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Homas SANKAR
Homas SANKAR
35 édition 2447
Revue et augmentée
Tous Droits réservés
© HARMATTAN BURKINA, 2017
1° et 2° édition en 2012
Av. Muammar KADHAFI
12 BP 226 Ouagadougou 12
Tél: (+226) 25 37 54 36 /(+226)76 59 79 86
harmattanbu: ah
3° édition
Revue et augmentée
* #
Dédicace
> À Emmanuel Dieudonné, le grand frère, parti très tôt, dès 1988.
> À Mathieu Silga, l’ami, le compagnon, parti aussi en 2009 rejoindre
Thomas Sankara.
> À Sosthène, l'aîné qui, sans le savoir, par les journaux burkinabè qu’il
rassemblait pour moi à partir de 2003, a contribué à enrichir ce travail.
> À Dominique et Didier Debrand, toute ma reconnaissance.
> Aux amis de France qui m'ont toujours tenu compagnie tout au long de
mon parcours et dont le souvenir ne m’a jamais quitté :
Robert Charvin, mon professeur à l’université de Nice qui eut l’idée de
me proposer de travailler sur le Burkina Faso.
Pierre-Albert Fernandez qui m'a suggéré de postuler pour l'enseignement
en Amérique du Nord.
+ Chantal et José Grevin qui m’ont mis en contact avec le mouvement
Jeunes pour un monde uni (J.P.M.U.)
+ Thierry Guillemot et Yves Rocle, les camarades et amis avec lesquels les
discussions sur les projets de société et sur l’état du monde étaient pas-
sionnantes et dépassionnées.
Pierre Lœsner, le collègue de l’université de Toronto.
+ Anne-Marie Chesse et les amis du mouvement des focolari de Nice et de
France.
Avant-propos
# #
Avant-propos de la 3°"° édition
Depuis la parution de la deuxième édition en 2012, il est apparu néces-
saire d’apporter des éléments complémentaires, de même que des préci-
sions sur certains points et aussi de tenir compte de l’évolution de la si-
tuation sociopolitique au Burkina.
2e
du peuple pour le progrès (M.P.P.), et rejoindre l'opposition.
Principales abréviations
AOF. + Afrique occidentale française
* *
*
Introduction
% Le terme mossi qui est couramment employé est impropre. C’est la version francisée
du mot mose (lire : mosé). Conformément au décret n° 75/PRES/EN du 16/ 11/ 1975,
moaga au singulier donne mose au pluriel.
Ÿ En 2014, le taux de scolarisation était de 83%. Le d’alphabétisation était évalué à 60%.
$ En 2016, on comptait un médecin pour environ neuf mille habitants.
7 C’est le Comité de la planification et du développement (comité Tinbergen), dépen-
dant de P'ECOSOC, qui a défini les P.M.A. au début des années soixante-dix. Ils sont
caractérisés par un P.N.B. par habitant de moins de $100 (1968), d’une industrie qui ne
compte que pour 10% du P.N.B. et d’un taux d’alphabétisation qui, en 1960, ne dépas-
sait pas 15% de la population âgée à l’époque de moins de 15 ans. De nos jours, pour
définir les P.M.A., l'ECOSOC utilise les trois critères suivants : un critère de bas reve-
nu, un critère de retard dans le développement du capital humain et un critère de vulné-
rabilité économique.
1 F CFA équivalait à°0,02 francs français. À l’origine, C.F.A. signifiait Colonie fran-
çaise d’Afrique. De nos jours on parle de Communauté financière d'Afrique.
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Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
* x
PREMIÈRE PARTIE
* More (la langue) se lit mord et mose (pluriel de moaga) se lit mossé. Dans l'écriture de x
la langue more, accent aigu n’existe pas.
1 Tenga en langue more signifie la terre. Yatenga est la forme contractée de Fadega
tenga qui veut dire la terre de Yadega le fondateur du royaume. Selon la légende, Yade-
ga vient de dié yadge qui signifie littéralement entrer et s’y étendre, c’est-à-dire aller de
conquête en conquête.
ll Wogodogo en langue more signifie en quelque sorte le respect, les honneurs. C’est la \
capitale du royaume moaga du centre qui en est le plus important. Wogodogo est le résultat
de l'évolution de l'expression wogdog tenga qui signifie la terre des honneurs. C’est le lieu
où réside le chef du royaume moaga du centre qui est en même temps l’empereur des Mose.
Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, est la version francisée de Wogodogo.
L Tenkodogo en langue more est la fonme contractée et francisée de fenga kodgo qui signifie *
vielle, ancienne terre. C’est la région où, selon la légende, seraient partis les descendants de
Wedraogo, ancêtre mythique des Mose, pour la conquête de leur territoire actuel. x
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Thomas SANKARA et Ja Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
? En langue more, môgho signifie brousse, broussaille, Selon la tradition, pour fonder
son royaume, le roi Yandfo, fils du roi Wubri se retira dans la brousse et construisit sa
#
maison dans la broussaille. D'où le nom de môgh näba qui est la forme contractée de
môgho (brousse) et näba (chef).
Pour une autre version, cf. Salfo-Albert Balima, Légendes et histoire des
peuples du Burkina Faso, Paris, JA. Conseil, 1996, p. 73 et 80.
Par la suite, et selon l’intonation, Môgho signifiera le pays des Mose. L'univers
“civilisé” devait alors se limiter au Môgho. Le royaume de Wubri semble avoir été
fondé vers 1313.
Selon Cheikh Anta Diop, dans la langue des anciens Égyptiens, nab signifie le
maître (du savoir). Ce qui a donné en arabe #4bi qui signifie prophète. En araméen
rabbi signifie maître. Le terme ba chez les anciens Égyptiens renvoyait à la notion
d'âme qui vit au ciel. Le roi dans certaines conditions pouvait devenir ba. En langue
more, ba signifie père. D’autres exemples de ce genre montrent une réelle parenté lin-
guistique entre la langue des Mose et celle des anciens Égyptiens.
Cf. Robert Cornevin, Histoire des peuples de l'Afrique noire, Paris, Éd. Berger-
Levrault, 1963, p. 233. Lire surtoutp. 215-313.
Robert Cornevin était admistrateur en chef de la France d'Outre-Mer.
1 Cf. R. Comevin, op .cit. p. 233.
15 Cf. Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l'Afrique noire - D'Hier à Demain, Paris, Hatier,
1978, p. 246-249 ; Salfo-Albert Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina
Faso, Paris, J.A. Conseil, 1996, p. 62s.
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Une expérience de développement autocentté
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
nénga!”, fille d’un roi de Gambaga, se serait égarée au cours d’une partie
de chasse à cheval. Cherchant un abri pour la nuit, elle trouve une hutte
appartenant à un chasseur d’origine mandingue!* nommé Diyaré!”. Ils se
plaisent et de leur union naîtra un garçon qui sera appelé Wedraogo (éta-
lon) en souvenir de la monture de la mère?
x
7- Où pouvaient être les ancêtres des Mose avant leur installation à
Gambaga? Certains prétendent avoir retrouvé leurs traces au Nord-
Cameroun. Selon d’autres sources, ils pourraient venir de l’actuel Sahara au
moment où il était encore verdoyant. C’est son dessèchement progressif qui
aurait provoqué leur migration. De là viendraient les traits culturels communs
avec les anciens Égyptiens dont certains étaient aussi originaires du Sahara.
Certains les rattachent même aux Yéménites. Du Sahara, c’est dans la région
de Niamey qu’on aurait retrouvé leurs traces. Ils y auraient laissé des vestiges
historiques et archéologiques comme des tombes en pyramide. Sous la pous-
sée des Berbères, ils se seraient installés sur la rive droite du Niger. De là ils
partirent à la conquête du Nord-Dahomey-Togo-Ghana. C’est ainsi que cer-
tains d’entre eux se seraient retrouvés à Gambaga d’où ils pattiront à la con-
quête de l’actuel Burkina. La colonisation viendra les cantonner définitive-
ment — du moins pour le moment?! - dans leur territoire actuel avec la création
1? De son vrai prénom Poko qui, en langue more signifie une personne de sexe femelle.
Yenénga signifie ce qui est beau, ce qui brille. Selon S.-A. Balima, Yenénga pourrait
être la déformation de Gnélenga ou Gnenenga ou encore Yalanga. Op.cit., p. 67. Pour
C. Sanwiidi, Yenénga est la déformation de Yalénga qui signifie largesse. Cf. Kom-
bange-Ligliba Cyprien Sânwiidi, Kupèela — De Kürita le fondateur à Albert Tilado dit
Zâare, s.1., s.d., p. 14.
FF Selon la légende, Mandingues et Bambara ou Bammana auraient la même origine.
1 Diyaré ou riyaré en langue more signifie : omnivore, manger tout sans distinction
aucune, ou encore celui qui mange tout sans distinction aucune et sans manière. En
langue more, le et Le » en début de mot sont interchangeables.
Selon S.-A. Balima, Dyaré était un Bussanga (pluriel : Bussansi) communé-
ment appelé Bissa. Et dans cette langue, dyaré signifierait “le mâle”. cc Légendes et
histoire …, op.cit, p. 71. Les Bissa étaient ceux qui résidaient dans la région.
En langue more, bussanga est la contraction de bfdu (famille) et sänga (étran- ÿ
ger} qui signifie un groupe ethnique étranger.
À De là vient que l’étalon est l'emblème du Burkina.
21 D’importantes colonies de Môse existent actuellement au Ghana, en Côte d'Ivoire, au
Soudan, au Mali, au Togo, au Bénin, au Niger et au Gabon. Beaucoup d’entre eux sont
depuis longtemps assimilés aux populations locales.
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Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA
Mose, bien avant l’êre coloniale, un peuple uni et une nation quasi ho-
mogène, malgré des rivalités régionales.
B) ÀL'OUEST
12- Au XVIII siècle, à l'exception des pays lobi-birifor et d’une par-
tie du pays dagara, cette partie est passée sous la domination des souve-
rains dioula?? de Kong. Famarha Ouattara s’installe à Bobo-Dioulasso et
fonde le Gwiriko”. Il était le frère de Sékou Ouattara qui régnait sur les
Dioula de Kong. À la mort de ce dernier, Famarha réclama le pouvoir et,
sur le refus qui lui est opposé par le fils de Sékou Ouattara, va s’installer
à Bobo-Dioulasso ouvrant une longue suite de querelles entre les deux
cités. Au XIX* siècle l'empire Kong est démantelé, Le Gwiriko est déchi-
ré par d’incessantes révoltes. Le royaume dafing de Wahabu, notamment,
naît de ses décombres. Les Dioula se sont si bien distingués comme
commerçants que leur nom sert à désigner, quelle que soit son apparte-
nance ethnique, le colporteur musulman””.
C) ÀL'EST
13- Autour de Nüngu (Fada N'Gourma) et sous la dynastie des
Nünbado, s’est édifié le royaume du Gourma*? dont les habitants sont des
Gourmantchés. Le royaume du Gourma avait des liens étroits avec le
royaume de Wogodogo. Certains estiment qu’il faisait partie de l'empire
comme les royaumes du Yatenga et de Tenkodogo.
Des recherches poussées donnent plus de précisions sur le peuplement du
Burkina. Ainsi, les Bobo, les Gourounsi et les Kourouma sont cités
comme faisant partie des premiers habitants de l’Afrique occidentale”.
77 Dioula viendrait de Pexpression arabe sug al jeufa qui signifierait ceux qui se promê-
nent au marché.
Pour certains, Guiriko signifierait “au-delà de la longue marche”. Cette version est
quelque peu contestée. Sur l’origine et le sens de ce mot, ef. Mahir Saul, “Les maisons
de guerre des Watara dans l'ouest burkinabè précolonial”, in Yénouyaga Georges
Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de-), Burkina Faso — Cent ans d'histoire,
1895-1995, Paris, Éditions Karthala, 2003, 1.1, p. 385-386.
# C£ Robert Cornevin, Histoire des peuples de l’Afrique noire, op. cit., p. 241.
30 Gourma est un mot d’origine sonrhaï et désigne les peuples de la rive droite du fleuve Niger.
3! C£. R. Comevin, op. cit., p. 233.
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Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYËLEM de TAMBÈLA
I La période coloniale
Lorsque les Blancs sont venus en Afrique, nous avions les terres
et ils avaient la Bible. Ils nous ont appris à prier les yeux fermés.
Lorsque nous les avons ouverts, les Blancs avaient les terres er
nous la Bible.
Jomo Kenyatta
15- Marseille est une des toutes premières villes de la France actielle qui
s’appelait alors la Gaule. Dans l'antiquité, c’était un port très actif mais
la
ville était souvent pillée par les tribus voisines. Les habitants appelèrent
alors les Romains au secours. Ils vinrent, chatièrent les pillards puis
s’installèrent dans la région. La “province” qu’ils fondèrent devint la Pro-
vence. De même, quand des Germains tentèrent d’envahir la Gaule,
les tri-
bus gauloises demandèrent aussi secours aux Romains. Ils arrivèrent sous
la
conduite de Jules César, chassèrent les Germains puis entreprirent
la con-
quête de la Gaule. Il se trouve ainsi une similitude entre la conquête de
la
Gaule par les Romains et la conquête du Burkina par les Français.
b) La conquête du Centre
16- Le nâba Wobgo” de Ouagadougou, de son vrai nom Boukary
Koutou, était, contrairement à näba Bully du Yatenga, un nationaliste
déterminé. En juillet 1895 il avait fait cette réponse au capitaine Deste-
nave, résident de France à Bandiagara qui voulait franchir les frontiè
res
de son empire : « Depuis longtemps, j'ai fait consulter les gris-gr
is. Tous
ont répondu que si je voyais un homme blanc, J'étais un homme
mort. Je
sais que les Blancs veulent me faire mourir Pour me voler mon
pays. Et
tu prétends qu'ils vont m'aider à organiser mon pays! Or je trouve
mon
pays très bien, tel qu'il est. Je n'ai nul besoin des Blancs. Je sais ce qu'il
me faut et ce que je veux. J'ai des marchands. Estime-toi heureu
x que je
ne le fasse pas couper la tête. Va-t-en donc. Et Surtout, ne
reviens
pas®. » Mais le pouvoir de näba Wobgo était fragilisé car depuis
1884 le
gais avec une escorte militaire ; qu’il ne pouvait plus avoir de relations
avec un autre
pays sans l'autorisation du gouvernement français ; qu'il devait protéger les Français
qui viendraient au Yatenga sans prélever des impôts sur leurs
marchandises ; qu’en
retour, désormais, la France protégera le roi du Yatenga.
# Wobgo signifie éléphant en langue more. Il prétendait ainsi
s'identifier à la force
tranquille de l'éléphant.
* 9 Chez les Mose, celui qui accède au pouvoir prend un nom de
règne qui, en fait,
est le concentré soit de ce qu’il souhaite promouvoir sous son règne
(son programme,
son projet de société) soit de ce qu'il prétend incarner, Dès lors, il ne sera
plus désigné
que par ce nom qui deviendra aussi celui de sa descendance. Wobgo
était le nom de
règne de Boukary Koutou dont le père était le môgh näba Koutou. Koutou
signifie fer.
Ÿ C£. Salfo-Albert Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso Paris,
JA. Conseil, 1996, p. 126.
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Une expérience de développement autocentré
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ses vassaux de fuir : « Les gris-gris n'ont plus aucun pouvoir, je ne veux
pas me soumettre aux Blancs, mais je ne puis résister. Vous ne pouvez
Pas résister non plus, Le salut est dans la fuite” ». La structure hiérarchi-
sée qui a été la force de l’empire moaga a aussi facilité sa conquête par
les Français. La reddition du chef entraîne celle de son territoire.
2- La conquête de l'Ouest et du Sud-Ouest
18- À la fin du XIX' siècle le souverain du Gwiriko se sentait menacé à
la fois par le roi du Kénédougou et par le conquérant Samory Touré. Il fit
alors appel aux Français en 1897. Le chef de la mission française, le com-
mandant Caudrelier, entra dans Bobo-Dioulasso, Le 11 septembre 1897, un
traité de protectorat était signé mettant fin à l'indépendance du Gwiriko.
19- Les sociétés du Sud-Ouest qui ne connaissaient pas de système
d’autorité politique centrale furent plus difficiles à soumettre. Les troupes
françaises s’y heurtèrent à une résistance farouche surtout en pays lobi où
les populations maniaient avec dextérité l'arc et la flèche“. La conquête
française se fit maison par maison, village par village. La période
d'installation française prit fin en 1901 avec la fondation du poste de
Gaoua en pays lobi. Mais jusqu’en 1933 le pays lobi ne fut pas “pacifié”.
3- La conquête de l'Est
20- En 1892, Batchande avait assassiné son frère Yentugury pour
prendre le pouvoir. I! fut aussitôt rejeté par une coalition de chefs du pays
gourmantché qui l’expulsèrent de la capitale. Il se réfugia à Diabo. Pour
conforter son pouvoir chancelant, il ouvrit largement les bras aux Fran-
Sais qui arrivaient du Dahomey (actuel Bénin}. Le 20 janvier 189$ il ac-
cepta un traité de protectorat du commandant Decœur qui, en les élimi-
nant, le débarrassa par la suite de ses ennemis qui n’étaient autres que ses
frères et cousins,.
B) LA CONSTITUTION DU TERRITOIRE
21- Les sociétés sans autorité politique centrale n’avaient pas de chef
en tant que tel. Ce qui rendait difficile la transmission des instructions
aux administrés et l'exécution des décisions administratives, Le territoire
une fois conquis, s’inspirant de l’exemple des Mose, le colonisateur va :
procéder dans ces sociétés à la nomination de chefs de village et de can-
ton“!. Le plus souvent, le choix portait sur les éléments à la fois dociles et
énergiques et si possibles capables de comprendre quelques rudiments de
français. Par la suite, les Français annulèrent les traités de protectorat
qu'ils avaient eux-mêmes imposés. Le territoire fut intégré à la colonie
du Soudan français créée le 18 août 1890. L’ensemble fera partie de
l'Afrique occidentale française (A.O.F.) érigée en fédération par décret
du 16 juin 1895 et qui comprenait le Sénégal, le Soudan français, la Gui-
née française et la Côte d'Ivoire". Un décret d’octobre 1902 rattacha le
territoire à la Sénégambie-Niger. À partir du décret du 18 octobre 1904
réorganisant le gouvernement général de l’Afrique occidentale française,
le territoire sera rattaché à une nouvelle colonie, la colonie du Haut-
Sénégal-Niger avec Bamako pour capitale.
22- Un décret du 1° mars 1919 détachait le territoire pour former une
colonie à part. À cette nouvelle colonie il sera donné le nom de Haute-
Volta parce que le territoire couvre les bassins supérieurs des trois
fleuves Volta : Volta noire, Volta blanche et Volta rouge. La Haute-Volta
de 1919 comprend alors les cercles de Bobo-Dioulasso, Dédougou, Dori,
Fada N'Gourma, Gaoua, Ouagadougou et Say. Le fleuve Niger consti-
tuait la frontière orientale du territoire. Gabriel Angoulvant qui, au mo-
ment de la création de la colonie, était gouverneur général par intérim de
l'A.O.F, expliquait en 1922 la création de la colonie de Haute-Volta :
# Cf. Salfo-Albert Balima, Légendes et histoires des peuples du Burkina Faso, op. cit,
Annexes, p. CCHII-CCIV. Certains prétendent que la révolte des Bwaba et des Marka
: qui aensanglanté la Boucle du Mouhoun de novembre1915 à juillet 1916 a été pour
quelque chose dans la création de la colonie. Cela permettait ainsi au colon d’assurer un
meilleur contrôle du territoire.
#JLO.A.OF., 1932, p. 902.
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Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
# Cf. L'Illustration, n° 4372, Paris, 18 décembre 1926. «… les bienfaits de notre colo
aisation initient à la vie moderne. » Écrit le journal.
% Cf. George Padmore, Panafricanisme ou communisme ? — La prochaine lutte pour
l'Afrique, Paris, Présence Africaine, 1960, p. 141.
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Thomas SANKARA ct In Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBELA
bare, alors même que le hasard les à fait hériter comme à Saint-
Domingue, de civilisations supérieures. » Selon lui, on constate chez les
races primitives et inférieures « une incapacité plus ou moins grande de
raisonner. » En outre, écrit-il, « le Noir est privé des facultés politiques
et scientifiques ; il n'a jamais créé un grand État ; il n'a rien fait en mé-
canique industrielle. … il aime aussi avec passion la parure, la danse, le
chant » Quant à Jules Ferry, président du Conseil du gouvernement
français (1880-1885) il écrivait : « Les races supérieures, c'est-à-dire les
sociétés occidentales, parvenues à un haut degré de développement tech-
nique, scientifique et moral, onf à la fois des droïts et des devoirs à
l'égard des races inférieures. Ces droits et ces devoirs sont ceux de la
civilisation à l'égard de la barbarie. » L'entreprise coloniale se trouvait
ainsi justifiée. Le cardinal Mercier pouvait donc écrire que « La colonisa-
tion apparaît dans le plan providentiel, comme un acte collectif de chari-
té, qu'à un moment donné, une nation supérieure doi aux races déshéri-
fées, et qui est comme une obligation, corollaire de la supériorité de cul-
ture"%, » Après la conquête féroce et sanglante du Môgho, le lieutenant P.
Voulet a parlé d’une « intervention bienfaisante*. »
27- L'idée de l’infériorité des Noirs n’était pas partagée par tous. En
1881, à propos des Balobos du Congo, Wissmann parlait d’ «un peuple
de penseurs Ÿ ». À la suite de ses séjours en Afrique noire, l'explorateur
Leo Frobenius a eu à relever le raffinement de certaines civilisations.
Selon lui, « L'idée du “Nègre barbare” est une invention européenne qui
5! Leo Frobenius, Histoire de la civilisation africaine ; Cité par Cheikh Anta Diop, Na-
,3° édition, Paris, Présence africaine, 1979, t. 2, p. 353.
pères pour l’Afrique, op. cit., p. 39-40.
0, “Les or! igines el on fase en 1944”, in L. Genet et al,
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Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
# Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit, p. 268.
% Cf. S.-A. Balima, op; cit. p. 268.
56 Cf. S.-A. Balima, op. cit., p. 269.
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Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
? Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit., p. 291
$ C£. François Djoby Bassolet, Évolution de la Haute-Volta de 1898 au 3 janvier 1966,
Ouagadougou, Imprimerie nationale, 1968, p. 85.
$ Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit., p.273.
5 CF. Paul-Henri Siriex, Félix Houphou -Boigny - L'homme de la paix, Paris, Éditions
Seghers ; Dakar-Abidjan, Nouvelles Éditions Africaines, 1975, p. 191.
$ Dans ce sens, cf. A. Kyélem de Tambèla, “Mythe er réalité des indépendances en Afrique
noire francophone”, op.'cit. Pratiquement tous les pays africains ont connu des périodes plus
ou moins longues de troubles et de non droit faites de violences de toutes sortes.
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Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire d. KYÉLEM de TAMBËLA
libertés publiques en Côte d’Ivoire - Essai de théorie générale, Thèse de doctorat d'État
en droit, Nice, décembre 1986, p. 329.
® La F ÉAN.F. publiait un journal qui s'appelait L'étudiant d'Afrique noire. La
FÉ. se donnait pour mission, entre autres, de « Dénoncer et combattre
l'impérialisme, le social- impér ialisme, la bourgeoisie, la réaction et l'opporhmisme ;
cultiver. l'attachement à la démocratie et le désir de participer à la révolution. » Cf.
L’ Étudiant d” Afrique noire, n° 78, Paris, s.d., p. 20.
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Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYËLEM de TAMBËLA
7 Cest le 17 mai 1957 que Daniel Ouezzin Coulibaly a constitué le premier cabinet de
gouvernement présidé par le gouverneur Yvon Bourges. Coulibaly avait le titre de vice-
président, chef du gouvernement. Maurice Yaméogo qui était du M.D.V. était ministre
de l'Économie agricole, soit le onzième en rang sur douze ministres.
Le 17 décembre 1957 Ouezzin Coulibaly était mis en minorité par un vote de
défiance. C’est dans ce contexte difficile que Le 9 janvier 1958, Maurice Yaméogo, à la
tête de certains élus du M.D.V. (Maurice Yaméogo, Denis Yaméogo, Nader Attié) et
d’un élu du P.S.É.M.A. (Mathias Sorgho), choisit d’apporter son soutien à Ouezzin
Coulibaly en échange du poste de ministre de l’Intérieur qui était alors le poste le plus
important après celui de chefdu gouvernement. Ce qu’il obtint dans le nouveau cabinet
formé le 6 février 1958 alors que dès le 12 janvier il avait déjà rejoint le R.D.A., le parti
de Ouezzin Coulibaly.
Après le di de Ouezzin Coulibaly le 7 septembre 1958 à l’hôpital Saint-
Antoine de Paris, Maurice Yaméogo qui assurait l'intérim pendant la maladie de Couli-
baly, et ce depuis Le 28 juillet 1958, devint naturellement le chef du gouvernement et par
la suite président de la République.
Cf. : -$.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit. p. 250-
257. -Joseph Roger de Benoist, “La Haute-Volia, la Communauté française et l'Afrique
occidentale française du référendum (28 septembre 1958) à l'indépendance”, in Yé-
nouyaga Georges Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de-}, Burkina Faso — Cent
ans d'histoire, 1895-1995, Paris, Éditions Karthala, 2003, t.1, p. 1003-1030.
37
+ Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autoceniré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBËLA
7 Frédéric Guinma, Comment perdre le pouvoir ? Le cas de Maurice Yameogo op. cit. p. 107.
F Cf. Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit., P-
287-288.
7 C£. Cf. S.-A. Balima, op. cit, p. 287. |
7 Cf. Basile Lactare Guissou, Burkina Faso - Un espoir-en Afrique, Paris; Éditions
L'Harmattan, 1995, p.37. ‘ l
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Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
rience de développement autocentré
e J. KYÉLEM de TAMBÈLA
les ressources du pays. Ce fut donc dans une sorte d’insouciance générale que
les nouveaux dirigeants prirent les rênes du pays.
43- Pour Maurice Yaméogo qui était un personnage fantasque, le fait
d’être devenu le premier personnage du pays lui donnait l’occasion de réaliser
ses rêves. On menait donc grand train dans la famille du président”. Le prési-
dent était plus souvent à Paris qu’à Ouagadougouet sa famille avait l'habitude
des grands palaces et des grands magasins parisiens. Voyages, réceptions,
dépenses de prestige et achat de voitures de luxe étaient devenus une pratique
courante. Le président fit construire un deuxième palais présidentiel dans sa
ville natale de Koudougou et une imposante “Maison du Parti R.D.A.*! à
Ouagadougou. Autant de choses qui, à l’époque, contrastaient fort avec
l’indigence du pays et des populations. L’ivresse du pouvoir et la jouissance
de l'argent facile induisent certains comportements. Ainsi, vers la fin de 1965,
malgré une situation financière difficile, Maurice Yaméogo se séparait de son
épouse Félicité Zagré, pour se remarier le 17 octobre 1965 avec une jeune
femme métisse qu’il avait fait venir d’Abidjan, la demoiselle Nathalie Mona-
co qui était la fille de son ancien instituteur à Koudougou, sa ville natale. Le
mariage fut célébré avec faste en présence de chefs d'État du Conseil de
l’Entente. Puis le couple s’envola pour un voyage de noces à Copacabana au
Brésil®?, On raconte que le couple paya le prix qu’il fallait pour faire jouer le
“roi Pelé” en son honneur‘?
44- Les lois de finances n’avaient aucun caractère contraignant pour
le président et son régime. Les dépenses se faisaient dans l’anarchie. Pour
% Dans ce sens, cf. Joseph Roger de Benoist, “La Haute-Volta, la Communauté fran-
çaise et l'Afrique occidentale française du référendum (28 septembre 1958) à
l'indépendance”, op. cit. p. 1020-1021.
% CE Frédéric Guirma, Comment perdre le pouvoir ? Le cas de Maurice Yameogo, op. cit. p. 13.
% Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit., p. 289 ;
F. Guirma, op. cit. p. 114-115.
% Cf. Pierre Englebert, La Révolution burkinabë, op. cit., p. 32-33 ; Claudette Savonnet-
Guyot, État et sociétés au Burkina - Essai sur le politique africain, op. cit., p. 152.
43
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
=: T° Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
mettre les syndicats sous la coupe de son parti. En dépit de tout cela, dans
une interview de 1973, Maurice Yaméogo prétendra avoir contribué à
l’avènement de la liberté dans son pays”.
49- Au sein même du parti, il fallait être d’une fidélité à toute épreuve
envers la personne du président. Les ministres et les cadres du parti devaient
sans cesse faire allégeance. Il fallait aussi veiller à ce que sa propre populari-
té ne fût pas trop dérangeante pour le président. On était ministre le matin
sans être assuré de le rester dans l’après-midi\F. Guirma écrit : « Maurice
fait une énorme consommation de ministres. LeS remaniements ministériels
sont si fréquents et soudains que chacun est obligé d'être à l'écoute de la
radio à l’heure des informations. On est brusquement nommé ministre sans
avoir été consulté. Tout comme on est brutalement démis. Les hauts fonc-
tionnaires sont au même régime. Le limogeage d'un ministre est souvent
suivi d'accusations de toute nature à son encontre. C'est, par exemple, le
cas de Bougouraoua Ouédraogo, emprisonné, vilipendé et traîné devant un
tribunal pour deux cageois de bière pris à crédit … lors d'une réunion du
parti à Ouahigouya %,» Outre la personnalité extravagante du président,
les erreurs de gouvernance économique et politique avaient fini par creuser
un fossé d’incompréhension, d’adversité et d’hostilité entre le président et le
reste du pays.
4- La chute du régime de Maurice Yaméogo
50- La gestion désordonnée du pays avait conduit à une impasse. Une
succession d'événements et de maladresses va provoquer la rupture défini-
tive entre le président et le peuple. Le 28 décembre 1965, Maurice Yaméogo
annonce qu’à la suite d’une décision commune prise avec Houphouët-
Boigny, les Voltaïques et les Ivoiriens jouiront dorénavant de la double na-
tionalité dans l’un et l’autre État”. On peut penser qu’en elle-même la déci-
sion n'était pas mauvaise, mais elle avait le tort d'intervenir au mauvais
moment. La nouvelle fut mal accueillie pour diverses raisons. Dans le con-
texte de ras-le-bol de l’époque, on avait commencé à se méfier du président
et toute initiative de sa part était perçue comme contenant des arrière-
pensées. Il était aussi reproché au président d’être un valet du président ivoi-
rien et la décision sur la double nationalité apparaissait comme en étant la
preuve. Ii convient enfin de rappeler que le territoire venait d’être reconstitué
en 1947. Pendant le démembrement, la plus grande partie du territoire avait
été rattachée à la Côte d’Ivoire. La décision sur la double nationalité a donc
été perçue et présentée par certains - de bonne ou de mauvaise foi - comme
une tentative ivoirienne pour absorber de nouveau le pays.
51- Le 30 décembre 1965, pour faire face à la situation de crise pro-
voquée par une gestion catastrophique, le gouvernement annonce un plan
d’austérité destiné à redresser la situation. Entre autres, le plan de redres-
sement prévoyait un abattement de 20% sur les salaires des fonction-
naires et des militaires et la baisse de l’impôt cédulaire de 10%. Ce qui
représentait un sacrifice de 10% ; la baisse de 16% des pensions des an-
ciens combattants ; la réduction du taux mensuel des allocations fami-
liales de 1 500 à 750 F CFA par enfant à charge ; le relèvement de
l'impôt forfaitaire sur le revenu de 10% ; la suppression du tarif préféren-
tiel applicable aux importations provenant de Côte d’Ivoire ; le blocage
des avancements pendant deux ans, etc.”? Les travailleurs n’ont pas voulu
comprendre pourquoi c’est eux qui devaient payer pour les frasques du
président et son régime. Le président qui croyait avoir mis tout le monde
au pas était loin d’imaginer l'intensité de la vague de mécontentement
qui montait#. À propos du budget d’austérité et compte tenu des protes-
tations déjà perceptibles, il fit cette déclaration qui se passe de commen-
taire : « Comme chacun le sait, les effectifs de la Fonction publique sont
pléthoriques et expliquent pour une part ños difficultés budgétaires. Pour
d'Ivoire Elle devait concerner les nationaux des États membres du Conseil de l'Entente.
Cf. LeP: ays, n° 6061, Ouagadougou, 18 mars 2016, p. 9.
* Pour plus de détail, cf. Pascal Zagré, politiques économiques du Burkina Faso -
Une tradition d'ajustement structurel, Paris, Éditions Karthala, 1994, p. 59-60.
% Le 5 octobre 1965, Maurice Yaméogo venait d’être réélu, officiellement avec 99,
98% % des suffrages. Le 7 novembre 1965, son parti remportait les élections légista-
tives officiellement avec plus de 99% des suffrages exprimés.
45
Thomas SANKARA et Ja Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBËLA
de Blaise Compaoré elle prit le nom de Place de la nation. Après la chute de Blaise
Compaoré, les manifestants la rebaptisèrent Place de la Révolution.
12 Sur le déroulement des faits, cf. : -Frédérie Guirma, Comment perdre le pouvoir ? Le cas
de Maurice Y: , op. cit, p. 142-147. -Sangoulé Lamizana, Sur la brèche trente années
durant,
op. cit., p. 67-78.
sa démission, Maurice Yaméogo fut arrêté et détenu à la prison civile de
on d’arrêt et de correction de Ouagadougou (M.A.C.O.) En avril
1969 i fut ue par un tribunal spécial qui le condamna pour détournement de fonds publics,
au retrait de ses dre s civiques, à cinq ans de travaux forcés, à de lourdes amendes et à la
confiscation de ses biens. I fut libéré le 5 août 1970 à l’occasion du dixième anniversaire de
l'indépendance. Il est décédé le 16 septembre 1993.
On peut cependant reconnaître à Maurice Yaméogo le mérite de n'avoir pas
ordonné à l'armée de tirer sur la foule. Selon Sangoulé Lamizana qui, à l'époque, était
le chef d'état-major de l'armée, si l’ordre lui avait été donné dans ce sens, il l'aurait
exécuté.
15 Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit. p. 289.
47
Chapitre II
La période du doute et du questionnement
Il n'y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va.
Sénèque
4 53- À défaut d’une unanimité autour d'une personnalité civile, les mani-
festants qui réclamaient la démission du président appelaient aussi l’armée à
prendre le pouvoir. Maurice Yaméogo en démissionnant avait. aussi désigné
pour lui succéder, le lieutenant-colonel Sangoulé Lamizana!°+ , chef d’état-
major général de l’armée. Lamizana était tout le contraire de Maurice Ya-
méogo. C'était un homme simple, empreint d’une grande humilité et conci-
liant en tout. Il est donc paradoxal qu’un tel homme n’eût pas hésité, selon
ses propres propos, à tirer sur la foule qui protestait s’il en avait reçu l’ordre.
Il dirigea le pays en bon père de famille du 3 janvier 1966 au 25 novembre
1980, date à laquelle son régime fut renversé par le coup d” État du colonel
Saye Zerbo. Sous sa présidence il y eut une alternance de régimes
d’exception et de régimes constitutionnels.
54- Le premier chef du gouvernement, Ouezzin Coulibaly, semblait
optimiste pour l’avenir du pays. Dans la déclaration de politique générale
qu’il fit le 20 mai 1958 à l’Assemblée territoriale, il avait souligné
14 Le capitaine Lamizana est revenu dans son pays en juin 1961. Le 15 octobre 1961, il
fut promu au grade de chef de bataillon et nommé au poste de chef d’état-major de
l’armée voltaïque en formation.
L'armée nationale a été créée le 3 août 1960. Le transfert de commandement
entre les autorités militaires françaises et les autorités voltaïques a eu lieu Je 1° no-
vembre 1961 sur l’ancien site du Prytanée militaire de Kadiogo (P.M.K.), actuel lycée
Marien N’gouabi. Selon Bamina Georges Nébié qui était ministre de la Défense, la date
du 1% novembre a été retenue en souvenir de l’éclatement de la Révolution algérienne le
1% novembre 1954. Cf. L'Observateur Paalga, n° 4522, Ouagadougou, 31 octobre-2
novembre 1997, p. 3. Depuis, le 1* novembre est retenu comme date anniversaire de la
création de l’armée.
Le 22 avril 1967, Lamizana fut promu général par le Conseil supérieur des
forces armées (C.S.F.A.). Après son pèlerinage à la Mecque dans les années 1970, il
devint El hadj général Aboubakar Sangoulé Lamizana. Il est parti à la retraite avec le
pl grade de général de corps d’armée. Il est décédé le 26 mai 2006.
48
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBELA
1% Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit., p. 260.
1% CF S.-A. Balima, op. cit. Annexes, p. CCLVE. Les signataires de la lettre sont : Nazi
Boni, Édouard Ouédraogo, Joseph Ouédraogo, Paul Nikiéma, Gabriel Ouédraogo et
Diongolo Traoré.
49
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
56- Maurice Yaméogo était arrivé à la tête de l’État par une suite de cal.
culs opportunistes. Sa principale préoccupation était de jouir du pouvoir ; les
débats sur les politiques de développement étaient pour lui autant de provo-
cations. Il était convaincu que rien ne pouvait être fait pour le développe-
ment du pays. Ce sentiment d’impuissance semblait partagé par son succes
seur, même si sur les plans économique et social des réalisations notables
ont pu se faire. Lamizana et son régime se sont d’abord attelés au redresse-
ment financier du pays par l'application de sévères mesures d’austérité7,
avec l’adoption de certaines des mesures qu'avait décidées le régime du
président Yaméogo en décembre 1965, et la suppression de certaines ambas-
sades à l’étranger. Il fut ensuite procédé au renforcement des structures ad-
ministratives et aux capacités d’intervention de l’administration. Quelques
unités de production industrielle furent créées. Les infrastructures routières
connurent un développement sans précédent à l’échelle du pays avec no-
tamment je bitumage d’un échantillon de routes interurbaines et internatio-
nales permettant d’autres accès à la mer, par le Togo et le Ghana notam-
ment. On peut noter aussi, entre autres, la voltaïsation des capitaux, quelques
aménagements dans la ville de Ouagadougou, la création de la Société vol-
taïque de commerce (SO.VOL.COM), de l'Autorité de l’aménagement des
vallées des Voltas (AV.V), de l'Office national des céréales
(OF.NA.CÉR.), des Organismes régionaux de développement (O.R.D.)'®,
du Festival panañricain du cinéma de Ouagadougou (FES-PA.CO) et du
Comité inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel (C.LL.S.S.)®. X,
Pal
57- Toutefois, l’enthousiasme populaire dont parlait Ouezzin Coulibaly
n'eut pas lieu non plus sous Lamizana. Son régime a certes le mérite d’avoir
procédé à assainissement et au redressement fmancier du pays et à quelques
réalisations substantielles. Cependant il n’a pas eu de projet mobilisateur pou-
vant entraîner les populations dans un projet de développement soutenu. Les
quelques réalisations économiques concernaient surtout la capitale Ouaga-
dougou et dans une moindre mesure Bobo-Dioulasso la deuxième ville et
deux autres villes secondaires comme Koudougou et Banfora. Les campagnes
n'étaient pas vraiment touchées,et très vite la masse des paysans s’était sentie
marginalisée. Les conditions climatiques n'étant pas des plus favorables, le
désœuvrement s’était installé dans les campagnes pendant que le coût de la
vie renchérissait continuellement. Se retrouvant sans perspective, la jeunesse
pour se réaliser n’avait souvent d’autre choix que de partir, souvent même à
l'instigation des parents. Partir vers des horizons plus cléments, notamment
dans les pays côtiers, surtout en Côte d'Ivoire et un peu plus tard au Gabon!!°.
Vers la fin des années 1960 et au début des années 1970, l’émigration était
telle que dans certaines régions du pays il arrivait qu’il manquât de bras va-
lides pour les quelques rares chantiers qui pouvaient surgir de temps à autre.
C'était dévalorisant de n’être pas ou de n’avoir jamais été un émigré.
58- Pendant le long et tranquille règne du président Lamizana, le doute
avait fini par gagner l’ensemble des populations quant à la réelle possibilité de
sortir le pays de la misère. La lassitude et la résignation étaient le lot commun.
Les réalisations du régime, quoique non négligeables, se sont étalées sur une
longue période de sorte que leurs effets sur les populations étaient, à tort ou à
raison, perçus comme insignifiants, surtout à l’égard des attentes alors nom-
breuses et pressantes. Au sommet de l'État il y avait sans doute beaucoup
d’intégrité, surtout de la part du chef de l’État, et de la bonne volonté!!!, Mais
"10 L'absence de perspective était telle que dans les campagnes, voulant fuir le pays, les
jeunes filles n’acceptaient plus de se marier avec des résidents. Pour avoir les faveurs
d'une jeune fille il fallait émigrer, surtout en Cô! e d'Ivoire.
M1 Lors de l'élection présidentielle de mai 1978, le président Lamizana qui était candi-
dat à sa propre succession, fut mis en ballottage par Macaire Ouédraogo, le candidat de
l'opposition favorable à Maurice Yaméogo. Lui-même ne pouvait pas être candidat
parce qu’il était toujours privé de ses droits civiques. C'était la première fois qu’un tel
événement se produisait en Afrique. Au second tour, Lamizana obtenait 711 722 voix
51
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA
la volonté n’est pas toujours suffisante pour entraîner tout un pays hors des
ornières du sous-développement. Il faut en plus une certaine vision et un cer-
tain dynamisme. Autant de’choses qui semblent avoir fait défaut. Lamizana
semblait le reconnaître lui-même quand il déclarait dans son discours du 8
février 1974 : « … chaque Voltaïque devrait se poser la question toute simple
de savoir si dans ce pays classé parmi les derniers des vingt-cinq pays les
moins avancés du monde et soumis actuellement à une rude épreuve, nous
pouvons encore nous payer le luxe d'un ballet d'équilibristes et de jongleurs
dans la conduite de nos affaires publiques.
La Haute-Volta a souffert beaucoup plus de la pauvreté de cœur
et d'esprit de ses fils que de pauvreté matérielle. Nous devons nous res-
saisir pour aller de l'avant ou alors nous disparañtrons. »
59- Le climat bon enfant qui prévalait était favorable aux mouve-
ments dits progressistes qui se sont développés pendant cette période,
préparant ainsi le terrain aux grands bouleversements que connaîtra le
pays. Contrairement aux dirigeants de l’époque, les partis et mouvements
de gauche étaient restés optimistes, fondant leurs projets sur les capacités
de transformation des populations quand elles sont mobilisées et enca-
drées. La chute du président Lamizana viendra surtout de l’absence de
perspective qu'avait entraînée une méthode de gouvernement dont les
acquis étaient largement en deçà des attentes.
60- Autant Lamizana était attaché aux libertés individuelles et collec-
tives et aux valeurs humaines, ne voulant ni bousculer ni vexer personne ;
avec ce que cela peut comporter comme avantages et inconvénients dans
un petit pays pauvre et démuni où tout était prioritaire, autant les pro-
blèmes économiques seront au centre des préoccupations dès la chute de
Lamizana, d’abord avec le C.M.R.P.N. du colonel Saye Zerbo, pour cul-
miner avec le C.N.R. du capitaine Thomas Sankara.
# *
#
contre 552 956 voix pour Macaire Ouédraogo. Quand on sait qu’à l’époque c’était des
pouvoirs militaires et/ou le règne des partis uniques en Afriqueet que si jamais des
élections se déroulaient, les chefs d’État étaient régulièrement réélus à près .99,95%, on
mesure mieux le degré de tolérance et de respect des libertés du président L4mizana.
52
Chapitre TT
La période de prise de conscience : la marche progressive vers
la révolution
Bâtis ton destin de tes propres mains, mon fils, et n'affends pas éternel-
lement que les autres te prennent en charge.
Soundjata Kéita
11 avril 1991 que le P.A.L. sortira de la clandestinité pour obtenir une reconnaissance
légale. La LIPAD qui agissait à visage découvert lui servait alors de moyen d’action et
de communication. La LIPAD produisait un bulletin qui s’appelait Le Parriote.
119 Cf. Le Patriote, n° 30, Ouagadougou, avril 1989, p. 10.
120 Du 18 avril au 4 mai 1966, peu de temps après son accession au pouvoir, Lamizana
avait parcouru pratiquement tout le territoire. Ses tournées se déroulaient dans le respect
strict du protocole officiel, ce qui tenait les populations à l'écart. Elles n’avaient donc
pas marqué les esprits. En outre, leur souvenir était lointain et avait même disparu de la
mémoire des populations.
56
Re
des postes de travail, etc. Ces tournées cependant ont aussi contribué à redon-
ner confiance aux acteurs du monde rural qui prenaient conscience qu’ils
n'étaient pas les oubliés de la République.
66- La Fonction publique se caractérisait par l’absentéisme des agents.
Non satisfaits d’arrivés en retard au lieu de travail, à partir de 10h beaucoup
d’agents désertaient les bureaux pour les débits de boissons. Pour mettre un
terme à cela, le décret n° 80-028/PRES/CMRPN du 25 décembre 1980 dé-
cida de la fermeture, à partir du 1° janvier 1981, des bars et autres lieux de
consommation des boissons, du lundi au vendredi, pendant les heures ou-
vrables. Pour l’administration, l'effet de cette mesure fut assez limité. Très
vite, un système de contournement fut institué un peu partout à travers des
établissements clandestins très vite identifiés de bouche à oreille. En re-
vanche, les conséquences furent désastreuses pour les propriétaires des dé-
bits de boissons régulièrement enregistrés qui perdaient ainsi une importante
clientèle ; à l'exception de ceux d’entre eux qui avaient pu s’insérer dans les
réseaux clandestins. En outre, la mesure pénalisait tous les consommateurs
qui n'étaient pas fonctionnaires.
2- La politique économique du C.M.R.P.N.
67- Sur le plan économique, la politique du C.M.R.P.N. s’est mani-
festée par le refus de la fatalité. C’était la première fois dans sa jeune
histoire qu’une telle option était adoptée par les dirigeants du pays. Dès
janvier 1981, le chef de l'État affirmait que « la Haute-Volta était aussi
viable que tout autre pays, pour peu que les Voltaïques le désirent vrai-
ment et soient prêts à consentir les sacrifices nécessaires à la survie de
leur patrie"?\,» I] jurait par le ciel et ses entrailles de sortir le pays du
sous-développement. Dans les rassemblements, dans son style à lui, il
déclarait souvent : « On vous a dif que la Haute-Volta est un pays
| pauvre : non, c'est faux ! Nous allons vous prouver que la Haute-Volta
n'est pas pauvre. » Il avait aussi déclaré le 10 décembre 1980 que « le
C.MR.P.N. fera en sorte que le Voliaïque cesse de survivre pour vivre
pleinement,» Dans le Discours programme prononcé le 1* mai 1981, il
préconisait en tout premier lieu la décolonisation des « mentalités long-
| temps acquises à l’idée de la ‘pauvreté presque irréversible de la Haute-
bureau et lui dit : « Jui acheté certe voiture avec vous pour donner simplement le bon
exemple. Ces une voiture qui transportera ma propre famille, je ne veux plus que mon
épouse et mes enfants empruntent les véhicules de l'armée ou du Gouvernement.
J'usqu'à présent les véhicules de | "État servent à tout faire : à transporter les élèves, à
aller le week-end au village, etc. Tous ces principes, avec mon avènement, voient son-
ner leur glas… » Appelant son chauffeur il lui dit : « Adama ; prends soin de la 504 que
je viens d'acquérir. C'est une voiture personnelle. Je ne veux la voir en réparation hi au
garage de l'armée ni au garage administratif du gouvernement. Toute réparation doit
être faite par les Ets D.A. qui enverront une facture à mon nom pour règlement finan-
cier. » Cf. L'Observateur Paalga, n° 8473, Ouagadougou, 7 octobre 2013, p.92.
1% Ces villes étaient : Banfora, Diébougou, Fada N'Gourma, Kaya, Koudougou, Nouna,
Ouahigouya, Tenkodogo, Toussiana. À cela s'ajoutaient quelques petits séminaires :
Baskouré, Nasso, Pabré, Tionkuy.
59
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
127 Ordonnance 82-003 CMRPN/PRES portant procédures de règlement des conflits collectifs
de travail. Cf. Carrefour africain, n° 719, Ouagadougou, 15 février 1982, p. 8 bis - Ja.
61
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
128 II était né le 21 décembre 1949. Il trouva la mort le 15 octobre 1987 lors du coup
d’État perpétré par Baise Compaoré pour s'emparer du pouvoir,
62
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
1 Le Conseil supérieur des forces armées a été mis en place aussitôt après les événe-
ments qui ont conduit le 3 janvier 1966 à la chutedu président Maurice Yaméogo. C’est
un organe qui contribuait, aux côtés du chefde l’État, à la gestion du pouvoir d’État.
63
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA
Il Le régime du C.S.P.
Après le coup d'État du 7 novembre 1982 (A), il fut mis en place un
Conseil provisoire de salut du peuple (C.P.S.P.) (B) qui sera remplacé par
un Conseil de salut du peuple (C.S.P.), lequel peut être divisé en deux
périodes : celle du C.S.P.-I (C) et celle du C.S.P.-II (D).
