Vous êtes sur la page 1sur 554

homas SANKAR

Thomas SANKARA et la Révolution au


Burkipa Faso
- Une expérience de dévele ement aumtoceniré -

35 édition 2447
Revue et augmentée
Tous Droits réservés
© HARMATTAN BURKINA, 2017
1° et 2° édition en 2012
Av. Muammar KADHAFI
12 BP 226 Ouagadougou 12
Tél: (+226) 25 37 54 36 /(+226)76 59 79 86
harmattanbu: ah

Dépôt légal BNB : 3° Trimestre 2017


ISBN: 978-2-67792215-1
EAN:978-2-67702215-1
Apollinaire Joachimson KYÉLEM de FAMBÈLA

Thomas SANKARA et la Révolution au


. Burkina Faso
- Une €xpériençe de dévelo PPEMENY autocentré -

3° édition
Revue et augmentée

© HARMATTAN BURKINA, 2017


Du même auteur :

. L'éventuel et le possible, Presses Universitaires de Ouagadougou,


2002.
. Relations diplomatiques et souveraineté, Ouagadougou, Imprimerie
du Journal Officiel, 2003 ; Paris, L'Harmattan, 2007.
. Assistance humanitaire et droit international, Ouagadougou, Impri-
merie du Journal Officiel, 2004.
. L'évolution des sociétés — Des stratégies d'adaptation et de domina-
tion (à paraître à Harmattan Burkina)

* #
Dédicace

> À Emmanuel Dieudonné, le grand frère, parti très tôt, dès 1988.
> À Mathieu Silga, l’ami, le compagnon, parti aussi en 2009 rejoindre
Thomas Sankara.
> À Sosthène, l'aîné qui, sans le savoir, par les journaux burkinabè qu’il
rassemblait pour moi à partir de 2003, a contribué à enrichir ce travail.
> À Dominique et Didier Debrand, toute ma reconnaissance.
> Aux amis de France qui m'ont toujours tenu compagnie tout au long de
mon parcours et dont le souvenir ne m’a jamais quitté :
Robert Charvin, mon professeur à l’université de Nice qui eut l’idée de
me proposer de travailler sur le Burkina Faso.
Pierre-Albert Fernandez qui m'a suggéré de postuler pour l'enseignement
en Amérique du Nord.
+ Chantal et José Grevin qui m’ont mis en contact avec le mouvement
Jeunes pour un monde uni (J.P.M.U.)
+ Thierry Guillemot et Yves Rocle, les camarades et amis avec lesquels les
discussions sur les projets de société et sur l’état du monde étaient pas-
sionnantes et dépassionnées.
Pierre Lœsner, le collègue de l’université de Toronto.
+ Anne-Marie Chesse et les amis du mouvement des focolari de Nice et de
France.
Avant-propos

Cet ouvrage est le fruit de recherches, de débats et de réflexions menés


en France, en Italie, au Canada et au Burkina Faso. Il s’inspire aussi en
partie de la thèse de doctorat en droit que j'ai présentée et soutenue en
décembre1987 à l’université de Nice et dont des recherches complémen-
taires ont permis une refonte en 1994.

Malgré un passage éclair à la tête de l’État, Thomas Sankara occupe une


place centrale dans l’histoire récente du Burkina Faso et, sans doute, pour
longtemps encore.

Ouagadougou, 1‘ mars 2011.


A.J. Kyélem de Tambèla

Les hommes de génie sont des météores


destinés à brûler pour éclairer leur siècle.
Napoléon 1°

L'homme aujourd'hui sème la cause


Demain Dieu fait mürir l'effet.
Victor Hugo

# #
Avant-propos de la 3°"° édition
Depuis la parution de la deuxième édition en 2012, il est apparu néces-
saire d’apporter des éléments complémentaires, de même que des préci-
sions sur certains points et aussi de tenir compte de l’évolution de la si-
tuation sociopolitique au Burkina.

Le 4 janvier 2014, certains de ceux qui avaient comploté avec Blaise


Compaoré pour assassiner Thomas Sankara, ou qui l’avaient aidé à cons-
truire et à consolider son régime après le coup d° État sanglant du 15 oc-
tobre 1987, démissionnaient de son parti, le Congrès pour la démocratie
et le développement (C.D.P.), pour créer leur propre parti, le Mouvement

2e
du peuple pour le progrès (M.P.P.), et rejoindre l'opposition.

Le 31 octobre 2014, chassé par une insurrection populaire, Blaise Com-


paoré, pour sauver sa peau, était contraint à la démission et prenait aussi-
tôt la fuite en plein jour pour se réfugier en Côte d'Ivoire.

Après une période transitoire, un nouveau président fut élu le 29 no-


vembre 2015. Une nouvelle ère s’est ainsi ouverte au Burkina.

Ouagadougou, 12 juillet 2016.


A.J. Kyélem de Tambèla
f

Principales abréviations
AOF. + Afrique occidentale française

CD. 5 Congrès pour la démocratie et le progrès


CDR. ë Comité de défense de la Révolution
CE.A.0. 3 Communauté économique de l’Afrique de l’ouest
CMRPN. : Comité militaire de redressement pour le progrès
national
CNE.C. 5 Centre national d'entraînement commando
CNR. È Conseil national de la Révolution
CNT. ë Conseil national de la Transition
C.P.P.C. É Commission du peuple chargée de la prévention de
la corruption
C.P.S.P. 8 Conseil provisoire de salut du peuple
C.S.P. É Conseil de salut du peuple
CSV. É Confédération syndicale voltaïque

DOP. É Discours d’orientation politique

FDF. È Faso dan fani


FÉAN.F. : Fédération des étudiants d’Afrique noire en France
FES.PA.C.O. : Festival panañricain du cinéma de Ouagadougou
F.P.V. 3 Front progressiste voltaïque

G.C.B. : Groupe communiste burkinabè

IPN. : Institut des peuples noirs

LIPALD. : Ligue patriotique pour le développement


8
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

M.LN. É Mouvement de libération nationale


M.PP. Ë Mouvement du peuple pour le progrès
M.NP. É Mouvement national des pionniers

Organisation communiste voltaïque


Organisation militaire révolutionnaire
Organisation des nations unies
Parti africain de l’indépendance
Parti communiste révolutionnaire voltaïque
Programme populaire de développement
Plan quinquennal de développement popu-
laire
P.R.A. ; Parti du regroupement africain

R.D.A. Rassemblement démocratique africain


R.D.P. ; Révolution démocratique et populaire

S.A.MA.B. 4 Syndicat autonome des magistrats burkinabè


SER.NA.PO. ; Service national populaire
S.G.N.-C.DR. ; Secrétariat général national des Comités de
défense de la Révolution
S.N.C. ÿ Semaine nationale de la culture
S.N.C.P. d Service national de construction de la patrie
S.N.E.A.H.-.V. : Syndicat national des enseignants africains
de Haute-Volta
S.N.P. à Service national populaire
S.U.V.E.S.S. A Syndicat unique voltaïque des enseignants
du secondaire et du supérieur

TPR. ; Tribunal populaire de la Révolution

U-CB. : Union communiste burkinabè


U.F.B. H Union des femmes du Burkina
U.G.E.V. : Union générale des étudiants voltaïques
9
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA
1
f
U.L.C. À Union de lutte communiste
U.L.C.-R. ñ Union de lutte communiste - Reconstruite
U.N.A.B. 4 Union nationale des anciens du Burkina
U.N.P.B. à Union nationale des paysans du Burkina

* *
*
Introduction

1- Le Burkina Faso! est un territoire d’environ 274 200 km? situé au


cœur de l’Afrique occidentale. En 1985 il comptait près de huit millions
d'habitants’. En 2016, la population était estimée à environ dix-sept mil-
lions d'habitants’. Il est l’un des pays les plus peuplés de l’Afrique de

1 Le 4 août 1984, à l’occasion de la célébration du premier anniversaire de la Révolution, par


l'ordonnance 84-43/CNR/PRES du 2 août 1984, la République de Haute-Volta a pris Le nom
de Burkina Faso. Burkina signifie en langue nationale more (lire : moré)} : honneur, dignité,
respect, honnêteté. Fa et so sont des mots de la langue dioula signifiant respectivement père
et maison. Faso signifie : patrie, république. Burkina Faso veut dire : pays des Hommes
intègres, honnêtes, courageux et dignes de respect.
Le Burkina est souvent désigné sous le nom de “pays des Hommes intègres”.
Cette interprétation est quelque peu réducirice ; elle ne réflète pas le vrai sens du mot burki-
na. Selon René Daniel, burkina ne signifie pas homme intègre mais homme noble. « Un
homine burkina pouvait devenir un captif s'il avait été pris à la guerre. L'homme burkina
n'est donc, en soi, ni intègre ni même libre. [..] Le Burkina Faso est donc le pays de nos
nobles ancêtres, J'inrégrité n'étant que l'un des attributs — et non pas un élément spécifique —
de la noblesse. » CE. Jeune Afrique, n° 1607, Paris, 16-22 octobre 1991, p. 62. Burkina
Faso serait mieux traduit par ferre de noblesse, terre de dignité.
Les habitants du Burkina Faso sont des Burkinabè, Le mot bè est le pluriel de gjio
qui, en langue peulh, veut dire fils, ressortissant de, venant de. Le mot burkinabè est inva-
riable. Dans un souci d’unité, il a ainsi été fait appel aux trois principales langues du pays
pour constituer le nouveau nom du pays, l'adjectif et le nom du citoyen.
La devise du pays qui était : Unité - Travail - Justice avait été changée en La
Patrie où La Mort, Nous Vaincrons ! Ce qui rappelle un slogan en vogue pendant la
Révolution française et qui a été repris par Cuba qui en à fait sa devise: Patria o Muerte
Venceremos ! 1] convient de rappeler que sous le régime du C.M.R.P.N. du colonel Saye
Zerbo (cf. infra), celui-ci avait terminé son discours programme du 1% mai 1981 par la
phrase suivante : Ensemble nous vaincrons.
Après la fin de la Révolution, la devise a encore été changée par la loi n° 002/
97/ADP du 27 janvier 1997. Elle est maintenant la suivante : Unité - Progrès - Justice.
? Le recensement effectué du 10 au 20 décembre 1985 a donné les résultats suivants :
populations résidentes = 7 919 895 personnes dont : hommes = 3 824 531 ; femmes = 4
095 364. Population administrative = 8 644 275 personnes dont : hommes = 4 321 674 ;
femmes = 4 322 601.
Le recensement de décembre 2006 donne une population de 14 017 262 habitants.
3 Un recensement général de la population est prévu pour se tenir dans le courant de
l’année 2016.
il
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

l’ouest. La population est constituée d’une soixantaine d’ethnies


d’importance numérique inégale. Cependant, il y a trois principaux
groupes ethniques : les Mose” au centre, les Peulh au nord, puis les Diou-
Ja et les différents groupes ethniques de l’ouest du pays.

2 Les principales religions sont l’animisme, l'islam et le christia-


nisme. La carte religieuse du pays n’est pas fonction de la carte ethnique.
L’islam est néanmoins relativement important au nord et à l’ouest malgré
la persistance de l’animisme. Au début des années 1980, le taux
d’analphabétisme était évalué à 90% et le taux de scolarisation à 16%°,
Le taux de mortalité infantile était de 180% et le pays comptait un méde-
cin pour environ cinquante mille habitants®.

3- Le Burkina fait partie des pays les moins avancés (P.M.A) Le


commerce extérieur est caractérisé par un déficit permanent de la balance
commerciale. Le taux de couverture des importations par les exportations
était de 25, 2% en 1980 et de 15, 93% en 1982. L'essentiel des exportations
était constitué par les produits du cru (animaux vivants, peaux, coton,
amandes de karité, arachides, légumes). Les principaux clients et fournis-
seurs étaient la France, la Côte d’Ivoire et l’Europe de l'Ouest. En 1982 le
produit intérieur brut (P.L.B.) était de 346 988,7 millions F CFAŸ, Le P.LB.
par habitant était de 53 356 FCFA et la part de l’industrie dans le P.LB. était
de 10%.

% Le terme mossi qui est couramment employé est impropre. C’est la version francisée
du mot mose (lire : mosé). Conformément au décret n° 75/PRES/EN du 16/ 11/ 1975,
moaga au singulier donne mose au pluriel.
Ÿ En 2014, le taux de scolarisation était de 83%. Le d’alphabétisation était évalué à 60%.
$ En 2016, on comptait un médecin pour environ neuf mille habitants.
7 C’est le Comité de la planification et du développement (comité Tinbergen), dépen-
dant de P'ECOSOC, qui a défini les P.M.A. au début des années soixante-dix. Ils sont
caractérisés par un P.N.B. par habitant de moins de $100 (1968), d’une industrie qui ne
compte que pour 10% du P.N.B. et d’un taux d’alphabétisation qui, en 1960, ne dépas-
sait pas 15% de la population âgée à l’époque de moins de 15 ans. De nos jours, pour
définir les P.M.A., l'ECOSOC utilise les trois critères suivants : un critère de bas reve-
nu, un critère de retard dans le développement du capital humain et un critère de vulné-
rabilité économique.
1 F CFA équivalait à°0,02 francs français. À l’origine, C.F.A. signifiait Colonie fran-
çaise d’Afrique. De nos jours on parle de Communauté financière d'Afrique.
12
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Il s’agit là d’un bref aperçu de ce qu'était le pays au moment où Thomas


Sankara arrivait à la tête de l’État. Il est difficile de bien appréhender les
réalités de la Révolution burkinabè (deuxième partie) sans connaître un peu
l’histoire récente du pays (première partie). Seront ensuite abordées la fin
de la Révolution avec l'assassinat de Thomas Sankara et ses conséquences
(troisième partie) et enfin la chute de Blaise Compaoré et la renaissance
démocratique au Burkina Faso (quatrième partie).

* x
PREMIÈRE PARTIE

De la Haute-Volta au Burkina Faso

Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le revivre.


G. Santayana

Avant la Révolution qui a changé le nom du pays (chapitre IV), il y a eu


la période précoloniale et l’indépendance (chapitre I), des moments de
doute sur l’avenir du pays (chapitre IT) heureusement suivis d’une pé-
riode de prise de conscience (chapitre HIT).
Chapitre I
De la période précoloniale à l'indépendance

L'histoire des populations qui occupent l’actuel territoire du Burkina


Faso peut être appréhendée selon trois périodes : la période précoloniale
(), la période coloniale (I) et la période de l’indépendance (HE).
[- La période précoloniale
4- Deux chroniques soudanaises en langue arabe publiées en 1913,
le Tarikh El-Fettach {Chronique du chercheur (XVI siècle}} et le Tarikh
Es-Soudan {Chronique du Soudan (XVII siècle)} et les notes de
quelques voyageurs européens (Mungo Park, 1799 ; Heinrich Barth,
1857-1859 et surtout Louis Gustave Binger, 1892) donnent un bref aper-
çu sans doute incertain de ce que fut le Burkina de la période précolo-
niale. Trois grands royaumes au centre (A), à l’ouest (B) et à l'Est (C) se
partageaient le territoire du Burkina actuel.
A) AUCENTRE
5- Les royaumes môse” du Yatenga!®, de Wogodogo!! et de Tenko- x
dogo!? avaient une population dépassant largement le million d’habitants
à la fin de la période précoloniale. Le chef suprême des Mose était le

* More (la langue) se lit mord et mose (pluriel de moaga) se lit mossé. Dans l'écriture de x
la langue more, accent aigu n’existe pas.
1 Tenga en langue more signifie la terre. Yatenga est la forme contractée de Fadega
tenga qui veut dire la terre de Yadega le fondateur du royaume. Selon la légende, Yade-
ga vient de dié yadge qui signifie littéralement entrer et s’y étendre, c’est-à-dire aller de
conquête en conquête.
ll Wogodogo en langue more signifie en quelque sorte le respect, les honneurs. C’est la \
capitale du royaume moaga du centre qui en est le plus important. Wogodogo est le résultat
de l'évolution de l'expression wogdog tenga qui signifie la terre des honneurs. C’est le lieu
où réside le chef du royaume moaga du centre qui est en même temps l’empereur des Mose.
Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, est la version francisée de Wogodogo.
L Tenkodogo en langue more est la fonme contractée et francisée de fenga kodgo qui signifie *
vielle, ancienne terre. C’est la région où, selon la légende, seraient partis les descendants de
Wedraogo, ancêtre mythique des Mose, pour la conquête de leur territoire actuel. x
15
Thomas SANKARA et Ja Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

souverain de Wogodogo appelé môgh nâbal” ou roi de l’univers.


« L'histoire de l'empire mossi est celle d’une aristocratie guerrière de
cavaliers qui a étendu ses conquêtes sur des populations plus Jrustres,
des montagnes togolaises au Niger" ». Dim Delobsom {de son vrai nom
Antoine Augustin Ouédraogo) pense que les Mose « pourraient être for-
més d'un mélange des Dagomba conquérants et d’autochiones. Le Moa-
ga serait l'individu issu de métissage ; ce terme qui signifie (produit im-
pur) est plutôt employé par les “Naba” et Nakomse (fils de prince) pour
désigner tout individu qui n'appartient pas à la noblesse. “Moaga” signifie
aussi “l'homme non circoncis”. Une deuxième explication également pro-
posée par Dim Delobsom est que les mots “Moaga” et “Mossi” ont été em-
ployés par les aunochtones pour désigner les Dagomba au moment de leur
arrivée dans le pays” ». Il existe d’autres versions sur l’origine des Mose!f
6- Selon la légende, les Mose seraient venus de Gambaga, localité
située dans le nord de la République du Ghana actuel. La princesse Ye-

? En langue more, môgho signifie brousse, broussaille, Selon la tradition, pour fonder
son royaume, le roi Yandfo, fils du roi Wubri se retira dans la brousse et construisit sa
#

maison dans la broussaille. D'où le nom de môgh näba qui est la forme contractée de
môgho (brousse) et näba (chef).
Pour une autre version, cf. Salfo-Albert Balima, Légendes et histoire des
peuples du Burkina Faso, Paris, JA. Conseil, 1996, p. 73 et 80.
Par la suite, et selon l’intonation, Môgho signifiera le pays des Mose. L'univers
“civilisé” devait alors se limiter au Môgho. Le royaume de Wubri semble avoir été
fondé vers 1313.
Selon Cheikh Anta Diop, dans la langue des anciens Égyptiens, nab signifie le
maître (du savoir). Ce qui a donné en arabe #4bi qui signifie prophète. En araméen
rabbi signifie maître. Le terme ba chez les anciens Égyptiens renvoyait à la notion
d'âme qui vit au ciel. Le roi dans certaines conditions pouvait devenir ba. En langue
more, ba signifie père. D’autres exemples de ce genre montrent une réelle parenté lin-
guistique entre la langue des Mose et celle des anciens Égyptiens.
Cf. Robert Cornevin, Histoire des peuples de l'Afrique noire, Paris, Éd. Berger-
Levrault, 1963, p. 233. Lire surtoutp. 215-313.
Robert Cornevin était admistrateur en chef de la France d'Outre-Mer.
1 Cf. R. Comevin, op .cit. p. 233.
15 Cf. Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l'Afrique noire - D'Hier à Demain, Paris, Hatier,
1978, p. 246-249 ; Salfo-Albert Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina
Faso, Paris, J.A. Conseil, 1996, p. 62s.
16
Thomas SANKARA et Ja Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentté
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

nénga!”, fille d’un roi de Gambaga, se serait égarée au cours d’une partie
de chasse à cheval. Cherchant un abri pour la nuit, elle trouve une hutte
appartenant à un chasseur d’origine mandingue!* nommé Diyaré!”. Ils se
plaisent et de leur union naîtra un garçon qui sera appelé Wedraogo (éta-
lon) en souvenir de la monture de la mère?
x
7- Où pouvaient être les ancêtres des Mose avant leur installation à
Gambaga? Certains prétendent avoir retrouvé leurs traces au Nord-
Cameroun. Selon d’autres sources, ils pourraient venir de l’actuel Sahara au
moment où il était encore verdoyant. C’est son dessèchement progressif qui
aurait provoqué leur migration. De là viendraient les traits culturels communs
avec les anciens Égyptiens dont certains étaient aussi originaires du Sahara.
Certains les rattachent même aux Yéménites. Du Sahara, c’est dans la région
de Niamey qu’on aurait retrouvé leurs traces. Ils y auraient laissé des vestiges
historiques et archéologiques comme des tombes en pyramide. Sous la pous-
sée des Berbères, ils se seraient installés sur la rive droite du Niger. De là ils
partirent à la conquête du Nord-Dahomey-Togo-Ghana. C’est ainsi que cer-
tains d’entre eux se seraient retrouvés à Gambaga d’où ils pattiront à la con-
quête de l’actuel Burkina. La colonisation viendra les cantonner définitive-
ment — du moins pour le moment?! - dans leur territoire actuel avec la création

1? De son vrai prénom Poko qui, en langue more signifie une personne de sexe femelle.
Yenénga signifie ce qui est beau, ce qui brille. Selon S.-A. Balima, Yenénga pourrait
être la déformation de Gnélenga ou Gnenenga ou encore Yalanga. Op.cit., p. 67. Pour
C. Sanwiidi, Yenénga est la déformation de Yalénga qui signifie largesse. Cf. Kom-
bange-Ligliba Cyprien Sânwiidi, Kupèela — De Kürita le fondateur à Albert Tilado dit
Zâare, s.1., s.d., p. 14.
FF Selon la légende, Mandingues et Bambara ou Bammana auraient la même origine.
1 Diyaré ou riyaré en langue more signifie : omnivore, manger tout sans distinction
aucune, ou encore celui qui mange tout sans distinction aucune et sans manière. En
langue more, le et Le » en début de mot sont interchangeables.
Selon S.-A. Balima, Dyaré était un Bussanga (pluriel : Bussansi) communé-
ment appelé Bissa. Et dans cette langue, dyaré signifierait “le mâle”. cc Légendes et
histoire …, op.cit, p. 71. Les Bissa étaient ceux qui résidaient dans la région.
En langue more, bussanga est la contraction de bfdu (famille) et sänga (étran- ÿ
ger} qui signifie un groupe ethnique étranger.
À De là vient que l’étalon est l'emblème du Burkina.
21 D’importantes colonies de Môse existent actuellement au Ghana, en Côte d'Ivoire, au
Soudan, au Mali, au Togo, au Bénin, au Niger et au Gabon. Beaucoup d’entre eux sont
depuis longtemps assimilés aux populations locales.
17
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

de nouveaux territoires administratifs aux frontières rendues intangibles après


les “indépendances”. Si leur présence dans le Nord-Cameroun était vérifiée,
on peut penser que c’est à partir de leur départ du Sahara que certains d’entre
eux auraient pris cefte direction. D’autant plus que, culturellement, une simili-
tude frappante existe entre les Mose et les populations noires du Sud-Tchad
qui fait frontière avec le Nord-Cameroun.
8- Devenu guerrier, Wedraogo sera présenté à son grand père mater-
nel à Gambaga. Celui-ci le dote d’une petite troupe de guerriers. C’est
alors que Wedraogo se serait lancé à la conquête de l’espace à travers la
savane, créant les premiers commandements de l'empire moaga. Guer-
riers intrépides, dotés d’une supériorité technologique dans l’art de la
guerre : la cavalerie, les Mose n’eurent sans doute pas trop de peine à
conquérir le plateau central du Burkina actuel qu’occupaient alors des
paysans mal préparés à des conquêtes fulgurantes. Le Môgho s’étend sur
près de 63 500 km? et rassemble plus de la moitié de la population burki-
nabè, Il comprend 19 royaumes d'importance inégale constituant deux
grands ensembles : un bloc central et méridional comprenant, autour du
royaume de Ouagadougou, les royaumes de Lalgaye, Wargay, Tenkodo-
go, Konkistenga, Yako, Tema, Mané, Bousouma, Boulsa et Koupéla. Un
bloc septentrional comprenant, autour du Yatenga, les royaumes de Bou-
sou, Darigma, Nieséga, Risiam, Zitenga et Ratenga.
9- L'idée de “näm”?? propre aux Mose a permis l'invention de l'État
ou plutôt d’une forme d’Etat très structuré, décentralisé et assimilation
niste grâce auquel il leur a été possible de faire accepter leur domination
sur les populations autochtones qui étaient parfois associées à l’exercice
du pouvoir. Dans le royaume du Yatenga par exemple, sous le règne de
näba Kango (1754-1787) des commandements territoriaux furent confiés
à des captifs et l’un d’eux devint le plus puissant dignitaire du royaume.
Des représentants des différentes couches sociales, captifs compris, cons-
tituaient le collège électoral chargé de désigner le successeur du roi
Dans leur stratégie de conquête et de pouvoir, les Mose semblent avoir
privilégié des rapports d’assimilation plutôt que d’exclusion. Ce facteur a

7° Näm signifie pouvoir en more, la langue des Mose.


# C£ Claudette Savonnet-Guyot, État et sociétés au Burkina - Essai sur le politique
africain, Paris, Karthala, 1986, p. 85s.
18
Thomas SANKARA et ln évolution au Burkina Faso
Une expérience de de ppement autocentré
Apollinaire J, KYÉ 1 de TAMBÈLA

sans doute été déterminant pour la stabilité et la longévité de l’empire car


les sources de conflits étaient ainsi réduites.
10- À l'exception de quelques incursions comme celles de Sonni Ali
et de membres de la dynastie des Askia, l'empire moaga ne fut jamais
menacé de l'extérieur. Bien au contraire il infligea de sérieux échecs aux
empereurs du Mali, de Gao, de Ségou et aux pachas de Tombouctou. Il
s’empara de Tombouctou en 1 333 et de Oualata dans l'actuelle Maurita-
nie en 1 480%, Comme l’a fait remarquer P. Emy, « Les uns après les
autres, les royaumes montent, arrivent au sommet (apogée) puis redes-
cendent, Ils ressemblent à l’homme qui est enfant et adolescent, puis
adulte, enfin vieillard avant de mourir. … Seuls les Royaumes mossi ont
gardé leur puissance du début jusqu'à la fé . » Johanny Thevenoud qui
résida chez les Mose de 1903 à sa mort en 1949 et qui fut le premier :
évêque de Ouagadougou écrit : « En Afrique noire, un empire millénaire,
fondé par un certain Oubri, dont le nom est encore un drapeau et une
relique, et gouverné jusqu'à nos jours par ses descendants, pour étrange
que cela paraisse, tel est le fait historique.
Quand Philippe VI de Valois commençait la guerre de Cent Ans,
Ouagadougou était déjà la capitale du Mossi, et quelques années avant
la défaite de ce roi de France à Crécy, ce peuple, dans un raid qui n'eut
pas de suite, s'empara de Tombouctou qu'il saccagea et pilla.
Sur ses origines, son point de départ, car c'est un peuple de con-
quérants, nous ne savons rien, si ce n'est qu'il est venu de l'Est. |. ..]
Bien organisé aux points de vue politique, administratif er social, cet
empire porta sans usure la fatigue des siècles, et tel il était à l'époque où
Saint-Louis conduisait ses chevaliers à la conquête des Lieux Saints, tel il est
encore aujourd'hui. …il eut des sages en dehors de notre monde civilisé*. »
11- L’homogénéité politique relative, l’identité culturelle, l’origine
commune et les relations économiques qui les unissaient, faisaient des

# Cf. : -La République de Haute-Volta, Not tudes Documentaires, n° 3 818-3 819,


27 septembre 1971, p. 7. -Joseph Ki-Zerbo, E de l'Afrique noire - D'Hier à Demain,
op. cit., p. 246. ,
% p, Emy, Histoire de l'Afrique occidentale, !: -Moulineaux, Éditions Saint-Paul, 1961,
Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l'Afrique noire - D'Hier à Demain, op. cit., p. 247.
S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op.cit., p. 79.
19
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA

Mose, bien avant l’êre coloniale, un peuple uni et une nation quasi ho-
mogène, malgré des rivalités régionales.
B) ÀL'OUEST
12- Au XVIII siècle, à l'exception des pays lobi-birifor et d’une par-
tie du pays dagara, cette partie est passée sous la domination des souve-
rains dioula?? de Kong. Famarha Ouattara s’installe à Bobo-Dioulasso et
fonde le Gwiriko”. Il était le frère de Sékou Ouattara qui régnait sur les
Dioula de Kong. À la mort de ce dernier, Famarha réclama le pouvoir et,
sur le refus qui lui est opposé par le fils de Sékou Ouattara, va s’installer
à Bobo-Dioulasso ouvrant une longue suite de querelles entre les deux
cités. Au XIX* siècle l'empire Kong est démantelé, Le Gwiriko est déchi-
ré par d’incessantes révoltes. Le royaume dafing de Wahabu, notamment,
naît de ses décombres. Les Dioula se sont si bien distingués comme
commerçants que leur nom sert à désigner, quelle que soit son apparte-
nance ethnique, le colporteur musulman””.

C) ÀL'EST
13- Autour de Nüngu (Fada N'Gourma) et sous la dynastie des
Nünbado, s’est édifié le royaume du Gourma*? dont les habitants sont des
Gourmantchés. Le royaume du Gourma avait des liens étroits avec le
royaume de Wogodogo. Certains estiment qu’il faisait partie de l'empire
comme les royaumes du Yatenga et de Tenkodogo.
Des recherches poussées donnent plus de précisions sur le peuplement du
Burkina. Ainsi, les Bobo, les Gourounsi et les Kourouma sont cités
comme faisant partie des premiers habitants de l’Afrique occidentale”.

77 Dioula viendrait de Pexpression arabe sug al jeufa qui signifierait ceux qui se promê-
nent au marché.
Pour certains, Guiriko signifierait “au-delà de la longue marche”. Cette version est
quelque peu contestée. Sur l’origine et le sens de ce mot, ef. Mahir Saul, “Les maisons
de guerre des Watara dans l'ouest burkinabè précolonial”, in Yénouyaga Georges
Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de-), Burkina Faso — Cent ans d'histoire,
1895-1995, Paris, Éditions Karthala, 2003, 1.1, p. 385-386.
# C£ Robert Cornevin, Histoire des peuples de l’Afrique noire, op. cit., p. 241.
30 Gourma est un mot d’origine sonrhaï et désigne les peuples de la rive droite du fleuve Niger.
3! C£. R. Comevin, op. cit., p. 233.
20
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYËLEM de TAMBÈLA

I La période coloniale
Lorsque les Blancs sont venus en Afrique, nous avions les terres
et ils avaient la Bible. Ils nous ont appris à prier les yeux fermés.
Lorsque nous les avons ouverts, les Blancs avaient les terres er
nous la Bible.
Jomo Kenyatta

À la fin du XIX° siècle le territoire du Burkina actuel devint l’enjeu


d’une compétition entre les différentes puissances coloniales (France,
Grande-Bretagne, Allemagne)”. La conquête (A) et la constitution du
territoire (B) répondaient à des motivations précises (C).
A) LA CONQUÊTE DU TERRITOIRE
L'un après l’autre le Nord et le Centre (L), l'Ouest et le Sud-Ouest (2) et
l'Est du pays (3) vont tomber sous la domination coloniale.
1- La conquête du Nord et du Centre
a) La conquête du Nord
14- Dès la moitié du XIX' siècle, les royaumes mose du Yatenga et de
Tenkodogo et le royaume du Gourma manifestaient leur volonté
d'indépendance à l’égard du mêgh näba de Ouagadougou. Les querelles
de succession au Yatenga vont par la suite faciliter la pénétration fran-
çaise. Le prince Bangrey qui accèda au trône en juin 1894 sous le nom de
näba Bully et qui se sentait menacé par ses adversaires, fit appel au capi-
taine Destenave du détachement militaire français installé à Bandiagara
au Soudan français (actuel Mali). Celui-ci observait le déroulement des
luttes internes et attendait le moment d’intervenir. Saisisant l’occasion,
Les Français volèrent au secours de näba Bully et signèrent avec lui le 18
mai 1895 un traité de protectorat”. À partir du Yatenga ils partirent à la
conquête de l'empire moaga.

32 Dans ce sens, cf. Jeanne-Marie Kambou-Ferrand, “La conquête du royaume mossi de


Ouagadougou par la France”, in Yénouyaga Georges Madiéga et Oumarou Nao (sous
la direction de-), Burkina Faso — Cent ans d'histoire, 1895-1995, Paris, Éditions Kartha-
la, 2003, t.1, p. 419-474,
#3 Le traité précisait que Le roi du Yatenga confiait son pays à la France, en son nom et
au nom de ses successeurs ; qu’il acceptait à Ouahigouya (sa capitale) un résident fran-
21
; . y à
annks TT éenndtes e n Pa » À

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

15- Marseille est une des toutes premières villes de la France actielle qui
s’appelait alors la Gaule. Dans l'antiquité, c’était un port très actif mais
la
ville était souvent pillée par les tribus voisines. Les habitants appelèrent
alors les Romains au secours. Ils vinrent, chatièrent les pillards puis
s’installèrent dans la région. La “province” qu’ils fondèrent devint la Pro-
vence. De même, quand des Germains tentèrent d’envahir la Gaule,
les tri-
bus gauloises demandèrent aussi secours aux Romains. Ils arrivèrent sous
la
conduite de Jules César, chassèrent les Germains puis entreprirent
la con-
quête de la Gaule. Il se trouve ainsi une similitude entre la conquête de
la
Gaule par les Romains et la conquête du Burkina par les Français.
b) La conquête du Centre
16- Le nâba Wobgo” de Ouagadougou, de son vrai nom Boukary
Koutou, était, contrairement à näba Bully du Yatenga, un nationaliste
déterminé. En juillet 1895 il avait fait cette réponse au capitaine Deste-
nave, résident de France à Bandiagara qui voulait franchir les frontiè
res
de son empire : « Depuis longtemps, j'ai fait consulter les gris-gr
is. Tous
ont répondu que si je voyais un homme blanc, J'étais un homme
mort. Je
sais que les Blancs veulent me faire mourir Pour me voler mon
pays. Et
tu prétends qu'ils vont m'aider à organiser mon pays! Or je trouve
mon
pays très bien, tel qu'il est. Je n'ai nul besoin des Blancs. Je sais ce qu'il
me faut et ce que je veux. J'ai des marchands. Estime-toi heureu
x que je
ne le fasse pas couper la tête. Va-t-en donc. Et Surtout, ne
reviens
pas®. » Mais le pouvoir de näba Wobgo était fragilisé car depuis
1884 le

gais avec une escorte militaire ; qu’il ne pouvait plus avoir de relations
avec un autre
pays sans l'autorisation du gouvernement français ; qu'il devait protéger les Français
qui viendraient au Yatenga sans prélever des impôts sur leurs
marchandises ; qu’en
retour, désormais, la France protégera le roi du Yatenga.
# Wobgo signifie éléphant en langue more. Il prétendait ainsi
s'identifier à la force
tranquille de l'éléphant.
* 9 Chez les Mose, celui qui accède au pouvoir prend un nom de
règne qui, en fait,
est le concentré soit de ce qu’il souhaite promouvoir sous son règne
(son programme,
son projet de société) soit de ce qu'il prétend incarner, Dès lors, il ne sera
plus désigné
que par ce nom qui deviendra aussi celui de sa descendance. Wobgo
était le nom de
règne de Boukary Koutou dont le père était le môgh näba Koutou. Koutou
signifie fer.
Ÿ C£. Salfo-Albert Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso Paris,
JA. Conseil, 1996, p. 126.
22
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

royaume de Wogodogo était en lutte contre le chef de canton de Lallé. En


outre, les royaumes de l’intérieur se référaient de moins en moins au pouvoir
central de Ouagadougou et manifestaient des velléités d’indépendance. Le
1 mars 1897, le chef de bataillon Destenave écrivait : « On peut dire d'une
facon certaine et en sappuyant sur des exemples fournis par Bockary-
Koutou et ses prédécesseurs que le pouvoir central de Ouaghadougou n'est
constitué en réalité que nominalement et simplement par un respect des tra-
ditions qui est allé en s'affaiblissant au fur et à mesure que la puissance des
grands feudataires augmentait.
L'étendue du commandement et la puissance des Nabas de Bous-
souma, Koupéla, … sont supérieures à celles du Naba de Ouagadougou.
[...] mais il ne faut pas perdre de vue qu'il est toujours fait cause
commune en face de l'étranger, et qu'il suffit d'un mot d'ordre pour qu'au
nom des liens de famille et de l'unité de race ils se coalisent contre
l'envahisseur. » Selon S.-A. Balima, « De l’intérieur hélas, le Môgo n'était
plus qu'un corps décrépit ef vermoulu, qui continuait à vivre plus en raison
des terreurs que son renom avait autrefois inspirées qu'à cause de sa force
réelle”. »
17- Le 1° septembre 1896, les troupes des lieutenants Paul Lucien
Gustave Voulet et Charles Paul Jules Chanoine n’eurent pas beaucoup de
difficultés à s’emparer de l'empire*?. Plutôt que de se soumettre, le näba
Wobgo, après une résistance tenace et vaine, choisit l’exil. Il trouva re-
fuge à Gambaga dans le nord de l’actuel Ghana, pays d’origine des
Mose. Le näba Siguiri, nouveau souverain élu avec le concours des occu-
pants, signa le 20 janvier 1897 un traité de paix et d’amitié plaçant ainsi
l'empire moaga sous le protectorat exclusif et sous la souveraineté abso-
lue de la France”. Mais jusqu’à sa mort en 1904 au Ghana, Boukary
Koutou dit näba Wobgo continua à harceler les troupes d'occupation. Il
fit répandre dans le pays un appel à la résistance : « Nous l'avons dif, les
Blancs, comme les oiseaux migrateurs, traversent l'Afrique. Laissez-les
passer. Mettez-vous en sûreté. C'est un orage qui passe». Il ordonna à

3 Cf. Salfo-Albert Balima, op.cit., p. 119-120.


#7 Cf. Apollinaire Kyélem, “La dernière bataille de Boukary Koutou”, L'Observateur
Paalga, n° 5822, Ouagadougou, 30 janvier 2003, p. 7.
% Le contenu du traité est pratiquement le même que celui qui avait été soumis au roi du
Yatenga en 1895.
23
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apolli J. KVÉLEM de TAMBËLA

ses vassaux de fuir : « Les gris-gris n'ont plus aucun pouvoir, je ne veux
pas me soumettre aux Blancs, mais je ne puis résister. Vous ne pouvez
Pas résister non plus, Le salut est dans la fuite” ». La structure hiérarchi-
sée qui a été la force de l’empire moaga a aussi facilité sa conquête par
les Français. La reddition du chef entraîne celle de son territoire.
2- La conquête de l'Ouest et du Sud-Ouest
18- À la fin du XIX' siècle le souverain du Gwiriko se sentait menacé à
la fois par le roi du Kénédougou et par le conquérant Samory Touré. Il fit
alors appel aux Français en 1897. Le chef de la mission française, le com-
mandant Caudrelier, entra dans Bobo-Dioulasso, Le 11 septembre 1897, un
traité de protectorat était signé mettant fin à l'indépendance du Gwiriko.
19- Les sociétés du Sud-Ouest qui ne connaissaient pas de système
d’autorité politique centrale furent plus difficiles à soumettre. Les troupes
françaises s’y heurtèrent à une résistance farouche surtout en pays lobi où
les populations maniaient avec dextérité l'arc et la flèche“. La conquête
française se fit maison par maison, village par village. La période
d'installation française prit fin en 1901 avec la fondation du poste de
Gaoua en pays lobi. Mais jusqu’en 1933 le pays lobi ne fut pas “pacifié”.

3- La conquête de l'Est
20- En 1892, Batchande avait assassiné son frère Yentugury pour
prendre le pouvoir. I! fut aussitôt rejeté par une coalition de chefs du pays
gourmantché qui l’expulsèrent de la capitale. Il se réfugia à Diabo. Pour
conforter son pouvoir chancelant, il ouvrit largement les bras aux Fran-
Sais qui arrivaient du Dahomey (actuel Bénin}. Le 20 janvier 189$ il ac-
cepta un traité de protectorat du commandant Decœur qui, en les élimi-
nant, le débarrassa par la suite de ses ennemis qui n’étaient autres que ses
frères et cousins,.

#° Cf. Salfo-Albert Balima, op. cit. p. 142.


*° Le commandant Caudrelier écrivait : « Chez les Lobi, je ne vois pas comment ni avec
qui je pourrai passer des traités. Ces sauvages se sauvent à notre approche et
n'apparaissent de temps à autre que pour vous tirer des flèches empoisonnées, » Cf.
Jeanne-Marie Kambou-Ferrand, “Les vraités coloniaux en pays voltaïques”, in Yé-
nouyaga Georges Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de-), Burkina Faso — Cent
ans d’histoire, 1895-1995, Paris, Éditions Karthala, 2003, t.1, p 525.
24
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autogentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

B) LA CONSTITUTION DU TERRITOIRE
21- Les sociétés sans autorité politique centrale n’avaient pas de chef
en tant que tel. Ce qui rendait difficile la transmission des instructions
aux administrés et l'exécution des décisions administratives, Le territoire
une fois conquis, s’inspirant de l’exemple des Mose, le colonisateur va :
procéder dans ces sociétés à la nomination de chefs de village et de can-
ton“!. Le plus souvent, le choix portait sur les éléments à la fois dociles et
énergiques et si possibles capables de comprendre quelques rudiments de
français. Par la suite, les Français annulèrent les traités de protectorat
qu'ils avaient eux-mêmes imposés. Le territoire fut intégré à la colonie
du Soudan français créée le 18 août 1890. L’ensemble fera partie de
l'Afrique occidentale française (A.O.F.) érigée en fédération par décret
du 16 juin 1895 et qui comprenait le Sénégal, le Soudan français, la Gui-
née française et la Côte d'Ivoire". Un décret d’octobre 1902 rattacha le
territoire à la Sénégambie-Niger. À partir du décret du 18 octobre 1904
réorganisant le gouvernement général de l’Afrique occidentale française,
le territoire sera rattaché à une nouvelle colonie, la colonie du Haut-
Sénégal-Niger avec Bamako pour capitale.
22- Un décret du 1° mars 1919 détachait le territoire pour former une
colonie à part. À cette nouvelle colonie il sera donné le nom de Haute-
Volta parce que le territoire couvre les bassins supérieurs des trois
fleuves Volta : Volta noire, Volta blanche et Volta rouge. La Haute-Volta
de 1919 comprend alors les cercles de Bobo-Dioulasso, Dédougou, Dori,
Fada N'Gourma, Gaoua, Ouagadougou et Say. Le fleuve Niger consti-
tuait la frontière orientale du territoire. Gabriel Angoulvant qui, au mo-
ment de la création de la colonie, était gouverneur général par intérim de
l'A.O.F, expliquait en 1922 la création de la colonie de Haute-Volta :

#1 Ainsi, Henri Labouret, nommé commandant dans la circonscription de Diébougou en


1912, « imposa à chaque village un indigène faisant figure de chef auquel il pouvait
s'adresser et qui transmettait les ordres simples et en assurait l'exécution. » C£. Claude
Nurukyor Somda, “Les critères du choix des chefs indigènes dans les sociétés sans
organisation politique centralisée du sud-ouest du Burkina Faso 1897-1917" in Yé-
Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de-), Burkina Faso — Cent
1995, Paris, Éditions Karthala, 2003, t.1, p 809.
.F. fut dissoute le 6 avril 1959.
25
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

«La Haute-Volta a été créée pour satisfaire à des besoins impérieux, à


la fois d'ordre politique et économique.
Cette région de la boucle du Niger est la plus peuplée de toute
notre Afrique occidentale. Non seulement sa population est de trois mil.
lions d'habitants, mais elle renferme le groupement ethnique le plus
important, celui des Mossis [...] Fortement organisé, ayant à sa tête des
chefs dont l'autorité traditionnelle et héréditaire est établie depuis plu-
sieurs siècles, ce peuple est rallié à la cause française depuis vingt-cinq
ans et nous a toujours donné, notamment pendant la guerre, des preuves
répétées de son loyalisme et de son dévouement [...]
Ma première préoccupation a été, en détachant les territoires vol-
taïques du Haut-Sénégal-Niger, de placer à proximité de ces populations
un organe de contrôle dont la présence était reconnue indispensable [.…]
Cette partie de la boucle du Niger n'a aucun intérêt commun, ni
aucun lien économique avec la colonie du Soudan français, ni avec les
régions du Haut-Sénégal ou du Haut et Moyen-Niger. Flle est directe-
ment tributaire des colonies du Sud et du golfe du Bénin”.
23- Par décision du 28 décembre 1926, les cercles de Say et Tera sont
détachés de la colonie de Haute-Volta et rattachés à la colonie du Niger
pour compter du 1° janvier 1927. Un décret du 5 septembre 1932% sup-
prime la colonie de Haute-Volta pour compter du 1° janvier 1933. Le
territoire est réparti entre les colonies de Côte d’Ivoire, du Soudan
français et du Niger. Le pays moaga se trouva ainsi démantelé : le
royaume du Yatenga et le pays samo furent rattachés au Soudan ; le
royaume de Ouagadougou, l’ouest et le sud du territoire à la Côte
d’Ivoire ; les pays gourmantché et peulh au Niger. La loi n° 47-1707
du 4 septembre 1947 promulguée en A.O.F. par l’arrêté n° 3678 A.P.
du 12 septembre 1947 rétablit la colonie de Haute-Volta dans la limite
des frontières de 1932 avec pour date de mise en application le 1°
janvier 1948.

# Cf. Salfo-Albert Balima, Légendes et histoires des peuples du Burkina Faso, op. cit,
Annexes, p. CCHII-CCIV. Certains prétendent que la révolte des Bwaba et des Marka
: qui aensanglanté la Boucle du Mouhoun de novembre1915 à juillet 1916 a été pour
quelque chose dans la création de la colonie. Cela permettait ainsi au colon d’assurer un
meilleur contrôle du territoire.
#JLO.A.OF., 1932, p. 902.
26
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

© LES MOTIVATIONS ET LES JUSTIFICATIONS DE LA CO-


LONISATION
24- Au moment où commence l’entreprise coloniale, beaucoup
d'esprits en Occident étaient convaincus de l’infériorité de l’Homme
noir. Il est vrai que sur le plan économique, il y avait un grand écart entre
les sociétés occidentales déjà à l’ère de la modernité et les sociétés
d'Afrique noire où, très souvent, on vivait encore presque tout nu avec
des outils de travail et de communication qui, dans bien des cas, sem-
blaient relever du néolithique. S’agissant d’êtres pensants, la question qui
se pose est de savoir si un tel état d’ “arriération” relevait d’une incapaci-
té congénitale à le dépasser ou s’il pouvait être fonction des aléas de
l’histoire, de l’environnement, des choix des valeurs et de la conception
que l’on peut avoir de la vie terrestre et de Pau-delà.
25- À ce sujet, on peut reprendre un extrait de la Déclaration au Monde
de William E.B. du Bois lors de la séance de clôture du deuxième congrès
panañicain tenu à Londres les 28 et 29 août 1921. Entre autres il décla-
rait : «… la voix de la science, de la religion et de la politique pratique est
unanime à nier qu'il existe, par une décision de Dieu, des races supérieures
ou des races naturellement, inévitablement et éternellement inférieures. Le
fait que dans le vaste déroulement du temps un groupe puisse,dans sa tech- x
nique industrielle, ou son organisation sociale ou sa vision spirituelle, avoir
un retard de quelques siècles par rapport à un autre, ou aller de l'avant par
ä-coups, ou en venir à être décidément différent en pensée, en action ef en
idéal, constitue une preuve de la richesse et de la variété essentielles de la
nature humaine, plutôt qu'une preuve de la co-existence de demi-dieux et de
singes sous forme humaine". »
26- Pour les esprits simplistes cependant, il n’y avait pas lieu de dé-
battre. Ainsi, pour Gustave le Bon, « Au-dessus des races primitives se
trouvent les races inférieures, représentées surtout par les Nègres. Elles
sont capables de rudiments de civilisation, maïs de rudiments seulement.
Elles n'ont jamais pu dépasser des formes de civilisation tout à fait bar-

# Cf. L'Illustration, n° 4372, Paris, 18 décembre 1926. «… les bienfaits de notre colo
aisation initient à la vie moderne. » Écrit le journal.
% Cf. George Padmore, Panafricanisme ou communisme ? — La prochaine lutte pour
l'Afrique, Paris, Présence Africaine, 1960, p. 141.
27
Thomas SANKARA ct In Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBELA

bare, alors même que le hasard les à fait hériter comme à Saint-
Domingue, de civilisations supérieures. » Selon lui, on constate chez les
races primitives et inférieures « une incapacité plus ou moins grande de
raisonner. » En outre, écrit-il, « le Noir est privé des facultés politiques
et scientifiques ; il n'a jamais créé un grand État ; il n'a rien fait en mé-
canique industrielle. … il aime aussi avec passion la parure, la danse, le
chant » Quant à Jules Ferry, président du Conseil du gouvernement
français (1880-1885) il écrivait : « Les races supérieures, c'est-à-dire les
sociétés occidentales, parvenues à un haut degré de développement tech-
nique, scientifique et moral, onf à la fois des droïts et des devoirs à
l'égard des races inférieures. Ces droits et ces devoirs sont ceux de la
civilisation à l'égard de la barbarie. » L'entreprise coloniale se trouvait
ainsi justifiée. Le cardinal Mercier pouvait donc écrire que « La colonisa-
tion apparaît dans le plan providentiel, comme un acte collectif de chari-
té, qu'à un moment donné, une nation supérieure doi aux races déshéri-
fées, et qui est comme une obligation, corollaire de la supériorité de cul-
ture"%, » Après la conquête féroce et sanglante du Môgho, le lieutenant P.
Voulet a parlé d’une « intervention bienfaisante*. »
27- L'idée de l’infériorité des Noirs n’était pas partagée par tous. En
1881, à propos des Balobos du Congo, Wissmann parlait d’ «un peuple
de penseurs Ÿ ». À la suite de ses séjours en Afrique noire, l'explorateur
Leo Frobenius a eu à relever le raffinement de certaines civilisations.
Selon lui, « L'idée du “Nègre barbare” est une invention européenne qui

#7 Gustave le Bon, Lois psychologiques de l’évolution des peuples, Paris, F. Allan,


1927, p. 39-41 ; cité par Joseph Ki-Zerbo, Repères pour l'Afrique, Dakar, Panafrika,
2007, p. 163.
# Cité in F. Borella, l'Évolution politique et juridique de l'Union française depuis 1946,
Paris, L.G.D.P., 1958, p.74. Cf. Titinga Frédéric Pacéré, Ainsi on _a assassiné tous les
Mossé - Essai-témoignage, Ouagadougou, Fondation Pacéré, 1994, p. 143.
# Voulet, devenu capitaine le 26 novembre 1897, était devenu presque fou. Avant de
mourir le 17 juiliet 1899, et Chanoine Le 16 juilet 1899, tués par leurs propres tirailleurs,
Voulet tua le 14juillet 1899 le lieutenant-cotonel Arsène Klobb envoyé sur ses traces. Il
avait par ailleurs déclaré : « Je suis un hors-la-loi, je renie ma famille, mon pays, je ne
suis plus Français, je suis un chef noir. Je ne regrette rien de ce que j'ai fait.» C£. P.
Emny, Histoire de l’Afrique occidentale, op. cit., p. 60.
# CET. Ki-Zeïbo, Repères pour l'Afrique, op. cit., p. 37.
28
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈËLA

a, par contrecoup, dominé l'Europe jusqu ‘au début de ce siècle’. » Il est


vrai que, du fait de l’écart ahurissant qui pouvait exister entre les sociétés
européennes et les sociétés d’Afrique noire, des esprits simplistes, mus
par une certaine suffisance, dans l'ignorance de Phistoire et des principes
d'évolution des sociétés humaines, ont pu sincèrement croire à
l’infériorité de l’Homme noir. Mais pour l’essentiel, on peut penser que
la théorie de linfériorité servait plus à justifier l’entreprise coloniale.
Dans le Guide de l'Européen aux Colonies on pouvait lire : « Peu im-
porte que les Noirs sachent épeler, lire ou écrire, qu ‘ls connaissent
notre syntaxe, nos sous-préfectures. Ce qu'il faut, c'est qu'ils soient ca-
pables de nous aider dans l'utilisation de leur continent. Leur éducation
doit par suite être purement manuelle et professionnelle”? » Pour Jules
Ferry, « La question des colonies, c'est la question des débouchés ». Et
Albert Sarraut qui fut également président du Conseil (1933 et 1936)
d’ajouter : « La cotonnade française, si elle sait le vouloir, a devant elle
un marché privilégié de près de 60 millions d'êtres humains 53,
IlI- La période de l'indépendance
Les colonies françaises d’Afrique ont accédé à l'indépendance dans des
conditions qu’il n’est pas inutile de rappeler (A). Dans le cas du Burkina, la
période de l'indépendance a été marquée par un certain activisme politique
(B), des différences d’option politique (C) et la mauvaise gouvernance O).
A) LES CONDITIONS D’ACCESSION A L'INDÉPENDANCE
28- Le général de Gaulle qui était revenu au pouvoir en France en mai
1958 était un nationaliste chevronné. En tant que président du Conseil
(1958), puis président de la République (1959-1969), seuls comptaient
pour lui les intérêts à court terme de la France. Face aux luttes
d’émancipation et de libération qui se sont développées après la deu-
xième guerre mondiale : la défaite française en Indochine (Dien Bien
Phu, 7 mai 1954), les troubles à Madagascar (1947-1948), la guerre

5! Leo Frobenius, Histoire de la civilisation africaine ; Cité par Cheikh Anta Diop, Na-
,3° édition, Paris, Présence africaine, 1979, t. 2, p. 353.
pères pour l’Afrique, op. cit., p. 39-40.
0, “Les or! igines el on fase en 1944”, in L. Genet et al,

29
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

d’Algérie (1954-1962), les luttes politiques en Afrique noire, etc. le gé.


néral de Gaulle comprit que les choses ne pouvaient plus rester en l’état.
Comme la France ne pouvait pas facilement absorber son empire colo-
nial, de Gaulle décida de s’en séparer. Selon le journaliste Jean Raymond
Tournoux qui essaie de traduire le sentiment de de Gaulle, « Le conglo-
mérat de l'Afrique entière lui semble plus ou moins un continent maudit...
Ce sont des pays de crève-la-faim. Il faut les laisser entre eux°*.» Alain
Peyrefitte dans “C'était de Gaulle” rapporte des propos du général prési-
dent : « C'est beau, l'égalité, mais ce n'est pas à notre portée. Vouloir que
toutes les populations d'outre-mer jouissent des mêmes droits sociaux que
les métropolitains, d’un niveau de vie égal, ça voudrait dire que le nôtre
serait abaissé de moitié. Qui y est prêt ? Alors, puisque nous ne pouvons
pas leur offrir l'égalité, il vaut mieux leur donner la liberté ! Bye bye, vous
nous coûtez trop cher» Toujours selon le général, « Qu'on ne se ra-
conte pas d'histoires ! Les musulmans, vous êtes allé les voir ? Vous les
avez regardés, avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que
ce ne sont pas des Français !
Ceux qui prônent l'intégration ont une cervelle de colibri [..] Les
Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que
le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain,
seront vingt millions et après-demain quarante ?
Si nous faisons l'intégration, si tous les Arabes et Berbères
d'Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-
on de venir s'installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tel-
lement plus élevé? Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-
Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées {» Pour de Gaulle,
« Ou l'Algérie sera asservie, ou elle sera indépendante 56
29- L'Algérie doit sans doute son indépendance à la lutte de libération
menée par le Front de libération nationale (F.L.N.) Ayant refusé
l’asservissement comme le souhaitait de Gaulle, l’indépendance
s’imposait. Mais pour ce qui est des colonies françaises d'Afrique noire,
c’est surtout la France qui a décidé de se séparer d’elles ; souvent contre

# Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit, p. 268.
% Cf. S.-A. Balima, op; cit. p. 268.
56 Cf. S.-A. Balima, op. cit., p. 269.
30
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Je gré des élites dirigeantes”. L'indépendance était surtout la revendica-


tion des mouvements d'opposition dont la France avait pris soin
d’éliminer les dirigeants physiquement” et à défaut politiquement”.
L'indépendance n’était pas le choix des premiers gouvernants qui avaient
été cooptés par le système colonial parce qu’ils en étaient les meilleurs
garants®®, Au Gabon par exemple, le premier président, Léon M°ba, était
si fasciné par la France qu’il ne pouvait souffrir de voir son pays se sépa-
rer de la métropole. À la fin des années 1950, malgré une certaine aspira- *.°:
tion des populations gabonaises à l’indépendance et alors que le gouver-
nement français lui-même commençait à infléchir sa politique, il choisis-
sait pour son pays le statut de département français. C’est avec regret
qu’il dut se résoudre à accepter l’“indépendance ” que Paris avait choisie
pour le Gabon.
30- Si l’on en croit Frédéric Guirma, Maurice Yaméogo, premier pré-
sident de la Haute-Volta (Burkina Faso) aurait, dans un meeting à Oua-
gadougou lancé à la foule : « Nous ne savons même pas faire une allu-
mette. Nous ne savons même pas faire un clou et il y en a qui demandent
l'indépendance. L'indépendance, c'est l'aventure {l» Selon S.-A. Ba-
lima, en octobre 1959, Maurice Yaméogo, dans un discours public à
Ouahigouya, affirmait que seuls les fous et les démagogues pouvaient sou-
haiter l'indépendance. 11 demandait instamment aux prêtres et aux bonnes
gens du pays d'adresser au Seigneur de ferventes prières pour détourner de

* CE Apollinaire Kyélem, “Mythe et réalité des indépendances en Afrique noire fran-


cophone”, Le Pays, n° 4758, Ouagadougou, 9 décembre 2010, p. 10-12 ; Mutations, n°
116, Ouagadougou, 1*-14 janvier 2017, p. 12-14.
8 C’est le cas, au Cameroun, de Ruben Um Nyobé, fondateur de l’Union des popula-
tions du Cameroun (U.P.C.), puis de ses succ us Félix Moumié et Ernest Ouandié.
Il y a aussi le cas de la disparition dans des conditions douteuses de Barthélemy Bogan-
da de Centrafrique, etc.
# C'est le cas de Djibo Bakary au Niger.
50 C'est le cas notamment de Houphouët-Boigny de Côte d'Ivoire, de Maurice Yaméogo
de Haute-Volta, de Hamani Diori du Niger, d’Ahmadou Ahidjo du Cameroun, de David
Dacko de Centrafrique, de Léon M’ ba du Gabon, etc.
S! Cf. Frédéric Guirma, Comment perdre le pouvoir ? Le cas de Maurice Vameogo.
Paris, Éditions Chaka, 1991, p. 117,
31
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
ience de développement autocentré
e J. KYÉLEM de TAMBELA

la République de Haute-Volta toutes les calamités qui seraient des consé-


quences naturelles de l'accession à l'indépendance®?,
31- Quand il devint évident que le gouvernement français était décidé à
octroyer l’ “indépendance” à ses colonies, Bertin Borna, alors ministre des
Finances du Dahomey (actuel Bénin) déclara : « Nous sommes condamnés à
l'indépendance, hélas ! 5, Regrettant cette évolution des choses, Félix Hou-
phouët-Boigny de Côte d'Ivoire dira : « J'ai attendu la fiancée sur le parvis
de l’église, un bouquet à la main. La fiancée n'est pas venue. Les fleurs se
sont fanées.* » Dans le discours qu’il prononcera le jour de l'accession de la
Côte d’Ivoire à l’ “indépendance”, Houphouët-Boigny soulignera le regret
qu’il éprouvait de quitter « la grande famillefrançaise" »
C’est dans ces conditions que le Burkina accédaà p « indépen-
dance” le 5 août 1960. L'accord particulier portant transfert des compé-
tences de la Communauté française au Burkina Faso fut signé le 11 juillet
1960. Le 20 septembre 1960, le Burkina était admis à l'O.N.U.
32- Avec le recul, il est permis de se demander si ceux qui ne vou-
laient pas de l’“indépendance” immédiate n’ont pas eu raison trop tôt.
Les crises de jeunesse que les États africains ont connues (coups d’État,
mal gouvernance, famines, crimes économiques, crimes de sang, conflits
post-électoraux, conflits internes, conflits internes internationalisés, gé-
nocides, crimes contre l'humanité} n’auraient-elles pas pu être évitées ou
contenues par une présence plus prolongée du colonisateur ? Les diffé-
rents régimes des États africains ont-ils, jusque-là, respecté les droits
humains plus que le colonisateur %% Le régime colonial lui-même a-t-il
toujours été plus oppressif que les systèmes traditionnels afri-

? Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit., p. 291
$ C£. François Djoby Bassolet, Évolution de la Haute-Volta de 1898 au 3 janvier 1966,
Ouagadougou, Imprimerie nationale, 1968, p. 85.
$ Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit., p.273.
5 CF. Paul-Henri Siriex, Félix Houphou -Boigny - L'homme de la paix, Paris, Éditions
Seghers ; Dakar-Abidjan, Nouvelles Éditions Africaines, 1975, p. 191.
$ Dans ce sens, cf. A. Kyélem de Tambèla, “Mythe er réalité des indépendances en Afrique
noire francophone”, op.'cit. Pratiquement tous les pays africains ont connu des périodes plus
ou moins longues de troubles et de non droit faites de violences de toutes sortes.
32
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire d. KYÉLEM de TAMBËLA

cains précoloniaux 97 Le sort des pays africains “indépendants” est-il


actuellement plus enviable que celui des territoires restés dans le giron
français (Îles du Pacifiques, Nouvelle Calédonie, Île de fa Réunion,
Mayotte, Guadeloupe, Guyane, Martinique, Saint-Pierre-et-Miquelon) ?
Quand on voit l’avidité avec laquelle les habitants des pays voisins se
ruent, avec tous les risques possibles, dans les départements et territoires
français d’outre-mer, la réponse est vite trouvée.
B) LA VIE POLITIQUE DE LA PÉRIODE DES
INDÉPENDANCES
33- La société burkinabè est fortement politisée. Le pouvoir, la con-
quête du pouvoir, son exercice et sa conservation ont toujours fait partie
des préoccupations des Mose et ce, depuis la nuit des temps. Ils ont ainsi
produit une organisation politique qui leur est propre et qui survit tou-
jours malgré la domination coloniale et les régimes politiques qui lui ont
succédé. En plus du Rassemblement démocratique africain (RDA), la

#7 Dans ce sens, cf. Yambo Ouologuem, ir de violence, Paris, Le Serpent à


Plumes, 2003.
# Le Rassemblement démocratique africain (R.D.A.) a été créé à Bamako à l'issue du
congrès constitutif des 19,20 et 21 octobre 1946 sous la houlette de Félix Houphouët-
Boigny de Côte d’Ivaire. À sa création le R.D.A. s’apparenta au Groupe communiste à
V'Assemblée nationale française. À l’époque, le programme du Parti communiste fran-
çais (P.C.F.) était nettement en faveur des peuples colonisés.
À l’origine le R.D.A. était nettement progressiste. À la suite des répressions
dont les membres faisaient l'objet de la part des autorités coloniales, Houphouët-Boigny
son président, sans doute dans le souci de préserver son avenir politique, changea de
tactique et opta pour la collaboration. C’est dans cette optique que le 17 octobre 1950 le
R.D.A. quitta Le Parti communiste français (P.C.F.} pour s’apparenter Le 6 février 1952 à
l'Union démocratique et socialiste de la résistance {U.D.S.R.) de François Mitterand et
René Pleven.
Jacques Chirac pétend que François Mitterand lui aurait dit que c’est lui Mitterand
qui a convaincu Félix Houphouët-Boigny de rompre avec le communisme. Cf. Jacques
Chirac, Chaque pas doit être un but, Paris, NiL éditions, 2009, Mémoires, t.1, p. 283.
Par la suite Houphouët-Boigny s’opposera même vigoureusement à
l'indépendance des colonies françaises d'Afrique (C.F.A.) En 1959 il disait : «Je vais
réorganiser la police et la garde républicaine qui doivent être au service du régime que
le pays a choisi. Nous sommes les maîtres de notre politique extérieure. La justice frap-
pera sévèrement tous ceux qui auront des velléités d'autonomie. La Côte d'Ivoire est
une et le restera dans le cadre de la Conmnmauté. » Cf. Obou Ouraga, L'État et les
33
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentté
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA

lutte pour s’adapter et tirer le meilleur profit de la tutelle coloniale ou pour


s’en affranchir avait suscité l'émergence d’un certain nombre de partis poli-
tiques comme l’Union pour la défense des intérêts de la Haute-Volta
(U.D.LH.V.) créée par le môgh nâba dans les années 1945 pour obtenir la
réunification du pays. [1 sera remplacé en 1947 par l’Union voltaïque (U.V.)
qui, à partir de 1954 connaîtra une crise qui provoquera une scission de la-
quelle naîtra le mouvement “Jeune Mossi”. La recherche de la cohésion
conduira à la création en décembre 1954 d’une formation nouvelle, le Parti
social d’émancipation des masses africaines (P.S.É.M.A. } En 1955 apparais-
sait le Mouvement populaire africain (M.P.A.) de Nazi Boni qui s’implanta
dans l’Ouest. Le 15 juillet 1956 voyait le jour le Mouvement démocratique
voltaïque (M.D.V.) appelé aussi parti dorangiste du nom de son fondateur,
l'officier français, le capitaine Michel Dorange, ancien commandant du
cercle de Ouahigouya. Le M.D.V. s’implanta dans le Yatenga. Le 29 sep-
tembre 1956 le P.S.É.M.A. formait avec la section territoriale du R.D.A. le
Parti démocratique unifié (P.D.U.) Le 26 mars 1957 naissait à Dakar le Parti
du regroupement africain (P.R.A.) auquel adhérèrent des partis voltaïques.
En 1956, avec une poignée d’amis, Amilear Cabral fondait le Parti africain
de l'indépendance (P.A.L) qui deviendra plus tard le Parti africain de
l'indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (P.A.LG.C.) À l’image
de cela sans doute, le 18 septembre 1957, Majmout Diop créait aussi à Da-
kar, le Parti africain de l’indépendance (P.A.L.), parti de gauche dont une
section nationale sera constituée au Burkina le 15 août 1963 par Adiouma
Amirou Thiombiano. En mars 1958, Joseph Ki-Zerbo fondait également à
Dakar le Mouvement de libération nationale (M.L.N.) de centre-gauche.
34- Les idées progressistes qui ont fait leur apparition peu avant
“indépendance” vont poursuivre leur évolution. Ainsi, en 1971, des
intellectuels issus principalement de la Fédération des étudiants
d’Afrique noire en France (ŒÉAN.F.)® créée à Bordeaux en 1950, mais

libertés publiques en Côte d’Ivoire - Essai de théorie générale, Thèse de doctorat d'État
en droit, Nice, décembre 1986, p. 329.
® La F ÉAN.F. publiait un journal qui s'appelait L'étudiant d'Afrique noire. La
FÉ. se donnait pour mission, entre autres, de « Dénoncer et combattre
l'impérialisme, le social- impér ialisme, la bourgeoisie, la réaction et l'opporhmisme ;
cultiver. l'attachement à la démocratie et le désir de participer à la révolution. » Cf.
L’ Étudiant d” Afrique noire, n° 78, Paris, s.d., p. 20.
34
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYËLEM de TAMBËLA

aussi de l’Association des scolaires voltaïques (A.S.V.) à Dakar fondent


l'Organisation communiste voltaique (O.C.V.) qui était basée à Paris et
était principalement animée par des membres de l’Association des étu-
diants voltaïques en France (A. É.V.F.) alors membre de la F. ÉANF.
35- La question de l’opportunité de la création immédiate d’un parti
communiste sera à l’origine d’une scission de l’O.C.V. Les partisans de
la création du parti créeront le Parti communiste révolutionnaire vol-
taïque (P.C.R.V.)" le 1% octobre 1978. Les autres lanceront le journal Le
Prolétaire dont le but était «de constituer l'échafaudage sur lequel
s'édifiera le véritable Parti de la classe ouvrière ». Le numéro zéro parut
en septembre 1978. Le 14 octobre 1979 ils céèrent l’Union de lutte com-
muniste (U.L.C.) qui devait être l’embryon du futur parti communiste’!
Pour des raisons de divergences internes sur fond de querelles de lea-
dership, l’U.L.C. fut dissoute en février 1981. Elle fut reconstruite en
mars 1984 pour soutenir le processus révolutionnaire entamé sous le
C.NR. Elle devint alors l’Union de lutte communiste reconstruite
{U.L.C-R.)
36- L'Union érale des étudiants voltaïques (U.G.É.V.) a été créée
le 27 juillet 1960 à partir de l’A. É.V.F. et de l’A.S.V. La scission de
l'O.C.V. réjaillit sur l'U.G.É.V. qui se scinda aussi en deux entre ceux
qui soutenaient la ligne du P.C.R.V. et ceux qui la combattaient. Du fait

Quelques figures du P.C.R.V. : Drissa Touré, Halidou Ouédraogo.


Le P.C.R.V, n'a pas digéré le changement de nom du pays qui s’est fait sans lui. Il a
donc refusé de modifi son appelation, Vu les limites de ses capacités d’analyseg, On XX
peut comprendre que pour lui, volfaïque est plus révolutionnaire que burkinabè qui
serait une marque de régression. Il publiait un journal qui s'appelait Bug parga
(L'Étincelle en langue more).
Cf. Le Prolétaire, n° 4, s.L1, mai 1980, p. 35.
L’U.L.C. estimait qu'avant la création du parti, il y avait des préalables. IL fal-
fait d’abord créer un journal pour l'éducation de la classe ouvrière par la propagande. Il
fallait ensuite élaborer un programme et une tactique juste sur les points essentiels, puis
conquérir les ouvriers d'avant-garde dans la lutte contre l’opportunisme et Le nationa-
lisme bourgeois et petit-bourgeois. Cf. Le Prolétaire,n° 0, s.1., septembre 78, p. 17-18.
Après la création du journal, une organisation communiste hautement centrali-
sée, édifiée à partir des structures de diffusion du journal, devait jeter les bases du pro-
gramme et de la tactique marxiste-léniniste. Le tout devait se faire autour du journal. C£
Le Prolétaire, n° 0, op. cit. p. 19-20.
35
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autoceniré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

de la gestion opaque et autoritaire de l'U.G.É.V., les divergences étaient


contenues. La scission les ramena au grand jour. Chaque groupe pour se
justifier et se défendre accusait l’autre de tous les maux. En vue de la prépa-
ration du IX° congrès qui s’annonçait, des étudiants qui contestaient les
orientations de la direction de l’U.G.É.V. se réuni r le 21 juin 1979 pour arrê-
ter les grandes lignes de leurs orientations. Ce 4 oupe prit ainsi le nom de
U.G.É.V. - Mouvement du 21 juin (M.21). Au IX° congrès de l’U.G.É.V. en
août 1979, faute d’entente, sur injonction du P.C.R.V., la rupture intervint
officiellement entre les deux groupes. Ceux qui restèrent fidèles à la ligne
traditionnelle du P.C.R.V. qualifièrent le M.21 de Nouveau courant oppor-
tuniste et liquidateur (N.C.O.L.) En réplique, le M.21 les qualifia de Mou-
vement national populiste et liquidateur (MO.NA.PO.L.) Depuis, chaque
étudiant, en fonction de son orientation, était soit du MO.NA.PO.L. soit du
N-COL. La lutte de positionnement était plus qu’âpre entre les deux
groupes. Ceux qui refusaient de s’aligner sur l’un ou l’autre groupe étaient
appelés “Les joyeux fêtards” par le MO.NA.PO.L. qui prônait le dédain et la
démarcation physique à l'égard de tous ceux qui ne lui faisaient pas allé-
geance. Tout comme le P.C.R.V., le MO.NA.PO.L. était réputé pour son
arrogance, son autoritarisme et son sectarisme. Le M.21 renforça les rangs
de ceux qui allaient créer 'U.L.C.
C) LES DIVERGENCES POLITIQUES
37- L’opportunisme des hommes politiques semble avoir été une
constante pendant la période de l’“indépendance”. Ouezzin Coulibaly,
chef du premier gouvernement, était au départ plus attaché à la Côte
d’Ivoire qu’à son pays. Au moment où il devint chef du gouvernement, il
était toujours conseiller municipal d’Abidjan et député de Côte d’Ivoire.
Selon F. Guirma, en 1947 il avait combattu la renaissance de la Haute-
Volta et choisi de rester Ivoirien”?. Le retour dans son pays semble plus
avoir été une question d’opportunité. Dès les premiers moments de la
période de l’“indépendance”, la gestion du pouvoir d’État était donc con-
frontée au problème d’ambitions personnelles mais aussi d’options poli-
tiques divergentes des animateurs de la scène politique. Le premier prési-

7? C£ Frédéric Guirma, Comment perdre le pouvoir ? Le cas de Maurice Yameogo, op.


cit, p. 82. Aux élections législatives du 27 juin 1948, alors que la Haute-Volta
était
reconstituée, Ouezzin Coulibaly se faisait élire député de Côte d’Ivoire.
36
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

dent Naoulagba Maurice Yaméogo qui, à l’origine, était du M.D.V., avait


rejoint le R.D.A. le 12 janvier 1958”. Depuis 1950, sans doute par op-
portunisme, le R.D.A. avait progressivement abandonné l’option progres-
siste et anticolonialiste pour devenir un parti conservateur et de collabo-
ration. D’autres partis contestaient l’option politique du R.D.A. et la mé-
thode de gestion du pouvoir du président Yaméogo et de son parti.
38- Dans un manifeste du 19 septembre 1957, le P.A.I. avait indiqué
son programme qui consistait en trois points essentiels : création d’une
unité africaine, liquidation de toutes dominations coloniales, édification
du communisme et du socialisme scientifique par le marxisme-léninisme.
Le manifeste du M.L.N. de mars 1958 fustigeait également le colonia-
lisme et prônait la conquête de l'indépendance nationale et l'instauration
d’un socialisme africain fondé sur les valeurs authentiques du pays.
39- Alors que les partis de gauche comme le P.A.L et le M.L.N.
avaient des options politiques bien définies, tel ne semblait pas être le cas
du R.D.A. et des autres partis avec lesquels ils se disputaient le pouvoir
(M.P.A., MD.V. P.S.É.M.A. P.R.A.) Après la reconstitution du pays,

7 Cest le 17 mai 1957 que Daniel Ouezzin Coulibaly a constitué le premier cabinet de
gouvernement présidé par le gouverneur Yvon Bourges. Coulibaly avait le titre de vice-
président, chef du gouvernement. Maurice Yaméogo qui était du M.D.V. était ministre
de l'Économie agricole, soit le onzième en rang sur douze ministres.
Le 17 décembre 1957 Ouezzin Coulibaly était mis en minorité par un vote de
défiance. C’est dans ce contexte difficile que Le 9 janvier 1958, Maurice Yaméogo, à la
tête de certains élus du M.D.V. (Maurice Yaméogo, Denis Yaméogo, Nader Attié) et
d’un élu du P.S.É.M.A. (Mathias Sorgho), choisit d’apporter son soutien à Ouezzin
Coulibaly en échange du poste de ministre de l’Intérieur qui était alors le poste le plus
important après celui de chefdu gouvernement. Ce qu’il obtint dans le nouveau cabinet
formé le 6 février 1958 alors que dès le 12 janvier il avait déjà rejoint le R.D.A., le parti
de Ouezzin Coulibaly.
Après le di de Ouezzin Coulibaly le 7 septembre 1958 à l’hôpital Saint-
Antoine de Paris, Maurice Yaméogo qui assurait l'intérim pendant la maladie de Couli-
baly, et ce depuis Le 28 juillet 1958, devint naturellement le chef du gouvernement et par
la suite président de la République.
Cf. : -$.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit. p. 250-
257. -Joseph Roger de Benoist, “La Haute-Volia, la Communauté française et l'Afrique
occidentale française du référendum (28 septembre 1958) à l'indépendance”, in Yé-
nouyaga Georges Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de-}, Burkina Faso — Cent
ans d'histoire, 1895-1995, Paris, Éditions Karthala, 2003, t.1, p. 1003-1030.
37
+ Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autoceniré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBËLA

ces partis semblaient davantage se livrer à des manœuvres politiciennes


avec pour objectif principal la conquête ou la conservation du pouvoir,
apparemment sans autre projet de société. Au sujet de la vie politique de
l’époque, F. Guirma écrit : « C'est un jeu où tous les coups sont permis et
dans lequel le destin de la Haute-Volta est relativement secondaire.»
Après avoir dissous l’Assemblée en vertu des pouvoirs spéciaux qu'il
s’était fait attribuer pour une durée de trois mois, Maurice Yaméogo or-
ganisa des élections le 19 avril 1959. À l’issue de ces élections que son
parti remporta très largement grâce aux fraudes et manipulations criardes,
les députés de son propre parti, le R.D.A., le désavouèrent et choisirent
un autre en la personne de Christophe Kalenzaga pour diriger le gouver-
nement. Ce que Maurice Yaméogo ne pouvait admettre. Sous la menace
de dissoudre de nouveau l’Assemblée en vertu de ses pouvoirs spéciaux,
il ramena les députés à la “raison”, À partir de tels fondements, il était
difficile de voir se pratiquer une politique de bonne gouvernance.
D) LA MAUVAISE GOUVERNANCE ET SES CONSÉQUENCES
La personnalité du premier président (1) a sans doute été pour quelque
chose dans la mauvaise gouvernance qui s’est manifestée aussi bien sur
le plan économique (2) que sur le plan politique (3) et qui finira par en-
traîner la chute du régime (4).
1- La personnalité de Naoulagba Maurice Yaméogo
40- Au sujet de Maurice Yaméogo, S.-A. Balima écrit qu’il était « in-
constant dans ses amitiés, maïs fidèle duns ses rancunes.»7 Entre le 24 oc-
tobre 1958 et le 8 décembre 1965, soit en sept ans, il y aurait éu16 recom-
positions et modifications du gouvernement””, Dans un régime présidentiel -
que d’aucuns ont même qualifié de présidentialiste - à parti unique domi-
nant, il est difficile d’expliquer une telle instabilité gouvernementale autre-
ment que par la nature même de la personne du président. Ce n’est peut-être

7 Frédéric Guinma, Comment perdre le pouvoir ? Le cas de Maurice Yameogo op. cit. p. 107.
F Cf. Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit., P-
287-288.
7 C£. Cf. S.-A. Balima, op. cit, p. 287. |
7 Cf. Basile Lactare Guissou, Burkina Faso - Un espoir-en Afrique, Paris; Éditions
L'Harmattan, 1995, p.37. ‘ l
38
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
rience de développement autocentré
e J. KYÉLEM de TAMBÈLA

pas sans raison que P. Englebert a pu le qualifier de mégalomane et de des-


pote non éclairé”. Ces aspects de la personnalité du président, le contexte de
l'époque et l'absence d’une tradition de gestion administrative seront à la
base d’une gestion économique catastrophique.
2- La mauvaise gouvernance économique
41- Tout peuple dominé a tendance à imiter le comportement du
vainqueur. Le mimétisme est à la fois subi et voulu. Il est subi dans la
mesure où le vainqueur, du fait de son intrusion, apporte d’autres façons
d'appréhender les réalités de la vie. Insidieusement la culture du vain-
queur envahit au fur et à mesure des aspects de la vie quotidienne du do-
miné. Le mimétisme peut même être contraint quand le vainqueur a déci-
dé d’imposer certaines façons d’être ou de faire. Le mimétisme peut aussi
être voulu. Le dominé éprouve toujours pour le vainqueur une certaine
admiration même si elle peut être mêlée de crainte ou de haïne. Il peut
donc paraître valorisant de ressembler au vainqueur. En outre, le dominé
ressent souvent le secret désir d’être à la place du vainqueur. C’est donc
tout à fait logiquement qu’à l’occasion, le dominé se substitue au vain-
queur mais presque toujours maladroitement. L’élite du pays qui avait le
colonisateur comme référence n’a donc pas su résister à la tentation du
mimétisme mécanique. Ce qui, en l'absence d’une vision claire dans la
conduite des affaires publiques, ne pouvait conduire qu’à des dérives.
42- Dès la constitution du gouvernement de Ouezzin Coulibaly en 1958,
les dérapages ont commencé. Si l’on en croit F. Guirma, l’un de ses premiers
gestes fut d’affréter un train spécial pour conduire lui-même à Abidjan
Fensemble du gouvernement et de l’Assemblée. Dans la capitale ivoirienne, la
Banque intemationale de l’Afrique de POuest (B.LA.O.) accordait à chaque
ministre et député un crédit pour l’achat d’une voiture personnelle. Beaucoup
d’entre eux qui ne possédaient même pas une bicyclette se jetèrent sur les
grosses voitures. L'indemnité mensuelle des députés était fixée à soixante-
quinze mille francs CFA et celle des ministres à cent cinquante mille francs
CFA.” Ce qui, à l’époque était considérable et sans commune mesure avec

F8 Cf Pierre Englebert, La Révolution burkinabè, Paris, Éditions L'Harmattan, 1986, p. 37.


% C£ Frédéric Guinma, Comment perdre le pouvoir ? Le cas de Maurice Yameogo, op. cit,
p- 86.
39
Thomas SANKARA et ln Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

les ressources du pays. Ce fut donc dans une sorte d’insouciance générale que
les nouveaux dirigeants prirent les rênes du pays.
43- Pour Maurice Yaméogo qui était un personnage fantasque, le fait
d’être devenu le premier personnage du pays lui donnait l’occasion de réaliser
ses rêves. On menait donc grand train dans la famille du président”. Le prési-
dent était plus souvent à Paris qu’à Ouagadougouet sa famille avait l'habitude
des grands palaces et des grands magasins parisiens. Voyages, réceptions,
dépenses de prestige et achat de voitures de luxe étaient devenus une pratique
courante. Le président fit construire un deuxième palais présidentiel dans sa
ville natale de Koudougou et une imposante “Maison du Parti R.D.A.*! à
Ouagadougou. Autant de choses qui, à l’époque, contrastaient fort avec
l’indigence du pays et des populations. L’ivresse du pouvoir et la jouissance
de l'argent facile induisent certains comportements. Ainsi, vers la fin de 1965,
malgré une situation financière difficile, Maurice Yaméogo se séparait de son
épouse Félicité Zagré, pour se remarier le 17 octobre 1965 avec une jeune
femme métisse qu’il avait fait venir d’Abidjan, la demoiselle Nathalie Mona-
co qui était la fille de son ancien instituteur à Koudougou, sa ville natale. Le
mariage fut célébré avec faste en présence de chefs d'État du Conseil de
l’Entente. Puis le couple s’envola pour un voyage de noces à Copacabana au
Brésil®?, On raconte que le couple paya le prix qu’il fallait pour faire jouer le
“roi Pelé” en son honneur‘?
44- Les lois de finances n’avaient aucun caractère contraignant pour
le président et son régime. Les dépenses se faisaient dans l’anarchie. Pour

# À ce sujet voilà ce qu'écrit F. Guirma : « Un bataillon de cuisiniers, de maîtres


d'hôtel, de boys et de chauffeurs assure les travemx domestiques. On roule en Chevrolet
et les enfants en Mercedes aux frais de 1 "État. CI haque année, on part eh vacances, en
France, pour de longs mois. Maurice suit une cure annuelle à Vichy, imité par plusieurs
membres du gouvernement, » Cf. F. Guirma, op. cit, p. 131.
; SU la chute de Maurice Yaméogo, la “Maison du Parti” sera rebaptisée Maison du Peuple.
Ce, d'autant plus qu’elle a été construite avec des fonds publics. 77
% Cf Année Africaine 1966, Paris, Éd. A. Pedone, 1968, p. 349 ; F. Guirma, op.cit. p.
137-138 ; Sangoulé Lamizana, Sur la brèche trente années durant, Paris, Jaguar Conseil,
1999, p. 56.
5 Cf. Basile Laetare Guissou, Burkina Faso - Un espoir en Afrique, op. cit. p. 39-40.
Pelé, de son vrai nom Edson Arantes do Nascimento est un Noir-Brésilien. Il était à
l’époque le plus grand joueur de football, très adulé dans le monde entier.
Ê 40
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBÈLA

Sangoulé Lamizana qui succéda à Maurice Yaméogo, c’est l’indiscipline


budgétaire qui a caractérisé l’ère Yaméogo. « La gestion budgétaire était
désordonnée, tant sur le plan des recettes que sur celui des dépenses. [. .]
Tout se passait comme s'il n'existait pas de budget. » Alors que les
dépenses ne cessaient de s’envoler, le régime de Maurice Yaméogo
n'avait conçu aucun véritable plan de développement économique et so-
cial. Quand l’armée arriva au pouvoir avec à sa tête le lieutenant-colonel
Lamizana, « I! n'y avait aucun investissement valable en cours de réali-
sation et le niveau des affaires était au plus bas.» L'État était en état de
cessation de paiement. « Au 31 décembre 1965, le passif du Trésor voltaïque
faisait ressortir un montant total des excédents de dépenses sur les recettes et
des dépenses provisoires non régularisées se chiffrant à trois milliards cent
soixante-trois millions de francs CFA4%» La mauvaise gestion des affaires
économiques se doublait d’une mauvaise gestion des affaires politiques.
3- La mauvaise gouvernance politique
45- La chefferie traditionnelle est une institution séculaire chez les Mose.
Malgré la conquête et la domination coloniale, elle est restée très influente
au sein des populations. Le colonisateur avait même dû s’appuyer sur elle
pour administrer le territoire au point d’en créer ex-nihilo dans les sociétés
qui ne l'avaient pas instituée. Au moment de l’indépendance elle conservait
toujours beaucoup de son éclat, d’autant plus que c’est elle qui avait été à
l'avant-garde de la lutte pour la reconstitution du territoire. Il était donc dif-
ficile de tenir le pays sans son concours.

US 1 amizane, op. cit, p. 108.


#5. Lamizana, op. cit., p. 104. Selon Pascal Zagré qui se réfère à la Banque mondiale,
le déficit global s'élevait à plus de 4,5 milliards de francs CFA. Cf. Pascal Zagré, Les
politiques économi. du Burkina Faso - Une tradition d'ajustement structurel, Paris,
Éditions Karthala, 1994, p. 67. À l'époque le budget de l'État était d'environ huit mil-
liards de francs CFA. Cf. Ibid. p. 57.
TM. Garango, premier ministre des Finances et du Commerce après la chute
de Yaméogo, affirme que l’économie était en panne. Il n’y avait pas d’emploi, pas de
travail. Le Trésor était pratiquement vide. Cf. Tiémoko Marc Garango, Devoir de mé-
moire, Ouagadougou, Édipap international, 2007, p. 114.
41
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

46 L’ambition de Maurice Yaméogo était d’être le seul chef. Il fallait


donc nécessairement réduire l’influence de la chefferie traditionnelle.
L'occasion lui sera fournie par une maladresse du méêgh, näba Kugri®? . Le
1 1Poctobre 1958 il fit encercler l’Assemblée territoriale" par ses hommes
dans le but de contraindre les élus qui devaient se réunir à instituer une
monarchie constitutionnelle®”?. La tentative échoua. Mais Yaméogo s’en
saisira pour essayer d’étouffer la chefferie traditionnelle. Une série de
mesures seront prises. Le décret n° 32 PRES/IS du 26 janvier 1962 inter-
dit le port d’insignes de caractère féodal et « routes les pratiques de su-
bordination incompatibles avec les principes d'égalité et de dignité de
tous les citoyens. » Le décret n° 189/PRES/INT du 8 juin 1962 prévoit
dans son article 1 que «Les chefferies coutumières devenues vacantes,
soit par suite du décès de leur titulaire, soit à la suite d'une mesure ad-
ministrative, ne sont plus pourvues sous quelque forme que ce soit.» Le
décret n° 326/PRES/IS/DI du 28 juillet 1964 organise les conditions de
désignation des chefs de village. L’article 3 prévoit que « tout habitant
du village inscrit sur les listes électorales peut faire acte de candidature
et être élu chef de village. » Ce qui remet fondamentalement en cause le
mode de désignation des chefs régi par des traditions séculaires qui dé-
terminent le corps électoral et les conditions d’éligibilité. Le décret n°
018/PRES/IS/DI du 11 janvier 1965 supprime les rémunérations accordées
depuis l’époque coloniale aux chefs traditionnels. Il y avait là une volonté
manifeste de priver les chefs traditionnels de moyens d’action non négli-
geables. À l'exception de la décision supprimant les rémunérations des
chefs, les autres décisions ne furent pas vraiment appliquées. En territoire
moaga particulièrement, la chefferie traditionnelle a des racines si profondes
qu’il était difficile, en quelques années et par des textes, de remettre sérieu-

#7 Kugri signifie pierre, caillou, roc.


#% Avant la proclamation de la République le 11 décembre 1958 et l'accession à
l'indépendance le 5 août 1960, la Haute-Volta (Burkina Faso) était un territoire français
d’outre-mer, L'Assemblée des élus s’appelait donc Assemblée territoriale. C’est le 11
décembre 1959 qu’elle s’est proclamée Assemblée nationale,
#Cf: -S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit., p.
281. -Frédéric Guirma, Comment perdre le pouvoir ? Le cas de Maurice Yameogo, op. cit,
p. 102-104 -Sangoulé Lamizana, Sous les drapeaux, Paris, Jaguar Conseil, 1999, p. 260-261.
42
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autogentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

sement en cause son mode de fonctionnement. Mais ces mesures, avec


raison, suscitèrent son hostilité pour le régime.
47- Pour se maintenir au pouvoir, le mode de scrutin et le découpage
des circonscriptions électorales étaient des instruments efficaces entre les
mains du président”, Le mode de scrutin était défini par l’article 15 de
l'ordonnance 1/PRES du 9 mars 1959 selon lequel « L'élection a lieu au
scrutin de liste majoritaire à un tour [...] Toutefois dans les circonscrip-
tions de plus de 300 000 habitants, le scrutin sera proportionnel. » Cette
disposition taillée sur mesure tenait compte de la réalité des forces poli-
tiques en présence. Ainsi, en fonction du découpage des circonscriptions
électorales opéré par le président, le scrutin de liste majoritaire était em-
ployé dans les zones où le R.D.A. dominait et le scrutin proportionnel là
où il était minoritaire. En vertu du découpage des circonscriptions électo-
rales, une même circonscription pouvait regrouper des électeurs de Ban-
fora à l'extrême ouest du pays et des électeurs de Dori à l’extrême nord.
Une autre pouvait comprendre des électeurs de Tenkodogo au centre-est
et des électeurs du Yatenga au nord. Ces manipulations avaient pour ob-
jectifs d'éliminer des adversaires politiques pour assurer la victoire des
amis politiques. Tout était fait pour assurer une victoire écrasante du
R.D.A. dont le président désignait lui-même les candidats aux élections’!.
48- Avant même la proclamation de l’indépendance, les partis
d'opposition étaient le plus souvent dissous et leurs dirigeants traqués”?.
Maurice Yaméogo tolérait très peu toute forme de contradiction. Cela ne
pouvait conduire qu’à l’instauration d’un parti unique de fait. Dès 1960
le président exprima clairement son mépris pour le multipartisme et le
R.D.A. à ses ordres fit plusieurs recommandations dans ce sens. Le parti
unique une fois devenu réalité, les instances du parti vont prévaloir sur
les institutions du pays”. Le président essaya aussi mais en vain de

% Dans ce sens, cf. Joseph Roger de Benoist, “La Haute-Volta, la Communauté fran-
çaise et l'Afrique occidentale française du référendum (28 septembre 1958) à
l'indépendance”, op. cit. p. 1020-1021.
% CE Frédéric Guirma, Comment perdre le pouvoir ? Le cas de Maurice Yameogo, op. cit. p. 13.
% Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit., p. 289 ;
F. Guirma, op. cit. p. 114-115.
% Cf. Pierre Englebert, La Révolution burkinabë, op. cit., p. 32-33 ; Claudette Savonnet-
Guyot, État et sociétés au Burkina - Essai sur le politique africain, op. cit., p. 152.
43
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
=: T° Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

mettre les syndicats sous la coupe de son parti. En dépit de tout cela, dans
une interview de 1973, Maurice Yaméogo prétendra avoir contribué à
l’avènement de la liberté dans son pays”.
49- Au sein même du parti, il fallait être d’une fidélité à toute épreuve
envers la personne du président. Les ministres et les cadres du parti devaient
sans cesse faire allégeance. Il fallait aussi veiller à ce que sa propre populari-
té ne fût pas trop dérangeante pour le président. On était ministre le matin
sans être assuré de le rester dans l’après-midi\F. Guirma écrit : « Maurice
fait une énorme consommation de ministres. LeS remaniements ministériels
sont si fréquents et soudains que chacun est obligé d'être à l'écoute de la
radio à l’heure des informations. On est brusquement nommé ministre sans
avoir été consulté. Tout comme on est brutalement démis. Les hauts fonc-
tionnaires sont au même régime. Le limogeage d'un ministre est souvent
suivi d'accusations de toute nature à son encontre. C'est, par exemple, le
cas de Bougouraoua Ouédraogo, emprisonné, vilipendé et traîné devant un
tribunal pour deux cageois de bière pris à crédit … lors d'une réunion du
parti à Ouahigouya %,» Outre la personnalité extravagante du président,
les erreurs de gouvernance économique et politique avaient fini par creuser
un fossé d’incompréhension, d’adversité et d’hostilité entre le président et le
reste du pays.
4- La chute du régime de Maurice Yaméogo
50- La gestion désordonnée du pays avait conduit à une impasse. Une
succession d'événements et de maladresses va provoquer la rupture défini-
tive entre le président et le peuple. Le 28 décembre 1965, Maurice Yaméogo
annonce qu’à la suite d’une décision commune prise avec Houphouët-
Boigny, les Voltaïques et les Ivoiriens jouiront dorénavant de la double na-
tionalité dans l’un et l’autre État”. On peut penser qu’en elle-même la déci-

#4 Cf. L'Observateur, n° 157, Ouagadougou, 3 décembre 1973, p. 4.


5 Frédéric Guirma, Comment perdre le pouvoir ? Le cas de Maurice Yameogo, op. cit,
p.136. Dans ce sens voir aussi Sangoulé Lamizana, Sur la brèche trente années durant,
op. cit. p. 53-55.
% Mélégué Maurice Traoré prétend que l’idée de la double nationalité a été lancée en
1963 par Philippe Yacé alors président de l'Assemblée nationale de Côte d’Ivoire.
C'était en guise de solution à la présence massive d’immigrés ouest-africains en Côte
44
Thomas SANKARA et La Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

sion n'était pas mauvaise, mais elle avait le tort d'intervenir au mauvais
moment. La nouvelle fut mal accueillie pour diverses raisons. Dans le con-
texte de ras-le-bol de l’époque, on avait commencé à se méfier du président
et toute initiative de sa part était perçue comme contenant des arrière-
pensées. Il était aussi reproché au président d’être un valet du président ivoi-
rien et la décision sur la double nationalité apparaissait comme en étant la
preuve. Ii convient enfin de rappeler que le territoire venait d’être reconstitué
en 1947. Pendant le démembrement, la plus grande partie du territoire avait
été rattachée à la Côte d’Ivoire. La décision sur la double nationalité a donc
été perçue et présentée par certains - de bonne ou de mauvaise foi - comme
une tentative ivoirienne pour absorber de nouveau le pays.
51- Le 30 décembre 1965, pour faire face à la situation de crise pro-
voquée par une gestion catastrophique, le gouvernement annonce un plan
d’austérité destiné à redresser la situation. Entre autres, le plan de redres-
sement prévoyait un abattement de 20% sur les salaires des fonction-
naires et des militaires et la baisse de l’impôt cédulaire de 10%. Ce qui
représentait un sacrifice de 10% ; la baisse de 16% des pensions des an-
ciens combattants ; la réduction du taux mensuel des allocations fami-
liales de 1 500 à 750 F CFA par enfant à charge ; le relèvement de
l'impôt forfaitaire sur le revenu de 10% ; la suppression du tarif préféren-
tiel applicable aux importations provenant de Côte d’Ivoire ; le blocage
des avancements pendant deux ans, etc.”? Les travailleurs n’ont pas voulu
comprendre pourquoi c’est eux qui devaient payer pour les frasques du
président et son régime. Le président qui croyait avoir mis tout le monde
au pas était loin d’imaginer l'intensité de la vague de mécontentement
qui montait#. À propos du budget d’austérité et compte tenu des protes-
tations déjà perceptibles, il fit cette déclaration qui se passe de commen-
taire : « Comme chacun le sait, les effectifs de la Fonction publique sont
pléthoriques et expliquent pour une part ños difficultés budgétaires. Pour

d'Ivoire Elle devait concerner les nationaux des États membres du Conseil de l'Entente.
Cf. LeP: ays, n° 6061, Ouagadougou, 18 mars 2016, p. 9.
* Pour plus de détail, cf. Pascal Zagré, politiques économiques du Burkina Faso -
Une tradition d'ajustement structurel, Paris, Éditions Karthala, 1994, p. 59-60.
% Le 5 octobre 1965, Maurice Yaméogo venait d’être réélu, officiellement avec 99,
98% % des suffrages. Le 7 novembre 1965, son parti remportait les élections légista-
tives officiellement avec plus de 99% des suffrages exprimés.
45
Thomas SANKARA et Ja Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBËLA

des raisons humanitaires, le gouvernement n'a jamais voulu envisager


une quelconque formule de compression des effectifs ou de dégagement
des cadres. Mais s'il y en a qui veulent faire la grève, j'en serai content,
car le budget en sera allégé d'autant, et cela représentera de nouvelles
disponibilités pour nos investissements économiques”. » Cette déclara-
tion fut perçue par certains comme une maladresse de trop.
52- Il convient de rappeler que le 27 décembre 1965 se tenait à la
Bourse du travail de Ouagadougou le congrès ordinaire de l’Union syn-
dicale des travailleurs voltaïques (U.S.T.V.) Tous les syndicats y étaient
représentés. Face à la tournure des évènements, les différents syndicats
n’eurent donc pas de difficulté pour se concerter"® et, à l'initiative de
l'U.S.T.V. de tendance progressiste, décidèrent de former un comité in-
tersyndical. Le plan d’austérité du gouvernement fut rejeté. Le refus du
dialogue de la part du gouvernement, l’attitude trop suffisante et les pro-
pos injurieux du ministre de l’intérieur, Denis Yaméogo, qui était un
cousin du président, conduisirent les syndicats à décider d’une grève gé-
nérale pour le lundi 3 janvier 1966. En guise de précaution les principaux
dirigeants des syndicats décidèrent d’entrer dans la clandestinité après
avoit pris soin de constituer des réseaux leur permettant de rester en contact.
Le 3 janvier 1966 au matin, suivant l'appel des syndicats, et malgré la pré-
sence dissuasive des forces de l’ordre, par petits groupes, la population com-
mença à investir la ville de Ouagadougou pour enfin converger vers la Place
d'armes", Dès le milieu de la matinée la foule était devenue immense et

® Cf. P. Zagré, op. cit. p. 61.


10 À ce sujet, cf. Le Pays, n° 5764, Ouagadougou, 2 janvier 2015, p. 8-9 ; 28-29.
101 La Place d'armes était la plus grande place au centre de la ville. Elle avait servi de
marché pour la ville. Pendant la pérode coloniale elle s'appelait Place d'Arboussier, du
nom de Henri Marie Joseph d’Arboussier (1875-1930) qui, à partir de 1911, avait dirigé
depuis Ouagadougou le “Cercle du Mossi” avant la création de la colonie de Haute-
Volta. Lors de la création de la colonie en 1919, beaucoup s’aftendaient à ce qu'il fût
nommé premier gouverneur. Henry Simon, le ministre des Colonies, désigna plutôt
Frédéric Charles Édouard Alexis Hesling. D’Arboussier ft envoyé comme gouverneur
aux Nouvelles Hébrides.
Sous la 1° République elle prit le nom de Place d'armes. Après la chute de la
É République elle deviendra Place du 3 janvier en souvenir de la population qui s’y
était amassée ce jour pour réclamer et obtenir le départ du président Yaméogo. Après
l'avènement de la Révolution elle sera baptisée Place de la Révolution. Sous le régime
46
Thomas SANKARA et La Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

incontrôlable. Face à une telle mobilisation, Maurice Yaméogo, dans le souci


de dissiper le mécontentement, fit savoir qu’il retirait le plan d’austérité. Mais
cela n’intéressait plus les manifestants. Dans l’après-midi ils se mirent à exi-
ger la démission du président. Le mouvement était imésistible et le président
dû se soumettre en décidant vers 17 h. de démissionner!2. Dès le 9 mars
1960, les étudiants burkinabè à Dakar, dans une lettre ouverte au président
Yaméogo écrivaient ceci : « Vorre gouvernement ne respecte pas les principes
démocratiques, principes qu'il aurait di observer, ne serait-ce que dans un
désir de conservation ; faute de le faire, il s'expose à ne pas savoir quel est le
degré de mécontentement du peuple, mécontentement qui fera tout sauter, un
jour, à la grande surprise de certains\®, » Îls ne croyaient pas si bien dire.

de Blaise Compaoré elle prit le nom de Place de la nation. Après la chute de Blaise
Compaoré, les manifestants la rebaptisèrent Place de la Révolution.
12 Sur le déroulement des faits, cf. : -Frédérie Guirma, Comment perdre le pouvoir ? Le cas
de Maurice Y: , op. cit, p. 142-147. -Sangoulé Lamizana, Sur la brèche trente années
durant,
op. cit., p. 67-78.
sa démission, Maurice Yaméogo fut arrêté et détenu à la prison civile de
on d’arrêt et de correction de Ouagadougou (M.A.C.O.) En avril
1969 i fut ue par un tribunal spécial qui le condamna pour détournement de fonds publics,
au retrait de ses dre s civiques, à cinq ans de travaux forcés, à de lourdes amendes et à la
confiscation de ses biens. I fut libéré le 5 août 1970 à l’occasion du dixième anniversaire de
l'indépendance. Il est décédé le 16 septembre 1993.
On peut cependant reconnaître à Maurice Yaméogo le mérite de n'avoir pas
ordonné à l'armée de tirer sur la foule. Selon Sangoulé Lamizana qui, à l'époque, était
le chef d'état-major de l'armée, si l’ordre lui avait été donné dans ce sens, il l'aurait
exécuté.
15 Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit. p. 289.
47
Chapitre II
La période du doute et du questionnement
Il n'y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va.
Sénèque

4 53- À défaut d’une unanimité autour d'une personnalité civile, les mani-
festants qui réclamaient la démission du président appelaient aussi l’armée à
prendre le pouvoir. Maurice Yaméogo en démissionnant avait. aussi désigné
pour lui succéder, le lieutenant-colonel Sangoulé Lamizana!°+ , chef d’état-
major général de l’armée. Lamizana était tout le contraire de Maurice Ya-
méogo. C'était un homme simple, empreint d’une grande humilité et conci-
liant en tout. Il est donc paradoxal qu’un tel homme n’eût pas hésité, selon
ses propres propos, à tirer sur la foule qui protestait s’il en avait reçu l’ordre.
Il dirigea le pays en bon père de famille du 3 janvier 1966 au 25 novembre
1980, date à laquelle son régime fut renversé par le coup d” État du colonel
Saye Zerbo. Sous sa présidence il y eut une alternance de régimes
d’exception et de régimes constitutionnels.
54- Le premier chef du gouvernement, Ouezzin Coulibaly, semblait
optimiste pour l’avenir du pays. Dans la déclaration de politique générale
qu’il fit le 20 mai 1958 à l’Assemblée territoriale, il avait souligné

14 Le capitaine Lamizana est revenu dans son pays en juin 1961. Le 15 octobre 1961, il
fut promu au grade de chef de bataillon et nommé au poste de chef d’état-major de
l’armée voltaïque en formation.
L'armée nationale a été créée le 3 août 1960. Le transfert de commandement
entre les autorités militaires françaises et les autorités voltaïques a eu lieu Je 1° no-
vembre 1961 sur l’ancien site du Prytanée militaire de Kadiogo (P.M.K.), actuel lycée
Marien N’gouabi. Selon Bamina Georges Nébié qui était ministre de la Défense, la date
du 1% novembre a été retenue en souvenir de l’éclatement de la Révolution algérienne le
1% novembre 1954. Cf. L'Observateur Paalga, n° 4522, Ouagadougou, 31 octobre-2
novembre 1997, p. 3. Depuis, le 1* novembre est retenu comme date anniversaire de la
création de l’armée.
Le 22 avril 1967, Lamizana fut promu général par le Conseil supérieur des
forces armées (C.S.F.A.). Après son pèlerinage à la Mecque dans les années 1970, il
devint El hadj général Aboubakar Sangoulé Lamizana. Il est parti à la retraite avec le
pl grade de général de corps d’armée. Il est décédé le 26 mai 2006.
48
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBELA

j'importance du capital humain avant de déclarer : &,Si nous parvenons à


soulever l'enthousiasme de ces populations, la partie sera gagnée, car il
n'y aura pas d'obstacles insurmontables.
Les colossales pyramides d'Égypte, la Grande Muraille de Chine,
les cathédrales gothiques de l'Europe occidentale ne doivent rien aux
techniques industrielles modernes. Ces monuments élevés par le travail
et la foi des hommes sont l'œuvre des sociétés dont le dénuement maté-
riel était égal au nôtre. Méditons sur leur leçon, sachons que. rien n'est
impossible à l’homme de volonté, animé d'un grand courage" .» C'était
ià tout un programme.
55- Peu avant la proclamation de l’“indépendance”, dans une lettre du
28 juin 1960 adressée à Maurice Yaméogo, des dirigeants de l'opposition
faisaient également preuve d’une grande perspicacité. Ils écrivaient en
effet : « Monsieur le Président, avant d'accéder à l'indépendance qui
sera le début de nos grandeurs et de nos souffrances, car l'indépendance
c'est sur nos épaules inaccoutumées toute la charge des responsabilités
d'un État, l'indépendance c'est tout l'esprit national à créer dans un
pays qui ne doit aujourd'hui son unité qu'à l'œuvre de ceux que nous
répudions avec fracas, l'indépendance c'est toute une économie natio-
nale à créer et à faire prospérer, l'indépendance c'est du travail à assu-
rer à tous les citoyens, l'enseignement à procurer à tous nos enfants et la
santé à redonner à nos malades, toutes choses qui demandent du sérieux,
du dévouement, de la vigilance et de la stabilité dans nos options poli-
tiques ; à l'heure donc où nous devons réaliser la grandeur et le bonheur
de notre jeune République, il est temps, Monsieur le Président, d obliger
les faux maçons de la construction nationale à se démasquer… 196, Mau-
rice Yaméogo était loin de partager de telles préoccupations. À
l'exception de Nazi Boni qui, prévenu par un ami réussit à s’échapper en
se rendant à Bamako, tous les autres signataires de la lettre furent immé-
diatement arrêtés et internés dans des conditions sévères.

1% Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit., p. 260.
1% CF S.-A. Balima, op. cit. Annexes, p. CCLVE. Les signataires de la lettre sont : Nazi
Boni, Édouard Ouédraogo, Joseph Ouédraogo, Paul Nikiéma, Gabriel Ouédraogo et
Diongolo Traoré.
49
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

56- Maurice Yaméogo était arrivé à la tête de l’État par une suite de cal.
culs opportunistes. Sa principale préoccupation était de jouir du pouvoir ; les
débats sur les politiques de développement étaient pour lui autant de provo-
cations. Il était convaincu que rien ne pouvait être fait pour le développe-
ment du pays. Ce sentiment d’impuissance semblait partagé par son succes
seur, même si sur les plans économique et social des réalisations notables
ont pu se faire. Lamizana et son régime se sont d’abord attelés au redresse-
ment financier du pays par l'application de sévères mesures d’austérité7,
avec l’adoption de certaines des mesures qu'avait décidées le régime du
président Yaméogo en décembre 1965, et la suppression de certaines ambas-
sades à l’étranger. Il fut ensuite procédé au renforcement des structures ad-
ministratives et aux capacités d’intervention de l’administration. Quelques
unités de production industrielle furent créées. Les infrastructures routières
connurent un développement sans précédent à l’échelle du pays avec no-
tamment je bitumage d’un échantillon de routes interurbaines et internatio-
nales permettant d’autres accès à la mer, par le Togo et le Ghana notam-
ment. On peut noter aussi, entre autres, la voltaïsation des capitaux, quelques
aménagements dans la ville de Ouagadougou, la création de la Société vol-
taïque de commerce (SO.VOL.COM), de l'Autorité de l’aménagement des
vallées des Voltas (AV.V), de l'Office national des céréales
(OF.NA.CÉR.), des Organismes régionaux de développement (O.R.D.)'®,
du Festival panañricain du cinéma de Ouagadougou (FES-PA.CO) et du
Comité inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel (C.LL.S.S.)®. X,

197 Cf. Tiémoko Marc Garango, Devoir de m e, Ouagadougou, Édipap internatio-


nal, 2007, p. 67-79.
1% S’ils ont été mis en place par le régime de Lamizana, ils trouvent cependant leur
origine dans le régime de Maurice Yaméogo par la loi n° 20-65 AN du 28 juillet 1965
autorisant le gouvernement à créer les O.R.D.
Sur les O.R.D., cf. Guy Évariste André Zoungrana, “La politique de développement
agricole au Burkina Faso : orientations et manifestations de 1954 à nos jours”, in Yénouya-
ga Georges Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de-), Burkina Faso — Cent ans
d'histoire, 1895-1995, Paris, Éditions Karthala, 2003, t.1, p. 1605-1616 et 1621.
Les O.R.D. ont été supprimés par le C.N.R. pour mauvaise gestion, Le conseil
des ministres du 2 mars 1988 avaient décidé, pour les remplacer, de créer des Centres
régionaux de promotion agro-pastorale (C.R.P.A.) avec un statut mieux défini.
1% Pour un aperçu des réalisations de cette période, cf. Sangoulé Lamizana, Sur_ la
brèche trente années durant, op. cit., p. 177-227 et 376-379.
50
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA

Pal
57- Toutefois, l’enthousiasme populaire dont parlait Ouezzin Coulibaly
n'eut pas lieu non plus sous Lamizana. Son régime a certes le mérite d’avoir
procédé à assainissement et au redressement fmancier du pays et à quelques
réalisations substantielles. Cependant il n’a pas eu de projet mobilisateur pou-
vant entraîner les populations dans un projet de développement soutenu. Les
quelques réalisations économiques concernaient surtout la capitale Ouaga-
dougou et dans une moindre mesure Bobo-Dioulasso la deuxième ville et
deux autres villes secondaires comme Koudougou et Banfora. Les campagnes
n'étaient pas vraiment touchées,et très vite la masse des paysans s’était sentie
marginalisée. Les conditions climatiques n'étant pas des plus favorables, le
désœuvrement s’était installé dans les campagnes pendant que le coût de la
vie renchérissait continuellement. Se retrouvant sans perspective, la jeunesse
pour se réaliser n’avait souvent d’autre choix que de partir, souvent même à
l'instigation des parents. Partir vers des horizons plus cléments, notamment
dans les pays côtiers, surtout en Côte d'Ivoire et un peu plus tard au Gabon!!°.
Vers la fin des années 1960 et au début des années 1970, l’émigration était
telle que dans certaines régions du pays il arrivait qu’il manquât de bras va-
lides pour les quelques rares chantiers qui pouvaient surgir de temps à autre.
C'était dévalorisant de n’être pas ou de n’avoir jamais été un émigré.
58- Pendant le long et tranquille règne du président Lamizana, le doute
avait fini par gagner l’ensemble des populations quant à la réelle possibilité de
sortir le pays de la misère. La lassitude et la résignation étaient le lot commun.
Les réalisations du régime, quoique non négligeables, se sont étalées sur une
longue période de sorte que leurs effets sur les populations étaient, à tort ou à
raison, perçus comme insignifiants, surtout à l’égard des attentes alors nom-
breuses et pressantes. Au sommet de l'État il y avait sans doute beaucoup
d’intégrité, surtout de la part du chef de l’État, et de la bonne volonté!!!, Mais

"10 L'absence de perspective était telle que dans les campagnes, voulant fuir le pays, les
jeunes filles n’acceptaient plus de se marier avec des résidents. Pour avoir les faveurs
d'une jeune fille il fallait émigrer, surtout en Cô! e d'Ivoire.
M1 Lors de l'élection présidentielle de mai 1978, le président Lamizana qui était candi-
dat à sa propre succession, fut mis en ballottage par Macaire Ouédraogo, le candidat de
l'opposition favorable à Maurice Yaméogo. Lui-même ne pouvait pas être candidat
parce qu’il était toujours privé de ses droits civiques. C'était la première fois qu’un tel
événement se produisait en Afrique. Au second tour, Lamizana obtenait 711 722 voix
51
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

la volonté n’est pas toujours suffisante pour entraîner tout un pays hors des
ornières du sous-développement. Il faut en plus une certaine vision et un cer-
tain dynamisme. Autant de’choses qui semblent avoir fait défaut. Lamizana
semblait le reconnaître lui-même quand il déclarait dans son discours du 8
février 1974 : « … chaque Voltaïque devrait se poser la question toute simple
de savoir si dans ce pays classé parmi les derniers des vingt-cinq pays les
moins avancés du monde et soumis actuellement à une rude épreuve, nous
pouvons encore nous payer le luxe d'un ballet d'équilibristes et de jongleurs
dans la conduite de nos affaires publiques.
La Haute-Volta a souffert beaucoup plus de la pauvreté de cœur
et d'esprit de ses fils que de pauvreté matérielle. Nous devons nous res-
saisir pour aller de l'avant ou alors nous disparañtrons. »
59- Le climat bon enfant qui prévalait était favorable aux mouve-
ments dits progressistes qui se sont développés pendant cette période,
préparant ainsi le terrain aux grands bouleversements que connaîtra le
pays. Contrairement aux dirigeants de l’époque, les partis et mouvements
de gauche étaient restés optimistes, fondant leurs projets sur les capacités
de transformation des populations quand elles sont mobilisées et enca-
drées. La chute du président Lamizana viendra surtout de l’absence de
perspective qu'avait entraînée une méthode de gouvernement dont les
acquis étaient largement en deçà des attentes.
60- Autant Lamizana était attaché aux libertés individuelles et collec-
tives et aux valeurs humaines, ne voulant ni bousculer ni vexer personne ;
avec ce que cela peut comporter comme avantages et inconvénients dans
un petit pays pauvre et démuni où tout était prioritaire, autant les pro-
blèmes économiques seront au centre des préoccupations dès la chute de
Lamizana, d’abord avec le C.M.R.P.N. du colonel Saye Zerbo, pour cul-
miner avec le C.N.R. du capitaine Thomas Sankara.
# *
#

contre 552 956 voix pour Macaire Ouédraogo. Quand on sait qu’à l’époque c’était des
pouvoirs militaires et/ou le règne des partis uniques en Afriqueet que si jamais des
élections se déroulaient, les chefs d’État étaient régulièrement réélus à près .99,95%, on
mesure mieux le degré de tolérance et de respect des libertés du président L4mizana.

