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2.3. La conscience morale


L’objectif de cette section est de mettre en lumière les chemins traditionnels du
discernement, en rappelant que notre conscience nous conduit à être responsables de notre
conscience elle-même, de nos actes et du retentissement que ceux-ci peuvent avoir sur autrui.
Comment prend-on une décision en conscience ? Pour parvenir à distinguer ce qui relève de la
décision et ce qui appartient à sa mise en œuvre, il nous faut avant tout avoir la même
compréhension de ce qu’est la conscience morale
2.3.1 Conscience morale et conscience psychologique
La conscience morale est souvent définie comme le jugement de la raison par lequel l’être
humain accède à la connaissance de ce qui est bien et mal, de la qualité morale d’un acte concret
à partir des principes de la moralité et qui poussent à porter des jugements de valeur morale sur
ses propres actes.
Elle est différente de la conscience psychologique dans La mesure où elle engage la
personne et sa responsabilité, elle saisit le rapport des actes personnels avec le bien, juge et
apprécie et, en ultime analyse, décide de la valeur de la personne devant Dieu, en une portée
éternelle. Elle est ainsi une activité d’évaluation des actes et de la personne ; et mène à discerner
ce qui est bien et ce qui est mal.
Une illustration peut nous aider dans la compréhension de la conscience morale. Dans
l’esthétique, il y a une sorte de sens esthétique qui discerne ce qui est beau de ce qui est laid.
C’est aussi le cas de la morale où il y a une sorte de sens moral qui mène la personne humaine à
distinguer ce qui est bien et ce qui est mal. La différence est surtout qu’en moral, il s’agit des
actes. La conscience est capable de guider les actes humains.
Puisque c’est un bien propre de l’être intellectuel, la conscience morale suppose : de
connaître le bien, de percevoir la fin ainsi que les moyens nécessaires ou opportuns qui la
réalisent. Elle est le propre de l’être intellectuel. Différemment de l’animal qui a une conscience
qu’on peut qualifier de psychologique initiale et rudimentaire (il sent la douleur, perçoit qu’il a
reçu un coup de bâton, qu’il mange un morceau de viande), l’honnêteté de ses actes (leur rapport
au bien) est propre à l’homme.
1.3.2. Conscience morale et responsabilité
La notion de responsabilité laisse entendre qu’il est possible de répondre de ses actes
devant soi-même, devant autrui et devant Dieu. Cela suppose qu’il existe en chacun une part de
liberté qui n’est jamais totalement renversée par les nombreux déterminismes de la vie :
éducation, société, psychologie, hormones, …
Notons que la responsabilité des êtres humains est sanctionnée à plusieurs niveaux :
psychologique, morale et spirituelle. Mais les frontières ne sont pas étanches entre ces trois
dimensions qui structurent tout être humain. Rappelons rapidement que lorsque nous manquons à
notre responsabilité, la sanction s’éprouve en culpabilité au niveau psychologique, en faute au
niveau moral, en péché au niveau de la foi.  
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1.3.3. Conscience morale et culpabilité


Lorsque nous avons été à la hauteur de notre responsabilité c’est respectivement en termes
d’estime de soi, d’éloge ou de sainteté que s’exprime cette sanction. Par ailleurs si toute personne
normalement constituée est considérée comme responsable, alors intervient la question des
sanctions. Il faut entendre « sanction » comme on le comprend à propos d’un examen qui est
sanctionné par une évaluation, une note : celle-ci peut-être bonne ou mauvaise.
La culpabilité est ainsi comprise comme un sentiment à manier avec prudence. Puisque le
sentiment culpabilité est une dimension fondamentale de notre vie psychologique, elle nous
interpelle chaque fois que nous nous éloignons du sens que nous croyions donner à notre vie :
tolérance, respect de la vérité, honnêteté dans les affaires, vie de prière, … C’est notre conscience
qui tire la sonnette d’alarme et qui nous rappelle que nous n’accomplissons plus le bien que nous
devions faire et commençons à faire le mal que nous ne devrions pas faire. L’on comprend bien
que lorsque la culpabilité nous provoque à réajuster notre vie, elle est une bonne chose.