A) LE COUP D'ÉTAT DU 7 NOVEMBRE 1982
80- Qui a été le principal instigateur du coup d'État du 7 novembre
1982 ? Pour certains c’est le colonel Yorian Gabriel Somé. Pour d’autres
c’est le capitaine Thomas Sankara. L'un et l’autre ont contesté y avoir été
pour quelque chose. Le colonel Somé était de la même génération que le
président Saye Zerbo, mais entre eux, l’entente ne semblait pas parfaite. Le
colonel Somé avait été l’aide de camp du président Maurice Yamméogo. De-
puis, il lui était resté fidèle. Le 3 janvier 1966, lors des manifestations qui
allaient entraîner la chute du président Yaméogo, Somé, alors lieutenant,
était partisan de la manière forte pour sauver le régime alors que Saye Zerbo,
également lieutenant à l’époque, donnait la priorité à la protection de la po-
pulation civile. Le colonel Somé qui avait été plusieurs fois ministre sous le
président Lamizana ne faisait pas partie de l’équipe dirigeante du
C.MR.PN. Toutefois, sans doute pour compenser cette frustration, et peut-
être aussi pour lavoir pour lui plutôt que contre lui, un an auparavant, en
novembre 1981, Saye Zerbo l'avait nommé chef d’état-major général de
l’armée, lui-même conservant le portefeuille de la Défense.
81- Le capitaine Sankara était le leader des jeunes officiers dont
beaucoup se réclamaient de l'idéologie progressiste, à l’opposé des offi-
ciers supérieurs qui étaient taxés de conservatisme. Au sein même du
C.MR.PN, les jeunes officiers s’étaient opposés à leurs supérieurs. Si
l’on en croit le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo, le ren-
versement du C.M.R.P.N. fut l’œuvre de jeunes officiers sous la direction
du capitaine Thomas Sankara. Selon Jean-Baptiste Ouédraogo, « C'est
parfaitement conscients d'une situation, longuement analysée avec Tho-
mas Sankara, que nous avons réalisé le coup d "État, convaincus que
64
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
Thomas serait notre chef. » Mais le moment choisi fut précipité pour
éviter les fuites et les dénonciations?!. À ce sujet, Le capitaine Boukary
Kaboré qui fut un proche de Sankara dira plus tard que le coup d’État du
7 novembre 1982 « a été fait plus tôt que prévu, parce qu'il y a eu des
militaires excités à qui on avait pourtant dit de ne rien faire pour le mo-
ment. Nous n'étions donc pas préts\??, » Juste après le coup d’État, des
rumeurs persistantes en avaient attribué la paternité à Thomas Sankara et
ce, malgré ses protestations persistantes.
82- Jean-Baptiste Ouédraogo affirme que le colonel Somé n’a jamais
été informé de ce qui se tramait. Il serait donc totalement étranger au
coup d’État du 7 novembre 1982 dont l'exécution matérielle a pourtant
reposé essentiellement sur son parent, le lieutenant Jean-Claude Kambou-
lé qui commandait le Groupement blindé de Ouagadougou. Au moment
des faits, le colonel Somé était d’ailleurs en déplacement à Diébougou, sa
ville natale, pour les funérailles d’un parent.
83- Le coup d’État du 7 novembre 1982, selon le bilan officiel, aura
provoqué cinq morts!#. C’était la première fois qu’un changement de
régime occasionnait des pertes en vie humaine, Selon la version offi-
cielle, le lieutenant-colonel de gendarmerie Badembié Pierre-Claver Ne-
zien, ministre de l'Intérieur du C.M.R.P.N., s'était réfugié à l'ambassade
de France!*. À la suite de négociations, il accepta de se rendre aux nou-
velles autorités. Il sera exécuté le 9 novembre 1982, le jour même de sa
reddition, peu de temps après, dès son arrivée au camp militaire de
Gunghé alors appelé camp de l'unité, l’actuel camp général Aboubakar
Sangoulé Lamizana!®. Le colonel Nezien faisait partie de l’aile dure du
aux nouvelles autorités quand, au téléphone, il apprit par son épouse que faute de le
trouver chez lui après quatre passages, les hommes du sous-officier Tibo Ouédraogo
avaient abattu sa fille qui avait simplement protesté contre leurs intrusions cavalières et
incessantes dans le foyer.
66
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
go!®. On organisa donc des votes au sein du C.P.S.P. qui donnèrent les
résultats suivants : médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo : 80
voix ; général Tiémoko Mare Garango : 10 voix ; colonel Yorian Gabriel
Somé : 4 voix. Ainsi le 13 novembre 1982, Jean-Baptiste Ouédraogo était
élu président du C.P.S.P. Il n’était connu ni de Sankara ef de ses amis, ni
pour être un progressiste. Mais lors de la réunion le 15 avril 1982 du
Conseil supérieur des forces armées (C.S.F.A.), sans prendre partie pour
les officiers progressistes, il avait apporté sa part de critiques contre le
C.MR.P.N. En outre, la façon dont il avait présidé la commission ad hoc
lui avait valu la sympathie de Sankara et de ses proches. Les rapports
entre Jean-Baptiste Ouédraogo et les proches de Sankara datent seule-
ment de cette époque. Il apparaissait donc à leurs yeux come celui qui
pouvait être l’homme du compromis.
©) LECSP-I
La gestion politique du C.S.P.-I recouvre l'essentiel de son bilan (1).
Toutefois, il convient de ne pas perdre de vue ses politiques économique
{2) et sociale (3) de même que sa politique internationale (4).
1- La gestion politique du C.S.P.-I
86- Dans un souci de démocratisation de l’armée, à l’instigation du
Conseil provisoire de salut du peuple (C.P.S.P.), une assemblée géné-
rale se tint du 22 au 26 novembre 1982. Elle comprenait cent vingt
militaires issus des quarante unités de l’armée de l’époque dont trois
par unité: un soldat, un sous-officier et un officier. A l'issue de
énéral Yaoua Marcel Tamini qui, alors colonel, avait été nommé chef d’état-
major s us le C.S.P.-I en remplacement du colonel Yorian Gabriel Somé (cf. $ n°112)
dit de Jean-Baptiste Ouédraogo : « Pour moi, il n'est même pas un militaire, c'est un
bon médecin. Avant le 7 novembre, je ne connaissais pas de Jean-Baptiste Ouédraogo
dans toute notre armée nationale. Je l'ai vu pour la première fois, le jour où on s'est
trouvé après le 7 novembre en réunion. Quand il est arrivé, j'ai même demandé at
colonel Mamadou Djerma qui était. cet officier-là ! Parce qu'il avait deux ceinturons.
Certainement que c'était la première fois qu'il portait un ceinturon… C'est pour vous
dire que ce type-là n'est pas un militaire. CF. 1 on Enchaîné, n° 037, Ouagadougou,
3 août 2011, p. 13.
Le colonel Tamini a été élevé au rang et appelation de général de brigade par le
décret n° 83-0016/ PRES/CNR/DNAC du 20 août 1983 et immédiatement mis à la
retraite par le décret n° 83-0017/PRES/CNR/DNAC du même jour.
67
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA
137 Selon Jean-Baptiste Ouédraogo, c’est Thomas Sankara qui a lui-même eu l’idée de la
création du poste de premier ministre pour épauler le président qui lui semblait trop
isolé dans le gouvernement. J.-B. Ouédraogo y était opposé. Mais, mis en minorité, il
dut s’incliner.
68
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
lecture des textes on s’aperçoit d’ailleurs que le président tout comme le pre-
mier ministre n'étaient responsables que devant le C.S.P. Le président n'avait
donc pratiquement aucun pouvoir sur le premier ministre, notamment celui de
le démettre.
g9- Le discours que Sankara prononça le 1° février 1983, jour de son in-
vestiture comme premier ministre, était d’un ton nouveau. Le mot peuple est
revenu soixante-quatre fois dans le discours. On retrouve dans ce bref discours
l'essentiel de ce qui devait lui servir de programme quand plus tard il sera chef
de l'État. «… le mouvement de salut du peuple - avait-il déclaré -… est décidé
à contribuer : … à faire avancer la Haute-Volta dans la voie du progrès, …
afin de permettre, aussi rapidement que la force et le génie créateur du peuple
voltaïque lui en donneront les moyens, de nourrir le peuple, de lui donner une
eau saine à boire, de le vêtir, de l’abriter, de l'instruire et de le soigner. »
C'était là tout un programme qu’il a tenté de réaliser pendant le temps qu’il lui
restait à vivre. Ce qu’il demandait aux ministres sortait de l’ordinaire. « Nous
ne devons pas craindre les masses, et nous barricader dans des bureaux cli-
matisés pour penser lourdement à sa place, avec les pesanteurs petites-
bourgeoises, sans tenir compte de lui er de ses conditions concrètes de vie et
de travail. En um mot, je voudrais vous dire que nous ne devons pas tenir le
peuple en respect, mais réserver tout le respect au peuple. [...]
Messieurs les ministres, avec de tels objectifs, ce n'est certaine-
ment pas à un banquet de copains ou à une partie de plaisir que le Con-
seil de salut du peuple vous a conviés en vous investissant de sa con-
fiance. Mais c'est à un gigantesque chantier de travail auquel participe-
ra avec ardeur tout le peuple voltaïque, qu'il vous demande de prendre
part, comme chefs de brigades de travail dans ce chantier. »
90- Pour susciter le débat au sein de l’armée et soutenir une forme de dé-
mocratie interne, l’aile progressiste du C.S.P. créa un journal mensuel dé-
nommé Armée du peuple qui se voulait un « organe de lutte et d'information
du Conseil de salut du peuple ». Le journal dont le numéro 00 parut le 13 fé-
vrier 1983 avait pour devise : «s'intégrer et s'identifier à son peuple.» À
l'instar du président du C.M.R.P.N. qui avait sillonné le pays à la rencontre
des paysans, des équipes du C.S.P. entreprirent aussi des tournées à l’intérieur
du pays pour expliquer et justifier son avènement. Cependant, elles ne rencon-
69
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA
M6 À l’époque il y avait dans le pays une seule télévision à rayon d’action très limité et une
seule radio, avec chacune une antenne à Bobo-Dioulasso, Même dans les pays dévéloppés,
les médias audiovisuels étaient assez limités en nombre et en ternps d’émisson.
MU Cf. Armée du peuple, n° 003, 30 avril 1983, p. 5.
71
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA
qui, sous des couverts coutumiers au lieu de servir réellement les intérêts
moraux du peuple, au lieu de servir les intérêts sociaux du peuple, sons
entrain de l'exploiter. [...] Les ennemis du peuple, ils sont également hors
de nos frontières ; ils s'appuient sur des apatrides qui sont ici, parmÿ
nous, à tous les échelons, chez les civils comme chez les milifaires
.….C’esf le néocolonialisme, c'est ! ’impérialisme"®?, » Promesse était faite,
avec l’aide du peuple, de combattre les ennemis du peuple.
95- Après le premier ministre, ce fut autour du président de la Répu-
blique Jean-Baptiste Ouédraogo de monter à la tribune. La population qui
était venue nombreuse commença à se disperser comme si elle n’était venue
que pour écouter le premier ministre. Sankara venait de faire de ce coup
d’essai un coup de maître. L’adhésion de la foule était totale. Devant un
auditoire qui se vidait continuellement, Jean-Baptiste Ouédraogo tenta tout
de même de faire passer son message. Dans un discours bien rédigé, il es-
saya de démentir les rumeurs concernant les divergences au sein du C.S.P.,
puis il esquissa les objectifs du C.S.P. qui étaient les suivants : assainisse.
ment des mœurs politiques, instauration d’une vraie démocratie, réorganisa-
tion et redynamisation de l’administration et de l’armée, acheminement vers
une vie constitutionnelle normale. Mais c’est finalement dans un discours du
7 mai 1983 que le chef de l'État rendra public le Programme d'action du
C.S.P.#? On y apprend que celui-ci se donnait pour tâche d’ « Obtenir des
populations une participation consciente aux efforts des pouvoirs publics
pour transformer les structures du pays dans le sens du progrès économique
et social. » Il voulait également assurer la promotion de l’homme nouveau
voltaïque et «/e Voltaïque nouveau devra être, à partir du processus de
transformation des mentalités, celui qui, intellecruellement, politiquement,
moralement et physiquement, se rendra disponible au service effectif de son
peuple et des aspirations de son peuple. »
communiqué final qui fut adopté le 1° mai 1983 dit que « Les deux par-
jies se sont également mis d'accord pour créer une grande commission
mixte de coopération, une banque commune et une société agricole
mixte. » Il y est dit également que « le frère colonel Moammar El Kadha-
fi a confirmé que la Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste se
tient aux côtés de la révolution et du peuple voltaïque. »
106- Par la suite certains prétendront que Kadhafi était venu à Ouaga-
dougou sur invitation du premier ministre Thomas Sankara et à l’insu du x
chef de l’État Jean-Baptiste Ouédraogo""?. Pourtant, peu de temps après,
Jean-Baptiste Ouédraogo avait lui-même donné sa version des faits. « La
réalité, avait-il dit, c'est que pratiquement tout le monde a été mis devant
le fait accompli en ce qui concerne la visite de Kadhafi. Puisque c'est
moins de vingt-quatre heures avant que nous avons été saisis. Personnel-
lement j'ai cru que c'était une visite qui avait été préparée mais il semble
que tel n'avait pas été le cas. Un fait est certain, tout le monde a été pris
au dépourvu%, » Dans une conférence de presse donnée le 22 août 1983,
peu de temps après l’avènement de la Révolution, Sankara démentira
formellement avoir préparé en secret la venue de Kadhafi.
5- La chute du C.S.P.-I
107- Ilest difficile de mettre le gouvernement français hors de cause
dans la chute du régime du C.S.P.-L. Après le second meeting tenu à Bo-
bo-Dioulasso le 14 mai 1983, tout est allé relativement vite. Le 16 mai
1983 dans la nuit, Guy Penne, alors conseiller spécial aux Affaires afri-
caines du président socialiste français François Mitterrand, arriva à Oua-
gadougou par avion spécial et choisit d'atterrir discrètement à la base
aérienne de l’armée au lieu d’atterrir à l’aéroport international. Il ne fit
aucune déclaration et refusa de recevoir les journalistes. Dans la nuit du
16 au 17 mai 1983, sur instruction du chef d’état-major, le colonel Yo-
rian Gabriel Somé, les véhicules blindés du capitaine Jean-Claude Kam-
1 C'est ainsi qu'avait été créée la Banque arabe libyènne burkinabè (B.A.LI.B.) qui
allait devenir la Banque commerciale du Burkina (B.C.B.)
19 C'est le point de vue de S.-A. Balima. Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des
peuples du Burkina Faso, op. cit., p. 342.
0 Cf. n, n° 781, Ouagadougou, 3 juin 1983, p. 8. -Jean-Baptiste
Ouédraogo, “Contribution à propos de trois dates historiques”, op.cit., p. 272.
77
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Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de FAMBÈLA
V1 Lire Boulkiemdé. Rappel : Dans l’écriture de la langue more, l’accent aigu n'existe pas
et le # se prononce ou.
Boukary Kaboré a expliqué pourquoi il était ainsi appelé. Le bataill ait pris
le lion comme symbole parce que celui-ci est plein de force et de sagesse et il ést le roi de
la brousse. Le chef du bataillon était donc appelé le lion et le reste de la troupe était consti-
tué de lionceaux. Cf. Le Quotidien, n° 1302, Ouagadougou, 3 mars 2015, p. 6.
À 78.
X, de 15 ue. À
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
152 Sur la participation probable du gouverement français au coup d’État du 17 mai 1983, voir :
- René Otayek, “Le changement politique et constitutionnel en Haute-Volia”, Année
e 1983, Paris, Pedone, 1985, p. 93-94.
ictoria Brittain, “/ntroduction to Sankara & Burkina Faso”, Review of African Po-
litical Economy, n° 32, Baltimore, avril 1985,p. 44.
Dans “Basse pression sur la Haute-Volta”, Le canard enchaîné, hebdomadaire
français du 1° juin 1983 révèle que Guy Penne avait déclaré à des journalistes le 14 mai
à Paris qu’il se rendrait à Ouagadougou renverser le capitaine Sankara. Dans ce sens
voir aussi Africa Confidential, n° 12, Londres, 1983, p. 7-8.
Selon Ahmed Malainine, représentant du Front Polisario au Bénélux, Guy
Penne se trouvait également à Nouakchott la veille du coup d’État qui a renversé le
lieutenant-colonel Ould Haïdallah le 12 décembre 1984 en Mauritanie. Cf. Pierre En-
glebert, La révolution burkinabè, Paris, L'Harmattan, 1986, p. 75.
. Dès lé 17 mai 1983, l'ambassadeur de France, Gaston Boyer, rencontrait te chef de
l'État J.-B. Ouédraogo pour lui prodiguer ses encouragements et ses conseils. Le 20 mai
1983, la France commençait ses livraisons d'armes au nouveau régime. Cf. Babou Paulin
Bamouni, Burkina Faso - Processus de la Révolution, Paris, L'Harmattan, 1986, p. 87.
Après | inat de Thomas Sankara, Guy Penne deviendra l’un des proches amis
de Blaise Compaoré. Il tentera de démentir toute participation de sa part aux événements du
17 mai 1983 en ces termes : «… si j'avais eu personnellement à intervenir, je ne me serais
pas trouvé bêtement à Ouagadougou ; j'aurai pu faire agir des gens moins bruyants que
moi, » CF. Le Pays, n° 3501, Ouagadougou, 15 novembre 2005, p. 19.
Pour Jean-Baptiste Ouédraogo, l’arrivée de Guy Penne à Ouagadougou était prévue
et annoncée déjà des deux côtés. Sa coïncidence avec les événements du 17 mai 1983 serait
79
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA
D) LE CS.P.-II
110- Après l’éviction du premier ministre, le chef de l'État qui avait.
fait allégeance aux auteurs du putsch restait seul à bord à la tête de l’État, -
Il lui fallait donc expliquer et justifier ce qui venait de se passer. Le 17.
mai 1983 à 13h, dans une déclaration diffusée sur les ondes de la radio.
nationale, le président Ouédraogo annonça que « Depuis un certair
temps, des divergences se sont fait jour au sein du Conseil de salut du
peuple qui menaçaient de se cristalliser en des oppositions de clans mi.
nant dangereusement l'autorité de l'État. » C’est pourquoi « le Conseil
de salut du peuple a décidé d’écarter de son sein tous ceux qui œuvraient
à le faire dévier de sa voie initiale par des comportements, déclarations |
et agissements tout aussi démagogiques qu'irresponsables\*,. » |
111- L'exercice du chef de l'État ne semble pas avoir convaincu. Le 209
mai, sous l'impulsion de la LILPA.D. notamment, par centaines, des |
élèves et étudiants de la capitale étaient dans les rues au cri de « Jean- |
Baptiste au poteau ! Libérez Sankara ! » La ville se retrouva dans la pa- |
ralysie. En peu de temps, Sankara avait su gagner la confiance d’un
grand nombre de ses concitoyens et son éviction subite après une si brève |
période avait fait de lui un mythe. Pour essayer de maîtriser la situation, |
le 21 mai il fut procédé à de nouvelles arrestations dans les rangs des |
partisans de l’ancien premier ministre. Le 22 mai les partisans du nou-
veau régime tentèrent également une contre-manifestation sans beaucoup
de succès. Partis de la Place du 3 janvier, ils se rendirent à la Place de la
Présidence* pour remettre une motion de soutien au chef de l’État, Des
affrontements eurent lieu avec les partisans de Sankara sortis pour trou-
bler ladite manifestation et réclamer la libération de leur héro.
un pur produit du hasard. Cf. : -J.-B. Ouédraogo, “Contribution à propos de trois dates his-
toriques”, op. cit., p. 278. -Bendré, n° 394, Ouagadougou, 5 juin 2006, p. 10.
Pour Sankara en revanche c’est « Guy Penne qui nous a fait mettre les chars
entre nous. [..] Cette affaire était préparée de longue date. Nous avons saisi la France
pour la prévenir du coup qui se préparait. » Cf. Bruno Jaffré, Biographie de Thomas
Sankara - La patrie ou la mort..., Paris, L'Harmattan, 1997, p.260.
Guy Penne est décédé le 25 juillet 2010 à l’âge de 85 ans.
1% Cf. L'Observateur, n° 2592, Ouagadougou, 18 mai 1983, p. 12.
Il s’agit de l'actuel premier ministère. Une nouvelle présidence a été construite au
sud de la ville à “Ouaga - 2000”, dans le village traditionnel de Kosyam.
80
Thomas SANKARA et la Révolution aw Burkina Faso
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Thomas SANKARA et la Révoïution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentté
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
83
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Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KVÉLEM de TAMBÈLA
* # |
84
Chapitre IV
L’avènement de la Révolution
L'esclave qui n’est pas capable d'assumer sa révolte ne mérite pas que
l'on s'apitoie sur son sort.
Thomas Sankara
15 C£ Salfo-Albert Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit, p. 149.
19 C£ Ibid., p. 150.
150 Dans ce sens, voir aussi Sophie Dulucq, “Émile Dussaulx. Entre conquête et “pacifi-
cation” (janvier-juiller 1898) : un éclairage inédit sur l'histoire des pays voltaïques”, in
Yénouyaba Georges Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de -), Burkina Faso —
Cent ans d'histoire, 1895-1995, Paris, Karthala, 2003, t.1, p. 564-567.
161 C'est seulement à l'avènement de la Révolution que cet impôt sera supprimé le 1%
octobre 1984.
12 Sur ce sujet voir Jean-Yves Marchal et L. Wilhelm, “L ‘expansion industrielle de Boussac et
l'exploitation coloniale”, Le Monde diplomatique, Paris, novembre 1978, p. 15.
87
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Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
1? La circulaire dit : « La culture du coton doit être intensifiée le plus possible afin
d'augmenter dans la plus large proportion la part de la récolte non nécessaire à la
consommation locale et, par suite, disponible pour l'exportation. Je laisse à votre ini-
fiative et à voire appréciation le choix des meilleurs moyens à adopter pour atteindre
ces résultats avec l'assistance des chefs. Je vous recommande de tenir la main à
l'application de cette mesure, qu'il est de l'intérêt des indigènes d'accepter sans y faire
obstacle par leur insouciance ou leur routine. »
"La circulaire n° 951 du 28 avril 1924 adressée aux “commandants de cercle” dis-
pose : « L'intérêt général exige une production poussée à l'extrême limite de ses possi-
bilités. [...] Dans ces conditions, en appelant la population de votre cercle à développer
ces cultures ef en exerçant sur elle toute pression nécessaire, vous agissez en tuteur
avisé et autorisé, en conséquence, à exiger l'effort demandé. »
15 C£ Alfred Schwartz, “La politique cotonnière du gouverneur Hesling ef la disloca-
tion de Ta colonie de Haute-Volta en 1932. Et si l'inspecteur Sol s'était trompé ?” in
Vénouyaba Georges Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de -}, Burkina Faso —
Cent ans d’histoire, 1895-1995, Paris, Karthala, 2003, t.2, p. 1298.
88
0
125- Le bilan social de cette politique est dressée en 1932 par Albert Sar-
rault, ministre des Colonies, dans une lettre adressée au gouverneur général
de l'AO.F. : « La mission d'inspection qui, en 1931, a enquêté en Haute-
Volta a constaté que les efforts de l'administration locale pour intensifier la
production des matières naturelles susceptibles d'une utilisation industrielle
avaient abouti, par voie de conséquence indirecte, à faire négliger les cul-
tures vivrières indispensables à la subsistance des indigènes.
Le résultat de cet état de fait, … a été d'augmenter en nombre et
en durée les disettes partielles qui sévissent, d'une manière en quelque
sorte endémique, dans les régions considérées, »
126- Pendant la période coloniale, seuls les secteurs économiques répon-
dant à l'attente du commerce international bénéficiaient de crédits
d'investissement. Au lendemain de l'indépendance par exemple, il ÿ avait
principalement deux usines de transformation des produits agricoles du cru :
coton et arachide. Le coton est destiné à la Compagnie française pour le déve-
loppement des fibres textiles (C.F.D.T.) créée en 1952 et qui deviendra suc-
cessivement la Société voltaïque des fibres textiles (S.V.F.T.) par le décret n°
79/248/PRES/DR du 20 juin 1979 puis la Société des fibres textiles
(SO.FLTEX.). L'arachide et les graines de coton sont destinées à la Compa-
gnie de l’industrie textile et cotonnière (C.LTE.C.) créée en 1940 et qui de-
viendra en 1967 la Société des huiles et savons de Haute-Volta (S.HS.H.V.)
puis la Société des huiles et savons du Burkina (S.H.S.B.). De nos jours en-
core, à lexception du secteur des mines, on ne trouve au Burkina que de pe-
tites usines : brasseries, industries alimentaires, industries du cycle, cimente-
ries, etc. Généralement des succursales de sociétés occidentales qui utilisent la
main-d'œuvre bon marché et font du pays leur arrière-cour. Ces faits expli-
quent en partie Les grandes luttes syndicales qui ont marqué le Burkina depuis
son indépendance ?? et qui s’appuyaient sur la détérioration continuelle des
conditions de vie de la majorité de la population et l'absence de perspective.
2- Le démantèlement du territoire
127- La politique économique appliquée à la colonie de Haute-Volta
par le colonisateur entraîna la désarticulation de l’économie traditionnelle
et une désorganisation sociale, Pour la culture du coton, des champs col.
lectifs obligatoires furent créés dans les villages à raison de quatre hec-
tares pour cent habitants", La production de coton passa ainsi de trois
cent tonnes seulement en 1923-1924 à six mille tonnes dès 1925-1926.
La culture du coton qui se faisait de façon extensive, presque sans apport
d’intrants et avec des rendements dérisoires de l’ordre de 150 kg/ha eut
pour conséquence des défrichements inconsidérés et un appauvrissement
des sols. Le premier gouverneur de la colonie, Frédéric Charles Édouard
Alexis Hesling (mai 1919 au 31 décembre 1927), entreprit de grands tra-
vaux pour son développement, notamment la construction de routes. Sous
l’autorité de Hesling, six mille kilomètres de routes en terre bordées de
caïlcédrats furent ouvertes. En 1930, le réseau routier était déjà long de
onze mille cinq cent kilomètres. De nos jours ces routes constituent la.
trame du réseau routier du Burkina et les caïlcédrats, à l’exception de
ceux qui ont été malheureusement abattus - sans être remplacés - lors du
bitumage de certaines routes, dominent toujours le paysage environne-
mental du pays. En 1926 quatorze unités mécaniques d’égrenage et de
pressage furent installées. Pour l’exécution de ces travaux, on eut recours
à des recrutements obligatoires et à des mesures coercitives. En outre, le
taux de l’impôt de capitation ne cessait de croître. De moins de 1 franc
métropolitain (F.M.) en 1919, il passa à 3 F.M. en 1921 puis à 8 F.M. en |
1927. Le total des recouvrements passa ainsi de cinq millions de F.M. en l
1920 à 18,274 millions en 1927 pour atteindre vingt-six millions en 1930 |
et trente-six millions en 1932.
|
|
|
Volta”, Année africaine 1983, Paris, Éd. A. Pedone, 1985, p. 86-91 ; C.NR,, Discours |
d’orientation politique, Ouagadougou, 2 octobre 1983, Imprimé en République popu-
laire démocratique de Corée, p. 3- 4.
16% Les champs collectifs furent supprimés par un télégramme-lettre du 31 mars 1930 du |
ouverneur par intérim Chesse adressé aux administrateurs de la colonie. |
& Cf. Pascal Zagré, Les politiques économiques du Burkina Faso - Une tradition
d’ajustement structurel, Paris, Karthala, 1994, p. 34-35. |
90
|
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
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Apollinaire J. KYÉLEM de FAMBÉLA
"# Le phénomène était tel que le régime colonial avait décidé d'établir des contrôles sur
les principales voies menant à la Gold Coast. L’effet fut très limité car les populations
connaissaient des voies de contournement.
11 Ce pays comprenait alors trois zones : la Basse-Côte d’Ivoire, la Moyenne-Côte
d’Ivoire et la Haute-Côte d'Ivoire.
91
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
Volta a été créée pour satisfaire à des besoins impérieux, à la fois d'ordre
politique et économique.
Cette région de la boucle du Niger est la plus peuplée de toute
notre Afrique Occidentale
"#!, »
132- Les populations vivaient dans une sécurité totale. En 1891, le capi-
taine Monteil pouvait ainsi écrire : « Au milieu des invasions qui ont ravagé
le Soudan au travers des âges, le Mossi semble avoir conservé son indépen-
dance et le caractère très spécial de sa civilisation"®? » En 1912, Louis
Tauxier, administrateur français des colonies, notait au sujet du pays moa-
ga : «Il y avait paix et sécurité intérieure. De plus, le même pouvoir centra-
lisé, qui empéchait l'anarchie nègre, empêchait le pays d'être dévasté par
des conquérants de fortune, par des fondateurs d'empire. Ainsi, tandis que
les Songhay Djermabés dévastaient le Gourounsi, pays de villages indépen-
dants ou de petits cantons, et y fondaient par le fer et le feu un royaume, ils
n'osaient s'attaquer au Mossi, dont ils étaient pourtant voisins, redoutant
les dix milles cavaliers du Moro-Naba...
On était frappé en entrant au pays mossi, de l'absolue sécurité
dans laquelle vivait la population, alors que partout ailleurs la guerre et
la chasse aux esclaves désolaient les villages. Et l’on citait avec envie les
paysans mossi se rendant isolément à leur champ, la pioche sur l'épaule,
alors que partout ailleurs le chef de famille devait avoir nuit et jour ses
armes à portée de la main.» Comme l’a fait remarquer S.-A. Bali-
ma, «Aucun conquérant africain n'avaitnjamais porté victorieusement
des armes contre eux, sur leur propre sol
133- Les Mose connaissaient aussi une civilisation très évoluée. Sur le
pays moaga, Monteil écrivait en 1891: « D'après le jugement que j'en puis
porter, c'est le seul pays où se soient conservées intactes les coutumes d’une
très ancienne civilisation noire - civilisation qui, au cours d'une longue pé-
riode de paix et de prospérité commerciale, s'est affinée et a perdu le carac-
Niger lancée par l’Office du Niger!” Pour ces travaux, il fallait une.
main-d'œuvre nombreuse, disciplinée, immédiatement et directement
disponible que seuls le démantèlement et Le rattachement de la colonie de
Haute-Volta aux colonies voisines permettaient de fournir sans tracasse. |
ries administratives. L’exposé des motifs de la proposition de loi du 25.
juin 1947 portant rétablissement de l’autonomie du territoire de la Haute.
Volta dit expressément que dans le démantèlement de la Haute-Volta,.
«Il s'agissait plus précisément d'attacher, au sort de ces territoires, les
pays Mossis, beaucoup plus peuplés, pour recruter plus facilement la
main-d'œuvre nécessaire pour les travaux de l'office du Niger et pour les
cultures industrielles de la Basse-Côte d'Ivoire", »
135- Outre l’exploitation agricole, les grands chantiers de construction.
d’infrastructures avaient également besoin de la main-d'œuvre voltaïque,
Déjà en 1929, dans Terre d'ébène Albert Londres écrivait : « Ainsi, nous
arrivons en Haute-Volta, dans le pays mossi. Il est connu en Afrique sous le
nom de réservoir d'hommes [...] Tout le monde vient en chercher. Lors des
chemins de fer Thiès-Kayes et Kayes-Niger, on fapait dans le Mossi. La
Côte d'Ivoire pour son chemin de fer, tape dans le Mossi. Les coupeurs de
bois montent de la lagune et tape dans le Mossi.» P.-F. Gonidec écrit : « En
AOF, la construction de chemins de fer, de ports, de routes avait amené
l'Administration à recruter d'autorité des travailleurs, parfois à de grandes
distances des chantiers. Notamment, la colonie de la Haute-Volta fournit de
forts contingents aux chantiers de Thiès-Kayes-Niger et du chemin de fer de
la Côte-d'Ivoire”?. » Les Voltaïques ont ainsi contribué à la construction de
pratiquement toute l’A.O.F.
3- La reconstitution du territoire |
136- Les motifs invoqués pour la reconstitution de la Haute-Volta
étaient surtout de récompenser les ressortissants de l’ancienne colonie
19 Dès 1921, le minisire des Colonies, Albert Sarraut, avait en vue des travaux
d'irrigation à partir du fleuve Niger. Le projet de construction de FOffice du Niger fut
l'oeuvre de Jules Brévié, gouverneur général de l’A.O.F. L'Office du Niger fut créé par |
le décret du 5 janvier 1932. Il prit corps le 5 septembre 1932 avec pour siège Ségou. |
11 C£ S.-A. Balima, Légendes et histoires …, op. cit., Annexes, p. CCXXX VIII.
1% Pierre-François Gonidec, Droit du travail des territoires d’outre-mer, Paris, L.G.D.J.,
1958, p. 28-29.
96
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
13 Lire Tigré.
IA Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoires …, op. cit, Annexes, p. CCXXXI -
CCXXXIL
97
Thomas SANKARA et la Révelution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
98
RS ns
dougou les locaux nécessaires. C’est ainsi que pendant longtemps des
services importants furent amenés à s'installer à Bobo-Dioulasso. Expri.
mant plus ou moins cette réalité, Thomas Sankara dira dans les premiers
moments de la Révolution que « C'est le peuple voltaïque qui, par sa
misère, les manifestations diverses de ses aspirations, nous a indiqué
cette voie depuis fort longtemps! # »
C) LES CAUSES POLITIQUES
142- Bien avant les “indépendances”, les étudiants, à travers leurs struc-
tures d’encadrement comme la Fédération des étudiants d’Afrique noire en
France (F.É.A.N.F.) et les associations territoriales comme l’Association des
étudiants voltaïques en France (A É.V.F.) et l'Association des scolaires vol.
taïques (AS. V. y qui regroupait les étudiants voltaïques au Sénégal, de
même que des partis politiques de gauche comme le Mouvement de libéra-
tion nationale (M.L.N.) de Joseph Ki-Zerbo ou même le Parti africain de
Pindépendance (P.A.L.)"", remettaient en cause le caractère extraverti de
l’économie du pays qui faisait de lui un simple appendice de l’économie
mondiale alors qu’il devait prendre son destin en main pour évoluer de ma-
nière autonome. Les critiques de la gouvernance s’intensifièrent avec
l’apparition de l’U.G.Ë.V. en 1960, de l'O.C.V. en 1971, puis du P.C.R.V. |
en 1978 et de F’U.L.C. en 1979.
143- En fin novembre 1973, Le Centre voltaïque de la recherche scienti- |
fique (CV.R.S.)? organisait au Centre de documentation et de perfec-
tionnement pédagogique (C.D.P.P.) un séminaire sur le développement.
Il était animé par Samir Amin avec la contribution de Hector Michelena. |
Dans la communication qu’il a donnée à la clôture du séminaire, Talata |
24 Sennen Andriamirado, Sankara le rebelle, Paris, Groupe Jeune Afrique, 1987, p. 17.
25 Cf. Carrefour africain, n° 790 -791, op. cit, p. 26 ; Agence Voltaïque de Presse, n°
39L op. cit., p. VI
102 |
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
210 Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d'œil sur son ouvrage Burkina Faso -
Processus de la Révolution et sur Les Pages Idéologiques de Carrefour Africain ou (les
principes d’action révolutionaires), Ouagadougou, 2 août 1984. Ce document regroupe
les éditoriaux de B.P. Bamouni quand il était directeur général de la Presse écrite qui
publiait l'hebdomadaire Carrefour africain.
11 Babou Paulin Bamouni, Burkina Faso - Processus de la Révolution, Paris,
L'Harmattan, 1986, p.128.
27 B.P. Bamouni, op. cit, p. 134.
104
DEUXIÈME PARTIE
Le temps de la Révolution
105
Chapitre I
La notion de révolution et le cas de la Révolution burkinabè
il n'y a pas de révolutionnaires dans la caserne et ceux qui sont hors des
casernes. Les révolutionnaires sont partout ; l'armée est une composante du
peuple voltaïque ; une composante qui connaît les mêmes contradictions
que les autres couches de ce peuple voltaïque”. » Civils et militaires en
effet font partie du même peuple et mènent les mêmes luttes. Pourquoi, de-
mande Sankara, « devraient-ils donc se passer les uns des autres ? 9 Le
CMR-PN. semblait avoir la même analyse sur la question. Dans son Dis-
cours programme du 1° mai 1981, son président, le colonel Saye Zerbo dé-
clarait : « L'Armée elle-même est une partie intégrante du Peuple, et à ce
titre, elle est intéressée par toutes les activités de la Nation. » Il convient de
rappeler que Lénine estimait que le parti du prolétariat n’était pas nécessai-
rement un parti de prolétaires. 11 ne devait pas y avoir de distinction entre les
travailleurs intellectuels et les travailleurs manuels pour ce qui concerne leur
insertion dans le parti bolchevik???. |
155- Lénine écrivait : « pour que la révolution ait lieu, il faut que les
exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois. C'est
seulement lorsque “ceux d'en bas” ne veulent plus et que “ceux d'en
haut” ne peuvent plus continuer de vivre à l'ancienne manière, c'est
alors seulement que la révolution peut triompher®?!, » Or, après le coup
d’État du 17 mai 1983 qui avait écarté le premier ministre Thomas San-
kara, les rebelles retranchés à PÔ lançaient des appels à la résistance et à
la désobéissance civile. Cela eut pour conséquence la paralysie de
l'administration et des institutions de l’État. On se rappelle que dans son
message du 27 juin 1983, pour traduire la paralysie générale auquel était
confronté l’appareil d’État, le président Jean-Baptiste Ouédraogo avait
lui-même déclaré que « L'appareil de 1 ‘État est aujourd’hui grippé.» De
même Varga Larba a pu écrire que «La Haute-Volta faisait de facto
l'expérience de la « vacance du pouvoir? ». Le C.N.R. a donc pu dire
225 jénine, Oeuvres choisies en deux volumes, Moscou, 1948, op. cit., p. 1023 -1025.
2% Cf. Michael Lowy, La pensée de Che Guevara, Paris, François Maspero, 1970, p. 22.
2? Mongo Beti, Préface à B.P. Bamouni, Burkina Faso - Processus de la Révolution, op. cit.,
p. 12.
nul
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KVÉLEM de TAMBÈLA
28 1énine, Oeuvres, Paris, Éditions sociales ; Moscou, Éditions en langues étrangères, 1962,
1.25, p. 135.
22 Sur la lutte des classes, J. Freund écrit : « En écrivant tout au début du Manifeste du parti
communiste : “L'histoire de toute société a été jusqu'à présent l'histoire de la lutte des
classes”, on ne peut qu'approuver Marx et Engels, mais il faut en même temps reconnaître
qu'ils ont restreint trop unilatéralement et même idéologiquement l'aire de la lutte politique. |
Les Grecs auraient pu dire avec autant de justesse que l'histoire est la lutte entre les cités,
comme de nos jours Ratzenhofer a pu la définir comme une lutte entre les peuples … Pour
importante qu'elle soit, la lutte des classes n'est qu'un aspect de la lutte politique et encore
est-elle plus virulente ou plus diffuse suivant les époques. » Selon lui, « Quand Marx réduit
l’histoire à une manifestation de la lutte des classes il ne parle pas en savant, mais en parti
san d'une idéologie déterminée. [...] Ce qui est conceptuellement essentiel, c'est la présence
de deux camps ennemis, donc la division en amis ef en ennemis, non le genre historique de
Ja lutte ou la dénomination des ennemis. » Cf. Julien Freund, L’essence du politique, Paris,
Éditions Sirey, 1965, p. 538 et 539.
L’analyse de la Révolution mexicaine par R. Dumont corrobore la thèse de J.
Freund. Dumont en effet écrit : « On se présente volontiers une telle révolution comme une
“lutte de classes” classique, celle des pauvres opprimés contre les riches oppresseurs. Au
Mexique, les choses sont moins simples … Les différents clans qui se battent pour le pouvoir
ont des supporters variés, des clientèles personnelles ; bien souvent des pauvres se battent
contre d'autres pauvres. En 1915, on réussit même à mobiliser des “bataillons ouvriers
rouges” de la Casa Obrero Mundial de Mexico pour aller combattre contre les troupes de
rebelles paysans de Francisco Villa. » Cf. René Dumont et Marie-France Mottin, mal Le
développement en Amérique latine, Paris, Seuil, 1981, p. 38.
39 Samir Amin, Impérialisme et sous-développement en Afrique, Paris, Éditions Anthro-
05, 1976, p. 298.
31 Kwamé N'krumah, “Class struggle in Africa”, in Review of African Political Econ-
omy, n° 32, Baltimore, avril 1985, p. 29.
112
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
x
loniale, à côté de la famille royale, des notables, des chefs de province,
de canton et de village, il y avait la masse des administrés sur lesquels les
premiers avaient divers droits et privilèges. À la fin du XIX° siècle, Louis
Tauxier pouvait ainsi écrire : « J'ai vu un chef suprême, une hiérarchie
de chefs soigneusement établie, une classe de nobles jouissant de grands
privilèges, telle était la superstructure constituée par 1 État moss®. »
Le phénomène de différenciation s’est accentué avec la pénétration colo-
niale qui, parfois, a opéré un renversement des rôles au niveau des
classes sociales et a élevé les “nouveaux notables” à un niveau supérieur
de différenciation jamais atteint jusqu’alors.
161- Selon Lénine, «Le problème fondamental de toute révolution est
celui du pouvoir dans l'ÉtaP#. » S'il est établi que le pouvoir est révolu-
tionnaire, alors la première tâche de la révolution devra consister non pas à
faire passer la machine bureaucratique et militaire en d’autres mains, mais à
la briser#, L'une des premières tâches du C.N.R. a été l'investissement de
l'appareil d'État. À ce sujet, R. Otayek écrit : « Contrairement aux autres
équipes qui se contentaient de faire fonctionner l'appareil administratif hé-
rité du régime précédent en n’y apportant que des changements mineurs de
2% D'après le recensement de 1985, sur près de huit millions d’habitants, les centres
urbains en comptaient moins d’un million.
29 R, Otayek, “Le changement politique et constitutionnel en Haute-Volta”, op. cit, p. 101.
40 p, Englebert, La Révolution burkinabè, op. cit. p. 88.
n M. Beti, Préface à B.P. Bamouni, Burkina Faso - Processus de la Révolution, op. cit., p. 5.
Ibid.
#3 Ibid. p. 6.
115
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
#6 De son vrai nom Emesto Rafael Guevara de la Serna, il est né le 14 juin 1928 à Ro-
sario en Argentine, Alors qu’il animait une guerilla en Bolivie, il fut capturé le 8 oc-
tobre 1967, dénoncé par les paysans du village de Higueras contre une rançon de 50 000
pesos. Il a été abattu par le sergent principal Marion Terran le 9 octobre 1967 après
l'accord donné par le gouvernement bolivien.
#7 Cf. Michael Lowy, La pensée de Che Guevara, op. cit., p. 82.
248 Victoria Brittain, “introduction to Sankara & Burkina Faso”, The Review of African
Political Economy , n° 32, Baltimore, avril 1985, p. 44.
117
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
169- Une révolution est dite populaire quand la masse du peuple, son
immense majorité intervient d’une façon visible, active, autonome, avec
ses revendications économiques et politiques propres. Peut-on, à partir di
cette analyse qualifier de populaire le régime du C.N.R. ? Si l’on preng
en compte la participation des populations, on remarque qu’au sein des:
C.DR. notamment, elles contribuaient à l’édification d’une société nou.
velle, Ce qui a permis à M. Mukamabano d'écrire : « Ces bénévoles, de
tous âges et toutes catégories socioprofessionneiles, prennent en charg,
les travaux d'infrastructure collectif pendant leurs jours de repos”. ,,
Ainsi se sont construits des puits, des retenues d’eau, des écoles, des:
pharmacies, des toilettes publiques, des bibliothèques de quartier, des
salles de lecture, des crèches populaires, des salles de cinéma, des per-
manences des C.D.R., des banques de céréales, etc. Dans le cadre du
Programme populaire de développement (P.P.D.), de grands projets de
dimension nationale comme le chemin de fer du Sahel” et le barrage
hydroélectrique de la Kompienga ont été lancés avec la participation des
populations.
170- Il est donc permis de prétendre que la Révolution du 4 août 1983
était populaire. Toutefois, concernant les couches populaires, l’adhésion
à la Révolution n'était pas homogène sur l’ensemble du pays. Si cette
adhésion était sans doute effective pour ce qui concerne le territoire moa-
ga du centre notamment, elle l’était beaucoup moins dans l’ouest et le
sud-ouest. L’on peut tenter un essai d'explication. Il est difficile de faire
recours au tribalisme et au régionalisme qui n’ont jamais sérieusement |
menacé les populations du Burkina. Les Mose, largement majoritaire
dans le pays”, n’en ont jamais eu recours de façon réellement impéria- |
liste tout au long de leur histoire. C’est que leur implantation dans |
l’ensemble du territoire à partir du XII° siècle - selon la légende - et leur |
croissance ultérieure se sont faites sur base d’union avec les indigènes de |
Le C.N.R. avait opté pour une orientation politique (A) qui n’était pas X
sans conséquences politiques et sociales (B). a Ju cale
|
23 C£ Ibid. |
24 Cf, Gilbert Rist, Le développement - Histoire d’une croyance occidentale, Paris, |
Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1996, p. 212.
2 Mikhaïl Alexandrovitch Bakounine, Dieu et l’État, Paris, Éditions Mille et une nuits,
1996, p. 50. C’est l’auteur qui souligne. |
120 |
|
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apoliinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA
177- Pour être maîtres de leur destin, les Burkinabè se devaient de lut-
ter contre l'impérialisme qui, selon Sankara ,« est celui qui tremble et
panique à l'idée que le peuple voltaïque devient le maître d'œuvre de ses
intérêts et de son destin. » L’impérialisme « n'est pas un pays ou une
race. C'est un système d'exploitation qui se retrouve partout. Il est fondé
sur des faits, des pratiques, des attitudes vis-à-vis des peuples. » Selon
le D.OP., la Révolution avait «pour premier objectif de faire passer le
pouvoir des mains de la bourgeoisie voltaïque alliéeà 1 ‘impérialisme aux
mains de l'alliance des classes populaires constituant le Peuple? 56,
Comme l’a fait remarquer P. Englebert, la lutte contre l'impérialisme
n’est pas spécifique à la doctrine marxiste-léniniste. Elle n’est pas non
plus propre aux pays sous-développés. Il s’agit plutôt d’une volonté de
protection et d’affirmation de l’identité nationale. C’est ainsi qu’en
France on ne cesse de dénoncer l'impérialisme culturel américain EE
178- L’impérialisme est souvent assimilé au système capitaliste, lequel
à son tour est parfois considéré comme étant le mal absolu. Il convient de
rappeler que Marx dont se réfèrent souvent ceux qui prétendent combattre le
capitalisme le considérait comme une nécessité salvatrice dans la mesure où
il libère les hommes de la superstition et de l’esclavage, permettant ainsi
d'accéder au communisme. Lénine, tirant les leçons de ses échecs, écrivait
le 18 avril 1921, « Le capitalisme n'est un mal que par rapport au socia-
lisme ; par rapport au moyen âge où s'attarde encore la Russie, le capita-
lisme est un bien. » Friedrich A. Hayek fait remarquer que contrairement à
des idées reçues, le capitalisme, qui est une conséquence du marché,
n’appauvrit pas la population mais il augmente, dans une première phase, le
nombre des pauvres, car beaucoup de ceux qui appartiennent à cette catépo
rie sont des survivants qui vivent difficilement mais qui seraient morts day
le cadre d'économies archaïques*. Selon lui, le capitalisme serait même
facteur de dynamisme car c’est la différence entre les hommes qui incite à!
progresser car celui qui est en retard s'interroge sur les causes de cette situ
tion et il cherche les moyens qui pourraient lui permettre de rattraper, da
une première étape, et de dépasser, ensuite, ceux qui pour l'instant sos
mieux placés que lui. Pour lui, ce sont la pluralité des objectifs et la diversité
des attitudes et des besoins qui permettent une compétition entre les acteurs
de laquelle le progrès naîtra””. Loin donc d’être l’incarnation du mal absol
le système capitaliste a des mérites qui lui sont propres et qui ne sont peut-
être pas à négliger.