52
Chapitre TT
La période de prise de conscience : la marche progressive vers
la révolution
Bâtis ton destin de tes propres mains, mon fils, et n'affends pas éternel-
lement que les autres te prennent en charge.
Soundjata Kéita

Cette période est marquée successivement par l’arrivée au pouvoir du


Comité militaire de redressement pour le progrès national (C.M.R.P.N.)
(D et du Conseil de salut du peuple (C.S.P.) (I).
I Le régime du C.M.R.P.N.
Si l’avènement du C.M.R.P.N. a pu susciter de l’enthousiasme (A), sa gestion
du pays a provoqué des mécontentements (1) qui ont conduit à sa chute (C).
A) L'AVÈNEMENT DU CMRPN.
61- En 1980, l’épouse du ministre de l'Éducation nationale, son beau
frère et un de ses amis politiques sont déclarés admis au concours
d’entrée à l’Institut national d’administration scolaire (LN.ASS.) "1? de
Paris. Les trois places en compétition étaient donc toutes prises par des
proches du ministre. Certains trouvèrent cela suspect. Sur décision du
même ministre, deux enseignants, militants syndicaux, dont l’un était
secrétaire général, furent mutés. Le syndicat des enseignants trouva cela
inacceptable. Réuni en conseil syndical extraordinaire le 23 septembre
1980, le Syndicat national des enseignants africains de Haute-Volta
(SN.E.A.H.-V.)' prit la décision de bloquer la rentrée scolaire 1980-
1981 jusqu’à la satisfaction de ses revendications qui étaient annulation

12 Depuis 1977, N.A.S. est devenu le Service de formation administrative (S.F.A.)


13 Jusqu'à l'av 1ement de la Révolution, il y avait toujours au secondaire et au supé-
ants voltaïques et des enseignants expatriés constitués essentiellement
, surtout pour le suy ur, d’autres Occidentaux comme des
etc. Jusque dans les années 1960, ce système existait aussi dans
S.N.E.AH.-V. regroupait uniquement les enseignants africains, donc
n des expatriés qui bénéficiaient d’un statut particulier. Il est
devenu le Syndicat national des enseignants ains du Burkina (S.N.E.A.B.)
53
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

de la décision de mutation des deux enseignants et des résultats du con-


cours d’entrée à l’I.N.A.S. Le S.N.E.A.H.-V. reçut le soutien de la Con-
fédération syndicale voltaïque (C.S.V.) à laquelle il était affilié. À partir
du 20 octobre 1980, le Syndicat unique voltaïque des enseignants du se-
condaire et du supérieur (S.U.V.E.S.S.) déclencha à son tour une grève
illimitée de soutien. Dès lors, tout le système éducatif, du primaire au
supérieur, se trouvait bloqué. Le gouvernement ne céda point. Par une
circulaire du 21 novembre 1980 signée conjointement par les secrétaires
généraux du S.N.E.A.H.-V. et du S.U.V.E.S.S., les militants étaient invi-
tés à suspendre, à compter du lundi 24 novembre 1980 à zéro (0) heure,
le mot d’ordre de blocage de la rentrée scolaire 1980-1981 et de la grève
illimitée de soutien au S.N.E.A.H.-V.
62- Le 24 novembre, soif cinquante-cinq jours après la date fixée pour la
rentrée qui était le 1” octobre, les cours reprirent sur toute l’étendue du terri-
toire. Paradoxalement, c’est au moment même où la crise trouvait son dé-
nouement, qu’au petit matin du 25 novembre 1980, un coup d’État sans vio-
lence, dirigé par le colonel Saye Zerbo!!*, déposait le président Lamizana.
Le colonel Saye Zerbo mit en place un Comité militaire de redressement
pour le progrès national {C.MR-PN.)'".R. Odou explique en ces termes la
chute de Lamizana : « Pour n'avoir pas saisi à temps le mal de société, le
régime du président Sangoulé Lamizana est tombé dans la disgrâce. Une
lame de fond a emporté un gouvernement qui, sans le vouloir peut-être, sans
le savoir sans doute, ne répondait plus à rien, tant il est vrai qu'il n'avait su
amorcer à temps le virage indispensable, tournant salutaire et vital pour
une population en mal d'avenir. Et lorsque les citoyens ont songé à propo-
ser au président déchu le changement de ses hommes, il était déjà trop tar.
Le putsch militaire, en somme, est venu mettre fin au règne d’une géronto-
cratie qui n'avait pas su contrecarrer les effets de la crise sociale", »

14 Saye Zerbo était né le 27 août 1932. Il est décédé le 19 septembre 2013.


118 Selon le décret du 26 novembre 1980, le C.M.R.P.N. comprenait 42 membres, tous
des militaires dont 33 officiers, 7 sous-officiers et deux hommes du rang. Il était doté de
deux organes : le Comité directeur qui comprenait 11 membres, tous des officiers et Le
Secrétariat permanent.
116 René Odou, “Haute-Volta - Un rêve se brise”, Afrique Nouvelle, n° 1642, Dakar, 24
-30 décembre 1980, p. 15.
54
Thomas SANKARA et Ja Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autogentré
Apollinaire 4. KYÉLEM de TAMBELA

63- Les cadres de l’Administration et des enseignements secondaires 4


et supérieurs étaient formés principalement à l’université de Dakar et
dans des écoles et universités françaises. Ils avaient plus ou moins subi
l'influence de l’Union générale des étudiants voltaïques (U.G.É.V.) et de
la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (F.É.A.N.F.) qui
prônaient des discours de gauche et de rupture avec le capitalisme. Le }
long règne tranquille du président Lamizana fut ainsi mis à profit pour
mener au grand jour des débats sur les choix possibles pour l'avenir du
pays. De jeunes cadres, refusant la résignation, ne cessaient d'affirmer
que la pauvreté pouvait être vaincue avec une autre façon de gouverner.
Ce discours qui ne laissait pas insensibles certains militaires a sans doute
pesé dans la chute du président Lamizana.
B) LA GESTION DU CMRPN.
Il convient d’examiner la gestion politique du C.M.R.P.N. (1), sa poli-
tique économique (2), sa politique sociale (3) et d’aborder l’avènement
du capitaine Sankara (4).
1- La gestion politique du C.M.R.P.N.
64- Dès son avènement, le C.M.R.P.N. procéda à la dissolution des
partis politiques. Selon Saye Zerbo, le coup d’État « a répondu pleine-
ment à l'attente d'un peuple qu'un régime de gabegie, de népotisme et
d'inconscience notoire menait inexorablement vers le désespoir!»
L'avènement du C.M.R.P.N. a été favorablement accueilli par l'opinion
qui y a vu à la fois un soulagement et une nouvelle raison d'espérer. Les
enseignants qui avaient été en grève pendant les mois d'octobre et de
novembre perçurent les deux mois de salaires correspondants. Ce qui ne
pouvait que renforcer leur sympathie pour le régime. Ainsi, le 1® dé-
cembre 1980, le S.N.E.A.H.-V. et le S.U.V.E.S.S. dont l’action avait con-
tribué à la chute du précédent régime adressèrent une lettre de soutien au
nouveau régime. La Ligue patriotique pour le développement
{LLPA.D.)!! , en guise de soutien, envoya au C.M.R-P.N. une proposi-

"7 CF. Carrefour 1, n° 709, Ouagadougou, 15-21 janvier 1981, p. 2


V8 La LIPAD était une organisation légale de masse mise en place en septembre 1973
par la Parti africain de l'indépendance (P.A.I.) Elle a été reconnue par le récépissé n°
43/IS/DI du 29 octobre 1973. Le P.A.I. était resté un parti clandestin, C’est seulement le
55
Thomas SANKARA et ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

tion de programme de redressement national qui, semble-t-il, aurait déplu


au C.M.R.P.N. Selon la LI.PA.D., sa proposition « réaffirmaif la nécessi.
té de faire la Révolution et concluait que toute politique de redressement
et de progrès national devait être une politique engageant le peuple sur
la voie de la Révolution populaire de libération nationale" ®.» À
l’occasion du conseil national du S.N.E.A.H.-V. tenu du 6 au 7 juin 1981,
Ousmane Kindo, à l’époque secrétaire général adjoint, déclarait fière-
ment : « Nous prenons acte du 25 novembre comme une action oppor-
tune et ponctuellement salvatrice à notre endroit, notamment dans les
actes du C.M.R.P.N. : garantie des libertés syndicales, reconnaissance
des droits des travailleurs de l'éducation … »
65- Profitant de l’état de grâce et cherchant à susciter l’enthousiasme
et l'adhésion populaire à son action, le président du C.M.R.P.N. entreprit
des tournées présidentielles à travers tout le pays. On pouvait régulière-
ment voir Je long cortège de véhicules accompagnant le chef de L'État dans ses
différentes tournées. Lors de la huitième tournée qui se déroula du 29 juin au
15 juillet 1982 dans les régions de l’ouest, la délégation a parcouru plus de 2
600 km et visité environ quatre-vingt villes et villages. Lors de ces tournées, il
arrivait parfois au chef de l’État de s’arrêter près d’un champ avec ses collabo-
rateurs pour encourager les paysans en labour en se mettant lui-même à culti-
ver à la daba. Pour beaucoup de villes et de villages, c'était la première fois
qu’un chef d’État foulait leur sol, surtout avec une telle simplicité!??. Saye
Zerbo justifiait ces tournées par le souci de « toucher du doigt les réalités de
la Haute-Volta profonde » et de «sonner le réveil de nos énergies assou-
pies, » Pour les populations, le fait de les avoir écoutées, vues et entendues les
rassurait. Sans doute que des abus ont pu être commis, comme la mobilisation
d’un grand nombre de véhicules, la consommation du carburant, l'abandon

11 avril 1991 que le P.A.L. sortira de la clandestinité pour obtenir une reconnaissance
légale. La LIPAD qui agissait à visage découvert lui servait alors de moyen d’action et
de communication. La LIPAD produisait un bulletin qui s’appelait Le Parriote.
119 Cf. Le Patriote, n° 30, Ouagadougou, avril 1989, p. 10.
120 Du 18 avril au 4 mai 1966, peu de temps après son accession au pouvoir, Lamizana
avait parcouru pratiquement tout le territoire. Ses tournées se déroulaient dans le respect
strict du protocole officiel, ce qui tenait les populations à l'écart. Elles n’avaient donc
pas marqué les esprits. En outre, leur souvenir était lointain et avait même disparu de la
mémoire des populations.
56
Re

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA

des postes de travail, etc. Ces tournées cependant ont aussi contribué à redon-
ner confiance aux acteurs du monde rural qui prenaient conscience qu’ils
n'étaient pas les oubliés de la République.
66- La Fonction publique se caractérisait par l’absentéisme des agents.
Non satisfaits d’arrivés en retard au lieu de travail, à partir de 10h beaucoup
d’agents désertaient les bureaux pour les débits de boissons. Pour mettre un
terme à cela, le décret n° 80-028/PRES/CMRPN du 25 décembre 1980 dé-
cida de la fermeture, à partir du 1° janvier 1981, des bars et autres lieux de
consommation des boissons, du lundi au vendredi, pendant les heures ou-
vrables. Pour l’administration, l'effet de cette mesure fut assez limité. Très
vite, un système de contournement fut institué un peu partout à travers des
établissements clandestins très vite identifiés de bouche à oreille. En re-
vanche, les conséquences furent désastreuses pour les propriétaires des dé-
bits de boissons régulièrement enregistrés qui perdaient ainsi une importante
clientèle ; à l'exception de ceux d’entre eux qui avaient pu s’insérer dans les
réseaux clandestins. En outre, la mesure pénalisait tous les consommateurs
qui n'étaient pas fonctionnaires.
2- La politique économique du C.M.R.P.N.
67- Sur le plan économique, la politique du C.M.R.P.N. s’est mani-
festée par le refus de la fatalité. C’était la première fois dans sa jeune
histoire qu’une telle option était adoptée par les dirigeants du pays. Dès
janvier 1981, le chef de l'État affirmait que « la Haute-Volta était aussi
viable que tout autre pays, pour peu que les Voltaïques le désirent vrai-
ment et soient prêts à consentir les sacrifices nécessaires à la survie de
leur patrie"?\,» I] jurait par le ciel et ses entrailles de sortir le pays du
sous-développement. Dans les rassemblements, dans son style à lui, il
déclarait souvent : « On vous a dif que la Haute-Volta est un pays
| pauvre : non, c'est faux ! Nous allons vous prouver que la Haute-Volta
n'est pas pauvre. » Il avait aussi déclaré le 10 décembre 1980 que « le
C.MR.P.N. fera en sorte que le Voliaïque cesse de survivre pour vivre
pleinement,» Dans le Discours programme prononcé le 1* mai 1981, il
préconisait en tout premier lieu la décolonisation des « mentalités long-
| temps acquises à l’idée de la ‘pauvreté presque irréversible de la Haute-

UUC£ Carrefour africain, n° 709, Ouagadougou, 15-31 janvier 1981, p. 1.


57
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBÈLA

Volta” que d'aucuns se plaisent à accréditer"?, » Dans son discours du 4


août 1981, il dénonçait les habitudes néfastes comme le laxisme,
l’inconscience, l’iresponsabilité, la course à l’enrichissement malhon-
nête avant de déclarer : « Faut-il le répéter ? La période de facilité est
décidément révolue, Car dans un contexte mondial dominé par le ma-
rasme économique et l'inflation généralisée et galopante, sur qui peut
compter un pays comme le nôtre sinon en tout premier lieu sur ses ci-
toyens ? » Puis il exprimait sa volonté d’impulser « une véritable dyna-
mique de développement communautaire autocentré. »
68- Pour le président du C.MR.P.N, il fallait compter d’abord sur ses
propres forces. C’était là un discours inédit qui opérait une rupture avec le
passé en condamnant le comportement et la mentalité d’assistanat qui préva-
laient. Le Discours programme préconisait une rupture avec le passé et « Un
développement fondé avant tout sur nos propres moyens en vue d'une pro-
motion autonome. » Dans cet esprit, le ministre de [° Économie et du Plan, le
colonel Mamadou Sanfo, n’hésita pas à déclarer le 25 mai 1981 à la Haye,
lors de la Conférence des Nations Unies sur les pays les moins avan-
cés: « Avec vous ou sans vous la Haute-Volta réalisera ses projets.» La
politique du “compter sur ses propres forces” sera plus tard reprise, ampli-
fiée et concrétisée par le régime révolutionnaire de Thomas Sankara.
69- Le C.M.R.P.N. opta pour la réduction du train de vie de l’État. II
fut procédé à l'abattement des traitements les plus élevés, y compris celui
du chef de l’État et des membres du gouvernement. Le décret n° 81-
0036/PRES/CMRPN du 20 janvier 1981 interdit « foutes dispositions
tendant à accorder des rémunérations ou jetons de présence aux pré-
sidents des Conseils et Administrateurs des Établissements publics de
l'État et des Sociétés d'État. » Parallèlement, le souci d’une gestion
plus rigoureuse s’est traduit par l’installation le 16 février 1981 d’une
Commission d’investigation et de diagnostic des sociétés d° État qui
rendit les conclusions de ses travaux le 17 juillet 1981. Les affecta-
tions à titre individuel des véhicules automobiles de l’État furent in-
terdites le 17 février 1981'F.
12 CMR.P.N., Discours programme, Ouagadougou, Imprimerie nationale, s.d, p. 9.
1% Dermé Abdoulaye qui était un concessionnaire automobile rapporte que, quand il
accéda au pouvoir, après avoir acheté une voiture avec lui, Saye Zerbo l’appela dans son
58
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

70- Le 10 mars 1981, quarante-six personnes dont des Burkinabè mouru-


rent asphyxiés dans la prison d’Abidjan. Comme par hasard, le lendemain
11 mars une ordonnance suspendait l’émigration aux fins d’emploi et condi-
tionnait tout départ vers la Côte d’Ivoire à l'obtention d’un laissez-passer
soumis à un droit de timbre, Le C.M.R.P.N. voulait ainsi mettre un frein au
départ incessant des Burkinabè vers la Côte d'Ivoire et retenir sur place la
force de travail. Mais le mouvement était très fort et comme en pareille si-
tuation, des voies de contournement furent vite trouvées comme les faux
motifs pour obtenir le laissez-passer, la corruption des agents ou encore le
passage par des pays tiers pour rejoindre la Côte d'Ivoire.
71- Au début des années 1960, la mine d’or de Poura était exploitée par
une société française. Quand l’État avait voulu s’y intéresser de plus près, la
société avait préféré mettre fin à son activité au motif qu’elle n’était plus
rentable. Le C.M.R.P.N. décida de la réouverture de la mine et le 6 mars
1981, le colonel Saye Zerbo donna lé coup d’envoi de la reprise des travaux.
Le 1° octobre de la même année il procéda également au lancement des
travaux de construction, sur la base de l'épargne nationale, de la première
tranche de la voie ferrée Ouagadougou-Tambao en vue de l’exploitation du
gisement de manganèse de Tambao.
3- La politique sociale du C.M.R.P.N.
72- En dehors des villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso qui en
comptaient un certain nombre chacune et d’un petit nombre d’autres villes
qui pouvaient en compter un ou deux!” il n'existait pas d'établissement

bureau et lui dit : « Jui acheté certe voiture avec vous pour donner simplement le bon
exemple. Ces une voiture qui transportera ma propre famille, je ne veux plus que mon
épouse et mes enfants empruntent les véhicules de l'armée ou du Gouvernement.
J'usqu'à présent les véhicules de | "État servent à tout faire : à transporter les élèves, à
aller le week-end au village, etc. Tous ces principes, avec mon avènement, voient son-
ner leur glas… » Appelant son chauffeur il lui dit : « Adama ; prends soin de la 504 que
je viens d'acquérir. C'est une voiture personnelle. Je ne veux la voir en réparation hi au
garage de l'armée ni au garage administratif du gouvernement. Toute réparation doit
être faite par les Ets D.A. qui enverront une facture à mon nom pour règlement finan-
cier. » Cf. L'Observateur Paalga, n° 8473, Ouagadougou, 7 octobre 2013, p.92.
1% Ces villes étaient : Banfora, Diébougou, Fada N'Gourma, Kaya, Koudougou, Nouna,
Ouahigouya, Tenkodogo, Toussiana. À cela s'ajoutaient quelques petits séminaires :
Baskouré, Nasso, Pabré, Tionkuy.
59
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

d'enseignement secondaire ailleurs. Le C.M.R.P.N. entreprit d’en construire


dans les localités de moyenne importance avec, éventuellement, le soutien
des populations locales. Pour «rapprocher l'administration de
l'administré », le C.M.R.P.N. procéda à la modification de la carte adminis-
trative par la création de nouvelles sous-préfectures. En 1981, à la suite de la
décision des autorités togolaises d’expulser les étudiants burkinabè des rési-
dences universitaires!#, le C.M.R.PN. prit la décision d’entreprendre les
travaux de construction d’une vraie université à Ouagadougou. Cette déci-
sion fit prendre un nouvel essor à l’enseignement supérieur au Burkina.
73- Sur le plan social les choses ne furent pas faciles pour le C.M.R.P.N.
À son avènement, il commença par interdire, jusqu’en mars 1981, les réu-
nions syndicales, En mars 1981, les scolaires de Bobo-Dioulasso déclenchè-
rent une grève qui se solda par l'arrestation et la détention de certains élèves.
Le Syndicat des techniciens et ouvriers voltaïques (S.T.O.V) décida aussi
d’aller en grève les 27 et 28 mai 1981. La grève échoua et des travailleurs
furent licenciés et déportés à Dori en plein Sahel. Le 30 octobre 1981, à la
clôture du conseil syndical de la Confédération syndicale voltaïque (C.S.V.),
le pouvoir fut accusé d’étouffer les libertés syndicales et de dilapider les
biens du peuple. Le lendemain 31 octobre, tous les syndicats furent convo-
qués par le ministre de la Fonction publique et du Travail, Alexandre Zoun-
grana. Il menaça de dissoudre la C.S.V. Le 1” novembre 1981, une ordon-
nance supprima le droit de grève, La C.S.V. réagit en déposant un préavis
de grève pour les 8 et 9 décembre. En réplique, le 24 novembre, le chef de
l'État signa le décret de dissolution de la C.S.V et, « pour démission cava-
lière de la Commission d'enquête et de vérification » un mandat d’arrêt “na-

15 Le régime togolais d’Éyadéma Ggnassingbé n’avait pas apprécié le coup d'État du


€C.M.R.P.N. contre le président Lamizana, Saisisant l’occasion d’une bagare survenue
en 1981 entre un étudiant togolais et un étudiant burkinabè dans une villa qui tenait lieu
de logement d'étudiants, décision fut prise dexpulser tous les étudiants burkinabè de la
cité universitaire et des villas que les Œuvres universitaires louaient pour le logement
des étudiants en complément de la cité. En réplique, le C.M.R.P.N., après avoir trouvé
des logements dans la ville de Lomé pour tous les étudiants burkinabè, décida de leur
rapatriement à la fin de l’année académique 1980-1981. À l’année académique 1981-
1982, l’université de Ouagadougou connut donc un engouement sans précédent. C’était
le début de l’essor de l’enseignement supérieur au Burkina Faso.
1% Déjà sous la I°* République du président Yaméogo, une loi du 24 avril 1964 suppri-
mait le droit de grève et limitait la liberté syndicale.
60
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

tional et international” fut lancé le même jour par le ministre de l’intérieur,


le lieutenant-colonel de gendarmerie Badembié Pierre-Claver Nézien, contre
son secrétaire général, Soumane Touré, qui entra dans la clandestinité pour
un long moment. On le crut même à létranger. Mais quand son épouse
tomba enceinte, les autorités se dire qu’il ne devait pas être bien loin. Les
recherches furent reprises dans la discrétion. C’est ainsi qu’il fut arrêté dans
la nuit du 9 au 10 septembre 1982. Une ordonnance du 14 janvier 1982 ren-
due public le 13 février 1982 rétablit le droit de grève avec cependant des
conditions très restrictives!??. Le 5 avril, six syndicats de base sur les quinze
que regroupait la (C.S.V.) décidèrent d’aller en grève les 14, 15 et 16 avril
1982 pour réclamer le rétablissement des libertés démocratiques et syndi-
cales. Le C.M.R.P.N. réagit en infligeant à certains grévistes six mois de
suspension sans salaires et en les traînant en justice.
4 L'avènement du capitaine Sankara
74- Le général Sangoulé Lamizana que le C.M.R.P.N. avait renversé
faisait partie de la première génération des officiers burkinabè. Ils avaient
généralement été recrutés entre les deux guerres mondiales ou pendant la
dernière et avaient construit leur carrière dans les champs de bataille en
Europe, en Indochine ou en Afrique du Nord. Sans formation supérieure,
c'était des hommes de terrain pétris d'expérience et de pragmatisme. Il
convient de rappeler que le général Lamizana était capitaine de l’armée
française et combattait en Algérie contre les maquisards du Front de libé-
ration nationale (F.LN) quand il a été rappelé au moment de
l'indépendance pour mettre en place une armée nationale.
73 Le colonel Saye Zerbo faisait partie de la deuxième génération
d'officiers. is avaient pour la plupart été recrutés après la deuxième guerre
mondiale et avaient pu servir en Indochine où en Afrique du Nord. Ils
avaient fréquenté des écoles de formation avec parfois à leur actif quelques
diplômes ou attestations plus ou moins valorisants. Entré à l’École de forma-
tion des officiers ressortissants des territoires d’Outre-mer (E.F.O.R.T.O.M.)
de Fréjus en 1957, Saye Zerbo est promu sous-lieutenant en 1959 à la fin de
la formation. Il a aussi fréquenté l'École d'application de l'infanterie (AL)

127 Ordonnance 82-003 CMRPN/PRES portant procédures de règlement des conflits collectifs
de travail. Cf. Carrefour africain, n° 719, Ouagadougou, 15 février 1982, p. 8 bis - Ja.
61
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

de Saint-Maixent, l’École d'état-major et l'École de guerre de Paris. En


1961 il était promu lieutenant, capitaine en 1965, lieutenant-colonel en 1975
et colonel en 1978.
76- La troisième et dernière génération d’officiers comprenait ceux qui
avaient été recrutés après l'indépendance. Ils avaient suivi une formation
secondaire jusqu’au baccalauréat avant de rejoindre les écoles de formation
militaire. Ils n’avaient pas l'expérience des champs de bataille. Leur par-
cours les mettait plus en contact avec les cadres civils et les rendait plus ré-
ceptifs aux débats sur les projets de société. Parmi eux, le plus connu et le
plus représentatif était le capitaine Thomas Isidore Noël Sankara!
77- Face à la situation difficile sur les fronts politique et social, les”
partis politiques ayant été dissous, la C.S.V. dissoute et le droit de grève
bien encadré, apparemment, un éventuel danger ne pouvait venir que de
l’armée. Saye Zerbo avait accédé au pouvoir par un coup d’ État ; il de-
vait donc savoir qu’il pouvait le perdre aussi de la même façon. Pour
tenter de donner plus de crédibilité au régime et construire l’unité de
l’armée autour de lui, le C.M.R.P.N. entreprit de compromettre Thomas
Sankara en le nommant au gouvernement comme secrétaire d’État à
l'Information. Celui-ci qui n’était pas dupe perçut la manœuvre et déclina
l'offre. Dans une lettre du 9 septembre 1981 il écrit au chef de
l'État : « Aussi, quel n'a pas été mon étonnement lorsque j'appris par la
presse que j'étais nommé secrétaire d “État dans votre gouvernement.
Aussi, tout en appréciant à sa juste valeur la confiance dont je
suis l’objet de votre part, j'ai l'honneur et le regret de vous rendre
compte que je réitère ma décision personnelle, libre et consciente, de
n'accepter aucun poste politique. »
78- Mais le C.MR.P.N tenait à ce qu’il fût dans le gouvernement.
Commença alors une série de négociations et de pressions. Finalement un
compromis fut trouvé qui consistait pour Sankara d’accepter le poste pour
un ou deux mois, le temps qu’un remplaçant lui fût trouvé. Le C.M.RP.N.
ne tint pas parole et n’accepta pas de Le libérer à l’issue du temps convenu.
Sankara non plus ne tenait pas à associer son nom plus longtemps à la ges-

128 II était né le 21 décembre 1949. Il trouva la mort le 15 octobre 1987 lors du coup
d’État perpétré par Baise Compaoré pour s'emparer du pouvoir,
62
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

tion du C.M.R.PN. Le 15 avril 1982 devait se réunir le Conseil supérieur


des forces armées (CS.FA)?. Il partira donc avant. Le 12 avril 1982 il
envoie sa lettre de démission au chef de l’État. Auparavant, il aura prononcé
publiquement, lors de la cérémonie de clôture d’une conférence des mi-
nistres africains chargés du cinéma, en présence du chef de l’État, cette
phrase devenue célèbre : « Malheur à ceux qui bâillonnent leur peuple. »
(e)] LA CHUTE DU C.MRPN.
79- La réunion du Conseil supérieur des forces armées révéla des di-
vergences profondes parfois inconciliables ; notamment entre les jeunes
officiers, subalternes pour la plupart, et les officiers supérieurs. Il était
reproché au C.M.R.P.N. des erreurs de gouvernance graves. En termes à
peine voilés, la démission du chef de l’État fut suggérée. Pour sortir de
l'impasse, il fut décidé la création d'une commission ad hoc chargée de
recueillir les critiques et les suggestions de l’ensemble des officiers con-
cernant le fonctionnement du Conseil des forces armées voltaïques et
l'action du C.M.R.P.N. Le médecin-commandant Jean-Baptiste Oué-
draogo fut nommé président de la commission, laquelle déposa son rap-
port le 26 avril 1982. Le refus du C.M.R.P.N. d’appliquer intégralement les
décisions arrêtées entraîna la démission des capitaines Thomas Sankara,
Henri Zongo et Blaise Compaoré. En guise de répression, Thomas Sankara
fut arrêté, dégradé et déporté dans la garnison de Dédougou à l’ouest, le 14
mai 1982, loin de la capitale ; sachant que Sankara et le commandant Fidèle
Guébré qui commandait la garnison se détestaient cordialement pour k
simple raison que leurs unités respectives - les para-commandos de Dédou-
gou et les commandos de P6 - se posaient en rivales dans la quête de
l'élitisme au sein de l’armée. Les amis de Sankara furent mutés pour indis-
cipline ; le lieutenant Blaise Compaoré dans la garnison de Bobo-Dioulasso
à l’ouest et le capitaine Henri Zongo dans la garnison de Ouahigouya au
nord. Il était prévu de les faire comparaître devant une cour martiale. Le 7
novembre 1982, un autre coup d’État mettait fin à l'expérience du
CMRPN.

1 Le Conseil supérieur des forces armées a été mis en place aussitôt après les événe-
ments qui ont conduit le 3 janvier 1966 à la chutedu président Maurice Yaméogo. C’est
un organe qui contribuait, aux côtés du chefde l’État, à la gestion du pouvoir d’État.
63
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA

Il Le régime du C.S.P.
Après le coup d'État du 7 novembre 1982 (A), il fut mis en place un
Conseil provisoire de salut du peuple (C.P.S.P.) (B) qui sera remplacé par
un Conseil de salut du peuple (C.S.P.), lequel peut être divisé en deux
périodes : celle du C.S.P.-I (C) et celle du C.S.P.-II (D).
A) LE COUP D'ÉTAT DU 7 NOVEMBRE 1982
80- Qui a été le principal instigateur du coup d'État du 7 novembre
1982 ? Pour certains c’est le colonel Yorian Gabriel Somé. Pour d’autres
c’est le capitaine Thomas Sankara. L'un et l’autre ont contesté y avoir été
pour quelque chose. Le colonel Somé était de la même génération que le
président Saye Zerbo, mais entre eux, l’entente ne semblait pas parfaite. Le
colonel Somé avait été l’aide de camp du président Maurice Yamméogo. De-
puis, il lui était resté fidèle. Le 3 janvier 1966, lors des manifestations qui
allaient entraîner la chute du président Yaméogo, Somé, alors lieutenant,
était partisan de la manière forte pour sauver le régime alors que Saye Zerbo,
également lieutenant à l’époque, donnait la priorité à la protection de la po-
pulation civile. Le colonel Somé qui avait été plusieurs fois ministre sous le
président Lamizana ne faisait pas partie de l’équipe dirigeante du
C.MR.PN. Toutefois, sans doute pour compenser cette frustration, et peut-
être aussi pour lavoir pour lui plutôt que contre lui, un an auparavant, en
novembre 1981, Saye Zerbo l'avait nommé chef d’état-major général de
l’armée, lui-même conservant le portefeuille de la Défense.
81- Le capitaine Sankara était le leader des jeunes officiers dont
beaucoup se réclamaient de l'idéologie progressiste, à l’opposé des offi-
ciers supérieurs qui étaient taxés de conservatisme. Au sein même du
C.MR.PN, les jeunes officiers s’étaient opposés à leurs supérieurs. Si
l’on en croit le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo, le ren-
versement du C.M.R.P.N. fut l’œuvre de jeunes officiers sous la direction
du capitaine Thomas Sankara. Selon Jean-Baptiste Ouédraogo, « C'est
parfaitement conscients d'une situation, longuement analysée avec Tho-
mas Sankara, que nous avons réalisé le coup d "État, convaincus que

64
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Thomas serait notre chef. » Mais le moment choisi fut précipité pour
éviter les fuites et les dénonciations?!. À ce sujet, Le capitaine Boukary
Kaboré qui fut un proche de Sankara dira plus tard que le coup d’État du
7 novembre 1982 « a été fait plus tôt que prévu, parce qu'il y a eu des
militaires excités à qui on avait pourtant dit de ne rien faire pour le mo-
ment. Nous n'étions donc pas préts\??, » Juste après le coup d’État, des
rumeurs persistantes en avaient attribué la paternité à Thomas Sankara et
ce, malgré ses protestations persistantes.
82- Jean-Baptiste Ouédraogo affirme que le colonel Somé n’a jamais
été informé de ce qui se tramait. Il serait donc totalement étranger au
coup d’État du 7 novembre 1982 dont l'exécution matérielle a pourtant
reposé essentiellement sur son parent, le lieutenant Jean-Claude Kambou-
lé qui commandait le Groupement blindé de Ouagadougou. Au moment
des faits, le colonel Somé était d’ailleurs en déplacement à Diébougou, sa
ville natale, pour les funérailles d’un parent.
83- Le coup d’État du 7 novembre 1982, selon le bilan officiel, aura
provoqué cinq morts!#. C’était la première fois qu’un changement de
régime occasionnait des pertes en vie humaine, Selon la version offi-
cielle, le lieutenant-colonel de gendarmerie Badembié Pierre-Claver Ne-
zien, ministre de l'Intérieur du C.M.R.P.N., s'était réfugié à l'ambassade
de France!*. À la suite de négociations, il accepta de se rendre aux nou-
velles autorités. Il sera exécuté le 9 novembre 1982, le jour même de sa
reddition, peu de temps après, dès son arrivée au camp militaire de
Gunghé alors appelé camp de l'unité, l’actuel camp général Aboubakar
Sangoulé Lamizana!®. Le colonel Nezien faisait partie de l’aile dure du

16 Cf, Jean-Baptiste Ouédraogo, “Contribution à propos de trois dates historiques”, in


Yénouyaba Georges Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de -), Burkina Faso —
Cent ans d'histoire, 1895-1995, Paris, Karthala, 2003, t.1, p. 269.
ICE Ibid. p. 266-267.
12 Cf. Libérateur, n° 42, Ouagadougou, 20 octobre - 4 novembre 2007, p. 9.
13 CE L'Observateur, n° 2469, Ouagadougou, 19-21 novembre 1982, p. 8.
#4 Cf. bservateur, n° 2469, op.cit., p. 10. -L'Observateur Paalga, n° 4828, Oua-
gadougou, 28 janvier 1 999, p. 3.
D Cette version est contestée. H semble plutôt que Nezien s'était réfugié chez son ami
Polycarpe Naré dans le quartier chic de La Zone du Bois. Il aurait été abattu dans les
alentours de La Zone du Bois alors même qu'au volant d’une voiture, il partait se rendre
65
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

C.MR.PN. et prônait des mesures radicales contre Sankara et ses


proches qu’il accusait d’indiscipline. Dans leur « Proclamation » les nou-
velles autorités accusèrent le C.M.R.P.N. d’avoir trahi la confiance du
peuple et d’avoir abusé de la cohésion des militaires pour assouvir des
fins inavouables.
84- Dans l’ensemble du pays, le coup d’État du 7 novembre 1982 ft as-
sez mal accueilli. Les paysans avaient surtout retenu les aspects populistes et
peut-être folkloriques de la politique du C.-M.R.P.N. Les tournées présiden-
tielles à travers le pays avaient marqué les esprits. Les divergences qui appa-
raissaient au sommet de l’État, notamment sur la politique du régime à l’égard
des syndicats, sur le sort des hommes politiques de la II° République du pré-
sident Lamizana renversée par le C.M.R.P.N., sur la manière de gouverner et
la politique à suivre, échappaient au commun des citoyens et n’intéressaient
qu’un cercle d’intellectuels et d'officiers de l’armée. Les missions
d'explication que les nouvelles autorités envoyèrent à travers le pays furent
reçues froidement par les populations.
B} LE CONSEIL PROVISOIRE DE SALUT DU PEUPLE
85- La Proclamation du 7 novembre 1982 annonçait la création d’un
Conseil provisoire de salut du peuple (C.P.S.P.) composé d'officiers, de
sous-officiers et d’hommes du rang. Les jeunes officiers avec à leur tête
le lieutenant Kamboulé désignèrent Thomas Sankara pour prendre la tête
du mouvement car c’est en son nom qu'ils avaient pris le pouvoir. Celui-
ci refusa au motif qu’il ne maîtrisait pas la situation et qu’il fallait un
officier d’une grande autorité pour restaurer la cohésion et l’unité de
l’armée, Cet officier, pour lui, était le colonel Somé. Informé, le colonel
Somé commença les consultations pour la formation de son gouverne-
ment. Le refus de Sankara d'assumer le pouvoir suprême déconcerta les
jeunes officiers. Ceux-ci trouvant aussi le colonel Somé trop conserva-
teur proposèrent alors l’officier le plus ancien dans le grade le plus élevé
de leur groupe. C’était le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédrao-

aux nouvelles autorités quand, au téléphone, il apprit par son épouse que faute de le
trouver chez lui après quatre passages, les hommes du sous-officier Tibo Ouédraogo
avaient abattu sa fille qui avait simplement protesté contre leurs intrusions cavalières et
incessantes dans le foyer.
66
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

go!®. On organisa donc des votes au sein du C.P.S.P. qui donnèrent les
résultats suivants : médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo : 80
voix ; général Tiémoko Mare Garango : 10 voix ; colonel Yorian Gabriel
Somé : 4 voix. Ainsi le 13 novembre 1982, Jean-Baptiste Ouédraogo était
élu président du C.P.S.P. Il n’était connu ni de Sankara ef de ses amis, ni
pour être un progressiste. Mais lors de la réunion le 15 avril 1982 du
Conseil supérieur des forces armées (C.S.F.A.), sans prendre partie pour
les officiers progressistes, il avait apporté sa part de critiques contre le
C.MR.P.N. En outre, la façon dont il avait présidé la commission ad hoc
lui avait valu la sympathie de Sankara et de ses proches. Les rapports
entre Jean-Baptiste Ouédraogo et les proches de Sankara datent seule-
ment de cette époque. Il apparaissait donc à leurs yeux come celui qui
pouvait être l’homme du compromis.
©) LECSP-I
La gestion politique du C.S.P.-I recouvre l'essentiel de son bilan (1).
Toutefois, il convient de ne pas perdre de vue ses politiques économique
{2) et sociale (3) de même que sa politique internationale (4).
1- La gestion politique du C.S.P.-I
86- Dans un souci de démocratisation de l’armée, à l’instigation du
Conseil provisoire de salut du peuple (C.P.S.P.), une assemblée géné-
rale se tint du 22 au 26 novembre 1982. Elle comprenait cent vingt
militaires issus des quarante unités de l’armée de l’époque dont trois
par unité: un soldat, un sous-officier et un officier. A l'issue de

énéral Yaoua Marcel Tamini qui, alors colonel, avait été nommé chef d’état-
major s us le C.S.P.-I en remplacement du colonel Yorian Gabriel Somé (cf. $ n°112)
dit de Jean-Baptiste Ouédraogo : « Pour moi, il n'est même pas un militaire, c'est un
bon médecin. Avant le 7 novembre, je ne connaissais pas de Jean-Baptiste Ouédraogo
dans toute notre armée nationale. Je l'ai vu pour la première fois, le jour où on s'est
trouvé après le 7 novembre en réunion. Quand il est arrivé, j'ai même demandé at
colonel Mamadou Djerma qui était. cet officier-là ! Parce qu'il avait deux ceinturons.
Certainement que c'était la première fois qu'il portait un ceinturon… C'est pour vous
dire que ce type-là n'est pas un militaire. CF. 1 on Enchaîné, n° 037, Ouagadougou,
3 août 2011, p. 13.
Le colonel Tamini a été élevé au rang et appelation de général de brigade par le
décret n° 83-0016/ PRES/CNR/DNAC du 20 août 1983 et immédiatement mis à la
retraite par le décret n° 83-0017/PRES/CNR/DNAC du même jour.
67
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA

l’Assemblée générale, le C.P.S.P. perdit son caractère provisoire et


devint le Conseil de salut du peuple (C.S.P.) doté d’un statut et d’un
règlement intérieur. Jean-Baptiste Ouédraogo fut confirmé comme
chef de l’État. Le commandant Boukary Jean-Baptiste Lingani fut élu
secrétaire général du secrétariat permanent du C.S.P. avec pour adjoint
le sous-lieutenant Kilimité Théodore Hien. Thomas Sankara, Blaise
Compaoré et Henri Zongo qui avaient été déchus de leur grade par le
C.M.R.P.N. furent réhabilités par l” Assemblée générale.
87- Le XI° congrès du Syndicat unique voltaïque des enseignants du
secondaire et du supérieur (S.U.V.E.S.S.) qui se tint du 27 au 30 décembre
1982 à Ouagadougou donna l’occasion au capitaine Sankara de faire sa
première apparition publique depuis le coup d'État du 7 novembre 1982.
Représentant le C.S.P., il prit la parole à la clôture du congrès le 30 dé-
cembre à la bourse du travail pour dénoncer « les convulsions fascistes du
CMRPN. défunt. » Il cita, entre autres, la suppression des droits syndi-
caux, la persécution et la déportation des travailleurs, l’emprisonnement
d’élèves et d'étudiants. Il décrivit la période du C.M.R.P.N. comme « /a plus
noire du syndicalisme voltaïque. »
88- Le président du C.S.P., Jean-Baptiste Ouédraogo, était un homme
modéré et pondéré. Au sein du C.S.P. et parmi les alliés politiques du C.S.P.
qui étaient notamment le Parti africain de l’indépendance (P.A.L.) et sa créa-
ture la Ligue patriotique pour le développement (LIPA.D.), d’anciens
membres de l’Union de lutte communiste (U.L.C.) qui s’était dissoute et aussi
les syndicats progressistes comme la Confédération syndicale voltaique
(C.S.V.), certains commencèrent à trouver le président trop conciliant et pas
assez progressiste. C’est dans ce contexte qu’il fut porté à la connaissance de
lopinion que, convoquée en session extraordinaire, l’Assemblée générale du
C.S.P. a décidé de la création d’un premier ministère et que sur proposition du
président du C.S.P., chef de l’État, un premier ministre a été élu en la per-
sonne du capitaine Thomas Sankara. En fait la nomination du premier mi-
nistre le 10 janvier 1983 a été imposée par l’aile progressiste du C.S.P/7. À la

137 Selon Jean-Baptiste Ouédraogo, c’est Thomas Sankara qui a lui-même eu l’idée de la
création du poste de premier ministre pour épauler le président qui lui semblait trop
isolé dans le gouvernement. J.-B. Ouédraogo y était opposé. Mais, mis en minorité, il
dut s’incliner.
68
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

lecture des textes on s’aperçoit d’ailleurs que le président tout comme le pre-
mier ministre n'étaient responsables que devant le C.S.P. Le président n'avait
donc pratiquement aucun pouvoir sur le premier ministre, notamment celui de
le démettre.
g9- Le discours que Sankara prononça le 1° février 1983, jour de son in-
vestiture comme premier ministre, était d’un ton nouveau. Le mot peuple est
revenu soixante-quatre fois dans le discours. On retrouve dans ce bref discours
l'essentiel de ce qui devait lui servir de programme quand plus tard il sera chef
de l'État. «… le mouvement de salut du peuple - avait-il déclaré -… est décidé
à contribuer : … à faire avancer la Haute-Volta dans la voie du progrès, …
afin de permettre, aussi rapidement que la force et le génie créateur du peuple
voltaïque lui en donneront les moyens, de nourrir le peuple, de lui donner une
eau saine à boire, de le vêtir, de l’abriter, de l'instruire et de le soigner. »
C'était là tout un programme qu’il a tenté de réaliser pendant le temps qu’il lui
restait à vivre. Ce qu’il demandait aux ministres sortait de l’ordinaire. « Nous
ne devons pas craindre les masses, et nous barricader dans des bureaux cli-
matisés pour penser lourdement à sa place, avec les pesanteurs petites-
bourgeoises, sans tenir compte de lui er de ses conditions concrètes de vie et
de travail. En um mot, je voudrais vous dire que nous ne devons pas tenir le
peuple en respect, mais réserver tout le respect au peuple. [...]
Messieurs les ministres, avec de tels objectifs, ce n'est certaine-
ment pas à un banquet de copains ou à une partie de plaisir que le Con-
seil de salut du peuple vous a conviés en vous investissant de sa con-
fiance. Mais c'est à un gigantesque chantier de travail auquel participe-
ra avec ardeur tout le peuple voltaïque, qu'il vous demande de prendre
part, comme chefs de brigades de travail dans ce chantier. »
90- Pour susciter le débat au sein de l’armée et soutenir une forme de dé-
mocratie interne, l’aile progressiste du C.S.P. créa un journal mensuel dé-
nommé Armée du peuple qui se voulait un « organe de lutte et d'information
du Conseil de salut du peuple ». Le journal dont le numéro 00 parut le 13 fé-
vrier 1983 avait pour devise : «s'intégrer et s'identifier à son peuple.» À
l'instar du président du C.M.R.P.N. qui avait sillonné le pays à la rencontre
des paysans, des équipes du C.S.P. entreprirent aussi des tournées à l’intérieur
du pays pour expliquer et justifier son avènement. Cependant, elles ne rencon-

69
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

trèrent pas le même enthousiasme car le président du C.M.R.P.N. avait mar-


qué les esprits par son contact facile et sa simplicité.
91: Lors de la traversée du désert, le lieutenant Blaise Compaoré avait
perdu le commandement du Centre national d’entraînement commando
(C.N.E.C.) de P6, Le C.N.E.C avait été créé le 4 juin 1976" après le pre-
mier conflit frontalier Mali-Burkina par le lieutenant Thomas Sankara qui le
dirigeait”. En février 1981, Sankara, devenu entre temps capitaine, est
nommé à l’état-major à la Division opérations. Les autorités d’alors (régime
du C.MR.PN.) voulaient ainsi l’avoir à l’œil. Il fut remplacé au C.N.E.C.
par le lieutenant Blaise Compaoré qui conservera le poste jusqu’à leur rup-
ture avec le régime du C.M.R.P.N. en avril 1982. Compaoré sera alors muté
à Bobo-Dioulasso et remplacé à la tête du C.N.E.C. par le lieutenant Sambo
Boéna. Devenu premier ministre, Sankara fit nommer de nouveau Blaise
Compaoré à la tête du C.N.E.C. en février 1983 alors que le même Compao-
ré était devenu capitaine pour compter d'octobre 1982. Après l’avènement
de la Révolution, le C.N.E.C. sera érigé en corps le 11 août 1983 par le pré-
sident Sankara, avec toujours Blaise Compaoré aux commandes.
92- Le 28 février 1983, alors que le premier ministre Thomas Sankara
était en visite officielle en Libye, l’opinion fut informée qu’une tentative
de coup d'État avait été déjouée. Elle aurait été conçue par des éléments
extérieurs au C.S.P. Le 2 mars, les auteurs présumés de la tentative de
coup d’État étaient arrêtés. Il s’agissait du médecin-commandant Am-
broise Kaguembèga, du commandant Apollinaire Sié Kambou, du lieute-
nant Boureima Yugo et du lieutenant Dubidié Kaba. Dans la nuit du 19
mars 1983 des personnalités étaient arrêtées : Joseph Ouédraogo dit Jo
Weder, ancien président de l’Assemblée nationale et homme politique
incontournable de la région de Ouagadougou, Frédéric Guirma, premier

18 Le 29 juillet 1975, le lieutenant Thomas Sankara, commandant la compagnie com-


mando, faisait des propositions pour qu’il lui soit donné des structures définitives. Cf.
Bendré, n° 663, Ouagadougou, 17 octobre 2011, p. 5 et 9. C’est ce qui deviendra le
CNE. C. H
1% Pendant le 1% conflit frontalier Mali-Burkina (cf. n° 441ÿ, Sankara a eu à servir sous
les ordres de l'officier Yaoua Marcel Tamini. Selon ce dernier, Sankara « éfait un bon
soldat, il connaissait la tactique. Maïs il était un peu désordonné. » Il qualifie l’action
de Sankara pendant ce conflit de fanfaronnade. Cf. L'Étalon Enchaîné, n° 037, Quaga-
dougou, 3 août 2011, p. 11.
70
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÉLA

ambassadeur de la Haute-Volta à PO.N.U., Albert Patoin Ouédraogo,


ministre de l'Éducation nationale et de la Culture du C.M.R.P.N. et Fran-
çois Kaboré, commerçant de cycles à Ouagadougou. Ils seront par la
suite internés à Dori.
93- Au fur et à mesure que le premier ministre affirmait son orienta- *
tion progressiste, les tensions s’intensifiaient au sein même du C.S.P.
entre progressistes et ceux qui étaient maintenant qualifiés de conserva-
teurs. Dans son discours d’investiture, Thomas Sankara avait décla-
ré: « Mon inspiration je la tirerai du peuple, ma force je la firerai du
peuple. » IL chercha donc à recourir au peuple comme arbitre de la situa-
tion qui prévalait au sein du C.S.P. La population de Ouagadougou et des
environs fut convoquée, selon les termes de la radio et de la télévision
nationales!%, à «un meeting de vérité. » Le meeting eut lieu le 26 mars
1983 sur la Place du 3 janvier en milieu d'après-midi. 11 révéla en Sanka-
ra un grand orateur et un manipulateur des foules. C'était en effet son
premier meeting public.
94- Sankara a justifié l’organisation du meeting par le fait qu’il leur
fallait utiliser l'arme de la propagande pour éviter d’être abattus vulgai-
rement. Pour le journal Armée du peuple, le meeting se justifiait parce
que « les ennemis du peuple tentaient d'empoisonner l'atmosphère na-
tionale par des rumeurs fallacieuses M1. Mais qui sont les ennemis du
peuple ? Le meeting fut l’occasion pour Sankara de les définir. « Les
ennemis du peuple à l'intérieur, c'est tous ceux qui se sont enrichis de
manière illicite, profitant de leur situation sociale, profitant de leur si-
fuation bureaucratique. [..] Les ennemis du peuple, c'est encore cette
fraction de bourgeois qui s'enrichit malhonnêtement par la fraude, par la
corruption, par le pourrissement des agents de l'État. [...] Les ennemis
du peuple, c'est encore les hommes politiques qui ne parcourent la cam-
pagne que lorsqu'il y a des élections. C'est encore ces hommes politiques
qui sont convaincus que seuls eux peuvent faire la Haute-Volta. |...] Les
ennemis du peuple c'est également ces forces de l'obscurité, ces forces

M6 À l’époque il y avait dans le pays une seule télévision à rayon d’action très limité et une
seule radio, avec chacune une antenne à Bobo-Dioulasso, Même dans les pays dévéloppés,
les médias audiovisuels étaient assez limités en nombre et en ternps d’émisson.
MU Cf. Armée du peuple, n° 003, 30 avril 1983, p. 5.
71
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA

qui, sous des couverts coutumiers au lieu de servir réellement les intérêts
moraux du peuple, au lieu de servir les intérêts sociaux du peuple, sons
entrain de l'exploiter. [...] Les ennemis du peuple, ils sont également hors
de nos frontières ; ils s'appuient sur des apatrides qui sont ici, parmÿ
nous, à tous les échelons, chez les civils comme chez les milifaires
.….C’esf le néocolonialisme, c'est ! ’impérialisme"®?, » Promesse était faite,
avec l’aide du peuple, de combattre les ennemis du peuple.
95- Après le premier ministre, ce fut autour du président de la Répu-
blique Jean-Baptiste Ouédraogo de monter à la tribune. La population qui
était venue nombreuse commença à se disperser comme si elle n’était venue
que pour écouter le premier ministre. Sankara venait de faire de ce coup
d’essai un coup de maître. L’adhésion de la foule était totale. Devant un
auditoire qui se vidait continuellement, Jean-Baptiste Ouédraogo tenta tout
de même de faire passer son message. Dans un discours bien rédigé, il es-
saya de démentir les rumeurs concernant les divergences au sein du C.S.P.,
puis il esquissa les objectifs du C.S.P. qui étaient les suivants : assainisse.
ment des mœurs politiques, instauration d’une vraie démocratie, réorganisa-
tion et redynamisation de l’administration et de l’armée, acheminement vers
une vie constitutionnelle normale. Mais c’est finalement dans un discours du
7 mai 1983 que le chef de l'État rendra public le Programme d'action du
C.S.P.#? On y apprend que celui-ci se donnait pour tâche d’ « Obtenir des
populations une participation consciente aux efforts des pouvoirs publics
pour transformer les structures du pays dans le sens du progrès économique
et social. » Il voulait également assurer la promotion de l’homme nouveau
voltaïque et «/e Voltaïque nouveau devra être, à partir du processus de
transformation des mentalités, celui qui, intellecruellement, politiquement,
moralement et physiquement, se rendra disponible au service effectif de son
peuple et des aspirations de son peuple. »

96- Après le meeting du 26 mars 1983 à la Pface du 3 janvier, les choses


devenaient de plus en plus claires. Chaque camp se remit à compter ses parti-
sans. Le colonel Yorian Gabriel Somé avait été chef d'état-major de l’armée

12 Cf, Carrefour africain, n° 772, 1° avril 1983, p. 18-19.


Cf. : L'Observateur, n° 2587, Ouagadougou, 10 mai 1983, p. 1, 6-7, 10-15. -
Carrefour africain, n° 778, Ouagadougou, 13 mai 198, p. 7-14.
72
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

sous le président Saye Zerbo du C.M.R.P.N. Sous le C.S.P. il avait pu conser-


ver son poste sans difficulté. Mais, voilà qu’à l’issue de débats contradictoires,
Assemblée générale du C.S.P. décida de le mettre à la retraite. Au sein du
C.S.P. il était l’homme fort des conservateurs ; sa mise à la retraite signifiait
pour eux une perte sensible d'influence. Le colonel Somé refusa de se faire
metire à la retraite par de jeunes soldats et officiers. Au sein du C.S.P. la ten-
sion était alors à son comble. Le 31 mars 1983 s’ouvrait au centre d'éducation
ouvrière le conseil syndical de fin de deuxième trimestre du SN.E.A.-HV.
Dans son discours d'ouverture, le secrétaire général, Hamidou Baba Oué-
draogo, dénonça « la psychose, la peur bleue, artificiellement créée et entre-
ienue par des détracteurs de tous bords encouragés par le C.S.P. » Il poursui-
vit: « Mais alors, comment ne pas vivre dans la psychose quand, adversaires
ou critiques, vous êtes ipso facto traités comme ennemis du peuple ef comme
tels voués aux foudres du C.S.P. ? Comment ne pas vivre dans la psychose
quand la liberté d'opinion n'existe que pour chanter les louanges du régime
ou les vertus mirifiques de quelque idéologie fumeuse et indigeste. » Ces pro-
pos traduisaient sans doute le sentiment que certains éprouvaient pour le ré-
gime du C.S.P.
97- Les 13 et 14 mai 1983, se tenait à Bobo-Dioulasso une rencontre
des associations et mouvements de jeunesse voltaïques. La rencontre fut
clôturée par un meeting pour la jeunesse dans l'après-midi du 14 mai sur
la Place de la gare. Peu de temps avant cette date, des sous-officiers et
des officiers dont le lieutenant Jean-Claude Kamboulé, bras droit du co-
lonel Somé, devenu capitaine sous le C.S.P. et qui était à la tête du Grou-
pement blindé, annoncèrent au premier ministre qu’ils lui retiraient leur
confiance, Le meeting de Bobo-Dioulasso se déroula donc dans une at-
mosphère encore plus tendue que lors de celui de Ouagadougou. Dans
son intervention, Sankara appela à une plus grande radicalisation du ré-
gime alors que les conservateurs du C.S.P. le trouvaient déjà trop radical.
Pour lui il était temps d° « appeler un chat un chat. »
2- La politique économique du C.S.P.-1
98- La brièveté du régime qui n’a tenu que pendant six mois n’a pas
vraiment permis de poser des actes concrets sur le plan économique. On
peut noter cependant la volonté affichée d’impliquer directement la popu-
lation dans les projets de développement. On peut noter également
73
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

l’ébauche d’une gestion rigoureuse et transparente. Lors du meeting du


26 mars 1983 à Ouagadougou, le premier ministre déclarait son intention
de mettre fin à la spéculation, au détournement et à l’enrichissement illi-
cite. Il fut procédé à la réduction du traitement du président de la Répu-
blique, du premier rministre, des membres du gouvernement et des hautes
personnalités de l'État!#, Une ordonnance du 3 décembre 1982 dit qu’à
l'exception du chef de l° État et de son aide de camp, « Les frais de trans-
port supportés par le budget de l'État, des collectivités et établissements
publics, des sociétés d'État et d'économie mixte sont ceux afférents à la
classe économique des tarifs des transports aériens. » L’indemnité de
logement des officiers passa de quatre-vingt mille (80 000) F CFA à cin-
quante mille (50 000) F CFA. Comme le reconnaissait Sankara lui-
même, ces mesures n'étaient pas importantes du point de vue budgétaire ;
elles avaient plutôt une portée politique. Au retour de son voyage en Li-
bye, Sankara avait tenu à reverser dans les caisses de l’État ses indemni-
tés de mission parce que tous ses frais de séjour avaient été pris en charge
par la Libye. C'était une première dans l’histoire du pays. C’est à cette
époque que fut signé un accord de transport aérien avec Air Algérie.
3- La politique sociale du C.S.P.-I
99- Le bras de fer qui opposait la C.S.V. au C.M.R.P.N. avait abouti à
la dissolution de la C.S.V., à la suppression puis au rétablissement dans
des conditions restrictives du droit de grève. Le C.S.P. rétablit la C.S.V.
et les libertés syndicales. Le C.M.R.P.N. avait ordonné la fermeture des
débits de boisson pendant les heures de bureau. Le C.S.P. leva cette in-
terdiction pour mettre en place une autre mesure qui consistait à sanc-
tionner les fonctionnaires pris en flagrant délit dans les débits de bois-
son", Le C.S.P. supprima également le laissez-passer instauré par le
C.MR.P.N. pour les candidats à l’émigration.

4 Cf Décret du 3 décembre 1982, L'Observateur, n° 2480, Ouagadougou, 6 décembre


1982, p. 7. Rappelons que les régimes de Lamizana et de Saye Zerbo avaient chacun
déjà procédé à la réduction du train de vie de l’État.
# La première fois, le nom du fonctionnaire était cité à la radio nationale. La deuxième
fois, il recevait un blâme et la troisième fois c’était Le licenciement.
74
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

4- La politique étrangère du C.S.P.-1


100- Ii est difficile de parler de politique étrangère du C.S.P. avant
j'accession de Thomas Sankara au poste de premier ministre. C’est avec
Jui que la politique étrangère a commencé à avoir une réelle visibilité.
Elle sera cependant marquée par le bicéphalisme qui prévalait à la tête du
C.S.P. et de l’État. D'un côté un premier ministre d’orientation progres- »
siste, de l’autre un président modéré et sans réelle orientation précise.
C’est surtout à l’échelle de l'Afrique que s’est joué l’essentiel de la poli-
tique étrangère du C.S.P.
191- La première sortie de Thomas Sankara comme premier ministre a
été pour le Niger le 24 février 1983 alors qu’il était en route pour la Li-
bye. Son séjour en Libye était prévu pour durer deux jours mais le colo-
nel Kadhafi, le chef de l'État libyen, le retiendra pendant une semaine du
25 février au 2 mars 1983. Sankara qualifiera sa visite en Libye d’« acte
de courtoisie élémentaire vis-à-vis de ceux qui nous ont tendu de manière
évidente la main.» Depuis le 7 novembre 1982 en effet, le pays avait
reçu trois visites d’autorités libyennes. Pendant son séjour en Libye, San-
kara fut reçu comme un chef d’État avec toutes les marques d’attention
dues à un grand homme d’État. On compare l’accueil qu'il a reçu à ceux
dont avaient bénéficié le maréchal Tito de Yougoslavie et Fidel Castro de
Cuba!*. 11 semblerait que pendant un diner, les commandos de Kadhafi
demandaient à Sankara d’instaurer la Jamahiriya voltaïque!*. À ceux qui
émettaient des objections sur cette visite, le président Ouédraogo rappe-
Jait que les présidents Lamizana et Saye Zerbo avaient aussi été en Libye.
Entre mars et avril 1983, Kadhafi procéda à d’importantes livraisons
d’armes au Burkina.
102- Le VII* Sommet des non-alignés qui se tint en Inde du 7 au 13
mars 1983 fut l’occasion pour Sankara de se rendre dans ce pays. À New
Delhi Sankara multiplia les efforts pour surtout rencontrer les dirigeants
progressistes. Il se fit remarquer par Fidel Castro, leader charismatique
de la révolution cubaine. De New Delhi Sankara se rendit le 13 mars à

Hé CE C africain, n° 769, Ouagadougou, L} mars 1983, p. 19-25 ; n° 795, Oua-


gadougou, 9 septembre 1983, p. 16-18.
7 Cf L'Observateur, n° 2550, Ouagadougou, 16 mars 1983, p. 9.
75
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBELA

Pyongyang en Corée du Nord où le président Kim Il Sung lui offrit le


pistolet à crosse d’ivoire qui ne le quittait plus.
103- Face au dynamisme et à la personnalité envahissante du premier
ministre, le chef de l’État essaya de desserrer l’étau autour de lui. Il en-
treprit un périple qui le mena du 18 au 26 avril 1983 successivement au
Togo, au Ghana, au Bénin et au Niger. Le président ivoirien Félix Hou-
phouët-Boigny aurait refusé de le recevoir. Selon J.-B. Ouédraogo, c’est
parce qu’il était souffrant. La réalité semble-t-il, c’est que Houphouët pour
le recevoir, aurait exigé au préalable que les Libyens fussent mis dehors.
104- En fin avril 1983, le colonel Kadhafi était en visite au Nigeria et
au Bénin. De Cotonou il fit savoir son intention de se rendre au Burkina.
Ainsi, le samedi 30 avril 1983, vers 18h 40, Kadhafi arrivait pour la pre-
mière fois dans le pays pour « une visite de travail et d'amitié » de deux
jours. À son arrivée il déclara que « La Haute-Volta est notre second
pays.» Il expliqua qu'après son séjour au Nigeria et au Bénin il avait
souhaité apporter à la « révolution voltaïque » le salut et le soutien du
peuple libyen. Jusque-là, dans le discours officiel, on ne parlait pas de
révolution. Par sa visite improvisée et en lâchant le mot, peut-être
sciemment, peut-être instinctivement, Kadhafi contribua à la radicalisa-
tion de chacun des deux camps au sein du C.S.P. Il n’est peut-être pas
inutile de rappeler qu’à l’époque, le colonel Kadhafi était surtout connu
pour son soutien aux groupes terroristes dans leurs actions contre
l'Occident taité d’impérialiste, contre Israël dont les pays arabes contes-
taient l’existence et aussi pour sa tendance à vouloir à tout prix exporter
l'islam et la révolution libyenne. D’où la méfiance, voire la crainte que
beaucoup de dirigeants et d’hommes politiques africains éprouvaient à
son endroit.
105- Kadhañ reçut un accueil des plus chaleureux et des plus grands
jours. Ce fut l’occasion pour la mission diplomatique libyenne à Ouaga-
dougou de distribuer à profusion des exemplaires du Livre vert qui prô-
nait une prétendue troisième voie qui prétendait se distinguer du capita-
lisme et du socialisme et qui était la doctrine officielle de la révolution
libyenne. À Ouagadougou, Kadhafi aurait tenu des propos peu cordiaux
contre le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny et son régime ; pro-
pos qui auraient été censurés. [1 aurait aussi appelé à la révolution. Le
76
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBELA

communiqué final qui fut adopté le 1° mai 1983 dit que « Les deux par-
jies se sont également mis d'accord pour créer une grande commission
mixte de coopération, une banque commune et une société agricole
mixte. » Il y est dit également que « le frère colonel Moammar El Kadha-
fi a confirmé que la Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste se
tient aux côtés de la révolution et du peuple voltaïque. »
106- Par la suite certains prétendront que Kadhafi était venu à Ouaga-
dougou sur invitation du premier ministre Thomas Sankara et à l’insu du x
chef de l’État Jean-Baptiste Ouédraogo""?. Pourtant, peu de temps après,
Jean-Baptiste Ouédraogo avait lui-même donné sa version des faits. « La
réalité, avait-il dit, c'est que pratiquement tout le monde a été mis devant
le fait accompli en ce qui concerne la visite de Kadhafi. Puisque c'est
moins de vingt-quatre heures avant que nous avons été saisis. Personnel-
lement j'ai cru que c'était une visite qui avait été préparée mais il semble
que tel n'avait pas été le cas. Un fait est certain, tout le monde a été pris
au dépourvu%, » Dans une conférence de presse donnée le 22 août 1983,
peu de temps après l’avènement de la Révolution, Sankara démentira
formellement avoir préparé en secret la venue de Kadhafi.
5- La chute du C.S.P.-I
107- Ilest difficile de mettre le gouvernement français hors de cause
dans la chute du régime du C.S.P.-L. Après le second meeting tenu à Bo-
bo-Dioulasso le 14 mai 1983, tout est allé relativement vite. Le 16 mai
1983 dans la nuit, Guy Penne, alors conseiller spécial aux Affaires afri-
caines du président socialiste français François Mitterrand, arriva à Oua-
gadougou par avion spécial et choisit d'atterrir discrètement à la base
aérienne de l’armée au lieu d’atterrir à l’aéroport international. Il ne fit
aucune déclaration et refusa de recevoir les journalistes. Dans la nuit du
16 au 17 mai 1983, sur instruction du chef d’état-major, le colonel Yo-
rian Gabriel Somé, les véhicules blindés du capitaine Jean-Claude Kam-

1 C'est ainsi qu'avait été créée la Banque arabe libyènne burkinabè (B.A.LI.B.) qui
allait devenir la Banque commerciale du Burkina (B.C.B.)
19 C'est le point de vue de S.-A. Balima. Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire des
peuples du Burkina Faso, op. cit., p. 342.
0 Cf. n, n° 781, Ouagadougou, 3 juin 1983, p. 8. -Jean-Baptiste
Ouédraogo, “Contribution à propos de trois dates historiques”, op.cit., p. 272.
77
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de FAMBÈLA

X boulé firent mouvement. Peu de temps après le premier ministre Thomas


Sankara était arrêté de même que le secrétaire général du secrétariat per-
manent du C.S.P., le commandant Boukary Jean-Baptiste Lingani. Dans
l’après-midi du 17 mai, Sankara était intemé à Ouahigouya et Lingani à
Dori.
108- Le capitaine Henri Zongo et ses hommes furent encerclés par les
blindés au camp Guillaume Ouédraogo jouxtant la Place du 3 janvier. 1
refusa néanmoins de reconnaître le fait accomplit et se dit prêt à se battre.
Les quartiers environnants furent déclarés zones de hauts risques. C’est dans
ces moments critiques que, contre toute attente, Henri Zongo fut rejoint dans
son réduit par le lieutenant Boukary Kaboré, celui-là même qui, plus tard,
devenu capitaine, sera surnommé Le Lion du Bulkiemde!*! et qui, à partir du
15 octobre 1987, se rebellera contre les assassins de Thomas Sankara. Le
chef de l’État Jean-Baptiste Ouédraogo fut également encerclé dans sa rési-
dence vers quatre heures du matin. Mais très vite il se rallia aux hommes
forts du moment qui le maintinrent à son poste, sans doute pour une question
de stratégie. Des principaux dirigeants du C.S.P., seul le capitaine Blaise
Compaoré qui avait prolongé son séjour à Bobo pour des affaires privées
semble-t-il, parvint à échapper aux putschistes. Il réussit à rejoindre le
Centre national d’entraînement commando (C.N.E.C.) de P6 pour prendre la
tête de la résistance que le sous-officier Tibo Ouédraogo avait déjà com-
mencé à organiser.
109- Dans sa rébellion, le capitaine Henri Zongo avait bénéficié de la
bienveillance du commandant du camp, le lieutenant-colonel Nobila Di-
dier Tiendrebéogo, qui n’avait pas voulu le faire arrêter et qui lui laissa le
choix de se joindre au détachement des commandos de Pô qui était basé
au camp Guillaume Ouédraogo. Il semblerait que ladite rébellion aurait
suscité des inquiétudes dans les rangs des partisans de Sankara qui ont
craint que cela ne servit de prétexte aux nouvelles autorités pour solliciter

V1 Lire Boulkiemdé. Rappel : Dans l’écriture de la langue more, l’accent aigu n'existe pas
et le # se prononce ou.
Boukary Kaboré a expliqué pourquoi il était ainsi appelé. Le bataill ait pris
le lion comme symbole parce que celui-ci est plein de force et de sagesse et il ést le roi de
la brousse. Le chef du bataillon était donc appelé le lion et le reste de la troupe était consti-
tué de lionceaux. Cf. Le Quotidien, n° 1302, Ouagadougou, 3 mars 2015, p. 6.
À 78.
X, de 15 ue. À
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

l'intervention des troupes françaises basées en Côte d’Ivoire. Toujours


est-il que dans l’après-midi du 17 mai 1983, après d’intenses négocia-
tions, Henri Zongo finit par se rendre avec ses hommes après avoir obte-
nu la garantie de leur sécurité. Une fois assurées d’avoir les choses en
main, les nouvelles autorités organisèrent, dans la journée même du 17
mai 1983, une réception pour Guy Penne à l’hôtel Silmandé alors le plus
grand et le plus luxueux de Ouagadougou. Lui qui, à son arrivée très dis-
crète n'avait voulu faire aucune déclaration, devint subitement très pro-
lixe et très généreux. Il remit au chef de l’État une invitation à se rendre
en France et annonça une aide de vingt et un milliards de francs CFA. Ce
qui à l’époque était loin d’être négligeable. Le gouvernement français
livra également des armes au nouveau régime. Guy Penne semble donc
avoir été au centre des événements du 17 mai 1983 qui ont abouti à la
chute du C.S.P.-L.1?

152 Sur la participation probable du gouverement français au coup d’État du 17 mai 1983, voir :
- René Otayek, “Le changement politique et constitutionnel en Haute-Volia”, Année
e 1983, Paris, Pedone, 1985, p. 93-94.
ictoria Brittain, “/ntroduction to Sankara & Burkina Faso”, Review of African Po-
litical Economy, n° 32, Baltimore, avril 1985,p. 44.
Dans “Basse pression sur la Haute-Volta”, Le canard enchaîné, hebdomadaire
français du 1° juin 1983 révèle que Guy Penne avait déclaré à des journalistes le 14 mai
à Paris qu’il se rendrait à Ouagadougou renverser le capitaine Sankara. Dans ce sens
voir aussi Africa Confidential, n° 12, Londres, 1983, p. 7-8.
Selon Ahmed Malainine, représentant du Front Polisario au Bénélux, Guy
Penne se trouvait également à Nouakchott la veille du coup d’État qui a renversé le
lieutenant-colonel Ould Haïdallah le 12 décembre 1984 en Mauritanie. Cf. Pierre En-
glebert, La révolution burkinabè, Paris, L'Harmattan, 1986, p. 75.
. Dès lé 17 mai 1983, l'ambassadeur de France, Gaston Boyer, rencontrait te chef de
l'État J.-B. Ouédraogo pour lui prodiguer ses encouragements et ses conseils. Le 20 mai
1983, la France commençait ses livraisons d'armes au nouveau régime. Cf. Babou Paulin
Bamouni, Burkina Faso - Processus de la Révolution, Paris, L'Harmattan, 1986, p. 87.
Après | inat de Thomas Sankara, Guy Penne deviendra l’un des proches amis
de Blaise Compaoré. Il tentera de démentir toute participation de sa part aux événements du
17 mai 1983 en ces termes : «… si j'avais eu personnellement à intervenir, je ne me serais
pas trouvé bêtement à Ouagadougou ; j'aurai pu faire agir des gens moins bruyants que
moi, » CF. Le Pays, n° 3501, Ouagadougou, 15 novembre 2005, p. 19.
Pour Jean-Baptiste Ouédraogo, l’arrivée de Guy Penne à Ouagadougou était prévue
et annoncée déjà des deux côtés. Sa coïncidence avec les événements du 17 mai 1983 serait
79
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

D) LE CS.P.-II
110- Après l’éviction du premier ministre, le chef de l'État qui avait.
fait allégeance aux auteurs du putsch restait seul à bord à la tête de l’État, -
Il lui fallait donc expliquer et justifier ce qui venait de se passer. Le 17.
mai 1983 à 13h, dans une déclaration diffusée sur les ondes de la radio.
nationale, le président Ouédraogo annonça que « Depuis un certair
temps, des divergences se sont fait jour au sein du Conseil de salut du
peuple qui menaçaient de se cristalliser en des oppositions de clans mi.
nant dangereusement l'autorité de l'État. » C’est pourquoi « le Conseil
de salut du peuple a décidé d’écarter de son sein tous ceux qui œuvraient
à le faire dévier de sa voie initiale par des comportements, déclarations |
et agissements tout aussi démagogiques qu'irresponsables\*,. » |
111- L'exercice du chef de l'État ne semble pas avoir convaincu. Le 209
mai, sous l'impulsion de la LILPA.D. notamment, par centaines, des |
élèves et étudiants de la capitale étaient dans les rues au cri de « Jean- |
Baptiste au poteau ! Libérez Sankara ! » La ville se retrouva dans la pa- |
ralysie. En peu de temps, Sankara avait su gagner la confiance d’un
grand nombre de ses concitoyens et son éviction subite après une si brève |
période avait fait de lui un mythe. Pour essayer de maîtriser la situation, |
le 21 mai il fut procédé à de nouvelles arrestations dans les rangs des |
partisans de l’ancien premier ministre. Le 22 mai les partisans du nou-
veau régime tentèrent également une contre-manifestation sans beaucoup
de succès. Partis de la Place du 3 janvier, ils se rendirent à la Place de la
Présidence* pour remettre une motion de soutien au chef de l’État, Des
affrontements eurent lieu avec les partisans de Sankara sortis pour trou-
bler ladite manifestation et réclamer la libération de leur héro.

un pur produit du hasard. Cf. : -J.-B. Ouédraogo, “Contribution à propos de trois dates his-
toriques”, op. cit., p. 278. -Bendré, n° 394, Ouagadougou, 5 juin 2006, p. 10.
Pour Sankara en revanche c’est « Guy Penne qui nous a fait mettre les chars
entre nous. [..] Cette affaire était préparée de longue date. Nous avons saisi la France
pour la prévenir du coup qui se préparait. » Cf. Bruno Jaffré, Biographie de Thomas
Sankara - La patrie ou la mort..., Paris, L'Harmattan, 1997, p.260.
Guy Penne est décédé le 25 juillet 2010 à l’âge de 85 ans.
1% Cf. L'Observateur, n° 2592, Ouagadougou, 18 mai 1983, p. 12.
Il s’agit de l'actuel premier ministère. Une nouvelle présidence a été construite au
sud de la ville à “Ouaga - 2000”, dans le village traditionnel de Kosyam.
80
Thomas SANKARA et la Révolution aw Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Lu À l’Assemblée générale du 23 mai 1983 de ce qui restait du


C.8.P., Jean-Baptiste Ouédraogo proposa sa démission, conscient que les
choses lui échappaient. Elle fut rejetée pour une question d’opportunité.
La tension devenait de plus en plus intenable. Le colonel Somé, chef
d'état-major de l’armée, était à tel point contesté que le 25 mai 1983, le
président Ouédraogo dut le décharger de ses fonctions pour le nommer
secrétaire général du Comité de défense. À sa place fut nommé le colonel
Yaoua Marcel Tamini qui était son adjoint. Pour débloquer la situation,
l'ambassadeur de France de l’époque, Gaston Boyer, proposa au chef de
l'État de prendre des mesures d’apaisement.
113- Dans un message à fa nation du 27 mai 1983, le président Oué-
draogo annonça le retour immédiat des militaires à la caserne, la libéra-
tion des militaires et civils détenus pour des raisons purement politiques,
l'élaboration d’un avant-projet de Constitution dans un délai de six mois.
C’est dans ce contexte que Thomas Sankara et Jean-Baptiste Lingani ont
été discrètement libérés le 30 mai. Sa libération n'avait pas été annoncée,
néanmoins, de bouche à oreille, le petit peuple de Ouagadougou apprit la
nouvelle et la foule venue l’acclamer chez lui était telle qu’un des murs
d'enceinte s’écroula. Le 9 juin, Sankara fut assigné en résidence surveil-
lée chez lui pour, a-t-on dit, sa propre sécurité. L’engouement des popu-
lations qui se rendaient chez lui fut tel que le pouvoir avait pris peur. Des
mesures d’élargissement furent prises aussi en faveur des dignitaires de
la HT° République et du C.M.R.P.N. Une ordonnance du 31 mai 1983
accorda une amnistie pleine et entière à l’ancien président Maurice Ya-
méogo. Dans cette euphorie, Maurice Yaméogo décida de faire une dé-
monstration de force pour marquer son soutien au chef de l'État, Il an-
nonça une grande marche qui partirait de Koudougou sa ville natale, jus-
qu’à Ouagadougou, soit sur une distance de près de cent kilomètres. La
nouvelle provoqua une certaine excitation dans la capitale. Les partisans
de Sankara prirent la résolution d’accueillir, à l'entrée de la ville, les
éventuels marcheurs par des jets de pierres et des coups de bâton. Pour
éviter toute escalade, la marche fut annulée. À la suite de l’Assemblée
générale tenue du 13 au 16 juin 1983, la mesure confinant Sankara en x
résidence surveillée fut levée le 16 juin.

81
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

114- Le président Ouédraogo n’avait aucune maîtrise de ce qui restait


du C.S.P. Il était préférable pour lui de s’en débarrasser. Dans son mes-
sage à la nation du 27 mai 1983 il déclarait que « Le retrait des militaires.
de la scène politique passe par la dissolution des instances du Conseil de
salut du peuple : Assemblée générale, Secrétariat permanent, Commis.
sion de contrôle. » De fait, ces instances n’existaient même plus,car,. dès
l'arrestation du premier ministre, elles avaient cessé de fonctionner. Le
C.S.P. n'existait donc plus. Néanmoins, J.-B. Ouédraogo se proclamait
toujours président du C.S.P. sans pouvoir lui-même en définir les con.
tours exacts ; se contentant de dire que le « président du Conseil de salus
du peuple qui reste chef de ‘État aura recours chaque fois que les cir=
constances le dicteront, à la concertation avec les militaires de tous
grades et de toutes conditions dans les formes réglementaires. » Tout
cela pour dire que ce qu’il continuait d’appeler C.S.P. n’était plus qu’une
coquille vide. Il se retrouvait face à l’exercice solitaire du pouvoir.
115- Retranché à P6, dans le sud du pays, à la frontière avec le Ghana,
le capitaine Blaise Compaoré organisait la résistance militaire. À son
appel, beaucoup de citoyens le rejoignirent. [1 dut en limiter le nombre et
rassurer ceux qui n'avaient pu se faire enrôler. Des étudiants avaient
abandonné les cours pour rejoindre la résistance. Mais le plus souvent ils
n'étaient pas acceptés. Il leur était plutôt demandé de collecter les rensei-
gnements pouvant être d’une certaine utilité pour les rebelles. La mission
diplomatique libyenne à Ouagadougou se révéla très active aux côtés des
partisans de Sankara. Le chargé d’affaires de la Libye, Ibrahim O. Elha-
mani, fut expulsé pour subversion. Il appelait en effet les soldats à se
replier à Pô ou au Ghana afin de bénéficier du soutien de la Libye. En
outre, il s’était rendu au meeting de Bobo-Dioulasso alors que le corps
diplomatique n’y avait pas été convié. Toujours à l’instigation de la Li-
bye, une radio dénommée La voix de la Révolution voltaïque commença
à émettre depuis Bardaï dans le nord du Tchad en direction de la Haute-
Volta. D’aucuns prétendent qu’au cours de cette période, des Voltaïques
seraient partis recevoir une formation militaire en Libye. Ce qui n’est pas
contestable c’est que le colonel Kadhafi de Libye et le capitaine
d’aviation John Jerry Rawlings du Ghana ont chacun joué un rôle très
important en faveur de la résistance. C’est notamment par le Ghana que

82
Thomas SANKARA et la Révoïution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentté
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

jes armes fournies par la Libye parvenaient à P6 et c’est du territoire


ghanéen que les émissaires de Compaoré partaient pour Tripoli.
116- Au cours du meeting organisé à Bobo-Dioulasso le 11 février 1984 à
l’occasion de la visite officielle du président Rawlings au Burkina du 10 au
12 février 1984, Sankara a lui-même révélé l’importance de l’apport du
Ghana à la résistance et à l’avènement de la Révolution. Parlant de Rawlings
il dit: «… Des contacts nombreux, fréquents mais clandestins ont existé
entre lui et nous depuis fort longtemps, mais essentiellement après le 17
mai. C'est lui qui a été l’un des rares chefs d "État à croire encore à la pos-
sibilité pour la Haute-Volta révolutionnaire de continuer sa lutte. Il a osé
nous soutenir de toutes ses forces, de toutes ses forces militaires, politiques
et diplomatiques. Il a osé combaitre lui-même, personnellement à nos côtés,
nous assistant de ses conseils, de son soutien efficace, de ses analyses clair-
voyantes ef nous avons effectué des voyages nombreux au Ghana dans la
clandestinité … Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois avec Jerry John
Ranwlings. Malgré les pressions diverses qui pesaient contre lui, malgré les
menaces, malgré les chantages, Rawlings n'a jamais cédé et il a tout mis en
œuvre pour que la Révolution triomphe en Haute-Volta. I a osé sacrifier
une partie du Ghana pour la Haute-Volta … C'est pourquoi nous disons que
Rawlings est un des nôtres. Lui aussi a lutté, lui aussi est propriétaire
come nous de ce 4 août. »
117- Le régime de Jean-Baptiste Ouédraogo était dans une précarité
totale. Dans son message du 27 juin 1983, il déclarait que « L'appareil de
l'État est aujourd’hui grippé.» C’était pour traduire la paralysie générale
auquel était confronté l’appareil d’État. Dans l’administration tout fonc-
tionnait au ralenti. Le gouvernement formé après l’éviction de Sankara
n'avait aucune autorité réelle. Du côté de l’armée les dysfonctionnements
étaient encore plus palpables. Trois des gardes du corps du président
l’abandonnèrent pour se réfugier au Ghana avec armes et bagages. Le
président dut lui-même le reconnaître lors d’une conférence de presse le
28 juin 1983. Des missions de négociation avec les éléments de Pô con-
duites soit par le lisutenant-colonel Didier Tiendrebéogo, soit par le com-
mandant Amadou Sawadogo n’aboutirent pas. Le 8 juin puis le 16 juin, la
résistance parvint à faire exploser deux soutes à munitions à Ouagadougou.

83
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KVÉLEM de TAMBÈLA

régime du président Ouédraogo.


118- Une note des renseignements généraux du 25 juillet 1983 men.
tionnait que Sankara, accompagné d’un officier libyen, avait traversé Ja.
frontière ghanéenne le 23 juillet à quatre heures du matin pour se rendreà,
Bolgatenga où il aurait eu une entrevue secrète avec le président gha-
néen, le capitaine d'aviation Rawlings. Or, à l’époque, officiellement, la.
frontière entre les deux pays était fermée. La même source signalait des
mouvements de camions qui, de nuit, faisaient des va-et-vient entre le’
C.N.E.C. de Pô et Paga, la ville frontière du Ghana, de même que des
mouvements inhabituels d’avions de tourisme à l’aérodrome de Paga qui,
d’ailleurs, venait d’être modernisé. Elle notait également une intensifica.»
tion des entraînements des commandos de Pô.
119- Le colonel Somé, naguère chef d’état-major de l’armée, n’arrivait
plus à se faire obéir. Il proposa en vain un plan d’attaque de la garnison de.
Pê avec l’appui du Bataillon d'intervention aéroporté (B.L.A.) de Bobo-*
Dioulasso sous les ordres du commandant Amadou Sawadogo, et aussi un
mouvement d'officiers pour relever ceux de P6. Les officiers désignés pour
ces tâches refusèrent d’obtempérer. Pour tester la réaction de l’armée, simu-.
lant une attaque surprise, par deux fois le colonel Somé fit sonner le clairon.
de rassemblement autour de deux heures du matin. Les officiers ne répondi-
rent pas à ces appels. Bien au contraire, en entendant le clairon, certains.
d’entre eux auraient chaque fois quitté clandestinement la capitale pour ne
pas avoir à se battre contre les commandos de P6 que tout le monde redou-
tait. Pour remobiliser l’armée, le président Ouédraogo proposa le poste de
chef d'état-major à deux officiers qui tous, déclinèrent l'offre. La Révolution
était déjà pratiquement en marche. |

* # |

84
Chapitre IV
L’avènement de la Révolution
L'esclave qui n’est pas capable d'assumer sa révolte ne mérite pas que
l'on s'apitoie sur son sort.
Thomas Sankara

120- Le 4 août 1983, la journée a commencé puis s’est déroulée comme


un jour ordinaire à Ouagadougou. Le soir à 20h, comme toutes les veilles
du 5 août! 5, le chef de l’État d’alors, —.-B. Ouédraogo, a adressé un mes-
sage à la nation dans lequel il essayait de rassurer les citoyens. Aux envi-
rons de 21h, des crépitements répétés déchirèrent brusquement le silence
qui, peu à peu, s’emparait de la ville, On aperçut çà et là des balles tra-
çantes illuminer le ciel. Les commandos de Pô étaient entrés en action. Peu
de temps après, là-bas, dans un des quartiers populaires, des cris d’enfants
auxquels se mélaient ceux des jeunes et des noctambules se firent en-
tendre. Des instants après, la radiotélévision voltaïque (R.T.V.) interrompit
ses émissions. Par la suite, la voix de Thomas Sankara se répandit à travers
jes ondes. Le moment est historique, il marque l'avènement de la Révolu-
tion. Le lendemain $ août, une marche de soutien au nouveau régime révo-
lutionnaire fut organisée. Ce fut l’occasion pour les partisans de Sankara
de se répandre dans les principales artères de la capitale avec parfois des
banderoles proctamant : « Sankara notre leader. » Quand il rejoignit la
foule à la Place du 3 janvier qui était le point de ralliement, Sankara fut
porté en triomphe.
121- Dans les jours qui suivirent, avec lucidité, M. Zangbé écri-
vait : « Camarades, la Révolution voltaïque est née. Elle a enfin vu le jour.
Glorifions la ; chantons la ; magnifions la mais attachons doublement nos
ceintures, armons-nous de courage et de lucidité car la Révolution est exi-
geante. La lutte, la véritable lutie ne fait que commencer. Ilne s'agit pas
en suivistes de crier “Révolution” sur le bout des lèvres alors que secrè-
tement on souhaîte la mort de la Révolution. Il faut être franc, il faut être

1 Rappel : Le 5 août 1960 la Haute-Volta proclamait son indépendance.


85

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

sincère, il faut croire à la Révolution et cela, fermement" 6,» Avec prémo..


nition il poursuivait : « L'idéal serait que la Révolution voltaïque soit une
entreprise historique qui se consolidera de génération en génération ef
non une expérience”. » Son vœu ne fut pas exhaussé.et la Révolution à
laquelle il avait tant aspiré et qu’il venait de voir naître n’allait durer que
quatre ans, le temps de vie qui restait à Thomas Sankara.
Quelles peuvent être les raisons qui ont pu motiver Sankara et ses parti.
sans à œuvrer pour l'avènement de la Révolution (1) et quelles sont les
circonstances dans lesquelles la Révolution est intervenue (IL) ? La ré.
ponse à ces questions peut permettre de mieux comprendre le mouve-
ment du 4 août 1983.
E Les causes de l'avènement de la Révolution
Les causes de l’avènement de la Révolution sont à la fois historiques (A),
économiques et sociales (B) et politiques (C).
A) LES CAUSES HISTORIQUES DE LA RÉVOLUTION
La conquête du territoire qui allait s’appeler la Haute-Volta à entraîner la
déstructuration de la société (1). Par la suite, fait unique dans l’histoire de
la colonisation, le territoire de Haute-Volta sera démantelé (2) avant
d’être reconstitué des années plus tard (3).
1- La déstructuration de la société du fait de la colonisation
122- Le pays moaga était connu pour la solidité de ses institutions et
pour son habileté guerrière. La colonne des lieutenants Voulet et Cha-
noine charger de le conquérir détenait ces informations des missions de
reconnaissance que la France avait déjà envoyées sur le terrain. Pour
réussir la mission avec le moins de perte possible, Voulet et Chanoine
employèrent tous les moyens y compris les plus cruels et les plus bes-
tiaux ; de sorte que la conquête du Môgho fut d’une atrocité particulière.
Un témoin raconte l’arrivée des conquérants à Koupéla : « Voulet et ses
soldats étaient arrivés à Koupéla au cours d'un jour, (c'était le 5 février
1897) qui était le jour où se tenait le grand marché. Il y avait une foule

156 Cf. Mamadou Zangbé, in Haute-Volta “Ouindiga”, n° 437, Ouagadougou, s.d., p. 6.


187 Th:
Ibid., p. 7.
86
A
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

énorme de gens qui vaquaient à leurs affaires, ou qui étaient de simples


padauds. Les prenant sans doute pour üne armée indigène de résistance,
destinée à lui barrer la route de Tenkodogo, sans sommation aucune,
Voulet ordonna : “Feu à volonté” !
Ce fut un épouvantable massacre de femmes, d'hommes, d'enfants et
de vieillards, sans armes qui, en moins de temps qu'il ne faut pour compter
jusqu ‘à treize, trépassèrent sans savoir pourquoi, » Voulet, semble-t-il,
faisait achever ses porteurs trop exténués pour pouvoir aller plus loin avec
leurs charges. Lui et ses soldats confisquaient les plus belles femmes, par-
taient avec elles et on ne les revoyait plus jamais!®.
123- Après la conquête sanglante"? le territoire fut soumis à la poli-
tique coloniale d’exploitation. L'impôt de capitation!! dont le taux ne
cessait d'augmenter et les travaux forcés entraînèrent une émigration
massive vers le Ghana d’abord et la Côte d’Ivoire ensuite. Sur le plan
économique, seul ce qui pouvait satisfaire les intérêts du colonisateur
était entrepris. Pendant qu’une bonne partie de la population souffrait de
sous-alimentation, les cultures de rente comme le coton et l’arachide
étaient encouragées au détriment des cultures vivrières. Au lendemain de
Ja première guerre mondiale, la pénurie du coton sur le marché européen
amena les opérateurs économiques français à encourager particulièrement
la culture du coton en Afrique occidentale française (A.O.F.) et notam-
ment au Haut-Sénégal-Niger (Mali, Burkina, Niger)!® . Bien avant cette
période, l’Association cotonnière coloniale (A.C.C.) avait été créée dès
1903 à l’image de la British Cotton Growing Association (B.C.G.A.)
fondée en 1902 par la chambre de commerce de Manchester. En 1924
elle établit ses bureaux à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et Dédougou.

15 C£ Salfo-Albert Balima, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, op. cit, p. 149.
19 C£ Ibid., p. 150.
150 Dans ce sens, voir aussi Sophie Dulucq, “Émile Dussaulx. Entre conquête et “pacifi-
cation” (janvier-juiller 1898) : un éclairage inédit sur l'histoire des pays voltaïques”, in
Yénouyaba Georges Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de -), Burkina Faso —
Cent ans d'histoire, 1895-1995, Paris, Karthala, 2003, t.1, p. 564-567.
161 C'est seulement à l'avènement de la Révolution que cet impôt sera supprimé le 1%
octobre 1984.
12 Sur ce sujet voir Jean-Yves Marchal et L. Wilhelm, “L ‘expansion industrielle de Boussac et
l'exploitation coloniale”, Le Monde diplomatique, Paris, novembre 1978, p. 15.
87
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Le colonisateur va alors organiser toute la vie de la colonie de Haute.


Volta (créée en 1919) autour de la culture du coton. Une circulaire du 25,
janvier 1924 du gouverneur Hesling destinée aux commandants de cercle
donne l’ordre de semer du coton!®. Un arrêté général du 6 mars 1924 et
une circulaire du gouvernement général de l’A.O.F. organisent ensuite a!
production du coton non irrigué et posent les principes généraux de la
politique cotonnière à suivre!
124- Le 28 février 1928, dans une lettre adressée au gouverneur de Ja
Haute-Volta, Robert Boussac, administrateur de l’Association cotonnière
coloniale délégué à Ouagadougou suggère « de faire faire à l'indigène, en
plus des plantations de coton, des plantations d'un produit supplémentaire
qui ne peut être autre que l'arachide.. » Dans le cercle de Kaya, la produc-
tion d’arachide commercialisée passe ainsi de cent tonnes en 1937 à sept
cent tonnes en 1939 et mille deux cent tonnes en 1940. Pour favoriser
lPexportation du coton, R. Boussac alla jusqu’à préconiser l'interdiction aux
indigènes la fabrication des bandes de coton pour leur usage domestique.
Dans son rapport n° 36, l'inspecteur des colonies Bernard Sol écrit en
1931: « Nous pouvons. déclarer sans crainte d'erreur. que les exigences
de l'Administration locale ont nuï… aux cultures vivrières nécessaires à la.
vie du pays et ont, par la suite, une part de responsabilité dans les disettes
qui le désolent périodiquement. »

1? La circulaire dit : « La culture du coton doit être intensifiée le plus possible afin
d'augmenter dans la plus large proportion la part de la récolte non nécessaire à la
consommation locale et, par suite, disponible pour l'exportation. Je laisse à votre ini-
fiative et à voire appréciation le choix des meilleurs moyens à adopter pour atteindre
ces résultats avec l'assistance des chefs. Je vous recommande de tenir la main à
l'application de cette mesure, qu'il est de l'intérêt des indigènes d'accepter sans y faire
obstacle par leur insouciance ou leur routine. »
"La circulaire n° 951 du 28 avril 1924 adressée aux “commandants de cercle” dis-
pose : « L'intérêt général exige une production poussée à l'extrême limite de ses possi-
bilités. [...] Dans ces conditions, en appelant la population de votre cercle à développer
ces cultures ef en exerçant sur elle toute pression nécessaire, vous agissez en tuteur
avisé et autorisé, en conséquence, à exiger l'effort demandé. »
15 C£ Alfred Schwartz, “La politique cotonnière du gouverneur Hesling ef la disloca-
tion de Ta colonie de Haute-Volta en 1932. Et si l'inspecteur Sol s'était trompé ?” in
Vénouyaba Georges Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de -}, Burkina Faso —
Cent ans d’histoire, 1895-1995, Paris, Karthala, 2003, t.2, p. 1298.
88
0

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

125- Le bilan social de cette politique est dressée en 1932 par Albert Sar-
rault, ministre des Colonies, dans une lettre adressée au gouverneur général
de l'AO.F. : « La mission d'inspection qui, en 1931, a enquêté en Haute-
Volta a constaté que les efforts de l'administration locale pour intensifier la
production des matières naturelles susceptibles d'une utilisation industrielle
avaient abouti, par voie de conséquence indirecte, à faire négliger les cul-
tures vivrières indispensables à la subsistance des indigènes.
Le résultat de cet état de fait, … a été d'augmenter en nombre et
en durée les disettes partielles qui sévissent, d'une manière en quelque
sorte endémique, dans les régions considérées, »
126- Pendant la période coloniale, seuls les secteurs économiques répon-
dant à l'attente du commerce international bénéficiaient de crédits
d'investissement. Au lendemain de l'indépendance par exemple, il ÿ avait
principalement deux usines de transformation des produits agricoles du cru :
coton et arachide. Le coton est destiné à la Compagnie française pour le déve-
loppement des fibres textiles (C.F.D.T.) créée en 1952 et qui deviendra suc-
cessivement la Société voltaïque des fibres textiles (S.V.F.T.) par le décret n°
79/248/PRES/DR du 20 juin 1979 puis la Société des fibres textiles
(SO.FLTEX.). L'arachide et les graines de coton sont destinées à la Compa-
gnie de l’industrie textile et cotonnière (C.LTE.C.) créée en 1940 et qui de-
viendra en 1967 la Société des huiles et savons de Haute-Volta (S.HS.H.V.)
puis la Société des huiles et savons du Burkina (S.H.S.B.). De nos jours en-
core, à lexception du secteur des mines, on ne trouve au Burkina que de pe-
tites usines : brasseries, industries alimentaires, industries du cycle, cimente-
ries, etc. Généralement des succursales de sociétés occidentales qui utilisent la
main-d'œuvre bon marché et font du pays leur arrière-cour. Ces faits expli-
quent en partie Les grandes luttes syndicales qui ont marqué le Burkina depuis
son indépendance ?? et qui s’appuyaient sur la détérioration continuelle des
conditions de vie de la majorité de la population et l'absence de perspective.

16 C£.1.-Y, Marchal et L. Wilhelm, op.cit.


Certains prétendent que la culture du coton n'était pas la cause des disettes mais une
suite de mauvaises saisons dues à une pluviométrie insuffisante. Cf. Alfred Schwartz,
op. cit, p. 1289-1309,
167 Sur les luttes syndicales au Burkina, Cf. Année africaine 1966, Paris, Éd. A. Pedone,
1968, p. 349-350 ; René Otayek, “Le changement politique et constitutionnel en Haute-
89
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

2- Le démantèlement du territoire
127- La politique économique appliquée à la colonie de Haute-Volta
par le colonisateur entraîna la désarticulation de l’économie traditionnelle
et une désorganisation sociale, Pour la culture du coton, des champs col.
lectifs obligatoires furent créés dans les villages à raison de quatre hec-
tares pour cent habitants", La production de coton passa ainsi de trois
cent tonnes seulement en 1923-1924 à six mille tonnes dès 1925-1926.
La culture du coton qui se faisait de façon extensive, presque sans apport
d’intrants et avec des rendements dérisoires de l’ordre de 150 kg/ha eut
pour conséquence des défrichements inconsidérés et un appauvrissement
des sols. Le premier gouverneur de la colonie, Frédéric Charles Édouard
Alexis Hesling (mai 1919 au 31 décembre 1927), entreprit de grands tra-
vaux pour son développement, notamment la construction de routes. Sous
l’autorité de Hesling, six mille kilomètres de routes en terre bordées de
caïlcédrats furent ouvertes. En 1930, le réseau routier était déjà long de
onze mille cinq cent kilomètres. De nos jours ces routes constituent la.
trame du réseau routier du Burkina et les caïlcédrats, à l’exception de
ceux qui ont été malheureusement abattus - sans être remplacés - lors du
bitumage de certaines routes, dominent toujours le paysage environne-
mental du pays. En 1926 quatorze unités mécaniques d’égrenage et de
pressage furent installées. Pour l’exécution de ces travaux, on eut recours
à des recrutements obligatoires et à des mesures coercitives. En outre, le
taux de l’impôt de capitation ne cessait de croître. De moins de 1 franc
métropolitain (F.M.) en 1919, il passa à 3 F.M. en 1921 puis à 8 F.M. en |
1927. Le total des recouvrements passa ainsi de cinq millions de F.M. en l
1920 à 18,274 millions en 1927 pour atteindre vingt-six millions en 1930 |
et trente-six millions en 1932.
|
|
|

Volta”, Année africaine 1983, Paris, Éd. A. Pedone, 1985, p. 86-91 ; C.NR,, Discours |
d’orientation politique, Ouagadougou, 2 octobre 1983, Imprimé en République popu-
laire démocratique de Corée, p. 3- 4.
16% Les champs collectifs furent supprimés par un télégramme-lettre du 31 mars 1930 du |
ouverneur par intérim Chesse adressé aux administrateurs de la colonie. |
& Cf. Pascal Zagré, Les politiques économiques du Burkina Faso - Une tradition
d’ajustement structurel, Paris, Karthala, 1994, p. 34-35. |
90
|
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de FAMBÉLA

128- Pour échapper aux travaux forcés, à l’impôt de capitation et à


l'appauvrissement des sols provoqué par la culture extensive du coton, un
exode massif s’organisa en direction de la Gold Coast (actuel Ghana)! 7°
privant le territoire d’une grande partie de sa population active. Avec
aussi la survenance de calamités naturelles comme la sécheresse de 1925-
1926 et les invasions d’acridiens les années suivantes, la production éco-
nomique s’effondra. À partir de 1927, la colonie ne parvint pas à satis-
faire les besoins du commerce international. Elle fut donc qualifiée de
“erritoire non viable”. En conséquence, par le décret du 5 septembre
1932 avec effet pour compter du 1” janvier 1933, la colonie de Haute-
Volta était supprimée. Le territoire fut réparti entre la Côte d’Ivoire, le
Soudan français et le Niger. La côte d’lvoire bénéficia de la plus grande
partie du territoire. Le pays moaga se trouva ainsi démantelé : le royaume
du Yatenga fut rattaché au Soudan français et les royaumes de Ouaga-
dougou et de Tenkodogo à la Côte d’Ivoire. À la suite de cette disloca-
tion, Ouagadougou perdit son importance au profit de Bobo-Dioulasso
plus proche des deux centres de décision qu’étaient Abidjan et Bamako.
Des services importants s’établirent à Bobo-Dioulasso. Vu l’éloignement
d'Abidjan la capitale, le gouverneur général de l’A.O.F. créa une nou-
velle entité administrative, la Haute-Côte d’Ivoire, constituée du territoire
rattaché à la Côte d’Ivoire!?!.
129- Officiellement, la suppression de la colonie de Haute-Volta a été
justifiée par des motifs économiques. Il est permis de douter du sérieux
d’une telle argumentation dans la mesure où le colonisateur lui-même avait
toujours décrit le territoire comme étant riche et prospère. Le capitaine Par-
fais Louis Monteil qui a parcouru le pays moaga en 1891 écrivait que le
pays connaissait une longue période de paix et de prospérité commerciale.
«La prospérité du Mossi - écrit-il ensuite - est parfaite et remonte certaine-
ment à de nombreuses années. [...} En résumé, le Mossi est un pays riche et
prospère dont la population semble être au minimum de dix à quinze habi-

"# Le phénomène était tel que le régime colonial avait décidé d'établir des contrôles sur
les principales voies menant à la Gold Coast. L’effet fut très limité car les populations
connaissaient des voies de contournement.
11 Ce pays comprenait alors trois zones : la Basse-Côte d’Ivoire, la Moyenne-Côte
d’Ivoire et la Haute-Côte d'Ivoire.
91
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

4, tants par kilomètre carré?» Au moment de la conquête coloniale, le colo.


nel Édgard de Trentinian, alors lieutenant-gouverneur du Soudan français,
décrivait le pays moaga comme étant «une des régions les plus peuplées ep
les plus riches de l'4.O.F.7 » Le 5 novembre 1896, le lieutenant Chanoine
écrivait qu’en pays moaga, « Les champs sont nombreux et bien cultivés.
Chaque village possède des troupeaux de bœufs et de moutons, et un grand
nombre de chevaux. Tout dans le pays montre une vie riche et heureuse".,,
Arrivé à Ouagadougou le 7 juin 1898, le capitaine Gouraud écri-
vait : « Ouagadougou est un important groupe de villages à cases rondes, de
pisé ou de paille, comme dans le vieux Soudan, dispersés dans une vaste
plaine, avec de grandes mares, heureusement giboyeuses. Le pays n'ayant
pas souffert de la guerve, les gens sont mieux habillés. Ils mangent mieux.
On voit des calebasses de riz avec des morceaux de viande que je n'ai ja-.
mais vu au Soudan. On boit partout la bière de mil, de dolo. Les chefs sont
mieux habillés, en bleu foncé rayé ; ils portent à cheval des bottes brodées ;
les chevaux sont caparaçonnés de drap rouge orné de losanges blancs ou
noirs ; leur harnachement de tête est couvert de plaques de cuivre et de clo-
chettes'®.»
130- Pour justifier la création de la colonie de Haute-Volta, le gouver-.
neur général Gabriel Angoulvant écrivait en 1922 : « Au point de vue
économique, la Haute-Volta renferme, du fait de la densité et du carac-
ière de ses habitants, des possibilités de développement considérables,
demeurées à l'état latent et que, seule, l'autonomie administrative et. |
budgétaire, dont elle jouit désormais, peut lui permettre de réaliser". »
Quand ils eurent vent du projet de suppression de la colonie, le mügh
nâäba et ses ministres, dans une lettre du 11 avril 1932 adressée au seul |
député noir de l’époque, le député du Sénégal Blaise Diagne, écri-
vaient : «… a Haute-Volta est une des Colonies qui ressentent moins les |
effets de la crise. |

CES. A Balima, Légendes et histoires …, op. cit. p. 116-117. |


L, pe
Les Ibid. pe 17-18. |
1 C£ Ibid, p. 118. |
Cf S-A! Balima, Légendes et histoires …, op. cit., Annexes, p. CCIV. |
92 |
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

Son budget qui a passé de 5.000.000 en 1920 à 36.000.000 de


francs en 1932 a fait face sans concours étranger, à toutes les dépenses
d'administration et de mise en valeur.
La Haute-Volta n'a fait appel en cas d'insuffisance de ressources
budgétaires qu'à sa propre Caisse de réserve et il semble que sa sup-
pression basée sur gêne financière, ne se justifie pas.
Une telle mesure devait en toute logique atteindre avant tout, des
colonies plus pauvres au double point de vue financier et importance de
la population". »
131- La prospérité du pays moaga avait entraîné une forte démographie.
À la fin du XIX* siècle Louis Tauxier écrivait que le pays moaga « avait 25
habitants par kilomètre carré tandis que chez les Gourounsi voisins, restés
libres, il y a les 5 ou 6 habitants par kilomètre carré de l'Afrique occidentale
en général UB. Dans une lettre du 31 juillet 1896 adressée au ministre des
Colonies, le commandant Destenave évoquait les possibilités « de planter
notre drapeau à Waghadougou et d'installer notre protectorat sur les vastes
et populeuses régions qui forment le cœur de la boucle du Niger et sont ap-
pelées à devenir les tributaires de nos comptoirs du Dahomey et de la Côte
d'Ivoire, de même qu ‘elles alimentent actuellement les marchés du Macina
et de Tombouctou! ”. » Dans sa lettre du 5 novembre 1896 le lieutenant
Chanoine écrivait : « Le Mossi est habité par une population très dense, très
homogène, chez qui la même langue et les mêmes tatouages sont partout en
usage. » Le 1° mars 1919, dans le rapport au président de la République
française sur la création de la colonie de Haute-Volta, Henri Simon, ministre
des Colonies écrivait : « Aussi y a-t-il, à l'heure actuelle, une véritable né-
cessité, tant au point de vue politique qu'au point de vue économique, à ac-
corder à la région la plus peuplée de la colonie [du Haut-Sénégal et Niger]
cette personnalité qui a permis naguère au Haut-Sénégal et Niger lui-même
de trouver dans une administration plus proche l'impulsion qui lui avait
manqué jusqu “alors%, » Pour justifier la création de la colonie de Haute-
Volta, le gouverneur général Angoulvant écrivait en 1922 : «La Haute-

V7 CE lbid., Annexes, p. CCVIL


VE Louis Tauxier, Le Noir du Soudan, Pays Mossi et Gourounsi, Paris, 1912. Cité par
S.-A. Balima, Légendes et histoire …, op. cit., p. 100.
19 Cf. S.-A. Balima, endes et histoires …, op. cit., Annexes, p. LXXXIV.
159 Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoires … op. cit., Annexes, p. CXCVIIE - CXCIX.
93
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Volta a été créée pour satisfaire à des besoins impérieux, à la fois d'ordre
politique et économique.
Cette région de la boucle du Niger est la plus peuplée de toute
notre Afrique Occidentale
"#!, »
132- Les populations vivaient dans une sécurité totale. En 1891, le capi-
taine Monteil pouvait ainsi écrire : « Au milieu des invasions qui ont ravagé
le Soudan au travers des âges, le Mossi semble avoir conservé son indépen-
dance et le caractère très spécial de sa civilisation"®? » En 1912, Louis
Tauxier, administrateur français des colonies, notait au sujet du pays moa-
ga : «Il y avait paix et sécurité intérieure. De plus, le même pouvoir centra-
lisé, qui empéchait l'anarchie nègre, empêchait le pays d'être dévasté par
des conquérants de fortune, par des fondateurs d'empire. Ainsi, tandis que
les Songhay Djermabés dévastaient le Gourounsi, pays de villages indépen-
dants ou de petits cantons, et y fondaient par le fer et le feu un royaume, ils
n'osaient s'attaquer au Mossi, dont ils étaient pourtant voisins, redoutant
les dix milles cavaliers du Moro-Naba...
On était frappé en entrant au pays mossi, de l'absolue sécurité
dans laquelle vivait la population, alors que partout ailleurs la guerre et
la chasse aux esclaves désolaient les villages. Et l’on citait avec envie les
paysans mossi se rendant isolément à leur champ, la pioche sur l'épaule,
alors que partout ailleurs le chef de famille devait avoir nuit et jour ses
armes à portée de la main.» Comme l’a fait remarquer S.-A. Bali-
ma, «Aucun conquérant africain n'avaitnjamais porté victorieusement
des armes contre eux, sur leur propre sol
133- Les Mose connaissaient aussi une civilisation très évoluée. Sur le
pays moaga, Monteil écrivait en 1891: « D'après le jugement que j'en puis
porter, c'est le seul pays où se soient conservées intactes les coutumes d’une
très ancienne civilisation noire - civilisation qui, au cours d'une longue pé-
riode de paix et de prospérité commerciale, s'est affinée et a perdu le carac-

'SUC£ Ibid., Annexes, p. CCIIL.


18 C£ Ibid, p. 115.
18 Louis Tauxier, Le Noir du Soudan, Pays Mossi et Gourounsi, Paris, 1912. Cité par
Titnga Frédéric Pacéré, Ainsi on a assassiné tous les Mossé, Ouagadougou, Fondation
Pacéré, 1994, p. 93-94.
(#18.-A. Balima, Légendes et histoire … op. cit. p. 119.
94
1
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYËLEM de TAMBÈLA

ière de sauvagerie qu'il est de légende d'attribuer aux institutions


noires®, » Louis Tauxier quant à lui écrivait en 1912 : « J} faut noter soi-
gneusement celte existence d'une aristocratie dans le Mossi L.] 1 y a un
degré de complication et de développement social supérieur ici, en un mot,
un degré supérieur de civilisation. [...] J'ai vu un chef suprême, une hiérar-
chie de chefs soigneusement établie, une classe de nobles jouissant de
grands privilèges, telle était la superstructure constituée par ! ‘État mossi.
[..] Somme toute, les Mossi étaient entrés dans la voie des états (sic) policés
et représentaient un état supérieur de civilisation.»
Il est donc difficile de croire qu’un territoire qui connaissait une prospéri-
té relative, une forte démographie, une sécurité à l’intérieur et à
l'extérieur de ses frontières et une civilisation très évoluée püût être décla-
ré “territoire non viable”.
134- La vraie raison du démantèlement de la colonie est à rechercher
ailleurs. Si l’on en croit F. Guirma, c’est à l’exposition coloniale de 1931
à Vincennes que le démantèlement de la colonie aurait été décidé. Selon
lui, « Les Voltaïques partagent alors, sans distinction d'ethnies, un sen-
timent d'identité culturelle qui inquiète le système colonial", » En outre,
l'ingéniosité et la vigueur des Voltaïques surprennent les autorités colo-
niales qui se convainquent alors de les faire participer directement à
l’exploitation de la Côte d’Ivoire et du Soudan français. Sur le plan agri-
cole, le colonisateur avait entreprit l’intensification des cultures de ca-
féiers et de cacaoyers en Côte d’Ivoire!*. Au Soudan français!#? il y avait
le creusement des barrages de Markala et de Sasanding de même que la
culture du coton et la culture irriguée du riz dans les vallées du fleuve

1 C[. S.-A. Balima, Légendes et histoires …, op. cit. p. 115.


"6 Louis Tauxier, Le Noir du Soudan, Pays Mossi et Gourounsi, Paris, 1912. Cité par
S.-A. Balima, Légendes et histoire …, op. cit., p. 100-101
87, Guirma, Comment perdre le pouvoir ?, op. cit., p. 16.
1 Des le 2 août 1933, par arrêté, le gouverneur Reste créait en Côte d’Ivoire des vil-
lages de colonisation mose. Ces villages portaient parfois le nom de la localité d’origine
des migrants. C’est ainsi qu’on retrouve en Côte d'Ivoire des localités avec des noms
burkinabè : Koudougou, Tenkodogo, Garango, Koupéla, etc.
1 Les conditions de travail au Soudan français, notamment lors de la construction du
chemin de fer Dakar-Bamako, étaient telles que dans la langue des Mose, le terme À
Bamako était devenu synonyme de travaux forcés. 7
95
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBÈLA

Niger lancée par l’Office du Niger!” Pour ces travaux, il fallait une.
main-d'œuvre nombreuse, disciplinée, immédiatement et directement
disponible que seuls le démantèlement et Le rattachement de la colonie de
Haute-Volta aux colonies voisines permettaient de fournir sans tracasse. |
ries administratives. L’exposé des motifs de la proposition de loi du 25.
juin 1947 portant rétablissement de l’autonomie du territoire de la Haute.
Volta dit expressément que dans le démantèlement de la Haute-Volta,.
«Il s'agissait plus précisément d'attacher, au sort de ces territoires, les
pays Mossis, beaucoup plus peuplés, pour recruter plus facilement la
main-d'œuvre nécessaire pour les travaux de l'office du Niger et pour les
cultures industrielles de la Basse-Côte d'Ivoire", »
135- Outre l’exploitation agricole, les grands chantiers de construction.
d’infrastructures avaient également besoin de la main-d'œuvre voltaïque,
Déjà en 1929, dans Terre d'ébène Albert Londres écrivait : « Ainsi, nous
arrivons en Haute-Volta, dans le pays mossi. Il est connu en Afrique sous le
nom de réservoir d'hommes [...] Tout le monde vient en chercher. Lors des
chemins de fer Thiès-Kayes et Kayes-Niger, on fapait dans le Mossi. La
Côte d'Ivoire pour son chemin de fer, tape dans le Mossi. Les coupeurs de
bois montent de la lagune et tape dans le Mossi.» P.-F. Gonidec écrit : « En
AOF, la construction de chemins de fer, de ports, de routes avait amené
l'Administration à recruter d'autorité des travailleurs, parfois à de grandes
distances des chantiers. Notamment, la colonie de la Haute-Volta fournit de
forts contingents aux chantiers de Thiès-Kayes-Niger et du chemin de fer de
la Côte-d'Ivoire”?. » Les Voltaïques ont ainsi contribué à la construction de
pratiquement toute l’A.O.F.
3- La reconstitution du territoire |
136- Les motifs invoqués pour la reconstitution de la Haute-Volta
étaient surtout de récompenser les ressortissants de l’ancienne colonie

19 Dès 1921, le minisire des Colonies, Albert Sarraut, avait en vue des travaux
d'irrigation à partir du fleuve Niger. Le projet de construction de FOffice du Niger fut
l'oeuvre de Jules Brévié, gouverneur général de l’A.O.F. L'Office du Niger fut créé par |
le décret du 5 janvier 1932. Il prit corps le 5 septembre 1932 avec pour siège Ségou. |
11 C£ S.-A. Balima, Légendes et histoires …, op. cit., Annexes, p. CCXXX VIII.
1% Pierre-François Gonidec, Droit du travail des territoires d’outre-mer, Paris, L.G.D.J.,
1958, p. 28-29.
96
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

pour les efforts qu’ils avaient consentis au profit de la métropole pendant


Ja deuxième guerre mondiale. Il s'agissait aussi de remédier aux exac-
tions dont étaient victimes les nombreux travailleurs recrutés en Côte
d'Ivoire. On sait pourtant que la charité et l’altruisme n’étaient pas le
fondement de la politique coloniale. Les vraies raisons de la reconstitu-
tion de la Haute-Volta sont donc à rechercher ailleurs.
137- La contribution des chefs traditionnels, avec à leur tête le môgh
näba, a été déterminante dans la reconstitution de la Haute-Volta. On se
rappelle que dès qu’ils eurent vent du projet de suppression de la colonie,
le môgh nâba et ses ministres avaient écrit une lettre de protestation au
député du Sénégal Blaise Diagne. Quand la colonie fut malgré tout sup-
primée, le môgh näba Kôm II et son successeur Säga Il et les chefs tradi-
tionnels n’ont eu de cesse de réclamer sa reconstitution. Sous leur impul-
sion, des partis politiques comme FUnion pour la défense des intérêts de
la Haute-Volta (U.D.ILH.-V.) et des associations comme la Communauté
du Yatenga ont vu le jour avec pour objectif la reconstitution du terri-
toire. Dans une lettre du 21 juillet 1946 adressée au ministre de la France
d’Outre-mer, le môgh näba Säga IL, le näba Tigre!*? du Yatenga ( Ouahi-
gouya), au nom des principaux chefs traditionnels et au nom de leurs
populations, exprimaient leur mécontentement général. Ils réclamaient la
« Recréation d'urgence de la Colonie de la Haute-Volta afin de lui per-
meitre de conserver son union familiale. » La lettre se termine par une
mise en garde à peine voilée disant que le pays «ne voudrait pas que la
France par sa façon d'agir à son égard, le mette dans la plus triste des
obligations, celle de tourner les yeux vers d'autres pays colonisateurs
alors qu'ils les a toujours tournés vers sa protectrice la France de qui il
attend un peu plus de bonheur et de bien-être". » En réponse à cette
lettre, le 3 septembre 1946, Marius Moutet, ministre des Colonies, écri-
vait au môgh näba pour lui dire qu’il fait étudier les réformes suggérées
dans sa lettre du 21 juillet 1946 avec le plus vif désir de lui être agréable.
Un an après, presque jour pour jour, par la loi du 4 septembre 1947, le ;
territoire de la Haute-Volta était rétabli dans les limites de ses frontières

13 Lire Tigré.
IA Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoires …, op. cit, Annexes, p. CCXXXI -
CCXXXIL
97
Thomas SANKARA et la Révelution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

de 1932. Le 5 août 1960, à la Proclamation de l'indépendance, le prési.


dent de la République a tenu à exprimer sa reconnaissance « à nos chefs
traditionnels qui ont su sauvegarder l'intégrité de notre État contre les
atteintes de l'extérieur ».
138- Le Rassemblement démocratique africain (R.D.A.) avait été créé
essentiellement sur la base du Groupe d’études communiste (GÉ.C)
fondé en 1942 par le Parti communiste français (P.C.F.}) qui avait des
sections dans les capitales de l’Afrique française. C’est donc tout naturel.
lement qu’à sa création en 1946, le R.D.A. s’apparentât au groupe com-
muniste à l’Assemblée nationale française. Le 5 mai 1947, les ministres
communistes, suspectés d’allégeance envers Moscou, sont chassés du
gouvernement de Paul Ramadier. Par ricochet le R.D.A. aussi se retrouva
dans la ligne de mire des autorités françaises. Leur objectif était mainte-
nant de contenir la percée du R.D.A. L'une des stratégies de lutte contre
le R.D.A. consistera à accéder à la requête visant la reconstitution de la
Haute-Volta dans le but de soustraire le territoire ainsi reconstitué de
l'influence prépondérante du R.D.A. en Côte d’Ivoire. Une fois la Haute-
Volta reconstituée, le gouverneur Albert Mouragues y fut envoyé avec
pour mission d’enrayer la percée du R.D.A.
B) LES CAUSES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES DE LA RÉ- |
VOLUTION
1- Les causes économiques |
139- L'exploitation coloniale avait eu pour conséquence la paupérisa-
tion des populations. En outre, la colonie de Haute-Volta a été victime de
deux faits majeurs de régression qu’aucune autre colonie n’a connus. |
D'abord, le recrutement forcé de la main-d’œuvre voltaïque avait entraî-
né une hémorragie des forces vives, abandonnant le territoire à un dépé-
rissement progressif pendant que ses fils contribuaient de façon décisive
à la construction des autres colonies. Samir Amin a ainsi pu écrire que
«si la force de travail voltaïque a largement contribué au miracle du
taux de croissance très élevé de la Côte-d'Ivoire, la Haute-Volta, elle, l'a

98
RS ns

Thomas SANKARA et la Révolntion au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÉËLA

payé par une stagnation presque absolue \* ». Ensuite, le démantèle-


ment du territoire à partir de 1932 n’a pas favorisé la mise en place d’une
politique de développement autonome à l’instar de ce qui se passait pour
toutes les autres colonies. Bien au contraire, le démantèlement du terri-
toire a été suivi du démantèlement des rares unités économiques et so-
ciales qui existaient au profit des colonies voisines.
140- Dans le sillage du démantèlement du territoire, l’unique imprime-
rie de fa colonie fut démontée et transférée en Côte d’Ivoire. Les rares
usines et ateliers mécaniques qui semblaient marquer un début
d’industrialisation furent démantelés. Joseph Conombo raconte : «J'ai
moi-même assisté au démontage méthodique des machines de
l'imprimerie, de l'usine électrique et de l'usine où se fabriquaient les
huiles d'arachides et de sésame avec leurs fourteaux, de même que le
démontage des machines d'égrenage de coton dans l’usine de Boussac
etc. et à l'embarquement transport de toutes ces pièces en convois orga-
nisés descendant vers la Côte d'Ivoire*. »
2- Les causes sociales
141- Au démontage des unités de production, s’ajoute la fermeture des
unités de formation comme l’école primaire supérieure de Ouagadougou,
l'école des ingénieurs des travaux publics, l'école artisanale et profes-
sionnelle et l’école des filles”. La conséquence d’une telle démolition
sur le plan de la formation est donnée par l’ancien président Lamizana en
ces termes : « Quand je prenais le pouvoir en 66, il n’y avait pas
d'intelleciuels. Dans tout le Burkina Faso, j'avais en tout 6 ou 7 profes-
seurs pour les lycées. Le reste c'était de l'assistance technique fran-
çaise. »/% L'état d'abandon du territoire était tel qu’à la reconstitution de
la colonie, les nouvelles autorités avaient de la peine à trouver à Ouaga-

5 Samir Amin, L'Afrique de l'Ouest bloquée - L'économie politique de la colonisa


tion. 1880-1970, Par itions de Minuit, 1971, p. 168. Cité par P. Englebert, La Ré-
volution b op. cit., p. 189.
P% Joseph Issoufou Conombo, Acteur de mon temps - Un Voltaïque dans le XX siècle,
Paris, L'Harmattan, 2003, p. 48.
17 Cf. F. Guirma, Comment perdre le pouvoir ?, op. cit., p. 17.
US Cf. Bendré, n° 351-352, Ouagadougou, 1° août 2005, p. 7. Jusqu'en 1969, il n°y |!
avait que six médecins et deux économistes planificateurs.
99
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

dougou les locaux nécessaires. C’est ainsi que pendant longtemps des
services importants furent amenés à s'installer à Bobo-Dioulasso. Expri.
mant plus ou moins cette réalité, Thomas Sankara dira dans les premiers
moments de la Révolution que « C'est le peuple voltaïque qui, par sa
misère, les manifestations diverses de ses aspirations, nous a indiqué
cette voie depuis fort longtemps! # »
C) LES CAUSES POLITIQUES
142- Bien avant les “indépendances”, les étudiants, à travers leurs struc-
tures d’encadrement comme la Fédération des étudiants d’Afrique noire en
France (F.É.A.N.F.) et les associations territoriales comme l’Association des
étudiants voltaïques en France (A É.V.F.) et l'Association des scolaires vol.
taïques (AS. V. y qui regroupait les étudiants voltaïques au Sénégal, de
même que des partis politiques de gauche comme le Mouvement de libéra-
tion nationale (M.L.N.) de Joseph Ki-Zerbo ou même le Parti africain de
Pindépendance (P.A.L.)"", remettaient en cause le caractère extraverti de
l’économie du pays qui faisait de lui un simple appendice de l’économie
mondiale alors qu’il devait prendre son destin en main pour évoluer de ma-
nière autonome. Les critiques de la gouvernance s’intensifièrent avec
l’apparition de l’U.G.Ë.V. en 1960, de l'O.C.V. en 1971, puis du P.C.R.V. |
en 1978 et de F’U.L.C. en 1979.
143- En fin novembre 1973, Le Centre voltaïque de la recherche scienti- |
fique (CV.R.S.)? organisait au Centre de documentation et de perfec-
tionnement pédagogique (C.D.P.P.) un séminaire sur le développement.
Il était animé par Samir Amin avec la contribution de Hector Michelena. |
Dans la communication qu’il a donnée à la clôture du séminaire, Talata |

1 Cf. Carrefour africain, n° 790-791, Ouagadougou, 12 août 1983, p. 27; Agence |


Voltaque de Presse n° 391, Ouagadougou, 10 août 1983, p. IX.
° Rappel : l’Union générale des étudiants voltaïques (U.G.É.V.) devenue U.G.É.B. n’a
été créée que le 27 juillet 1960.
201 Rappelons que ce parti à été créé à Dakar en 1957. C’est en 1963 qu’une section |
nationale sera créée au Burkina. Toutefois, à partir de sa création en 1957, il a exercé
une influence sur les étudiants et futurs cadres burkinabè.
27 11 a été officiellement créé par le décret n° 75-484 PRES.EN.MF du 16 décembre
1975 portant création du Centre Voltaïque de la Recherche Scientifique. J.O.R.H.V..
Ouagadougou, 1° janvier 1976, p. 9-10. C’est l’actuel Centre national de la recherche
scientifique et technologique (C.N.R.S.T.)
100
| A
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Kafando soutenait que le développement du Burkina ne peut être


qu’autocentré c’est-à-dire dirigé de l’intérieur par les Burkinabè et pour
les Burkinabè et non de l'extérieur par la logique implacable du système
capitaliste mondialisé, Il résulta des débats que la réalisation d’un tel
programme supposait un préalable politique : la volonté d’inverser les
priorités et le pouvoir de le faire®, Le régime du C.M.R.P.N. prétendait
vouloir mener une politique de développement autocentré même s’il
semblait ne pas savoir comment s’y prendre. La conscience que la pau-
vreté du pays n’était pas essentiellement due à l’absence de ressources
naturelles mais plutôt à des options politiques inadaptées faisait de plus
en plus son chemin. La Révolution sera l’occasion d’expérimenter la po-
litique de développement autocentré qui avait été théorisée ici et là, parti-
culièrement depuis la fin de la deuxième guerre mondiale (cf. $ 201, note
311). Même si l’on n’a pas tellement besoin d'analyses, de réflexions ou
de théories produites ici et Ià par qui que ce soit pour savoir que le meil-
leur chemin est celui qui correspond à ses propres aspirations. Cela,
même les animaux le savent. La lutte qui s’impose pour toute émancipa-
tion est de savoir simplement être et rester soi-même.
I Les circonstances de l’avènement de la Révolution
L'analyse des conditions objectives (A) et des conditions subjectives (B)
dans lesquelles s’est produite la Révolution peut permettre de mieux
comprendre sa spécificité.
A) LES CONDITIONS OBJECTIVES
144- Quand survint la Révolution, la Haute-Volta était dans un état
économique peu enviable. Son histoire particulière n’avait pas été favo-
rable à des investissements conséquents de la part du colonisateur.
L'industrie se limitait principalement à quelques unités agro-
alimentaires, de montage de cycles, du bâtiment et du traitement du co-
ton. La mine d’or de Poura que le régime du C.M.R.P.N. venait de rou-
vrir en 1981 n’était pas encore pleinement opérationnelle. Les infrastruc-
tures de base étaient dérisoires. Dans beaucoup de localités les routes
étaient impraticables, l'eau courante inexistante, le téléphone s’il existait
était manuel. L'élevage extensif était aléatoire et dépendait des rares

25 Cf. L'Observateur, n° 157, Ouagadougou, 3 décembre 1973, p. 7-8.


101
Thomas SANKARA et la Révolution an Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

points d’eau qui subsistaient en saison sèche. L'agriculture de subsis.


tance qui était la principale activité connaissait des résultats contrastés en
fonction de la pluviométrie capricieuse : souvent déficitaire et rarement
excédentaire. La population active trouvait son salut dans l’émigration
définitive ou à temps, surtout vers la Côte d’Ivoire.
145- Au sujet de la Haute-Volta de l’époque, S. Andriamirado a parlé
d’ «un désert économique, peuplé de mendiants®", » Le taux de scolari.
sation qui tournait autour de 16% était l’un des plus faibles au monde. I]
y avait un médecin pour environ cinquante mille habitants et l'espérance
de vie tournait autour de quarante-deux ans. Lors d’une de ses premières
interviews, Thomas Sankara résumait ainsi la situation socio-économique
du pays : « Après 23 ans d'indépendance notre peuple demeure analpha-
bète à 95%, nos enfants manquent d'écoles [...]. Notre patrimoine est en
voie de disparition. Nos malades manquent d'hépitaux et de médica-
ments. Nos familles ne mangent pas à leur faim et dans nos villages l'eau
demeure encore une denrée extrêmement rare et sur laquelle nous
n'avons aucune maîtrise ; très souvent nos mamans et nos filles doivent
chaque jour marcher des dizaines de kilomètres pour ramener un peu
d'eau saumâtre et impropre à la consommation.
Nos masses paysannes sont livrées à elles-mêmes et les seuls rap-
ports qu'ils ont avec l'État sont la collecte des impôts. La Haute-Volta
est même obligée de vendre son sang : la fine fleur de notre jeunesse est
obligée d'émigrer pour vendre sa force de travail à l'étranger. Aucun
projet d'avenir n'est proposé à notre jeunesse””, » |
B) LES CONDITIONS SUBJECTIVES |
146- La révolution est la réponse que Thomas Sankara et ses partisans
ont trouvée comme solution à la misère des Burkinabè. Cependant, il
n’est pas certain que la majorité des Burkinabè cherchait la révolution. À
cette époque, environ 95% de la population vivaient dans les zones ru-
rales ou semi urbaines et avaient très peu de rapport avec l'État et son
fonctionnement. Comme l’a dit Sankara lui-même en son temps : « Nos

24 Sennen Andriamirado, Sankara le rebelle, Paris, Groupe Jeune Afrique, 1987, p. 17.
25 Cf. Carrefour africain, n° 790 -791, op. cit, p. 26 ; Agence Voltaïque de Presse, n°
39L op. cit., p. VI
102 |
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

masses paysanne sont livrées à elles-mêmes et les seuls rapports qu'ils


ont avec l'État g8t la collecte des impôts.» La survie par des moyens ,
empiriques et séculaires était la principale préoccupation des populations.
Ce n’est pas parce qu’on est pauvre ou même misérable que nécessaire-
ment on envie le sort du voisin ou qu’on cherche à être à sa place ou à lui
ressembler. Il existe même des clochards satisfaits qui, entre autres pos-
sibilités, ont choisi leur situation et ne cherchent pas à la changer.
Comme l’a écrit J.-J. Rousseau, « la misère ne consiste pas dans la pri-
vation des choses, mais dans le besoin qui s'en fait sentir.
Le monde réel a ses bornes, le monde imaginaire est infini ; ne
pouvant élargir l'un, rétrécissons l'autre ; car c'est de leur seule diffé-
rence que naissent toutes les peines qui nous rendent vraiment malheu-
reux %. » Telle semblait être la philosophie des Burkinabè.
147- La volonté de changement suppose la conscience d’une alterna-
tive qu’on est prêt à assumer. En 1983, la majorité des Burkinabè ne
semblait pas vouloir assumer autre chose que la continuité dans la tran-
quillité. Comme l’a encore écrit Rousseau, « C'est à force de nous tra-
vailler pour augmenter notre bonheur, que nous le changeons en misère.
Tout homme qui ne voudrait que vivre, vivrait heureux ; par conséquent
il vivrait bon ; car où serait pour lui l'avantage d'être méchant ? 207
Les débats sur la gouvernance et les différentes sortes de régimes poli-
tiques étaient le propre des rares intellectuels lettrés qui, pour l'essentiel,
résidaient à Ouagadougou la capitale. L'ancien président Lamizana à
exprimé cela à sa façon en ces termes : « Vous savez la Révolution, il y
avait combien de révolutionnaires sur 8 millions d'habitants, peut-être
500. Tous les autres étaient des analphabètes. Ils suivaient quelqu'un.
Sankara était un garçon dynamique, on le suit. Il a dit de faire ça,
c'est notre chef on le suit. Mais idéal en tant que révolutionnaires, ils
n'en savaient rien®, »
148- «On ne s'ennuie jamais de son état quand on n'en connaît point
de plus agréable ®, » Ainsi étaient les paysans du Burkina à l’avènement

2% Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l'éducation, Paris, Flammarion, 1966, p. 94.


