le contrat de travail du défendeur :

Once satisfied that the application is neither vexatious nor frivolous, the motions
judge should proceed to consider the second and third tests, even if of the
opinion that the plaintiff is unlikely to succeed at trial. A prolonged examination
of the merits is generally neither necessary nor desirable. [soulignement ajouté]

[45] En l’espèce, il est manifeste que le défendeur viole son obligation de non-
concurrence en travaillant pour une compétitrice directe de la demanderesse.

[46] La clause de non-concurrence à laquelle s’est engagé M. Kukura est claire : il lui
est interdit de travailler pour une compétitrice directe de Pivotal. À cet égard, l’art. 2089
C.c.Q. prévoit à son 1er alinéa que : « [l]es parties peuvent, par écrit et en termes
exprès, stipuler que, même après la fin du contrat, le salarié ne pourra faire
concurrence à l’employeur ni participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui
lui ferait concurrence» (soulignement ajouté).
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[47] Ainsi, cet article prévoit que Pivotal avait deux options : (1) interdire à M. Kukura
de lui faire concurrence ou (2) lui interdire de participer à quelque titre que ce soit à une
entreprise qui lui ferait concurrence. La deuxième option retenue par Pivotal interdit à
M. Kukura de travailler pour une entreprise qui lui ferait concurrence sans égard à la

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question de savoir si, dans les faits, cette entreprise lui fait concurrence. Quoi qu’il en
soit, il est admis en l’espèce que Paysafe, pour laquelle travaille M. Kukura, fait
directement concurrence à Pivotal.

[48] Les agissements de M. Kukura établissent la cause d’action de Pivotal par l’effet
conjugué des art. 2089, 1458 al. 1, 1590 et 1601 C.c.Q. En tant que signataire du
contrat de travail, M. Kukura a l’obligation de l’exécuter entièrement, correctement et
sans retard. Pivotal a, quant à elle, le droit de forcer l’exécution en nature des
obligations découlant de ce contrat de travail.

[49] Enfin, aucune des deux exceptions à la règle générale selon laquelle un juge ne
devrait pas procéder à un examen approfondi sur le fond ne s’applique en l’espèce
(RJR – MacDonald, p. 338-339).

[50] En conséquence, le tribunal conclut que ce critère est rempli en l’instance.

(3) Préjudice sérieux ou irréparable

[51] Le législateur a conféré à la Cour supérieure le pouvoir d’accorder une injonction


interlocutoire « [...] si elle est jugée nécessaire pour empêcher qu’un préjudice sérieux
ou irréparable ne lui soit causé ou qu’un état de fait ou de droit de nature à rendre le
jugement au fond inefficace ne soit créé » (art. 511 C.p.c., soulignement ajouté). En
l’espèce, il est manifeste que de ne pas forcer M. Kukura à respecter ses engagements
contractuels crée un état de fait de nature à rendre le jugement au fond inefficace
puisque celui-ci ne pourra le forcer rétroactivement à les respecter.

[52] De plus, la nature du préjudice que subit Pivotal par la violation des
engagements du défendeur est clairement sérieuse et irréparable car les clauses
contractuelles avaient justement pour but d’éviter la présente situation.

[53] La difficulté de quantifier les pertes subies par Pivotal, résultant de la violation
par le défendeur de son engagement de ne pas travailler pour une entreprise lui faisant
concurrence, constitue un autre motif pour conclure que le critère du préjudice sérieux
ou irréparable est rempli en l’espèce.

[54] Les procureurs du défendeur soutiennent qu’il y a absence de preuve de


préjudice. Ils invoquent le jugement rendu dans Éditions CEC inc. c. Hough, 2008
QCCS 4526, portant notamment sur la « doctrine de la divulgation inévitable de
l’information détenue par un ex-employé » qui serait inapplicable au Québec. Une
simple lecture de ce jugement confirme qu’il ne s’applique pas en l’espèce puisque,
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dans cette affaire, il n’y avait pas de clause de non-concurrence limitant les activités
post-emploi d’un employé. Or, en l’occurrence, le défendeur est lié par une clause de
non-concurrence clairement stipulée dans son contrat de travail.

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[55] Partant, le tribunal est d’avis que ce critère est rencontré dans les circonstances.