179- Le système politique bourgeois que combattait le C.N.R. est, de-
puis l’antiquité, connu pour l'hypocrisie qu’il suscite et l’incompétence
qui peut en résulter. « À Rome, écrit Carl Grimberg, les citoyens qui sol
licitaient une fonction politique avaient l'habitude de se mêler au:
peuple ; ils soignaient leur popularité par tous les moyens propres à flat-
ter l'homme de la rue. Ils portaient à cette occasion une toge d'étoffe
blanche, la “toga candida”. De là notre mot “candidat”. » Une lettre de
l’époque nous apprend qu’il fallait jouer son rôle de telle façon que le
peuple croie votre amabilité naturelle, il ne devait pas soupçonner la
moindre contrainte. La mimique était de la plus haute importance et de-
vait être soignée autant que la voix. Il fallait en outre être persévérant et
ignorer la fatigue. Par la suite les candidats inventèrent mille façons
d’acheter l’électeur.?” Dans 4pologie de Socrate, Platon nous apprend
que Socrate ne cachait pas le dédain que lui inspirait le régime de flatterie
et d’incompétence qu'était la démocratie athénienne. Hitler trouvait que
le politicien est « cette sorte de gens dont l'unique et véritable conviction
est l’absence de conviction, associée à une insolence importune et à un
art éhonté du mensonge”. » Pour lui « le régime parlementaire ne peut
plaire qu'à des esprits sournois, redoutant avant tout d'agir au grand
268 Cf. D.G. Lavroff, Les grandes étapes de la pensée politique, op. cit. p. 489.
2 Cf. Ibid, p. 493.
2 Cf Carl Grimberg, Rome, l'Antiquité en Asie orientale et les grandes invasions,
Verviers (Belgique), Éditions Gérard & C°, coll. “Marabout université”, 1963, p. 14.
21 Adolf Hitler, Mon combat, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1934, p. 74.
124
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ce de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
s] 22 Jbid., p. 96.
| 2 Cf. 3. Attali, Karl Marx - ou l’esprit du monde, op. cit., p. 454.
24 Cf. $.-A. Balima, Légendes et histoire …, op. cit., Annexes, p. CLXXIV.
125
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2% Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire…, op. cit., Annexes,p. CLXXXI - CLXXXIT.
2% Friedrich Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique, Paris, Éditions
sociales, 1977, p. 73.
27 C, Savonnet-Guyot conteste qu’on puisse parler de féodalité dans la société moaga.
Selon elle, le système d’organisation est différent du modèle féodal. Cf. C. Savonnet-
Guyot État et sociétés au Burkina, op. eit., p. 111.
Parler en effet de « structures traditionnelles de type féodal » dans le Burkina
de l’époque traduit un manque d'analyse sérieuse de la société burkinabè autant que la
méconnaissance de la féodalité de la France du Moyen Âge. Ce fait, apparemment ano-
din, montre à quel point les écrits des théoriciens classiques de la révolution pouvaient
parfois être mal assimilés par des acteurs de la Révolution burkinabè,
Le chef traditionnel dans la société burkinabè était loin d’avoir la même puis-
sance et les mêmes prérogatives que le seigneur féodal. Le serf était pratiquement aita-
ché à son seigneur qui était son maître et son juge. Même le vilain, paysan libre établi
sur les terres du seigneur, lui devait des redevances et des corvées. Tels n’étaient pas le
cas du paysan dans la société traditionnelle burkinabè. Le type d'organisation et de
contrôle social était différent. Le seigneur était tout puissant dans son fief. La chefferie
traditionnelle était encadrée par les coutumes et les notables.
F8 D.O.P.. op. cit., p. 16-17.
126
:
25 Ibid., p. 20.
26 Cf. D.O.P, op. cit. p. 15-16.
287 Cf. D.O.P., op. cit. p. 17-19.
129
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
touchait les agents qui avaient moins de quinze ans de service et qui ne
totalisaient pas Îe nombre d'années suffisant pour prétendre à une pen.
sion, Leurs retenues de salaires leur étaient reversées. Il y avait aussi des
sanctions plus douces comme les avertissements, les blâmes et les sus.
pensions. Un agent suspendu devait continuer à travailler pendant la pé-
riode de suspension mais sans salaire. La levée de la suspension dépen.
dait de la discipline ultérieure de l’agent suspendu.
192- En matière de sanction, celle qui secoua durablement le pays fut
le licenciement des instituteurs grévistes de mars 1984. Le 9 mars 1984
étaient arrêtés Jean Pagnimda Bila, secrétaire général du S.N.E.A.H.-V.
Joachim Sib, secrétaire aux relations extérieures et Batiémoko Koné,
secrétaire chargé des problèmes pédagogiques. Ils furent transférés à
Koudougou à environ une centaine de kilomètres à l’ouest de Ouagadou-
gou. Pour obtenir leur libération, le Bureau national du S.N.E.A.H.-V.
décida d’une grève générale de protestation de quarante-huit heures pour
les 20 et 21 mars 1984. La réaction du C.N.R. fut très vive. Le 12 mars,
dans une déclaration radiodiffusée, il traita les membres du Bureau du
S.N.E.A.H.-V. de contre-révolutionnaires et accusa le Front progressiste
voltaïque (F.P.V.), l’ancien parti de Joseph Ki-Zerbo, d’être à l’origine
de l’agitation du S.N.E.A.H.-V. Il déclara que la décision de se mettre en
grève était une tentative de «créer pour leurs alliés impérialistes, les
conditions favorables à une déstabilisation et à une agression. » Pour le
C.NR, les dirigeants du S.N.E.A.H.-V. ont comploté contre la sûreté de
l'État et «La preuve est depuis longtemps établie qu'ils sont
d'intelligence avec des puissances extérieures en vue d'instaurer un ré-
gime dirigé par eux et leurs compères.» Les puissances extérieures
mises en cause étaient la France, la Belgique et Israël. Enfin le C.N.R.
invita les militants du syndicat à se démarquer de ses dirigeants. Malgré
les menaces, la grève fut maintenue.
193- La police, la gendarmerie et les C.D.R. sillonnèrent les établisse-
ments du pays pour relever les noms des enseignants grévistes. Le 22
mars, à 22h 15 mn, un communiqué officiel annonçait le licenciement
sans indemnité « de leur emploi [de] tous les contre-révolutionnaires qui
ont participé au complot contre la Révolution démocratique et populaire
en observant le mot d'ordre de grève de la direction réactionnaire du
132
|
retardës”. Pour M. Diabaté, il n°y a pas de pays sous-développés mais de “pays asser-
vis”, Cf. M. Diabaté, op. cit., p. 32.
Les Nations Unies ont adopté les formules “pays en voie de développement” et
“pays les moins avancés.” Pour J. Ki-Zerbo, « La formule ‘en voie de développement”
est … un péché originel particulièrement vicieux el sadique pour tous ceux qui en ac-
ceptent la problématique. En effet elle les aiguille mal au départ, puisqu ‘elle ne leur
laisse pas le loisir de réfléchir sur le but de leurs itinéraires et, partant, sur la voie pour
y parvenir. La frustration sera sûrement très grande pour ceux qui se laissent prendre à
ce genre de mots pièges engageant l'énergie créatrice des peuples dans les impasses
stériles. » Cf. Joseph Ki-Zerbo, “Dynamiter la sémantique”, Afrique Asie, n° 240, Paris,
25 mai 1981, p. 58.
26 Cf. M. Benchikh, op. cit., p. 97.
27 Pour un essai d'explication des causes des inégalités entre les sociétés, cf. Jared
Diamond, De l'inégalité parmi les sociétés - Essai sur l’homme et l’environnement dans
l’histoire, Paris, Gallimard, 2000.
135
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
crise grave par des civilisations foncièrement différentes tant par leur
environnement géographique et social que par les valeurs dont elles se
réclament et les conceptions de l'univers qui y dominent", » Selon lui, il
convient de renoncer au mimétisme pour préparer un développement
adapté à chaque contexte, à chaque civilisation.
198- Le développement vu sous l’angle de la croissance économique
est de plus en plus contesté. Ce modèle de développement tend à occulter
un aspect fondamental qui est la dépendance par rapport au système do-
minant. Or, comme l’écrit J. Ki-Zerbo, « à quoi servirait la croissance
dans la dépendance ? À quoi sert de grossir si l'on grossit comme es-
clave et si, par-là, on progresse dans la servitude ? 92; En outre, ce
modèle tend à la multiplication et à la diversification des biens pour la
satisfaction des besoins. Or, les besoins sont élastiques et sans limite. La
multiplication et la diversification des biens créent plus de besoins
qu’elles n’en satisfont et l'abondance généralisée qui est recherchée
s’éloigne au fur et à mesure qu’on multiplie et diversifie les objets de
CHE
Kende, « Dire qu’un jour tous les besoins seront satisfaits est un non-
sens tant que la technique est à l'œuvre pour inventer de nouvelles es-
pèces (de comestibles, d'objets décoratifs ou fonctionnels, d'engins, etc. )
“désirables”, quel que soit le motif de cette désirabilité®. » Pour stabili-
ser les besoins, il faudrait, selon lui, commencer par arrêter le progrès
technique, c’est-à-dire boucher les chemins du savoir.
199- Le développement selon le modèle occidental connaît des limites
objectives. Ironisant sur les tentatives d'imitation de ce modèle de déve-
loppement, F. Fanon écrit : « Si nous voulons transformer l'Afrique en
une nouvelle Europe, l'Amérique en une nouvelle Europe, alors confions
à des Européens les destinées de nos pays. Ils sauront mieux faire que les
mieux doués d'entre nous. [...]
304 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, La Découverte, 1985, p.238.
3% Cf. C. Alvares, “Le refus du développement”, op. cit., p. 6.
306 Cf. Samir Amin, La déconnexion — Pour sortir du système mondial, Paris, La Dé-
couverte, 1986.
#7 M. Bakounine, Dieu et l’État, op. cit., p. 9.
3% Cf. Samir Amin, Impérialisme et sous-développement en Afrique, Paris, Anthropos,
1976, p. 22.
3% Discours de Thomas Sankara à la 39° session ordinaire de l’Assemblée Générale des
Nations Unies, Carrefour africain, n° 852, Ouagadougou, 12 octobre 1984, p. 16.
58
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
limites pour les valeurs. Le monde des valeurs est une immensité qui dé-
passe de loin le monde matérieP", »
201- Un tel mode de développement est connu sous le nom de “seif
reliance” où développement autocentré"!}. Le concept a eu des difficultés
à se faire accepter” . Le développement autocentré vise à redéfinir les
priorités économiques afin de produire les biens utiles à l’ensemble de la
population plutôt que de compter sur le commerce international pour
importer des biens de consommation qui ne profitent qu’à une minorité.
Il repose sur le contrôle démocratique de la production et sur l’utilisation
prioritaire des facteurs de production disponibles localement. Il stimule la
créativité et la confiance en ses propres valeurs et harmonise le mode de
vie avec l’environnement et les facteurs locaux existants”. Le régime du
C.M.R.P.N. avait déjà en vue le concept de développement autocentré.
Le Discours programme dit ceci en effet : « À notre sens, le concept de
développement doit être entendu comme la volonté farouche d'un peuple
à maîtriser son destin par le travail, l'acquisition de connaissances et de
savoir faire, pour aboutir à l'épanouissement total de la personne et de
la collectivité", »
202- Le développement autocentré exige une concertation permanente
entre les acteurs politiques et la population. Il ne s’agit donc pas
d'imposer un quelconque schéma à respecter, comme cela s’est fait en
35 Cf. René Lenoir, “Le développement hier et aujourd’hui”, Projet, n° 219, Paris, sep-
tembre 1989, p. 16.
316 Cf. Gabriel Marc, “L'éveil des sociétés civiles”, Projet, n° 219, Paris, septembre
1989, p. 57-58.
317 C£ Apollinaire Kyélem, “Transfert de technologie, industrialisation et développe-
menf”, Annales de l’université de Ouagadougou, Série A, Vol. XII, 2000, p. 142.
F8 G. Rist, Le développement - Histoire d’une croyance occidentale, op. cit., p. 399.
140
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
39 Cf D.G. Lavroff, Les grandes étapes de la pensée politique, op. cit., p. 364.
141
Thomas SANKARA et la Révolution an Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBÈLA
* *
28 Quelques figures de l’U.L.C.-R. : Valère Dieudonné Somé, Alain Coéfé, Basile Lae-
tare Guissou, Train Raymond Poda, Guillaume Sessouma, Gilbert Kambiré, Firmin
Diallo, Moumouni Traoré,
Selon Jean-Baptiste Ouédraogo, L'U.L.C. füt reconstruite avec le soutien du
P.A.L. C£ “Contribution à propos de trois dates historiques”, op. cit., p. 271.
32 Quelques figures du G.C.B. : Jean Marc Palm, Idrissa Zampalégré, Salif Diallo, Issa
Dominique Konaté.
330 Quelques figures de l’'U.C.B. : Capitaine Blaise Compaoré, capitaine Pierre Oué-
draogo, capitaine Kilimité Hien, capitaine Bognessan arsène Yé, capitaine Laurent Sé-
dogo, capitaine Jean-Pierre Palm, Patrice Zagré, Étienne Traoré, Taladia Thiombiano,
Watamu Lamien, Oumarou Clément Quédraogo, Béatrice Damiba, Gabriel Tamini,
Joseph Kahoun, Hanitan Jonas Yé. f/#2/€ 19#
Sous l'impulsion du capitaine Pierre Ouédraogo, secrétaire général national des
C.DR., beaucoup de militaires de l'Organisation militaire révolutionnaire (O.M.R.)
avaient rejoint l’U.C.B.
146
RL
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
et motivés rien que par les attributs du pouvoir et surtout pas par les sa-
crifices nécessaires au triomphe de toute révolution. Ils seront d’ailleurs à
l'origine de la désintégration du C.NR. et de la chute du régime. Le
G.C.B. et P'U.C.B. entrèrent au C.N.R. le 12 mai 1985.
213- Dès août 1984, à la suite de luttes intestines, au nom de la néces-
saire clarification de la ligne politique, le P.A.I.-LI.PA.D., grand artisan
de l’avènement du régime, quittait le C.N.R. et le gouvernement. Malgré
la constitution des C.D.R., quand on sait que l’O.MR. et PU.L.C.-R.
d’abord, puis l’'U.C.B. et le G.C.B. ensuite, qui constituaient maintenant
le C.N.R. et étaient les principaux soutiens politiques du régime avaient
été créés de façon opportuniste et étaient principalement des groupes et
cercles de réflexion et de lutte pour le pouvoir sans écho au niveau de la
masse de la population, il apparaît que le régime du C.N.R. était fonda-
mentalement un régime d’élites avec une base sociale étroite et fragile.
214 La base sociale du C.NR. était d’autant plus fragile que
l'interdiction des partis politiques traditionnels, décidée par le régime du
C.M.R.P.N.. était maintenue. Ces partis dont certains comme le RD.A.,
le P.R.A. et le Front progressiste voltaïque (F.P.V.) successeur du M.LN.
animaient la vie politique bien avant l'indépendance, étaient bien implan-
tés dans le pays. Ils s’étaient d'office placés dans l'opposition ou y
avaient été jetés, sans autorisation de s’exprimer. Le C.N.R. qui avait une
conception manichéenne de la société n’était pas disposé à faire des con-
cessions, du moins jusqu’à la fin de 1986. L'absence dès le début du pro-
cessus révolutionnaire d’une base sociale suffisamment large et l’absence
d’une opposition légale ou tolérée ont favorisé les luttes intestines au sein
du C.N.R. et ont conduit à sa chute.
IH Les structures d'encadrement
215- Pour mettre en oeuvre sa politique, le C.N.R. utilisait le réseau de
FAdministration qu'il avait restructurée en fonction de ses besoins
d'encadrement. Les préfets dans les départements et les hauts-commissaires
dans les provinces étaient des relais du pouvoir central et des exécutants de
la politique qu’il définissait. En fonction des domaines d’intervention, des
structures spécialisées existaient, chargées par exemple de la collecte et de la
commercialisation des céréales ou de la promotion du développement rural,
147
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
#1 Sur les C.D.R., voir aussi Apollinaire Kyélem, L’éventuel et le possible, op. cit., p.
78-81.
#2 Dans son discours programme, le C.M.R.P.N. prévoyait la création de « Comités de
réflexion et d'action pour susciter la participation de tous à l'œuvre de redressement
national. » Cf. C.M.R.P.N, Discours programme, op. cit., p. 40.
#3 Cf. Secrétariat général national des C.D.R., Première Conférence nationale des comi-
tés de défense de la Révolution - Documents finaux, Ouagadougou, Imprimerie Presses
Africaines, 1986, p. 143.
#4 Cf. D.O.P. op. cit, p. 25.
148
D
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
335 Cf. Pierre Gourou, Terres de bonne espérance - Le monde tropical, Paris, Plon, 1982,
P. 347 et 369.
% Ibid. p. 351.
149
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
grès des C.D.R. Le comité de secteur regroupait tous les militants appar.
tenant à un même secteur communal ; le comité de village regroupait les
militants d’un même village ; le Comité de ville comprenait les militants
d’une ville ou d’un chef-lieu de département non érigé en commune. Le
comité départemental regroupait les délégués des C.D.R. relevant d’un
même département. Le conseil provincial comprenait le haut-
commissaire, les membres des bureaux départementaux et les membres
À .des C.D.R. de service du niveau départemental. Le conseil provincial
élisait les membres du pouvoir révolutionnaire provincial (P.R.P.) lequel
était l’organe de conception et d’exécution du pouvoir local. Le congrès
était l'instance suprême qui réunissait toutes les composantes des C.D.R.
C’est le secrétaire général national des C.D-.R. qui était chargé de diriger
et de coordonner les activités des C.D.R.
b) Les C.D.R. de spécialité ou de service
219- Il s’agit de tous les autres C.D.R. qui répondaient à des critères
autres que géographiques. C’est ainsi qu’il y avait des C.D.R. différents se-
lon qu’il s’agissait de militaires, d’agents de l’État ou de travailleurs du pri-
vé, d'élèves et d'étudiants. Ils étaient aussi structurés en quatre niveaux : le
premier concernait les C.D.R. de service, de corps, des élèves et des étu-
diants. Le deuxième était relatif au niveau départemental ; le troisième relatif
au niveau provincial et enfin le congrès. Dans le premier niveau, le comité
de service réunissait les militants d’un même service public, parapublic ou
privé. Le comité de corps ou d’unité militaire ou paramilitaire comprenait
les militants appartenant à un même corps. Le comité des élèves ou des étu-
diants regroupait les militants élèves ou étudiants d’un même établissement
d’enseignement secondaire ou supérieur. Dans le deuxième niveau, le comi-
té de gamnison regroupait les bureaux des différents corps militaires et para-
militaires installés dans une garnison. Le comité de coordination des ser-
vices comprenait les délégués des différents comités de service situés dans
un même département territorial. Dans le troisième niveau, il y avait le con-
seil provincial qui comprenait le haut-commissaire, les membres des bu-
reaux départementaux, les membres des comités de garnison et les membres
des bureaux de coordination des services. Enfin, dans le quatrième et dernier
niveau, il y avait le congrès.
150
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autoceniré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
7 Cf. Directive n° 87-001 du 5 janvier 1987 du Secrétariat général national des comités
de défense de la Révolution relative à l’organisation des C.D.R. de France.
%# Les conditions d'élection des membres du bureau tenaient compte de
l’analphabétisme des acteurs. Les candidats à un poste se mettaient l’un à côté de l’autre
et chaque électeur s’alignait derrière le candidat de son choix. Le candidat qui comptait
le plus d’électeurs était élu. Ce système pouvait sans doute favoriser les intimidations et
les chantages : mais if reflétait mieux la réalité du pays. Le système a d’ailleurs été
repris plus tard par le Kenya.
151
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
#2 On peut faire un parallèle avec le Bi} of Test, une loi votée par le Parlement anglais
en 1673 dans le but d’écarter les catholiques de toute fonction publique, puisqu'il exi-
geait un serment rejetant les dogmes catholiques. Il n’a été abrogé qu’en 1829.
/ Pour, Lonsé oups Pda, : 4
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
. Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA
43 Conseil d’État Assemblée, 28 mai 1954, Sieurs Barel et autres, Recueil Lebon, 1954,
. 308. ;
ha C£. Recueil Lebon, 1954, p. 316.
157
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
#7 Selon Ernest Renan, « Une nation est une âme, un principe spirituel. [...] le désir de
vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis.
[...] La nation, comme l'individu, est l'aboutissement d'un long passé d'efforts, de sa-
crifices et de dévouements. |...] Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté
commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensembles, vouloir en faire
encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. [...] Une nation est donc
160
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA
238- Les C.D.R. encadraient le pays dans son ensemble autant que le fai-
sait la chefferie traditionnelle dans l'empire moaga. Chaque village avait à
sa tête un chef qui gouvernait avec un collège de notables dont le nombre et
les responsabilités variaient en fonction de l'importance du village". Hy
avait ensuite les cantons, les provinces, les différents royaumes et enfin
l’empire moaga avec à sa tête le môgh näba. Le colonisateur s’était appuyé
sur les structures de la chefferie traditionnelle pour imposer sa domination et
faire exécuter sa politique : maintien de l’ordre, collecte de l'impôt, travail
forcé, recrutement de la main-d’œuvre pour l’A.O.F. contribution à l'effort
de guerre chaque fois que la France allait en guerre (1914-1918, 1939-1945,
Indochine, Algérie). Il n’y a donc pas réellement d’originalité pour ce qui
concerne l’organisation des C.D.R. — surtout les C.D.R. géographiques.
Seuls les objectifs différaient. Les structures traditionnelles avaient surtout
une fonction d’administration, de gestion et de conservation. Les C.D.R.
étaient chargés d’une mission : construire le pays et révolutionner la société.
L’adhésion aux structures traditionnelles était historique, culturelle et
d’office ; l’adhésion aux C.D.R. était politique avec ce que cela peut com-
porter comme rivalités et opportunisme.
3-b) Les faiblesses des C.D.R.
Les faiblesses des C.D.R. étaient en partie inhérentes au régime (3-b-1).
Elles se trouvaient aussi dans l’application des décisions du C.N.R. (3-b-
2), dans la représentativité des C.D.R. (3-b-3), dans leur manque de
moyens (3-b-4)} et dans leur manque de compétence (3-b-5).
3-b-1) Les faiblesses inhérentes à l’option idéologique du C.N.R.
une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux
qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le
présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer
la vie commune. » Cf. Emest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ?, Paris, Éditions Mille et
une nuits, 1997, p. 31-32.
#8 Dans les villages il pouvait y avoir, comme il peut toujours y avoir, des responsables
pour des domaines comme la gestion de la terre, la Justice, la Jeunesse, la Culture, la
Défense et la Sécurité, le Commerce, la Boucherie, le Protocole, etc.
161
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 4. KYÉLEM de TAMBÈLA
239- L'article 1 du statut général des C.D.R. dit que « Le Comité de défense
de la Révolution (C.D.R.) est une émanation du Conseil national de la Révo.
lution (CNR.)» Les C.D.R. représentaient donc le C.N.R. avec toutes les
conséquences possibles. Le régime du C.NR. s’inscrivait dans le cadre de
l'orientation socialiste” : ce qui, de ce fait, l’amenait à n’accepter de collabo-
rer sur le plan interne, qu’avec ceux qui se réclamaient de l’idéologie socia-
liste. Du jour au lendemain, de petits groupes de personnes opportunistes, se
prétendant intellectuels de gauche et qui avaient volé au secours de la victoire,
avaient ainsi été propulsés au sommet de l’État et s’étaient mis à œuvrer, non
pas pour la Révolution, mais pour la conservation du pouvoir et l’extension de
leur influence, Les rivalités qui en résultaient se répercutaient au niveau des
C.DR. que chaque groupe essayait de noyauter, avec pour conséquences,
pour la plupart des militants, la désorientation, parfois la frustration et le dé-
couragement et surtout la démobilisation. L'option idéologique exposait éga-
lement le régime et par voie de conséquence les C.D.R. à l’hostilité des mou-
vements religieux et surtout de l’Église catholique très influente et très structu-
rée. En outre, la politique de démystification du pouvoir et des privilèges
ébranlait autant l’Église catholique que la chefferie traditionnelle.
240- La voie socialiste de développement a une propension à privilé-
gier les acquis matériels ; sur ce plan, le régime du C.N.R. ne faisait pas
vraiment exception. Les C.D.R. étaient mobilisés sur beaucoup de fronts
à la fois. Le C.N.R. cherchait à obtenir rapidement des résultats concrets.
Le temps se présentait comme un facteur essentiel par rapport auquel il
s’agissait de se déterminer. L’on peut alors se demander si le C.N.R. ne
se trompait pas de développement ; si en voulant faire de l’original il ne
x faisait pas que copier le modèle occidental de développement en le mas-
quant par un discours nationaliste. La prise en compte du facteur temps
qui transparaissait dans les discours politiques et dans les actes des
C.DR. traduisait le désir, peut-être inconscient, de rattraper. Mais, que
peut-on raîtraper si ce n’est un modèle déjà existant ? Dans un dévelop-
pement autocentré on ne peut être en retard par rapport à d’autres dans la
## Avant la chute du mur de Berlin et les conséquences politiques qui en ont résulté, le
concept de pays à orientation socialiste était utilisé pour désigner des pays qui, soit par
le biais d’une révolution, soit autrement, avaient opté pour la voie de développement
socialiste. Ils s'étaient dotés de pouvoirs “populaires” et avaient procédé à des transfor-
mations économiques pour se mettre sur la voie du socialisme.
162
ES DS
351 La première Conférence nationale des C.D.R. (31 mars - 4 avril 1986) notait ce-
ci: « Un meilleur suivi des mots d'ordre nécessite que les hauts-commissaires soient
dotés en matériels adéquats, surtout qu'ils aient la primeur de l'information sur les
directives, mots d'ordre et mesures qu'ils sont chargés d'appliquer. Il est opportun que
le sens profond et les différents contours des mesures soient portés à la connaissance
des structures populaires. » Cf. S.G.N.-C.DR., Première Conférence nationale des
CDR, op. cit. p. 32.
164
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
droits des citoyens faisaient ainsi l’objet de violations” ®?. Certes, on ne saurait
aborder les droits de la personne partout de la même façon, sans tenir compte
du temps, de l’espace, des civilisations et de l’état de développement écono-
mique. Toutefois, « Tout comme la morale, les Droits de l'homme comportent
des principes imprescriptibles qui sont de l'ordre absol®®. » Quels que
soient le lieu et les circonstances, les principes énoncés dans la Déclaration
universelle des Droits de l'Homme de 1948 devraient pouvoir être respectés,
notainment pour ce qui concerne les droits fondamentaux comme le droit à la
vie, à la liberté et à la sûreté de la personne humaine.
392 Boureima Jérémie Sigué, fondateur du quotidien Le Pays, raconte comment il fut victime
de règlements de comptes sordides. CF Le Pays, n° 4961, 3 octobre 2011, p. 6-7.
33 Edgar Pisani, La main et l'outil - Le développement du Tiers Monde et l’Europe,
Paris, Robert Laffont, 1984, p. 208.
35 Sur les sociétés villageoises, Edgar Pisani écrit : « … hormis l'aura du chef, l'ancien
du village ou le lointain Président ou Père, tout appel à la mobilisation sociale pour un
165
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autogentré
Apolli ire J. KVÉLEM de TAMBÈLA
nêtement utilisé nos structures pour subsister en vase clos dans leur arriéra-
tion mentale au milieu de la mouvance révolutionnaire générale”. »
3-b-3-b) Dans le camp de la Révolution
246- Le problème de la représentativité des C.D.R. se posait dans le
camp même de la Révolution. Tout au sommet, le C.N.R. restait une or-
ganisation mythique, nébuleuse, dont le public ignorait tout des
membres et de leurs activités. Cette situation favorisait les intrigues, les
magouilles et les basses manœuvres dans lesquelles les obséquieux ou les
cyniques finissent par l'emporter sur les plus consciencieux. Dans la me-
sure où le C.N.R. restait une “organisation secrète” (cf. n° 503%;tsur au- K
cun plan on ne pouvait parler de représentativité à son sujet. Certes, il y
avait une certaine adhésion populaire au régime, mais en l’absence
d’élections libres, rien ne permettait d’apprécier l’effectivité et la sincéri-
té de cette adhésion.
247- Pour ce qui concerne les C.D.R., la démocratie interne restait limitée.
Les dirigeants échappaient au contrôle des militants et n’étaient pas toujours
représentatifs. Une telle situation a pu porter atteinte à la cohésion générale.
Aux termes de l’article 91 du statut général des C.D.R,, le secrétaire général
national et son adjoint étaient nommés par le C.N.R. Ils n'étaient pas res-
ponsables devant les militants que pourtant ils représentaient. En revanche, à
tout moment, le secrétaire général national pouvait dissoudre un bureau jugé
défaillant. Aucun critère n’était donné pour l’appréciation du caractère dé-
faillant d’un bureau ; ce qui pouvait ouvrir la porte à des abus. Dans les pro-
vinces, le haut-commissaire qui était, aux termes de l’article 79, décrit
comme étant un mobilisateur révolutionnaire, un militant de premier choix
de la Révolution, un animateur de première ligne et qui présidait le conseil
provincial et le pouvoir révolutionnaire provincial, n’était pas non plus élu
par les militants mais nommé par le C.N.R. On ne sait rien des critères qui
permettaient de le présenter comme un militant de premier choix. Nomina-
tions et révocations dans les postes de responsabilité dépendaient du gré des
dirigeants du C.N.R. dont on ne savait rien sur leur propre représentativité.
Fondamentalement les C.D.R. apparaissaient comme de simples griots et
soldats du régime ; ce qui, sans doute, pouvait être frustrant et démobilisa-
358 C£ S.G.N.-C.DR. Première Conférence nationale des C.D.R,, op. cit., p. 15.
167
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
teur. Même le Congrès des C.D.R. n’avait pas de réels pouvoirs. Aux termes
de l’article 86, Il était tout simplement appelé à: «-füaire le point de
l'application des directives du CN.R ; -apprécier le fonctionnement des
CDR. ; -recevoir les directives politiques du C.N.R. sur l'orientation poli.
tique générale du mouvement révolutionnaire ; -œuvrer au développement es
au renforcement du processus révolutionnaire ; -faire des suggestions et des
recommandations. »
3-b-4) Le manque de moyens des C.D.R.
248- La pauvreté relative du pays pose des problèmes économiques
sérieux à la majorité des Burkinabè. Certains espéraient résoudre leurs
problèmes économiques en intégrant un C.D.R. Mais les militants
n'étaient pas rémunérés et l’État n’avait pas beaucoup de moyens pour
les équiper. Bien au contraire, c’était aux militants de dégager les moyens
nécessaires pour mener à bien leurs missions. En fonction des besoins de
chacun, la tentation était plus où moins grande de se servir à l’occasion,
Ainsi, dans les services, des militants avaient détourné des sommes pro-
venant de collectes pour l’achat de vivres. Des magasins OF.NA.CÉR.
dont la gestion était confiée à des C.D.R. avaient été fermés pour cause
de détournements. Pour limiter les dégâts, la première Conférence natio-
nale des C.D.R. avait proposé que des pourcentages sur les activités aux-
quelles participaient les C.D.R. (vente des animaux mis en fourrière, etc.)
fussent retenus pour être versés dans les caisses des C.D.R.
3-b-5) Le manque de compétence des C.D.R.
Le manque de compétence se situait aux niveaux technique (3-b-5-a) et
politique (3-b-5-b).
3-b-5-a) Les insuffisances techniques
249- La première Conférence nationale des C.D.R. avait relevé que le
secrétariat général national des C.D.R. lui-même souffrait de l'absence
d’un personnel en nombre suffisant et techniquement compétent. “Lolo-
wulen”, le journal d’information et de propagande du secrétariat général,
était d’une périodicité irrégulière parce qu’il n’existait pas de cellule
permanente de suivi. La participation des militants C.D.R. à la gestion et
au contrôle des entreprises publiques et parapubliques, telle que prévue
168
A
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA.
par l’article 53 du statut général des C.D.R., est restée figurative et pas-
sive à cause de leur manque de formation technique. La formation mili-
taire était également déficiente parce que, la plupart du temps, les enca-
dreurs eux-mêmes étaient de médiocre compétence. Après une formation
militaire sommaire, certains militants, le fusil kalachnikov en main, se
comportaient en véritables shérifs des secteurs.
3-b-5-b) Les insuffisances politiques
250- Dans leur zone de compétence, beaucoup de militants avaient fait
de leur C.D.R. la seule autorité technique et politique. Les conflits de
compétence étaient multiples, d’une part entre des C.D.R. de nature dif-
férente (C.D.R. de service et C.D.R. Géographique par exemple), d’autre
part entre les C.D.R. et les diverses autorités administratives et tech-
niques. Des C.D.R. de service refusaient parfois de collaborer avec les
CDR. géographiques dont ils étaient territorialement dépendants. Des
militants de C.D.R. géographiques militairement formés s'étaient substi-
tués dans leur localité aux agents de l’ordre pour se livrer à des contrôles
de phares et de feux rouges, allant parfois jusqu’à verbaliser des transpor-
teurs. Il était en effet difficile de faire comprendre à des militants sans
expérience,et parfois même sans instruction qu’ils avaient tout le pouvoir
À
— comme le disait le discours officiel - mais que celui-ci était néanmoins
grevé de limites politique, administrative, technique et territoriale. Pour
pallier l'insuffisance de formation, le secrétariat général national des
C.DR. avait commencé, à partir du 14 janvier 1985, à organiser des
stages de formation politique pour les militants des différents services de
la province du Kadiogo (Ouagadougou).
251- Une opération dénommée “Fer de lance” avait permis de former
pius de douze mille responsables départementaux qui, à leur tour, avaient
formé plus de deux cent mille responsables des structures C.D.R. de base.
Certains militants avaient été envoyés en formation dans des écoles de
partis communistes de pays “socialistes” ou d'orientation socialiste
(UR.S.S., Cuba, Congo, etc.) Dans le discours d’ouverture de la deu-
xième Conférence nationale des C.D.R. tenue à Dédougou du 30 mars au
3 avril 1987, le secrétaire général national des C.D.R. annonçait
l'ouverture dès octobre 1987 d’une école supérieure des cadres C.D.R.
L’interruption brutale de l'expérience révolutionnaire le 15 octobre 1987
169
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA
360 1] à été remplacé par le Service national pour le développement (S.N.D.) le 15 dé-
cembre 1993.
361 Pendant cette phase professionnelle appelée “production”, les élèves et étudiants
étaient surtout employés comme enseignants (instituteurs ou professeurs). Ils pouvaient
aussi être employés dans des services administratifs. Ils n’étaient pas rémunérés mais ils
étaient hébergés et percevaient une petite somme comme argent de poche.
36 Selon son directeur de l’époque, le S.N.P. visait les objectifs suivants : -Faire de tout
appelé un militant politiquement et idéologiquement conscient de son rôle dans la cons-
truction de la nouvelle société burkinabè et de surcroît rompu au maniement des armes
pour la défense de la patrie. Former professionnellement tout appelé dans l'optique de
la réalisation de l'adéquation S.N.P. = emploi ou S.N.P. = métier. Cf. Sidwaya, n° 779,
Ouagadougou, 25 mai 1987, p. 10.
171
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA
En avril 1987 il avait été mis sur pied le Service national de construc.
tion de la patrie (S.N.C.P.) Chaque année, chaque agent de l’État était désor.
mais tenu de consacrer trois semaines environ à des travaux d'intérêt général.
sans qui était prévue pour avoir lieu chaque premier dimanche du mois
de février et précédée de deux journées du paysan. Elle devait offrir
l’occasion de réfléchir et d’échanger et permettre le renforcement de la
capacité de mobilisation et l'éveil de la conscience paysanne comme
force avec laquelle il fallait désormais compter à tous les niveaux de la
vie nationale. Cette manifestation se déroule toujours chaque année sous
le nom de Journée nationale du paysan (J.N.P.) mais avec un contenu
bien différent.
4- L'Union des femmes du Burkina (U.F.B.)
257- L'UF.B a été créée le 19 septembre 1985 pour compenser la
faible implication des femmes dans les C.D.R. Elle avait pour objectifs
d’unir et d’organiser les femmes pour la réalisation des objectifs de la
Révolution, de contribuer à l’émancipation des femmes et de faire des
femmes une force décisive dans la lutte pour l’avènement d’une société
débarrassée de toute forme d’exploitation.
5- Le Mouvement national des pionniers (M.N.P.)
258- Le Mouvement national des pionniers (M.N.P.) a été créé le 22
mai 1985 à la suite d’une rencontre tenue au lycée Marien N’gouabi en
décembre 1984. Il regroupait les enfants de dix à quatorze ans et devait
constituer la pépinière des C.D.R. Il était destiné à servir de cadre de
formation politique, idéologique, socio-économique et culturel pour faire
du pionnier un citoyen conscient, éveillé, digne continuateur de la Révo-
lution démocratique et populaire. Des sections de pionniers avaient été
créées dans tous les établissements d’enseignement primaire et au pre-
mier cycle des lycées et collèges. Les pionniers étaient répartis en trois
catégories : les plus jeunes appelés “janto” se recrutaient au niveau des
cours élémentaires ; les moins jeunes appelés “djambow” se recrutaient
au niveau des cours moyens et les plus grands appelés “ambga” se recru-
taient dans les classes de 6° et 5° du secondaire. La devise du M.N.P.
était : « Oser lutter, savoir vaincre. »
174
Chapitre IV
Les difficultés politiques du C.N.R.
S.A.MA.B. jugea sans doute le moment opportun pour taper fort sur le ré-
gime et le faire vaciller. Dès l'ouverture du congrès, il se livra à une attaque
tous azimuts contre la R.D.P. La réaction du C.N.R. fut à la mesure de la
véhémence des attaques. Le 10 juin 1987, un conseil des ministres décida le
licenciement de la Fonction publique des responsables du congrès %,
Il Les difficultés politiques internes
Les contradictions politiques internes (A) et le problème du parti d’avant-
garde ont contribué à fragiliser le régime (B).
A) LES CONTRADICTIONS POLITIQUES INTERNES
262- La coordination des différentes structures d'encadrement était un
problème réel. Les C.D.R. relevaient directement du S.G.N.-C.DR. qui
supervisait aussi toutes les autres structures. Mais, contrairement aux
C.DR., ces structures étaient également sous la tutelle directe d’autres
institutions. L'Union nationale des anciens du Burkina (U.N.A.B.) et le
Service national populaire (S-N.P.) étaient sous la tutelle du ministère de
la Défense populaire. L'Union nationale des paysans du Burkina
(U-N-P.B.) relevait du ministère de la Question paysanne et le Service
national de construction de la patrie (S.N.C.P.) dépendait du ministère de
la Jeunesse et des Sports. Le manque d’institution appropriée de coordi-
nation suscitait des luttes de pouvoir qui fragilisaient le régime. Le
C.N.R. ayant évolué dans le “secret”, aucune règle de désignation de ses
membres n’était connue. Il est difficile de dire si le critère important dans
la cooptation de ses membres était l’obséquiosité, la compétence ou la
représentativité, pour les militaires au niveau de l’armée et pour les civils
au niveau des mouvements de gauche. Les quatre chefs militaires de la
Révolution, avec à leur tête le président du C.NR, semblaient détenir
toutes les ficelles. L'absence règles préétablies encourageait
de
l'opportunisme et le clientélisme. Deux organisations politiques : le
Groupe communiste burkinabè (G.C.B.) et l’Union communiste burkina-
bè (U.C.B.} ont ainsi rejoint le C.N.R. après le 4 août 1983 sans que l'on
sût vraiment pourquoi et comment ; tandis que le P.A.I.-LI.PA.D., prin-
366 C’est Blaise Compaoré qui était, entre autres, ministre d'État à la Présidence, mi-
nistre de la Justice, qui a introduit le dossier de licenciement en conseil des ministres.
Cf L’Ouragan, n° 259, Orodara, 22 août 2012, p. 6.
177
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
#7 Déclaration du Bureau exécutif central (B.E.C.) à l’issue du premier congrès tenu par
le parti après le 15 octobre 1987.
35 Dans le premier gouvernement du C.N.R. formé le 24 août1983, le P.A.I.-LI.PA.D
obtint les portefeuilles ministériels suivants :
- Affaires étrangères et Coopération : Hama Arba Diallo ;
- Équipement, Transports et Communications : Philippe Ouédraogo ;
- Information : Adama Abdoulaye Touré ;
- Éducation nationale, Arts et Culture : Mardia Emmanuel Dadiouari ;
- Jeunesse et Sport : Ibrahima Koné
178
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA
des points d'un raffinement dialectique qui paraît fort éloigné des enjeux du
pays”? » Dès 1984 le quotidien français Le Monde écrivait : « la scène poli.
tique voltaïque offre le spectacle, quasi-surréaliste, de querelles idéologiques
et de manœuvres auxquelles se livre une petite élite intellectuelle composée de
courants « marxiste-léniniste », « maoïste », « prosoviétique », ou encore
« communiste ». Les uns ont été formés à Vincennes ou à Nanterre et prolon-
gent leur mai 68 ; les autres ont surtout retenu de leur séjour à Moscou un
jargon pseudo révolutionnaire et une vision du monde souvent mani.
chéenne * ».
274 L’U.L.C.-R. finit par faire les frais de sa résistance face aux intimi-
dations et aux tentatives de récupération des militaires. Certains de gs mili-
tants, gagnés à la cause des militaires, décidèrent de faire scission‘ et le 3
février 1987, ils créèrent leur propre organisation qu’ils dénommèrent Union
de lutte communiste (U.L.C.), appellation originelle de l'U.L.C.-R. avant sa
décision de se dissoudre en février 1981. Leur organisation fut beaucoup
plus connue sous le nom de “U.L.C.- La Flamme” parce que leur organe
d’expression s’intitulait La Flamme", Les contradictions internes gagnè-
rent officiellement la place publique à l’occasion de la célébration à Tenko-
dogo du quatrième anniversaire du D.O.P. le 2 octobre 1987. Un étudiant du
nom de Jonas Maminon Somé, militant de l’'U.C.B et aux ordres de Blaise
Compaoré, apporta publiquement la contradiction à Sankara. Puisque celui-
ci prônait l’unité, Jonas Somé dans son intervention dira : « L'unité, la tolé-
rance, [...] avec qui et pourquoi faire ? L'unité dans la Révolution démocra-
tique et populaire doit se faire avec les révolutionnaires conséquents et leurs
amis pour faire des bons en avant et non pour reculer. » Dans sa réplique
l'on en croit J. Attali, jamais Marx n’a soutenu le concept de parti d’avant-
garde qui fera tant de mal après lui. Il pensait que l’action efficace passe par
un parti de masse, dans un contexte parlementaire partout où c’est pos-
sible#, Mais que n’a-t-on pas dit et fait à tort et à travers au nom de Marx,
pour défendre des conceptions erronées et des ambitions égoïstes ! Selon
C.T. Gadio, « le drame des révolutionnaires et progressistes africains con-
siste à pré-établir le schéma du modèle révolutionnaire idéal et à vouloir y
conformer toute expérience en cours”. » La conception que Sankara avait
du parti était bien proche de celle de Marx. Malheureusement il préchait
dans un désert. Comme l’a écrit Mongo Beti, « La première finalité d'une
révolution n’est pas de satisfaire à la soif d'orthodoxie d'hommes de cabi-
net, mais de libérer l’homme tout cour, »
#8 C£. Jacques Attali, Karl Marx - ou l'esprit du monde, Paris, Fayard, 2005, p. 394.
3% Cheikh Tidiane Gadio, “La patrie ou la mort, Sankara vaincra …”, ud Magazine, n°
8, Dakar, p. 10.
F0 Mongo Beti, préface à B. P. Bamouni, Burkina Faso - Processus de la Révolution
op. cit, p. 12.
187
Chapitre V
La politique de développement du C.N.R.
#1 Jean Dabin, cité par Alain Piquemal, L'influence des inégalités de développement
sir le statut juridique des États, Thèse de doctorat d” État en droit, Nice, 1976, p. 78.
#2? Cité parA. Piquemal, Thèse, op. cit. p. 82.
188
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apolinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
3% Discours du président du C.N.R. à l’ouverture des premiers procès des T.P.R., Carre-
four africain, n° 812, 6 janvier 1984, p. 22 - 24,
7 Ibid.
190
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
‘Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
8% Les équipes mobiles d'investigation ont été créées par le kiti n° 85-
26/C.N.R./PRES/MED/MU, 30 septembre 1985. Chaque équipe était composée de trois
membres : un militaire, un gendarme, un délégué C.D.R. Elle avait compétence sur
toute létendue du territoire national y compris les Représentations diplomatiques à
l'étranger. Les équipes avaient pour mission de faire l'état des biens mobiliers et immo-
biliers des personnes poursuivies devant les T.P.R., de procéder à toutes investigations
et enquêtes sur les affaires dont elles étaient saisies, de recueillir toutes informations et
de rassembler tous éléments susceptibles de faciliter le travail des T.P.R. Elles pou-
vaient être requises pour l’exécution des jugements des T.P.R.
# En Afrique noire francophone, la tradition consistait à choisir le prénom du futur
baptisé dans la liste des saints du calendrier grégorien en fonction soit du jour de la
naissance, soit du jour du baptème. Il pouvait aussi être choisi selon d’autres critères.
Jean-B.d.L. était l’abréviation dans le calendrier de Jean-Baptiste de La Salle. C’est
l'incompréhension du sens de l’abréaviation qui a conduit à ce prénom incongru.
191
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA
Yaméogo. C’est encore oublier qu’à partir du 3 janvier 1984, les anciens
présidents Sangoulé Lamizana et Saye Zerbo comparaissaient devant les
T.P.R.* Mais le procès, sans doute le plus retentissant des T.P.R., füt celui
des dirigeants de la Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest
(C. É.A.O. ÿ°1 Mohamed Tiécoura Diawara, ancien ministre ivoirien qui était
président du Club de Dakar ; Moussa N’gom, ancien directeur des douanes dy
Sénégal qui était secrétaire général de la C. É.A.O. et Moussa Diakité du Mali
qui était directeur du Fonds de solidarité et d'intervention pour Le développe.
ment communautaire (FOSIDEC), un organe spécialisé de la CÉA ©.
étaient accusés de détournement de la somme de six milliards cinq cents mil.
lions de francs CFA. qu’ils auraient placée dans des comptes personnels dans
des institutions financières et bancaires intemationales et notamment en
Suisse. Lors du dixième Sommet des chefs d’État des pays membres de la
C.É.A.O. qui se tenait à Bamako les 28 et 29 octobre 1984, Diawara s’y trou-
vait aussi. Son arrestation fut décidée et le 29 octobre, dans son avion de re-
tour, Sankara à qui était revenue la présidence en exercice de la CÉAO.
emmenait avec lui Diawara, menottes aux poignées. Il fut séquestré, d’abord à
la gendarmerie nationale, puis au Conseil de l’Entente, près de la résidence de
Sankara. Peu après le Sommet de Bamako, N’gom et Diakité furent aussi
arrêtés et séquestre rés 2,
283- Leur procès eut lieu du 25 mars au 3 avril 1986. Des représentants
d’organismes humanitaires y furent invités. Comme des réticences
avaient été émises du fait que les avocats n'étaient pas autorisés à plaider
devant les T.P.R., le président du C.N.R. prit une disposition spéciale les
autorisant à plaider. Mohamed Diawara et Moussa Diakité furent con-
damnés à une peine d'emprisonnement ferme de quinze ans, Moussa
N’gom à dix ans ferme. Ils furent aussi condamnés à rembourser à la
C.E.A.O. l'équivalent du préjudice subi. Le procès qui a été diffusé par la
radio nationale a été suivi avec attention dans les pays limitrophes et au-
delà. De l’avis général, ce fut un procès équitable.
284- Par l'exposé clair des faits, par les débats qu’ils suscitaient et
grâce à une compétence souvent admirable des juges, les T.P.R. ont per-
mis aux citoyens de s'informer, de s’instruire et de se familiariser avec
les problèmes de gestion des dossiers et des ressources de l'État®, Le
C.NR. les présenta comme une école de morale, de démocratie et de
civisme. Le succès des T.P.R. amena le C.N.R. à étendre le système dans
tout le pays. L’ordonnance n° 85-037/C.N.R/PRES du 4 août 1985 créa
des tribunaux populaires de secteurs, de villages, de départements et de
provinces. Le décret n° 85-405/C.N.R./PRES/MED/MIJ du 4 août 1985
les organisait et déterminait leur fonctionnement”, Dans chaque secteur
ou village il avait été créé un Tribunal populaire de conciliation (T.P.C.),
dans chaque chef-lieu de département un Tribunal populaire départemen-
tal (T.P.D.) et dans chaque chef-lieu de province un Tribunal populaire
d'appel (T.P.A.). Aux termes de l’ordonnance n° 85-43/ C.N.R/ PRES
du 29 août 1985 portant nouvelle organisation judiciaire au Burkina Faso,
les juridictions de droit commun étaient désormais les T.P.C., T.P.D.,
T.P.A. et T.P.R. À titre transitoire, les juridictions existantes conservaient
leurs attributions jusqu’à l'institution et la mise en place de structures
révolutionnaires et adéquates.
285- Le Tribunal populaire de conciliation (T.P.C.) devait contribuer
par ses activités à conscientiser le peuple par rapport à ses droits et de-
voirs, à éliminer les tares culturelles, les manifestations coloniales, néo-
coloniales, féodales et les coutumes rétrogrades. Il procédait au règle-
ment des conflits sociaux dans le secteur ou le village par la voie de con-
ciliation. Il était compétent pour connaître en matière civile et commer-
ciale des litiges dont l'intérêt au principal n’excédait pas cinquante mille
francs CFA. Il connaissait également des situations rendant la vie com-
3% Dans ce sens cf. -C. Savonnet-Guyot, État et sociétés au Burkina, op. cit. p. 185. -
Administration et développement au Burkina Faso, Presses de l’Institut d’études poli-
tiques de Toulouse, 1987, p. 282.