207 Ibid, p.95.
208 Cf. Bendré, n° 351-352, Ouagadougou, 1 août 2005, p. 7.
20 J.-J, Rousseau, Émile ou de l'éducation, op. cit., p. 298.
103
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

de la Révolution et sans doute le sont-ils toujours de nos jours. Près


trois ans après l’avènement de la Révolution, B.P. Bamouni qui paraissait
être un des idéologues du régime révolutionnaire et qui avait une concep:
tion stalinienne de la révolution et du socialisme? !° traduisait cette réal;
sans pourtant en saisir la portée quand il écrivait : « Mais en tant q
classe surexploitée, la paysannerie burkinabè est d'office une force révos
lutionnaire au repos que la conscientisation et la mobilisation seules,
peuvent réveiller pour être avec la Révolution”!!, » La nécessité de la congs
cientisation dont parlait l’auteur ne pouvait exprimer autre chose q
l'indifférence de la paysannerie. Personne n’a besoin d’être conscientisé sy
ses aspirations et ses intérêts fondamentaux. Ils lui sont évidents. De fa
plus explicite le même auteur poursuivait : « Acfuellement, la paysanne:
burkinabè, la classe ouvrière et le lumpenprolétariat n'ont pas encore pri
conscience d’une façon générale. Il appartient à la petite-bourgeoise révo-)
lutionnaire de les politiser sur la lutte des classes engagée au Burkina d'une)
Jaçon plus décisive depuis le 4 août 19832.» S’il est vrai donc qu’une
fraction des intellectuels prétendait pouvoir théoriser, parfois à tort et à tra.
vers, sur les auteurs et les écrits révolutionnaires et appelait à la révolution,
son influence cependant restait principalement limitée à la capitale et affec.
tait très peu le reste du pays.

210 Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d'œil sur son ouvrage Burkina Faso -
Processus de la Révolution et sur Les Pages Idéologiques de Carrefour Africain ou (les
principes d’action révolutionaires), Ouagadougou, 2 août 1984. Ce document regroupe
les éditoriaux de B.P. Bamouni quand il était directeur général de la Presse écrite qui
publiait l'hebdomadaire Carrefour africain.
11 Babou Paulin Bamouni, Burkina Faso - Processus de la Révolution, Paris,
L'Harmattan, 1986, p.128.
27 B.P. Bamouni, op. cit, p. 134.
104
DEUXIÈME PARTIE

Le temps de la Révolution

Le marxisme lui-même n'est-il pas cette dernière ruse de l'histoire pour


occidentaliser des peuples qui ne le sont pas encore ?
Claude Lévi-Strauss

Quelle est la nature du changement politique intervenu le 4 août 1983


(chapitre D) ? Qu’entend-on par développement alors qu’il semblait être
la raison d’être même du C.N.R. (chapitre II) ? Le C.N.R. s’appuyait sur
des leviers qu’il avait mis en place (chapitre IL) pour mettre en œuvre
sa politique de développement (chapitre V). Et ce, malgré les difficultés
politiques qui ne manquaient pas (chapitre IV).

105
Chapitre I
La notion de révolution et le cas de la Révolution burkinabè

149- Le 2 octobre 1983, près de deux mois après l'avènement de Ja.


Révolution, Thomas Sankara prononçait un important discours appelé:
Discours d’orientation politique (D.O.P.)"?, lequel devait servir de guide,
d'orientation, de Constitution programme pour le régime révolutionnaire,
Dans ce discours, le Conseil national de la Révolution (C.N.R.) est défini:
comme étant « /e pouvoir de conception, de direction et de contrôle de la
vie nationale tant sur le plan politique, économique et social.» Le
C.NR. définissait son régime comme étant révolutionnaire. En était-il
vraiment ainsi ? Il importe alors d’étudier la nature du mouvement du 4
août 1983, la nature du régime de Thomas Sankara {1} et aussi la philo-
sophie et l'idéologie du C.N.R. (HE).
EF De la nature du mouvement du 4 août 1983 et du régime de
Thomas Sankara
Pour le Conseil national de la Révolution {C.N.R.), le changement de
régime intervenu le 4 août 1983 est une révolution politique et sociale.
Cependant, seule une analyse de la situation peut donner un éclairage sur
la nature du changement intervenu (A) et sur la nature du régime (B).
A) LA NATURE DU MOUVEMENT DU 4 AOÛT 1983
150- En politique, c’est sans doute avec la Révolution française qu'est né
le concept de révolution. C’est donc plus ou moins par rapport à elle que se
détermine toute révolution. Pour ce qui est de la prise du pouvoir par le
C.NR, certains lui dénient le caractère révolutionnaire. Pour le Parti com-
muniste révolutionnaire voltaïque (P.C.R.V.) qui excelle dans la clandestini-

3 Enregistré, le discours fut diffusé à la radiotélévision à 21h 30 mn alors que Thomas


Sankara avait déjà quitté le pays pour la France pour assister à la dixième Conférence
France-Afrique qui se tenait du 2 au 4 octobre à Vittel. C’est Valère Somé qui a été
Parchitecte de ce discours.
Dans son Discours programme du 1% mai 1981, le colonel Saye Zerbo avait
aussi parlé de discours d'orientation.
106
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

té, et un certain nombre de syndicats qui s’inscrivaient dans sa mouvance?


ce que le C.N.R. a appelé révolution n’est en fait qu’une “pseudo révolu-
tion”. Pour eux, le changement de pouvoir intervenu le 4 août 1983 n’est
rien d’autre qu’un coup d’État militaire et une révolution ne saurait découler
d'un coup d’État. Cette critique appelle des observations. Il ne viendra à
l’idée de personne de prétendre que la prise du pouvoir par les bolcheviks
en octobre 1917 n’était pas une révolution. Pourtant, en son temps, les men-
cheviks et aussi Karl Kautsky qui fut le secrétaire d’Engels et qui publia le
troisième tome du Capital lui ont dénié le caractère révolutionnaire. D.G.
Lavroff fait remarquer que «Lorsque de nouvelles révolutions marxistes
apparurent après la seconde guerre merde ce fut toujours à l'issue d'un
coup, d'une insurrection, d'un putsc: 1/2
151- La révolution suppose le renversement d’un ordre constitutionnel.
Partant, si tous les coups d’État ne peuvent pas être qualifiés de révolu-
tions, toute révolution provient d’un coup d° État dans la mesure où il
s’agit, soit de la prise du pouvoir d° État par des moyens et des méthodes
autres que ceux établis par le pouvoir renversé, et ce, par des insurgés se
réclamant d’un autre ordre de légalité, soit de lexercice du pouvoir
d’État selon un nouvel ordre de légalité. Ce qui suppose l’abrogation du
droit constitutionnel précédent. Si la révolution devait se faire sans coup
d’État, ce ne serait plus une révolution mais un simple changement de
pouvoir ou de l’équipe dirigeante puisqu'il n’y aurait pas de remise en
cause de la légalité constitutionnelle. G. Burdeau estime que « deux as-
pects interviennent de manière concomitante dans une révolution : la
prise du pouvoir en dehors des règles prévues et la mise en place de

2 Les syndicats affiliés au P.C.R.V. étaient :


- Le Syndicat autonome des magistrats burkinabè (S.A.MA.B.)
- Le Syndicat national des travailleurs de la santé humaine et animale (SY.N.T.S.H.A.}
- Le Syndicat des travailleurs de l’enseignement et de la recherche (SYN.T.E.R.)
- Le Syndicat des travailleurs de la géologie et des mines (SYN.TRA.G.MI.)
- Le Syndicat national des agents des impôts et du domaine (S.N.A.I.-D.)
- La Fédération autonome des boulangers (F.A.B.)
- L'Union générale des étudiants burkinabè (U.G.E.B.)
215 Dmitri Georges Lavroff, Les grandes étapes de la pensée politique, 2° édition, Paris,
Dalloz, 1999, p. 508.
107
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

principes nouveaux de philosophie politique”. » Comme le dit J. Ki


Zerbo, « La révolution, c'est le contre-pied de l'existant. C'est non se;
lement tourner la page, mais changer de dictionnaire”. » La révolution
suppose un changement complet et rapide des individus et des insti
tions. Si le changement devait s’étaler sur une longue période, ce ne sen
rait pas une révolution mais une évolution.
152- Il ÿ at-il un schéma directeur par lequel tout mouvement poli
tique doit nécessairement se conformer pour mériter le qualificatif de:
révolutionnaire ? Il ÿ at-il un gardien du temple homologué chargé d
contrôle du label “révolution” ? À entendre le P.C.R.V. qui, pourtant,
brillait que dans la production de quelques rares tracts, il serait le seul,
habilité à dire ce qui est révolutionnaire et ce qui ne l’est pas. Pourtant,
les régimes qui lui ont servi de modèles (U.R.S.S., Chine, Albanie) ont
tous lamentablement échoué à répondre aux aspirations de leur peuple,
Ces régimes n’ont pu tenir un temps avant de s’écrouler — à l’exceptio:
du régime chinois qui tient toujours, mais après une remise en cause de.
ses fondements — qu’au prix de répressions sanglantes, de crimes abom
nables et d’étouffement des libertés dans des systèmes de partis uniques
autoritaires. Actuellement, ces pays font partie de ceux qui se sont lancés.
dans le capitalisme le plus sauvage comme pour rattraper le temps perdu. |
153- La sclérose de la pensée conduit à s’installer dans des schémas |
réducteurs, garantis d’un confort intellectuel et moral rassurant mais
éphémère et aléatoire. Les modes d'organisation et de transformation
sociales sont infinis et le génie des peuples est inépuisable. L'histoire
dans sa marche éternelle en révèlera toujours de nouveaux aspects.
Contre toute attente, cette réalité simple reste hors de portée de certains
esprits prétendument savants.
154- Pour le P.C.R.V. et les syndicats qui lui étaient affiliés, une révolu-
tion ne saurait être dirigée par des militaires. La réponse de Thomas Sanka-
ra, président du C.NR, à cette objection est assez pertinente : « … pour nous |

26 Geneviève Burdeau, “La situation internationale de 1 ‘État révolutionnaire et la réac-


tion des États tiers”, in Société Française pour le Droit International, Colloque de Dijon |
(1,2 et3 juin 1989) sur le thème Révolution et droit international, Éditions A. Pedone, |
Paris, 1990, p. 167. 41
217 Joseph Ki-Zerbo, À quand l'Afrique ?, Éditions de l’Aube, 2004, p. 16. | |
108
ee

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

il n'y a pas de révolutionnaires dans la caserne et ceux qui sont hors des
casernes. Les révolutionnaires sont partout ; l'armée est une composante du
peuple voltaïque ; une composante qui connaît les mêmes contradictions
que les autres couches de ce peuple voltaïque”. » Civils et militaires en
effet font partie du même peuple et mènent les mêmes luttes. Pourquoi, de-
mande Sankara, « devraient-ils donc se passer les uns des autres ? 9 Le
CMR-PN. semblait avoir la même analyse sur la question. Dans son Dis-
cours programme du 1° mai 1981, son président, le colonel Saye Zerbo dé-
clarait : « L'Armée elle-même est une partie intégrante du Peuple, et à ce
titre, elle est intéressée par toutes les activités de la Nation. » Il convient de
rappeler que Lénine estimait que le parti du prolétariat n’était pas nécessai-
rement un parti de prolétaires. 11 ne devait pas y avoir de distinction entre les
travailleurs intellectuels et les travailleurs manuels pour ce qui concerne leur
insertion dans le parti bolchevik???. |
155- Lénine écrivait : « pour que la révolution ait lieu, il faut que les
exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois. C'est
seulement lorsque “ceux d'en bas” ne veulent plus et que “ceux d'en
haut” ne peuvent plus continuer de vivre à l'ancienne manière, c'est
alors seulement que la révolution peut triompher®?!, » Or, après le coup
d’État du 17 mai 1983 qui avait écarté le premier ministre Thomas San-
kara, les rebelles retranchés à PÔ lançaient des appels à la résistance et à
la désobéissance civile. Cela eut pour conséquence la paralysie de
l'administration et des institutions de l’État. On se rappelle que dans son
message du 27 juin 1983, pour traduire la paralysie générale auquel était
confronté l’appareil d’État, le président Jean-Baptiste Ouédraogo avait
lui-même déclaré que « L'appareil de 1 ‘État est aujourd’hui grippé.» De
même Varga Larba a pu écrire que «La Haute-Volta faisait de facto
l'expérience de la « vacance du pouvoir? ». Le C.N.R. a donc pu dire

218 Cf. L'Observateur, n° 2657, Ouagadougou, 22 août 1983, p. 9.


H9C£ Afrique Asie, n° 305, Paris, 26 septembre 1983, p. 20.
22 Cf. D.G. Lavroff, op. cit. p. 510.
221 Lénine, Oeuvres choisies en deux volumes, Moscou, Éditions en langues étrangères,
1948, 1.2, p. 751.
22 Yarga Larba, “Les prémices à l'avènement du Conseil national de la révolution en
Haute-Voltæ”, Le Mois en Afrique, n° 213-214, Paris, octobre-novembre 1983. Cité par
109
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

que « La Révolution d'Août arrive par conséquent comme la solution des


contradictions sociales gi? ne pouvaient désormais être étouffées par des
solutions de compromis
156- Toutefois, l’on peut se demander avec les contempteurs de la Re
volution burkinabè si l’on peut parler de révolution quand le mouvement
en fait n’a concerné qu'une minorité. Une révolution pour être crédible
suppose limplication d’une grande partie de la population. Cependant,
elle peut être provoquée par un mouvement minoritaire. À le avènement
de la révolution bolchevik, « La classe ouvrière russe était peu nom
breuse, à peine 3 millions d'hommes pour une société de 140 millions.
d'individus?# », L'action des bolcheviks était limitée aux grandes villes.
Conscients de leur minorité, les bolcheviks n’avaient pas hésité à dis
soudre le 19 janvier 1918 la première Assemblée constituante librement.
élue par le peuple russe. De même, dans les anciennes démocraties popu-
laires d'Europe centrale et orientale, la prise du pouvoir par les commu.
nistes fut l’œuvre d’une minorité soutenue par l’ Armée rouge.
157- Il a aussi été soutenu que les conditions objectives et subjectives.
n’étaient pas mûres pour qu’il pût être question de révolution au Burkina.
Il est à craindre que cette critique ne soit le fruit d’une analyse schéma-
tique de la révolution. Après la révolution bolchevik, ceux que Lénine a |
appelé les réformistes et les paladins de la II° Internationale ont dévelop- |
pé des arguments de ce genre - à tort ou à raison - pour refuser au régime |
le caractère révolutionnaire. Ces arguments consistaientà dire que les
Russes n'étaient pas mûrs pour le socialisme, qu’ils ne possédaient pas |
les prémices économiques objectives pour le socialisme. Cette thèse, di-
sait Lénine, les réformistes « la croient décisive pour apprécier notre
révolution. [Ils] re conçoivent même pas que d’une façon générale les |
révolutions ne sauraient se faire autrement. Nos philistins européens ne |
s'imaginent même pas que les nouvelles révolutions - dans les pays
d'Orient à la population infiniment plus nombreuse et aux facteurs so-

René Otayek, “Le changement politique et constitutionnel en Haute-Volta”, Année


Africaine 1983, Paris, Éditions A. Pedonne, 1985, p. 95. |
#5 C.NR, Discours d'orientation politique (D.O.P.), op. cit., p. 6 |
4 Hélène Carrère d’Encausse, L'Empire éclaté, Paris, Flammarion, 1978, p. 11. |
110
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

ciaux infiniment plus variés - présenteront à coup sûr beaucoup plus de


traits particuliers que ce ne fut le cas pour la révolution russe”, »
158- Au nom des conditions objectives et subjectives, il est difficile de
refuser de qualifier un régime de révolutionnaire. Autrement c’est admettre
que la domination et l’exploitation qui suscitent les volontés de changement
n'existent pas. Or, dès lors que la société est divisée en classe, la domination
et l'exploitation existent et la révolution devient possible et même souhai-
table pour les exclus du système. Dans le Burkina précolonial, la domination
et exploitation étaient tempérées par le faible développement économique
des sociétés et par l’esprit de communauté de vie. Cet équilibre social fragile
a été brisé par la pénétration coloniale qui a introduit d’autres valeurs, créé
une classe d’arrivistes et de nouveaux notables politiques et de la Fonction
publique. Ce phénomène s’est accompagné d’une accentuation des dispari-
tés sociales avec pour corollaire la misère du petit peuple des villes, la frus-
ration et parfois la résignation. Ce constat ne permet pas de dire qu’au Bur-
kina les conditions objectives et subjectives n'étaient pas mûres pour une
révolution. À ce sujet d’ailleurs, Che Guevara souligne que les partis mar-
xistes ne peuvent pas « attendre les bras croisés » lémergence de toutes les
conditions objectives et subjectives pour que «/e pouvoir tombe dans les
mains du peuple comme un fruit mûr. » I fait remarquer que selon Lénine le
passage d’une société à l’autre n’est pas mécanique et que les conditions
peuvent être accélérées par certains catalyseurs?#, Sur le cas spécifique du
Burkina, Mongo Beti, vu l'ampleur de la tâche qui attendait le CNR, se
demandait si au regard d’une besogne aussi urgente, l’interpellation doctri-
naire était vraiment de saison. Selon lui « La première finalité d'une révolu-
tion n'est pas de satisfaire à la soif d'orthodoxie d'hommes de cabinet, mais
de libérer l'homme tout courP??. »
B) LA NATURE DU RÉGIME DU C.NR.
159- Lénine écrivait que « Toute révolution, toute révolution véritable
se ramène à un changement de la situation des classes. Aussi la meilleure
façon d'éclairer les masses - et d'empêcher qu'on les trompe au nom de

225 jénine, Oeuvres choisies en deux volumes, Moscou, 1948, op. cit., p. 1023 -1025.
2% Cf. Michael Lowy, La pensée de Che Guevara, Paris, François Maspero, 1970, p. 22.
2? Mongo Beti, Préface à B.P. Bamouni, Burkina Faso - Processus de la Révolution, op. cit.,
p. 12.
nul
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KVÉLEM de TAMBÈLA

la révolution - est-elle d'analyser avec précision les changements dans la


situation des classes, qui se sont accomplis et continuent de s'accomplir
228 » £ette analyse suppose au préalable l’existence d’une société de
classes? . Bien que l’existence de classes différentes ne soit pas néces.
saire à l’avènement d’une révolution, on peut se demander ce qu’il en est.
pour les pays africains. Dès 1963, Samir Amin faisait remarquer que
« Presque partout en Afrique de l'Ouest, le niveau de développement des:
forces productives est suffisamment évolué pour que les classes sociales
aient pu déjà y faire leur apparition®®. » Pour K. N’krumah, à partir du
moment où il y a lutte, oppression et exploitation, les classes existent?l,
Pour S. Komaf, « l'idée que les sociétés africaines auraient été, avant la
pénétration coloniale, des sociétés sans classes, est si manifestement

28 1énine, Oeuvres, Paris, Éditions sociales ; Moscou, Éditions en langues étrangères, 1962,
1.25, p. 135.
22 Sur la lutte des classes, J. Freund écrit : « En écrivant tout au début du Manifeste du parti
communiste : “L'histoire de toute société a été jusqu'à présent l'histoire de la lutte des
classes”, on ne peut qu'approuver Marx et Engels, mais il faut en même temps reconnaître
qu'ils ont restreint trop unilatéralement et même idéologiquement l'aire de la lutte politique. |
Les Grecs auraient pu dire avec autant de justesse que l'histoire est la lutte entre les cités,
comme de nos jours Ratzenhofer a pu la définir comme une lutte entre les peuples … Pour
importante qu'elle soit, la lutte des classes n'est qu'un aspect de la lutte politique et encore
est-elle plus virulente ou plus diffuse suivant les époques. » Selon lui, « Quand Marx réduit
l’histoire à une manifestation de la lutte des classes il ne parle pas en savant, mais en parti
san d'une idéologie déterminée. [...] Ce qui est conceptuellement essentiel, c'est la présence
de deux camps ennemis, donc la division en amis ef en ennemis, non le genre historique de
Ja lutte ou la dénomination des ennemis. » Cf. Julien Freund, L’essence du politique, Paris,
Éditions Sirey, 1965, p. 538 et 539.
L’analyse de la Révolution mexicaine par R. Dumont corrobore la thèse de J.
Freund. Dumont en effet écrit : « On se présente volontiers une telle révolution comme une
“lutte de classes” classique, celle des pauvres opprimés contre les riches oppresseurs. Au
Mexique, les choses sont moins simples … Les différents clans qui se battent pour le pouvoir
ont des supporters variés, des clientèles personnelles ; bien souvent des pauvres se battent
contre d'autres pauvres. En 1915, on réussit même à mobiliser des “bataillons ouvriers
rouges” de la Casa Obrero Mundial de Mexico pour aller combattre contre les troupes de
rebelles paysans de Francisco Villa. » Cf. René Dumont et Marie-France Mottin, mal Le
développement en Amérique latine, Paris, Seuil, 1981, p. 38.
39 Samir Amin, Impérialisme et sous-développement en Afrique, Paris, Éditions Anthro-
05, 1976, p. 298.
31 Kwamé N'krumah, “Class struggle in Africa”, in Review of African Political Econ-
omy, n° 32, Baltimore, avril 1985, p. 29.
112
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

fausse qu'il n'est pas nécessaire de la réfuter très longuemenf”?. » Il


rappelle que c’est la division en classes des sociétés africaines qui a favo-
risé la traite des Nègres et la pénétration coloniale.
160- Au Burkina, du moins pour ce qui concerne l'empire moaga, la
division de la société en classes s’était faite bien avant la pénétration co-
loniale. Elle est même inscrite dans la pensée politique des Mose qui pré-
tendent être seuls détenteurs du pouvoir, le näm. Cela sous-entend que les
autres doivent accepter l'exercice de l'autorité moaga sur eux, même si
l'exercice de cette autorité sollicite leur participation. Même les Mose qui
au cours des règnes et des successions ont, avec le temps, été écartés de
la famille régnante deviennent de simples sujets. Dans la période préco-

x
loniale, à côté de la famille royale, des notables, des chefs de province,
de canton et de village, il y avait la masse des administrés sur lesquels les
premiers avaient divers droits et privilèges. À la fin du XIX° siècle, Louis
Tauxier pouvait ainsi écrire : « J'ai vu un chef suprême, une hiérarchie
de chefs soigneusement établie, une classe de nobles jouissant de grands
privilèges, telle était la superstructure constituée par 1 État moss®. »
Le phénomène de différenciation s’est accentué avec la pénétration colo-
niale qui, parfois, a opéré un renversement des rôles au niveau des
classes sociales et a élevé les “nouveaux notables” à un niveau supérieur
de différenciation jamais atteint jusqu’alors.
161- Selon Lénine, «Le problème fondamental de toute révolution est
celui du pouvoir dans l'ÉtaP#. » S'il est établi que le pouvoir est révolu-
tionnaire, alors la première tâche de la révolution devra consister non pas à
faire passer la machine bureaucratique et militaire en d’autres mains, mais à
la briser#, L'une des premières tâches du C.N.R. a été l'investissement de
l'appareil d'État. À ce sujet, R. Otayek écrit : « Contrairement aux autres
équipes qui se contentaient de faire fonctionner l'appareil administratif hé-
rité du régime précédent en n’y apportant que des changements mineurs de

232 Simon Komaf, La révolution permanente et l’Afrique, Paris, Imprimerie Abexpress,


1979, p. 79.
23 C£ S.-A. Balima, Légendes et histoire …, op. cit., p. 100.
2% Lénine, Oeuvres choisies en deux volumes, Moscou, Éditions en langues étrangères,
1954, t.2, p. 14.
235 C£ Karl Marx, “Lettre à Kugelmann” du 12 avril 1871.
113
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

personnes, celle du CNR engageait aussitôt une profonde épuration visant à


écarter les fonctionnaires compromis avec les pouvoirs précédents. Dans la
Jonction publique et la justice, des fonctionnaires jugés peu sûrs élaienf
“dégagés” par centaines auu profi it de cadres “révolutionnaires”. L'arm
elle-même [..] étair purgée .» La garde républicaine fut dissoute et la
gendarmerie épurée.
162- La création des Comités de défense de la Révolution (CDR)
répondait au souci du régime d’opérer des changements radicaux dans la
société. Contrairement aux régimes précédents qui ont tous tenté
d’utiliser à leur profit les réseaux sociaux et politiques préexistants, av
les C.DR. le C.NR. a créé ses propres relais politiques nouveaux et in.
dépendants. Dans une stratégie de contrôle politique et social, et aussi.
dans le souci de respecter l’histoire des régions et l’homogénéité des po-
pulations, il avait procédé à une restructuration totale du découpage ad-
ministratif du territoire national en créant à l’époque trente provinces et
trois cent départements?
163- Au Burkina, la chefferie traditionnelle est une réalité plusieurs
fois séculaire particulièrement chez les Mose. Bien implantée dans la
société malgré des années de colonisation, elle constitue toujours un pou-
voir réel et une menace potentielle. Déjà le 17 octobre 1958, le môgh
nâba Kugri avait envoyé des guerriers traditionnels occuper l’Assemblée
territoriale pour exiger la création d’une monarchie constitutionnelle. En
conséquence, la première République de Maurice Yaméogo mena une
lutte implacable contre elle (cf. n° 46). Les mesures répressives se révélè- |
rent inefficaces face à la capacité de résistance de la chefferie. Elles eu-
rent plutôt pour conséquence de détourner du régime une bonne partie
des populations toujours soumises à l’influence des chefs. Au vu de cela, |
les régimes qui suivirent cherchèrent tous à entrer dans les bonnes grâces
de la chefferie. Le môgh näba Kugri (1957-1982) fut même étroitement
mêlé à la campagne électorale qui aboutit à l’instauration de la ITT° Répu- |
blique en 1978, en donnant sa caution et en faisant campagne pour le |
R.D.A. et pour le général Lamizana qui en était le candidat. |

2% René Otayek, “Le changement politique et constitutionnel en Haute-Volta”, Année


Africaine 1983, Paris, Pedonne, 1985, p. 97.
7 Cf. Ordonnance n° 84-055/CNR/PRES du 15 août 1984.
114
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA
7
164- Le C.N.R. avait opté pour une confrontation directe avec la chef-
ferie traditionnelle, et ce, au nom de la lutte contre la féodalité. [l est vrai
que la chefferie n’était plus aussi puissante qu’à l’époque précoloniale et
même, dans une moindre mesure, jusqu'aux premières années qui ont
suivi l’indépendance. Il est vrai aussi qu’elle s’était quelque peu discrédi-
tée par ses alliances politiques souvent opportunistes. Il n’en demeure pas
moins qu’elle était toujours suffisamment représentative, surtout dans les
villages et les campagnes qui regroupaient la plus grande partie des Bur-
kinabè#, C’était donc une rude bataille que le C.N.R. avait engagée,
aidé en cela par les C.D.R. qui avaient en fait dépossédé la chefferie de
ses attributions en les exerçant effectivement sur le terrain. R. Otayek a
done pu écrire que « jamais l'influence de la hiérarchie traditionnelle
mossi n'avait été si brutalement et si radicalement mise en cause, »
Dès le 30 décembre 1983, le C.N.R. abrogeait tous les textes codifiant les
attributions politiques et administratives, les rémunérations et les avan-
tages des chefs (cf. n° 182 et 183).
165- Au vu des transformations politiques et sociales, le régime du C.N.R.
peut être qualifié de révolutionnaire. Selon P. Englebert, « l'avènement du
Conseil National de la Révolution le 4 août 1983 au Burkina apparaît vérita-
blement comme le résultat d’une perspective révolutionnaire”*, » Pour Mon-
go Beti, la Révolution burkinabè était « l'une des plus authentiques d'Afrique,
sans doute la première vraie révolution de ! "Afrique francophone" ». Néan-
moins, les contempteurs du régime n’y voyaient rien de révolutionnaire. Ce
qui à fait dire à Mongo Beti que « Les intellectuels et les militants africains
font habituellement un tel abus de la casuistique et des logomachies doctri-
naires que j'en suis venu à y voir comme un paravent de la peur d' agir #2 y
Fou «Les controverses de purisme ne sont que théologie et métaphy-
sique”.»

2% D'après le recensement de 1985, sur près de huit millions d’habitants, les centres
urbains en comptaient moins d’un million.
29 R, Otayek, “Le changement politique et constitutionnel en Haute-Volta”, op. cit, p. 101.
40 p, Englebert, La Révolution burkinabè, op. cit. p. 88.
n M. Beti, Préface à B.P. Bamouni, Burkina Faso - Processus de la Révolution, op. cit., p. 5.
Ibid.
#3 Ibid. p. 6.
115
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

166- Le C.N.R. avait qualifié son régime de révolutionnaire et pour lui.


il s’agissait d’une révolution démocratique et populaire. Le P.C.R.V. et
ses alliés non seulement ne voyaient rien de révolutionnaire ni dans Ja:
nature du régime ni dans les actes du C.N.R, mais pour eux, si révolution:
il devait y avoir, elle devait être non pas une révolution démocratique et
populaire (R.D.P.), mais une révolution nationale démocratique et popu:
laire (R.N.D.P.) Plus qu’une question de mots cette nuance a longtemps.
passionné les débats. La révolution nationale démocratique et populaire.
suppose une insurrection nationale, donc une insurrection de toutes les:
couches de la société : dominants et dominés. Prétendre qu’une telle in-
surrection était à l’ordre du jour au Burkina est critiquable. S. Amin sou-
tient que l’époque qui a été marquée par le surgissement des mouvements:
de libération nationale est révolue et il explique les échecs des expé.
riences révolutionnaires en Afrique par le fait que « la fraction révolu.
tionnaire de l'intelligentsia africaine n'a pas encore pris ses distances à
l'égard de l'idéologie du mouvement de libération nationale"
167- Comme l’indique Lénine, l'insurrection nationale « c'est une insur-
rection qui vise à instaurer | ‘indépendance politique d’ ‘une nation opprimée,
c'est-à-dire à créer un État national qui lui soit propre .» Le 5 août 1960,
par la proclamation de l’indépendance politique, le Burkina a acquis un État
national propre. L’insurrection nationale ne semble plus indiquée. Le 3 jan- .
vier 1966, les Voltaïques d’alors n’ont pas requis le consentement de
7. quelque puissance étrangère que ce füt pour renverser le régime de Maurice
Yaméogo qui était lui aussi avec ses partisans des nationaux voltaïques. La
chute de Yaméogo avait même pris de court l’ancienne puissance coloniale.
Il en fut ainsi pour les autres changements de régime jusqu’à celui du 4 août
1983 inclus. Il ne viendra à l’idée de personne de prétendre que l’avènement
du C.NR. ou encore que l'insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014
qui a chassé Blaise Compaoré du pouvoir a été réalisée par ou sur instruction
du gouvernement français. L'indépendance politique est donc effective. Il
revient maintenant aux Burkinabè de lui donner le contenu qui leur convient
en fonction de la réalité des forces sociales en présence. En outre, une

4 Cf. Afrique Asie, n°394, Paris, 23 février au 8 mars 1987, p.31.


245 Cf, Le Révolutionnaire Burkinabé à Dakar, n° 6, mai 1985, p. 11.
116
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
L À GE : n 7
R.N.D.P. suppose l’existence d’une bourgeoisie révolutionnaire. Le Che",
instruit par l’expérience cubaine, fait remarquer que fondamentalement la
bourgeoisie craint davantage la révolution populaire que l’oppression despo-
tique des monopoles étrangers qui colonisent l’économie. Ainsi, « a grande
bourgeoisie n'hésite pas à s'allier avec l'impérialisme et les latifundistes
pour lutter contre le peuple et barrer ainsi la route à la révolution"? » Pour
lui, les forces populaires n’ont aucun intérêt à collaborer avec des bourgeoi-
sies «rimorées et traîtres » qui détruisent les forces sur lesquelles elles se
sont appuyées pour arriver au pouvoir.
168- L'expérience de la collaboration au pouvoir entre partisans de l’ordre
et progressistes, le Burkina l’a vécue sous le régime du Conseil de salut du
peuple (C.S.P.) du 7 novembre 1982 au 17 mai 1983. Quand il fut question
d'opérer des changements radicaux, les partisans de l’ordre établi n’avaient
pas hésité à comploter et sans doute à nouer des alliances avec des puis-
sances étrangères pour faire le coup d’État du 17 mai 1983 que V. Brittain a
qualifié d’ «une des plus audacieuses interventions néocoloniales dans
l'histoire de l'Afrique post-coloniale”. » Il n’est donc pas pertinent de par-
ler encore de révolution nationale. Ce qui convient c’est non plus
l'insurrection nationale mais l'insurrection populaire, c’est-à-dire une insur-
rection des masses populaires qui regroupent l’ensemble des laissés-pour-
compte d’un système. C’est à partir de cette analyse que le C.N.R. a défini
son régime de révolution démocratique et populaire. Cette analyse a encore
été confirmée par la Révolution des 30 et 31 octobre 2014 pendant laquelle
les masses, dans une insurrection populaire généralisée, se sont soulevées
contre Blaise Compaoré, sa famille, son clan et son régime, entraînant ainsi
sa chute et sa fuite. Une insurrection nationale aurait nécessité la participa-
tion de Blaise Compaoré, de son clan et de ses partisans qui sont aussi des
nationaux.

#6 De son vrai nom Emesto Rafael Guevara de la Serna, il est né le 14 juin 1928 à Ro-
sario en Argentine, Alors qu’il animait une guerilla en Bolivie, il fut capturé le 8 oc-
tobre 1967, dénoncé par les paysans du village de Higueras contre une rançon de 50 000
pesos. Il a été abattu par le sergent principal Marion Terran le 9 octobre 1967 après
l'accord donné par le gouvernement bolivien.
#7 Cf. Michael Lowy, La pensée de Che Guevara, op. cit., p. 82.
248 Victoria Brittain, “introduction to Sankara & Burkina Faso”, The Review of African
Political Economy , n° 32, Baltimore, avril 1985, p. 44.
117
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

169- Une révolution est dite populaire quand la masse du peuple, son
immense majorité intervient d’une façon visible, active, autonome, avec
ses revendications économiques et politiques propres. Peut-on, à partir di
cette analyse qualifier de populaire le régime du C.N.R. ? Si l’on preng
en compte la participation des populations, on remarque qu’au sein des:
C.DR. notamment, elles contribuaient à l’édification d’une société nou.
velle, Ce qui a permis à M. Mukamabano d'écrire : « Ces bénévoles, de
tous âges et toutes catégories socioprofessionneiles, prennent en charg,
les travaux d'infrastructure collectif pendant leurs jours de repos”. ,,
Ainsi se sont construits des puits, des retenues d’eau, des écoles, des:
pharmacies, des toilettes publiques, des bibliothèques de quartier, des
salles de lecture, des crèches populaires, des salles de cinéma, des per-
manences des C.D.R., des banques de céréales, etc. Dans le cadre du
Programme populaire de développement (P.P.D.), de grands projets de
dimension nationale comme le chemin de fer du Sahel” et le barrage
hydroélectrique de la Kompienga ont été lancés avec la participation des
populations.
170- Il est donc permis de prétendre que la Révolution du 4 août 1983
était populaire. Toutefois, concernant les couches populaires, l’adhésion
à la Révolution n'était pas homogène sur l’ensemble du pays. Si cette
adhésion était sans doute effective pour ce qui concerne le territoire moa-
ga du centre notamment, elle l’était beaucoup moins dans l’ouest et le
sud-ouest. L’on peut tenter un essai d'explication. Il est difficile de faire
recours au tribalisme et au régionalisme qui n’ont jamais sérieusement |
menacé les populations du Burkina. Les Mose, largement majoritaire
dans le pays”, n’en ont jamais eu recours de façon réellement impéria- |
liste tout au long de leur histoire. C’est que leur implantation dans |
l’ensemble du territoire à partir du XII° siècle - selon la légende - et leur |
croissance ultérieure se sont faites sur base d’union avec les indigènes de |

# Madeleine Mukamabano, “Les fers de lance de la Révolution”, Actuel développe-


ment, n° 67, Paris, juillet - août 1985, p. 42.
#0 La construction du chemin de fer du Sahel appelée bataille du rail avait pour objectif
de relier par voie ferrée Ouagadougou à Tambao, localité située à 350 km de la capitale
dans le nord-est burkinabé.
#1 Le recensement de 1985 indiquait 52% de Mose.
118
ttns

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

sorte que le “métissage” est la règle. En revanche, depuis la colonisation,


le pouvoir politique s’est toujours exercé à Ouagadougou, capitale de
l'empire moaga, devenue capitale du pays. En outre, contrairement aux
populations de l’ouest et du sud-ouest, les Mose, concepteurs du nâm
(pouvoir), connaissaient la forme d’organisation étatique qui fait partie
de leur philosophie politique. Ces éléments peuvent peut-être mieux ex-
pliquer le plus d’intérêt que les Mose manifestent pour la politique et leur
plus grande adhésion à la Révolution. ? 7 nE LT ï

x I La philosophie et l'idéologie du CNR. jee SRE

Le C.N.R. avait opté pour une orientation politique (A) qui n’était pas X
sans conséquences politiques et sociales (B). a Ju cale

X A) L'ORIENTATION POLITIQUE DU CNR.


171- Une idéologie est un ensemble d’idées, de croyances, de doctrines
influant sur le comportement individuel ou collectif. De ce point de vue,
Sankara prétendait n’être rattaché à aucun clocher. L'essentiel pour lui
était de retenir des expériences des autres ce qu’elles ont de dynamique et
de créateur. Il reconnaissait cependant qu’il n’y a pas de politique sans
idéologie. Selon lui, « Les idéologies offrent un éclairage, des moyens
d'analyse permettant de cerner les réalités de la société. Mais nous ne
devons pas utiliser le peuple pour vérifier la véracité de telle ou telle
idéologie. Au contraire, nous devons nous servir de ses idéologies-là
pour réaliser, au bénéfice du peuple, tout ce qui est réalisable}? »
172- Il convient de rappeler que la Révolution burkinabè s’est produite à
l’époque de la guerre froide. Une guerre idéologique opposait alors d’un
côté les tenants du capitalisme, de l’autre les tenants du communisme et du
socialisme. IL était difficile de ne pas être classé dans un camp ou dans
l'autre. Dans les pays sous-développés, pour peu que l’on remit en cause
l’ordre établi, on était taxé de communiste. Thomas Sankara ne devait pas x
échapper à cette systématisation. À la question de savoir s’il était commu-
niste ou nationaliste, il répondit : « À quoi bon se proclamer communiste ou
marxiste si le peuple meurt de faim ? Mais à quoi cela nous servirait-il de
tourner le dos au marxisme s’il peut nous permettre de résoudre des pro-

22 Cf. Jeune Afrique, n° 1188, Paris, 12 octobre 1983, p. 43.


119
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

blèmes concrets ? *% » Il abordait donc la question idéologique avec


pragmatisme d’un esprit avisé et non avec le dogmatisme propre aux esp
bomés. Julius Nyerere, à la suite de Che Guevara, prévenait d’ailleurs qui
ne faut pas considérer les oeuvres de Marx et de Lénine comme les « sain
écritures » car « nous courons le risque d'être obnubilés par cette nouve,
théologie et de résoudre nos problèmes en fonction du sens que les prêtres
du marxisme donnent à la parole de Mar: 5 » Bakounine, le pape de
l’anarchisme, avait mis en garde contre les doctrines. Selon lui, « Ceux qu ji
se sacrifient au service d'une grande idée, obéissant à une haute passion, ef,
satisfaisant cette passion personnelle en dehors de laquelle la vie elle:
même perd toute valeur à leurs yeux, ceux-là pensent ordinairement à to:
autre chose qu'à ériger leur action en doctrine : tandis que ceux qui en fo
une doctrine oublient le plus souvent de la traduire en action, par cette
simple raison que la doctrine tue la vie, tue la spontanéité vivante
l'action, »
173- Le C.NR. avait opté pour une démocratie de classe, la démocratie
des classes opprimées, la démocratie au profit des exploités. Cette démo-
cratie doit, selon le C.N.R., réprimer la liberté des exploiteurs et de leurs
agents ; elle doit enlever la liberté d’exploiter, la liberté de s’enrichir de
la faim des autres, la liberté de combattre pour le rétablissement du pou-
voir du capitalisme, la liberté de s’allier à la bourgeoisie étrangère contre”
les ouvriers et paysans nationaux. Sans ambiguïté le C.N.R. avait engagé
ce qu’on appelle dans le langage marxiste la lutte des classes. Au sujet de
ceux qu’il appelait les bourgeois exploiteurs, le D.O.P. dit : « De ces nos-
talgiques, il ne faut point s'attendre à une reconversion de mentalité et.
d'attitude. Ils ne sont sensibles et ne comprennent que le langage de la
lutte, la lutte de classes révolutionnaires contre les exploiteurs et les op-
presseurs des peuples. Notre Révolution sera pour eux la chose la plus.
autoritaire qui soit ; elle sera un acte par lequel le peuple leur imposera
sa volonté par tous les moyens dont il dispose et s'il le faut par ses

|
23 C£ Ibid. |
24 Cf, Gilbert Rist, Le développement - Histoire d’une croyance occidentale, Paris, |
Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1996, p. 212.
2 Mikhaïl Alexandrovitch Bakounine, Dieu et l’État, Paris, Éditions Mille et une nuits,
1996, p. 50. C’est l’auteur qui souligne. |
120 |
|
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apoliinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA

armes5%, » La Révolution du 4 août est démocratique parce que « Elle a


pour tâches primordiales la liquidation de la domination et de
l'exploitation impérialistes, l'épuration de la campagne de toutes les
entraves sociales, économiques et culturelles qui la maintiennent dans un
état d'arriération*. » Pour rendre plus lisible son option idéologique,
les termes monsieur, madame, excellence, éminence et autres titres hono-
rifiques qui, semble-t-il, auraient une connotation bourgeoise, avaient été
remplacés par celui de camarade qui, selon F. Furet «exprime la frater-
nité concrète du monde du travail, et le triomphe de l'égalité réelle, »
174- La République avait été proclamée le 11 décembre 1958. Depuis,
cette date était retenue comme fête nationale surtout après la proclama-
tion de l’indépendancele 5 août 1960. Le C.N.R. ne l’entendait pas ains
À l'occasion du 11 décembre 1983, Adama Touré, ministre de
l'Information et porte-parole du gouvernement, fit une déclaration pour
indiquer que « Le 11 décembre ne marque aucun évènement de l'histoire
de la Haute-Volta. Encore moins de l’histoire de la lutte de son peuple.
Le 1] décembre est un choix fantaisiste du pouvoir colonial et de ses
valets voltaïques. Il répond à une commodité entre chefs d État amis afin
de célébrer à leur manière et de façon successive les évènements poli-
tiques dans leur pays. [...]
Le 11 décembre ne représente donc rien pour notre peuple que l'on
appelait seulement à danser et à boire à cette date en saison sèche après les
récoltes uniquement pour amuser les princes qui nous gouvernaient.
Le Conseil national de la Révolution et le gouvernement révolu-
tionnaire de Haute-Volta ne peuvent donc pas continuer à célébrer avec
ou sans éclat un évènement étranger à la lutte de notre peuple. » Le
peuple était appelé à faire de la journée du 11 décembre une journée de
réflexion sur vingt-trois années d'indépendance octroyée, formelle et de
domination néocoloniale?*?.

25% D.O.P., op. cit. p. 14-15.


27 Ibid., p. 20.
258 François Furet, Le passé d’une illusion - sur l’idée communiste au XX° siècle,
La

Paris, Robert Laffont, coll. “Le livre de poche”, 1996, p. 180.


25 Cf. L'Observateur, n° 2736, Ouagadougou, 12 décembre 1983, p. 12.
i21
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBÈLA

175- Dans les tout premiers jours de l’avènement de la Révolution, lors de


son premier entretien avec la presse, Sankara exprimait ses priorités : «7q
première tâche du gouvernement de la Révolution voltaïque, dit-il, sera de
libérer les mentalités. C'est la priorité des priorités de notre programme
politique. Libérer les mentalités, c'est démontrer concrètement aux Vol.
taïques qu'ils peuvent transformer eux-mêmes leur situation économique e
sociale. C'est pourquoi nous allons proposer aux Voltaïques un programme
qui vise à Ja satisfaction de leurs aspirations et de leurs préoccupations quo
tidiennes®. » Deux mois plus tard, cette idée sera reprise dans le Discours |
d’orientation politique (D.O.P.) où il est dit que « La Révolution vise à la.
transformation de la société sous tous les rapports, économiques, sociaux et
culturels. Elle vise à créer un Voltaïque nouveau, avec une moralité et un
comportement social exemplaires qui inspirent l'admiration et la confiance
des masses, » Transformer la société dans le Burkina de 1983, c’était un
programme difficile à réaliser. S.-A. Balima, après avoir fait remarquer que
le Moaga ressent la crainte devant toute spontanéité et devant toute innova-
tion, écrit : «Le Moaga est donc profondément conservateur. De toute nou- |
veauté il a une peur viscérale. préfère vivre et mourir comme vivaient et |
mouraient ses ancêtres. Il aime sa tradition qu'il respecte scrupuleuse-
menf®, » Cette observation relative à la société moaga peut être appliquée à |
l’ensemble des sociétés burkinabè, certaines étant encore plus conserva- |
trices. On imagine donc aisément l’ampleur de la tâche qui attendait le |
CNR. |
176- De ces sociétés soumises aux traditions et qui, selon Marx « ex-
Jermaient la raison humaine dans un cadre extrêmement étroit en en fai- |
sant un instrument docile de la superstition et l’esclave des règles ad- |
mises, en la dépouillant de toute grandeur et de toute force historique
[...] [qui] soumeftaient l'homme aux circonstances extérieures au lieu |
d'en faire le roi des circonstances... *® » de ces sociétés donc, Sankara
|
voulaient en faire les maîtres de leur destin. Le D.O.P. dit que « La Révo-
lution d’Août [...] a pour objectif final l'édification d'une société vol-

20 Cf. Agence Voltaïque de Presse, n° 391, Ouagadougou, 10 août 1983, p. VI ; Carre- |


four africain, n° 790-791, Ouagadougou, 12 août 1983, p. 25-26.
X1 DO, op. cit., p. 28.
2 Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire…, op. cit. p. %6.
263 Cf. Jacques Attali, Karl Marx - ou l” esprit du mondes Paris, Fayard, 2005, p. 227.
122
|
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBËLA

taïque nouvelle au sein de laquelle le citoyen voltaique animé d'une


conscience révolutionnaire sera l'artisan de son propre bonheur, un
bonheur à la hauteur des efforts qu'il aurait consentis. Pour ce faire, la
Révolution sera, n'en déplaise aux forces conservatrices et rétrogrades,
un bouleversement total et profond qui n'épargnera aucun, ds au-
cun secteur de l'activité économique, sociale et culturelle ?

177- Pour être maîtres de leur destin, les Burkinabè se devaient de lut-
ter contre l'impérialisme qui, selon Sankara ,« est celui qui tremble et
panique à l'idée que le peuple voltaïque devient le maître d'œuvre de ses
intérêts et de son destin. » L’impérialisme « n'est pas un pays ou une
race. C'est un système d'exploitation qui se retrouve partout. Il est fondé
sur des faits, des pratiques, des attitudes vis-à-vis des peuples. » Selon
le D.OP., la Révolution avait «pour premier objectif de faire passer le
pouvoir des mains de la bourgeoisie voltaïque alliéeà 1 ‘impérialisme aux
mains de l'alliance des classes populaires constituant le Peuple? 56,
Comme l’a fait remarquer P. Englebert, la lutte contre l'impérialisme
n’est pas spécifique à la doctrine marxiste-léniniste. Elle n’est pas non
plus propre aux pays sous-développés. Il s’agit plutôt d’une volonté de
protection et d’affirmation de l’identité nationale. C’est ainsi qu’en
France on ne cesse de dénoncer l'impérialisme culturel américain EE
178- L’impérialisme est souvent assimilé au système capitaliste, lequel
à son tour est parfois considéré comme étant le mal absolu. Il convient de
rappeler que Marx dont se réfèrent souvent ceux qui prétendent combattre le
capitalisme le considérait comme une nécessité salvatrice dans la mesure où
il libère les hommes de la superstition et de l’esclavage, permettant ainsi
d'accéder au communisme. Lénine, tirant les leçons de ses échecs, écrivait
le 18 avril 1921, « Le capitalisme n'est un mal que par rapport au socia-
lisme ; par rapport au moyen âge où s'attarde encore la Russie, le capita-
lisme est un bien. » Friedrich A. Hayek fait remarquer que contrairement à
des idées reçues, le capitalisme, qui est une conséquence du marché,
n’appauvrit pas la population mais il augmente, dans une première phase, le

24 DO. op. cit, p. 31-32.


265 C£ Jeune Afrique, n° 1188, Paris, 12 octobre 1983, p. 44.
266 D.O.P., op. cit., p.23.
27 Cf. P. Englebert, La Révolution burkinabè, op. cit. p. 118.
123
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

nombre des pauvres, car beaucoup de ceux qui appartiennent à cette catépo
rie sont des survivants qui vivent difficilement mais qui seraient morts day
le cadre d'économies archaïques*. Selon lui, le capitalisme serait même
facteur de dynamisme car c’est la différence entre les hommes qui incite à!
progresser car celui qui est en retard s'interroge sur les causes de cette situ
tion et il cherche les moyens qui pourraient lui permettre de rattraper, da
une première étape, et de dépasser, ensuite, ceux qui pour l'instant sos
mieux placés que lui. Pour lui, ce sont la pluralité des objectifs et la diversité
des attitudes et des besoins qui permettent une compétition entre les acteurs
de laquelle le progrès naîtra””. Loin donc d’être l’incarnation du mal absol
le système capitaliste a des mérites qui lui sont propres et qui ne sont peut-
être pas à négliger.
179- Le système politique bourgeois que combattait le C.N.R. est, de-
puis l’antiquité, connu pour l'hypocrisie qu’il suscite et l’incompétence
qui peut en résulter. « À Rome, écrit Carl Grimberg, les citoyens qui sol
licitaient une fonction politique avaient l'habitude de se mêler au:
peuple ; ils soignaient leur popularité par tous les moyens propres à flat-
ter l'homme de la rue. Ils portaient à cette occasion une toge d'étoffe
blanche, la “toga candida”. De là notre mot “candidat”. » Une lettre de
l’époque nous apprend qu’il fallait jouer son rôle de telle façon que le
peuple croie votre amabilité naturelle, il ne devait pas soupçonner la
moindre contrainte. La mimique était de la plus haute importance et de-
vait être soignée autant que la voix. Il fallait en outre être persévérant et
ignorer la fatigue. Par la suite les candidats inventèrent mille façons
d’acheter l’électeur.?” Dans 4pologie de Socrate, Platon nous apprend
que Socrate ne cachait pas le dédain que lui inspirait le régime de flatterie
et d’incompétence qu'était la démocratie athénienne. Hitler trouvait que
le politicien est « cette sorte de gens dont l'unique et véritable conviction
est l’absence de conviction, associée à une insolence importune et à un
art éhonté du mensonge”. » Pour lui « le régime parlementaire ne peut
plaire qu'à des esprits sournois, redoutant avant tout d'agir au grand

268 Cf. D.G. Lavroff, Les grandes étapes de la pensée politique, op. cit. p. 489.
2 Cf. Ibid, p. 493.
2 Cf Carl Grimberg, Rome, l'Antiquité en Asie orientale et les grandes invasions,
Verviers (Belgique), Éditions Gérard & C°, coll. “Marabout université”, 1963, p. 14.
21 Adolf Hitler, Mon combat, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1934, p. 74.
124
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
ce de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

jour. Il sera toujours abhorré de tout homme propre et droit, ayant le


goût des responsabilités””?, » Paradoxalement, Marx n’était pas absolu-
ment contre la démocratie parlementaire. Bien au contraire ! Il estimait
que celle-ci permettait de faire naître et se développer la conscience poli-
tique du prolétariat nécessaire à l’avènement de la révolution et au pas-
sage au communisme”.
B) LES CONSÉQUENCES POLITIQUES ET SOCIALES
Pour l’avènement de la démocratie populaire, le C.N.R. engagea la lutte
contre l’aristocratie (1), la bourgeoisie (2) et le clergé (3). Cela se tradui-
sit par des bouleversements sociaux (4).
1- La lutte contre l'aristocratie
180- Pour Sankara, l’aristocratie est assimilée aux forces conservatrices
qui organisent le peuple burkinabè sous le couvert de la culture africaine
alors qu’en fait il s’agit d’une culture de la résignation et du fatalisme.
L’aristocratie désigne, dans une société donnée, les meilleurs éléments.
Dans la Grèce antique, l'aristocratie comprenait ceux dont les ancêtres
avaient exercé les plus hautes fonctions de l'État. Il a déjà été démontré que
l'existence d’une classe aristocratique dans la société moaga ne saurait être
contestée. Dans un rapport daté du 1° mars 1897, le commandant Destenave
écrivait : « Vous avez pu vous rendre compte qu'au Mossi, la classe inter-
médiaire n'existait pas ; il n’y a que des Nabas et des pauvres que les pre-
miers exploitent sans merci. La classe pauvre a été avilie par la servitude au
point d'avoir perdu toute volonté et nous ne saurions trouver chez elle, au-
cun point d appui". » Dans une conférence prononcée le 7 juillet 1897 à
l’École coloniale, le lieutenant Voulet déclarait : « Au-dessus de tous, Mos-
sis, Ouangarbés, Foulbés, Haoussas, obéis, craints, respectés, dominateurs,
sont les chefs, les Nabas.
Les Nabas, qui forment une véritable caste, distincte du reste de
la nation, et que la masse se plaît à considérer comme appartenant à une
essence supérieure.

s] 22 Jbid., p. 96.
| 2 Cf. 3. Attali, Karl Marx - ou l’esprit du monde, op. cit., p. 454.
24 Cf. $.-A. Balima, Légendes et histoire …, op. cit., Annexes, p. CLXXIV.
125
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Ce qu'il y a de certain, c'est que les Nabas constituent une véri.


table aristocratie guerrière semblable à celle formée par les Francs, en
Gaule, vers les 5°" er 6°" siècles. Ils jouent, en un mot, au Centre de la
Boucle du Niger, un rôle gagne à celui des Leudes à l'égard des po-
pulations Gallo-Romaines”"
181- L’aristocratie moaga dont la légitimité et le fondement étaient
ancrés dans la tradition se complaisait dans le statu quo. Or, comme l’a
fait remarquer Engels, « La tradition est une grande force retardatrice,
elle est la force d'inertie de l'histoire * ». À propos de l'aristocratie, le
D.O.P. parle de « forces rétr ogrades, gui tirent leur puissance des struc-
tures traditionnelles de type féodal”? de notre société. » Ces forces, se-
lon le D.O.P., « ont tenu les masses paysannes en une situation de réser-
voir à partir duquel elles se livraient à des surenchères électoralistes.
[..] ces forces réactionnaires ont le plus souvent recours aux valeurs
décadentes de notre culture traditionnelle qui sont encore vivaces dans
les milieux ruraux". »
182- On se rappelle que le premier président, Maurice Yaméogo,
s'était déjà attaqué à la chefferie traditionnelle en prenant un certain

2% Cf. S.-A. Balima, Légendes et histoire…, op. cit., Annexes,p. CLXXXI - CLXXXIT.
2% Friedrich Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique, Paris, Éditions
sociales, 1977, p. 73.
27 C, Savonnet-Guyot conteste qu’on puisse parler de féodalité dans la société moaga.
Selon elle, le système d’organisation est différent du modèle féodal. Cf. C. Savonnet-
Guyot État et sociétés au Burkina, op. eit., p. 111.
Parler en effet de « structures traditionnelles de type féodal » dans le Burkina
de l’époque traduit un manque d'analyse sérieuse de la société burkinabè autant que la
méconnaissance de la féodalité de la France du Moyen Âge. Ce fait, apparemment ano-
din, montre à quel point les écrits des théoriciens classiques de la révolution pouvaient
parfois être mal assimilés par des acteurs de la Révolution burkinabè,
Le chef traditionnel dans la société burkinabè était loin d’avoir la même puis-
sance et les mêmes prérogatives que le seigneur féodal. Le serf était pratiquement aita-
ché à son seigneur qui était son maître et son juge. Même le vilain, paysan libre établi
sur les terres du seigneur, lui devait des redevances et des corvées. Tels n’étaient pas le
cas du paysan dans la société traditionnelle burkinabè. Le type d'organisation et de
contrôle social était différent. Le seigneur était tout puissant dans son fief. La chefferie
traditionnelle était encadrée par les coutumes et les notables.
F8 D.O.P.. op. cit., p. 16-17.
126
:

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement aulogentré
… Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

nombre de mesures. La plupart d’entre elles s'étaient d’ailleurs révélées


inefficaces parce que la chefferie traditionnelle avait su se montrer incon-
tournable. Le C.N.R. va procéder en deux étapes. Dès le 30 décembre
1983 un décret énonçait : « Son abrogés les textes organisant les modes
de désignation des chefs de village, ceux fixant les limites de compé-
tences territoriales entre autorités coutumières et autorités administra-
tives ainsi que tous les textes relatifs aux rémunérations, gratifications et
autres traitements des chefs coutumiers en Haute-Volta. » Il va ensuite
s’attacher à la mise en pratique du décret en optant de saper les fonde-
ments de la chefferie coutumière. Jusque-là la chefferie traditionnelle
avait la charge de la collecte de l'impôt forfaitaire sur le revenu appelé
aussi impôt de capitation. Un pourcentage de l'impôt collecté revenait
aux chefs qui en avaient eu la charge. Dans un double objectif qui était de
soulager les paysans et les éleveurs soumis à cet impôt et aussi de priver
ja chefferie coutumière d’un moyen d'acquisition de revenus et aussi de
contrôle social, le C.N.R. par ordonnance n° 84-064/CNR/MRF/DGI du
1% octobre 1984 décida de la suppression de cet impôt.
183- La ville de Ouagadougou comprend, à l'instar d’autres villes, un
certain nombre de quartiers (Ouidé, Gunghé, Larlhé, Samandé, Kam-
saoghê, Tampuy, Dapoya, Paspanga, etc.) À la tête de chaque quartier se
trouve un chef coutumier. Le 7 janvier 1984 le C.N.R. décida de procéder
à un nouveau découpage des communes en secteurs avec des limites dif-
férentes de celles des quartiers. La ville de Ouagadougou fut ainsi divisée
ra-
en trente secteurs et Bobo-Dioulasso en 25 secteurs”. Leur administ
tion fut confiée aux Comités de défense de la Révolution (C.D.R.) Les
chefs de quartier perdaient du coup leur pouvoir d'administration. La
réforme agraire décidée en août 1984 et dont le contrôle et l’exécution
avaient été confiés aux C.D-R. enlevait également aux chefs coutumiers
tout pouvoir sur les terres. Depuis la nuit des temps, les chefs coutumiers
avaient toujours rendu la justice au Burkina/®. Ce qui leur donnait le

27 La Joi du 22 décembre 2009 a procédé à un nouveau découpage. Ainsi, Ouagadou-


gou comprend maintenant douze arron ments et cinquante-cinq secteurs et Bobo-
Dioulasso sept arrondissements et trente-trois secteurs.
230 À l'époque de la Révolution, il n’y avait qu’une dizaine de tribunaux modernes dans
tout le pays (Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Koudougou, Ouahigouya, Gaoua, Dédou-
par
gou, Fada N'Gourma, Dori, Kaya, Tenkodogo). Leur accès était rendu difficile
127
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

dernier mot sur la gestion des affaires du village, du canton, de la pro. |


vince ou du royaume en fonction de la limite territoriale de leurs compé. i
tences. Dans le cadre de la révolutionnarisation de tous les secteurs de Ia
société burkinabè, le C.N.R. créa ses propres tribunaux, tenus par les -
C.DR,., dont l'objectif était de déposséder la chefferie coutumière du
pouvoir séculaire de dire le droit. Privée de la fonction de collecte de
l’impêt de capitation, de son autorité sur les terres, du pouvoir de légiférer .
dans le domaine de leurs compétences traditionnelles et de rendre la justice,
la chefferie coutumière n’était pratiquement plus que l’ombre d’elle-même,
Même les chefs supérieurs, y compris le môgh nâba, furent touchés par ces
mesures ; ce qui relevait de l’inédit*!, Le môgh näba dut même commencer
à s’acquitter de ses factures d’eau et d'électricité.
2- La lutte contre là bourgeoisie
184- Selon M. Rubel, « La bourgeoisie est une classe sociale dont
l'unité est cimentée par la poursuite du profif?, » Pour F. Furet, la.
bourgeoisie « désigne cette classe d'hommes qui a progressivement dé-
fruit, par son activité libre, l'ancienne société aristocratique fondée sur
les hiérarchies de la naissance®?. » La bourgeoisie tient entièrement de
l’économique ; elle constitue une classe sans statut, sans tradition fixe,
sans contours établis et « elle n'a qu'un titre fragile à la domination : la
richesse. Fragile, car il peut appartenir à tous : celui qui est riche aurait
pu ne pas l'être. Celui qui ne l'est pas aurait pu 1 étre", » La société
bourgeoise, selon F. Furet, est détachée par définition de l’idée de bien

l'éloignement avec en plus l’absence de routes praticables et de moyens de transport, et


aussi par l’analphabétisme de la population. C’est donc tout naturellement que dans les
villages les gens recouraient toujours aux chefs coutumiers pour la solution des litiges.
En 2016 on dénombrait vingt-cinq tribunaux de grande instance.
281 À noter cependant que c’est Maurice Yaméogo qui avait interdit au môgh näba de
faire flotter le drapeau national sur son palais et sur sa voiture. Le régime du
C.M.R.P.N. avait aussi assigné à résidence le môgh nâba.
282 Maximilien Rubel, “Avant-propos” dans Karl Marx, Révolution et socialisme, pages
choisies, Paris, Payot, 1970, p. 11.
28 François Furet, Le Passé d’une illusion …, op. cit., p. 19.
24 Ibid, p. 20.
128
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

commun. «Le bourgeois est un individu séparé de ses semblables, en-


fermé dans ses intérêts et ses biens®. »
185- Le C.NR. range la bourgeoisie du côté des ennemis du peuple et en
distingua trois sortes : la bourgeoisie d’État, la bourgeoisie compradore et la
bourgeoisie moyenne. La bourgeoisie d’État est la bourgeoisie politico bu-
reaucratique qui se sert de l’appareil d'État pour tirer profit de l’exploitation
des autres. La bourgeoisie compradore ou commerçante est celle qui, de par
ses activités mêmes, est attachée à l'impérialisme par de multiples liens. La
bourgeoisie moyenne est celle qui, bien qu'ayant des liens avec
l'impérialisme, rivalise avec celui-ci pour le contrôle du marché?#,
3- La lutte contre le clergé
186- Dans une société économiquement arriérée, la religion, très sou-
vent, devient un moyen de domination, de contrôle et d'exploitation.
Conscient de cela, le C.N.R. n’hésita pas à ranger parmi les ennemis du
peuple les dignitaires religieux dont les comportements contrastaient
avec sa vision.
4 Les bouleversements sociaux
187- Le peuple qui avait les faveurs du C.N.R. et qui était le grand bé-
néficiaire de la Révolution avait été subdivisé en quatre sous-groupes : -
La classe ouvrière qui est une classe véritablement révolutionnaire. - La
petite bourgeoisie qui constitue une couche sociale très instable et qui
hésite très souvent entre la cause des masses populaires et celle de
l'impérialisme. Elle comprend les petits commerçants, les intellectuels
petits-bourgeois (fonctionnaires, étudiants, élèves, employés du secteur
privé, ete.) et les artisans. - La paysannerieet enfin - le lumpenprolétariat
qui comprend les éléments déclassés et sans travail et qui de ce fait même
sont facilement manipulables *?.
188- En mettant d’un côté le peuple et de l’autre les ennemis du peuple, le
C.NR créait un climat propre à la confrontation. Celle-ci n’allait pas tarder à
se manifester. Au moment où le C.N.R. s’emparait du pouvoir le 4 août

25 Ibid., p. 20.
26 Cf. D.O.P, op. cit. p. 15-16.
287 Cf. D.O.P., op. cit. p. 17-19.
129
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

1983, le Syndicat national des enseignants africains de Haute-Volta


(S-N.E.A.H.-V.) tenait son vingt-huitième congrès à Bobo-Dioulasso autour
du thème : «Le travailleur voltaïque face à l'inflation. » L'ouverture du
congrès avait eu lieu le 2 août. À la clôture le 7 août 1983, dans une motion
sur la conjoncture nationale, le S.N.E.A.H.-V. appela le peuple voltaïque à
se « démarquer de la proclamation du 4 août et de son C.N.R. qui n'est
qu'une autre appellation du fascisme déjà célèbre du C.S.P. LÉ formule. y
On se rappelle que c’est à l’issue d’une grève menée par ce syndicat que le
colonel Saye Zerbo et le C.M.R.P.N. avaient pris le pouvoir. Le S.N.E.A.H.-
V. n’avait pas alors ménagé son soutien au C.M.R.P.N. dont il en avait tiré
aussi un grand bénéfice. Il n’est donc pas surprenant qu’il n’aît pas apprécié
le renversement du C.M.R.P.N. par le C.P.S.P. de même que le retour au
pouvoir du capitaine Sankara. À l'issue d’un plénum tenu du 24 au 25 sep-
tembre 1983, le S.N.E.A.H.-V. renouvela ses attaques contre le C.N.R.

189- Sous le prétexte de procéder à l’assainissement de l’armée, dès le


mois d’août 1983, des décrets du président du C.N.R. décidaient de la
mise à la retraite ou du dégagement des forces armées, d’officiers de la
gendarmerie nationale et de l'armée#, En réalité, la politique
d’ “assainissement *” de l’armée avait commencé dès les premiers jours
qui ont suivi la chute du C.M.R.P.N. à l’époque déjà du Conseil provi-
soire de salut du peuple (C.P.S.P.) Le 16 novembre 1982 en effet, le pré-
sident du C.P.S.P. prenait une ordonnance n° 82-004/CPSP dont l’article
1 dispose : « Nonobstant les dispositions législatives et réglementaires
régissant les modalités d'affectation des officiers généraux en deuxième
section et de mise à la retraite des officiers des forces armées voltaïques,
il pourra être procédé exceptionnellement au dégagement de cadres mili-
taires par décret du chef de l'État et sans autre garantie disciplinaire à
l'égard : - des officiers n'exerçant pas des fonctions militaires effectives,
ou dont le maintien en activité s'avère incompatible avec la réorganisa-
tion et l'assainissement nécessaire de l'Armée nationale ; - des officiers
dont l'activité et le comportement passés ou présents peuvent s'analyser
en une trahison des intérêts du peuple et de l'Armée. » L'article 2 préci-
sait : « Les présentes dispositions sont applicables pendant une durée de
un an à compter du 7 novembre 1982. » Le même jour, le décret n° 82-

28 Cf. L'Observateur, n° 2657, Ouagadougou, 22 août 1983, p. 6.


130
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

023/CPSP mettait à la retraite deux généraux : les généraux Tiémoko


Marc Garango et Bila Jean Zagré et le décret 82-022/CPSP mettait éga-
lement à la retraite « par mesure d'assainissement des forces armées vol-
taïques », un certain nombre d'officiers ®.
190- Après l’ Armée, ce fut le tour de la Fonction publique d’être “as-
sainie”, Les agents de l’État pris en flagrant délit d’hostilité envers la
Révolution ou soupçonnés d’hostilité, ceux qui étaient défaillants et ceux
dont on estimait qu’ils ne pouvaient pas suivre le rythme, la cadence de
la Révolution furent “dégagés” de la Fonction publique. À l’avènement
de la Révolution, si l’on tient compte des emplois effectifs à l’époque, la
Fonction publique était pléthorique. Beaucoup de recrutements avaient
été faits, non pas selon la compétence et les besoins réels de
l'Administration mais selon des critères discrétionnaires pour rendre ser-
vice ou récompenser un parent, un ami ou un camarade politique. La
conséquence de cela est que bon nombre d’agents étaient soit incompé-
tents, soit corrompus, soit irréguliers au service et parfois tout cela à la
fois. Les mesures d’ “assainissement” visaient donc à moraliser et à dis-
cipliner la Fonction publique.
191- Pour l’assainissement de la Fonction publique, le C.N.R. avait
adopté un certain nombre de mesures : - La mise à la retraite concernait
les fonctionnaires d’un certain Âge, ayant accompli trente ans de service
ou plus et qui avaient été jugés inaptes pour suivre le rythme de la Révo-
lution, soit parce qu’ils occupaient une fonction jugée “stratégique”, ce
qui pouvait compromettre le C.N.R. du fait des liens qu’ils pouvaient
entretenir avec les anciens partis politiques dissous ou avec des personna-
lités des anciens régimes ; soit parce qu’ils étaient défaillants. Ceux qui
étaient mis d’office à la retraite avaient droit à une pension entière. - Le
dégagement concernait les agents dont les années de service étaient com-
prises entre quinze et trente ans et qui, soit avaient été défaillants, soit
avaient été jugés inaptes pour suivre le rythme de la Révolution, Les “dé-
gagés” avaient droit à une pension proportionnelle. - Le licenciement

2% À ce sujet on lira utilement : Patrick Ilboudo, “Le parti de Salomon”, L'Observateur,


n° 2631, Ouagadougou, 13 juillet 1983, p. 1 et 5 ; Bernardin Dabiré, “Entre le glaive de
la justice et la baïonnette du canon”, L'Observateur, n° 2637, Ouagadougou, 21 juillet
1983, p. 1 et6
131
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire d. KYÉLEM de TAMBÈLA

touchait les agents qui avaient moins de quinze ans de service et qui ne
totalisaient pas Îe nombre d'années suffisant pour prétendre à une pen.
sion, Leurs retenues de salaires leur étaient reversées. Il y avait aussi des
sanctions plus douces comme les avertissements, les blâmes et les sus.
pensions. Un agent suspendu devait continuer à travailler pendant la pé-
riode de suspension mais sans salaire. La levée de la suspension dépen.
dait de la discipline ultérieure de l’agent suspendu.
192- En matière de sanction, celle qui secoua durablement le pays fut
le licenciement des instituteurs grévistes de mars 1984. Le 9 mars 1984
étaient arrêtés Jean Pagnimda Bila, secrétaire général du S.N.E.A.H.-V.
Joachim Sib, secrétaire aux relations extérieures et Batiémoko Koné,
secrétaire chargé des problèmes pédagogiques. Ils furent transférés à
Koudougou à environ une centaine de kilomètres à l’ouest de Ouagadou-
gou. Pour obtenir leur libération, le Bureau national du S.N.E.A.H.-V.
décida d’une grève générale de protestation de quarante-huit heures pour
les 20 et 21 mars 1984. La réaction du C.N.R. fut très vive. Le 12 mars,
dans une déclaration radiodiffusée, il traita les membres du Bureau du
S.N.E.A.H.-V. de contre-révolutionnaires et accusa le Front progressiste
voltaïque (F.P.V.), l’ancien parti de Joseph Ki-Zerbo, d’être à l’origine
de l’agitation du S.N.E.A.H.-V. Il déclara que la décision de se mettre en
grève était une tentative de «créer pour leurs alliés impérialistes, les
conditions favorables à une déstabilisation et à une agression. » Pour le
C.NR, les dirigeants du S.N.E.A.H.-V. ont comploté contre la sûreté de
l'État et «La preuve est depuis longtemps établie qu'ils sont
d'intelligence avec des puissances extérieures en vue d'instaurer un ré-
gime dirigé par eux et leurs compères.» Les puissances extérieures
mises en cause étaient la France, la Belgique et Israël. Enfin le C.N.R.
invita les militants du syndicat à se démarquer de ses dirigeants. Malgré
les menaces, la grève fut maintenue.
193- La police, la gendarmerie et les C.D.R. sillonnèrent les établisse-
ments du pays pour relever les noms des enseignants grévistes. Le 22
mars, à 22h 15 mn, un communiqué officiel annonçait le licenciement
sans indemnité « de leur emploi [de] tous les contre-révolutionnaires qui
ont participé au complot contre la Révolution démocratique et populaire
en observant le mot d'ordre de grève de la direction réactionnaire du
132
|

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentté
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

SN.E.A.H.-V.» La mesure toucha environ mille quatre cent enseignants


et encadreurs des enseignants du primaire?” sur un total d'environ quatre
mille huit cent. Certains d’entre eux, pour des raisons diverses, seront
repris par la suite””!, Pour remplacer les licenciés, un recrutement massif
d’enseignants fut organisé à la hâte. Toute personne titulaire au moins du
brevet d’études du premier cycle (B.E.P.C.) pouvait être candidat. Beau-
coup d'élèves et de jeunes trouvèrent par ce canal un emploi inespéré,
stable et suffisamment rémunérateur. Après quelques semaines de forma-
tion accélérée, ils furent envoyés dans les écoles. Ceux qui ont ainsi été
recrutés furent connus sous le nom d° “instituteurs révolutionnaires”.
# *

20 Cf. Journal officiel de la République de Haute-Volta, XXVI° année, n° 18, Ouaga-


dougou, 3 mai 1984, p. 338-355.
#1 Cf. Carrefour africain, n° 870, Ouagadougou, 15 février 1985, p. 11-12. |
133
Chapitre II
La notion de développement
E Notions générales”?
194- L'objectif de Thomas Sankara était d'améliorer les conditions de
vie des Burkinabè et d’assurer le développement du pays. Ils voulaient
«faire en sorte que les larges masses populaires ne perçoivent plus le
bien-être comme une faveur mais un droit qu'elles auront conquis” PA
Mais que peut-on entendre par développement ? On peut dire avec M.
Diabaté que « /e plus grand danger de l'aspiration généralisée au déve-
loppement est l'imprécision du terme”. » Le sous-développement en
Afrique, en Amérique latine et en Asie est bien antérieur à la période
coloniale, Mais c’est avec la colonisation qu’il trouve sa pleine réalisa-
tion. Sous l’angle du commerce international, M. Benchikh voit le sous-
développement comme « le résultat du transfert vers les pays développés
des ressources cé de la plus-value engendrées par les activités des pays
sous- développés? %. 5 Certains comme Salvador Allende soutiennent que

#2 Cf. Apollinaire Kyélem, L'Éventuel et le possible, Presses Universitaires de Ouaga-


dougou, 2002, p. 65-74.
23 Cf. Carrefour africain, n° 790-791, Ouagadougou, 12 août 1983, p. 28.
#4 Moustapha Diabaté, “Du sous-développement au blocage du développemenrf”, Paris,
Présence Africaine, n° 79, 1971, p. 18.
25 Madjid Benchikh, Droit international du sous-développement - Nouvel ordre dans la
dépendance, Paris, Berger-Levrault, 1983, p. 98.
Dans les domaines économique et social, c’est en 1942 que le terme sous-développé
aurait été employé pour la première fois par Wilfred Benson, fonctionnaire du B.LT.
dans un article intitulé “The Economic Advancement of Underdevelopped Areas.” Cf. G.
Rist, Le développement - Histoire d’une croyance occidentale, op. cit., p. 121. C’est le
président des Etats-Unis Harry S. Truman qui sera l'artisan de la vulgarisation du terme
en l’employant dans son “Discours sur l'État de l'Union” du 20 janvier 1949, Cf. G.
Rist, op. cit. p. 116-121. De l’adjectif sous-développé découlera le substantif sous-
développement.
Tout en l’employant pour se faire comprendre, Charles Bettelheim critique la
formule “pays sous-développés”. Pour lui la formule cache le rapport d’exploitation et
de domination qui relie les pays développés à économie de marché et les pays sous-
développés. Cf. M. Benchikh, op. cit., p. 8-9, Note 2. Certains préfèrent parler de “pays
134
Thomas SANKARA ef la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

«le sous-développement existe parce que l'impérialisme existe®, » S’il


est vrai cependant que l'impérialisme maintient et même renforce le
sous-développement, il est difficile de dire qu’il en est le géniteur dans la
mesure où, concrètement, le sous-développement a existé bien avant la
pénétration coloniale. C’est d’ailleurs la différence de développement qui
a permis la traite des Noirs et la colonisation?”
195- D'une façon générale, on peut dire qu’il y a sous-développement
dès lors qu’un pays ne parvient pas à couvrir les frais fondamentaux du
statut humain de la vie, Les besoins vitaux sont constitués par ce que
François Perroux appelle les trois couvertures de Phomme : nourrir les
hommes, soigner les hommes, éduquer les hommes. On peut ajouter à
cela : loger les hommes. Si l'opinion majoritaire reconnaît que c’est vers
la satisfaction de ces besoins que doit s’orienter toute politique de déve-
loppement, en revanche il est difficile de s’entendre sur les moyens d’y
parvenir et même sur la notion même de développement. Certains per-
çoivent le développement en termes de croissance économique. Mais il
peut être perçu aussi comme étant l’évolution harmonieuse d’une société.
196- Le modèle occidental de développement est souvent perçu comme
le seul valable. Cornelius Castoriadis déclarait que « Le développement,
c'est le développement de type occidental capitaliste. Il n'y en a pas
d'autre jusqu'ici, et on n’en connaît pas d'autre … Ce qui importe, c'est

retardës”. Pour M. Diabaté, il n°y a pas de pays sous-développés mais de “pays asser-
vis”, Cf. M. Diabaté, op. cit., p. 32.
Les Nations Unies ont adopté les formules “pays en voie de développement” et
“pays les moins avancés.” Pour J. Ki-Zerbo, « La formule ‘en voie de développement”
est … un péché originel particulièrement vicieux el sadique pour tous ceux qui en ac-
ceptent la problématique. En effet elle les aiguille mal au départ, puisqu ‘elle ne leur
laisse pas le loisir de réfléchir sur le but de leurs itinéraires et, partant, sur la voie pour
y parvenir. La frustration sera sûrement très grande pour ceux qui se laissent prendre à
ce genre de mots pièges engageant l'énergie créatrice des peuples dans les impasses
stériles. » Cf. Joseph Ki-Zerbo, “Dynamiter la sémantique”, Afrique Asie, n° 240, Paris,
25 mai 1981, p. 58.
26 Cf. M. Benchikh, op. cit., p. 97.
27 Pour un essai d'explication des causes des inégalités entre les sociétés, cf. Jared
Diamond, De l'inégalité parmi les sociétés - Essai sur l’homme et l’environnement dans
l’histoire, Paris, Gallimard, 2000.
135
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

d'économiser, de produire, de gagner”, » Dans ce contexte, dans les


pays sous-développés, le développement est apprécié en fonction des
tentatives d’imitation de l'Occident. Les progrès réalisés sur la voie du
développement s’apprécient alors en fonction du parc automobile, des
gratte-ciel, de la disponibilité de produits de luxe, du degré de consom-
mation à l’occidentale, de l’industrialisation, etc. dans cette optique, une
région est considérée comme arriérée quand elle n’est pas dotée
d’industries modernes, même si elle est habitée par une population nom-
breuse capable par son travail de répondre à ses propres besoins. Pour
remédier à la situation on implante alors dans cette région une gigan-
tesque fabrique de papier, une usine sidérurgique ou une entreprise
d’extraction de minerai, même s’il faut déposséder les habitants de leurs
biens et de leurs droits ou les transformer en main-d'œuvre salariée à la
merci des entrepreneurs ”.
197- Dès les “indépendances”, les États-Unis se sont proposés comme
modèle pour le développement des territoires libérés de la colonisation.
Dans la mesure où, nés d’une colonie révoltée contre une métropole ils
sont parvenus au développement économique, la similitude de leur situa-
tion avec celle des anciens pays coloniaux fait penser en effet que par la
même voie tous peuvent se développer. Mais, fait remarquer P. Gourou,
«La révolte des treize Colonies fut une révolte de métropolitains contre
leur métropole; ces métropolitains sécessionnistes conservèrent
l'héritage politique et technique de leur ancienne métropole ; ils ne mon-
trèrent aucune indulgence pour les autochtones amérindiens, qu'ils pri-
vèrent de leurs terres et de leurs droits, ni pour les Noirs, qu'ils affran-
chirent bien après l'indépendance états-unienne. L'exemple des Etats-
Unis ne peut donner une marche à suivre pour les “sous-développés"*®.
Comme l’écrit A. Grjebine, « L'erreur [...] est de supposer que les résul-
tats atteints par une civilisation dans un contexte géographique et socio-
culturel spécifique peuvent être également obtenus rapidement et sans

#8 Cf, Joseph Ki-Zerbo, “Dynamiter la sémantique”, Afrique Asie, n° 240, Paris, 25


mai 1981, p. 58.
2% Cf. Claude Alvares, “Le refus du développement”, Problèmes économiques, n° 1854,
Paris, 28 décembre 1983, p. 4.
3% Pierre Gourou, Terres de bonne espérance - Le monde tropical, Paris, Plon, 1982, p.
346-347.
136
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBI

crise grave par des civilisations foncièrement différentes tant par leur
environnement géographique et social que par les valeurs dont elles se
réclament et les conceptions de l'univers qui y dominent", » Selon lui, il
convient de renoncer au mimétisme pour préparer un développement
adapté à chaque contexte, à chaque civilisation.
198- Le développement vu sous l’angle de la croissance économique
est de plus en plus contesté. Ce modèle de développement tend à occulter
un aspect fondamental qui est la dépendance par rapport au système do-
minant. Or, comme l’écrit J. Ki-Zerbo, « à quoi servirait la croissance
dans la dépendance ? À quoi sert de grossir si l'on grossit comme es-
clave et si, par-là, on progresse dans la servitude ? 92; En outre, ce
modèle tend à la multiplication et à la diversification des biens pour la
satisfaction des besoins. Or, les besoins sont élastiques et sans limite. La
multiplication et la diversification des biens créent plus de besoins
qu’elles n’en satisfont et l'abondance généralisée qui est recherchée
s’éloigne au fur et à mesure qu’on multiplie et diversifie les objets de
CHE

satisfaction. Il est de la nature même des besoins humains de se dérober à


la satisfaction par une sorte de fuite en avant. Comme l’exprime P.
D ——

Kende, « Dire qu’un jour tous les besoins seront satisfaits est un non-
sens tant que la technique est à l'œuvre pour inventer de nouvelles es-
pèces (de comestibles, d'objets décoratifs ou fonctionnels, d'engins, etc. )
“désirables”, quel que soit le motif de cette désirabilité®. » Pour stabili-
ser les besoins, il faudrait, selon lui, commencer par arrêter le progrès
technique, c’est-à-dire boucher les chemins du savoir.
199- Le développement selon le modèle occidental connaît des limites
objectives. Ironisant sur les tentatives d'imitation de ce modèle de déve-
loppement, F. Fanon écrit : « Si nous voulons transformer l'Afrique en
une nouvelle Europe, l'Amérique en une nouvelle Europe, alors confions
à des Européens les destinées de nos pays. Ils sauront mieux faire que les
mieux doués d'entre nous. [...]

#01 André Grjebine, La nouvelle économie internationale, 3° édition entièrement révisée,


Paris, Presses Universitaires de France, 1986, p. 142-143. C’est l’auteur qui souligne.
3 j, Ki-Zerbo, “Dynamiter la sémantique”, op. cit. p. 59.
39 pierre Kende, « Mythes et réalités de la “société de consommation” », Esprit, n° 387,
Paris, décembre 1969, p. 868.
137
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Si nous voulons répondre à l'attente de nos peuples, il faut cher-


cher ailleurs qu'en Europe". » Certains s'opposent tout simplement au
développement économique. Ivan Illich assimile le développement éco-
nomique à la guerre et l’économie de subsistance à la paix”. Comme
solution au problème du développement, certains préconisent la rupture
d’avec le système économique dominant pour éviter les pièges de
l’extraversion"®, Déjà Bakounine écrivait que « tout développement im-
plique nécessairement une négation, celle de la base ou du point de dé.
part 7 ». Une économie extravertie peut provoquer une croissance sec-
torielle mais il lui est difficile de susciter un développement équilibré. S.
Amin estime qu’elle est une voie sans issue”,
[le Le développement autocentré
200- Sankara s’inscrivait dans la perspective de la rupture. Il a eu en
effet à déclarer ceci : «11 faut proclamer qu'il ne peut y avoir de salut
pour nos peuples que si nous fournons radicalement le dos à tous les
modèles que tous les charlatans de même acabit ont essayé de nous
vendre vingt années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de salut en
dehors de ce refus-là. Pas de développement en dehors de cette rup-
ture®, » Le processus de rupture est aussi connu sous le nom de “transi-
tion” qui est la période de révision du modèle, de renversement des prio-
rités. Il suppose la prise en compte des valeurs propres aux populations
concernées. La rupture offre l’occasion de se replacer dans ses propres
valeurs pour s’organiser en harmonie avec ses propres conceptions de la
vie et de la société. Comme le fait remarquer J. Ki-Zerbo, c’est dans le
domaine des valeurs que se trouve le vrai habitacle de l’homme. Et, dit-il,
«on ne pourra jamais atteindre la fin de l'histoire dans ce domaine.
Puisque, contrairement à l'accumulation de biens, il n'y aura pas de

304 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, La Découverte, 1985, p.238.
3% Cf. C. Alvares, “Le refus du développement”, op. cit., p. 6.
306 Cf. Samir Amin, La déconnexion — Pour sortir du système mondial, Paris, La Dé-
couverte, 1986.
#7 M. Bakounine, Dieu et l’État, op. cit., p. 9.
3% Cf. Samir Amin, Impérialisme et sous-développement en Afrique, Paris, Anthropos,
1976, p. 22.
3% Discours de Thomas Sankara à la 39° session ordinaire de l’Assemblée Générale des
Nations Unies, Carrefour africain, n° 852, Ouagadougou, 12 octobre 1984, p. 16.
58
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

limites pour les valeurs. Le monde des valeurs est une immensité qui dé-
passe de loin le monde matérieP", »
201- Un tel mode de développement est connu sous le nom de “seif
reliance” où développement autocentré"!}. Le concept a eu des difficultés
à se faire accepter” . Le développement autocentré vise à redéfinir les
priorités économiques afin de produire les biens utiles à l’ensemble de la
population plutôt que de compter sur le commerce international pour
importer des biens de consommation qui ne profitent qu’à une minorité.
Il repose sur le contrôle démocratique de la production et sur l’utilisation
prioritaire des facteurs de production disponibles localement. Il stimule la
créativité et la confiance en ses propres valeurs et harmonise le mode de
vie avec l’environnement et les facteurs locaux existants”. Le régime du
C.M.R.P.N. avait déjà en vue le concept de développement autocentré.
Le Discours programme dit ceci en effet : « À notre sens, le concept de
développement doit être entendu comme la volonté farouche d'un peuple
à maîtriser son destin par le travail, l'acquisition de connaissances et de
savoir faire, pour aboutir à l'épanouissement total de la personne et de
la collectivité", »
202- Le développement autocentré exige une concertation permanente
entre les acteurs politiques et la population. Il ne s’agit donc pas
d'imposer un quelconque schéma à respecter, comme cela s’est fait en

310 J, Ki-Zerbo, À quand l'Afrique ?, op. cit. p. 183.


317 La Déclaration d’Arusha du 5 février 1967 du président tanzanien Julius Nyerere
serait à l’origine de la se/freliance ou développement autocentré. Certains cependant
font remonter le concept à Gandhi qui prônait l’autosuffisance villageoise sur la base du
principe de “swadeshÿ” (intériorité / endogénéité), combiné avec celui de “sarvodata”
(amélioration des conditions sociales de tous). Pour d’autres, c’est plutôt Mao Zedong
qui serait à l’origine du concept. En 1945, il utilisait l'expression “zu li keng sheng” qui
signifie littéralement “la renaissance par ses propres forces” et qui renvoie à la manière
dont le peuple, grâce à sa créativité culturelle et sociale, forge l'histoire. Il convient
toutefois de noter que la pratique qui consiste pour une société à s'organiser en fonction
de ses propres ressources est aussi vieille que l’humanité. Cf. G. Rist, Le développe-
ment - Histoire d’une croyance occidentale, op. cit., p. 201-204. N’est-il d’ailleurs pas
courant de dire : Aide-toi et le ciel l’aidera ?
37 C£ I. Ki-Zerbo, quand
À l'Afrique ?, op. cit. p. 172.
38 Cf G. Rist, op. cit. p. 219-221.
34 CM.R.P.N., Discours programme, Ouagadougou, Imprimerie nationale, 1981, p. 39.
139
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Tanzanie, notament sous le président Nyerere*!*, mais d'essayer de réali.


ser ce qui correspond aux aspirations de la population. Le développement
étant une question de mentalité, le développement autocentré ne peut pas
être entrepris au forceps. Il arrive parfois que des populations préfèrent la
sécurité de leurs chaînes au risque ou à l'incertitude du progrès. Il fau.
drait alors selon le pape Paul VI, convaincre ces populations d’opérer
eux-mêmes leur propre développement et d’en dégager peu à peu les
moyens? 16, Les acteurs de développement doivent alors s’efforcer
d’appréhender la notion de développement dans la langue et la culture
des populations concernées pour ne pas risquer de proposer autre chose
que le développement”!?
203- Le développement autocentré suppose une double révolution : une
révolution politique et une révolution personnelle ou reconversion. - Une
révolution politique pour amorcer une rupture nécessaire à la mise en
œuvre d’une politique économique moins extravertie, animée d’un dy-
namisme inteme propre à la réalité économique du pays. Il s’agit « de
s'organiser pour inventer de nouveaux modes de vie, situés entre une
modernisation dont on souffre mais qui procure néanmoins quelques
avantages et une tradition dont il est possible. de s'inspirer tout en sa-
chant qu'il est impossible de la faire revivre‘ "®. » - Une révolution per-
sonnelle de la part des acteurs du développement. Il faudrait une certaine
humilité dans la démarche. L’autosatisfaction est à l’origine de biens des
échecs : projets grandioses sans rapport avec le vécu quotidien des popu-
lations, conceptions erronées des projets par manque de concertations et
de réalisme, etc. La révolution personnelle suppose non pas une adhésion
intellectuelle aux principes de la révolution mais une adhésion de cœur
qui donne une autre dimension à l’engagement. L'absence d’adhésion de
cœur à pour corollaire l’arrogance dans les convictions, dans le verbe et
dans l’action. Elle est à l’origine des querelles intestines et des massacres

35 Cf. René Lenoir, “Le développement hier et aujourd’hui”, Projet, n° 219, Paris, sep-
tembre 1989, p. 16.
316 Cf. Gabriel Marc, “L'éveil des sociétés civiles”, Projet, n° 219, Paris, septembre
1989, p. 57-58.
317 C£ Apollinaire Kyélem, “Transfert de technologie, industrialisation et développe-
menf”, Annales de l’université de Ouagadougou, Série A, Vol. XII, 2000, p. 142.
F8 G. Rist, Le développement - Histoire d’une croyance occidentale, op. cit., p. 399.
140
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

entre “révolutionnaires” (révolutions française, bolchevik, chinoise, con-


golaise, cambodgienne, éthiopienne, grenadienne, burkinabè, etc.)
204- Sans révolution personnelle préalable de la part des acteurs poli-
tiques, sans le renoncement volontaire de soi pour renaître comme per-
sonne de service, toute révolution politique est vouée à l’échec par le
choc des ambitions personnelles et la tentation d’appliquer des schémas,
des modèles abstraits. Comment en effet peut-on créer des institutions
vraiment nouvelles et les faire fonctionner d’une manière également tout
à fait nouvelle si on ne s’est pas au préalable transformé soi-même ? La
révolution personnelle qui suppose l’amour gratuit permet d’aborder les
problèmes avec moins de passion et partant avec plus de réalisme et de
lucidité. C’est le chemin suivi par Gandhi en Inde, Martin Luther King
aux Etats-Unis et Mandela en Afrique du Sud pour mener leur peuple à
l'émancipation.
205- Le développement peut être perçu comme le bien-être de l’être hu-
main tel qu'il le conçoit. C’est la réalisation de l’idée de bonheur telle qu’il
se la représente. Comme l’écrit Adam Smith, « Tous les rangs de la société
sont au même niveau, quant au bien-être du corps et à la sérénité de l'âme,
et le mendiant qui se chauffe au soleil le long d'une haie possède ordinaire-
ment cette paix et cette tr anquillité que les rois poursuivent toujours 31 » En
2008, un exemple est venu du Bhoutan. Le roi Jigme Singye Wangehuck
avait estimé qu’il convenait d'instaurer la démocratie dans son royaume où
il n’y avait jamais eu d'élection. L'objectif étant de transformer la monar-
chie absolue en monarchie constitutionnelle. Mais les Bhoutanais étaient
opposés au projet de leur roi, estimant que la démocratie ne pourrait
qu’instaurer des troubles dans leur société. Il a fallu tout l’entregent du roi
pour les persuader de se rendre aux urnes. Avec l'entrée de la démocratie
dans leur pays, les Bhoutanais sont maintenant inquiets quant aux consé-
quences futures de ce nouveau système dans leur vie. Chaque peuple,
chaque société, chaque personne a une idée du bonheur qui lui est propre.
206- Au sein même des sociétés occidentales, le développement n’est
pas perçu de la même façon par tous. Le mouvement des “focolari” dont

39 Cf D.G. Lavroff, Les grandes étapes de la pensée politique, op. cit., p. 364.
141
Thomas SANKARA et la Révolution an Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBÈLA

le centre de rayonnement est le village italien de Loppiano offre


l'exemple d’une communauté moderne, évoluant sans tension et dans une
parfaite harmonie, dans un esprit de partage du travail, des biens et des
préoccupations.
207- Quel que soit le lieu géographique, toutes les sociétés qui font au
partage, de la solidarité et de l'harmonie le fondement de la vie commu-
nautaire ont un point commun : la traduction dans les faits de la croyance
en une force surnaturelle qui gouverne le monde et recommande le bien,
Ainsi chez les Bwa du Burkina, « le facteur d'unité est … la référence à
un même corpus de croyances religieuses, au centre desquelles on trouve
Do, fils et frère de Dofini, (Dieu lointain), intermédiaire entre lui et les
hommes. Clef de voñte de toute la cosmogonie bwa, Do régit des orces
qui s'appliquent tant au domaine social qu'au domaine natureP®, » La
figure centrale de Do permet au « Bwa d'exprimer son idéal humain de
«construction communale ». Et « c'est Do qui donne conscience à tous
les initiés bwa, c'est-à-dire à tous les adultes hommes et femmes -
d'appartenir à une « société totale®?!, » Chez les focolari c’est le Dieu de
la Bible qui sert de guide dans la vie de chaque jour.
208- L'harmonie sociale serait ainsi étroitement liée à une certaine
conception et pratique de la spiritualité dans le respect de la liberté de
chacun. On peut en effet remarquer que dans les sociétés où il y a ab-
sence ou recul de la traduction concrète de la spiritualité dans la vie quo-
tidienne, la soif du pouvoir et de l’avoir s’accroît au fur et à mesure, les
ambitions se heurtent et le conflit devient une constante malgré
l'adoption d’une multitude de lois pour le prévenir et le réprimer.
L'absence de spiritualité a été pour quelque chose dans les régimes dicta-
toriaux d’U.R.S.S., d'Europe centrale et orientale, de Chine, de Corée du
Nord, des Khmers rouges au Cambodge, d’Éthiopie sous Mengistu et
dans une moindre mesure de Cuba. Le nazisme et le fascisme y ont éga-
lement trouvé leur fondement. L’évocation de la spiritualité peut être un
simple alibi pour la conquête et la conservation du pouvoir. Cela aboutit
à des formes d’intégrisme et de fondamentalisme dont la violence peut

3% C. Savonnet-Guyot, État et sociétés au Burkina, op. cit, p. 61.


21 J, Capron, Cité par C. Savonnet-Guyot, El u Burkina, op. cit. p. 61.
142
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KVÉLEM de TAMBÉLA

parfois être sans limite comme on peut actuellement le constater avec


l’État Islamique au Moyen Orient.
209- Le projet marxiste de société dont la conception peut paraître at-
trayante connaît des difficultés de réalisation dues en partie, sinon essentiel-
lement, au rejet par les tenants de ce système, de la spiritualité et de la liberté
d’option qui est la caractéristique fondamentale de l’être humain et le mo-
teur de toute créativité”? Il est donc per mit de penser que la spiritualité li-
brement consentie et vécue et non prise en otage par un système étatique,
peut servir de moyen pour un développement harmonieux. C’est ainsi que le
mouvement des focolari propose depuis 1991 un autre modèle de dévelop-
pement basé sur un nouveau concept : “l'économie de communion dans la
liberté” qui voudrait que les bénéfices réalisés par l’entreprise soient mis “en
communion” pour répondre à trois objectifs essentiels : l’aide aux plus défa-
vorisés dans et en dehors de l’entreprise, la formation du personnel et
l’autofinancement?, Les entreprises qui essayent d’appliquer ce concept
connaissent déjà un certain rayonnement
219- Quand on en vient à la personne humaine, il serait préférable de
remplacer le terme “développement” par émancipation, épanouissement,
bien-être ou mieux-être. Ces termes en effet ont l’avantage de la préci-
sion. Ils s'appliquent généralement à des êtres animés alors que le terme
développement s’applique indistinctement au bâtiment ou à l’usine en
construction, à la technique, à la science, comme à l’économie et à la vie
en société. D’où une inévitable confusion qui peut amener à penser que le
développement dans la vie en société égale au développement d’usines,
de bâtiments, etc. Le remplacement de ce terme confus par l’un ou l’autre
de ceux susmentionnés interpellera certainement, car, après la construc-
tion du bâtiment, de l’usine, de l'autoroute, après l'acquisition de la tech-

32 Cf. Apollinaire Kyélem, “Critique de la conception matérialiste de l'histoire”, Le


Le
Pays, n° 3853, Ouagadougou, 20 avril 2007, p. 24 -26 ; Pays, n° 3857, Ouagadou-
gou, 26 avril 2007, p. 9 ; Mutations, n° 124, Ouagadougou, 1-14 mai 2017, p. 6-7 ; 11.
F5 Cf Pino Quartana et al., Pour une économie de communion, 2° édition, Paris, Nou-
velle Cité, 1994:
34 Cf. Nouvelle Cité, n° 420, Paris, mars 1999 ; Michèle Zanzucchi, “Bilan et perspec-
tives - 10 ans d'économie de communion”, Nouvelle Cité, n° 448, Paris, octobre 2001,
p. 6-9 ; Mouvement des focolari, Économie de communion - Dix années de réalisations,
Paris, Nouvelle Cité, 2001.
143
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

nique, de la science, l'être humain se retrouvera face à lui-même pour se


demander s’il s’est émancipé, s’il ressent un certain épanouissement, un
bien-être ou un mieux-être. C’est alors que, sans doute, il s’interrogera
sur son être et son devenir. $’il n’a pas ainsi accédé au bien-être, il re-
mettra beaucoup plus facilement en cause les moyens et les méthodes. Le
changement de terminologie, toute proportion gardée, peut contribuer à
résoudre les problèmes de mal développement”.

* *

3% Cf. A. Kyélem, L'éventuel et le possible, op. cit., p. 74.


144
Chapitre III
Les mécanismes de mise en œuvre de la politique du C.N.R.
Conscient de la fragilité de ses bases (1) le C.N.R. avait mis en place ses
propres structures d'encadrement (D).
E Les bases politique et sociale du C.N.R.
211- Ceux qui, le 4 août 1983, ont provoqué le changement de régime
au Burkina, sont essentiellement des militaires, des intellectuels et des
citadins, notamment des habitants des quartiers populaires de la capitale.
À l'origine se trouve le “Roc”? qui regroupait de jeunes officiers sous la
direction de Thomas Sankara et le Centre national d’entraînement com-
mando (C.N.E.C.) de P6. Pendant la période de rébellion, des partisans
de Thomas Sankara avaient rejoint les militaires à Pô pendant que
d’autres assuraient des liaisons entre les rebelles et la capitale. Au
nombre des groupes et organisations politiques civils, il y avait notam-
ment la Ligue patriotique pour le développement (LLPA.D.) qui était une
émanation de la section nationale du P.A.L*? et d’anciens militants de
3% Sous la Révolution on a prétendu que “Roc” est l’abréviation de Regroupement des
signifier
officiers communistes. La réalité est différente. Roc voudrait tout simplement
dur comme le roc. Cf. Valère D. Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, Paris,
L'Harmattan, 1990, p. 104.
Selon le colonel Abdou Salam Kaboré, membre fondateur, les jeunes officiers
signifier
qui avaient commencé à se retrouver étaient à la recherche d’un mot pouvant
la solidité, la résistance , la force. Des mots more comme “kugri” (pierre, caillou), “piga”
ete. furent ainsi proposés sans être retenus. C'est ce qui aurait conduit à
(rocher),
l'adoption du mot roc. (Entretien du 24 août 2010 avec l'auteur). C’est à partir de 1975
que le Roc prit réellement forme.
Le 21 juillet 1978 une autre organisation regroupant des militaires et dénom-

mée “Arête” voyait le jour toujours sous la direction de Thomas Sankara. Cf. Bendré,
p. 7. Arête évoquerai t les arêtes du poisson et le
101, Ouagadougou, 16 octobre 2000,
l’on tentait de s’en approcher . Cf. Bruno Jaffré, Biograph ie
danger de se faire piquer si
96.
de Thomas Sankara - La patrie ou la mort .., Paris, L'Harmattan, 1997, p.
Il est possible que le “Roc” et “ l’Arête” aient désigné la même organisation
simultanément ou à des moments différents.
27 Quelques figures du P.A.L-LI.PA.D. : Adama Abdoulaye Touré, Philippe Ouédrao-,
Dadiouari
go, Soumane Touré, Hama Arba Diallo, Ibrahima Koné, Emmanuel Mardia
Issouf Sambo Bâ.
145
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÉLA

l’ex-Union de lutte communiste (U.L.C.) qui, après sa reconstruction,


deviendra l’Union de lutte communiste reconstruite (UL.C.-R.ÿF (cf. n°
35). Si la LI.PA.D. était un mouvement de masse assez structuré, il n°en
était pas de même de l’ex-U.L.C. qui restait pratiquement un cercle de
débats entre intellectuels et fonctionnaires. Cependant, la finesse de ses
analyses l’amenait à rivaliser avec la LIPALD. Des mouvements
d'étudiants favorables à la ligne de Thomas Sankara ont aussi contribué à
l’avènement du régime révolutionnaire.
212- Dans la proclamation du 4 août 1983, Thomas Sankara invitait les
Burkinabè à créer partout des Comités de défense de la Révolution
{C.D.R.) Aussitôt des C.D.R. furent créés dans toutes les localités du
pays, dans les entreprises et dans les services publics. Toutefois, le carac-
tère spontané des C.D.R., l’opportunisme, le manque de formation et
d'option idéologique précise de la plupart des membres faisaient douter
de leur efficacité quant à la défense du régime. Après le déclenchement
de la Révolution, le Roc et d’autres militaires se disant favorables au ré-
gime s’organisèrent pour le soutenir au sein de l’Organisation militaire
révolutionnaire (O.M.R.) Dans le même sens, des fonctionnaires et intel-
lectuels créèrent le Groupe communiste burkinabè (G.C.B.)? en mai
1984 et l’Union communiste burkinabè (U.C.B.)"*° en juillet 1984. II est
évident que les groupes et mouvements politiques qui ont poussé comme
des champignons après la pluie pour soutenir la Révolution étaient attirés

28 Quelques figures de l’U.L.C.-R. : Valère Dieudonné Somé, Alain Coéfé, Basile Lae-
tare Guissou, Train Raymond Poda, Guillaume Sessouma, Gilbert Kambiré, Firmin
Diallo, Moumouni Traoré,
Selon Jean-Baptiste Ouédraogo, L'U.L.C. füt reconstruite avec le soutien du
P.A.L. C£ “Contribution à propos de trois dates historiques”, op. cit., p. 271.
32 Quelques figures du G.C.B. : Jean Marc Palm, Idrissa Zampalégré, Salif Diallo, Issa
Dominique Konaté.
330 Quelques figures de l’'U.C.B. : Capitaine Blaise Compaoré, capitaine Pierre Oué-
draogo, capitaine Kilimité Hien, capitaine Bognessan arsène Yé, capitaine Laurent Sé-
dogo, capitaine Jean-Pierre Palm, Patrice Zagré, Étienne Traoré, Taladia Thiombiano,
Watamu Lamien, Oumarou Clément Quédraogo, Béatrice Damiba, Gabriel Tamini,
Joseph Kahoun, Hanitan Jonas Yé. f/#2/€ 19#
Sous l'impulsion du capitaine Pierre Ouédraogo, secrétaire général national des
C.DR., beaucoup de militaires de l'Organisation militaire révolutionnaire (O.M.R.)
avaient rejoint l’U.C.B.
146
RL
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

et motivés rien que par les attributs du pouvoir et surtout pas par les sa-
crifices nécessaires au triomphe de toute révolution. Ils seront d’ailleurs à
l'origine de la désintégration du C.NR. et de la chute du régime. Le
G.C.B. et P'U.C.B. entrèrent au C.N.R. le 12 mai 1985.
213- Dès août 1984, à la suite de luttes intestines, au nom de la néces-
saire clarification de la ligne politique, le P.A.I.-LI.PA.D., grand artisan
de l’avènement du régime, quittait le C.N.R. et le gouvernement. Malgré
la constitution des C.D.R., quand on sait que l’O.MR. et PU.L.C.-R.
d’abord, puis l’'U.C.B. et le G.C.B. ensuite, qui constituaient maintenant
le C.N.R. et étaient les principaux soutiens politiques du régime avaient
été créés de façon opportuniste et étaient principalement des groupes et
cercles de réflexion et de lutte pour le pouvoir sans écho au niveau de la
masse de la population, il apparaît que le régime du C.N.R. était fonda-
mentalement un régime d’élites avec une base sociale étroite et fragile.
214 La base sociale du C.NR. était d’autant plus fragile que
l'interdiction des partis politiques traditionnels, décidée par le régime du
C.M.R.P.N.. était maintenue. Ces partis dont certains comme le RD.A.,
le P.R.A. et le Front progressiste voltaïque (F.P.V.) successeur du M.LN.
animaient la vie politique bien avant l'indépendance, étaient bien implan-
tés dans le pays. Ils s’étaient d'office placés dans l'opposition ou y
avaient été jetés, sans autorisation de s’exprimer. Le C.N.R. qui avait une
conception manichéenne de la société n’était pas disposé à faire des con-
cessions, du moins jusqu’à la fin de 1986. L'absence dès le début du pro-
cessus révolutionnaire d’une base sociale suffisamment large et l’absence
d’une opposition légale ou tolérée ont favorisé les luttes intestines au sein
du C.N.R. et ont conduit à sa chute.
IH Les structures d'encadrement
215- Pour mettre en oeuvre sa politique, le C.N.R. utilisait le réseau de
FAdministration qu'il avait restructurée en fonction de ses besoins
d'encadrement. Les préfets dans les départements et les hauts-commissaires
dans les provinces étaient des relais du pouvoir central et des exécutants de
la politique qu’il définissait. En fonction des domaines d’intervention, des
structures spécialisées existaient, chargées par exemple de la collecte et de la
commercialisation des céréales ou de la promotion du développement rural,
147
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

etc. C’était essentiellement des structures de gestion. Le C.N.R. procéda


alors à la mise en place de structures de mission avec principalement les
Comités de défense de la Révolution (A) et d’autres structures
d’encadrement (B).
A) LES COMITÉS DE DÉFENSE DE LA RÉVOLUTION (C.DR.)
216- Les C.D.R. *! trouvent leur fondement dans la Proclamation de la
nuit du 4 août 1983 dans laquelle Thomas Sankara invitait le peuple à
constituer partout des comités de défense de la Révolution”?. Les C.D.R,
et la Révolution sont donc concomitants. Le Discours d’orientation poli-
tique (D.O.P.) du 2 octobre 1983 qui tenait lieu de Constitution pro-
gramme fait également mention des C.D.R. Le C.NR, la Révolution et
les C.D.R. étaient ainsi pris dans un tourbillon de relations qui les ren-
daient inséparables. À cela le président du C.N.R. avait donné cette ex-
plication : «Les C.D.R. sont nés dialectiquement en même temps que la
Révolution au Burkina Faso. Parce que … à l'instant même où nous
avons prononcé le mot révolution dans ce pays, la nécessité de la dé-
fendre s'est fait sentir et celui qui parle de révolution sans prendre les
dispositions pour protéger cette révolution commet une grave erreur et
méconnaît les capacités de lutte, les capacités de destruction de la réac-
tion#3, » Le D.O.P. définit les C.D.R. comme les détachements d’assaut
qui s’attaqueront à tous les foyers de résistance, les bâtisseurs de la
Haute-Volta révolutionnaire, les levains qui devront porter la Révolution
dans toutes les provinces, tous les villages, tous les services publics et
privés, tous les foyers, tous les milieux”* . Organes de défense de la Ré-
volution, il revenait ainsi aux C.D.R. d'assurer également un rôle
d’encadrement.

