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LECTURE DE L’ETOURDIT: Lacan 1972
Christian Fierens
Editorial L’Harmattan
Paris 2002
PREFACE
INTRODUCTION
PREMIER TOUR: LE SIGNIFIANT ET L’ABSENCE DE RAPPORT
SEXUEL
CHAPITRE 1: RAPPORT DE SIGNIFICATION ET SENS
(PART 1‐5)
1.1 LE SIGNIFIANT ET LE DISCOURS
1.2 UN RAPPORT ENTRE SIGNIFICATIONS HETEROCLITES OU LE DELIRE DE
INTERPRETATION
1.3 LE RAPPORT DE SIGNIFICATION DU SIGNIFIANT ET L’INTERPRETATION
1.4 L’UNIVERSELLE ET L’EXISTENCE DE UN DIRE
LECTURE DE L’ETOURDIT: Lacan 1972
CHRISTIAN FIERENS
(8)
PREFACE
Est‐il lisible ?
Toute la vie de l'écrivain Lacan pourrait se résumer par le voeu d'être lu enfin convenablement »
(Litturaterre, Autres Ecrits, p. 13). Loin d'être matière à simple lecture, les Ecrits de 1966 et a fortiori les
Autres Écrits, publiés en 2001, devraient être déchiffrés comme des rébus. En cela, ils emboîteraient le pas
réservé au rêve dans la Traumdeutung freudienne. Chaque morceau ‐ obscur ou non ‐ y serait soumis au
travail de la parole, de l'association et du dire, dans la foi qu'apparaîtrait un sens. Mais en décryptant les
Écrits, les lit‐on convenablement ?
Au cours d'un séminaire de six ans qui visait l'interprétation des écrits de Lacan de A à Z, un texte
m'apparut particulièrement obscur et énigmatique: L'Etourdit résistait au déchiffrage. Je m'étais promis de
répertorier les obscurités du texte et de les travailler une à une. Au fur et à mesure de ce déploiement
explicatif, le répertoire s'enflait de nouvelles obscurités inaperçues ou minimisées lors de la première lecture:
l'obscur se glissait dans la texture de l'éclaircissement. Allais‐je m'enfoncer paradoxalement dans les ténèbres
d'un texte se refermant sur un hermétisme terminal ?
Si le nombre de mes questions augmentait, je constatais aussi que ce déploiement éclaircissait non
seulement certains points obscurs, mais aussi la trame, l'étoffe du texte lui‐même. Cheminant entre chien et
loup, l'accomplissement de mon désir ‐ interpréter L'Etourdit ‐ s'est fait attendre jusqu'à ce point du jour où
les fils de l'explication se nouent et se dénouent suffisamment pour former une « interprétation ». Car
l'interprétation n'est pas clarté absolue. Construite d'ombres et de lumières, l'interprétation trouve réponse à
chaque question pour autant que chaque réponse relance le questionnement.
(9)
Pour qui donc ce point du jour interprétatif? Non pour le texte, étourdit, qui n'a point de regard et
reste aveugle au commentaire. Peut‐être pour le regard bienveillant qui n'y retrouvera que ce qu'il voudra
bien y mettre, soit la réponse de son travail. Peut‐être aussi pour le regard aveugle de celui qui, dans
l'ombre, y décèlera l'énigme.
Regard aveugle de Tirésias qui au‐delà de la monstration et de la démonstration élève la voix et fait
deviner l'absence en jeu dans l'interprétation.
(10)
INTRODUCTION
L'étourdit est la forme primaire qui nous distrait de notre sémantique consciente, il est apparition de
l'inconscient dans sa dimension de non‐sens, il ouvre un au‐delà de la signification courante.
A partir de cet étourdit où affleure l'inconscient, s'agirait‐il de rappeler l'implication du sujet dans son
énonciation ? Ou encore l'interprétation est‐elle subjective, prédéterminée par le sujet ? Disons‐le d'emblée :
l'interprétation ‐ au sens psychanalytique du terme ‐ n'est pas « modale », elle n'est tributaire ni de la
subjectivité, ni de l'intersubjectivité des personnages en présence, même si le transfert et le contre‐transfert
peuvent en louer avec perversité. Il ne s'agit pas non plus de passer de l'état subjectif d'étourdi à l'état
subjectif d'éveillé.
Si, en soi, l'interprétation psychanalytique n'est pas subjective, d'où tire‐t‐elle son objectivité ? Du
texte sans doute, à condition de ne pas l'entendre à partir de la seule signification. L'interprétation ne se
réduit nullement à expliquer la signification du texte ! L'analyste digne de ce nom le sait bien lorsqu'il fait
porter tout le poids de l'interprétation sur la citation objective de l'analysant : tu l'as dit dans le plus léger
trébuchement (linguae ou calami), les tours disent encore et encore ce que tu as déjà dit.
Ouvrons donc la question de « L'Etourdit » à partir de la lettre objective du texte. L'auditeur entend
d'abord « l'étourdi » ; mais la lettre terminale « t » de « l'étourdit » invalide directement cette compréhension
; l'auditeur du participe substantivé « l'étourdi » (10) se ravise donc et devient lecteur de la lettre. À vrai dire,
la séquence littérale « l'étourdit » n'a aucun sens, à moins de faire du « l' » un pronom et de « étourdit » un
verbe : « cela l'amuse et l'étourdit ». La lettre « t » pose la question : mais où est passé le sujet grammatical
de cette séquence littérale «... l'étourdit » ? L'étourdit va au‐delà des significations de ses composantes, il
nous apostrophe : où est le sujet grammatical disparu ? Qui le fera apparaître ? Par le développement de ses
questions, L'Etourdit induira un effet de sujet (psycho‐) logique tant et si bien qu'après lui, le sujet auditeur
sera transformé en sujet « lecteur » de la lettre, il sera Autre. Ce nouveau sujet, effet de l'écrit, vérifie
précisément l'enjeu des Écrits de Lacan, comme nous l'annonce La lettre volée. C'est là « lire
convenablement », c'est là interprétation en même temps que disparition ‐ apparition d'un sujet.
L'étourdit phoniquement possible est graphiquement impossible. Le possible « étourdi » est
contredit par la graphie d'un « étourdit » impossible. Possible et impossible, « étourdit » est une énigme
d'autant plus ardue que ce signifiant ne viendra qu'une seule fois dans le texte. Que le titre condense le
texte, qu'il en soit le pivot ou qu'il en donne la clef interprétative, il faut élucider l'énigme de l'étourdit à
partir de son occurrence dans le texte.