#4 Cf. -Carrefour africain, n° 896, Ouagadougou, 16 août 1985, p. 158. -Carrefour afri-
cain, n° 897, Ouagadougou, 23 août 1985, p. 26s. -C.N.R., La justice populaire au Bur-
kina Faso, Ouagadougou, Ministère de la Justice, 1985.
193
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA
3%5 Dans ce sens, cf. Directive conjointe n° 860003 du 4 février 1986 du secrétariat général
national des C.D.R. et du ministère de la Justice relative à la mise en place des Tribunaux
populaire de conciliation (T.P.C.) dans les secteurs et villages du Burkina Faso.
Cependant, tout prévenu comparaissant devant les T.P.R. était tenu de verser au
greffe dudit tribunal une caution de trente mille (30 000) francs destinée à la couverture
d’une partie des frais de justice. La somme versée était déduite des frais de justice aux-
quels était éventuellement condamné le prévenu. En aucun cas elle ne donnait lieu à
remboursement quel que fût l’issue du procès.
194
Thomas SANKARA et ! volution au Burkina Faso
loppement autocentré
EM de TAMBËLA
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Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
#92 Avant son lancement le 4 août 1986, son élaboration a commencé en avril 1985 avec
l’Appel du président du Faso et la mise en place, peu de temps après, des structures. De
la base au sommet, toutes les couches sociales ont contribué à son élaboration. Cf. Car-
refour africain, n° 938, Ouagadougou, 6 juin 1986, p. 11.
200
A
tion leur a permis d’atteindre leurs objectifs. Pour que les réalisations
soient intégrées, la participation des populations à tous les niveaux est
nécessaire. À la décharge du C.N.R. on peut considérer qu’en à peine
trois ans d’exercice du pouvoir, il lui était difficile d’inverser radicale-
ment les données. Il faut sans doute du temps à tout nouveau régime pour
gérer l’héritage du précédent avant de pouvoir asseoir de façon autonome
sa propre politique.
c) La nature du plan quinquennal de développement populaire
299- Un plan peut être impératif ou simplement indicatif, souple ou
rigide. Rien ne permet d’affirmer que le P.Q.D.P. était soit impératif soit
indicatif. Cependant, on ne peut pas prétendre qu’il était simplement in-
dicatif. Il avait un certain caractère obligatoire. L’hebdomadaire gouver-
nemental Carrefour africain avait estimé que les projets et programmes
qui faisaient l’objet de planification dans le cadre des investissements
publics (mines, agriculture, transports, énergie, santé, éducation) appa-
raissaient comme entrant dans le cadre d’un plan impératif"®. Le
P.Q.D.P. était une zafu (loi) ; à ce titre il était doté d’un certain caractère
obligatoire. Mais rien ne permettait d’affirmer qu'il était un plan impéra-
tif. Il y a un vide juridique sans doute voulu par les autorités d’alors
compte tenu des prévisions, des objectifs recherchés et de la qualité sou-
haitée. L'obligation à laquelle contraignait le P.Q.D.P. était une obliga-
tion de moyen et non de résultat. Celui-ci peut être situé à mi-chemin
entre le plan indicatif et le plan impératif avec de la place pour une cer-
taine souplesse.
300- Si le plan simplement indicatif souffre de manque de rigueur dans
son application, le plan impératif peut conduire à l’absurde par excès de
rigueur. La planification socialiste en fournit une illustration. Dans les
ex-États “socialistes” d'Europe, avant les réformes économiques des an-
nées 1960, la planification était impérative et rigide. On mesurait
l’activité économique sur le volume de la production brute. On utilisait
essentiellement des critères quantitatifs. Régnait alors “l’idéologie de la
tonne”. 1] suffisait que l’entreprise remplit un programme de production
quantitatif. Peu importait l’accumulation des invendus, des stocks inutili-
sés. Si l’on en croit D. Satter, jusqu’en 1979, aucun écart par rapport au
plan n’était toléré en U.R.S.S. sans l’accord du parti. Les responsables du
plan fixaient des objectifs de production ambitieuse pour obliger les
chefs d’entreprise à utiliser au maximum les hommes, les matériaux et
les machines. Les directeurs d’entreprise trouvaient la parade à cela en
surestimant leurs besoins en ressources. Ainsi, l’ensemble du système
vouait un véritable culte aux résultats fictifs. Par exemple les travailleurs
des transports faisaient aller et venir du fret entre des villes éloignées les
unes des autres pour obtenir un kilométrage élevé*"*. Au lieu du plan
impératif, le plan assorti d’une obligation de moyen pour les responsables
chargés de son application paraît mieux indiqué pour parvenir à une plus
grande efficacité à condition que tout soit mis en œuvre pour la coordina-
tion et le suivi des activités.
B) LA RIGUEUR ET LA TRANSPARENCE DANS LA GESTION
DES RESSOURCES DE L’ÉTAT
{- La rigueur dans la gestion
301- Dans toute politique économique la gestion en est un élément impor-
tant. Avec une bonne gestion les effets du sous-développement peuvent être
limités. Pour une utilisation optimale des ressources de l’État, Sankara avait
opté pour une politique d’austérité qu’il avait expliquée en ces termes : « …
pour les grandes opérations que nous allons entreprendre très bientôr, nous
avons demandé à chacun un sacrifice, sacrifice qui n'est que le prix à payer
pour notre liberté et notre dignité. Nous avons le choix ; ou bien faire un sa-
crifice nous-mêmes, sur nos salaires, sur nos avantages, sur nos privilèges, ou
alors nous prostituer et demander à telle ou telle puissance de venir nous
aider. Il faut faire un choix … la Révolution voltaïque a fait son choix ; elle est
du côté de l'honneur, elle tourne le dos résolument à la mendicité. C'est
pourquoi il y a des mesures restrictives de privilèges. Mais nous disons qu'il
n'est pas normal que des salaires varient en Haute-Volta d'un extrême à
l'autre. Pendant que certains Voltaïques … sont obligés de rechercher péni-
blement leur pain, il y en a qui sont à l'heure du pain beurré, même des crois-
sants beurrés. C'est de cette différence que nous ne voulons plus. Nous disons
303- En 1985 la loi de finances exigea un peu plus des agents de l’État.
Les abattements fiscaux pour charges de famille furent supprimés. Il fut
décidé une contribution exceptionnelle d’un mois de salaire pour les per-
sonnels des secteurs public, parapublic, militaire et privé des catégories
À et B ; et un demi mois de salaire pour les catégories C et assimilées. La
contribution demandée aux étudiants boursiers était de 2 500 F CFA par
mois. En 1986 la contribution d’un mois ou d’un demi mois de salaire
selon les catégories fut remplacée par PEffort populaire d’investissement
ÉP.L) La participation à l'É.P.L se faisait de la façon suivante : 12% du
salaire pour les officiers, les sous-officiers supérieurs, les fonctionnaires
des catégories Al, A2, B1 ef assimilées ; 7% du salaire pour les sous-
officiers subalternes, les fonctionnaires des catégories B2, C1, C2 et as-
similées ; 5% du salaire des hommes du rang, des fonctionnaires des ca-
tégories D1, D2, des agents temporaires et assimilés. Par ailleurs 50%
des indemnités cumulées étaient également retenues. Selon le communi-
qué du Conseil des ministres, l’É.P.I. devait « traduire la volonté et la
détermination des salariés de vivre avec les masses et de vaincre avec les
masses tous les problèmes et tous les obstacles qui se posent à
l'épanouissement de notre peuple"”. » Comme l'avait fait le C.M.R.PN,
(cf. n° 69), le C.N.R. supprima les jetons de présence des administrateurs
siégeant au nom de l’État dans les sociétés où celui-ci était actionnaire et
décida de leur reversement au Trésor public*"”. En 1987 l'É.P.I. fut sup-
primé. La réforme de la Fonction publique entrée en vigueur le 1* janvier
4% Des mesures analogues avaient été prises après la chute de la première République
pour redresser la situation. Cf. -Pascal Zagré, Les politiques économiques du Burkina
Faso - Une tradition d’ajustement structurel, Paris, Karthala, 1994, p. 69-71. -Tiémoko
Marc Garango, Devoir de mémoire, Ouagadougou, Édipap international, 2007, p. 78.
De même, à l’occasion du premier conflit frontalier Mali-Burkina de décembre
1974, pour faire face à la nécessité d’équiper une armée alors démunie, l'ordonnance n°
75-001/PRES du 6 janvier 1975 instituait une contribution patriotique à compter du 1*
janvier 1975. Elle était due par tous les nationaux résidents ou non et par les non natio-
naux résidents sur le territoire national. Cf. Sangoulé Lamizana, Sur la brèche trente
années durant, Paris, Jaguar Conseil, 1999, t. 2, p. 317-318.
#10 Cf. Zatu n° 009-An IV/C.N.R/PRES du 24 octobre 1986 portant reversement au
Trésor des jetons de présence des représentants de l’État dans les conseils
d'administration des sociétés à participation financière publique.
204
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
1987 consacra la réduction des écarts entre les salaires*!!. Il est à noter
aussi que les inderanités journalières de mission de tout personnel de
l’État furent ramenées à quinze mille francs CFA pour tous.
304- En plus des mesures relatives aux traitements des agents de l’État,
le train de vie de l’État fut réduit. Dès l’accession au pouvoir du prési-
dent Sankara, le parc automobile de la présidence fut gelé. Les limou-
sines des ministres furent envoyées à la loterie nationale pour faire partie
des lots. Les recettes devaient revenir à l'Éducation nationale. En lieu et
place, le président du Faso, les ministres et les hautes personnalités de
l'État reçurent de petites voitures, notamment des Renault 5 noires. Le
pare automobile de l” État fut réduit de 2/3 pour limiter les frais
d’entretien et de carburant. La cave de la présidence fut vidée de son con-
tenu en champagne et autres boissons prestigieuses et des mets burkinabè x,
firent maintenant partie des menus des réceptions officielles. Ceux des
agents de l’État qui bénéficiaient de la gratuité du téléphone et de
l'électricité se virent vivement recommandés d’en limiter les frais. Dans
les services publics l’usage de la climatisation n’était autorisé que pen-
dant les trois mois les plus chauds de l’année : mars, avril, mai. Le prési-
dent Sankara utilisait lui-même un ventilateur quand la chaleur était ac-
cablante. Les ministres effectuaient leurs déplacements à l’étranger en
classe économique. Les déplacements à l'étranger du président Sankara
avaient donné naissance à l’expression “avion stop”. Par souci
d'économie celui-ci essayait d’obtenir d’autres chefs d” État qu'ils lui
411 Dans Le nouveau statut des agents publics qui fut adopté, la catégorie la moins élevée
était E3 et correspondait à celle de manœuvre ou ouvrier sans qualification, avec un
salaire mensuel en début de carrière de 20 840 F CFA et 30 807 F CFA en fin de car-
rière. La catégorie la plus élevée était A1 ef correspondait au doctorat de 3° cycle ou
doctorat d’État, avec en début de carrière un salaire mensuel de 81 549 F CFA et 212
027 F CFA en fin de carrière. L'écart entre les salaires était environ de 1 à 4 en début de
carrière et de 1 à 7 en fin de carrière.
Les salaires les plus élevés étaient ceux des enseignants du supérieur qui béné-
ficiaient d’un statut particulier. Un assistant en début de carrière avait une rémunération
mensuelle de 95 953 F CFA et 216 558 F CFA en fin de carrière. Un professeur
d’université en début de carrière avait une rémunération mensuelle de 124 138 F CFA et
300 825 F CFA en fin de carrière. Si l’on prend en compte l’enseignement supérieur,
l'écart entre les salaires était environ de 1 à 4,5 en début de carrière et de 1 à 10 en fin
de carrière.
205
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBELA
412 Après le décès du président Bingù wa Mutharika du Malawi en avril 2012, la vice prési-
dente Joyce Banda a été portée à la tête de l’État. Elle se déplaçait avec des avions de ligne et
avait décidé en 2013 de vendre l’avion présidentiel acquis par son prédécesseur pour 22
millions de dollars. Son entretien coûtait chaque année plus de trois cent mille (300 000)
dollars. Cf. Le Quotidien, n° 864, Ouagadougou, 11 septembre 2013, p. 12.
Contre toute attente, Joyce Banda a été battue à l'élection présidentielle du 20
mai 2014 par le frère de Mutharika, Arthur Peter Mutharika. Le régime de Banda était
accusé de corruption (affaire du Cashgate). Cf. Afrique Asie, Paris, juillet-août 2014, p.
37.
206
E
\ À
C) LA MAÎTRISE DE L'AIDE EXTÉRIEURE
313- Il serait inexact de prétendre que l’aide extérieure n’a pas d’effet de
|
développement pour les pays bénéficiaires. Tout apport utilisé rationnelle-
| ment et avec efficience peut être avantageux. Toutefois, comme le fait re-
marquer M. Benchikh, « L'aide extérieure contribue plus à soulager la mi-
sère, à stabiliser une situation, à surseoir à une détérioration de l'état éco-
nomique et social des pays qui la reçoivent qu'à impulser un processus de
développement économique dans les pays sous-développés* $.» Le plus
souvent, l’aide extérieure est inadaptée. Mathias Sawadogo en donne une
illustration à travers une fable : « Un oiseau couvait ses œufs au creux d'un
arbre ; un serpent s'approche pour les dévorer ; l'oiseau demande secours
à un singe : rien de plus simple, répond le singe, je vais chasser le serpent à
coups de pierres. Non, dit l'oiseau, tu casserais les œufs. Passe un élé-
phant : un coup de trompe, j'abattrai l'arbre et écraserai le serpent. Impos-
| sible, dit l'oiseau, tu réduirais les œufs en bouillie. Les fourmis, alertées, ont
| enfin la bonne idée d’accourir en foule et de grignoter le serpent. L'oiseau,
c'est le paysan ; les œufs, les possibilités de développement ; le serpent :
l'obstacle au développement ; le singe et l'éléphant représentent l'aide exté-
rieure : « elle propose toujours des solutions draconiennes, elle est rigide et
manque souvent d'adaptabilité. L'aide extérieure, avec les grands moyens
dont elle dispose, fait la plupart du temps, même avec de bonnes intentions,
plus de mal que de bien. Elle donne peu de place à l'initiative locale ….Les
fourmis … image du partenaire avec lequel on peut dialoguer sans crainte …
solidarité issue d'un peuple qui agit selon ses propres règles
d organisation". »
314- Thomas Sankara avait fait remarquer que les aides ont fait en
sorte que l’Africain n’a rien produit et n’a rien sorti de son imagination
pour résister à la sécheresse. Selon lui, « … la sécheresse ne produit
même pas le déclic intellectuel de la création de solution parce que nous
sommes noyés et submergés d'aides alimentaires. Pourquoi voulez-vous
que l'ingénieur agronome africain cherche une solution pour trouver une
espèce rare qui résiste à la sécheresse, lorsque les organisations interna
tionales et les pays sont là à courir après lui en lui demandant simplement
de remplir une lettre de demande d'aide alimentaire ? On à transformé nos
ingénieurs et nos vétérinaires en écrivains publics et ils écrivent des lettres
de demande d'aide alimentaire ; et l'on a transformé les chefs d'État afri-
cains en quémandeurs. Sur cent discours de chefs d Étar icains,
soixante-quinze sont consacrés à demander de l'aide alimentaire".
315- Un autre aspect de l’aide extérieure est qu’elle peut être un moyen
d'exploitation subtil et efficace‘!”. Jacques Foccart écrivait en 1983 :
« Selon une estimation du ministère du Gabon, pour 1F dévolu au Gabon
par les subventions de l'aide publique française, qui, pour l'essentiel,
vont à des organismes et à des compagnies françaises, la France retirait,
en 1979, 2,80F. Sur le plan des investissements privés, l’économie fran-
çaise, en 1979, a retiré environ 717F d'un apport initial de 66F, soit un
retour de 11F pour 1F investi®. » En 1999 on notait que, selon l'Office
fédérale des affaires économiques extérieures, la Suisse tirait de son aide
au développement qui était d’un montant de 1,9 milliard de dollars, un
bénéfice de 2,9 milliards de dollars. En outre, grâce aux actions de déve-
loppement, vingt mille emplois avaient été créés en Suisse dans Les ad-
ministrations, les missions de coopération, dans des O.N.G. et dans des
entreprises qui bénéficiaient des contrats de fourniture d” équipement‘?!
Toujours en 1999, l'Afrique était le continent où les Etats-Unis retiraient
le plus grand rendement de ses investissements au monde ; soit 22%
contre 13% en Asie, 12% en Amérique latine et 11% en Europe?
316- Thomas Sankara estimait que l’aide n’avait abouti qu'à désorga-
niser, asservir et déresponsabiliser les Burkinabè dans leur espace éco-
418 Déclaration lors d’une conférence de presse donnée à Ouagadougou le 6 décembre 1985.
“SE Apollinaire Kyélem, “Aide, commerce et développement de l'Afrique, Nord-Sud
XXI, n° 7, Genève, 1995, p. 47-83.
#2 C£. Alfred Grosser, “L'Afrique, continent méprisé ?”, Croix,
La n° 34 365, Paris, 22
mars 1996, p. 14,
“21 Cf. Le Pays, n° 1907, Ouagadougou, 19 juin 1999, p. 13.
#2 Cf. Le Pays, n° 1950, Ouagadougou, 13 août 1999, p. 19.
210
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
que l'ingénieur agronome africain cherche une solution pour trouver une
espèce rare qui résiste à la sécheresse, lorsque les organisations interna
tionales et les pays sont là à courir après lui en lui demandant simplemens
de remplir une lettre de demande d'aide alimentaire ? On a transformé nos
ingénieurs et nos vétérinaires en écrivains publics et ils écrivent des lettres
de demande d'aide alimentaire ; et l'on a transformé les chefs d' "État afri
cains en quémandeurs. Sur cent discours de chefs d'État africains,
soixante-quinze sont consacrés à demander de l’aide alimentaire", »
315- Un autre aspect de l’aide extérieure est qu’elle peut être un moyen
d'exploitation subtil et efficace"/”. Jacques Foccart écrivait en 1983 :
« Selon une estimation du ministère du Gabon, pour 1F dévolu au Gabon
par les subventions de l’aide publique française, qui, pour l'essentiel,
vont à des organismes et à des compagnies françaises, la France retirait,
en 1979, 2,80F. Sur le plan des investissements privés, l'économie fran-
çaise, en 1979, a retiré environ 717F d'un apport initial de 66F, soit un
retour de 11F pour ÎF investi 2 » En 1999 on notait que, selon l'Office
fédérale des affaires économiques extérieures, la Suisse tirait de son aide
au développement qui était d’un montant de 1,9 milliard de dollars, un
bénéfice de 2,9 milliards de dollars. En outre, grâce aux actions de déve-
loppement, vingt mille emplois avaient été créés en Suisse dans les ad-
ministrations, les missions de coopération, dans des O.N.G. et dans des
entreprises qui bénéficiaient des contrats de fourniture d'équipement"?!
Toujours en 1999, l’Afrique était le continent où les Etats-Unis retiraient
le plus grand rendement de ses investissements au monde ; soit 22%
contre 13% en Asie, 12% en Amérique latine et 11% en Europe“ LA
316- Thomas Sankara estimait que l’aide n’avait abouti qu’à désorga-
niser, asservir et déresponsabiliser les Burkinabè dans leur espace éco-
#18 Déclaration lors d’une conférence de presse donnée à Ouagadougou le 6 décembre 1985.
#1 Cf. Apollinaire Kyélem, “Aide, commerce et développement de l'Afrique, Nord-Sud
XXI, n° 7, Genève, 1995, p. 47-83.
#2 C£. Alfred Grosser, “L'Afrique, continent méprisé ?”, La Croix, n° 34 365, Paris, 22
mars 1996, p. 14.
#21 Cf. Le Pays, n° 1907, Ouagadougou, 10 juin 1999, p. 13.
#2 Cf. Le Pays, n° 1950, Ouagadougou, 13 août 1999, p. 19.
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Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBELA
#3 Cf. Discours à la 39° session ordinaire de l'O.N.U., Carrefour africain, n° 852, Oua-
gadougou, 12 octobre 1984, p. 17.
#4 On peut regretter que rien n’ait été fait pour préserver la mémoire de ce personnage
qui a été le premier gouverneur de la colonie de Haute-Volta et qui, malgré tout, a jeté
rue, aucun
les bases de sa construction et de son développement. Sauf erreur, aucune
monument ne porte son nom au Burkina et il est ignoré des livres d’histoire. En dehors
de quelques historiens et de quelques érudits, Hesling reste totalement inconnu.
#5 Cf. T.M. Garango, Devoir de mémoire, op. cit., p. 67s.
211
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
ience de développement autocentré
4. KVÉLEM de TAMBËLA
A X
\
320- Beaucoup participaient avec conviction et détermination à
l'alimentation des “caisses”. Mais certains y voyaient aussi une occasion de
spectacle, de publicité et de vedettariat en voulant par la fréquence et/ou le
montant de leurs contributions se poser en “super révolutionnaires”. Chaque
mercredi, les diverses contributions enregistrées dans la semaine étaient por-
tées à la connaissance du public par le rapport du conseil des ministres qui
était diffusé par la radio nationale avant d’être publié par les journaux parais-
sant régulièrement qui n'étaient alors que deux, tous gouvernementaux : le
quotidien d’État Sidwaya et l'hebdomadaire Carrefour africain.
321- L'’opportunité même de la création des “caisses” n’était pas ac-
ceptée par tous. Bien que les contributions fussent volontaires, certains y
ont vu un moyen de plus pour rançonner les populations. Il est vrai que
des pressions politiques ou psychologiques pouvaient être exercées pour
obtenir des contributions “volontaires”. Toutefois, une telle initiative
semble nécessaire pour un pays sous-développé presque démuni qui vou-
drait se donner les moyens d’un développement autonome.
322- La construction d’une économie moderne nécessite l'appui d’un
réseau bancaire adapté, Le réseau bancaire qui existait était à l’image de
l’économie extravertie du pays. Il y avait un certain nombre de banques
commerciales"? et une Caisse nationale d'épargne (C.N.E.) Mais, excep-
tée la C.N.E. qui utilisait le réseau de la poste, les banques étaient con-
centrées dans les grands centres urbains et principalement à Ouagadou-
gou. Les commerçants et les salariés en étaient les principaux clients. De
par les capitaux et la gestion, elles étaient toutes pratiquement sous con-
trôle étranger“® et contribuaient essentiellement à favoriser l'émergence
#2 1] s’agissait de la Banque nationale de développement du Burkina (B.N.D.-B) au-
jourd’hui disparue, la Banque internationale pour le commerce, l'industrie et
l’agriculture du Burkina (B.I.C.L.A.-B), la Banque internationale du Burkina (B.LB.)
devenue United Bank of Africa (U.B.A.), la Banque pour le financement du commerce
et de l’industrie (B.F.C.I.) devenue Société générale de banques au Burkina (S.G.B.B.)
et actuellement Société générale Burkina Faso (S.G.B.F.), la Caisse nationale de crédit
agricole (C.N.C.A.) devenue la Banque agricole e ommerciale du Burkina (B.A.C.-B.)
aujourd’hui rachetée par ECOBANK, la Financière du Burkina (FI.B) devenue Coris
bank international, et la Société burkinabè de crédit automobile (SO.B.C.A.)
#30 Le capital de la B.I.C.L.A.-B se répartissait entre l’État (51%), la Banque nationale de
Paris (B.N.P.) (22%), la S.F.O.M. (23%) et des intérêts privés burkinabè (4%). Le capi-
213
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de dévelappement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA
tal de la B.LB. était réparti entre les intérêts burkinabè (60%) et ceux de la Banque in-
ternationale pour l'Afrique occidentale (B.I.A.O.), filiale du Crédit Lyonnais.
#U Comme l'achat de cyclomoteurs, de voitures particulières, d'articles ménagers,
d'équipements domestiques, etc.
“2 1] existe actuellement un réseau de caisses populaires qui s’étend sur presque tout le
pays. C’est sous l’influence des “credit unions” du Ghana voisin et avec l’assistance du
Canada qui possède une longue expérience en matière de coopérative d'épargne et de
crédit que les caisses populaires ont vu le jour en 1972 dans la province de la Buguriba
dans le sud-ouest, près de la frontière du Ghana. C’est à partir des années 1990 qu'elles
vont commencer à s’étendre sur l’ensemble du territoire. Sur ce sujet, cf. Ferdinand
Dabiré, “L'expérience des caisses populaires de la Bougouriba”, Carrefour africain, n°
1052, Ouagadougou, 9 septembre 1988, p. 11-15.
214
a
215
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA
ment (P.P.D.) qui s’étendait d’octobre 1984 à décembre 1985, dix millions
d’arbres devaient être plantés. 60% des objectifs ont été atteints.
435 Cf. Sennen Andriamirado, Sankara le rebelle, Paris, Groupe Jeune Afrique, 1987, p.
165.
4% Cf. Ordonnance n° 84-050/CNR/PRES du 4 août 1984 portant réorganisation agraire
et foncière au Burkina Faso. Décret d’application n° 85-404/CNR/PRES du 4 août
1985.
218
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
_Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA
une façon de les sécuriser, mais aussi de les responsabiliser. Ils sont
obligés d'enrichir la terre, de respecter les jachères, d'éviter la dévasta-
tion. En outre, la réforme foncière nous permet d'organiser l'occupation
des terres en fonction des objectifs de production que nous visons. Selon
la nature des terres, nous pouvons imposer les types de cultures, définir
les surfaces en conséquence, procéder aux aménagements, notamment
l'irrigation, et veiller à ce que les paysans aient de quoi entretenir ces
irrigations"?. » Le système foncier communautaire burkinabè d’alors et
de maintenant ne se prête pas à une agriculture intensive. Pour sa subsis-
tance, la terre est cédée par la communauté à l'exploitant qui n’en ac-
quiert pas la propriété. Il ne peut donc pas utiliser la terre à sa conve-
nance, par exemple planter des arbres fruitiers, les entretenir, fumer le
sol, faire de gros investissements, etc. Très souvent, quand l’exploitant se
risque à ce genre d'investissement, la terre peut lui être retirée ou alors il
lui est fait interdiction d’entretenir son investissement pour qu’à l'issue
de l'amortissement la communauté puisse à nouveau faire prévaloir en-
tièrement son droit de propriété sur la terre. Un tel système d’utilisation
des sols s’adapte difficilement avec l’agriculture moderne qui suppose
une certaine intensification et nécessite des investissements soutenus. La
réforme agraire du C.N.R. avait pour objectif de rompre avec ce système.
Des rencontres et des débats furent organisés par les autorités et leurs
relais, les C.D.R., pour expliquer aux populations, et surtout aux paysans,
le sens de la réforme. Mais d’une façon générale les populations n’ont
pas été intéressées par la réforme qui a eu très peu d’impact. Le système
traditionnel de propriété et d’exploitation des sols continue de s’appliquer
et ce, malgré la nationalisation du sol qui avait été décidée le 10 août
1984 pour accompagner la réforme agraire.
331- On peut se poser la question sur l’opportunité d’une réforme
agraire au Burkina, surtout au temps de la Révolution. La décision du
CNR. n’obéissait-elle pas d'avantage à des critères idéologiques que
pragmatiques ? À quelques exceptions près, le système actuel
d’exploitation de la terre correspond aux modes de vie des sociétés tradi-
tionnelles encore très peu affectées par le modernisme. Les techniques
agricoles restent très limitées. Des réformes peuvent être nécessaires dans
221
Thomas SANKARA et In Révolution au Burkina Faso
nce de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
#% Cf. Warren C. Baum, Stokes M. Tolbert, Investir dans le développement - Les leçons
de l’expérience de la Banque mondiale, Paris, Economica, 1987, p. 179.
## Edgard Pisani, La main et l'outil - Le développement du Tiers Monde et l’Europe,
Paris, Robert Laffont, 1984, p. 127-128.
222
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
propre exemple, soutenait que l’économie nationale des pays libérés de-
vait avoir des muscles d’acier et un cœur électrique puissant. Le besoin
d’industrialisation a été réaffirmé en avril 1980 à Lagos lors du premier
sommet économique de l'Organisation de l’unité africaine (O.U.A.)
342- Il apparaît maintenant de plus en plus que la priorité à la grande
industrie et à l’industrie lourde est inadaptée aux réalités des pays sous-
développés. La capacité d'absorption des pays sous-développés en pro-
duits de l’industrie lourde est relativement limitée. L'extension des capa-
cités de production au-delà d’un certain seuil n’a de sens que si les excé-
dents peuvent être exportés. Après deux plans quadriennaux
d’industrialisation accélérée, l'Algérie des années 1980 cherchait main-
tenant des gains de productivités dans l’éclatement en petites unités des
grands complexes de production précédemment créés“, Aucune compa-
raison n’est possible avec le processus d’industrialisation de l’Europe.
Comme le note J. Ki-Zerbo, « au moment où les pays européens entre-
prenaient leur industrialisation, au XIX° siècle, leur croissance démo-
graphique annuelle était de 1%, contre 2,5 à 3% aujourd'hui en Afrique.
En outre, ils bénéficiaient du pillage planétaire par la traite des Noirs et
la colonisation. Leur exode rural était induit par l'industrialisation au
lieu de précéder celle-ci. Les multinationales telles que celles qui domi-
nent aujourd'hui les pays retardés n'existaient pas"?. »
343- Pour fixer ses rapports avec le secteur privé et les capitaux étran-
gers, le C.N.R. adopta un nouveau code des investissements", Les béné-
ficiaires d’un régime privilégié étaient tenus de tenir leur comptabilité au
Burkina, de s’approvisionner par priorité en matières premières, matières
consommables et produits finis et semi-finis d’origine burkinabè,
d’employer en priorité les nationaux, de mettre en œuvre des procédés et
appareils techniques de lutte contre la pollution, etc. Le C.N.R. s'était
#46 Cf. Daniel Pineye, “Les relations économiques de l'U.R.S.S. avec l'Afrique septen-
trionale”, Problèmes économiques, n° 1701, Paris, 10 décembre 1980, p. 16.
#47 Joseph Ki-Zerbo, “Dynamiter la sémantique”, Afrique-Asie, n° 240, Paris, 25 mai
1981, p. 58.
48 Ordonnance n° 84-051/PRES/CNR du 7 août 1984 portant code des investissements
en République de Haute-Volta.
226
[| Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 9. KYÉLEM de TAMBÈLA
kinabè ne boivent pas la bière, mais tous les Burkinabè mangent chaque
jour. Il y aura de la bière premièrement à condition que les gens aient
fini de manger à leur faim, deuxièmement à condition que ce soit à partir
du mil du Burkina. Est-ce qu'un régime politique sérieux peut avoir
comme préoccupation principale le sort des buveurs de bière °°»
F) LA CONSOMMATION DE LA PRODUCTION NATIONALE
348- La politique économique du C.N.R. se fondait sur Le principe du
“consommer burkinabè”. Thomas Sankara l’expliquait en ces termes : «Sur
100F que l'on distribue au Burkina Faso sous forme salariale en ville, il
reste dans ce pays à peine 15F. Plus de 85% sont exportés. [...] Nous impor-
tons la plupart de nos matériaux de construction. Il n'y a que le sable, le
gravillon et les cailloux : encore que ces matériaux sont transportés à partir
de moyens que nous avons importés. Nos transports sont importés : voitures,
camions, pièces détachées, etc. Notre habillement est généralement importé.
Nos loisirs sont le plus souvent importés et notre alimentation est elle-même
importée.
Allons ! Nous avons l'impression que nous roulons pour les
autres. Il faudra que nous commencions à rouler pour nous-mêmes pour
rendre le Burkinabè plus heureux, pour résorber le chômage", » Dans
le sens du “consommer burkinabè” il avait été entrepris des mesures
d'incitation à la consommation des mets burkinabè dans les hôtels et les
restaurants. À la présidence du Faso, lors des cocktails offerts aux hôtes
de marque, ce sont les mets locaux qui étaient maintenant à l’honneur. La
conséquence directe fut que la gêne et les complexes disparurent et les
gens se mirent à consommer les mets traditionnels sans réserve. Depuis
ce temps, la confection des mets locaux n'a cessé de s’améliorer et ceux-
ci ne cessent de gagner du terrain jusqu’à s’imposer dans les réceptions
officielles et privées et dans le menu des grands hôtels.
349- C’est sur le fondement du “consommer burkinabè” que le 3 avril
1987, à la clôture de la deuxième Conférence nationale des C.DR., fut
prise par Sankara la décision d'interdire l'importation des fruits afin de
stimuler la production nationale. La mesure d'interdiction allait à
langue dioula ils sont connus sous le nom de Faso dan fani (F.D.F.)
c’est-à-dire vêtement fait à la main. Selon le communiqué du conseil des
ministres du même jour, « Porter les tenues burkinabè c'est aussi une
action de lutte économique pour la défense de notre production nationale
de coton face à la concurrence déloyale qui nous est imposée de
l'extérieur. Acheter et s'habiller avec les tissus venus de l'extérieur, c'est
contribuer au fonctionnement rentable des usines des autres, c'est aider
les autres à donner du travail à leurs chômeurs en entretenant le chô-
mage chez nous. C'est alimenter les tensions sociales chez soi en les évi-
tant pour les autres. » Pour donner l’exemple, Sankara se mit lui-même à
porter rien que du faso dan fani et le fit adopter par l’armée.
351- Le port du faso dan fani était recommandé uniquement aux pre-
miers responsables de l’État et aux responsables des C.D.R. et seulement
dans les services et pendant les cérémonies officielles. 11 semblait normal
que l’exemple vint des premiers serviteurs du régime ; avec le phéno-
mène naturel et courant d'imitation du sommet par la base, leur compor-
tement pouvait avoir un effet d’entraînement. Bien que la mesure fût ain-
si circonscrite, elle rencontra beaucoup d’hostilité de la part des per-
sonnes concernées. Il était reproché au faso dan fani d’être peu esthé-
tique, ce qui était vrai mais seulement en partie. Tout dépend des élé-
ments de comparaison, car certains tissus /aso dan fani était bien plus N
beaux que des tissus importés. L’hostilité au faso dan fani semblait plutôt
venir de sa fonction d’uniformisation sociale : dans les services et dans
les cérémonies officielles il devenait difficile de se faire distinguer par la
tenue vestimentaire ; de même le faso dan fani faisait que le ministre ou
le haut fonctionnaire se présentait en public presque comme n’importe
quel citoyen, fut-il un simple paysan.
Pour accroître l'impact du faso dan fani, il fut ensuite simplement
demandé, sans aucune contrainte formelle, aux journalistes de la télévi-
sion, de se présenter sur le plateau, habillés en faso dan fani.
352- Pour saisir l'importance de la mesure sur le port du jaso dan fani,
il convient de rappeler que chaque année, pendant que les produits tex-
tiles nationaux traînaient sur les places des marchés, les importations de
tissus s’élevaient à environ neuf milliards de francs C.F.A., sans oublier
que l’État subissait à l’époque les effets de la chute des prix et de la mé-
231
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
x
guerre de sécession, président des Etats-Unis. Il déclara alors : « Pendant
des siècles l'Angleterre a pratiqué le protectionnisme, elle l'a poussé à
l'extrême et en a obtenu des résultats satisfaisants. Il ne fait pas de doute
qu'elle doit sa force actuelle à ce système. Depuis deux siècles, elle a
jugé profitable d'adopter le libre-échange, car elle pense que le protec-
tionnisme ne peut plus rien lui apporter. Alors, très bien, messieurs, la
connaissance que j'ai de mon pays me porte à croire que dans deux cents
ans, lorsque l'Amérique aura tiré du protectionnisme tout ce qu'il peut
lui offrir, elle adoptera également le libre-échange". »
355- Joignant la pratique à la théorie, par tous les moyens, les Etats-Unis
ont encouragé l’éclosion et le développement d’une industrie nationale puis-
sante et protégée. Ainsi le Massachusetts subventionnait les producteurs de
chanvre pour les cordes et les cordages et encourageait la fabrication locale
des voiles. De cette façon, des chantiers prospères s’installèrent tout au long
des côtes. On stimulait la culture du lin et la production de la laine et comme
les encouragements à la production textile paraissaient ne pas donner de résul-
tats suffisants, la contrainte fut instituée. En 1655 déjà, une loi menaçait
chaque famille de sanctions graves si elle ne comptait pas au moins un fileur
en activité assurant une production intense. En Virginie chaque comté était
obligé de désigner des enfants aptes à l’apprentissage dans l’industrie textile.
L’exportation des cuirs était interdite : ils devaient être transformés localement
en bottes, en courroies, en harnais, En 1890 le Congrès vota le tarif McKinley,
ultra protectionniste et en 1897, la loi Dingley releva les droits de douane "7.
C’est seulement à partir de la Seconde guerre mondiale que les Etats-Unis
commencèrent à prôner la doctrine du libre-échange, de la liberté commer-
ciale et de la libre concurrence, mais pour la consommation extérieure. Leur
objectif est d’obtenir l’ouverture des marchés des autres pour leurs produits ;
leur politique économique restant rigoureusement protectionniste.
#55 Cf. Eduardo Galeano, Les veines ouvertes de l’Amérique latine - Une contre histoire,
Paris, Plon, 1981, p. 280.
#56 Cf. André Gunder Frank, Capitalism and Underdevelopment in Latin America, New
York, 1967. Cité par E. Galeano, op. cit. p. 277.
#7 C£.E. Galeano, op. cit., p. 278 et 281.
233
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
234
a ——
D CONCLUSION
361- Le bilan partiel de la politique économique du C.N.R. a été fait
par la Banque mondiale qui, dans un rapport du 5 décembre 1989%5* note
que sous le C.NR., l’agriculture a enregistré un taux de croissance
Tropicaux,
465 CE. René Otayek, “Burkina Faso : Les raisons d'une victoire”, Marchés
Les politiqu es économi ques du
n° 2438, Paris, 31 juillet 1992, p. 2036-2037 ; P. Zagré,
Burkina o, op. cit., p. 167-170.
#66 Jean-Pierre Cot, Préface à P. Englebert, La Révolution burkinabè, op. cit., p. 6.
237
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
ce de développenient autocentré
ed. KVÉLEM de TAMBËLA
tion de la régie des transports A9 et aussi à la baisse des prix de vente aux
consommateurs des produits alimentaires de base.
Ill- La politique sociale du C.N.R.
La politique sociale du C.N.R. a concerné la culture (A), l'éducation (B),
la santé (C), l'urbanisme et le logement (D), la promotion de la femme
E), la promotion de l'emploi (F), la lutte contre la mendicité (G), et la
promotion du sport (H).
A) LA CULTURE
363- La culture est un domaine sensible. Elle est le socle de toute so-
ciété. Elle est ce que chaque société a produit comme moyen de résis-
tance, d’adaptation et d’évolution par rapport à son propre contexte histo-
rique et environnemental et aussi comme moyen d’explication de la
complexité de son environnement. Elle est l’émanation de la somme des
expériences vécues par la société et elle en constitue le fondement et
l'identité. Ce qui concerne une société doit se faire à partir de sa culture.
Il est donc difficile d'entreprendre une politique de développement sans
tenir compte de la culture. Pour faire de la culture un levier du dévelop-
pement (3), le C.N.R. a voulu remettre en cause les formes de pensée (1)
tout en cherchant à promouvoir une culture authentique, en évitant le
piège du chauvinisme culturel (2).
1- La remise en cause des formes de pensée
364- Dans un monde caractérisé par une domination économique et
culturelle de l'Occident, les populations des pays sous-développés éprou-
vent des difficultés à conserver leur identité. Tiraillées entre les réfé-
rences à la tradition évanescente et la culture étrangère qui s’impose par
tous les moyens et s’appuie sur leurs dirigeants qui s'appliquent à un
mimétisme parfois ridicule de l'Occident, ces populations, dans une
désespérante confusion mentale, en dernier ressort, s’abandonnent aux
normes de la culture étrangère. Après tout, la tradition dont les témoins
disparaissent au fur et à mesure, relève elle-même d’un passé auquel les
jeunes, surtout des villes, ne se sentent pas toujours concernés, alors que
la culture étrangère est omniprésente. En l'absence de la part des diri-
geants d’une confiance en eux-mêmes et d’un dynamisme créateur,
238
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
l’occasion de trouver une voie originale pour chaque peuple basée sur la x
tradition et l'ouverture aux autres civilisations a été manquée dans la plu- x
paït des pays sous-développés,et surtout dans les pays d’Afrique noire. X
Chaque jour les normes étrangères prennent davantage de place dans la
vie des peuples dominés qui, de plus en plus, s’identifient à elles, les in-
tériorisent pour les sécréter ensuite comme si elles provenaient d’eux-
mêmes“. Dans ces conditions, pour qu’un peuple dominé se mettent à
travailler pour lui-même, il devrait d’abord prendre conscience de son
aliénation, du fait que ses aspirations profondes, loin d’être dans les mi-
roirs aux alouettes véhiculés par les éléments de la culture étrangère, sont
parfois simples et à sa portée et que ses intérêts ne sont pas toujours en
harmonie avec les attraits de la civilisation dominante. Il devrait réap-
prendre à penser de lui-même et pour lui-même.
365- Dès le lendemain de son accession au pouvoir, Sankara avait af-
firmé que sa principale préoccupation était de transformer la façon d’être
et de penser des Burkinabë*%, C’est pour contribuer à décoloniser et libé-
rer les mentalités que le 4 août 1984, à l’occasion du premier anniversaire
de la Révolution, le nom du pays a été changé". À ce sujet Sankara
s’explique : « le nom Haute-Volta ne répondait ni à des critères géogra-
phiques ni à des critères sociologiques ou culturels”. » À l’intérieur du
#7 En 1377, Ibn Kaïldoun écrivait : « Les vaincus veulent toujours imiter le vainqueur
dans ses traits distinctifs, dans son vêtement, sa profession ef toutes ses conditions
d'existence et de coutumes. La raison en est que l'âme voit toujours la perfection dans
l'individu qui occupe le rang supérieur et auquel elle est subordonnée. Elle le considère
comme parfait, soit parce que le respect qu'elle éprouve [pour lui] lui fait impression,
ou parce qu'elle suppose faussement que sa propre subordination n'est pas une suite
habituelle de la défaite, mais résulte de la perfection du vainqueur.
Si cette fausse supposition se fixe dans l'âme, elle devient une croyance ferme.
L'âme alors, adopte toutes les manières du vainqueur et s'assimile à lui. » Cf. Francis Hallé,
Un monde sans hiver — Les tropiques, nature et sociétés, Paris, Seuil, 1993, p. 281.
#% Dans son Discours programme du 1* mai 1981, Saye Zerbo déclarait déjà : « C’est
pourquoi, en fout premier lieu, s'impose la décolonisation de nos mentalités longtemps
acquises à l’idée de la “pauvreté presque irréversible de la Haute-Volta” que d'aucuns
se plaisent à accréditer. » Op. cit. p. 9.
%? Cf. Ordonnance n° 84-043/CNR/PRES portant changement d’appellation et symbole
de la nation.
#70 C’est de l’époque des explorations portugaises que viendrait le nom Haute-Volta.
Arrivés sur les côtes de l’actuel Ghana, les Portugais auraient entrepris de remonter un
239
Thomas SANKARA et [a Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÉLA
fleuve pour poursuivre leur exploration. À un certain niveau la navigation devint impos-
sible. Ils rebroussèrent chemin et appelèrent le fleuve rio da volta c’est-à-dire le fleuve
du retour. Selon F. Guirma, c’est lors de la recherche d’une voie navigable vers les
Indes au XV° siècle que les Portugais retiennent comme point de repère, dans le Golfe
de Guinée, l’embouchure d’un fleuve où ils se retrouvent à leur retour des parages du
Cap de Bonne Espérance. Ils nomment alors le fleuve rio da volta. Cf. F, Guirma,
Comment perdre le pouvoir ?, op. cit., p. 13. La Haute-Volta dans ce contexte signifie
simplement la partie haute du fleuve du retour.
“7 Léopold Sedar Senghor, “Négritude et Vaugelas”, Le Monde Paris, 19 août 1985.
240
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire $, KYÉLEM de TAMBËLA
Français et les Français. Ce qui n’a rien à voir avec les règles grammati-
cales de la langue française. La critique de Senghor s’inscrit dans le cadre
de sa pensée générale. Selon Sada Niang, « Le français, pour Senghor
écrivain, c'est la lumière qui vient éclairer et mettre en ordre ses pensées
“africaines” informes. C’est la bouée de sauvetage à laquelle tout écri-
vain africain sombré dans le gouffre des pensées africaines qu'il veut
exprimer, ne peut tourner le dos"®. » Pourtant des écrivains franco-
phones comme David Diop et anglophones comme Chinua Achebe, Ga-
briel Okara et Victor Stafford Reid ont mis en garde critiques et écrivains
contre les conséquences idéologiques de l’acceptation inconditionnelle de
la langue du colonisateur.
367- Les observations de Senghor ont provoqué des réactions multiples
au Burkina. Pour L Sawadogo, l’erreur de Senghor est de tenter
d'analyser Burkina Faso et Burkinabè comme à la coloniale William
Pont”? alors que les Burkinabè n’avaient nullement l'intention de co-
pier une quelconque grammaire, fut-elle française. Le nom du Burkina,
poursuit-il, « ne se décidera pas à l'Académie française [...] Tout en me-
surant l'apport du français dans notre société, nous n'avons gueune rai-
X
son de remorquer nos valeurs culturelles à la traîne du français"" .» NM.
Tiendrebéogo estime que «si au Canada on parle de Canadiens et non de
Canadais, si au Sénégal on parle de Sénégalais et non de Sénégaliens, au
Burkina nous avons le droit de parler de Burkinabë*", » Le changement de
nom du pays et la charge culturelle qu’il comporte eurent pour effet de provo-
quer des débats contradictoires au sein des dirigeants et des cadres ivoiriens,
certains voulant aussi le changement du nom de leur pays pour lui donner un
contenu local. Le président ivoirien, Houphouët-Boigny, trancha en décidant
du maintien du nom. Mais, le 14 octobre 1985, il protestait officiellement
contre les différentes traductions que l’on faisait du nom de son pays 6 et
précisait que «/a Côte d'Ivoire est un nom propre qui n'a pas à être tra-
duit, La Côte d'Ivoire c'est la Côte d'Ivoire.»
368- Dans un pays à majorité analphabète, sa désignation par des
termes étrangers ne fait que renforcer l’aliénation de la population. Par
contre, Burkina Faso et Burkinabè - pour désigner le citoyen - qui pro-
viennent des langues nationales, instaurent dans la mentalité du citoyen
une sorte d’identification, de confiance et de paix intérieure en ce sens
qu’il n’aura plus à se tourmenter pour savoir comment prononcer le nom
de son pays et comment il doit s’appeler en tant que citoyen. Bien avant
* le Burkina, le désir d’affirmer leur identité avait déjà conduit des pays a
* changé de nom. C’est ainsi qu’à l’accession à leur indépendance la Gold
Coast est devenue le Ghana en 1957 et le Soudan français, le Mali en
1960. Sous le prétexte de retour à l’authenticité, le dictateur Mobutu
donna en 1971 le nom de Zaïre à la République démocratique du Congo
(R.D.C.). À sa chute en mai 1997, le pays reprit le nom qu’il avait aban-
donné. En 1975, sous la houlette de Mathieu Kérékou, le Dahomey deve-
nait le Bénin. En 1980, à la faveur de l’accession au pouvoir des combat-
tants nationalistes, la Rhodésie devint le Zimbabwe. On peut au contraire
relever le paradoxe pour un pays comme le Congo qui a vécu de nom-
breuses années sous un régime dit révolutionnaire, de conserver à sa ca-
pitale le nom de Brazzaville®7, en souvenir de l’explorateur français
Pierre Savorgnan de Brazza, celui-là même qui traça la voie de la domi-
nation du pays par les puissances étrangères.
369- Le changement de nom du pays a généré des ressources nouvelles
pour l’État, Le renouvellement des documents (actes de naissance, certi-
ficats de nationalité, cartes d'identité, passeports, cartes grises, etc.) a
occasionné des frais de dossier, de timbres fiscaux et d’enregistrement.
Pour limiter le coût de l'opération pour PÉtat, les timbres qui portaient
l'inscription Haute-Volta furent vendus jusqu’à épuisement des stocks. Les
anciens papiers à en-tête furent entièrement utilisés et on utilisa également
les anciens tampons des services publics et parapublics jusqu’à leur amortis-
sement.
7% La Côte d'Ivoire donnait en anglais Ivory Coast, en espagnol Costa de Marfil, etc.
“77 C’est en juillet 1881 que le village de Mfoa a pris le nom de Brazzaville.