Cette culpabilité est différente de culpabilités qualifiée de mauvaises ou morbides. Ces


dernières renvoient, sans cesse, la personne à ses échecs et l’enferment dans une vie mortifère.
Les psychologues, mais aussi la Parole de Dieu peuvent alors rappeler que personne n’est
réductible à son passé. Si les autres, et plus encore Dieu lui-même espère en nous, comment ne
pas essayer d’espérer aussi. Pire encore serait de ne jamais éprouver de culpabilité en quoique ce
soit. 

Pour ne pas en rester à la culpabilité, il convient de faire intervenir à la fois l’humour et


l’humilité. L’humour nous évite de nous prendre trop au sérieux dans la « construction » de notre
vie et nous aide à franchir les échecs dus à nos faiblesses. L’humilité, quant à elle, nous conduit à
demeurer fidèlement dans la tâche d’humanisation qui est la nôtre et à nous remettre patiemment
à la quête du bonheur. Humilité permet en quelque sorte d’éviter qu’en cas de réussite
personnelle, l’estime de soi (juste et légitime) se pervertisse en orgueil. D’où la nécessité de se
situer par rapport à la conscience. Quel type de conscience ?

2.3.4. Types de conscience


En parlant des types de conscience, nous voulons ici présenter la subdivision de la
conscience ainsi que les règles pratiques :
- selon la chronologie on distingue la conscience antécédente de la conscience conséquente. La
conscience conséquente est celle qui suit l’acte : elle est une réflexion ou jugement sur l’acte
posé. Thomas d’Aquin lui reconnait quatre rôles : attester, excuser, accuser, reprocher.
En effet, la conscience atteste et témoigne, reconnait une action accomplie. On dira par
exemple : ta conscience sait que tu as souvent maudis les autres. Elle peut aussi juger que l’acte
est bon, soit qu’il est mauvais, et alors elle accuse et reproche. La conscience antécédente est
celle qui juge avant l’acte qu’il faut accomplir ou non ; elle incite à agir ou au contraire elle lie et
bloque. C’est la conscience morale au sens strict.
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Bref, la conscience antécédente est celle qui juge d’un acte à réaliser et la conscience
conséquente, celle qui juge d’un acte déjà accompli.
- Selon la conformité à la loi objective, on distingue la conscience vraie, en accord avec les
principes objectifs de la moralité et correctement appliqués à l’acte, de la conscience erronée qui
ne coïncide pas avec la vérité objective des choses.
- En raison de sa responsabilité on décrit la conscience droite, conforme au jugement de la raison
et la conscience coupable, qui ne se conforme pas au jugement de la raison. Notons qu’une
conscience peut être droite sans être vraie (par exemple invinciblement erronée) ou vraie sans
être droite (omettre contre sa conscience un mensonge qu’on croit obligatoire pour sauver
quelqu’un).
Mais une conscience droite peut être dans l’erreur. En effet, chacun a la possibilité de
faire des bêtises avec une totale sincérité. Comme dans une chorale, une fausse note sortie
sincèrement reste un désaccord et crée la cacophonie. Pour chanter juste, il faut avoir au moins
autant d’oreille que de voix. C’est le même phénomène pour la conscience. Une conscience qui
est dans l’erreur, même sincère, a toujours besoin d’être améliorée, sinon corrigée. Comme les
tomates qui nécessitent le support d’un tuteur, d’une tige, la conscience a besoin d’être éclairée
par une institution, telle que l’Église enseignante. Celle-ci doit toutefois s’effacer en pratique à la
porte des consciences.