La reprise du nom « étourdit » dans le texte, qui peut être appelée reprise de S1 dans S2 ou reprise
d'un signifiant dans un autre signifiant, s'inscrit dans un paragraphe occupant une place centrale bien
délimitée par des guillemets. Ce paragraphe est aussi le seul paragraphe entre guillemets
« Tu m'as satisfaite, petithomme. Tu as compris, c'est ce qu'il fallait. Vas, d'étourdit il n'y en a pas de
trop, pour qu'il te revienne l'après midit. Grâce à la main qui te répondra à ce qu'Antigone tu l'appelles, la
même qui peut te déchirer de ce que j'en sphynge mon pastoute, tu sauras (11) même vers le soir te faire
l'égal de Tirésias et comme lui, d'avoir fait l'Autre, deviner ce que je t'ai dit. »
(S 25a; AE 468, Parlêtre 20.5) 1
Que nous disent ces guillemets ? Le paragraphe met en scène une énonciation nécessairement
différente de celle du reste du reste. Quels sont le (Je » et le « tu » de ce discours direct ?
Qui parle dans ce paragraphe ? La réponse n'est pas explicitée s l'extérieur de la citation et apparaît
énigmatique non seulement pour le « lecteur » pressé, mais plus encore pour le lecteur attentif. Le locuteur
s'est pourtant désigné deux fois à l'intérieur du texte lui‐même : 1° « Tu m'as satisfaite » ; grammaticalement,
ce serait donc un « être » du genre féminin qui parle, et 2° « j'en phynge mon pastoute » ; comme Sphynge,
elle poserait ses énigmes. À qui ?
Sans doute, la Sphynge adresse‐t‐elle son énigme à OEdipe et nous pourrions nous glisser dans sa
peau pour poser la question de notre vérité énigmatique, comme Freud l'avait déjà fait pour démêler sa
propre histoire familiale peu commune. Mais plus directement, le paragraphe entre guillemets suit le
paragraphe précédent écrit par Lacan : il s'adresserait donc d'abord à Lacan lui‐même. De plus la grammaire
de L'Etourdit indiquerait clairement que la Sphynge s'adresse à Lacan en tant qu'il a contribué à l'approche du
«pastoute » (que nous laisserons provisoirement dans l'énigme de la Sphynge). L'apport de Lacan au «
pastoute » se structure en trois moments qui se comptent : (12) d'abord quatre, puis deux, enfin trois
(explicité comme quadripode des quatre places des quatre discours, bipode des sexes et trépied formé par les
deux sexes plus le phallus ou par la triangulation phallique). Quatre, deux, trois, l'ordre est suffisamment
ahurissant et énigmatique pour y entendre la citation de l'énigme de la Sphynge : quel est l'être qui marche
successivement à quatre pattes (le matin), à deux pattes (à midi) et à trois pattes (le soir)? La question de la
Sphynge s'adresserait donc à Lacan lui‐même, nouvel Oedipe face à l'antique question qu'est‐ce que l'homme.
Les rôles seraient ainsi bien partagés : « je » serait la Sphynge, « tu » serait Lacan. Mais pourquoi
n'avoir pas nommé clairement les interlocuteurs impliqués dans ce discours direct ?
Revenons à notre citation ou à notre énigme.
Formellement, le paragraphe énigmatique se compose de quatre phrases
1) « Tu m'as satisfaite, petithomme ».
2) « Tu as compris, c'est ce qu'il fallait ».
3) « Vas, d'étourdit il n'y en a pas de trop, pour qu'il te revienne l'après midit ».
4) « Grâce à la main qui te répondra à ce qu'Antigone tu l'appelles, la même qui peut te déchirer de ce que j'en sphynge mon pastoute, tu
sauras même vers le soir te faire l'égal de Tirésias et comme lui, d'avoir fait l'Autre, deviner ce que je t'ai dit ».
La troisième phrase contient le terme « étourdit » et s'ouvre par un « vas » qui articule deux
propositions, une causale juxtaposée (d'étourdit il n'y en a pas de trop) suivie d'une consécutive subordonnée
(pour qu'il te revienne l'après midit), ou encore un premier midit suivi d'un deuxième midit. Si le terme «
étourdit » est l'articulation du texte de L'Etourdit, alors les deux propositions de la troisième phrase doivent
articuler le texte par l'intermédiaire du paragraphe.
(13)
Seul verbe de mouvement dans le discours de la Sphynge, vas » est encore une forme verbale dont le
sujet est effacé. Seraitce l'impératif de la Sphynge à l'endroit de Lacan ? L'orthographe de « vas »2 le
contredit formellement. « Vas » n'est pas une forme impérative (qui s'écrit « va»). « Vas » ne peut être
qu'une forme proprement conjuguée du verbe aller: « tu vas ». Et, grammaticalement, on n'écrit pas «
vas » sans son sujet. L'effacement du sujet grammatical remet donc en question l'interprétation « tu vas » et
fait apparaître une nouvelle valeur ‐14‐ possible pour « vas » : la forme archaïque de la première personne de
l'indicatif présent du verbe aller: « je vas ». C'est à partir de cette « élégante allée » (S 17a ; AE 460, Parlêtre
14.18 ) d'abord apersonnelle, à partir de l'équivoque grammaticale (je / tu « vas ») que s'expliqueront les
sujets (psycho‐) logiques impliqués dans la citation : (tu) t'inscris dans un mouvement d'aller à condition de
t'absenter comme personne puisque cette avancée est aussi la mienne (celle d'une femme et de son
énigme). Quelle est cette allée «<vas») ? La Sphynge donne la réponse: l'allée part « d'étoudi(t) » en tant
que « il n'y en a pas trop » et va(s) « pour qu'il te revienne l'après midi(t) ». Cette réponse ne va pas sans
trois appendices graphiques : le « t » d'étourdit, le « s » de vas et le « t » de l'après‐midit. Ces trois lettres ne
sont pas trop pour faire passer d'une phonétique possible (étourdi, va, midi) à une grammaire impossible
(étourdit, vas, mi dit). Quelle signification pouvons‐nous donner à ces trois lettres surnuméraires ? De prime
abord aucune : c'est bien là ce qui nous renvoie aux sons, aux rimes du « dit » (étourdit/midit) médiatisées
par le mouvement qui va de l'une à l'autre. Des tours dits, il n'y en a pas trop pour qu'il te revienne après ce
qui a été midit. Au‐delà de l'équivoque homophonique, en passant par l'équivoque grammaticale, nous
entendons déjà l'équivoque logique propre au dire, qui va d'un dit à l'autre. Ce dire surgit des détours dits et
des morceaux de dit, des « midits » impossibles à synthétiser. Entre « étourdit » et « midit », « vas » divise
l'ensemble du texte en deux . c'est à mi‐course du texte que la Sphynge apparaît à mi‐corps (femme‐lion)
pour poser à Oedipe la question de la vérité mi‐dite de l'homme: qu'est‐ce qu'un homme ?
Mais qu'est‐ce qu'un midit qui se redit sinon une citation ? Et qu'est‐ce qu'un dit qui se fait entendre
comme midit, sinon une énigme ? L'Etourdit va éclairer le mi‐dire dans le double registre de la citation et de
l'énigme. Ces deux fils de la citation et de l'énigme se croisent et se tissent; nous sommes partis de la
citation de l'énigme (du discours direct de la Sphynge) pour mettre en route (15) l'enigme de la citation, pour
poser la question : que veut dire parcourir une deuxième fois le dire ? Que veut dire « citer »,?