242
se |
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autogentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA
mn
\370- L’hymne national fut aussi changé pour lui donner un contenu plus
sociétés fu-
mobilisateur et plus dynamique". Dans la foulée beaucoup de
Volta
rent rebaptisées M et les trois grands fleuves du pays qui s’appelaient
noire, Volta blanche et Volta rouge ont, à partir de 1986 pris respectivement
1959,
| les noms de Mouhoun, Nakambé et Nazinon. Le 11 décembre
adop-
| l’Assemblée territoriale devenue ce jour-là Assemblée nationale, avait
des trois
| té les couleurs du drapeau national qui, reprenant les couleurs
noire,
| fleuves, était composé de trois bandes horizontales de couleurs
F.
| blanche et rouge. Certains en avaient trouvé une autre explication. Pour
africain et
Guirma, « le drapeau voltaïque est noir parce que le peuple est
dignité,
de race noire", blanc parce que ce peuple aspire à la liberté et à la
au
à l'honneur et au respect de l’homme, rouge enfin parce qu ‘il est prêt
et de ses droits®3l, » Sanka-
sacrifice suprême pour la défense de ses libertés
milieu |
ra fit adopter un autre drapeau de couleurs rouge et vert frappé au
du
d’une étoile jaune à cinq branches. Le rouge symbolise l'engagement
symbo-
peuple jusqu’au sacrifice pour son bonheur et son honneur. Le vert
lise les promesses de la nature et de l’agriculture. L'étoile jaune symbolise
un avenir radieux.
2- La promotion d'une culture authentique
371- Il est difficile de parler de culture authentique dans la mesure où
d’imitations.
toute culture est le résultat d’un ensemble d'emprunts et
du Bur-
48 C£ Ordonnance n° 84-43 bis C.N.R/PRES du 2 août 1984 portant hymne national
Niyé.
le Di-Taa-
kina Faso, Joumal officiel, 16 août 1984, p. 805. L’hymne national est
voltaïques
4 À tire d'exemple : La Soremi devint la Soremib. Les Grands moulins Société
(G.M.B.). La
(G.M.V.) devinrent Fasomougou puis les Grands Moulins du Burkina
Société voltaïqu e d'électri cité (Voltélec)
voltaïque des textiles (Voltex) devint Faso Fani. La
devint la Société nationale burkinabè d’électr (Sonabél). La Société voltaïque de com-
imerce (Sovolcom) devint Faso Yaar. La Société national e voltaïque du cinéma (Sonavoci)
et de
devint la Soi nationale de cinéma du Burkina (Sonacib). La Société de construction
gestion immobil ière
gestion immobilière (Socogim) devint la Société de construction et de
(Socogib ). Air Volta devint Air Burkina. La Banque intemati onale des Volta
du Burkina
(B.LV.) devint la Banque internationale du Burkina (B.L.B.), etc.
race,
40 Des recherches ont montré que tous les êtres humains appartiennent à la même
Ia race humaine. Ii est donc absurde de parler de race noire ou de race blanche.
48 F, Guirma, Comment perdre le pouvoir, op.cit., p. 116
243
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KVÉLEM de TAMBËLA
Aucune culture humaine n’a surgi du néant. La civilisation de l'Égypte
pharaonique qui semble avoir été la plus prestigieuse de Antiquité par le
gigantisme et le raffinement de ses monuments, tire sa substance des
ci-
vilisations du Sahara avant son assèchement, de celles de la vallée du Nil
et de l’apport des peuples asiatiques. Peut-on parier d’une culture authen-
tique au Burkina alors que le Burkina lui-même est une création de la
colonisation‘? et que le mot “burkina” est un emprunt du sonrhaï qui est
une culture étrangère aux sociétés burkinabè ? Dans la mesure où les
différentes ethnies qui composent le pays ne pourraient pas se com-
prendre sans l'intermédiaire d’une langue qui est même étrangère à
l'Afrique : le français ? Peut-on parler d’une culture authentique au Bur-
kina quand la vie quotidienne du plus humble des citoyens est rythmée
par l'utilisation et la consommation de produits dont ses ancêtres igno-
raient tout : des origines aux procédés de fabrication ?°%
372- Chaque société cependant finit par se forger une culture en fonc-
tion de ses spécificités géographiques et historiques. La culture n’est
pas
statique. Elle est un produit évolutif d’une société dont la manipulation
demande beaucoup de sagesse. Il s’agit de pouvoir déterminer le rythme
et la capacité d’absortion des éléments étrangers par la société sans que
cela ne provoque une déstabilisation psychologique de la majorité. Toute
précipitation ou maladresse en la matière est porteuse de crises futures.
Néanmoins, pour un développement autocentré, la rupture préalable - qui
n’est pas l’autarcie - est souhaitable non seulement sur le plan écono-
mique mais aussi sur le plan culturel. Mais, avertit Ki-Zerbo, « rompre
avec l'extérieur alors qu'on est déraciné à l'intérieur, ne réserve qu'un
seul sort, celui de l'épave ; [...] seul l'arbre enraciné peut résister et
grandir pour soi-même". » La rupture s’impose afin de surmonter
le
phénomène de l’auto colonisation qui signifie que « le partenaire soumis
ou dépendant accepte volontairement les systèmes de valeurs, les formes
t ainsi
de comportement et les schémas de pensées extérieures, rendan
nt 5.» Dans
superflu l'exercice de la contrainte par le partenaire domina
phénom ène de l’auto coloni-
des termes assez crus, Rapp Brown décrit le
1960 :
sation au sein de la population noire de l’Amérique des années
rer à
« Les nègres (c’est-à-dire les Noirs américains qui tentent de s’intég
r ce qui
la société blanche en la mimant) onf beaucoup de mal à accepte
par les
est Noir à moins que cela ne soit considéré comme légitime
cheval, y col-
blancs. (..) Si les blancs mettaient en paquets du crottin de
laient une étiquette et faisaient de la publi à la TV pour le “crottin de
a dit
cheval en barbecue”, les nègres l'achèteraïent parce que le blanc
ap-
que c'est bon. Mais il en sera ainsi aussi longtemps que le pouvoir
pas le contrôl e est une
partiendra aux blanes. Tout ce dont vous n ’avez
de
‘arme contre vous%6. » Sur le plan culturel, la rupture offre l’occasion
ie avec
se replacer dans ses propres valeurs pour s'organiser en harmon
ses propres conceptions de la vie et de la société.
est
373- Le détour par la culture pour appréhender le développement
une prise
nécessaire si l’on ne veut pas se tromper sur le sujet. Il permet
dévelo ppemen t. Il per-
de conscience de la spécificité des aspirations au
vers un
met d'utiliser les moyens qu’offre la culture pour s’acheminer
contes,
mieux-être. Le patrimoine culturel burkinabè regorge de
de pro-
d’anecdotes, de devinettes, de chansons populaires, de poèmes,
de.
verbes, de paraboles et d’histoires plus ou moins tombés en désuétu
l’identi té
Leur revalorisation peut aider à restaurer la fierté et à renforcer
à
culturelle. La reconnaissance de ses propres valeurs est un frein
l’aliénation et une base pour un développement autocentré.
374 La promotion d’une culture “authentique” n’est pas synonyme de
un
chauvinisme culturel. Le chauvinisme culturel peut être défini comme
est le plus souven t
attachement excessif à sa propre culture. Il
Il
l'expression d’une frustration et peut être rattaché au mal de l'âme.
dévore celui qui le porte et par extension, trouble la sérénité de ceux qu’il
le faire.
#5 Roy Preiswerk, Relations interculturelles et développement - Le savoir et pement,
du dévelop
Paris, Presses Universitaires de France ; Genève, Institut d’études
1975, p. 64. Éditions
4% Cf. Philippe Carles et Jean-Louis Comolli, Free jazz / Black power, Paris,
Champ Libre, coll. 10/18, 1971, p. 27.
245
ence de développement autocentré
J. KYÉLEM de TAMBÉËLA
“#7 Dans ce sens, cf. Fox Butterfield, La Chine, Paris, France Loisirs, 1983.
246
ce N
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
rmation par
domination des moyens de communication et d’info
pas
l'Occident et le progrès des médias, l’autarcie culturelle n’est même
en mesure
possible pour un pays sous-développé. Il convient donc d’être
n’est pas
de s’ouvrir sans disparaître mais plutôt en s’enrichissant. Si l’on
culturel
préparé à cela, il peut en résulter soit une forme de chauvinisme
arabo-
(l'intolérance, l’intégrisme ou le fondamentalisme dans les pays
tre au niveau de
musulmans), soit une forme d’aliénation que l’on rencon
s françaises
la classe moyenne et des élites de certaines anciennes colonie
et dans les populations non blanches des départements et territoires fran-
çais d'outre-mer. Dans les pays dominés, la peur de se remettre en cause
é
ou de s’ouvrir sans disparaître a souvent conduit les élites à une rigidit
certi-
de la pensée et à une sclérose intellectuelle accrochées à de fausses
tudes rassurantes. Comme l’ont écrit M. et R. Weyl, «Le dogmatisme
peut parfaitement être la recherche d'une consolation ou d'un camou-
flage d’un échec de la démarche scientifique. »
3- Culture et développement
377- C’est par la culture qu’on se réalise. Celui qui ne sait pas qui il
sait pas d’où il
est, ne sera jamais heureux avec ce qu’il a ; et celui qui ne
de sens
vient, ne saura aller nulle part. Le développement n’a donc pas
qui constit ue le
pour qui ne sait pas qui il est. Tout part donc de la culture
pouls de l'individu et de la société. Culture et développement sont deux
aspects complémentaires d’une même problématique. Selon E. Pisani,
ppement tan-
« la culture est le moteur et surtout le régulateur du dévelo
créa-
dis que le développement favorise l'accroissement des potentialités
cultu-
trices, la participation des hommes à la création des valeurs
relles*®, » Pour Joseph Ki-Zerbo, la culture est la matrice du développe-
ment. Certains pourtant pensent le contraire. Ainsi, John Kenneth Gal-
on-
braith considère la destruction préalable de l'identité culturelle traditi
Une agricul -
nelle comme une condition du développement économique,
ture puissante et productive, une industrie organisée, une structure com-
on-
merciale efficace sont incompatibles avec les relents de culture traditi
th
nelle qui entravent la marche vers le progrès. En conséquence, Galbrai
préconise le “dynamitage culturel” selon l'expression employ ée par Jean-
J.C.C. les années paires. La quatrième édition du Fespaco eut lieu donc en 1973. En
1975, du fait des suites du conflit frontalier Mali-Burkina, le Fespaco n’eut pas lieu. La
cinquième édition eut donc lieu en 1976. Pour renouer avec les années impaires, la
sixième édition eut lieu en 1979 et depuis sans interruption.
Sur l’origine et les causes de la création du FES.PA.C.O. cf. : -$. Lamizana, Surla
brèche trente années durant, op. cit., p. 244 -246, -Clément Tapsoba, “Histoire du cinéma au
Burkina Faso”, in Yénouyaga Georges Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de-), Bur-
kina Faso — Cent ans d’histoire, 1895-1995, Paris, Éditions Karthala, 2005, 1.2, p.2178-2181.-
: L'Observateur Paalga, n°7331, Ouagadougou, 27 février-1° mars 2009, p. 3.
*Ÿ Ces édifices sont maintenant laissés à l'abandon du fait de la crise de l’industrie
cinématographique et du manque de volonté politique.
500 On peut citer : l'Institut fondamental d’Afrique noire (I.F.A.N.) de Dakar, devenu Institut
Cheikh Anta Diop; l’Institut culturel africain (1.C.A.} qui comporte un centre de recherche et
de documentation (C.RE.DOC.) à Dakar et un centre de recherche et d’action culturelle
(CR.A.C.} à Lomé ; le Centre des arts et civilisations négro-africans de Lagos ; le Centre
international des civilisations bantoues (C.I.CI.BA.} à Libreville ; le Centre d’études linguis-
tiques et historiques pour tradition orale (C.É.L.H.T.O.) de Niamey.
252
À Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
à trans-
lesquels nous, peuples noirs du monde, nous entendons contribuer
une vaste commun auté où règne
former le monde contemporain pour en faire
ité et une
la paix, la tolérance, la justice sociale, la prospérité et la fratern
en fan-
interdépendance équilibrée” !» Malheureusement, après un départ
la disparit ion de
fare, l'LP.N. devait peu à peu sombrer dans la léthargie après
tota-
Sankara pour ne plus exister que de nom avant sans doute de disparaître
lement”.
B) L'ÉDUCATION |
L'éducation est un facteur clef du développement (1). Aussi, après avoir
dressé un bilan du système éducatif (2), le C.N.R. s'était engagé à faire
face aux problèmes auxquels il était confronté (3).
1- Éducation et développement
384- L'éducation est la transmission progressive à une personne de con-
n
naissances, d'expériences et de sagesse nécessaires pour sa meilleure insertio
non
dans la société. On parle d’une bonne éducation quand celui qui l’a reçue
ter et se
seulement sait se débrouiller dans la vie, mais aussi sait se compor
ion
faire apprécier en société. L'éducation est donc différente de l’alphabétisat
et à écrire. Elle est
qui consiste simplement à apprendre à une personne à lire
ttre
également différente de l'instruction qui consiste uniquement à transme
connais sances à |
soit oralement, soit par écrit, soit par tout autre moyen des
de
une personne. L’alphabétisation et l'instruction ne sont que des aspects
l'éducation et des moyens par lesquels elle peut se faire. Vu sous cet angle,
et de son
chaque personne, à partir de l’enfance, en fonction de ses origines
peut
milieu social reçoit, directement ou indirectement, une éducation qu’elle
respecter ou pas. AVEC l'avènement des Temps Modernes à l'issue du Moyen-
alphabéti-
Âge et la généralisation de l'écriture, il est devenu évident que sans
le rythme
sation et sans instruction, il est difficile, voire impossible de suivre
ent
de l’évolution du monde. C’est ainsi que petit à petit s'est opéré un glissem
alphabé tisatio n
du sens du mot éducation qui de nos jours se réduit souvent à
sait se
et instruction. Celui qui sait se débrouiller dans la vie, a le savoir-vivre,
r africain, n°
Si Cf. Yirzaola Méda, “L'ZP.N. un “symbole réunificateur”, Carrefou
933, Ouagadougou, 2 mai 1986, p. 20.
#02 N] a depuis cessé d'exister, même dans les mémoires.
253
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
comporter en société et se faire apprécier, mais qui ne sait ni lire ni écrire est
maintenant considéré comme non éduqué.
385- De nos jours, l’instruction et l’éducation se faisant le plus souvent
par le canal de l’alphabétisation, l’analphabétisme est un obstacle majeur
au développement. Selon P. Bairoch, «Si, pour les pays actuellement
développé, le démarrage a pu s'accomplir sans être handicapé par le
niveau d'analphabétisme de la population, c'est que des conditions tota-
lement différentes existaient au début du XIX * siècle ; la technique utili-
sée dans l'industrie d'alors était sommaire et surtout basée sur des rela-
tions causales et simples. Aujourd'hui il en est autrement, la science a
pris une place prépondérante dans la technique et, par là, dans la vie
économique et industrielle en particulier. C'est pourquoi la question de
l'analphabétisme a actuellement un aspect différent de celui du début du
XIX' siècle, et c’est la raïson pour laquelle - à juste titre d'ailleurs -
l'accent est mis aujourd’hui sur ce problème dans les pays en voie de
développement 03.» Dans la situation politique et administrative actuelle
du Burkina, la démocratie, élément indispensable au développement,
puisqu'elle suppose la participation de chacun en fonction de ses aspira-
tions et de ses capacités, est impossible sans une large alphabétisation. Le
discours politique se fait en français qui est également la langue de
l’administration. Une population qui n’est pas alphabétisée dans cette
langue ne peut pas pleinement participer à la gestion des affaires du pays.
On peut avoir une belle Constitution avec des institutions merveilleuses,
s’il y a seulement une minorité pour savoir lire et écrire dans la langue de
travail et la langue de rédaction de ladite Constitution, tout se passera
uniquement au sein de cette minorité. C’est la raison pour laquelle les
populations rurales notamment, mais aussi celles des villes secondaires,
ont été plus ou moins indifférentes aux changements politiques interve-
nus au Burkina depuis son indépendance.
386- La question de la langue de l’enseignement se pose avec acuité.
Pour une formation qui se voudrait utile à la population, certains contes-
tent l’utilisation à cet effet d’une langue étrangère. C.A. Diop écrit
qu’ «Il est plus efficace de développer une langue nationale que de culti-
africaine,
S% Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture, 3° édition, Paris, Présence
1979, 12, p. 415.
Au Burkina, un rapport d'évaluation établi en 1983 par l'Institut de la réforme
et de l’action pédagogique (I.R.A.P.) confirme cette analyse. C£. Fernand Sanou, “Poli-
tiques éducatives du primaire du Burkina Faso de 1900 à 1990” in Yénouyaga Georges
Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de-), Burkina Faso — Cent ans d’histoire,
1895-1995, Paris, Éditions Karthala, 2003, 1.2, p. 1727-1728.
505 JP, Cot, À l'épreuve du pouvoir, op. cit. p. 180. Cependant, les Africains eux-
es qu’ils
mêmes non pas toujours apprécié l’enseignement dans les langues maternell
éducatio n et
trouvent moin valorisant, Dans ce sens, cf. Fernand Sanou, “Colonialisme,
d'histoire , 1.2, op. cit., p.
langues : hier et aujourd'hui”, in Burkina Faso — Cent ans
1803-1804.
255
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA
5% En 1976, un bilan du système éducatif avait déjà été fait. Cf. Fernand Sanou, “Pobi-
tiques éducatives du primaire du Burkina Faso de 1900 à 1990”, op. cit., p. 1724-1725.
Sans doute que le C.N.R s’en est inspiré.
507 Cf, Yves Berthelot et Giulio Fossi, Pour une nouvelle coopération, Paris, Presses
Universitaires de France, 1975, p. 105.
8 Cf. Carrefour africain, n° 923, Ouagadougou, 21 février 1986, p. 14.
256
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
la moitié des enfants qui vont D à l’école sont renvoyés du système avant
5 9
d’avoir acquis les simples notions d alphabétisation”®. .»
. D D 1
D .
le
513 Généralement, ceux qui sont formés jusqu’au niveau du baccalauréat quittent rarement
pas néces-
pays. Jusqu’à ce niveau donc, la reconnaissance internationale du diplôme nest
préparati on ou de “mise à niveau” pour les
saire. Il suffirait alors de prévoir un système de
candidats à des études supérieures à l'étranger.
514 C£ Carrefour africain, n° 958, Ouagadougou, 24 octobre 1986, p. 16.
, n° 958, op.cit.
259
Thomas SANKARA et la Révolution an Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBÈLA
394- On peut toutefois se poser des questions sur l'impact réel d’un
système d'enseignement sur l’évolution d'une société. L’être humain
étant libre par essence, il est capable de faire d’une chose son contraire
ou de la transformer pour ladapter à ses besoins et à ses projets.
L’enseignement, quel qu’en soit le système, est avant tout un moyen et
non une fin en soi. Ceux qui ont mené les luttes d’indépendance au Viet
nam, en Algérie, au Cameroun, au Ghana, en Angola, au Mozambique,
en Guinée-Bissau étaient formés dans le système d'enseignement du co-
lonisateur. La Fédération des étudiants d'Afrique noire en France
(.É.A.N.F.) qui fut l’un des mouvements les plus virulents dans la lutte
contre le colonialisme et l'impérialisme a été fondée à Bordeaux, dans le
giron même du colonisateur français. Les acteurs de la Révolution burki-
nabè ont été eux-mêmes formés dans le système dont la pertinence était
contestée. On est ainsi amené à penser que le système d'enseignement,
s’il peut quelque temps perturber l’évolution d’une société, il ne peut la
modifier fondamentalement. Les valeurs cardinales de la société finissent
toujours par émerger. Dès lors, il est permis de se demander si les débats
sur les systèmes d’enseignement, surtout dans les anciens pays colonisés,
ne relèvent pas d’une vision quelque peu superficielle des choses. Dans
la longue histoire des peuples, l'essentiel semble résider dans la qualité
de l’enseignement, le système étant relativement secondaire. Un ensei-
gnement de qualité, quel que soit le système, est un atout pour toute per-
sonne dotée d’un minimum d’esprit d'analyse.
395- En l’absence d’un autre système d’enseignement, la politique du
C.NR. s’est inscrite dans le cadre de l’ancien système avec plus ou
moins de nuance. Au niveau préscolaire, il a été entrepris la construction
de garderies populaires accessibles à la plupart des salariés. C’était une
innovation car le pays n’en connaissait pas encore. Dans le cadre du plan
quinquennal (1986-1990) il était prévu un total de 141 garderies popu-
laires pour l’ensemble du territoire. Pour permettre l’accès du plus grand
nombre à l’instruction, le C.N.R. avait décidé une baisse sensible des prix
des articles scolaires et des frais de scolarité des établissements
d'enseignement privé*!$, À la suite de ces mesures, certains propriétaires
516 Le conseil des ministres du 19 septembre 1984 avait fixé les frais de scolarité pour
l'année 1984-1985 dans les établissements privés de la manière suivante : -École pri-
260
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
p. 23-27.
58 Cf, Carrefour africain, n° 922, Ouagadougou, 14 février 1986,
263
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉEEM de TAMBËLA
59 C£ W.C. Baum, S.M. Tolbert, Investir dans le développement, op. cit., p. 248-249.
0 En 1981 il y avait 0,02 médecins pour mille habitants. En 1985 il y avait 150 méde-
cins, 80 pharmaciens, 8 chirurgiens-dentistes, 800 infirmiers et sages-femmes diplômés
d’État et plus de 3 500 autres agents de santé. Cf. Actuel développement, n° 67, Paris,
juillet-août 1985, p. 51.
En 2015, le nombre de médecins était de 1811 pour une population d’environ
17 millions d'habitants.
2 En 1985 on comptait plus de 440 unités de soins dont 9 hôpitaux, 57 centres médi-
caux, 257 centres de santé et 121 dispensaires ou maternités isolées, Cf. Actuel déve-
loppement, op. cit. p. 49 et 51.
En 2014, on comptait 1 606 centres de santé et de promotion sociale (C.S.P.S.),
155 dispensaires et maternités isolées, 32 centres médicaux (C.M.), 45 hôpitaux de
districts (H.D.} ou centres médicaux avec antennes chirurgicales (C.M.A.), 9 centres
hospitaliers régionaux (C.H.R.), 4 centres hospitaliers universitaires (C.H.U.} À cela
s’ajoutaient 78 établissements sanitaires privés de soins hospitaliers (cliniques, polycli-
niques) et 306 établissements sanitaires privés de soins non hospitaliers (cabinets de
soins infirmiers, cabinets médicaux). Cf. “Chronique du gouvernement”, L'Observateur
> Paalga, n°8888, Ouagadougou, 10 juin 2015, p. 6.
264
a
— ———
1 à
522 | 180 000 enfants de 1 à 6 ans furent vaccinés contre la rougeole ; 2 600 000 enfants de
14 ans contre la méningite cérébro-spinale et 2 100 000 enfants contre la fièvre jaune.
la
53 La structure pyramidale du Plan sanitaire national (P.S.N.) peut être reproduite de
façon suivante :
_Les Postes de santé primaire (P.S.P.) dans les villages.
du village.
_Les Centres de santé et de promotion sociale (C.S.P.S.) pour le niveau au-dessus
pour la santé et de
Ils devaient être tenus par des infirmiers chargés des soins, de l'éducation
critères de distance entre
la supervision des P.S.P. Leur mise en place devait répondre aux
.
deux C.S.P.S. (75 à 20 km) et de la population à desservir (15 000 à 20 000 habitants)
_Les Centres médicaux (C.M.) dans les villes principale s. Ils devaient être tenus par des
que les accouche-
médecins. Les activités de santé maternelle et infantile (S.M.L.) de même
de recours
ments devaient être confiés à une sage-femme. Le C.M. devait servir de centre
aux C.S.P.S. environnants qu’il devait superviser . Il devait desservir une populatio n de 15
000 à 20 000 habitants.
équipe
-I1 était prévu dix centres hospitaliers régionaux (C.H.R.) fonctionnant avec une
gynécolo gues, den-
pluridisciplinaire composée de médecins généralistes, chirurgiens,
tistes, pharmaciens et sages-femmes.
-Deux hôpitaux nationaux (Ouagadougou et Bobo-Dioulasso) bien équipés devaient
permettre de résoudre des cas les plus compliqué
-L'École supérieure des sciences de la santé .SA.) et l'École nationale de santé
n°
publique (É:N:S.P.) se situaient au sommet de la pyramide. Cf. Carrefour africain,
899, Ouagadougou, 6 septembre 1985, p. 19.
265
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autogentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈËLA
(P.S.P.) dans tous les villages. En janvier 1986, le nombre de P.S.P. cons.
truits était de 7 462 alors que le pays comptait environ 7 500 villages,
Dans les P.S.P. deux agents de santé communautaires (un agent de santé
villageois et une accoucheuse villageoise) élus par la communauté villa.
geoise et rétribués directement par le village ou indirectement par la pro-
vince étaient chargés de promouvoir les soins de santé primaire en don-
nant des soins élémentaires et surtout en prodiguant des conseils pour la
prévention en matière de santé. Les agents en question recevaient au
préalable une formation de deux mois. Certains P.S.P. n’ont jamais pu
être opérationnels par manque de personnel. D’autres ont fonctionné un
temps avant de fermer. Les problèmes rencontrés étaient essentiellement
de deux ordres. D’une part le manque de moyen qui faisait que les agents
de santé communautaires pouvaient se retrouver avec des maisons
presque vides, sans équipement. D’autre part le manque de disponibilité
de ces mêmes agents. La rétribution qu’ils pouvaient attendre des villages
ou des provinces étant sans doute jugée insuffisante et aléatoire, ils
s’employaient le plus souvent à leurs propres affaires.
404- Le mot d’ordre adopté par le ministère de la Santé était : “La san-
té populaire par le peuple et pour le peuple”. L'objectif était de faire en
sorte que les agents de santé, dans le futur, ne soient consultés que lors-
que le consultant aura épuisé ses capacités à lui en tant que son propre
médecin. En décembre 1986 fut institué pour les salariés l” “Épargne
santé”. Pour Thomas Sankara, il s’agissait d'amener les salariés, qu’ils
fussent du public, du privé ou qu’ils relevassent des organisations inter-
nationales en place au Burkina, à contribuer pour leur propre santé. À
partir de cette épargne collective, il était prévu d'ouvrir des cliniques de
soins pour les travailleurs et contribuer ainsi à décongestionner les
centres de santé traditionnels et à accroître la qualité des soins. Face à la
résistance des salariés qui refusèrent la modique contribution de mille
francs qui leur était demandée, le projet ne put aboutir. S’envolait ainsi
pour longtemps l’espoir de pouvoir mettre en place au Burkina un sys-
tème de sécurité sociale maladie. Pour les fonctionnaires, la visite médi-
cale annuelle fut rendue obligatoire. À cet effet fut créé à Ouagadougou
un Office de santé des travailleurs (O.S.T.}) Pour l’approvisionnement
pharmaceutique le C.N.R. créa une centrale d’achat, la Société nationale
266
E Thomas SANKARA et I Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉ de TAMBÈLA
524
d’approvisionnement pharmaceutique (SO.N.A.PHARM.)"* et libéralisa
l'ouverture des pharmacies privées”.
D) L'URBANISME ET LE LOGEMENT
405- C’est dans les grandes villes, surtout à Ouagadougou, que le pro-
blème d’urbanisme et de logement se posait avec acuité. Avant l’avènement
de la Révolution, l’insalubrité enveloppait toute la ville de Ouagadougou. La
spéculation foncière était telle que seule une petite minorité riche ou bénéfi-
ciant de soutien politique pouvait avoir accès à des parcelles loties. Le reste
de la population de Ouagadougou s’entassait dans des bidonvilles parfois
d’une insalubrité rebutante. Le nombre de logements disponibles étant de
loin inférieur à la demande, les loyers augmentaient sans cesse et les jeunes
travailleurs comme les nouveaux arrivants étaient contraints de s'installer
dans la périphérie, dans les zones non loties à habitat spontané, sans infras-
tructures adéquates : route, eau courante, électricité, assainissement, télé-
phone, ete. Ii est difficile à qui n’a pas connu cette époque de prendre la me-
sure du travail réalisé à partir de la Révolution.
406- La réaction du C.N.R. fut de prendre une décision réglementant
les loyers pour compter du 1% avril 1984, Les loyers urbains chutèrent de
60%. Pour symboliser le droit de chacun à un logement, une ordonnance
du 31 décembre 1984 décidait la suppression du paiement des loyers pour
toute l’année 1985°%. Les loyers résultant des baux commerciaux,
l'indemnité de logement des fonctionnaires et salariés du secteur parapu-
blic, les loyers que des personnes étrangères résidant au Burkina de-
vaient à des propriétaires privés burkinabè étaient reversés à l'État®7. En
réaction surtout contre cette mesure, dans une déclaration du 28 janvier
1985, onze syndicats affiliés soit au P.A.L.-LIPA.D. soit au P.C.R.V.
#8 Les “cités du 4 août” ont été réalisées dans 23 des 25 provinces que comptait alors le
pays. Elles ont été construites en quinze mois dans le cadre du Programme populaire de
développement (P.P.D.)
#% ]1 s’agissait d’une zone administrative dont les occupants illégaux avaient été dé-
dommagés depuis longtemps.
30 C'est de cette époque que date le projet ZACA (Zone d’activités commerciales et
administratives) qui n'est toujours pas mené à terme.
268
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de dé é loppement autocentré
Apollinaire J. KYÉI EM de TAMBËLA
de mettre en place un
bâties, dans le but de créer un fichier immobilier et
système de gestion rationnelle des parcelles loties.
408- En 1986 c’est le quartier Bilbambili qui, après avoir été démoli®?!, a
rce
été reconstruit sous la forme d’un complexe constitué de locaux de comme
An II”. C’est un
et de maisons d'habitation : c’est ce qui constitue la “cité
rois im-
ensemble de deux cent une villas individuelles de type F4 et vingt-t
appartements aux
meubles à trois niveaux comprenant quatre-vingt-douze
r Bilbambili
étages et soixante-neuf boutiques au rez-de-chaussée. Le quartie
de prostit uées. D’aucuns
était réputé pour son insalubrité et la forte densité
ution que Sankara
prétendent que c’est dans le cadre de la lutte contre la prostit
contestée”, En
aurait décidé la reconstruction de la zone. Cette version a été
à la “cité
1987 c’est le quartier Kiedpalogo qui a été démoli pour laisser place
ghin. Elle était
An IV-A”. La “cité An IV-B” fut construite au quartier Signon
l n’excédait pas cin-
destinée aux faibles revenus, ceux dont le revenu mensue
n-vente avait
quante mille francs. Le loyer de ces villas soumises à la locatio
tion du
été fixé à quinze mille francs. La même année fut décidée la démoli
de Ouagadougou
quartier d’habitats spontanés de Zogona jouxtant l’université
nant la
et dont L'insalubrité défiait toute imagination. À la place s’élève mainte
lière
cité des 1200 logements. La Société de construction et de gestion immobi
missio n d’activ er la
du Burkina (SO.CO.G.IB.) avait de son côté reçu pour
attribué cent
construction des maisons d'habitation. En 1985 elle avait déjà
cinquante-trois villas à des bénéficiaires et leur nombre allait croissant
l'État
d’année en année. Le nombre de logements construits uniquement par
de lotissement et
pendant la périodea été estimé à 3517. De vastes opérations
rs de
Si Tous les propriétaires déguerpis ont été relogés avec, en priorité, les détenteu
permeti re de
indemni sés pour leur
permis urbain d’habiter (P.U.H.) Ils ont été aussi
ent des déguerpis a
reconstruire leur logement dans de nouveaux quartiers. Le relogem
été pris en charge par la Délégation du peuple au logemen t (D.P.L.)
gement de ce quar-
52 Gelon la Direction générale de l'urbanisme de l’époque, l’aména de mettre un
répondait au souci
tier n’était pas lié à la lutte contre la prostitution mais
prévalu au choix de
terme aux quartiers d'habitat insalubre. Les critères qui avaient
e, à sa faible superficie et aux
Bilbambili tenaient, entre autres, à son caractère insalubr
reconstruction était donc
moyens financiers disponibles. Le coût d'aménagement et de
moins élevé par rapport à d’autres
moindre et le nombre de ménages à recaser était
Cf. Carrefo ur africain, n° 903, Ouagadou-
quartiers comme Zangouetin et Kiedpalogo.
gou, 4 octobre 1985, p. 4.
269
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA
3 En août 198$ les lotissements avaient déjà permis de dégager seize mille parcelles
sur l’ensemble du territoire. Les opérations de lotissement avaient concerné les villes
suivantes : Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Dédougou, Ouahigouya, Banfora, Gaoua,
Diapaga, Kongounsi, Yako, Tenado, Pissila, Kokologo, Kantchari. En 1986, soixante-
deux mille parcelles de terrain d'habitation avaient été loties et distribuées.
270
Thomas SANKARA et ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBELA
SH Le haut-commissaire est l'équivalent du préfet. Il est à la tête d’une province qui est
l'équivatent d’un département en France.
55 Dans le dernier gouvernement de Sankara dont la composition a été rendu publique
le 4 septembre 1987 et qui comprenait vingt-huit membres, les ministères suivants
étaient dirigés par des femmes : Budget, Santé, Culture, Essor familial et Solidarité
nationale, Environnement et Tourisme.
271
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA
du travail. Pour elles la monogamie c’est faire face toute seule aux tra-
vaux ménagers sans compter la collecte du bois de chauffe, la recherche
de l’eau et les travaux des champs en hivernage. Le nouveau code de Ja
famille qui est entré en vigueur en 1990 a pris en compte ces préoccupa.
tions en proposant la polygamie comme option”*5.
412- Le CNR. avait, déjà à cette époque, engagé la lutte contre
l’excision. Des conférences, des débats et des tournées d'explication fu-
rent organisés. À ce niveau également, les résistances furent vives. Selon
les travaux de Cheikh Anta Diop, la pratique de l’excision et de la cir-
concision dans certaines sociétés africaines remonterait à la Nubie et à
l'Égypte antique d’où les Juifs auraient hérité de la circoncision lors de
leur séjour de plusieurs siècles. C’est donc un domaine sensible et les
autorités usaient de beaucoup de patience et de précaution. L’excision a
depuis été érigée en délit au Burkina.
413- En 1985, à l’occasion du deuxième anniversaire de la Révolution,
Sankara dans son discours fit la proposition d’un “salaire vital” au béné-
fice des femmes. Le salaire vital devait permettre aux femmes de ne pas
continuer à souffrir des désordres des hommes. Selon lui, « l'État ne con-
traïnt personne au mariage, mais exige que celui qui fonde un Joyer as-
sume ses responsabilités. [...] I y a des hommes qui transforment leur
femme en bonne à domicile, leur refusant cependant Jusqu'au salaire de
bonne, et dissipant en futilités, l'argent destiné au foyer. Ce qui du point
de vue de la morale simple est amoral, et pour la R.D.P. inacceptable.
C'est pourquoi, des mesures sont étudiées pour permettre aux femmes de
recevoir de leur mari par l'intermédiaire du gouvernement, ce que nous
allons appeler le “salaire vital”. » La proposition a eu des difficultés à
se concrétiser et à fini par être abandonnée. Il y avait des difficultés tech-
niques pour le prélèvement du salaire. La mesure pouvait ne pas toucher la
majorité des cas parce que beaucoup d'hommes ne sont pas officiellement
reconnus mariés sur les fiches de renseignements des services de la solde du
ministère du Budget. Il y a aussi des familles qui se sont constituées sans acte
officiel de mariage. On peut aussi se demander si la femme fera nécessaire-
3% Il est à noter que le Syndicat des femmes célibataires de Côte d'Ivoire lutte pour la
promotion et la légalisation de la polygamie. Cf. San Finna, n° 157, Ouagadougou, 20-
#, 26 mai 2002, p. 11 «
272
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. K EM de TAMBÈLA
ment un meilleur usage du salaire vital qui doit être prélevé du salaire du mari.
La tentation existe en effet de se livrer à des dépenses de coquetterie et autres
pratiques qui peuvent se révéler pires que celles du mari. Il n’est pas non plus
exclu que des femmes remettent simplement le salaire vital à leur mari pour
s’assurer la paix du foyer. Certaines femmes avaient même émis des réserves
quant à l'efficacité d’une telle mesure, car elle pourrait encourager les jeunes x
dans le concubinage ou transformer le comportement des salariés vis-à-vis de
leurs épouses.
414- Le C.NR. s'était engagé à enrayer la prostitution. Pour Sankara,
lutter contre la prostitution c’est d’abord et avant tout, donner à chaque
femme un emploi, « le moyen de gagner honnêtement et dignement sa vie,
faire en sorte que chaque femme refuse de se livrer aux besoins lubriques ou
non d'un homme. » Pour lui, combattre la prostitution ne veut pas dire com-
battre la prostituée, Il faut au contraire la protéger «car c'est une malheu-
»
reuse, victime de la société, de l’organisation bourgeoise de la société".
415- Au Burkina la prostitution officielle, la plus connue, se rencontre -
/ dans les quartiers d’affaires des grandes villes et surtout à Ouagadougou.
Elle a été introduite bien avant l’indépendance du pays et était surtout
exercée par des femmes de pays limitrophes : Togo et Ghana notamment.
En 1986, dans la ville de Ouagadougou, un recensement non exhaustif
dans neuf secteurs sur trente avait permis de dénombrer six cent vingt-
neuf prostituées professionnelles et occasionnelles dont 86,01% de natio-
nalité étrangère. Pour lutter contre la prostitution, le C.N.R. a mené des
opérations symboliques, parfois spectaculaires, destinées à frapper les
mentalités. C’est ainsi que le 16 octobre 1983, à l’occasion d’un “concert
révolutionnaire et populaire”, le président du C.NR. décidait la fermeture
des boîtes de nuit et leur transformation en dancings populaires. Selon lui
les boîtes de nuit sont des lieux de réjouissance égoïste, de dépravation
des mœurs et d’aliénation culturelle. Les amateurs de ces lieux réservés
dépensent égoïstement des sommes folles au détriment de leurs familles.
t,
537 La prostitution est décrite comme étant le plus vieux métier au monde. Cependan
dans la société traditionnelle d’Afrique subsaharienne, l'existence de la prostitution
, compte tenu
n’était pas reconnue. Même si l’infidélité existait, quoique très marginale
des structures sociales.
273
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
274
Thomas SANKARA et la évolution au Burkina Faso
Une expérience de loppement autogentré
Apollinaire J. K EM de TAMBÈLA
mille terrain de sport à travers le pays, soit à peu près un terrain de Sport
par village. Bien que de nouveaux terrains de sport aient été construits
dans certaines localités, le C.N.R. n’eut point le temps de réaliser entiè-
rement cet ambitieux programme.
422- Le sport de masse suscita des controverses et des hostilités au sein
des salariés. Ils reprochaient au C.N.R. de les contraindre à la pratique du
spoït alors que cela devrait relever de la vie privée et donc laissé au libre
choix de chacun. Pourtant des dispositions avaient été prises pour que cha-
cun pût pratiquer le sport en fonction de ses capacités. C’est l'intention qui
primait. Il est vrai cependant qu’un système de notation avait été envisagé
avec toutefois des instructions pour beaucoup de tolérance et pour ia plus
grande souplesse. Mais la vraie raison de l’opposition au sport de masse est
à rechercher dans sa philosophie même. La pratique du sport de masse met-
tait aux prises et à égalité le personnel d’un même service ou d’une même
entreprise : le directeur aussi bien que le planton évoluaient sur le terrain
dans les mêmes conditions. Les qualités sportives ou les faiblesses de l’un
ou l’autre se révélaient au su et au vu de tous. En outre, le sport de masse
imposait une certaine exigence sur soi ; ce qui n’était pas pour plaire à tout
le monde. Le prétendu caractère obligatoire du sport de masse était même
discutable. Les moments réservés à cet effet, le jeudi après-midi, étaient
amputés des heures de service. Ainsi, le salarié qui pratiquait Le sport le fai-
sait dans le cadre de son service et pendant les heures de service. C’est uni-
quement l’objet du service qui changeait. Il n’y avait donc pas plus de con-
trainte à pratiquer le sport de masse qu’à être à l’heure à son service. Avec le
recul, certains regrettent son abandon car il aurait pu contribuer à faire recu-
ler ie phénomène de l'obésité, les maladies cardio-vasculaires et à améliorer
les performances physiques.
423- Thomas Sankara donnait lui-même l’exemple dans la pratique du
sport. Grand sportif, il faisait du cyclisme, jouait au football, s’entraînait
au karaté et à l’occasion, il se faisait arbitre de football, notamment lors
des rencontres qu’il organisait entre les membres du gouvernement et
d’autres structures ou organisations sportives. En dehors de la capitale,
l'effet du sport de masse fut très faible dans les provinces. Le 6 décembre
1985, lors d’une conférence de presse, Sankara expliqua pourquoi il avait
institué le sport de masse : « Le sport accroît la disponibilité, le sport
276
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
277
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
430- Avec le Bénin les relations ont été moins suivies. Même si chacun
béni-
des deux pays se proclamait révolutionnaire, il apparaît que le régime
préoccupé
nois, notamment son président, Mathieu Kérékou””, était plus
ormati on révolut ionnaire
par la phraséologie révolutionnaire que par la transf
à un rappro-
de la société et des structures de l'État. Ce qui n’a pas contribué
sie
chement significatif entre les deux régimes au-delà des visites de courtoi
janvier
et des formules de politesse. Néanmoins, un accord a été signé le 29
1984 portant sur l’utilisation du port de Cotonou par le Burkina.
2- Les États membres de la Communauté économique de
l'Afrique de l'Ouest (C.E.A.O.)
d’Ivoire (a)
Si avec leNiger (e) les relations étaient apaisées, avec la Côte
et le Togo (b) elles étaient suffisamment froides pour être par moments
orageuses avec le Mali (d).
a) Les relations entre le C.N.R. et la Côte d'Ivoire
a
431- La Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest {CÉ.A.O)
olta, le
été créée le 17 avril 1973 et comprenait la Côte d'Ivoire, la Haute-V
dissoute
Mali, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal. Elle a été officiellement
re
le 15 mars 1995. En fait, elle a fait place à l’Union économique et monétai
suppléer aux
ouest-africaine {UÉM.O.A) créée le 10 janvier 1994 pour
1983, le
carences de la C.É.A.O. Au moment où survient la Révolution en
président ivoirien Félix Houphouët-Boigny était le doyen des chefs d'État
qui, de loin,
d’Afrique francophone. La puissance économique de son pays
e et à en-
surpassait celle des autres pays, contribuait à accroître son prestig
était telle qu’il
tretenir son mythe. Son influence sur l’Afrique francophone
suite d’un
59 Le commandant Mathieu Kérékou était arrivé au pouvoir en 1972 à la
Devenu entre-temps général, il quitta le pouvoir en 1991 à la suite d’un
coup d'État.
libres. En 1996 il
mouvement populaire qui le contraignit à l'organisation d'élections
2006. Il est décédé le 14
revint au pouvoir par la voie des élections et y resta jusqu'en
octobre 2015.
281
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
fut annulé pour désaccord sur le programme. Alors que pour Houphouët-
Boigny le déplacement de Sankara devait se limiter à Yamoussoukro, la
nouvelle capitale politique, celui-ci entendait aller jusqu’à Abidjan à la
rencontre de la communauté burkinabè et ÿ tenir un meeting.
433- En février 1985 se tenait à Yamoussoukro une conférence au
sommet des chefs d’État des pays membres du Conseil de l’Entente qui
regroupe, outre la Côte d'Ivoire, le Bénin, le Burkina, le Niger et le To-
go”. Dans l’appartement de l'Hôtel Président que devait occuper San-
Kara, une explosion détruisit la salle de bain. Le résultat des enquêtes
promises par les autorités ivoiriennes ne fut jamais connu. Il se trouve
que, contre toute attente, la venue de Sankara à Yamoussoukro n’était pas
prévue. C’est Blaise Compaoré qui devait l’y représenter. On a prétendu
alors que la bombe aurait été placée par les services de sécurité ivoiriens
dans l'appartement que devait occuper Compaoré pour lui faire croire
que c'est Sankara qui tentait de l’éliminer. En outre, Houphouët-Boigny
aurait envoyé des messages “urgents et secrets” au président français
d'alors, François Mitterrand et à certains de ses conseillers pour le mettre
en garde contre celui qu’il qualifiait de “Kadhafi noir” de l’Afrique occi-
dentale et insister pour que soit gelée ou conditionnée toute aide française
au Burkina. Pour lui, il fallait se débarrasser du président Sankara et de la
Révolution burkinabè avant que la contagion ne s’étende”*.
434- Le chemin de fer qui relie Abidjan à Ouagadougou était géré en
commun par les deux pays à travers la Régie Abidjan Niger (RAN.)S
#47 À partir de 2000, des perturbations sont intervenues dans les rapports entre les popu-
com-
lations des deux pays et aussi entre les deux États. Dans la lutte pour le pouvoir
hommes politiques comme
mencée peu avant la mort de Houphouët-Boigny, certains
Laurent Gbagbo du Front populaire ivoirien (F.P.I.) et Henri Konan Bédié du P.D.C.L.-
R.D.A. ont eu recours à des notions d'exclusion comme l’“ivoirité” et à des pratiques
sep-
xénophobes. En 2000, des milliers de Burkinabè maltraités furent rapatriés. Le 19
coup d'État contre le président Laurent Gbagbo aboutit à la
tembre 2002, l’échec d’un
grâce à
partition du pays en deux : le sud resté sous l'autorité de Laurent Gbagbo
rebelles. Avec
l'intervention de l’armée française et le nord occupé et contrôlé par les
troubles qui
l'arrivée au pouvoir en avril 2011 de Alassane Dramane Ouattara après les
et du 28 novembre 2010, la
ont marqué l'élection présidentielle contestée du 31 octobre
réconciliation, quoique difficile, semble s’amorcer.
fils
SE Évadéma Gnassingbé est décédé au pouvoir de maladie le $ février 2005. Son
Faure Gnassingbé lui a succédé.
eu à
S# Après une très longue période passée dans l'opposition pendant laquelle il a
fini
subir toutes sortes de vexations et des tentatives d’assassinat, Gilchrist Olympio a
285
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
par rejoindre le pouvoir de Faure Gnassingbé en 2019. Ce ralliement, quelque peu inat-
À tendu, a provoqué la scission de son parti, l’'U.F.C. ( Unionpour le changement).
50 À titre d'exemples : Le 20 mai 1984 un attentat fut dirigé contre le C-N.E.C. de P6.
Le 27 mai 1984 une tentative de coup d’État aurait été déjouée. Sept des prétendus
conjurés furent passés par les armes le 12 juin 1984. Le 18 juillet 1984 le commandant
Amadou Sawadogo, chef d'état-major général adjoint des forces armées était victime
d'un attentat. Dans la nuit du 31 mai au 1° juin 1985, un dépôt d’armes explosait au
camp militaire de Gounghé.
286
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
‘Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
-
avait
S Le lieutenant-colonel Seyni Kountché, chef d'état-major général de l'armée, le 7
à Paris
pris le pouvoir le 15 avril 1974 par un coup d'État. Il est mort de maladie
pouvoir. Il était alors général.
novembre 1987 à 15h 15 mn alors qu’il était toujours au
287
Thomas SANKARA et ta Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
temps seulement, une taxe de transit de 4%. Cette mesure avait contribué
à détourner sur Cotonou au Bénin une partie du trafic du port de Lomé,
Les transporteurs nigériens qui cherchaient à éviter le territoire burkinabè
se repliaient de plus en plus sur Le port béninois. Vu la concurrence entre
les deux ports, cela n’était pas pour plaire aux autorités togolaises.
d) Les relations entre le C.N.R. et le Mali
442- Le Mali est le premier pays que Thomas Sankara a visité en tant
que président du C.N.R. C'était le 16 septembre 1983. À l'issue de cette
visite, il fut décidé le principe de la mise en place d’une grande commis-
sion mixte de coopération entre les deux pays. Entre le Burkina et le Mali
les relations n’étaient pas sans nuage. Un problème de délimitation de
frontière opposait les deux pays. Déjà en décembre 1961, dans la partie
nord du Burkina, un incident frontalier avait opposé des patrouilles mili-
taires des deux pays. Chacun des deux pays revendiquait une bande de
terrain située dans la partie nord du Burkina connue sous le nom de Aga-
cher*?, Son sous-sol était supposé contenir des ressources précieuses ; ce
qui rendait l’enjeu très important. En décembre 1974, un bref conflit ar-
mé avait opposé les deux pays. On raconte qu’à cette occasion Thomas
Sankara s’était illustré par de hauts faits d’arme. Cependant, à son acces-
sion au pouvoir, il chercha à minimiser le problème en se référant aux
peuples. Il déclara notamment qu’il ne connaissait pas de conflit entre le
peuple malien et le peuple burkinabè. Le problème qui se posait était
done un fait des États et ne concernait pas les deux peuples. À l’occasion
de son déplacement au Mali, un accord fut signé le 16 septembre 1983
par lequel les deux pays décidaient de soumettre le différend frontalier à
la Cour internationale de justice’ 53,
443- Le Mali avait quitté l’Union monétaire ouest-africaine
(U.M.O.A.) en 1961 pour créer sa propre monnaie, le franc malien. Ce-
lui-ci ne tarda pas à connaître le désordre et le Mali exprimait son désir
de réintégrer l’U.M.O.A. Mais les gouvernements successifs du Burkina
avaient toujours fait usage du droit de veto prévu par les accords pour
s’opposer à la réintégration du Mali tant que le problème frontalier ne
52 Agacher est le nom que les Touareg donnent à la rivière Beli qui traverse la région.
S Cf. Carrefour africain, n° 797, Ouagadougou, 23 septembre 1983, p. 17.