#1 Sur les C.D.R., voir aussi Apollinaire Kyélem, L’éventuel et le possible, op. cit., p.
78-81.
#2 Dans son discours programme, le C.M.R.P.N. prévoyait la création de « Comités de
réflexion et d'action pour susciter la participation de tous à l'œuvre de redressement
national. » Cf. C.M.R.P.N, Discours programme, op. cit., p. 40.
#3 Cf. Secrétariat général national des C.D.R., Première Conférence nationale des comi-
tés de défense de la Révolution - Documents finaux, Ouagadougou, Imprimerie Presses
Africaines, 1986, p. 143.
#4 Cf. D.O.P. op. cit, p. 25.
148
D
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

217- L’encadrement est un élément important dans la société ; il crée des


conditions plus ou moins propices à la maîtrise du milieu naturel. P. Gourou
en fait la clé du développement et affirme que le dévelo pement d’un pays
attardé passe d’abord par les techniques d'encadrement . Les différences
entre les sociétés dépendraient largement des techniques d’encadrement,
Certaines sont plus capables de multiplier les hommes, d’autres de donner la
durée aux groupements humains, d’autres encore sont plus capables
d’accueillir de nouvelles techniques de production et sont donc plus aptes au
développement économique. Le développement rapide du Japon serait dû au
fait que ce pays «s'était donné des techniques d'encadrement raffinées, qui
contrélaient tous les individus, du plus petit hameau à la plus grande ville,
et les contrôlaient au point de régler minutieusement le niveau de consom-
mation des diverses classes”*. »
Par les C.D.R. la Révolution burkinabè entendait se donner les
moyens nécessaires pour un encadrement adapté à la politique qu’elle
préconisait. Leur statut général les organisait (1) et déterminait leurs rôles
dans la société (2). Les C.D.R. étaient incontestablement la force d’appui
du C.N.R. Toutefois, des signes de faiblesse se dégageaient, surtout dans
leur fonctionnement (3).
1- L'organisation des C.D.R.
Les C.D.R. pouvaient être classés en deux catégories : les C.D.R. géo-
graphiques (a) et les C.D.R. de spécialité ou de service (b). Ils étaient
cependant soumis à des conditions générales (c).
a) Les C.D.R. géographiques
218- Les C.D.R. géographiques correspondaient aux limites territo-
riales. Il y avait ainsi des C.D.R. de secteur dans les villes découpées en
secteurs, des C.D.R. de village, des C.D.R. départementaux, des C.D.R.
provinciaux et enfin le Secrétariat général national des C.D.R. qui coiffait
tous les C.D.R. Le C.D.R. était structuré en quatre niveaux. Pour les
C.DR. géographiques ces quatre niveaux étaient : le comité de secteur ou
de village, le comité départemental, le conseil provincial et enfin le con-

335 Cf. Pierre Gourou, Terres de bonne espérance - Le monde tropical, Paris, Plon, 1982,
P. 347 et 369.
% Ibid. p. 351.
149
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

grès des C.D.R. Le comité de secteur regroupait tous les militants appar.
tenant à un même secteur communal ; le comité de village regroupait les
militants d’un même village ; le Comité de ville comprenait les militants
d’une ville ou d’un chef-lieu de département non érigé en commune. Le
comité départemental regroupait les délégués des C.D.R. relevant d’un
même département. Le conseil provincial comprenait le haut-
commissaire, les membres des bureaux départementaux et les membres
À .des C.D.R. de service du niveau départemental. Le conseil provincial
élisait les membres du pouvoir révolutionnaire provincial (P.R.P.) lequel
était l’organe de conception et d’exécution du pouvoir local. Le congrès
était l'instance suprême qui réunissait toutes les composantes des C.D.R.
C’est le secrétaire général national des C.D-.R. qui était chargé de diriger
et de coordonner les activités des C.D.R.
b) Les C.D.R. de spécialité ou de service
219- Il s’agit de tous les autres C.D.R. qui répondaient à des critères
autres que géographiques. C’est ainsi qu’il y avait des C.D.R. différents se-
lon qu’il s’agissait de militaires, d’agents de l’État ou de travailleurs du pri-
vé, d'élèves et d'étudiants. Ils étaient aussi structurés en quatre niveaux : le
premier concernait les C.D.R. de service, de corps, des élèves et des étu-
diants. Le deuxième était relatif au niveau départemental ; le troisième relatif
au niveau provincial et enfin le congrès. Dans le premier niveau, le comité
de service réunissait les militants d’un même service public, parapublic ou
privé. Le comité de corps ou d’unité militaire ou paramilitaire comprenait
les militants appartenant à un même corps. Le comité des élèves ou des étu-
diants regroupait les militants élèves ou étudiants d’un même établissement
d’enseignement secondaire ou supérieur. Dans le deuxième niveau, le comi-
té de gamnison regroupait les bureaux des différents corps militaires et para-
militaires installés dans une garnison. Le comité de coordination des ser-
vices comprenait les délégués des différents comités de service situés dans
un même département territorial. Dans le troisième niveau, il y avait le con-
seil provincial qui comprenait le haut-commissaire, les membres des bu-
reaux départementaux, les membres des comités de garnison et les membres
des bureaux de coordination des services. Enfin, dans le quatrième et dernier
niveau, il y avait le congrès.

150
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autoceniré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

© Les conditions générales


220- Une même personne pouvait ainsi appartenir à deux C.D.R. à la
fois : celui de son lieu de résidence (C.D.R. géographique) et celui de son
lieu de travail ou d’étude (C.D.R. de service ou de spécialité). Toutefois, des
conditions minimales, surtout politiques, étaient exigées pour être membre
d’un C.D.R. Aux termes de l’article 92 du statut des C.D.R., pouvait être
membre d’un C.D.R. «out Voltaïque patriote, vivant à l'intérieur ou à
l'extérieur du pays et qui adhère à la ligne politique dégagée par le C.N.R.
dans le discours d'orientation politique du 2 octobre ». Il n’était donc pas
indispensable de résider sur le territoire burkinabè. C’est ainsi que des
C.DR. s'étaient constitués un peu partout dans le monde. Lors de la deu-
xième Conférence nationale des C.D.R. d’universités tenue dans la ville de
P6 du 16 au 21 août 1987, étaient représentés des C.D.R de 24 pays y com-
pris le Burkina. À l’étranger c’est la France qui comptait le plus de C.D-R. à
tel point que le S.G-N.-C.DR. avait pris une directive spéciale pour les or-
ganiser ?, Il n’était pas non plus indispensable d’être un national pour adhé-
rer à un C.D.R. Selon l’article 92 al.2, pouvait également être membre d’un
CDR, «tout étranger résidant sur le territoire national voltaïque qui ad-
hère à la ligne politique du C.N.R. et qui s'engage à défendre et consolider
la révolution voltaïque. Toutefois, sa demande d'adhésion est soumise à
l'approbation préalable du S.G.N. » Les textes sont restés muets sur la pos-
sibilité ou non d’un étranger ne résidant pas au Burkina d’être membre d’un
C.DR. Dans la réalité cependant, des étrangers militaient ou sympathisaient
avec des C.D.R. qui étaient à l’étranger, notamment en Côte d'Ivoire et en
France.
221- Pour être membre du bureau d’un C.D.R.Ÿ#, les conditions étaient
plus restrictives. Il fallait n’avoir jamais été au sein de l’organe dirigeant
d’un parti réactionnaire dissout, ne s’être pas illustré comme un opportu-

7 Cf. Directive n° 87-001 du 5 janvier 1987 du Secrétariat général national des comités
de défense de la Révolution relative à l’organisation des C.D.R. de France.
%# Les conditions d'élection des membres du bureau tenaient compte de
l’analphabétisme des acteurs. Les candidats à un poste se mettaient l’un à côté de l’autre
et chaque électeur s’alignait derrière le candidat de son choix. Le candidat qui comptait
le plus d’électeurs était élu. Ce système pouvait sans doute favoriser les intimidations et
les chantages : mais if reflétait mieux la réalité du pays. Le système a d’ailleurs été
repris plus tard par le Kenya.
151
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

niste de gauche ou de droite notoirement connu, s’être démarqué de la


bourgeoisie d'État, de la bourgeoisie compradore et des forces rétro.
grades, n’avoir jamais été condamné pour vol, escroquerie, détournement
de deniers ou de biens, trafic illicite. Cela confirmait ‘option de la lutte
des classes qu’avait adoptée le C.N.R. et le souci d’éviter toute récupéra-
tion des C.D.R. qui devaient demeurer des organisations de base authen-
tiques du peuple dans l’exercice, le contrôle, la défense et la consolida-
tion du pouvoir révolutionnaire.
2- Les attributions des C.D.R.
222- Elles étaient contenues de façon générale dans l’article 11 du sta-
tut des C.D.R. qui déterminait les objectifs de chaque C.D.R. qui étaient :
«- de veiller à l'application stricte des décisions, mesures et dispositions
prises par le C.NR., d'exécuter toutes tâches révolutionnaires que lui
confiera le CN.R. ;
- de mobiliser, conscientiser et organiser le peuple pour toute tâche ou
action révolutionnaire locale et /ou nationale relevant du domaine poli-
tique, économique, social, culturel et de la sécurité ;
- de préparer ses membres à défendre la Révolution sur les fronts mili-
faire, politique, économique, social et culturel ;
- de susciter et promouvoir les richesses du patrimoine culturel du
peuple ; de libérer le génie créateur du peuple ;
- d'amener le peuple à exercer de façon effective le pouvoir révolutionnaire. »
En fonction de leurs attributions, les interventions des C.D.R. dans le
déroulement du processus révolutionnaire peuvent se distinguer selon
qu’il s’agissait des C.D.R. en général (a) des C.D.R. géographiques (b)
ou des C.D.R. de service (c).
a) L'action des C.D.R. en général
223- Dans le cadre de la propagande et de la formation, le Secrétariat
général national des C.D.R. (S.G.N.-C.D.R.) faisait paraître un journal
Lolowulen qui servait d’ « agitateur collectif » pour élever le niveau poli-
tique des militants. Certains C.D.R. avaient leurs propres organes de pro-
pagande, d’information et d’agitation®®. En matière de défense et de sé-

%% Exemple: _-“Le Messager du Houef”, par les militants de la province du Houet.


152
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

curité, des formations militaires étaient dispensées aux militants. Aucun


critère de recrutement n’était défini, seule était prise en compte la volonté
du militant de s’initier à l’art militaire. Parfois, dans les services, c’était
le responsable à la sécurité et à la formation militaire et civique qui dres-
sait la liste des éléments qu’il désirait faire former. Ces derniers n’avaient
d’autre choix que de se soumettre pour ne pas passer pour des contre-
révolutionnaires. C'était donc le volontariat et l’arbitraire qui présidaient
au recrutement". Les formations se faisaient dans les centres
d'instruction des unités militaires. Leur coût était élevé pour l’époque.
Chaque élément à former revenait à 6.461F CFA rien qu’en munitions.
Néanmoins, en fin 1985, soixante mille éléments avaient été formés.
224- Pendant le bref conflit frontalier avec le Mali en fin décembre 1985,
les C.DR. se sont brillamment illustrés dans la défense du territoire.
L'essentiel de leur tâche militaire résidait cependant dans la protection et
l'entretien des lieux de travail pour les C.D.R. de service et le maintien de
l’ordre pour les C.D.R. géographiques. À cet effet il avait été crée des bri-
gades populaires de vigilance et des bataillons populaires d’intervention
rapide. Ainsi, l'ordre public était-il mieux respecté. Les vols, viols et autres
méfaits courants avaient notablement diminué grâce aux patrouilles et aux
postes de garde et de protection des points sensibles.
225- Dans son discours d'ouverture de la deuxième Conférence natio-
nale des C.D.R. tenue à Dédougou du 30 mars au 3 avril 1987, le capi-
taine d’aviation Pierre Ouédraogo, secrétaire général national des C.D.R.,
appelait à la constitution de brigades de travail, qualifiées de formes
avancées des détachements d’assaut pour la construction de la patrie. De
même, il a été avancé lors de cette Conférence la proposition pour la
création de brigades de contrôle des prix, de brigades anti-fraude et la
mise sur pied d’une police économique. L'objectif était sans doute de
parvenir à une meilleure organisation pour plus d’efficac prati-
car,ité,
quement depuis leur création, les C.D.R. occupaient déjà l’espace éco-

- “Combat”, par les militants étudiants de l’université de Ouagadougou. - “Le Révolu-


tionnaire burkinabè à Dakar” (R.B.D.), par les C.D.R. du Sénégal. - “£ "Éveil” et
“L'Aurore”, par les C.D.R. de Paris.
30 Cf. S.G.N.-C.D.R., Première Conférence nationale des C.D.R., op. cit. p. 126.
153
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

nomique. Ils participaient au contrôle douanier, au contrôle des prix et à


la surveillance des magasins d’État.
226- Dans la construction du chemin de fer du Sahel, l’apport des C.D.R.
a été appréciable. Durant sept mois, quatre cent personnes environ ont
chaque jour participé aux travaux, permettant la pose de trente-trois km de
rail et une économie de 30% des investissements réalisés. De même la parti-
cipation des C.D.R. a été importante dans la réalisation du barrage
d'irrigation du Sourou. Dans les centres urbains les C.D.R. ont participé aux
opérations de lotissement, permettant de lotir en moins de deux ans (1984-
1985) cinquante-sept mille trois cent trente-trois (57 333) parcelles contre
seulement trente mille (30 000) de 1960 à 1983, pendant les vingt-trois an-
nées d’indépendance qui ont précédé la Révolution. Les C.D.R. ont joué un
rôle inestimable dans la responsabilisation et l'encadrement des jeunes qui,
autrement, auraient été livrés à eux-mêmes sans repère.
b) L'action des C.D.R. géographiques
227- Leurs interventions se limitaient à leur espace territorial. Ils
étaient chargés de faire respecter ce qu’on appelait les “trois luttes” : lutte
contre les feux de brousse, la divagation des animaux domestiques
(chiens, chèvres, moutons, cochons, ânes) et la coupe abusive du bois,
notamment pour la cuisine et la production de la bière locale, le dolo. En
1985, ils avaient planté plus de quatre millions d’arbres correspondant à
plus de quatre mille hectares. Mais beaucoup de ces arbres crevaient
faute d’entretien. Les opérations de reboisement effectuées par les C.D.R.
se faisaient au tiers de leurs coûts. Toujours en 1985, par le biais des
C.DR., l'Office national des céréales (OF.NA.CÉR.) avait pu écouler
huit mille tonnes de céréales. Leur collecte devait maintenant se faire par
l'intermédiaire des C.D.R. Cela correspondait à la volonté du C.NR. de
contrôler les circuits de collecte et de distribution des produits de pre-
mière nécessité et particulièrement des céréales qui constituaient la base
de l’alimentation. La directive n° 85-009 du secrétariat général national
des C.D.R. relative à la délivrance des certificats d'agrément populaires
aux commerçants grossistes de céréales au Burkina Faso confie aux
C.DR. le contrôle effectif de la commercialisation des céréales. Toute
personne désirant être commerçant grossiste de céréales devait déposer
une demande d’agrément populaire auprès du C.D.R. géographique de
154
* R
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

base de son lieu de résidence ou de la localité qu’il désirait approvision-


ner. Après avis motivé, le C.D.R. géographique de base acheminait la
demande auprès du haut-commissariat pour être examinée. C’est le con-
seil provincial, élargi aux représentants des opérateurs économiques de la
province, qui était habilité à délivrer les certificats d’agrément populaires
et à fixer les prix de vente et d’achat des produits agricoles. Les postu-
lants aux certificats d’agrément populaires étaient tenus d’être présents
lors des délibérations. Ce sont les C.D.R. géographiques qui étaient égale-
ment chargés de la vente du bois de chauffe qui était la principale source
d’énergie domestique.
228- Dans le domaine socioculturel, les C.D.R. géographiques ont con-
tribué à la construction des garderies populaires, d’écoles, de lycées et
collèges, de dispensaires, de magasins de l’OF-NA.CER. et de “Faso
Yaar”#!, de retenues d’eau, de permanences des C.D.R. qui étaient des
locaux de rencontres et de travail des militants C.DR., etc. Les opéra-
tions “vaccination commando” (cf. n° 401) et “alphabétisation comman- x
do” (cf. n° 398)-ont pu être réalisées grâce à la participation des C.D.R. À
Leur rôle a aussi été déterminant lors du recensement général de la popu-
lation en 1985. Ils ont travaillé au sein des équipes de recensement en
qualité de superviseurs, de contrôleurs, d’agents recenseurs, d’interprètes
ou de guides. C’est en s’appuyant sur les C.D.R. géographiques que la
Délégation du peuple au logement (D.P.L.) a réussi à faire appliquer les
mesures sur la gratuité du logement et le reversement de certains loyers
au Trésor public (cf. n° 405). PRE
229- En matière d'hygiène, les C.D.R. géographiques ont contribué à la
construction de latrines publiques et de poubelles pour le dépôt des or-
dures, au nettoyage des lieux publics et des bâtiments administratifs, à
l'assainissement des égouts. Les C.D.R. ont eu un rôle actif dans
l'administration de la justice. Non seulement en tant que militants ils
participaient au fonctionnement des différents tribunaux populaires, mais
la directive conjointe n° 86-0003 du 4 février 1986 du secrétariat général

41 Littéralement Faso Yaar signifie : marché de la République. Le C.N.R. avait trans-


formé les magasins de la SO.VOL.COM. (cf. n° 56) en Faso Yaar. C'était des magasins
d’État de vente à prix réduits de marchandises diverses mais surtout des produits de
première nécessité,
155
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

national des C.D.R. et du ministère de la Justice prévoyait que « les bu-


reaux C.D.R. des secteurs et des villages continueront à trancher les
litiges dans le strict respect des conditions fixées par le décret n° 85/405/
CNR/PRES portant organisation et fonctionnement des tribunaux popu-
laires de conciliation de secteurs, villages, départements et provinces au
Burkina Faso. » Dans le domaine culturel, c’est surtout aux C.D.R. géo-
graphiques que revenait la tâche de revaloriser le patrimoine culturel. Ils
participaient à divers titres aux Semaines nationales de la culture (S.N.C.)
{cf. n° 378): Certaines provinces avaient même institué leurs propres se
| maines provinciales de la culture.
ON] L’action des C.D.R. de service
Les C.D.R. de service étaient chargés d’appliquer et de faire appliquer la
politique du C.N.R. dans leur domaine respectif de travail. C’est dans les
domaines politique (c-1) et économique (c-2) que se sont manifestées
leurs interventions.
c-1) Le domaine politique
230- Les C.D.R. de service ont joué un rôle de contrôle politique des
agents de l’État. Dans le cadre de ce contrôle, une épreuve politique et
idéologique appelée “test idéologique” et destinée à contrôler les con-
naissances sur l’actualité et l’orientation de la vie politique nationale
avait été instituée par un décret du 26 juin 1984 pour les candidats à un
premier emploi? . On ne peut qu’émettre des réserves sur un tel procédé.
S'il est vrai que le test idéologique pouvait être un moyen efficace pour
l'exécution de la politique du C.N.R. en lui fournissant des agents et
cadres apparemment acquis à sa cause, nul doute qu’il entraînait aussi
une uniformisation de la pensée qui pouvait être réductrice. Tout étant
relatif et toujours en mutation, rien ne permet d'affirmer que la politique
du C.NR. était la meilleure ou l’unique possibilité pour le bien-être des
Burkinabè. Le test idéologique pouvait, et a même pu être un piège pour
le régime. Il n’est pas exclu que par opportunisme ou par nécessité, des
candidats, connaissant parfaitement l’option idéologique du C.N.R. sans

#2 On peut faire un parallèle avec le Bi} of Test, une loi votée par le Parlement anglais
en 1673 dans le but d’écarter les catholiques de toute fonction publique, puisqu'il exi-
geait un serment rejetant les dogmes catholiques. Il n’a été abrogé qu’en 1829.
/ Pour, Lonsé oups Pda, : 4
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
. Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

y adhérer, aient pu se faire recruter. Leur capacité de nuisance pouvait


alors être élevée.
231- Le test idéologique pourrait, à la limite, être justifié pour les
postes de responsabilité et de conception. Il est difficile de percevoir son
intérêt pratique pour les agents occupant des postes subordonnés ou
d’exécution dans la mesure où ils ne font qu’exécuter des missions qui
leur sont confiées. Sous le C.N.R., l'option idéologique du régime et les
intérêts de la Révolution primaient sur le droit classique. Il convient alors
de rappeler que le Conseil d’État français s'était prononcé en 1954 contre
tout recrutement basé sur des critères politiques #3. Comme l’avait alors
fait remarquer le professeur Morange, « Restreindre aujourd'hui la liber-
té d'opinion, en écartant systématiquement de la Fonction publique les
adversaires du régime, ce serait supprimer pour | "État républicain une
incontestable cause de faiblesse ; ce serait, en même temps, lui enlever
sa grandeur et, sans doute, sa principale raison d'être 344,
c-2) Le domaine économique
232- Pour détruire le mythe de la Fonction publique et du fonctionnaire
bureaucrate, le C.N.R. encourageait le retour à la terre. Il avait ainsi été dé-
cidé que tous les services publics et parapublics devaient chacun avoir un
espace pour le travail de la terre. À wayen, dans la vallée du fleuve Nakam-
bé (Volta blanche), à une soixantaine de kilomètres à l’Est de Ouagadougou,
une grande zone avait été délimitée à cet effet et chaque ministère s’y taillait
une part pour faire la culture de son choix ; c’est ce qui était appelé “champs
collectifs”. Les zones réservées à ces expériences se rencontraient un peu
partout à travers le pays. Le champ collectif de la présidence du Faso était
situé dans le centre-est du pays du côté du village de Béguédo. Le principe
était simple : chaque service déterminait la méthode qui lui convenait pour
les travaux de son champ. À la présidence du Faso, le personnel avait été
divisé en équipes et, à tour de rôle, chaque équipe partait pour une semaine
au champ. Certains services par contre, déterminaient des jours dans la se-
maine pour aller au champ, soit par équipe, soit par service entier. Pendant

43 Conseil d’État Assemblée, 28 mai 1954, Sieurs Barel et autres, Recueil Lebon, 1954,
. 308. ;
ha C£. Recueil Lebon, 1954, p. 316.
157
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

l’hivernage, il était fréquent de trouver des services fonctionnant au ralenti


ou tout simplement fermés parce qu’une partie ou tout le personnel était allé
travailler au champ.
233- Le bilan de cette opération reste mitigé. Sur le plan politique elle
a eu un effet certain et a contribué à éliminer des esprits le mépris pour le
travail de la terre. En revanche, sur les plans économique et administratif,
le bilan n’a pas été très brillant. Les coûts sociaux et financiers des
champs collectifs étaient très lourds : perturbations des services publics
et parapublics, prolongations des délais administratifs, frais des trans-
ports et des repas des agents partant dans les champs, etc. Le tout pour
des résultats médiocres car ces agents dont ce n'était pas le métier
n’avaient pas toujours l’habileté nécessaire ou tout simplement n'avaient
pas toujours le cœur à l’ouvrage. Mais, l'objectif principal du C.NR.
était politique et le reste lui paraissait secondaire, Toutefois, au lieu de
cette opération que d’aucuns ont qualifié qui de folklorique, qui de dé-
magogique ou de populiste, on peut se demander s’il n’eût pas été préfé-
rable d’accentuer la redistribution des richesses en faveur du monde ru-
ral. Le pouvoir économique joue un rôle important dans les sociétés oc-
cidentalisées. Si le travail des champs reste méprisé, c’est parce qu’il
rapporte peu et offre peu de perspectives par rapport au travail salarié. En
donnant plus de moyens aux paysans pour de meilleures productions
dans de meilleures conditions et en offrant des débouchés à leurs pro-
duits, leur travail deviendra plus attractif. Une telle mesure semble plus
significative, avec beaucoup plus de conséquences politiques que celle
qui a consisté à faire travailler les salariés dans les champs pour des ré-
sultats aléatoires.
234- L’article 53 du statut des C.D.R. énonce leurs attributions dans les
services et les entreprises. « Dans les entreprises publiques ou parapu-
bliques, le comité participe à la gestion du service en même temps qu'il
le contrôle : il participe à toutes les instances du service (conseil
d'administration, réunion du personnel, conseil de discipline, etc.)
Dans le privé, il représente le militant C.D.R. auprès de la direction,
et participe à toutes les instances du service (conseil d'administration, con-
seil de discipline, etc.) et a accès à toutes les informations dont il a besoin. »
Dans le secteur privé, le rôle des C.D.R. est resté limité du fait d’une cer-
158
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

taine hostilité à leur égard de la part des opérateurs économiques privés. En


revanche, dans les secteurs public et parapublic, leur participation a été si-
gnificative*. L’association des C.D.R. au fonctionnement des services et
entreprises visait à opérer un rééquilibrage au profit du travail ; car pour les
autorités d’alors, celui-ci est tout aussi indispensable dans le processus de
production d’une entreprise. Toutefois, on peut se poser des questions sur
l'opportunité de l'accroissement de la participation des travailleurs dans la
gestion des entreprises et sur les formes de participation les plus adaptées.
Un peu partout il y a déjà eu des expér iences de participation sans que les
résultats soient très encourageants
235- En Yougoslavie, la loi du 27 juin 1950 avait mis en place des
conseils ouvriers dotés de pouvoirs étendus. C’est eux qui adoptaient les
objectifs et les statuts de l’entreprise. Le comité de gestion élu en leur
sein prenait toutes les décisions concernant le fonctionnement de
’ entreprise. Ces mesures visaient à faire passer le pouvoir réel aux mains
des ouvriers et supprimaient la situation où l” État socialiste pouvait diri-
ger la société à la place du prolétariat qu’il prétendait pourtant représen-
ter. Mais les entreprises étaient souvent de taille énorme ; les assemblées
générales devenaient formelles, les mêmes ténors s’y exprimaient régu-
liérement, les problèmes traités étaient tellement lointains par rapport à la
réalité quotidienne des ateliers et des travailleurs que le système ne pou-
vait que s’essouffler. Les ouvriers réagissaient avant tout en travailleurs
qu’en gestionnaires et ce qui les préoccupait c’était une solution immé-

35 L'ordonnance n° 84-57/CNR/PRES du 15 octobre 1984 permettait aux C.D.R. et aux


travailleurs de siéger dans les conseils d'administration.
#46 Au Mali, la loi - aujourd’hui abrogée - du 18 juillet 1967 portant statut général des entre-
prises nationales de la République du Mali prévoyait que les entreprises nationales dans les-
quelles participent les travailleurs à raison de deux délégués du Comité syndical «sont une
conquête décisive des travailleurs de la République du Mali … L exploitation de l'homme par
l'homme y est abolie une fois pour toute, et un caractère nouveau du travail commence à s'y
développer. Dans ces entreprises, les travailleurs œuvrent pour la société entière, pour eux-
mêmes ….»
À Madagascar il était prévu la gestion de « l'ensemble de l'économie nationale mal-
gache selon les méthodes socialistes » et la transformation des « anciens rapports capitalistes
et féodaux de production en rapports socialistes … les fruits du travail ne seront plus accaparés
par une minorité d'exploiteurs mais serviront à la prospérité générale du peuple, en particulier
celle du travailleur lui-même. »
159
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

diate aux questions qui les touchaient directement : salaires, conditions


de travail, embauches et licenciement, promotions, avantages sociaux,
236- Le support de la participation en Yougoslavie était formé des
cadres et des ouvriers qualifiés car ce sont eux qui avaient le plus de
moyens pour appréhender Ja marche de l’entreprise. Les simples ouvriers
et les manœuvres, rivés à une tâche parcellaire dans leur atelier, jouaient
au mieux le rôle d’une majorité silencieuse, et, au pire, ne se sentaient
pas du tout concernés. Ce qui intéresse les travailleurs ce n’est pas tant la
participation que leurs intérêts immédiats. Par conséquent, il semble pré.
férable d’adopter tout simplement une législation du travail plus protec-
trice des intérêts des travailleurs et de veiller à son application.
3- Forces et faiblesses des C.D.R.
Si les C.DR. constituaient sans nul doute une force d’appui pour le
C.NR. (3-a), ils avaient aussi des faiblesses que Sankara s’évertuait à
vouloir corriger (3-b).
3-a) Les forces des C.DR.
237- Les C.DR. constituaient un instrument efficace de contrôle et
d’encadrement au service du C.N.R. Contrairement aux partis politiques
qui, de par l’origine des dirigeants ou leur implantation, pouvaient, à tort
ou à raison, être taxés de régionalistes, les C.D.R. étaient disséminés dans
tout le pays et étaient un moyen de brassage des populations. Il suffisait
de résider dans le même endroit pour faire partie du même C.DR. géo-

d’une nation commune“.

#7 Selon Ernest Renan, « Une nation est une âme, un principe spirituel. [...] le désir de
vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis.
[...] La nation, comme l'individu, est l'aboutissement d'un long passé d'efforts, de sa-
crifices et de dévouements. |...] Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté
commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensembles, vouloir en faire
encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. [...] Une nation est donc
160
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

238- Les C.D.R. encadraient le pays dans son ensemble autant que le fai-
sait la chefferie traditionnelle dans l'empire moaga. Chaque village avait à
sa tête un chef qui gouvernait avec un collège de notables dont le nombre et
les responsabilités variaient en fonction de l'importance du village". Hy
avait ensuite les cantons, les provinces, les différents royaumes et enfin
l’empire moaga avec à sa tête le môgh näba. Le colonisateur s’était appuyé
sur les structures de la chefferie traditionnelle pour imposer sa domination et
faire exécuter sa politique : maintien de l’ordre, collecte de l'impôt, travail
forcé, recrutement de la main-d’œuvre pour l’A.O.F. contribution à l'effort
de guerre chaque fois que la France allait en guerre (1914-1918, 1939-1945,
Indochine, Algérie). Il n’y a donc pas réellement d’originalité pour ce qui
concerne l’organisation des C.D.R. — surtout les C.D.R. géographiques.
Seuls les objectifs différaient. Les structures traditionnelles avaient surtout
une fonction d’administration, de gestion et de conservation. Les C.D.R.
étaient chargés d’une mission : construire le pays et révolutionner la société.
L’adhésion aux structures traditionnelles était historique, culturelle et
d’office ; l’adhésion aux C.D.R. était politique avec ce que cela peut com-
porter comme rivalités et opportunisme.
3-b) Les faiblesses des C.D.R.
Les faiblesses des C.D.R. étaient en partie inhérentes au régime (3-b-1).
Elles se trouvaient aussi dans l’application des décisions du C.N.R. (3-b-
2), dans la représentativité des C.D.R. (3-b-3), dans leur manque de
moyens (3-b-4)} et dans leur manque de compétence (3-b-5).
3-b-1) Les faiblesses inhérentes à l’option idéologique du C.N.R.

une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux
qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le
présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer
la vie commune. » Cf. Emest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ?, Paris, Éditions Mille et
une nuits, 1997, p. 31-32.
#8 Dans les villages il pouvait y avoir, comme il peut toujours y avoir, des responsables
pour des domaines comme la gestion de la terre, la Justice, la Jeunesse, la Culture, la
Défense et la Sécurité, le Commerce, la Boucherie, le Protocole, etc.
161
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 4. KYÉLEM de TAMBÈLA

239- L'article 1 du statut général des C.D.R. dit que « Le Comité de défense
de la Révolution (C.D.R.) est une émanation du Conseil national de la Révo.
lution (CNR.)» Les C.D.R. représentaient donc le C.N.R. avec toutes les
conséquences possibles. Le régime du C.NR. s’inscrivait dans le cadre de
l'orientation socialiste” : ce qui, de ce fait, l’amenait à n’accepter de collabo-
rer sur le plan interne, qu’avec ceux qui se réclamaient de l’idéologie socia-
liste. Du jour au lendemain, de petits groupes de personnes opportunistes, se
prétendant intellectuels de gauche et qui avaient volé au secours de la victoire,
avaient ainsi été propulsés au sommet de l’État et s’étaient mis à œuvrer, non
pas pour la Révolution, mais pour la conservation du pouvoir et l’extension de
leur influence, Les rivalités qui en résultaient se répercutaient au niveau des
C.DR. que chaque groupe essayait de noyauter, avec pour conséquences,
pour la plupart des militants, la désorientation, parfois la frustration et le dé-
couragement et surtout la démobilisation. L'option idéologique exposait éga-
lement le régime et par voie de conséquence les C.D.R. à l’hostilité des mou-
vements religieux et surtout de l’Église catholique très influente et très structu-
rée. En outre, la politique de démystification du pouvoir et des privilèges
ébranlait autant l’Église catholique que la chefferie traditionnelle.
240- La voie socialiste de développement a une propension à privilé-
gier les acquis matériels ; sur ce plan, le régime du C.N.R. ne faisait pas
vraiment exception. Les C.D.R. étaient mobilisés sur beaucoup de fronts
à la fois. Le C.N.R. cherchait à obtenir rapidement des résultats concrets.
Le temps se présentait comme un facteur essentiel par rapport auquel il
s’agissait de se déterminer. L’on peut alors se demander si le C.N.R. ne
se trompait pas de développement ; si en voulant faire de l’original il ne
x faisait pas que copier le modèle occidental de développement en le mas-
quant par un discours nationaliste. La prise en compte du facteur temps
qui transparaissait dans les discours politiques et dans les actes des
C.DR. traduisait le désir, peut-être inconscient, de rattraper. Mais, que
peut-on raîtraper si ce n’est un modèle déjà existant ? Dans un dévelop-
pement autocentré on ne peut être en retard par rapport à d’autres dans la
## Avant la chute du mur de Berlin et les conséquences politiques qui en ont résulté, le
concept de pays à orientation socialiste était utilisé pour désigner des pays qui, soit par
le biais d’une révolution, soit autrement, avaient opté pour la voie de développement
socialiste. Ils s'étaient dotés de pouvoirs “populaires” et avaient procédé à des transfor-
mations économiques pour se mettre sur la voie du socialisme.
162
ES DS

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autogentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

mesure où celui-ci traduit les aspirations propres à chaque peuple.


L'échec du modèle de développement de type soviétique est dû en partie
à ce que les anciens États “socialistes” avaient pour référence l’Occident
qu’ils envisageaient de rattraper et même de dépasser au lieu de définir
un modèle de développement propre à chacun d’eux.
241- Privilégier l’économique est une tentation facile qui peut aboutir à
la dictature au nom du développement. C’est faire de l'ingénierie sociale
et c’est considérer seulement un des aspects des besoins et des aspirations
humains. La personne humaine est multidimensionnelle : elle a une di-
mension spirituelle, sociale, culturelle, économique, politique, etc. L’être
humain est perpétuellement en quête de lui-même. Le spirituel et le tem-
porel cohabitent chez lui dans une situation conflictuelle permanente. Par
moment l’un peut surpasser l’autre avant de refluer. II peut arriver et il
arrive que l’un finisse par dominer l’autre pour de bon. Mais à aucun
moment une tierce personne ne peut déterminer pour autrui lequel des
deux est plus important pour lui ; pour la simple raison que personne ne
peut pénétrer ce qui se tisse dans le silence des consciences. Si l’on peut
décider d’une politique à suivre, tracer des orientations, prendre des me-
sures d’incitation ou de dissuasion, il demeure arbitraire d’imposer à tous |
un choix quelconque sans alternative. |
3-b-2) Les faiblesses dans l’application des décisions |
242- Les C.D.R. étaient des organes d’exécution. Ils n’étaient pas réel-
lement associés à la prise des décisions qu’ils étaient chargés d’appliquer
et de faire appliquer. Très souvent les délais prévus entre la prise d’une
décision et la date de son entrée en vigueur étaient très brefs. Certaines
décisions étaient mêmes à exécution immédiate. La mesure d’interdiction
d'importer des fruits avait été prise par le président du C-NR. lors du
discours qu’il a prononcé à la clôture de la deuxième Conférence natio-
nale des C.D.R., apparemment sans même consulter le ministre compé-
tent"®, Cette précipitation conduisait parfois à des décisions qui ne cor-
respondaient pas toujours à l’attente du moment des populations, rendant

350 Le président du C-N.R. avait notamment déclaré : « … à partir de ce soir, le ministre


du Commerce et de l'Approvisionnement du peuple est chargé de la publication d'un
raabo portant interdiction d'importer des fruits au Burkina Faso. »
163
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

ainsi leur application difficile. En outre, les insuffisances du travail de


sensibilisation et d’explication et le manque de préparation psycholo-
gique des militants constituaient des facteurs de blocage”!. Désemparés
au moment où les décisions et les mots d’ordre tombaient à un rythme
élevé, les C.D.R. essayaient de les appliquer autant qu’ils le pouvaient
avec des conséquences parfois désastreuses. Pour ce qui concerne les
“trois luttes” (cf. n° 325), l'abattage systématique des animaux par cer-
tains militants C.D.R. a eu pour conséquence la migration du bétail, sur-
tout vers les pays voisins du sud (Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin)
qui, loin de s’en plaindre, aménageaient souvent des cadres d’accueil
adéquats. Dans l’application de la mesure sur le port du fso dan fani
(cf.n° 350), des responsables de service, soit par excès de zèle, soit pour
en dégoûter les gens, outrepassaient la portée de la mesure en exigeant
par exemple que tout le personnel se présentât au service en füso dan Fani
alors que la mesure ne concernait que les chefs de service.
243- En matière de sécurité intérieure, des excès ont été commis à par-
tir de l’interprétation par des C.D.R. de la notion de “défense de la Révo-
lution”. En fonction de la compréhension des uns et des autres, une
simple idée émise pouvait rendre suspect. Pour avoir distribué des,
«tracts injurieux et outrageants » contre le régime, le C.D.R. géogra-
phique du secteur où résidait le responsable de l’acte avait réclamé pour
lui « la sanction révolutionnaire extrême … afin de le neutraliser de fa-
çon définitive ». La coordination des C.D.R. des services et des commer-
çants de la ville de Ouagadougou avait réclamé pour le responsable et ses
acolytes « l'application de la sanction ultime aux traîtres de la Révolution
démocratique et populaire. » La défense de la Révolution était parfois, pour
les intrigants, un alibi pour des règlements de compte. Dans la pratique, des

351 La première Conférence nationale des C.D.R. (31 mars - 4 avril 1986) notait ce-
ci: « Un meilleur suivi des mots d'ordre nécessite que les hauts-commissaires soient
dotés en matériels adéquats, surtout qu'ils aient la primeur de l'information sur les
directives, mots d'ordre et mesures qu'ils sont chargés d'appliquer. Il est opportun que
le sens profond et les différents contours des mesures soient portés à la connaissance
des structures populaires. » Cf. S.G.N.-C.DR., Première Conférence nationale des
CDR, op. cit. p. 32.
164
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

droits des citoyens faisaient ainsi l’objet de violations” ®?. Certes, on ne saurait
aborder les droits de la personne partout de la même façon, sans tenir compte
du temps, de l’espace, des civilisations et de l’état de développement écono-
mique. Toutefois, « Tout comme la morale, les Droits de l'homme comportent
des principes imprescriptibles qui sont de l'ordre absol®®. » Quels que
soient le lieu et les circonstances, les principes énoncés dans la Déclaration
universelle des Droits de l'Homme de 1948 devraient pouvoir être respectés,
notainment pour ce qui concerne les droits fondamentaux comme le droit à la
vie, à la liberté et à la sûreté de la personne humaine.

3-b-3) Les faiblesses dans la représentativité des C.D.R.


Le problème de la représentativité des C.D.R. se posait sur le plan natio-
nal (3-b-3-a) et dans le camp même de la Révolution (3-b-3-b).
3-b-3-a) Sur le plan national
244- La représentativité des C.D.R. n’allait pas de soi. Le régime du
C.NR. s’était installé avec une base sociale restreinte et fragile et il en
allait de même des C.D.R. qui étaient une émanation du C.N.R. Il est vrai
que depuis le 4 août 1983, beaucoup avaient rejoint le camp de la Révo-
lution ; néanmoins, à l'égard des C.D.R. il se présentait une forme de,
conflit de générations qui se greffait à la lutte des classes. Si la plupart
des jeunes rejoignaient parfois spontanément les rangs des C.DR,, tel
n’était pas le cas des adultes et surtout des personnes âgées. Les C.D.R.
apparaissaient ainsi comme une affaire de jeunes ; ce qui était une des
causes de leur fragilité, car dans le Burkina d’alors, dans les villages et
les campagnes surtout, les jeunes pouvaient faire ce qu’ils voulaient de-
hors. Mais, le soir venu, rentrés à la maison, ils devaient écouter les pa-
rents. Les personnes âgées avaient un pouvoir occulte de premier plan.
Leur appréciation de la Révolution était d’une grande importance pour la
motivation des jeunes".

392 Boureima Jérémie Sigué, fondateur du quotidien Le Pays, raconte comment il fut victime
de règlements de comptes sordides. CF Le Pays, n° 4961, 3 octobre 2011, p. 6-7.
33 Edgar Pisani, La main et l'outil - Le développement du Tiers Monde et l’Europe,
Paris, Robert Laffont, 1984, p. 208.
35 Sur les sociétés villageoises, Edgar Pisani écrit : « … hormis l'aura du chef, l'ancien
du village ou le lointain Président ou Père, tout appel à la mobilisation sociale pour un
165
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autogentré
Apolli ire J. KVÉLEM de TAMBÈLA

245- L'absence de pluralisme politique et idéologique peut paraître


comme un atout pour le développement. R. Dumont écrit que
«L'existence, en beaucoup de pays d'Afrique, d’un parti unique domi.
nant peut être un facteur positif, s’il ne se coupe pas de la base Popu-
laire. Il permet au moins d'éviter les surenchères démagogiques”®. » En
avril 1958, Gunnar Myrdal rappelait au Parlement indien que l’Europe
n’avait abouti à ses diverses formes de démocratie qu'après avoir atteint
un degré déjà élevé de développement économique”. Toutefois, les in-
convénients semblent prédominer dans ce genre de système. Pour la ré-
volution bolchevik par exemple, seuls comptaient les soviets ; ce qui lui
avait valu cette critique de Rosa Luxembourg : « En niant les corps re-
présentatifs surgis des élections populaires générales, Lénine et Troisky
ont installé les soviets comme l'unique représentation authentique des
masses laborieuses. Mais avec l'étouffement de la vie politique dans tout
le pays, la vie des soviets eux-mêmes ne pourra pas échapper à une para-
lysie étendue. Sans élections générales, liberté de presse et de réunion
illimitée, lutte libre des diverses opinions ; la vie s'éteint de toute institu-
tion politique et seule triomphe la bureaucratie. » Le régime du
C.NR. n'avait pas encore engendré la bureaucratie ; mais, étant les
seules structures politiques autorisées, les C.D.R. n’ont pas été à l’abri de
l’opportunisme. Dans le discours d’ouverture de la première Conférence
nationale des C.D.R., leur premier responsable faisait ce constat : «Ainsi,
les voleurs et les opportunistes ont pu s'infiltrer dans nos rangs et ont
sali notre réputation. Les fanfarons et autres exhibitionnistes se sont glis-
sés frauduleusement en notre sein pour en notre nom poser des actes
inadmissibles et révoltants. Les néo-féodaux et les détraqués assoiffés de
pouvoir ont utilisé notre instrument pour en dernier ressort freiner l'élan
révolutionnaire des masses. Les régionalistes et les tribalistes ont malhon-

projet de développement s'apparente à une coercition et ne suscite que formalisme et


désintérêt, » in La main et l'outil, op. cit., p. 196.
355 René Dumont, Terres vivantes, Paris, Plon, 1982, p. 300. C’est l’auteur qui souligne.
3% Cf. René Dumont, L'Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1966, p. 210.
#7 Cf. Nicos Poulantzas, L'État, le Pouvoir, le Socialisme, Paris, Presses Universitaires
de France, 1978, p. 280.
166
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

nêtement utilisé nos structures pour subsister en vase clos dans leur arriéra-
tion mentale au milieu de la mouvance révolutionnaire générale”. »
3-b-3-b) Dans le camp de la Révolution
246- Le problème de la représentativité des C.D.R. se posait dans le
camp même de la Révolution. Tout au sommet, le C.N.R. restait une or-
ganisation mythique, nébuleuse, dont le public ignorait tout des
membres et de leurs activités. Cette situation favorisait les intrigues, les
magouilles et les basses manœuvres dans lesquelles les obséquieux ou les
cyniques finissent par l'emporter sur les plus consciencieux. Dans la me-
sure où le C.N.R. restait une “organisation secrète” (cf. n° 503%;tsur au- K
cun plan on ne pouvait parler de représentativité à son sujet. Certes, il y
avait une certaine adhésion populaire au régime, mais en l’absence
d’élections libres, rien ne permettait d’apprécier l’effectivité et la sincéri-
té de cette adhésion.
247- Pour ce qui concerne les C.D.R., la démocratie interne restait limitée.
Les dirigeants échappaient au contrôle des militants et n’étaient pas toujours
représentatifs. Une telle situation a pu porter atteinte à la cohésion générale.
Aux termes de l’article 91 du statut général des C.D.R,, le secrétaire général
national et son adjoint étaient nommés par le C.N.R. Ils n'étaient pas res-
ponsables devant les militants que pourtant ils représentaient. En revanche, à
tout moment, le secrétaire général national pouvait dissoudre un bureau jugé
défaillant. Aucun critère n’était donné pour l’appréciation du caractère dé-
faillant d’un bureau ; ce qui pouvait ouvrir la porte à des abus. Dans les pro-
vinces, le haut-commissaire qui était, aux termes de l’article 79, décrit
comme étant un mobilisateur révolutionnaire, un militant de premier choix
de la Révolution, un animateur de première ligne et qui présidait le conseil
provincial et le pouvoir révolutionnaire provincial, n’était pas non plus élu
par les militants mais nommé par le C.N.R. On ne sait rien des critères qui
permettaient de le présenter comme un militant de premier choix. Nomina-
tions et révocations dans les postes de responsabilité dépendaient du gré des
dirigeants du C.N.R. dont on ne savait rien sur leur propre représentativité.
Fondamentalement les C.D.R. apparaissaient comme de simples griots et
soldats du régime ; ce qui, sans doute, pouvait être frustrant et démobilisa-

358 C£ S.G.N.-C.DR. Première Conférence nationale des C.D.R,, op. cit., p. 15.
167
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

teur. Même le Congrès des C.D.R. n’avait pas de réels pouvoirs. Aux termes
de l’article 86, Il était tout simplement appelé à: «-füaire le point de
l'application des directives du CN.R ; -apprécier le fonctionnement des
CDR. ; -recevoir les directives politiques du C.N.R. sur l'orientation poli.
tique générale du mouvement révolutionnaire ; -œuvrer au développement es
au renforcement du processus révolutionnaire ; -faire des suggestions et des
recommandations. »
3-b-4) Le manque de moyens des C.D.R.
248- La pauvreté relative du pays pose des problèmes économiques
sérieux à la majorité des Burkinabè. Certains espéraient résoudre leurs
problèmes économiques en intégrant un C.D.R. Mais les militants
n'étaient pas rémunérés et l’État n’avait pas beaucoup de moyens pour
les équiper. Bien au contraire, c’était aux militants de dégager les moyens
nécessaires pour mener à bien leurs missions. En fonction des besoins de
chacun, la tentation était plus où moins grande de se servir à l’occasion,
Ainsi, dans les services, des militants avaient détourné des sommes pro-
venant de collectes pour l’achat de vivres. Des magasins OF.NA.CÉR.
dont la gestion était confiée à des C.D.R. avaient été fermés pour cause
de détournements. Pour limiter les dégâts, la première Conférence natio-
nale des C.D.R. avait proposé que des pourcentages sur les activités aux-
quelles participaient les C.D.R. (vente des animaux mis en fourrière, etc.)
fussent retenus pour être versés dans les caisses des C.D.R.
3-b-5) Le manque de compétence des C.D.R.
Le manque de compétence se situait aux niveaux technique (3-b-5-a) et
politique (3-b-5-b).
3-b-5-a) Les insuffisances techniques
249- La première Conférence nationale des C.D.R. avait relevé que le
secrétariat général national des C.D.R. lui-même souffrait de l'absence
d’un personnel en nombre suffisant et techniquement compétent. “Lolo-
wulen”, le journal d’information et de propagande du secrétariat général,
était d’une périodicité irrégulière parce qu’il n’existait pas de cellule
permanente de suivi. La participation des militants C.D.R. à la gestion et
au contrôle des entreprises publiques et parapubliques, telle que prévue

168
A
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA.

par l’article 53 du statut général des C.D.R., est restée figurative et pas-
sive à cause de leur manque de formation technique. La formation mili-
taire était également déficiente parce que, la plupart du temps, les enca-
dreurs eux-mêmes étaient de médiocre compétence. Après une formation
militaire sommaire, certains militants, le fusil kalachnikov en main, se
comportaient en véritables shérifs des secteurs.
3-b-5-b) Les insuffisances politiques
250- Dans leur zone de compétence, beaucoup de militants avaient fait
de leur C.D.R. la seule autorité technique et politique. Les conflits de
compétence étaient multiples, d’une part entre des C.D.R. de nature dif-
férente (C.D.R. de service et C.D.R. Géographique par exemple), d’autre
part entre les C.D.R. et les diverses autorités administratives et tech-
niques. Des C.D.R. de service refusaient parfois de collaborer avec les
CDR. géographiques dont ils étaient territorialement dépendants. Des
militants de C.D.R. géographiques militairement formés s'étaient substi-
tués dans leur localité aux agents de l’ordre pour se livrer à des contrôles
de phares et de feux rouges, allant parfois jusqu’à verbaliser des transpor-
teurs. Il était en effet difficile de faire comprendre à des militants sans
expérience,et parfois même sans instruction qu’ils avaient tout le pouvoir

À
— comme le disait le discours officiel - mais que celui-ci était néanmoins
grevé de limites politique, administrative, technique et territoriale. Pour
pallier l'insuffisance de formation, le secrétariat général national des
C.DR. avait commencé, à partir du 14 janvier 1985, à organiser des
stages de formation politique pour les militants des différents services de
la province du Kadiogo (Ouagadougou).
251- Une opération dénommée “Fer de lance” avait permis de former
pius de douze mille responsables départementaux qui, à leur tour, avaient
formé plus de deux cent mille responsables des structures C.D.R. de base.
Certains militants avaient été envoyés en formation dans des écoles de
partis communistes de pays “socialistes” ou d'orientation socialiste
(UR.S.S., Cuba, Congo, etc.) Dans le discours d’ouverture de la deu-
xième Conférence nationale des C.D.R. tenue à Dédougou du 30 mars au
3 avril 1987, le secrétaire général national des C.D.R. annonçait
l'ouverture dès octobre 1987 d’une école supérieure des cadres C.D.R.
L’interruption brutale de l'expérience révolutionnaire le 15 octobre 1987
169
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

n’a pas permis la concrétisation de ce projet. Compte tenu des insuffi.


sances techniques et politiques des militants, une telle institution pouvait
être d’une grande utilité. Mais il y avait aussi le risque qu’elle devînt un
instrument d’endoctrinement et d’embrigadement. L’expérience des
écoles de formation politique destinées à des militants montre qu’elles ne
donnent parfois des événements qu’une vision conforme aux vues des
régimes qu’elles servent.
B) LES AUTRES STRUCTURES D’ENCADREMENT
Ces structures concernent l’administration (1}, les personnes âgées appe-
lées anciens (2), les paysans (3), les femmes (4) et les pionniers (5).
1- Les structures administratives
252- Pour l’encadrement de l’administration, un certain nombre de
structures avait été mis en place"”. Le Comité d'administration ministé-
rielle (C.A.M.) regroupait les directeurs centraux et les délégués du per-
sonnel d’un même ministère. Il se réunissait une fois par semaine et était
l'organe de contrôle de la gestion du ministre. Une fois par trimestre était
convoquée la Conférence nationale des délégués de tous les C.A.M. qui
examinait la gestion de tout le gouvernement.
La Commission du peuple chargée du secteur ministériel (C.P.M.)
comprenait les membres du C.A.M. les directeurs des services rattachés
et extérieurs, le bureau de coordination ministérielle sectorielle
(CO.MISEC.), un délégué C.D.R. du ministère par province, le délégué
C.DR. de service du ministère. La C.P.M. avait pour tâche l'adoption
des propositions du C.A.M. dans le cadre de l’application de la politique
générale du ministère, l’appréciation des activités du C.A.M. et
l'élaboration des directives pour un meilleur fonctionnement du départe-
ment ministériel.
Le Conseil national d’administration ministérielle (C.N.A.M.)
regroupait tous les C.A.M. Il était dirigé par le président du Faso. Il avait
pour tâche d’évaluer l’exécution du plan quinquennal par secteur ministé-
riel, de faire des propositions relatives à la cohésion et à l’efficacité de
l’action gouvernementale, de donner son avis sur des questions qui lui

35 Cf. Kiti n° 85-108/CNR/PRES du 2 novembre 1985 portant organisation des struc-


tures dirigeantes de l'exécutif révolutionnaire au Burkina Faso.
170
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

étaient soumises par le Conseil des ministres et de faire des suggestions


au Conseil des ministres. Le secrétaire général du gouvernement était le
rapporteur du C.N.A.M.
La Conférence des commissions du peuple chargées dés secteurs
ministériels (C.C.P.M.) regroupait les C.P.M. des ministères, les hauts-
commissaires des provinces, deux représentants des C.DR. de service,
du bureau national des élèves, du bureau national des étudiants, du bu-
reau national de l’Union des femmes du Burkina (U.F.B.), de PUnion
nationale des anciens du Burkina (U.N.A.B.) Elle avait compétence pour
entendre et apprécier le rapport général annuel d’activité élaboré par le
C.N.A.M. et émettre des propositions relatives aux grandes orientations
nationales. Le secrétaire général du gouvernement était également le rap-
porteur de la C.C.P.M.
253- Peut également être mentionnée la création du Service national po-
pulaire (S.N.P. ou SER.NA.PO.)" le 18 juillet 1984. Il concernait en prin-
cipe tous les jeunes et tous les élèves et étudiants qui, ayant terminé ou arrêté
leurs études, postulaient pour un premier emploi. Il consistait le plus souvent
pour les élèves et étudiants, à recevoir trois mois de formation militaire et
idéologique dans un camp d’entraînement militaire et à exercer une profes-
sion civile pendant neuf mois". 11 n’était plus possible d’avoir un emploi
permanent au Burkina sans être passé par le S.N.P. où sans avoir fourni la
preuve d’en avoir été exempté. L'intérêt du S.N.P. était évident : il offrait à
l'État un cadre pour insuffler son idéologie aux jeunes, pour les préparer
militairement et Les faire travailler à peu de frais”.

360 1] à été remplacé par le Service national pour le développement (S.N.D.) le 15 dé-
cembre 1993.
361 Pendant cette phase professionnelle appelée “production”, les élèves et étudiants
étaient surtout employés comme enseignants (instituteurs ou professeurs). Ils pouvaient
aussi être employés dans des services administratifs. Ils n’étaient pas rémunérés mais ils
étaient hébergés et percevaient une petite somme comme argent de poche.
36 Selon son directeur de l’époque, le S.N.P. visait les objectifs suivants : -Faire de tout
appelé un militant politiquement et idéologiquement conscient de son rôle dans la cons-
truction de la nouvelle société burkinabè et de surcroît rompu au maniement des armes
pour la défense de la patrie. Former professionnellement tout appelé dans l'optique de
la réalisation de l'adéquation S.N.P. = emploi ou S.N.P. = métier. Cf. Sidwaya, n° 779,
Ouagadougou, 25 mai 1987, p. 10.
171
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

En avril 1987 il avait été mis sur pied le Service national de construc.
tion de la patrie (S.N.C.P.) Chaque année, chaque agent de l’État était désor.
mais tenu de consacrer trois semaines environ à des travaux d'intérêt général.

2- L'Union nationale des anciens du Burkina (U.N.A.B.}*


254- Très tôt Sankara s’est préoccupé de la place des anciens dans la Ré.
volution. Dans son discours prononcé en août 1984, à l’occasion du premier
anniversaire de la Révolution, il déclarait déjà : « Pour ce grand jour anni.
versaire, ma pensée va également aux anciens ; à ces anciens que des élé.
ments non révolutionnaires, par des interprétations erronées, ont condam-
nés de façon péremptoire, jetant sur eux l’anathème pour en faire des dam-
nés de la Révolution. J'affirme que les anciens ont eux aussi leur place dans
la Révolution qui a besoin de leur expérience positive et dynamique. Nous
les invitons à s'organiser dans les quartiers, les secteurs, les villages, er
nous les convions à ce grand défi pour l'avenir où ils peuvent encore et doi-
vent faire beaucoup et dans leurs limites objectives 36 » L'ULN.A.B. a vu le
jour en février 1986. Le président du C.N.R. expliquait sa création par le fait
que si la Révolution ne mobilisait pas les anciens, la réaction les mobilise-
rait contre la Révolution. Sa création obéissait surtout à des objectifs stra-
tégiques. L'âge minimum pour être membre de l’U.N.A.B. était de cin-
quante ans. La présidence avait échu à l’ancien président Sangoulé Lami-
zana et la vice-présidence au premier président de la République Maurice
Vaméogo. Les deux anciens présidents conservaient des réseaux de parti-
sans et de sympathisants que le C.N.R. avait sans doute besoin de rassu-
rer pour élargir sa base. La première Conférence de l’U.N.A.B. eut lieu à

36 L’U.N.A.B. et l’U.N.P.B. étaient de création récente et n'étaient pas encore suffi-


samment structurées. Les textes officiels les concernant sont rares.
3% Selon l’ancien président Sangoulé Lamizana, c’est son prédécesseur à la tête de
VÉtat, Maurice Yaméogo, qui serait à l’origine de l’U.N.A.B. C’est ce dernier qui aurait
eu l’idée de regrouper, à partir de juillet 1985, dans sa ville natale de Koudougou, les
anciens de sa génération en comité des sages. Il obtint un si bon résultat que le C.N.R.
décida de s'inspirer de son idée. Cf. S. Lamizana, Sur la brèche trente années durant, op.
cit, p. 502-503. Cependant, T.M. Garango prétend que c’est lui qui en aurait donné
l’idée au président Sankara dans une note du 12 juillet 1985. Cf. T.M. Garango Devoir
de mémoire, op. cit., p. 103-104. Ces prétentions évidemment ne sont pas fondées. On
sait que dès 1984 au plus tard, Sankara pensait déjà à faire participer les anciens au
processus révolutionnaire.
172
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Ouagadougou du 11 au 13 juin 1987 avec pour thème : « Rôle des an-


ciens dans l'exécution du plan quinquennal ».
3- L'Union nationale des paysans du Burkina (U.N.P.B.)
255- L'intérêt du président Sankara pour les paysans avait conduit en août
1986, lors de la formation du quatrième gouvernement révolutionnaire, à la
création d’un ministère de la Question paysanne. Le ministère avait pour
vocation de prendre en charge tous les problèmes se rapportant au monde
ruraP, C'était pour un meilleur encadrement du monde rural que fut créée
le 11 mars 1987 l’Union nationale des paysans du Burkina (U,N.P.B.) Pour
le président du C.N.R. Thomas Sankara, les paysans du Burkina devaient
sortir de leur « apathie fondée sur l'isolement de la vie des champs pour
devenir une force politique consciente, une force économique puissante ca-
pable de participer activement à l'élaboration d'un tissu économique véri-
table et à l'aménagement du territoire … » La mission fixée à l’U.N.P.B. par
le président du C.N.R. était « d'amener les paysans du Burkina à s ‘intégrer
aux différentes actions politiques, sociales, culturelles et surtout écono-
miques grâce aux actions engagées par le Conseil national de la Révolution
dans le cadre de l'autosuffisance alimentaire puis de la puissance agricole
pour l'édification de l'économie nationale indépendante, autosuffisante et
planifiée. » La création de l’U.N.P.B. répondait aussi au souci de trouver un
contrepoids aux revendications salariales des agents de l’État. Les paysans
étant aussi des travailleurs, ils devraient aussi avoir leur part dans la redistri-
bution des revenus de l'État. Ainsi le 1° mai 1987, à l’occasion de la fête du
travail, il fut organisé à Ouagadougou un défilé des paysans pour montrer
qu’ils appartiennent aussi au monde du travail. Le ministre du Travail
d’alors, Fidèle Toé, s'était félicité d’avoir mis un terme au « rite du cahier
des doléances» habituellement présenté par les «syndicats petits-
bourgeois ».
256- Moins d’un mois après la création de l'U.N.P.B., le conseil des
ministres du 8 avril 1987 instituait une fête nationale annuelle des pay-

365 Le ministère de la Question paysanne avait commencé la publication d’un joumal


bilingue {more et français) intitulé Le Paysan. Il était censé être un « organe de mobili-
sation et d'information des paysans ». Le numéro 000 a paru en 1987 sans autre préci-
sion (mois, date, fréquence).
‘13
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

sans qui était prévue pour avoir lieu chaque premier dimanche du mois
de février et précédée de deux journées du paysan. Elle devait offrir
l’occasion de réfléchir et d’échanger et permettre le renforcement de la
capacité de mobilisation et l'éveil de la conscience paysanne comme
force avec laquelle il fallait désormais compter à tous les niveaux de la
vie nationale. Cette manifestation se déroule toujours chaque année sous
le nom de Journée nationale du paysan (J.N.P.) mais avec un contenu
bien différent.
4- L'Union des femmes du Burkina (U.F.B.)
257- L'UF.B a été créée le 19 septembre 1985 pour compenser la
faible implication des femmes dans les C.D.R. Elle avait pour objectifs
d’unir et d’organiser les femmes pour la réalisation des objectifs de la
Révolution, de contribuer à l’émancipation des femmes et de faire des
femmes une force décisive dans la lutte pour l’avènement d’une société
débarrassée de toute forme d’exploitation.
5- Le Mouvement national des pionniers (M.N.P.)
258- Le Mouvement national des pionniers (M.N.P.) a été créé le 22
mai 1985 à la suite d’une rencontre tenue au lycée Marien N’gouabi en
décembre 1984. Il regroupait les enfants de dix à quatorze ans et devait
constituer la pépinière des C.D.R. Il était destiné à servir de cadre de
formation politique, idéologique, socio-économique et culturel pour faire
du pionnier un citoyen conscient, éveillé, digne continuateur de la Révo-
lution démocratique et populaire. Des sections de pionniers avaient été
créées dans tous les établissements d’enseignement primaire et au pre-
mier cycle des lycées et collèges. Les pionniers étaient répartis en trois
catégories : les plus jeunes appelés “janto” se recrutaient au niveau des
cours élémentaires ; les moins jeunes appelés “djambow” se recrutaient
au niveau des cours moyens et les plus grands appelés “ambga” se recru-
taient dans les classes de 6° et 5° du secondaire. La devise du M.N.P.
était : « Oser lutter, savoir vaincre. »

174
Chapitre IV
Les difficultés politiques du C.N.R.

Être révolutionnaire au Burkina, c’est un sacerdoce tant le poids de la


société est important, tant les traditions sont pesantes et tant ce que nous
voulons inventer est titanesque.
Thomas Sankara

Du fait de l’ampleur et de la noblesse de sa mission, le C.N.R. rencontra,


dans le cadre de son action, des difficultés non seulement externes (E)
mais aussi internes (ID).
E Les difficultés politiques externes
259- On se rappelle que dès sa prise du pouvoir, le C.N.R. a aussitôt
été confronté à l’hostilité immédiate du Syndicat national des enseignants
africains de Haute-Volta (S.N.E.A.-H.V.) (cf. n° 188). Lors d’une confé-
rence de presse donnée à Paris à l’hôtel Méridien en octobre 1983, après
la dixième Conférence France-Afrique de Vittel, Sankara avait expliqué
pourquoi, du point de vue du C.N.R., le S.N.E.A.-H.V., ou plus précisé-
ment la direction du S.N.E.A.-H.V. s’acharnait contre le régime : « Le
SN.E.A.-H.V. a lancé des attaques contre le Conseil national de la Révo-
lution ; ces attaques ont été lancées dans les premiers jours de notre
avènement au pouvoir, ce qui veut dire que ce syndicat avait une appré-
ciation subjective vis-à-vis de notre Révolution et non pas une apprécia-
tion objective, laquelle aurait exigé de la patience, d'analyser, de com-
prendre ce que nous voulions. En réalité, il ne s'agit pas du syndicat na-
tional des enseignants africains de Haute-Volta, le S.N.E.A.-H.V. Il s'agit
de sa direction, des éléments de sa direction. Que s'est-il passé ? [...]
nous savons que ces éléments de la direction du S.N.E.A.-H.V. et le parti
politique que nous avons dissous, (N.D.L.A. : ie Front progressiste vol-
taïque (F.P.V.) qui était le parti du Pr Joseph Ki-Zerbo) s'aifendaient aux
alentours des 5, 6 ou 7 août de cette année, à un coup d ‘État revanchard
de leurs amis du C.M.R.P.N. Ils s'y attendaient, et lorsqu'ils ont entendu
la musique militaire à la radio, ils ont exulté de joie se disant « ça y est,
on a gagné ». Non, ils n'ont pas gagné, ils ont perdu. Ce qui explique
175
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

aujourd'hui qu'ils s'agitent hystériquement dès les premiers jours contre


nous, convaincus qu'ils pourront nous déstabiliser de cette façon-là. ;
Aux problèmes rencontrés avec le S.N.E.A.-H.V, s’ajoutaient les diff.
cultés suscitées par les mesures d’assainissement dans l’armée et dans la
Fonction publique et par l'instauration de la rigueur dans la gestion de la
chose publique.
260- Peu de temps après Pavènement de la Révolution, alors que le
climat politique était à la méfiance et à la suspicion, au prétexte qu’ils
menaient des activités subversives, un décret du 11 octobre 1983 assi-
- gnait à résidence dans leur localité d’origine, un certain nombre de per-
sonnalités des anciens régimes. Avant de livrer le contenu du décret, le
secrétaire d’État à l’Intérieur et à la Sécurité, Nongma Ernest Ouédraogo,
fit une déclaration à la presse qui se terminait par cette phrase redou-
table : «La Révolution sera intégrale et au besoin infernale. » Par la
suite, des opposants en exil dont le Pr J. Ki-Zerbo créèrent, semble-t-il,
en Côte d’Ivoire, le Rassemblement voltaïque pour les libertés (R.V.L.),
un éphémère mouvement d'opposition au bilan pratiquement inexistant.
Le 28 mai 1984, les autorités annonçaient la découverte d’un complot
visant à renverser le régime. Le cerveau serait le lieutenant-colonel à la
retraite Nobila Didier Tiendrebéogo. Le 12 juin 1984, sept des prétendus
comploteurs, soit deux civils et cinq militaires et gendarmes dont Didier
Tiendrebéogo étaient exécutés à cinq heures du matin.
261- En janvier 1985, les syndicats affiliés au P.C.R.V., sous le pré-
texte d’une prétendue baisse du pouvoir d’achat, appelaient la population
à se préparer à la lutte. En mi-mai 1987 se tenait un congrès du Syndicat
autonome des magistrats burkinabè (S.A.MA.B.) affilié au P.C.R.V. Le
C.NR. qui appelait à l’unité des mouvements et organisations de gauche
fournit la logistique nécessaire pour le congrès et le ministère de la Jus-
tice dont le capitaine Blaise Compaoré détenait le portefeuille facilita
autant que possible son organisation. Blaise Compaoré avait été chargé
par Thomas Sankara de maintenir le contact avec le P.C.R.V. S’appuyant
sur la baisse de la rémunération des cadres de l’État qu'avait provoquée
la réforme de la Fonction publique et sur la politique économique du
C.NR. qui favorisait les investissements au détriment d’une certaine con-
sommation qu’affectionnaient les catégories sociales privilégiées, le
176
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBËLA

S.A.MA.B. jugea sans doute le moment opportun pour taper fort sur le ré-
gime et le faire vaciller. Dès l'ouverture du congrès, il se livra à une attaque
tous azimuts contre la R.D.P. La réaction du C.N.R. fut à la mesure de la
véhémence des attaques. Le 10 juin 1987, un conseil des ministres décida le
licenciement de la Fonction publique des responsables du congrès %,
Il Les difficultés politiques internes
Les contradictions politiques internes (A) et le problème du parti d’avant-
garde ont contribué à fragiliser le régime (B).
A) LES CONTRADICTIONS POLITIQUES INTERNES
262- La coordination des différentes structures d'encadrement était un
problème réel. Les C.D.R. relevaient directement du S.G.N.-C.DR. qui
supervisait aussi toutes les autres structures. Mais, contrairement aux
C.DR., ces structures étaient également sous la tutelle directe d’autres
institutions. L'Union nationale des anciens du Burkina (U.N.A.B.) et le
Service national populaire (S-N.P.) étaient sous la tutelle du ministère de
la Défense populaire. L'Union nationale des paysans du Burkina
(U-N-P.B.) relevait du ministère de la Question paysanne et le Service
national de construction de la patrie (S.N.C.P.) dépendait du ministère de
la Jeunesse et des Sports. Le manque d’institution appropriée de coordi-
nation suscitait des luttes de pouvoir qui fragilisaient le régime. Le
C.N.R. ayant évolué dans le “secret”, aucune règle de désignation de ses
membres n’était connue. Il est difficile de dire si le critère important dans
la cooptation de ses membres était l’obséquiosité, la compétence ou la
représentativité, pour les militaires au niveau de l’armée et pour les civils
au niveau des mouvements de gauche. Les quatre chefs militaires de la
Révolution, avec à leur tête le président du C.NR, semblaient détenir
toutes les ficelles. L'absence règles préétablies encourageait
de
l'opportunisme et le clientélisme. Deux organisations politiques : le
Groupe communiste burkinabè (G.C.B.) et l’Union communiste burkina-
bè (U.C.B.} ont ainsi rejoint le C.N.R. après le 4 août 1983 sans que l'on
sût vraiment pourquoi et comment ; tandis que le P.A.I.-LI.PA.D., prin-

366 C’est Blaise Compaoré qui était, entre autres, ministre d'État à la Présidence, mi-
nistre de la Justice, qui a introduit le dossier de licenciement en conseil des ministres.
Cf L’Ouragan, n° 259, Orodara, 22 août 2012, p. 6.
177
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

cipale organisation politique qui, avec les militaires, a œuvré à


l’avènement de la Révolution, a quitté le C.N.R. en août 1984 au nom de
la “clarification” de la ligne politique.
263- Dès l’avènement de la Révolution, le P.A.I.-LI.PA.D., conscient
de sa capacité de mobilisation, a très vite cherché a en tiré profit pour se
hisser à la direction de la Révolution. Il en a donné l’explication sui-
vante : « De foutes les Organisations associées pour le coup d "État, la
nôtre était la plus forte, la plus étendue, celle qui avait le plus
d'expérience, s'était le mieux fait connaître et apprécier de l'opinion
progressiste ou non, de l'intérieur comme de l'extérieur. Dès lors, nous
pensions donc que la conduite des affaires après la prise du pouvoir, ne
pouvait se faire sans la participation décisive de notre Part, » C'était
cependant oublier que le facteur déterminant dans l’avènement de la Ré-
volution fut l’action des militaires. Toujours est-il que la formation du
premier gouvernement fut confrontée à l’attitude hégémonique du P.A.I.-
LLPA.D. qui exigea les cinq principaux ministères dont celui de
l'Information qui ne devait être attribué à personne d'autre qu’à Adama
Touré qui était un de ses dirigeants. Pourtant, le président du C.N.R. avait
déjà prévu quelqu’un d’autre, Basile Guissou, pour le ministère de
l'Information. Les revendications exorbitantes du P.A.L.-LIPA.D. indis-
posèrent les autres membres du C.N.R. Les négociations retardèrent la
publication de la composition du gouvernement de trois jours. Pour pré-
server la cohésion encore fragile de l’équipe dirigeante, le C.N.R. dut
s’incliner#, D’aucuns ont prétendu qu’à partir de ce moment commença
la méfiance de Sankara et aussi des militaires à l'égard du P.A.L-
LIPA.D.

#7 Déclaration du Bureau exécutif central (B.E.C.) à l’issue du premier congrès tenu par
le parti après le 15 octobre 1987.
35 Dans le premier gouvernement du C.N.R. formé le 24 août1983, le P.A.I.-LI.PA.D
obtint les portefeuilles ministériels suivants :
- Affaires étrangères et Coopération : Hama Arba Diallo ;
- Équipement, Transports et Communications : Philippe Ouédraogo ;
- Information : Adama Abdoulaye Touré ;
- Éducation nationale, Arts et Culture : Mardia Emmanuel Dadiouari ;
- Jeunesse et Sport : Ibrahima Koné
178
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

264- Dans sa stratégie de prise de contrôle de l'État, le P.AL-LLPAD.


entreprit un certain nombre d’opérations que le C.N.R. dût couvrir à x
l'époque. Ainsi, le 13 septembre 1983, sous sa houlette, les travailleurs
de la société voltaïque d'électricité (Voltélec.), actuelle SONABEL, sé-
questrèrent le directeur général et son adjoint de même que le directeur
d’exploitation et forméèrent un conseil provisoire de gestion. Le 16 sep-
tembre 1983, toujours à l'initiative du P.A.L.-LI.PA.D., se fut au tour du
directeur de la télévision d’être séquesiré. Le 22 septembre 1983, le
P.A.I.-LI.PA.D. organisa également une marche sur la mairie de Ouaga-
dougou en vue de destituer le maire. L'opération échoua grâce à
l'intervention du secrétariat général national des C.D.R.
265- Le P.A.L.-LI.PA.D. qui avait un contrôle certain sur le syndicat le
plus combatif d’alors, la Confédération syndicale voltaique (C.S.v.}*
dont le secrétaire général, Soumane Touré, était un des principaux res-
ponsables du P.A.L.-LI.PA.D., n’avait pas apprécié la création des C.D.R.
qu’il accusait d’être en concurrence avec les syndicats. S’étant aperçu
que malgré tout les C.D.R. étaient devenus incontournables, il changea
de stratégie et se mit à revendiquer le poste de secrétaire général national
des C.D.R. pour Soumane Touré. Ce fut en vain. Il se racontait que lors
des missions à l’étranger, les ministres et les chefs de délégation
membres du P.A.L.-LLPA.D. laissaient souvent entendre que dans les
faits c’est leur mouvement qui dirigeait la Révolution et que sans lui le
C.NR. ne tiendrait pas. Autant de choses qui ne favorisaient pas la cohé-
sion interne de l’équipe dirigeante.
266- La manifestation la plus spectaculaire des ambitions hégémo-
niques du P.A.L.-LLPALD. interviendra en mai 1984. C’est le 17 mai
1983 que Thomas Sankara, alors premier ministre, avait été arrêté entraf-
nant la fin du régime du C.S.P.-L. Le 20 mai 1983, les élèves et étudiants
avaient manifesté à travers les rues de Ouagadougou pour réclamer sa
libération (cf. n° 111). Le 21 mai avait été déclaré journée ville morte. Le
C.NR. décida de commémorer ces événements et déclara le 20 mai
« Journée anti-impérialiste de la jeunesse. » L'organisation des manifes-
tations commémoratives créa un problème sérieux. Quel jour retenir et

3% Elle a été créée le 17 septembre 1974,


179
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

quelle structure pour la coordination, le S.G.N.-C.D.R. ou le ministère de


la Jeunesse et des Sports dirigé par Ibrahima Koné du P.A.L.-LI.PA.D. 9
Le 16 mai 1984 le conseil des ministres ordonna au secrétaire généra]
national des C.D.R., Pierre Ouédraogo, devenu capitaine et au ministre
de la Jeunesse et des Sports Ibrahima Koné de trouver un terrain
d’entente. On se rappelle que le P.A.L.-LI.PA.D. s'était mis à revendiquer
le poste de S.G.N.-C.D.R détenu par Pierre Ouédraogo ; ce qui ne favori-
sait pas un climat de collaboration entre les deux structures. L’entente
n’eut donc pas lieu et le P.A.I.-LI.PA.D. décida de se servir de cette oc-
casion pour faire une démonstration de force. Alors que le secrétariat
général national des C.D.R. prévoyait les manifestations pour le 21 mai,
le ministre de la Jeunesse et des Sports le prit de court en les ouvrant le
20 mai par une marche de jeunes et de membres et sympathisants du
P.A.L.-LIPA.D. Le 21 mai, le S.G.N.-C.D.R. à son tour organisait ses
manifestations. L’attitude du ministre de la Jeunesse et des Sports fut
perçue comme la provocation de trop. En guise de mise en garde, surtout
à l’endroit du P.A.I.-LI.PA.D., le 21 mai 1984 à 22h 10 mn, un décret
mettait fin aux fonctions de ministre de la Jeunesse et des Sports de Ibra-
hima Koné,
267- Après l'arrestation du premier ministre Thomas Sankara le 17 mai
1983, alors qu’ils étaient dans la détresse, le P.A.L-LIPA.D. et d’anciens
militants de l’U.L.C. avaient œuvré main dans la main dans la clandestinité
pour la victoire du mouvement révolutionnaire. La victoire obtenue, le
P.A.L-LIPA.D. compta les anciens militants de l’'U.L.C. pour quantité né-
gligeable. La confrontation entre eux ne tarda pas à se manifester.
L'élaboration du Discours d’orientation politique (D.O.P.) du 2 octobre
1983 attisa les rivalités. Chaque organisation essaya de faire prévaloir ses
analyses. Alors que le P.C.R.V. définissait l'étape d’une prochaine révolu-
tion en termes de révolution nationale démocratique et populaire (R.N.D.P.),
le P.A.L-LLPA.D. la définissait en termes de révolution populaire de libéra-
tion nationale (R.P.L.N.) tandis que l’ex-U.L.C. la définissait en termes de
révolution démocratique et populaire (R.D.P.). C’est l’option de l’ex-U.L.C.
qui sera adoptée par le C.N.R. Une révolution de libération nationale sup-
pose un pays sous domination étrangère directe. Dans ce cas, la mobilisation
pour la révolution peut rassembler toutes les catégories et toutes les classes
sociales de la nation pour soustraire le pays de la domination étrangère. Une
180
E
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

telle révolution pouvait se produire au Burkina avant son accession à


l'indépendance en 1960. À partir du moment où le Burkina constituait déjà
| une entité politique autonome en 1983, on ne pouvait plus parler de révolu-
| tion populaire de libération nationale sans masquer le phénomène de la lutte
| des classes. Le P.A.L. du Burkina qui était une section nationale du Parti
| africain de l'indépendance (P.A.L.) créé en 1957 avant les indépendances des
| pays d’Afrique francophone, avait probablement dû conserver sans modifi-
cation les thèses élaborées à cette époque.
| 268- Pour faire face au P.A.I. qui, avec la LI.PA.D,, s’était doté d’un
instrument de mobilisation, l’ex-U.L.C. décida aussi en novembre 1983
de créer un mouvement de masse dénommé Union démocratique et popu-
. laire (U.D.P.) Sentant le danger que cela pouvait constituer pour lui, le
PAL. s’y opposa fermement. Le président du C.N.R. qui cherchait
| l’apaisement et qui craignait que l’initiative de l’ex-U.L.C. n’accrût les
rivalités entre les deux structures, se rangea du côté du P.A.. et l’ex-
U.L.C. dut renoncer à son projet.
269- En voulant tout gagner, le P.A.I.-LI.PA.D. allait tout perdre. Le
19 août 1984, après la commémoration du premier anniversaire de la
Révolution, le premier gouvernement du C.N.R. était dissous. Chaque
année à la même période, le gouvernement était dissous pour être recom-
posé quelques jours plus tard. Le 31 août 1984 à 22h 30mn, la composi-
tion du deuxième gouvernement était rendu publique. On nota l’absence
de ministres provenant du P.A.L.-LIPA.D. Comprenant qu’il ne pourrait
pas prendre le contrôle du pouvoir révolutionnaire et que bien au con-
traire sa volonté d’hégémonie ne lui attirait que des ennuis, le P.A.I.-
LILPA.D. avait décidé de ne plus païticiper ni au gouvernement ni au
C.NR. Toutefois, comme on est toujours mieux servi dans les allées du
pouvoir, des militants du P.A.L.-LLPA.D. choisirent, soit individuelle-
ment, soit à travers de nouvelles structures, de se désolidariser de leur
parti et de rester dans la mouvance du pouvoir.
270- À partir de sa mise à l’écart, le P.A.I.-LI.PA.D. adopta une atti-
tude d'opposition systématique frisant le ridicule ; allant parfois jusqu’à
condamner la mise en œuvre de mesures qu’il avait inspirées ou contri-
bué à prendre quand il faisait partie de l’équipe dirigeante. Dans la nuit
du 26 au 27 octobre 1984, Adama Touré et Arba Diallo, ministres du
Î 181
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

P.A.L.-LIPA.D, dans le premier gouvernement, furent ainsi arrêtés pour


attitudes contre-révolutionnaires. D’autres militants de ce parti furent
également arrêtés par la suite avant d’être tous libérés. Arba Diallo de-
viendra même conseiller à la présidence du Faso. Du coup, pour le
P.A.IL.-LLPA.D. le régime n’était rien d’autre que répressif. À quoi San-
kara répliqua : « Lorsque les lipadistes appartenaient à ce gouvernement,
combien de fois ont-ils réclamé des expéditions punitives contre telle où
telle personne. Ont-ils oublié que c'était le C.N.R. qui les refusait ? 30,
271- Au sein du C.NRR, la mise à l’écart du P.A.I.-LIPA.D. laissa face à
face les militaires et l’U.L.C.-R. Pour tenter d'élargir la base du régime et
aussi éviter le face à face, les militaires vont encourager la formation
d’autres organisations de gauche, ouvrant ainsi dangereusement la porte à
l’opportunisme, phénomène que Lénine fustigeait en ces termes : «7 n'est
pas difficile d'être un révolutionnaire quand la révolution a éclaté déjà et
bar son plein ; quand chacun s'y rallie par simple engouement, pour suivre
la mode, parfois même pour faire carrière. Sa “libération” de ces piètres
révolutionnaires, le prolétariat doit la payer plus tard, après sa victoire, par
des efforts inouïs, par un martyre douloureux, pourrait-on dire. Il est beau-
coup plus difficile - et beaucoup plus précieux - de se montrer révolution-
naire quand la situation ne permet pas encore la lutte directe, déclarée,
véritablement massive, véritablement révolutionnaire,- de savoir défendre
les iniérêts de la révolution (par la propagande, par l'agitation, par
l'organisation) dans des institutions non révolutionnaires, voire nettement
réactionnaires, dans une ambiance non révolutionnaire, parmi des masses
incapables de comprendre tout de suite la nécessité d'une méthode d'action
révolutionnaire *! ». Donnant raison à Lénine, pour avoir encouragé, voire
suscité l’opportunisme, Sankara déclarait dans son discours de l’an IV de la
Révolution, le 4 août 1987 : «L'adversité, nous l'avons aussi connu de
l’intérieur de notre Burkina Faso bien-aimé, dans nos propres rangs ; dans
le camp de la Révolution. Des idées et des pratiques erronées se sont en effet
développées au sein des masses et des révolutionnaires et ont causé du tort à
la Révolution. Il nous a fallu les combattre malgré la relative fragilité de nos

370 Cf. Libération, Paris, 5 juin 1985, p. 23.


F1 Lénine, Oeuvres choisies en deux volumes, Moscou, Éditions en langues étrangères,
1948, t. 2, p. 763.
182
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. K EM de TAMBËLA

rangs. Il y a eu de révoltantes volte-face. Des affrontements ont suivi les


provocations. Il y a eu des déchirements, mais rien n'est jamais définitif.
L'opportunisme, nous l'avons connu et nous l'avons vu à l’œuvre.
Il travaille sous diverses formes à la renonciation de la lutte révolution-
naire, à l'abandon de la défense intransigeante des intérêts du peuple au
profit d'une recherche frénétique d'avantages personnels et égoïstes. »
272- Toujours est-il qu'après le départ du pouvoir du P.A.L.-LIPA.D.,
le Groupe communiste burkinabé (G.C.B.) qui a vu le jour en mai 1984,
au moment où le P.A.I.-LI.PA.D. rencontrait des difficultés sérieuses au
sein du C.NR., et l’Union communiste burkinabé (U.C.B.) qui vit le jour
peu de temps après en juillet 1984, se renforceront comme par enchante-
ment, Ces deux nouvelles organisations entreront au C.NR. le 12 mai
1985. Le P.A.I.-LI.PA.D. avait une attitude hégémonique ; le G.C.B. et
l'U.C.B. auront un comportement d’arrivistes. En termes à peine voilés,
Sankara traitera leurs militants d’ « Jmpatients, développant un zèle dou-
teux de néophytes quand ce n'est pas une frénésie de calculateurs aux
ambitions personnels non cachés. »
273- Le P.A.L-LIPA.D. qui avait un long passé de lutte et de militantisme,
avait la capacité de résister à toutes les tentatives d'infiltration et
d’intimidation. Atouts dont ne pouvaient se prévaloir le G.C.B. et l’U.C.B. À
partir donc de leur entrée au C.N.R. ces deux organisations seront des instru-
ments de manipulation entre les mains des militaires et principalement de
Blaise Compaoré à qui Thomas Sankara, pris par ses tâches à la tête de l'État
et du C.NR., avait confié la mission de coordination des organisations poli-
tiques au sein du C.N.R. et le suivi des relations entre le C.N.R. et les organi-
sations de gauche non membres du C.N.R. comme le P.C.R.V. et le P.AL.-
LILPA.D. après son retrait du C.N.R. Menant sa propre lutte, chaque organisa-
tion cherchait à assurer sa domination sur les autres et était préoccupée par ses
propres priorités plutôt que celles de la Révolution. Pour ce faire, et pour mys-
tifier les autres, on recourait le plus souvent à des théories révolutionnaires
mal digérées, inadaptées ou carrément erronées pour manifester une prétendue
connaissance des révolutionnaires et des écrits révolutionnaires. Ce qui fera
dire à J.-P. Cot que « Les autorités burkinabè se complaisent dans une rhéto-
rique qui fleure les couloirs de la Sorbonne dans la période post soixante-
huitarde. Les débats idéologiques entre factions rivales au pouvoir portent sur
183
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

des points d'un raffinement dialectique qui paraît fort éloigné des enjeux du
pays”? » Dès 1984 le quotidien français Le Monde écrivait : « la scène poli.
tique voltaïque offre le spectacle, quasi-surréaliste, de querelles idéologiques
et de manœuvres auxquelles se livre une petite élite intellectuelle composée de
courants « marxiste-léniniste », « maoïste », « prosoviétique », ou encore
« communiste ». Les uns ont été formés à Vincennes ou à Nanterre et prolon-
gent leur mai 68 ; les autres ont surtout retenu de leur séjour à Moscou un
jargon pseudo révolutionnaire et une vision du monde souvent mani.
chéenne * ».
274 L’U.L.C.-R. finit par faire les frais de sa résistance face aux intimi-
dations et aux tentatives de récupération des militaires. Certains de gs mili-
tants, gagnés à la cause des militaires, décidèrent de faire scission‘ et le 3
février 1987, ils créèrent leur propre organisation qu’ils dénommèrent Union
de lutte communiste (U.L.C.), appellation originelle de l'U.L.C.-R. avant sa
décision de se dissoudre en février 1981. Leur organisation fut beaucoup
plus connue sous le nom de “U.L.C.- La Flamme” parce que leur organe
d’expression s’intitulait La Flamme", Les contradictions internes gagnè-
rent officiellement la place publique à l’occasion de la célébration à Tenko-
dogo du quatrième anniversaire du D.O.P. le 2 octobre 1987. Un étudiant du
nom de Jonas Maminon Somé, militant de l’'U.C.B et aux ordres de Blaise
Compaoré, apporta publiquement la contradiction à Sankara. Puisque celui-
ci prônait l’unité, Jonas Somé dans son intervention dira : « L'unité, la tolé-
rance, [...] avec qui et pourquoi faire ? L'unité dans la Révolution démocra-
tique et populaire doit se faire avec les révolutionnaires conséquents et leurs
amis pour faire des bons en avant et non pour reculer. » Dans sa réplique

372 Jean-Pierre Cot, Préface à P. Englebert, La Révolution burkinabè, op. cit. p. 6.


35 Le Monde, sélection hebdomadaire, n° 1 862, Paris, 5-11 juillet 1984, p. 4. Cité par
P. Englebert, op. cit., p. 124.
4 Quelques figures de l’'U.L.C.-La Flamme : Abdoulaye Abdoul Kader Cissé, Moïse
Traoré, Règma Alain Dominique Zoubga, Simon Compaoré.
#5 Avec la bénédiction et le soutien de Blaise Compaoré, Jonas Maminon Somé intégre-
ra l’armée. Il périra dans un accident d’avion survenu en République démocratique du
Congo (R.D.C.} le 4 avril 2011 alors qu’il y était en mission au titre des Nations Unies.
Il avait le grade de lieutenant-colonel.
Son frère, Gaspard Somé, qui était sous-officier, deviendra par la suite officier
et sera un des exécuteurs des bases œuvres du régime de Blaise Compaoré avant d’être
lui-même exécuté dans des conditions restées obscures.
184
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KXÉLEM de TAMBÈLA

Sankara dira : « L'objectif de la Révolution n'est pas de disperser les révolu-


tionnaires. L'objectif de la Révolution est de consolider nos rangs. Nous
sommes huit millions de Burkinabè, nous devrons avoir huit millions de
révolutionnaires [..] I ne faut pas dire que tel groupe est bon et que tel
autre est mauvais. Il nous faut un front large de rassemblement des compo-
santes du peuple. Il faut gagner même les réactionnaires. Il faut aller à eux,
les amener à travailler pour la Révolution démocratique et populaire. »
B) LE PROBLÈME DU PARTI D'AVANT-GARDE
275- Tour à tour, chacune des organisations qui composaient le C.N.R. a
réclamé la création d’un parti au moment où elle pensait que la situation lui
était favorable. La raison invoquée est que « Si la révolution peut triompher
sans parti d'avant-garde, elle ne peut se maintenir, s'approfondir et aboutir
au socialisme sans le part 76.» L'un des points de divergence avec le
P.A.L-LIPA.D. est que celui-ci exigeait la constitution immédiate d’un parti
unique. Or, pendant les premières années, Thomas Sankara ne semblait pas
favorable à la création immédiate d’un parti. Le 6 décembre 1985, répondant
à un journaliste béninois il déclarait : « Vous avez dit que sans un parti révo-
lutionnaire il n'y a pas de mouvement révolutionnaire conséquent ; mais, il
faut ajouter qu'un parti ne se proclame pas d'une façon bureaucratique. Le
parti ne saurait être le choix d'une poignée d'individus. Le parti ne saurait
être l'affaire d'un agenda, d'un calendrier. Le parti doit découler de la prise
de conscience de plus en plus grandissante et de l'exigence des masses po-
pulaires. Si les masses ont besoin d’un parti, elles auront un parti ; si les
masses ne veulent pas d’un parti, elles n'auront pas de parti. Autrement, la
création hâtive, mécanique et bureaucratique d’un parti conduit inévitable-
ment à une espèce de squelette que l'on appelle la pseudo révolution, une
initiative grossière et mal réussie de la révolution qui crée des potentats, des
cadres inamovibles ef intouchables, qui crée des privilégiés, bref, des digni-
taires qui, sous le couvert d'agir au nom du parti, règnent en maîtres abso-
lus. Hélas ! La révolution de par le monde nous offre des exemples très
tristes de révolutions prétendument conduites par des partis, lesquelles ont
fait fiasco. Et, le révolutionnaire doit tirer leçon des succès et des échecs
passés, Qu'est-ce qui est plus important, faire la révolution ou parer la ré-

3% Cf. Déclaration politique de militants de l'Union de lutte communiste - Reconstruite


(U.L.C.-R.), Ouagadougou, 2 février, 1987.
185
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

volution des attributs classiques de la révolution ? » Quelques mois après


cependant, le 17 mai 1986, jour anniversaire de l’arrestation en 1983 de
Thomas Sankara alors premier ministre, les organisations membres du
C.NR. faisaient une déclaration annonçant leur intention de mettre en place
un parti”. La création d’un parti semblait être devenue la préoccupation
essentielle du C.N.R. Dans le discours du 4 août 1987, Sankara décla.
rait : I} nous faudra consacrer plus particulièrement l'An V à l'exécution
de ces tâches-là qui sont d'ordre politique, idéologique et organisationnel.
[...] L'An V nous invite à jeter toutes les énergies dans le combat organisa-
tionnel, la consolidation politique et idéologique, la prééminence de la di.
rection politique … tenons compte de l'expérience de ceux qui, comme nous
(et ils sont nombreux) ont dû se doter d'organisations diverses et unies, où
d'unique organisation diverse tout en organisant et en défendant le pouvoir
d'État âprement et dignement conquis. »
276- Si le parti semblait lui paraître maintenant nécessaire, le plus impor-
tant c’était l’unité des révolutionnaires. Dans le discours du 4 août 1987, tout
en appelant à l’unité, il en donnait sa conception en ces termes : « Mais gar-
dons-nous de faire de l'unité une univocité asséchante, paralysante ef stéri-
lisante. Au contraire, préférons-lui l'expression plurielle, diversifiée, et en-
richissante de pensées nombreuses, d'actions diverses. Pensées ef actions
riches de mille nuances, toutes tendues courageusement et sincèrement dans
l'acceptation de la différence, le respect de la critique et de l'autocritique,
vers le même, le seul objectif radieux qui ne saurait être rien d'autre que le
bonheur de notre peuple. » L’arrivisme, l’opportunisme et le dogmatisme -
propres à tout néophyte - de la plupart des dirigeants de la Révolution ont
déjà été soulignés. Malheureusement ses tares allaient se manifester dange-
reusement dans les débats et les démarches tendant à la création du parti. Si

37 Cf. Déclaration conjointe des organisations membres du Conseil national de la


Révolution, Ouagadougou, 17 mai 1986. La Déclaration dit notamment : « Nous, Orga-
nisation militaire révolutionnaire (O.M.R.), Union de lutte communiste (Reconstruite)
U.L.C.(R), Union des communistes burkinabè {U.C.B.), le Groupe communiste burkina-
bè (G.C.B.) affirmons solennellement notre volonté d'action commune au sein du Con-
seil national de la Révolution, nous engageons sur la base de l'unité politique et idéolo-
gique à œuvrer pour le dépassement de nos cadres respectifs en vue de l'édification
d'une organisation unique d'avant-garde, garante de la continuité conséquente de la
présente Révolution. »
186
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

l'on en croit J. Attali, jamais Marx n’a soutenu le concept de parti d’avant-
garde qui fera tant de mal après lui. Il pensait que l’action efficace passe par
un parti de masse, dans un contexte parlementaire partout où c’est pos-
sible#, Mais que n’a-t-on pas dit et fait à tort et à travers au nom de Marx,
pour défendre des conceptions erronées et des ambitions égoïstes ! Selon
C.T. Gadio, « le drame des révolutionnaires et progressistes africains con-
siste à pré-établir le schéma du modèle révolutionnaire idéal et à vouloir y
conformer toute expérience en cours”. » La conception que Sankara avait
du parti était bien proche de celle de Marx. Malheureusement il préchait
dans un désert. Comme l’a écrit Mongo Beti, « La première finalité d'une
révolution n’est pas de satisfaire à la soif d'orthodoxie d'hommes de cabi-
net, mais de libérer l’homme tout cour, »

277- En 1987, le G.C.B. et l’U.C.B. soutenus par Blaise Compaoré


dont ils étaient des instruments et qui, dans sa stratégie de conquête du
pouvoir les avait retournés contre Sankara, faisaient feu de tout bois pour
exiger la création immédiate d’un parti duquel serait exclue l’U.L.C.-R.
Dans le discours du 4 août 1987, Sankara essayait toujours, mais en vain,
d’expliquer comment le parti devait se construire. Il est, dit-il, exclu
«que par la précipitation, nous nous lancions dans des élaborations
théoriques, des architectures séduisantes pour l'esprit mais sans intérêt
pour la vie quotidienne des masses. Profitons de l'expérience des autres
révolutions que l'histoire des peuples nous offre en enseignement. »
* *

#8 C£. Jacques Attali, Karl Marx - ou l'esprit du monde, Paris, Fayard, 2005, p. 394.
3% Cheikh Tidiane Gadio, “La patrie ou la mort, Sankara vaincra …”, ud Magazine, n°
8, Dakar, p. 10.
F0 Mongo Beti, préface à B. P. Bamouni, Burkina Faso - Processus de la Révolution
op. cit, p. 12.
187
Chapitre V
La politique de développement du C.N.R.

Le développement, c'est d'abord les conditions et ensuite les moyens.


Joseph Ki-Zerbo
Se fondant sur sa base politique et sociale et surtout sur les structures
d’encadrement mises en place, particulièrement sur les C.D.R, le C.NR.
entreprit une transformation radicale du Burkina dans tous les domaines,
La justice (D), l’économie (IT), les rapports sociaux (IIL) et la politique
étrangère (IV) furent marqués du sceau du C.N.R.
E La politique judiciaire du C.N.R.
278- L'une des manifestations de la domination culturelle étrangère sur
le Burkina est l'introduction du système juridique et de l’organisation
judiciaire français. C’est un paradoxe que d’appliquer dans un pays
comme le Burkina un droit conçu pour une société déterminée d'Europe
occidentale. Les systèmes juridiques dans les sociétés traditionnelles du
Burkina se rapprochent de la casuistique et de la justice distributive qui
implique une égalité relative ou proportionnelle « chacun étant appelé à
participer à la distribution d'après certaines règles générales valables
pour fous, mais tirées de la condition des personnes, de telle sorte qu'à
des situations diverses ou inégales correspondent des traitements pro-
portionnels divers ou inégaux 1, » Comme le note Raoul Padirac,
« Alors que l'égalité absolue s'oppose à la classification des sujets de
droit en divers groupes de statuts juridiques différents, l'égalité propor-
tionnelle postule l'existence de statuts distincts, différentiels ou même
préférentiels. Elle ne fait pas obstacle à ce que les droits soient accordés
et des obligations imposées en fonction de certains critères ou conditions
identiques pour tous, de sorte qu'il y ait égalité des conséquences juri-
diques seulement en cas d'égalité des conditions gempiies La loi n'est
plus universelle, elle n'en reste pas moins générale?

#1 Jean Dabin, cité par Alain Piquemal, L'influence des inégalités de développement
sir le statut juridique des États, Thèse de doctorat d” État en droit, Nice, 1976, p. 78.
#2? Cité parA. Piquemal, Thèse, op. cit. p. 82.
188
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apolinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

279- Dans le système juridique français c’est le principe de légalité


devant la loi qui prévaut. Ce qui désoriente une population qui, à
l’époque du C.-NR, était analphabète à plus de 90% et qui le reste en
majorité de nos jours en 2016. Ce principe est à l’opposé dé la justice
distributive. Selon Marx et Engels, « le droit égal reste toujours grevé
d'une limite bourgeoise. Le droit du producteur est proportionnel au
travail qu'il a fourni ; l'égalité consiste ici dans l'emploi comme unité de
mesure commune. Mais un individu l'emporte physiquement ou morale-
ment sur un autre, il fournit donc dans le même temps plus de travail ou
peut travailler plus de temps [...] Ce droit égal est un droit inégal pour
un travail inégal. Il ne reconnaît aucune distinction de classe, parce que
tout homme n'est qu'un travailleur comme un autre ; mais il reconnaît
tacitement l'inégalité des dons individuels et, par suite, de la capacité de
rendement comme des privilèges naturels. C'est donc dans sa teneur un
droit fondé sur l'inégalité, comme tout droit. [...] Pour éviter tous ces
inconvénients, le droit devrait être non pas égal mais inégal, » Pour
M. et R. Weyl, «le droit égalitaire, libéral, individualiste est un peu
comme cette pluie indistinctement bienfaisante aux salades et aux Li
maces, au gazon et aux orties. En fin de compte, il est un peu comme une
sorte de règle du jeu qui laisserait à égalité dans un combat de boxe le
poids plume et le poids lourd 34}, C’était pour contrebalancer un tel
système de droit que le C-N.R. avait mis en place les Tribunaux popu-
laires de la Révolution (TPR)S. Pour le C.N.R., leur création se justi-
fiait « par le fait qu'en lieu et place des tribunaux traditionnels, le peuple
voltaïque entend désormais matérialiser dans tous les domaines, dans

38 K. Marx, F. Engels, Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt, Paris, Éditions


sociales, p. 31-32. Cité par Michel Miaille, Une introduction critique au droit, Paris,
François Maspero, 1982, p. 254.
34 Monique et Roland Weyl, La part du droit - dans la réalité et dans l’action, Paris,
Éditions sociales, 1968, p. 89.
38 Cf. -Ordonnance n° 83-018/C.N.R/PRES, 19 octobre 1983, portant création de Tri-
bunaux Populaires de la Révolution. -Ordonnance n° 84-2/C.N.R/PRES, 30 janvier
1984, portant création de Tribunaux Populaires de la Révolution et déterminant la pro-
cédure applicable devant ces juridictions. -Zatu n° AN IV-022/C.N.R/PRES/MII du 6
février 1987 portant organisation et fonctionnement du T.P.R.
C’est Soumane Touré du P.A.I.-LI-PA.D. qui aurait inspiré la création des
T.PR. Ils ont été supprimés en 1993.
189
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

tous les secteurs de la société, le principe de la participation effective des


classes laborieuses et exploitées à l'administration et à la gestion des
affaires de l'Étaf%, » La mise en place des T.P.R. ne fut pas aisée. Le 11
février 1984, lors d’un meeting à Bobo-Dioulasso, Sankara exposait les
difficultés rencontrées en ces termes : « /s ont tout fait pour qu'il n'y air
pas les tribunaux populaires de la Révolution ; et nous, nous avons tout
fait pour qu'il y ait les tribunaux populaires de la Révolution. On a dit
que personne ne peut juger ces hommes-là en Haute-Volta. Nous avons
dit que oui ! Nous, nous pouvons juger ces hommes en Haute-Volta. Le
pari était engagé et nous disons qu'ils comparaîtront un à un, les grands
et les petits poissons. »
280- Les juges des T.P.R. étaient choisis au sein des travailleurs par les
seuls travailleurs. Pour le président du C.N.R., « nul besoin pour eux, de
connaître les vieilles lois. Étant issus du peuple, il suffit qu'ils se laissent
guider par le sentiment de la justice populaire". » Dans une société où
la population est en majorité analphabète, surtout au temps de la Révolu-
tion, il peut sembler absurde d’affirmer que « nul n'est censé ignorer la
loi» alors que cette même loi est étrangère et écrite dans une langue
étrangère ignorée de la population. Avec le système de droit français, le
Burkinabè est chaque fois confondu en matière judiciaire dans des pro-
blèmes de délai, de terminologie, de principe et de procédure dont il
ignore tout jusqu’à leurs origines et leur raison d’être.
281- Les T.P.R. avaient compétence pour connaître des crimes et délits
politiques ; des crimes et délits contre la sûreté intérieure et extérieure de
l’État ; des cas de détournement de deniers publics, de tous les crimes et
délits commis par les fonctionnaires, agents ou préposés de l’État dans
l'exercice de leurs fonctions ou à l’occasion de leurs fonctions ; des cas
d’enrichissement illicite au détriment de l'État. Les T.P.R. siégeaient
partout où se trouvaient des tribunaux de première instance qui étaient au
nombre de dix. Le T.P.R. était composé de onze membres dont sept titu-
laires et quatre suppléants. Les membres titulaires comprenaient un ma-
gistrat de l’ordre judiciaire qui assurait la présidence, un militaire ou un

3% Discours du président du C.N.R. à l’ouverture des premiers procès des T.P.R., Carre-
four africain, n° 812, 6 janvier 1984, p. 22 - 24,
7 Ibid.
190
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
‘Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

| gendarme et cinq membres des C.D.R. Les membres suppléants compre-


| naient un magistrat, un militaire ou un gendarme et deux délégués des
| C.D.R. Le T.P.R. siégeait sans ministère public et les prévenus comparais-
Ü saient sans l'assistance d’un avocat. Ils assuraient eux-mêmes leur propre
| défense. Des équipes mobiles d'investigation étaient chargées des en-
quêtes ; mais l'instruction se faisait au tribunal même. Les débats étaient
publics et retransmis en direct et dans leur intégralité par la radio nationale.
l Deux anciens chefs d’État : le général Aboubakar Sangoulé Lamizana et le
colonel Saye Zerbo et deux anciens premiers ministres : Kango Gérard Oué-
| draogo et Issoufou Joseph Conombo ont comparu devant les T.P.R. Ceux-ci
| n’étaient pas habilités à condamner à la peine capitale. En revanche ils pou-
vaient prononcer des peines d’expropriation totale ou partielle portant sur les
biens mobiliers et immobiliers jusqu’à concurrence du montant des sommes
au paiement desquelles le coupable était condamné, des peines d’amendes, |
des peines d’emprisonnement ferme ou avec sursis de quinze ans maximum. |
Souvent les T.P.R. se contentaient d’expropriations pour récupérer les biens
de l’État. L’emprisonnement était l’exception.

282- Le 26 novembre 1986 s’ouvrait à Bangui le procès de Jean-


Bedel#° Bokassa, ex-maréchal, ex-président à vie, ex-empereur Bokassa
1° de Centrafrique. Beaucoup ont vu dans ce procès le premier d’un an-
cien chef d’État en Afrique. C’est oublier que dès avril 1969 la Haute-
Volta d’alors faisait comparaître en justice son premier président Maurice

8% Les équipes mobiles d'investigation ont été créées par le kiti n° 85-
26/C.N.R./PRES/MED/MU, 30 septembre 1985. Chaque équipe était composée de trois
membres : un militaire, un gendarme, un délégué C.D.R. Elle avait compétence sur
toute létendue du territoire national y compris les Représentations diplomatiques à
l'étranger. Les équipes avaient pour mission de faire l'état des biens mobiliers et immo-
biliers des personnes poursuivies devant les T.P.R., de procéder à toutes investigations
et enquêtes sur les affaires dont elles étaient saisies, de recueillir toutes informations et
de rassembler tous éléments susceptibles de faciliter le travail des T.P.R. Elles pou-
vaient être requises pour l’exécution des jugements des T.P.R.
# En Afrique noire francophone, la tradition consistait à choisir le prénom du futur
baptisé dans la liste des saints du calendrier grégorien en fonction soit du jour de la
naissance, soit du jour du baptème. Il pouvait aussi être choisi selon d’autres critères.
Jean-B.d.L. était l’abréviation dans le calendrier de Jean-Baptiste de La Salle. C’est
l'incompréhension du sens de l’abréaviation qui a conduit à ce prénom incongru.
191
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA

Yaméogo. C’est encore oublier qu’à partir du 3 janvier 1984, les anciens
présidents Sangoulé Lamizana et Saye Zerbo comparaissaient devant les
T.P.R.* Mais le procès, sans doute le plus retentissant des T.P.R., füt celui
des dirigeants de la Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest
(C. É.A.O. ÿ°1 Mohamed Tiécoura Diawara, ancien ministre ivoirien qui était
président du Club de Dakar ; Moussa N’gom, ancien directeur des douanes dy
Sénégal qui était secrétaire général de la C. É.A.O. et Moussa Diakité du Mali
qui était directeur du Fonds de solidarité et d'intervention pour Le développe.
ment communautaire (FOSIDEC), un organe spécialisé de la CÉA ©.
étaient accusés de détournement de la somme de six milliards cinq cents mil.
lions de francs CFA. qu’ils auraient placée dans des comptes personnels dans
des institutions financières et bancaires intemationales et notamment en
Suisse. Lors du dixième Sommet des chefs d’État des pays membres de la
C.É.A.O. qui se tenait à Bamako les 28 et 29 octobre 1984, Diawara s’y trou-
vait aussi. Son arrestation fut décidée et le 29 octobre, dans son avion de re-
tour, Sankara à qui était revenue la présidence en exercice de la CÉAO.
emmenait avec lui Diawara, menottes aux poignées. Il fut séquestré, d’abord à
la gendarmerie nationale, puis au Conseil de l’Entente, près de la résidence de
Sankara. Peu après le Sommet de Bamako, N’gom et Diakité furent aussi
arrêtés et séquestre rés 2,

283- Leur procès eut lieu du 25 mars au 3 avril 1986. Des représentants
d’organismes humanitaires y furent invités. Comme des réticences
avaient été émises du fait que les avocats n'étaient pas autorisés à plaider
devant les T.P.R., le président du C.N.R. prit une disposition spéciale les
autorisant à plaider. Mohamed Diawara et Moussa Diakité furent con-
damnés à une peine d'emprisonnement ferme de quinze ans, Moussa
N’gom à dix ans ferme. Ils furent aussi condamnés à rembourser à la
C.E.A.O. l'équivalent du préjudice subi. Le procès qui a été diffusé par la

#0 Cf. Sennen Andriamirado, “Justice du peuple chez Sankara”, in Grands procès de


l'Afrique contemporaine, Paris, JAPRES, 1990, p. 81-89.
#1 Aujourd’hui dissoute, elle a été remplacée par l’Union économique et monétaire
ouest africaine (U.É.M.O.A.) en janvier 1994.
32 Sur cette afffaire cf. -Sennen Andriamirado, Sankara le rebelle, Paris, Groupe Jeune
Afrique, 1987, p. 154 -158.-Philippe Gaillard, “Les bons placements de Mohamed
Diawara”, in Grands procès …, op. cit., p. 113-137.
192
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

radio nationale a été suivi avec attention dans les pays limitrophes et au-
delà. De l’avis général, ce fut un procès équitable.
284- Par l'exposé clair des faits, par les débats qu’ils suscitaient et
grâce à une compétence souvent admirable des juges, les T.P.R. ont per-
mis aux citoyens de s'informer, de s’instruire et de se familiariser avec
les problèmes de gestion des dossiers et des ressources de l'État®, Le
C.NR. les présenta comme une école de morale, de démocratie et de
civisme. Le succès des T.P.R. amena le C.N.R. à étendre le système dans
tout le pays. L’ordonnance n° 85-037/C.N.R/PRES du 4 août 1985 créa
des tribunaux populaires de secteurs, de villages, de départements et de
provinces. Le décret n° 85-405/C.N.R./PRES/MED/MIJ du 4 août 1985
les organisait et déterminait leur fonctionnement”, Dans chaque secteur
ou village il avait été créé un Tribunal populaire de conciliation (T.P.C.),
dans chaque chef-lieu de département un Tribunal populaire départemen-
tal (T.P.D.) et dans chaque chef-lieu de province un Tribunal populaire
d'appel (T.P.A.). Aux termes de l’ordonnance n° 85-43/ C.N.R/ PRES
du 29 août 1985 portant nouvelle organisation judiciaire au Burkina Faso,
les juridictions de droit commun étaient désormais les T.P.C., T.P.D.,
T.P.A. et T.P.R. À titre transitoire, les juridictions existantes conservaient
leurs attributions jusqu’à l'institution et la mise en place de structures
révolutionnaires et adéquates.
285- Le Tribunal populaire de conciliation (T.P.C.) devait contribuer
par ses activités à conscientiser le peuple par rapport à ses droits et de-
voirs, à éliminer les tares culturelles, les manifestations coloniales, néo-
coloniales, féodales et les coutumes rétrogrades. Il procédait au règle-
ment des conflits sociaux dans le secteur ou le village par la voie de con-
ciliation. Il était compétent pour connaître en matière civile et commer-
ciale des litiges dont l'intérêt au principal n’excédait pas cinquante mille
francs CFA. Il connaissait également des situations rendant la vie com-

3% Dans ce sens cf. -C. Savonnet-Guyot, État et sociétés au Burkina, op. cit. p. 185. -
Administration et développement au Burkina Faso, Presses de l’Institut d’études poli-
tiques de Toulouse, 1987, p. 282.
#4 Cf. -Carrefour africain, n° 896, Ouagadougou, 16 août 1985, p. 158. -Carrefour afri-
cain, n° 897, Ouagadougou, 23 août 1985, p. 26s. -C.N.R., La justice populaire au Bur-
kina Faso, Ouagadougou, Ministère de la Justice, 1985.
193
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA

munautaire intolérable comme les inconvénients normaux de voisinage et


des infractions suivantes : divagation d’animaux, dévastation de champs,
de récoltes sur pied ou engrangées, bris de clôtures, feux de brousse,
toute destruction de la nature, alcoolisme. C’est l'Assemblée générale du,
comité de village ou de secteur qui élisait les membres du TP.C.
286- Le Tribunal populaire départemental (T.P.D.) avait la même mis.
sion que le T.P.C. mais à un niveau supérieur. Il était compétent pour
connaître d’une part des situations non contentieuses relevant de l’état
des personnes : actes de naissance, de mariage, de décès et tous papiers
afférents à l’état des personnes dont la délivrance n’engage pas une pro-
cédure contentieuse : et d’autre part des actions contentieuses en matière
de conflit de travail, en matière civile et commerciale dont le taux évalué
en argent était supérieur à cinquante mille francs CFA sans dépasser cent
mille francs C.F.A., des contraventions ayant fait l’objet d’une vaine ten-
tative de conciliation du T.P.C. Les membres du T.P.D. étaient élus par
l’Assemblée générale du comité départemental parmi ses membres.
287- Le Tribunal populaire d’appel (T.P.A.) comprenait parmi ses
membres deux juges professionnels. Il était une juridiction de recours
contre toute décision rendue au contentieux par les T.P.D. Il jugeait en
fait et en droit et rendait des décisions qui n’étaient susceptibles d’aucun
recours. Il prenait des décisions d’annulation ou de confirmation.
288- La saisine des T.P.C., T.P.D. et T.P.A. se faisait sur requête ver-
bale ou écrite sans timbre. La procédure était très allégée et rendue acces-
sible à la population #5, C’était une forme de retour à la justice distribu-
tive. Ces tribunaux remplaçaient les tribunaux de droit coutumier qui
étaient dissous. Pour le C.N.R. « le droit révolutionnaire du peuple »
devait prendre le pas sur «l'ancien droit réactionnaire de la minorité

3%5 Dans ce sens, cf. Directive conjointe n° 860003 du 4 février 1986 du secrétariat général
national des C.D.R. et du ministère de la Justice relative à la mise en place des Tribunaux
populaire de conciliation (T.P.C.) dans les secteurs et villages du Burkina Faso.
Cependant, tout prévenu comparaissant devant les T.P.R. était tenu de verser au
greffe dudit tribunal une caution de trente mille (30 000) francs destinée à la couverture
d’une partie des frais de justice. La somme versée était déduite des frais de justice aux-
quels était éventuellement condamné le prévenu. En aucun cas elle ne donnait lieu à
remboursement quel que fût l’issue du procès.
194
Thomas SANKARA et ! volution au Burkina Faso
loppement autocentré
EM de TAMBËLA

bourgeoise ». Aussi a-t-il été procédé à la réorganisation du fonctionne-


ment des juridictions pour l'adapter aux réalités nationales. L'article 1*
de l’ordonnance n° 85-45/C.N.R./PRES du 29 août 1985 portant fonc-
tionnement des juridictions au Burkina Faso indique que « Toutes les
juridictions de jugement du Burkina Faso traitent les affaires au nom du
peuple et ne sont guidées dans leurs décisions et jugements par les dispo-
sitions législatives que dans la mesure où elles n'ont pas été abolies par
la Révolution et ne sont pas contraire à la conscience et au sentiment du |
droit révolutionnaire. » L'article 2 dispose: « Dans les limites de leurs
compétences, les juridictions sont tenues d'examiner au fond toutes de-
mandes qui leur sont présentées. Elles ne peuvent les écarter pour des
raisons de pure forme. » L'article 3 précise : « Sans se laisser restreindre
par une règle de forme mais en se guidant par les considérations
d'équité, le juge civil, pénal ou administratif peut rejeter toute référence
à l'écoulement d'un délai de prescription ou de tout autre délai et, en
dépit de ces considérations ou d'autres de caractère formel, faire droit à
ioute demande manifestement juste. » L’ordonnance n° 85-44/C.NR./
PRES du 29 août 1985 supprimait le Conseil supérieur de la magistrature
et prévoyait en lieu et place la mise en place d’un organe qui devait
prendre en compte les nouvelles réalités politico- juridiques du Burkina.
289- Dans le cadre de la réorganisation de l’appareil judiciaire, les
charges d’huissier de justice, de notaire et de commissaire-priseur avaient
été supprimées le 30 août 1985 par le conseil des coordonnateurs géné-
raux du Faso. Le kiti n° 85-25/C.N.R./PRES du 30 septembre 1985 por-
tant création, attribution et compétence de mandataires de justice créait
dans chaque compagnie de gendarmerie une équipe de mandataires de
justice qui exerçaient leur fonction sous Îe contrôle d’un inspecteur et sous
l'autorité des procureurs du Faso et des procureurs généraux. Îls exerçaient
exclusivement les fonctions précédemment dévolues aux huissiers. Les
fonctions notariales étaient exercées de plein droit par les greffiers en chef
des cours et des tribunaux lesquels étaient directement saisis par les plai-
deurs sur simple requête. Par déclaration du C-N.R. du 31 août 1985, de
nouvelles terminologies s'inspirant des langues nationales avaient été intro-
duites dans le langage juridique. Ainsi les termes loi, décret, arrêté et circu-
laire avaient été remplacés respectivement par les termes zafu, kiti, raabo et

195
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

koèga?, Pour le C.NR., ces nouvelles appellations « dépassent les con.


cepts du droit bourgeois par leur contenu révolutionnaire. »
290- En matière d’aide judiciaire, le conseil des ministres du 31 dé.
cembre 1986 adoptait la zatu n° AN 1V-020 portant création, organisation
et fonctionnement de Cabinets populaires d’assistance judiciaire
(C.P.A.J.) Ces cabinets étaient animés par des songda”*. C’étaient des
magistrats payés par l'État et chargés de conseiller et d’apporter une aide
judiciaire à ceux qui le souhaitaient. Ils se posaient ainsi en concurrents
directs des avocats. Il était fait obligation à tout établissement public,
toute entreprise ou société privée qui bénéficiait d’une quelconque parti-
cipation financière de l'État, d’avoir recours à leurs services en cas de
litige. Toute personne privée ou société à capitaux privés pouvait aussi
avoir recours à leurs services ; dans ce cas l’argent payé en contrepartie
était versé au Trésor public. Avec les C.P.A.J. le C.N.R. entendait limiter
l’affairisme de certains avocats. D’aucuns prétendent qu’à terme cela
devait aboutir à la suppression de la profession d’avocat. Ce fut là une
création originale. On peut cependant se poser des questions sur
Pefficacité d’un tel système. Un défenseur rémunéré par l’État, qui n’est
pas libéral et indépendant, et dont la carrière ne dépend pas de lui seul et
des résultats, peut-il être aussi motivé et efficace que l’avocat ? Les
C.P.A.J. ont été supprimés en 1990 à l’instigation des institutions finan-
cières internationales.
291- Bruno Jaffré a su résumer la politique judiciaire du C.N.R. en ces
termes : « La réforme de la Justice est incontestablement une des plus im-
portantes de celles issues de la révolution d'août 83, tant par son ampleur
que par son originalité. La première véritable tentative dans un pays de
l'Afrique francophone de rompre avec le système judiciaire hérité de la co-
lonisation. Les pratiques anciennes en matière de justice en Afrique sont

#7 La zatu prise par le président du Faso était l'expression générale de la volonté du


peuple. La zatu était proclamée. Le kiri était pris par le président du Faso et pouvait
porter le contreseing de ministre. Le kiff était prononcé. Le raabo était un acte pris par
les autorités suivantes : ministre, haut-commissaire, préfet. Le raabo était annoncé.
#8 Songda en langue more signifie celui qui aide, qui assiste, qui apporte son concours
aux autres. Le pluriel donne Songuedba. Pour faire simple, le C.N.R. avait décidé que le
mot songda devait rester invariable.
196
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

prises en compte mais en leur donnant un contenu plus populaire en en des-


saisissant la chefierie. Une démarche qui tente de rompre aussi avec
l'hypocrisie qui règne dans les autres anciennes colonies. On y a importé le
droit français méconnu par la grande masse de la population qui s'en remet
encore pour la plupart du temps à la care locale pour régler les conflits.
Ce à quoi le Burkina a tenté de mettre fin.°
Im La politique économique du C.NR.
La politique économique du C.NR. était axée sur la planification du dé-
veloppement (A), la rigueur et la transparence dans la gestion des res-
sources de l’État (B), la maîtrise de l’aide extérieure (C), le compter sur
ses propres forces (D), la maîtrise de la production (E), la consommation
de la production nationale (F), la protection de la production nationale
(G)} et le développement des transports (HI).
A) LA PLANIFICATION DU DÉVELOPPEMENT
Pour asseoir un plan quinquennal aussi réaliste que possible (2), le
C.NR. avait besoin de pouvoir évaluer l'adhésion et la participation po-
pulaires. C’est dans ce contexte que fut lancé le Programme populaire de
développement (P.P.D.) (1).
1- Le programme populaire de développement
292- Lancé le 1° octobre 1984, le Programme populaire de dévelop-
pement (P.P.D.) était étalé sur quinze mois, d'octobre 1984 à décembre
1985. Il concernait des investissements nationaux et régionaux avec une
enveloppe financière globale de 160 692 millions F CFA. Il était financé
pour 19% par des ressources nationales et pour 81% par des ressources
extérieures. Les investissements régionaux dont les coûts devaient être
pris en charge par les provinces reposaient sur des projets de petites di-
mensions et le coût annuel de chaque projet ne devait pas excéder cinq
cent millions de francs CFA. Pour la réalisation des projets régionaux
notamment, la participation populaire (participation bénévole aux tra-
vaux, à la conception des projets, contributions financières, etc.) a été
déterminante.