(4) La prépondérance des inconvénients

[56] Selon le droit québécois, ce critère ne doit être analysé que si le droit de Pivotal
est douteux4. Pourtant, les arrêts de la Cour suprême énonçant les critères de
l’injonction interlocutoire ne rendent aucunement ce critère de la prépondérance des
inconvénients conditionnel à ce que le droit invoqué par le demandeur soit douteux 5. Ce
critère doit, selon les enseignements de la Cour suprême, toujours être analysé et doit
favoriser le demandeur pour qu’une ordonnance d’injonction interlocutoire soit émise.
Les motifs conjoints des juges Sopinka et Cory dans RJR – MacDonald, préc., p. 342 et
343 sont, à cet égard, éloquents :

The third test to be applied in an Dans l'arrêt Metropolitan Stores, le juge


application for interlocutory relief was Beetz décrit, à la p. 129, le troisième
described by Beetz J. in Metropolitan critère applicable à une demande de
Stores at p. 129 as: "a determination redressement interlocutoire comme un
of which of the two parties will suffer critère qui consiste «à déterminer
the greater harm from the granting or laquelle des deux parties subira le plus
refusal of an interlocutory injunction, grand préjudice selon que l'on accorde
pending a decision on the merits". In ou refuse une injonction interlocutoire
light of the relatively low threshold of en attendant une décision sur le fond».
the first test and the difficulties in Compte tenu des exigences minimales
applying the test of irreparable harm relativement peu élevées du premier
in Charter cases, many interlocutory critère et des difficultés d'application du
proceedings will be determined at this critère du préjudice irréparable dans des
stage. cas relevant de la Charte, c'est à ce
stade que seront décidées de
nombreuses procédures interlocutoires.
The factors which must be considered
Il y a de nombreux facteurs à examiner
in assessing the "balance of
dans l'appréciation de la "prépondérance
inconvenience" are numerous and will
des inconvénients" et ils varient d'un cas
vary in each individual case.
à l'autre. Dans l'arrêt American
In American Cyanamid, Lord Diplock
Cyanamid, lord Diplock fait la mise en
cautioned, at p. 408, that:
garde suivante (à la p. 408):
[i]t would be unwise to attempt even
[TRADUCTION] [i]l serait peu sage de
to list all the various matters which
tenter ne serait-ce que d'énumérer tous

4
Société de développement de la Baie-James c. Kanatewat, [1975] C.A. 166; Brassard c. Société
zoologique de Québec inc., 1995 CanLII 4710 (QC CA), EYB 1995-29033, [1995] R.D.J. 573 (C.A.).
5
Voir notamment Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; RJR - - MacDonald
inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311.
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may need to be taken into les éléments variés qui pourraient


consideration in deciding where the demander à être pris en considération au
balance lies, let alone to suggest the moment du choix de la décision la plus
relative weight to be attached to convenable, encore moins de proposer

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them. These will vary from case to le poids relatif à accorder à chacun de
case. ces éléments. En la matière, chaque cas
est un cas d'espèce.
Il ajoute, à la p. 409: [TRADUCTION] «Il
He added, at p. 409, that "there may be
peut y avoir beaucoup d'autres éléments
many other special factors to be taken
particuliers dont il faut tenir compte
into consideration in the particular
dans les circonstances particulières d'un
circumstances of individual cases."
cas déterminé.»

[57] Tout comme le droit le plus clair ne donne pas droit à une injonction
interlocutoire en l’absence de préjudice irréparable (Brassard, préc., p. 582), un droit
clair ne devrait pas non plus donner droit à une injonction interlocutoire si la
prépondérance des inconvénients ne favorise pas le demandeur.

[58] Partant, quoique le tribunal soit d’avis que Pivotal a démontré en l’espèce
l’apparence d’un droit clair, il importe de déterminer si la prépondérance des
inconvénients la favorise.

[59] Après analyse, le tribunal est d’avis que le poids des inconvénients favorise
nettement la demanderesse. Si la demande d’injonction est refusée, les obligations de
« ne pas faire » stipulées dans le contrat de travail de M. Kukura resteront lettre morte,
alors que la demanderesse est en droit de forcer le défendeur à respecter ses
engagements. De plus, Pivotal ne bénéficiera pas du temps et de l’argent investis au
bénéfice du défendeur qui travaille maintenant pour une compétitrice directe, Paysafe.
En outre, la stratégie et le mode de marketing de Pivotal vont probablement être utilisés
à son détriment par le défendeur. Il existe aussi un risque réel de perte de clientèle.
Enfin, la violation par le défendeur de ses engagements contractuels risque
vraisemblablement d’avoir une influence néfaste sur les autres employés de Pivotal.
D’ailleurs, la preuve révèle que d’autres employés de Pivotal pourraient être tentés
d’imiter M. Kukura. Il est donc urgent et nécessaire d’arrêter cette hémorragie qui
pourrait conduire ultimement à la destruction de l’entreprise de Pivotal.