288
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autoceutré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
ce
avait dans ce discours invité les peuples des pays voisins à «se débarras-
ser de toutes les vipères qui infestent les lieux, de tous ces monstres qui
les empêchent d'être heureux. » Suivant le principe de la solidarité entre
les peuples qui lui était cher, il proposa de construire un Conseil révolu-
tionnaire de l’Entente, déclarant qu’à ce sujet il savait qu’il pouvait
la
« compter sur les peuples, les peuples du Bénin, du Niger, du Togo, de
Côte d'Ivoire ; parce que nous savons que ces peuples ont besoin de li-
berté, de dignité, de paix et de sécurité ; parce que nous Savons que Ces
débar-
peuples ont compris que seule la révolution leur permettra de se
rasser de tous ceux qui, à l'intérieur de leur pays comme à l'extérieur,
s’opposent à la réalisation de ce noble objectif. »
447- La sécurité, dit-il, ne se fera jamais et ne s’obtiendra jamais tant que
la révolution n’aura pas libéré les peuples. À l'adresse des autorités ma-
liennes, Sankara lança un avertissement très ferme indiquant que « lorsque
le
le peuple burkinabè aura décidé de marcher, seul le Burkina Faso, seul
»
peuple burkinabè pourra décider de la ligne où nous allons nous arrêter.
5% Les relations avec des pays comme le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée, la Guinée-
Bissau, le Liberia, la Mauritanie et la sierra Leone étaient pratiquement inexistantes.
59 Cf. Ordonnance n° 84-38/C.N.R/PRES du 20 juillet 1984 portant autorisation de ratifica-et
du Nigeria
tion de l’Accord commercial entre le Gouvernement de la République F édérale
le Gouvernement de la République de Haute-Volta, fait le 16 janvier 1979 à Lagos.
293
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA
9 Les Américains ont justifié ces bombardements en arguant que les dirigeants Hibyens
soutenaient des groupes terroristes. L'objectif de l'opération était, semble-t-il, de tuer
Kadhafi. C£ François Soudan, “Comment Reagan voulait supprimer Kadhaf?”, Jeune
Afrique, n° 1365, Paris, 4 mars 1987, p. 26-27.
Jacques Chirac, alors premier ministre de la France, affirme que le 11 avril
1986 le président américain Ronald Reagan lui a téléphoné pour Jui dire qu’il voulait
tuer Kadhafi et demander l’autorisation pour ses bombardiers de traverser le territoire
français. Ce que lui a refusé. Cf. Jacques Chirac, Chaque pas doit être un but, Paris, NiL
éditions, 2009, Mémoires, t.1, p. 334.
S Cf. Jeune Afrique, n° 1321, Paris, 30 avril 1986, p. 33.
294
a
Maïs tout cela doit nous donner des leçons. Nous devons nous te.
nir solidement, main dans la main avec les autres révolutionnaires parce
que d' autres complots nous guettent, d'autres crimes sont en train d'être
préparés", » Du 11 au 14 septembre 1987, à la tête d’une forte déléga-
tion, Thomas Sankara se rendait en Éthiopie pour les festivités marquant
la proclamation de la République populaire démocratique et l’An XIII de
la révolution de 1974.
459- En dehors des relations politiques, sans doute à cause de la dis-
tance et aussi de la faiblesse des moyens d’intervention, il n’y à prati-
quement pas eu d’échanges économiques entre le Burkina et les États
africains d’orientation socialiste autres que la Libye et l’Algérie. |
bré. L'objectif était double : empêcher les mouvements de lutte armée sou-
tenus par Kadhafi de revenir au pouvoir à N’Djamena et rassurer les diri-
geants africains dits “modérés”, quelque peu désorientés par le retour de
Sankara, et leur démontrer que la France veillait toujours à leur sécurité, Le
même jour, Jacques Huntzinger, alors responsable des Relations extérieures
au parti socialiste français, téléphonait à Sankara pour lui suggérer de
prendre dans son gouvemement Joseph Ki-Zerbo, ancien dirigeant du F.P.V.
et membre de l’Internationale socialiste. Pour n’avoir pas pu empêcher son
retour au pouvoir, les socialistes français tentaient de récupérer le régime de
Sankara.
465- Sous le C.N.R. la diplomatie burkinabè s’est montrée entrepre-
nante, parfois même agressive vis-à-vis de la France. À plusieurs reprises
le gouvernement français dut s’adapter aux positions du C.N.R. Très tôt
le C.N.R. exigea la révision complète des Accords franco-voltaïques de
coopération du 24 avril 1961%%7. Ces accords qui englobaient l’ensemble
de la vie de l’État abordaient et définissaient tout par rapport à la France
et consacraient par le droit la soumission totale du Burkina à la France. À
la place un Accord général de coopération fut signé entre les deux pays le
4 février 1986%. En fonction des anciens accords, l'ambassadeur de
France au Burkina était automatiquement le doyen du corps diploma-
tique. Le C.N.R. décida que cette qualité reviendra désormais au doyen
des ambassadeurs africains au Burkina. En fin 1985 début 1986, la
France était secouée par une vague d’attentats. Sous le prétexte de la lutte
contre le terrorisme, la France décida d’imposer l'obtention d’un visa
d'entrée sur son territoire à tous les Africains. Jusque-là les ressortissants
des anciennes colonies françaises en étaient dispensés. En guise de réci-
procité, le Burkina instaura aussi la même mesure pour les Français vou-
lant entrer sur son territoire.
par le président José Eduardo Dos Santos’! et son parti, le Mouvement po-
pulaire de libération de l’Angola (M.P.L.A.), avec le soutien des troupes
cubaines. Jonas Savimbi à la tête de l’Union nationale pour l'indépendance
totale de l’Angola (U.N.I.T.A.), soutenu par l’Afrique du Sud, coimbattait le
régime en place.
468- Quelque temps avant l’arrivée de Mitterrand au Burkina, Jonas
Savimbi avait effectué une visite en France et avait été reçu par des per-
sonnalités politiques de l’opposition de droite. Le 10 novembre 1986, soit
une semaine avant l’arrivée de Mitterand au Burkina, c’est Pieter Botha
qui se retrouvait en France. Prononçant un toast le 17 novembre 1986,
Sankara déclara entre autres : « La paix dans le monde, c'est également
cette région tourmentée du Sud de l'Afrique. Comme si par un sort quel-
conque on y avait concentré des éléments incompatibles dans un cafouil-
lage et dans des affrontements qui chaque jour se multiplient et
s’agrandissent. [..] C'est dans ce contexte, Monsieur François Mitter-
rand, que nous n'avons pas compris comment des bandits comme Jonas
Savimbi, des tueurs comme Pieter Botha ont eu le droit de parcourir la
France si belle et si propre. Ils l'ont tachée de leurs mains et de leurs
pieds couverts de sang et tous ceux qui leur ont permis de poser ces actes
en porteront l'entière responsabilité ici et ailleurs, aujourd'hui et tou-
jours.» En réplique, François Mitterrand dira que Sankara «est un
homme dérangeant. Avec lui il n'est pas facile de dormir en paix. Il ne
vous laisse pas la conscience tranquille. » Il n’aurait pas apprécié la fa-
çon de Sankara de fui faire la leçon et aurait conclu que Sankara était
décidément indomptable.
469- En même temps que déclinait le rôle traditionnel de la France au
Burkina2, le C.N.R. entamait une diversification des partenaires poli-
tiques et économiques. Au sein du bloc occidental, l’Italie dont les rela-
tions avec le Burkina étaient presque inexistantes devint à partir de 1986
un partenaire de premier plan. Au cours de cette année, l’aide bilatérale
de l'Italie s’est élevée à 35,2 millions de dollars soit la deuxième en im-
#1 Le premier président de l'Angola fut Agostino Neto de 1975 à 1979. C’est à sa mort
que Dos Santos accéda au pouvoir.
2 L'aide bilatérale française était passée de 43,5 millions de dollars en 1983 à 26,8
millions de dollars en 1985.
303
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
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Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
Guettant jour et nuit l'arrivée des barbares, tout empire refuse de savoir
qu'il se défait d’abord de l'intérieur, par lui-même.
Claude Julien
311
Chapitre I
Mérites et limites de la gouvernance Sankara
483- Le C.N.R. a d’autant plus de mérite qu’il a mené son action dans
un contexte difficile, voire hostile. Les partenaires traditionnels comme la
France avaient réduit considérablement leur assistance. De même, de
1985 à la chute du C.NR., aucun financement nouveau de la Banque
mondiale n’a été accordé au Burkina Faso ; si bien que dans son discours
du 4 août 1987, Thomas Sankara pouvait déclarer : « Nous avons entre-
pris et réalisé de nombreuses transformations matérielles en faveur des
masses. Ces résultats nous ne les devons pas à des matériaux supplémen-
faires ou exceptionnels. Nous les devons à l'action des hommes. Ces
hommes qui, hier étaient résignés, muets, fatalistes et attentistes sont
aujourd'hui debout et engagés pour la lutte révolutionnaire concrète sur
les divers chantiers. Les victoires enregistrées sont le fruit de leur tra-
vail, la projection sur le concret de leur génie créateur et de leur enthou-
siasme révolutionnaire. »
53 Gandhi, Tous les hommes sont frères, Paris, Gallimard, 1969, p. 199.
320
Thomas SANKARA et la Révofution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
€) De l’autoritarisme
492- On a encore reproché à Sankara un certain autoritarisme. Le colonel
Boukary Kaboré dit que lui était d’accord avec cette façon de faire. Il ex-
plique qu’on ne pouvait pas amener Sankara à faire n’importe quoi. Il fallait
pouvoir le convaincre. Certains, à défaut de pouvoir le convaincre trouvaient
qu’il était autoritaire. En outre, Sankara, dit-il, n’aimait pas les débats inu-
tiles et c'est en cela qu’on le trouvait têtu””. Malgré la tolérance quasi-
surnaturelle qui le caractérisait, Gandhi était aussi taxé d’autoritarisme par
certains de ses contemporains. Il s’en plaignait : «Je n'ai jamais pu endos-
ser cette accusation d'autoritarisme obstiné. [.…] Je n'ai nul désir de rallier
qui que ce soit à ma cause si ce n'est en faisant appel à sa raison’%, » Avec
toute la grandeur d’âme qu’il incarnait, Nelson Mandela était aussi accusé
d’autoritarisme. C’est à croire que c’est la marque des grands hommes que
les médiocres redoutent parce qu’ils sont un obstacle à leur aspiration à une
vie de débauche. Ceux qui souhaitent que la morale, l'éthique, la discipline,
les règles de la vie sociale soient pour les autres ; la permissivité et la licence
pour eux, verront toujours se dresser sur leur chemin les hommes de valeur
qui, au péril de leur vie, hors des sentiers de la compromission, indiqueront
le chemin de la dignité et de l'honneur. Ce fut le cas au Burkina de Joseph
Ki-Zerbo, Thomas Sankara et Norbert Zongo.
d) De l'intolérance
493- Le régime du C.NR. a été accusé d’intolérance. Contre les “en-
nemis du peuple”, la Révolution et ses structures ont mené une lutte sans
faiblesse. C’est sans doute dans ce cadre que le siège du seul quotidien
non gouvernemental de L'époque, L'Observateur, brûla dans un incendie
criminel le 10 juin 19847 et le journal ne fui plus autorisé à reparaître
602 Cf... Lamizana, Sur la brèche trente années durant, op. cit., p. 70. -P. Englebert, La
Révolution burkinabè, op. cit., p. 38. -San Finna, n° 68, Ouagadougou, 28 août-3 sep-
tembre 2000, p. 9.
323
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
5 Cf.: -Jeune Afrique, n° 2686, Paris, 1°-7 juillet 2012, p. 17. -leune Afrique, n°
2689, Paris, 22-28 juillet 2012, p. 112. - L'Observateur Paalga, n° 8165, Ouagadougou,
2012,
6-8 juillet 2012, p. 6. -L'Observateur Paalga, n° 8180, Ouagadougou, 27-29 juillet
p. 6-7.
325
Thomas SANKARA et la Révolution as Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire d. KYÉLEM de TAMBÈLA
506 VD. Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit., p. 125.
327
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
ST À titre d'exemples on peut citer les pays suivanis : Algérie, Burkina Faso, Came-
roun, Gabon, Guinée, Niger, Tchad, Togo, Tunisie, Congo, Rwanda qui ont tous déjà
procédé à ce genre de révision. Dans certains pays, la limitation du nombre de mandats
est toujours simplement inenvisageable : Éthiopie, Gambie, Soudan, Zimbabwe.
Pour avoir abusé de la Constitution, le président nigérien Mamadou Tandja a
été renversé le 18 février 2010 par un coup d’ État. Le président tunisien Zine el-Abidine
Ben Ali a été renversé le 14 janvier 2011 à la suite d’une révolte populaire qui a com-
mencé le 17 décembre 2010. Le président égyptien a lui aussi été renversé le 11 février
2011 à la suite d’une révolte populaire commencée le 25 janvier 2011 et qui s’est inspi-
rée de l'exemple tunisien. Le 17 février 2011 commençait aussi en libye une rébellion
qui allait aboutir à la chute de Mouamar el Kadhafi en août 2011 et à son atrestation-
exécution le 20 octobre 2011.
328
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de pement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
certaine grandeur qui frise la naïveté vis-à-vis des autres. Chaque jour
des erreurs ont été commises ; au moins trois cent soixante-cinq erreurs.
L'essentiel c'est de reconnaître que l'on a commis des erreurs et prendre
la résolution de ne plus en commettre. » Toutefois, son engagement et
son désintéressement lui permettaient de ne pas être dupe et de pressentir
les artifices par lesquels on cherchait à enterrer la Révolution. Il est vrai
cependant que parfois, les règles élémentaires d'organisation et de fonc-
tionnement de toute structure n’étaient pas respectées. Mais, était-ce le
fait de Sankara ? Issa Tiendrebéogo qui a été ministre du CNR, qui a
aussi œuvré à la chute du C.N.R. et de son président®®, qui a été conseil-
ler et proche collaborateur de Blaise Compaoré après l'assassinat de
Thomas Sankara et qui a appelé à soutenir Blaise Compaoré lors de
l'élection présidentielle de 1991 5% déclare: «.… j'étais censé être
membre du C.N.R. Malgré fout, on ne m'a convié à une de ses réunions
qu'en 1986. Fidèle à mes principes, j'ai refusé d'y prendre part et ai
exigé des explications, parce que ne comprenant pas que depuis
membre du C.NR, ce soit seulement en 1986 qu'on m'y convie. [..
conclusion, je n'ai jamais siégé au sein du C.N.R. [..] Mais je savais que
cela provenait de certaines personnes qui ne souhaitaient pas cet élar-
gissement en vue du débat pour trouver les solutions les plus idoines aux
problèmes, Je suis convaincu que cela n'était pas le fait de Thomas San- |
kara. En attestent les bons rapports qui ont prévalu entre nous après mon
départ du gouvernement
D] Du secret gardé sur la composition du C.NR.
504- Après le 15 octobre 1987 il a été reproché à Sankara d’avoir gardé
secret la composition du C.NR., ce qui aurait été à l’origine de graves
déviations. L'ancien président S. Lamizana qui était le président de
l’'U.N.A.B. dit en effet: « J'étais avec mes anciens sans pénétrer au fond
du C.N.R, puisque je ne savais mème pas qui était C.N.R. À part Sanka-
ra lui-même et ses 3 compagnons, moi je n'en savais rien. Je ne connais-
sais pas les autres, je ne peux pas vous dire quoi que ce soit! » Basile
L. Guissou qui a été plusieurs fois ministres du C.NR. et qui était
membre de l’'U.L.C.-R. en donne, a posteriori, un petit éclairage. Il
dit: «ce sont dix personnes qui ont constitué le premier gouvernement
du CNR le 23 août 1983 à savoir, Thomas Sankara, Blaise Compaoré,
Henri Zongo, Jean-Baptiste Lengani pour la partie militaire, Adama Touré,
Soumane Touré et Philippe Ouédraogo tous du P.A.I, Dondassé Talata
Eugène, Valère Somé et moi-même Basile Guissou pour l'U.L.C. Nous cons-
tituions le noyau du CNRS" » Sur le caractère secret du C.NR., Sankara,
répondant à des journalistes, déclarait en début août 1984 : « Nous sommes
dans une pièce théâtrale genre particulier et il s'agit pour nous de savoir
qu'est-ce qui préoccupe le plus les Burkinabè. Connaître les acteurs ou
connaître les réalisations, les actes, c'est un choix à faire. Dès les premières
qui
heures de la Révolution l'on se posait beaucoup de questions de savoir
pas voulu confier son sort à
est membre du C.N.R parce que aussi on n'a
n'importe qui. Ce qui est légitime. Mais au fur et à mesure que les ombres
ont été capables de poser des actes dont le peuple a pu être satisfait, on s'est
[...]
moins préoccupé de connaître l'identité de ceux qui posaient ces actes.
qui
Nous préférons donc construire un pays [...] que d'avoir une équipe
chaque jour se préoccupe de se faire connaître [...] et puis c'est une autre
[...]
façon d'éviter que personne ne tombe dans le culte de la personnalité.
c'est le peuple burkinabè qui fait sa révolution ce n'est pas une équipe. »
D’autres raisons semblent aussi avoir joué. Des raisons de sécurité sans
doute, mais aussi pour éviter l’étalage sur la place publique des luttes
d'influence et des conflits internes. Des objections peuvent sans doute être
ces
formulées à l’encontre de cette méthode de gouvemement. Mais que
du
objections proviennent de ceux-là même qui ont aussi été à l’origine
qui en ont
C.NR, qui se sont le mieux accommodés de son caractère secret,
profité pour tirer les ficelles dans l'ombre, il ne peut y avoir que de la mau-
vaise foi. Au demeurant, qu’ont-ils fait pour changer les choses ?
d) Du régime de démocratie limitée
505- À juste titre cependant, il peut être reproché au C-N.R. d’avoir
mis en place un système de démocratie populaire limitée. La démocratie
gimes précédents et leurs alliés, à une armée qui tenait à défendre son pres-
tige et ses privilèges, à une bureaucratie administrative assez conservatrice et
revendicatrice, à une paysannerie qui, sur le plan politique a d’abord été
hostile, s’est plongée ensuite dans le doute, pour finalement s’engager avec
beaucoup de réserve. J. Ziegler a ainsi pu faire cette observation : « la révo-
lution du 4 août 1983 jouit de l'adhésion enflammée de la jeunesse. Elle
rencontre la distance sceptique des vieux dignitaires de toutes les multiples
et très riches sociétés traditionnelles du pays. La masse paysanne, elle, reste
en attente : elle aime Sankara, le jeune héros sorti de ses rangs, mais elle
attend pour voir, gardant, face aux initiatives, aux promesses, une prudence
instruite par l'expérience des siècles. Ce qui frappe ..] dans toute
l'expérience politique burkinabè qui, à un rythme époustouflant, progresse
depuis maintenant trois ans, c'est la gaieté, la soif de vie, la chaleur hu-
maine, mais aussi la fragilité". »
509- Alors que le renversement des alliances sociales et politiques opé-
ré par le C.N.R. faisait reposer l’essentiel du pouvoir sur les petits em- |
ployés, les marginaux des villes et le monde rural, les réformes succes- |
sives et rapides de Sankara étaient parfois incomprises par ces derniers,
provocant le désarroi dans la base même de recrutement et de soutien du
régime. Par exemple, l’engagement en 1985 des “trois luttes” (luttes
contre les feux de brousse, la coupe abusive du bois et la divagation des
animaux} avait suscité des inquiétudes en milieu rural de même que la
campagne contre l’importation des noix de cola dont les populations ru-
rales sont les principales consommatrices. Le projet du nouveau code de
la famille qui prévoyait d'encourager la monogamie avait aussi suscité la
méfiance tant chez les hommes qui y voyaient une intrusion dans leur vie
privée et une menace pour le pouvoir du mâle, que chez les femmes à
causes des prétendus avantages que la polygamie leur procurerait.
L’interdiction officielle de la prostitution n’avait pas non plus été du goût
de ceux qui en profitaient et l'interdiction de la mendicité n’avait pas été
bien appréciée par certains musulmans qui, de bonne foi, voyaient en elle
un moyen d'éducation et d’initiation des jeunes à la patience, à
l’endurance et à l’humilité. Le renversement des alliances opéré par le
615 Jean Ziegler, Jean-Philippe Rapp, Thomas Sankara - Un nouveau pouvoir africain,
Lausanne, Pierre-Marcel Favre, Paris, ABC, 1986, p. 30.
333
Thomas SANKARA et la Révolution an Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KVÉLEM de TAMBELA
516 Cf B.P. Bamouni, Burkina Faso - Processus de la Révolution, op. cit., p. 90. Abdou Salam
Kaboré confinne qu’il était avec Sankara quand il arriva chez Jean-Baptiste Ouédraogo.
517 Dans une Déclaration rendue publique, le comité de garnison concluait en ces
termes : « C'est pourquoi le Comité de garnison de Ouagadougou, réuni en Assemblée
générale extraordinaire dans la muit du 31 mai au 1° juin 1987, après analyse de ce
bilan macabre, requiert contre Touré Soumane et ses hommes de main la peine capi-
tale. »
334
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
_Apoli 3. KYÉLEM de TAMBÈLA
518 Le commandant Karim Lompo fut dégagé des cadres de l’armée en même temps que
trente autres officiers par décret n° 83-0018/CNR/PRES/DNAC du 20 août 1983. Les
intéressés étaient autorisés à faire valoir leurs droits à pension de retraite.
À la faveur des mesures collectives de réhabilitation et de reconstitution des
carrières, Karim Lompo a été élevé au grade de colonel par le décret n° 2008-
141/PRES/PM/DEF du 25 mars 2008.
61 Certains ont prétendu que dans sa stratégie de conquête du pouvoir, le colonel Somé
prévoyait le renversement de Jean-Baptiste Ouédraogo et du C.S.P.-II avec l'élimination
335
Thomas SANKARA et ta Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
physique de Sankara, Compaoré, Lingani et Zongo. II aurait donc été pris de court par
l'avènement de la Révolution.
90 Cf. V. Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit., p. 206.
21 Sur la version de Sankara, cf. Afrique Asie, Paris, 2 juillet 1984, p. 6-8.
2 ]1 avait été dégagé des cadres de l’armée par le décret du 20 août 1983.
3 Joseph Ki-Zerbo se trouvait en ce moment en exil à Dakar. Selon la version officielle
- qui est loin de faire lunanimité - les contacts entre lui et les putschistes se seraient
faits par l'intermédiaire d’un homme d’affaires, Adama Ouédraogo, lequel fut condam-
né à mort. De sources proches de Ki-Zerbo, les deux hommes se seraient rencontrés sur
le parvis d’une église à Dakar et auraient simplement échangé des salutations.
336
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
leader du R.D.A. dissous. Ceci peut-il expliquer cela ? À ce jour, les cir-
constances de sa mort n’ont toujours pas été élucidées.
515- Le 8 avril 1985, Valentin Kinda, un homme d’affaires burkinabè
vivant et menant ses activités en Côte d'Ivoire, était assassiné à Abidjan,
Les autorités ivoiriennes qualifièrent son assassinat de « crime politique
exécuté par des tueurs à gages. »°% À ce jour, les circonstances de
l'assassinat de Valentin Kinda ne sont toujours pas non plus élucidées.
D’aucuns prétendent qu’il aurait été exécuté par Vincent Sigué sur ordre
de Sankara parce que, opérant dans la restauration et l'hôtellerie, il hé-
bergeait volontiers à Abidjan les opposants au régime de Sankara.
516- Sankara était-il le commanditaire de ces crimes ? En tant que
premier responsable du pays, il en assume la responsabilité. Il est cepen-
dant difficile de croire qu’il en fut le principal instigateur. Après son as-
sassinat ignoble le 15 octobre 1987, dans sa Proclamation du même jour
comme dans son communiqué de presse du 19 octobre 1987 aussi bien
que dans toutes ses déclarations ultérieures, le Front populaire, avec toute
la hargne qui animait ses acteurs, dans le but d’expliquer et de justifier
son forfait et de se rassurer lui-même, a traité Sankara de tout, allant jus-
qu’à travestir les faits et à lui trouver des défauts imaginaires parfois gro-
tesques. Dans cette hallucinante phobie du héros de la Révolution, à au-
cun moment le Front populaire et ses acteurs n’ont pensé à le qualifier
d’assassin ou de criminel. Oubli, omission ou négligence ? Le coup
d’État du 15 octobre n’a pas été un accident. Il a été longuement préparé
(cf. $ 606-608) et les griefs, les explications et les justifications à fournir
avaient été soigneusement recensés. Si Thomas Sankara avait ordonné
des crimes, ses assassins n’auraient pas manqué de les faire figurer en
bonne place dans leur Proclamation et communiqués. On constate
d’ailleurs que les intimidations, les répressions, les chasses à l’homme,
les assassinats ont plus que décuplé après son assassinat.
2- Des atteintes aux libertés collectives
517- Les partis politiques traditionnels interdits sous le C.M.R.P.N, le
sont restés sous le C.N.R. Il était inimaginable sous le C.N.R. de créer
1) De la notion de bonheur
519- L'essentiel de la politique du C.N.R. était axé sur le développe-
ment économique et le progrès social. Dans le discours d'ouverture de la
deuxième Conférence nationale des C.D.R. tenue du 30 mars au 3 avril
1987, soit quelques mois avant la chute du régime, le secrétaire général
national des C.D.R., le capitaine Pierre Ouédraogo invitait encore à la
constitution « des brigades de travail partout où il y a des C.D.R, prêtes à
iout moment à prendre d'assaut les innombrables chantiers qui vont se
créer çà et là. Désormais chaque militant devra faire partie d'au moins une
brigade populaire de travail, et consacrer un temps déterminé à un chantier
populaire. La brigade de travail est une forme avancée des détachements
d'assaut pour la construction de la patrie. » Il fut décidé lors de cette confé-
rence de la mise en place d’un Service populaire de construction de la patrie
(S.P.C.P.) Il ne fait pas de doute que pour le régime du C.NR. le dévelop-
pement économique devait apporter plus de bonheur au peuple.
520- La notion de bonheur est une question de mentalité. Elle n’est pas
fonction des biens matériels même si ceux-ci y contribuent. Comme le fait
remarquer Sénèque, « N'est pas pauvre celui qui possède peu de choses,
mais celui qui en convoite toujours plus. » C. Lévi-Strauss donne l’exemple
de groupes d’indigènes que les autorités brésiliennes avaient essayé, au dé-
but du XX° siècle, d’amener à la vie moderne. Il écrit : « De leur expérience
éphémère de civilisation, les indigènes n'ont retenu que les vêtements brési-
liens, la hache, le couteau et l'aiguille à coudre. Pour tout le reste, ce fut
l'échec. On s'était efforcé de les fixer dans des villages et ils demeuraient
nomades. Les lits, ils les avaient brisés pour en faire du feu et couchaient à
même le sol. Les troupeaux de vaches envoyés par le gouvernement va-
guaient à l'aventure, les indigènes repoussant avec dégoût leur viande et
leur lait. » De même, un indigène que les missionnaires avaient adopté fut
522- Les moyens mis en œuvre pour accéder au bonheur diffèrent se-
lon les individus et les sociétés. Il ÿ en a qui recourent à la résignation. R.
Buron qui fut ministre du général de Gaulle rapporte ainsi que celui-ci lui
avait dit : « Buron, je vais vous dire : on passe sa vie à vouloir résoudre
les problèmes et puis … on ne les résout jamais. Ce qu’on peut faire de
mieux avec les problèmes, c'est d'apprendre à vivre avec 56, De Gaulle
était loin d’être un résigné, il avait simplement fait un constat à la suite
d’années d’expériences et de réflexions. C. Lévi-Strauss donne un
exemple de résignation devenue une seconde nature dans l'Inde du mi-
lieu du XX* siècle, I! écrit : « Tout Européen dans l'Inde se voit - qu'il le
veuille ou non - entouré d'un nombre respectable de serviteurs hommes-
à-tout-faire que l'on nomme bearers. Est-ce le système des castes, une
inégalité sociale traditionnelle ou les exigences des colonisateurs qui
expliquent leur soif de servir ? Je ne sais, mais l'obséquiosité qu'ils dé-
ploient réussit vite à rendre l'atmosphère irrespirable. Ils s'étendraient
par terre pour vous épargner un pas sur le plancher, vous proposent dix
bains par jour : quand on se mouche, quand on mange un fruit, quand on
se tache le doigt … À chaque instant ils rôdent, implorent un ordre. I y a
quelque chose d'érotique dans cette angoisse de soumission”. »
523- L’insouciance et l’ignorance peuvent aussi être sources de bien-
être. Dans son roman “Kocoumbo l'étudiant noir”, A. Loba raconte que,
arrivés à Marseille en bateau peu après la deuxième guerre mondiale pour
des études en France, Kocoumbo et ses compagnons prirent le train pour
Paris. Les entendant discuter, un Français qui voyageait avec eux
s’excusa et se mêla à leur conversation. Puis il leur demanda : « Que pen-
sez-vous du problème africain ? » Kocoumbo et ses compagnons furent
surpris par une question aussi inattendue. [l y avait donc un problème
africain ! se dit Kocoumbo. L'homme poursuivit : « Surtout, ne croyez
pas que nous soyons arrivés à notre degré de civilisation sans de pé-
nibles, d'interminables tâtonnements. Quel chemin prendra l'Afrique ? »
Pour Kocoumbo, les Blancs compliquaient inutilement les choses.
«L'Afrique était l'Afrique, et c'érait tout ! Pourquoi parler de che-
S%6 Robert Buron, Par goût de la vie, Cité dans L'Observateur, Ouagadougou, 23 août
1974, p. 7.
7 C, Lévi-Trauss, Tristes tropiques, op. cit, p. 156.
342
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA
8 Cf, Aké Loba, Kocoumbo l'étudiant noir, Paris, Flammarion, 1960, p. 80-83.
69 L_J, Rousseau, Émile ou de l'éducation, op. cit., p. 298.
0 J.-J, Rousseau, Émile ou de l'éducation, op. cit., p. 335.
St €, Lévi-Strauss, Tristes tropiques, op. cit. p. 338. une
60 Cf Basile L. Guissou, “Hisroire ef pauvreté au Burkina Faso”, in La pauvreté,
fatalité ?, Ouvrage collectif, Paris, UNESCO/Karthala, 2002, p. 118.
343
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA
68 Cité par Kimba Idrissa, “Lutte contre la pauvreté au Niger : considérations efhnolin-
guistiques, historiques ef stratégies actuelles”, in La pauvreté, une fatalité ?, op. cit. p.
249.
5% Sennen Andriamirado, Il s’a ppelait Sankara, Paris, JAPRESS, 1989, p. 165.
5 J.-J, Rousseau, Émile ou de l'éducation, op. cit., p. 97.
46 TB, Ouédraogo, “Contribution à propos de trois dates historiques”, op. cit., p. 263.
344
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Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
Comme a dit de lui M. Zangbé, « Cer homme n'a pas compris le drame
de son pays. I n’a pas compris que pour sauver ce pays, il fallait de
l'audace, de la témérité et un goût du risque.»
# Cf. Jared Diamond, De l'inégalité parmi les sociétés - Essai sur l’homme et
l’environnement dans l’histoire, Paris, Gallimard, 2000, p.67-68.
346
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
égor-
contre Los Palmares, tout fut détruit en 1693. Les survivants furent
gés, jetés dans les précipices ou vendus aux marchands de Buenos Aires
et de Rio de Janeiro®®?.
531- L'histoire des sociétés humaines a toujours été, jusqu’à nos jours,
celle des conflits. Le plus fort, le mieux équipé, le mieux organisé a tou-
jours fini par imposer sa domination, parfois de façon cruelle. Le pro-
blème qui se pose est donc de parvenir à concevoir le bonheur de façon
objective, collective et rassurante, à partir d'un standard minimal par
rapport à la communauté internationale, pour éviter des réveils doulou-
reux comme ce fut le cas pour Kocumbo, l'empire moaga, Atahualpa et
son peuple, Los Palmares et bien d’autres. Ne dit-on pas qu’il faut défier
l'avenir pour ne pas avoir à le redouter ? C’est sans doute l'objectif que
poursuivait Thomas Sankara, et dans cette perspective, la Révolution
apparaissait comme une nécessité. .
650 Cf.E, Galeano, Les veines ouvertes de l’Amérique latine, op. cit., p. 118.
347
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
pour effet d’élever sans cesse le standard minimal de vie jugé acceptable.
En revanche, quatre années d’efforts soutenus suffisent à provoquer la
lassitude, surtout quand les résultats se font attendre. Vu l'ampleur des
transformations qui touchaient pratiquement tous les domaines, quatre
années ne suffisaient pas pour des résultats appréciables et perceptibles
partout et par tous. Hitler avait pu relever que la poursuite des grands
objectifs qui ont de la valeur pour les générations suivantes est « fort peu
profitable et ne rencontre que rarement la compréhension des grandes
masses ; les bons de bière et de lait leur paraissent beaucoup plus per-
suasifs que des plans d'avenir à larges vues, dont la réalisation ne peut
intervenir que plus tard et dont l'utilité ne profite en somme qu'à la pos-
térité®, » Il notait également avec pertinence que « plus l'œuvre d'un
homme est grande pour la postérité, moins les contemporains peuvent la
comprendre ; d'autant plus dure est la lutte et d'autant plus difficile le
succès? » Tel semble avoir été le cas concernant la politique de trans-
formation sociale et économique du C.N.R.
+ #
61 Adolf Hitler, Mon combat, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1934, p. 210.
2 Ibid. p. 211.
348
Chapitre II
L'émergence de la contre-révolution
Les tragédies des peuples révèlent les grands hommes ; mais ce sont les
médiocres qui provoquent ces tragédies.
Thomas Sankara
Le 15 octobre 1987 Thomas Sankara était assassiné (1). Au-delà des explica-
tions officielles, il convient d’essayer de rechercher les vraies causes de cette
tragédie (IL) et d’analyser le comportement des acteurs (KID).
k Le déroulement des faits et feurs répercussions
A) LE DÉROULEMENT DES FAITS
534 Le jeudi 15 octobre 1987 en fin d’après-midi, le Burkina basculait
brusquement dans l'incertitude, Des conflits minaient le sommet de
l'appareil d’État. Sankara, accaparé par les multiples occupations et sollicita-
tions, avait en toute confiance confié à Blaise Compaoré, son protégé et ad-
joint direct, le soin de suivre les différents groupes politiques dans leur évo-
lution et dans leurs relations avec le C.N.R. L’U.C.B. qui avait été invitée en
1985 à faire partie du C.N.R., revendiquait maintenant de plus en plus le
monopole du pouvoir. C’est là un aspect naturel et constant de
l’opportunisme que Lénine n’avait eu de cesse de dénoncer. Avec le départ
du P.A.L-LLPA.D. PU.L.C.-R. était maintenant la seule organisation poli-
tique civile membre du C.N.R. depuis les premiers moments de la Révolu-
tion. Elle ne cessait de dénoncer les déficiences théoriques et les pratiques
peu recommandables des arrivistes de l'U.C.B. et, dans une moindre me-
sure, du G.C.B. De ce fait elle concentrait sur elle toutes les haines de
V'U.C.B. qui voyait en elle l'obstacle principal à l’assouvissement de ses
ambitions. Blaise Compaoré qui s’appuyait sur l’'U.C.B. dans la poursuite de
349
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
55 Les régions militaires avaient été créées le 30 août 1985 par le conseil des coordon-
nateurs généraux du Faso. Au nombre de six, elles étaient les suivantes : -1 Région
militaire avec pour poste de commandement Dori. -2° Région militaire avec pour poste
de commandement Ouahigouya. -3° Région militaire avec pour poste de commande-
ment Dédougou. -4° Région militaire avec pour poste de commandement Bobo-
Dioulasso. -5° Région militaire avec pour poste de commandement Kombissiri. -6°
Région militaire avec pour poste de commandement Fada N'Gourma. Cf. Sidwaya, n°
344, Ouagadougou, 2 septembre 1985, p. 4.
350
ience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
S% Thomas Sankara a été assassiné avec douze de ses collaborateurs. Ils furent tous
immédiatement enterrés à la sauvette dans de petits trous au cimetière de Dagnoë qui
était à l’époque un quartier pauvre de la banlieue Est de Ouagadougou. À propos d’une
sépulture digne pour Sankara, Blaise Compaoré déclara avec cynisme qu’il s’agit là
d’un sujet étranger aux préoccupations actuelles des Burkinabè et qui relève du fait
divers. Cf. Marchés Tropicaux, n° 2206, Paris, 19 février 1988, p. 429.
351
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA
qui, pourtant, ont été les seuls à avoir œuvré avec des militaires pour
l’avènement de la Révolution n’ont voulu rejoindre le Front populaire.
Leurs membres connaîtront même le martyre. À l'étranger, le C.D.R. de
Dakar appela les Burkinabè à ne pas suivre le nouveau pouvoir puis il
annonça sa propre dissolution. En France les C.D.R. de Paris et de Nice
décidèrent également de s’auto-dissoudre pour ne pas avoir à collaborer
avec le nouveau régime.
539- Ce qui retiendra particulièrement l’attention pendant les premiers
moments sera la rébellion du capitaine Boukary Kaboré sumommé Le
Lion du Bulkiemde pour son audace et sa combativité. Celui-là même qui,
le 17 mai 1983, après l’arrestation du premier ministre Thomas Sankara,
et alors que le capitaine Henri Zongo était encerclé avec ses hommes au
camp Guillaume Ouédraogo situé au centre de la capitale sans aucun es-
poir de s’en sortir, avait choisi de les y rejoindre pour y mourir avec eux
en défendant ce qui pour lui était la juste cause. Beaucoup l’appelaient
tout simplement Le Lion.
540- Alors qu’il était lieutenant, Boukary Kaboré avait été nommé à la
tête du Bataillon d’intervention aéroporté (B.L.A.) par un décret du 10
août 1983. Le B.LA. était installé à Koudougou, chef-lieu de la province
du Bulkiemde, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Ouagadougou.
Retranché dans sa localité, Boukary Kaboré refusa de reconnaître les
autorités issues du coup d’État. À Radio France internationale (R.F.L.) il
déclara que les partisans du Front populaire sont des traîtres et des assas-
sins et que, s’il le fallait, il se battrait contre le nouveau pouvoir jusqu’à
la dernière cartouche pour faire triompher la dignité et la volonté popu-
laire. Pour lui, c’était une question de principe. Il y a en effet des situa-
tions qui révoltent à tel point que les questions de stratégies peuvent de-
venir ridiculement secondaires. Des soldats et des officiers d’autres ca-
sernes le rejoignirent à Koudougou pour animer la résistance. Boukary
Kaboré était soutenu par le Pouvoir révolutionnaire provincial (P.R.P.)
du Bulkiemde et l’Association des scolaires de Koudougou qui avait
même programmé une marche le 26 octobre pour le soutenir. La marche
fut annulée à sa demande pour des raisons militaires. Des éléments du
C.N.E.C. de Pô à la solde de Blaise Compaoré étaient déjà semble-t-il
aux alentours de Koudougou.
352
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
55 Ce sont les lieutenants Gaspard Somé, Alain Bonkian, Léonard Gambo et Sibiri
Balima qui ont conduit les opérations.
"has 5 353
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
ce de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA
autres le suivirent. Ils n’avaient pas trouvé utile de discuter avec les
émissaires du Front populaire.
543- À Ouagadougou même les populations de certains secteurs
comme le secteur 11 se rebellèrent ouvertement. Les scolaires avaient
immédiatement manifesté leur hostilité aux nouvelles autorités. Beau-
coup d’entre eux seront d’ailleurs renvoyés de leur établisement, particu-
liérement les meneurs. Les militants désertèrent les structures populaires
et les permanences des C.D.R. Cette situation contraint le Front populaire
à dissoudre les C.D.R. en mars 1988 pour les remplacer par des Comités
révolutionnaires (C.R.) Le secrétariat général national des C.D.R. fut
ainsi remplacé par la Coordination nationale des structures populaires
(C.N:S.P.) dont la direction fut confiée au médecin-capitaine Bognessan
Arsène Vé, Mais les C.R. ne parvinrent pas à mobiliser des militants et
en octobre 1988, soit un an après l’assassinat de Thomas Sankara, leur
premier responsable reconnaissait l’inexistence effective des C.R. et dé-
clarait qu’il y avait un problème de confiance.
544- Le 15 décembre 1987, soit deux mois après le coup d’État du
Front populaire, Vincent Ouédraogo qui, sous le C.N.R. était ambassa-
deur du Burkina à La Havane, annonçait la création du Rassemblement
démocratique et populaire Thomas Sankara (R.D.P.T.S.) avec pour ob-
jectif de combattre le Front populaire. En mars 1988, soit cinq mois
après, réunis à Koudougou dans la clandestinité, des citoyens de diverses
catégories sociales créaient le Parti révolutionnaire des travailleurs du
Burkina (P.R.T.B.) qui affichait aussitôt son option de poursuivre la poli-
tique de Sankara et sa détermination à combattre le Front populaire. Le 4
août 1988, jour du cinquième anniversaire de la Révolution, le Mouve-
ment sankariste faisait son apparition et annonçait qu’il s’organisait au-
tour de la pensée et de l’action de Thomas Sankara. Toutefois, l’impact
de ces organisations est resté très limité. Mais leurs fondateurs ont eu le
courage et le mérite, à un moment où ils avaient tout à craindre et à
perdre, de jeter les bases de la contestation et d’indiquer la voie. Les par-
tis et mouvements sankaristes qui existent actuellement ont vu le jour
bien après. ! 8 pa-FiX
sa
S%6 La Convention des partis sankaristes (C.P.S.) était née le 4 août 1 999 et comprenait
le Bloc socialiste burkinabè (B.S.B.) d'Ernest Nongma Ouédraogo, le Parti de la démo-
cratie sociale unifié (P.D.S.U.) de Valère Dieudonné Somé, le Front des forces sociales
(F.FS.) de Norbert Michel Tiendrebéogo et l'Union des démocrates progressistes indé-
pendants (U.D.P.I.) de Dongo Longo.
Le 13 janvier 2007, la C.P.S. fusionna avec d’autres partis pour donner nais-
sance à l’Union des partis sankaristes (U.P.S.) Ce sont la Convergence de l'Espoir (ES-
POIR) de Jean-Hubert Bazié, le Parti pour l’unité nationale et le développement
(P.U.N.D.) de Boukary Kaboré dit Le Lion et la fraction du F.F.S. qui avait repris son
autonomie,
$%7 L'engagement du 15 octobre 2 000 dit : « Camarades ! En ce jour solennel du 15
octobre, au nom des camarades sankaristes du Burkina Faso et d'ailleurs, nous, ici
présents : -Proclamons notre fidélité aux idéaux de vérité, de liberté, d'intégrité, de
solidarité, de justice ef de paix défendus au prix de sa vie par le président Thomas San-
kara. —Appelons à une alliance de tous ceux qui partagent ces valeurs qui ont fondé le
sankarisme et en sont la sève vivifiante. -Nous engageons à œuvrer activement et avec
détermination à une unité combattante de toutes les bonnes volontés et à la renaissance
du sankarisme, pour le plus grand bonheur du genre humain, au Burkina, en Afrique et
à travers le monde. La patrie ou la mort, nous vainerons !»
355
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apoliinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA
% Voir la Proclamation en annexe. Elle fut rédigée par Watamou Lamien qui était
devenu secrétaire général de l’U.C.B. après la démission du capitaine Pierre Ouédraogo
pour éviter la double appartenance à l’O.M.R. et à l’U.C.B. qui entraînait des confu-
sions dans le fonctionnement du C.N.R. W. Lamien en voulait personnellement à San-
kara qui lui avait reproché des détournements de fonds. Tel a été Le cas de la plupart de
ceux qui se sont regroupés autour de Blaise Compaoré pour fomenter Le coup d’État.
Chacun avait quelque chose à se reprocher et à cacher.
W. Lamien a trouvé la mort le 19 juin 1988 dans un accident de voiture dans
des circonstances non élucidées. L'accident s’est produit à Somiaga, à une dizaine de
kilomètres de Ouahigouya alors qu’il s’y rendait pour encourager le cinéaste Idrissa
Ouédraogo qui y était en tournage. Cf. Carrefour africain, n° 1044, Ouagadougou, 24
juin 1988, p. 8-9. II lui était reproché d’avoir lorgné le poste de président du Front popu-
laire juste après l’assassinat de Sankara.
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Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA
SP CLS TO À
Sic£ Bendré, n° 813, Ouagadougou, 8 décembre 2014, p. 10.
359
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
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$7 En langue more, gängo (la peau) donne au pluriel gändo (les peaux). Elle a bénéficié
au départ du monopole du commerce des cuirs et peaux. D'où ce surnom,
$8 Newton Ahmed Barry, “Blaise Compaoré : le vide complet”, L' Événement, n° 137,
Ouagadougou, 10 avril 2008, p. 9.
364
RS
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
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#7 Cf. : -Cour des comptes, Rapport d'activités 2008, -L’Indépendant, n° 855, Ouaga-
dougou, 26 janvier 2010, p. 10.
55 Cf. L'Observateur Paalga, n° 7531, Ouagadougou 18-20 décembre 2009, p. 6.
S% Cf. Courrier confidentiel, n° 11, Ouagadougou 10 juin 2012, p. 5.
# Pour une idée générale sur ce point, ef. : -Courrier confidentiel, n° 18, Édition spé-
ciale, Ouagadougou, 25 septembre 2012. -Courrier confidentiel, n° 19, Édition spéciale,
Ouagadougou, 16 octobre 2012.
$1 Cf. L'Observateur Paalga, n° 7658, Ouagadougou, 23 juin 2010, p. 19.
$2 Cf. Le Pays, n° 3719, Ouagadougou, 2 octobre 2006, p. 22.
368
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
recours aux marchés de gré à gré pour rattrapage des besoins non pris en
compte au départ; les insuffisances notoires dans la conservation et
l'archivage des documents relatifs aux marchés ; les insuffisances dans le
suivi des chantiers et le contrôle physique et technique des livraisons des
produits et des biens commandés ; les insuffisances dans le suivi du
paiement des décomptes, des pénalités de retard et des retenues de garan-
tie, etc®®. Toutes ces violations avaient un seul et unique objectif : favo-
riser des particuliers et les entreprises détenues par la famille présiden-
tielle soit directement, soit par personnes interposées et les opérateurs
économiques qui rendaient ou avaient rendu des services au régime ou à
la famille présidentielle. L'État était ainsi devenu une source inépuisable
de ressources pour Blaise Compaoré, sa famille et son régime.
567- La Présidence du Faso était loin de donner l’exemple. Il lui a été
reproché « {a non-lisibilité de nombre de dépenses effectuées. » Sans
oublier que la Direction générale des marchés publics n’était même pas
impliquée dans l’attribution des marchés de la Présidence”. Blaise
Compaoré a été lui-même directement interpellé. Dans une interview au
Journal du dimanche\du 11 septembre 2011, Robert Bourgi qui était :
chargé des relations occultes entre le Palais de l'Élysée et les chefs d’État
africains, affirmait au sujet de la campagne pour l’élection présidentielle
française de 2002: « Par mon intermédiaire, … cinq chefs d "État afri-
cains — Abdoulaye Wade (Sénégal), Blaise Comporé (Burkina Faso),
Laurent Gbagbo (Côte d'Ivoire), Denis Sassou Nguesso (Congo-
Brazzaville) et bien sûr, Omar Bongo (Gabon) — ont versé environ 10
millions de dollars pour cette campagne de 2002. [...] Un exemple qui ne
s'invente pas, celui des djembés (des tambours africains). Un soir, j'étais
à Ouagadougou avec le président Blaise Compaoré. Je devais ramener
pour Chirac et Villepin 3 millions de dollars. Compaoré a eu l'idée,
“connaissant Villepin comme un homme de l'art”, a-t-il dit, de cacher
l'argent dans quatre djembés. Une fois à Paris, je les ai chargés dans ma
voiture jusqu'à l'Élysée. C’est la seule fois où j'ai pu me garer dans la
3 Cf: -L'Observateur Paalga, n° 8043, Ouagadougou, 11 janvier 2012, p. 4. -
L'Observateur Paalga, n° 8171, Ouagadougou, 16 juillet 2012, p. 9-10, 31-32. -Bendré,
n° 605, Ouagadougou, 26 juillet 2012, p. 12. -Courrier confidentiel, n° 12, Ouagadou-
gou, 25 juin 2012, p. 5.
Cf. Courrier confidentiel, n° 16, Ouagadougou, 25 août 2012, p. 10.
369
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
707 Issaka Herman Traoré, “Comme dans la Sourate Al-Ma'idah”, L'Observateur Paal-
a, n° 6998, Ouagadougou, 25 octobre 2007, p. 11
TE Cf. Jeune Afrique, n° 1 400, Paris, 4 novembre 1987, p. 23.