- Selon son activité, on décrit la conscience éveillée de la conscienceendormie ou ivre. La


conscience endormie, comme le conducteur au volant. Attention aux accidents de parcours. C’est
le cas du roi David, qui avait pourtant mis sa foi en Dieu. La conscience peut être ivre, comme le
chauffeur en état d’ébriété avancée ; elle peut perdre le contrôle de ses actes : le même roi David
fut aveuglé par ses passions ; sa vie est allée de mal en pis ; heureusement que la conscience peut
se réveiller, par la voix des prophètes. La conscience peut devenir pénitente...

- En raison du jugement, on décrit la conscience perceptrice (qui ordonne de réaliser un acte), de


conseil (qui conseille), permissive (qui le permet), prohibitive (qui l’interdit).
- En raison de l’assentiment, on décrit la conscience certaine (qui donne son jugement de manière
ferme et catégorique), probable, douteuse (qui vacille sur la licéité ou non d’une action sans
déterminer en un jugement), perplexe (de celui qui croit pécher qu’il réalise ou non une action).
- en raison du mode habituel de juger, on décrit la conscience scrupuleuse (qui croit avoir péché
alors qu’il n’en est rien), délicate (qui juge avec droiture jusque dans les moindre détails), laxiste
(qui incline à l’inobservance des lois pour des motifs futiles), pharisaïque (qui voit grandes les
petites choses et petites les grandes) ; anémiée ou cautérisée (qui ne se préoccupe que des péchés
les plus graves, voire des crimes, laissant le reste dans un flou neutralité).
2.3.5 Les propriétés de la conscience
Comme jugement, la conscience possède certaines caractéristiques : elle accompagne
chaque acte libre et oblige, mas ne crée pas la loi. Retenons ce qui suit :
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- En chaque acte libre intervient la conscience. Qu’est-ce que cela veut dire ?
En tout acte libre, il y a un jugement de la raison, et donc une connaissance au moins
implicite de la moralité de l’acte. La volonté n’agit pas sans appréhender intellectuellement
l’objet de l’acte et donc la manière par laquelle la personne s’y réalise ; ce jugement de
l’intelligence, intrinsèque à tout acte libre, n’est autre que le jugement de la conscience. Il n’y a
pas de décision libre de la volonté sans qu’intervienne l’intelligence pour évaluer la proposition
entre l’acte et le bien de la personne.
- La conscience oblige et sa force d’obligation dérive de la loi divine elle-même.
- Comme voix de Dieu, elle indique le bien à faire et le mal à éviter : elle lie et oblige d’une
certaine manière le comportement du sujet ; elle donne le témoignage de la droiture et de la
malice de l’homme à l’homme lui-même ; c’est le témoignage de Dieu lui-même dont la voix et
le jugement pénètrent l’intime de l’homme en l’appelant à l’obéissance (CEC 1777).
- Comme norme, elle présente la loi divine à l’homme.
- Seule la conscience antécédente qui influence l’acte peut être la règle, non la conséquente qui
suppose l’acte.
- Se sentir enchainé par sa conscience implique en ultime instance une référence à Dieu : seul
Dieu créateur se présente comme une obligation absolue pour la liberté créée.
- La conscience comme précepte de Dieu, oblige plus que tout précepte humain. Elle lie plus que
le précepte d’un supérieur et même contre ce dernier. Notons qu’il s’agit ici, non pas pour le
subordonné de porter un jugement sur le précepte du supérieur, mais sur l’accomplissement du
précepte qui est son affaire (De veritatae 17, 5)
- La conscience ne crée pas les normes, mais les découvres dans l’obéissance ; elle n’invente pas
les lois, mais elle les reconnait inscrites par dieu dans le cœur de l’homme (GS. 16)
- Grace à sa conscience, l’homme ne se laisse pas guider par ses passions, mais exclusivement
par le désir de connaitre et d’accomplir la vérité quant à cet acte de la majorité comme critère de
vérité, au nom de l’autonomie de la conscience. Aucun précepte extérieur à la conscience ne peut
garantir la qualité morale des actions.