L'interprétation a précisément pour médium les deux registres la citation et de l'énigme3. L'Etourdit
traitera de l’intérpretation psychanalytique. Comment en traitera‐t‐il ? De quelle manière ? À la manière
d'une interprétation : L’Etourdit interprète l’ interprètation. La reprise du titre dans le discours de la Sphynge
est déjà le degré zéro de l'interprétation: « étourdit » est cité et reste énigmatique (c'est notamment un terme
étranger au lexique habituel de la psychanalyse).
L'articulation du titre avec le paragraphe, comme nous l'avons vu, nous annonce davantage:
l'interprétation psychanalytique se pue toujours en deux tours (dits par L'Etourdit)
Premier tour dit de l'interprétation ou première partie de L Etourdit
La première partie présentée dans la troisième phrase comme » d'étourdit il n'y en a pas de trop »
indique un premier midit qui n'est pas de trop. Ce premier midit était déjà exprimé par la Sphynge : « Tu m'as
satisfaite, petithomme ». « Me » apparait comme l'énigme personnifiée par la Sphynge et « tu » comme la
réponse personnifiée par Lacan. L'énigme cherchait un épanouissement précis (le mystère féminin) et le
petithomme l'a satisfaite comme il a pu. Car l'homme habituellement préfixé de bon, gentil ou preux
(bonhomme, gentilhomme ou prud'homme) est ici préfixé d'un petit face à l'énigme. Pourquoi ? L'équivoque
homophonique (petithomme / petit homme) nous ouvre, par l'intermédiaire de la lettre (du gramma), la voie
de l'équivoque logique qui se jouera entre l'énigme et l'interprète : ‐16‐ petit homme devant l'énigme parce que
« peti thomme » [l'explication en sera donnée plus loin (S18de, Parlêtre 14.15) : coupure (thomme) propre à la
pétition (peti), au registre de la demande qui donne au mâle son caractère petitement viril]. La « satisfaite »,
renvoyant à l'inépuisable énigme d'une femme, et le « petithomme à l’insuffisance de l'homme, apparaissent
maintenant fondamentalement disparates : le rapport entre ces deux termes est proprement impossible, «il
n'y a pas de rapport sexuel ».
Le premier chapitre de la première partie (Le rapport de signification), partira du dit de l'énigme pour y
chercher des rapports de significations (par exemple 4 pattes, 2 pattes, 3 pattes).
L'énigme est pour celui qui peut en dire quelque chose (deuxième chapitre: le dire).
Et ce dire aboutit nécessairement au rapport impossible entre l'énigme et son interprète, entre la
Sphynge et Oedipe, entre une femme et un homme (troisième chapitre : l'absence de rapport sexuel).
L'énigme indiquait d'emblée une « satisfaction » Mais qui se pourra dire satisfaite s'il n'y a pas de
rapport entre une femme et un homme ? On satisfait une fonction comme on satisfait un besoin ; c'est la
fonction de l énigme qui est satisfaite par le petithomme qui lui sert d'argument (sans épuiser le domaine de
ladite fonction). Cette fonction sera appelée la fonction phallique (quatrième chapitre). Ici s'achève
l'articulation du premier tour ou la citation de l'énigme : nous aurons compris comment fonctionne l'énigme,
son dit et son absence (premier tour : le rapport de signification et l'absence de rapport sexuel)
Subsiste un reste, la deuxième phrase : « Tu as compris, c'est ce qu'il fallait ». On sait la méfiance de
Lacan vis‐à‐vis de la compréhension, même s'il ne recule pas à « prendre ensemble », à résumer un ensemble
conceptuel, voire toute une théorie dans d'audacieux raccourcis.
(17)
Quel est le rôle de cette compréhension ? Problème d'autant plus crucial qu'il s'agit pour nous de
comprendre L'Etourdit. La compréhension n'est pas terminale, mais inaugurale d'un « c'est ce qu'il 'fallait ».
Loin de la bonne conscience d'avoir compris, le « fallait » introduit plutôt une faille dans la compréhension et
cette faille servira de relance pour la fonction phallique surgie de l’absence de rapport sexuel. Car les formules
bâties sur la fonction phallique (« c'est ce qu'il phallait ») feront apparaître le « pastout » qui a servi de moteur
au mouvement du premier tour sans que nous ne le sachions.
Mais que dirons‐nous de ce discret moteur ? Nous ne pouvons l’appréhender qu'en le laissant tourner.
Nous voilà donc partis pour un second tour : « vas, d'étourdit il n'y en a pas de trop, pour qu'il te revienne l
après‐midit ».
Deuxième tour dit de l'interprétation ou deuxième partie de L'Etourdit.
Quelle différence ferons‐nous entre les deux tours, entre le premier midit et le deuxième midit ? La
Sphynge le dit dans son pastoute » (en italiques dans le texte) : c'est le « partout » qui inscrira une différence
entre les deux tours. Les quatre chapitres du premier tour pourront dès lors être repris à la lumière de ce
«pastout » ; les quatre chapitres du deuxième tour seront les mêmes à ceci près qu'il mettront en évidence
entre eux et leurs homonymes du premier tour un dire irréductible au dit (la différence entre les deux). Par là
s'éclairera d'énigme de la citation que veut dire « redire » sinon déjà interpréter (deuxième tour: le discours
de l'analyste et l'interprétation).
J'indique sommairement les découpes possibles de cette deuxième partie selon les propositions de la
quatrième phrase prononcée par la Sphynge
1) « Grâce à la main qui te répondra à ce qu'Antigone tu l'appelles », la main sur laquelle Lacan se guide
ici est la topologie des surfaces (chapitre 1) qui reprend la question du signifiant, éclairée maintenant par la
fonction phallique développée jusqu'au pastout ;
(18)
2) « la même qui peut te déchirer de ce que j'en sphynge mon pastoute », cette topologie déchire
l'analyste pour le situer à sa place spécifique dans le discours de l'analyste (chapitre 2) qui permet d'éclairer le
dire en général ;
3) « tu sauras même vers le soir te faire l'égal de Tirésias »; il s'agit d'égaler Tirésias dans sa
compréhension de la structure (troisième chapitre) qui est le développement de l'absence de rapport sexuel ;
4) « et comme lui, d'avoir fait l'Autre, deviner ce que je t'ai dit ». Il s'agit d'aller de l'Autre à
l'interprétation (quatrième chapitre) qui n'est autre que le parcours de la fonction de l'énigme, de la fonction
phallique.
Récapitulons les tours que nous dirons
1. premier tour: le si ign fiant et l'absence de rapport sexuel chapitre 1 : le rapport de signification
chapitre 2 : le dire
chapitre 3 : l'absence de rapport sexuel
chapitre 4 : la fonction phallique et les formules de la sexuation.