3% Bruno Jaffré, Burkina Faso - Les années Sankara - De la Révolution à la Rectifica-


tion, Paris, L'Harmattan, 1989, p. 126.
197
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

293- Le P.P.D. a joué un rôle d’innovation et de responsabilisation. Les


populations, au lieu d’être tenues à l'écart, étaient encouragées, non seu-
lement à participer, mais aussi et surtout à initier, concevoir et définir
leurs propres projets. Ainsi, à l’échelle des villages, des départements et
des provinces, des projets socio-économiques (écoles, collèges, dispen-
saires, bâtiments administratifs, routes, retenues d’eau, etc.} furent con-
çus et réalisés entièrement ou en partie par les populations elles-mêmes,
C'est sur la base de l’expérience et des estimations faites à partir du
P.P.D. que fut établi le plan quinquennal de développement populaire
(P.Q.D-P.).
2- Le plan quinquennal de développement populaire
Le 3 avril 1985, le président du C.N.R. lançait un appel aux Burkinabè
pour qu’ils écrivent un plan quinquennal. Le 4 août 1986 celui-ci était
adopté sous le nom de Plan quinquennal de développement populaire
(P.Q.D.P.) Avant d’en analyser le contenu (b) et la nature (c), il n’est
peut-être pas inutile de rappeler l’importance de la planification dans
l’économie (a).
a) L'importance de la planification
294- F. Perroux relève l'importance de la planification en ces
termes : « Le plan devrait être le souci commun du socialisme conscient,
de l’interventionnisme libéral et même du libéralisme extrême. Le socia-
lisme tire du plan le contenu concret de sa politique et la mesure de son
rêve ; l’interventionnisme libéral y puise l'évaluation des quantités glo-
bales (demande effective, investissement) sur lesquelles il accepte
d'agir ; le libéralisme extrême y trouve occasion de circonscrire les ra-
vages de l'ennemi qu'il se propose de cantonner ou de réduire :
l'Étaf®. » Même si le rôle que joue le plan dans l’économie diffère en
fonction des orientations et des choix politiques, son importance est ici
mise en relief. La planification implique la prise en main consciente de
l'avenir, la détermination des objectifs à atteindre et la définition des
moyens de leur réalisation.

*® François Perroux, “Le capital national”, Actualité économique et financière, juin


1947, p. 13.
198
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

295- Beaucoup voient la planification uniquement sous l'angle du dé-


veloppement. $. Amin soutient même qu’on ne peut planifier qu’un dé-
veloppement autocentré"’!. La planification dans une économie
d'orientation capitaliste est contestée parce que, dans ce cas, les plans ne
prévoient pas d’intervention massive de |” État dans la production. L’ État
dans le meilleur des cas se charge des projets rejetés par le capital privé
qui les juge peu avantageux. Le but poursuivi par le plan n’est pas
d'assurer un développement harmonieux de l’économie mais de créer un
climat favorable à l’activité du capital privé surtout étranger. Malgré la
présence du plan, la ligne générale de développement est déterminée non
par l’État, mais par les monopoles étrangers. Vidée de son contenu, la
planification apparaît alors comme une coquille creuse, une technique qui
se révèle inefficace. Elle est au mieux une simple programmation.
296- Il ne semble pourtant pas indiqué de limiter la planification au
développement autocentré où à l’économie d'orientation socialiste. La
planification capitaliste doit être prise en considération dans sa spécifici-
té, Elle peut même servir de matière à réflexion car dans certains cas la
planification capitaliste, celle des entreprises privées par exemple, appa-
raît plus rigoureuse que la planification socialiste, 1 est vrai cependant
que la planification capitaliste comporte des limites. En économie socia-
liste par contre, le plan exprime la conception économique et politique du
développement du pays pour la période envisagée et détermine les voies
et les moyens les plus efficaces de sa mise en œuvre à partir d’une ana-
lyse circonstanciée des lois objectives de la vie sociale, des liens réci-
proques entre toutes les branches et les sphères de l’économie nationale,
compte tenu du niveau existant et des perspectives de développement des
sciences et techniques.
b) Le contenu du plan quinquennal de développement
populaire (1986-1990)
297- Au vu des étapes de son élaboration, le Plan quinquennal de déve-
loppement populaire (P.Q.D-P.) était le produit d'une réflexion

41 C£ Samir Amin, Impérialisme et sous-développement en Afrique, op. cit., p. 30.


199
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

d'ensemble". 11 était la synthèse des projets de développement conçus


par les différentes couches de la population. Une place importante était
réservée au développement rural (42,5% de l’enveloppe financière) et
aux infrastructures économiques (20, 8%). Il confirmait la volonté ay
C.N.R. de construire une économie nationale par le développement des
secteurs de production et de soutien à la production. Si le P.Q.D.P. met.
tait en évidence les objectifs économiques du C.N.R., les moyens que le
C.NR. se donnait pour y parvenir pouvaient être discutés d’autant plus
que le financement du plan était essentiellement basé sur des ressources
externes soit 82% au début de l’exécution du plan en 1986 contre 75% à
la fin en 1990. C’est un paradoxe que de vouloir construire une économie
indépendante en s’appuyant essentiellement sur l’extérieur qui, au con-
traire, ne devrait servir que d’appoint. On peut alors estimer que soit les
choix économiques n’étaient pas adaptés, soit la volonté de rupture
n’était pas bien réelle. Le développement autocentré suppose une volonté
de rupture accompagnée de choix économiques adaptés. Si l’un des deux
fait défaut, l’effort de développement peut aboutir à un accroissement de
la dépendance. L’Algérie en a fait l'expérience avec des choix inadaptés
dans sa politique industrielle, notamment sous le président Houari Bou-
medienne.
298- Le développement autocentré suppose que l’on tourne le dos aux
solutions de facilité pour explorer le réel et le possible. La facilité tue
l'initiative. Le recours massif au financement extérieur pour le P.Q.D.P.
traduisait peut-être une insuffisance dans l’exploration des capacités
créatrices et imaginatives des populations. Or, si à ce niveau la participa-
tion populaire est insignifiante, les réalisations qui en résulteront risquent
de n’être que de simples transplantations et donc inadaptées. Est-il néces-
saire de rappeler que les pyramides d’Égypte, la grande muraille de
Chine et tous les chefs-d’œuvre de l’Antiquité ont été réalisés par les
populations concernées avec les moyens de l’époque alors même que
l’état des connaissances était beaucoup plus limité ? Seule la détermina-

#92 Avant son lancement le 4 août 1986, son élaboration a commencé en avril 1985 avec
l’Appel du président du Faso et la mise en place, peu de temps après, des structures. De
la base au sommet, toutes les couches sociales ont contribué à son élaboration. Cf. Car-
refour africain, n° 938, Ouagadougou, 6 juin 1986, p. 11.
200
A

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


érience de développement autocentté
re J. KYÉLEM de TAMBÈLA

tion leur a permis d’atteindre leurs objectifs. Pour que les réalisations
soient intégrées, la participation des populations à tous les niveaux est
nécessaire. À la décharge du C.N.R. on peut considérer qu’en à peine
trois ans d’exercice du pouvoir, il lui était difficile d’inverser radicale-
ment les données. Il faut sans doute du temps à tout nouveau régime pour
gérer l’héritage du précédent avant de pouvoir asseoir de façon autonome
sa propre politique.
c) La nature du plan quinquennal de développement populaire
299- Un plan peut être impératif ou simplement indicatif, souple ou
rigide. Rien ne permet d’affirmer que le P.Q.D.P. était soit impératif soit
indicatif. Cependant, on ne peut pas prétendre qu’il était simplement in-
dicatif. Il avait un certain caractère obligatoire. L’hebdomadaire gouver-
nemental Carrefour africain avait estimé que les projets et programmes
qui faisaient l’objet de planification dans le cadre des investissements
publics (mines, agriculture, transports, énergie, santé, éducation) appa-
raissaient comme entrant dans le cadre d’un plan impératif"®. Le
P.Q.D.P. était une zafu (loi) ; à ce titre il était doté d’un certain caractère
obligatoire. Mais rien ne permettait d’affirmer qu'il était un plan impéra-
tif. Il y a un vide juridique sans doute voulu par les autorités d’alors
compte tenu des prévisions, des objectifs recherchés et de la qualité sou-
haitée. L'obligation à laquelle contraignait le P.Q.D.P. était une obliga-
tion de moyen et non de résultat. Celui-ci peut être situé à mi-chemin
entre le plan indicatif et le plan impératif avec de la place pour une cer-
taine souplesse.
300- Si le plan simplement indicatif souffre de manque de rigueur dans
son application, le plan impératif peut conduire à l’absurde par excès de
rigueur. La planification socialiste en fournit une illustration. Dans les
ex-États “socialistes” d'Europe, avant les réformes économiques des an-
nées 1960, la planification était impérative et rigide. On mesurait
l’activité économique sur le volume de la production brute. On utilisait
essentiellement des critères quantitatifs. Régnait alors “l’idéologie de la
tonne”. 1] suffisait que l’entreprise remplit un programme de production
quantitatif. Peu importait l’accumulation des invendus, des stocks inutili-

#3 Carrefour africain, n° 938, Ouagadougou, 6 juin 1986, p. 11.


201
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apallinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

sés. Si l’on en croit D. Satter, jusqu’en 1979, aucun écart par rapport au
plan n’était toléré en U.R.S.S. sans l’accord du parti. Les responsables du
plan fixaient des objectifs de production ambitieuse pour obliger les
chefs d’entreprise à utiliser au maximum les hommes, les matériaux et
les machines. Les directeurs d’entreprise trouvaient la parade à cela en
surestimant leurs besoins en ressources. Ainsi, l’ensemble du système
vouait un véritable culte aux résultats fictifs. Par exemple les travailleurs
des transports faisaient aller et venir du fret entre des villes éloignées les
unes des autres pour obtenir un kilométrage élevé*"*. Au lieu du plan
impératif, le plan assorti d’une obligation de moyen pour les responsables
chargés de son application paraît mieux indiqué pour parvenir à une plus
grande efficacité à condition que tout soit mis en œuvre pour la coordina-
tion et le suivi des activités.
B) LA RIGUEUR ET LA TRANSPARENCE DANS LA GESTION
DES RESSOURCES DE L’ÉTAT
{- La rigueur dans la gestion
301- Dans toute politique économique la gestion en est un élément impor-
tant. Avec une bonne gestion les effets du sous-développement peuvent être
limités. Pour une utilisation optimale des ressources de l’État, Sankara avait
opté pour une politique d’austérité qu’il avait expliquée en ces termes : « …
pour les grandes opérations que nous allons entreprendre très bientôr, nous
avons demandé à chacun un sacrifice, sacrifice qui n'est que le prix à payer
pour notre liberté et notre dignité. Nous avons le choix ; ou bien faire un sa-
crifice nous-mêmes, sur nos salaires, sur nos avantages, sur nos privilèges, ou
alors nous prostituer et demander à telle ou telle puissance de venir nous
aider. Il faut faire un choix … la Révolution voltaïque a fait son choix ; elle est
du côté de l'honneur, elle tourne le dos résolument à la mendicité. C'est
pourquoi il y a des mesures restrictives de privilèges. Mais nous disons qu'il
n'est pas normal que des salaires varient en Haute-Volta d'un extrême à
l'autre. Pendant que certains Voltaïques … sont obligés de rechercher péni-
blement leur pain, il y en a qui sont à l'heure du pain beurré, même des crois-
sants beurrés. C'est de cette différence que nous ne voulons plus. Nous disons

#4 Cf. David Satter, “Les carcans de l'économie soviétique”, Problèmes économiques,


n° 1657, Paris, 23 janvier 1980, p. 14-15.
202
a

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBÈLA

que nos mesures restrictives visent au bien-être et à la libération du


peuple.»
302- Quand il était premier ministre, Sankara avait déjà montré
l’exemple. Après un voyage en Libye, il avait reversé dans les caisses de
l'État les frais de mission qui lui avaient été alloués à cet effet parce qu’il
avait été entièrement pris en charge par le colonel Kadhafi. Dès octobre
1983, le conseil des ministres décidait que les membres du gouvernement
et les présidents des institutions céderaient leurs indemnités de représen-
tation au bénéfice des provinces pour financer des opérations d’intérêt
général*%, I! n'y avait de traitement particulier ni pour le chef de l'État,
ni pour les présidents d'institution, ni pour les membres du gouverne-
ment. Chacun continuait à percevoir son salaire antérieur. Le président
Sankara ne percevait donc que son salaire de capitaine de l’armée de |
terre, soit 138 736F4%7. En 1984 la réduction des indemnités dont bénéfi-
ciaient les cadres de l’État avait permis une économie budgétaire
d’environ deux milliards de francs CFA. En décembre 1984, l’âge de la
retraite fut ramené de 55 à 53 ans. En conséquence, en 1985, rien que
dans la ville de Ouagadougou, près de cinq mille agents de l’État furent
admis à faire valoir leurs droits à la retraite".

*% Discours prononcé le 11 février 1984 à Bobo-Dioulasso.


4% Ces indemnités mensuelles étaient de 300 000 F CFA pour le président de la Répu-
biique et de 75 000 F CFA pour le grand chancelier des Ordres nationaux, les membres
du gouvernement et le président de la cour suprême.
L’ordonnance n° 84-18/CNR/PRES du 26 avril 1984 divisera la cour suprême
en deux : la Haute cour judiciaire et la Haute cour d'Etat.
La cour suprême fut rétablie par ordonnance n° 91-51 PRES du 26 août 1991
portant composition, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême.
En 2 000, à l’occasion des réformes entreprises à la suite de la crise sociale et
politique survenue après l'assassinat du journaliste d’investigation Norbert Zongo, la
cour suprême fut encore supprimée et remplacée par quatre hautes juridictions : Le
conseil constitutionnel, le conseil d’État, la cour des comptes et la cour de cassation.
#97 Pour le même grade, la rémunération était différente selon qu’on relevait de l’armée
de terre ou de l’armée de l'air. Ceux de l’armée de l’air étaient mieux rémunérés.
<% Après la chute de la première République le 3 janvier 1966, pour assainir la situation
financière de l’État, l’âge de la retraite qui pouvait atteindre 59 en fonction des enfants à
charge fut maintenu à 55 ans fermes. En 1967, des fonctionnaires jugés parasitaires
avaient été licenciés.
203
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

303- En 1985 la loi de finances exigea un peu plus des agents de l’État.
Les abattements fiscaux pour charges de famille furent supprimés. Il fut
décidé une contribution exceptionnelle d’un mois de salaire pour les per-
sonnels des secteurs public, parapublic, militaire et privé des catégories
À et B ; et un demi mois de salaire pour les catégories C et assimilées. La
contribution demandée aux étudiants boursiers était de 2 500 F CFA par
mois. En 1986 la contribution d’un mois ou d’un demi mois de salaire
selon les catégories fut remplacée par PEffort populaire d’investissement
ÉP.L) La participation à l'É.P.L se faisait de la façon suivante : 12% du
salaire pour les officiers, les sous-officiers supérieurs, les fonctionnaires
des catégories Al, A2, B1 ef assimilées ; 7% du salaire pour les sous-
officiers subalternes, les fonctionnaires des catégories B2, C1, C2 et as-
similées ; 5% du salaire des hommes du rang, des fonctionnaires des ca-
tégories D1, D2, des agents temporaires et assimilés. Par ailleurs 50%
des indemnités cumulées étaient également retenues. Selon le communi-
qué du Conseil des ministres, l’É.P.I. devait « traduire la volonté et la
détermination des salariés de vivre avec les masses et de vaincre avec les
masses tous les problèmes et tous les obstacles qui se posent à
l'épanouissement de notre peuple"”. » Comme l'avait fait le C.M.R.PN,
(cf. n° 69), le C.N.R. supprima les jetons de présence des administrateurs
siégeant au nom de l’État dans les sociétés où celui-ci était actionnaire et
décida de leur reversement au Trésor public*"”. En 1987 l'É.P.I. fut sup-
primé. La réforme de la Fonction publique entrée en vigueur le 1* janvier

4% Des mesures analogues avaient été prises après la chute de la première République
pour redresser la situation. Cf. -Pascal Zagré, Les politiques économiques du Burkina
Faso - Une tradition d’ajustement structurel, Paris, Karthala, 1994, p. 69-71. -Tiémoko
Marc Garango, Devoir de mémoire, Ouagadougou, Édipap international, 2007, p. 78.
De même, à l’occasion du premier conflit frontalier Mali-Burkina de décembre
1974, pour faire face à la nécessité d’équiper une armée alors démunie, l'ordonnance n°
75-001/PRES du 6 janvier 1975 instituait une contribution patriotique à compter du 1*
janvier 1975. Elle était due par tous les nationaux résidents ou non et par les non natio-
naux résidents sur le territoire national. Cf. Sangoulé Lamizana, Sur la brèche trente
années durant, Paris, Jaguar Conseil, 1999, t. 2, p. 317-318.
#10 Cf. Zatu n° 009-An IV/C.N.R/PRES du 24 octobre 1986 portant reversement au
Trésor des jetons de présence des représentants de l’État dans les conseils
d'administration des sociétés à participation financière publique.
204
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

1987 consacra la réduction des écarts entre les salaires*!!. Il est à noter
aussi que les inderanités journalières de mission de tout personnel de
l’État furent ramenées à quinze mille francs CFA pour tous.
304- En plus des mesures relatives aux traitements des agents de l’État,
le train de vie de l’État fut réduit. Dès l’accession au pouvoir du prési-
dent Sankara, le parc automobile de la présidence fut gelé. Les limou-
sines des ministres furent envoyées à la loterie nationale pour faire partie
des lots. Les recettes devaient revenir à l'Éducation nationale. En lieu et
place, le président du Faso, les ministres et les hautes personnalités de
l'État reçurent de petites voitures, notamment des Renault 5 noires. Le
pare automobile de l” État fut réduit de 2/3 pour limiter les frais
d’entretien et de carburant. La cave de la présidence fut vidée de son con-
tenu en champagne et autres boissons prestigieuses et des mets burkinabè x,
firent maintenant partie des menus des réceptions officielles. Ceux des
agents de l’État qui bénéficiaient de la gratuité du téléphone et de
l'électricité se virent vivement recommandés d’en limiter les frais. Dans
les services publics l’usage de la climatisation n’était autorisé que pen-
dant les trois mois les plus chauds de l’année : mars, avril, mai. Le prési-
dent Sankara utilisait lui-même un ventilateur quand la chaleur était ac-
cablante. Les ministres effectuaient leurs déplacements à l’étranger en
classe économique. Les déplacements à l'étranger du président Sankara
avaient donné naissance à l’expression “avion stop”. Par souci
d'économie celui-ci essayait d’obtenir d’autres chefs d” État qu'ils lui

411 Dans Le nouveau statut des agents publics qui fut adopté, la catégorie la moins élevée
était E3 et correspondait à celle de manœuvre ou ouvrier sans qualification, avec un
salaire mensuel en début de carrière de 20 840 F CFA et 30 807 F CFA en fin de car-
rière. La catégorie la plus élevée était A1 ef correspondait au doctorat de 3° cycle ou
doctorat d’État, avec en début de carrière un salaire mensuel de 81 549 F CFA et 212
027 F CFA en fin de carrière. L'écart entre les salaires était environ de 1 à 4 en début de
carrière et de 1 à 7 en fin de carrière.
Les salaires les plus élevés étaient ceux des enseignants du supérieur qui béné-
ficiaient d’un statut particulier. Un assistant en début de carrière avait une rémunération
mensuelle de 95 953 F CFA et 216 558 F CFA en fin de carrière. Un professeur
d’université en début de carrière avait une rémunération mensuelle de 124 138 F CFA et
300 825 F CFA en fin de carrière. Si l’on prend en compte l’enseignement supérieur,
l'écart entre les salaires était environ de 1 à 4,5 en début de carrière et de 1 à 10 en fin
de carrière.
205
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBELA

prêtassent leur avion, ou bien, s’ils étaient eux aussi en déplacement,


qu’ils le transportassent pendant tout ou partie de son trajet. Pour la
même destination Sankara pouvait se retrouver dans des avions différents
en fonction des étapes ou de la disponibilité des autres chefs d’ État®"?,
305- La réduction des indemnités et les diverses contributions exigées
par le C.N.R. de 1983à la fin de 1986 furent ressenties par certains
agents de 1” État comme une atteinte à des droits acquis. En janvier 1985
des syndicats affiliés au P.C.R.V., sous le prétexte de la défense du pou-
voir d’achat des travailleurs, appelèrent à la mobilisation. En février 1985
ils appelèrent à la grève (cf. n° 261). Le C.N.R. opta pour la fermeté.
Accusés de visées corporatistes et égoïstes, les responsables desdits syn-
dicats furent suspendus de la Fonction publique avec ou sans sanctions
complémentaires.
306- Ce qui, en réalité, semble avoir suscité Phostilité des agents de
l'État, est la fonction sociale qu’a jouée la réduction des traitements. Les
indemnités par exemple, en renforçant le pouvoir économique des cadres
de l’État, leur assuraient un certain prestige vérifiable dans le logement,
la consommation, etc. Au sein même des cadres de l’État, le nombre des
indemnités et les différences dans les montants créaient des sous catégo-
ries dans la classe des privilégiés. La réduction des indemnités avait pro-
voqué une certaine uniformisation et partant une certaine frustration de la
part de ceux qui en bénéficiaient.
307- La rémunération des agents de l'État était devenu un facteur de
blocage du développement tant le montant était élevé par rapport aux
moyens de l’État. Dans le budget de l” État, le poste “dépenses en person-
nel” était toujours le plus gros chapitre. En 1987, sur un budget total

412 Après le décès du président Bingù wa Mutharika du Malawi en avril 2012, la vice prési-
dente Joyce Banda a été portée à la tête de l’État. Elle se déplaçait avec des avions de ligne et
avait décidé en 2013 de vendre l’avion présidentiel acquis par son prédécesseur pour 22
millions de dollars. Son entretien coûtait chaque année plus de trois cent mille (300 000)
dollars. Cf. Le Quotidien, n° 864, Ouagadougou, 11 septembre 2013, p. 12.
Contre toute attente, Joyce Banda a été battue à l'élection présidentielle du 20
mai 2014 par le frère de Mutharika, Arthur Peter Mutharika. Le régime de Banda était
accusé de corruption (affaire du Cashgate). Cf. Afrique Asie, Paris, juillet-août 2014, p.
37.
206
E

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYËLEM de TAMBÈLA

| d'environ cent milliards de francs CFA, vingt-six mille agents en absor-


baient près de quarante-six milliards en salaires et rémunérations di-
verses, soit à peu près 46% du budget pour 0,33% de la population, et ce,
malgré les mesures d’austérité décidées par le C.N.R. Le budget de fonc-
tionnement représentait près de 90% des dépenses totales ; ce qui limitait
les capacités d’investissement de l'État.
2- La transparence dans la gestion
308- Pour plus de transparence dans la gestion des ressources de l’État,
le C.N.R. avait essayé d’associer les citoyens, à travers leurs délégués, à
l'établissement du budget et à la définition de ses grands chapitres. Après
un travail d’ébauche fait par les responsables du ministère du Budget en
relation avec les différents services et départements ministériels, le bud-
get de l’État était arrêté chaque année à la Maison du Peuple à l’occasion
des conférences budgétaires qui regroupaient, outre les personnalités de
l'État, les responsables des syndicats et les délégués des différents
C.D.R.4® Les débats que suscitaient les conférences budgétaires ame- |
naient les militants C.D.R. à comprendre les mécanismes de fonctionne-
ment du budget de l’État et à exercer une certaine influence sur les
grandes décisions de l'État®!!, Chaque trimestre le conseil budgétaire se
réunissait pour examiner l’état d’exécution de la loi de finances : contrô-
ler les dépenses et vérifier le recouvrement des recettes.
309- En juillet 1986 fut créé le Conseil de gestion des établissements
publics et des sociétés d’État, Il avait pour objet le contrôle de la gestion
de ces établissements. Les séances du Conseil étaient publiques et étaient
présidées par le président du Faso. Elles ont permis au public d’entrer
dans le secret de la gestion de ces établissements.
310- Le 7 février 1987 fut créée la Commission du peuple chargée de
la prévention de la corruption (C.P.P.C.) Elle comprenait quatre membres
du C.N.R. et au moins cinq membres des C.D.R., tous nommés par le

#3 La participation populaire à l'établissement du budget de l’État avait déjà été quelque


peu expérimentée par le Gouvernement militaire provisoire (G.M.P.) après la chute de
la première République. Cf. T.M. Garango, Devoir de mémoire, op.cit., p. 65.
#4 Le budget de l’armée n’était pas connu du public. Il ne faisait pas partie des débats
des conférences budgétaires.
207
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

président du Faso sur proposition du C.N.R. Elle avait pour mission de


participer, aux côtés des masses populaires, à l’application ferme des
mots d’ordre de lutte contre la corruption, de donner au président du Faso
un avis motivé après enquête de moralité pour toute nomination à des
fonctions de responsabilité, de procéder à l'inventaire et aux contrôles
périodiques du patrimoine de toute personne nommée à une haute fonc.
tion, de contribuer à développer chez les militants, en particulier chez
ceux qui exercent des responsabilités politiques et administratives, un
style de vie et une morale révolutionnaires exemplaires, d'examiner des
dénonciations de corruption ou de trafic d’influence pour la mise en
œuvre d’une répression vigoureuse.
311- La première séance publique de la C.P.P.C. eut lieu le 20 février
1987, Thomas Sankara qui comparut le premier, présenta l’état de ses
biens qui se résumait à peu de choses. Il révéla également tout ce qu’il
avait pu recevoir comme dons. Il avait reversé les sommes d’argent au
budget de l’État et mis les dons en nature à la disposition des différents
services de l’État*!*. À la suite de Sankara, une dizaine d’autres person-
nalités firent également la déclaration de leurs biens. Mais très vite la
C.P.P.C. se grippa. Les objections et les oppositions venaient de toutes
parts, surtout des officiers et des cadres supérieurs. Même au sein du
C.NR. on s’y opposa vivement et les arguments ne manquaient pas. Pour
les uns la C.P.P.C. était inutile, pour d’autres elle dévalorisait le régime,
pour certains elle était un moyen de règlement de comptes.
312- L'opposition que la C.P.P.C. suscita est bien compréhensible. Elle
apparaissait comme un empêcheur de s'enrichir tranquillement. En fonc-
tion de ses attributions elle pouvait à tout moment ordonner une enquête
sur le patrimoine de toute personne. Avec la C.P.P.C. s’estompaient les
espérances de ceux qui, en apparence, prétendaient soutenir le régime
mais avec l’ambition secrète de pouvoir s’enrichir au bon moment ou
alors de pouvoir infléchir le rythme de la Révolution.

#5 Cf. L'Observateur Dimanche, n° 431, Ouagadougou, 27 août-2 septembre 2004, p.


18. -San Finna, n° 53, Ouagadougou, 15-21 mai 2000, p. 7. -Le Reporter, n° 52, Ouaga-
dougou, 15-31 août 2010, p. 5.
Pour la déclaration complète de Sankara, cf. Roger Bila Kaboré, Histoire poli-
tique du Burkina Faso — 1919-2 000, Paris, L'Harmattan, 2 002, p. 187-190.
208
Em

| Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

\ À
C) LA MAÎTRISE DE L'AIDE EXTÉRIEURE
313- Il serait inexact de prétendre que l’aide extérieure n’a pas d’effet de
|
développement pour les pays bénéficiaires. Tout apport utilisé rationnelle-
| ment et avec efficience peut être avantageux. Toutefois, comme le fait re-
marquer M. Benchikh, « L'aide extérieure contribue plus à soulager la mi-
sère, à stabiliser une situation, à surseoir à une détérioration de l'état éco-
nomique et social des pays qui la reçoivent qu'à impulser un processus de
développement économique dans les pays sous-développés* $.» Le plus
souvent, l’aide extérieure est inadaptée. Mathias Sawadogo en donne une
illustration à travers une fable : « Un oiseau couvait ses œufs au creux d'un
arbre ; un serpent s'approche pour les dévorer ; l'oiseau demande secours
à un singe : rien de plus simple, répond le singe, je vais chasser le serpent à
coups de pierres. Non, dit l'oiseau, tu casserais les œufs. Passe un élé-
phant : un coup de trompe, j'abattrai l'arbre et écraserai le serpent. Impos-
| sible, dit l'oiseau, tu réduirais les œufs en bouillie. Les fourmis, alertées, ont
| enfin la bonne idée d’accourir en foule et de grignoter le serpent. L'oiseau,
c'est le paysan ; les œufs, les possibilités de développement ; le serpent :
l'obstacle au développement ; le singe et l'éléphant représentent l'aide exté-
rieure : « elle propose toujours des solutions draconiennes, elle est rigide et
manque souvent d'adaptabilité. L'aide extérieure, avec les grands moyens
dont elle dispose, fait la plupart du temps, même avec de bonnes intentions,
plus de mal que de bien. Elle donne peu de place à l'initiative locale ….Les
fourmis … image du partenaire avec lequel on peut dialoguer sans crainte …
solidarité issue d'un peuple qui agit selon ses propres règles
d organisation". »
314- Thomas Sankara avait fait remarquer que les aides ont fait en
sorte que l’Africain n’a rien produit et n’a rien sorti de son imagination
pour résister à la sécheresse. Selon lui, « … la sécheresse ne produit
même pas le déclic intellectuel de la création de solution parce que nous
sommes noyés et submergés d'aides alimentaires. Pourquoi voulez-vous

416 Madjid Benchikh, Droit international du sous-développement - Nouvel ordre dans la


dépendance, Paris, Berger-Levrault, 1983, p. 260.
#7 Cf, Pierre Gourou, Terres de bonne espérance - Le monde tropical, Paris, Plon, 1982,
p. 401-402.
209
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 8. KYÉLEM de TAMBÉLA

que l'ingénieur agronome africain cherche une solution pour trouver une
espèce rare qui résiste à la sécheresse, lorsque les organisations interna
tionales et les pays sont là à courir après lui en lui demandant simplement
de remplir une lettre de demande d'aide alimentaire ? On à transformé nos
ingénieurs et nos vétérinaires en écrivains publics et ils écrivent des lettres
de demande d'aide alimentaire ; et l'on a transformé les chefs d'État afri-
cains en quémandeurs. Sur cent discours de chefs d Étar icains,
soixante-quinze sont consacrés à demander de l'aide alimentaire".
315- Un autre aspect de l’aide extérieure est qu’elle peut être un moyen
d'exploitation subtil et efficace‘!”. Jacques Foccart écrivait en 1983 :
« Selon une estimation du ministère du Gabon, pour 1F dévolu au Gabon
par les subventions de l'aide publique française, qui, pour l'essentiel,
vont à des organismes et à des compagnies françaises, la France retirait,
en 1979, 2,80F. Sur le plan des investissements privés, l’économie fran-
çaise, en 1979, a retiré environ 717F d'un apport initial de 66F, soit un
retour de 11F pour 1F investi®. » En 1999 on notait que, selon l'Office
fédérale des affaires économiques extérieures, la Suisse tirait de son aide
au développement qui était d’un montant de 1,9 milliard de dollars, un
bénéfice de 2,9 milliards de dollars. En outre, grâce aux actions de déve-
loppement, vingt mille emplois avaient été créés en Suisse dans Les ad-
ministrations, les missions de coopération, dans des O.N.G. et dans des
entreprises qui bénéficiaient des contrats de fourniture d” équipement‘?!
Toujours en 1999, l'Afrique était le continent où les Etats-Unis retiraient
le plus grand rendement de ses investissements au monde ; soit 22%
contre 13% en Asie, 12% en Amérique latine et 11% en Europe?
316- Thomas Sankara estimait que l’aide n’avait abouti qu'à désorga-
niser, asservir et déresponsabiliser les Burkinabè dans leur espace éco-

418 Déclaration lors d’une conférence de presse donnée à Ouagadougou le 6 décembre 1985.
“SE Apollinaire Kyélem, “Aide, commerce et développement de l'Afrique, Nord-Sud
XXI, n° 7, Genève, 1995, p. 47-83.
#2 C£. Alfred Grosser, “L'Afrique, continent méprisé ?”, Croix,
La n° 34 365, Paris, 22
mars 1996, p. 14,
“21 Cf. Le Pays, n° 1907, Ouagadougou, 19 juin 1999, p. 13.
#2 Cf. Le Pays, n° 1950, Ouagadougou, 13 août 1999, p. 19.
210
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

que l'ingénieur agronome africain cherche une solution pour trouver une
espèce rare qui résiste à la sécheresse, lorsque les organisations interna
tionales et les pays sont là à courir après lui en lui demandant simplemens
de remplir une lettre de demande d'aide alimentaire ? On a transformé nos
ingénieurs et nos vétérinaires en écrivains publics et ils écrivent des lettres
de demande d'aide alimentaire ; et l'on a transformé les chefs d' "État afri
cains en quémandeurs. Sur cent discours de chefs d'État africains,
soixante-quinze sont consacrés à demander de l’aide alimentaire", »
315- Un autre aspect de l’aide extérieure est qu’elle peut être un moyen
d'exploitation subtil et efficace"/”. Jacques Foccart écrivait en 1983 :
« Selon une estimation du ministère du Gabon, pour 1F dévolu au Gabon
par les subventions de l’aide publique française, qui, pour l'essentiel,
vont à des organismes et à des compagnies françaises, la France retirait,
en 1979, 2,80F. Sur le plan des investissements privés, l'économie fran-
çaise, en 1979, a retiré environ 717F d'un apport initial de 66F, soit un
retour de 11F pour ÎF investi 2 » En 1999 on notait que, selon l'Office
fédérale des affaires économiques extérieures, la Suisse tirait de son aide
au développement qui était d’un montant de 1,9 milliard de dollars, un
bénéfice de 2,9 milliards de dollars. En outre, grâce aux actions de déve-
loppement, vingt mille emplois avaient été créés en Suisse dans les ad-
ministrations, les missions de coopération, dans des O.N.G. et dans des
entreprises qui bénéficiaient des contrats de fourniture d'équipement"?!
Toujours en 1999, l’Afrique était le continent où les Etats-Unis retiraient
le plus grand rendement de ses investissements au monde ; soit 22%
contre 13% en Asie, 12% en Amérique latine et 11% en Europe“ LA
316- Thomas Sankara estimait que l’aide n’avait abouti qu’à désorga-
niser, asservir et déresponsabiliser les Burkinabè dans leur espace éco-

#18 Déclaration lors d’une conférence de presse donnée à Ouagadougou le 6 décembre 1985.
#1 Cf. Apollinaire Kyélem, “Aide, commerce et développement de l'Afrique, Nord-Sud
XXI, n° 7, Genève, 1995, p. 47-83.
#2 C£. Alfred Grosser, “L'Afrique, continent méprisé ?”, La Croix, n° 34 365, Paris, 22
mars 1996, p. 14.
#21 Cf. Le Pays, n° 1907, Ouagadougou, 10 juin 1999, p. 13.
#2 Cf. Le Pays, n° 1950, Ouagadougou, 13 août 1999, p. 19.
210
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBELA

nomique*?. En conséquence, le C.N.R. avait adopté une attitude nouvelle à


l'égard de l’aide extérieure. La politique du C.N.R. en la matière était que
doit
l’aide doit aider à se passer de l’aide, l’aide doit aider à tuer l’aide, elle
être réorientée vers un développement réel des peuples. Toutefois, un pays
peut se développer sans avoir recours à l’aide extérieure. Le Japon,
P'U.R.S.S. et la Chine ont réalisé leur transformation sans aide extérieure. Ce
qui compte ce n’est pas l’afflux des capitaux mais le programme de déve-
loppement, les structures de l’économie, ce sur quoi vont s’appliquer les
capitaux et l'aptitude à mobiliser initialement l'épargne intérieure pour la
mettre au service de la production. Cependant, comme tout apport, laide
extérieure peut contribuer au développement quand tout est mis en œuvre
pour qu’elle s’insère dans le plan national de développement.
D) COMPTER SUR SES PROPRES FORCES
317- Compter sur ses propres forces n’est pas un principe nouveau. On
peut se rappeler qu’en 1945 déjà, dans un texte intitulé : Apprendre le
travail économique, Mao Tse-toung affirmait que la Chine devait avant
tout « compter sur ses propres forces. » Bien avant, au Burkina, le gou-
verneur Hesling*?* avait déjà tenté de faire fonctionner la colonie sur la
base de ses propres ressources. Après la chute de la première République,
sous la présidence de Sangoulé Lamizana, ce principe a été appliqué,
surtout dans les premières années, pour assainir la situation financière
catastrophique de l’État et opérer le redressement économique. Ainsi, le
premier budget du Gouvernement militaire provisoire (G.M.P.) de
l'année 1967 a été établi et réalisé sans aide extérieure et à la mesure des
moyens du pays*®. Après la chute du président Lamizana, le Comité mi-
litaire de redressement pour le progrès national (C.M.R.P.N.) du colonel
Saye Zerbo préconisait dans son Discours programme du 1% mai 1981

#3 Cf. Discours à la 39° session ordinaire de l'O.N.U., Carrefour africain, n° 852, Oua-
gadougou, 12 octobre 1984, p. 17.
#4 On peut regretter que rien n’ait été fait pour préserver la mémoire de ce personnage
qui a été le premier gouverneur de la colonie de Haute-Volta et qui, malgré tout, a jeté
rue, aucun
les bases de sa construction et de son développement. Sauf erreur, aucune
monument ne porte son nom au Burkina et il est ignoré des livres d’histoire. En dehors
de quelques historiens et de quelques érudits, Hesling reste totalement inconnu.
#5 Cf. T.M. Garango, Devoir de mémoire, op. cit., p. 67s.
211
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
ience de développement autocentré
4. KVÉLEM de TAMBËLA

« Un développement fondé avant tout sur nos propres moyens en vue


d’une promotion autonome", »
318- Dans sa stratégie de développement autocentré, le C.N.R. opta
pour une application généralisée et plus prononcée du comprer sur ses
propres forces. Dans cette optique diverses “caisses” furent mises en
place et les populations étaient invitées à les alimenter. Dès le 9 no.
vembre 1983, après les mauvaises récoltes enregistrées dans la partie
nord du pays, le C.N.R. décida de la création de la Caisse de solidarité
révolutionnaire chargée de recueillir des fonds destinés à secourir les
victimes de la sécheresse. Pour lutter contre les effets des aléas clima-
tiques on créa la Caisse des calamités naturelles. La Caïsse pour la ba-
taille du rail avait pour objet de contribuer à faire avancer la construction
du “chemin de fer du Sahel”. La Caisse de soutien aux rapatriés gha-
néens avait été créée pour contribuer à l’insertion dans leur pays des
Ghanéens expulsés de Côte d'Ivoire en 1985.
319- Les différentes “caisses” étaient alimentées par des contributions
volontaires, aussi bien des Burkinabè de l’intérieur que de l’extérieur du
pays, soit individuellement”, soit à travers des groupes, des associa-
tions, des services ou des entreprises. Par exemple, les employés d’un
service ou les travailleurs d’une entreprise pouvaient décider de verser
une certaine somme pour telle ou telle “caisse”. La communauté burki-
nabé en Côte d’Ivoire participait largement à leur alimentation. Des non-
Burkinabè, résidant ou non au Burkina, mais qui partageaient les objec-
tifs de la Révolution, ont aussi contribué à renflouer les “caisses”. Cha-
cune d’elles avait un compte en banque dont le numéro était rues
ment communiqué au public pour d'éventuelles vérifications‘?

“%C£ CMRPN,, Discours programme, Ouagadougou, Imprimerie nationale, 1981, p.8.


“7 Des agents de l'État ou des travailleurs du privé pouvaient décider individuellement
de verser une partie de leur salaire ou de leurs indemnités pour la “caisse” de leur choix.
Chacun déterminait le montant et les modalités de sa contribution.
“8 Au 31 décembre 1985 les recettes étaient ainsi réparties : Caisse de solidarité révolu-
tionnaire : 1 333 536 065 F CFA ; Fonds des calamités naturelles : 16 293 557 F CFA ;
Bataille du rail : 39 958 957 F CFA ; Caisse des aveugles et handicapés : 9 416 213 F
CFA ; Fonds de soutien aux rapatriés ghanéens : 3 237 820 F CFA. Soit un total général
de 1 402 452 612 F CFA. Cf S.G.N.-C.DR, Première Conférence nationale des
C.DR,, op. cit., p. 92. Les différentes “caisses” ont mobilisé 36, 61 milliards Ca francs.
212
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

A X
\
320- Beaucoup participaient avec conviction et détermination à
l'alimentation des “caisses”. Mais certains y voyaient aussi une occasion de
spectacle, de publicité et de vedettariat en voulant par la fréquence et/ou le
montant de leurs contributions se poser en “super révolutionnaires”. Chaque
mercredi, les diverses contributions enregistrées dans la semaine étaient por-
tées à la connaissance du public par le rapport du conseil des ministres qui
était diffusé par la radio nationale avant d’être publié par les journaux parais-
sant régulièrement qui n'étaient alors que deux, tous gouvernementaux : le
quotidien d’État Sidwaya et l'hebdomadaire Carrefour africain.
321- L'’opportunité même de la création des “caisses” n’était pas ac-
ceptée par tous. Bien que les contributions fussent volontaires, certains y
ont vu un moyen de plus pour rançonner les populations. Il est vrai que
des pressions politiques ou psychologiques pouvaient être exercées pour
obtenir des contributions “volontaires”. Toutefois, une telle initiative
semble nécessaire pour un pays sous-développé presque démuni qui vou-
drait se donner les moyens d’un développement autonome.
322- La construction d’une économie moderne nécessite l'appui d’un
réseau bancaire adapté, Le réseau bancaire qui existait était à l’image de
l’économie extravertie du pays. Il y avait un certain nombre de banques
commerciales"? et une Caisse nationale d'épargne (C.N.E.) Mais, excep-
tée la C.N.E. qui utilisait le réseau de la poste, les banques étaient con-
centrées dans les grands centres urbains et principalement à Ouagadou-
gou. Les commerçants et les salariés en étaient les principaux clients. De
par les capitaux et la gestion, elles étaient toutes pratiquement sous con-
trôle étranger“® et contribuaient essentiellement à favoriser l'émergence
#2 1] s’agissait de la Banque nationale de développement du Burkina (B.N.D.-B) au-
jourd’hui disparue, la Banque internationale pour le commerce, l'industrie et
l’agriculture du Burkina (B.I.C.L.A.-B), la Banque internationale du Burkina (B.LB.)
devenue United Bank of Africa (U.B.A.), la Banque pour le financement du commerce
et de l’industrie (B.F.C.I.) devenue Société générale de banques au Burkina (S.G.B.B.)
et actuellement Société générale Burkina Faso (S.G.B.F.), la Caisse nationale de crédit
agricole (C.N.C.A.) devenue la Banque agricole e ommerciale du Burkina (B.A.C.-B.)
aujourd’hui rachetée par ECOBANK, la Financière du Burkina (FI.B) devenue Coris
bank international, et la Société burkinabè de crédit automobile (SO.B.C.A.)
#30 Le capital de la B.I.C.L.A.-B se répartissait entre l’État (51%), la Banque nationale de
Paris (B.N.P.) (22%), la S.F.O.M. (23%) et des intérêts privés burkinabè (4%). Le capi-
213
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de dévelappement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

des entreprises commerciales et industrielles qui prolongeaient dans le


pays les objectifs économiques des firmes étrangères. Elles contribuaient
également à drainer hors du pays une partie importante de l’épargne na-
tionale. Les crédits qu’elles accordaient aux particuliers à des taux
d'intérêt élevés servaient très souvent à permettre la consommation de
produits importés".
323- La collecte de l’épargne était quasi inexistante dans les centres
secondaires et surtout dans les campagnes où vivaient près de 90% de la
population. Il est vrai que les commerçants et les salariés ont un pouvoir
d'achat plus élevé, mais l’épargne du milieu rural peut aussi être substan-
tielle comme avait permis de le constater la création des “caisses” de
soutien aux objectifs de la Révolution. En outre la collecte de l’épargne
rurale peut avoir pour avantage d'intégrer les paysans de façon active
dans le circuit de l’économie moderne. Il conviendrait alors d’adapter le
système au rythme des campagnes sachant que les paysans gagnent la
plupart de leurs revenus monétaires au moment des récoltes. Des struc-
tures comme des caisses populaires, des coopératives d'épargne et de
crédit, etc. accessibles à la population, avec une gestion simple et un
mode de fonctionnement compatible avec les faibles niveaux d’épargne
pourraient être créées. C’est en prenant en compte le monde rural à tous
les niveaux de la vie économique qu’un développement harmonieux peut
être amorcé"®. Sur ce plan le C.N.R. n'avait rien entrepris d’original.
Deux nouvelles banques avaient été créées sans que dans leur fonction-
nement elles différassent réellement de celles qui existaient déjà. C’est
ainsi que pour faciliter l’octroi des crédits pour la construction de loge-

tal de la B.LB. était réparti entre les intérêts burkinabè (60%) et ceux de la Banque in-
ternationale pour l'Afrique occidentale (B.I.A.O.), filiale du Crédit Lyonnais.
#U Comme l'achat de cyclomoteurs, de voitures particulières, d'articles ménagers,
d'équipements domestiques, etc.
“2 1] existe actuellement un réseau de caisses populaires qui s’étend sur presque tout le
pays. C’est sous l’influence des “credit unions” du Ghana voisin et avec l’assistance du
Canada qui possède une longue expérience en matière de coopérative d'épargne et de
crédit que les caisses populaires ont vu le jour en 1972 dans la province de la Buguriba
dans le sud-ouest, près de la frontière du Ghana. C’est à partir des années 1990 qu'elles
vont commencer à s’étendre sur l’ensemble du territoire. Sur ce sujet, cf. Ferdinand
Dabiré, “L'expérience des caisses populaires de la Bougouriba”, Carrefour africain, n°
1052, Ouagadougou, 9 septembre 1988, p. 11-15.
214
a

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

ments, une Banque populaire de l’habitat (B.P.H.) avait été créée le 11


juillet 1984 mais elle n’a pas pu tenir dans la durée. Le même jour était
créée l’Union révolutionnaire des banques (U.RE.BA.) qui se voulait un
instrument de restructuration des banques ; mais, jusqu’à sa disparition
son impact est resté très limité.
E) LA MAÎTRISE DE LA PRODUCTION
L’ambition du C.N.R. était de parvenir à maîtriser l’environnement et le
développement rural (1) de même que la production industrielle (2).
1- La protection de l’environnement (a) et le développement rural
(b)
a) La protection de l’environnement
324- Le Burkina est un pays sahélien. Au temps de la Révolution cer-
tains prétendaient que le désert avançait de 10 km par an. En consé-
quence les populations des parties nord et centre-nord du pays, en quête
de terres fertiles, se déplaçaient vers l’ouest et le sud à la recherche
d’espace disponible. Ces déplacements de populations n'étaient pas sans
poser de problèmes, d’autant plus que les nouveaux arrivants pratiquaient
des défrichements et des méthodes extensives de mise en culture. Pour
lutter contre la désertification le C.N.R. avait orienté son action sur deux
points essentiels : - l'entretien et la création de retenues d’eau ; - la plan-
tation et l’entretien des arbres et des espaces verts. Cela s’était traduit au
plus haut niveau par la création d’un ministère de l’Eau qui était venu
compléter le ministère de l'Environnement et du Tourisme. Près de 76% des
crédits du secteur rural étaient répartis entre barrages, retenues d’eau, puits,
forages et adduction d’eau. Pour ce qui conceme l’environnement, Particle
22 de l'ordonnance n° 84-050/C.N.R./PRES portant réorganisation agraire et
foncière au Burkina Faso prévoyait que « Tout projet de développement
économique et social de caractère national ou local devra nécessairement
comprendre un programme forestier sous la forme de boisement en bosquets
de rideaux abris, de plantations, d'espaces verts ou de jardins publics. »
Chaque événement heureux au Burkina (mariage, baptême, décorations,
visites de personnalités étrangères, etc., s’accompagnait d’une séance de
plantation d’arbres. Dans le cadre du Programme populaire de développe-

215
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

ment (P.P.D.) qui s’étendait d’octobre 1984 à décembre 1985, dix millions
d’arbres devaient être plantés. 60% des objectifs ont été atteints.

325- Pour la protection de la nature, le C.N.R. engagea le 22 avril 1985


“Les trois luttes” qui consistaient à lutter contre les feux de brousse, la
divagation des animaux et la coupe abusive du bois. Les feux de brousse
avaient été érigés en crimes. Des assemblées, des conférences, des débats
"étaient organisés au niveau national mais aussi au niveau des C.D.R., des
départements et des provinces pour expliquer l’opportunité des “trois
luttes” et en faciliter l’application sur le terrain.
326- Dans l’ensemble les populations commençaient à adhérer aux
“trois luttes” ; mais le début fut difficile. Des oppositions s’étaient vive-
ment manifestées dans les campagnes. Pour la cuisine, à l’exception de
quelques privilégiés des villes, les Burkinabè n'avaient pas d’autres
sources d’énergie que le bois. Le C.NR. essayait de vulgariser
l’utilisation du gaz pour faire baisser la consommation du bois ; mais
l'initiative n'avait connu qu’un succès très limité : le prix du gaz était
hors de la portée de la majorité des Burkinabè. La lutte contre la divaga-
tion des animaux satisfaisait en partie les agriculteurs dont les champs
étaient souvent dévastés par des troupeaux. La pratique des feux de
brousse répondait à plusieurs besoins : fertilisation des sols pour les cul-
tures grâce à la potasse qui s’y dépose ; permettre la chasse et les bat-
tues ; accomplissement de rites coutumiers qui voudraient que la brousse
soit brûlée après une bonne récolte. Mais au Burkina l'équilibre écolo-
gique est très fragile et les feux de brousse contribuent à la détérioration
rapide de l’environnement. Pour sensibiliser contre les feux de brousse,
Sankara n’hésitait pas à dire que «si le feu de brousse est une bonne
chose, que chacun commence par mettre le feu à sa propre case. »
b) Le développement rural
Le développement rural concerne notamment les secteurs de l’agriculture
(b-1) et de l’élevage (b-2).
b-1) L'agriculture
327- Dans son discours du 4 août 1984, Sankara déclarait : « .… le CNR.
a choisi de faire de l'agriculture le moteur, le levier principal de notre déve-
216
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

loppement économique et social.» I] expliquait qu’il s'agissait pour le


C.NR. « de concentrer réellement l'essentiel des efforts d'investissement et
de modernisation dans le secteur de l'agriculture et de l'élevage, principa-
lement en faveur des productions vivrières. » Une économie ne peut pas
jouir d’une relative autonomie quand les populations dépendent largement
de l'extérieur pour se nourrir. L’aufosuffisance alimentaire est un préalable à
toute politique de développement autocentré. Des médecins ont établi que la
carence en protéines a des effets particulièrement graves et irréversibles chez
les bébés au niveau du cerveau en réduisant le nombre des cellules de la
matière grise et en limitant à jamais leur capacité mentale.
328- Tout au long du processus de développement, l’agriculture est un
élément incontournable car une société qui se modernise devient de plus
en plus tributaire de la production agricole. L'agriculture doit produire
plus pour faire face à l’augmentation de la population et pour répondre
aux besoins diversifiés des grandes villes. C’est l’agriculture qui est à la
base de toute évolution sociale, qui est à la base de la civilisation actuelle
dont l’origine se situe au néolithique et qui a permis la révolutin indus-
trielle en Occident. Dès octobre 1983 Sankara affirmait : « La priorité,
c'est d'abord la satisfaction des besoins essentiels du peuple. La révolu-
tion doit d'abord donner à boire et à manger. Pour ce faire, il s'agira
d'encourager la production agricole nationale par l'application de prix
plus justes ; de mener une luffe contre la spéculation sur les denrées ; de
mettre l'accent sur des réalisations agro-pastorales fonctionnelles et peu
onéreuses #3, » En vue de l’autosuffisance alimentaire, le C.NR. entre-
prit avec enthousiasme un certains nombre de chantiers dont la réalisa-
tion du projet hydroagricole de la vallée du Sourou*, Resté très long-
temps au stade de projet, il a fallu l’avènement du C.N.R. pour sa réalisa-
tion. À ce sujet, les propos de Joseph Conombo qui fut premier ministre

#3 Cf. Jeune Afrique, n° 1188, Paris, 12 octobre 1983, p. 46.


4% Ce projet devait permettre d’aménager 30 000 ha de la vallée dont 16 000 ha de-
vaient être irrigués, Mené à son terme, le projet devait permettre de satisfaire 10% des
besoins vivriers, soit l'équivalent des importations commerciales et des aides alimen-
taires. Était également en cours de réalisation la construction du barrage hydroélectrique
de la Kompienga destiné à la production de l'électricité et à la culture irriguée. L’étude
du projet de construction du barrage hydroélectrique de Bagré était également assez
avancée.
217
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

du président Lamizana de 1978 à 1980 sont édifiants : « 11 est évidem.


ment impossible de ne pas être d'accord avec Sankara sur le problème
du Sourou. Quand nous avons été élus pour la première fois, en 1948, le
premier projet que nous avons déposé … concernait le Sourou. Mais il
n'a jamais pu être réalisé jusqu'ici et je ne peux qu'approuver ef aïder
celui qui veuf se charger de rattraper le temps perdu 5.»
329- Pour le développement agricole trois points sont fondamentaux :
les priorités budgétaires accordées à l’agriculture, les modes
d’encadrement du monde rural et la politique des prix. Concernant les
prix, pour stimuler la production, le C.N.R. avait décidé de leur hausse
quoique très légère. L'essentiel cependant n°est pas de relever les prix
d'achat aux producteurs mais de les faire respecter. Ce qui n’était pas
toujours le cas pour cause de spéculation. Pour contribuer à faire respec-
ter les prix d’achat aux producteurs afin que ceux-ci jouent un rôle
d’incitation à la production, il avait été décidé, pour exercice budgétaire
de 1987, de consacrer quatre milliards de francs CFA pour l’achat des
céréales aux paysans. De 1981 à 1987 la production de coton passa de 79
000 tonnes à 176 000 tonnes et la production d’arachides de 82 000
tonnes à 145 000 tonnes, faisant passer le Burkina du 15° rang mondial
au 6° rang. De 1983 à 1988 la production vivrière connut un taux de
croissance moyen annuel de 14%.
330- Le 4 août 1984 une réforme agraire fut décidée**, Thomas Sanka-
ra en donne l'explication en ces termes : « Certe réforme obéit à un souci
de justice sociale mais aussi à celui d'organiser une exploitation ration-
nelle de la terre. Les grands chefs féodaux disposaient des gens comme
ils le voulaient. La terre était distribuée ou reprise selon leurs caprices.
Le producteur en état d'insécurité perpétuelle ne pouvait pas enrichir les
champs qui lui étaient prêtés, canaliser les eaux, planter les arbres ni
même viser une productivité maximale. En décrétant que la terre appar-
tient à l'État nous pouvons fixer les paysans sur des terres bien définies :

435 Cf. Sennen Andriamirado, Sankara le rebelle, Paris, Groupe Jeune Afrique, 1987, p.
165.
4% Cf. Ordonnance n° 84-050/CNR/PRES du 4 août 1984 portant réorganisation agraire
et foncière au Burkina Faso. Décret d’application n° 85-404/CNR/PRES du 4 août
1985.
218
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
_Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

une façon de les sécuriser, mais aussi de les responsabiliser. Ils sont
obligés d'enrichir la terre, de respecter les jachères, d'éviter la dévasta-
tion. En outre, la réforme foncière nous permet d'organiser l'occupation
des terres en fonction des objectifs de production que nous visons. Selon
la nature des terres, nous pouvons imposer les types de cultures, définir
les surfaces en conséquence, procéder aux aménagements, notamment
l'irrigation, et veiller à ce que les paysans aient de quoi entretenir ces
irrigations"?. » Le système foncier communautaire burkinabè d’alors et
de maintenant ne se prête pas à une agriculture intensive. Pour sa subsis-
tance, la terre est cédée par la communauté à l'exploitant qui n’en ac-
quiert pas la propriété. Il ne peut donc pas utiliser la terre à sa conve-
nance, par exemple planter des arbres fruitiers, les entretenir, fumer le
sol, faire de gros investissements, etc. Très souvent, quand l’exploitant se
risque à ce genre d'investissement, la terre peut lui être retirée ou alors il
lui est fait interdiction d’entretenir son investissement pour qu’à l'issue
de l'amortissement la communauté puisse à nouveau faire prévaloir en-
tièrement son droit de propriété sur la terre. Un tel système d’utilisation
des sols s’adapte difficilement avec l’agriculture moderne qui suppose
une certaine intensification et nécessite des investissements soutenus. La
réforme agraire du C.N.R. avait pour objectif de rompre avec ce système.
Des rencontres et des débats furent organisés par les autorités et leurs
relais, les C.D.R., pour expliquer aux populations, et surtout aux paysans,
le sens de la réforme. Mais d’une façon générale les populations n’ont
pas été intéressées par la réforme qui a eu très peu d’impact. Le système
traditionnel de propriété et d’exploitation des sols continue de s’appliquer
et ce, malgré la nationalisation du sol qui avait été décidée le 10 août
1984 pour accompagner la réforme agraire.
331- On peut se poser la question sur l’opportunité d’une réforme
agraire au Burkina, surtout au temps de la Révolution. La décision du
CNR. n’obéissait-elle pas d'avantage à des critères idéologiques que
pragmatiques ? À quelques exceptions près, le système actuel
d’exploitation de la terre correspond aux modes de vie des sociétés tradi-
tionnelles encore très peu affectées par le modernisme. Les techniques
agricoles restent très limitées. Des réformes peuvent être nécessaires dans

#7 Cf. Actuel développement, n° 67, Paris, juillet-août 1985, p. 37.


219
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

certaines régions en fonction des peuplements. Mais la nécessité d’une


réforme globale comme le prévoyait l'ordonnance de 1984 ne peut se
justifier que si une autre façon de faire de l’agriculture se manifeste lar.
gement au Burkina, ou si l'État a les moyens d’influencer concrètement
les pratiques et les techniques agricoles ; ce qui, pour le moment, ne
semble pas être le cas. En définitive, l'ordonnance de 1984 semble
d’avantage être une mesure bureaucratique.
332- Sous Le couvert du modernisme on peut être tenté de balayer tout
ce qui se rapporte au système traditionnel qui, pourtant, comporte des
avantages. Par exemple, au Burkina, jusqu’à présent, le prolétariat rural
n'existe pas ; ce qui assure un certain équilibre social. Alors que la pro-
priété privée peut se constituer au profit d’une bourgeoisie urbaine (fone-
tionnaires, commerçants, hommes d’affaires) faisant travailler ses terres
par des métayers sans pour autant que soient utilisées des méthodes agri-
coles modernes. Un tel mode d’exploitation sans innovation et sans tech-
nique nouvelle apparaît déjà dans certaines régions où la bourgeoisie
arriviste a acquis des terres à des prix dérisoires. En outre, le système
traditionnel exclut les querelles de succession puisque la terre appartient
à la communauté. C’est beaucoup plus par des initiatives locales qu’une
influence décisive peut être exercée sur les techniques agricoles sans af-
fecter négativement l’équilibre social.
b-2} L'élevage
333- L'élevage joue un rôle important dans l’économie du Burkina.
Cependant, il est soumis à de rudes conditions climatiques ; la sécheresse
détruit une bonne partie du cheptel. L’alimentation du bétail est problé-
matique et la santé animale est fragile. La multiplication des retenues
d’eau et le développement des cultures fourragères s'imposent.
L'agriculture et l'élevage doivent être intimement associés. La première
fournira des sous-produits des cultures, cultures fourragères et prairies
améliorées, permettant de mieux nourrir plus d'animaux qui, en retour,
fourniront beaucoup plus de viande et de lait de meilleure qualité pour la
nutrition, sans oublier le cuir. Ce système permet à l’agriculture de pro-
mouvoir l’élevage, à ce dernier d’améliorer les sols pour l’agriculture
avec la production d’engrais, le tout au profit des populations. Le déve-
loppement de l'élevage favorise aussi l’industrialisation en fournissant sur
220
Um
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA |

place une matière première nationale. Des industries laitières, de cuir et


peaux, de fabrique de conserves, etc. peuvent ainsi se créer et se développer
apportant une amélioration aux conditions de vie des populations et assurant
en retour davantage de débouchés pour l'élevage.
334- Le projet du C.N.R. consistait en une intégration de l'élevage et de
l'agriculture, une intensification de la production, une diversification des
produits, l’organisation des professionnels du secteur de lélevage par le
biais de la Direction de la formation et de l’organisation du monde rural. Le
but était d’associer plus les agriculteurs et les éleveurs pour une action
commune dans le sens de la stimulation des productions. IL était prévu la
division de chaque village en quatre zones : une zone d’habitation, une zone
de culture, une zone d’élevage et une zone de forêt.
2- La production industrielle
À l’industrie (b) il convient d’associer le facteur de soutien à l’industrie :
l'énergie (a).
a) L'énergie
335- L'énergie est un facteur de soutien à la production. Aussi le C.NR.
accordait-il une importance particulière à ce secteur. Sous l’impulsion du
C.NR, la Société nationale burkinabè d'électricité (SO.NA.BÉL.) étendit
son réseau à d’autres villes de l’intérieur, De 1983 à 1987, dix-huit villes
furent électrifiées portant le nombre de villes ainsi équipées de quatre à
vingt-deux. En quatre ans le nombre de villes électrifiées s'était accru de
450%. L'objectif du C.N.R. était de parvenir à l’électrification générale du
pays en l’an 2000. C’est dans cette optique que s’inscrivaient les projets de
réalisation des barrages hydroélectriques de la Kompienga et de Bagré de
même que celui de Noumbiel qui était en étude. Le projet de barrage de
Noumbiel est prévu sur le fleuve Mouhoun (ex-Volta noire) qui prend sa
source au Burkina, traverse le Ghana et se jette dans l'océan atlantique, ali-
mentant au passage le barrage hydroélectrique d’Akossombo au Ghana. La
réalisation de ce barrage pourrait donc affecter celui d’Akossombo. Le Gha-
na s’était donc opposé au projet. Les bons rapports de voisinage et la solida-
rité révolutionnaire qui prévalait entre les Révolutions ghanéenne et burki-
nabè avaient permis de surmonter les incompréhensions et le Ghana s’était

221
Thomas SANKARA et In Révolution au Burkina Faso
nce de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

même engagé à soutenir le Burkina dans la réalisation des barrages de Bagré


et de Noumbiel.
336- La construction de nouvelles centrales électriques ne doit pas faire
oublier un facteur important qui est l’entretien. Des études menées par la
Banque mondiale montrent que le coût engagé pour économiser un kilowatt
d'électricité en améliorant le réseau de distribution ne représente parfois
qu’un tiers du coût engagé pour produire un kilowatt supplémentaire à partir
d’une nouvelle centrale**. De l'énergie pourrait également être économisée
par des techniques simples. Dans la plupart des cas, la cuisson se fait sur un
foyer ouvert, entre trois pierres. De cette façon, 90% de l'énergie produite
s’en vont en fumée. Il suffirait de construire des fours pour que la perte
d'énergie diminue des deux tiers ou plus. Comme le fait remarquer E. Pisa-
ni, avec le coût d’un barrage, on peut réaliser cinq millions de foyers et les
foyersrs peuvent économiser dix fois plus d'énergie que le barrage n’en pro-
duira“®, Le C.N.R. avait entrepris une vaste campagne de vulgarisation de
foyers améliorés et 750 000 équipements de ce type furent diffusés au cours
du P.Q.D.P. 1986-1990. La création de la Société nationale burkinabë des
hydrocarbures (SO.NA.B.HY) bermit l’approvisionnement des consomma-
teurs à moindre frais par l’appel à la concurrence et de garantir aussi la stabi-
lité des prix. Le gaz fut subventionné et une vaste campagne fut menée pour
sa vulgarisation.
b) L'industrie
Il convient de distinguer l’industrie extractive (b-1) de l’industrie manu-
facturière (b-2).
b-1) L'industrie extractive
337- Depuis la découverte en 1959 dans la partie nord du pays du gise-
ment de manganèse de Tambao dont les réserves sont estimées à près de
vingt millions de tonnes, la région a toujours été au centre de la politique
industrielle des régimes qui se sont succédé ; d’autant plus que, non loin,
à Tin Hrassan, a également été découvert du calcaire à ciment. Pour leur
exploitation, un projet de construction d’une ligne de chemin de fer de

#% Cf. Warren C. Baum, Stokes M. Tolbert, Investir dans le développement - Les leçons
de l’expérience de la Banque mondiale, Paris, Economica, 1987, p. 179.
## Edgard Pisani, La main et l'outil - Le développement du Tiers Monde et l’Europe,
Paris, Robert Laffont, 1984, p. 127-128.
222
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

350 km reliant Ouagadougou à Tambao a été conçu. Le régime du


C.M.R.PN. en avait donné le premier coup de pioche en octobre 1981
sans pouvoir réellement commencer les travaux. C’est la réalisation de ce
projet par le C.N.R. avec plus de détermination et de moyens qui était
connue sous le nom de “bataille du rail” (cf. n° 359). Dans l'attente de
l'exploitation des minerais de Tambao et de Tin Hrassan, l’industrie ex-
tractive se concentrait principalement sur la mine d’or de Poura. Avant
de reprendre en 1981 sous le régime du CM.R.PN., l'exploitation de la
mine qui avait commencé en 1960 avait été arrêtée en 1966 sous prétexte
de l’évolution négative des cours de l'or"®, I1 semble plutôt que les auto-
rités voltaïques de l’époque accusaient de pillage la société française qui
exploitait la mine. À l’exploitation de la mine de Poura s’ajoutait
l'exploitation de l’or par orpaillage dans le nord et le nord-est par le
moyen de sociétés mixtes constituées avec la Corée du Nord“!.
338- C’est un phénomène généralisé dans les pays sous-développés de
concentrer les efforts de développement sur l’industrie extractive. Celle-
ci peut avoir un effet positif sur le développement car elle peut être un
prélude à l'implantation d’activités de transformation comme c'était le
cas en Europe au XIX° siècle. Mais l’exploitation extractive dans les pays
sous-développés d’aujourd’hui ne se fait pas dans les mêmes conditions, X
car elle sert davantage à l'alimentation des industries localisées dans les
pays développés. 11 en résulte que non seulement elle entrave le dévelop-
pement de l’industrie manufacturière, mais elle peut même constituer un
frein au développement. Edgar Pisani estime que l’industrie extractive
attire à elle en surnombre des travailleurs venant de la campagne et ag-
grave la tendance à l’exode rural. Elle crée des services peu utiles qui
s’agglutinent dans des urbanisations spontanées et inorganisées. Elle ren-
chérit le coût de la vie. Alors devant les dangers d’explosion sociale, Les
autorités publiques et les compagnies ont tendance à créer des barrières
de
## Pour l'exploitation de la mine de Poura, il avait été créée la Société des mines
Poura (S.M.P.) Elle fut remplacée en 1973 par la Société de recherche et d’exploitation
à la x
minière (SO.RE.MI.) qui, sous la Révolution devint la SO.RE.MI.B. La production
SO.RE.MLB. a été inaugurée le 18 octobre 1984 par le président Sankara. x
1 De nos jours, une dizaine de mines d’or sont exploitées industriellement. Le Burkina
est ainsi devenu le quatrième producteur d’or africain après l'Afrique du Sud, le Ghana
et le Mali. En 2014, la production était de plus de 42 tonnes d’or.
223
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBÉLA

artificielles entre la mine et son environnement, entre l’exploitation et la


nation. Prenant l'exemple de la région cuprifère de Zambie le “copper-
belt”, E. Pisani trouve que le progrès escompté s’est figé à cause de Ja
dépression du cours du cuivre et parce qu’il n’y a pas eu diffusion des
bénéfices ou progrès, mais développement isolé des zones d'exploitation.
En outre, le personnel d’encadrement et de direction, des Européens pour
la plupart, qui constitue le dixième des effectifs, absorbait plus de la moi-
tié de la masse salariale totale*®?.
339- Dans les pays sous-développés, quand elle existe, l’industrie ex-
tractive entretient souvent l'illusion du progrès et ne permet pas de ce fait
de poser le problème d’une stratégie cohérente de développement. Elle
attire à elle les populations des campagnes qui abandonnent les cultures
vivrières. Elle est une solution de facilité et accroît doublement la dépen-
dance vis-à-vis de l'extérieur : dépendance alimentaire et dépendance à
l'égard du marché des produits de base. En Zambie par exemple la dé-
pendance à l'égard de la production minière a atteint des chiffres ex-
trêmes soit 96,2% du montant total des exportations en 1977-1978. Les
aléas des prix du cuivre et une gestion douteuse ont contribué à la baisse
de 24% du P.[.B. par habitant entre 1974 et 1982, lequel à cette date était
inférieur à celui de 1965%*. Dans le cas d'une évolution négative des
prix, les conséquences sont importantes. Au prix de septembre 1986,
70% des capacités minières de la Bolivie n'étaient pas rentables. Con-
frontés à une chute des cours, les pays sous-développés adoptent des
comportements qui aggravent leur situation. Ils ont tendance à augmenter
leur production, ce qui contribue à faire baisser les cours à nouveau.
L'explication réside dans la nécessité d’assurer le maintien du niveau de
leurs recettes d’exportation.
340- L'industrie extractive comporte aussi d’autres inconvénients. En
attirant à elle une forte proportion de la main-d’œuvre qualifiée qui existe
en nombre restreint dans les pays sous-développés, l'exploitation des
mines limite les possibilités des autres secteurs dans le recrutement d’une

#2 Cf.E. Pisani, La main et l’outil …, op. cit. p. 107-108.


#3 Cf Charles Leben, “Les investissements miniers internationaux dans les pays en
développement : réflexion sur la décennie écoulée (1976-1986)", Journal du droit inter-
national, Paris, 1986, p. 921.
224
‘À
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

telle main-d'œuvre. Il en est de même pour ce qui concerne les capitaux,


dans la mesure où des capitaux locaux sont investis dans ces entreprises.
Les dépôts miniers et pétrolifères sont des biens non renouvelables. Dans
cette optique, comme le fait remarquer P. Bairoch, « l'exploitation pré-
maturée des sièges les plus rentables, dont la production est exportée,
peut dix à quinze ans plus tard handicaper fortement le pays en question
au moment où celui-ci aurait réuni les conditions nécessaires pour valo-
riser ses propres matières et ses capitaux 44, Toutefois, cet aspect du
problème doit être considéré avec prudence. Il est possible que dans le
futur certaines matières premières perdent beaucoup de leur valeur. Déjà
les besoins en aluminium baissent à cause du recyclage ; le manganèse
est de moins en moins nécessaire à cause de la fermeture des industries
sidérurgiques. Les besoins en fer sont en baisse parce qu’il y a des pro-
duits de substitution. La baisse du prix de revient de l'énergie nucléaire,
le développement de l’énergie solaire et la mise au point d’automobiles à
traction électrique vont sans doute contribuer à réduire de façon substan-
tielle l’utilité économique des réserves pétrolifères. Il convient de tenir
compte également de l’expansion probable des disponibilités dans les
pays développés et des ressources des fonds marins. P. Bairoch résume
cette situation en faisant remarquer que « la marge existant entre le dan-
ger d’une exploitation prématurée - compromettant les chances futures
d’une industrialisation plus aisée - et celui d'une attente - impliquant le
risque d'une réduction sérieuse de la valeur économique des gisements -
est très étroite et difficile à déterminer", »
b-2) L'industrie manufacturière
341- Jusqu'à une époque récente, pour les pays sous-développés, déve-
loppement était synonyme d’industrialisation. Puisqu’il fallait
s’industrialiser pour se développer, il fallait y aller avec autant de
moyens que possible. C’est dans ce contexte que la grande industrie et
l’industrie lourde ont été perçues comme un raccourci pour le dévelop-
pement. L'objectif des pays sous-développés était de combler au plus tôt
leur retard. Ils étaient encouragés par l’U.R.S.S. qui, se référant à son

#4 paul Bairoch, Diagnostic de l’évolution économique du Tiers-Monde 1900-1968, 3°


édition revue et augmentée, Paris, Gauthier-Villars Éditeur, 1969, p. 82.
#8 Ibid. p. 84.
225
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBÈLA

propre exemple, soutenait que l’économie nationale des pays libérés de-
vait avoir des muscles d’acier et un cœur électrique puissant. Le besoin
d’industrialisation a été réaffirmé en avril 1980 à Lagos lors du premier
sommet économique de l'Organisation de l’unité africaine (O.U.A.)
342- Il apparaît maintenant de plus en plus que la priorité à la grande
industrie et à l’industrie lourde est inadaptée aux réalités des pays sous-
développés. La capacité d'absorption des pays sous-développés en pro-
duits de l’industrie lourde est relativement limitée. L'extension des capa-
cités de production au-delà d’un certain seuil n’a de sens que si les excé-
dents peuvent être exportés. Après deux plans quadriennaux
d’industrialisation accélérée, l'Algérie des années 1980 cherchait main-
tenant des gains de productivités dans l’éclatement en petites unités des
grands complexes de production précédemment créés“, Aucune compa-
raison n’est possible avec le processus d’industrialisation de l’Europe.
Comme le note J. Ki-Zerbo, « au moment où les pays européens entre-
prenaient leur industrialisation, au XIX° siècle, leur croissance démo-
graphique annuelle était de 1%, contre 2,5 à 3% aujourd'hui en Afrique.
En outre, ils bénéficiaient du pillage planétaire par la traite des Noirs et
la colonisation. Leur exode rural était induit par l'industrialisation au
lieu de précéder celle-ci. Les multinationales telles que celles qui domi-
nent aujourd'hui les pays retardés n'existaient pas"?. »
343- Pour fixer ses rapports avec le secteur privé et les capitaux étran-
gers, le C.N.R. adopta un nouveau code des investissements", Les béné-
ficiaires d’un régime privilégié étaient tenus de tenir leur comptabilité au
Burkina, de s’approvisionner par priorité en matières premières, matières
consommables et produits finis et semi-finis d’origine burkinabè,
d’employer en priorité les nationaux, de mettre en œuvre des procédés et
appareils techniques de lutte contre la pollution, etc. Le C.N.R. s'était

#46 Cf. Daniel Pineye, “Les relations économiques de l'U.R.S.S. avec l'Afrique septen-
trionale”, Problèmes économiques, n° 1701, Paris, 10 décembre 1980, p. 16.
#47 Joseph Ki-Zerbo, “Dynamiter la sémantique”, Afrique-Asie, n° 240, Paris, 25 mai
1981, p. 58.
48 Ordonnance n° 84-051/PRES/CNR du 7 août 1984 portant code des investissements
en République de Haute-Volta.

226
[| Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 9. KYÉLEM de TAMBÈLA

orienté vers la petite et moyenne industrie. Pour répondre aux besoins en


vélomoteurs, les autorités avaient négocié, à travers la Société indus-
trielle du Faso (S.L.FA.) dont le capital était détenu à 51% par l'État, la
construction d’une usine de montage de Yamaha V80. Le 19 février 1988
le premier vélomoteur Yamaha monté au Burkina sortait des chaînes de
montage de la S.LFA. à Bobo-Dioulasso. Dans le secteur de l’élevage
une deuxième unité de fabrication d’aliments pour le bétail fut construite,
et en 1985, était créée la Société burkinabè de manufacture du cuir
(S.B.M.C.) en remplacement du Centre de tannage. La S.B.M.C. exerçait
deux activités principales : le tannage des cuirs et peaux en semi-fini et
cuir fini et la confection d’articles en cuir et la pyrogravure. La société
pouvait faire le tannage de six cent mille peaux par an et avait pour ambi-
tion de parvenir dans un proche avenir à tanner toutes les peaux destinées
à l’exportation.
344- En rapport avec l’agriculture, de nouvelles usines d’égrenage de
coton furent installées. Les capacités de la société voltaïque des textiles
(VOL.TEX.) devenue Faso fani qui fabriquait des tissus à partir du coton
furent renforcées et la Société des fibres textiles (SO.FI.TEX.) qui con-
trôlait le marché et le commerce du coton vit s’accroître ses moyens. Il
avait aussi été mis en route une unité de production de lait à partir des
graines de soja, une usine de transformation qui fabriquait de la tomate
concentrée, une usine de fabrication de savonnettes à base de beurre de
Karité et une unité de production de jus de fruits (orange, mangue et ta-
marin) et de confiture.
345- Le C.N.R. avait en projet de procéder à la fabrication industrielle
du dolo, la bière locale à base de sorgho, et de le substituer à la bière de
houblon dont l'importation revenait trop chère. Cela devait également
avoir pour avantage d'encourager les paysans en offrant un nouveau dé-
bouché pour leur produit. Mais l'initiative rencontrait beaucoup
d’hostilité. Les Burkinabè sont réputés pour la consommation de la bière
que produisaient abondamment deux brasseries : les Brasseries du Burki-
na (BRAKINA) et la Société burkinabè de brasserie (SO.B.BRA.) Le
dolo est aussi abondamment consommé. La bière prédomine dans les
grands centres urbains et le dolo dans les centres ruraux. Bien que bon
nombre de Burkinabè passent fréquemment de l’un à l’autre, parfois sans
227
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Bur na Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBËLA

transition, beaucoup ne tenaient pas à ce que leurs habitudes de consom-


mation fussent perturbées par la suppression de la bière de houblon,
même si la qualité du dolo pouvait être améliorée.
346- Ceux qui s’opposaient au projet faisaient valoir que le Burkina
n'étant pas autosuffisant sur le plan alimentaire, l’utilisation du sorgho
dans la fabrication industrielle du dolo accroîtrait le déficit alimentaire,
Cet argument apparemment pertinent est pourtant assez léger. Il est vrai
que le Burkina n’était pas encore autosuffisant sur le plan alimentaire,
mais il est vrai aussi que le Burkina était déjà un grand producteur de
produits agricoles d'exportation comme le coton, le haricot vert,
l’arachide, le sésame. Tout est donc fonction de la politique agricole du
pays et de l’intérêt que le paysan retire en cultivant tel ou tel produit. Si,
par rapport au coton, autant de moyens avaient été investis dans la culture
des produits vivriers, le Burkina en aurait été autosuffisant depuis fort
longtemps. Sans l'orientation des paysans dans la culture du coton, orien-
tation qui fut d’abord forcée (cf. n° 123) puis largement encouragée par
la suite, on peut se demander si le problème du déficit alimentaire se se-
rait jamais posé au Burkina. Selon A. Grjebine, pendant les années de
sécheresse de 1972-1973, la production d’arachides destinée à
l'exportation a augmenté au Sénégal, en Gambie et au Tchad. Tandis que
les productions vivrières diminuaient, les cargos continuaient à quitter le
port de Dakar, chargés d’arachides, de coton, de légumes et de pois-
son“Ÿ, Il est donc évident que le paysan aura tendance à produire plus s’il
s’aperçoit que la demande de son produit augmente et qu’il peut l’écouler
à un prix intéressant. C’est ce que montre f’évolution de la production du
coton au Burkina.
347- Pour Thomas Sankara, ce qui importait c’était de ne plus avoir à
importer le houblon et d’encourager la production et l’industrie natio-
nales. En réponse à ceux qui s’opposaient à la fabrication industrielle du
dolo sous prétexte qu’elle aggraverait le déficit alimentaire, il répon-
dait : «La bière n'est pas une priorité. Qu'est-ce qu'on choisit, le mil
pour manger ou le mil pour boire ? Je crois qu'il faut d'abord nourrir
les gens. Ensuite on verra le sort de ceux qui veulent boire, Tous les Bur-

#9 Cf. André Grjebine, La nouvelle économie intemationale, 3° édition entièrement


révisée, Paris, Presses Universitaires de France, 1986, p. 150.
228
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

kinabè ne boivent pas la bière, mais tous les Burkinabè mangent chaque
jour. Il y aura de la bière premièrement à condition que les gens aient
fini de manger à leur faim, deuxièmement à condition que ce soit à partir
du mil du Burkina. Est-ce qu'un régime politique sérieux peut avoir
comme préoccupation principale le sort des buveurs de bière °°»
F) LA CONSOMMATION DE LA PRODUCTION NATIONALE
348- La politique économique du C.N.R. se fondait sur Le principe du
“consommer burkinabè”. Thomas Sankara l’expliquait en ces termes : «Sur
100F que l'on distribue au Burkina Faso sous forme salariale en ville, il
reste dans ce pays à peine 15F. Plus de 85% sont exportés. [...] Nous impor-
tons la plupart de nos matériaux de construction. Il n'y a que le sable, le
gravillon et les cailloux : encore que ces matériaux sont transportés à partir
de moyens que nous avons importés. Nos transports sont importés : voitures,
camions, pièces détachées, etc. Notre habillement est généralement importé.
Nos loisirs sont le plus souvent importés et notre alimentation est elle-même
importée.
Allons ! Nous avons l'impression que nous roulons pour les
autres. Il faudra que nous commencions à rouler pour nous-mêmes pour
rendre le Burkinabè plus heureux, pour résorber le chômage", » Dans
le sens du “consommer burkinabè” il avait été entrepris des mesures
d'incitation à la consommation des mets burkinabè dans les hôtels et les
restaurants. À la présidence du Faso, lors des cocktails offerts aux hôtes
de marque, ce sont les mets locaux qui étaient maintenant à l’honneur. La
conséquence directe fut que la gêne et les complexes disparurent et les
gens se mirent à consommer les mets traditionnels sans réserve. Depuis
ce temps, la confection des mets locaux n'a cessé de s’améliorer et ceux-
ci ne cessent de gagner du terrain jusqu’à s’imposer dans les réceptions
officielles et privées et dans le menu des grands hôtels.
349- C’est sur le fondement du “consommer burkinabè” que le 3 avril
1987, à la clôture de la deuxième Conférence nationale des C.DR., fut
prise par Sankara la décision d'interdire l'importation des fruits afin de
stimuler la production nationale. La mesure d'interdiction allait à

450 Cf. Jeune Afrique, n° 1401, Paris, 11 novembre 1987, p. 37.


#1 Cf. Sidwaya, n° 680-681, Ouagadougou, 2 janvier 1987, p. 6.
229
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

l'encontre de l’article 5 du Traité de la Communauté économique de


l'Afrique de l'Ouest (C.É.A.O.) qui préconisait la circulation sans restric-
tion quantitative à l’intérieur de la Communauté des marchandises origi.
naires des pays membres. La Côte d’Ivoire qui était directement touchée
par la mesure avait vivement protesté, oubliant qu’au lieu de s’en appro-
visionner dans son entourage, elle importait depuis longtemps de la
viande d'Europe, d'Amérique du Sud et de Nouvelle Zélande en viola-
tion des règles d’une autre organisation sous régionale, le Conseil éco-
nomique du bétail et de la viande (C.É.B.V.) qui avait été mis en place en
1970 dans le cadre du Conseil de l’Entente. La ministre du Budget
d’alors, Adèle Ouédraogo s’en était expliqué en ces termes : « Les produits
dont l'importation est interdite sont pour la plupart des biens qui existent en
abondance au Burkina. Il s'agit, par exemple, des fruits et légumes. La pro-
hibition de l'importation de ces produits vise essentiellement à développer
leur consommation intérieure, ce qui permet d'accroître les revenus de nos
paysans. Pourquoi importer des fruits alors qu'il en pourrit dans nos ré-
gions ? » Et d'ajouter : « Je ne crois pas à la probabilité de représailles. Si
au sein de la C.É.A.O, chaque pays s'occupait avant tout de consommer sa
production nationale, les échanges se développant sur la base des complé-
mentarités, je pense que nos économies en sortiraient fortifiées*?. » La dé-
cision du C.N.R. a plutôt interpellé les élites sur les méthodes et les moyens
de gouvernance. Peu”de temps après, le Togo emboîtait le pas. Un commu-
niqué du conseil des ministres du 14 septembre 1989 annonçait l'interdiction
de l’importation de viande de bétail et de volaille afin de stimuler la produc-
tion nationale. La mesure d’interdiction frappait la viande de bœuf, de mou-
ton, de porc et la volaille"?
350- Pour encourager la culture du coton et sa transformation sur place
en partie par la fabrication artisanale de tissus, sur proposition du mi-
nistre de la Culture, le conseil des ministres du 12 novembre 1986 insti-
tua pour compter du 1% janvier 1987, pour les membres du gouverne-
ment, les présidents d’institution, les secrétaires généraux, les directeurs
et chefs de service, le port dans les services et pendant les cérémonies
officielles de vêtements faits avec les tissus fabriqués artisanalement. En

“#2 Cf. Jeune Afrique, n° 1387, Paris, 5 août 1987, p. 76 et 78.


453 Cf. Marchés Tropicaux, n° 2289, Paris, 22 septembre 1989, p. 2722.
230
Thomas SANKARA et Ja Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

langue dioula ils sont connus sous le nom de Faso dan fani (F.D.F.)
c’est-à-dire vêtement fait à la main. Selon le communiqué du conseil des
ministres du même jour, « Porter les tenues burkinabè c'est aussi une
action de lutte économique pour la défense de notre production nationale
de coton face à la concurrence déloyale qui nous est imposée de
l'extérieur. Acheter et s'habiller avec les tissus venus de l'extérieur, c'est
contribuer au fonctionnement rentable des usines des autres, c'est aider
les autres à donner du travail à leurs chômeurs en entretenant le chô-
mage chez nous. C'est alimenter les tensions sociales chez soi en les évi-
tant pour les autres. » Pour donner l’exemple, Sankara se mit lui-même à
porter rien que du faso dan fani et le fit adopter par l’armée.
351- Le port du faso dan fani était recommandé uniquement aux pre-
miers responsables de l’État et aux responsables des C.D.R. et seulement
dans les services et pendant les cérémonies officielles. 11 semblait normal
que l’exemple vint des premiers serviteurs du régime ; avec le phéno-
mène naturel et courant d'imitation du sommet par la base, leur compor-
tement pouvait avoir un effet d’entraînement. Bien que la mesure fût ain-
si circonscrite, elle rencontra beaucoup d’hostilité de la part des per-
sonnes concernées. Il était reproché au faso dan fani d’être peu esthé-
tique, ce qui était vrai mais seulement en partie. Tout dépend des élé-
ments de comparaison, car certains tissus /aso dan fani était bien plus N
beaux que des tissus importés. L’hostilité au faso dan fani semblait plutôt
venir de sa fonction d’uniformisation sociale : dans les services et dans
les cérémonies officielles il devenait difficile de se faire distinguer par la
tenue vestimentaire ; de même le faso dan fani faisait que le ministre ou
le haut fonctionnaire se présentait en public presque comme n’importe
quel citoyen, fut-il un simple paysan.
Pour accroître l'impact du faso dan fani, il fut ensuite simplement
demandé, sans aucune contrainte formelle, aux journalistes de la télévi-
sion, de se présenter sur le plateau, habillés en faso dan fani.
352- Pour saisir l'importance de la mesure sur le port du jaso dan fani,
il convient de rappeler que chaque année, pendant que les produits tex-
tiles nationaux traînaient sur les places des marchés, les importations de
tissus s’élevaient à environ neuf milliards de francs C.F.A., sans oublier
que l’État subissait à l’époque les effets de la chute des prix et de la mé-
231
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

vente du coton pour cause de surproduction nationale et régionale. En


peu de temps, la mesure sur le port du jaso dan fani avait déjà eu des
effets d'encouragement certains. Des opérateurs économiques avaient
déjà commencé à en exporter dans les pays voisins. Le fäso dan fani
avait donné naissance à un circuit économique autonome. Jl constitue,
entre autres, la preuve de la possibilité d’un développement autocentré,
même dans un petit pays sous-développé comme le Burkina. Sankara
racontait qu’un jour une femme qui vivait des produits du coton était
venue le trouver pour lui dire : « Camarade président, depuis que vous
parlez de révolution, je ne me sentais pas concernée ; maïs, depuis que
vous avez instauré le port du faso dan fani, je me sens concernée.
Chaque mois je gagne maintenant plus de quarante-cinq mille francs. »
Ce qui n’était pas négligeable quand on sait que le salaire minimum tour-
nait autour de vingt mille francs.
G) LA PROTECTION DE LA PRODUCTION NATIONALE
353- En optant clairement pour le “consommer burkinabè”, Sankara
fondait sa politique économique sur le protectionnisme et non sur le
libre-échange. Il estimait en effet que les importations « en résorbant le
chômage des autres, contribuent à résoudre leur crises sociales, à enri-
chir leurs capitalistes, à renforcer objectivement des pouvoirs qui ne
daignent même pas nous témoigner leurs recomnaissances%. » L'option
protectionniste de Sankara fut vivement combattue par ses détracteurs de
tous horizons. Pourtant l’histoire des faits économiques nous apprend que
tous les pays actuellement développés, à commencer par le premier
d’entre eux, les Etats-Unis, ont d’abord mené une politique de dévelop-
pement autocentré et adopté des mesures protectionnistes rigoureuses
pour développer leur économie.
354- Les États-Unis ont pratiqué le protectionnisme dès le début de la
fédération. Dans son message d'adieu, Georges Washington, premier
président, préconisait que les Etats-Unis devaient suivre une route soli-
taire. En 1837 Emerson proclamait : « Nous avons écouté les muses raffi-
nées de l'Europe pendant trop longtemps. Nous marcherons avec nos
propres pieds, nous travaillerons avec nos propres mains, nous parlerons

4 Cf, Sidwaya, n° 576, Ouagadougou, 5-6 août 1986, p. 3.


232
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA

selon nos propres convictions", » Le général victorieux Ulysses Grant


qui a reçu la reddition du général sudiste Robert Lee, devint peu après la

x
guerre de sécession, président des Etats-Unis. Il déclara alors : « Pendant
des siècles l'Angleterre a pratiqué le protectionnisme, elle l'a poussé à
l'extrême et en a obtenu des résultats satisfaisants. Il ne fait pas de doute
qu'elle doit sa force actuelle à ce système. Depuis deux siècles, elle a
jugé profitable d'adopter le libre-échange, car elle pense que le protec-
tionnisme ne peut plus rien lui apporter. Alors, très bien, messieurs, la
connaissance que j'ai de mon pays me porte à croire que dans deux cents
ans, lorsque l'Amérique aura tiré du protectionnisme tout ce qu'il peut
lui offrir, elle adoptera également le libre-échange". »
355- Joignant la pratique à la théorie, par tous les moyens, les Etats-Unis
ont encouragé l’éclosion et le développement d’une industrie nationale puis-
sante et protégée. Ainsi le Massachusetts subventionnait les producteurs de
chanvre pour les cordes et les cordages et encourageait la fabrication locale
des voiles. De cette façon, des chantiers prospères s’installèrent tout au long
des côtes. On stimulait la culture du lin et la production de la laine et comme
les encouragements à la production textile paraissaient ne pas donner de résul-
tats suffisants, la contrainte fut instituée. En 1655 déjà, une loi menaçait
chaque famille de sanctions graves si elle ne comptait pas au moins un fileur
en activité assurant une production intense. En Virginie chaque comté était
obligé de désigner des enfants aptes à l’apprentissage dans l’industrie textile.
L’exportation des cuirs était interdite : ils devaient être transformés localement
en bottes, en courroies, en harnais, En 1890 le Congrès vota le tarif McKinley,
ultra protectionniste et en 1897, la loi Dingley releva les droits de douane "7.
C’est seulement à partir de la Seconde guerre mondiale que les Etats-Unis
commencèrent à prôner la doctrine du libre-échange, de la liberté commer-
ciale et de la libre concurrence, mais pour la consommation extérieure. Leur
objectif est d’obtenir l’ouverture des marchés des autres pour leurs produits ;
leur politique économique restant rigoureusement protectionniste.

#55 Cf. Eduardo Galeano, Les veines ouvertes de l’Amérique latine - Une contre histoire,
Paris, Plon, 1981, p. 280.
#56 Cf. André Gunder Frank, Capitalism and Underdevelopment in Latin America, New
York, 1967. Cité par E. Galeano, op. cit. p. 277.
#7 C£.E. Galeano, op. cit., p. 278 et 281.
233
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

356- Au XIX° siècle, face à la domination industrielle de la Grande.


Bretagne, l’Allemand Friedrich List préconisait en 1841 le protection.
nisme pour son pays afin que celui-ci pût développer une industrie natio.
nale sans qu’elle fût balayée par la concurrence britannique. Tous les
pays qui ont atteint des niveaux avancés de développement économique
ont suivi des politiques protectionnistes. Par contre, tous les pays hors
d'Europe qui avaient au XIX° et au XX° siècle des régimes douaniers
libéraux sont aujourd’hui des pays sous-développés. Le libre-échange qui
a été pratiqué en Inde à partir de 1813 avec l’abolition du monopole de la
Compagnie des Indes a permis une rapide expansion des importations en
provenance du Royaume-Uni, lesquelles ont écrasé les industries locales,
notamment dans le domaine textile. Une politique protectionniste est
indispensable au développement. Dans un rapport de 1999 le Programme
des Nations Unies pour te développement (P.N.U.D.} se montre très cri-
tique à l’égard des politiques économiques libérales que la Banque mon-
diale et le Fonds monétaire international (F.M.I.) encouragent en Afrique.
Selon le P.N.UD. ces politiques n’ont pas abouti à une réduction de la
pauvreté. Il préconise donc la protection des industries naissantes et
l'adoption de politiques industrielles favorisant les compétences des en-
treprises locales.
H) LE SECTEUR DES TRANSPORTS
357- C’est principalement à l'État qu’il revient de développer les in-
frastructures de base, surtout parce que leur période de gestation et
d’amortissement est généralement longue. Il est peu probable qu’un ré-
seau ferroviaire produise des résultats dans les premières années qui sui-
vent le début de sa construction. Par contre, à longue échéance il sera
rentable. En outre, dans ce genre d’investissement, les dépenses doivent
généralement être soldées en une seule fois : ou bien on construit la voie
ferrée ou la route de A à B ou bien on ne la construit pas. Une ligne de
chemin de fer ou une route incomplète n’a qu’une utilité limitée, alors
que dans l’industrie comme dans l’agriculture, des investissements peu-
vent être rentables même s’ils se réalisent progressivement. Pour ces rai-
sons, les entrepreneurs privés s'intéressent rarement à ces formes
d'investissement ; et cela d’autant plus que les bénéfices qui en découlent

234
a ——

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

profitent souvent à l’ensemble de la collectivité et pas uniquement aux


entrepreneurs qui ont pris les risques.
358- Dans le cadre des festivités du premier anniversaire de la Révolution,
le 3 août 1984 le C.N.R. procédait à la mise en circulation à Ouagadougou
des premiers autobus de transport en commun pour les transports urbains et
interurbains. Une société d'État dénommée Régie nationale des transports en
commun X9 (R-N.T.C./X9) *°? fut mise en place pour en assurer la gestion.
La réalisation du projet fut possible grâce à la signature le 1 mars 1984
d’un accord avec la firme indienne Tata Exports Limited aux termes duquel
soixante autobus furent livrés au Burkina, permettant ainsi de mettre en
place le transport en commun à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso et
| d’assurer des liaisons interurbaines. Après la chute du premier président
| Maurice Yaméogo, le régime du président Lamizana qui lui a succédé avait
envisagé la mise en place d’un système de transport urbain mais avait dû y
renoncer face aux difficultés financières.
359. Dans le domaine des transports terrestres, c’est la “bataille du
rail” lancée le 1* février 1985 qui a prédominé dans la politique du
C.NR. Il s’agissait de construire une ligne de chemin de fer de 350 km
pour relier Ouagadougou aux mines de manganèse de Tambao dans le
nord. Le projet n’avait pas reçu un accueil favorable des bailleurs de
fonds internationaux parce que, vu que le cours du manganèse n'était pas
suffisamment élevé, le chemin de fer avait été jugé non rentable. Pour le
C.NR. qui y tenait, si le chemin de fer était prévu pour l’évacuation du
manganèse, il était aussi destiné à désenclaver la région, et rien qu’à ce
titre, le projet devait être réalisé, s’il le fallait, uniquement par des res-
sources nationales. Sur le projet, l’ancien président Lamizana s'était ex-
primé en ces termes : « Dès 1968, j'avais pensé à une “bataille du rail”.
Mais nos partenaires extérieurs nous ont laissés tomber : il y avait trop

“$ Cf Whalt Whitman Rostow, Les étapes de la croissance économique, Paris, Seuil,


1963, p. 45.
#% La société a maintenant disparu. Elle a d’abord été remplacée par la Société des
transports de Ouagadougou (SO.TRA.O.) et maintenant par la Société des transports de
la commune de Ouagadougou (SO.TRA.C.O.) Certains ont prétendu que X9 signifiait
“promotion polytechnique 1969”. Philippe Ouédraogo qui était à l’époque ministre de
l'Équipement, des Transports et des Communications étant un ancien polytechnicien de
la promotion 1969.
235
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

de manganèse dans le monde, me disait-on, et celui du Burkina


n'intéressait personne. Thomas Sankara a le mérite d'avoir reconsidéré
le problème et pris le taureau par les cornes"®. »; Sous l'impulsion de
Thomas Sankara, la ligne de chemin de fer fut prolongée d’une centaine
de kilomètres jusqu’à la ville de Kaya“!. Après l'assassinat de Sankara le
projet fut abandonné et fa partie construite est maintenant en pleine dé-
sintégrationt®.
360- Dans le domaine des transports aériens, en association avec la com-
pagnie aérienne française Le Point, le C.N.R. avait acheté un bœing qui
avait reçu le nom de Naganagani et qui était employé comme cargo pour le
transport des marchandises. Des accords furent signés avec Air Algérie et
Aéroflof® qui desservaient l’aéroport de Ouagadougou et constituaient une
concurrence stimulante pour les compagnies traditionnelles qui étaient Air
Afrique et U.T.A. (Union des transports aériens). Le vol inaugural de 4éro-
flot eut lieu le 4 novembre 1983. Un aérodrome de brousse fut construit à
Orodara pour l’évacuation des fruits de la région qui en regorgeait, vers le
centre et surtout le nord du pays qui en manquaient cruellement. Des crédits
furent négociés pour l’agrandissement et la modernisation de l'aéroport de
Ouagadougou. La piste de l’aérodrome de Bobo-Dioulasso fut reconstruite
et prolongée et la construction d’une aérogare était en projet.

D CONCLUSION
361- Le bilan partiel de la politique économique du C.N.R. a été fait
par la Banque mondiale qui, dans un rapport du 5 décembre 1989%5* note
que sous le C.NR., l’agriculture a enregistré un taux de croissance

4 Cf. A. Sennen, Sankara le rebelle, op. cit. p. 166-167.


#1 La population, soit individuellement, soit à travers les structures d’encadrement,
participait au financement et aux travaux en fonction des compétences et des capacités
de chacun.
2 I] est maintenant de plus en plus question de restaurer la ligne et de la prolonger
jusqu’à Tambao puis à Niamey au Niger. C’est une société française, Bolloré Africa
Logistics (B.A.L.), devenue Bolloré Transport & Logistics (B.T.L.} qui a été retenue
pour les travaux.
63 Aéroflor était une compagnie aérienne de l’ex-U.R.S.
#% Cf. Banque mondiale, “ Burkina Faso, mémorandum économique, Bureau régional
pour l'Afrique, Département du Sahel”, Rapport n° 7594 - Bur, 5 décembre 1989.
236
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
à trois fac-
moyen de la valeur ajoutée de 7,1% par an dû essentiellement
en valeur
teurs qui sont : l'augmentation des surfaces cultivées, la mise
sud-est et les progrès
de nouvelles terres dans les régions du sud et du
secteur
technologiques dans la culture du coton. Le rapport note que le
an, croissance
public a aussi connu une croissance de l’ordre de 5,8% par
au
confortée par une stabilisation des dépenses budgétaires rapportées
Cot écri-
P.1.B.%% Sur la gestion politique et économique du C.NR., J.-P.
vait en 1986 : « Dans nombre de cas, l'idéologie brandie camoufle une
par une
politique de confiscation du pouvoir politique ef économique
nque bénéfice
bourgeoisie militaire sans qu'on puisse déceler un quelco
s exploités
pour la condition des rares ouvriers ou des nombreux paysan
par le système.
ie
Sur ce point, le Burkina Faso semble faire exception. La modest
la
du train de vie de la classe dirigeante, la vigueur de la lutte contre
une vo-
corruption, l'option en faveur du développement rural indiquent
et pour
lonté démocratique de mise en place d'une société par le peuple
s,
le peuple. Le fait est suffisamment original pour être signalé. L'acqui
, sur le lot
fragile, ne sera pas facile à consolider. Il tranche, pour l'heure
des régimes « progressistes.»
362- Selon le rapport de la Banque mondiale, sous le C.N.R., les per-
satisfai-
formances économiques du Burkina étaient dans l’ensemble

santes. Le Burkina a été l’un des rares pays d’Afrique sub-saharienne
au
le taux de croissance (environ 4,3% par an) a été nettement supérieur
également
taux de croissance démographique (environ 3,3%). Il convient
ncé à
de noter qu’alors que le Produit intérieur brut (P.LB.) avait comme
la tendance s’est inversée sous le C.N.R. En
baisser d’année en année,
le taux
1985 il a connu une croissance en termes réels de 9,1%. En 1986
prix des
d'inflation était négatif (-4,7%) dû en partie aux baisses des
nt
loyers, des frais d’inscription dans les établissements d’enseigneme
privés, des prix des articles scolaires, du coût des transports avec la créa-

Tropicaux,
465 CE. René Otayek, “Burkina Faso : Les raisons d'une victoire”, Marchés
Les politiqu es économi ques du
n° 2438, Paris, 31 juillet 1992, p. 2036-2037 ; P. Zagré,
Burkina o, op. cit., p. 167-170.
#66 Jean-Pierre Cot, Préface à P. Englebert, La Révolution burkinabè, op. cit., p. 6.
237
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
ce de développenient autocentré
ed. KVÉLEM de TAMBËLA

tion de la régie des transports A9 et aussi à la baisse des prix de vente aux
consommateurs des produits alimentaires de base.
Ill- La politique sociale du C.N.R.
La politique sociale du C.N.R. a concerné la culture (A), l'éducation (B),
la santé (C), l'urbanisme et le logement (D), la promotion de la femme
E), la promotion de l'emploi (F), la lutte contre la mendicité (G), et la
promotion du sport (H).
A) LA CULTURE
363- La culture est un domaine sensible. Elle est le socle de toute so-
ciété. Elle est ce que chaque société a produit comme moyen de résis-
tance, d’adaptation et d’évolution par rapport à son propre contexte histo-
rique et environnemental et aussi comme moyen d’explication de la
complexité de son environnement. Elle est l’émanation de la somme des
expériences vécues par la société et elle en constitue le fondement et
l'identité. Ce qui concerne une société doit se faire à partir de sa culture.
Il est donc difficile d'entreprendre une politique de développement sans
tenir compte de la culture. Pour faire de la culture un levier du dévelop-
pement (3), le C.N.R. a voulu remettre en cause les formes de pensée (1)
tout en cherchant à promouvoir une culture authentique, en évitant le
piège du chauvinisme culturel (2).
1- La remise en cause des formes de pensée
364- Dans un monde caractérisé par une domination économique et
culturelle de l'Occident, les populations des pays sous-développés éprou-
vent des difficultés à conserver leur identité. Tiraillées entre les réfé-
rences à la tradition évanescente et la culture étrangère qui s’impose par
tous les moyens et s’appuie sur leurs dirigeants qui s'appliquent à un
mimétisme parfois ridicule de l'Occident, ces populations, dans une
désespérante confusion mentale, en dernier ressort, s’abandonnent aux
normes de la culture étrangère. Après tout, la tradition dont les témoins
disparaissent au fur et à mesure, relève elle-même d’un passé auquel les
jeunes, surtout des villes, ne se sentent pas toujours concernés, alors que
la culture étrangère est omniprésente. En l'absence de la part des diri-
geants d’une confiance en eux-mêmes et d’un dynamisme créateur,
238
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

l’occasion de trouver une voie originale pour chaque peuple basée sur la x
tradition et l'ouverture aux autres civilisations a été manquée dans la plu- x
paït des pays sous-développés,et surtout dans les pays d’Afrique noire. X
Chaque jour les normes étrangères prennent davantage de place dans la
vie des peuples dominés qui, de plus en plus, s’identifient à elles, les in-
tériorisent pour les sécréter ensuite comme si elles provenaient d’eux-
mêmes“. Dans ces conditions, pour qu’un peuple dominé se mettent à
travailler pour lui-même, il devrait d’abord prendre conscience de son
aliénation, du fait que ses aspirations profondes, loin d’être dans les mi-
roirs aux alouettes véhiculés par les éléments de la culture étrangère, sont
parfois simples et à sa portée et que ses intérêts ne sont pas toujours en
harmonie avec les attraits de la civilisation dominante. Il devrait réap-
prendre à penser de lui-même et pour lui-même.
365- Dès le lendemain de son accession au pouvoir, Sankara avait af-
firmé que sa principale préoccupation était de transformer la façon d’être
et de penser des Burkinabë*%, C’est pour contribuer à décoloniser et libé-
rer les mentalités que le 4 août 1984, à l’occasion du premier anniversaire
de la Révolution, le nom du pays a été changé". À ce sujet Sankara
s’explique : « le nom Haute-Volta ne répondait ni à des critères géogra-
phiques ni à des critères sociologiques ou culturels”. » À l’intérieur du

#7 En 1377, Ibn Kaïldoun écrivait : « Les vaincus veulent toujours imiter le vainqueur
dans ses traits distinctifs, dans son vêtement, sa profession ef toutes ses conditions
d'existence et de coutumes. La raison en est que l'âme voit toujours la perfection dans
l'individu qui occupe le rang supérieur et auquel elle est subordonnée. Elle le considère
comme parfait, soit parce que le respect qu'elle éprouve [pour lui] lui fait impression,
ou parce qu'elle suppose faussement que sa propre subordination n'est pas une suite
habituelle de la défaite, mais résulte de la perfection du vainqueur.
Si cette fausse supposition se fixe dans l'âme, elle devient une croyance ferme.
L'âme alors, adopte toutes les manières du vainqueur et s'assimile à lui. » Cf. Francis Hallé,
Un monde sans hiver — Les tropiques, nature et sociétés, Paris, Seuil, 1993, p. 281.
#% Dans son Discours programme du 1* mai 1981, Saye Zerbo déclarait déjà : « C’est
pourquoi, en fout premier lieu, s'impose la décolonisation de nos mentalités longtemps
acquises à l’idée de la “pauvreté presque irréversible de la Haute-Volta” que d'aucuns
se plaisent à accréditer. » Op. cit. p. 9.
%? Cf. Ordonnance n° 84-043/CNR/PRES portant changement d’appellation et symbole
de la nation.
#70 C’est de l’époque des explorations portugaises que viendrait le nom Haute-Volta.
Arrivés sur les côtes de l’actuel Ghana, les Portugais auraient entrepris de remonter un
239
Thomas SANKARA et [a Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÉLA

pays le changement de nom a été critiqué, parfois vivement, surtout par


le P.C.R.V. qui, jusqu’à ce jour s’appelle toujours Parti communiste ré.
volutionnaire voltaïque. 11 a été reproché au C.N.R. d’avoir effectué une
opération folklorique sans importance et coûteuse. Plus de vingt ans
après l’accession du pays à la souveraineté, le changement de nom du
pays serait simplement anachronique. À lextérieur, la principale critique
est venue de L.S. Senghor, ancien président du Sénégal, qui était alors
membre de l’Académie française. Un an après le changement de nom,
celui-ci écrivait : « Comme on le sait, le capitaine Thomas Sankara,
avant réussi son coup d'État l'autre année, s'est dépêché de remplacer le
nom de Haute-Volta par celui plus africain de Burkina Faso.
L'intention était louable. Mais voilà que le nouveau chef d'État, qui est
très intelligent, mais pas linguiste ni même grammairien, donne à son
Pays un adjectif: burkinabé (au lieu de burkinais). Or cette création, de
toute évidence, n'obéit pas aux règles de la grammaire française. [...] Je
dirai, en conclusion, que refuser de franciser les adjectifs, comme les
substantifs au demeurant, c'est faire un complexe d'infériorité. On aura
tout vai « »
366- Si la critique de Senghor a de la pertinence, celui-ci néanmoins
était resté prisonnier de sa propre logique. Il eut suffit qu’il s’en écartät
un peu pour remarquer que le C.N.R dont l’un des objectifs était de déco-
loniser les mentalités n’avait pas cherché et n'avait pas voulu se servir
des règles de la grammaire française car cela eut été tout aussi aliénant.
Burkinais que propose Senghor est aussi étranger aux habitants du Bur-
kina que voltaïque, Senghor n'avait pas saisi les motivations du change-
ment. D'ailleurs, se référant à la langue sérère de son village natal, il
constatait que les Sérères disent © Faranse oxe et Faranse we pour le

fleuve pour poursuivre leur exploration. À un certain niveau la navigation devint impos-
sible. Ils rebroussèrent chemin et appelèrent le fleuve rio da volta c’est-à-dire le fleuve
du retour. Selon F. Guirma, c’est lors de la recherche d’une voie navigable vers les
Indes au XV° siècle que les Portugais retiennent comme point de repère, dans le Golfe
de Guinée, l’embouchure d’un fleuve où ils se retrouvent à leur retour des parages du
Cap de Bonne Espérance. Ils nomment alors le fleuve rio da volta. Cf. F, Guirma,
Comment perdre le pouvoir ?, op. cit., p. 13. La Haute-Volta dans ce contexte signifie
simplement la partie haute du fleuve du retour.
“7 Léopold Sedar Senghor, “Négritude et Vaugelas”, Le Monde Paris, 19 août 1985.
240
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire $, KYÉLEM de TAMBËLA

Français et les Français. Ce qui n’a rien à voir avec les règles grammati-
cales de la langue française. La critique de Senghor s’inscrit dans le cadre
de sa pensée générale. Selon Sada Niang, « Le français, pour Senghor
écrivain, c'est la lumière qui vient éclairer et mettre en ordre ses pensées
“africaines” informes. C’est la bouée de sauvetage à laquelle tout écri-
vain africain sombré dans le gouffre des pensées africaines qu'il veut
exprimer, ne peut tourner le dos"®. » Pourtant des écrivains franco-
phones comme David Diop et anglophones comme Chinua Achebe, Ga-
briel Okara et Victor Stafford Reid ont mis en garde critiques et écrivains
contre les conséquences idéologiques de l’acceptation inconditionnelle de
la langue du colonisateur.
367- Les observations de Senghor ont provoqué des réactions multiples
au Burkina. Pour L Sawadogo, l’erreur de Senghor est de tenter
d'analyser Burkina Faso et Burkinabè comme à la coloniale William
Pont”? alors que les Burkinabè n’avaient nullement l'intention de co-
pier une quelconque grammaire, fut-elle française. Le nom du Burkina,
poursuit-il, « ne se décidera pas à l'Académie française [...] Tout en me-
surant l'apport du français dans notre société, nous n'avons gueune rai-
X
son de remorquer nos valeurs culturelles à la traîne du français"" .» NM.
Tiendrebéogo estime que «si au Canada on parle de Canadiens et non de
Canadais, si au Sénégal on parle de Sénégalais et non de Sénégaliens, au
Burkina nous avons le droit de parler de Burkinabë*", » Le changement de
nom du pays et la charge culturelle qu’il comporte eurent pour effet de provo-
quer des débats contradictoires au sein des dirigeants et des cadres ivoiriens,
certains voulant aussi le changement du nom de leur pays pour lui donner un
contenu local. Le président ivoirien, Houphouët-Boigny, trancha en décidant
du maintien du nom. Mais, le 14 octobre 1985, il protestait officiellement

#2 Entretien en 1989 avec Sada Niang alors professeur de linguistique à University


College de l’Université de Toronto.
43 Amédé William Merlaud Ponty a été gouverneur général de l’A.O.F. de1908 à 1915.
L'école normale William Ponty qui portait son nom au Sénégal a été créée en 1913 et
formait des instituteurs, des médecins et des cadres indigènes pour les colonies.
4 T, Sawadogo, “Réponse à Senghor”, Sidwaya, Ouagadugou, 2 septembre 1985.
#5 Norbert Michel Tiendrebéogo, “Négritude et Senghor”, Sidwaya, Ouagadugou, 2
septembre 1985.
241
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

contre les différentes traductions que l’on faisait du nom de son pays 6 et
précisait que «/a Côte d'Ivoire est un nom propre qui n'a pas à être tra-
duit, La Côte d'Ivoire c'est la Côte d'Ivoire.»
368- Dans un pays à majorité analphabète, sa désignation par des
termes étrangers ne fait que renforcer l’aliénation de la population. Par
contre, Burkina Faso et Burkinabè - pour désigner le citoyen - qui pro-
viennent des langues nationales, instaurent dans la mentalité du citoyen
une sorte d’identification, de confiance et de paix intérieure en ce sens
qu’il n’aura plus à se tourmenter pour savoir comment prononcer le nom
de son pays et comment il doit s’appeler en tant que citoyen. Bien avant
* le Burkina, le désir d’affirmer leur identité avait déjà conduit des pays a
* changé de nom. C’est ainsi qu’à l’accession à leur indépendance la Gold
Coast est devenue le Ghana en 1957 et le Soudan français, le Mali en
1960. Sous le prétexte de retour à l’authenticité, le dictateur Mobutu
donna en 1971 le nom de Zaïre à la République démocratique du Congo
(R.D.C.). À sa chute en mai 1997, le pays reprit le nom qu’il avait aban-
donné. En 1975, sous la houlette de Mathieu Kérékou, le Dahomey deve-
nait le Bénin. En 1980, à la faveur de l’accession au pouvoir des combat-
tants nationalistes, la Rhodésie devint le Zimbabwe. On peut au contraire
relever le paradoxe pour un pays comme le Congo qui a vécu de nom-
breuses années sous un régime dit révolutionnaire, de conserver à sa ca-
pitale le nom de Brazzaville®7, en souvenir de l’explorateur français
Pierre Savorgnan de Brazza, celui-là même qui traça la voie de la domi-
nation du pays par les puissances étrangères.
369- Le changement de nom du pays a généré des ressources nouvelles
pour l’État, Le renouvellement des documents (actes de naissance, certi-
ficats de nationalité, cartes d'identité, passeports, cartes grises, etc.) a
occasionné des frais de dossier, de timbres fiscaux et d’enregistrement.
Pour limiter le coût de l'opération pour PÉtat, les timbres qui portaient
l'inscription Haute-Volta furent vendus jusqu’à épuisement des stocks. Les
anciens papiers à en-tête furent entièrement utilisés et on utilisa également
les anciens tampons des services publics et parapublics jusqu’à leur amortis-
sement.