[60] D’autre part, si l’injonction est accueillie, l’argument principal du défendeur


voulant que le poids des inconvénients le favorise est fondé sur le fait qu’il ne pourra
plus travailler pour son nouvel employeur Paysafe.

[61] Cet argument ne peut, dans les circonstances, être retenu. Au moment de sa
démission, M. Kukura avait déjà été engagé par Paysafe. Or, le défendeur savait – ou
devait savoir – que son contrat de travail lui interdisait clairement de travailler pour
Paysafe sans égard à la question de savoir s’il ferait ou non concurrence à son ancien
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employeur. En fait, le défendeur est l’artisan de sa propre situation et invoque sa propre


turpitude. Il doit honorer les engagements de son contrat de travail.

[62] De plus, ce n’est pas l’ordonnance d’injonction provisoire qui l’empêchera de

2016 QCCS 3969 (CanLII)


travailler, mais bien le contrat de travail qu’il a dûment signé, dont il a pleinement tiré
profit et qu’il doit maintenant respecter.

[63] De surcroît, rien n’empêche M. Kukura de travailler pour d’autres employeurs


que le compétiteur direct de Pivotal.

[64] Une autre façon d’envisager la prépondérance des inconvénients est de


déterminer dans quelle situation devrait se retrouver chacune des parties en attendant
la décision sur le mérite : Pivotal devrait-elle attendre que ses clauses contractuelles
soient déclarées valides avant de forcer M. Kukura à les respecter? Ou M. Kukura
devrait-il être forcé de respecter ses engagements contractuels jusqu’à ce qu’ils soient
déclarés invalides le cas échéant?

[65] Malheureusement pour le défendeur, le législateur a lui-même tranché ces


questions en faveur de la demanderesse Pivotal : « [l]’obligation confère au créancier le
droit d’exiger qu’elle soit exécutée entièrement, correctement et sans retard » (art. 1590
al. 1 C.c.Q., soulignement ajouté).

[66] À la lumière de l’ensemble des circonstances, le tribunal est d’avis que la


prépondérance des inconvénients favorise concrètement la demanderesse.

* *
*

[67] En conséquence, le tribunal conclut que Pivotal a droit aux ordonnances


d’injonction provisoires sollicitées. Il reste maintenant à déterminer s’il est opportun pour
le tribunal de les accorder.

C. Est-il opportun d’accorder les ordonnances d’injonction sollicitées?

[68] Cette question découle du caractère discrétionnaire du recours en injonction. À


la réflexion, le tribunal estime qu’une réponse affirmative s’impose à cette question.

[69] D’abord, le défendeur ne s’oppose pas à l’ordonnance d’injonction concernant


son engagement de ne pas utiliser les renseignements confidentiels appartenant à
Pivotal.
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[70] Ensuite, la demanderesse n’a rien à se reprocher, elle a agi avec diligence, elle
n’a pas renoncé à ses droits et elle n’a pas non plus d’autres recours utiles pour forcer
l’exécution en nature des engagements contractuels du défendeur.

2016 QCCS 3969 (CanLII)


[71] L’ensemble de ces facteurs milite en faveur de l’émission des ordonnances
d’injonction provisoires sollicitées en l’espèce. D’ailleurs, on l’a dit, l’injonction tire son
origine de la common law. Ainsi, pour juger de l’opportunité d’émettre une injonction
prohibitive visant à obliger le défendeur à respecter ses obligations de ne pas faire, on
peut s’inspirer des propos de Lord Cairns L.C., formulés dans Doherty v. Allman, (1878)
3 App. Cas. 709 (H.L.), p. 720 :

If parties, for valuable consideration, with their eyes open, contract that a
particular thing shall not be done, all that a Court of Equity has to do is to say, by
way of injunction, that which the parties have already said by way of covenant,
that the thing shall not be done; and in such case the injunction does nothing
more than give the sanction of the process of the Court to that which already is
the contract between the parties. It is not then a question of the balance of
convenience or inconvenience, or of the amount of damage or of injury – it is the
specific performance, by the Court, of that negative bargain which the parties
have made, with their eyes open, between themselves.6

[72] Plus près de nous, ce même principe découle de l’effet conjugué des art. 1373,
1458, 1590, 1601 C.c.Q. et de l’art. 509 C.p.c.