2. deuxième tour: le discours de l'anal
ste et l'interprétation. chapitre 1 : l'enseignement de la topologie
chapitre 2 : le discours de l'analyste chapitre 3 : la structure
chapitre 4 : l'interprétation.
NOTES :
1. La lettre S suivie d'un nombre puis d'une minuscule a, b, c, d, e, renvoie à la première édition de LEtourdit dans la revue Scilicet, n°
4, Le Seuil, Paris, 1973, au numéro de la page et les minuscules situent le passage dans la première, deuxième, troisième, quatrième ou
cinquième partie de la page.
Les lettres AE renvoient a l’édition de L’étourdit dans les Autres écrits, Le Seuil, Paris, 2001.
La lettre A renvoi aux Écrits, Le Seuil, Paris, 1966.
2. L'éditeur des Autres Ecrits a « corrigé » le « vas » en « va ».
3. « Ces deux registres, en tant qu'ils participent du mi‐dire, voilà qui donne le médium ‐ et, si l'on peut dire, le titre ‐ sous lequel
intervient l'interprétation. L'interprétation ‐ ceux qui en usent s'en aperçoivent ‐ est souvent établie par énigme. Enigme autant que possible
cueillie dans la trame du discours du psychanalysant, et que vous, l'interprète, ne pouvez nullement compléter de Vous‐même, que vous ne pouvez
pas considérer comme aveu sans mentir. Citation d'autre part, parfois prise dans le même texte... » (Sém. XVII, p.40‐41).
(20)
PREMIER TOUR
LE SIGNIFIANT ET L'ABSENCE DE RAPPORT SEXUEL
(21)
Comme nous l'avons vu, le sens de L'Etourdit ‐ le travail de l'analyse ‐ nous est donné par une
forme verbale sans sujet « vas ») ; le texte prend son envol à partir de l’équivoque d'un verbe (ou d'une
fonction) qui va déterminer un sujet plutôt que d être animée par lui.
Le jubilé de l'hôpital Henri‐Rousselle, lieu de ses présentations de cas, donne à Lacan l'occasion
d'expliquer les principes de son travail d'analyse. Loin d'être une simple présentation de malades, qui
bornerait simplement le cas, le travail d'analyse suppose toujours une double présentation et donc une
re‐présentation. L'individu n'entre en analyse, ne devient analysant que pour autant qu'il dépasse sa simple
présentation et se laisse présenter une deuxième fois par ses lapsus, actes manqués, symptômes et rêves :
par son inconscient ; le « sujet » en analyse, l'analysant est cerné par un double discours, il est présenté et
encore présenté : il est re‐présenté. « Le sujet est ce que représente le signifiant pour un autre signifiant ».
Certes, le patient se présente avec ses mots à lui; il ne devient analysant que si ce qu'il dit n'est pas ce qu'il
veut dire, que si ses mots disent autre chose que ce qu'ils voulaient dire, que si ses mots deviennent
«signifiants » (un signifiant pour un autre signifiant, S1→S2). Le « sujet » n'existe que par ce double tour du
signifiant.
Le travail de l’analyse implique apparemment deux personnes : l'analysant et l'analyste. Il n'est pas
évident qu'ils jouent à proprement parler un « rôle », même s'il peut être tentant de considérer le «patient»
comme objet d'un traitement dont l’analyste serait le sujet agissant.
Du côté du « patient », il ne s'agit jamais de « cas » objectif ou d'illustration clinique d'une
problématique spécifique (« présentation de cas »). L'analysant n'est rien d'autre que la mise en acte de
l'inconscient dans la seule pratique du signifiant à (22) laquelle il est convié ; il est donc « sujet », représenté
par un signifiant pour un autre signifiant. Autrement dit, l'analyse dépasse d'emblée la présentation de cas
pour aller à la représentation du sujet par le signifiant. « L'objet » d'étude de la psychanalyse s'avère ainsi
être cet étrange « sujet » par deux fois présenté.
Du côté du praticien, la présence « subjective » de l'analyste est bien problématique. Qu'il parle ou
qu'il garde le silence, le travail qu'il accomplit ne préjuge en rien de l'intérêt et de l'importance que lui
attachera l'analysant ; l'analyste, d'ailleurs, gagnerait à ne pas se laisser guider par de telles considérations.
L'attention que l'analysant lui porte comme personne reste périphérique par rapport à sa fonction propre.
Cette fonction de l'analyste est éclairée par le dire de Lacan à Saint‐Anne (Le savoir du psychanalyste)
comme à Henri‐Rousselle (L 'Etourdit). Si ces deux exposés sont « vacuoles » (S 5b ; AE 449 ; Parlêtre 1.2)
enchâssées dans l'enseignement du séminaire, ils visent tous deux à situer la place de l'analyste dans le
dispositif de la cure : le lieu de l'analyste y est vacuole, petite poche autour de laquelle tourne la vie de la
cellule analytique. Cette vacuole ‐ fondamentalement équivoque ‐ est à la fois cavité, vide (au sens
géologique de « vacuole ») et organite cellulaire plein (au sens biologique du terme). Vide, elle est le lieu du
semblant, pleine, elle est l'objet du désir. Comme vacuole, c'est‐à‐dire comme objet du désir à la place du
semblant, l'analyste ‐ absent et présent ‐ servira d'axe désaxant autour duquel graviteront les discours
successifs de l'analysant. Pivot de la cure, l'analyste condense en lui les deux sens du mot « vacuole » aussi
bien que les deux foyers (vide et plein) de révolution de l'analyse. Cette vacuole est l'objet a.
Le travail de l'analyse est ainsi déterminé par ces deux termes le sujet barré (l'analysant) et l'objet a
(l'analyste). Leur articulation dans le fantasme ( ) suit nécessairement un chemin propre non seulement
à l'imagerie de tel fantasme, mais à sa logique après une double boucle « re‐présentative » (exposée dans la
double boucle, dans les deux tours de L'Etourdit), il revient à son point de départ. La lettre en tant qu'elle
con‐cerne l'objet a (23) « arrive toujours à destination » (E 41). Car cette destination n'est pas le destinataire
qui peut lire le message, mais plutôt le réel que la lettre cerne, la « vacuole » qui fait trou pour le
destinateur notamment. Et lorsque Lacan forme le voeu « d'être lu enfin convenablement », entendons
«selon la bonne destination » ou encore selon le double tour du parcours du signifiant, articulé dans
l'expérience psychanalytique. Autrement dit, à lire Lacan convenablement, nous partagerons son expérience
dans les détours des dits que vise L'Etourdit, nous parcourrons les deux moitiés du texte en même temps
que la coupure du fantasme dont dépendent le « sujet barré » et « l'objet a ».
Une double boucle donc... Mais de quel sera notre point de départ ? Suivons le fil de la lettre qui
articule le fantasme et finit toujours par revenir à son point de départ. Prenons le chemin du signifiant par
bribes, par morceaux, par miettes de signifiant. Ces miettes ne sont pourtant pas les restes de n'importe
quel banquet. Tirées du séminaire « ... ou pire », elles se ramassent du discours psychanalytique 1. Elles
arriveront à destination même si elles n'apparaissent que comme « reliefs », rogatons, rebuts du séminaire.