7% La Côte d'Ivoire donnait en anglais Ivory Coast, en espagnol Costa de Marfil, etc.
“77 C’est en juillet 1881 que le village de Mfoa a pris le nom de Brazzaville.
242
se |
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autogentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA
mn
\370- L’hymne national fut aussi changé pour lui donner un contenu plus
sociétés fu-
mobilisateur et plus dynamique". Dans la foulée beaucoup de
Volta
rent rebaptisées M et les trois grands fleuves du pays qui s’appelaient
noire, Volta blanche et Volta rouge ont, à partir de 1986 pris respectivement
1959,
| les noms de Mouhoun, Nakambé et Nazinon. Le 11 décembre
adop-
| l’Assemblée territoriale devenue ce jour-là Assemblée nationale, avait
des trois
| té les couleurs du drapeau national qui, reprenant les couleurs
noire,
| fleuves, était composé de trois bandes horizontales de couleurs
F.
| blanche et rouge. Certains en avaient trouvé une autre explication. Pour
africain et
Guirma, « le drapeau voltaïque est noir parce que le peuple est
dignité,
de race noire", blanc parce que ce peuple aspire à la liberté et à la
au
à l'honneur et au respect de l’homme, rouge enfin parce qu ‘il est prêt
et de ses droits®3l, » Sanka-
sacrifice suprême pour la défense de ses libertés
milieu |
ra fit adopter un autre drapeau de couleurs rouge et vert frappé au
du
d’une étoile jaune à cinq branches. Le rouge symbolise l'engagement
symbo-
peuple jusqu’au sacrifice pour son bonheur et son honneur. Le vert
lise les promesses de la nature et de l’agriculture. L'étoile jaune symbolise
un avenir radieux.
2- La promotion d'une culture authentique
371- Il est difficile de parler de culture authentique dans la mesure où
d’imitations.
toute culture est le résultat d’un ensemble d'emprunts et

du Bur-
48 C£ Ordonnance n° 84-43 bis C.N.R/PRES du 2 août 1984 portant hymne national
Niyé.
le Di-Taa-
kina Faso, Joumal officiel, 16 août 1984, p. 805. L’hymne national est
voltaïques
4 À tire d'exemple : La Soremi devint la Soremib. Les Grands moulins Société
(G.M.B.). La
(G.M.V.) devinrent Fasomougou puis les Grands Moulins du Burkina
Société voltaïqu e d'électri cité (Voltélec)
voltaïque des textiles (Voltex) devint Faso Fani. La
devint la Société nationale burkinabè d’électr (Sonabél). La Société voltaïque de com-
imerce (Sovolcom) devint Faso Yaar. La Société national e voltaïque du cinéma (Sonavoci)
et de
devint la Soi nationale de cinéma du Burkina (Sonacib). La Société de construction
gestion immobil ière
gestion immobilière (Socogim) devint la Société de construction et de
(Socogib ). Air Volta devint Air Burkina. La Banque intemati onale des Volta
du Burkina
(B.LV.) devint la Banque internationale du Burkina (B.L.B.), etc.
race,
40 Des recherches ont montré que tous les êtres humains appartiennent à la même
Ia race humaine. Ii est donc absurde de parler de race noire ou de race blanche.
48 F, Guirma, Comment perdre le pouvoir, op.cit., p. 116
243
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KVÉLEM de TAMBËLA
Aucune culture humaine n’a surgi du néant. La civilisation de l'Égypte
pharaonique qui semble avoir été la plus prestigieuse de Antiquité par le
gigantisme et le raffinement de ses monuments, tire sa substance des
ci-
vilisations du Sahara avant son assèchement, de celles de la vallée du Nil
et de l’apport des peuples asiatiques. Peut-on parier d’une culture authen-
tique au Burkina alors que le Burkina lui-même est une création de la
colonisation‘? et que le mot “burkina” est un emprunt du sonrhaï qui est
une culture étrangère aux sociétés burkinabè ? Dans la mesure où les
différentes ethnies qui composent le pays ne pourraient pas se com-
prendre sans l'intermédiaire d’une langue qui est même étrangère à
l'Afrique : le français ? Peut-on parler d’une culture authentique au Bur-
kina quand la vie quotidienne du plus humble des citoyens est rythmée
par l'utilisation et la consommation de produits dont ses ancêtres igno-
raient tout : des origines aux procédés de fabrication ?°%
372- Chaque société cependant finit par se forger une culture en fonc-
tion de ses spécificités géographiques et historiques. La culture n’est
pas
statique. Elle est un produit évolutif d’une société dont la manipulation
demande beaucoup de sagesse. Il s’agit de pouvoir déterminer le rythme
et la capacité d’absortion des éléments étrangers par la société sans que
cela ne provoque une déstabilisation psychologique de la majorité. Toute
précipitation ou maladresse en la matière est porteuse de crises futures.
Néanmoins, pour un développement autocentré, la rupture préalable - qui
n’est pas l’autarcie - est souhaitable non seulement sur le plan écono-
mique mais aussi sur le plan culturel. Mais, avertit Ki-Zerbo, « rompre
avec l'extérieur alors qu'on est déraciné à l'intérieur, ne réserve qu'un
seul sort, celui de l'épave ; [...] seul l'arbre enraciné peut résister et
grandir pour soi-même". » La rupture s’impose afin de surmonter
le
phénomène de l’auto colonisation qui signifie que « le partenaire soumis
ou dépendant accepte volontairement les systèmes de valeurs, les formes

#8 Le territoire actuel résulte des décisions du colonisateur de 1919, 1926


et 1947.
Allumette, pétrole, gaz, ciment, tissus et vêtements modernes, montre,
téléphone,
radio, télévision, roue, bicyclette, cyclomoteur, automobile, écriture, papier, fruits
(mangue, banane, goyave, papaye, citron, orange, mandarine, pomme caneille), produits
maraîchers (pastèque, pomme de terre, carotte, choux, salade, fraise, haricot vert, to-
mate, poivron, aubergine) boissons et produits alimentaires divers, etc.
“Joseph Ki-Zerbo, Repères pour l'Afrique, Dakar, Panafrika, 2007, p. 145-146.
244
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement antocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

t ainsi
de comportement et les schémas de pensées extérieures, rendan
nt 5.» Dans
superflu l'exercice de la contrainte par le partenaire domina
phénom ène de l’auto coloni-
des termes assez crus, Rapp Brown décrit le
1960 :
sation au sein de la population noire de l’Amérique des années
rer à
« Les nègres (c’est-à-dire les Noirs américains qui tentent de s’intég
r ce qui
la société blanche en la mimant) onf beaucoup de mal à accepte
par les
est Noir à moins que cela ne soit considéré comme légitime
cheval, y col-
blancs. (..) Si les blancs mettaient en paquets du crottin de
laient une étiquette et faisaient de la publi à la TV pour le “crottin de
a dit
cheval en barbecue”, les nègres l'achèteraïent parce que le blanc
ap-
que c'est bon. Mais il en sera ainsi aussi longtemps que le pouvoir
pas le contrôl e est une
partiendra aux blanes. Tout ce dont vous n ’avez
de
‘arme contre vous%6. » Sur le plan culturel, la rupture offre l’occasion
ie avec
se replacer dans ses propres valeurs pour s'organiser en harmon
ses propres conceptions de la vie et de la société.
est
373- Le détour par la culture pour appréhender le développement
une prise
nécessaire si l’on ne veut pas se tromper sur le sujet. Il permet
dévelo ppemen t. Il per-
de conscience de la spécificité des aspirations au
vers un
met d'utiliser les moyens qu’offre la culture pour s’acheminer
contes,
mieux-être. Le patrimoine culturel burkinabè regorge de
de pro-
d’anecdotes, de devinettes, de chansons populaires, de poèmes,
de.
verbes, de paraboles et d’histoires plus ou moins tombés en désuétu
l’identi té
Leur revalorisation peut aider à restaurer la fierté et à renforcer
à
culturelle. La reconnaissance de ses propres valeurs est un frein
l’aliénation et une base pour un développement autocentré.
374 La promotion d’une culture “authentique” n’est pas synonyme de
un
chauvinisme culturel. Le chauvinisme culturel peut être défini comme
est le plus souven t
attachement excessif à sa propre culture. Il
Il
l'expression d’une frustration et peut être rattaché au mal de l'âme.
dévore celui qui le porte et par extension, trouble la sérénité de ceux qu’il

le faire.
#5 Roy Preiswerk, Relations interculturelles et développement - Le savoir et pement,
du dévelop
Paris, Presses Universitaires de France ; Genève, Institut d’études
1975, p. 64. Éditions
4% Cf. Philippe Carles et Jean-Louis Comolli, Free jazz / Black power, Paris,
Champ Libre, coll. 10/18, 1971, p. 27.
245
ence de développement autocentré
J. KYÉLEM de TAMBÉËLA

approche ou qui s’approchent de lui. Le chauvinisme culturel est surtout


un paravent pour ceux qui, au fond d'eux-mêmes, éprouvent un certain
malaise. La culture joue alors le rôle de rempart. L’attachement à la cul-
ture nationale est fonction de la hiérarchie des valeurs établies par cha-
cun. C’est ainsi qu’au sein d’une population immigrée, entre la première
et la deuxième génération, l’attachement au pays d’origine et à sa culture
s’émousse en général. Au sein d’une même génération d'immigrés (Bur-
kinabè en Côte d’Ivoire ou au Ghana, Maghrébins en France, Tures en
Allemagne, Ukrainiens au Canada, Palestiniens dans le monde, etc.) on
constate que très souvent, pour ceux qui ont mieux réussi leur insertion,
l'intérêt porté à la culture d’origine devient secondaire. Ce qui n’est pas
le cas pour ceux qui ont moins bien réussi leur insertion.
375- Il en résulte que la culture, tout comme le sentiment patriotique,
sont des titres qui, en fonction du moment et des circonstances, peuvent
se déprécier ou se réévaluer. Des sportifs par exemple n’hésitent pas à
abandonner leur nationalité pour acquérir celle qui peut leur permettre de
réaliser leur rève. Il en est de même de l’émigré qui trouve des conditions
plus favorables dans le pays d'accueil. C’est que la culture est un intérêt
comme tout autre. Elle devient le seul refuge pour celui qui n’a rien
d’autre ou qui a des complexes et qui par conséquent aura tendance à
l'identifier au père, voire à l’élever au rang de demi-dieu. C’est alors la
manifestation du chauvinisme culturel ou du fondamentalisme religieux
qui est un phénomène ravageur dont les conséquences sont néfastes non
seulement pour le développement mais aussi pour la vie en société. Pen-
dant la Révolution culturelle en Chine, tout ce qui de près ou de loin se
rattachait à une culture étrangère était condamné ; des instituts ont été
transformés en usine, les universités ont été attaquées, des livres édités en
langues étrangères ont été brûlés ; c’était la chasse à tout apport étranger.
Le développement scientifique ralentit sensiblement"?
376- Conscient des limites et des conséquences désastreuses du chau-
vinisme culturel, le C.N.R. avait au contraire invité les artistes à savoir
puiser ce qu’il y a de positif dans les cultures étrangères pour donner une
dimension nouvelle à la culture nationale. Dans le monde actuel, avec la

“#7 Dans ce sens, cf. Fox Butterfield, La Chine, Paris, France Loisirs, 1983.
246
ce N
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
rmation par
domination des moyens de communication et d’info
pas
l'Occident et le progrès des médias, l’autarcie culturelle n’est même
en mesure
possible pour un pays sous-développé. Il convient donc d’être
n’est pas
de s’ouvrir sans disparaître mais plutôt en s’enrichissant. Si l’on
culturel
préparé à cela, il peut en résulter soit une forme de chauvinisme
arabo-
(l'intolérance, l’intégrisme ou le fondamentalisme dans les pays
tre au niveau de
musulmans), soit une forme d’aliénation que l’on rencon
s françaises
la classe moyenne et des élites de certaines anciennes colonie
et dans les populations non blanches des départements et territoires fran-
çais d'outre-mer. Dans les pays dominés, la peur de se remettre en cause
é
ou de s’ouvrir sans disparaître a souvent conduit les élites à une rigidit
certi-
de la pensée et à une sclérose intellectuelle accrochées à de fausses
tudes rassurantes. Comme l’ont écrit M. et R. Weyl, «Le dogmatisme
peut parfaitement être la recherche d'une consolation ou d'un camou-
flage d’un échec de la démarche scientifique. »
3- Culture et développement
377- C’est par la culture qu’on se réalise. Celui qui ne sait pas qui il
sait pas d’où il
est, ne sera jamais heureux avec ce qu’il a ; et celui qui ne
de sens
vient, ne saura aller nulle part. Le développement n’a donc pas
qui constit ue le
pour qui ne sait pas qui il est. Tout part donc de la culture
pouls de l'individu et de la société. Culture et développement sont deux
aspects complémentaires d’une même problématique. Selon E. Pisani,
ppement tan-
« la culture est le moteur et surtout le régulateur du dévelo
créa-
dis que le développement favorise l'accroissement des potentialités
cultu-
trices, la participation des hommes à la création des valeurs
relles*®, » Pour Joseph Ki-Zerbo, la culture est la matrice du développe-
ment. Certains pourtant pensent le contraire. Ainsi, John Kenneth Gal-
on-
braith considère la destruction préalable de l'identité culturelle traditi
Une agricul -
nelle comme une condition du développement économique,
ture puissante et productive, une industrie organisée, une structure com-
on-
merciale efficace sont incompatibles avec les relents de culture traditi
th
nelle qui entravent la marche vers le progrès. En conséquence, Galbrai
préconise le “dynamitage culturel” selon l'expression employ ée par Jean-

8 E, Pisani, La main et l’outil, op. cit., p. 178.


247
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Pierre Mounier et Gilles Pruneau“*”. Cette conception rejoint celle de


Rostow qui écrit : « dans l'histoire moderne, on constate que les condi-
tions préalables au démarrage ne se sont pas trouvées réunies sous
l'impulsion d'une cause interne, mais à la suite de la pression exercée de
l'extérieur par des sociétés plus développées. Ces invasions - au sens
propre ou figuré - ont ébranlé les sociétés traditionnelles et amorcé - ou
accéléré - leur désintégration ; elles ont également fait naître des idées et
des sentiments qui ont mis en branle le processus grâce auquel les socié-
tés traditionnelles ont pu céder la place à des sociétés modernes ratta-
chées par des liens de filiation directe à l'ancienne civilisation. »°0 Ros-
tow a sans doute raison. Il convient cependant de ne pas perdre de vue
que les “invasions” dont il parle aboutissent le plus souvent à des rap-
ports d'exclusion et de domination. Comme le fait remarquer Ki-Zerbo,
«il ne faut pas pousser l'extraversion jusqu'à vendre sa propre histoire
pour acheter le développement d'autrui.»
378- La rencontre des civilisations est un facteur de progrès et de dy-
namisme culturel. Mais le “dynamitage culturel” ne peut, au mieux,
aboutir qu’à un développement extraverti. J.-P. Cot constate qu’il n’a
induit aucun développement. À l’inverse « seules les sociétés ayant su
conserver une identité culturelle forte et un attachement aux valeurs an-
cestrales ont eu la force d'absorber le choc de la technologie contempo-
raine et l'insertion dans le marché mondial”? » Selon T. Mende, si
l’amorce du développement a réussi au Japon, en Union soviétique et en
Chine, c’est qu'aucun de ces pays n’a été colonisé par l'Occident ; ils ont
donc pu conserver leur héritage socioculturel. « Leur confiance en eux-
mêmes n'était pas atteinte et ils étaient conscients de l'existence des
forces de l'innovation et de l'adaptation à l'œuvre sur leur propre terri-
toire. [...] fous trois se sont délibérément coupés des influences exté-
rieures et ont pris les mesures nécessaires pour que leur propre travail
de sélection, d'adaptation et d'harmonisation puise se réaliser sans pres-

#9 C£ Jean-Pierre Cot, À l'épreuve du pouvoir - Le tiers-mondisme, pourquoi faire ?,


Paris, Seuil, 1984, p. 174.
#% Whalt Whitman Rostow, Les étapes de la croissance économique, Paris, Seuil, 1963,
. 17.
& J.Ki-Zerbo, Repères pour l'Afrique, op.cit., p. 60.
#2 J.-P. Cot, op. cit.
248
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expéri développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
outre, tous trois ont
sions économiques et matérielles extérieures. En
le Japon tout au
réalisé leur transformation sans aide extérieure. [...] Et
premières”. » Le
moins s'est développé pratiquement sans matières
ure sociale préin-
Japon a même préservé une grande partie de sa struct
pour stimuler la
dustrielle et de ses traditions culturelles et les a utilisées
; ce qui a sans
discipline sociale nécessaire à la modernisation du pays
, il n’y a pas
doute été l’un des facteurs décisifs de son succès. Par contre
minorités occi-
eu de développement là où les attitudes assimilées par les
ce, non par manque
dentalisées n’ont pu être “adaptées” aux masses ; et
genre de chan-
de désir de changement et de progrès, mais parce que le
té ne correspon-
gement proposé et la forme sous laquelle il a été présen
daient pas aux besoins ressentis.
pour la
379- Le C.N.R. s'était engagé à créer les conditions propices
grandes villes,
promotion des cultures nationales. Dans les secteurs des
C.D.R. organi-
dans les villages, les départements et les provinces, les
nombreuses
saient des semaines révolutionnaires au cours desquelles de
: théâtr es, confé-
manifestations culturelles figuraient à l’ordre du jour
nationale de la culture
rences, spectacles, etc. Il fut institué une Semaine
Bobo-Dioulasso.
{S-N.C.) #5 qui, maintenant, se tient tous les deux ans à
artistes de toutes
Pendant cette semaine, des groupes artistiques et des
d'éléments des
inspirations se confrontent à travers des reproductions
promotion de
cultures des différentes régions du pays". Pour la
l’artisanat de Oua-
l'artisanat, le C.N.R. a initié le Salon international de
e pour fin oc-
gadougou (S.L.A.O.) dont la première édition était prévu
201-202.
493 ribor Mende, De l’aide à la recolonisation, Paris, Seuil, 1979, p.
4% C£. T. Mende, op. cit. p. 207.
re 1983, soit peu
4%5 La première édition s’est tenue à Ouagadougou du 20 au 30 décemb
édition eut lieu à Gaoua du
de temps après l’avènement de la Révolution. La deuxième
e. La troisième édition
13 au 20 décembre 1984. Après Gaoua, la S.N.C. devint biennal
se tint en 1988 à Koudougou
eut lieu en 1986 à Bobo-Dioulasso. La quatrième édition
Bobo-D ioulas so de même que la
et à Réo. La cinquième édition se tint en 1990 à
finale ment désign ée pour abriter les fu-
sixième édition en 1992. Bobo-Dioulasso fut un se-
2000, etc. En avril 1994,
tures éditions de la S.N.C. Ainsi en 1994, 1996, 1998,
lequel a depuis été rem-
crétariat permanent de la S.N.C. fut installé à Bobo-Dioulasso,
placé par une direction générale. cinq catégo-
comprend
#6 Le Grand prix national des arts et des lettres (G.P-N.A.L.) onnels.
du spectacle, arts plastiques, littérature, art culinaire, sports traditi
ries : arts
249
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

tobre 1987. L’assassinat du président Sankara a conduit à son report. Elle


se tint finalement du 20 au 27 février 1988“. Depuis il se tient tous les
deux ans pendant les années paires en alternance avec le FES.PA.CO. Le
dynamisme du C.N.R. dans le domaine de la culture n’a peut-être pas été
sans effet dans la décision du gouvernement ivoirien en janvier 1987 de
lancer un ambitieux programme d’actions culturelles comprenant, entre
autres, la construction d’une Maison de la Culture à Abidjan et la créa-
tion d’une biennale des arts et de la culture. Le Zaïre à son tour annonçait
le 22 janvier 1988 l’organisation à Kinshasa pour juillet 1988 d’un festi-
val panañricain de musique traditionnelle.
380- Dans le domaine musical, dès 1984, Sankara procéda à la création
de deux orchestres nationaux : Les petits chanteurs aux poings levés sous
la direction de Maurice Simporé comprenaient des enfants de sept à
treize ans environ. Les colombes de la Révolution sous la direction
d’Abdoulaye Cissé étaient composées uniquement de femmes. Ces or-
chestres dont Sankara lui-même suivait la formation et l’évolution ont eu
à donner des spectacles dans des pays étrangers : Niger, Bénin, Togo,
Mali, Congo, Cuba. La police nationale, la gendarmerie et l’armée de
l’air avaient chacune formé un orchestre. La radiotélévision avait égale-
ment mis en place un ensemble artistique et un ensemble instrumental
avec pour objectif de promouvoir la musique traditionnelle.
381- Sankara avait en projet de mettre en place un Festival internatio-
nal de la musique de Ouagadougou (FES.I.M.O.) Initialement, il était
prévu pour se tenir en novembre 1986. À ce sujet il disait : « Terre de
culture … le Burkina Faso pense pouvoir offrir à la jeunesse un cadre
aussi pour parler dans un langage … qu'elle maîtrise très bien, le lan-
gage de la musique. À la faveur de cette rencontre, de ce festival, nous
espérons que des musiciens viendront de partout, d’abord d'Afrique
parce qu'il sera question de musique noire, mais aussi de tous les coins
du monde où la diaspora africaine, la diaspora noire est allée semer la

7 La première édition avait bénéficié du financement du Fonds européen de dévelop-


pement (F.E.D.), du Programme des nations unies pour le développement (P.N.U.D.),
de l’Agence de coopération culturelle et technique (A.C.C.T.), de la Maison d’Afrique
entre autres. Sur la première édition, cf. Carrefour a n°1028, Ouagadougou, 4
mars 1988, p. 10-17.
250
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
monde
graine de la culture africaine. Mais aussi d'autres contrées de ce
la culture
qui viendront rencontrer l'Afrique, qui viendront rencontrer
la di-
noire, … dans une vision très ouverte, en acceptant la différence,
Noirs avons
versité complémentaire, la diversité qui enrichit. Nous les
avons besoin de sa-
besoin de savoir d'où nous venons. Nous les Noirs
…, il est
voir qui nous sommes ef qu'esf-Ce que HOUS POUVORS faire. Mais
et ce qu'ils peuvent
impératif que nous sachions ce que les autres font
Noirs aussi,
nous offrir. Le monde se construira avec tout le monde, les
qui nous
et, il faudrait donc que nous multiplions toutes les occasions
se départit
permettront de nous rencontrer et j'insiste, dans un esprit qui
ires à
de tout sectarisme … » Les promesses non tenues des partena
. Mais, San-
l'organisation n’ont pas permis au FES.LM.O. de se réaliser
étaient très
kara y tenait et au moment de son assassinat, les démarches
aboutir.
avancées. Ses successeurs ne furent pas en mesure de les faire
e.
L'idée fut récupérée par d’autres pays, notamment d’Afrique central
382- Un Bureau burkinabè du droit d’auteur (B.B.D.A.) fut créé avec
res
pour objectif de prélever des taxes sur le commerce des objets littérai
et Les
et artistiques afin de pouvoir encourager financièrement les auteurs
atistes. Une importance particulière fut accordée au cinéma comme
pays comme
moyen de promotion culturelle. En collaboration avec des
régulière
Cuba, l’'U.R.S.S., la France, des semaines du cinéma”étaient
tion pana-
ment organisées. Le C.N.R. avait contribué à ranimer la Fédéra
panafricain
fricaine des cinéastes ŒÉ.PA.CL) et à dynamiser le Festival
du cinéma de Ouagadougou (FES.PA.C.0.)** La Société du cinéma du
festival”, Libération, Paris,
% Sur ce point, cf. Jean-François Rouge, “Ouaga, la star de son
le journal, « Pendant
5 mars 1987, p. 22-23, cf. aussi l'interview de Sankara, p. 24. Selon
et son présiden t. »
une semaine, le cinéma fut moins présent que le Burkina Faso de
C'est du 1“ au 15 février 1969 qu'avec le concours du service culturel
s Bassolet alors
l'ambassade de France au Burkina, les autorités, à l'initiative de Françoi
ation, organis èrent une semaine du film afri-
secrétaire général du ministère de l’Inform
Côte d'Ivoire , le Sénégal, le Niger et le Burkina.
cain. Quatre pays y participèrent : la
avec la particip ation de huit pays. Le succès de la
La deuxième édition eut lieu en 1970
e édition eut lieu
manifestation amena le gouvernement à créer le Fespaco. La troisièm
s et cinq pays euro-
du 4 au 12 mars 1972 avec la participation de dix-huit pays africain
prix, LHalon de Yenênga , y fut décerné pour la première fois. Pour
péens. Le grand
s cinématographiques
éviter que le Fespaco ne se tienne la même année que les Journée les
années impaires,
de Carthage (J.C.C.), la Fépaci décida que le Fespaco se tiendra les
l
Thomas SANKARA et fa Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ, KVÉLEM de TAMBËLA

Burkina (SO.CI-B.) soutenait la production cinématographique et Ja pré.


sidence du Faso accordait des subventions et des aides logistiques à des
cinéastes africains. Les autorités encourageaient et multipliaient la cons.
truction de salles de cinéma dans les provinces et dans les différents sec-
teurs de la capitale*”.
383- Sankara pensait que les Noirs ont besoin de savoir d’où ils vien-
nent, qui ils sont et ce qu’ils peuvent faire. C’est ce qui avait motivé la
création de l’Institut des peuples noirs (LP.N} La question de
l'opportunité d’un tel organisme se posait dans la mesure où il existait déjà
des institutions qui œuvraient à la collecte de documents sur le passé de
l'Afrique, à la revalorisation de la culture africaine et à la recherche sur les
civilisations négro-africaines"”?. Pour ses promoteurs, l’IL.P.N. était appelé à
être le plus grand cadre où tous les peuples noirs du monde pourraient renouer
avec leur origine culturelle commune. Il était destiné à être une sorte de grand
centre culturel des peuples noirs. Ces rapports avec les autres institutions cul-
turelles devaient être de complémentarité. Du 21 au 26 avril 1986, des spécia-
listes d’Afrique et de la diaspora se sont réunis à Ouagadougou pour jeter les
bases de l’LP.N. Ils ont justifié la création de l’LP.N. par la nécessité de con-
cevoir un instrument de travail commun à tous les peuples noirs du monde à
partir d’un socle historique et culturel commun. Comme objectif général,
entre autres, il fut assigné à l’I.P.N. d’être « le creuset des grands idéaux par

J.C.C. les années paires. La quatrième édition du Fespaco eut lieu donc en 1973. En
1975, du fait des suites du conflit frontalier Mali-Burkina, le Fespaco n’eut pas lieu. La
cinquième édition eut donc lieu en 1976. Pour renouer avec les années impaires, la
sixième édition eut lieu en 1979 et depuis sans interruption.
Sur l’origine et les causes de la création du FES.PA.C.O. cf. : -$. Lamizana, Surla
brèche trente années durant, op. cit., p. 244 -246, -Clément Tapsoba, “Histoire du cinéma au
Burkina Faso”, in Yénouyaga Georges Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de-), Bur-
kina Faso — Cent ans d’histoire, 1895-1995, Paris, Éditions Karthala, 2005, 1.2, p.2178-2181.-
: L'Observateur Paalga, n°7331, Ouagadougou, 27 février-1° mars 2009, p. 3.
*Ÿ Ces édifices sont maintenant laissés à l'abandon du fait de la crise de l’industrie
cinématographique et du manque de volonté politique.
500 On peut citer : l'Institut fondamental d’Afrique noire (I.F.A.N.) de Dakar, devenu Institut
Cheikh Anta Diop; l’Institut culturel africain (1.C.A.} qui comporte un centre de recherche et
de documentation (C.RE.DOC.) à Dakar et un centre de recherche et d’action culturelle
(CR.A.C.} à Lomé ; le Centre des arts et civilisations négro-africans de Lagos ; le Centre
international des civilisations bantoues (C.I.CI.BA.} à Libreville ; le Centre d’études linguis-
tiques et historiques pour tradition orale (C.É.L.H.T.O.) de Niamey.
252
À Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
à trans-
lesquels nous, peuples noirs du monde, nous entendons contribuer
une vaste commun auté où règne
former le monde contemporain pour en faire
ité et une
la paix, la tolérance, la justice sociale, la prospérité et la fratern
en fan-
interdépendance équilibrée” !» Malheureusement, après un départ
la disparit ion de
fare, l'LP.N. devait peu à peu sombrer dans la léthargie après
tota-
Sankara pour ne plus exister que de nom avant sans doute de disparaître
lement”.
B) L'ÉDUCATION |
L'éducation est un facteur clef du développement (1). Aussi, après avoir
dressé un bilan du système éducatif (2), le C.N.R. s'était engagé à faire
face aux problèmes auxquels il était confronté (3).
1- Éducation et développement
384- L'éducation est la transmission progressive à une personne de con-
n
naissances, d'expériences et de sagesse nécessaires pour sa meilleure insertio
non
dans la société. On parle d’une bonne éducation quand celui qui l’a reçue
ter et se
seulement sait se débrouiller dans la vie, mais aussi sait se compor
ion
faire apprécier en société. L'éducation est donc différente de l’alphabétisat
et à écrire. Elle est
qui consiste simplement à apprendre à une personne à lire
ttre
également différente de l'instruction qui consiste uniquement à transme
connais sances à |
soit oralement, soit par écrit, soit par tout autre moyen des
de
une personne. L’alphabétisation et l'instruction ne sont que des aspects
l'éducation et des moyens par lesquels elle peut se faire. Vu sous cet angle,
et de son
chaque personne, à partir de l’enfance, en fonction de ses origines
peut
milieu social reçoit, directement ou indirectement, une éducation qu’elle
respecter ou pas. AVEC l'avènement des Temps Modernes à l'issue du Moyen-
alphabéti-
Âge et la généralisation de l'écriture, il est devenu évident que sans
le rythme
sation et sans instruction, il est difficile, voire impossible de suivre
ent
de l’évolution du monde. C’est ainsi que petit à petit s'est opéré un glissem
alphabé tisatio n
du sens du mot éducation qui de nos jours se réduit souvent à
sait se
et instruction. Celui qui sait se débrouiller dans la vie, a le savoir-vivre,

r africain, n°
Si Cf. Yirzaola Méda, “L'ZP.N. un “symbole réunificateur”, Carrefou
933, Ouagadougou, 2 mai 1986, p. 20.
#02 N] a depuis cessé d'exister, même dans les mémoires.
253
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

comporter en société et se faire apprécier, mais qui ne sait ni lire ni écrire est
maintenant considéré comme non éduqué.
385- De nos jours, l’instruction et l’éducation se faisant le plus souvent
par le canal de l’alphabétisation, l’analphabétisme est un obstacle majeur
au développement. Selon P. Bairoch, «Si, pour les pays actuellement
développé, le démarrage a pu s'accomplir sans être handicapé par le
niveau d'analphabétisme de la population, c'est que des conditions tota-
lement différentes existaient au début du XIX * siècle ; la technique utili-
sée dans l'industrie d'alors était sommaire et surtout basée sur des rela-
tions causales et simples. Aujourd'hui il en est autrement, la science a
pris une place prépondérante dans la technique et, par là, dans la vie
économique et industrielle en particulier. C'est pourquoi la question de
l'analphabétisme a actuellement un aspect différent de celui du début du
XIX' siècle, et c’est la raïson pour laquelle - à juste titre d'ailleurs -
l'accent est mis aujourd’hui sur ce problème dans les pays en voie de
développement 03.» Dans la situation politique et administrative actuelle
du Burkina, la démocratie, élément indispensable au développement,
puisqu'elle suppose la participation de chacun en fonction de ses aspira-
tions et de ses capacités, est impossible sans une large alphabétisation. Le
discours politique se fait en français qui est également la langue de
l’administration. Une population qui n’est pas alphabétisée dans cette
langue ne peut pas pleinement participer à la gestion des affaires du pays.
On peut avoir une belle Constitution avec des institutions merveilleuses,
s’il y a seulement une minorité pour savoir lire et écrire dans la langue de
travail et la langue de rédaction de ladite Constitution, tout se passera
uniquement au sein de cette minorité. C’est la raison pour laquelle les
populations rurales notamment, mais aussi celles des villes secondaires,
ont été plus ou moins indifférentes aux changements politiques interve-
nus au Burkina depuis son indépendance.
386- La question de la langue de l’enseignement se pose avec acuité.
Pour une formation qui se voudrait utile à la population, certains contes-
tent l’utilisation à cet effet d’une langue étrangère. C.A. Diop écrit
qu’ «Il est plus efficace de développer une langue nationale que de culti-

#3 Paul Bairoch, Diagnostic de l’évolution économique du Tiers-Monde 1900-1968, 3°


édition revue et augmentée, Paris, Gauthier-Villars, 1969, p. 171
254
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

ver artificiellement une langue étrangère ; un enseignement qui serait


donné dans une langue maternelle permettrait d'éviter des années de
retard dans l'acquisition de la connaissance. Très souvent l'expression
étrangère est comme un revêtement étanche qui empêche notre esprit
la
d'accéder au contenu des mots qui est la réalité. Le développement de
réflexion fait alors place à celui de la mémoire.
Le jour même où le jeune Africain entre à l'école, il a suffisam-
ment de sens logique pour saisir le brin de réalité contenu dans
ant,
l'expression : un point qui se déplace engendre une ligne. Cepend
puisqu'on a choisi de lui enseigner cette réalité dans une langue étran-
s il
gère, il lui faudra attendre un minimum de 4 à 6 ans, au bout desquel
un mot, un
aura appris assez de vocabulaire et de grammaire, reçu, en
instrument d'acquisition de la connaissance, pour qu ‘on puisse lui ensei-
gner cette parcelle de réalité4. » L'enseignement dans la langue mater-
res.
nelle permettrait même un meïlleur apprentissage des langues étrangè
J.-P. Cot soutient qu’on apprend mieux le français si on ne commence
pas par lui. Ainsi, « Dans le cas où l'enseignement en langue maternelle
a été dispensé à titre expérimental, parallèlement à des classes ensei-
gnées en français, on constate que les élèves alphabétisés dans la langue
e.
vernaculaire maîtrisent mieux le français à l'issue de l'école primair
La maîtrise de la lecture et de l'écriture leur permet de passer plus faci-
®. »
lement au français et de combler en quelques années le retard initial
salariés et
Toutefois, en Afrique, d’année en année, dans les couples de
surtout dans les couples où les deux conjoints n’ont pas la même langue
maternelle, les langues européennes des anciens colonisateurs supplan-

africaine,
S% Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture, 3° édition, Paris, Présence
1979, 12, p. 415.
Au Burkina, un rapport d'évaluation établi en 1983 par l'Institut de la réforme
et de l’action pédagogique (I.R.A.P.) confirme cette analyse. C£. Fernand Sanou, “Poli-
tiques éducatives du primaire du Burkina Faso de 1900 à 1990” in Yénouyaga Georges
Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de-), Burkina Faso — Cent ans d’histoire,
1895-1995, Paris, Éditions Karthala, 2003, 1.2, p. 1727-1728.
505 JP, Cot, À l'épreuve du pouvoir, op. cit. p. 180. Cependant, les Africains eux-
es qu’ils
mêmes non pas toujours apprécié l’enseignement dans les langues maternell
éducatio n et
trouvent moin valorisant, Dans ce sens, cf. Fernand Sanou, “Colonialisme,
d'histoire , 1.2, op. cit., p.
langues : hier et aujourd'hui”, in Burkina Faso — Cent ans
1803-1804.
255
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

tent de plus en plus les langues nationales comme langues maternelles


des enfants. À plus ou moins long terme, le problème de la langue
d'enseignement pourait ne plus se poser.
2- Le bilan du système éducatif fait par le C.N.R.**
Le système éducatif du Burkina était et est toujours non seulement ina-
dapté (b) mais coûteux, ruineux et sélectif (a).
a) Un système d’enseignement coûteux, ruineux et sélectif
387- En 1975, des auteurs constataient que pendant que la dépense par
enfant dans l’enseignement secondaire était évaluée à 20% du revenu
national par tête en France, elle était de 380% au Burkina’®7. Un système
d'enseignement aussi coûteux est un handicap pour le développement
économique et social. Ainsi selon Thomas Sankara : « Au moment où le
manque de ressources financières constitue un handicap sérieux pour la
mise sur pied de nombreux projets de développement, notre pays dépense
plus de 25% de son budget à des fins éducatives. L ‘année élève d'un éco-
lier du primaire coûte plus de 18 000F à 1 "État et autant à ses parents.
Pour maintenir un élève dans le cycle de scolarisation, ! "État dépense
plus de 160 000F par an au secondaire. Il faut plus de 700 000F pour
entretenir un étudiant à l'Université et par an. Pendant ce temps, le re-
venu d'un brave paysan burkinabè ne dépasse pas 61 000F par ar, »
Coûteux et ruineux, le système d’enseignement était et est toujours sélec-
tif. Selon le constat fait par le président Sankara, « Si le taux de scolari-
sation atteint 80% dans les grands centres urbains comme Ouagadougou
et Bobo-Dioulasso, il descend à moins de 2% dans certaines régions et
plusieurs départements entiers sont sans écoles. À ces inégalités régio-
nales criardes s'ajoute une sélectivité sauvage et impitoyable. Ainsi sur 1
000 enfants inscrits au C.P.I, 195 obtiennent le C.E.P.E., 126 entrent en
6°, 71 réussissent au B.E.P.C. et 38 seulement au baccalauréat. Plus de

5% En 1976, un bilan du système éducatif avait déjà été fait. Cf. Fernand Sanou, “Pobi-
tiques éducatives du primaire du Burkina Faso de 1900 à 1990”, op. cit., p. 1724-1725.
Sans doute que le C.N.R s’en est inspiré.
507 Cf, Yves Berthelot et Giulio Fossi, Pour une nouvelle coopération, Paris, Presses
Universitaires de France, 1975, p. 105.
8 Cf. Carrefour africain, n° 923, Ouagadougou, 21 février 1986, p. 14.
256
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

la moitié des enfants qui vont D à l’école sont renvoyés du système avant
5 9
d’avoir acquis les simples notions d alphabétisation”®. .»
. D D 1
D .

b}) Un système d’enseignement inadapté


le
388- L'article 8 de l’Accord de coopération culturelle conclu dans
: « Pour assurer
cadre des Accords franco voltaïques du 21 avril 1961 dit
la solidarité dans le domaine de l'enseignement avec la République fran-
établis-
çaise, comme pour favoriser l'accès de ses ressortissants à des
dé-
sements français, le Gouvernement de la République de Haute-Volia
se-
clare vouloir coordonner l'enseignement dispensé dans ses établis
pon-
ments scolaires avec celui dispensé dans les établissements corres
se
dants de la République française. » Ainsi, l’enseignement se faisait et
que les
fait toujours, pour l’essentiel, à l’image de la France, si bien
élèves acquièrent non seulement des connaissances mais aussi une orga-
de con-
nisation sociale, une organisation de la production, des habitudes
sommation, une hiérarchie des valeurs étrangères à leur société. Pour
Thomas Sankara, «Les contenus des enseignements ne renvoient à au-
na-
cune réalité burkinabè. Ils restent théoriques, abstraits aux réalités
bureau cratiq ue et
tionales et cultivent chez l'élève le goût pour le travail
le mépris pour le travail manuel productif. Ce qui conduit à une distor-
sion permanente entre l'école et la société.» Ce système
comme
d’enscignement « rejerte et ignore le paysan dans ses besoins
dans ses capacités ; mais aussi il provoque des cassures culturelles irré-
médiables entre jeunes et vieux. À l'aventure ambiguë des jeunes en
sion,
quête d'identité répond le sentiment de dépossession, voire d'exclu
»
des anciens dont le savoir se trouve stérilisé et la culture dédaignée”\",
389- Ce problème n’est pas spécifique au système burkinabè mais con-
cerne la plupart des pays sous-développés. L’inadaptation de l’enseignement
aux réalités sociales est en partie à l’origine de l'exode des personnes hau-
tement qualifiées qui ne trouvent pas toujours à s’employer sur place. On
pays
estime que du début des années 1960 au milieu des années 1970, les
sous-développés ont “perdu” environ quatre cents mille spécialistes au profit

5® C£ Carrefour africain, n° 923, op. cit.


510 C£ Ibid.
STE, Pisani, La main et l’outil, op. cit. p. 189.
257
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
ience de développement autocent
J. KYÉLEM de TAMBËLA

des pays industrialisés. La C.N.U.C.E.D. évalue à quarante-deux milliards


de dollars le transfert de ressources qu’a représenté entre 1971 et 1972 Ia
“fuite des cerveaux” des pays sous-développés vers les Etats-Unis, le Cana-
da et le Royaume-Uni. Cette évaluation est faite en tenant compte du coût de
la formation du migrant dans son pays d’origine. Ainsi, entre 1971 et 1972,
les Etats-Unis ont pu faire une économie de presque 1,8 milliards de dollars
sur les dépenses d'enseignement"?
3- L'action du C.N.R.
390- Pour trouver une solution au problème de l’enseignement, le conseil
des ministres du 12 septembre 1984 mit en place une Commission chargée
de proposer un nouveau système d’enseignement prenant en compte les réa-
lités du pays. Dix-huit mois après, en mars 1986, la Commission remit ses
travaux au C.N.R qui les mit à la disposition du public pour appréciation. La
réforme proposée par la Commission était radicale, orientée vers la produc-
tion et l'intégration au monde rural. Peut-être à cause de cela, elle fut ac-
cueillie avec hostilité par la majorité de ceux qui avaient été formés dans le
système qu’il s'agissait de réformer. Au sein même du C.NR. il y eut une
vive opposition. Les travaux de la Commission furent donc rejetés.
391- L'application des propositions faites par la Commission aurait
nécessité beaucoup d’argent, soit plus de soixante-dix-huit milliards de
francs, rien que pour les niveaux primaire et secondaire ; presque
l'équivalent du budget de l’État à l’époque. Les propositions compor-
taient aussi des imperfections, mais cela n’a sans doute pas été détermi-
nant dans l’abandon de la réforme. Le problème du coût pouvait être ré-
solu par une application non pas brutale et totale mais sélective et pro-
gressive. De même les imperfections pouvaient se parfaire au fur et à
mesure, Le système d’enseignement français qui, par rapport à celui du
Burkina, correspond mieux à la société française, subit régulièrement des
modifications et des réformes pour toujours s’adapter à la société en per-
pétuelle mutation. À la conception chaque projet comporte nécessaire-
ment des imperfections qui s’amenuisent au fur et à mesure qu’on essaie
de les corriger ; et rien n’est parfait de façon définitive.

$2 Cf. Marie-Claude Celeste, “Quand le tiers-monde exporte ses “cerveaux”, Le Monde


diplomatique, Paris, mars 1981, p. 15.
258
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
7i

392- À partir de l’époque coloniale, le travail intellectuel et bureaucra-


à ce genre
tique a été magnifié en Afrique. L'élève qui va à l’école rêve
t le voir
de travail. Les parents qui envoient leur enfant à l’école espèren
ient en
un jour travailler comme bureaucrate. Or, c’est ce que remetta
cause les travaux de la Commission de réforme. En outre, vu les trans-
is-
formations à faire, les instruits se sont inquiétés au sujet de la reconna
d’aille urs. Cette in-
sance des diplômes par les autres États africains et
quiétude était certes justifiée, mais on peut aussi se demander si les Bur-
kinabè préparent les diplômes pour servir leur pays ou pour aller travail-
ler à l'étranger. Si c’est pour servir leur pays, la reconnaissance des di-
néces-
plômes nationaux par l’étranger, jusqu’à un certain niveau, peut être
sys-
saire mais pas indispensable 3, De toutes les façons, si sur le terrain le
ger
tème d'enseignement réformé présente des cadres compétents, l’étran
et univers ités sont
sera amené à reconnaître ses mérites. Si certaines écoles
réputées en Occident, c’est parce qu’elles ont formé ou forment des cadres
qui se sont révélés et se révèlent compétents. La compétence sur le terrain
devrait donc être le seul critère d'appréciation de la valeur d’un diplôme.
ne
393- Malgré l’opposition suscitée par le projet de réforme, Sankara
désespérait pas d’obtenir une réforme de l’enseignement. En octobre
d’ “Ap-
1986, dans un discours prononcé à Gaoua et connu sous le nom
sco-
pel de Gaoua”, il interrogeait : « Peut-on, en effet, parler de rentrée
pourquoi
laire sans poser la question de savoir qui rentre, où il rentre et
il rentre et quel type d'homme en sortira ?54 » Saisissant le sens du rejet
de,
de la réforme il déclarait : « Il est à observer que dans toute sa pyrami
leur
l'enseignement renferme de nombreux phénomènes qui prennent
propre éducation coloniale ou néo-coloniale comme une fin en soi et
et
montrent de ce jet une incapacité révoltante à adapter l'appris
l'acquis au vécu", » »

le
513 Généralement, ceux qui sont formés jusqu’au niveau du baccalauréat quittent rarement
pas néces-
pays. Jusqu’à ce niveau donc, la reconnaissance internationale du diplôme nest
préparati on ou de “mise à niveau” pour les
saire. Il suffirait alors de prévoir un système de
candidats à des études supérieures à l'étranger.
514 C£ Carrefour africain, n° 958, Ouagadougou, 24 octobre 1986, p. 16.
, n° 958, op.cit.
259
Thomas SANKARA et la Révolution an Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBÈLA

394- On peut toutefois se poser des questions sur l'impact réel d’un
système d'enseignement sur l’évolution d'une société. L’être humain
étant libre par essence, il est capable de faire d’une chose son contraire
ou de la transformer pour ladapter à ses besoins et à ses projets.
L’enseignement, quel qu’en soit le système, est avant tout un moyen et
non une fin en soi. Ceux qui ont mené les luttes d’indépendance au Viet
nam, en Algérie, au Cameroun, au Ghana, en Angola, au Mozambique,
en Guinée-Bissau étaient formés dans le système d'enseignement du co-
lonisateur. La Fédération des étudiants d'Afrique noire en France
(.É.A.N.F.) qui fut l’un des mouvements les plus virulents dans la lutte
contre le colonialisme et l'impérialisme a été fondée à Bordeaux, dans le
giron même du colonisateur français. Les acteurs de la Révolution burki-
nabè ont été eux-mêmes formés dans le système dont la pertinence était
contestée. On est ainsi amené à penser que le système d'enseignement,
s’il peut quelque temps perturber l’évolution d’une société, il ne peut la
modifier fondamentalement. Les valeurs cardinales de la société finissent
toujours par émerger. Dès lors, il est permis de se demander si les débats
sur les systèmes d’enseignement, surtout dans les anciens pays colonisés,
ne relèvent pas d’une vision quelque peu superficielle des choses. Dans
la longue histoire des peuples, l'essentiel semble résider dans la qualité
de l’enseignement, le système étant relativement secondaire. Un ensei-
gnement de qualité, quel que soit le système, est un atout pour toute per-
sonne dotée d’un minimum d’esprit d'analyse.
395- En l’absence d’un autre système d’enseignement, la politique du
C.NR. s’est inscrite dans le cadre de l’ancien système avec plus ou
moins de nuance. Au niveau préscolaire, il a été entrepris la construction
de garderies populaires accessibles à la plupart des salariés. C’était une
innovation car le pays n’en connaissait pas encore. Dans le cadre du plan
quinquennal (1986-1990) il était prévu un total de 141 garderies popu-
laires pour l’ensemble du territoire. Pour permettre l’accès du plus grand
nombre à l’instruction, le C.N.R. avait décidé une baisse sensible des prix
des articles scolaires et des frais de scolarité des établissements
d'enseignement privé*!$, À la suite de ces mesures, certains propriétaires

516 Le conseil des ministres du 19 septembre 1984 avait fixé les frais de scolarité pour
l'année 1984-1985 dans les établissements privés de la manière suivante : -École pri-
260
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

d'établissements d'enseignement privé menacèrent de fermer. Le C.NR.


réagit aussitôt en les récupérant et en les confiant à des Comités popu-
laires de gestion (C.P.G.) Le C.P.G. comprenait le C.D.R. géographique
CDR.
du lieu d’implantation de l'établissement, les parents d’élèves, le
des élèves et le C.D.R. de service. Un grand effort fut mené pour la cons-
truction d’écoles et d’établissements secondaires. Dans le cadre du Pro-
gramme populaire de développement (P.P.D.), deux cent trente-quatre
écoles nouvelles furent construites soit un accroissement de 28% en un
ts
an. Pour accroître les capacités d’accueil, des dortoirs d’établissemen
secondaires furent transformés en salles de classe. Les établissements
d’enseignement privé supposés mal gérés et/ou administrés furent pris en
charge par l’État, lequel prévoyait de porter le taux de scolarisation de
21% en 1986 à 30% en 1990 au terme du plan quinquennal. Mais dès
1988 le taux de scolarisation était à 32%, soit le double de ce qu’il était
en 1983 (16%). Tant au primaire qu’au secondaire, l'accroissement con-
sidérable et brutal des capacités d’accueil fut confronté au manque
d'enseignants. Le C.N.R. trouva la solution en recourant, chaque année,
pour le temps d’une année scolaire, aux jeunes diplômés qui effectuaient
le Service national populaire (S.N.P.)
396- L'enseignement supérieur retint également l'attention du C.NR.
Du 8 au 17 septembre 1984 se tint à Ouagadougou un séminaire des
C.D.R. des universités et assimilés. Du 17 au 24 août 1985 eut lieu, sous
la supervision du secrétariat général national des CDR, la première
Conférence nationale des C.D.R d’université avec pour thème : “Le rôle
des C.D.R. d'université sous la RDP.” Prirent part à la conférence, les
militants C.D.R de l’université de Ouagadougou et les délégués C.DR.
des différentes universités de par le monde où il y avait des étudiants
burkinabè et où des C.D.R. avaient été constitués" !?, Saisissant l’occasion
que leur offrait la Conférence, les militants C.D.R. décidèrent de réagir
e :
maire : de 40 000F les frais ont été ramenés à 10 000F. -Premier cycle du secondair
nement
de 70 000F ils furent ramenés à 40 000F. -Second cycle du secondaire d’enseig
ugou,
général : de 85 000F ils furent ramenés à 45 000F. Cf. Sidwaya, n° 112, Ouagado
21 septembre 1984, p. 1.
57 Des délégués des C.D.R. des pays ou villes universitaires suivants étaient présents :
Algérie, Côte
Paris, Nice, Cotonou, Dakar, Lomé, Niamey, Tripoli (Libye), Yaoundé,
d'Ivoire, U.R.S.S.
261
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBËLA

face aux provocations et actes de sabotage des adversaires de la Révolu-


tion. Le D.O.P. dit que «les C.D.R constituent l'organisation authen-
tique du peuple dans l'exercice du pouvoir révolutionnaire. » S’attaquer
aux C.DR,, c’est donc s’attaquer au peuple, pourrait-on dire. L'État ne
devait donc pas continuer de financer les études de ceux-là même qui,
avec acharnement, parfois avec hargne, s’attaquaient aux C.D.R. pour le
simple fait d'exister. Sur cette base, les militants C.D.R. revendiquèrent
un droit de regard sur l’attribution des bourses d’études. Pendant que la
Conférence siégeait, les coordonnateurs du Faso qui assumaient le pou-
voir chaque année dans la période située entre la dissolution du gouver-
nement et la formation du nouveau, prirent la décision de dissoudre la
Commission nationale d’attribution des bourses et de lui substituer un
Comité révolutionnaire provisoire des bourses (C.R.P.B.) dans lequel le
rôle des délégués C.D.R. fut reconnu. Dès que le C.R.P.B. fut opération-
nel, les délégués C.D.R. exigèrent et obtinrent la suppression des bourses
d’étude des étudiants qu’ils considéraient comme étant les plus hostiles et
les plus dangereux pour les C.D.R. et pour la Révolution.
397- Au Burkina il y avait une certaine anarchie dans la gestion des étu-
diants, notamment pour ce qui concemait les orientations par rapport aux be-
soins du pays et aux capacités d'embauche de l° État. La plupart des étudiants
qui obtenaient leur diplôme de maîtrise et qui réunissaient les conditions d’âge
{vingt-six ans au plus pour un Diplôme d’études approfondies DÉA)),
vingt-neuf ans au plus pour un Diplôme d’études supérieures spécialisées
(D.É.S.S.)} et les conditions de moyenne (soit dans le cas du D. É.A. 12/20 au
moins à l’examen de maîtrise et sans avoir redoublé plus d’une fois par cycle
universitaire) demandaient à continuer en troisième cycle. Pour beaucoup
c'était l’occasion d’aller à l'étranger et surtout de connaître l'Europe. À
l’époque les étudiants de troisième cycle partaient généralement pour ce con-
tinent et surtout pour la France. À terme ce système conduisait à une présence
pléthorique sur le terrain de hauts cadres sans emplois équivalents malgré le
coût élevé de leur formation alors que le besoin en cadres intermédiaires se
faisait déjà sentir.
398- Peu de temps après la fin de la Conférence des étudiants, le
C.NR. décida que pour les lettres et les sciences molles (droit, sciences
économiques et sciences humaines), de nouvelles conditions étaient à
262
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
ais les
remplir pour bénéficier d’une bourse de troisième cycle. Désorm
militaires
candidats devaient au préalable avoir rempli leurs obligations
spécia-
et trouvé un emploi, Si maintenant dans un service le besoin d’un
désigner
liste ou d’un chercheur se faisait sentir, il revenait au service de
le besoin.
les éléments les plus aptes pour un D.É.S.S. ou un D.É.A. selon
met-
Les étudiants ressentirent durement les effets de cette décision. Elle
per-
tait fin brusquement à beaucoup de rêves d’aventures et d’ambitions
de quatre
sonnelles. Il en résulta de graves conséquences sociales. Près
retrou-
cents étudiants qui avaient fini ou qui finissaient leur mañtrise se
vèrent du coup sans perspective immédiate.
399- En février 1986 le C.N.R. mena une opération dite “alphabétisa-
but
tion commando” destinée au monde rural. L'opération avait pour
en cin-
d’apprendre à lire et à écrire aux producteurs dans leur langue
teurs choi-
quante jours. Elle a concerné plus de trente-cinq mille produc
responsables
sis parmi les différentes organisations villageoises. Seuls les
devait
de groupement et les membres sûrs auxquels, en fin de formation,
nt eux-
être confié un poste, ont bénéficié de cette formation. Ils devaie
pro-
mêmes par la suite tenter de former d’autres personnes” 18, Des
teurs
grammes appropriés avaient été élaborés pour permettre aux produc
de se recycler et de bénéficier de manuels.
C) LASANTÉ
400- Dans une communauté, la santé est un facteur important pour le
pas des
développement économique et social. Certes, elle ne produit
masse
biens de consommation quantifiables et n’est pas génératrice de
ir et à déve-
monétaire palpable ; mais elle contribue à créer, à mainten
lopper des conditions favorables de vie et de travail. La maladie absorbe
des ressources privées et publiques pour couvrir des dépenses en soins
alimen-
médicaux. Elle entraîne une utilisation inefficace des ressources
taires dans la mesure où la capacité à absorber les élémen ts nutritif s est
que
réduite par les troubles de santé. En Indonésie il a été constaté
résulta nt d’une infesta tion
l’anémie due à une carence en fer et
construc-
d’ankylostomes réduisait la productivité des travailleurs de la
niveaux
tion et des plantations d’hévéas de presque 20% par rapport aux

p. 23-27.
58 Cf, Carrefour africain, n° 922, Ouagadougou, 14 février 1986,
263
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉEEM de TAMBËLA

observés après un traitement avec un supplément de fer”. Non seule.


ment la maladie réduit la production de chaque heure de travail, mais elle
raccourcit également le temps de travail du fait de l’absentéisme et de la
mort prématurée. La santé fait partie des besoins fondamentaux de l’être
humain.
401- Au Burkina, les conditions sanitaires étaient très fragiles et le sont
toujours, à un degré sans doute moindre. Le personnel était très réduit®20
et les infrastructures très limitées. 57% de la population vivait encore à
plus de 5 km de toute unité sanitaire®?!, Le C.N.R. s'était fixé des objec-
tifs à atteindre et qui se résumaient en une santé à la portée de tous, la
mise en œuvre d’une assistance et d’une protection maternelle et infan-
tile, une politique d’immunisation contre les maladies transmissibles par
la multiplication des campagnes de vaccination, une sensibilisation des
masses pour l’acquisition de bonnes habitudes hygiéniques.
402- Il fut procédé à une nouvelle répartition des cadres de la santé
(médecins, infirmiers, sages-femmes) à travers l’ensemble du territoire
pour faire bénéficier à chacune des provinces du personnel médical
qu’elle était en droit d’attendre compte tenu des disponibilités nationales.
Le Burkina connaissait un taux de mortalité infantile parmi les plus éle-

59 C£ W.C. Baum, S.M. Tolbert, Investir dans le développement, op. cit., p. 248-249.
0 En 1981 il y avait 0,02 médecins pour mille habitants. En 1985 il y avait 150 méde-
cins, 80 pharmaciens, 8 chirurgiens-dentistes, 800 infirmiers et sages-femmes diplômés
d’État et plus de 3 500 autres agents de santé. Cf. Actuel développement, n° 67, Paris,
juillet-août 1985, p. 51.
En 2015, le nombre de médecins était de 1811 pour une population d’environ
17 millions d'habitants.
2 En 1985 on comptait plus de 440 unités de soins dont 9 hôpitaux, 57 centres médi-
caux, 257 centres de santé et 121 dispensaires ou maternités isolées, Cf. Actuel déve-
loppement, op. cit. p. 49 et 51.
En 2014, on comptait 1 606 centres de santé et de promotion sociale (C.S.P.S.),
155 dispensaires et maternités isolées, 32 centres médicaux (C.M.), 45 hôpitaux de
districts (H.D.} ou centres médicaux avec antennes chirurgicales (C.M.A.), 9 centres
hospitaliers régionaux (C.H.R.), 4 centres hospitaliers universitaires (C.H.U.} À cela
s’ajoutaient 78 établissements sanitaires privés de soins hospitaliers (cliniques, polycli-
niques) et 306 établissements sanitaires privés de soins non hospitaliers (cabinets de
soins infirmiers, cabinets médicaux). Cf. “Chronique du gouvernement”, L'Observateur
> Paalga, n°8888, Ouagadougou, 10 juin 2015, p. 6.
264
a
— ———

Thomas SANKARA et la Révohition au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

vés au monde soit 150/1000 à la naissance. Un programme élargi de vac-


cination avait été adopté en collaboration avec PU.NI.C.E.F. et le dé-
marrage était prévu pour 1980. À l'avènement de la Révolution il n’avait
toujours pas commencé. Le C.N.R. décida alors de prendre les choses en
| main, Le 19 septembre 1984, le conseil des ministres décida d’une vaste
campagne de vaccination. Le 25 novembre 1984 Thomas Sankara lança
lPopération dite “vaccination commando”. Il s’agissait, en quinze jours,
soit du 25 novembre au 10 décembre, de vacciner les enfants âgés de
zéro à quatorze ans contre trois maladies épidémiques : rougeole, ménin-
|
gite cérébro-spinale, et fièvre jaune. L'opération permit d’obtenir un taux
de couverture vaccinale de près de 95% de la population cible22.
403- Dans sa politique sanitaire, le C.N.R. s’est largement inspiré du
Plan sanitaire national (P.S.N.) adopté en 1979 sous la présidence de S.
Lamizana. Pour son Discours programme, Saye Zerbo s'en était aussi
|
inspiré mais sans pouvoir rien concrétiser. Le C-N.R. prit l'engagement
de le réaliser. Le P.S.N.7 prévoyait des postes de santé primaires

1 à
522 | 180 000 enfants de 1 à 6 ans furent vaccinés contre la rougeole ; 2 600 000 enfants de
14 ans contre la méningite cérébro-spinale et 2 100 000 enfants contre la fièvre jaune.
la
53 La structure pyramidale du Plan sanitaire national (P.S.N.) peut être reproduite de
façon suivante :
_Les Postes de santé primaire (P.S.P.) dans les villages.
du village.
_Les Centres de santé et de promotion sociale (C.S.P.S.) pour le niveau au-dessus
pour la santé et de
Ils devaient être tenus par des infirmiers chargés des soins, de l'éducation
critères de distance entre
la supervision des P.S.P. Leur mise en place devait répondre aux
.
deux C.S.P.S. (75 à 20 km) et de la population à desservir (15 000 à 20 000 habitants)
_Les Centres médicaux (C.M.) dans les villes principale s. Ils devaient être tenus par des
que les accouche-
médecins. Les activités de santé maternelle et infantile (S.M.L.) de même
de recours
ments devaient être confiés à une sage-femme. Le C.M. devait servir de centre
aux C.S.P.S. environnants qu’il devait superviser . Il devait desservir une populatio n de 15
000 à 20 000 habitants.
équipe
-I1 était prévu dix centres hospitaliers régionaux (C.H.R.) fonctionnant avec une
gynécolo gues, den-
pluridisciplinaire composée de médecins généralistes, chirurgiens,
tistes, pharmaciens et sages-femmes.
-Deux hôpitaux nationaux (Ouagadougou et Bobo-Dioulasso) bien équipés devaient
permettre de résoudre des cas les plus compliqué
-L'École supérieure des sciences de la santé .SA.) et l'École nationale de santé

publique (É:N:S.P.) se situaient au sommet de la pyramide. Cf. Carrefour africain,
899, Ouagadougou, 6 septembre 1985, p. 19.
265
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autogentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈËLA
(P.S.P.) dans tous les villages. En janvier 1986, le nombre de P.S.P. cons.
truits était de 7 462 alors que le pays comptait environ 7 500 villages,
Dans les P.S.P. deux agents de santé communautaires (un agent de santé
villageois et une accoucheuse villageoise) élus par la communauté villa.
geoise et rétribués directement par le village ou indirectement par la pro-
vince étaient chargés de promouvoir les soins de santé primaire en don-
nant des soins élémentaires et surtout en prodiguant des conseils pour la
prévention en matière de santé. Les agents en question recevaient au
préalable une formation de deux mois. Certains P.S.P. n’ont jamais pu
être opérationnels par manque de personnel. D’autres ont fonctionné un
temps avant de fermer. Les problèmes rencontrés étaient essentiellement
de deux ordres. D’une part le manque de moyen qui faisait que les agents
de santé communautaires pouvaient se retrouver avec des maisons
presque vides, sans équipement. D’autre part le manque de disponibilité
de ces mêmes agents. La rétribution qu’ils pouvaient attendre des villages
ou des provinces étant sans doute jugée insuffisante et aléatoire, ils
s’employaient le plus souvent à leurs propres affaires.
404- Le mot d’ordre adopté par le ministère de la Santé était : “La san-
té populaire par le peuple et pour le peuple”. L'objectif était de faire en
sorte que les agents de santé, dans le futur, ne soient consultés que lors-
que le consultant aura épuisé ses capacités à lui en tant que son propre
médecin. En décembre 1986 fut institué pour les salariés l” “Épargne
santé”. Pour Thomas Sankara, il s’agissait d'amener les salariés, qu’ils
fussent du public, du privé ou qu’ils relevassent des organisations inter-
nationales en place au Burkina, à contribuer pour leur propre santé. À
partir de cette épargne collective, il était prévu d'ouvrir des cliniques de
soins pour les travailleurs et contribuer ainsi à décongestionner les
centres de santé traditionnels et à accroître la qualité des soins. Face à la
résistance des salariés qui refusèrent la modique contribution de mille
francs qui leur était demandée, le projet ne put aboutir. S’envolait ainsi
pour longtemps l’espoir de pouvoir mettre en place au Burkina un sys-
tème de sécurité sociale maladie. Pour les fonctionnaires, la visite médi-
cale annuelle fut rendue obligatoire. À cet effet fut créé à Ouagadougou
un Office de santé des travailleurs (O.S.T.}) Pour l’approvisionnement
pharmaceutique le C.N.R. créa une centrale d’achat, la Société nationale

266
E Thomas SANKARA et I Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉ de TAMBÈLA
524
d’approvisionnement pharmaceutique (SO.N.A.PHARM.)"* et libéralisa
l'ouverture des pharmacies privées”.
D) L'URBANISME ET LE LOGEMENT
405- C’est dans les grandes villes, surtout à Ouagadougou, que le pro-
blème d’urbanisme et de logement se posait avec acuité. Avant l’avènement
de la Révolution, l’insalubrité enveloppait toute la ville de Ouagadougou. La
spéculation foncière était telle que seule une petite minorité riche ou bénéfi-
ciant de soutien politique pouvait avoir accès à des parcelles loties. Le reste
de la population de Ouagadougou s’entassait dans des bidonvilles parfois
d’une insalubrité rebutante. Le nombre de logements disponibles étant de
loin inférieur à la demande, les loyers augmentaient sans cesse et les jeunes
travailleurs comme les nouveaux arrivants étaient contraints de s'installer
dans la périphérie, dans les zones non loties à habitat spontané, sans infras-
tructures adéquates : route, eau courante, électricité, assainissement, télé-
phone, ete. Ii est difficile à qui n’a pas connu cette époque de prendre la me-
sure du travail réalisé à partir de la Révolution.
406- La réaction du C.N.R. fut de prendre une décision réglementant
les loyers pour compter du 1% avril 1984, Les loyers urbains chutèrent de
60%. Pour symboliser le droit de chacun à un logement, une ordonnance
du 31 décembre 1984 décidait la suppression du paiement des loyers pour
toute l’année 1985°%. Les loyers résultant des baux commerciaux,
l'indemnité de logement des fonctionnaires et salariés du secteur parapu-
blic, les loyers que des personnes étrangères résidant au Burkina de-
vaient à des propriétaires privés burkinabè étaient reversés à l'État®7. En
réaction surtout contre cette mesure, dans une déclaration du 28 janvier
1985, onze syndicats affiliés soit au P.A.L.-LIPA.D. soit au P.C.R.V.

#4 La Sonapharm a depuis disparu, victime de mauvaise gestion.


libéra-
#5 À l’époque, Ouagadougou ne comptait pas plus de six pharmacies. À la suite de la
de pharmaci es furent ouvertes en peu de temps. De nos jours la capi-
lisation, une trentaine
tale à elle seule compte plus de cent trente phammaci es et le nombre ne cesse de croître.
S% Ordonnance n° 84-089/CNR/PRESS du 31 décembre 1984 relative à la suppression
ent de certains
du paiement des loyers au Burkina Faso pour l'année 1985 et le reversem
(D.P.L.) était chargée de
loyers à l'État. La Délégation du peuple au logement
l'application concrète de l’ordonnance et de ses mesures d’accompagnement.
#7 11 semble que le gouvernement avait besoin d’argent et ce moyen aurait ainsi été X
trouvé.
267
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBËLA

dénoncèrent une baisse du pouvoir d’achat et appelèrent la population à


«se départir de la peur et se préparer à la lutte ». 1 est vrai que parfois
l'indemnité de logement pouvait être supérieure au montant du loyer. Si
dans l’ensemble la suppression du paiement des loyers a été bénéfique
pour la majorité, elle a eu aussi des effets pervers pour une minorité ;
notamment parmi ceux qui avaient contracté des prêts pour construire et
qui comptaient sur les loyers pour le remboursement et ceux qui comp-
taient sur la perception des loyers soit pour agrémenter leur retraite, soit
pour entretenir leur train de vie. L'un des objectifs inavoués du C.N.R
était aussi, semble-t-il, de réorienter les capitaux vers les secteurs produc-
tifs comme l’agriculture, l’industrie et l’entrepreneuriat.
407- Pendant la première année de la Révolution, le C.N.R. lança une
opération de construction de cinq cents villas à Ouagadougou et dans les
autres chefs-lieux de province. C’est ce qui a été appelé “cités du 4
août”*#, À partir de la deuxième année, une vaste opération de restructu-
ration et de reconstruction de la ville de Ouagadougou fut entreprise.
Chaque année, après la dissolution annuelle du gouvernement, pendant la
période de transition assurée par les coordonnateurs du Faso, ceux-ci -
plus précisément Sankara - déterminaient une partie de la ville à détruire
et à reconstruire. Ainsi, en 1985 le quartier de l’aéroport fut détruit®??,
loti et reconstruit. À la place des habitats spontanés et insalubres s’élève
maintenant la “cité An IT” qui est un ensemble de cent quatre-vingt-huit
villas. Dans le même temps, cinquante villas ont été construites à Bobo-
Dioulasso. C’est en août 1985 que la décision a été prise de détruire et de
reconstruire le marché central de Ouagadougou qui était devenu trop petit
pour son monde et dont les conditions de salubrité étaient très précaires.
Un grand espace à construire fut délimité autour du marché central pour
servir de centre d’affaires”. À la même période le C.N.R. décida
d’entreprendre un recensement national des parcelles loties, bâties et non

#8 Les “cités du 4 août” ont été réalisées dans 23 des 25 provinces que comptait alors le
pays. Elles ont été construites en quinze mois dans le cadre du Programme populaire de
développement (P.P.D.)
#% ]1 s’agissait d’une zone administrative dont les occupants illégaux avaient été dé-
dommagés depuis longtemps.
30 C'est de cette époque que date le projet ZACA (Zone d’activités commerciales et
administratives) qui n'est toujours pas mené à terme.
268
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de dé é loppement autocentré
Apollinaire J. KYÉI EM de TAMBËLA
de mettre en place un
bâties, dans le but de créer un fichier immobilier et
système de gestion rationnelle des parcelles loties.
408- En 1986 c’est le quartier Bilbambili qui, après avoir été démoli®?!, a
rce
été reconstruit sous la forme d’un complexe constitué de locaux de comme
An II”. C’est un
et de maisons d'habitation : c’est ce qui constitue la “cité
rois im-
ensemble de deux cent une villas individuelles de type F4 et vingt-t
appartements aux
meubles à trois niveaux comprenant quatre-vingt-douze
r Bilbambili
étages et soixante-neuf boutiques au rez-de-chaussée. Le quartie
de prostit uées. D’aucuns
était réputé pour son insalubrité et la forte densité
ution que Sankara
prétendent que c’est dans le cadre de la lutte contre la prostit
contestée”, En
aurait décidé la reconstruction de la zone. Cette version a été
à la “cité
1987 c’est le quartier Kiedpalogo qui a été démoli pour laisser place
ghin. Elle était
An IV-A”. La “cité An IV-B” fut construite au quartier Signon
l n’excédait pas cin-
destinée aux faibles revenus, ceux dont le revenu mensue
n-vente avait
quante mille francs. Le loyer de ces villas soumises à la locatio
tion du
été fixé à quinze mille francs. La même année fut décidée la démoli
de Ouagadougou
quartier d’habitats spontanés de Zogona jouxtant l’université
nant la
et dont L'insalubrité défiait toute imagination. À la place s’élève mainte
lière
cité des 1200 logements. La Société de construction et de gestion immobi
missio n d’activ er la
du Burkina (SO.CO.G.IB.) avait de son côté reçu pour
attribué cent
construction des maisons d'habitation. En 1985 elle avait déjà
cinquante-trois villas à des bénéficiaires et leur nombre allait croissant
l'État
d’année en année. Le nombre de logements construits uniquement par
de lotissement et
pendant la périodea été estimé à 3517. De vastes opérations

rs de
Si Tous les propriétaires déguerpis ont été relogés avec, en priorité, les détenteu
permeti re de
indemni sés pour leur
permis urbain d’habiter (P.U.H.) Ils ont été aussi
ent des déguerpis a
reconstruire leur logement dans de nouveaux quartiers. Le relogem
été pris en charge par la Délégation du peuple au logemen t (D.P.L.)
gement de ce quar-
52 Gelon la Direction générale de l'urbanisme de l’époque, l’aména de mettre un
répondait au souci
tier n’était pas lié à la lutte contre la prostitution mais
prévalu au choix de
terme aux quartiers d'habitat insalubre. Les critères qui avaient
e, à sa faible superficie et aux
Bilbambili tenaient, entre autres, à son caractère insalubr
reconstruction était donc
moyens financiers disponibles. Le coût d'aménagement et de
moins élevé par rapport à d’autres
moindre et le nombre de ménages à recaser était
Cf. Carrefo ur africain, n° 903, Ouagadou-
quartiers comme Zangouetin et Kiedpalogo.
gou, 4 octobre 1985, p. 4.
269
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

de distribution de parcelles furent entreprises dans tout le pays” au nom du


principe « Un ménage, une parcelle. » À cet effet, les autorités expérimenté.
rent les Méthodes d'aménagement progressif (M.A.P.) qui consistaient à im.
planter les bornes et à permettre aux populations de s’installer sur les parcelles
délimitées avant l’équipement de la zone en infrastructures urbaines de base,
409- La Banque populaire de l’habitat (B.P.H.) créée le 11 juillet 1984
était devenue opérationnelle le 1°” juillet 1985. Le manque de fonds dis-
ponibles avait entraîné ce retard dans le fonctionnement. Pour prétendre
aux prêts il fallait soit avoir des revenus mensuels inférieurs ou égaux à
cent dix mille francs CFA, soit être titulaire d’un compte d’épargne Io-
gement pour une première résidence. La caution morale du C.D.R. du
secteur ou du lieu de résidence du demandeur était nécessaire. La posses-
sion d’une maison par un des conjoints rendait d’office le couple inéli-
gible. Les sociétés immobilières de droit burkinabè pouvaient aussi béné-
ficier de prêts pour la construction de logements dont le coût unitaire ne
devait pas excéder trois millions de francs CFA. C’était le montant
maximum de crédit pour une maison que la banque octroyait. Lorsqu'un
dossier était accepté, l’argent n’était pas remis directement au bénéfi-
ciaire mais à la SO.CO.G.LB. qui se chargeait de la réaJisation des tra-
vaux pour le compte de celui-ci. Cela pour éviter Putilisation de l’argent
à d’autres fins (mariages, baptêmes, funérailles, dépenses de consomma-
tion et de prestige, etc.) Si le bénéficiaire tenait à réaliser directement ses
travaux, le tâcheron devait être agréé par la SO.CO.G.LB. Les prêts
étaient remboursables en quinze ans avec un taux d'intérêt de 11%.
E) LA PROMOTION DE LA FEMME
419- Dans le secteur moderne, la place de la femme restait secondaire
au Burkina même si sa situation pouvait être mieux que dans d’autres
pays. La scolarisation des filles restait faible : une fille pour deux garçons
dans le primaire. Le C.N.R. se proposait d’encourager la femme burkina-
bè à combattre pour sa propre émancipation et de créer les conditions

3 En août 198$ les lotissements avaient déjà permis de dégager seize mille parcelles
sur l’ensemble du territoire. Les opérations de lotissement avaient concerné les villes
suivantes : Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Dédougou, Ouahigouya, Banfora, Gaoua,
Diapaga, Kongounsi, Yako, Tenado, Pissila, Kokologo, Kantchari. En 1986, soixante-
deux mille parcelles de terrain d'habitation avaient été loties et distribuées.
270
Thomas SANKARA et ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBELA

nécessaires à cet effet. Pour favoriser l'expression et la prise de cons-


cience des femmes dans les C.D.R., la Direction de la mobilisation et de
la participation féminine (D.MO.F.) avait été créée. Toutes les structures
de la Révolution étaient tenues d’élire un certain nombre de fermes dans
leur direction. Dès 1983 le ministère de l’Essor familial et de la Solidarité
nationale avait créé une Direction de la participation des femmes au dé-
veloppement dont le but était l’alphabétisation des femmes et
l'amélioration de leur situation économique par le moyen de la vulgarisa-
tion de technologies appropriées (moulins, charrettes, etc.) et la promo-
tion de groupements féminins de petit élevage et de production maraî-
chère ou artisanale. Il était prévu d'intégrer le planning familial dans les
activités courantes des soins pour contribuer au contrôle des naissances et
à l'amélioration de la santé de la mère et de l’enfant. C’est sous la Révo-
lution que les femmes ont réellement commencé à prendre part aux fonc-
tions administratives et politiques à tous les niveaux. À la tête des pro-
vinces, des femmes ont exercé pour la première fois la fonction de haut-
commissaire®#, Sur dix-neuf ambassadeurs du Burkina à l’étranger, trois
étaient des femmes dont l’une à Accra, une autre à Bamako et la troi-
sième à Bonn alors capitale de la République fédérale d'Allemagne
{R.F.A.). Environ 20% des ministres étaient des femmes”,
411- Le ministère de l’Essor familial et celui de la Justice ont travaillé
à l'élaboration d’un nouveau code de la famille. À partir de 1985 une
campagne d’information a été entreprise et des débats publics organisés
afin de dégager le type de famille qui convient aux Burkinabè, Les débats
ont beaucoup inquiété les paysans. Les propositions des autorités ébran-
laient et transformaient profondément le système traditionnel et ancestral.
Rien n’est aussi important pour le paysan que les traditions. Dans les
villages, outre les hommes, des femmes se sont opposées à L'institution
de la monogamie. Les travaux ménagers sont assurés par les femmes et
plus elles sont nombreuses, moins chacune à à faire grâce à la répartition

SH Le haut-commissaire est l'équivalent du préfet. Il est à la tête d’une province qui est
l'équivatent d’un département en France.
55 Dans le dernier gouvernement de Sankara dont la composition a été rendu publique
le 4 septembre 1987 et qui comprenait vingt-huit membres, les ministères suivants
étaient dirigés par des femmes : Budget, Santé, Culture, Essor familial et Solidarité
nationale, Environnement et Tourisme.
271
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA

du travail. Pour elles la monogamie c’est faire face toute seule aux tra-
vaux ménagers sans compter la collecte du bois de chauffe, la recherche
de l’eau et les travaux des champs en hivernage. Le nouveau code de Ja
famille qui est entré en vigueur en 1990 a pris en compte ces préoccupa.
tions en proposant la polygamie comme option”*5.
412- Le CNR. avait, déjà à cette époque, engagé la lutte contre
l’excision. Des conférences, des débats et des tournées d'explication fu-
rent organisés. À ce niveau également, les résistances furent vives. Selon
les travaux de Cheikh Anta Diop, la pratique de l’excision et de la cir-
concision dans certaines sociétés africaines remonterait à la Nubie et à
l'Égypte antique d’où les Juifs auraient hérité de la circoncision lors de
leur séjour de plusieurs siècles. C’est donc un domaine sensible et les
autorités usaient de beaucoup de patience et de précaution. L’excision a
depuis été érigée en délit au Burkina.
413- En 1985, à l’occasion du deuxième anniversaire de la Révolution,
Sankara dans son discours fit la proposition d’un “salaire vital” au béné-
fice des femmes. Le salaire vital devait permettre aux femmes de ne pas
continuer à souffrir des désordres des hommes. Selon lui, « l'État ne con-
traïnt personne au mariage, mais exige que celui qui fonde un Joyer as-
sume ses responsabilités. [...] I y a des hommes qui transforment leur
femme en bonne à domicile, leur refusant cependant Jusqu'au salaire de
bonne, et dissipant en futilités, l'argent destiné au foyer. Ce qui du point
de vue de la morale simple est amoral, et pour la R.D.P. inacceptable.
C'est pourquoi, des mesures sont étudiées pour permettre aux femmes de
recevoir de leur mari par l'intermédiaire du gouvernement, ce que nous
allons appeler le “salaire vital”. » La proposition a eu des difficultés à
se concrétiser et à fini par être abandonnée. Il y avait des difficultés tech-
niques pour le prélèvement du salaire. La mesure pouvait ne pas toucher la
majorité des cas parce que beaucoup d'hommes ne sont pas officiellement
reconnus mariés sur les fiches de renseignements des services de la solde du
ministère du Budget. Il y a aussi des familles qui se sont constituées sans acte
officiel de mariage. On peut aussi se demander si la femme fera nécessaire-

3% Il est à noter que le Syndicat des femmes célibataires de Côte d'Ivoire lutte pour la
promotion et la légalisation de la polygamie. Cf. San Finna, n° 157, Ouagadougou, 20-
#, 26 mai 2002, p. 11 «
272
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. K EM de TAMBÈLA

ment un meilleur usage du salaire vital qui doit être prélevé du salaire du mari.
La tentation existe en effet de se livrer à des dépenses de coquetterie et autres
pratiques qui peuvent se révéler pires que celles du mari. Il n’est pas non plus
exclu que des femmes remettent simplement le salaire vital à leur mari pour
s’assurer la paix du foyer. Certaines femmes avaient même émis des réserves
quant à l'efficacité d’une telle mesure, car elle pourrait encourager les jeunes x
dans le concubinage ou transformer le comportement des salariés vis-à-vis de
leurs épouses.
414- Le C.NR. s'était engagé à enrayer la prostitution. Pour Sankara,
lutter contre la prostitution c’est d’abord et avant tout, donner à chaque
femme un emploi, « le moyen de gagner honnêtement et dignement sa vie,
faire en sorte que chaque femme refuse de se livrer aux besoins lubriques ou
non d'un homme. » Pour lui, combattre la prostitution ne veut pas dire com-
battre la prostituée, Il faut au contraire la protéger «car c'est une malheu-
»
reuse, victime de la société, de l’organisation bourgeoise de la société".
415- Au Burkina la prostitution officielle, la plus connue, se rencontre -
/ dans les quartiers d’affaires des grandes villes et surtout à Ouagadougou.
Elle a été introduite bien avant l’indépendance du pays et était surtout
exercée par des femmes de pays limitrophes : Togo et Ghana notamment.
En 1986, dans la ville de Ouagadougou, un recensement non exhaustif
dans neuf secteurs sur trente avait permis de dénombrer six cent vingt-
neuf prostituées professionnelles et occasionnelles dont 86,01% de natio-
nalité étrangère. Pour lutter contre la prostitution, le C.N.R. a mené des
opérations symboliques, parfois spectaculaires, destinées à frapper les
mentalités. C’est ainsi que le 16 octobre 1983, à l’occasion d’un “concert
révolutionnaire et populaire”, le président du C.NR. décidait la fermeture
des boîtes de nuit et leur transformation en dancings populaires. Selon lui
les boîtes de nuit sont des lieux de réjouissance égoïste, de dépravation
des mœurs et d’aliénation culturelle. Les amateurs de ces lieux réservés
dépensent égoïstement des sommes folles au détriment de leurs familles.

t,
537 La prostitution est décrite comme étant le plus vieux métier au monde. Cependan
dans la société traditionnelle d’Afrique subsaharienne, l'existence de la prostitution
, compte tenu
n’était pas reconnue. Même si l’infidélité existait, quoique très marginale
des structures sociales.
273
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Ce sont aussi des lieux de rencontre privilégiés des réactionnaires et done


un cadre propice de magouilles et d’intrigues.
416- Les hôtels et les bars supposés utiliser les services de prostituées
ont fait l’objet à plusieurs reprises de descentes de police. Les quartiers
insalubres de Ouagadougou comme Bilbambili et Kiedpalogo réputés
pour abriter des prostituées ont été rasés et reconstruits. À titres symbo-
liques des emplois de bureau ou artisanaux avaient été trouvés à des pros-
tituées reconverties. Le 4 août 1985, lors de la célébration du deuxième
anniversaire de la Révolution, des prostituées furent invitées à la tribune
officielle. La lutte contre la prostitution ne fut pas du goût de tout le
monde, notamment de ceux qui vivaient soit de proxénétisme soit des
charmes des prostituées. En conséquence, après son assassinat, Sankara |
fut traité de misogyne par ses bourreaux du régime du “Front populaire”. L'
417- Pour son engagement en faveur de la libération de la femme,
l’organisation féminine Yewwu Yewwi du Sénégal a décerné à Thomas Sanka- | |
ra en mars 1987 le prix “Aline Sitoé Diatta”. Pour s’être opposée au régime
colonial, Aline Sitoé Diatta qui était une jeune Casamançaise a été déportée
dans les années 1940 à Kayes au Mali alors qu’elle était enceinte. Elle y est
morte en prison. Depuis elle symbolise la lutte des femmes au Sénégal. |
F LA PROMOTION DE L'EMPLOI
418- Le manque d’emploi au Burkina résulte pour une grande part de la
colonisation qui a désarticulé le système social traditionnel qui ne le con- Î
naissait pas. Il est aussi le résultat de l’inadaptation de la formation des |
jeunes qui fait que la formation ne débouche pas sur la création d’emplois |
correspondants et suffisants. C’est ce à quoi voulait remédier Thomas San- |
kara à travers la refonte du système éducatif. Son ambition était de pouvoir |
détourner les jeunes des administrations vers des “emplois productifs” dans
l'agriculture, l’industrie et les entreprises. Selon lui il n’était pas question
d'entretenir « la mentalité petite bourgeoise et néo-coloniale qui veut qu'on
fasse des choix, des distinctions entre les emplois. »

274
Thomas SANKARA et la évolution au Burkina Faso
Une expérience de loppement autogentré
Apollinaire J. K EM de TAMBÈLA

G) LA LUTTE CONTRE LA MENDICITÉ


419- La mendicité est aussi le résultat de la désarticulation du système
social traditionnel. Significatif à cet égard est le fait que, jusque-là, les
mendiants se rencontrent surtout dans les grandes villes. Mendiants le
deviennent de vrais délinquants la nuit. Au Burkina, la
jour, certains
n’est pas toujours synonyme de misère. La mendicité des
mendicité
des
jeunes relève presque toujours d’un fait religieux. Pour leur compte,
leur
notables de la religion musulmane envoient mendier les élèves qui
ité
sont confiés. L’explication officielle qu’on en donne est que la mendic
opé-
instruit l'humilité aux élèves. Dans la réalité c’est plutôt une bonne
ration très enrichissante pour les maîtres qui ne tiennent pas à ce que les
uer
choses changent. Très au fait du problème, Sankara fit remarq
qu'aucune religion n’a encouragé la mendicité.
420- Après une période de sensibilisation, la mendicité fut interdite en
mars 1987 sur toute l’étendue du territoire. Des mesures furent prises pour
les
permettre la réinsertion sociale des mendiants et pour leur donner
ateliers de product ion.
moyens de gagner leur vie par la création de petits
Très vite ces mesures se révélèrent insuffisantes. La place laissée par les
le
mendiants “récupérés” était aussitôt prise par d’autres. Le Burkina étant
favo-
plus méridional des pays sahéliens et bénéficiant de climat un peu plus
nie, à cer-
rable, des ressortissants du Mali, du Niger et même de la Maurita
tains moments de l’année, descendaient mendier jusque dans les rues de
Ouagadougou. Ce qui rendait le phénomène pratiquement incontrôlable.
H) LA PROMOTION DU SPORT
421- Pour Thomas Sankara, le sport ne doit pas être l’apanage d’une
élite, Chacun devrait pouvoir le pratiquer. Le 4 août 1985, dans son dis-
de
cours à la nation, il annonça l'introduction du sport à tous les niveaux
la vie au Burkina. Tous les établissements scolaires des villes et des cam-
pagnes, tous les ministères, toutes {es structures administratives pu-
bliques et parapubliques étaient concernés. Sankara déclarait notam-
nt en
ment : « Chaque agent de ! "État burkinabè sera jugé non seuleme
porte au
fonction de ses compétences, mais également de l'intérêt qu'il
permetir é
sport. » C’est ce qui allait être appelé “sport de masse”. Pour
l'épanouissement du sport, le C.N-R. avait projeté la construction de sept
275
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

mille terrain de sport à travers le pays, soit à peu près un terrain de Sport
par village. Bien que de nouveaux terrains de sport aient été construits
dans certaines localités, le C.N.R. n’eut point le temps de réaliser entiè-
rement cet ambitieux programme.
422- Le sport de masse suscita des controverses et des hostilités au sein
des salariés. Ils reprochaient au C.N.R. de les contraindre à la pratique du
spoït alors que cela devrait relever de la vie privée et donc laissé au libre
choix de chacun. Pourtant des dispositions avaient été prises pour que cha-
cun pût pratiquer le sport en fonction de ses capacités. C’est l'intention qui
primait. Il est vrai cependant qu’un système de notation avait été envisagé
avec toutefois des instructions pour beaucoup de tolérance et pour ia plus
grande souplesse. Mais la vraie raison de l’opposition au sport de masse est
à rechercher dans sa philosophie même. La pratique du sport de masse met-
tait aux prises et à égalité le personnel d’un même service ou d’une même
entreprise : le directeur aussi bien que le planton évoluaient sur le terrain
dans les mêmes conditions. Les qualités sportives ou les faiblesses de l’un
ou l’autre se révélaient au su et au vu de tous. En outre, le sport de masse
imposait une certaine exigence sur soi ; ce qui n’était pas pour plaire à tout
le monde. Le prétendu caractère obligatoire du sport de masse était même
discutable. Les moments réservés à cet effet, le jeudi après-midi, étaient
amputés des heures de service. Ainsi, le salarié qui pratiquait Le sport le fai-
sait dans le cadre de son service et pendant les heures de service. C’est uni-
quement l’objet du service qui changeait. Il n’y avait donc pas plus de con-
trainte à pratiquer le sport de masse qu’à être à l’heure à son service. Avec le
recul, certains regrettent son abandon car il aurait pu contribuer à faire recu-
ler ie phénomène de l'obésité, les maladies cardio-vasculaires et à améliorer
les performances physiques.
423- Thomas Sankara donnait lui-même l’exemple dans la pratique du
sport. Grand sportif, il faisait du cyclisme, jouait au football, s’entraînait
au karaté et à l’occasion, il se faisait arbitre de football, notamment lors
des rencontres qu’il organisait entre les membres du gouvernement et
d’autres structures ou organisations sportives. En dehors de la capitale,
l'effet du sport de masse fut très faible dans les provinces. Le 6 décembre
1985, lors d’une conférence de presse, Sankara expliqua pourquoi il avait
institué le sport de masse : « Le sport accroît la disponibilité, le sport
276
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

c'est l'efficacité physique et mentale ; et le sport est un facteur de santé.


Nous avons besoin d'un peuple sain, vigoureux et audacieux. La pratique
du sport nous semble offrir un cadre idéal pour élever chez nos militants
ces vertus. C’est pourquoi nous avons convié tout un peuple à pratiquer
le sport, qu'il soit individuel ou collectif. Le sport c'est la victoire sur
soi-même ; la victoire sur nos instincts de paresse, de mollesse. » Ne
dissociant pas le sport de la politique, le C.N.R. a refusé d’engager le
Burkina dans des relations sportives avec des États qui méconnaissaient
les droits humains fondamentaux comme le régime d’apartheid d’Afrique
du Sud. En 1984, à titre symbolique, le Burkina a refusé de participer aux
jeux olympiques de Los Angeles pour ne pas se refrouver aux côtés de
pays qui, comme la Grande-Bretagne, soutenaient par leurs investisse-
ments, le régime d’Afrique du Sud. Dans le cadre de la valorisation des
projets hydroagricoles initiés autour de la vallée du Sourou, une course
cycliste dénommée Roue du Sourou fut lancée en 1986. Dès 1987 elle
prit le nom de Tour du Faso et est actuellement la première course Cy-
cliste du continent par l'ancienneté, la régularité, la qualité de
l’organisation et le prestige.
IV- La politique étrangère du C.N.R

424- Dans le discours qu’il a prononcé le 4 octobre 1984 à la trente-


neuvième session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies,
Thomas Sankara déclarait : « Nous réitérons notre résolution d'être des
agents actifs de la paix ; de tenir notre place dans le combat pour le dé-
sarmement ». Pour lui il s’agissait sans doute d’une paix de classe, une
paix pour les peuples qui ne pouvait être obtenue que dans la lutte contre
l'impérialisme, contre les différentes formes de domination. C'est donc
une paix qui n’exclut pas le conflit, même s’il peut et doit se dérouler
sans les armes. Pour une coopération fructueuse, le C.N.R. en appelait
aux peuples qui, non seulement peuvent changer leur gouvernement,
mais peuvent également manifester leur solidarité à travers les collectivi-
tés locales, les organisations non gouvernementales, etc. Cependant, dans
l'état actuel de l’histoire des peuples, les États et les gouvernements sont
là, incontournables. Alors, en politique internationale, le C.N.R. opta

277
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

pour la coexistence pacifique“? (C). En Afrique sa politique fut orientée


vers la recherche des intérêts mutuels, économiques ou idéologiques (B)
et dans la sous-région elle se fonda sur les rapports de bon voisinage (A).
A) LA POLITIQUE SOUS-RÉGIONALE DU C.N.R
Sous le C.NR,, la politique étrangère du Burkina était tributaire du ré-
gime politique du pays considéré. Dans la sous-région ouest-africaine, il
y avait d’abord les alliés objectifs qu’étaient le Ghana et le Bénin (1), les
États membres de la Communauté économique de l'Afrique de l’Ouest
(CÉAO.) .(@) et enfin les États membres de la Communauté écono-
mique des États de l'Afrique de l'Ouest (C.É.D. É.A.O.) (3).
1- Les alliés objectifs
Il s’agit du Ghana (a) et du Bénin (b).
a) Le Ghana
425- Le Ghana qui était présidé par le capitaine d’aviation John Jerry
Rawlings était le meilleur allié du Burkina. Avant la Révolution, les deux
pays étaient des voisins qui s’ignoraient pratiquement. L’histoire colo-
niale de chaque pays y était sans doute pour quelque chose, Mais, le
Ghana va contribuer de façon déterminante à l'avènement de la Révolu-
tion et la convergence des points de vue entre les dirigeants des deux
pays conduira à des relations particulières. Une intense coopération mili-
taire existait entre les deux pays. Dès novembre 1983, les armées gha-
néennes et burkinabè étaient liées par un traité de défense mutuelle. Du 4
au 8 novembre 1983, des manœuvres militaires dénommées “Bold
Union” (Union courageuse) et regroupant des militaires ghanéens et bur-
kinabè se sont déroulées en territoire burkinabè. Le 14 novembre 1983 à

3% Le Soviétique C. Leiteizen définit ainsi la coexistence pacifique : « Du moment où,


parallèlement aux vieux États capitalistes, sont apparus des États nouveaux, socialistes,
entre les uns et les autres doivent intervenir des rapports économiques pacifiques, des
relations commerciales et culturelles permanentes, et non des relations de guerre
“froide” et, à plus forte raison, de guerre “chaude” ; c'est reconnaître le fait que tous
les conflits et litiges pouvant survenir entre États ne doivent se régler que par la voie de
négociations, et non pas par voie de guerres. » Cf. C. Leiteizen, Préface à Lénine, La
Coexistence pacifique, Éd. en langues étrangères, Moscou, p. 5. Cité par Mario Bettati,
Le conflit sino-soviétique, Paris, À. Colin, coll. U2, t.1, 1971, p. 224.
278
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocenitré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Accra, le ministre burkinabè de la Défense annonçait à son homologue


ghanéen que les forces armées burkinabè assureraient la défense du Gha-
na en cas d’agression. Du 17 au 23 mars 1985, une seconde manœuvre
ait
militaire conjointe dénommée “Team Work” (travail d’équipe) regroup
les deux armées, cette fois, en territoire ghanéen.
426- L’excellence des relations entre les deux pays était telle que
le
Thomas Sankara avait même proposé une fusion entre le Ghana et
Burkina. C’est en avril 1985 qu’un projet d’ “intégr ation politiq ue” entre
quand le
les deux pays a été rendu public au Ghana. En septembre 1985,
président Rawlings se rend au Burkina dans le cadre des consultations
t qui a
régulières entre le Ghana et le Burkina, le communiqué conjoin
se sont
sanctionné cette visite fait remarquer que « les deux présidents
août
félicités de l'état d'avancement de l'union Ghana-Burkina. » Le 16
des deux
1986, après la réunion de la Commission mixte, les autorités
ce politiq ue de
pays s'étaient mises d'accord « pour créer une “instan
haut niveau” dont la mission sera d'établir un calendrier en vue d'une
s
union politique des deux pays d'ici dix ans … Les ministres des Affaire
peuples
étrangères des deux pays ont exprimé le désir commun de leurs
»
d'arriver à une union politique pour consolider leurs révolutions,
427- La mise en place d'institutions mixtes dans le domaine de
le
l'énergie et des transports, et une harmonisation des législations dans
domaine juridique et criminel avaient été prévues de même qu'il avait été
retenu le principe de se regrouper au sein d’une même zone monétaire
pour faciliter l’intégration économique. Les experts en Postes et Télé-
communications avaient étudié les possibilités d’un acheminement direct
du courrier entre les deux pays, lequel passait par le Togo et la Côte
d'Ivoire. Un projet commun de liaison hertzienne devant permettre
d'établir des liaisons téléphoniques, des télex et des canaux de télévision
avait été examiné. Les deux pays avaient décidé de maintenir des liaisons
interfrontières entre Bolgatenga au Ghana et Pô au Burkina et de faciliter
le
les possibilités de transmissions d’émissions télévisées entre eux. Dans
discours qu’il a prononcé à la clôture de la deuxième Conférence natio-
nale des C.D.R. tenue du 30 mars au 3 avril 1987 à Dédougou, le lieute-
nant-colonel à la retraite J.Y. Assassi qui était coordonnateur général des
per-
C.DR. du Ghana et chef de la délégation ghanéenne déclarait : «.…
279
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
érience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

mettez-moi de vous rappeler une autre question cruciale … C'est la ques.


tion de l'unité socio-économique ef politique de nos deux pays et de leur
peuple. [...] je pense que le plus crucial et fondamental à notre unité ess
le lien sacré entre des organes tels que les nôtres. Ma délégation et moi.
même pour cela vous invitons à vous assurer que toute résolution qui
émargera de cette Conférence, tout en appelant à nos leaders pour häter
l'allure de l'intégration sociale et politique de nos deux pays, devrai
demander la fusion immédiate des C.D.R. du Ghana et du Burkina Faso,
reconnaissant que nos ennemis communs sont décidés à briser nos glo-
rieuses révolutions par tous les moyens et à tout prix, et en sachant que
notre force et notre garantie de survie résident en dernier lieu dans
l'intégration totale du Burkina et du Ghana .»
428- Sur le plan économique, en dehors des échanges informels entre
les populations frontalières, rien de concret n’avait officiellement été
entrepris auparavant pour initier des relations économiques entre les deux
pays. Dans ce domaine, tout était pratiquement à construire à partir de
rien. Tenant compte des réalités des pays sous-développés qui se tradui-
sent souvent par le manque de liquidité, les autorités des deux pays ont
tenté un accord de troc de la viande du Burkina contre du sel, du bois et
la cola du Ghana, mais le résultat n’a pas été concluant. Il s’est posé entre
autres, le problème d'établissement du prix de base et d’estimation de la
valeur des produits. Il est cependant permis de penser qu’en se référant
au prix du marché mondial, ce genre de problème aurait pu être surmon-
té. C’est ainsi que dans un accord commercial conclu entre la Haute-
Volta et la République populaire de Chine, il était prévu qu’en cas de
troc, les prix des produits échangés seraient basés sur les prix du marché
mondial. Néanmoins, de 1983 à 1985, les échanges économiques entre le
Ghana et le Burkina avaient déjà plus que triplé et le 17 mai 1986, les
deux pays décidaient de rétablir les liaisons aériennes entre Accra et
Ouagadougou suspendues depuis 1977. Le 12 août 1987, Ghana airways
effectuait son deuxième vol sur Ouagadougou.
429- Sur le plan culturel, un accord de coopération a été conclu entre
les deux pays le 17 novembre 1983. Il était prévu entre les deux pays des
échanges d’information sur les systèmes éducatifs, une coopération inter-
universitaire avec échanges d'étudiants, d’enseignants, de chercheurs,
280
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA
mouve-
etc., des échanges en matière d’information, des échanges entre
Des ren-
ments de jeunesse et la promotion des produits touristiques.
abé et des
contres culturelles se faisaient régulièrement entre des Burkin
Ghanéens.
b) Le Bénin

430- Avec le Bénin les relations ont été moins suivies. Même si chacun
béni-
des deux pays se proclamait révolutionnaire, il apparaît que le régime
préoccupé
nois, notamment son président, Mathieu Kérékou””, était plus
ormati on révolut ionnaire
par la phraséologie révolutionnaire que par la transf
à un rappro-
de la société et des structures de l'État. Ce qui n’a pas contribué
sie
chement significatif entre les deux régimes au-delà des visites de courtoi
janvier
et des formules de politesse. Néanmoins, un accord a été signé le 29
1984 portant sur l’utilisation du port de Cotonou par le Burkina.
2- Les États membres de la Communauté économique de
l'Afrique de l'Ouest (C.E.A.O.)
d’Ivoire (a)
Si avec leNiger (e) les relations étaient apaisées, avec la Côte
et le Togo (b) elles étaient suffisamment froides pour être par moments
orageuses avec le Mali (d).
a) Les relations entre le C.N.R. et la Côte d'Ivoire
a
431- La Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest {CÉ.A.O)
olta, le
été créée le 17 avril 1973 et comprenait la Côte d'Ivoire, la Haute-V
dissoute
Mali, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal. Elle a été officiellement
re
le 15 mars 1995. En fait, elle a fait place à l’Union économique et monétai
suppléer aux
ouest-africaine {UÉM.O.A) créée le 10 janvier 1994 pour
1983, le
carences de la C.É.A.O. Au moment où survient la Révolution en
président ivoirien Félix Houphouët-Boigny était le doyen des chefs d'État
qui, de loin,
d’Afrique francophone. La puissance économique de son pays
e et à en-
surpassait celle des autres pays, contribuait à accroître son prestig
était telle qu’il
tretenir son mythe. Son influence sur l’Afrique francophone
suite d’un
59 Le commandant Mathieu Kérékou était arrivé au pouvoir en 1972 à la
Devenu entre-temps général, il quitta le pouvoir en 1991 à la suite d’un
coup d'État.
libres. En 1996 il
mouvement populaire qui le contraignit à l'organisation d'élections
2006. Il est décédé le 14
revint au pouvoir par la voie des élections et y resta jusqu'en
octobre 2015.
281
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

forçait le respect et la crainte des autres chefs d'État. La Côte d'Ivoire a


construit sa prospérité en partie au détriment du Burkina par l’exploitation
de sa main-d'œuvre et la domination de son marché intérieur. Le C.NR.
n’entendait donc pas rendre un hommage particulier à celui dont la gouver.
nance était en partie responsable de la misère de son pays. De son côté,
Houphouët-Boigny qui n’entendait pas voir quelqu'un d’autre prendre sa
place à la tête de la Côte d'Ivoire? n’avait jamais bien apprécié les coups
d’État qui survenaient au Burkina. Très libéral dans sa politique économique
et bien inféodé à la France, il tenait en horreur le socialisme et surtout le
communisme. Ayant tout fait pour soutenir le régime du C.S.P.-IT de Jean-
Baptiste Ouédraogo, il avait ressenti l’avènement de la Révolution comme
un échec personnel et même comme un affront à sa personne. Cet ensemble
de faits rendait délicates les relations entre le C.N.R. et la Côte d'Ivoire.
432- Dès le lendemain de l’avènement de la Révolution, le 5 août
1983, la radio nationale organisait un concert des auditeurs pour l’amitié
entre les peuples ivoirien et burkinabè. Sans doute dans l'intention se-
crète de calmer les dirigeants ivoiriens. Puis, le C.N.R. muiltiplia, sans
trop convaincre, les gestes d’amitié à l’égard des gouvernements des pays
voisins. Mais, Houphouët-Boigny ne manqua pas d'occasion pour mani-
fester son hostilité au régime du C.N.R. et à son président. En fin octobre
1983, alors que la présidence de trois des principales institutions sous
régionales”! devait revenir au Burkina, Houphouët-Boigny, usant de son
influence, mit son veto, faisant ainsi bénéficier le Mali de la prési-
dence*®. Le 28 mai 1984, Thomas Sankara devait se rendre en Côte
d’Ivoire pour un voyage officiel. La veille, soit le 27 mai, le déplacement

#0 Houphouët-Boigny est mort au pouvoir de maladie le 7 décembre 1993. La Côte


d'Ivoire a proclamé son “indépendance” le 7 août 1960. Mais, en raison de l’hivernage
et des travaux champêtres, c’est le 7 décembre qui a été retenu pour la célébration an-
nuelle de la fête. Il se dit que Houphouët était mort bien avant mais que les autorités ont
préféré gardé secrète la nouvelle pour l’annoncer le 7 décembre et contribuer ainsi à
entretenir le mythe du “père de la nation”. Pour certains, il aurait été maintenu artificiel-
lement en vie jusqu’au 7 décembre.
1 Il s’agit de la Communauté économique de l’Afrique de l'Ouest (C.É.A.0.), de
l’Accord de non-agression et d’assistance en matière de défense (A.N.A.D.) et de
l'Union monétaire ouest-africaine (U.M.O.A.) à ne pas confondre avec l’U.É.M.O.A.
#2 Cf. -Carrefour africain, n° 803, Ouagadougou, 4 novembre 1983, p. 20-21.-S. An-
driamirado, Sankara le rebelle, op. cit., p. 130-132.
282
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

fut annulé pour désaccord sur le programme. Alors que pour Houphouët-
Boigny le déplacement de Sankara devait se limiter à Yamoussoukro, la
nouvelle capitale politique, celui-ci entendait aller jusqu’à Abidjan à la
rencontre de la communauté burkinabè et ÿ tenir un meeting.
433- En février 1985 se tenait à Yamoussoukro une conférence au
sommet des chefs d’État des pays membres du Conseil de l’Entente qui
regroupe, outre la Côte d'Ivoire, le Bénin, le Burkina, le Niger et le To-
go”. Dans l’appartement de l'Hôtel Président que devait occuper San-
Kara, une explosion détruisit la salle de bain. Le résultat des enquêtes
promises par les autorités ivoiriennes ne fut jamais connu. Il se trouve
que, contre toute attente, la venue de Sankara à Yamoussoukro n’était pas
prévue. C’est Blaise Compaoré qui devait l’y représenter. On a prétendu
alors que la bombe aurait été placée par les services de sécurité ivoiriens
dans l'appartement que devait occuper Compaoré pour lui faire croire
que c'est Sankara qui tentait de l’éliminer. En outre, Houphouët-Boigny
aurait envoyé des messages “urgents et secrets” au président français
d'alors, François Mitterrand et à certains de ses conseillers pour le mettre
en garde contre celui qu’il qualifiait de “Kadhafi noir” de l’Afrique occi-
dentale et insister pour que soit gelée ou conditionnée toute aide française
au Burkina. Pour lui, il fallait se débarrasser du président Sankara et de la
Révolution burkinabè avant que la contagion ne s’étende”*.
434- Le chemin de fer qui relie Abidjan à Ouagadougou était géré en
commun par les deux pays à travers la Régie Abidjan Niger (RAN.)S

53 Le Conseil de l’Entente a été créé le 29 mai 1959 à l’initiative de Félix Houphouët-


Boïigny pour contrer la Fédération du Mali qui, à l’instigation du P.R.A., avait vocation
à regrouper les colonies de l'A.O. À l’origine il regroupait le Dahomey (Bénin), la
Côte d'Ivoire, la Haute-Vol ta (Burkina Faso) et le Niger. Le Togo y adhéra en 1966.
SM Cf. Afrique Asie, n° 365, Paris, 13 janvier 1986, p. 11.
55 C’est dès 1893 que la construction de ce chemin de fer fut envisagée par le capitaine
Marchand. Les travaux commencèrent le 12 janvier 1904 sous la direction du capitaine
Houdaille, officier du génie. Ils furent interrompus par la première guerre mondiale et
c’est en 1934 que les rails arrivèrent à Bobo-Dioulasso. À partir de Bobo, le prolonge-
ment était prévu vers Koutiala au Mali. Commencé en 1938 à l’instigation du môgh
näba Kôm II et sous l'autorité de Georges Mandel, ministre des Colonies, le prolonge-
et c’est
ment vers Ouagadougou sera aussi interrompu par la deuxième guerre mondiale
le 23 octobre 1954 que le chemin de fer arriva à Ouagadougou. L’inauguration officielle
eut lieu le 4 décembre 1954 en présence de Robert Buron, ministre de la France
283
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Les divergences de vues sur la gestion amena les autorités ivoiriennes à


demander le 10 janvier 1986 la gestion séparée pour compter du 30 sep.
tembre 1987. Tout laisse croire que cette décision avait quelque peu sur-
pris les autorités burkinabè. Néanmoins, elles décidèrent d'y faire face et
le conseil des ministres du 11 mars 1987 donna mandat au ministre des
Transports et des Communications « pour agir afin de concrétiser la ges-
tion de la partie burkinabè du chemin de fer. » Toutefois, du 18 au 28
juillet 1987, la ministre burkinabè de l’Essor familial et de la Solidarité
nationale, Joséphine Ouédraogo, était en mission à Abidjan. À cette oc-
casion elle eut à remettre un message de Sankara à Houphouët-Boigny
relatif à la gestion séparée de la R.A.N. et concernant probablement une
demande d’un nouveau délai pour la mise en œuvre de la gestion séparée.
435- Le 8 juillet 1987, tout comme il l’avait déjà fait en octobre 1983
pour la CÉAO. Houphouët-Boigny fit tout pour bloquer la candidature du
Burkina à la présidence de la Communauté économique des États de
l'Afrique de l'Ouest {CÉ.D.É.A.O.)* D’aucuns ont prétendu que c'était
pour éviter que les malversations qui y avaient pignon sur rue ne fussent mis
au jour. Exceptés quelques éclaircis, pour l’essentiel, les relations politiques
entre le C.N.R. et le gouvernement ivoirien furent conflictuelles.
436- Le colonisateur avait bien arrimé la vie sociale, politique et éco-
nomique du Burkina à la Côte d’Ivoire. Sur le plan économique done, le
pays dont Sankara venait de prendre la direction n’avait pratiquement pas
d’autonomie par rapport à la Côte d’Ivoire. Les exportations du Burkina
vers la Côte d’Ivoire se limitaient surtout au bétail alors que les importa-
tions couvraient une gamme variée allant des produits manufacturés aux

d'Outre-Mer et de deux députés ivoiriens, Félix Houphouët-Boigny et Daniel Ouezzin


Coulibaly. En guise de reconnaissance, la place de la gare à Ouagadougou a été baptisée
Place Näba Kôm.
La R.A.N. sera créée le 1° août 1954, Son fonctionnement était régi par la con-
vention du 30 avril 1960 signée entre les deux pays.
Pour plus d’informations, cf. : -Carrefour africain, n° 979, Ouagadougou, 20
mars 1987, p. 6-16. Carrefour africain, n° 1044, Ouagadougou, 24 juin 1988, p. 14-16.
L'Observateur Paalga, n° 8036, Ouagadougou, 29 décembre 2011, p. 10-12. —
Libération, Paris, 16 mars 1987, p. 17.
#6 Cf. Norbert Zongo, “Une seule candidature … et de trop”, Carrefour africain, n° 997,
Ouagadougou, 17 juillet 1987, p. 14-17.
284
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autogentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
de
produits agricoles comme la banane, la banane plantain, l’ananas, la noix
le
cola, sans oublier le bois. En 1986, 80% des marchandises acquises par
Burkina sur le marché africain provenaient de la Côte d’Ivoire. Le Burkina
était et reste toujours un débouché naturel pour l’industrie et lés produits
les
ivoiriens. Le chemin de fer qui relie Abidjan à Ouagadougou facilite
vement au profit de :
échanges entre les deux paysQui se font presque exclusi
la Côte d'Ivoire. Les tentatives du C.N.R. pour limiter la dépendance du
-
Burkina et créer de nouveaux circuits n’ont pas eu le temps de se concréti
ser. Ii faut cependant noter le transfert régulier au Burkina de fonds pro-
venant des Burkinabè résidant en Côte d’lvoire qui, jusqu’en 20007,
s'élevait en moyenne à une quarantaine de milliards par an et représentait
environ 90% de l'épargne rapatriée par les Burkinabè de l'étranger.
b} Les relations entre le C.N.R. et le Togo
437- Le président du Togo était le général Étienne Évadéma Gnassingbé
$% Qui était en très bons rapports avec les gouvernements français et ivoi-
sen-
rien. En revanche, les relations entre le Togo et le Ghana étaient très
sibles. Le premier président togolais Sylvanus Olympio a été assassiné le 13
janvier 1963 lors d’un coup d'État sous la supervision d'Évadéma Gnas-
singbé, alors sous-officier. Le fils d'Olympio, Gilchrist Olympio qui vivait
en exil au Ghana animait à partir de ce pays un mouvement d’opposition à
Éyadéma Gnassingbé"”. En outre, l’option révolutionnaire du Ghana était à

#47 À partir de 2000, des perturbations sont intervenues dans les rapports entre les popu-
com-
lations des deux pays et aussi entre les deux États. Dans la lutte pour le pouvoir
hommes politiques comme
mencée peu avant la mort de Houphouët-Boigny, certains
Laurent Gbagbo du Front populaire ivoirien (F.P.I.) et Henri Konan Bédié du P.D.C.L.-
R.D.A. ont eu recours à des notions d'exclusion comme l’“ivoirité” et à des pratiques
sep-
xénophobes. En 2000, des milliers de Burkinabè maltraités furent rapatriés. Le 19
coup d'État contre le président Laurent Gbagbo aboutit à la
tembre 2002, l’échec d’un
grâce à
partition du pays en deux : le sud resté sous l'autorité de Laurent Gbagbo
rebelles. Avec
l'intervention de l’armée française et le nord occupé et contrôlé par les
troubles qui
l'arrivée au pouvoir en avril 2011 de Alassane Dramane Ouattara après les
et du 28 novembre 2010, la
ont marqué l'élection présidentielle contestée du 31 octobre
réconciliation, quoique difficile, semble s’amorcer.
fils
SE Évadéma Gnassingbé est décédé au pouvoir de maladie le $ février 2005. Son
Faure Gnassingbé lui a succédé.
eu à
S# Après une très longue période passée dans l'opposition pendant laquelle il a
fini
subir toutes sortes de vexations et des tentatives d’assassinat, Gilchrist Olympio a
285
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

l’opposé des choix politiques du Togo. Autant d'éléments qui ne favori.


saient pas des relations sereines entre le Togo et le Burkina qui était l’allié
objectif et fidèle du Ghana dans la sous-région.
438- Les relations entre les deux pays vont se détériorer d’avantage à la
suite d’une série d’explosions qui se sont produites à Lomé, la capitale
togolaise pendant l’été de 1985. Le Ghana fut montré du doigt et indirec-
tement aussi le Burkina. Se sentant suffisamment menacé, Éyadéma
Gnassingbé insista pour que soit convoqué une conférence au sommet
des chefs d’État du Conseil de l’Entente sur la sécurité. Thomas Sankara
n’apprécia pas cette démarche car des tentatives de déstabilisation de son
régime et des explosions plus meurtrières s'étaient déjà produites au
Burkina sans 4" *aucun chef d’État ne lui adressât un simple témoignage
de sympathie”*. De retour de la conférence qui s’est tenue le 10 sep-
tembre 1985à Yamoussoukro, ville natale de Félix Houphouët-Boigny
devenue la capitale politique de la Côte d’Ivoire, Thomas Sankara ne
cacha pas son amertume. Dans un long discours improvisé dont il peut
être utile de reproduire des extraits, il exprima son sentiment sur la paix
et la sécurité dans la sous-région déclarant notamment : «... i/ a été ques-
tion de la sécurité suite aux derniers attentats survenus au Togo, à Lomé
précisément. [..] si ces explosions impliquaient une tierce partie, un autre
État, un autre peuple, que l'on nous dise clairement le nom de ce peuple, le
nom de ce pays afin que nous Burkinabè nous puissions également nous
prononcer clairement. Nous avons été plusieurs fois menacés, il y a eu des
explosions, certains de nos camarades sont tombés. Jamaïs une larme n'a
été écrasée pour pleurer nos morts, jamais l'on ne s’est indigné contre ces
agressions nombreuses, multiformes, dirigées contre notre peuple. Jamais le
Conseil de l'Entente n'a cru devoir convoquer un sommet pour nous soute-
nir ne serait-ce que moralement. Cela aussi, nous avons tenu à le dire. »

par rejoindre le pouvoir de Faure Gnassingbé en 2019. Ce ralliement, quelque peu inat-
À tendu, a provoqué la scission de son parti, l’'U.F.C. ( Unionpour le changement).
50 À titre d'exemples : Le 20 mai 1984 un attentat fut dirigé contre le C-N.E.C. de P6.
Le 27 mai 1984 une tentative de coup d’État aurait été déjouée. Sept des prétendus
conjurés furent passés par les armes le 12 juin 1984. Le 18 juillet 1984 le commandant
Amadou Sawadogo, chef d'état-major général adjoint des forces armées était victime
d'un attentat. Dans la nuit du 31 mai au 1° juin 1985, un dépôt d’armes explosait au
camp militaire de Gounghé.
286
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
‘Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
-

( 439 Dans la nuit du 23 au 24 septembre 1986, un coup de force fut de


t venus
nouveau engagé contre Le régime togolais. Les assaillants seraien
du Ghana. Avec le président ghanéen J.J. Rawlings, Sankara fut accusé
nts. Le
par les autorités togolaises d’avoir entraîné et équipé les assailla
aux
gouvernement français manifesta sa solidarité et son engagement
des
côtés du régime togolais en faisant survoler la capitale togolaise par
avions de combat pour rassurer Éyadéma Gnassingbé. En outre, la France
du
y dépêcha deux cent cinquante parachutistes et le président Mobutu
nt
Zaïre trois cent cinquante. Les médiations de l'O.U.A. et du préside
crise
congolais Denis Sassou Nguesso ne trouvèrent pas d’issue à cette
qui, pendant longtemps, pratiquement jusqu’à l’assassinat de Thomas
et
Sankara, a empoisonné les relations entre le Togo d’une part, le Ghana
ns
le Burkina d’autre part. Malgré les divergences politiques, les relatio
le
économiques se sont poursuivies, notamment à travers l'utilisation par
Burkina du port de Lomé pour ses opérations d’import-exp ort.
c) Les relations entre le C.N.R. et le Niger
449- Le Niger a été, après le Mali, le deuxième pays que Thomas Sankara a
la
visité en tant que président du C.N.R. C'était le 22 septembre 1983 dans
localité de Téra au Niger, officiellement sur invitation du général Seyni
Kountché‘! alors président du Niger. À l'issue de cette rencontre il fut décidé
la création d’une grande commission mixte de coopération entre les deux
États. Ce fut la coexistence pacifique entre les deux régimes. Il convient toute-
fois de noter que Seyni Kountché avait interdit la création de CDR. au Niger.
441- Sur le plan économique quelques incompréhensions ont pu exis-
ter. Le Burkina importait une partie de son pétrole du Nigeria. Le trans-
port qui se faisait par la route traversait le territoire nigérien et les trans-
porteurs burkinabè étaient soumis à une taxe de 3% sur la valeur du pro-
duit transporté. En guise de réciprocité et surtout pour assurer l’entretien
du réseau routier bitumé dont la réalisation représente une grande partie
de la dette extérieure du pays, le C.N.R. avait aussi institué, mais pour un

avait
S Le lieutenant-colonel Seyni Kountché, chef d'état-major général de l'armée, le 7
à Paris
pris le pouvoir le 15 avril 1974 par un coup d'État. Il est mort de maladie
pouvoir. Il était alors général.
novembre 1987 à 15h 15 mn alors qu’il était toujours au
287
Thomas SANKARA et ta Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
temps seulement, une taxe de transit de 4%. Cette mesure avait contribué
à détourner sur Cotonou au Bénin une partie du trafic du port de Lomé,
Les transporteurs nigériens qui cherchaient à éviter le territoire burkinabè
se repliaient de plus en plus sur Le port béninois. Vu la concurrence entre
les deux ports, cela n’était pas pour plaire aux autorités togolaises.
d) Les relations entre le C.N.R. et le Mali
442- Le Mali est le premier pays que Thomas Sankara a visité en tant
que président du C.N.R. C'était le 16 septembre 1983. À l'issue de cette
visite, il fut décidé le principe de la mise en place d’une grande commis-
sion mixte de coopération entre les deux pays. Entre le Burkina et le Mali
les relations n’étaient pas sans nuage. Un problème de délimitation de
frontière opposait les deux pays. Déjà en décembre 1961, dans la partie
nord du Burkina, un incident frontalier avait opposé des patrouilles mili-
taires des deux pays. Chacun des deux pays revendiquait une bande de
terrain située dans la partie nord du Burkina connue sous le nom de Aga-
cher*?, Son sous-sol était supposé contenir des ressources précieuses ; ce
qui rendait l’enjeu très important. En décembre 1974, un bref conflit ar-
mé avait opposé les deux pays. On raconte qu’à cette occasion Thomas
Sankara s’était illustré par de hauts faits d’arme. Cependant, à son acces-
sion au pouvoir, il chercha à minimiser le problème en se référant aux
peuples. Il déclara notamment qu’il ne connaissait pas de conflit entre le
peuple malien et le peuple burkinabè. Le problème qui se posait était
done un fait des États et ne concernait pas les deux peuples. À l’occasion
de son déplacement au Mali, un accord fut signé le 16 septembre 1983
par lequel les deux pays décidaient de soumettre le différend frontalier à
la Cour internationale de justice’ 53,
443- Le Mali avait quitté l’Union monétaire ouest-africaine
(U.M.O.A.) en 1961 pour créer sa propre monnaie, le franc malien. Ce-
lui-ci ne tarda pas à connaître le désordre et le Mali exprimait son désir
de réintégrer l’U.M.O.A. Mais les gouvernements successifs du Burkina
avaient toujours fait usage du droit de veto prévu par les accords pour
s’opposer à la réintégration du Mali tant que le problème frontalier ne

52 Agacher est le nom que les Touareg donnent à la rivière Beli qui traverse la région.
S Cf. Carrefour africain, n° 797, Ouagadougou, 23 septembre 1983, p. 17.
288
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autoceutré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

serait pas résolu. Dans sa première conférence de presse du 21 août 1983,


Sankara dira à ce sujet : « Notre peuple n'utilisera jamais un quelconque
veto contre l'entrée du Mali dans l'U.M.O.A. si tel est le désir du peuple
malien. » Lors de la conférence au sommet de la C.É.A.O. tenue à Nia-
mey en fin octobre 1983, Sankara leva le veto du Burkina et le Mali a
depuis réintégré l’U.M.O.A.
444- Toutefois, entre les deux États, la méfiance restait de mise et leurs
relations n’ont pas cessé de se détériorer. Au problème frontalier non
encore résolu se greffaient des divergences politiques. Chaque gouver-
nement accusait l’autre d’abriter ses opposants et de préparer la guerre
le
tout en faisant semblant de prêcher la paix. C’est dans ce contexte que
25 décembre 1985 l'aviation malienne effectua des raids sur la zone con-
testée et même au-delà, jusqu’à Ouahigouya, la capitale du nord du Bur-
kina. C'était le début d’un deuxième conflit frontalier qui, pendant six
jours, connut des affrontements violents entre les deux armées.
445- La cause directe du conflit semble venir des opérations de recen-
sement général qu'avait entreprises le Burkina. L'O.N.U. recommande
de procéder tous les dix ans au recensement de la population. Le dernier
avait eu lieu en 1975. Le C.N.R. décida donc de procéder à un nouveau
recensement du 10 au 20 décembre 1985. L'armée et les militants C.D.R.
furent associés aux opérations. Dans une partie de l'Agacher des mili-
CDR. voulurent procéder au recensement, suscitant ainsi
tants
l'opposition du gouvernement malien pour qui le territoire et lès per-
sonnes concernées relevaient de son autorité. Pour le gouvernement ma-
lien il s’agissait d’une manœuvre d'occupation, d’autant plus que le dra-
de
peau du Burkina Faso ÿ avait été hissé. Il lui revenait donc, en état
légitime défense, de repousser par la force ce qu’il qualifiait de troupes
burkinabè d’occupation”*. On peut en effet se poser des questions sur
l'opportunité de la présence de militants C.D.R. dans une zone contestée.
Maïs étant donné qu’il n'existe pas de frontière naturelle entre les deux
pays et vu l'intégration de fait des populations de la région, ce genre
d'incident était prévisible, surtout de la part de militants C.D.R. qui, pour
la plupart, avaient très peu de notions de géographie. Ce sont des inci-

5 Cf, Ordonnance du 10 janvier 1986 de la Cour internationale de justice sur l’Affaire


du différend frontalier (Burkina Faso/Mali), Recueil, 1986, p. 4-12.
289
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

dents que rencontrent fréquemment de nouveaux pays créés artificielle.


ment. Le C.N.R. qui en était conscient, avait tenu à informer par message
tous les gouvernements des pays voisins, y compris le gouvernement
malien, et demander leur compréhension et leur collaboration au cours du
recensement. Par ailleurs, le C.N.R. contestait la version des autorités
maliennes. La version du C.N.R est que les agents recenseurs ont rencon-
tré à la frontière entre le Mali et le Burkina, à l’intérieur du territoire bur-
kinabè, des obstructions systématiques allant jusqu'aux brimades phy-
siques et à des tentatives de planter un drapeau malien dans un village
que toutes les cartes géographiques existantes situent au Burkina”.
446- C’est sans doute un ensemble de circonstances qui avait conduit à
l'affrontement. L’affaire Diawara, du nom de l’ancien ministre ivoirien
devenu homme d’affaires qui avait piloté les opérations de malversation
à la C.É.A.O., empoisonnait les relations entre les deux pays dans la me-
sure où l’épouse du président malien, le général Moussa Traoré**, était
suspectée d’y être impliquée. En août 1985, le Malien Drissa Kéïta, se-
crétaire général de la C.É.A.O., pour avoir fait des déclarations très peu
diplomatiques à l’encontre du régime du C.NR, publiées dans
l'hebdomadaire Jeune Afrique, était déclaré persona non grata et expulsé
du territoire burkinabè”*?. Les enseignants maliens menaçaient de se

5 Cf. Lettre n° 55450/CNR/PRES du 21 décembre 1985 du président du C.N.R. adres-


sée aux présidents des pays suivants : Algérie, Sénégal, Mauritanie, Niger, Togo, Bénin,
Côte d’Ivoire, Libye, France et à l’A.N.A.D.
#% Le lieutenant Moussa Traoré était arrivé au pouvoir le 19 novembre 1968 à la suite
d’un coup d’État. Il en fut chassé le 26 mars 1991 par l’armée à la suite d’un soulève-
ment populaire contre son régime.
S$7 Dans le cadre de cette affaire, Thomas Sankara avait adressé au président malien ce mes-
sage : « J'ai l'honneur de porter à votre connaissance que suite à l'interview du secrétaire
général de la CÉA.O. publiée dans JAH n° 1276 du 19.6.85, j'avais par souci de dia-
logue constructif ef pour lever toute équivoque, invité l'intéressé (télex NR
55163/CNR/.PRES du 19.6.85) à s'expliquer sur l'authenticité des déclarations qui lui sont
attribuées par JA.
À ce jour, Monsieur Drissa Keïta n'a pas cru devoir y donner une suite ni apporter
à la source le démenti qui s'impose. Les révélations supplémentaires rapportées récemment
in exfenso par JA. fout comme celles contenues dans la cassette relative à ladite interview
que m'a remise le secrétaire général de la C.Ë.A.O. achèvent de convaincre le gouverne-
ment burkinabè de la lourdeur de la faute commise par M. Drissa Keïta.
290
Thomas SANKARA et In Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

mettre en grève le 18 décembre 1985 pour protester contre le non-


paiement régulier des salaires. Un risque de généralisation du mouve-
ment aux conséquences imprévisibles était à craindre dans la mesure où
le retard dans le paiement des salaires ne concernait pas les seuls ensei-
gnants. Les autorités maliennes accusaient les autorités burkinabè d’être
derrière ce mouvement de protestation. On peut enfin relever le discours
la
prononcé le 11 septembre 1985 par Thomas Sankara à la Place de
Présidence au cours de la marche que le S.G-N.-C.D.R. a organis ée pour
.du
soutenir les positions qu’il avait exprimées à la conférence au sommet
sécurité (cf. n° 437). I
Conseil de l'Entente de Yamoussoukro sur la

ce
avait dans ce discours invité les peuples des pays voisins à «se débarras-
ser de toutes les vipères qui infestent les lieux, de tous ces monstres qui
les empêchent d'être heureux. » Suivant le principe de la solidarité entre
les peuples qui lui était cher, il proposa de construire un Conseil révolu-
tionnaire de l’Entente, déclarant qu’à ce sujet il savait qu’il pouvait
la
« compter sur les peuples, les peuples du Bénin, du Niger, du Togo, de
Côte d'Ivoire ; parce que nous savons que ces peuples ont besoin de li-
berté, de dignité, de paix et de sécurité ; parce que nous Savons que Ces
débar-
peuples ont compris que seule la révolution leur permettra de se
rasser de tous ceux qui, à l'intérieur de leur pays comme à l'extérieur,
s’opposent à la réalisation de ce noble objectif. »
447- La sécurité, dit-il, ne se fera jamais et ne s’obtiendra jamais tant que
la révolution n’aura pas libéré les peuples. À l'adresse des autorités ma-
liennes, Sankara lança un avertissement très ferme indiquant que « lorsque
le
le peuple burkinabè aura décidé de marcher, seul le Burkina Faso, seul
»
peuple burkinabè pourra décider de la ligne où nous allons nous arrêter.