2.3.5. La formation de la conscience


Puisque la conscience morale est en nous le témoin et l'organe de la vérité et du bien, on
ne peut pas l’évoquer sans parler de sa formation. En fait, on peut être responsable de son erreur,
notamment quand on néglige de développer ses connaissances morales, d'examiner les
circonstances de l'action, ou lorsqu'on se laisse guider par paresse, précipitation ou passion. C’est
aussi une erreur que de penser que la conscience morale, spontanée, agirait comme par instinct et
pourrait éviter la réflexion, l'information, le débat et le discernement. La lecture sérieuse de
l'Écriture, tradition, expérience partagée avec la communauté croyante, écoute des frères,
information...font partie de la formation de la conscience. Nous ne pouvons être excusés d'une
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faute commise par ignorance que si nous avons fait ce qui est en notre pouvoir pour éclairer notre
action.
2.3.6. Etapes du jugement de la personne
Le catéchisme de l’Eglise catholique (1780) propose trois étapes pour l’établissement du
jugement de la personne :
- La perception des principes de moralité (syndérèse)
- Leur application dans les circonstances données par un discernement pratique des raisons
et des biens et,
- Le jugement porté sur les actes concrets à poser ou déjà posés.
Il s’agit donc de distinguer la syndérèse, son application au cas concret par un discernement
pratique, enfin le jugement. A chacun de ces trois étapes, il nous faudra voir comment et à quel
niveau intervient la prudence. Notons aussi que la syndérèse est un principe immanent et
permanent d’une rectitude (droit immuable, à la lumière duquel sont examinées toutes les œuvres
de l’homme. Ce principe résiste à tout ce qui est mal et accorde son assentiment à tout ce qui est
bien. Il saisit et formule le grand principe de la vie et des opérations morales : « il faut faire le
bien » et « fuir le mal ».
Conclusion

Il est vrai que tout homme a une conscience comme il a un cœur et des poumons. Mais la
conscience appartient au domaine de l’action sinon extérieure du moins intérieure. En lui laissant
le soin de jauger nos actes, nous lui donnons de s’exercer. C’est souvent le rôle du miroir que
nouspouvons lui attribuer, en premier.

Elle joue aussi le rôle de témoin et de moteur dans le débat préalable à la décision
àprendre en son âme et conscience ». Elle est ainsi ce lieu éminemment singulier et intime dans
lequel l’expérience passée et la quête du bonheur s’articulent en vue d’une décision toujours
risquée.

De même qu’un athlète exerce son corps pour aboutir au geste parfait, voire réflexe tant il
a été répété, de même l’être humain peut entraîner sa conscience pour lui permettre d’être plus
affinée, plus efficace. C’est le rôle d’entrainement. Dans tous les cas, la foi chrétienne ajoute aux
chemins ordinaires de l’éducation de la conscience l’écoute de la Parole de Dieu et de la
Tradition de l’Eglise.

Notre conscience est aussi appelée à s’exercer, et si possible chrétiennement, lorsqu’elle


se trouve affrontée à une situation inattendue. Ainsi lorsque nous rencontrons des personnes qui
ont fait d’autres choix de vie que le nôtre : un concubinage plutôt qu’un mariage, … ; ou que
nous sommes agressés par des modes de vie incompatible avec le nôtre : pratique raciste sur le
lieu du travail, … ; enfin lorsque tel ou tel nous appelle à une responsabilité que nous n’avions
pas envisagée pour nous-mêmes, tel service dans une communauté, telle nouvelle mission confiée
par l’évêque, … . Dans tous ces cas, une situation nouvelle met en crise notre perception du
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monde, notre inscription dans ce monde qui est le nôtre et dans lequel nous avions réussi plus ou
moins facilement à faire notre trou, à trouver notre rythme.

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