(25)
CHAPITRE 1 : RAPPORT DE SIGNIFICATION ET SENS
Voici deux miettes du discours psychanalytique (« ... ou pire »):
1) «Qu'on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s'entend ».
2) « Cet énoncé qui paraît d'assertion pour se produire dans une forme universelle, est de fait modal,
existentiel comme tel: le subjonctif dont se module son sujet, en témoignant » (S 5d ; AE 449 ; Parlêtre 2.1‐2.2).
Ces deux phrases ou ces deux « miettes » nous plongent dans la double présentation, dans la
représentation de l'une (1) pour et dans l'autre (2) et cette re‐présentation nous conduira au sujet barré et à
l'objet a.
La première miette parle d'un dire comme processus impersonnel. Ce dire où les personnes ne sont pas
encore déterminées n'est pas directement disponible: il est « oublié » derrière ce qui se dit. Suffirait‐il dès lors
d'oblitérer le dit pour que survienne le dire ? Suffirait‐il d'effacer l'énoncé pour qu'apparaisse le mystère de
l'énonciation ? Non: de dits, de tours dits, « d'étourdit », il n'y en a pas de trop : la doublure est bienvenue
pour que le dit soit entendu. La différence entre le dit et l'entendu, entre la présentation et la représentation,
révélera le dire: même s'il est oublié derrière le dit, il n'arrive que parce qu'il y a de l'entendu. [D'un point de
vue technique, l'abréviation du dit, les « séances brèves » ne se justifieront que pour autant qu'elles
produisent un entendu].
La seconde miette, la deuxième phrase est une re‐présentation de la première, non pas comme
commentaire de son contenu matériel, mais comme analyse formelle, grammaticale et logique, de la
première. Cette analyse formelle oppose l'apparence d'assertion de la première à sa nature effectivement
modale. La deuxième phrase dit : le caractère assertif de la première phrase [l'assertion prétend dire comment
les choses sont effectivement] n'est qu'une (26) apparence, elle est en fait modale. Son apparence d'assertion
se produit parce que la proposition est universelle: la première phrase concerne tout dire quel qu'il soit, il
serait toujours vrai que le dire reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s'entend.. M'exprimant ainsi, j'ai
déjà entendu un dire à la place du « qu'on dise ». Or le subjonctif « qu'on dise » témoigne d'une modalité
dont dépendent ce qui se dit et ce qui s'entend. Si l'indicatif « reste » montre que l'assertion se voudrait
universelle ‐ ce que renforce l'objectivité des passifs « se dit » et « s'entend » ‐, la présence du subjonctif
actif « dise » replace la phrase dans la contingence ; il faut que soit constaté « qu'on dise », et c'est
précisément ce qui est oublié. Le subjonctif indique un apport extérieur, une prise en compte du penser
dans la pensée. Aucune assertion n'a donc de valeur universelle, elle ne fait qu'y prétendre ; et, malgré les
apparences et le fard de certitude qu'induit l'indicatif, toute assertion est toujours le résultat d'un dire : «
pour qu'un dit soit vrai, encore faut‐il qu'on le dise, que dire il y en ait ». Asserter c'est dissimuler le
caractère modal de toute proposition. Si l'assertion dépend d'un point de vue extérieur, elle participe donc
de l'ex‐sistentiel. Il est évident que cet « ex‐sistentiel comme tel » n'a rien à voir avec l'existence scolastique
: l'ex‐sistence n'est pas la réalité effective d'un fait asserté, mais le point de vue extérieur du penser par
rapport à ce qui est pensé. Ainsi la deuxième phrase indique le chemin logique de l'interprétation des deux
phrases : le modal s'oppose à l'assertion pour faire apparaître le concept d'ex‐sistence. C'est seulement à
partir de cette ex‐sistence, de ce point de vue extérieur, que l'assertion et l'universelle sont possibles.
Lacan partira de la grammaire de ces deux phrases et de « leur. rapport de signification » (S 5;
Parlêtre 3.1) (le dit de chacune des deux phrases renvoyant à l'autre) pour en déduire logiquement un sens
(non seulement un entendu, mais aussi un dire). Une signification est d'abord attachée à un dit. Le rapport
de signification inscrit le dit dans une organisation beaucoup plus large : il l'inscrit dans un discours. Cette
déduction occupera deux pages (S 6‐7 ; (27) AE 450‐451 ; Parlêtre 4‐5). La distinction entre la signification
et le sens sera « plus loin accentuée » comme « antinomie » (S 36‐37 Parlêtre 30.5 y 35.6).
Ces deux pages logiques, même si elles semblent ne toucher qu'à l'être, à l'universel ou à l'assertif,
nous conduisent déjà vers le « réel comme impossible » : elles annoncent déjà l'aporie sur laquelle bute tout
discours. Comment cela?
Un discours est une pratique de parole constitutive d'un lien social entre deux partenaires: ainsi le
discours hystérique lie‐t‐il l'hystérique à celui qu'elle interroge, ainsi le discours magistral lie‐t‐il le maître à
son esclave ou à son disciple, ainsi le discours universitaire lie‐t‐il le professeur à son étudiant, ainsi le
discours psychanalytique lie‐t‐il l'analyste à son analysant. Pourtant les deux partenaires de chaque discours
sont foncièrement disparates; le lien social entre eux est marqué par l'impossibilité radicale de les faire «
dialoguer » : il n'y a pas de vrai rapport entre eux. Il incombe à chacun des deux partenaires de se soutenir
de son propre côté: le premier des deux partenaires, le semblant, se soutiendra d'une vérité qui le
détermine nécessairement, pour s'adresser au second, l'Autre ; et cet Autre ne pourra répondre au premier
qu'en émettant un produit contingent; ce produit est donc un fruit possible dépendant de la vérité qui a
déterminé le premier partenaire ; ce produit pourtant est impuissant à retourner à la vérité du discours.