Prenant donc acte de la suite de l'interview de M. Drissa Keïta publiée dans


considérant que
JANR. du 7.08.85 dont la portée et la gravité n'échappent à personne et
chef de mission diplomat ique et que par conséque nt il a manifestement
l'intéressé a rang de
gouvernement du
et sciemment enfreintà l'obligation de réservèque lui impose son statut, le
de
Burkina Faso a décidé de le déclarer ce jour, persona non gratla et le met en demeure
devoir quitter le Burkina sous vingt-quatre heures.
Dans l'intérêt de notre organisation commune je vous saurai gré des bonnes dispo-
de M.
sitions que vous voudrez bien faire prendre en vue de pourvoir au remplacement
Drissa Keïta.
Haute et fraternelle considération. La patrie ou la mort, nous vaincrons L»
Cf. Carrefour africain, n° 896, Ouagadougou, 16 août 1985, p. 4.
291
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Puis sans ambiguïté, il se prononça pour la révolution au Mali en ces


termes : «Les autres peuples qui sont à notre frontière sont eux aussi des
peuples qui ont besoin de révolution. Je ne parle pas bien entendu du cas du
Ghana, maïs je veux parler du Maïi. [..] La Révolution du peuple burkina-
bè est à la disposition du peuple malien qui en a besoin, parce que seule la
révolution leur permettra de lutter contre la faim, la soif. la maladie,
l'ignorance et surtout de lutter aussi contre les forces de domination néo-
coloniales et impérialistes. Seule la révolution leur permettra de se libérer
…» De telles déclarations malheureuses n'étaient pas pour améliorer les
relations entre le Mali et le Burkina. Le gouvernement malien pouvait donc
s’estimer en état de légitime méfiance.
448- Les médiations de la Libye, du Nigeria, de l'Algérie et de
V'A.N.A.D. permirent de conclure un cessez-le-feu qui mit un terme aux
hostilités le 30 décembre 1985. Il faut dire que les pays de la sous-région
craignaient un prolongement du conflit ne sachant pas latitude qu’aurait
adoptée le Ghana qui était un allié objectif du Burkina. Pour engager les
deux pays sur la voie de la réconciliation, Houphouët-Boigny convoqua
une conférence au sommet extraordinaire de l’A.N.A.D. à Yamoussoukro
les 17 et 18 janvier 1986 qui fut l’occasion pour Sankara et Moussa Trao-
ré de se rencontrer depuis le déclenchement des hostilités. Aux sommets
de l'Autorité du Liptako-Gourma, de l’A.N.A.D. et de la C.É.A.O. qui se
sont tenus du 25 au 27 mars 1986 à Ouagadougou, le président malien y
participa et exprima même sa satisfaction à la fin des travaux. À cette
occasion, Sankara leva la mesure d’expulsion qui frappait Drissa Kéïta,
le secrétaire général de la C.É.A.O. Mais, c’est un nouveau secrétaire
général qui fut nommé à sa place par les autorités maliennes en avril
1986 en la personne de Amadou Haïdara. Pour marquer sa volonté de
réconciliation, Sankara multiplia les gestes de bonne volonté. Il décora
les délégations burkinabè et malienne qui ont défendu les dossiers de leur
pays respectif devant la Cour internationale de justice. En août 1986, le
ministre burkinabè de la Défense populaire, accompagné des Petits chan-
teurs au poing levé, était à Bamako au Mali pour proposer un renforce-
ment de la fraternité entre les deux armées. Le confit a trouvé une solu-
tion dans l’arrêt que la Cour internationale de justice a rendu sur la ques-
tion le 22 décembre 1986 et que les deux pays se sont engagés à respec-
ter.
292
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

3- Les États membres de la Communauté économique des États


de l'Afrique de l'Ouest (C.É.D.É.A.O.)
449- À l'exception du Nigeria, le Burkina n’avait pratiquement pas de
relations suivies avec les autres États membres de la C.É.D.É.A.O. en
dehors du Ghana et des États membres de la C.É.A.O.* Avec le Nigeria,
outre la circulation des personnes entre les deux pays, on peut noter la
signature en janvier 1979 d’un accord commercial dont la ratification a
été autorisée par le C.NR°. Les 21 et 22 avril 1987, le gouvernement
nigérian remettait au gouvernement burkinabè un don de quarante-trois
véhicules dont trente-six Peugeot 404 Pick up et sept Bennes de dix
tonnes chacune pour une valeur de deux cent trente-quatre millions de
francs C.F.A. et d'une école de quatre cent places estimée à cinquante
millions de francs C.F.A. On peut enfin noter la visite de travail et
d'amitié que Sankara a effectuée au Cap-Vert les 19 et 20 avril 1987.
B) LA POLITIQUE RÉGIONALE DU C.NR.
Pour le droit international, chaque continent constitue une région. La
politique régionale du C.N.R. concerne donc sa politique africaine, ex-
ception faite de la partie sous-régionale de l'Afrique de Ouest déjà trai-
tée, Cette politique s’est orientée presque exclusivement vers les États
d'orientation socialiste d’alors (1} et les mouvements de libération (2).
1- Les relations entre le C.N.R. et les États africains
d'orientation socialiste
La Libye (a) et l’Algérie (b) ont occupé une place de choix dans la poli-
tique régionale du C.N.R. La place des autres États africains d'orientation
socialiste est restée assez marginale (e).
a) Les relations entre le C.N.R. et la Libye
450- Les relations entre les deux pays ont été particulières. Le C.N.R.
avait une dette de reconnaissance envers la Libye et plus particulièrement

5% Les relations avec des pays comme le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée, la Guinée-
Bissau, le Liberia, la Mauritanie et la sierra Leone étaient pratiquement inexistantes.
59 Cf. Ordonnance n° 84-38/C.N.R/PRES du 20 juillet 1984 portant autorisation de ratifica-et
du Nigeria
tion de l’Accord commercial entre le Gouvernement de la République F édérale
le Gouvernement de la République de Haute-Volta, fait le 16 janvier 1979 à Lagos.
293
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA

envers le chef d’État libyen, le colonel Kadhafi, qui a contribué à


l’avènement de la Révolution au Burkina Faso. En outre, au nom de la soli.
darité intemationaliste, Sankara ne voulait pas laisser Kadhafi dans
l'isolement dans lequel il se trouvait à cause du soutien qu’il accordait pêle.
mêle aux mouvements de libération et aux groupes terroristes. Vu
l’environnement hostile dans lequel évoluait la Révolution, il est permis de
penser que Sankara pouvait aussi éprouver le besoin de faire croire à la pro-
tection de la Libye. Sankara et Kadhafi échangeaient fréquemment des télé.
grammes et des coups de téléphone et Sankara se rendait souvent en Libye.
451- Dans la nuit du 14 au 15 avril 1986, cherchant sans doute à élimi-
ner Kadhafi, les Américains bombardèrent les villes libyennes de Tripoli
et Benghazi*®, Cela provoqua une désapprobation générale au Burkina,
Le représentant du Burkina à l’O.N.U. soutint à cette occasion la de-
mande libyenne de réunion du Conseil de Sécurité et préconisa des ac-
tions préventives pour empêcher un nouveau raid”!
452- Sur le plan économique on peut noter la signature à Tripoli le 28
février 1983 d’un accord cadre de coopération économique, scientifique,
technique et culturelle lors de la visite que Sankara y avait effectuée quand il
était premier ministre. Cinq cent tonnes de ciment, des engins de terrasse-
ment et des équipements de travaux publics furent remis par la Libye au
gouvernement burkinabè. Un prêt de dix millions de dollars a été consenti
au Burkina par la Libye le 4 février 1984. À l’occasion du deuxième anni-
versaire de la Révolution, la Libye fit don au Burkina le 2 août 1985 de deux
véhicules tous terrains, de cinq cent tenues de combat pour les C.D.R. et de
deux cent tenues pour les pionniers de la Révolution.

9 Les Américains ont justifié ces bombardements en arguant que les dirigeants Hibyens
soutenaient des groupes terroristes. L'objectif de l'opération était, semble-t-il, de tuer
Kadhafi. C£ François Soudan, “Comment Reagan voulait supprimer Kadhaf?”, Jeune
Afrique, n° 1365, Paris, 4 mars 1987, p. 26-27.
Jacques Chirac, alors premier ministre de la France, affirme que le 11 avril
1986 le président américain Ronald Reagan lui a téléphoné pour Jui dire qu’il voulait
tuer Kadhafi et demander l’autorisation pour ses bombardiers de traverser le territoire
français. Ce que lui a refusé. Cf. Jacques Chirac, Chaque pas doit être un but, Paris, NiL
éditions, 2009, Mémoires, t.1, p. 334.
S Cf. Jeune Afrique, n° 1321, Paris, 30 avril 1986, p. 33.
294
a

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
le
453- Sur le plan culturel et technique, un accord de coopération dans
1987
domaine de l'information et de la culture a été signé le 22 janvier
pays. Ils étaient conven us de
par les ministres de l'Information des deux
afin de
« la nécessité de développer la coopération entre les deux pays
les milieux
riposter à la campagne de désinformation déclenchée par
ion nationale
colonialistes et sionistes contre les mouvements de libérat
en Afrique ®. » L'accord portait sur le renforcement des stations de radio
exprimé leur
et de télévision du Burkina. Les deux pays avaient aussi
de presse des
volonté d'établir des liens plus étroits entre les agences
l’Agence
deux pays, la Jamahariya Arab News Agency (J.A.N.A.) et
les deux capi-
d’information du Burkina (A.I.B.) Une ligne directe entre
blo-
tales devait être établie « afin de travailler de concert à effacer les
impé-
cages, et se rapprocher afin de mieux lutter contre la propagande
ou-
rialiste. » La Libye avait aussi exprimé le désir de financer à Ouagad
gou la construction de deux centres de recherches islamiques.
b) Les relations entre le C.N.R. et l’Algérie
454- Il n’est pas exagéré de dire que Sankara ressentait une certaine admi-
de
ration pour l'Algérie ; sans doute à cause de la lutte héroïque du Front
à l'indé pendan et
ce aussi *
libération nationale (F.L.N.) qui a conduit le pays
gnés à
pour le rôle que l’Algérie a joué au sein du mouvement des non-ali
grandes
l'époque du président Houari Boumedienne dont, d’ailleurs, une des
ie
artères de Ouagadougou portait le nom. Au Burkina, l'influence de l’Algér
un renfor-
allait grandissant et sur le plan économique cela s’est traduit par
avant la
cement des relations de coopération. Déjà le 26 février 1975, bien
de dollars
Révolution, une convention de prêt d’un montant d’un million
12
était signée entre les deux pays au profit du Burkina. Sous le C.NR, le
s de
septembre 1983, c'était la signature d’une convention de cinq million
Faso
dollars au profit du Burkina. Afin d’aider le gouvernement du Burkina
prêts
à développer son économie, l’Algérie a accordé au Burkina deux autres
de francs CFA le 13 mai
entre 1984 et 1985. Un prêt de huit cent millions
le 3 juillet
1984 et un autre de un milliard huit cent millions de francs CFA
des établis sements ban-
1985. Des relations commençaient à s’établir entre
(B.N.A.)
caires des deux pays à l’exemple de la Banque nationale d'Algérie

5& Cf. Marchés Tropicaux, n° 2151, Paris, 30 janvier 1987, p. 250.


295
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

et l’Union révolutionnaire des banques du Burkina (U.RÉ.BA.) Dans le do.


maine de l'énergie, l’Algérie a livré au Burkina 48 000 m° de brut en 1984,
455- À l’occasion de la deuxième session de la Comimission mixte de
coopération, le gouvernement burkinabè avait soumis à l’ Algérie un dos-
sier d'investissement comportant des projets dont le financement était
requis soit sous forme de prêt, soit sous forme de subvention. Ces projets
concernaient des domaines comme la construction de routes, de loge-
ments, l’exploitation minière, l’agriculture et l’élevage, la santé,
l’enseignement, l'essor familial. Dans le domaine de la santé, l’Algérie
avait pris l’engagement de fournir au titre de l’année 1984-1985 le finan-
cement de dix centres de santé primaire pour un montant de 8 487 880 F
CFA et cinq cents trousses médicales à concurrence de 12 500 000 F
CFA. Un accord de transport aérien a été conclu entre le Burkina et
l'Algérie le 30 mars 1983 et la compagnie aérienne Air Algérie desservait
Ouagadougou une fois par semaine. En 1986 Air Algérie ouvrait une
agence à Ouagadougou. Pour la promotion des échanges commerciaux
entre les deux pays, l’Algérie organisait des expositions au Burkina et ce
dernier participait aux Foires internationales d’Alger.
456- Sur les plans culturel et scientifique, il a été signé en 1984 entre
l’Algérie et le Burkina un traité d’accord qui consistait en des échanges
entre les universités des deux pays en matière d’enseignants, de docu-
ments, de publications et d’étudiants. En 1984-1985, l'Algérie a accordé
soixante-neuf bourses au Burkina. En 1985-1986, elle accordait trente
bourses au département de l’Administration territoriale et de la Sécurité
du Burkina. Des membres du personnel de la compagnie Air Burkina ont
été formés par la compagnie Air Algérie. En matière d’information, des
échanges d'émissions de radio et de diffusion de la presse nationale se
sont passés entre les deux pays. Un accord de coopération a été signé le
26 avril 1986 entre l’ Agence d’information du Burkina et Algérie presse
service. Le Burkina a également bénéficié de l’assistance technique de
l’Algérie. Des cadres algériens ont ainsi contribué à la mise en place des
structures du Service national populaire (S.N.P.) Des spécialistes algé-
riens ont été sollicités en 1984 pour le dépannage du matériel
d’imprimerie de la Direction de la presse écrite et pour la formation sur
place des ingénieurs de la presse écrite. Toujours en 1984, le ministre
296
au Burkina Faso
Thomas SANKARA et In Révolution autocent
Une expérience de développement ré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA
l'envoi au Bur-
burkinabè de la Planification a adressé une requête pour
kina de deux experts algériens en planification.
ins
€) Les relations entre le C.N.R. et les autres États africa
d’orientation socialiste
entreprit un long
457- Du 23 juin au 2 juillet 1984, Thomas Sankara
s de l'Afrique
périple qui allait le conduire dans des pays d’autres partie à
lesquels, face
qui se réclamaient d'orientation socialiste et avec
doute de mieux se
l’adversité des milieux capitalistes, il convenait sans
rité internationaliste. Il
connaître, de se concerter et de renforcer la solida
au Congo Brazza-
se rendit ainsi successivement en Éthiopie, en Angola,
escales techniques en
ville, au Mozambique et à Madagascar avec des
en Centrafrique, en Zambie, au Nigeria, à Sao
Tanzanie, au Burundi,
t partie des États
Tomé et Principe. Le Gabon, bien que faisan
20 au 22 février 1986,
d'orientation capitaliste, fut également visité. Du
sso qui se rendait au
c’est le président congolais Denis Sassou N'Gue
le président
Burkina pour une visite de travail et d'amitié. En août 1986,
du troisième
ougandais Yoweri Kaguta Museveni assistait aux festivités
1986 Sankara effec-
anniversaire de la Révolution. Du 4 au 6 septembre
de Harare au
tua à son tour une visite officielle en Ouganda de retour
lignés. Yoweri
Zimbabwe où il avait prit part au VIII® Sommet des non-a
érer au projet
Mussevei avait manifesté le souhait de son pays d’adh
point de départ
d'union Ghana-Burkina. Ledit projet pouvait donc être un
et d’accélération de l’unité africaine.
Machel du Mo-
458- Le 18 octobre 1986, le président Samora Moïse
près de la fron-
zambique trouvait la mort dans un accident d’avion tout
marche et un
tière sud-africaine”®. Le 22 octobre à Ouagadougou, une
sés. Au cours du
meeting de soutien au peuple mozambicain furent organi
se savait une cible
meeting, Thomas Sankara déclara : « Samora Machel
de l'impérialisme. I avait par ailleurs pris l'engagement de venir au
des délégations
Burkina Faso en 1987. Nous avions convenu d'échanger
res, eic.
au niveau de nos C.D.R. de l'armée, de nos minist

sans doute à l’origine de


56 Le régime d’apartheid alors en place en Afrique du Sud est
t qui a coûté la vie au président S$. Machel et à trente- trois autres personnes.
cet acciden
297
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Maïs tout cela doit nous donner des leçons. Nous devons nous te.
nir solidement, main dans la main avec les autres révolutionnaires parce
que d' autres complots nous guettent, d'autres crimes sont en train d'être
préparés", » Du 11 au 14 septembre 1987, à la tête d’une forte déléga-
tion, Thomas Sankara se rendait en Éthiopie pour les festivités marquant
la proclamation de la République populaire démocratique et l’An XIII de
la révolution de 1974.
459- En dehors des relations politiques, sans doute à cause de la dis-
tance et aussi de la faiblesse des moyens d’intervention, il n’y à prati-
quement pas eu d’échanges économiques entre le Burkina et les États
africains d’orientation socialiste autres que la Libye et l’Algérie. |

3- Les relations entre le C.N.R. et les mouvements de libéra-


tion x
en Afrique
460- Le Gouvernement d’union nationale de transition du Tchad
{G.UN.T.), chassé du pouvoir par Hissène Habré, mais qui bénéficiait de |
la bienveillance du colonel Kadhafi, a été parmi les premiers à réagir à |
l'avènement de la Révolution. La radio du G.U.N.T. captée à Niamey et
qui affirmait émettre de Bardaï au Tibesti a salué l'avènement de la Ré- |
volution burkinabè comme «une grande nouvelle applaudie par toute
l'Afrique progressiste et réellement indépendante ». Le communiqué
poursuivait en disant que « Le retour du grand patriote africain Thomas
Sankara à la tête de l'État voltaïque marque un tournant décisif dans le
combat incessant que mènent les masses populaires africaines pour se
réhabiliter au regard de l'Histoire. »
461- En 1985 l'O.N.U. fêtait ses quarante ans d’existence. Le C.N.R.
plaça la commémoration de cet anniversaire sous le signe de
l“internationalisme révolutionnaire” avec comme objectif principal la
solidarité avec les peuples namibien et sud-africain qui luttaient pour leur
émancipation. Le 18 mai 1985, à titre symbolique, les deux premiers
exemplaires des nouveaux passeports burkinabè (depuis le changement |
de nom du pays) furent remis à Nelson et Winnie Mandela. Le 24 octobre ll

6% Cf, Carrefour africain, n° 959, Ouagadougou, 31 octobre 1986, p. 26. |


298 |
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de oppement autocentré
Apollinaire J. K EM de TAMBÈLA

1985, des manifestations de soutien aux peuples namibien et sud-africain


ont eu lieu à Ouagadougou et un chèque de un million sept cent soixante
d’une
et onze mille six cent soixante et un (1 771 661) francs CFA, fruits
journée de travail des mineurs de Poura à été remis au représentant de
African National Congress (A.N.C.) d'Afrique du Sud. Le Burkina
avait décidé de mettre à la disposition des militants de l’A.N.C. les or-
ganes de la presse burkinabè pour la propagation des objectifs de leur
lutte et était prêt à accueillir les combattants de P'A.N.C. pour assurer leur
formation militaire. Le 6 août 1986, le conseil des ministres mettait en
place une caisse de soutien à la lutte contre l'apartheid, un régime de
discrimination basée sur la couleur de la peau qui prévalait en Afrique du
Sud et que combattait l’A.N.C.
du
462- Le C.N.R. avait décidé d’engager une action politique en faveur
issements en
désinvestissement en Afrique du Sud. Ainsi, pour leurs invest
rayées de
Afrique du Sud, les sociétés pétrolières du groupe Shell avaient été
marché s au Burkina.
la liste des sociétés autorisées à soumissionner pour des
La compagnie aérienne française U.T.A. fit menacée d’interdiction au Bur-
1986,
kina parce qu’elle desservait l'Afrique du Sud. Les 10 et 11 septembre
lors du séjour à Ouagadougou du Namibien Sam Shafiishuna Nujoma, alors
qui
président de la South-West African People?s Organisation (S.W.A.P.O.)
ique,
luttait pour l'indépendance du pays, il lui fut remis, à titre symbol
quinze fusils Kalachnikov en guise de soutien à tous les mouvements de
libération d'Afrique australe. Au quarantième anniversaire de l'O.N.U.. face
Palestine
à l'exclusion des cérémonies de l'Organisation de libération de la
le Burkin a a boycotté
(O.L.P.) et de la S-W.A.P.O, en signe de solidarité,
les manifestations.
463- Au Rio de Oro, le Front pour la libération de la Saguia el Ha-
en
mra et du Rio de Oro (Polisario), créé en mai 1973, avait proclamé
était en
1976 la République arabe sahraouie démocratique (R.A.S.D.) et
a
lutte pour l'indépendance du territoire. Dès le 4 mars 1984, le Burkin
Thomas
reconnaissait la R.A.S.D. Peu de temps après, le 31 mars 1984,
ce
Sankara effectuait la première visite officielle d’un chef d’État dans
territoire. Le 14 octobre 1984, à son tour, le président de la R.AS.D.
s
565 E] Rio de Oro, la rivière de l’or, parce que la région était traversée par les caravane
chargées d’or qui remontaient des mines d'Afrique occidentale.
299
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Mohamed Abdelaziz, se rendait en visite officielle au Burkina.


L'engagement du C.N.R. aux côtés des mouvements de libération en
Afrique allait bien au-delà des soutiens de convenance pour s’inscrire
dans une démarche de conviction sans arrière-pensées. Une démarche
qui, à l’époque, était plus que osée et n’était pas sans danger réel pour un
petit pays comme le Burkina.
Le) LA POLITIQUE INTERNATIONALE DU C.N.R.
En dehors de l’Afrique, il convient de distinguer d’une part la coopéra-
tion entre le C.N.R. et les pays développés (1), d’autre part la coopération
avec les pays sous-développés (2).
Î- La coopération entre le C.N.R. et les pays développés
Au sein des pays développés, une distinction se faisait à l’époque entre
les pays capitalistes (a) et les pays “socialistes” (lb).
a) Les pays capitalistes
464- À Pavènement de la Révolution le 4 août 1983, la France était gou-
vernée par des socialistes, En 1981, François Mitterrand, soutenu par le
parti socialiste français, était élu président de la République. Le gouverne-
ment socialiste français avait été sans doute à l’origine de l’éviction de San-
kara du poste depremier ministre du C.S.P.-I. (cf. n° 107-109). Il avait par la
suite soutenu financièrement et militairement l’éphémère régime du C.S.P.-
II de Jean-Baptiste Ouédraogo. Ce qui fit dire à Sankara, lors de la confé-
rence de presse qu’il donna à Paris en début octobre 1983 : « La France
juste après le 17 mai a livré une quantité d'armes à la Haute-Volta. Cette
Haute-Volta était dirigée par le régime que nous avons renversé. Nous
avons trouvé le 4 août une coopération militaire très solide entre la France
et la Haute-Volta. » L’avènement de la Révolution a donc été ressenti
comme un échec de sa part par le gouvernement socialiste français. C’est
ainsi que dès le 5 août 1983, le gouvernement français décidait dans la pré-
cipitation l'envoi de troupes françaises au Tchad aux côtés de Hissène Ha-

5% La conception du socialisme en Occident différait de celle qui prévalait dans le bloc


de l'Est : U.R.S.S., Europe centrale et orientale, Chine, Corée du Nord, Cuba. En Occi-
dent, les partis socialistes ne remettaient pas en cause le système capitaliste mais cher-
chaient à le moraliser et à atténuer ses effets sur les plus démunis.
300
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

bré. L'objectif était double : empêcher les mouvements de lutte armée sou-
tenus par Kadhafi de revenir au pouvoir à N’Djamena et rassurer les diri-
geants africains dits “modérés”, quelque peu désorientés par le retour de
Sankara, et leur démontrer que la France veillait toujours à leur sécurité, Le
même jour, Jacques Huntzinger, alors responsable des Relations extérieures
au parti socialiste français, téléphonait à Sankara pour lui suggérer de
prendre dans son gouvemement Joseph Ki-Zerbo, ancien dirigeant du F.P.V.
et membre de l’Internationale socialiste. Pour n’avoir pas pu empêcher son
retour au pouvoir, les socialistes français tentaient de récupérer le régime de
Sankara.
465- Sous le C.N.R. la diplomatie burkinabè s’est montrée entrepre-
nante, parfois même agressive vis-à-vis de la France. À plusieurs reprises
le gouvernement français dut s’adapter aux positions du C.N.R. Très tôt
le C.N.R. exigea la révision complète des Accords franco-voltaïques de
coopération du 24 avril 1961%%7. Ces accords qui englobaient l’ensemble
de la vie de l’État abordaient et définissaient tout par rapport à la France
et consacraient par le droit la soumission totale du Burkina à la France. À
la place un Accord général de coopération fut signé entre les deux pays le
4 février 1986%. En fonction des anciens accords, l'ambassadeur de
France au Burkina était automatiquement le doyen du corps diploma-
tique. Le C.N.R. décida que cette qualité reviendra désormais au doyen
des ambassadeurs africains au Burkina. En fin 1985 début 1986, la
France était secouée par une vague d’attentats. Sous le prétexte de la lutte
contre le terrorisme, la France décida d’imposer l'obtention d’un visa
d'entrée sur son territoire à tous les Africains. Jusque-là les ressortissants
des anciennes colonies françaises en étaient dispensés. En guise de réci-
procité, le Burkina instaura aussi la même mesure pour les Français vou-
lant entrer sur son territoire.

#7 Cf. Journal officiel de la République française, 6 février 1962.


568 Cf, Journal officiel de la République française, 18 janvier 1989. Il convient cepen-
dant de noter que le régime du président Lamizana avait déjà envisagé la révision de ces
accords. Cf. Décrêt n° 75-476 PRES.SGP du 12 décembre 1975 portant création d’une
commission nationale chargée de l’étude des projets de révision des Accords de coopé-
rations Franco-Voltaïques. J.O.R.H.-V., 18 décembre 1975, p. 956-957.
301
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA

466- Dans les relations internationales, plusieurs fois le C.N.R. à mani.


festé publiquement son opposition à la politique de la France, notamment
au Tchad alors en proie à des conflits armés internes internationalisés, à
Mayotte revendiquée par les Comores et en Nouvelle Calédonie où les
mouvements indépendantistes s’étaient ravivés. Sur ces questions le Bur-
kina votaient à l'O.N.U,. contre la France. Dans la classe politique fran-
çaise beaucoup trouvèrent cela inadmissible de la part d’une ancienne
colonie et l’on exigea des sanctions économiques contre le Burkina.
467 De partenaire privilégié, voire quasi exclusif”? l’État français se
voyait progressivement ramené au rang de partenaire quasi ordinaire. Ce-
pendant, à l’occasion de la Conférence de Paris sur Parbre et la forêt à la-
quelle il a participé personnellement, Sankara fut reçu à l'Élysée par Fran-
çois Mitterrand le 5 février 1986. Vers la fin de cette même année, de retour
de la Conférence France-Afrique” 7 de Lomé à laquelle pourtant Sankara n’a
pas daigné participer, Mitterrand se rendit à Ouagadougou les 17 et 18 no-
vembre 1986 pour une visite officielle de deux jours environ. D’aucuns pré-
tendent que c’est à l’occasion de cette visite que Mitterrand aurait eu la con-
viction que Sankara devait être écarté de la tête du pays. À l'époque,
l'Afrique du Sud et l’Angola faisaient chacun face à un conflit interne inter-
nationalisé. L'Afrique du Sud était sous le régime de l’apartheid et avait
comme président Pieter Botha. L’A.N.C., sous la direction d’Oliver Tambo
et avec le soutien moral de l’Organisation de l’unité africaine (O.U.A.),
combattait ce régime, Nelson Mandela étant en prison. L’Angola était dirigé

5 Bien qu'ayant réduit ses échanges financiers après l’avènement de la Révolution, la


France était restée dans ce domaine le premier partenaire du Burkina. De 1983 à 1986,
le montant de l'apport financier de la France au Burkina a été de 141,8 millions de dol-
lars, soit 24,7% de l’aide bilatérale. En 1986, la France fournissait 75% des marchan-
dises provenant de la Communauté économique européenne (C.E.E.)
50 C'est le 13 novembre 1973 que le président français, Georges Pompidou, réunit à
Paris des chefs d’État d’Afrique pour donner un cadre de rencontre à la famille franco-
phone. Dix pays d'Afrique noire y assitèrent. Le Sommet franco-africain était né. Avec
l’arrivée au pouvoir en France en mai 1981 d’un président de gauche, François Mitter-
rand, la rencontre qui se tint à Paris les 3 et 4 novembre 1981 prit le nom de Conférence
des chefs d’États d'Afrique et de France. Au-delà de la famille francophone, elle re-
groupe de nos jours pratiquement tous les pays africains.
302
|

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

par le président José Eduardo Dos Santos’! et son parti, le Mouvement po-
pulaire de libération de l’Angola (M.P.L.A.), avec le soutien des troupes
cubaines. Jonas Savimbi à la tête de l’Union nationale pour l'indépendance
totale de l’Angola (U.N.I.T.A.), soutenu par l’Afrique du Sud, coimbattait le
régime en place.
468- Quelque temps avant l’arrivée de Mitterrand au Burkina, Jonas
Savimbi avait effectué une visite en France et avait été reçu par des per-
sonnalités politiques de l’opposition de droite. Le 10 novembre 1986, soit
une semaine avant l’arrivée de Mitterand au Burkina, c’est Pieter Botha
qui se retrouvait en France. Prononçant un toast le 17 novembre 1986,
Sankara déclara entre autres : « La paix dans le monde, c'est également
cette région tourmentée du Sud de l'Afrique. Comme si par un sort quel-
conque on y avait concentré des éléments incompatibles dans un cafouil-
lage et dans des affrontements qui chaque jour se multiplient et
s’agrandissent. [..] C'est dans ce contexte, Monsieur François Mitter-
rand, que nous n'avons pas compris comment des bandits comme Jonas
Savimbi, des tueurs comme Pieter Botha ont eu le droit de parcourir la
France si belle et si propre. Ils l'ont tachée de leurs mains et de leurs
pieds couverts de sang et tous ceux qui leur ont permis de poser ces actes
en porteront l'entière responsabilité ici et ailleurs, aujourd'hui et tou-
jours.» En réplique, François Mitterrand dira que Sankara «est un
homme dérangeant. Avec lui il n'est pas facile de dormir en paix. Il ne
vous laisse pas la conscience tranquille. » Il n’aurait pas apprécié la fa-
çon de Sankara de fui faire la leçon et aurait conclu que Sankara était
décidément indomptable.
469- En même temps que déclinait le rôle traditionnel de la France au
Burkina2, le C.N.R. entamait une diversification des partenaires poli-
tiques et économiques. Au sein du bloc occidental, l’Italie dont les rela-
tions avec le Burkina étaient presque inexistantes devint à partir de 1986
un partenaire de premier plan. Au cours de cette année, l’aide bilatérale
de l'Italie s’est élevée à 35,2 millions de dollars soit la deuxième en im-

#1 Le premier président de l'Angola fut Agostino Neto de 1975 à 1979. C’est à sa mort
que Dos Santos accéda au pouvoir.
2 L'aide bilatérale française était passée de 43,5 millions de dollars en 1983 à 26,8
millions de dollars en 1985.
303
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

portance après celle de la France. Avec la République Fédérale


d'Allemagne (R.F.A.) et le Canada les relations se sont également inten.
sifiées. Les U.S.A., les Pays-Bas, le Danemark et le Japon commencèrent
chacun à jouer un rôle de plus en plus important au Burkina.
b) Les États “socialistes”
470- À l'avènement du C.NR, les relations entre le Burkina et les
États “socialistes” étaient insignifiantes. En dehors de la mission di-
plomatique et du centre culturel soviétique à Ouagadougou, de la mission
diplomatique burkinabè à Moscou, et de l'octroi chaque année au Burki-
na de quelques bourses soviétiques et des pays d'Europe de l’Est comme
la République Démocratique Allemande (R.D.A.}, la Roumanie et la
Bulgarie, c ’est en vain qu’on rechercherait les traces d’une quelconque
coopération"? . Avec la Révolution, les relations du Burkina avec les
États “socialistes” avaient commencé à prendre une nouvelle dimension.
On peut ainsi noter la remise le 8 août 1985 de matériel soviétique aux
militants C.D.R. composé de quatre véhicules tout terrain, quatre appa-
reils de projection cinématographique, deux groupes électrogènes et de
nombreux films. Pour des raisons idéologiques surtout, Le C.N.R. entre-
prit de renforcer les relations avec l’U.R.S.S. Après plusieurs reports,

53 Selon M. Lavigne, « Le système socialiste est un système économique fondé sur la


propriété socialiste des moyens de production de base. » Cf. Marie Lavigne, Les éco-
nomies socialistes soviétiques et européennes, Paris, A. Colin, 1970, p. 11.
Sur le socialisme F. Cohen écrit : «Si on croit savoir à l'avance ce que “doit”
être le socialisme, on risque bien de ne jamais rencontrer la matérialisation de cet ave-
nir préréglé ; il sera toujours reporté à un futur meilleur et, en effet, n'existera ja-
mais. » Cf. Francis Cohen et al, Socialisme (s), Paris, Messidot/Éditions sociales, 1986,
p. 8-9. On peut en effet soutenir qu’à l'échelle d’un État, le socialisme n’a pas encore
existé. Surtout pas dans les pays qui s’en réclamaient. Sur le premier d’entre eux,
l’Union soviétique, J. Ziegler écrivait : «L État soviétique est probablement un des
États les plus violents, les plus contraignants de la planète. L'organisation totalitaire de
sa bureaucratie, la quasi-toute-puissance de sa classe dirigeante impliquent le mépris
permanent des droits de l'opposition et des principales libertés du citoyen. » Cf. Jean
Ziegler, Main basse sur l’Afrique - La recolonisation, Paris, Seuil, 1980, p. 10-11.
54 En 1984, sur un total de 34 872,4 millions de francs C.F.A. d’exportations, celles en
direction des pays d'Europe de l’Est étaient nulles. Sur un total de 111 263,8 millions de
francs C.F.A. d’importations, celles en provenance des pays d’Europe de l’Est étaient de
467,2 millions de francs C.F.A.
304
j
|
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Sankara finit par y effectuer une visite du 6 au 12 octobre 1986. Sur le


plan économique, les discussions portèrent notamment sur le projet de
barrage hydroélectrique de Noumbiel. La fin du C.N.R. un an seulement
après cette visite n’a sans doute pas permis d'approfondir les discussions.
Le 22 juillet 1984, le président du C.N.R. était en visite officielle en
Yougoslavie et en Roumanie. Avec la Roumanie, la Commission mixte
qui a clos ses travaux le 11 juillet 1985 à Ouagadougou relevait la volon-
Sa-
té de la Roumanie de participer au financement du chemin de fer du
hel, à l'exploitation des mines de Tambao et à la réalisation d’une tranche
de 500 ha du projet d’aménagement du Sourou.
2- La coopération Sud Sud
Par rapport aux pays du Sud, la politique du C.N.R. s’est orientée vers le
mouvement des non-alignés (a), les États d’orientation socialiste (b) et
les mouvements de libération (€).
a) Le mouvement des non-alignés
471- De la fin de la seconde guerre mondiale à la chute du mur de Ber-
lin le 9 novembre 1989 préfigurant l’écroulement des États “socialistes”
européens, le monde était pratiquement divisé en deux blocs antago-
nistes : le bloc occidental dit capitaliste avec à sa tête les États-Unis et le |
bloc oriental dit “socialiste” avec à sa tête l’U.R.S.S. C’est dans ce con- !
texte que la conscience d’une nécessaire solidarité entre les peuples du
Sud a conduit à la convocation du 18 au 24 avril 1955 de la Conférence
afro-asiatique de Bandoeng en Indonésie qui a vu la participation de
vingt-neuf pays. Le communiqué final adopté le 24 avril 1955 contient
dix principes qui devaient guider les États dans l'établissement de leurs
relations internationales. Parmi ces principes, il y a le refus de recourir à
des arrangements de défense collective destinés à servir les intérêts parti-
culiers des grandes puissances quelles qu’elles soient ; l’encouragement
des intérêts mutuels et la coopération. Les États participants reconnais-
saient que la défense de leurs intérêts mutuels résidait dans le refus de
s’aligner derrière les grandes puissances et constituaient ainsi le groupe
des non-alignés.
472- Dans la pratique le non-alignement a connu peu de succès. Beau-
coup de régimes, pour assurer leur protection préféraient l’alignement
305
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBÈLA

derrière une grande puissance (Etats-Unis, U.R.S.S.) ou une puissance


moyenne comme la France notamment. Les cas de non-alignement effec.
tif ont été assez rares. Un exemple éloquent a été la Révolution islamique
iranienne qui avait rejeté dos-à-dos l'Occident et les pays “socialistes”,
L'exemple de la Yougoslavie sous le maréchal Josip Broz Tito peut aussi
être retenu. Le C.N.R. a aussi essayé d’inscrire sa politique dans un non-
alignement effectif. Après Pinvasion de l’île de Grenade en octobre 1983
par les Américains, Sankara dans son discours du 11 février 1984 à Bo-
bo-Dioulasso exprimait son non-alignement en ces termes : « Nous avons
à l'époque convoqué l'ambassadeur des Etats-Unis pour lui dire … de
transmettre à son président Ronald Reagan ce message : il faut qu'il
retire ses troupes de l'île de Grenade, sinon la Haute-Volta prendra ses
responsabilités, la Haute-Volta condamnera. Les troupes n'ont pas été
retirées, nous avons condamné. Les Américains ont voulu dicter à la
Haute-Volta sa position au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Nous
avons dit qu'à cela ne tienne ; nous n'accepterons pas de chantage. Si
l'aide américaine doit être subordonnée à ces pressions, eh bien ! que
l'on ne nous apporte pas d'aide. [...] Et nous disons également que le
refus du chantage américain n'est pas une acceptation servile et incondi-
tionnelle du chantage d'où qu'il vienne. C'est pourquoi nous avons dit à
l'ambassadeur d'Union Soviétique que [..] nous continuerons d'être
d'accord avec Moscou tant que Moscou défendra des thèses et des prin-
cipes justes. Mais le jour où Moscou défendra des thèses et des principes
qui ne seront pas justes, nous nous démarquerons et nous condamnerons.
Nous prendrons là aussi nos responsabilités. La Haute-Volta veut vivre
son indépendance d'une manière intégrale et sans condition pour qui que
ce soit. » En octobre 1984 à la tribune de l’O.N.U. Sankara affirmait que
Mayotte appartient aux Comores et non à la France. Il déclarait aus-
si : « De même que nous avons condamné l'agression étrangère de l'île
de Grenade, de même nous fustigeons toutes les interventions étrangères.
C'est ainsi que nous ne pouvons nous taire face à l'intervention militaire
en Afghanistan”, »
473- Au VIII‘ Sommet des non-alignés à Harare au Zimbabwe en sep-
tembre 1986, Sankara expliquait la démarche pour un non-alignement

55 L'U.R.S.S. occupait alors militairement l'Afghanistan depuis décembre 1979.


306
NM
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
_ Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA
:
effectif. « Selon nous, le monde est divisé en deux camps antagonistes
libération
le camp des exploiteurs et le camp des exploités. Toute lutte de
en faveur des
nationale s'inscrit en principe dans le camp des exploités
avec tous les
peuples. Naturellement une alliance automatique s'établit
pays et régimes qui sont dans le camp du peuple. Mais cela ne suffit pas
e de voir
à mettre les pays à l'abri d’un nouveau joug. Il faut être capabl
r
au-delà et maintenir la permanence du combat. On peut se faire assiste
ndant
sans se faire assujettir. On peut nouer des alliances et rester indépe
que
et non-aligné. On peut se proclamer de la même famille de pensée
»
d’autres et conserver son autonomie. C'est notre intime conviction.
b) Les relations entre le C.N.R. et les États d'orientation socialiste
hors d’Afrique

474- Les pays sous-développés sont des partenaires sensiblement


égaux avec presque les mêmes difficultés à surmonter. Certains d’entre
que des
eux cependant, comme les pays producteurs de pétrole, de même
sont
pays comme le Brésil, le Mexique, l'Argentine, l’Inde, la Chine 6
dotés d’une puissance économique considérable. Néanmoins, les pays
sous-développés gagneraient à renforcer leur coopération car les risques
la
de coopération-domination, les risques de récupération des fruits de
CNR.
coopération au profit d’un seul partenaire sont plus limités. Le
ns
avait entrepris beaucoup de démarches pour le renforcement des relatio
a eu
et de la coopération Sud-Sud. C’est ainsi que le président du C.N.R.
quée
576 L’appartenance de la Chine au groupe des pays sous-développés était revendi
du Tiers-
Chine fait partie
par les dirigeants chinois eux-mêmes en ces termes : «La
de comparaison
monde car sur les plans économique, politique et autres, il n'y a pas
se ranger que du côté
possible entre elle et les pays riches ou puissants ; elle ne peut
de la délégati on chinoise à
des pays relativement pauvres. » Cf. Intervention
l’Assemblée Générale des Nations Unies, 15/11/19 71.
En 2010
De nos jours, la Chine ne peut plus soutenir une telle revendication.
que au monde derrière les Etats-Un is
elle est devenue la deuxième puissance économi
qu’elle s’apprète d’ailleurs à rattraper puis à dépasser .
teur
Le terme riers-monde a été lancé par Alfred Sauvy dans Le Nouvel Observa
t alors le tiers-mo nde « ignoré, exploité, méprisé » au tiers-
du 14 août 1952. Il assimilai
état qui, lui aussi « veut être quelque chose. »
Après la Conférence de Bandoeng (avril 1955), le Martiniquais Frantz Fanon
première fois à la
contribua à la diffusion du terme. Il a été utilisé officiellement pour la
Conférence tricontinentale de la Havane de janvier 1966.
307
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBELA

à se rendre à Cuba le 25 septembre 1984, en Chine du 5 au 9 novembre


1984, en Corée du Nord du 3 au 8 septembre 1985, et au Nicaragua en
novembre 1986. Du 27 au 28 août 1986, c’est le président du Nicaragua,
Daniel Saavedra Ortega qui effectuait une visite officielle au Burkina, En
novembre 1986, l'Iran ouvrait une ambassade à Ouagadougou”.
475- Sur le plan économique, l'accord le plus significatif est celui qui a
été signé entre le Burkina et la firme indienne Tata Exports Limited pour
la fourniture au Burkina de soixante autobus, d’un lot de pièces détachées
et d’un lot de matériel et équipement d’atelier. Avec la Corée du Nord, la
coopération a pris un nouvel élan après la visite d’État, d'amitié et de
travail que le président du C.N.R. a effectué dans ce pays du 3 au 8 sep-
tembre 1985. Au cours de cette visite, un accord de coopération fut signé,
La Corée du Nord s'était engagée à intervenir dans divers domaines éco-
nomiques au Burkina. Dans l’agriculture elle devait intervenir dans la
valorisation du Sourou, la construction du barrage de Samandéni qui de-
vait permettre d’irriguer huit à douze mille hectares. Elle prenait en
charge l’aménagement de cinq cents hectares avec la fourniture
d'équipements agricoles complets. Les remboursements devaient se faire
sur la base des produits d’exportation que le Burkina devait livrer à la
Corée du Nord. Elle s’était aussi engagée à construire soixante retenues
d’eau au Burkina, soit deux par provinces. Dans le domaine de la santé,
la Corée du Nord prévoyait de construire un hôpital provincial de deux
cents lits et de livrer des matériaux de construction de cinq centres de
promotion sociale, Dans le domaine de l’habitat, la Corée du Nord devait
fournir des matériaux de construction de six cent quatre-vingt-dix loge-
ments sociaux destinés aux provinces. Le remboursement devait aussi se
faire par des exportations burkinabè. Le 18 février 1986, la Corée du
Nord a remis au Burkina un lot de matériels agricoles d’une valeur de
cent millions de francs CFA comprenant seize motopompes, trente pulvé-
risateurs et des pièces de rechange. C’était le premier arrivage d’un lot de
trente-cinq motopompes, cent vingt pulvérisateurs, cinq décortiqueuses et
cinq polisseurs. Elle a également construit à Ouagadougou deux grands
immeubles qui abritent actuellement des ministères. Avec la Chine un

$77 L'ambassade d’Iran a depuis été fermée.

308
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

accord commercial a été conclu à Beijing le 13 mars 1983 à l’époque où


Sankara était premier ministre.

476- Sur le plan culturel, le 20 septembre 1986, la Corée du Nord a fait


don à l’École nationale d’administration et de magistrature (É.N.A.M)) du
Burkina d’un lot de livres évalué à quatre mille quatre cent ouvrages traitant
de la question paysanne, des transformations sociales du socialisme, des
idées d’indépendance, de la problématique de l’industrialisation, du non-
alignement et des styles d’organisation des pouvoirs populaires. C’était sans
doute un moyen pour le régime nord-coréen de faire sa propre propagande
Kim Il
comme il en avait l'habitude, surtout sous le président de l’époque,
Sung. On peut en effet se poser des questions sur l’utilité réelle de tels ou-
vrages pour le Burkina, car les contextes et les aspirations différaient gran-
t
dement, La Corée du Nord a aussi construit à Ouagadougou un imposan
monument à l’ancienne place de la Révolution et deux théâtres populaires,
un à Ouagadougou et l’autre à Koudougou. Des accords de coopération cul-
21
turelle ont été signés avec l’Inde le 22 novembre 1983 et avec Cuba le
décembre 1983. La coopération culturelle avec Cuba a fait bénéficier au
Burkina de bourses et de possibilités de stages et de formations. Six cent
pionniers avaient ainsi été envoyés pour des études à Cuba.
c} Les relations entre le C.N.R. et les mouvements de libération
hors d’Afrique

477- Le régime du C.N.R. a manifesté un soutien indéfectible au Front


de libération nationale kanak°” socialiste (F.L.N.K.S.) qui luttait contre
il
la France pour l'indépendance de la Nouvelle Calédonie. De même
récupérer
avait toujours marqué son soutien aux Comores qui cherchent à
l'île de Mayotte de la France. Du 8 au 10 mai 1986, le président de
l'Organisation de libération de la Palestine (O.L.P.), Yasser Arafat, effec-
e-
tuait une visite au Burkina. Ce fut l’occasion pour le C.N.R. de renouv
ler sans ambiguïté son soutien à la lutte du peuple palestinien.
# #

578 Kanak voudrait dire homme libre.


309
TROISIÈME PARTIE

Les mérites et les limites de la gouvernance Sanka-


ra et l'émergence de la contre-révolution

Guettant jour et nuit l'arrivée des barbares, tout empire refuse de savoir
qu'il se défait d’abord de l'intérieur, par lui-même.
Claude Julien

311
Chapitre I
Mérites et limites de la gouvernance Sankara

478- L'étude de la politique de développement du C.N.R. a permis de


dégager les mérites du C.N.R. et surtout ceux de son principal inspira-
teur et animateur, Thomas Sankara. Néanmoins, certains aspects peuvent
encore être mis en lumière. Après lavoir assassiné, ses assassins, regrou-
pés dans un “Front populaire”, lui ont attribué la paternité de la politique
du C.NR. Selon eux, même s’ils ont pu y participer, c'était en tant
qu’exécutants de la politique de Thomas Sankara, sous la direction et
l'orientation de celui-ci. Cette argumentation leur a permis de rejeter sur
le seul président du C.N.R. l'entière responsabilité de toutes les dérives,
réelles ou supposées du C.N.R. (I). Par voie de conséquence, tous les
acquis du C.N.R. doivent être inscrits à l'actif du seul président du
C.NR., Thomas Sankara (I).

E Les mérites de l’action du C.N.R.


Dans l’action du C.N.R., les mérites peuvent s’inscrire sur les plans poli-
tique et subjectif (A) et sur le plan objectif (B).
A) SUR LES PLANS POLITIQUE ET SUBJECTIF
L'un des mérites du C.N.R. est d’avoir procédé à l’éveil des consciences
(2) et au renouvellement de la classe politique (1).
1- Le renouvellement de la classe politique
479- Incontestablement, la Révolution a procédé à un renouvellement
total et radical de la classe politique. La classe politique traditionnelle qui
avait toujours été aux affaires bien avant l’indépendance, qui avait main-
tenant vieilli aux sens propre et figuré, qui était en panne d'idées et
d’énergie face aux problèmes cruciaux des populations, a été remplacée
par une nouvelle classe politique jeune, dynamique, impatiente de mettre
en pratique ses idées politiques. Si bien que la période révolutionnaire a
été un moment passionnant de foisonnement d’idées, de pensées et
d’actions qui avait transformé le Burkina Faso en laboratoire à ciel ou-
vert. De partout, des hommes et femmes politiques, des gens de culture et
312
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

des gens de médias se bousculaient pour entrer au Burkina Faso et vivre


un instant de ce moment qui fut unique.
2- L'éveil des consciences
480- La Révolution a suscité l'éveil des consciences. De façon géné-
rale, le Voltaïque vivait dans la résignation. Immigré au Ghana ou en
Côte d'Ivoire, il était habitué à être traité avec mépris sans possibilité de
réaction ni de sa part ni de son État. Bien avant l’indépendance on lui
avait fait savoir que son pays est pauvre, qu'il devait l’accepter parce
qu’il ny avait pas de solution. Il devait s’attendre à voir les autres pays
africains évoluer plus ou moins rapidement, mais lui devait se contenter
au mieux de survivre. Voilà en bref ce qui constituait le fondement de la
conscience du Voltaïque.
481- Le changement de nom du pays était une façon symbolique de
marquer la rupture d'avec le passé fait d’humiliation et de résignation.
Avec la Révolution de Thomas Sankara, un autre type de citoyen est ap-
paru. Un citoyen nouveau, conscient d’être l'artisan de sa propre histoire,
conscient que la pauvreté n’est pas une fatalité, que toute personne peut
libérer son génie créateur et que tout ce qui sort de la tête d’une personne
est réalisable. Avec la Révolution, le citoyen est devenu une personne
remplie de fierté, le cœur plein d’espérance. Le 4 août 1987, pendant la
dernière célébration de l’anniversaire de la Révolution, Sankara dans son
discours faisait le constat suivant : « Notre peuple, après quatre années
de révolution, est l’amorce de ce peuple nouveau. Le recul sans précé-
dent enregistré par le fatalisme est un indice tangible à cet effet. Tout le
peuple burkinabè croit à un avenir meilleur. Et à ce niveau, nous avons
même réussi à convaincre des réactionnaires d'hier, et qui, pris dans
l'engrenage de la marche de l’histoire, regardent avec optimisme
l'avenir avec nous, oubliant qu'hier encore, ils préchaient la soumission
à l'impérialisme et la mendicité perpétuelle comme moyens pour déve-
lopper ce pays. La construction de la patrie a renforcé la conscience
collective de la nécessité de compter sur nos propres forces en rejetant
farouchement le mimétisme servile et l'applaventrisme humiliant et dé-
générescent”. » Selon le capitaine Boukary Kaboré**° qui fut très

® Cf. Carrefour africain, n° 1000, Ouagadougou, 21 août 1987, p. 8.


313
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

proche de Sankara, « En quatre ans, la révolution a fait avancer le pays


de plus de 50 ans. L'erreur de la révolution est d'avoir cru que tout le
monde pouvait avancer dans le même élan, avec les mêmes convic-
tions!» Il estime que «/es acquis de la Révolution se résument à
l'ouverture d'esprit des Burkinabè. [...] En quatre années, ce que la Ré-
volution a fait pour le Burkina ne doit pas seulement être qualifié de
bien, mais d'excellent. Il y a eu énormément d'acquis ! Si aujourd'hui le
Burkina est très bien connu dans le monde entier, à telle enseigne que
des étrangers cherchent à le découvrir, vous pensez que c'est grâce à
quoi ? C'est grâce à la Révolution ! Si cette révolution avait duré 20 ans,
je crois que tous les Africains auraient cherché, aujourd'hui, à venir
s'installer chez nous au Burkina. » U reste convaincu que « ce n'est que
le sankarisme qui pourra donner à ce pays la splendeur qu'il mérite ®, »
Pour marquer son soutien et son admiration pour la Révolution burkina-
bè, Kak Dee, un jeune écrivain ghanéen d’une trentaine d'années, avait
quitté Accra, la capitale du Ghana, le 16 juillet 1986, pour marcher jus-
qu'à Ouagadougou, soit 1 014 km, ét participer aux festivités du troi-
sième anniversaire de la Révolution le 4 août 1986. Le 11 août il reprit le
chemin du retour toujours à pied. Il a ainsi parcouru 2 028 km,
B) SUR LE PLAN OBJECTIF
482- L'action du C.N.R. a touché toutes les parties du pays et trans-
formé positivement tous les domaines de la vie sociale : la justice,
l’enseignement, l'éducation, la culture, la santé, l’hygiène, la gestion des
ressources de l'État, l’agriculture, l’élevage, la protection de
l’environnement, l’énergie, l’industrie extractive et manufacturière, le
commerce, les infrastructures routières et ferroviaires, les transports, Les
communications, l’urbanisme et l’habitat. Quatre ans ont suffit à Thomas

50 À la suite de mesures collectives de réhabilitation et de reconstitution des carrières,


Boukary Kaboré et d’autres militaires qui avaient été victimes de répression et de me-
sures arbitraires depuis l’avènement de la Révolution et surtout depuis le Front popu-
laire, ont été réhabilités avec la reconstitution de leur carrière, Par le décret n° 2008-
141/PRES/PM/DEF du 25 mars 2008, Boukary Kaboré et Abdou Salam Kaboré sont
ainsi devenus colonels à la retraite ; apparemment sans incidence financière,
S# Cf. Libérateur, n° 42, Ouagadougou, 20 octobre 2007, p. 9.
2 Cf. Le Pays, n° 3970, Ouagadougou, 8 octobre 2007, p. 39.
S8 Cf, Jeune Afrique, n° 1338, Paris, 27 août 1986, p. 60.
314
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Sankara pour mettre le Burkina Faso sur la voie d’un développement


autocentré alors même que, objectivement, et dans la tête des Burkinabè,
tout semblait désespéré.

483- Le C.N.R. a d’autant plus de mérite qu’il a mené son action dans
un contexte difficile, voire hostile. Les partenaires traditionnels comme la
France avaient réduit considérablement leur assistance. De même, de
1985 à la chute du C.NR., aucun financement nouveau de la Banque
mondiale n’a été accordé au Burkina Faso ; si bien que dans son discours
du 4 août 1987, Thomas Sankara pouvait déclarer : « Nous avons entre-
pris et réalisé de nombreuses transformations matérielles en faveur des
masses. Ces résultats nous ne les devons pas à des matériaux supplémen-
faires ou exceptionnels. Nous les devons à l'action des hommes. Ces
hommes qui, hier étaient résignés, muets, fatalistes et attentistes sont
aujourd'hui debout et engagés pour la lutte révolutionnaire concrète sur
les divers chantiers. Les victoires enregistrées sont le fruit de leur tra-
vail, la projection sur le concret de leur génie créateur et de leur enthou-
siasme révolutionnaire. »

Il Des limites de l’action du C.N.R.


Toute œuvre humaine étant marquée du sceau de l’imperfection, l’action
du C.N.R. a donc été confrontée à des difficultés relevant de la subjecti-
vité (A) ou tenant à la conception et à la gestion des affaires politiques
(B), au respect des droits humains (C) et à la place de l’économie dans le
processus de développement (D).
A) DES LIMITES SUBJECTIVES
La résistance au changement (3), les rumeurs malveillantes (2) et la na-
ture décomplexée de Sankara (1) ont, plus ou moins, été pour le C.N.R.
des facteurs limitatifs.
1- La nature décomplexée de Sankara
484- De son vivant, Sankara avait déjà eu à faire face à des critiques et
observations portant sur sa personne. II lui était ainsi reproché d’être ar-
rogant et irrévérencieux. Il est vrai qu’il était connu pour être franc et
direct. Dans une société où le respect dû aux aînés s’apparentait à un
315
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
ce de développement autocentré
eJ, KYÉLEM de TAMBEÉLA

culte et où le mode traditionnel d’expression était la métaphore et la pa-


rabole, Sankara qui s’exprimait de façon directe et sans ménagement, et
dont le style était celui d’un soldat d’élite toujours en mouvement, ne
pouvait qu'être un iconoclaste. Sankara ne passait pas par des détours
pour dire ce qu’il pensait et surtout pour dénoncer en public l’incurie des
agents de l” État. Ce qui n’était pas pour plaire à ceux qui pouvaient s’y
reconnaître et que l’on pouvait parfois aussi reconnaître. Depuis des
siècles, l'être humain semble n’avoir pas changé malgré les leçons de
l’histoire. Platon nous apprend que la véritable cause de la condamnation
à mort de Socrate fut les haines qu’il s’attira en démasquant l’ignorance
des grands personnages en présence des jeunes gens.
2- Les rumeurs malveillantes
485- Pendant les premiers moments de la Révolution, on voyait sou-
vent Sankara avec les yeux rouges. C’était suffisant pour être accusé de
consommer de la drogue. H s’en expliqua plusieurs fois en faisant com-
prendre que c'était l’effet des insomnies dues à son travail. Sankara est
décédé sans jamais toucher ni à l’alcool ni au tabac. Il est donc invrai-
semblable qu’il ait touché à la drogue. Dans son discours du 14 mai 1983
à Bobo-Dioulasso alors qu’il était premier ministre (cf. n° 97), il s’était
lancé contre ceux qui érigeaient la consommation du thé en institution ou
qui se tournaient vers la drogue. Au cours de l’un de ses tout derniers
conseils des ministres tenu le mercredi 23 septembre 1987, des sanctions
ont été prises contre des militaires pour consommation de la drogue.
Alors que la tension était déjà vive au sein de l’équipe dirigeante et que
ses futurs assassins lui tendaient des pièges de toutes sortes, il n’aurait eu
ni légitimité ni autorité pour faire prendre de telles mesures si sur ce
point il n’avait pas été irréprochable. En outre, dans la haine qui les ani-
mait, ses assassins, dans leur tentative de le salir en lui attribuant tous les
griefs possibles, n'auraient pas manqué de s’en saisir.
3- La résistance au changement
486- Sankara avait surtout les défauts de ses qualités. Esprit vif et pé-
nétrant, il a cru jusqu’au dernier moment que ceux qui faisaient équipe
avec lui avaient les mêmes capacités de compréhension et de conception.
Désintéressé et exigeant pour lui-même, il a cru que ses collaborateurs
316
M
‘Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

étaient capables du même engagement. Il ne se rendait pas toujours


compte que ce qu’il estimait être le minimum de sacrifice et de dévoue-
ment était excessif pour les autres. Lui parlait toujours de travail, de
construction de la patrie alors qu’autour de lui on parlait depuis long-
temps de fatigue, de repos, de récupération physique et matérielle. Lui
voulait la révolution permanente alors que beaucoup de ses proches col-
laborateurs n’en voulaient même plus. Dans La République, Platon avait
déjà fait remarquer qu’il est possible de modifier l'esprit humain par
l'éducation mais qu’il est vain d’espérer lui donner ce qu’il n’a pas en
germe dans son âme.
B) DE LA CONCEPTION ET DE LA GESTION DES AFFAIRES
POLITIQUES
Il a été reproché à Thomas Sankara sa méthode de travail (1) et le non-
respect des textes et des principes organisationnels (2). L’action du
C-NR. n’a pas non plus été facilitée par des limites objectives (3) et des
difficultés tenant à l’appréhension et à l'analyse des faits (4).
1- De la méthode de travail
Il a été reproché à Sankara le volontarisme (a), la précipitation (b),
l’autoritarisme (c), l'intolérance (d), les dissolutions annuelles du gou-
vernement (e) et la concentration des pouvoirs (f).
a) Du volontarisme
487- La gouvernance de Sankara a été fustigée par les adeptes de la
bureaucratie qui lui reprochaient d’être intuitif et volontariste. La gestion
rigoureuse des ressources de l'État, le port du faso dan fani, l'interdiction
d'importer des fruits, le projet de production industrielle du dolo,
l'institution du Service national de construction de la patrie (S.N.C.P.),
en résumé le “consommer burkinabè”, le “vivre au niveau du pays réel”,
le “compter sur ses propres forces” ont été présentés comme des mesures
prises précocement avant que les débats préalables n’aient pu amener le
peuple à les comprendre d’abord et à les accepter ensuite. Sankara en
effet provoquait parfois la surprise dans l’annonce de certaines décisions,
prenant ainsi directement le peuple à témoin, surtout s’il pressentait que
l'appareil militaire, bureaucratique et administratif en place était décidé à
317
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

les combattre. En outre, Sankara ne s’embarrassait pas toujours de procé-


dures et de formalités ; ce qui froissait bien de susceptibilités à fleur de
peau. Il avait horreur des lourdeurs administratives et se préoccupait sur-
tout du côté pratique des choses, du concret et de l'efficacité,
488- L’'U.L.C.-R. qui, au sein du C.N.R. était, depuis le départ du
P.A.L, la seule force politique théoriquement bien armée, s'était adressée
en ces termes au C.N.R au sujet de la politique économique : « Les frans-
formations révolutionnaires doivent être entreprises pour les masses et
par les masses. Et beaucoup de nos mesures pèchent en ce qu'elles
s'appliquent sans les masses et contre leur entendement du moment. Îlne
suffit pas qu'une mesure soit juste pour qu'elle soit prise. I} lui faut pour
son application réussie, l'adhésion des masses. Et c’est là que doit inter-
venir le travail patient 4« explication, de conscientisation et de mobilisa-
tion par la persuasion? .» À cela, le colonel Boukary Kaboré dit Le
Lion du Bulkiemde, Bulkiemde étant la province dans laquelle était basé
le bataillon d’intervention aéroporté qu’il commandait, réplique : « Fous
savez, pour faire une révolution, il faut une bonne dose de courage. y a
des choses qui peuvent être bien, mais qui ne sont pas populaires. Pour
un révolutionnaire, ça se réalise. Ce n'est qu'après que le peuple se re-
connaît en ce qui a été réalisé. C'est ce qui est arrivé avec le peuple bur-
kinabè. Aujourd'hui, tout le monde pleure le président Thomas Sankara.
Pourquoi ? Parce que les gens se sont rendu compte qu'il s'est donné
corps et âme pour le bien-être du Burkina tout entier. Les arbres, les
animaux, comme les humains. Personnellement, je savais que telle ou
telle chose à réaliser allait déranger les gens, maïs je restais persuadé
qu'ils se rendraient compte plus tard de l'intérêt pour eux
489- Pourtant, le volontarisme dont Sankara était accusé, serait une
marque de la révolution. Selon F. Furet, la révolution qui est une inven-
tion des Français à la fin du XVIII siècle, est une rupture dans l’ordre
ordinaire des jours en même temps qu’une promesse de bonheur collectif
dans et par l’histoire, et marque d’abord le rôle de la volonté dans la poli-

54 Cf. Le Démocrate, Organe central du Parti de la démocratie sociale, Spécial congrès


extraordinaire (23-24-25 mars 1990), p. 17.
S% Cf. Le Pays, n° 3970, Ouagadougou, 8 octobre 2007, p. 40.
318
9 Î

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

tique**, D.G. Lavroff trouve que Lénine a été volontariste en essayant


d’adapter la pensée de Marx aux conditions existant en Russie. Au lieu
de se fier uniquement à la réalisation des conditions objectives de la ré-
volution socialiste, Lénine a pensé qu’on pouvait faire l’économie d’une
phase pour passer directement de la Russie féodale et arriérée à une Rus-
sie socialiste #7. Paradoxalement donc, les adversaires de Sankara qui,
dans leur arrogance, prétendaient détenir le monopole de la science de la
révolution, lui reprochaient de faire la révolution. Dès 1847 pourtant,
Frederick Douglass prévenait que « S'il n’y a pas de luite, il n'y a pas de
progrès. Ceux qui parlent en faveur de la liberté et, en même temps, cri-
tiquent l'agitation, sont des hommes qui veulent récolter sans labourer la
terre. Ils veulent la pluie sans tonnerre ni éclairs. Ils veulent l'océan sans
le terrible rugissement des vagues’, » B. Jaffré écrit : « Tant d'aînés de
Thomas Sankara s'étaient fixé les mêmes objectifs qui à force de réa-
lisme, d'étapes historiques à respecter, de planifications soigneusement
élaborées se sont perdus dans les méandres de l'histoire pour finir à
force d’excuses et de compromissions par s enrichir personnellement sur
fond de dictature pendant que le peuple s ’enfonçait toujours plus dans la
misère. C’est à la lumière de ces révolutions trahies, de la Guinée de
Sékou Touré, au Bénin de Mathieu Kérékou, de Madagascar de Didier
Ratsiraka au Congo de Sassou Nguesso que nous pouvons mieux juger de
l'œuvre de Thomas Sankara*®. »
490- Le volontarisme qui était reproché à Sankara a pourtant donné
certains des meilleurs fruits de la Révolution. C’est ainsi que le S.L.A.O.
qui fait actuellement la fierté du Burkina et de l’Afrique a été créé par la
seule volonté de Sankara contre tous”. Il en est de même du Tour du
Faso, de l’Institut des peuples noirs (I.P.N.), du projet du Festival inter-

5% Cf. François Furet, Le Passé d’une illusion, op. cit., p. 56.


#7 Cf. D.G. Lavroff, Les grandes étapes de la pensée politique, op. cit., p. 503.
S% Frederick Douglass, Cité dans Ph. Carles et J.-L. Comolli, Free jazz / black power,
op. cit. p. 135.
5 Bruno Jaffré, Biographie de Thomas Sankara, op. cit., p. 239.
#0 Édouard Bognini qui était conseiller et chef de division sport et culture à la Prési-
dence, raconte qu’il avait exprimé à Sankara son scepticisme sur le projet, mais celui-ci
tint bon, disant que ça marchera et c’est bien le cas. Cf. Mutations, n° 15, Ouagadougou,
15 octobre 2012, p. 8.
319
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

national de la musique de Ouagadougou (FES.I.M.O}, de la construction


des cités, de la reconstruction du grand marché de Ouagadougou, etc. De
même il avait mis en place des courses hippiques avec pour ambition
d'aboutir à un système autonome de Pari mutuel urbain (P.M.U.). Pour
Boukary Kaboré, «Si ce que Thomas Sankara a pu réaliser en quatre
ans avec le peuple burkinabè constitue de l'improvisation, il faut tout
simplement dire que c'était un prophète” .» Apprenant l’assassinat de
Sankara, une institutrice de Ouagadougou déclarait spontanément ce-
ci: «Nous n’aurons plus jamais un président aussi efficace et qui sache
à la fois intéresser et amuser les gens. »
b) De la précipitation
491- Il a aussi été reproché à Sankara de faire dans la précipitation. B.
Jaffré pense qu’on peut lui reprocher « d’avoir voulu aller très vite dans une
situation pourtant extrêmement difficile en regard des objectifs que s'était
fixée la révolution et des moyens disponibles pour les aiteindre”?, » Pressé
de toutes parts, Sankara lui-même reconnaîtra dans son discours du 4 août
1987 : « En quatre ans de révolution, nous avons opéré d'importantes trans-
formations révolutionnaires. Nous avons jeté les bases de la résolution de
nombreux problèmes qui se posent à notre peuple. Nous avons beaucoup agi
et partout dans les différents secteurs de la société. Nous avons donné
l'impression de tout vouloir changer et tout de suite. Et des critiques nous
ont été faites çà et là et nous comprenons fort bien. » En conséquence, il
s’engageait à ce qu’une pause fût observée dans un certain nombre de réali-
sations. Cependant, J.J. Rawlings et B. Jaffré estiment que même s’il y a eu
précipitation, c’est la situation d’urgence absolue dans laquelle se trouvaient
les Burkinabè qui la dictait. Gandhi écrivait qu’ « Un réformateur ne peut se
permettre d'attendre que les autres soient convertis. Il lui faut au contraire
ouvrir la voie ets ‘aveniurer, eu besoin, tout seul, au risque de voir tous les
boucliers se lever contre lui”. » Pour Joséphine Ouédraogo qui fut ministre
de l’Essor familial et de la Solidarité nationale du C.NR., « le souci du lea-

51 Cf. Le Quotidien, n° 1189, Ouagadougou, 15 octobre 2014, p. 6.


rs 592 a

53 Gandhi, Tous les hommes sont frères, Paris, Gallimard, 1969, p. 199.
320
Thomas SANKARA et la Révofution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

der de la Révolution, Thomas Sankara, était d'aller vite pour marquer et


consolider les changements afin qu'ils ne soient plus réversibles”. »

€) De l’autoritarisme
492- On a encore reproché à Sankara un certain autoritarisme. Le colonel
Boukary Kaboré dit que lui était d’accord avec cette façon de faire. Il ex-
plique qu’on ne pouvait pas amener Sankara à faire n’importe quoi. Il fallait
pouvoir le convaincre. Certains, à défaut de pouvoir le convaincre trouvaient
qu’il était autoritaire. En outre, Sankara, dit-il, n’aimait pas les débats inu-
tiles et c'est en cela qu’on le trouvait têtu””. Malgré la tolérance quasi-
surnaturelle qui le caractérisait, Gandhi était aussi taxé d’autoritarisme par
certains de ses contemporains. Il s’en plaignait : «Je n'ai jamais pu endos-
ser cette accusation d'autoritarisme obstiné. [.…] Je n'ai nul désir de rallier
qui que ce soit à ma cause si ce n'est en faisant appel à sa raison’%, » Avec
toute la grandeur d’âme qu’il incarnait, Nelson Mandela était aussi accusé
d’autoritarisme. C’est à croire que c’est la marque des grands hommes que
les médiocres redoutent parce qu’ils sont un obstacle à leur aspiration à une
vie de débauche. Ceux qui souhaitent que la morale, l'éthique, la discipline,
les règles de la vie sociale soient pour les autres ; la permissivité et la licence
pour eux, verront toujours se dresser sur leur chemin les hommes de valeur
qui, au péril de leur vie, hors des sentiers de la compromission, indiqueront
le chemin de la dignité et de l'honneur. Ce fut le cas au Burkina de Joseph
Ki-Zerbo, Thomas Sankara et Norbert Zongo.
d) De l'intolérance
493- Le régime du C.NR. a été accusé d’intolérance. Contre les “en-
nemis du peuple”, la Révolution et ses structures ont mené une lutte sans
faiblesse. C’est sans doute dans ce cadre que le siège du seul quotidien
non gouvernemental de L'époque, L'Observateur, brûla dans un incendie
criminel le 10 juin 19847 et le journal ne fui plus autorisé à reparaître

5% Cf. Mutations, Ouagadougou, 1° septembre 2013, p. 7.


#5 Cf. Le Pays, n° 3970, Ouagadougou, 8 octobre 2007, p. 40.
5% Gandhi, Tous les hommes sont frères, op. cit., p. 244.
7 Selon V. Somé, « l'acte a été commandité par le Secrétaire Général National des
C.DR, le Capitaine Pierre Ouédraogo. » C f. Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op.
cit., p. 209. Selon Adama Touré, ce serait avec l’accord de Thomas Sankara. Cf. A.
321
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

(cf. n° 625). Le lendemain 11 juin 1984, de prétendus comploteurs


étaient passés par les armes (cf. & 512): Il est permis de penser que
l'incendie visait à empêcher le journal de commenter l’évènement. Le
quotidien d’État Sidwaya’” venait d’être créé le $ avril 1984. L’incendie
peut avoir eu aussi pour but de supprimer la concurrence pour permettre
à Sidwaya de mieux s'implanter. Quoi qu’il en soit, il semble difficile de
mettre le régime du C.N.R. hors de cause. Dê Pascal Sessouma qui pré-
sentait le journal télévisé le 11 juin 1984 dit avoir condamné l'incendie
criminel de l'imprimerie du journal et que deux jours plus tard il était
convoqué au siège du Secrétariat national des C.D.R. pour explications et
pour mise en garde pour comportement déviationniste et réactionnaire ”?.
494- Pourtant, Rosa Luxembourg avait prévenu que « La liberté pour
les seuls partisans du gouvernement, pour les seuls membres d'un parti -
aussi nombreux soient-ils - ce n’est pas la liberté. La liberté, c'est tou-
jours au moins la liberté de celui qui pense autrement. [..] Sans élections
générales, sans une liberté de presse et de réunion illimitée, sans une
lutte d'opinion libre, la vie s'étiole dans toutes les institutions publiques,
végète, et la bureaucratie demeure le seul élément actif, » Karl Marx
lui-même écrivait : « Une presse censurée ne sert qu'à corrompre. Le
gouvernement n'entend alors que sa propre voix, tout en s'abusant
quand il affecte d'entendre la voix du peuple. » Peut-on pour autant
mettre en cause Thomas Sankara ? Le directeur de L'Observateur dit
lavoir rencontré le 14 août 1987 et qu’il lui avait demandé « de prendre
encore patience, le temps qu'il procède à des réformes qui rendraient
dorénavant impossibles des actes répréhensibles comme l'incendie d'un
journal, » On peut alors penser que dans ce cas-ci aussi, Sankara a pu
être débordé comme c'était souvent le cas. Dans son discours du 4 août
1987, il formulait une sorte d’autocritique collectif en ces
termes : « C'est vrai, dans le proche passé, nous avons parfois commis

Touré, Une vie de militant — Ma lutte du collège à la révolution de Thomas Sankara,


Ouagadougou, Éditions Hamaria 2001, p. 147.
S Sidwaya signifie en langue more “la vérité est venue”.
5% Cf. L'Observateur Paalga, n° 6012, Ouagadougou, 3 novembre 2003, p. 29.
0 Citée par Michael Lëwy in Orlando Nunez, Roger Burbach, Quand l'Amérique
s’embrasera, Montreuil, La Breche - PEC, 1989, p. 143.
ST Cf. L'Observateur Paalga, n° 6029, Ouagadougou, 27 novembre 2003, p. 9.
322
NN
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

des erreurs ; cela ne devra plus se produire … Il doit y avoir de la place


dans le cœur de chacun de nous pour ceux qui ne sont pas encore parfai-
tement en harmonie avec le Discours d'orientation politique et les objec-
tifs de notre Plan quinquennal. Ce sera à nous d'aller à eux et de les
gagner à la cause révolutionnaire du peuple. »
495- Il convient toutefois de situer les faits dans leur contexte. Avant la
chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, la réunification de
l’Allemeagne le 3 octobre 1990, l’effondrement des régimes dits “socia-
listes” d’Europe centrale et orientale et la désintégration de l’U.R.S.S. le
25 décembre 1991, prévalait ce qui était appelé la guerre froide. Une lutte
implacable opposait les régimes capitalistes aux régimes dits “socia-
listes” et d’orientation socialiste. Dans chaque pays, la lutte entre les par-
tisans de chacun de ces deux systèmes était âpre, parfois féroce. Au Bur-
kina, avant la Révolution, la moindre divergence avec le pouvoir en place
vous valait souvent d’être taxé de communisme et traqué. Sous la 1° Ré-
publique, Maurice Yaméogo avait ainsi taxé de communisme le syndica-
liste et homme politique Joseph Ouédraogo dit Jo Wéder®® et le cardinal
Paul Zoungrana, archevêque de Ouagadougou, lesquels pourtant étaient
des anticommunistes primaires. Sous la III° République, le premier mi-
nistre Joseph Conombo avait juré de mener une lutte implacable contre
les communistes et assimilés. Le régime du C.M.R.P.N. du colonel Saye
Zeïbo avait mené la vie dure à des syndicalistes taxés de communisme.
Sous ces différents régimes, il était impensable d’imaginer un journal
révolutionnaire paraissant légalement et régulièrement. De nos jours, le
contexte ayant évolué, les relations politiques sur les plans interne et in-
ternational se sont beaucoup apaisées. Ce bref rappel peut aider à com-
prendre; mais il n’excuse ni ne justifie l'incendie du siège de
L'Observateur. Avec le recul, on peut d’ailleurs penser que si le journal
avait continué à paraître, il aurait pu contribuer à éviter le drame du 15
octobre 1987.
496- Peut-être à cause de cela, mais aussi sans doute pour des raisons
de divergences idéologiques, le journal n°a jamais porté dans son cœur

602 Cf... Lamizana, Sur la brèche trente années durant, op. cit., p. 70. -P. Englebert, La
Révolution burkinabè, op. cit., p. 38. -San Finna, n° 68, Ouagadougou, 28 août-3 sep-
tembre 2000, p. 9.
323
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

tout ce qui, de près ou de loin, rappelle Sankara et la période révolution.


naire. Un fait anodin parmi tant d’autres le confirme. Dans son numéro
2684 du 17 au 23 juin 2012, l'hebdomadaire Jeune Afrique publiait un
article révélant qu’un enfant naturel de Sankara s’appelant Ismael vivait à
Miami aux États-Unis. Saisissant l’opportunité, L'Observateur Paalga
s’empressa d’annoncer la nouvelle dans sa rubrique phare du week-end
avec ce commentaire : « … je ne peux m'empêcher de faire remarquer
qu'Ismael n'a pas été envoyé sur l'ile de la jeunesse à Cuba, en Albanie
ou en Corée du Nord mais plutôt chez le chef de fil de l'impérialisme
international, le Grand Satan qu'on descendait en flammes à longueur de
discours. Après toui, à l'assassinat de Thom Sank, Mariam et les siens ne
sont pas allés, eux non plus, au Mozambique ou en Angola mais au Ga-
bon d'Omar Bongo, l'alors courtier local du capital(isme). On vous avait
bien dit que révolution ne rimait pas avec misérabilisme et que ces socia-
lo-communistes ne sont jamais à un paradoxe près. Mais enfin, bon vent
à Ismael Sankara®. » Thomas Sankara aurait-il pu envoyer son épouse
et ses enfants au Mozambique ou en Angola alors qu’il avait déjà été
assassiné ? Sauf ceux qui ne veulent pas le savoir, tout le monde a appris
les circonstances qui avaient conduit Mariam et ses enfants au Gabon
avant leur installation définitive à Montpellier en France (cf. $ 637). Mais
l’occasion était belle pour le journal de solder ses comptes avec Thomas
Sankara. C'était sans compter avec la ténacité de ceux qui sont prêts à
tout pour défendre la mémoire et l’honneur du président Sankara.
497- Trouvant l'information quelque peu surprenante, l’hebdomadaire
burkinabè Bendré entreprit des enquêtes et des recherches qui révélèrent
très vite que le prétendu fils naturel de Thomas Sankara qui, de son vrai
nom s'appelle Ismaël Sabaf®, et qui n’a aucun lien de parenté ni de près
ni de loin avec la famille Sankara, s’est en fait arrogé le nom Sankara
pour profiter de la réputation de Thomas Sankara en vue d’assurer la
promotion de sa carrière de chanteur. Grâce à la vigilance de Bendré, la
vérité des faits fut vite rétablie et l'honneur de Sankara sauvegardé.
Jeune Afrique et L'Observateur Paalga furent contraints de reconnaître

5% Cf. L'Observateur Paalga, n° 8155, Ouagadougou, 22-24 juin 2012, p. 6.


$% Cf : -Bendré, n° 697, Ouagadougou, 25 juin 2012, p. 6-7. -Bendré, n° 698, Ouaga-
dougou, 2 juillet 2012, p. 6-7. -Bendré, n° 699, Ouagadougou, 9 juillet 2012, p. 6-7.
324
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

leur manque de professionnalisme dans le traitement de cette informa-


tion, Leur crédibilité en prit un séreux coup.
74 e} Des dissolutions annuelles du gouvernement
498- Chaque année, après les festivités du 4 août marquant
l'anniversaire de la Révolution, le gouvernement était dissous et un autre
était formé quelques jours plus tard. Hors mis deux à cinq départs en
moyenne, autant de nouvelles entrées et de légers changements
d'attribution, on retrouvait les mêmes personnes d’un gouvernement à
l’autre. Le commandant Lingani, les capitaines Blaise Compaoré et Henri
Zongo et le commissaire de police Emest Nongma Ouédraogo ont occu-
pé les mêmes postes ministériels depuis le premier gouvernement du
C.NR. jusqu’au dernier. Pourtant, des critiques parfois acerbes ont été
formulées contre le principe de la dissolution annuelle au motif qu’un
gouvernement qui ne dure qu’une année ne peut pas élaborer des dossiers
solides et les suivre. De même, les partenaires étrangers ne sauraient plus
avec qui traiter si les ministres changent tout le temps.
499- Pour Sankara, les dissolutions annuelles entraient dans le cadre du
combat idéologique qui devait être mené sous la Révolution. Elles per-
mettaient, dans la période qui précédait la formation du nouveau gouver-
nement, de contrôler l’action de chaque ministre durant l’année écoulée.
Elles avaient aussi pour but de démystifier la fonction de ministre. Le
ministre, comme le public, savait qu’un ministre pouvait partir d’un mo-
ment à l’autre et le ministre pouvait ainsi se remettre plus facilement en
cause. De plus, ce procédé, outre le fait qu’il permettait de limiter les
effets de la corruption, n’était pas favorable à la constitution de clientèles
politiques sûres et dociles. Jusqu’en août 1987 exclu, pendant la période
de transition d’un gouvernement à un autre, la gestion des affaires cou-
rantes était assurée par les coordonnateurs du Faso qui, outre Thomas

5 Cf.: -Jeune Afrique, n° 2686, Paris, 1°-7 juillet 2012, p. 17. -leune Afrique, n°
2689, Paris, 22-28 juillet 2012, p. 112. - L'Observateur Paalga, n° 8165, Ouagadougou,
2012,
6-8 juillet 2012, p. 6. -L'Observateur Paalga, n° 8180, Ouagadougou, 27-29 juillet
p. 6-7.

325
Thomas SANKARA et la Révolution as Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire d. KYÉLEM de TAMBÈLA

Sankara, comprenaient, du moins officiellement, Blaise Compaoré, Jean


Baptiste Lingani et Henri Zongo. En août 1987 il y eut une innovation :
c’est le Bureau politique du C.N.R. qui a assuré la gestion des affaires
courantes pendant la transition.
f) De la concentration des pouvoirs
500- Sankara a été accusé d’avoir concentré tous les pouvoirs entre ses
mains. Il est vrai qu’il était un esprit curieux, animé d’une grande quête
du savoir et d’une volonté d’action. Ce qui l’amenait à toucher à tout et à
vouloir parfois tout contrôler ; ce d’autant plus qu’autour de lui il sentait
que ses collaborateurs avaient tendance à décrocher. La poursuite de la
Révolution nécessitait l'impulsion permanente de Sankara. Il n’est donc
pas surprenant que ses adversaires qui étaient déjà essoufflés par le
rythme des transformations aient vu en cet amoureux du travail quel-
qu’un qui voulait tout accaparer. Logiquement, il est difficile d’accuser
Sankara de concentration de pouvoir alors que dans le même temps il
était reproché au C.N.R. de donner trop de pouvoir aux organisations de
masse et notamment aux C.D.R. Jusqu'au sommet de l'État le partage du
pouvoir était une réalité. Tous les autres chefs historiques de la Révolu-
tion, J.-B. Lingani, Henri Zongo et surtout Blaise Compaoré ont eu à
présider plusieurs fois le conseil des ministres. Ce qui demeure une parti-
cularité de la gouvernance Sankara. Le dernier gouvernement du C.NR.
qui a été rendu public le 4 septembre 1987 a été entièrement formé par
Blaise Compaoré. Concentrer les pouvoirs entre ses mains n’était pas
dans la vision de Sankara. Lors de la première conférence de presse qu’il
a donnée le 21 août 1983, à la question de savoir comment le C.N.R. en-
tendait éviter la mise en vedette d’un individu qui est propre aux révolu-
tions, Sankara répondait : «J'ai comme envie de vous renvoyer aux ca-
marades révolutionnaires qui sont là avec moi pour qu'ils vous disent
que nous n'avons jamais perçu ce danger. C'est peut-être un tort. Peut-
être que vous avez été plus perspicace que nous. [...] Nous ne voyons pas
de vedettariat. Le “one man show” n'est pas encore inscrit dans les ob-
jectifs et les principes de lutte du CN.R. »
2- Du non-respect des textes et des principes organisationnels
Il a été reproché à Sankara le non-respect des textes (a), le non-respect
des principes organisationnels (b) et le secret gardé sur la composition du
326
ES

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

C.NR. (e). On pourrait aussi reproché au C.N.R. d’avoir mis en place un


régime de démocratie limitée (d).

a) Du non-respect des textes


501- Sous la Révolution, le texte fondamental était le Discours
d’orientation politique (D.O.P.) Les autorités avaient veillé à sa large
diffusion. Il tenait lieu de Constitution programme. Les textes et les ac-
tions politiques devaient s’y conformer, mais de façon indicative et non x»
impérative. Cela peut expliquer, pendant les premières années, le peu
d’empressement des chefs militaires à élaborer d’autres textes organisa-
tionnels susceptibles d’affaiblir le D.O.P. Du reste, il serait difficile
d’imputer un quelconque manque de texte à Thomas Sankara. Valère
Somé qui était dirigeant de l’'U.L.C.-R et qui était aussi un ami de Tho-
mas Sankara écrit : « Au retour du Président Thomas Sankara de Corée
du Nord, je formulai des propositions écrites, à sa demande, pour un
agencement harmonieux de nos structures et des diverses instances.
Cette étude en deux exemplaires fut communiquée à Blaise Compaoré. Et
le président Thomas Sankara n'ayant aucune opposition à formuler, me
recommanda de convaincre au préalable, son alter ego, quant à la perti-
nence des propositions. Nous eûmes, Blaise Compaoré et moi une
séance de travail de quatre heures au cours de laquelle je m'évertuai à le
convaincre, en vain. Aujourd'hui, il s'est énormément inspiré de cette
étude toujours en sa possession pour conduire «la rectification des
structures de la Révolution ®.» On sait donc qui était opposé à
l’adoption de textes organisationnels.
502- Il convient d’ailleurs de ne pas faire une fixation absolue sur les
textes. Ne dit-on pas que quand on a de bons juges et de bonnes procé-
dures, le contenu des lois n’a plus d'importance ? En revanche on peut
concevoir de belles règles et de bonnes structures pour l’exercice du pou-
voir, mais si les responsables sont sans scrupule, les règles et les struc-
tures peuvent devenir de simples ornements ou pire, des moyens
d’oppression. Dans l’U.R.S.S. de Staline, les règles et les structures de
l'État soviétique furent vidées de leur contenu. Seules prévalaient les

506 VD. Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit., p. 125.
327
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

lubies du dictateur autocrate. De nos jours, la plupart des États africains


ont de belles Constitutions. Ce qui pourtant ne fait pas d’eux des États
démocratiques. Les dirigeants africains du reste n’hésitent pas à faire
réviser leur Constitution à tort et à travers pour faire sauter le verrou de la
limitation du nombre de mandats présidentiels afin de jouir d’un pouvoir
à vie. Tant que la masse des citoyens n’aura pas acquis un niveau
d'instruction et un pouvoir économique suffisants lui permettant
d'exercer un contrôle utile du pouvoir, l'intégrité et la moralité des diri-
geants seront de biens meilleurs atouts que les plus beaux textes et les
plus belles structures au monde.
b) Du non-respect des principes organisationnels
$03- Thomas Sankara a également été accusé d’avoir méprisé les prin-
cipes organisationnels. Par principes organisationnels on aperçoit en fili-
grane tous les éléments de la bureaucratie avec son cortège habituel de
lourdeur administrative, de courtisanerie, d’obséquiosité, de corruption et
de paralysie de l'appareil d’État. Les observateurs sont unanimes à re-
connaître la promptitude avec laquelle Sankara reconnaissait ses erreurs.
Lors de la conférence de presse qu’il a donnée à l’occasion du premier
anniversaire de la Révolution, à une question concernant les erreurs qui
auraient été commises, il répondait : « Un bilan est difficile à établir dans
la mesure où un an pour des hommes qui posent des actes, c'est beau-
coup en matière d'erreurs. Des erreurs ont été commises dues surtout à
la jeunesse de la Révolution, peut-être à celle de ceux qui la dirigent,
peut-être par manque d'assurance, de confiance en soi, peut-être une

ST À titre d'exemples on peut citer les pays suivanis : Algérie, Burkina Faso, Came-
roun, Gabon, Guinée, Niger, Tchad, Togo, Tunisie, Congo, Rwanda qui ont tous déjà
procédé à ce genre de révision. Dans certains pays, la limitation du nombre de mandats
est toujours simplement inenvisageable : Éthiopie, Gambie, Soudan, Zimbabwe.
Pour avoir abusé de la Constitution, le président nigérien Mamadou Tandja a
été renversé le 18 février 2010 par un coup d’ État. Le président tunisien Zine el-Abidine
Ben Ali a été renversé le 14 janvier 2011 à la suite d’une révolte populaire qui a com-
mencé le 17 décembre 2010. Le président égyptien a lui aussi été renversé le 11 février
2011 à la suite d’une révolte populaire commencée le 25 janvier 2011 et qui s’est inspi-
rée de l'exemple tunisien. Le 17 février 2011 commençait aussi en libye une rébellion
qui allait aboutir à la chute de Mouamar el Kadhafi en août 2011 et à son atrestation-
exécution le 20 octobre 2011.
328
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de pement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

certaine grandeur qui frise la naïveté vis-à-vis des autres. Chaque jour
des erreurs ont été commises ; au moins trois cent soixante-cinq erreurs.
L'essentiel c'est de reconnaître que l'on a commis des erreurs et prendre
la résolution de ne plus en commettre. » Toutefois, son engagement et
son désintéressement lui permettaient de ne pas être dupe et de pressentir
les artifices par lesquels on cherchait à enterrer la Révolution. Il est vrai
cependant que parfois, les règles élémentaires d'organisation et de fonc-
tionnement de toute structure n’étaient pas respectées. Mais, était-ce le
fait de Sankara ? Issa Tiendrebéogo qui a été ministre du CNR, qui a
aussi œuvré à la chute du C.N.R. et de son président®®, qui a été conseil-
ler et proche collaborateur de Blaise Compaoré après l'assassinat de
Thomas Sankara et qui a appelé à soutenir Blaise Compaoré lors de
l'élection présidentielle de 1991 5% déclare: «.… j'étais censé être
membre du C.N.R. Malgré fout, on ne m'a convié à une de ses réunions
qu'en 1986. Fidèle à mes principes, j'ai refusé d'y prendre part et ai
exigé des explications, parce que ne comprenant pas que depuis
membre du C.NR, ce soit seulement en 1986 qu'on m'y convie. [..
conclusion, je n'ai jamais siégé au sein du C.N.R. [..] Mais je savais que
cela provenait de certaines personnes qui ne souhaitaient pas cet élar-
gissement en vue du débat pour trouver les solutions les plus idoines aux
problèmes, Je suis convaincu que cela n'était pas le fait de Thomas San- |
kara. En attestent les bons rapports qui ont prévalu entre nous après mon
départ du gouvernement
D] Du secret gardé sur la composition du C.NR.
504- Après le 15 octobre 1987 il a été reproché à Sankara d’avoir gardé
secret la composition du C.NR., ce qui aurait été à l’origine de graves
déviations. L'ancien président S. Lamizana qui était le président de
l’'U.N.A.B. dit en effet: « J'étais avec mes anciens sans pénétrer au fond
du C.N.R, puisque je ne savais mème pas qui était C.N.R. À part Sanka-
ra lui-même et ses 3 compagnons, moi je n'en savais rien. Je ne connais-

SE Cf V. Somé, op. cit, p. 166. 1-5. À É :


$% C'était une des résolutions du premier congrès & son parti, le Groupe des Démo-
crates et patriotes (G.D.P.) tenu les 20 et 21 avril 1991.
410 C£ L'Observateur Paalga, n° 6987, Ouagadougou, 9 octobre 2007, p. 11.
329
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

sais pas les autres, je ne peux pas vous dire quoi que ce soit! » Basile
L. Guissou qui a été plusieurs fois ministres du C.NR. et qui était
membre de l’'U.L.C.-R. en donne, a posteriori, un petit éclairage. Il
dit: «ce sont dix personnes qui ont constitué le premier gouvernement
du CNR le 23 août 1983 à savoir, Thomas Sankara, Blaise Compaoré,
Henri Zongo, Jean-Baptiste Lengani pour la partie militaire, Adama Touré,
Soumane Touré et Philippe Ouédraogo tous du P.A.I, Dondassé Talata
Eugène, Valère Somé et moi-même Basile Guissou pour l'U.L.C. Nous cons-
tituions le noyau du CNRS" » Sur le caractère secret du C.NR., Sankara,
répondant à des journalistes, déclarait en début août 1984 : « Nous sommes
dans une pièce théâtrale genre particulier et il s'agit pour nous de savoir
qu'est-ce qui préoccupe le plus les Burkinabè. Connaître les acteurs ou
connaître les réalisations, les actes, c'est un choix à faire. Dès les premières
qui
heures de la Révolution l'on se posait beaucoup de questions de savoir
pas voulu confier son sort à
est membre du C.N.R parce que aussi on n'a
n'importe qui. Ce qui est légitime. Mais au fur et à mesure que les ombres
ont été capables de poser des actes dont le peuple a pu être satisfait, on s'est
[...]
moins préoccupé de connaître l'identité de ceux qui posaient ces actes.
qui
Nous préférons donc construire un pays [...] que d'avoir une équipe
chaque jour se préoccupe de se faire connaître [...] et puis c'est une autre
[...]
façon d'éviter que personne ne tombe dans le culte de la personnalité.
c'est le peuple burkinabè qui fait sa révolution ce n'est pas une équipe. »
D’autres raisons semblent aussi avoir joué. Des raisons de sécurité sans
doute, mais aussi pour éviter l’étalage sur la place publique des luttes
d'influence et des conflits internes. Des objections peuvent sans doute être
ces
formulées à l’encontre de cette méthode de gouvemement. Mais que
du
objections proviennent de ceux-là même qui ont aussi été à l’origine
qui en ont
C.NR, qui se sont le mieux accommodés de son caractère secret,
profité pour tirer les ficelles dans l'ombre, il ne peut y avoir que de la mau-
vaise foi. Au demeurant, qu’ont-ils fait pour changer les choses ?
d) Du régime de démocratie limitée
505- À juste titre cependant, il peut être reproché au C-N.R. d’avoir
mis en place un système de démocratie populaire limitée. La démocratie

SU Cf, Bendré, n° 351-352, Ouagadougou, 1° août 2005, p. 7.


812 Cf. Le Pays, n° 3974, Ouagadougou, 15 octobre 2007, p. 4.
330
es à

Thomas SANKARA et La Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

en effet s’arrêtait à la porte du sommet de l'État et des instances poli-


tiques. Il n’existait aucun contrôle démocratique des dirigeants par les
militants. Le secrétaire général national des C.D.R. qui était le premier
responsable des militants n’était pas élu par eux mais nommé par le
C.NR. Il en était de même de tous les cadres du secrétariat général national
des C.D.R. Tous étaient responsables devant le C.N.R. et non devant les
militants qu’ils prétendaient représentés. Les trois autres chefs historiques de
la Révolution, le commandant Boukary Jean-Baptiste Lingani et les capi-
taines Blaise Compaoré et Henri Zongo ne répondaient de rien. Il n’y avait
aucun moyen d’engager leur responsabilité. Faute d’élections générales, il
n’y avait aucun fondement quant à la représentativité des groupes politiques
qui composaient le C.N.R. dont les membres n’étaient pas davantage élus
mais désignés par les états-majors des mêmes groupes politiques. La démo-
cratie populaire était tronquée. Quand donc la crise éclata sur lorientation et
le contenu de la Révolution, les militants l’ignoraient ; et quand bien même
ils l’auraient sue, ils n’auraient pas pu trancher. Îls étaient dépourvus de
moyen de décision et de contrôle sur les organes dirigeants. Cela a profité à
la fraction bureaucratique et opportuniste qui, pour ne pas prendre de risque,
s’est emparée du pouvoir de manière sanglante le 15 octobre 1987. Ainsi se
reproduisait à peu de chose près le scénario qui s’était déjà déroulé à Gre-
nade en 1983 sur lequel Michael Lôwy écrit : « L'inexistence d'instances
démocratiques pour que la base du parti puisse contrôler sa direction per-
mit à une petite fraction sectaire, bureaucratique et autoritaire, de gagner
l'hégémonie dans les organes dirigeants et d'éliminer Maurice Bishop mal-
gré l'appui majoritaire des militants du NIM®. Même chose en ce qui con-
cerne l'État : l'absence d'instruments démocratiques permit à cette fraction
de contrôler l'appareil d'État et les forces armées, en écartant du pouvoir
les dirigeants reconnus des masses populaires de Grenade. »
3- Des limites objectives
Le C.N.R. a été confronté à l’analphabétisme (a) et à la pauvreté généra-
lisée des populations (b).
a) L’analphabétisme

51 N.J.M. = New Jewel Movement.


4 Cité par ©. Nunez, R. Burbach, Quand l'Amérique s’embrasera, op. cit. p. 145.
331
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

506- L’analphabétisme généralisé des populations burkinabè a été un


obstacle au processus révolutionnaire. Beaucoup de responsables des
C.DR. ne savaient ni lire ni écrire ; ne parlaient ni ne comprenaient le
français. Or le discours officiel était en français même si parfois des tra-
ductions étaient faites en langues nationales. Les militants étaient done
facilement manipulables au gré des intérêts particuliers des groupes poli-
tiques. Même le niveau d’instruction et d'analyse politique des prétendus
intellectuels de l’époque laissait à désirer. Selon Issa Tiendrebéogo,
« Certains militaires n'avaient pas la formation nécessaire pour pouvoir
discuter d'égal à égal avec les civils ».
b) La pauvreté généralisée
507- L'état de pauvreté généralisée des populations qui ne permettait
pas toujours d’attendre et qui exigeait des résultats immédiats a sans
doute marqué l’action de Sankara qui semble avoir privilégié
l’économique plus que le politique, et qui a laissé F’impression d’avoir
été un homme pressé. Selon l’adage, donner un poisson à quelqu'un,
c'est le nourrir pour un jour ; lui apprendre à pêcher, c’est le nourrir pour
toute la vie. Si pertinent soit-il, cet adage n’est compréhensible que par
celui qui n’a pas encore atteint un certain niveau de privation. Celui qui a
très faim n’a ni la capacité ni la volonté d’apprendre à pêcher. Pour lui, à
chaque jour suffit sa peine. Il préférera avoir le poisson d’aujourd’hui
pour se tirer d’affaire. Vouloir d’abord lui apprendre à pêcher serait pour
lui sans objet et même aléatoire. Après tout on peut apprendre à pêcher et
ne pas attraper de poisson ou encore ne pas en attraper à temps. Jusqu'à
la Révolution, l’état d’analphabétisme et de pauvreté des populations
avait fait d’elles un bétail électoral facile à capter. Sankara a voulu pou-
voir leur distribuer des poissons tout en leur apprenant à pêcher ; ce qui,
par l'effort nécessaire à fournir, a pu susciter des incompréhensions que
des opportunistes ont saisies pour amplifier à des fins politiciennes.
4- De l’appréhension et de l'analyse des faits
508- Le C.N.R. avait à faire face à la capacité de compréhension de son
projet de société par les populations et à leur capacité d’analyse des faits. Ce
qui constituait une difficulté sérieuse s'agissant de populations pauvres et
analphabètes. Le C.N.R. était également confronté aux politiciens des ré-
332
ON
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

gimes précédents et leurs alliés, à une armée qui tenait à défendre son pres-
tige et ses privilèges, à une bureaucratie administrative assez conservatrice et
revendicatrice, à une paysannerie qui, sur le plan politique a d’abord été
hostile, s’est plongée ensuite dans le doute, pour finalement s’engager avec
beaucoup de réserve. J. Ziegler a ainsi pu faire cette observation : « la révo-
lution du 4 août 1983 jouit de l'adhésion enflammée de la jeunesse. Elle
rencontre la distance sceptique des vieux dignitaires de toutes les multiples
et très riches sociétés traditionnelles du pays. La masse paysanne, elle, reste
en attente : elle aime Sankara, le jeune héros sorti de ses rangs, mais elle
attend pour voir, gardant, face aux initiatives, aux promesses, une prudence
instruite par l'expérience des siècles. Ce qui frappe ..] dans toute
l'expérience politique burkinabè qui, à un rythme époustouflant, progresse
depuis maintenant trois ans, c'est la gaieté, la soif de vie, la chaleur hu-
maine, mais aussi la fragilité". »
509- Alors que le renversement des alliances sociales et politiques opé-
ré par le C.N.R. faisait reposer l’essentiel du pouvoir sur les petits em- |
ployés, les marginaux des villes et le monde rural, les réformes succes- |
sives et rapides de Sankara étaient parfois incomprises par ces derniers,
provocant le désarroi dans la base même de recrutement et de soutien du
régime. Par exemple, l’engagement en 1985 des “trois luttes” (luttes
contre les feux de brousse, la coupe abusive du bois et la divagation des
animaux} avait suscité des inquiétudes en milieu rural de même que la
campagne contre l’importation des noix de cola dont les populations ru-
rales sont les principales consommatrices. Le projet du nouveau code de
la famille qui prévoyait d'encourager la monogamie avait aussi suscité la
méfiance tant chez les hommes qui y voyaient une intrusion dans leur vie
privée et une menace pour le pouvoir du mâle, que chez les femmes à
causes des prétendus avantages que la polygamie leur procurerait.
L’interdiction officielle de la prostitution n’avait pas non plus été du goût
de ceux qui en profitaient et l'interdiction de la mendicité n’avait pas été
bien appréciée par certains musulmans qui, de bonne foi, voyaient en elle
un moyen d'éducation et d’initiation des jeunes à la patience, à
l’endurance et à l’humilité. Le renversement des alliances opéré par le

615 Jean Ziegler, Jean-Philippe Rapp, Thomas Sankara - Un nouveau pouvoir africain,
Lausanne, Pierre-Marcel Favre, Paris, ABC, 1986, p. 30.
333
Thomas SANKARA et la Révolution an Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KVÉLEM de TAMBELA

C.NR. était en lui-même plein de risques, car même dans l’hypothèse


d’une adhésion et d’un soutien indéfectibles des couches sociales sur
lesquelles comptait le C.N.R., celles-ci n’étaient pas en mesure d’assurer
la protection et la défense du régime.

©} DU RESPECT DES DROITS HUMAINS


510- Thomas Sankara était connu pour son humanisme. D’aucuns pré-
tendent même que c’est ce qui aurait causé sa chute. Sans le vouloir, le
Front populaire a même fait l’éloge de son humanisme. Dans sa Procla-
mation, il reproche à Sankara d’avoir voulu une issue pacifique de la
crise qui minait le régime du C.S.P.-IT par la négociation, laquelle aurait
pu permettre la prise du pouvoir le 4 août 1983 sans violence. Dans la
nuit du 4 août 1983, alors que le régime du C.S.P.-IT venait d’être renver-
sé, c’est en intervenant directement que Sankara aurait sauvé la vie de
Jean-Baptiste Ouédraogo que les commandos s’apprêtaient à abattre®t$,
Dans la nuit du 30 au 31 mai 1987, Soumane Touré, membre influent du
P.A.L.-LIPA.D., était arrêté par des C.D.R. du secteur 29 de Ja ville de
Ouagadougou pour provocations permanentes, activités subversives et
diffusion de tracts injurieux. Soutenus par le comité de garnison de Oua-
gadougou, ils exigèrent son exécution 17, Grâce à l'intervention de San-
kara, il eut la vie sauve. Pourtant, le régime du C.N.R. entretenait une
culture de l’intolérance. Jusque dans les réunions de l’instance suprême
qu'était le C.N.R, des militaires en arme proféraient parfois des menaces
de mort pour de simples divergences d’opinion. Askia Vincent Sigué qui
était en charge de la sécurité présidentielle était particulièrement connu
pour ses brutalités. Vincent Sigué qui était un Métis franco-burkinabè
était d’ailleurs recherché en France et par Interpol pour meurtre.
D'’aucuns lui attribuent la responsabilité, voire la paternité de certains
crimes non élucidés commis pendant la Révolution.

516 Cf B.P. Bamouni, Burkina Faso - Processus de la Révolution, op. cit., p. 90. Abdou Salam
Kaboré confinne qu’il était avec Sankara quand il arriva chez Jean-Baptiste Ouédraogo.
517 Dans une Déclaration rendue publique, le comité de garnison concluait en ces
termes : « C'est pourquoi le Comité de garnison de Ouagadougou, réuni en Assemblée
générale extraordinaire dans la muit du 31 mai au 1° juin 1987, après analyse de ce
bilan macabre, requiert contre Touré Soumane et ses hommes de main la peine capi-
tale. »
334
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
_Apoli 3. KYÉLEM de TAMBÈLA

S11- L'une des causes de l'intolérance était aussi que le régime du


C.NR. avait tendance à privilégier les droits concrets du citoyen (droits
socio-économiques) par rapport aux droits abstraits (droit à la vie en
toutes circonstances, libertés individuelles et collectives). Or, pour jouir
des droits concrets, il faut d’abord vivre et jouir de la liberté
d’appréciation. Mais, selon Julien Green, «La valeur de la liberté de
penser paraît bien vague et hors de propos à ceux dont 1 ‘histoire fut
écrite en termes de simple survivance physique. » I est donc permis de
penser avec le C.N.R. qu’en deçà d’un minimum de droits concrets, les
droits abatraits restent une fiction trompeuse. À quoi sert-il en effet
d’avoir des droits sans les moyens ni même l’envie d’en jouir ? Maurice
Kamto répond à J. Green en ces termes : « Mais la survivance physique
n'est-elle pas simple illusion de vivre là où la liberté de dire a été confis-
quée ? » La question n’est donc pas si simple et personne ne peux en
décider pour un autre. En décidant de privilégier de façon générale les
droits concrets et de mener sa politique de développement en ce sens, le
régime du C.N.R. a ainsi été entaché de violations parfois graves des
droits humains, que ce soit des atteintes portées au droit à la vie (1) ou
aux libertés collectives (2) et individuelles (3).
1- Des atteintes au droit à la vie
512- Après le renversement le 4 août 1983 du C.S.P.-II qui a coûté la
vie à deux ou trois personnes, une forme de résistance active s’est mani-
festée dès les premiers instants de la Révolution. Le colonel Yorian Ga-
briel Somé qui avait réussi à quitter Ouagadougou avait pu rejoindre la
garnison de Ouahigouya à 185 km au nord. Le commandant de cette gar-
nison, le commandant Karim Lompo‘!5, lui était dévoué. L'objectif du
colonel Somé était de tenter d’y organiser la résistance®!?. De même le

518 Le commandant Karim Lompo fut dégagé des cadres de l’armée en même temps que
trente autres officiers par décret n° 83-0018/CNR/PRES/DNAC du 20 août 1983. Les
intéressés étaient autorisés à faire valoir leurs droits à pension de retraite.
À la faveur des mesures collectives de réhabilitation et de reconstitution des
carrières, Karim Lompo a été élevé au grade de colonel par le décret n° 2008-
141/PRES/PM/DEF du 25 mars 2008.
61 Certains ont prétendu que dans sa stratégie de conquête du pouvoir, le colonel Somé
prévoyait le renversement de Jean-Baptiste Ouédraogo et du C.S.P.-II avec l'élimination
335
Thomas SANKARA et ta Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

commandant Fidèle Guébré qui était le patron incontesté et redouté des


para-commandos de Dédougou n'avait pas rallié le nouveau régime. Le 9
août 1983 au soir, un communiqué du C.N.R. annonçait qu'ils avaient été
arrêtés le 8 août. Le 10 août 1983 un autre communiqué du C.N.R. an-
nonçait qu’ils avaient trouvé la mort dans la nuit du 9 au 10 août 1983
lors d’une tentative d'évasion organisée par des éléments qui leur étaient
restés fidèles mais qui aurait échoué. Valère Somé conteste cette ver-
sion®®, D’aucuns soutiennent qu’ils auraient été simplement abattus par
Vincent Sigué.
513- Le 27 mai 1984, une tentative de coup d’État aurait été déjoué. Il
était prévu que Sankara se rendrait le 28 mai 1984 en visite officielle en
Côte d'Ivoire. La visite fut annulée la veille par manque d’un accord sur
le protocole. Le coup d’État était prévu pour se dérouler pendant
l'absence du président. Après s’être emparés des points névralgiques de
la capitale, les putschistes devaient en appeler à l’aide étrangère pour
assurer le contrôle de la situation‘?!. Les troupes françaises basées en
Côte d’Ivoire et/ou au Sénégal auraient alors volé à leur secours. Le lieu-
tenant-colonel Nobila Didier Tiendrebéogo‘?? aurait été le cerveau du
complot avec la participation de civils comme Paul Rouamba qui a long-
temps été ambassadeur du Burkina à Washington et Joseph Ki-Zerbo
leader du F.P.V. dissous®®. Les enquêtes auraient aussi révélé la partici-
pation de l’ambassade des Etats-Unis à Ouagadougou. Le C.NR. s’érigea
en cour martiale pour juger les conjurés. Après un jugement quelque peu
expéditif, il rendit son verdict le 11 juin 1984 : sept condamnations à la
peine capitale dont cinq militaires et deux civils, cinq condamnations à
des travaux forcés allant de quinze ans à la perpétuité et quatorze acquit-

physique de Sankara, Compaoré, Lingani et Zongo. II aurait donc été pris de court par
l'avènement de la Révolution.
90 Cf. V. Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit., p. 206.
21 Sur la version de Sankara, cf. Afrique Asie, Paris, 2 juillet 1984, p. 6-8.
2 ]1 avait été dégagé des cadres de l’armée par le décret du 20 août 1983.
3 Joseph Ki-Zerbo se trouvait en ce moment en exil à Dakar. Selon la version officielle
- qui est loin de faire lunanimité - les contacts entre lui et les putschistes se seraient
faits par l'intermédiaire d’un homme d’affaires, Adama Ouédraogo, lequel fut condam-
né à mort. De sources proches de Ki-Zerbo, les deux hommes se seraient rencontrés sur
le parvis d’une église à Dakar et auraient simplement échangé des salutations.
336
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

tements®. Le 12 juin 1984 les condamnés à mort avec en tête le lieute-


nant-colonel Didier Tiendrebéogo furent passés par les armes. Les corps
furent rendus aux familles. Adama Touré du P.A.L.-LI.PA.D. explique à
sa façon le comportement de Sankara dans cette affairé en ces
termes : « J'avais pu noter aussi avec un léger étonnement que dans une
situation politique aussi tendue à cause du complot présumé et pour une
réunion du C.N.R. avec un ordre du jour aussi grave, Sankara, président
du C.N.R., n'avait pas participé au début du tribunal du C.N.R., et s'était
fait représenter par le commandant en chef du Haut Co; mandement des
x
forces armées, ministre de la Défense et de la Sécurité Qui a présidé la
réunion. Et lorsque le président Thomas Sankara s'était présenté
quelques instants après à la réunion et avait eu connaissance des déci-
sions du C.N.R. il s'était montré insatisfait des sentences du C.N.R. et
avait voulu impliquer des officiers déjà dégagés de l'armée et dont cer-
tains ne vivaient même plus dans le pays et que personne à la réunion du
CN.R. de ce jour n'avait cités. Mais le C.N.R. ne s'est pas prononcé sur
leur cas. » On peut déduire, sur le fondement de ce témoignage, que
Sankara n’a pas désapprouvé la sévérité du verdict.
514- Le 18 juillet 1984, le commandant Amadou Sawadogo, chef
d’état-major adjoint des forces armées®%, était victime d’un attentat.
Alors que de nuit il revenait de l’hôtel Silmande, il fut agressé par des
hommes en uniforme au niveau du Bois de Boulogne, actuel Parc Bangre
weogho®?7. Transporté d'urgence à l'hôpital du Val-de-Grâce de Paris, il
décéda le 7 août 1984. Il était le gendre de Gérard Kango Ouédraogo,
ancien premier ministre, ancien président de l’Assemblée nationale et ::

4 CF. Sidwaya, n° 42, Ouagadougou, 13 juin 1984, p. 1 et 3.


5 Cf. L'Observateur Paalga, n° 5384, Ouagadougou, 20-22 avril 2001, p. 4.
6% 1] avait été nommé à ce poste par un décret du 10 août 1983. Il était né le 18 dé-
cembre 1947 et était un officier qui avait toujours été respecté de ses chefs et de ses
subordonnés.
7 Selon sa veuve, Marie-Rose Sawadogo née Ouédraogo, le soir du drame il a reçu un
coup de fil lui disant d’aller à l’hôtel Silmande vérifier des chambres réservées pour des
officiers de la sous-région qui étaient attendus à Ouagadougou. Quand il quittait la mai-
son, il était suivi par un véhicule non immatriculé. Ce sont les occupants de ce véhicule
qui le cribleront de balles. Sa voiture a reçu 120 impacts. L’intention des assassins était
que la voiture prît feu. Mais malgré les blessures, il réussit à éteindre le moteur. cf
L'Observateur Paalga, n° 8679, Ouagadougou, 8-10 août 2014, p. 35.
337
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autogentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

leader du R.D.A. dissous. Ceci peut-il expliquer cela ? À ce jour, les cir-
constances de sa mort n’ont toujours pas été élucidées.
515- Le 8 avril 1985, Valentin Kinda, un homme d’affaires burkinabè
vivant et menant ses activités en Côte d'Ivoire, était assassiné à Abidjan,
Les autorités ivoiriennes qualifièrent son assassinat de « crime politique
exécuté par des tueurs à gages. »°% À ce jour, les circonstances de
l'assassinat de Valentin Kinda ne sont toujours pas non plus élucidées.
D’aucuns prétendent qu’il aurait été exécuté par Vincent Sigué sur ordre
de Sankara parce que, opérant dans la restauration et l'hôtellerie, il hé-
bergeait volontiers à Abidjan les opposants au régime de Sankara.
516- Sankara était-il le commanditaire de ces crimes ? En tant que
premier responsable du pays, il en assume la responsabilité. Il est cepen-
dant difficile de croire qu’il en fut le principal instigateur. Après son as-
sassinat ignoble le 15 octobre 1987, dans sa Proclamation du même jour
comme dans son communiqué de presse du 19 octobre 1987 aussi bien
que dans toutes ses déclarations ultérieures, le Front populaire, avec toute
la hargne qui animait ses acteurs, dans le but d’expliquer et de justifier
son forfait et de se rassurer lui-même, a traité Sankara de tout, allant jus-
qu’à travestir les faits et à lui trouver des défauts imaginaires parfois gro-
tesques. Dans cette hallucinante phobie du héros de la Révolution, à au-
cun moment le Front populaire et ses acteurs n’ont pensé à le qualifier
d’assassin ou de criminel. Oubli, omission ou négligence ? Le coup
d’État du 15 octobre n’a pas été un accident. Il a été longuement préparé
(cf. $ 606-608) et les griefs, les explications et les justifications à fournir
avaient été soigneusement recensés. Si Thomas Sankara avait ordonné
des crimes, ses assassins n’auraient pas manqué de les faire figurer en
bonne place dans leur Proclamation et communiqués. On constate
d’ailleurs que les intimidations, les répressions, les chasses à l’homme,
les assassinats ont plus que décuplé après son assassinat.
2- Des atteintes aux libertés collectives
517- Les partis politiques traditionnels interdits sous le C.M.R.P.N, le
sont restés sous le C.N.R. Il était inimaginable sous le C.N.R. de créer

S8 Cf.S. Andriamirado, Sankara le rebelle, op. cit., p. 139.