[73] Il ne faut pas non plus minimiser la vertu préventive d’une injonction prohibitive
lorsque la probabilité d’un préjudice appréhendé est établie : 9055-6473 Québec inc. c.
Montréal Auto Prix inc., 2006 QCCA 627, par. 46.

* *
*

[74] En conséquence, le tribunal conclut que Pivotal a démontré qu’elle avait droit
aux ordonnances d’injonction provisoires sollicitées et qu’il est opportun pour le tribunal
de les accorder.

6
Dans cette affaire, il s’agissait d’une injonction permanente, mais le principe demeure le même en
matière d’injonction interlocutoire.
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VI

[75] En somme, en droit civil québécois, la signature d’un contrat entraîne pour
chaque contractant le devoir d’honorer ses engagements. En l’espèce, les ordonnances

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d’injonction provisoires sollicitées ne font que forcer M. Kukura à respecter les
engagements qu’il a contractés.

[76] Comme la Cour d’appel du Québec l’a souligné avec beaucoup d’à-propos :

Dans un monde où la signature d'un contrat veut dire quelque chose, la Cour ne
peut pas fermer les yeux sur une situation où une partie paraît transgresser
délibérément et indifféremment ses engagements contractuels.7

[77] Au final, une observation s’impose. Le tribunal a fixé l’instruction de l’injonction


interlocutoire au 25 octobre prochain. Or, puisque les critères de l’injonction provisoire
sont, à l’exception de l’urgence, les mêmes que ceux régissant l’injonction
interlocutoire, les parties auraient avantage à procéder sur le mérite de l’injonction
permanente afin que soit tranchée la validité des engagements contractuels du
défendeur à la lumière des exigences impératives de l’art. 2089 C.c.Q.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[78] GRANTS a provisional injunction, to be valid and executory until September 2nd,
2016, at 5 p.m.;

[79] ORDERS defendant Douglas Kukura to refrain:

i) from working, in Canada, whether directly or indirectly, with a business in


competition with plaintiff Pivotal Payments Corporation, i.e. a business that
offers sales of merchant processing services in connection with card
present as well as card-not-present electronic transactions including but
not limited to, nationwide credit and debit card processing, gift and loyalty
programs, terminal management solutions as well as online credit card
processing, virtual terminals and gateway solutions, including the Paysafe
Group PLC;

ii) from divulging, disclosing, communicating, or using any confidential


information concerning the affairs and business of plaintiff Pivotal
Payments Corporation, subsidiaries and affiliates, including any information
concerning plaintiff Pivotal Payments Corporation's products, product
designs, technical information, concepts, systems, software, existing or to

7
Ubi Soft Divertissements Inc. c. Champagne-Pelland, 2003 CanLII 13559 (QC CA), EYB 2003-48437,
J.E. 2003-1981, par. 20.
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be developed, customer lists, the prices it obtains or has obtained from the
sale of, or at which it sells or has sold its products, and services used by it,
the suppliers and costs thereof, the manner of its operation, its marketing,
product development and other plans, and any financial affairs of plaintiff

2016 QCCS 3969 (CanLII)


Pivotal Payments Corporation;

iii) from soliciting, procuring or assisting in the soliciting, whether directly or


indirectly, any customers or employees of plaintiff Pivotal Payments
Corporation;

[80] ORDERS any person who becomes aware of these orders to abide by them;

[81] DISPENSES plaintiff Pivotal Payments Corporation from having to provide


suretyship;

[82] ORDERS provisional execution of the present judgment notwithstanding appeal;

[83] AUTHORIZES all persons responsible for service of any order issued in the
present judgment to take all necessary measures to serve it and to prevent or remove
any impediment to its service, including service of the orders outside legal hours, by
bailiff, telecopy, electronic mail or by leaving certified copies of such orders (as well as
of the present proceedings) in Defendants’ mailbox, by sliding same under the door or
by any other means in the absence of Defendants’ or should any one of them refuse to
answer or to accept such service;

[84] ABRIDGES the delay for presentation of the present application;

[85] THE WHOLE with legal costs to follow.

__________________________________
GÉRARD DUGRÉ, J.C.S.

Me Luc Thibaudeau
Me Laurence Bich-Carrière
Mme Marie Catherine Ducharme
LAVERY, DE BILLY, S.E.N.C.R.L.
Procureurs de la demanderesse

Me Alexandre W. Buswell
Me Frédéric Massé
BORDEN LADNER GERVAIS
Procureurs du défendeur
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2016 QCCS 3969 (CanLII)

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