Chaque discours engendre des produits sans issue à l'intérieur de ce discours. Telle est l'aporie ou
l'impuissance d'un discours en général. La matrice de tout discours comprend quatre places réunies deux à
deux par quatre modalités
Ou enco
ore
(28)
ours psycha
Le disco analytique ne fonctio
onne jamaiss seul; il a la particulaarité d'implliquer l'anaalyste et
l'analysant dan
ns les autrees discourss. Bien pluss il pousse chaque disscours à see développer à partir de son
possibilité ett à démontrer son imp
imp puissance. D
Devant cette aporie, to
out discourss est amenéé à se renveerser au
proffit d'un nou
uveau disco
ours et d'un
ne nouvellee tentative de lien soccial. Le disccours psych
hanalytique pousse
chaq
que discourrs à sa « puissance dernière », c'est‐à‐dire à sson impuisssance. Le réel est l'épuisement de chaque
disccours. En cee sens, le diiscours analytique est « science d
du réel » : iil est la scieence des disscours en tant que
chaccun d'eux vva vers sa p
propre impu
uissance. Ceeci sera rep
pris dans la suite du teexte. La « sccience du ré
éel », la
scieence des basscules de diiscours, intééresse tous les analystes même s'ils l'ignoren
nt. Pourquo
oi les « ménager » ?
ute manièree des « événements »22, c'est‐à‐dirre dans le rréel des passages à l'aacte des
Ils l'apprendraient de tou
analysants qui leur rappeelleront in acte exerccito la puisssance dernière de cettte logique faite d'apories et
mpossibilitéss.
d'im
Contrairement auxx logiques cclassiques q
qui évitent ou résolven
nt les apories logiquess, la logiquee propre
au discours pssychanalytiq
que s'en accommode
a e; cette loggique met donc en rroute l'impo
ossible de chaque
disccours pour en démontrer l'impuissance ou l'aporie. Q
Quitte d'ailleurs à dém
montrer la propre ap
porie du
disccours psychaanalytique et d'en passser à un auttre discourss.
(29)
1. Le signifiant et les discours.
La règle, le pas d'entrée dans l'analyse, est l'association « libre », c'est‐à‐dire le signifiant; un
signifiant se différencie toujours de lui‐même: il est défini par la possibilité de «s'en servir pour signifier
autre chose » que ce qu'il dit (E 505). Aussi, un signifiant (S1) devient nécessairement autre, il se transforme
toujours en un « autre » signifiant (S2).
La règle liminaire ainsi posée, nous pouvons prendre n'importe quelle paire (S1→S2) de miettes, de
signifiants pour aborder le rapport de signification. Ainsi l'étourdi (S1) devient‐il « étourdit » (S2) pour
introduire l'énigme du dire. Ainsi l'homme aux rats se défend‐il de ses idées obsédantes par un aber «mais»
(S1) qui se transforme en abér (S2) où Freud entend les défenses militaires (Abwehr) chères au patient et à
son père. Ainsi toute lettre, tout mot, toute phrase, tout discours s'offre‐t‐il à la parole qui en renouvelle et
en transforme la signification : toute parole fait naître du signifiant (par la transformation d'un signifiant en
un autre signifiant).
Les miettes choisies par Lacan éclairent cette transformation propre au signifiant (S1→S2) par les
phrases
S1 « Qu'on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s'entend ».
S2 « Cet énoncé qui paraît d'assertion pour se produire dans une forme universelle, est de fait modal,
existentiel comme tel: le subjonctif dont se module son sujet, en témoignant ».
Nous y voyons aussi que S2 est dérive ou déformation de S1. S2 est l'entendu du dit S1. Mais où est le
dire ?
Comme le premier exemple choisi par Lacan (étourdi ‐> étourdit), nos deux miettes ont un contenu
relatif au dire qui concerne le signifiant lui‐même. La «matière» de nos deux miettes n'est autre que la
«forme» signifiante en général. En conséquence de quoi, n'importe quel signifiant entraînera avec lui dans
sa forme de signifiant tout le contenu de ce S1‐S2, de ces deux phrases choisies par Lacan. L'exemple de
l'homme aux rats (30) (aber → abér) articule lui aussi un dit et un entendu pour faire ex‐sister un dire.
Si S2 est déformation de S1, S1 et S2 sont nécessairement en rapport et ce rapport de signification
implique un ordre temporel S2 vient après S1. Cette succession temporelle, S1 puis S2, s'inscrira à différents
endroits dans tel ou tel discours pour autant que la matrice des discours implique une ordonnance temporelle
des places : 1) vérité, 2) semblant, 3) Autre, 4) produit.
Faisons glisser le vecteur (S1 → S2) sur le vecteur matriciel des places (vérité → semblant → Autre →
produit).
Nos deu
ux termes s'inscrivent dans cette structure géénérale de discours dee telle sorte que S1 précède S2.
Nou
us pouvons inscrire S1 → S
→ 2 de troiis façons diffférentes daans la matriice des discours
1° S1 estt la supposéée vérité reeprise par S2 : ce rappo
ort est proprre au discou
urs universiitaire; un saavoir est
en p
position de semblant à condition q
qu'il repren
nne un S1 prris pour vériité;
2° S1 estt le semblant mettant au travail l'Autre, S2 : ce rapport appartient au discourrs magistral, l'ordre
du m
maître décleenche le traavail de l'esclave ou du
u disciple S2 ;
ui produit S2: ce rapporrt est particulier au discours hystéérique; un signifiant estt mis au
3° S1 est l'Autre qu
travvail et produ
uit le savoirr hystériquee.
Représeentons ces ttrois discou
urs
Nos deu
ux phrases doivent donc s'inscriree dans une de ces trois possibilitéés, la quatrième possib
bilité où
S1 eest en position de (31) produit et S2 en positio
on de véritéé est exclue en vertu de l'impuissaance propre à tout
disccours. On aura remarq
qué que le d
discours psyychanalytiq
que est ici a
absent: il see caractérisse précisém
ment par
l'absence de ra
apport de siignification S1 → S2.
Chacun des trois d
discours non‐analytiqu
ues est « éttabli » grâcee à son pro
opre rapporrt de signifiication :
le discours
d universitaire trouve sa stabilité daans le néceessaire, le discours m
magistral dans l'imposssible, le
disccours hystérique dans la contingeence. Mais aalors comm uer le passaage d'un disscours à un autre?
ment expliqu
duit d'un disscours ne se met jamaais en rappo
Le prod ort direct avvec la vérité de ce mê
ême discourrs : telle
est l’impuissan
nce spécifique de tout discours.
Lorsquee l'Autre d'u
un discourss bute sur l'impuissancce de son discours, lorrsque le pro
oduit de son
n travail
s'avvère impuisssant à rejo
oindre la vé
érité de ce même disccours, alorss l'Autre reenverse le discours
d où
ù il était
enfeermé et décclenche un autre disco
ours: ainsi l'Autre de l'hystérique (S1) devien
nt‐il le semb
blant d'un d
discours
maggistral; ainssi l'Autre d
du discourss magistrall (S2) passee‐t‐il au seemblant d'u
un discourss universitaaire. Le
nou
uveau disco
ours est po
ourtant chaaque fois «
« impossib
ble », car le semblant et l'Autre y sont toujours
t
disp
parates. Ausssi un nouvveau renverrsement de discours esst‐il toujourrs possible..
Ce méccanisme dee renversem
ment d'un discours
d daans un autrre ouvre une succession de disccours, à
condition bien
n entendu q
que l'Autre « accepte » bien chaque fois dee constaterr son impuiissance majjeure et
déclencher le nouveau
de d u discours.