374
A]
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBËLA
avait dit qu'on devrait se laisser tuer pour que demain des gens parlent
de ce que nous avions fair,»
578- Dans la réalité le prétendu complot de 20h est encore une de ces
manigances sordides auxquelles ont recours les esprits faibles et les per-
sonnes sans envergure pour gravir les sommets. Il était en effet prévu une
réunion à 20h ce jour-là. Heureusement, un document essentiel a pu se
soustraire des mains des prédateurs, traverser le temps, pour témoigner
des faits. Il s’agit du discours que Sankara devait y prononcer. Dans ce
discours, Sankara évoquait les méfaits que les intrigues des opportunistes
avaient causés à la Révolution. Il ajoutait : « La Révolution a beaucoup
souffert de ces éléments-là. Incapables d'élever le niveau des débats, ils
l'ont tiré en arrière. Ils l'ont rabaissé. Redoutant l'unité comme étant la
Jin de leurs “droïts princiers de naissance” ils ont démobilisé partout où
il y avait ne serait-ce qu'une certaine adhésion, et ailleurs, ils ont jeté de
l'huile sur le feu de la division. » I] proposait alors de retourner aux
masses pour dénoncer et condamner « ceux qui jusque là ont prêché …
dans les eaux de la Révolution troublées par eux. » Et de mettre en place
les statuts du C.N.R. pour mieux encadrer son fonctionnement”"*,
579- Salif Diallo était chef de cabinet de Blaise Compaoré. Dès le len-
demain du 15 octobre 1987, Blaise Compaoré l'avait rappelé auprès de
lui et, jusquà leur rupture officielle en janvier 2014, Salif Diallo était
resté son confident, son homme à tout faire et avait gravi tous les som-
mets de l'État. Il déclare ceci : « Le jour du coup d "État effectivement,
j'étais assis avec lui (N.D.L.A. : Blaise Compaoré), parce que je devais
être à la réunion de 16 heures. Et je suis parti chez Blaise Compaoré
pour prendre un document sur ordre de Thomas Sankara. [...] en fait, je
devais être une des victimes parce que je devais être à la réunion avec
mon ami Kiemdé Frédéric”. » Comment Sankara pouvait-il avoir plani-
fié un complot à 20h visant l’élimination de Blaise Compaoré et envoyer
le fidèle camarade de celui-ci chercher un document chez lui pour une
réunion à 16h ? Il eut été plus simple d’attendre son élimination pour
ensuite aller chercher tous documents nécessaires. La réalité révèle plutôt
716 Cf. V. Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit. p. 65.
77 Compagnie républicaine de sécurité.
8 Direction de la compagnie d’intervention rapide.
377 |
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
revenir un jour’1?, » Boukary Kaboré, lui, dit sèchement : « Ce ne sont
que des histoires. [...] le président Thomas était le chef de 1 "État. S'il
voulait créer une unité spéciale, qu'est-ce qui l'aurait empêché de le
faire ? Dire donc que Thomas voulait créer une unité contre les autres
n'engage que ceux qui tiennent de tels propos”. » S’il Pavait voulu,
Sankara aurait pu éliminer qui il voulait”?!, Même sur le plan militaire
qui était le principal appui de Blaise Compaoré, la plupart des comman-
dants de garnison étaient restés fidèles à Sankara”. Toutefois, la créa-
tion de la F.L.M.A.T.S. a pu précipiter l’action des putschistes qui ont pu
voir en elle, si elle devenait pleinement opérationnelle, un moyen pou-
vant les empêcher d’atteindre leurs objectifs.
3- Les amalgames
581- Le communiqué n° 2 du Front populaire déclarait le vendredi 16
octobre jour férié sur l’ensemble du territoire. La population était invitée
à « mettre à profit cette journée pour réfléchir sur un bilan national de
rectification sur la base des graves insuffisances accumulées depuis 4
ans.» Toute l’action de Sankara était donc jugée mauvaise. Mais très
vite, la réprobation générale à laquelle il fut confronté fit comprendre au
Front populaire qu’il ne fallait pas trop condamner la politique de Sanka-
ra. Il opta alors pour des manœuvres d’équilibriste. Pour justifier son
putsch il coupa la poire en deux en portant maintenant ses condamnations
sur les deux dernières années du C.N.R. soit de 1985 à 1987. Or, cette pé-
riode correspond à la présence au C.N.R. de PU.C.B. et du G.C.B. qui y ont
été admis le 12 mai 1985 avec d’ailleurs la bénédiction de Sankara. Les
éventuelles insuffisances ne pouvaient donc être que le fait de ces deux or-
ganisations. Le Front populaire qui, initialement n’était composé principa-
lement que de l’U.C.B., du G.C.B. et de l'U.L.C.-La Flamme se condamnait
ainsi lui-même à force de chercher à justifier son forfait. Preuve s’il en était
encore besoin du manque d’esprit de ses animateurs.
582- Surpris par la désapprobation générale, Blaise Compaoré usa de
plusieurs expédients pour tenter de donner une version plus acceptable
des faits et de calmer ainsi les esprits. Il prétendit alors que la mort de
Sankara était un accident et qu’il n’avait jamais donné l’ordre de le tuer
mais seulement de arrêter. Il dira ensuite que « c'était Thomas Sankara
ou moi. » Laissant ainsi entendre que Sankara aurait cherché à l’éliminer
et qu’il aurait simplement pris les devants. Il dira également qu’il n’était
pas au courant de l'intention de ses hommes d’arrêter ou de tuer Sankara.
Tant de contradictions qui révèlent la difficulté d’assumer la responsabi-
lité des actes qu’on a posés sans motif sérieux, outre le fait de vouloir
assouvir des ambitions personnelles et viles longtemps contenues.
583- Il n’est pas difficile de comprendre que pour Blaise Compaoré il
n’a jamais été question d’arrêter simplement Sankara. Comme l’a écrit
CT. Gadio, « Qui mieux que Blaise savait que Sankara resterait fidèle
au slogan “la patrie ou la mort” 77 ; Les deux se connaissaient à tel
point que Sankara avait eu à déclarer : « Ce que je sais, Blaise le sait ; et
ce qu'il sait, je le sais. » À un journaliste de la Télévision suisse romane
(T-S.R.) il avait déclaré : « Le jour où vous apprendrez que Blaise pré-
pare un coup d ‘État contre moi, ce ne sera pas la peine de chercher à
vous y opposer ou même de me prévenir. Cela voudra dire qu'il est trop
tard et que ce sera imparable. Il connaît tant de choses sur moi que per-
sonne ne pourrait me protéger contre lui, s'il voulait m'attaquer. Il a
contre moi des armes que vous ignorez #4 » Blaise Compaoré qui con-
naissait si bien Sankara savait qu’on ne pouvait pas se contenter de le
renverser et de l’emprisonner. À ce sujet, Le Lion du Bulkiemde, Boukary
Kaboré dira : « S'il avait été vivant, je crois que j'aurais tué tout le
monde pour le sauver et ça aurait été ma mission, Mais comme il était
déjà mort, j'ai préféré arrêter®. » CT. Gadio écrit : « La réaction du
peuple burkinabè traumatisé, les marches vers la tombe de Sankara, en
7 Cheikh Tidiane Gadio, “La patrie ou la mort, Sankara vaincra ….”, Sud Magazine, n°
8, Dakar, p. 11.
7# Cf. Jeune Afrique, n° 1399, Paris, 28 octobre 1987, p. 38.
75 Cf. Le Pays, n° 3970, Ouagadougou, 8 octobre 2007, p. 4.
379
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
dépit du déploiement des forces dans la rue, n'est-ce pas là une preuve
que Sankara vivant et en prison, serait vite libéré par tous ceux qui ne
connaissent, ni ne partagent les vues du fameux Front Populaire"
Compaoré, comme ses partisans, connaissait la dimension de Sankara. ls
savaient tous qu’aucun groupe politique ne pouvait entraver sa marche et
qu'aucune prison au Burkina ne pouvait le contenir. La seule façon de
réaliser leurs ambitions était de le tuer.
584- En se débattant pour justifier leur putsch, Compaoré et ses parti-
sans tentèrent de faire croire que ce dernier n'avait pas été guidé par la
recherche du pouvoir. Comme argument de poids, ils prétendirent, citant
la participation de Compaoré au coup d'État du 7 novembre 1982 et à la
victoire de la Révolution le 4 août 1983, que plusieurs fois celui-ci avait
eu l’occasion de prendre le pouvoir avant la 15 octobre 1987 mais qu’il
avait préféré chaque fois y renoncer. Il y a là des confusions savamment
concoctées pour berner les esprits naïfs. Il est vrai que Compaoré avait
participé au coup d’État du 7 novembre 1982 qui a renversé le
C.MR-P.N. du colonel Saye Zerbo. Mais, il est loin d’en avoir été
l’acteur principal. Il n’y à joué qu’un rôle très secondaire. Les vrais ac-
teurs étaient de jeunes officiers et des sous-officiers qui, en vertu de leur
admiration pour Sankara, comptaient sur lui pour prendre les rênes du
pouvoir. À l'issue donc de ce coup d’État, Compaoré n’avait aucun
moyen d’accéder au pouvoir, d'autant plus qu’à cette époque, le com-
mandement du C.N.E.C. lui avait déjà été retiré au profit du lieutenant
Sambo Boéna. En outre, il avait été muté à Bobo-Dioulasso et il ne dis-
posait plus directement de troupes. Jean-Baptiste Ouédraogo qui fut alors
élu président précise que c’est Sankara qui était leur leader et qui avait
été désigné comme chef de l’État. Mais il refusa au motif qu’il fallait un
officier qui pût avoir beaucoup d’autorité pour restaurer la cohésion et
lPunité de l’armée. Il ajoute : « … juste après le 4 août, on a entendu dire
que Thomas n'a eu aucune responsabilité dans tel ou tel événement. Je
dis que c'est totalement faux. C'est bien lui qui nous encadrait, prépa-
raït, mais malheureusement après a refusé d'assumer les responsabili-
tés’ 7,» En revanche, Compaoré a joué un rôle plus important pour
Salam Kaboré, son poste de prédilection était les Affaires étran, sères.
Mais il a été contraint d’accepter la fonction suprême de chef d° État”
commis de l'État. S'y sont greffés de petits fonctionnaires qui ont brouté
là où ils étaient attachés. » Mettant bout à bout les diférents programmes
de Blaise Compaoré en fonction de ses différentes campagnes électo-
rales, le journal poursuit : « Après 24 ans de programmes de large ras-
semblement pour le développement et la démocratie, pour un développe-
ment solidaire, de progrès continu pour une société d'espérance, pour un
Burkina émergent mis bout à bout, le Burkina n'avance pas. Il arrive à
peine à se démerder debout. On a pensé qu'un Cadre stratégique de lutte
contre la pauvreté allait résoudre l'affaire. Rien. Ou plutôt la croissance
est là mais la ménagère fait toujours son marché avec un sachet de 10F. X;
La Stratégie de croissance accélérée pour un développement en vogue
n'y parviendra pas non plus si la bonne gouvernance n'est pas, ges les
comportements et la politique hors de l'Administration publique?
588- À l’occasion donc de la célébration des “20 ans de renaissance
démocratique avec Blaise Compaoré”, un de ses partisans lui demanda
pourquoi il n’a pas gardé le pouvoir le 4 août 1983. Compaoré répondit
sèchement : « Ça a êté décidé ainsi. » I] déclarera par ailleurs : « Mais
pour ce qui est de la pr résidence, c'était arrêté depuis que c'est Thomas
Sankara qui serait à la tête, » Dans le discours qu’il a prononcé le 19
octobre 1987 pour tenter de justifier son forfait, Compaoré reconnaissait
déjà à son corps défendant qu’à l’avènement de la Révolution « Thomas
Sankara qui … semblait incarner à nos yeux les aspirations de notre
peuple fut choisi. » Point n’est besoin d’être grand clerc pour com-
prendre que Blaise Compaoré a été contraint de se soumettre à une force
supérieure. Au demeurant, d’aucuns prétendent que si Compaoré avait pu
être chef d’État dès le 4 août 1983, compte tenu des limites qui lui sont
propres, il n°y aurait tout simplement pas eu de révolution ou alors, dans
le meilleur des cas, elle aurait été sans contenu et très éphémère”?
B) LES VRAIS MOBILES DE L’ASSASSINAT DE SANKARA )
M
#9 Fidèle Toé, qui fut ministre du Travail et de la Fonction publique, explique que
même des membres du C.NR., à l’insu de Sankara, aménageaient et exigeaient des
faveurs pour leurs parents ou leurs proches. Cf. L'Ouragan, n° 259, Orodara, 22 août
2012, p. 7.
387
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
pour aboutir à leurs fins. Ce trait de son caractère qui relève de la naïveté
l’a conduit à commettre, dans son comportement et dans le choix de son
entourage,
des erreurs qui se sont révélées fatales.
FUI a été créé en 1951 par l’armée française et s'appelait École des enfants de troupe
de Ouagadougou puis École militaire préparatoire africaine de Ouagadougou. Son ob-
jectif était de scolariser les enfants des militaires et anciens militaires de l’armée colo-
niale et pallier ainsi l’absence souvent prolongée de leur père. En 1963 l’établissement
fut ouvert à tous les enfants pour une formation aux carrières militaires et civiles. C’est
en 1969 que l'établissement prit le nom de Prytanée militaire de Kadiogo (P.M.K.) En
1985, sous la Révolution, il est dissous pour rouvrir en 1992 sur son site actuel à Kam-
boinsé à 15 km environ au nord de Ouagadougou. Son ancien site est actuellement oc-
cupé par un établissement d’enseignement secondaire classique : te lycée Marien
Ngouabi, du nom d’un ancien président du Congo Brazzaville.
388
Œ
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentté
ApollinaireJ. KVÉLEM de TAMBËLA
des considérations plus nobles que la vile gupiaté l'ambition et une ja-
lousie mesquine ont inspiré son coup d État
761 Pabeba Sawadogo, “15 octobre 1987, une histoire de tubes digestifs ?”, Bendré, n°
257, Ouagadougou, 13 octobre 2003, p. 8.
7 Cf. Sennen Andriamirado, Il s'appelait Sankara, Paris, JAPRESS, 1989, p. 75.
396
]
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
les réalisations. En outre, une note du 21 août 1987 adressée aux mi-
nistres les invitait à reprendre les enseignants du primaire qui avaient été
licenciés et les agents sanctionnés pour leurs actes et propos contre la
Révolution. Une autre note les invitait à faire des propositions pour la
création de deux mille emplois en 1988. Il préparait aussi une augmenta-
tion des salaires de 20% environ. Ces mesures auraient beaucoup contri- |
bué à apaiser des mécontentements et à compliquer davantage l’action de
Compaoré et de ses partisans. Avec la création de la F.I.M.A.TSS. et la
réorganisation de la sécurité présidentielle qui était en vue, la puissance
militaire de Compaoré qui restait son dernier rempart était en voie de
banalisation. Pour Compaoré qui tenait à la réalisation de ses ambitions,
il n’y avait plus de temps à perdre. C'était le moment ou jamais de passer
à l’action.
b-5) Le passage à l’acte
vers 16h 30, Sankara, des éléments de sa garde et six de ses collabora-
teurs dont un, Patrice Zagré, était un agent double de l’U.C.B. s’étaient
retrouvés au Conseil de l’Entente, siège du C.N.R., pour une réunion de
travail. Peu de temps après, un groupe de commandos de P6, après avoir
abattu les gardes, fit irruption dans la salle et massacra froidement tous
les occupants. Un seul, Alouna Traoré, ayant réussi à faire le mort, en
réchappa. Immédiatement après, dans les casernes, des partisans de San-
kara furent également massacrés par les hommes de main infiltrés de
Compaoré. Beaucoup d’amis politiques de Sankara furent arrêtés, déte-
nus pendant des mois sans jugement et torturés. Sa veuve et ses enfants
furent soumis aux pires humiliations et le Front populaire tenta en vain
de salir sa mémoire.
b-6) Observations
moi comme démissionnaire car je ne saurais servir mon pays sous un tel régime. » CF.
V, Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit., p. 94.
%6 Cf. Jeune Afrique, n° 1400, Paris, 4 novembre 1987, p. 20.
77 Cf. -Jeune Afrique, n° 1421, Paris, 30 mars 1988, p. 27. -S. Andriamirado, Il
S’appelait Sankara, op. cit., p. 135.
399
Thomas SANK ARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
Les contradictions se relèvent sur les plans politique (a) et économique (b).
a) Les contradictions sur le plan politique
611- Dès les premières déclarations, il se dégageait une absence totale
d’un quelconque programme politique ou économique de la part du Front
populaire. En réalité, seules la soif de la jouissance du pouvoir et la haine
contre Sankara et la Révolution avaient pu réunir les putschistes. La Pro-
clamation dit : «aux plans économique et social, nous avons assisté à
l’écroulement continu de notre système productif et à la décadence so-
ciale. Ceci nous menait inexorablement au chaos total. » Le Front popu-
laire intervenait donc « Pour arrêter cette dégénérescence de notre pro-
cessus révolutionnaire et redonner espoir à notre peuple et à notre pa-
trie». Pourtant, le Front populaire proclamait urbi et orbi que la base
théorique de son régime restait le Discours d’orientation politique
(D.O.P.) alors même que ledit Discours a été rédigé par Sankara avec une
forte coloration des thèses de l’ex-U.L.C, alors en reconstruction, et à un
moment où l’U.C.B., l’épine dorsale du putsch, n'existait pas encore.
Pouvait-il prétendre mieux connaître et mieux appliquer le D.O.P. mieux
que son concepteur ?
613- Le Front populaire faisait croire qu’il était venu « poursuivre con-
séquemment la révolution d'août 1983 » en rectifiant ce qui à ses yeux
était des erreurs. La réalité fut autre chose. Très vite il opta pour un
changement d’alliance en choisissant de collaborer avec les agents de
l'État, les militaires et les opérateurs économiques et d’en faire la base de
son régime. Alors que Sankara opérait une redistribution progressive des
400
À
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
nce de développement autocentré
e J.KYÉLEM de TAMBËLA
part, le Front populaire fut déçu dans ses attentes, car contrairement à ses
vœux, les délégués exprimèrent leur satisfaction pour les acquis et les
mérites du C.N.R. Croyant toujours naïvement à la bonne foi du Front
populaire, ils prirent une résolution d° « appliquer de façon effective et
consciente le mot d'ordre “produire et consommer burkinabè”. » Pour-
tant, Blaise Compaoré regardait déjà ailleurs. Le premier gouvernement
du Front populaire a été formé le 31 octobre 1987. Le premier conseil des
ministres qui se tint le 11 novembre 1987 décidait de la baisse des prix
des boissons alcoolisées produites au Burkina et de la levée de
l'interdiction d’importer des fruits et légumes. Par la suite, le 17 mars
1988, le Front populaire abrogeait les textes réglementant le port du faso
dan fani. La base du produire et consommer burkinabè était ainsi sapée
dès les premiers moments du Front populaire.
615- Cinq mois après son avènement, le 10 mars 1988, le Front popu-
laire parvenait enfin à rendre public son Programme d’action. Il contient
une litanie de bonnes intentions et de projets sans qu’à aucun moment il
ne soit indiqué les moyens et les forces à mettre en œuvre pour les réali-
ser. Il ne peut donc être comparé qu’au discours d’investiture de Issoufou
Joseph Conombo comme premier ministre, prononcé en 1978,et il est très
en-deçà du Discours programme du C.M.R.P.N. du 1% mai 1981. Dans
son message de présentation à la nation de son Programme d’action,
Blaise Compaoré en indiquait le fondement : « Nous développerons un
capitalisme d "État, seule voie qui peut nous permettre aujourd'hui de
rompre avec l'arriération ef de créer les bases matérielles d'une écono-
mie véritablement indépendante pour opérer la nécessaire transition vers
un système qualitativement supérieur. » le Programme d’action lui-même
dit : «.… la Révolution démocratique et populaire développera, pendant
une période donnée, le capitalisme d'État. »
618- Dans la majorité des cas, les privatisations qui résultent de négo-
ciations difficiles se font au profit de repreneurs étrangers, car le capital
national est souvent en-deçà des exigences des reprises, L'État qui, dans
n’est pas encadrée, les forts écrasent les faibles. Pour ne pas être écrasé,
tous les moyens pour émerger sont bons, y compris les plus répréhen-
sibles. L'intérêt de vivre ensemble se dissout dans les intérêts particuliers
et la société finit par se disloquer.
Pour justifier son action, le Front populaire était réduit à des contrevérités
sur les plans politique (a) et économiques (b).
622- Sans doute par référence au Front populaire français de 1936 qui
était réellement populaire, le regroupement d'intérêts divers qui renversa
le C.NR. prit le nom de Front populaire, pour aussi se réclamer d’une
certaine popularité. Mais ce n’était là encore qu’une idée volée à Sanka-
ra. En juin 1987 quand Sankara proposait aux différents groupes poli-
tiques composant le C.N.R. de se dissoudre pour se retrouver dans une
seule et même organisation politique en vue de donner plus de cohésion à
l’action du C.NR., c'était dans un Front démocratique et populaire
(F.D.P.) qu’il leur proposait de se regrouper. Le manque d'imagination et
de créativité des putschistes ne leur a même pas permis de trouver eux-
mêmes le nom du régime qu’ils voulaient mettre en place.
776 Cf. Carrefour africain, n° 958, Ouagadougou, 24 octobre 1986, p. 16. C’est l’auteur
qui souligne.
406
a |
autre que Blaise Compaoré lui-même investi de tous les pouvoirs néces-
saires. De surcroît, sans aucun scrupule, le Front populaire
s’accommodera très bien avec les T.P.R. qui ne seront dissous que sous
la pression des bailleurs de fonds en 1993, soit six ans après l'assassinat
de Sankara. Le communiqué n° 5 du Front populaire annonce la reprise
dans leur corps d’origine des enseignants licenciés en 1984, la levée des
suspensions qui frappaient les agents de l” État et la libération des prison-
niers politiques. On se rappelle que dès ie lendemain du licenciement des |
enseignants, Sankara avait convoqué un conseil extraordinaire des mi-
nistres pour essayer de rapporter la décision mais qu’il fut confronté à |
une forte opposition. Les ministres du P.A.I.-LLPA.D. lui avaient rétor- |
qué que « Ce serait une faiblesse que de reculer sur une décision déjà
annoncée”, » De même en fut-il quand il voulut procéder à la levée des
sanctions de suspension d’agents de l'État.
625- Peu avant d’être assassiné, Sankara était encore revenu sur la né-
cessité de reprendre les enseignants licenciés pour fait de grève et de le-
ver les sanctions de suspension. Pourtant, à en croire Philippe Ouédraogo
alors membre du C.N.R. et du gouvernement pour le compte du P.A.I.-
LI.PA.D. le conseil des ministres qui a entériné la décision de licencier
les instituteurs était dirigé par Blaise Compaoré, car ce jour-là, Thomas
Sankara était absent”. D'ailleurs, peu de temps après ce licenciement
collectif, Blaise Compaoré présidait un meeting des L DR. où il insistait
sur la nécessité de licencier les enseignants grévistes’”?. Sankara n°a donc
pris aucune part dans ce licenciement dont, par malice et par calcul poli-
tique, le Front populaire lui a attribué la responsabilité alors même que,
contre l’opposition de Blaise Compaoré et ses amis, Sankara a tout tenté
pour réparer la situation. La libération des prisonniers politiques dont fait
état le communiqué n°5 concernait notamment Soumane Touré dont
l’arrestation et la détention étaient l’œuvre de Compaoré et de l’U.C.B.
Lors de son arrestation, Blaise Compaoré préconisait aussi l’arrestation
de ses camarades de parti d’alors, Philippe Ouédraogo et Adama Touré.
Lui et ses amis réclamèrent ensuite avec insistance et véhémence la tête
627- Après avoir usé en vain de tous les stratagèmes pour se donner le
beau rôle en dénigrant Sankara et le C.NR, le Front populaire tenta
d'amener l'opinion à remettre en cause l'intégrité de Sankara. À partir de
mars 1988 éclata l'affaire de la valise de Sankara. Sankara aurait détourné
mique®. » Mais, ce qu’il a évité de révéler, c’est que pendant les trois
dernières années sous Sankara, le taux de l'inflation était négatif. Donc
non seulement il n’y avait pas de perte, mais plutôt gain de pouvoir
d’achat. En outre, la politique menée par Sankara permettait de jeter les
bases d’une politique de protection et de promotion sociale et d’une éco-
nomie de production.
quelque chose à voir dans cet attentat puisque quelques jours auparavant,
en juin 1984, il venait de lui confier l’organisation des manifestations du
premier anniversaire de la Révolution””,.
638- Mariam Sankara, un peu par nature, mais surtout par la volonté de
son mari, s’est tenue à l’écart du jeu politique et de ses intrigues. Elle
ignorait presque tout des affaires de l'État et des rivalités politiques qui
prévalaient. Pourtant, après avoir planifié l’assassinat du président San-
kara, Blaise Compaoré n’épargnera ni tracasseries ni humiliations à sa
veuve, Mariam ,et ses deux enfants, Philippe et Auguste qui n’eurent le
salut que grâce à l'intervention de chefs d’État étrangers dont Rawlings
du Ghana et Omar Bongo du Gabon? De leur côté, les plus heureux des
partisans de Sankara qui eurent la vie sauve, seront des familiers des
geôles du nouveau régime"®.
639- Après l’assassinat de Sankara, Blaise Compaoré pouvait enfin
réaliser son rêve de devenir président et surtout de jouir des délices du
pouvoir. Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo furent habilement instru-
mentalisés par Blaise Compaoré pour consolider son pouvoir. Bien qu’ils
aient été eux-mêmes surpris de la tournure des événements, c’est eux
pourtant qui furent principalement chargés, avec quelques uns,
d'expliquer et de justifier ce qui s'était passé le 15 octobre 1987. Du
coup, ils acceptaient aussi d’endosser la responsabilité de l'assassinat de
Sankara et ils furent d’office promus membres éminents du Front popu-
laire. Si les deux avaient pu faire preuve de courage pour se désolidariser
de Blaise Compaoré comme l’a fait Boukary Kaboré, il n’est pas certain
que le régime de Blaise Compaoré aurait survécu. Mais l’aspiration de
Compaoré à la monarchie absolue, au règne sans partage ne pouvait en-
core se réaliser car il fallait toujours, d’une façon ou d’une autre, tenir
compte des deux autres chefs historiques qu’étaient le commandant J.-B.
Lingani et le capitaine H. Zongo. Même si tout était mis en œuvre pour
#02 Sur le martyre de Mariam Sankara, ef. -V. Somé, Thomas Sankara - L'espoir assas-
siné, op. cit., p. 74 -77.-S. Andriamirado, Il s'appelait Sankara, op. cit., p. 136-142. -
Jeune Afrique, n° 1421, Paris, 30 mars 1988, p. 26-29.
F6 Cf. V. Somé, op. cit., p. 90-95, 132.
416
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBÈLA
sordide. Un jeune albinos qu’il avait été lui-même cherché un peu plus
tôt à la demande de son patron pour, soit disant, une aumône à lui faire,
venait d’être dépecé comme du gibier. Bouleversé par cette découverte, il
alla se confier à Norbert Zongo. Pour François Compaoré, il fallait empé-
cher une éventuelle propagation de la nouvelle.
641- David Ouédraogo sera torturé à mort par des éléments de la sécu-
tité présidentielle, pour qu’il révèle tous ceux à qui il avait porté
l'information. Tous ceux qui, à un moment ou l’autre, seront informés ou
soupçonnés d’être informés de l'affaire du sacrifice humain et de la cause de
la mort de David Ouédraogo, seront éliminés. C’est ce qui explique
lassassinat de Norbert Zongo mais aussi ceux du père Celestino di Giovam-
battista qui, en tant qu’aumônier des prisons, recueillait les confidences des
bourreaux de David Ouédraogo alors en prison ; du jeune journaliste Michel
Congo, ami du père Giovambattista, et des assassins de David Ouédraogo et
de Norbert Zongo qui seront eux-mêmes liquidés. L’assassinat de Norbert
Zongo déclencha pendant des années (1998-2003) des manifestations popu-
laires de protestation et de contestation qui contraignirent Compaoré à des
concessions et à revoir ses ambitions à la baisse.
#8 Cf. décret n° 99-158/PRES du 1° juin 1 999 portant création d’un Collège de sages.
#% Pour le Rapport du Collège de sages, cf. : -Sidwaya, Édition spéciale, Ouagadougou,
4 août 1 999. -Le Journal du soir, n° 1438, Ouagadougou, 7-8 août 1 999.
418
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
elle, c’est une journée « où les bourreaux ef leurs victimes sont conviés à se
donner des baisers de Juda”, » Mariam Sankara rejeta aussi la J.N.P. au
motif que le pouvoir qui l’organise a les mains couvertes de sang de ses vic-
times et qu’il fallait rechercher la vérité, la justice, avant d’arriver au pardon
et à la réconciliation. Les familles des victimes les plus emblématiques du
régime de Blaise Compaoré (Paulin Bamouni, Jean-Baptiste Lingani, Guil-
Jaume Sessouma, Boukary Dabo, entre autres) rejetèrent la J.N.P. pour sa
duperie.
644- Malgré les réserves et les rejets, la J.N.P. eut lieu parce que le
régime de Compaoré y tenait afin d’extorquer à ses conditions un suppo-
sé pardon pour ses innombrables crimes. Pour remplir le stade du 4 août
où devait se tenir la cérémonie, une “commission mobilisation” fut mise
en place et des véhicules affrétés amenèrent des figurants des quatre
coins du pays. Blaise Compaoré prit des engagements en sept points vi.
sant, entre autres, à la création d’un fonds d'indemnisation en faveur des
familles victimes de la violence en politique, à garantir les droits hu.
mains, à assurer le traitement diligent de l’ensemble des dossiers de
crimes économiques et de sang, à la moralisation de la vie publique et
sociale et à la lutte contre la délinquance économique et la corruption""?.
645- Le régime de Blaise Compaoré fut sérieusement ébranlé dans ses
fondements et dans ses certitudes. Le sacrifice consenti par Norbert Zon-
go permit d'opérer de profondes réformes politiques et de mettre fin aux
flagrants et sauvages assassinats politiques. À cette époque le nombre des
victimes des assassinats politiques du régime de Blaise Compaoré était
évalué à une centaine", Les assassinats politiques ne cessèrent pas pour
autant, mais ils se firent plus discrets et plus subtils. Si comme a voulu le
faire croire le Front populaire, les atteintes à la vie sous le C.NR. étaient
le fait de Sankara, elles auraient cessé après sa disparition. Bien au con-
traire, avec son assassinat sautait le verrou qui contenait les bras crimi-
nels et s’ouvrait pour les Burkinabè l’ère de la terreur.
#3 Cf. : -L’Observateur Paalga, n° 5371, Ouagadougou, 2 avril 2 001, p. 5-7. -Le Pays,
n° 2355, Ouagadougou, 2 avril 2 001, p. 6 et 19.
84 Cf -L'Indépendant, n° 286, Ouagadougou, 2 mars 1999, p. 6. -L'Indépendant, n°
338, Ouagadougou, 29 février 2000, p. 3-4. -Bendté, n° 100, Ouagadougou, 9 octobre
2000, p. 5 et 12.-Le Démocrate, n° 014, Ouagadougou, 26 mars 2001, p. 4 -$.-
L’Indépendant, n° 423, Ouagadougou, 16 octobre 2001, p. 8.
420
Chapitre III
La renaissance de Thomas Sankara
Par son œuvre (I) et par son sacrifice (II) Sankara a défié le temps et fait
une entrée remarquable dans l’histoire. En témoignent les réactions susci-
tées par sa disparition (HET).
646- Sankara avait conscience des risqués qu’il encourait même si,
pour se rassurer, il tentait de les évacuer en les minimisant ou en en fai-
sant un sujet de plaisanterie. Quand il lui fut demandé s’il connaissait la
peur de mourir il répondit : « Non, cette peur-là je ne la connais pas. Je
me suis fait une raison. Soit je finirai vieil homme quelque part, dans une
bibliothèque à lire des bouquins, soit ce sera une fin violente car nous
avons tellement d'ennemis. Une fois qu'on l'a accepté, ce n'est plus
qu'une question de temps. Cela viendra aujourd'hui ou demain®®, » Les
destins des grands hommes défient parfois le temps et l’espace pour se
recouper. C. Grimberg retrace brièvement le cheminement de Jules César
auquel se rapproche, mutatis mutandis, celui de Sankara : « César avait
conquis le pouvoir par la force des armes, mais il n'entrait pas dans ses
intentions de s'appuyer toujours sur l'armée. Il voulait créer un État où
la puissance militaire serait subordonnée à l'autorité civile. [...] César
ne se réserva même pas une garde du corps ; et pourtant, des hommes
comme les Gracques, Scipion l'Africain le Jeune et Pompée étaient tous
tombés sous le poignard des assassins. César fut assez optimiste pour
croire qu'un gouvernement équitable et soucieux du bonheur de toute la
communauté romaine serait une protection suffisante pour son pouvoir et
sa personne. Lorsqu'on découvrit plusieurs complots contre lui César se
#5 C£ J. Ziegler, J. Ph. Rapp, Thomas Sankara - Un nouveau pouvoir africain, op. cit. p. 102.
421
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA :
316 C, Grimberg, Rome, l’Antiquité en Asie orientale et les grandes invasions, op. cit., p.
99-100.
#17 C. Grimberg, op. cit., p. 101 et 102.
#18 C£ Libérateur, n° 27, Ouagadougou, novembre 2006, p. 5.
#19 1] s’agit de francs belges.
422
Thomas SANKARA et la Révolntion au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
L'indignation fut à son comble Jorsqu "il apparut que César léguait de fortes
sommes à plusieurs de ses assassins 2
#20 C, Grimberg, op. cit., p. 104 et 105. Rappel : Jonas Hien écrit que « Thomas a tout
perdu pour avoir tout donné à Blaise. » Cf. -L'Observateur Paalga, n° 6688, Ouagadou-
gou, 25 juillet 2006, p. 4. -Le pays, n° 3673, Ouagadougou, 27 juillet 2006, p.15.
1 Cf. À. Kyélem, L’éventuel et le possible, op. cit., p. 75-88.
423
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
une orientation qui pourrait contribuer à dégager une voie propre à chaque
pays et à chaque peuple à tout moment de l’histoire.
652- En tout état de cause, les faits révèlent que si Blaise Compaoré
s’est retrouvé embarqué dans le mouvement qui devait aboutir à la prise
| du pouvoir le 4 août 1983 (cf. n° 588), il n’a contribué en rien à la Révo- x
lution. Bien au contraire, tout au long du processus, il affinait ses calculs
et multipliait les intrigues. Tant qu’il ne pouvait pas faire autrement, il
jouait le jeu, faisant semblant d’œuvrer pour la Révolution. Dès qu'il
acquit suffisamment d’assurance, il se mit à saborder le processus de
| l'intérieur dans le but de faciliter et d’accélérer sa prise du pouvoir. Dès
le 15 octobre 1987, il rejeta en bloc tout ce qui a été fait pendant la Révo-
lution et en attribua la reponsabilité à Thomas Sankara (cf. n° 477). Mal-
gré tout, contraint par la réalité des faits, il devait par la suite reconnaître
les acquis de la Révolution. / n° { à ; *
|
653- L'engagement pour l’intérêt général doit être total et sans arrière-
pensée. Toute spéculation à ce niveau aura nécessairement un effet sur la
crédibilité de l’engagement, la pureté et la qualité de l’action. Dans la
Rome antique, Tiberius Gracchus avait déclaré : « Les animaux sauvages
de l'Italie ont des trous pour s'y reposer, mais les hommes qui luttent et
qui meurent pour l'Italie ne possèdent que l'air et la lumière. Ils errent
dans les campagnes, avec leur femme et leurs enfants, sans maison, sans
foyer. Les généraux mentent lorsqu'ils exhortent leurs soldats à défendre
leurs foyers et les tombeaux de leurs pères ; les légionnaires n'ont ni
425
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBÈLA
maison ni tombe où enterrer leurs pères, » Après avoir laissé tuer Ti.
berius Sempronius et Caius Sempronius Gracchus, les Romains - tout
comme les Burkinabè plus de deux mille ans plus tard pour ce qui con.
cerne Sankara - comprirent trop tard quelle perte ils avaient subie avec la
disparition des Gracchus. Plutarque raconte : « Le peuple leur éleva des
statues. Les endroits où les Gracques étaient tombés furent proclamés
lieux saints et l'on y sacrifia les primeurs de chaque saison » On éleva
aussi à Cornelia un monument commémoratif sur lequel on pouvait
lire : « Cornelia, fille de l'Africain, mère des Gracques”. »
84 C. Grimberg, Rome, l'Antiquité en Asie orientale et lesgrandes invasions op. cit. p. 13.
85 Cf. Ibid. p. 24.
8% Platon, La République, Paris, Librairie Générale Française, 1995, p. 423, & 586.
#77 Platon, Apologie de Socrate, Paris, GF-Flammarion, 1965, p. 40.
426
Thomas SANKARA et la Révolntion au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA
Comme l’a écrit Machiavel, « il faut considérer qu'il n'est rien de plus
difficile à traiter, de plus hasardeux à réussir, de plus dangereux à ma-
nier, que de décider d'introduire de nouvelles règles ; parce que celui
qui les introduit a pour ennemis tous ceux qui tirent avantage des règles
anciennes, et pour tièdes défenseurs tous ceux qui tireraient avantage des
règles nouvelles, » C’est pourquoi, écrit V. Somé, « Partout dans le
monde où de grands révolutionnaires ont été assassinés, c'est parce
qu'ils sont demeurés intransigeants dans la défense des intérêts de leur
peuple, et ont géré par conséquent, des intérêts de classe nationaux
et/ou étrangers % » Thomas Sankara est mort parce qu’il ne pouvait pas
échouer. Les grands hommes sont tels qu’ils créent toujours après eux un
vide. Mais, des contradictions qui naîtront à la suite de la disparition de
Sankara, une autre force se dégagera tôt ou tard pour reprendre et conti-
nuer la lutte engagée par Sankara®®. Comme a dit Napoléon 1”, « Les
hommes de génie sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur
siècle. » L'on peut dire que Sankara était venu pour semer l'espoir et
repartir. Thomas Sankara est mort ; des Sankara sont nés.
I- Les réactions
656- Rarement la mort d’un chef d’État d’un petit pays pauvre aura
suscité autant d’émois et de réactions dans le monde que celle de Thomas
Sankara. Cela traduit la dimension de l’homme. Les différents et mul-
tiples témoignages permettent de cerner sa personnalité, Ici sont repro-
duits certains d’entre eux pour permettre au lecteur de se faire sa propre
opinion. Comme l’a écrit $. Andriamirado en parlant de Thomas Sanka-
ra, « Mais il n'est pas mort. Ni pour ceux qui, à travers toute l'Afrique,
en font “un héros immortel”. Ni pour ceux qui craignent la seule évoca.
tion de son nom...»
429
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈËLA
Ÿ Considérant que d'aussi monstrueux traîtres ne peuvent prétendre
diriger le Burkina ;
Ÿ Considérant que leur forfait accompli, Compaoré et ses complices
tentent de semer la confusion en dissolvant le Conseil national de la
Révolution (C.N.R.) tout en voulant s'approprier les Comités de dé.
Jense de la Révolution (C.D.R.) ;
Nous, militants du Comité de défense de la Révolution de Nice-Côte
d'Azur, face à cette situation, prenons nos responsabilités et décidons
solennellement, à l'issue de l’Assemblée générale extraordinaire tenue le
24 octobre 1987, ce qui suit :
1- Désapprouvons totalement et condamnons fermement avec la
dernière énergie le putsch du 15 octobre 1987.
2- Refusons catégoriquement une quelconque collaboration ou com-
promis avec cette “Révolution rectifiée”.
3- En conséquence et en conformité avec notre position susmention-
née, décidons et déclarons la dissolution du Comité de défense de la Ré-
volution de Nice-Côte d'Azur.
4- Décidons de la mise en place d’une autre forme d'organisation en
vue de poursuivre la lutte pour la liberté, la dignité et le progrès du Bur-
kina Faso.
5- Appelons tous les patriotes, les organisations démocratiques, les
révolutionnaires, à engager la lutte pour :
- Restaurer la mémoire du camarade Thomas Sankara ;
- Restaurer la Révolution démocratique et populaire (RD.P.) en ba-
layant le régime traître du 15 octobre 1987.
La Patrie ou la Mort, Nous Vaincrons.
Fait à Nice le 24 octobre 1987.
430
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 2. KYÉLEM de TAMBËLA
{
8- Il est irremplaçable, autant pour sa gentillesse naturelle, son ou-
verture d'esprit et son exceptionnel charme africain que pour son dyna.
misme, son pragmatisme et son aptitude à épouser les espoirs des déshé.
rités. Peu de leaders de notre temps se seront autant identifiés aux
hommes et aux femmes ordinaires d'Afrique.
John Jerry Rawlings, président du Ghana, Jeune Afrique, n° 1401, Paris,
11 novembre 1987, p. 35.
10- Sankara est mort à cause de son courage, de son combat contre
l'injustice, contre la faim, contre l'exploitation. Je présente mes condoléances
aux Burkinabè victimes de ce coup d” ‘État qui a fait couler trop de sang.
Cissé Manding, électricien, Paris, France, Jeune Afrique, n° 1401, Paris,
11 novembre 1987, p. 80.
432
Thomas SANKARA ei la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentté
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA
13- Thomas, mon premier fils s'appellera Thomas Sankara et, dès ce
jour, ma plantation en cours de création porte le nom de zone T homas
Sankara.
Belle Bell II, Yaoundé, Cameroun, Jeune Afrique, n° 1403, Paris, 25 no-
vembre 1987, p. 73.
433
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA
16- I} était une fois un pays où les frères tuaient les frères. Il répon.
dait au nom de pays des hommes intègres. Ce pays n'existe plus, Com.
paoré n'est pas Sankara.
Hervé Mouleyre, La Mulatière, France, Jeune Afrique, n° 1403, 25 no-
vembre 1987, p. 74.
17- Il a su donner vie et âme à son pays, en commençant par démysti.
fier le pouvoir.
Noël Nonkan, étudiant ivoirien, Paris, France, Jeune Afrique, n° 1403, 25
novembre 1987, p. 75.
24- Le tyran meurt, son règne prend fin. Le martyr meurt, son règne
commence.
Ismaël Diallo, Kairouan, Tunisie, Jeune Afrique, n° 1405, Paris, 9 dé-
cembre 1987, p. 75.
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentté
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
26- Une étoile s'est éteinte au Sahel, laissant l'Afrique dans de pro-
Jondes ténèbres.
Oumar Abdalla Wele, Nouakchott, Mauritanie, Jeune Afrique, n° 1405,
Paris, 9 décembre 1987, p. 75.
29- Mes enfants nés en 1984 sont des jumeaux. Je leur avais donné
les prénoms de Thomas et Blaise. J'ai décidé de débaptiser Blaise ; quel
est le second prénom de Thomas ? Pat,
M. Boyamba, Paris, France, Jeune Afrique, n° 1407-1408 3 et 30 dé-
cembre 1987, p. 110.
30- J'aurais tant souhaité que ce soit un 1° avril, ce jour où j'ai ap-
pris l'assassinat de Sankara. Hélas, ce n'était qu'un 15 octobre et un
flambeau d'espoir pour l'Afrique venait d'être à jamais éteint.
Marcel Mbella, étudiant camerounais, Montréal, Canada, Jeune Afrique,
n° 1407-1408,23 et 30 décembre 1987, p. 112.
31- L'expérience de Sankara et des ses compagnons de lutte est unique
en Afrique et dans le tiers monde. L'assassinat de cet homme exceptionnel
est une tragédie pour l'Afrique entière. [..] Dans l'état de délabrement ex-
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Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
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Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentté
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
35- Platon fut l'élève de Socrate mais il ne l’a pas assassiné ; au con.
traire ce dernier a parlé par sa bouche après sa mort.
Aboubakary Hamady Bà, Mauritanien, Trentola Ducenta, Italie, Jeune
Afrique, n° 1411, Paris, 20 janvier 1988, p. 62.
36- Ils ont tué mon trait d'union avec l'Afrique noire.
Bradi Mohamed, Marocain, Belfort, France, Jeune Afrique, n° 1412, Pa-
ris, 27 janvier 1988, 59.
438
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYËLEM de TAMBËLA
42- J'ai été et je serai toujours de ceux qui n'accepteront jamais qu'on
discrédite ou minimise l'apport de Sankara à l'Afrique et aux Africains de la
diaspora. Pour moi, un des traits importants de Sankara était sa profonde
conscience de l'importance de la culture dans l'émancipation du continent.
Haili Gerima, cinéaste éthiopien, Africa International, n° 231, Paris, oc-
tobre 1990, p. 90.
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Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
48- Le 4 août marque une date pour nous, ça ne veut pas nécessaire-
ment dire qu'on a êté heureux à cette date-là [...] Mais, elle marque
quand même quelque chose. C'est grâce au 4 août queje ne suis pas ce
que j'aurais dû être aujourd'hui. C'est à cause du 4 août que je n'ai pas
pu réaliser un certain nombre de choses, de projets. Ça c'est l'aspect
négatif. Mais, il faut reconnaître que le 4 août a apporté quelque chose
au Burkina Faso. On ne peut pas faire des omelettes sans casser des
œufs. Tout ce que je viens de citer, c'est ce que j'ai enduré personnelle-
ment. Mais il faut savoir faire la part des choses entre sa façon de voir et
ce que le pays a pu en tirer.
Dans beaucoup de domaines, le 4 août a été positif. Malheureu-
sement, l'esprit du 4 août n'a pa pu survivre, sinon les choses auraient
pu être changées. [...] 1 faut dire que Thomas Sankara avait déjà an-
noncé certains éléments de sa rectification : adoucir les T.P.R., recon-
naître que certains fonctionnaires avaient été licenciés injustement, et
qu'il fallait rectifier. [.….]
Donc, il y avait quand même quelque chose de bon dans l'esprit
du 4 août. Malheureusement, je regrette que cet esprit n'ait pas pu conti-
nuer. Puisqu'on avait déjà le dos labouré par le fouet, il restait à
s'adapter. On commençait d'ailleurs à s'adapter quand la rectification
est venue. pour avoir tous les fruits de l'esprit du 4 août, il aurait fallu
continuer. |.…]
Après la rectification, nous assistons à une transformation des
mentalités qui est une catastrophe. C'est cette transformation qui a dété-
rioré la notion de la justice. La notion de l'impunité, de la culture de
l'impunité est née après la rectification. [.….]
Aujourd'hui, le 4 août est supprimé ; l'esprit qu'il a insuflé a été
travesti, transformé en cours de route et a produit des effets absolument
négatifs.
Alfred Kaboré, président de la Convention nationale des démocrates pro-
gressistes (C.N.D.P.), Le Pays, n° 2194, Ouagadougou, 4 août 2000, p. 6.
442
Thomas SANKARA et La Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
Chapitre I
Le temps des désillutions
Pour Blaise Compaoré, la jouissance du pouvoir (I) a fini par faire place
aux troubles sociaux et politiques (ID), à la peur de l’oubli (LIT) qui sus-
cite un besoin d’activisme (1V} et à la crainte de l’après-pouvoir (V).
IE La jouissance du pouvoir
444
En ne
658- Plus rien ne résistait à Blaise Compaoré qui avait vite fait de trou-
ver le Burkina trop petit pour ses ambitions. Il s’était alors mis à rêver
d’empire. Commencèrent alors les intrusions dans les affaires intérieures
des pays d’Afrique de l'Ouest (Bénin, côte d’Ivoire, Guinée, Libéria,
Mali, Mauritanie, Niger, Sierra-Leone, Togo). L’un des thèmes de sa
campagne pour l'élection présidentielle de 1998 était: «Le rêve du
grand Burkina ! Avec Blaise Compaoré, c'est possible ! » Tout un pro-
gramme ! Les tendances monarchiques s’affirmaient de plus en plus,
jusque dans l’habillement. À cette époque il s’habillait en effet souvent
en chef traditionnel moaga, le luxe en plus.
660- Norbert Zongo jouait en fait le rôle de fou du roi. Avec son assas-
sinat, les citadins réalisèrent que leur seul rempart étant tombé, plus per-
sonne n’était à l'abri. Spontanément les populations descendirent dans
les rues de Ouagadougou pour protester contre l’abomination. Après la
mise sur pied d’un embryon d’organisation, le mouvement de protesta-
tion gagna tout le pays. Du 14 décembre 1998, le lendemain de son as-
sassinat, à 2003, le pays fut dans une instabilité déconcertante, parfois
même ingouvernable. Le peuple avait pris conscience de sa force et la
peur avait changé de camp. Blaise Compaoré fut contraint de faire des
concessions. Il savait qu’il n’était pas aimé, mais par la terreur qu’il ins-
pirait, il savait aussi qu’il était craint et il s’appuyait sur la crainte pour
445
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
665- Prenant prétexte de la hausse des prix des poduits de base sous les
effets conjugués de la pression fiscale et du monopole du commerce de
ces mêmes produits détenu par des proches du régime, les 20 et 21 fé-
vrier 2008, les populations de Bobo-Dioulasso, Banfora et Ouahigouya se
répandirent dans ces villes dans des mouvements de protestation. On an-
nonça aussi des manifestations à Ouagadougou pour le 28 février. Des
pressions furent exercées sur certains des animateurs pour les en dissua-
der. Le 28 février dans la matinée, prenant les devants, les forces de
l’ordre occupèrent des lieux stratégiques et se firent très voyants pour
amplifier l’effet de dissuation. En milieu de matinée, des jeunes, par pe-
tits groupes, commencçèrent à converger vers le centre-ville, détruisant au
qu’en tout état de cause, si on avait besoin de lui, à tout moment on pouvait le trouver
au Kunde. En outre, pendant fa Révolution, le père de Maïga avait eu à gérer un des bars
de la chaine, celui de la Cité An IL, avant son rachat par la chaine des Kunde. On en
déduisit que les Kunde étaient la propriété de Maïga.