Le disccours psych
hanalytique
e est caracctérisé parr une impu
uissance paarticulière, l'impuissaance du
passsage de S1 vvers S2 :
(32)
Mais si S2 est transsformation de S1, comm
ment peut‐iil en être raadicalementt disjoint? C
Comment exxpliquer
cettte impuissance entre SS1 et S2 ? Lee rapport dee significatio
on est en panne ; ceci implique déjà que le d
discours
psycchanalytiqu
ue devra dépasser
d la question du rapporrt de signiffication et se détourrner du sens vers
«l'ab‐sens» (cee qui nous feerons dans le passage d
du chapitree 1 au chapitre 2). Maiss n'anticipons pas.
En posaant la quesstion de l'aabsence de rapport entre S1 et S2, le disco
ours psychaanalytique met en
queestion l'impuissance in
nhérente à ce rapportt qui stabilisait chacun des troiss autres disscours. Le discours
d
psycchanalytiqu
ue les désttabilise en effet en les poussaant jusqu'àà leur propre impuisssance, aveec pour
conséquence le renversement de chacun de ces disccours danss un autree. Le « rééel » du discours
d
psycchanalytiqu
ue est ainssi le parcours des diifférents diiscours à partir
p de l'aporie de chaque discours.
d
L'incconscient n'est rien d'aautre que laa dynamique qui provo
oque cette rronde de disscours.
que dont paart la psychaanalyse estt en effet un
La logiq ne succession d'impasses logique
es qui font b
basculer
l'impuissance d
d'un discours pour fairre apparaîtrre l’impossibilité du discours suivant. Tel estt le réel tou
uché par
le discours psyychanalytiqu
ue. Seul savvoir possiblee du réel, ce discours eest la « scieence du rée
el » (S 6a ; A
AE 449 ;
Parllêtre 3.2). La psychan
nalyse va pousser
p la logique à sa puissan
nce dernièrre, non pass en élimin
nant les
paraadoxes logiques qu'ellle rencontre, mais en trouvant, dans
d l'impu
uissance de chaque disscours, la force
f de
bascculer vers u
un autre disccours. Le diiscours psycchanalytique est la scieence des changements de discours.
A partirr du signifiant et des discours, nou
us distinguo
ons trois typ
pes d'interprétation
1° deuxx significatio
ons hétérocclites, relevvant de deu
ux chaînes signifiantes
s s différentes (par exem
mple un
dou onnel et (33) une pulsion
ute obsessio n anale), peeuvent être rapprochéees et mises en rapport par l'interm
médiaire
d'un tiers extérieur (l'interprète); cette espèce d'interprétation ne suit pas le sillon tracé par le signifiant
(S1→ S2), elle est en ce sens « dé‐lire d 'interprétation ».
2° deux signifiants enchaînés dans la même chaîne signifiante (S1→S2) établissent d'eux‐mêmes un
rapport de signification inéluctable et objectif, qui relève d'un des trois discours. Ainsi lorsque le « aber.. »
(mais...) par lequel l'homme aux rats chassait ses obsessions délirantes se transforme en « abér» proche du
Abwehr » (de la « défense » militaire ou autre), le rapport de signification entre « aber» (S1) et «abér» (S2) est
déjà établi l'interprétation est objective et peut être lue comme semblant de savoir (discours universitaire),
comme Autre au travail (discours magistral) ou comme produit de théorie (discours hystérique).
3° reste encore la dernière possibilité : dans le discours psychanalytique, la différence entre S1 et S2 est
marquée d'une impuissance telle que l'interprétation semble ne pas se produire. Nous verrons que c'est à
partir de cette aporie que l'interprétation psychanalytique doit se situer.
Avant d'aborder l'interprétation proprement dite où il s'agira de rapport de signifiants (2° et 3°),
examinons « l'interprétation » qui sort de ce sillon, celle qui fait rapport entre des significations (1o).
NOTES :
1 Par opposition aux Miettes philosophiques de Kierkegaard, Lacan prend ses miettes dans son discours
analytique, "... ou pire" (21 juin 1972). Le psychanalyste répond ainsi au philosophe en même temps que le «...ou pire »
de Lacan répond au « Ou bien... ou bien... » du même Kierkegaard, y renversant une philosophie du « bien » (centrée
sur les discours du maître et de l'universitaire) en une psychanalyse du pire (décentrée par les discours de l'hystérique et
de l'analyste).
2
Le terme « événement » ‐ "l'événement a choisi" (E 256) ‐ indiquait déjà en 1953 un processus qui,
indépendamment d'un acteur préalable, détermine et présente le sujet secondairement: le sujet n'y sera que « re‐
présenté... ».
(33)
2. Un rapport entre significations hétéroclites ou le délire d'interprétation.
La mise en rapport de significations hétéroclites pour « le plus grand bien » du patient peut mener loin.
Découvrir à la place de la variété infinie des significations une signification ultime qui expliquerait
toutes les autres, telle est, selon Kant, le but de la raison (tant dans son usage spéculatif que dans son usage
pratique). D'une façon semblable, le « psychanalyste » pourrait entendre la portée de certains souvenirs
(entendement) et se donner pour mission de (34) reconstruire les chaînons manquants dans le but de trouver
la signification ombilicale de toute l'histoire du « patient » (raison). Le rapport des significations viserait
ainsi à reconstruire une signification première dont découleraient toutes les autres. Cette signification
première ni perceptible ni mémorable serait à déduire d'une série de rapports des significations, c'est‐à‐dire
de relations entre significations de plus en plus englobantes. Dans le jugement, deux significations peuvent
être mises en relation de trois façons différentes (correspondant aux catégories kantiennes de la relation) :
le jugement catégorique attribue un prédicat à un sujet; le jugement hypothétique lie une conséquence à
une cause; le jugement disjonctif établit une alternative entre deux réalités. Conformément à ces trois types
de relations, la raison cherchera donc respectivement le sujet primitif qui ne sera jamais prédicat, la cause
qui ne sera jamais conséquence, la communauté, ensemble de toutes les disjonctions auxquelles elle‐même
n'appartient pas. Cette triple tendance polarise la raison vers une triple signification primordiale ou vers un
triple « inconditionné » : un inconditionné dans l'ordre du jugement catégorique (le sujet substance
première qui rassemble potentiellement dans sa pensée tout ce qui peut être connu c'est l'âme), un
inconditionné dans l'ordre du jugement hypothétique (la cause première de tout ce qui a une cause : c'est le
monde), un inconditionné dans l'ordre du jugement disjonctif (Dieu qui rassemble en lui toutes les
disjonctions). Kant démontre dans la dialectique transcendantale (Critique de la raison pure) que ces trois
idées (l'âme, le monde et Dieu) sont des illusions nécessaires sur lesquelles sont construites les trois
branches de la métaphysique : la psychologie, la cosmologie et la théologie rationnelles. D'où (embarras
avoué par Kant, lorsqu'il découvre que la faculté suprême de connaître, la raison, est la faculté de
s'illusionner nécessairement !
La psychanalyse échapperait‐t‐elle à cet embarras ? Ou ne serait‐elle qu'illusion ? Parallèlement à la
Dialectique transcendantale de Kant, la psychanalyse voudrait se distancier des différentes (35) branches de
la métaphysique (psychologie, cosmologie et théologie rationnelles) et décomposer ces illusions
«rationnelles » : «... pour une bonne part, la conception mythologique du monde, qui anime jusqu'aux
religions les plus modernes, n'est autre chose qu'une psychologie projetée dans le monde extérieur (...) On
pourrait se donner pour tâche de décomposer, en se plaçant à ce point de vue, les mythes relatifs au paradis
et au péché originel 1, à Dieu, au mal et au bien 2, à l'immortalité 3, etc. et de traduire la métaphysique en
métapsychologie. » (Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne p. 276‐277, G.W. IV. p. 288). Pas plus que
la raison kantienne, la psychanalyse n'échappe à ces idées à la fois illusoires et nécessaires et pose ses
propres idées transcendantales : l'homme comme substance dernière de son savoir, l'inconscient comme
cause dernière de tout le monde psychique, l'Œdipe comme rassemblement de toutes les disjonctions. Pour
la psychanalyse, l'homme, l'inconscient et l'Œdipe remplacent ainsi l'âme, le monde et le Dieu de la
métaphysique dans la même recherche d'une signification primitive dont dépendrait la suite des jugements
catégoriques, hypothétiques et disjonctifs. Kant a montré le paralogisme propre au supposé sujet,
l'antinomie que recèle le supposé monde, l'idéal spécifique au supposé Dieu. Des démonstrations similaires
mettent en évidence le caractère illusoire, quoique nécessaire, de nos trois illusions psychanalytiques
(l'homme, l'inconscient et l'Oedipe) 4.
La raison tend à mettre toutes les significations diverses en rapport. S'interrogeant sur la signification
d'une vie, la psychanalyse tend aussi à mettre en rapport toutes les significations de cette vie. Le but est
chaque fois de trouver la signification première qui rendrait compte de toutes les autres significations. Ce
travail illusoire et nécessaire de la raison (tant (35) du point de vue kantien que du point de vue de la
psychanalyse), je l'ai appelé « délire d'interprétation » parce qu'il ne se base pas sur le sillon du signifiant.
Nous en venons maintenant à l'interprétation qui suit le fil du signifiant (S1 → S2).
3. Le rapport de signification du signifiant et l'interprétation (S 6a‐7a ; AE 450‐451 ;
Parlêtre 4.1‐4.8).
Si Kant (et certains « psychanalystes ») aborde la question de la raison par une série de relations
entre significations différentes, la psychanalyse aborde la question de l'interprétation par le rapport de
signification interne au signifiant. À l'opposé d'une raison polarisée vers la recherche d'un signifié primitif,
une autre « raison » se tourne vers le signifiant et sa grammaire. La grammaire du signifiant se réduit à dire :
un signifiant (S1) bien formé satisfait à la condition de représenter le sujet pour le même signifiant devenu
autre (S2). Le rapport (grammatical) entre deux signifiants apparaît d'abord comme spatial: S1 est intégré
dans un S2 qui le suit, S1 est toujours dans S2. Le « dénominateur » commun de S1 et de S2 semble donc bien
être S1 et leur rapport de signification devrait donc passer par S1. Ainsi le « mais », aber de l'homme aux rats
(S1) resterait‐il « contenu » dans ses « défenses », abér—Abwehr (S2). Ainsi notre phrase S 2
contiendrait‐elle S1, qui, cité sous forme de « tautologie », serait repris identique à lui‐même (« tauto » S1)
par la parole de l'autre (« logie » de S2) : « L'énoncé (qu'on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui
s'entend = S1) est de fait modal » ou encore « L'énoncé S1 est de fait modal ». On construirait ainsi un S2 qui
contiendrait le S1, puis un S3 qui contiendrait le S2, un S4 qui contiendrait le S3, et ainsi de suite en un
étagement de complexité croissante S1, S2, S3, S4,..., Sn. Alors que le mouvement de la métaphysique
classique remonte vers les trois idées primitives (les trois conditions non conditionnées), le mouvement du
signifiant semblerait lui engendrer des signifiants de plus en plus complexes, pour finir en un signifiant
dernier considéré comme terme de l'analyse.
(37)
Ainsi la génération d'un signifiant ultime tendrait vers un terme universel qui reprendrait tous les
signifiants passés, tout comme la recherche d'un signifié primitif tendrait vers un principe universel qui
annoncerait tous les signifiés à venir.
Qu'on aborde le rapport de(s) signification(s) par le signifié ou par le signifiant (ou respectivement
par un délire d'interprétation ou par l'interprétation), la marche serait polarisée vers un universel. Seule
semble différer la direction de la marche: marche régressive vers l'inconditionné primitif pour un rapport
des significations centré sur le signifié, marche progressive vers la construction dernière pour le rapport de
signification centré sur le signifiant. Peut‐on cependant réduire le rapport de signification à ces directions de
recherche d'un universel, ‐ tournée vers le passé pour le signifié, ‐ tournée vers le futur pour le signifiant ?
Les suites de signifiants (S1, S2, S3, ...Sn) pourraient être représentées par un type particulier de
graphe arborescent
Cette géénération sspatiale corrrespond à la grammaire génératiive de Chom
msky :
(38)
Le discours psychanalytique se caractérise par l'absence de rapport de signification: il n'y a pas de
rapport de signification entre S1 en position de produit et S2 en position de vérité. L'interprétation ne se
réduira pas à une mise en rapport de S1 et de S2, encore moins à une mise en rapport de significations
hétéroclites (comme dans le délire d'interprétation). Disons plutôt qu'il s'agira d'une ronde où le rapport de
signification propre au signifiant passe par tous les types de discours (hystérique, magistral, universitaire), sans
oublier le moteur de cette ronde : si un signifiant représente le sujet pour un autre signifiant, cette altérité
radicale interdit à tout jamais qu'un (50) rapport s'établisse définitivement entre eux. Interdits de rapport, ces
signifiants nous laissent inter‐dits. C'est de cette absence de rapport qu'il nous faut repartir.
NOTES :
1
C'est‐à‐dire la cosmologie rationnelle.
2
C'est‐à‐dire la théologie rationnelle.
3
C'est‐à‐dire la psychologie rationnelle.
4
Ces démonstrations pourraient être trouvées respectivement dans Subversion du sujet et dialectique du désir,
dans L'inconscient de Freud (1915), dans L'Etourdit.
5
le nécessaire est à entendre comme « ce qui ne cesse de s'écrire » dans le parcours de S1 et S2. Donc le «
nécessairement » est redondant.
6
Deux juifs se rencontrent dans une station de Galicie. « Où vas‐tu ? dit l'un. ‐ A Cracovie, dit l'autre. ‐ Vois quel
menteur tu fais l s'exclame l'autre. Tu dis que tu vas à Cracovie pour que je croie que tu vas à Lemberg. Mais je sais bien
que tu vas vraiment à Cracovie. » (Freud, Le mot d'esprit..., p 172)