Kunde en langue more veut dire guitare. À l’origine était Guitare bar, sis au
quartier Larl de Ouagadougou. Ce bar fut le premier à être racheté par les opérateurs
des bars Kunde. D’où le nom des bars de la chaine.
S% C£. Libérateur, n° 32, Ouagadougou, avril 2007, p. 10-11.
#7 c L'Observateur Paalga, n° 6848, Ouagadougou, 19 mars 2007, p. 1-4. —
Évènement, n° 112, Ouagadougou, 25 mars 2007, p. 8-9.
448
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
passage des biens publics et parfois aussi des biens privés. L'intervention
des forces de l’ordre sembla exciter davantage les manifestants qui, dans
une ambiance de courses-poursuites, multipliaient les casses et les incen-
dies de pneus au milieu des voies pour stopper ou ralentir la progression
de la police. La fumée noire enveloppa la ville qui présentait un aspect
apocalyptique"%. Le lendemain, Ouagadougou était une ville dévastée.
Beaucoup prirent réellement conscience que s’il est difficile de bâtir,
détruire est chose facile. Cireuler dans Ouagadougou devint un parcours
du combattant, car la quasi-totalité des feux tricolores avait été détruite. Il
fallut plusieurs mois à L'État et à la municipalité pour y remédier.
668- À partir du 22 mars, les militaires vont supplanter les élèves dans
la contestation. À l’origine, ils entendaient protester contre un jugement
rendu le 22 mars 2011 par le tribunal de grande instance de Ouagadou-
gou dans un dossier de mœurs sentimentales opposant un sous-officier et
quatre hommes du rang à un civil. Les militaires avaient été condamnés
et immédiatement incarcérés à la maison d’arrêt militaire sise au camp
Sangoulé Lamizana. Certains militaires n’ont pas accepté cette situation
dans la mesure où, selon eux, des proches du régime coupables de faits
autrement plus répréhensibles jouissaient de l’impunité. Dans la nuit du
22 au 23 mars, des tirs d’armes de guerre déchirèrent le silence de la nuit
à Ouagadougou. Des commerces et des stations d’essence sont pillés et
saccagés et, vers 3h du matin, les militaires iront libérer leurs collègues
qui venaient d’être incarcérés dans la journéef#f,
676- Toute personne pense à sa place dans l’histoire, qu’elle soit per.
sonnelle, familiale, locale, nationale ou internationale. Ce sentiment
s’accroit souvent chez les détenteurs de pouvoirs publics. Très souvent
même, en dehors du souci de s’enrichir, c’est le souci de laisser son nom
dans l’histoire qui conduit au désir d’occuper de hautes fonctions et à
l’idée de conquérir le pouvoir. Or, les critères d’accès à l’histoire ont
évolué. Si pendant longtemps la clé de l’histoire a été à la pointe de
l’épée puis au bout du canon, elle a depuis commencé à glisser vers le
savoir et la sagesse. Le pouvoir politique ne préserve plus de l’oubli s’il
n’est pas marqué du sceau de l'intelligence et de la sagesse. D’ailleurs,
après avoir atteint son apogée dans l'Égypte antique où le pharaon pou-
vait être assimilé à un dieu, le pouvoir politique a depuis amorcé son dé-
clin, surtout avec l’avènement du christianisme qui a amplifié la cons-
cience que chaque personne est seule maître de son destin et que tous les
êtres humains sont égaux. Cette conception a été à la base du déclin pro-
gressif de l’empire romain. Pour les convertis en effet, autorité absolue
de l’empereur sur les corps et les esprits était contestée et l’empire cessait
d’être pour eux la seule référence et la seule raison d’exister. Il ne méri-
tait donc plus d’être défendu coûte que coûte. Il leur importait surtout
leur relation à Dieu. Ce n’est donc pas sans raison que les premiers chré-
tiens étaient jetés aux lions.
fait des dizaines d’années au pouvoir sont tombés dans loubli parce
qu’ils n’avaient aucune originalité ? Sans compter les milliers de mi-
nistres de par le monde ! En revanche, après un seul mandat de cinq ans
au pouvoir, Mandela était vénéré dans le monde entier pour sa sagesse et
reste une référence dans l’histoire. Sans avoir jamais exercé le pouvoir,
Gandhi, Luther King jr, Mère Theresa de Calcutta, l’abbé Pierre, les lau-
réats des prix Nobels et bien d’autres sont entrés dans l’histoire pour leur
savoir ou leur sagesse.
455
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
blics. Elle contrôlait pratiquement l’économie burkinabè et saisissait toutes les opportu-
nités -notamment les appuis politiques - pour s’implanter dans les autres pays de la
Xe proies
* #
%% Rappel : En 1997, Blaise Compaoré, avec la complicité d’une classe politique cor-
rompue, avait fait réviser la Constitution pour faire sauter la limittion du nombre de
mandats.
460
Chapitre IT
La chute de Blaise Compaoré
internationale veillent de plus en plus sur le respect des droits humains dont
les violations sont maintenant sanctionnées. Le mécontentement social et
l'aspiration au changement s’étaient accrus, En outre, au cinquième congrès
du C.D.P. tenu les 2, 3 et 4 mars 2012 au palais des sports de Ouaga 2000,
pour favoriser la prise de contrôle du parti par son petit frère François Com-
paoré et ce, en vue de le préparer à la succession, les anciens compagnons qui
avaient été à l’origine du parti et qui constituaient un obstacle à la promotion
de François furent écartés de la direction du parti puis du gouvernement.
Comprenant qu’ils n’avaient plus grand-chose à perdre, ils décidèrent de réa-
gir, s'appuyant en cela sur l'opposition politique et la société civile devenues
mieux struturées et plus combatives. Le 4 janvier 2014, soixante-quinze
membres du bureau politique du C.D.P. démissionnèrent du parti. Ils furent
vite suivis par des militants de base et des responsables du parti à tous les
échelons et dans toutes les localités. En peu de temps le C.D.P. fut vidé de sa
moelle. Le 25 janvier 2014 les démissionnaires créèrent leur propre parti, le
Mouvement du peuple pour le progrès (M.P.P.) qui rejoignit l’opposition.
Ainsi renforcée, l'opposition organisa plusieurs manifestations monstres à
travers le pays et principalement à Ouagadougou pour signifier son désaccord
à toute tentative de modification de l’article 37 de la Constitution.
694- En France, l’école laïque faisait partie des “cent dix propositions”
du candidat François Mitterrand®”. Élu en 1981 à la présidence de Ja
République, en 1984 il tenta de réaliser sa promesse. Mais les Français ne
l’entendaient pas ainsi. Ils décidèrent de s’y opposer en organisant une
manifestation monstre de protestation à Paris le 24 juin 1984. Le succès
fut tel que le projet fut simplement retiré le 12 juillet par François Mitter-
rand. Le ministre de l'Éducation nationale, Alain Savary, dut démission-
ner, suivi cinq jours plus tard par le premier ministre Pierre Mauroy et
son gouvernement. En 1986(En-1986) le ministre français de de la Re-
cherche et de l’Enseignement supérieur, Alain Devaquet, dut aussi dé-
missionner et son projet d’autonomisation des universités abandonné face
à la mobilisation des élèves et étudiants sur toute l'étendue du territoire
national. En 2006, face à l’hostilité manifeste de la population, le premier
ministre français, Dominique de Villepin, dut aussi retirer son projet
69%6- Le projet de loi prévoyait que le président est élu pour cinq ans,
rééligible deux fois. Selon le conseil constitutionnel qui était acquis à la ?
>
cause de Blaise Compaoré®?”, la loi de modification n’est pas rétroactive.
C'est ce qui lui avait permis de se représenter en 2005 et en 2010 après la
loi modificative du 11 avril 2000 limitant de nouveau le nombre de man-
dats à deux, alors qu’en 2005 il avait déjà accompli deux mandats de sept
ans chacun. Si le projet de révision était adopté, en vertu du principe de
la non-rétroactivité, en 2015 à la fin de son mandat alors en cours, Blaise
Compaoré redevenait un candidat potentiel comme tout autre, pouvant
prétendre encore à quinze autres années de pouvoir.
#7 Sur ce point, cf. A.J. Kyélem de Tambèla, "Réflexions sur les cours constitution-
nelles en Afrique", -Le Pays, n° 3474, Ouagadougou, 5 octobre 2005, p. 23-25. -
L'Observateur paalga, n° 6492, Ouagadougou, 6 octobre 2005, p. 6-7. -Mutations, n°
103, Ouagadougou, 15-30 juin 2016, p. 12-13.
465
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
#8 {| se raconte que sur la base d’un document émargé par le président du C.D.P., Assi-
mi Kouanda et le président de l’A.D.F/R.D.A., Gilbert Noël Ouédraogo, les sommes
suivantes auraient été remises au président de l’'AD.F./R.D.A. pour obtenir Le soutien de
ce parti au vote pour la modification de l’article 37 : -50 millions de francs avant le vote
pour chaque député du parti. Sachant qu’ils étaient 18 cela fait 900 millions. -300 mil-
lions pour l'ensemble des maires du parti. -500 millions pour l'organisation d’un con-
grès extraordinaire pour amener le parti à se renier et à prendre la décision de soutenir le
projet de modification. -2 milliards pour soutenir la campagne électorale du parti pour
les élections qui étaient prévues en fin 2015. Soit au total 3 milliards 700 millions. En
outre, il était prévu 50 millions en plus pour chaque député de ce parti à l’issue du vote,
soit 900 millions. Le vote n’ayant pas eu lieu, cette dernière tranche n'aurait pas pu être
perçue. Les protagonistes contestent et prétendent qu’il n’y a pas eu de circulation
d'argent.
466
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
paix sociale. Sans doute une paix au profit de ses dirigeants et de ses mi-
litants pour qu’ils pussent jouir tranquillement de leurs privilèges indus.
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Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
701- Le vote de la loi était prévu pour le 30 octobre à 16h. Contre toute
attente, sans doute pour prendre de court les manifestants, la veille
l'heure du vote fut ramenée à 10h. Avant le lever du jour, l’armée, la
police et la gendarmerie encerclèrent le centre-ville, empêchant ainsi
l’accès aux lieux de rassemblement. Quand à partir de 7h, venant des
quatre coins de la ville et des quartiers périphériques, la population
commença à converger vers le centre-ville, c’est donc à près de trois ki-
lomètres de l’Assemblée nationale que la bataille s’engagea contre les
forces de l’ordre. Le bâtiment de l’Assemblée était directement protégé
par le Régiment de sécurité présidentielle (R.S..P.) L'objectif des mani-
festants était de se rendre à | Assemblée nationale pour empêcher le vote
de la loi. Malgré un dispositif militaire et paramilitaire impressionnant,
sous la poussée de la foule qui ne faisait que grossir, les barrages cédè-
rent progressivement l’un après l’autre et, peu avant 10h, le bâtiment de
l’Assemblée nationale était occupé, pillé, saccagé, incendié. Le bâtiment
n’était plus que ruine et désolation. Pratiquement irrécupérable. Les véhi-
cules qui y étaient en stationnement furent tous incendiés. Les manifes-
tants traduisaient ainsi leur dégoût pour une institution minée par la cor-
ruption et dont les animateurs avaient choisi de trahir la confiance du
peuple pour servir gt les ambitions insatiables d’une personne et de son
clan et aussi leurs propres intérêts.
#% Pour un aperçu des dégâts, cf. L'Observateur Paalga, n° 8738, Ouagdougou, 31 oc-
tobre 2014, p. 1-3, 9-11, 30-32.
469
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
situé à une dizaine de kilomètres dans la partie sud de la capitale. Ils se.
ront stoppés dans leur élan au niveau du Centre international de confé.
rence de Ouagadougou (C.I.C.O.) à quelque trois kilomètres de la Prési.
dence par des éléments du régiment de sécurité présidentielle qui tirèrent
à balles réelles. Continuant à grignoter du terrain, ils parvinrent au der-
nier carrefour à un kilomètre environ de la Présidence. Le dispositif mili.
taire était autrement plus important. Après un long face à face, les mani.
festants finirent par replier.
c’est là qu’il fut récupéré par un hélicoptère des forces spéciales fran-
çaises stationnées à Ouagadougou qui le déposa avec sa suite à
l’aérodrome de Fada N’Gourma d’où un Transvaal de l’armée française
les transporta à Yamoussoukro en Côte d’Ivoireioù était déjà son épouse
Chantal depuis 72h.)Le président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara
était redevable à Blaise Compaoré qui l’avait soutenu pendant sa longue
et difficile période d’opposition et dans la lutte décisive pour le pouvoir à
la suite de élection présidentielle contestée du 31 octobre et du 28 no-
vembre 2010. La fuite de Blaise Compaoré a ainsi été facilitée par la
France à la demande, semble-t-il, d’Alassane Ouattara. Ironie du sort,
c’est à Yamoussoukro même que, le 30 juillet 2013, Blaise Compaoré
disait que «jamais, même à Paris, même en Amérique, une marche n'a
changé une loi ni la Constitution, ça n'existe pas.» Quinze mois plus
tard, c’est une marche qui le forçait à s’y réfugier après lavoir contraint
à retirer un projet de loi et après avoir détruit son régime. Le 1 no-
vembre, premier jour après la fuite de Blaise Compaoré, à l’appel des
partis politiques et des organisations de la société civile, dès le matin, les
jeunes se répandirent de nouveau dans la ville de Ouagadougou, cette
fois pour enlever les barricades et nettoyer les gravats provenant des des-
tructions afin de lui rendre son éclat habituel.
#3 Ce n’est que poussé et même menacé par la population que le chef de file de
l'opposition politique, Zéphirin Diabré, fut contraint de faire une déclaration demandant
la démission de Blaise Compaoré. Ce qui ne faisait pas partie de son agenda personnel.
Celui-ci, semble-t-il, prétendait au poste de premier ministre de Blaise Compaoré pour
DA
æ #
474
Chapitre III
La renaissance démocratique
#% L’article 1 de la Charte dit : « Outre les valeurs affirmées par la Constitution en son
préambule, la présente Charte consacre les valeurs suivantes pour guider la Transition, ses
organes et l'ensemble des personnalités appelées à la conduire : l'inclusion ; le sens de la
responsabilité ; la tolérance et le dialogue ; la probité ; la dignité ; la discipline et le ci-
visme ; la solidarité ; la fraternité ; l'esprit de consensus et de discernement. »
° Cf. -Le Reporter, n° 156-157, Ouagadougou, 15 décembre 2014-14 janvier 2015, p.
5-6 ; 8-9. -Le Quotidien, n° 1250, Ouagadougou, 29 décembre 2014, p. 4-6.
478
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA
Î }
#3 Le rapport de la commission fut remis le 9 avril 2015. Il y est écrit que « Ja commis-
sion a estimé que le maintien du Régiment comportait beaucoup plus d'avantages au
plan militaire et politique que sa dissolution. » Pouvait-il en être autrement quand on
sait que la commission était présidée par le général de brigade Gilbert Diendéré qui a
toujours été au R.$.P. et qui était le chef d'état-major particulier de la présidence jus-
qu’à la chute de Blaise Compaoré ! Le rapporteur n’était autre que le colonel-major
Boureima Kéré, chef de corps du R.S.P. Le It-col. Céleste Coulibaly, chef de corps
adjoint en était aussi membre.
480
Thomas SANKARA etla Révolution au Burkina Faso
ppement autocentré
de TAMBËLA
mandement du R.S.P. fut renouvelé dans le sens que celui-ci souhaitait. Ain-
si, le colonel-major Boureima Kéré®* fut nommé chef d’état-major particu-
lier de la présidence en remplacement du lieutenant-colonel Théophile Ni-
kiéma, et le lieutenant-colonel Céleste Coulibaly*” $ fut nommé chef de corps
du R.S.P.
723- Le R.S.P. n’avait pas encore fini de faire parler de jui. On se rap-
pelle que Isaac Zida était arrivé au pouvoir par l'entremise de Gilbert
Diendéré alors chef d’état-major particulier et hommeà tout faire de
Blaise Compaoré. Mais Zida avait été séduit par les manifestations popu-
laires et avait sans doute découvert que les choses pouvaient se passer
—
724- C’est ainsi qu’allait survenir une des crises les plus graves du ré-
gime de la Transition. Le 28 juin 2015, le premier ministre Isaac Zida re-
venait de Taïwan. Au lieu de stationner à l’aéroport international de Oua-
gadougou, son avion poursuivit son chemin jusqu’à la base aérienne de
8% Beaucoup ont indexé le colonel-major Boureima Kéré comme étant un de ceux qui or-
donnaient et supervisaient les scènes de tortures après le coup d” État du 15 octobre 1987.
5 1] avait suivi Blaise Compaoré dans son exil successivement à Yamoussoukro et au
Maroc avant de revenir au Burkina.
481
Thomas SANKARA et La Révolution an Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
l’armée située un peu plus loin. On apprit par la suite que c’était pour dé.
jouer une tentative d’arrestation de Zida ourdie par le R.S.P. Le chef de
corps du R.S.P., le lieutenant-colonel Céleste Coulibaly, et deux autres
capitaines du régiment furent convoqués et auditionnés à la gendarmerie le
29 juin. Cela fut ressenti comme une humiliation par le R.S.P. La même
nuit certains de ses éléments manifestèrent leur mécontentement par des
tirs en l’air dans leur camp situé dans l’enceinte même de la présidence.
le voudraient les règles régissant sa saisine, mais par un avocat, alors que
l'avocat « ne figure pas au nombre des autorités habilitées par la Cons-
titution à saisir le Conseil constitutionnel pour le contrôle a priori de la
constitutionnalité d'une loi.» Ce qui effectivement se justifiait sur le
fondement de l’article 157 de la Constitution alors en vigueur.
733- Quand survint le dépôt des candidatures pour les élections cou-
plées, présidentielle et législatives dont la date était fixée au 11 octobre
2015, des partis politiques, des organisations de la société civile aussi
bien que de simples citoyens introduisirent des recours auprès du conseil
constitutionnel contre les candidatures de ceux qu’ils accusaient d’avoir
pris une part active dans la tentative de modification de la Constitution en
faveur d’une nouvelle candidature de Blaise Compaoré. Le 21 août 2015,
à la date limite de dépôt des dossiers, vingt-deux candidatures furent en-
registrées pour la présidentielle. À la suite des recours, huit candidatures
furent invalidées et quatorze retenues. Pour les législatives, des dizaines
de candidatures furent également invalidées. Ainsi, le conseil constitu- !
tionnel livrait son interprétation de la loi électorale et de l’arrêt de la cour 4
de justice de la C.É.D.A.O. Si des candidatures individuelles ont été in-
validées, aucun parti politique n’a été recalé. Il revenait donc aux partis
485
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
737- Alors que l’on croyait le problème du R.S.P. résolu, c’est alors
qu'il allait susciter la crise la plus grave sous la Transition. Le mercredi
16 septembre 2015 aux environs de quatorze heures, pendant le conseil
des ministres, le président de la Transition, Michel Kafando, le premier
de
| ministre, Isaac Zida et deux autres ministres, Augustin Loada de la Fonc-
tion publique et René Bagoro de l’Habitat furent pris en otage par des
| éléments du R.S.P. Il convient aussi de reconnaître la naïveté des diri-
geants de la Transition. Vu l’hostilité du R.S.P. pour la Transition, et
alors même que le camp du R.S.P. était situé dans l’enceinte même de la
présidence, à seulement quelques mètres des bureaux du Président, LA
président aurait dû établir ses bureaux ailleurs, hors de portée du R.S.P.
738- Une fois la nouvelle connue vers 18h, des partisans de la Transi-
tion, ameutés par des militants d’organisations de la société civile, com- Il
mencèrent à se réunir à la Place de la nation. Puis ils entreprirent de
marcher sur la présidence à Kosyam pour libérer les otages. À quelques x
| mètres de la présidence ils furent dispersés par des tirs en Pair. I x
s’ensuivit une course-poursuite à travers les quartiers de la ville. Le pré-
sident du C.N.T.. Cheriff Sy, pour sa sécurité, fut placé dans un endroit
secret par la gendarmerie qui assurait sa sécurité.
742- Une fois les intentions des putschistes connues, les syndicats lan-
cèrent un mot d’ordre de grève générale qui fut suivi dans toute l’étendue
du territoire. Les partis politiques qui avaient contribué à la chute de
Blaise Compaoré, et qui étaient maintenant en campagne pour l'élection
du 11 octobre 2015, se remirent précipitamment en concertation pour
adopter une position commune. Les organisations de la société civile
commencèrent à s'organiser et les mouvements de protestation
s’intensifièrent dès le 18 septembre. Malgré le quadrillage de la ville de
Ouagadougou, les jeunes érigèrent des barricades et brulèrent des pneus
sur les principaux axes. Une nouvelle radio émettant sur la fréquence 108
FM füt rapidement mise en place. Elle s’appela d'abord La voix de la
résistance puis La voix de la Transition. Elle appelait à la résistance pour
démanteler le groupe de terroristes qui avait pris en otage le président et
des membres du gouvernement. À cet effet, un communiqué de Cheriff x
Sy était régulièrement diffusé. Mais la radio connaissait de fréquentes
coupures dues sans doute à des problèmes techniques. Il fallait sans doute
se déplacer incessamment pour éviter qu’elle fût repérée. Le R.S.P. la
chercha en vain pour la détruire, s’attaquant au passage à d’autres radios
supossées susceptibles de l’héberger. Dans ce cadre, il s’attaqua même à
l'Office national des télécommunications (O.NA.TÉL.) où de nombreux
dégâts ont été causés.
R.S.P. Certains ont été incendiés, d’autres saccagés. Ce fut le cas de radio
Oméga, Savane FM, radio laafi de Zorgho, la télévision BF1, le studio
Abazon, le quotidien Le Pays. Comme lors du coup d’État de 1987, Gil.
bert Diendéré essaya de rassembler tous les éléments pouvant faire
l’objet de mécontentement social pour rendre crédible sa déclaration de
prise de pouvoir et justifier son putsch. Ce qui semble lui avoir échappé,
cest que la société burkinabè n’était plus la même que celle de 1987,
Pourtant, le scénario de la chute de Blaise Compaoré suffisait à le lui
faire comprendre.
744- Comme en 1987, il est évident que les vraies raisons du coup
d’État se trouvent aussi ailleurs. Outre l’invalidation des candidatures de
certains ténors de l’ancien régime, la Commission de la réconciliation
nationale et des réformes (C.R.N.R.) venait de rendre son rapport le 14
septembre 2015 qui préconisait la dissolution du R.S.P. Ce que celui-ci
ne pouvait accepter. Le régime de la Transition avait aussi réactivé le
dossier de l’assassinat de Thomas Sankara et celui du journaliste Norbert
Zongo, et les enquêteurs se rapprochaient de plus en plus de Diendéré et
des éléments du RS.P. La lutte contre l’impunité avait conduit à
l'arrestation de certains barons du régime Compaoré. Ce qui n’était pas
non plus pour plaire à Diendéré et ses hommes. Contre vents et marées et
en violation de la Constitution de son pays, le président Pierre Nkurunzi-
za du Burundi venait de se faire réélire le 21 juillet 2015 pour un troi-
sième mandat consécutif et la réaction de la communauté internationale
avait été très timide. Les putschistes ont donc pu espérer rencontrer la
même compréhension.
92 Étaient présents non pas six chefs d’État comme prévu, mais trois : Thomas Boni
Yayi du Bénin, Mahamadou Issoufou du Niger et John Dramani Mahama du Ghana.
Étaient aussi présents Yemi Osibajo, vice-président du Nigeria, Mohamed Ibn Cham-
bas, représentant de l’O.N.U. pour l’Afrique de l'Ouest et Kadré Désiré Ouédraogo,
président de la Commission de la C.E.D.E.A.O.
493
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
754- Face à la pression qui s’exerçait sur eux, des officiers et des sol-
dats du R.S.P. commencèrent à se rendre. Le 29 septembre en fin
d’après-midi, des bruits sourds d’armes lourdes se firent entendre suivis
de crépitements d’armes légères. On apprit par la suite que Gilbert Dien-
déré avait demandé à ses hommes de baisser les armes pour éviter un
bain de sang. Lui-même le confirmera quelques instants après dans une
interview, alors qu’il avait déjà quitté la caserne näba kôm I1 du R.S.P.
Après avoir vainement tenté de se réfugier à l'ambassade des États-Unis,
c’est finalement dans la nonciature apostolique qu’il fut acceuilli. Les
deux chancelleries étant situéess non loin de la Présidence. Après des
négociations, il se rendit aux autorités le 1” octobre dans l’après-midi
aux environs de 14h 30 mn après avoir obtenu la garantie de sa sécurité.
Quelques jours après, la justice militaire retiendra contre lui plusieurs
chefs d’accusation : atteinte à la sûreté de l’État, collusion avec des
forces étrangères, meurtres, coups et blessures volontaires, destructions
volontaires de biens, blanchiment de capitaux, enlèvement et séquestration,
haute trahison, crime contre l'humanité. Ainsi prenait fin la plus que brève
histoire du Conseil national pour la démocratie (C.N.D.) C’était aussi la fin
du R.S.P. au grand bonheur des Burkinabè qui avaient trop souffert des
exactions de ce régiment. L’armée a ainsi réussi la prouesse de faire échec
à la tentative de coup d’État sans effusion de sang.
494
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autoceniré
Apollinaire J. KYÉ de TAMBËLA
757- Le jeudi 15 octobre 1987, Thomas Sankara tombait sous les balles
des soldats à la solde de Blaise Compaoré et, pendant longtemps, la
simple évocation de son nom fut interdit. Le jeudi 15 octobre 2015, 28 :
ans après, les sankaristes, pour la première fois, commémoraient le triste
évènement dans un pays débarrassé de Blaise Compaoré et de son ré-
gime. Ils appelèrent les Ouagalais à sortir nombreux pour balayer la ville
et nettoyer ainsi symboliquement le pays du système Compaoré. La télé-
vision nationale pour sa part célébra l'évènement en diffusant pour la
première fois des émissions spéciales sur Thomas Sankara.
763- Les élèves et les salariés étaient disséminés à travers le pays mais
résidaient surtout dans les grands centres urbains et les villes secondaires.
Ils avaient généralement une vision nationale des problèmes de société et
une capacité plus ou moins grande de compréhension et d'analyse des
phénomènes sociaux. Les citadins comprenaient principalement les habi-
tants des deux plus grandes villes que sont Ouagadougou et Bobo-
Dioulasso et accessoirement ceux des villes secondaires, une dizaine en-
viron. Ils venaient pour la plupart de l’intérieur du pays et résidaient en
majorité dans les quartiers périphériques, exerçaient dans le commerce
ou les activités informelles et étaient peu formés. Le contact avec la vie
citadine et les institutions de l’État les amenait à une conception moins
traditionnaliste de la vie. Leur attention était plus portée sur les questions
relatives à leur localité de résidence et à leurs besoins immédiats. Leur
idée de la nation n’était qu'évasive et lointaine.
764- Les ruraux habitaient les villages et Les campagnes, souvent loin
et sans contact réel avec les structures de l’État. Leurs préoccupations se
limitaient au souci du quotidien et leur vision allait rarement au-delà des
limites de leur localité. Du fait de leurs limites objectives, ils ne se sen-
taient pas concernés par les affaires de l’État d’autant plus que pratique-
ment rien ne les y attachait. Ils n’ont pris aucune part ni à l’insurrection
populaire d’octobre 2014, ni à la résistance contre la tentative de coup
d’État de septembre 2015 dont les fondamentaux échappaient à leurs
préoccupations. Dans une élection, leur choix ne se fixait pas sur un pro-
gramme qui leur parrait lointain et abstrait mais sur une personne qu’ils
connaissaient ou qui leur avait été indiquée ou suggérée.
765- Les citadins, du fait aussi des limites qui leur étaient propres, ne
pouvaient appréhender toutes les subtilités de la vie politique et des pro-
jets de société qui, d’ailleurs se déclinaient en français, une langue qu’ils
étaient loin de maîtriser. Les élèves et les salariés qui étaient pratique-
ment les seuls à pouvoir éventuellement faire un choix politique cons-
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Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
769- En 1860, Abraham Lincoln était élu président des États-Unis. Les
citoyens américains étaient censés avoir élu leur président pour des ob-
jectifs déterminés et pour une période déterminée. Aucune divergence
fondamentale ne pouvait donc miner la société américaine avant le terme
du mandat de Lincoln. Pourtant, dès 1861, éclatait la guerre de sécession
autour des problèmes fondamentaux de la société américaine d’alors : la
liberté du commerce avec l’Angleterre, la protection de l’industrie nais-
sante du nord, le statut des esclaves. Ces problèmes étaient 1à avant
l’élection de Lincoln. Si les Américains avaient compté sur son élection
pour les résoudre, ils auraient attendu la fin de son mandat, s’en faire une
770- Dans les années 1960, toujours aux Etats-Unis, le problème des
droits civiques n’a pas été résolu par une élection mais par l'ampleur et la
diversité des mouvements d’émancipation et de protestation. La détention
des armes par les particuliers est un problème sérieux de la société amé-
ricaine. Régulièrement des homicides sont perpétrés du fait de
l'abondance des armes en circulation et de Pabsence de contrôle réel.
Aucune élection n’a jamais pu régler ce problème qui demeure une
préoccupation réelle de la société américaine.
772- Dès 1924, Hitler avait fait connaître sa vision dans son ouvrage
Mein Kampf. À la suite d’un score honorable aux élections, il accéda en
1933 au poste de chancelier puis devint président et führer en 1934 après
la mort du président Hindenburg. Ceux qui avaient voté pour Hitler et
son parti ne pouvaient prétendre ignorer son projet de société : la supré-
501
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Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÊLA
776- Peut-on alors se passer des élections classiques ? Peut-être que dans
le futur, un moment viendra où des personnalités consensuelles émergeront
et feront l'unanimité pour gouverner ou administrer comme c’était sans
doute le cas des chefs de bande à l’aube de l’humanité, des patriarches au
niveau des clans, ou comme dans des tribus amérindiennes où le plus géné-
reux est vite accepté comme le chef. Peut-être en arrivera-t-on aussi à choisir
les gouvernants par tirage au sort comme le font les amish aux Etats-Unis
dans le choix de leurs évêques, prédicateurs et ministres du culte. Pour le
moment, malgré des limites évidentes, les élections classiques demeurent,
dans les sociétés complexes, le moyen le plus adéquat de choisir les gouver-
mants sans conflit majeur. C’est peut-être une plus grande prise de cons-
cience des citoyens qui pourra les amener à faire de l’élection classique un
réel moment de vérité dans la vie de la nation.
503
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Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KVÉLEM de TAMBËLA
777-. Une fois le président élu, le régime de la Transition vivait ses der-
niers moments. Mais, il tenait à poser certains actes avant de s’effacer,
Ainsi, le 21 décembre 2015, jour anniversaire de la naissance de Thomas
Sankara, on apprenait que la justice militaire avait lancé un mandat
d’arrêt international contre Blaise Compaoré dans le cadre du dossier de
l'assassinat de Thomas Sankara. Il lui était reproché les infractions
d’assassinat, d’attentat et de recel de cadavre. Dans le même temps on
apprenait que le test ADN ne permettait pas de certifier que les restes
exhumés sont ceux de Thomas Sankara parce que la dépouille serait trop
dégradée. Dans le dossier Sankara, Gilbert Diendéré a aussi été inculpé
d’attentat, de complicité d’assassinat et de recel de cadavre.
917 ftaient présents les présidents du Bénin, Thomas Boni Yayi ; de Côte d'Ivoire, Alas-
sane Dramane Ouattara ; du Gabon, Ali Bongo Ondimba ; du Ghana, John Dramani
Mahama ; de Guinée, Alpha Condé ; du Mali, Ibrahim Boubacar Kéita ; du Niger, Ma-
hamadou Issoufou ; du Sénégal, Macky Sall et du Togo, Faure Gnassingbé,.
507
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Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KVÉLEM de TAMBËLA
508
ANNEXES
Chers compatriotes,
Considérant la gravité de la situation,
Considérant que les intérêts supérieurs de la nation sont compromis,
Considérant que la paix sociale est gravement menacée,
Pour sauvegarder les institutions démocratiques et républicaines,
Pour éviter toute effusion de sang,
Je décide d'assumer les charges dévolues au chef de 1 "État jusqu'à nou-
vel ordre.
L'ordre public sera assuré par tous les moyens.
509
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En conséquence :
L'état d'urgence reste en vigueur.
Tout acte de vandalisme sera sévèrement sanctionné.
Je ne tolérerai aucune ingérence d’où qu'elle vienne dans les affaires
intérieures de la République.
En ce qui concerne les relations extérieures, tous les accords internatio-
naux seront respectés.
Je réaffirme solennellement l'appartenance de la République de la
Haute-Volta au Conseil de l’Entente, à l'O.CA.M, à l'O.U.A. et à
l'ONU.
J'invite tous les travailleurs à reprendre leurs activités pour le plus
grand bien de la nation dès demain matin à 7 heures.
Je demande instamment au peuple de garder son calme et de faire con-
fiance à son Armée.
Vive la République !
Vive la Haute-Volta.
Fait à Ouagadougou le 3 janvier 1966
Le lieutenant-colonel Sangoulé Lamizana.
Peuple voltaïque,
Nous, Comité militaire de redressement pour le progrès national ;
sii
=
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Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KVÉLEM de TAMBÈLA
Peuple voltaïque,
L'heure est grave, par ton calme, ta sérénité et ta confiance mise dans les
forces militaires et paramilitaires, tu participeras à l'œuvre de redresse-
ment national et de progrès social entreprise ce jour.
Populations laborieuses,
Travailleurs des villes et des campagnes, le Comité militaire de redres-
sement pour le progrès national t'invite au travail dans la dignité et le
sacrifice, pour que vive la Haute-Volta.
Décidons :
La suppression du C.M.R.P.N. et de toutes ses instances.
Nous proclamons,
Premièrement : la création d'un Conseil provisoire de salut du
peuple qui gouvernera et légiférera par voies d'ordonnances et de dé-
crets réglementaires. Ce Conseil provisoire de salut du peuple est com-
posé de l'organisation des sous-officiers et des hommes du rang d'une
513
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part et d'autre part des officiers. Il sera dissous dès que les militaires de
tout rang, de toutes les unités, par voix de leurs représentants se seront
prononcés sur la nature, l'orientation et la structuration d'un pouvoir
d'État.
Deuxièmement : les libertés individuelles et collectives autres que
politiques seront garanties.
Troisièmement : les accords et engagements extérieurs seront respec-
tés.
Vive la Haute-Volia !
Capitaine Thomas Sankara
Peuple de Haute-Volta !
Aujourd'hui encore, les soldais, sous-officiers et officiers de
l’armée nationale et des forces paramilitaires se sont vus obligés
d'intervenir dans la conduite des affaires de l’État pour rendre à notre
pays son indépendance et sa liberté et à notre peuple sa dignité.
En effet, ces objectifs patriotiques et progressistes qui ont justifié
l'avènement du Conseil de salut du peuple le 7 novembre 1982 ont été trahis
par le 17 mai 1983, soit seulement six mois après, par des individus farou-
chement hostiles aux intérêts du peuple voltaïque et à ses aspirations à la
démocratie et à la liberté. Ces individus, vous les connaissez, car ils se sont
frauduleusement introduits dans l'histoire de notre peuple. Ils s y sont tris-
tement illustrés, d'abord par leur politique à double face, ensuite par leur
alliance ouverte avec toutes les forces conservatrices, réactionnaires qui ne
savent rien faire d'autre que de servir les intérêts des ennemis du peuple, les
intérêts de la domination étrangère, du néocolonialisme.
Aujourd’hui 4 août 1983, des soldats, sous-officiers et officiers de
toutes les armes et de toutes les unités dans un élan patriotique ont déci-
dé de balayer le régime impopulaire, le régime de soumission et
d'aplatissement mis en place depuis le 17 mai 1983 par le médecin-
commandant Jean-Baptiste Ouédraogo sous la houlette du colonel Yo-
rian Gabriel Somé ef de ses hommes de main.
Aujourd'hui 4 août 1983, des soldats, sous-officiers et officiers
patriotes et progressistes ont ainsi lavé l'honneur de notre peuple et de
son armée et rendu leur dignité, leur permettant de retrouver le respect
et la considération que chacun, en Haute-Volta comme à l'étranger, leur
portait du 7 novembre 1982 au 17 mai 1983. Pour réaliser ces objectifs
d'honneur, de dignité, d'indépendance véritable et de progrès, pour la
Haute-Volta et pour son peuple, le mouvement actuel des forces armées
voltaïques tirant les amères expériences du C.S.P., a constitué ce jour 4
août 1983, le Conseil national de la Révolution (C.N.R.) qui assume dé-
sormais le pouvoir d "État, en même temps qu'il met fin au fantomatique
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Une @ ce de développement autogentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
Chers camarades,
les intrigues de certains éléments de nos rangs ont fait plus de torts,
plus de ravages en quelques mois, que les années des plus farouches af
frontements politiques et idéologiques entre le C.NR. et des organisa-
tions adversaires de gauche.
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Une expérience de développement autocentré
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Ces droits, ils les utiliseront abusivement pour couvrir tous ces Compor-
tements licencieux indignes de militants révolutionnaires, mais que per-
sonne ne leur opposera sous peine d'être soupçonné de vouloir s'opposer
au C.N.R. C'est de l'opportunisme ! À l'intérieur, le souci de ne perdre
aucun militant, surtout les nouveaux venus, a plutôt nui à la fermeté et
annihilé toute rigueur contre ce que chacun constatait comme étant de
l'indiscipline et un discrédit préjudiciable à terme à l'autorité du CNR.
L.1
Le titre de membre du C.N.R. a été utilisé par eux pour influencer les
masses à des fins personnelles contraires aux intérêts de la Révolution.
Mais le plan criminel de leurs attitudes, c'est la paralysie de la Direction
qu'ils ont provoquée en travaillant sans relâche à créer l'impression
qu'ils se sont identifiés à certains dirigeants éminents, incontestés, parce
que respectables et respectés. [..]
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Thomas Sankara
Il y a des instants dans la vie des peuples et des nations où le silence est
plus expressif que la prise de parole. Ces moments de grande douleur
que nous vivons en font partie.
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_ Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
J'exprime ma reconnaissance à fous ceux qui ont cru en moi et qui ont
sacrifié de leurs biens et quiétude. Ma reconnaissance va aussi à
l'opposition pour l'attitude républicaine de ses dirigeants. Ensemble
nous devons tous œuvrer à éviter un approfondissement de la fracture
sociale et un délitement de notre tissu économique. Chacun doit jouer sa
partition afin que nous parvenions à un retour définitif de la paix sociale.
Pour ma part, je pense avoir accompli mon devoir, en ayant pour seul
souci, l'intérêt supérieur de la nation.
Dieu bénisse le Burkina
Blaise Compaoré
Président du Faso
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Déclaration M1
La Constitution du 2 juin 1991 est suspendue.
Un organe de transition sera mis en place en accord avec toutes les
forces vives de la nation en vue d'organiser une transition encadrée pour
un retour à une vie constitutionnelle normale. La composition de cet or-
gane consensuel de transition ainsi que sa durée - que nous souhaitons la
plus brève possible - seront déterminées dans les délais les plus brefs
possibles.
Appelons l'ensemble des forces vives à rester calmes, à nous Jaire con-
fiance et à préserver l'intégrité des personnes et des biens.
Tout en déplorant les pertes en vie humaine, les blessés, les préjudices
matériels et moraux, ils promettent au peuple burkinabè tout entier de
tenir leur engagement de relever le défi qui vient de leur être soumis
dans ces circonstances exceptionnelles.
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L
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BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
Ouvrages
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AN
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529
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentté
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA
X
L'Harmattan, 1991.
Ki-Zerbo Joseph, Histoire de l’Afrique noire - D'Hier
à Demain, Paris, Hatier, 1978.
Ki-Zerbo Joseph, À quand_l’Afrique?, Éditions de
l’Aube, 2004.
Ki-Zerbo Joseph, Repères pour l’Afrique, Dakar, Pa-
nafrika, 2007.
Komaf Simon, La révolution permanente et l’Afrique, Pa-
ris, Imprimerie Abexpress, 1979.
Kyélem Apollinaire, L’Éventuel et le possible, Presses Universi-
taires de Ouagadougou, 2002.
532
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Une expérience de développement autocentré
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Thèses
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Une expérience de développement autoceniré
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Revues et périodiques
Esprit, Paris
Journaux et magazines
AfriquÉducation, Montrouge.
e
Bendré, Ouagadougou.
e
541
Thomas SANKARA o1 Eu Révolution au Burtdua Fase
de développement ant
dKYÉLEM de FAMBÉ
Faim-Développement-Magazine, Parts.
La Colombe, Ouagadougon.
a Croix, Paris.
Le Canard enchaîné, Paris.
Le Démocrate, Ouagadougou.
Le Démocrate, Organe central du parti de fa démocratie sociale,
sk
Le Monde, Paris,
Le Monde diplomatique, Paris.
Le Nouvel Afrique Asie, Paris.
+: Le Quotidien, Cuagadougou.
Le Patriote, Duagadougou.
Le Pays, Ouagadougou.
Le Paysan, Ouagadougou.
. Le Prolétaire, Cuagadougou.
Le Reporter, Ouagadougou.
Le Révolutionnaire Burkinabè à Dakar.
L'Étalon Enchaîné, Ouagadougou.
L'Étudiant d’Afrique noire, Paris.
. L'Événement, Duagadougon.
x L'Evénement du Jeudi, Paris.
542
Thomas SANKARA #t le Révelufion au Burkina Faso
Uné expérience emnene anocntné
Apollinaire e FAMBÈLA
Libéraieur, Ouagadougc
Libération, Paris.
L'Ilustration, Paris.
L'Indépendant, Ouagadougou,
L'Observateur, go.
L'Observateur Dimanche, Cuagadougou.
L'Observateur Paalga, Ouagadougou.
L'Ouragen, Orodara.
Du même auteur 4
Dédicace 5
Avant-propos 6
Avant-propos de fa troisième édition 7
Principales abréviations 8
Introduction 11
PREMIÈRE PARIE :
De ta Haute-Volta au Burkina Faso 14
Chapitre L:
De la période précolaniale à indépendance 15
ë É La période précoloniaie 35
À : Au centre 16
B : À l'ouest 28
€ : À Vest 28
XF: Lu période coloniale 24
&: La conquête du territoire 2t
B: La constitution du teritoire 25
C: Les motivations et les justifications de 13 colonisation 27
HE: La période de l'indépendance 25
A: Les conditions d’accession à l'indépend 28
B: La vie politique de fa période des indénendances 33
C: Les divergences politiques 36
E: La mauvaise gouvemance el ses conséquences 38
544
“Thomas SANRARA rt ta Révolsssion au Pariine Faso
Une ience de développern
Ag ed KYÉLEM de
Chapitre I:
La période du doute et du questionnement 48
Chapitre KE :
La période de prise de conscience : la marche
progressive vess la révolution 53
Le régime du CMRPN, 83
Favénement du C'MLER.PAN. 83
Owur
La gestion du C 55
Le chute du C M. 63
Le régime du € SP. é4
Le coup d” État du 7 novembre 1982 64
COTE
Chapitre IV :
L'avènement de la Révolution &
Les causes de l'avènement de ia Révolution 86
07 iques de la Révolution 86
Dur
onomiques de la Révolution 38
Les causes politiques 199
Les cirronstances de l’avémement de La Révolution LUE
Les conditions objectives 19t
ur
DEUXIÈME PARTIE :
Le temps de la Révolution 105
Chapitre L:
La notion de révolution et le cas
de la Révolution burkinabè ié
Chapitre :
La notion de développement 134
Notions générales 134
Le développement autocentré 138
Chapitre I :
Les mécanismes de mise en œuvre
de la politique du CNR. 145
Chapitre IV:
Les difficultés politiques du C.NA.
Les difficultés politiques extermes
LH Les difficuftés politiques intermes
À Les contradiction S5 internes
Chapitre V :
La politique de développement du CN.
La politique judiciaire du CN,
La politique économique du CR,
La planification du développement
La rigueur et la transparence dans la gestion
des ressources de P'État
La maîtrise de laide extérieure
Compter sur ses propres forces
La mafrise de la production
La consommation de à production nationale
La protection de la production nationale
Le secteur des transports
Conclusion
La politique sociale du CR.
Le culture
L'éducation
La sanié
L'urbanisme et fe logement
La prorotion de la femme
La promotion de l'emploi
La lutte contre la mendicité
La promotion du sport
La politique étrangère du €.N.R.
La politique sous-régionale du CCR
Le politique régionale du C.N.R.
La politique intemationale du CLR.
547
Thomas SANK. RA et ta Révolution au Burton Faso
EM de TAMBÉLA
TROISIÈME PARTIE:
Les mérites etles limites de la gouvernance Sanka-
ra et l'émergence de la contre-révolution Hg!
Chapitre 1:
Mérites et Hnites de la gouvernance Sankara
Li d Les mérites de l’action du CN.R.
À : Sur Les plans politique et suhiectif
B S Sur le plan objectif
Chapitre IE:
L'émergence de la contre-révolution 348 ©
El Le déroulement des Faits etleurs réperenssions 348 ê
EN Le déroulement des faits 3485
B Les répercussions 252
pi Les causes de l'assassinat de Sankara 385 ë
À Les explications et les justifications du
Front populaire
B Les vrais mobiles de l’assassinat de Sankara
548
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
Chapitre III :
La renaissance de Thomas Sankara 49 +
Chapitre I :
Le temps des désillusions 44Y
I ; La jouissance du pouvoir 44Y
Il : Les troubles sociaux et politiques 44#
I : La peur de Poubli 445
IV: L’activisme comme échappatoire 455
V G La crainte de l’après-pouvoir 458
Chapitre II : h
La chute de Blaise Compaoré 460
Chapitre III :
La renaissance démocratique A4 €
I ; La gestion politique de la Transition AA SE
Il ; La gestion socioéconomique de la Transition 503 Fe
IH ; La politique étrangère de la Transition 506!
IV: La fin de la Transition 506 +
549
Ehomas SANICARA er 13 Révuin on au mriise Fasc
ne se de dés
Apallinaire FRE
ABROKES
Bibliographie sommaire
KO i ps
Î
» LA,
BAR:
Achevé di
Centre Livré
ve imprinertectp.&
Thomas SANKARA et la Révolution
au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Le discours que Sankara prononça le 1er février 1983, jour de son investiture
comme premier ministre, était d'un ton nouveau. Le mot peuple est revenu
soixante-quatre fois dans le discours. On retrouve dans ce bref discours l'essentiel
de ce qui devait lui servir de programme quand plus tard il sera chef de l'État. «
le mouvement de salut du peuple - avait-il déclaré - est décidé à contribue:
faire avancer la Haute-Voita dans la voie du progrès, … afin de permettre, aussi
rapidement que la force et le génie créateur du peuple voltaïque lui en donneront les
moyens, de nourrir le peuple, de lui donner une eau saine à boire, de le vêtir, de
l'abriter, de l'instruire et de le soigner. » C'était là tout un programme qu'il a tenté
de réaliser pendant le temps qu'il lui restait à vivre. Ce qu'il demandait aux
ministres sortait de l'ordinaire. « Nous ne devons pas craindre les masses, et nous
barricader dans des bureaux climatisés pour penser lourdement à sa place, avec les
pesanteurs petites-bourgeoises, sans tenir compte de lui et de ses conditions
concrètes de vie et de travail. En un mot, je voudrais vous dire que nous ne devons pas
tenir le peuple en respect, maïs réserver tout le respect au peuple. [...]
Messieurs les ministres, avec de tels objectifs, ce n'est certainement pas à un banquet
de copains ou à une partie de plaisir que le Conseil de Salut du Peuple vous a conviés
en vous investissant de sa confiance. Mais c'est à un gigantesque chantier de travail
auquel participera avec ardeur tout le peuple voltaïque, qu'il vous demande de
prendre part, comme chefs de brigades de travail dans ce chantier.»
Pour susciter le débat au sein de l’armée et soutenir une forme de démocratie
interne, l'aile progressiste du C.S.P créa un journal mensuel dénommé Armée du
peuple qui se voulait un « organe de lutte et d'information du Conseil de salut du
peuple ». Le journal dont le numéro 00 parut le 13 février 1983 avait pour devise :
« s'intégrer et s'identifierà son peuple.»