338
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

ouvertement un parti politique d'opposition. Les syndicats ont éprouvé


beaucoup de difficultés à fonctionner librement sous le C.NR. Sur le
terrain ils étaient confrontés aux C.D.R. En outre, selon la vision dicho-
tomique du C.N.R. qui divisait les citoyens en partisans du peuple et en-
nemis du peuple, qui n’épousait pas la ligne politique du C.N.R. était vite
rangé parmi les ennemis du peuple. Les syndicats en ont souffert, et resté
indépendant du pouvoir relevait de prouesses exceptionnelles. L’atteinte
la plus grave portée contre le mouvement syndical fut incontestablement
le licenciement le 22 mars 1984 pour fait de grève de près de mille quatre
cent enseignants et encadreurs des enseignants du primaire. Constatant
l'ampleur du désastre, dès le lendemain 23 mars 1984, Sankara convoqua
un conseil extraordinaire des ministres pour faire rapporter la décision de
licenciement. Mais il ne fut pas suivi et la décision fut maintenue avec
cependant des assouplissements. Dans une moindre mesure, on peut rap-
peler aussi le licenciement le 10 juin 1987, à l'initiative de Blaise Com-
paoré, de dix-neuf magistrats membres du S.A.MA.B. en réplique aux
attaques de ce syndicat.
3- Des atteintes aux libertés individuelles
518- Sous le régime du C.NR. les libertés individuelles, comme les li-
bertés collectives, s’exprimaient dans le cadre de la ligne politique du
C.NR. et dans les structures du régime. L'émission d’une opinion con-
traire pouvait, en fonction du rang social, valoir des représailles. Après le
départ du gouvernement du P.A.IL.-LI.PA.D., ses dirigeants, comme un
amant éconduit, se manifestèrent par une hostilité sans borne et sans dis-
cermement à l'encontre du C.N.R. allant, contre toute attente, jusqu’à
abhorrer ce qu’ils avaient adoré hier. Le retournement de veste du P.A.I.-
LLPA.D. fut sans doute à la hauteur de son désamour. En conséquence,
certains de ses dirigeants furent, pour un temps, suspendus de la Fonction
publique. D’autres furent même internés.
D) DELA PLACE DE L'ÉCONOMIE DANS L E PROCESSUS
DE DÉVELOPPEMENT
L'objectif affiché du C.N.R. était de réaliser le bonheur des Burkinabè
par le développement économique et le progrès social. Encore eut-il fallu
qu’il y eût unanimité sur le fondement et la conception du bonheur (1).
339
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBÈLA

La brièveté du régime ne lui a sans doute pas permis de mener à terme


son programme économique pour éventuellement donner pleine satisfac-
tion aux Burkinabè (2).

1) De la notion de bonheur
519- L'essentiel de la politique du C.N.R. était axé sur le développe-
ment économique et le progrès social. Dans le discours d'ouverture de la
deuxième Conférence nationale des C.D.R. tenue du 30 mars au 3 avril
1987, soit quelques mois avant la chute du régime, le secrétaire général
national des C.D.R., le capitaine Pierre Ouédraogo invitait encore à la
constitution « des brigades de travail partout où il y a des C.D.R, prêtes à
iout moment à prendre d'assaut les innombrables chantiers qui vont se
créer çà et là. Désormais chaque militant devra faire partie d'au moins une
brigade populaire de travail, et consacrer un temps déterminé à un chantier
populaire. La brigade de travail est une forme avancée des détachements
d'assaut pour la construction de la patrie. » Il fut décidé lors de cette confé-
rence de la mise en place d’un Service populaire de construction de la patrie
(S.P.C.P.) Il ne fait pas de doute que pour le régime du C.NR. le dévelop-
pement économique devait apporter plus de bonheur au peuple.
520- La notion de bonheur est une question de mentalité. Elle n’est pas
fonction des biens matériels même si ceux-ci y contribuent. Comme le fait
remarquer Sénèque, « N'est pas pauvre celui qui possède peu de choses,
mais celui qui en convoite toujours plus. » C. Lévi-Strauss donne l’exemple
de groupes d’indigènes que les autorités brésiliennes avaient essayé, au dé-
but du XX° siècle, d’amener à la vie moderne. Il écrit : « De leur expérience
éphémère de civilisation, les indigènes n'ont retenu que les vêtements brési-
liens, la hache, le couteau et l'aiguille à coudre. Pour tout le reste, ce fut
l'échec. On s'était efforcé de les fixer dans des villages et ils demeuraient
nomades. Les lits, ils les avaient brisés pour en faire du feu et couchaient à
même le sol. Les troupeaux de vaches envoyés par le gouvernement va-
guaient à l'aventure, les indigènes repoussant avec dégoût leur viande et
leur lait. » De même, un indigène que les missionnaires avaient adopté fut

Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955, p. 176-177.


340
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

À son retour, ON VOU-


« envoyé à Rome où il avait été reçu par le Saint-Père.
compte des règles tradi-
lut, paraît-il, le marier chrétiennement et sans tenir
crise spirituelle dont il
tionnelles. Cette tentative détermina chez lui une
Kejara où il me-
sortit reconquis au vieil idéal bororo : il alla s "installer à
e. Tout nu, peint
nait depuis dix ou quinze ans une vie exemplaire de sauvag
du labret,
de rouge, le nez et la lèvre inférieure transpercés de la barrette et
seur en sociologie
emplumé, l'Indien du pape se révéla merveilleux profes
déterminant du
bororo®®,. » Les biens matériels ne sont donc pas un facteur
bonheur.
des dé-
521- Pour Rousseau, le bonheur consiste « à diminuer l'excès
et la vo-
sirs sur les facultés, et à mettre à égalité parfaite la puissance
tonté%. » Le bonheur serait donc une donnée personnelle. Il ne devrait
socié-
des
pas être généralisé, tant au niveau des individus qu’au niveau
manières de vivre une « bonne vie »
tés. Comme l’écrit G. Rist, «Les
et il appartient à chaque société d'inventer la
sont nombreuses
disait : « L'homme africain a des struc-
sienne®?. » Ainsi, Guy Georgy
diffé-
tures mentales qui ne sont pas les nôtres. Il a une vision du temps
avenir n'appartient
rente. L'Africain ne se projette pas dans l'avenir. Cet
leur agenda 33 » A.
qu'à Dieu. Les Blancs, eux, fabriquent un futur avec
nisation. [L.]
Kabou note que « les Africains refusent la méthode, l’orga
tous les éche-
Ils détestent la cohérence, la transparence, la rigueur. À
ovisation, à
lons [...] la faveur va systématiquement au bricolage, à l'impr
de prévu, hormis
la navigation à vue. Et, en cas de coup dur, rien
reste comme un dû
l'espoir d'une intervention étrangère, considérée du
nces quand il
historique"*. » Rousseau met en garde contre les appare
nces : nous le sup-
écrit : « Nous jugeons trop du bonheur sur les appare
saurait être : la
posons où il est le moins ; nous le cherchons où il ne
homme gai n'est souvent
gaieté n'en est qu'un signe très équivoque. Un
aux autres et à
qu'un infortuné qui cherche à donner le change
gai ni folätre. »
s'étourdir lui-même. [.] Le vrai contentement n 'est ni

30 C, Lévi-Strauss, op. cit., p.251.


63 J.J, Rousseau, Émile ou de l'éducation, op. cit., p.94. op. cit., p. 394.
ce occidentale,
62 G, Rist, Le développement - Histoire d’une croyan
635 Cf, Paris Match, n° 2382, Paris, 19 janvier 1995, p. 25.
?, Paris, L'Harmattan, 1991, p. 23.
64 Axelle Kabou, Et si l'Afrique refusait le développemenp.t 297-29
Émile ouou dede l'éducation, op. cit., 8.
6% J.-J, Rousseau, Emile
l'éducation,
341
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

522- Les moyens mis en œuvre pour accéder au bonheur diffèrent se-
lon les individus et les sociétés. Il ÿ en a qui recourent à la résignation. R.
Buron qui fut ministre du général de Gaulle rapporte ainsi que celui-ci lui
avait dit : « Buron, je vais vous dire : on passe sa vie à vouloir résoudre
les problèmes et puis … on ne les résout jamais. Ce qu’on peut faire de
mieux avec les problèmes, c'est d'apprendre à vivre avec 56, De Gaulle
était loin d’être un résigné, il avait simplement fait un constat à la suite
d’années d’expériences et de réflexions. C. Lévi-Strauss donne un
exemple de résignation devenue une seconde nature dans l'Inde du mi-
lieu du XX* siècle, I! écrit : « Tout Européen dans l'Inde se voit - qu'il le
veuille ou non - entouré d'un nombre respectable de serviteurs hommes-
à-tout-faire que l'on nomme bearers. Est-ce le système des castes, une
inégalité sociale traditionnelle ou les exigences des colonisateurs qui
expliquent leur soif de servir ? Je ne sais, mais l'obséquiosité qu'ils dé-
ploient réussit vite à rendre l'atmosphère irrespirable. Ils s'étendraient
par terre pour vous épargner un pas sur le plancher, vous proposent dix
bains par jour : quand on se mouche, quand on mange un fruit, quand on
se tache le doigt … À chaque instant ils rôdent, implorent un ordre. I y a
quelque chose d'érotique dans cette angoisse de soumission”. »
523- L’insouciance et l’ignorance peuvent aussi être sources de bien-
être. Dans son roman “Kocoumbo l'étudiant noir”, A. Loba raconte que,
arrivés à Marseille en bateau peu après la deuxième guerre mondiale pour
des études en France, Kocoumbo et ses compagnons prirent le train pour
Paris. Les entendant discuter, un Français qui voyageait avec eux
s’excusa et se mêla à leur conversation. Puis il leur demanda : « Que pen-
sez-vous du problème africain ? » Kocoumbo et ses compagnons furent
surpris par une question aussi inattendue. [l y avait donc un problème
africain ! se dit Kocoumbo. L'homme poursuivit : « Surtout, ne croyez
pas que nous soyons arrivés à notre degré de civilisation sans de pé-
nibles, d'interminables tâtonnements. Quel chemin prendra l'Afrique ? »
Pour Kocoumbo, les Blancs compliquaient inutilement les choses.
«L'Afrique était l'Afrique, et c'érait tout ! Pourquoi parler de che-

S%6 Robert Buron, Par goût de la vie, Cité dans L'Observateur, Ouagadougou, 23 août
1974, p. 7.
7 C, Lévi-Trauss, Tristes tropiques, op. cit, p. 156.
342
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA

min ? » Le problème … le chemin … ça ne le regardait pas. Rousseau


avait ainsi pu écrire : « De tous les hommes du monde, les sauvages sont
ne
les moins curieux et les moins ennuyés ; tout leur est indifférent : ils
jouissent pas des choses, mais d'eux ; ils passent leur vie à ne rien faire,
et ne s'ennuient jamais. »
524- En fonction des individus et des sociétés, la notion de richesse
elle-même qui semble être au cœur du bonheur varie. Rousseau raconte
qu’ « Un paysan suisse qui se croyait le plus riche des hommes, ef à qui
l'on tâchait d'expliquer ce que c'était qu'un roi, demandait d’un air fier
si le roi pourrait bien avoir cent vaches à la montagne", » Chez les
Nambikwara « la vie idéale est conçue sur le modèle de la production
agricole ou de la chasse : avoir beaucoup de manioc, et de grosses
pièces de gibier, est un rêve constamment caressé bien que rarement
réalisé. » Kimseyinga Sawadogo fait remarquer qu’au Burkina, chaque
formation sociale et chaque culture a sa conception de la pauvreté. Chez
à
les Mose et les Dioula, la pauvreté se rattache au travail, à la maladie,
l'incompétence et à la paresse. Le pauvre est donc le malade,
l’incompétent ou le paresseux. Un bien portant qui n’est pas paresseux
n’est donc pas pauvre. Sten Hagberg raconte qu’en pleine saison sèche au
Sahel, un éleveur peuhl aurait dit : « Dieu merci ! J'ai une femme avec un
enfant. Les voici sur le dos de l'âne. Ils se portent très bien. Mon bétail
(bœufs, moutons et chèvres) est suffisant. Je prie Dieu afin qu'il continue
de m'éloigner de la pauvreté 1542; Cet éleveur ne se prenait pas pour un
ni
pauvre. Pourtant, il n’avait ni eau courante, ni électricité, ni téléphone,
dispensaire à proximité, ni école ; encore moins de voiture et tous les
autres gadgets de la vie moderne. Comme l’a fait remarquer A. Sen, « ce
qui a de la valeur intrinsèquement, c'est la faculté qu'ont les individus de
fonctionner, et la pauvreté doit être considérée comme une privation de
cette faculté. L'analyse de la pauvreté consiste alors à déterminer ce qui

8 Cf, Aké Loba, Kocoumbo l'étudiant noir, Paris, Flammarion, 1960, p. 80-83.
69 L_J, Rousseau, Émile ou de l'éducation, op. cit., p. 298.
0 J.-J, Rousseau, Émile ou de l'éducation, op. cit., p. 335.
St €, Lévi-Strauss, Tristes tropiques, op. cit. p. 338. une
60 Cf Basile L. Guissou, “Hisroire ef pauvreté au Burkina Faso”, in La pauvreté,
fatalité ?, Ouvrage collectif, Paris, UNESCO/Karthala, 2002, p. 118.
343
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

constitue ces facultés dans des sociétés spécifiques, et à identifier les


personnes qui ne peuvent les développer*. »
525- La politique du C.N.R. qui était fortement axée sur le développe-
ment économique n’a pas pu tenir compte des conceptions différentes sur
la pauvreté, la richesse et le bonheur. Ce qui n’a pas manqué de susciter
parfois des incompréhensions, de l'indifférence et des formes de résis-
tance passive et même active. Construire un avenir meilleur c’est bien.
Mais, meilleur dans quel sens, par rapport à quoi, à quelle fin et pour
qui ? Comme l’a écrit S. Andriamirado, « Chacun vise un idéal, mais il
lui en coûte de le réaliser ; il se contente alors de fixer l'horizon et
d'aller à son rythime“". » Certains préfèrent la petite vie d’aujourd’hui
plutôt que de prendre un risque quelconque ou de subir quelque perturba-
tion que ce soit au nom d’un avenir qui reste le terrain commun de tous
les aléas et que peut-être ils ne verront même pas. À ce sujet, Rousseau
écrivait : « La prévoyance ! la prévoyance qui nous porte sans cesse au-
delà de nous, et souvent nous place où nous n'arriverons point, voilà la
véritable source de toutes nos misères. Quelle manie a un être aussi pas-
sager que l'homme de regarder toujours au loin dans un avenir qui vient
si rarement, et de négliger le présent dont il est sûr 1% ;, La question qui
s'impose est alors la suivante: la Révolution était-elle nécessaire
d’autant plus qu’elle a bousculé des gens dans leurs habitudes et dans
leurs certitudes ? À ce sujet, Jean-Baptiste Ouédraogo qui a été renversé
par le régime du C.N.R. écrit : « Cela valait-il la peine dans un pays
agricole arriéré où l'on ne compte ni grands exploitants agricoles, ni
grands propriétaires terriens ef où le prolétariat ouvrier est quasi inexis-
tant en raison de la très faible industrialisation et où l'on vivait si bien
sans castes ni classes dominantes ?% » Si son point de vue ne manque
pas de pertinence, il manque cependant de réalisme par excès
d’optimisme ; car tout le monde ne vivait pas aussi bien que l'officier
supérieur de l’armée qu’il étaitet de surcroît président de la République.

68 Cité par Kimba Idrissa, “Lutte contre la pauvreté au Niger : considérations efhnolin-
guistiques, historiques ef stratégies actuelles”, in La pauvreté, une fatalité ?, op. cit. p.
249.
5% Sennen Andriamirado, Il s’a ppelait Sankara, Paris, JAPRESS, 1989, p. 165.
5 J.-J, Rousseau, Émile ou de l'éducation, op. cit., p. 97.
46 TB, Ouédraogo, “Contribution à propos de trois dates historiques”, op. cit., p. 263.
344
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Comme a dit de lui M. Zangbé, « Cer homme n'a pas compris le drame
de son pays. I n’a pas compris que pour sauver ce pays, il fallait de
l'audace, de la témérité et un goût du risque.»

526- La conception individualiste et idéaliste du bonheur est parfois plus


une illusion qu’une réalité. La résignation, l’insouciance et l’ignorance sont
des refuges bien précaires pour le bonheur. Seul un maître peut parvenir à un
bonheur équilibré, serein et stable. Seul celui qui est maître de ses peurs et
de ses angoisses, de ses sentiments, de son environnement peut prétendre à
un bonheur conscient. Celui qui est résigné subit son sort. Or il n’y a pas de
bonheur dans le dépit et la frustration. L’ignorant est écrasé par le poids de
tout ce qu’il ignore autour de lui. Et tout ce dont vous n’avez pas le contrôle,
est une arme contre vous. L’insouciant sera chaque fois tiré de son insou-
ciance par les questions concrètes liées à l'existence qui se poseront et même
s’imposeront à lui. Dans une planète qui n’est plus qu’un village, la concep-
tion individualiste et romantique du bonheur prédispose à des réveils parfois
douloureux.
527- Kocoumbo étudiait en France grâce à argent que son père lui
envoyait. À leur arrivée en France, dans le train qui les emmenait de
Marseille à Paris, Kocoumbo,comme ses amis, avait,-avec insouciance,
balayé du revers de la main les questions sur le problème africain, que le
Français, leur compagnon de voyage, leur avait posées (cf. n° 52). Pour
eux, les Blancs compliquaient les choses inutilement. Puis, un jour, Ko-
coumbo reçut une lettre de sa mère lui annonçant la mort de son père.
« Qui paieraît sa pension ? Ce fut la première idée qui lui vint. » Après
une semaine d’angoisse et de réflexion Kocoumbo se décida à aller voir
le proviseur pour lui annoncer la nouvelle et lui faire part de son intention
de quitter l'établissement. « Où irez-vous, monsieur Kocoumbo ? Voilà le
problème ! » lui dit le proviseur. Kocoumbo sursauta au mot problème et
c’est alors que sa signification le pénétraf*5. Pour Kocoumbo le réveil
était dramatique. Quand il à réalisé qu’on pouvait avoir des problèmes
dans la vie, c’était à un moment vraiment crucial. Sa vie d’insouciance ne
l'avait pas préparé à cette épreuve. La suite du séjour en France de Ko-

ST Cf, Mamadou Zangbé, in Haute-Volta “Ouindiga”, n° 437, Ouagadougou, s.d. p. 19.


S$ Cf A. Loba, Kocoumbo ant noir, op. cit. p. 138.
345
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocenlré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

coumbo allait se passer dans des conditions psychologiques et matérielles


très difficiles.
528- Au Burkina, l’empire moaga fut bâti par des conquérants. Avec le
temps, ils s’étaient assoupis et s'étaient repliés sur eux-mêmes, fiers de leur
passé et de leur invincibilité. Quand le conquérant français se présenta, le
réveil fut plus que douloureux. Au loin, d’autres peuples avaient poursuivi la
quête du savoir et du savoir-faire et avaient acquis des moyens de combat
plus modernes. À la suite de cette rencontre, l’empire moaga s’écroula sans
pouvoir opposer une résistance efficace, faisant place à un territoire français.
529- En Amérique latine, la première rencontre entre l’empereur inca
Atahualpa et le conquistador espagnol Francisco Pizarro eut lieu le 16 no-
vembre 1532 dans la ville de Cajamarca, sur le haut plateau péruvien. Ata-
hualpa était le monarque absolu de l'empire le plus vaste et le plus avancé
du Nouveau Monde. Il était à la tête d’un empire de plusieurs millions de
sujets et était entouré de son armée de quatre-vingt mille soldats. Pizarro
était à la tête de cent soixante-huit soldats espagnols. Quelques minutes à
peine après la rencontre des deux hommes, Pizarro captura Atahualpa. 11 le
garda huit mois comme otage ; le temps de se faire remettre le trésor de son
empire puis il le fit tuer‘. À des centaines de kilomètres à la ronde, Ata-
hualpa n'avait pas son égal. [l était sans doute fier de lui et heureux au mi-
lieu de ses sujets et de ses possessions. Mais, son ignorance du monde exté-
rieur et de l’état d’évolution des autres sociétés lui fut fatale. Il fut exécuté,
son empire disparut et ses sujets furent exterminés.
530- Des Noirs du Brésil, fuyant l’esclavage, avaient fondé au XVII
siècle Los Palmares, un royaume indépendant qu'ils avaient réussi à
rendre prospère par le processus de développement autocentré. Selon E.
Galeano, « L'abondante variété alimentaire de los Palmares contrastait
avec la pénurie dont souffraient les zones sucrières du littoral, en pleine
période de prospérité. Les esclaves qui avaient retrouvé la liberté la dé-
fendaient avec habileté et courage, car ils partageaient ses fruits : la
propriété de la terre était communautaire et l'argent n'existait pas dans
l'État noir.» Quand la Couronne portugaise engagea la bataille finale

# Cf. Jared Diamond, De l'inégalité parmi les sociétés - Essai sur l’homme et
l’environnement dans l’histoire, Paris, Gallimard, 2000, p.67-68.
346
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

égor-
contre Los Palmares, tout fut détruit en 1693. Les survivants furent
gés, jetés dans les précipices ou vendus aux marchands de Buenos Aires
et de Rio de Janeiro®®?.

531- L'histoire des sociétés humaines a toujours été, jusqu’à nos jours,
celle des conflits. Le plus fort, le mieux équipé, le mieux organisé a tou-
jours fini par imposer sa domination, parfois de façon cruelle. Le pro-
blème qui se pose est donc de parvenir à concevoir le bonheur de façon
objective, collective et rassurante, à partir d'un standard minimal par
rapport à la communauté internationale, pour éviter des réveils doulou-
reux comme ce fut le cas pour Kocumbo, l'empire moaga, Atahualpa et
son peuple, Los Palmares et bien d’autres. Ne dit-on pas qu’il faut défier
l'avenir pour ne pas avoir à le redouter ? C’est sans doute l'objectif que
poursuivait Thomas Sankara, et dans cette perspective, la Révolution
apparaissait comme une nécessité. .

532- Peut-on prétendre, comme le fait J.-B. Ouédraogo (cf. n° 528, X


que les Burkinabè étaient satisfaits de leur sort quand ceux-ci, par vagues
successives, abandonnaient tout pour aller tenter leur chance en Côte
d'Ivoire, au Ghana, au Gabon et ailleurs ? Faire comprendre et accepter
la nécessité du changement ne fut pas très difficile, surtout avec
l’engagement des populations elles-mêmes, le talent oratoire et les quali-
tés pédagogiques de Sankara. Mais, la minorité affairiste et opportuniste,
avec comme fer de lance Blaise Compaoré et l’U.C.B., n’était pas prête
aux sacrifices nécessaires pour la redistribution des richesses et des res-
ponsabilités.
2- Les limites relatives aux résultats économiques
533- Par sa politique, le C.N.R. avait imprimé dans les mentalités sa
conception du développement qui se fondait sur un progrès économique
et social continu. Or, dans un pays où les ressources naturelles sont rares,
le sol ingrat et le climat difficile ; dans un pays où la création de la ri-
chesse ne peut provenir que du travail acharné des hommes, il est diffi-
cile en quatre ans de faire accéder tout le monde à l’abondance et ce,
d’autant plus que, dans les pays sous-développés, la mondialisation a

650 Cf.E, Galeano, Les veines ouvertes de l’Amérique latine, op. cit., p. 118.
347
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

pour effet d’élever sans cesse le standard minimal de vie jugé acceptable.
En revanche, quatre années d’efforts soutenus suffisent à provoquer la
lassitude, surtout quand les résultats se font attendre. Vu l'ampleur des
transformations qui touchaient pratiquement tous les domaines, quatre
années ne suffisaient pas pour des résultats appréciables et perceptibles
partout et par tous. Hitler avait pu relever que la poursuite des grands
objectifs qui ont de la valeur pour les générations suivantes est « fort peu
profitable et ne rencontre que rarement la compréhension des grandes
masses ; les bons de bière et de lait leur paraissent beaucoup plus per-
suasifs que des plans d'avenir à larges vues, dont la réalisation ne peut
intervenir que plus tard et dont l'utilité ne profite en somme qu'à la pos-
térité®, » Il notait également avec pertinence que « plus l'œuvre d'un
homme est grande pour la postérité, moins les contemporains peuvent la
comprendre ; d'autant plus dure est la lutte et d'autant plus difficile le
succès? » Tel semble avoir été le cas concernant la politique de trans-
formation sociale et économique du C.N.R.

+ #

61 Adolf Hitler, Mon combat, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1934, p. 210.
2 Ibid. p. 211.
348
Chapitre II
L'émergence de la contre-révolution

Les tragédies des peuples révèlent les grands hommes ; mais ce sont les
médiocres qui provoquent ces tragédies.
Thomas Sankara

Le 15 octobre 1987 Thomas Sankara était assassiné (1). Au-delà des explica-
tions officielles, il convient d’essayer de rechercher les vraies causes de cette
tragédie (IL) et d’analyser le comportement des acteurs (KID).
k Le déroulement des faits et feurs répercussions
A) LE DÉROULEMENT DES FAITS
534 Le jeudi 15 octobre 1987 en fin d’après-midi, le Burkina basculait
brusquement dans l'incertitude, Des conflits minaient le sommet de
l'appareil d’État. Sankara, accaparé par les multiples occupations et sollicita-
tions, avait en toute confiance confié à Blaise Compaoré, son protégé et ad-
joint direct, le soin de suivre les différents groupes politiques dans leur évo-
lution et dans leurs relations avec le C.N.R. L’U.C.B. qui avait été invitée en
1985 à faire partie du C.N.R., revendiquait maintenant de plus en plus le
monopole du pouvoir. C’est là un aspect naturel et constant de
l’opportunisme que Lénine n’avait eu de cesse de dénoncer. Avec le départ
du P.A.L-LLPA.D. PU.L.C.-R. était maintenant la seule organisation poli-
tique civile membre du C.N.R. depuis les premiers moments de la Révolu-
tion. Elle ne cessait de dénoncer les déficiences théoriques et les pratiques
peu recommandables des arrivistes de l'U.C.B. et, dans une moindre me-
sure, du G.C.B. De ce fait elle concentrait sur elle toutes les haines de
V'U.C.B. qui voyait en elle l'obstacle principal à l’assouvissement de ses
ambitions. Blaise Compaoré qui s’appuyait sur l’'U.C.B. dans la poursuite de
349
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

ses propres ambitions avait aussi discrètement entrepris le démantèlement et


la destruction de l’U.L.C.-R. Sankara ne se doutait de rien puisqu'il faisait
confiance en tout à Blaise Compaoré.
535- Avec le soutien efficace de l’appareil du secrétariat général natio-
nal des C.D.R. et de son premier responsable, le capitaine Pierre Oué-
draogo qui, sur proposition de Sankara, avait présidé à sa création,
l'U.C.B. avait réussi à gonfler rapidement le nombre de ses militants par
et
des militaires, des agents de l’État et des étudiants. Par des intrigues
des manœuvres opportunistes, elle s'était emparée de la direction d’un
certain nombre de C.D.R., et le succès de ces manipulations lui donnait
sans doute des illusions sur sa popularité. Blaise Compaoré était le deu-
xième personnage de l'État et du C.N.R. En outre, il cumulait les fonc-
tions de commandant de la cinquième région militaire‘, la plus puis-
sante, celle du centre qui comprenait les casernes de la capitale et des
environs ; de commandant du Centre national d’entraînement commando
(C.N.E.C.) de PÔ et de responsable de la sécurité présidentielle. Avec
Blaise Compaoré qui contrôlait une bonne partie de l’armée, et PU.C.B.
qui était parvenue à prendre la direction de beaucoup de C.D.R. dans la
capitale, les circonstances étaient favorables à un passage à l’acte.
536- Si les habitants de la capitale, par la profusion des tracts injurieux,
semblaient quelque peu au parfum des rivalités qui se déroulaient au sein
du C.NR. et auxquelles d’ailleurs Sankara n’accordait pas une grande
importance, même s’il était de plus en plus directement visé par les
tracts, le commun des citoyens des autres villes, des villages et des cam-
pagnes en ignorait tout. Sankara n’avait pas encore réussi à faire accepter
son projet de faire entrer au C.N.R. l’Union nationale des paysans du
Burkina (U.N.P.B.), l’Union nationale des anciens du Burkina

55 Les régions militaires avaient été créées le 30 août 1985 par le conseil des coordon-
nateurs généraux du Faso. Au nombre de six, elles étaient les suivantes : -1 Région
militaire avec pour poste de commandement Dori. -2° Région militaire avec pour poste
de commandement Ouahigouya. -3° Région militaire avec pour poste de commande-
ment Dédougou. -4° Région militaire avec pour poste de commandement Bobo-
Dioulasso. -5° Région militaire avec pour poste de commandement Kombissiri. -6°
Région militaire avec pour poste de commandement Fada N'Gourma. Cf. Sidwaya, n°
344, Ouagadougou, 2 septembre 1985, p. 4.
350
ience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

(U.N.A.B.) et l’Union des femmes du Burkina (U.F.B.) pour faire parti-


ciper le plus de monde possible à la direction de la Révolution.
537- Le jeudi 15 octobre 1987, aux environs de 16h 30mn; des coups
de feu brisèrent soudain la quiétude des lieux du côté du Conseil de
l’Entente, siège du C.N.R. Au S.G.N.-C.DR, les militants qui s’y trou-
vaient, croyant à une intervention étrangère contre la Révolution, se saisi-
rent aussitôt des armes et se mirent en position de combat. À la surprise
générale, à l'exception du cercle des comploteurs liés à l’U.C.B. et au
G.C.B., tes Burkinabè apprendront que leur président a été renversé par
un groupe conduit par Blaise Compaoré, l’ami et adjoint direct du prési-
dent. Ce n’est que plus tard qu’ils apprendront l’assassinat du héros de
leur Révolution®**, Au Burkina même ce fut la stupeur générale et le dé-
goût qui, dans un premier temps, privèrent les citoyens de toute réaction
significative. À l'étranger ce fut presque partout la consternation au sein
des populations. Les auteurs du coup d’État sanglant annoncèrent la dis-
solution du C.N.R. et la création en lieu et place d’un “Front populaire”.
C'était la première fois, dans l’histoire du Burkina, qu’un chef d’État
perdait la vie à l’occasion d’un changement de régime. Le 17 octobre
1987, Joseph Sankara, le père de Thomas, demanda une messe de re-
quiem pour son fils. La messe fut interdite par le Front populaire.
B) LES RÉPERCUSSIONS
538- Le lendemain 16 octobre, le Front populaire invita la population
de Ouagadougou à une marche de soutien à son régime. Malgré
l’insistance et la multiplication des communiqués à cet effet, hors mis
quelques proches des putschistes, personne ne répondit à l'appel. Bien au
contraire, beaucoup préférèrent aller se recueillir sur la tombe de Sanka-
ra, tandis que les élèves et étudiants, tout en bravant les militaires qui
assuraient l’ordre, scandaient le nom de Sankara et traitaient d’assassins
le Front populaire et ses partisans. Ni le P.A.I.-LI.PA.D. ni l’'U.L.C.-R.

S% Thomas Sankara a été assassiné avec douze de ses collaborateurs. Ils furent tous
immédiatement enterrés à la sauvette dans de petits trous au cimetière de Dagnoë qui
était à l’époque un quartier pauvre de la banlieue Est de Ouagadougou. À propos d’une
sépulture digne pour Sankara, Blaise Compaoré déclara avec cynisme qu’il s’agit là
d’un sujet étranger aux préoccupations actuelles des Burkinabè et qui relève du fait
divers. Cf. Marchés Tropicaux, n° 2206, Paris, 19 février 1988, p. 429.
351
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

qui, pourtant, ont été les seuls à avoir œuvré avec des militaires pour
l’avènement de la Révolution n’ont voulu rejoindre le Front populaire.
Leurs membres connaîtront même le martyre. À l'étranger, le C.D.R. de
Dakar appela les Burkinabè à ne pas suivre le nouveau pouvoir puis il
annonça sa propre dissolution. En France les C.D.R. de Paris et de Nice
décidèrent également de s’auto-dissoudre pour ne pas avoir à collaborer
avec le nouveau régime.
539- Ce qui retiendra particulièrement l’attention pendant les premiers
moments sera la rébellion du capitaine Boukary Kaboré sumommé Le
Lion du Bulkiemde pour son audace et sa combativité. Celui-là même qui,
le 17 mai 1983, après l’arrestation du premier ministre Thomas Sankara,
et alors que le capitaine Henri Zongo était encerclé avec ses hommes au
camp Guillaume Ouédraogo situé au centre de la capitale sans aucun es-
poir de s’en sortir, avait choisi de les y rejoindre pour y mourir avec eux
en défendant ce qui pour lui était la juste cause. Beaucoup l’appelaient
tout simplement Le Lion.
540- Alors qu’il était lieutenant, Boukary Kaboré avait été nommé à la
tête du Bataillon d’intervention aéroporté (B.L.A.) par un décret du 10
août 1983. Le B.LA. était installé à Koudougou, chef-lieu de la province
du Bulkiemde, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Ouagadougou.
Retranché dans sa localité, Boukary Kaboré refusa de reconnaître les
autorités issues du coup d’État. À Radio France internationale (R.F.L.) il
déclara que les partisans du Front populaire sont des traîtres et des assas-
sins et que, s’il le fallait, il se battrait contre le nouveau pouvoir jusqu’à
la dernière cartouche pour faire triompher la dignité et la volonté popu-
laire. Pour lui, c’était une question de principe. Il y a en effet des situa-
tions qui révoltent à tel point que les questions de stratégies peuvent de-
venir ridiculement secondaires. Des soldats et des officiers d’autres ca-
sernes le rejoignirent à Koudougou pour animer la résistance. Boukary
Kaboré était soutenu par le Pouvoir révolutionnaire provincial (P.R.P.)
du Bulkiemde et l’Association des scolaires de Koudougou qui avait
même programmé une marche le 26 octobre pour le soutenir. La marche
fut annulée à sa demande pour des raisons militaires. Des éléments du
C.N.E.C. de Pô à la solde de Blaise Compaoré étaient déjà semble-t-il
aux alentours de Koudougou.
352
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

541- Le 27 octobre 1987, le B.L.A. se rendait sans combat aux troupes


venues de Ouagadougou. Boukary Kaboré explique qu’il n’a pas voulu
que du sang fût versé. Certains prétendent qu’il n’aurait pas été soutenu
par les autres unités de l’armée. Malgré leur reddition pacifique, les sol-
dats et officiers qui avaient ouvertement marqué leur opposition au Front
populaire seront sauvagement massacrés. Boukary Kaboré réussissait
cependant à échapper aux assaillants et à rejoindre Accra, la capitale du
Ghana, où il fut rejoint par une poignée de fidèles. Dans cette affaire,
Boukary Kaboré s’est révélé un bien piètre stratège. Ces fanfaronnades x
n’ont eu pour effet que de sacrifier la vie des officierset des soldats qui
lui avaient fait confiance en le rejoignant dans ce qu’ils croyaient être
une résistance structurée et déterminée. Après quelques années à Accra,
il finit par revenir au Burkina après des négociations avec Blaise Com-
paoré. Le président ghanéen J.J. Rawlings qui avait compté sur lui pour
animer un éventuel mouvement d'opposition s’était vite rendu compte de
son inconcistance et s’était donc désinterressé de lui.
542- Le Front populaire envoya des émissaires dans des provinces pour
tenter de justifier son putsch aux populations. L'accueil qui leur fut ré-
servé fut le plus souvent giacial. À Yako, chef-lieu de la province
d’origine de Sankara, les émissaires réunirent les notables de la localité et
exposèrent leur version des faits. Puis ils incitèrent l’auditoire à poser des
questions pour plus d’éclaircissement. Ce fut un silence total. Sur leur
insistance, timidement, celui qui semblait être le doyen leva la main et la
parole lui fut donnée. Il dit alors : « Est-ce que je peux parler ? » On lui
signifia qu’il avait la parole. Il y eut un moment de silence puis il deman-
da de nouveau : « Est-ce que je peux parler ? » On lui répéta qu’il avait
bel et bien la parole et qu’il n’avait pas à s’inquiéter. Il se tut un moment
avant de reprendre : « Est-ce que je peux vraiment parler ? Si j'insiste de
cette façon, c'est parce qu'on ne sait jamais ! » On lui dit qu’il n’avait
rien à craindre et qu’il pouvait s’exprimer librement. Alors, s’adressant
aux émissaires il leur dit : « Ce que vous venez de dire, nous l'avons en-
tendu. » Puis se tournant vers l’assistance il dit : « Levez-vous ef par-
tons. » Ayant dit cela, il s’en alla. Silencieusement, sans un mot, les

55 Ce sont les lieutenants Gaspard Somé, Alain Bonkian, Léonard Gambo et Sibiri
Balima qui ont conduit les opérations.
"has 5 353
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
ce de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

autres le suivirent. Ils n’avaient pas trouvé utile de discuter avec les
émissaires du Front populaire.
543- À Ouagadougou même les populations de certains secteurs
comme le secteur 11 se rebellèrent ouvertement. Les scolaires avaient
immédiatement manifesté leur hostilité aux nouvelles autorités. Beau-
coup d’entre eux seront d’ailleurs renvoyés de leur établisement, particu-
liérement les meneurs. Les militants désertèrent les structures populaires
et les permanences des C.D.R. Cette situation contraint le Front populaire
à dissoudre les C.D.R. en mars 1988 pour les remplacer par des Comités
révolutionnaires (C.R.) Le secrétariat général national des C.D.R. fut
ainsi remplacé par la Coordination nationale des structures populaires
(C.N:S.P.) dont la direction fut confiée au médecin-capitaine Bognessan
Arsène Vé, Mais les C.R. ne parvinrent pas à mobiliser des militants et
en octobre 1988, soit un an après l’assassinat de Thomas Sankara, leur
premier responsable reconnaissait l’inexistence effective des C.R. et dé-
clarait qu’il y avait un problème de confiance.
544- Le 15 décembre 1987, soit deux mois après le coup d’État du
Front populaire, Vincent Ouédraogo qui, sous le C.N.R. était ambassa-
deur du Burkina à La Havane, annonçait la création du Rassemblement
démocratique et populaire Thomas Sankara (R.D.P.T.S.) avec pour ob-
jectif de combattre le Front populaire. En mars 1988, soit cinq mois
après, réunis à Koudougou dans la clandestinité, des citoyens de diverses
catégories sociales créaient le Parti révolutionnaire des travailleurs du
Burkina (P.R.T.B.) qui affichait aussitôt son option de poursuivre la poli-
tique de Sankara et sa détermination à combattre le Front populaire. Le 4
août 1988, jour du cinquième anniversaire de la Révolution, le Mouve-
ment sankariste faisait son apparition et annonçait qu’il s’organisait au-
tour de la pensée et de l’action de Thomas Sankara. Toutefois, l’impact
de ces organisations est resté très limité. Mais leurs fondateurs ont eu le
courage et le mérite, à un moment où ils avaient tout à craindre et à
perdre, de jeter les bases de la contestation et d’indiquer la voie. Les par-
tis et mouvements sankaristes qui existent actuellement ont vu le jour
bien après. ! 8 pa-FiX
sa

* _545- Le 15 octobre 2 000, des militants de la Convention panafricaine


x sankariste{C.P.S.) qui était constituée d’un regroupement de partis san-
354
EE

Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KVÉLEM de TAMBÈLA

karistes%®, prenaient l'engagement de rester fidèle à l’idéal de Thomas


Sankara®””, Actuellement, le plus représentatif des partis sankaristes est
l’Union pour la renaissance/parti sankariste (UNLR. /P.S.) né de la fusion X
en 2009 de l’Union pour la renaissance/mouvement sankariste (UNLR.
/M.S.) de Bénéwendé Stanislas Sankara et de l’Union des partis sanka-
ristes (U.P.S.} Selon son manifeste, le parti cherche à « Redonner con-
fiance au peuple burkinabè pour qu'il prenne en main son propre destin
par la revalorisation du travail libérateur et la culture de la paix, de
l'amitié et de la justice, en solidarité avec les peuples frères d'Afrique et
du monde, ceci en comptant d'abord sur ses propres forces.» Dans son
Programme alternatif sankariste, l'UNLR./P.S. s’engage à « redonner
espoir au peuple burkinabè en le réconciliant avec son histoire, c'est-à-
dire lui donner confiance par une renaissance. » Il rejette le libéralisme
qui «fait de l'homme un simple maillon du processus de production et
maintient le peuple sous la domination du capitalisme international. I se
démarque aussi du communisme qui, tout en libérant l’homme de
l'exploitation de l'homme par l’homme, limite sa liberté er veut que
l’homme ne soit rien en dehors de son groupe social. » I se donne pour
mission historique de briser les chaines de la fatalité qui paralysent le

S%6 La Convention des partis sankaristes (C.P.S.) était née le 4 août 1 999 et comprenait
le Bloc socialiste burkinabè (B.S.B.) d'Ernest Nongma Ouédraogo, le Parti de la démo-
cratie sociale unifié (P.D.S.U.) de Valère Dieudonné Somé, le Front des forces sociales
(F.FS.) de Norbert Michel Tiendrebéogo et l'Union des démocrates progressistes indé-
pendants (U.D.P.I.) de Dongo Longo.
Le 13 janvier 2007, la C.P.S. fusionna avec d’autres partis pour donner nais-
sance à l’Union des partis sankaristes (U.P.S.) Ce sont la Convergence de l'Espoir (ES-
POIR) de Jean-Hubert Bazié, le Parti pour l’unité nationale et le développement
(P.U.N.D.) de Boukary Kaboré dit Le Lion et la fraction du F.F.S. qui avait repris son
autonomie,
$%7 L'engagement du 15 octobre 2 000 dit : « Camarades ! En ce jour solennel du 15
octobre, au nom des camarades sankaristes du Burkina Faso et d'ailleurs, nous, ici
présents : -Proclamons notre fidélité aux idéaux de vérité, de liberté, d'intégrité, de
solidarité, de justice ef de paix défendus au prix de sa vie par le président Thomas San-
kara. —Appelons à une alliance de tous ceux qui partagent ces valeurs qui ont fondé le
sankarisme et en sont la sève vivifiante. -Nous engageons à œuvrer activement et avec
détermination à une unité combattante de toutes les bonnes volontés et à la renaissance
du sankarisme, pour le plus grand bonheur du genre humain, au Burkina, en Afrique et
à travers le monde. La patrie ou la mort, nous vainerons !»
355
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apoliinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

peuple et ont enseveli l'espoir. On peut déplorer cependant l’option qu'il


fait pour le capitalisme d’État dont les effets néfastes sont suffisamment
+ connus (cf. $ 6 14-618). Le nécessaire renouvellement de la pensée
s’impose pour éviter de reproduire les mêmes erreurs.

546- Dans les tentatives d’unification des mouvements sankaristes, le


11 octobre 2015 était constitué le Front progressiste sankariste (F.P.S.)
regroupant l’'UNLR./PS., le Front des forces sociales (F.F.S.) et le Con-
seil national révolutionnaire/Mouvement sankariste (C.N.R./M.S.) Le 25
octobre était constituée l’Union révolutionnaire du Faso (U.RÉ.FA.) re-
groupant la Convention des démocrates sociaux (C.D.S.), l'Alliance des
démocrates révolutionnaires (A.D.R.), la Convergence pour l'Espoir et
l’Union pour la renaissance démocratique/Mouvement sankariste
(UR.D./M.S.}) Après la chute et la fuite de Blaise Compaoré le 31 oc-
tobre 2014, profitant des conditions favorables, fes partis et mouvements
sankaristes multiplièrent les démarches en vue de leur unification. Ainsi,
les 16 et 17 mai 2015 au Palais des sports de Ouaga 2 000, sous le parrai-
nage de Mariam Sankara, neuf petits partis et une vingtaine de mouve-
ments d’obédience sankariste se retrouvèrent pour jeter les bases d’un
parti sankariste unifié et désigner un candidat unique à l’élection prési-
dentielle qui était prévue pour octobre 2015. Bénéwendé S. Sankara de
PUNLR./P.S. fut retenu comme candidat unique. Des voix s’élevèrent
pour contester la façon dont il avait été désigné. Un mois seulement
après, passée l’euphorie des premiers moments, ce regroupement devait
aussi voler en éclats du fait du choc des ambitions.
Il. Les causes de l'assassinat de Sankara
Aucun mensonge ne peut vivre éternellement.
Thomas Carlyle
Les causes de la tragédie du 15 octobre 1987 sont à rechercher ailleurs
(B) que dans les explications et les justifications du Front populaire (A).
A) LES EXPLICATIONS ET LES JUSTIFICATIONS
DU FRONT POPULAIRE
547- Le massacre du 15 octobre 1987 a été célébré avec jubilation par
le Front populaire. Ainsi, dans son éditorial du 19 octobre 1987, le quoti-
356
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

dien gouvernemental Sidwaya avec un certain cynisme écrivait que « Les


péripéties de l'action du 15 octobre ont ici peu d'importance sinon pour
tous ceux qui aujourd’hui recherchent des détails lugubres pour satis-
faire une curiosité morbide ou pour se répandre en effluves de paroles
auprès de cœur à attendrir. » Qu’est-ce qui peut expliquer ou justifier
tant de haine ? Parmi les mobiles avancés par les putschistes, il y a des
griefs tenant aux choix politiques (1)et des raisons de sécurité (2). Pour x
justifier leur forfait ils recourronf\Volontiers à des amalgames (3). x
1- Les motifs politiques
Pour expliquer et justifier leur forfait, les putschistes sanguinaires ont
prétendu que Sankara était un autocrate (a), qu’il restaurait le processus
néocolonial (b), qu’il était un traitre (e), que sa politique étrangère était
périlleuse (d) et qu’il favorisait le népotisme (e) alors même que Blaise
Compaoré allait mettre en place un régime de gabegie (f). Des observa-
tions sont donc nécessaires (#).
a) De la prétendue autocratie de Sankara
548- Dans la soirée du 15 octobre, le Font populaire rendait publique
une Proclamation®5f signée du capitaine Blaise Compaoré. Elle contient
les principaux griefs qui étaient reprochés au C.N.R. et principalement à
Thomas Sankara. Le paragraphe 2 de la Proclamation dit : «Le Front
populaire, … décide de mettre fin en ce jour 15 octobre au pouvoir auto-
cratique de Thomas Sankara, d'arrêter le processus de restauration néo-

% Voir la Proclamation en annexe. Elle fut rédigée par Watamou Lamien qui était
devenu secrétaire général de l’U.C.B. après la démission du capitaine Pierre Ouédraogo
pour éviter la double appartenance à l’O.M.R. et à l’U.C.B. qui entraînait des confu-
sions dans le fonctionnement du C.N.R. W. Lamien en voulait personnellement à San-
kara qui lui avait reproché des détournements de fonds. Tel a été Le cas de la plupart de
ceux qui se sont regroupés autour de Blaise Compaoré pour fomenter Le coup d’État.
Chacun avait quelque chose à se reprocher et à cacher.
W. Lamien a trouvé la mort le 19 juin 1988 dans un accident de voiture dans
des circonstances non élucidées. L'accident s’est produit à Somiaga, à une dizaine de
kilomètres de Ouahigouya alors qu’il s’y rendait pour encourager le cinéaste Idrissa
Ouédraogo qui y était en tournage. Cf. Carrefour africain, n° 1044, Ouagadougou, 24
juin 1988, p. 8-9. II lui était reproché d’avoir lorgné le poste de président du Front popu-
laire juste après l’assassinat de Sankara.
357
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

coloniale entrepris par ce traître à la révolution d’août. » On retient de


cette phrase que Sankara a été un autocrate, un agent de la néo-
colonisation et un traître. Pour ce qui est de l’autocratie, cet élément a
À déjà fait l’objet d’analyse (cf. n° 49). On peut néanmoins y revenir briè-
vement. La Proclamation ne dit pas en quoi Sankara était autocrate ; au-
cun exemple n’est donné pour permettre d'apprécier. On ne peut donc
pas accorder beaucoup de crédibilité à une telle affirmation. Selon Abdou
Salam Kaboré qui a été le premier à diriger les C.D.R. au tout début
avant d’occuper différents portefeuilles ministériels et qui était membre
du C.NR., « Sankara, c'était la force de l'argument et non l'argument de
la force ; il permettait le débat et le voulait aussi. Et c'était arguments
contre arguments et le plus souvent il était persuasif car ses arguments
étaient percutants. Sans doute c'est pour cela que ceux qui ne pouvaient
pas discuter avec lui parce que ses arguments battaient les leurs l'ont
traité d'autocrate. L'autocrate dont on parle, je ne l'ai nullement perçu.
Sankara tenait un langage, un raisonnement qui, enra pnéral concor-
daient avec ce qu'il y a de plus logique, de plus simples
549- En 2014, quand il fut chassé du pouvoir, cela faisait vingt-sept ans
que Blaise Compaoré était au sommet de l” État. Trente et un ans si l’on tient
compte des quatre années pendant lesquelles il a été le deuxième personnage
de l’État sous le C.N.R. Pourtant Blaise Compaoré n’envisageait nullement
d’abandonner le pouvoir. Il venait de se faire réélire le 21 novembre 2010
dans des conditions troubles, pour un nouveau mandat de cinq ans. Le 27
janvier 1997, après dix ans de règne sans partage, il avait fait modifier la
Constitution adoptée le deux juin 1991, pour faire sauter la clause limitant le
nombre de mandats présidentiels à deux, afin de pouvoir briguer indéfini-
ment la présidence. À la suite des manifestations çonsécutives à l’assassinat
du journaliste d'investigation Norbert Zongo (cf. 2639) dont la responsabi-
lité est attribuée à son régime qu’il dérangeait par ces écrits, sous la pression
de la rue, Blaise Compaoré avait dû concéder une nouvelle révision de la
Constitution en 2000 consacrant de nouveau la limitation du nombre de
mandats présidentiels à deux d’une durée de cinq ans chacun au lieu de sept
comme auparavant.

69 Cf. Le Pays, n° 3971, Ouagadougou, 9 octobre 2007, p. 33.


358
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

550- Interprétant cette nouvelle révision portant sur le nombre de man-


dats comme étant un nouveau point de départ, Compaoré imposa à
l'opinion qu’il avait droit à deux nouveaux mandats de cinq ans chacun à
l’expiration de son mandat qui était en cours en 2000 et qui expirait en
200$. En conséquence, avec la complicité et le soutien de membres émi-
nents de son parti comme Salif Diallo, il imposa sa candidature en 2005
et mis tout en œuvre pour être élu. Croyant de nouveau le moment favo-
rable, il envisageait de faire procéder à une nouvelle révision de la Cons-
titution pour faire sauter de nouveau la limitation du nombre de mandats
qui lui fut imposée par la loi du 11 avril 2000. Seuls les soulèvements
populaires qui ont embrasé le monde arabe à partir de décembre 2010 et
qui ont abouti à la chute des présidents tunisien, égyptien et libyen au-
raient pu l'en dissuader. Malgré l’hotilité générale, avec l'appui
d'officiers rendus dociles, des billets de banque et des situations avanta-
geuses accordées ou promises aux uns et aux autres, Blaise Compaoré
engagea une épreuve de force pour aboutir à la suppression de la limita-
tion du nombre de mandats. C’était l’erreur de trop. Peut-on être plus
autocrate que Blaise Compaoré ?
551- Après la chute de Blaise Compaoré, Pierre Traoré, un ancien dé-
puté de son parti, fera ce témoignage : « Vous savez, la machine du
C.D.P. était infernale. On avait à faire à des gens très féroces. La
moindre contradiction pouvait engendrer une réponse énergique. Pour
un rien, les François (N.D.L.A. : François Compaoré, petit frère de
Blaise) pouvait attenter à ta vie. Malgré tout, les gens ont exprimé une
résistance et c'est ce qui a conduit la direction du C.D.P. à héberger les
députés à l'hôtel pendant trois jours*®. C'est au cours d’une réunion que
la décision de mettre tout le monde ensemble a été prise. On nous a hé-
bergés à l'hôtel mais en réalité nous étions en résidence surveillée.
Chaque député avait des éléments de sécurité derrière lui. Pour partir à
la maison, dans une boutique, les députés étaient accompagnés par des
éléments de sécurité. [...] des responsables de la majorité ont obligé tous
les députés à signer des procurations vierges. Là, en cas d'absence,
quelqu'un d'autre pouvait voter à la place des “fugueurs 61,» Maha-

SP CLS TO À
Sic£ Bendré, n° 813, Ouagadougou, 8 décembre 2014, p. 10.
359
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

madi Kouanda, fidèle parmi les fidèles de Blaise Compaoré, déclarait en


2016 : « Je suis contre le fait que des personnes s ‘asseyent pour désigner
quelqu'un sans élection. C’est ce qui nous a fait tomber en 2014 et je ne
suis plus prêt à cautionner cette façon de faire, d’où qu'elle vienne. [...]
Mais au C.D.P., on n'a jamais connu d'élections dignes de ce nom en la
matière. [.…] Ce n'est pas un secret. Le président Blaise Compaoré dési-
gnait souvent le premier responsable. Il y a un noyau autour de lui, qui
se réunissait pour cela. Certains partisans n'étaient pas contents, mais
pour ne pas lui manquer de respect, ils acceptaient son choix à leur
corps défendant et c'était d'ailleurs mon cas“®. » Salif Diallo qui a été
un serviteur fidèle et zélé de Blaise Compaoré déclare : «I! a reproché à
Thomas Sankara d’avoir fait un pouvoir personnel. Mais lui a fait un
pouvoir plus que personnel. Il a fait un pouvoir personnel, clanique et
véritablement patrimonial". »
552- Au détour d’une formule malheureuse, il avait lui-même reconnu
son autoritarisme et son autocratie. Le 11 juillet 2009, dans son discours
au Parlement ghanéen, le président américain Barack Obama disait que
«L'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts, mais d'institutions fortes. »
En début août 2014, Barack Obama invitait les présidents africains à
Washington pour un sommet États-Unis/Afrique. Dans une interview du
5 août/ faisant référence aux propos d'Obama à Accra, Blaise Compaoré
déclara qu’ «n'y a pas d'institutions fortes s'il n'y a pas, bien sûr,
d'hommes forts, » Faisant ainsi comprendre qu’il était un homme fort.
Lui qui, jusque-là, faisait tout pour masquer sa personnalité et apparaître
comme un démocrate, surtout pour la communauté internationale, laissait
ainsi tomber le masque.
b) De la prétendue restauration du processus néocolonial
553- Selon la Proclamation, le Front populaire est intervenu pour « arré-
ter le processus de restauration néo-coloniale ». Sur ce point également, il
n’est pas dit en quoi consistait la restauration néocoloniale. Pouvait-on sé-

$ Cf. Le Pays, n° 6194, Ouagadougou, 30 septembre 2016, p. 9.


5 Cf. Mutations, n° 67, Ouagadougou, 15 décembre 2014, p. 10.
66 C£ : -L'Observateur-Paalga, n° 8679, Ouagadougou, 8-10 août 2014, p. 9. -Le Pays,
n° 5663, Ouagadougou, 8 août 2014, p. 26. -Le Quotidien, n° 1133, Ouagadougou, 8
août 2014, p. 3.
360
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA

rieusement qualifier la politique économique, sociale et culturelle de Tho-


mas Sankara de processus de restauration néocoloniale ? Consommer burki-
nabè, produire ce qu’on consomme, instaurer la rigueur et la transparence
dans la gestion des ressources de l'État, planifier l’économie, mener une
campagne active contre le paiement de la dette par les pays africains, réo-
rienter la politique étrangère vers d’autres partenaires; protéger
l’environnement, promouvoir l’identité culturelle, le sport, 1’habitat,
l'assainissement des villes, le développement des villages et des cam-
pagnes ; susciter l’éveil des citoyens, est-ce cela la restauration néocolo-
niale ? Pendant vingt-sept ans, Blaise Compaoré est resté au pouvoir et
depuis l’indépendance du pays, aucun chef d'État n’a été aussi servile
dans la défense des intérêts étrangers, français et occidentaux notamment,
au Burkina et en Afrique. Par des mues dont lui seul avait le secret,
Blaise Compaoré était devenu le partenaire privilégié de la France en
Afrique francophone. Selon l'hebdomadaire satirique Journal du Jeudi,
Blaise Compaoré était devenu, après la mort d’Houphouët-Boigny, « le
pilier, l'épine dorsale de la défense des intérêts français en Afrique de
l'Ouest. La France lui rend bien cette disponibilité. Même s'il n'est pas
accueilli à l'aéroport par le patron de l'Élysée, ses déplacements en
France sont entourés de tous les soins protocolaires 5, »
D] Des prétendus traitrise et mysticisme de Sankara
554- Toujours sans donner d'éléments concrets d’appréciation, la Pro-
clamation traite également Sankara de « traître à la révolution d'août »,
laccuse de « vision mystique quant aux solutions à apporter aux pro-
blèmes concrets des masses », autant d’éléments « qui ont engendré la
démobilisation au sein du peuple militant. » Une logomachie qui révèle
avant tout les limites intellectuelles des auteurs du texte ; tellement on
peut se poser des questions sur son rapport avec la réalité.
d) De la critique de la politique étrangère du C.N.R.
555- Dans un communiqué de presse publié le 19 octobre 1987 dans le
quotidien gouvernemental Sidwaya, le Front populaire ajoutait d’autres
éléments à sa liste de récriminations. Il y est dit que « La politique exté-
rieure fut marquée par un aventurisme et un enfantillage qui ont fini par

$$ Journal du Jeudi, n° 982, Ouagadougou, 15-21 juillet 2010, p. 3.


361
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBËLA

nous ridiculiser auprès de bien de partenaires si elle n'a pas installé


souvent une tension inutile avec les peuples voisins. » La politique exté-
rieure du C.N.R. a déjà été longuement analysée. Si le reproche du Front
populaire avait été fait de façon responsable, Blaise Compaoré aurait eu
une politique extérieure différente de celle qu’il a menée pendant ses
longues années au pouvoir. Le soutien ouvert et décisif de Blaise Com-
paoré à la rébellion du National Patriotic Front of Liberia (N.P.F.L.)*% de
Charles Taylor n’est pas contesté”. Fournitures d’armes, entraînement
et encadrement des troupes, intervention directe de soldats burkinabè,
autant d’éléments qui ont conduit à la prise du pouvoir au Liberia par
Charles Taylor en 1997%%. En retour, les diamants et autres trésors du
Liberia étaient disponibles pour Blaise Compaoré.
556- En Sierra Leone, la rébellion menée par le Front révolutionnaire
uni (R.U.F.) du caporal Foday Sankoh°®” était soutenue par Charles Tay-
lor et il semble que la main de son parrain Blaise Compaoré n'y était pas
étrangère". Les affaires du Liberia et de la Sierra Leone suscitèrent
contre le Burkina la colère des pays voisins de ces pays et surtout celle
des Etats-Unis et des Nations Unies qui ont eu même à envisager des
sanctions et des mesures concrètes de pression contre Blaise Compaoré et
son régime?! Pour sa politique interventionniste et ses ingérences dans
la zone, Blaise Compaoré et l’ancien président guinéen Lansana Conté
furent rarement en bons termes”.

6 Front national patriotique du Liberia.


7 Cf. Courrier confidentiel, n° 40, Ouagadougou, 25 août 2013, p. 5 et 8.
$% Contraint de quitter le pouvoir en 2003, Charles Taylor a été détenu avant d’être jugé
par fe Tribunal spécial pour la Sierra Leone délocalisé à la Haye. Il avait à répondre de
plusieurs chefs d’accusation : crimes contre l’humanité, crimes de guerre, etc. En mai
2012, il a été condamné à cinquante ans de prison. La décision a été confirmée en appel
le 26 septembre 2013.
S Arrêté en mai 2000, jugé et emprisonné, Foday Sankoh est mort dans un état de dé-
mence,
0 Cf. L'Événement, n° 206, Ouagadougou, 25 mars 2011, p. 16.
1 Cf. Le Pays, n° 2219, Ouagadougou, 11 septembre 2000, p. 8.
2 Cf. -Le Pays, n° 2219, Ouagadougou, 11 septembre 2000, p. 8. -Bendré, n° 114,
Ouagadougou, 15 janvier 2001, p. 4.
362
Thomas SANKARA et ja Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA

557- En Angola, le soutien de Blaise Compaoré à la rébellion de


l’Union nationale pour l’indépendance totale de P Angola (U-N.I.T.A.) de
Jonas Savimbi a été fondamental : fournitures d’armes, de carburant,
entraînement et encadrement de troupes, aide à l’obtention de documents
contre les diamants de l'Angolat#. Cela finit par provoquer l’irritation de
tous ceux qui espéraient une fin plus rapide du conflit angolais. Des ingé-
rences de Compaoré dans les affaires internes du Mali et du Niger par
Touareg interposés ont été relevées”? I1 est difficile également de mettre
hors de cause Blaise Compaoré dans la rébellion du Mouvement patrio-
tique de Côte d’Ivoire (M.P.C.L) de Kigbafori Guillaume Soro née à la
suite de l’échec de la tentative de coup d'État du 19 septembre 2002
contre le président Laurent Gbagbo”.
558- Les ingérences de Blaise Compaoré n'avaient pas de limite. En
Mauritanie, sous la présidence de Maaouya Ould Taya, Blaise Compaoré
fut accusé à plusieurs reprises de soutenir l'opposition. De façon plus
discrète il étendait ses tentacules dans les autres pays d’Afrique de
l'Ouest et même au-delà, suscitant à son égard crainte et méfiance et ja-
mais la confiance. Bon disciple de Machiavel, Compaoré appliquait à
tous les niveaux son enseignement selon lequel « i/ est beaucoup plus sûr
d'être craint que d'être aimé » car « les hommes ont moins d'hésitation à
offenser quelqu'un qui se fait aimer que quelqu'un qui se fait craindre :
car l'amour est maintenu par un lien d'obligation, lequel, étant donné
que les hommes sont méchants, est brisé par toutes les occasions de pro-
fit personnel, alors que la crainte est maintenue par la peur de la peine,
qui ne t'abandonne jamais", »

65 Cf. : -L’Indépendant, n° 257, Ouagadougou, 4 août 1998, p. 7. -L'Observateur Paal-


ga, Ouagadougou, 21 janvier 1999, p. 7. -L'Observateur Paalga, n° 5593, Ouagadougou,
25 février 2002, p. 5. -Le Reporter, n° 25, Ouagadougou, 1°-14 juillet 2009, p. 3-4. —
Courrier confidentiel, n° 49, Ouagadougou, 25 août 2013, p. 4-5.
4 Cf. Le Nouvel Afrique Asie, n° 38, Paris, novembre 1992, p. 12.
5 Cf. : -Bendré, n° 118, Ouagadougou, 12 février 2001, p. 8. -Bendré, n° 638, Ouaga-
dougou, 11 avril 2011, p. 8 -Le Reporter, n° 106, Ouagadougou, 15-30 novembre 2012,
p. 9. -Le Reporter, n° 142, Ouagadougou, 15-31 mai 2014, p. 4-5. -Courrier Confiden-
tiel, n° 32, Ouagadougou, 25 avril 2013, p. 5. -Courrier Confidentiel, n° 40, Ouagadou-
ou, 25 août 2013, p. 8.
75 Machiavel, Le Prince, Arles, Actes Sud, 2001, p. 107-108.
363
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

e) Du prétendu népotisme de Sankara


559- Le même communiqué de presse du Front populaire accuse San-
kara d’avoir favorisé le népotisme. C’est à se demander si les rédacteurs
de ces textes comprenaient vraiment le sens des mots qu’ils employaient.
On sait que l’épouse de Sankara est restée très discrète, loin des allées du
pouvoir, Ce qui n’a pas été le cas de l’épouse de Blaise Compaoré qui a
inauguré au Burkina l’appellation et la fonction de “première dame” du
pays et qui était trop présente dans les médias. La famille de Sankara est
également restée discrète et à l’écart des cercles du pouvoir. En revanche,
Blaise Compaoré avait placé le destin du Burkina entre les mains de sa
famille et de ses proches. Son petit frère, François Compaoré, était offi-
ciellement conseiller à la présidence. Mais la réalité de ses attributions et
de son influence faisait de lui, de fait, le deuxième personnage de l'État.
Tout était mis en place pour lui paver la route du pouvoir si Blaise Com-
paoré venait à se sentir usé. La belle mère de François Compaoré, Alizeta
Ouédraogo alias Alizeta Gândo??, était devenue subitement une riche,
influente et imposante opératrice économique. À son sujet, N.A. Barry
écrit : « Alizeta Gando est le prototype même de la fulgurance en af-
faires. En 1990, elle n'avait que sa moto et quatre ans plus tard, après
s'être alliée aux Compaoré, et après s que l'État lui a accordé un mono-
pole indu, elle devenait milliardaire". » Les différents secteurs écono-
miques étaient entre les mains de parents et amis de Blaise Compaoré.
f) Le régime de gabégie de Blaise Compaoré
560- Dans son premier rapport sur l’état de l’éthique au Burkina et
concernant l’année 2002, le Comité national d’éthique (C.N, É.), pourtant
mis en place par Blaise Compaoré lui-même à la suite de l’assassinat du
journaliste Norbert Zongo, relevait que des sociétés et des structures éta-
tiques étaient dirigées par des cadres, non en fonction de leur compétence
mais de leur appartenance politique et qu’une telle politisation avait in-
troduit au sein de l’administration le clientélisme dans le choix des res-
ponsables et la culture de l’impunité qui dépassait la côte d’alerte. Autant

$7 En langue more, gängo (la peau) donne au pluriel gändo (les peaux). Elle a bénéficié
au départ du monopole du commerce des cuirs et peaux. D'où ce surnom,
$8 Newton Ahmed Barry, “Blaise Compaoré : le vide complet”, L' Événement, n° 137,
Ouagadougou, 10 avril 2008, p. 9.
364
RS
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

de choses qui, selon le CNÉ. encourageaient les crimes économiques,


l’incivisme, la corruption, les fraudes massives, les détournements des
fonds et des matériels publics”. Le Journal du Jeudi a ainsi pu écrire
que Blaise Compaoré «a compris que l’on dirige plus facilement les
hommes par leurs vices que par leur vertu.»
561- Sous le régime de Blaise Compaoré, la corruption et la mauvaise
gouvernance avait atteint un niveau qu’on aurait eu de la peine à imagi-
ner sous les régimes précédents. Elles ont détruit la prétendue intégrité
des Burkinabè, désintégré la société, cultivé l’amoralité et ramené l’idéal
au niveau du paraître et du gain facile. Les Burkinabè sont maintenant
convaincus que tout service se paye, même les services publics sociaux
(santé, éducation, justice, sécurité, etc.) et que tout se monaye, même les
sentiments et les rapports sociaux. Comme écrivait le journal L’Ami des
Lois du 18 brumaire 1795, « La morale est dépravée au point qu'on ne se
cache plus pour voler, et l'excès du mal est monté au degré qu'il faut
nécessairement ou mourir de faim, ou suivre l'exemple des autres lp
Les exemples de corruptions, de détournements, de passe-droits, de tra-
fics d’influence remplissaient des pages des journaux indépendants sans
que le régime ne sen émût. Dès le premier gouvernement de Blaise Com-
paoré formé le 31 octobre 1987 après l’assassinat de Thomas Sankara, le
ministre du Commerce, Frédéric Assomption Korsaga, était surnommé
monsieur 10%. C’était, semble-t-il, la part qu’il réclamait aux opérateurs
économiques qui requéraient les services de son ministère.
562- L'exemple de captation le plus spectaculaire a été réalisé par le
directeur général des douanes, Ousmane Guiro. La version officielle du 2
janvier 2012 dit : « La gendarmerie a reçu une information faisant état
de ce que des jeunes de Pissy, secteur 17 de Ouagadougou, détenaient et
dépensaient de fortes sommes d'argent. Un autre groupe de jeunes leur
Jaisaient du chantage pour obtenir leur part et envisageaient de les
agresser. La gendarmerie s'est mise à investiguer et à pu interpeller un
jeune du quartier qui a conduit les agents à un domicile où étaient effec-

Cf. L'Observateur Paalga, n° 5970, Ouagadougou, 4 septembre 2003, p. 2-3.


S% Cf. Journal du Jeudi, n° 307, Ouagadougou, 7-13 août 1997, p. 4.
SL Cf. Gracchus Babeuf, Le Manifeste des Plébéiens, Paris, Éditions Mille et une nuits,
2010, p. 98.
365
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

tivement entreposées des cantines qui ont été saisies ef déposées à la


gendarmerie : il s'agit de quatre cantines dont deux contenaient des ef.
Jets d'habillement et les deux autres de l'argent et des objets de valeur.
Le billetage qui a été fait sur les deux cantines s'élève à
1 906 190 604 F CFA. À la question de savoir d'où venaient ces caisses,
le jeune interpellé a confié que ce sont des caisses qui ont été déposées
par des intermédiaires par le directeur général de la DouaneS®, » La
somme retrouvée était composée de devises en dollars, en euro et dautres
devises étrangères. Il convient de rappeler que les jeunes ont dépensé des
millions avant que l’attention des autorités ne soit attirée et que ne com-
mencent les investigations. Ce qui a été trouvé le 31 décembre 2011 n’est
que le reliquat, de sorte qu’on peut estimer que la somme entreposée dé-
passait largement deux milliards. Ajoutée aux objets de valeurs dont
l'évaluation n’a pas été communiquée, on peut estimer que la valeur con-
tenue dans les cantines n’était pas moins de trois milliards®®,
563- Le 20 février 2011, un élève de la classe de 3°, Justin Zongo,
trouvait la mort à Koudougou à la suite de sévices qu’il aurait subis au
commissariat de police. Les élèves se révoltèrent, d’abord à Koudougou,
puis sur l’ensemble du territoire. Ils furent bientôt rejoints par les mili-
taires et les para-militaires. En mars-avril 2011, la révolte des militaires
aboutit aux saccages de nombreux édifices publics et privés et à la bruta-
lisation de citoyens et de quelques personnalités du régime. Dans la nuit
du 29 au 30 mars, le domicile du chef d’état-major des armées, le général
Dominique Diendéré, qui n’était pas loin de celui du directeur général de
la douane, fut saccagé par les militaires. Guiro prit peur pour son trésor.
Cest alors qu’il avait décidé de le mettre en sécurité dans un endroit ano-

2 Cf. L'Observateur Paalga, n° 8038, Ouagadougou, 4 janvier 2012, p. 7.


$% Le procès de Ousmane Guiro eut lieu du 18 au 20 juin 2015 à l’ouverture de l’unique
session de la chambre criminelle de la cour d’appel de Ouagadougou, sous le régime de
la Transition mis en place après la chute de Blaise Compaoré. Il sera reconnu coupable
de corruption portant sur la somme de neuf cent millions (200 000 000) F CFA et de
violation de la règlementation des changes. En revanche il n’a pas été reconnu coupable
d’enrichissement illicite. Il a été condamné à deux ans de prison avec sursis, à payer une
amende de dix millions (10 000 000} F CFA et à la confiscation des objets saisis à hau-
teur de neuf cent millions de francs.
Face à la désapprobation quasi générale du verdict, le parquet dut former un
pourvoi en cassation le 22 juin 2015.
366
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apolliuaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
nyme et insoupçonnable, chez son cousin Tidiane Sana. L’émoi provoqué
par cette affaire était tel que les autorités comprirent qu’elles devaient
réagir vite. Dès le 2 janvier il était mis fin aux fonctions de Guiro, lequel
fut à la disposition de la justice. N’eut été l’imprudence des jeunes, cela
n’aurait jamais été découvert. Combien de cas de ce genre sont restés
inconnus.
564- La Caisse nationale de sécurité sociale (C.N.S.S.) a été accusée de
favoritisme et de mauvaise gestion. Elle aurait fait des placements risqués
à l'étranger. Elle aurait aussi accordé à des proches du régime Compaoré
des prêts non justifiés à des conditions spéciales et aurait effectué des
dépenses, essentiellement dans le but de procurer des avantages indus à
des opérateurs économiques proches du régime®%. En 2011, des dépenses
irrégulières et injustifiées d’un montant de 262 586 309 F CFA ont été
relevées contre Joseph Paré qui, à l’époque des faits, était en charge du
ministère des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche
scientifique. Même le conseil constitutionnel, censé être une institution
irréprochable, était impliqué dans des malversations. Outre le fait qu’il a
toujours rendu des décisions de complaisance, les fonds spéciaux qui
avaient été approvisionnés à hauteur de 90 millions de F CFA ont fait
l’objet d’un retrait par son tout premier président, Idrissa Traoré, de
56 912 720 F sans aucune pièce justificative. Pire, il était accusé de mo-
nayer ses décisions, Ce
C qui aurait fini par décider Blaise Compaoré de le -
remplacer pride dans un tel cas il ne constituait plus un rempart sûr
pour le régime®
565- Pratiquement tous les secteurs publics étaient infectés du virus de
la corruption et de la mauvaise gestion. De fausses décisions
d'exonération en douane d’un montant de plus de 398 millions F CFA
ont été relevées contre la Société nationale burkinabè d’hydrocarbures

S Cf : «Le Pays, n° 3541, Ouagadougou, 17 janvier 2006. L'Observateur Paalga, n°


6579, ou, 15 février 2006, p. 10. -L” Événement, n° 87, Ouagadougou, 10
mars 2006, p. 7-9. Le Reporter, n° 19, Ougadougou, janvier 2009, p. 3-7. “Le Repor-
Repor-
ter, n° 20, Ougadougou, février 2009, p. 10-14.
6 Cf. Le Reporter, n° 99, 1°-14 août 2012, p. 3-4.
#6 Cf. : -L'Événement, n° 124, Ouagadougou, 25 septembre 2007, p. 8. -L'Observateur
Paalga, n° 7531, Ouagadougou, 18-20 décembre 2009, p. 6. -Bendré, n° 577, Ouaga-
dougou, 11 janvier 2010, p. 7.
367
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBÈLA

(SO.NA.B. HY)%7. L'Office national de l’eau et de l’assainissement


(O.N.E.A.), le Centre de gestion des cités (CE.GE. CD, la Société na-
tionale d’aménagement des terrains urbains (SO.N.A.T. UR.)*, entre
autres, ont tous subi la loi des prédateurs de la république*”6%, Dans son
rapport sur Les indicateurs du développement en Afrique en 2010, La
Banque mondiale note qu’en 2006, 86,96% des entreprises burkinabè ont
dû verser de l’argent de façon informelle à des fonctionnaires pour obte-
nir un marché, tandis que 80,77% d’entre elles ont dû faire des cadeaux
pour obtenir un marché public®’!. Toujours en 2006, Francis Blondet,
ambassadeur de France en fin de mission, disait : « L'injustice !
L'injustice me paraît être le principal handicap du Burkina Faso. C'est
cela qui fait que les gens n'ont pas confiance aux institutions qui, par
ailleurs, ne sont pas ma
566- Les marchés publics constituaient une manne inépuisable permet-
tant au régime de s’approvisionner et de récompenser les amis et les
proches. Dans son rapport sur les marchés publics, la Commission
d’enquête parlementaire mise en place le 10 janvier 2012, a relevé
d’innombrables irrégularités et insuffisances parmi lesquelles : l’absence
de plans de passation des marchés : le non-respect de la réglementation ;
le non-respect des dispositions relatives à la composition des Commis-
sions d’attribution des marchés (C.A.M.) ; le non-respect des dispositions
relatives aux pénalités de retard ; l’établissement de marchés de régulari-
sation de commandes livrées avant attribution et notification de marché ;
la remise en cause des délibérations des C.A.M. sans motivation du choix
du nouvel attributaire ; le recours abusif et irrégulier aux marchés de gré
à gré ; les insuffisances dans la formulation des besoins à prendre en
compte dans les études des projets, entraînant, la plupart du temps, des

#7 Cf. : -Cour des comptes, Rapport d'activités 2008, -L’Indépendant, n° 855, Ouaga-
dougou, 26 janvier 2010, p. 10.
55 Cf. L'Observateur Paalga, n° 7531, Ouagadougou 18-20 décembre 2009, p. 6.
S% Cf. Courrier confidentiel, n° 11, Ouagadougou 10 juin 2012, p. 5.
# Pour une idée générale sur ce point, ef. : -Courrier confidentiel, n° 18, Édition spé-
ciale, Ouagadougou, 25 septembre 2012. -Courrier confidentiel, n° 19, Édition spéciale,
Ouagadougou, 16 octobre 2012.
$1 Cf. L'Observateur Paalga, n° 7658, Ouagadougou, 23 juin 2010, p. 19.
$2 Cf. Le Pays, n° 3719, Ouagadougou, 2 octobre 2006, p. 22.
368
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

recours aux marchés de gré à gré pour rattrapage des besoins non pris en
compte au départ; les insuffisances notoires dans la conservation et
l'archivage des documents relatifs aux marchés ; les insuffisances dans le
suivi des chantiers et le contrôle physique et technique des livraisons des
produits et des biens commandés ; les insuffisances dans le suivi du
paiement des décomptes, des pénalités de retard et des retenues de garan-
tie, etc®®. Toutes ces violations avaient un seul et unique objectif : favo-
riser des particuliers et les entreprises détenues par la famille présiden-
tielle soit directement, soit par personnes interposées et les opérateurs
économiques qui rendaient ou avaient rendu des services au régime ou à
la famille présidentielle. L'État était ainsi devenu une source inépuisable
de ressources pour Blaise Compaoré, sa famille et son régime.
567- La Présidence du Faso était loin de donner l’exemple. Il lui a été
reproché « {a non-lisibilité de nombre de dépenses effectuées. » Sans
oublier que la Direction générale des marchés publics n’était même pas
impliquée dans l’attribution des marchés de la Présidence”. Blaise
Compaoré a été lui-même directement interpellé. Dans une interview au
Journal du dimanche\du 11 septembre 2011, Robert Bourgi qui était :
chargé des relations occultes entre le Palais de l'Élysée et les chefs d’État
africains, affirmait au sujet de la campagne pour l’élection présidentielle
française de 2002: « Par mon intermédiaire, … cinq chefs d "État afri-
cains — Abdoulaye Wade (Sénégal), Blaise Comporé (Burkina Faso),
Laurent Gbagbo (Côte d'Ivoire), Denis Sassou Nguesso (Congo-
Brazzaville) et bien sûr, Omar Bongo (Gabon) — ont versé environ 10
millions de dollars pour cette campagne de 2002. [...] Un exemple qui ne
s'invente pas, celui des djembés (des tambours africains). Un soir, j'étais
à Ouagadougou avec le président Blaise Compaoré. Je devais ramener
pour Chirac et Villepin 3 millions de dollars. Compaoré a eu l'idée,
“connaissant Villepin comme un homme de l'art”, a-t-il dit, de cacher
l'argent dans quatre djembés. Une fois à Paris, je les ai chargés dans ma
voiture jusqu'à l'Élysée. C’est la seule fois où j'ai pu me garer dans la
3 Cf: -L'Observateur Paalga, n° 8043, Ouagadougou, 11 janvier 2012, p. 4. -
L'Observateur Paalga, n° 8171, Ouagadougou, 16 juillet 2012, p. 9-10, 31-32. -Bendré,
n° 605, Ouagadougou, 26 juillet 2012, p. 12. -Courrier confidentiel, n° 12, Ouagadou-
gou, 25 juin 2012, p. 5.
Cf. Courrier confidentiel, n° 16, Ouagadougou, 25 août 2012, p. 10.
369
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

cour d'honneur ! C'était un dimanche soir et je suis venu avec un émis-


saire burkinabè, Salif Diallo, alors ministre de l'Agriculture. Je revois
Villepin, sa secrétaire, Nadine Izard, qui était dans toutes les confi-
dences, prendre chacun un djembé, devant les gendarmes de faction.
Les tams-tams étaient bourrés de dollars. Une fois dans son bureau, Vil-
lepin a dit : “Blaise déconne, c'est encore des petites coupures 5» Le
lendemain 12 septembre 2011, Bourgi a confirmé ses déclarations dans
d’autres médias, notamment à Radio France internationale (R.FL).
Mamadou Koulibaly qui, à l’époque des faits, était président de
PAssemblée nationale de Côte d’Ivoire confirme. Selon lui : « Robert
Bourgi a parfaitement raison, il y a eu un transfert d'argent entre Lau-
rent Gbagbo et Jacques Chirac en 2002. » Dans son livre Pour la vérité
et la justice paru en 2014, Laurent Gbagbo lui-même le confirme.
568- Comme il fallait s’y attendre, Salif Diallo qui a été nommément
cité, a apporté un démenti aux propos de Bourgi®” sans guerre con-
vaincre. Le porte-parole du geuenemet burkinabè de l’époque a aussi
apporté sa part de démentif®. Robert Bourgi pouvait-il faire de telles
révélations sans aucun fondement ? Étant avocat, aurait-il pris le risque
de mettre nommément en cause, sans preuve, des personnalités qui
étaient au sommet du pouvoir dans leur pays respectif ? Pourquoi n’a-t-il
pas désigné d’autres personnes, d’autres lieux, d’autres époques ? Les
révélations de Bourgi sont étayées d’éléments de référence sur les ac-
teurs, les lieux, les choses, tous en concordance avec le temps qu’il est
difficile de les mettre en doute. Traduit en conseil de discipline, il a éco-
pé d’une sanction disciplinaire, soit six mois de suspension, pour viola-
tion des règles de la profession d’avocat qui était la sienne. Néanmoins,
le 13 avril 2014 à 8h 15 T.Ü., dans une interview à la télévision France
24, il confirmait ses révélations de septembre 2011. Dans une interview
de juillet 2014, il donne plus de précision sur les trois millions de dollars
remis par Laurent Gbagbo‘”. Même sans les révélations de Bourgi, peu
de gens ignoraient ce genre de pratiques. En mars 2007, une plainte pour

5 Cf Le Pays, n° 4947, Ouagadougou, 13 septembre 2011, p. 8-9.


% Cf. Bendré, n° 659, Ouagadougou, 19 septembre 2011, p. 6.
57 Cf. L'Observateur Paalga, n° 7971, Ouagadougou, 23-25 septembre 2011, p. 6-7.
5% Cf. Bendré, n° 659, op. cit., p. 7.
% Cf. Le Quotidien, n° 1112, Ouagadougou, 12-13 juillet 2014, p. 10.
370
|

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

« détournement et recel d'argent public » avait été déposée contre cer-


tains de ces chefs d’État par des associations françaises dont Sherpa et
Survie"
569- Gouverner par la corruption des élites était une des spécifités de
Blaise Compaoré et de son régime. Le 19 juillet 2013, Assimi Kouanda,
alors secrétaire exécutif du Congrès pour la démocratie et le progrès
(C.D.P.), le parti de Blaise Compaoré, disait aux commerçants : # Ceux qui
nous contredisent le jour prennent nuitamment des enveloppes" .» C'est
avouer innocemment ce que l’on savait déjà. En 200$, pour les manipuler à
sa guise, Blaise Compaoré avait secrètement remis trente millions de francs
à des partis politiques qui se disaient de Popposition. La nouvelle a été con-
nue seulement quand les intéressés ne se sont pas entendus sur la répartition
de la somme et des rôles”?. Après sa chute, un quotidien a pu écrire que
«Sous l'ère Blaise Compaoré, l'intégrité passait MER pour un délit,
l'excellence un vice et la dignité un vilain défaut ns,
g) Observations
570- À lire la Proclamation du Font populaire et le communiqué de
presse, on ne peut s "empêcher de penserà la Centrafrique des années
1960. Après le coup d° État qui a renversé le président David Dacko le 31
décembre 1965, le nouvel homme fort, le lieutenant-colonel Jean Bedel
Bokassa, dans un discours prononcé le 15 janvier 1966 à la mairie de
Bangui la capitale du pays, accusait pêle-mêle les anciens dignitaires de
corruption, de détournements, de vols, d’entretenir des maîtresses, etc.
On sait ce qu’il advint par la suite. Bokassa avait fini par accaparer toutes
les richesses de la Centrafrique, s’était nommer maréchal et président à
vie avant de se couronner empereur le 4 décembre 1977. Il avait dix-sept

70 Cf. Bendré, n° 530, 19 janvier 2009, p. 5.


1 Cf. L'Observateur Paalga, n° 8438, Ouagadougou, 19 août 2013, p. 6.
7% 11 s’agit de Opposition burkinabè unie (O.B.U.) qui était principalement composée
du Parti de la renaissance nationale (PA.RE.N.) de Laurent Bado et du Mouvement du
peuple pour le socialisme/Parti fédéral (M.PS/PF) de Émile Paré. Cf: -
L'Observateur Paalga, n° 6427, Ouagadougou, 5 juillet 2005, p. 4s. -L'Indépendant, n°
619, Ouagadougou, 19 juillet 2005, p. 9.
Le Pays, n° 5762, Ouagadougou, 30 décembre 2014, p. 6.
371
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

épouses ; le nombre exact de ses enfants restant inconnu mais néanmoins


estimé à une quarantaine.

571- Le 14 novembre 2005, au lendemain de l’élection présidentielle


du 13 novembre 2005, Blaise Compaoré déclarait à Radio France interna-
tionale (R.F.L.) : « Qu'est-ce que nous avons voulu faire pendant la Révo-
lution ? C'était de construire des écoles, des dispensaires, tout ça!
Qu'est-ce qui a manqué à la Révolution ? C'est la liberté qui a manqué à
la Révolution. » Si c'était un problème de liberté, comment expliquer
alors les insanités qui ont été déversées sur Thomas Sankara pour justifier
son assassinat ? Pourtant, la liberté n’a pas été promue après le 15 oc-
tobre 1987. Qu'onse rappelle le massacre de Koudougou le 27 octobre
1987 (cf. n° 63657" l'exécution le 19 septembre 1989 des deux autres
chefs historiques de la Révolution, Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo
(cf. n° 638); l’assassinat le 9 décembre 1991 de Oumarou Clément Oué-
draogo qui fut un temps le deuxième personnage de l’État après le 15
octobre 1987, l’assassinat du Journaliste Norbert Zongo à Sapouy le 13
décembre 1998 (cf. n° 639), les dizaines d’autres assassinats politiques et
les disparitions non élucidées sous son régime, les entraves portées à la
manifestation de la vérité dans les dossiers sensibles soumis à la Justice.
572- La liberté relative qui prévalait au Burkina n’avait pas été voulue
par Blaise Compaoré, même si lui et ses partisans déployaient toutes leurs
énergies pour faire croire qu’il en était l’architecte. Blaise Compaoré et
son carré de fidèles serviteurs avaient été contraints d’élargir les espaces
de liberté à la suite du grand soulèvement populaire qui avait failli em-
porter son régime après l’odieux assassinat du journaliste Norbert Zongo.
Près de trente ans après l'assassinat de Sankara et l’accaparement du
pouvoir par Compaoré, les médias d’État, surtout les médias audiovisuels
qui sont de diffusion instantanée et couvrent tout le pays et qui ont un
impact direct sur les populations, restaient sous le contrôle strict de son
régime au point que l'opposition y était introuvable.
573- Exaspérés par la censure, les travailleurs des médias publics
avaient, au péril de leurs carrières, entrepris des mouvements de protesta-
tion, Ainsi, le 16 juillet 2013, l’Association des journalistes du Burkina
(A.T.B.) et le Syndicat autonome des travailleurs de l'information et de la
372
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBÈLA

culture (SYN.A.T.I.C.) organisèrent un sit-in au ministère de la Coramu-


nication à Ouagadougou et devant les bureaux du gouverneur à Bobo-
Dioulasso pour protester contre les censures et l’immixtion des autorités
dans le traitement de l'information dans les médias publics. Pour eux, les
«immixtions dénaturent le contenu des reportages, toute chose qui Re
voque la colère des populations qui s’en prennent aux journalistes
À la suite de ce mouvement de protestation, certains agents furent écartés
des responsabilités et d’autres reçurent des affectations arbitraires, par-
fois en violation des lois sur les syndicats, En conséquence, les agents
de la Radiotélévision du Burkina (R.T.B.) observèrent un sit-in le 22 mai
2014 devant la maison de la télévision pour toujours protester contre le
bâillonnement, l’immixtion de la hiérarchie dans le traitement de
l'information et les pressions qu’ils subissaient dans leur service”%, Pour
la première fois au Burkina, le 16 juillet 2014, à l’initiative du
SYN.A.T.LC., les agents des médias publics observaient une grève de
24h, toujours pour exiger la satisfaction de leurs revendications.
574- Ce qui a perdu le C.NR,, c’est plutôt le trop de liberté. Les débats
interminables, parce que chaque avis devait être pris en compte et éva-
lué ; l’admission sans contrôle de groupuscules opportunistes se disant de
gauche, mais qui, en réalité volaient simplement sans scrupule au secours
de la victoire ; la promotion sans contrôle de personnes sans principe;
l'absence de contrôle et de sanction éventuelle contre les chefs histo-
riques de la Révolution ; la permutation des postes au sommet de l’État
(en fonction des circonstances, les trois autres chefs historiques - surtout
Blaise Compaoré - assuraient l'intérim de la présidence et présidaient le x
conseil des ministres) sont autant d'éléments qui ont contribué à miner la
confiance et disloquer le C.N.R. À ce sujet, LH. Traoré écrit : «.… ce
n'est pas l'absence de liberté qui a tué le C.N.R. mais le trop de liberté
et de démocratie au sein du C.N.R. Ce qui a permis à des opportunistes

7% Cf. Le Quotidien, n° 817, Ouagadougou, 15 juillet 2013, p. 5. Sur le mouvement de


protestation, cf. : -Le Quotidien, n° 819, 17 juillet 2013, p. 4-5, -L'Observateur Paalga,
n° 8418, Ouagadougou, 17 juillet 2013, p. L-6, 21. -L'Observateur Paalga, n° 8419, 18
je 2013, p. 25.
-Le Quotidien, n° 1042, Ouagadougou, 18 avril 2014, p. 6. -Le Quotidien, n°
2063. Ouagadougou, 15 mai 2014, p. 16.
% C£ Le Quotidien, n° 1070, Ouagadougou, 23 mai 2014, p. 7.
373
Thomas SANKARA et là Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

d'intoxiquer et d'envenimer la situation, au point de liquider la révolu-


tion avec son charismatique et visionnaire leader 707,
575- La grande majorité des populations n’avait qu’une ambition :
s’affranchir des contraintes de la pauvreté, de la maladie et de
l'ignorance. Ce qui la préoccupait c’était l'amélioration des cultures, la
construction des routes, des retenues d’eau, des écoles, des centres de
santé, avoir un emploi intéressant. Elle n’avait pas la capacité d’accéder
aux débats oiseux qu’entretenaient les groupuscules opportunistes pour
se sentir exister, étalant ainsi des inepties qu’ils prenaient pour le savoir
7. même, En revanche, elle se reconnaissait en Sankara dont elle était cons-
ciente qu’il cherchait à résoudre ses problèmes. Dans un tel contexte, s *il
y a eu absence de liberté, c’est sans doute pour une infime minorité qui
estimait ses appétits non satisfaits et surtout pour Blaise Compaoré lui-
même qui en voulait toujours davantage pour mieux jouir sans partage
des délices du pouvoir.
2- Les raisons de sécurité
576- Pour justifier son forfait, le Front populaire explique dans son
communiqué de presse que Sankara avait prévu, à l’occasion d’une réu-
nion de concertation qui devait se tenir le 15 octobre à 20 h au siège du
CNR., « d'arrêter et d'exécuter tous les révolutionnaires qui refuse-
raient la soumission et la démission, le chaos pour notre peuple. » Ce
point ne fut évoqué qu’à partir du lendemain 16 octobre. Ce qui fait dou-
ter de son sérieux et montre en tout cas qu’il n’a pas été le motif principal
du coup d’État, Autrement, il aurait figuré en bonne place parmi les pre-
mières déclarations. Ne s’agit-il pas là simplement d’une tentative de
< justification a posteriori ? Sommés de fournir les preuves de leurs alléga-
tions, les autorités du Front populaire se confondirent dans des confu-
sions et des contradictions. Interrogé sur ce point plus de deux semaines
après, Blaise Compaoré répondait en novembre 1987 : « Nous sommes en
train de rassembler certains éléments de preuves 7; Plus de deux mois
après, en fin décembre 1987, le capitaine Bongnessan Arsène Vé qui était

707 Issaka Herman Traoré, “Comme dans la Sourate Al-Ma'idah”, L'Observateur Paal-
a, n° 6998, Ouagadougou, 25 octobre 2007, p. 11
TE Cf. Jeune Afrique, n° 1 400, Paris, 4 novembre 1987, p. 23.
374
A]
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBËLA

devenu le nouveau secrétaire général national des C.D.R. déclarait à ce


sujet au détour d’une conversation que « Les preuves du complot sont
entrain d'être fabriquées 7m.
577- En mars 1988, soit cinq mois après, le Front populaire réussit à
publier un document appelé “Mémorandum sur les événements du 15
octobre 1987” dans lequel il tente vainement de convaincre. Quand on
accuse quelqu'un de faits aussi graves qui expliquent et justifient le mas-
sacre du coupable et de ses collaborateurs, c’est que les preuves sont à
portée de main. Pourquoi faudrait-il cinq mois pour de prétendues re-
cherches de preuves ? En réalité c’était pour essayer de concocter une
histoire supposée pouvoir convaincre. Les collaborateurs de Sankara qui
furent arrêtés et torturés”/!°, refusèrent courageusement de collaborer dans
la fabrication des “preuves”. Le moindre aveu aurait été exagérément
exploité et bruyamment rendu public. Or, il n’en eut point. Achille Tap-
soba qui, à l’époque des faits, était un militant C.D.R. de premier plan et
qui, par la suite a occupé de hautes fonctions, y comprises celles de mi-
nistre de Blaise Compaoré et qui était un responsable éminent du Con-
grès pour la démocratie et le progrès (C.D.P.), le parti de Blaise Compao-
ré, déclarait en 2007 : «Je ne suis pas au courant d'un complot ni de 20
heures, ni de 15 heures. À l'époque, j'étais à mon poste, je faisais mon
travail sur la révolution et non pour un camp ou pour un autre"\, » Ab-
dou Salam Kaboré dit : « Je n'ai jamais entendu parler de complot de
20h. Pis, je réfute catégoriquement qu'il y ait eu un quelconque complot
parce que Thomas Sankara ne voulait toucher en aucun cas à un seul
cheveu de Blaise Compaoré, ni de Lengani, ni de Henri Zongo. Le peuple
avait catalogué les 4 comme étant les pères de la Révolution". » Bouka-
ry Kaboré déclare que même si Sankara avait été sûr d’être assassiné, les
choses ne se seraient pas passées autrement « Parce que Thomas même

7 C£ S. Andriamirado, Il s’appelait Sankara, op. cit., p. 117-118.


710 Sur les tortures pratiquées sous le Front populaire, cf. Valère D. Somé, Les nuits froides
de décembre (L’exil ou... la mort), Ouagadougou, Les éditions du millénium, 2015.
Mousbilla Sankara qui fut ambassadeur en Lybie sous le C.N.R. raconte aussi comment il a
été torturé par l'officier Boureima Kéré, homme de main de Gilbert Diendéré et de Blaise
Compaoré. Cf. Le Quotidien, n° 1476, Ouagadougou, 8 octobre 2015, p. 4-5.
M1 Cf L'Observateur Paalga, n° 6985, Ouagadougou, 5-7 octobre 2007, p. 9.
M2 Cf. Le Pays, n° 3971, Ouagadougou, 9 octobre 2007, p. 4.
375
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

avait dit qu'on devrait se laisser tuer pour que demain des gens parlent
de ce que nous avions fair,»
578- Dans la réalité le prétendu complot de 20h est encore une de ces
manigances sordides auxquelles ont recours les esprits faibles et les per-
sonnes sans envergure pour gravir les sommets. Il était en effet prévu une
réunion à 20h ce jour-là. Heureusement, un document essentiel a pu se
soustraire des mains des prédateurs, traverser le temps, pour témoigner
des faits. Il s’agit du discours que Sankara devait y prononcer. Dans ce
discours, Sankara évoquait les méfaits que les intrigues des opportunistes
avaient causés à la Révolution. Il ajoutait : « La Révolution a beaucoup
souffert de ces éléments-là. Incapables d'élever le niveau des débats, ils
l'ont tiré en arrière. Ils l'ont rabaissé. Redoutant l'unité comme étant la
Jin de leurs “droïts princiers de naissance” ils ont démobilisé partout où
il y avait ne serait-ce qu'une certaine adhésion, et ailleurs, ils ont jeté de
l'huile sur le feu de la division. » I] proposait alors de retourner aux
masses pour dénoncer et condamner « ceux qui jusque là ont prêché …
dans les eaux de la Révolution troublées par eux. » Et de mettre en place
les statuts du C.N.R. pour mieux encadrer son fonctionnement”"*,
579- Salif Diallo était chef de cabinet de Blaise Compaoré. Dès le len-
demain du 15 octobre 1987, Blaise Compaoré l'avait rappelé auprès de
lui et, jusquà leur rupture officielle en janvier 2014, Salif Diallo était
resté son confident, son homme à tout faire et avait gravi tous les som-
mets de l'État. Il déclare ceci : « Le jour du coup d "État effectivement,
j'étais assis avec lui (N.D.L.A. : Blaise Compaoré), parce que je devais
être à la réunion de 16 heures. Et je suis parti chez Blaise Compaoré
pour prendre un document sur ordre de Thomas Sankara. [...] en fait, je
devais être une des victimes parce que je devais être à la réunion avec
mon ami Kiemdé Frédéric”. » Comment Sankara pouvait-il avoir plani-
fié un complot à 20h visant l’élimination de Blaise Compaoré et envoyer
le fidèle camarade de celui-ci chercher un document chez lui pour une
réunion à 16h ? Il eut été plus simple d’attendre son élimination pour
ensuite aller chercher tous documents nécessaires. La réalité révèle plutôt

T5 C£ Le Pays, n° 3970, Ouagadougou, 8 octobre 2007, p. 4.


T4 Voir des extraits du discours en annexe.
M$ C£ Le Reporter, n° 182, Ouagadougou, 15-31 janvier 2016, p. 10.
376
[ a
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

le cynisme de Blaise Compaoré qui, pour atteindre ses objectifs, n’aurait


pas hésité à sacrifier Salif Diallo, son fidèle compagnon, qui n’eut la vie
sauve que par un coup de fil de dernière minute de Sankara lui deman-
dant de passer chercher un document chez Blaise Compaoré. Le discours
que Sankara devait prononcer à 20h montre qu’il semblait avoir pris toute
la mesure de la situation et semblait aussi décidé à rectifier le tir. Ce que
ne pouvaient admettre Blaise Compaoré et ses partisans qui étaient au
courant des projets de Sankara puisque, profitant de sa naïveté, ils avaient
introduit leurs éléments jusque dans le cercle restreint de ses collabora-
teurs. Voilà ce qui a été appelé “le complot de 20h.” Quelqu'un qui pro-
jette des exécutions tient-il un discours du genre de celui que Sankara
avait préparé ?
580- Il apparaissait de plus en plus à Sankara que sa sécurité ne pouvait
plus dépendre exclusivement de Compaoré. Aussi fut-il envisagé la créa-
tion d’une Force d’intervention du ministère de l’Administration territo-
riale et de la Sécurité (F.IL.M.A.T.S.) Sa création ne suscita aucun pro-
blème particulier en conseil des ministres. On prête cependant à Nongma
Ernest Ouédraogo, alors ministre de l’ Administration territoriale et de la
Sécurité, ces propos relatifs à la création de la F.LM.AT.S. : « Jusqu'à
présent, nous he nous sommes occupés que des ennemis déclarés de la
Révolution. Il va falloir dorénavant nous occuper de nos amis qui œu-
vrent dans la même direction que les premiers T6 y Le commandement
de la F.IM.A.T.$. était confié à Askia Vincent Sigué qui, entre-temps,
avait été promu lieutenant. Après l'assassinat de Sankara, le Front popu-
laire prétendra que la F.I.M.A.T.S. devait être un instrument de répres-
sion contre tous ceux qui ne resteraient pas fidèles à Sankara. Sur ce
point, N.E. Ouédraogo déclare : «La FIMATS. comme son nom
l'indique bien, était une force d'intervention du MA.T.S. exactement
comme son ancêtre la C.R.S."\7 et comme son successeur la D.C.IR.78
[...] En réalité la F.LMA.TS. a fonctionné plusieurs mois avant de poser
problème à certaines personnes. Tous les mensonges déversés après le
15 octobre ne sont que des affabulations sur lesquelles il faudra peut-être

716 Cf. V. Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit. p. 65.
77 Compagnie républicaine de sécurité.
8 Direction de la compagnie d’intervention rapide.
377 |
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA
revenir un jour’1?, » Boukary Kaboré, lui, dit sèchement : « Ce ne sont
que des histoires. [...] le président Thomas était le chef de 1 "État. S'il
voulait créer une unité spéciale, qu'est-ce qui l'aurait empêché de le
faire ? Dire donc que Thomas voulait créer une unité contre les autres
n'engage que ceux qui tiennent de tels propos”. » S’il Pavait voulu,
Sankara aurait pu éliminer qui il voulait”?!, Même sur le plan militaire
qui était le principal appui de Blaise Compaoré, la plupart des comman-
dants de garnison étaient restés fidèles à Sankara”. Toutefois, la créa-
tion de la F.L.M.A.T.S. a pu précipiter l’action des putschistes qui ont pu
voir en elle, si elle devenait pleinement opérationnelle, un moyen pou-
vant les empêcher d’atteindre leurs objectifs.
3- Les amalgames
581- Le communiqué n° 2 du Front populaire déclarait le vendredi 16
octobre jour férié sur l’ensemble du territoire. La population était invitée
à « mettre à profit cette journée pour réfléchir sur un bilan national de
rectification sur la base des graves insuffisances accumulées depuis 4
ans.» Toute l’action de Sankara était donc jugée mauvaise. Mais très
vite, la réprobation générale à laquelle il fut confronté fit comprendre au
Front populaire qu’il ne fallait pas trop condamner la politique de Sanka-
ra. Il opta alors pour des manœuvres d’équilibriste. Pour justifier son
putsch il coupa la poire en deux en portant maintenant ses condamnations
sur les deux dernières années du C.N.R. soit de 1985 à 1987. Or, cette pé-
riode correspond à la présence au C.N.R. de PU.C.B. et du G.C.B. qui y ont
été admis le 12 mai 1985 avec d’ailleurs la bénédiction de Sankara. Les
éventuelles insuffisances ne pouvaient donc être que le fait de ces deux or-
ganisations. Le Front populaire qui, initialement n’était composé principa-
lement que de l’U.C.B., du G.C.B. et de l'U.L.C.-La Flamme se condamnait

71 Cf. Le Pays, n° 1945, Ouagadougou, 3 août 1999, p. 10.


720 Cf. Le Pays, n° 3970, Ouagadougou, 8 octobre 2007, p. 4.
71 Cf.: -H. S. (Henri Sebgo, pseudonyme de Norbert Zongo), “Le 15 octobre 1987 -
Pourquoi Sankara s'est-il laissé tuer ?”, L'Indépendant, n° 216, Ouagadougou, 14
octobre 1997, p. 3. -B. Jaffré, Biographie de Thomas Sankara, op. cit. p. 241. -V. Somé,
Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit. p. 11.
72 C£.S. Andriamirado, IL s’appelait Sankara, op. cit. p. 79.
378
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

ainsi lui-même à force de chercher à justifier son forfait. Preuve s’il en était
encore besoin du manque d’esprit de ses animateurs.
582- Surpris par la désapprobation générale, Blaise Compaoré usa de
plusieurs expédients pour tenter de donner une version plus acceptable
des faits et de calmer ainsi les esprits. Il prétendit alors que la mort de
Sankara était un accident et qu’il n’avait jamais donné l’ordre de le tuer
mais seulement de arrêter. Il dira ensuite que « c'était Thomas Sankara
ou moi. » Laissant ainsi entendre que Sankara aurait cherché à l’éliminer
et qu’il aurait simplement pris les devants. Il dira également qu’il n’était
pas au courant de l'intention de ses hommes d’arrêter ou de tuer Sankara.
Tant de contradictions qui révèlent la difficulté d’assumer la responsabi-
lité des actes qu’on a posés sans motif sérieux, outre le fait de vouloir
assouvir des ambitions personnelles et viles longtemps contenues.
583- Il n’est pas difficile de comprendre que pour Blaise Compaoré il
n’a jamais été question d’arrêter simplement Sankara. Comme l’a écrit
CT. Gadio, « Qui mieux que Blaise savait que Sankara resterait fidèle
au slogan “la patrie ou la mort” 77 ; Les deux se connaissaient à tel
point que Sankara avait eu à déclarer : « Ce que je sais, Blaise le sait ; et
ce qu'il sait, je le sais. » À un journaliste de la Télévision suisse romane
(T-S.R.) il avait déclaré : « Le jour où vous apprendrez que Blaise pré-
pare un coup d ‘État contre moi, ce ne sera pas la peine de chercher à
vous y opposer ou même de me prévenir. Cela voudra dire qu'il est trop
tard et que ce sera imparable. Il connaît tant de choses sur moi que per-
sonne ne pourrait me protéger contre lui, s'il voulait m'attaquer. Il a
contre moi des armes que vous ignorez #4 » Blaise Compaoré qui con-
naissait si bien Sankara savait qu’on ne pouvait pas se contenter de le
renverser et de l’emprisonner. À ce sujet, Le Lion du Bulkiemde, Boukary
Kaboré dira : « S'il avait été vivant, je crois que j'aurais tué tout le
monde pour le sauver et ça aurait été ma mission, Mais comme il était
déjà mort, j'ai préféré arrêter®. » CT. Gadio écrit : « La réaction du
peuple burkinabè traumatisé, les marches vers la tombe de Sankara, en

7 Cheikh Tidiane Gadio, “La patrie ou la mort, Sankara vaincra ….”, Sud Magazine, n°
8, Dakar, p. 11.
7# Cf. Jeune Afrique, n° 1399, Paris, 28 octobre 1987, p. 38.
75 Cf. Le Pays, n° 3970, Ouagadougou, 8 octobre 2007, p. 4.
379
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

dépit du déploiement des forces dans la rue, n'est-ce pas là une preuve
que Sankara vivant et en prison, serait vite libéré par tous ceux qui ne
connaissent, ni ne partagent les vues du fameux Front Populaire"
Compaoré, comme ses partisans, connaissait la dimension de Sankara. ls
savaient tous qu’aucun groupe politique ne pouvait entraver sa marche et
qu'aucune prison au Burkina ne pouvait le contenir. La seule façon de
réaliser leurs ambitions était de le tuer.
584- En se débattant pour justifier leur putsch, Compaoré et ses parti-
sans tentèrent de faire croire que ce dernier n'avait pas été guidé par la
recherche du pouvoir. Comme argument de poids, ils prétendirent, citant
la participation de Compaoré au coup d'État du 7 novembre 1982 et à la
victoire de la Révolution le 4 août 1983, que plusieurs fois celui-ci avait
eu l’occasion de prendre le pouvoir avant la 15 octobre 1987 mais qu’il
avait préféré chaque fois y renoncer. Il y a là des confusions savamment
concoctées pour berner les esprits naïfs. Il est vrai que Compaoré avait
participé au coup d’État du 7 novembre 1982 qui a renversé le
C.MR-P.N. du colonel Saye Zerbo. Mais, il est loin d’en avoir été
l’acteur principal. Il n’y à joué qu’un rôle très secondaire. Les vrais ac-
teurs étaient de jeunes officiers et des sous-officiers qui, en vertu de leur
admiration pour Sankara, comptaient sur lui pour prendre les rênes du
pouvoir. À l'issue donc de ce coup d’État, Compaoré n’avait aucun
moyen d’accéder au pouvoir, d'autant plus qu’à cette époque, le com-
mandement du C.N.E.C. lui avait déjà été retiré au profit du lieutenant
Sambo Boéna. En outre, il avait été muté à Bobo-Dioulasso et il ne dis-
posait plus directement de troupes. Jean-Baptiste Ouédraogo qui fut alors
élu président précise que c’est Sankara qui était leur leader et qui avait
été désigné comme chef de l’État. Mais il refusa au motif qu’il fallait un
officier qui pût avoir beaucoup d’autorité pour restaurer la cohésion et
lPunité de l’armée. Il ajoute : « … juste après le 4 août, on a entendu dire
que Thomas n'a eu aucune responsabilité dans tel ou tel événement. Je
dis que c'est totalement faux. C'est bien lui qui nous encadrait, prépa-
raït, mais malheureusement après a refusé d'assumer les responsabili-
tés’ 7,» En revanche, Compaoré a joué un rôle plus important pour

CT. Gadio, op cit.


X 777 Cf. L’Indépendant, n° 179, Ouagadougou, 14 janvier 1997, p.9. % 4
380 ;
D
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

l’avènement de la Révolution. Mais, ce que lui et ses partisans veulent


faire oublier, c’est que celui qui avait fait placer Compaoré à la tête des
commandos de P6, c’est Sankara. Celui qui avait animé et entretenu la
ferveur révolutionnaire, c’est Sankara. Celui qui avait permis la collabo-
ration entre les militaires et les différents mouvements progressistes,
c'est Sankara. Celui qui avait rendu la révolution envisageable et pos-
sible, c’est encore Sankara. Celui pour qui les populations se mobilisaient
contre le régime de Jean-Baptiste Ouédraogo, c’est toujours Sankara.
L'intervention décisive du colonel Kadhafi qui a contribué à la victoire
du 4 août 1983 s’est faite au nom de Sankara.
585- Sur l'avènement de la Révolution, LH. Traoré écrit : « … certains
civils ont rejoint le camp de P6. Lequel camp, faut-il le rappeler, était
d'abord sous les ordres de Thomas Sankara qui a proposé sa création,
l’a dirigé pendant des années avant de le céder à Blaise Compaoré. C'est
fort de la confiance que la population de P6 et les militaires du C.N.E.C.
plaçaient en Thomas Sankara que ces derniers ont également donné
toute leur confiance à Blaise Compaoré, le plus que frère de Thomas
Sankara"? » Étienne Traoré qui était membre de la direction de l’U.C.B.
et qui, dès les tout premiers jours qui ont suivi l’assassinat du président
du C.NR,, était devenu un homme de confiance de Blaise Compaoré et
un responsable éminent du Front populaire, dit au sujet de Sankara
1 « C'était aussi, chacun le sait, un homme très charismatique au point
que si l'on n'avait pas mis en avant le nom “Thomas Sankara”, aucun
civil, aucun militaire n'aurait défié le C.S.P.2 en lui résistant à P6 ; au-
cun civil, aucun militaire n'aurait accgpté de quitter P6 pour venir pro-
clamer la révolution à Ouagadougou"?. » Pour Boukary Kaboré dit Le
Lion du Bulkiemde, « Dans la préparation du 4 août 1983, nous tenions
des réunions, certes clandestines, pendant lesquelles nous étions tous
unanimes pour désigner Sankara à la tête du pouvoir", » Pourtant San-
kara lui-même ne revendiquait pas le poste de président. Selon Abdou

PE Issaka Herman Traoré, “Comme dans la Sourate Al-Ma'idak”, L'Observateur Paal-


ge n° 6998, Ouagadougou, 25 octobre 2007, p. 11.
# C£ L'Observateur Paalga, n° 7002, Ouagadougou, 31 octobre-1” novembre 2007, p. 9.
7% Cf. Libérateur, n° 42, Ouagadougou, 20 octobre-4 novembre 2007, p. 9.
381
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Salam Kaboré, son poste de prédilection était les Affaires étran, sères.
Mais il a été contraint d’accepter la fonction suprême de chef d° État”

586- Quand Compaoré, après les événements du 17 mai 1983, réussit à


rejoindre la garnison de P6, il trouva le dispositif de résistance déjà en
place sous le commandement du sous-officier Tibo Ouédraogo qui avait
déjà été informé de la situation par Valère Somé. Compaoré n’a donc fait
qu’accompagner le mouvement en en prenant la tête en tant que com-
mandant en titre de la garnison. Compaoré était devenu célèbre parce
qu’il servait la cause que proposait et défendait Sankara qui incarnait
l'espoir pour les populations. À l'avènement de la Révolution en août
1983, mieux que quiconque, Compaoré savait que même s’il le voulait, it
ne pouvait pas s'imposer comme chef d’État. V. Somé rapporte d’ailleurs
qu'avant le 4 août 1983, lors d’une mission que les deux effectuaient
ensemble, Blaise Compaoré avait confié à Vincent Sigué : «Si nous
réussissons le coup, je serai le président tandis que Thomas conservera
le poste de Premier ministre. » Sigué aurait rapporté ces propos à Sanka-
ra qui tint à clarifier les choses avec les trois autres futurs chefs histo-
riques de la Révolution. De là daterait l’inimitié que Compaoré nourris-
sait contre Vincent Sigué”?,
587- En octobre 2007, les partis sankaristes organisaient la commémo-
ration du XX° anniversaire de l’assassinat de Sankara. Dans le but de
banaliser et de noyer les manifestations des sankaristes, Blaise Compaoré
et ses partisans organisèrent aussi en grande pompe ce qu’ils ont appelé
les “20 ans de renaissance démocratique avec Blaise Compaoré”. Sur le
régime dit démocratique de Blaise Compaoré, le Journal du Jeudi
écrit : « Avec l'ouverture démocratique apparente, sous le régime de
Blaise Compaoré, on a ouvert les chantiers de l'affairisme, de la corrup-
tion, du népotisme, des détournements et surtout de la monarchisation.
Des mots et des maux d'une telle ampleur jadis inconnus. Une nouvelle
race d'opérateurs économiques et de commerçants naît et s'épanouit à la
vitesse grand V. Ces nouveaux riches, il faut les chercher dans le cercle
présidentiel dans l'Armée et parmi les “parents” de certains grands

1 Cf. Le Pays, n° 3728, Ouagadougou, 13 octobre 2006, p. 13.


72 Cf. V. Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit., p. 14-15.
382
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

commis de l'État. S'y sont greffés de petits fonctionnaires qui ont brouté
là où ils étaient attachés. » Mettant bout à bout les diférents programmes
de Blaise Compaoré en fonction de ses différentes campagnes électo-
rales, le journal poursuit : « Après 24 ans de programmes de large ras-
semblement pour le développement et la démocratie, pour un développe-
ment solidaire, de progrès continu pour une société d'espérance, pour un
Burkina émergent mis bout à bout, le Burkina n'avance pas. Il arrive à
peine à se démerder debout. On a pensé qu'un Cadre stratégique de lutte
contre la pauvreté allait résoudre l'affaire. Rien. Ou plutôt la croissance
est là mais la ménagère fait toujours son marché avec un sachet de 10F. X;
La Stratégie de croissance accélérée pour un développement en vogue
n'y parviendra pas non plus si la bonne gouvernance n'est pas, ges les
comportements et la politique hors de l'Administration publique?
588- À l’occasion donc de la célébration des “20 ans de renaissance
démocratique avec Blaise Compaoré”, un de ses partisans lui demanda
pourquoi il n’a pas gardé le pouvoir le 4 août 1983. Compaoré répondit
sèchement : « Ça a êté décidé ainsi. » I] déclarera par ailleurs : « Mais
pour ce qui est de la pr résidence, c'était arrêté depuis que c'est Thomas
Sankara qui serait à la tête, » Dans le discours qu’il a prononcé le 19
octobre 1987 pour tenter de justifier son forfait, Compaoré reconnaissait
déjà à son corps défendant qu’à l’avènement de la Révolution « Thomas
Sankara qui … semblait incarner à nos yeux les aspirations de notre
peuple fut choisi. » Point n’est besoin d’être grand clerc pour com-
prendre que Blaise Compaoré a été contraint de se soumettre à une force
supérieure. Au demeurant, d’aucuns prétendent que si Compaoré avait pu
être chef d’État dès le 4 août 1983, compte tenu des limites qui lui sont
propres, il n°y aurait tout simplement pas eu de révolution ou alors, dans
le meilleur des cas, elle aurait été sans contenu et très éphémère”?
B) LES VRAIS MOBILES DE L’ASSASSINAT DE SANKARA )
M

73 Journal du Jeudi, n° 1028, Ouagadougou, 1-8 juin 2011, p. 3.


7% Cf. Le Pays, n° 3979, Ouagadougou, 22 octobre 2007, p.35.
7% Cf. L'Observateur Paalga, n° 6995, Ouagadougou, 22 octobre 2007, p. 7.
76 Cf. Carrefour africain n° 1008 & 1009, Ouagadougou, 23 octobre 1987, p. 7.
797 Cf. L'Indépendant, n° 206, Ouagadougou,
5 août 1997, p. 10-11.
383
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

589- Avant le 15 octobre 1987, plusieurs tentatives d’assassinat de


Sankara avaient été planifiées puis reportées pour des raisons
d’opportunité. L’une d'elles était prévue pour se dérouler pendant les
cérémonies du 4 août 1987 à Bobo-D'ioulasso. Sous prétexte d’assurer la
sécurité des manifestations, Blaise Compaoré y avait fait transporter
beaucoup de soldats de Pô. Flairant un piège, Sankara fit suivre les
hommes de Pô par ceux du Bataillon d’intervention aéroporté (B.L.A.) de
Koudougou du capitaine Boukary Kaboré. La tentative échoua. Le 2 oc-
tobre 1987 à Tenkodogo, lors de la célébration du quatrième anniversaire
du Discours d’orientation politique (D.O.P.), un projet d’assassinat avait
encore été élaboré mais abandonné une fois sur le terrain parce que les
circonstances ne s’y prétaient pas. De même est-il question d’un autre
projet qui était prévu pour le samedi 10 octobre 1987 lors de la soirée de
clôture du Forum anti-apartheid qui s’était ouvert à Ouagadougou le 8
octobre en présence du fils de Che Guevara. Une autre tentative avait été
ourdie pour se dérouler peu avant le 15 octobre à Kaya lors d’une mani-
festation. Informé à temps, Sankara s’abstint d’y aller, Cette liste est
loin d’être exhaustive.
Un certain nombre d’États et de personnages sont mis en cause dans le
massacre du 15 octobre 1987. Plusieurs causes aussi y ont sans doute
contribué. On peut essayer de distinguer les causes indirectes (1) des
causes directes (2).
1- Les causes indirectes
Parmi les causes indirectes il y a les causes externes (a) et les causes in-
ternes (b}.
a) Les causes indirectes externes
590- La domination politique et surtout économique de la planète par
le monde capitaliste a introduit de façon prématurée des valeurs capita-
listes dans la conscience et le subconscient des Burkinabè. Même à
l’époque de la division du monde en deux blocs, les États alors dits “so
cialistes” d’Europe étaient influencés et perturbés dans leur évolution par
des valeurs capitalistes. Au Burkina, la domination généralisée du mo-
dèle occidental et capitaliste de société qui affecte insidieusement tout le

F8 CE V. Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit., 33-34.


384
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

système social a entraîné une aliénation de pratiquement toutes les


couches sociales, suscitant toutes formes de résistances à toute tentative
de remise en cause de la façon d’être et de vivre à l’occidentale. Ainsi,
pour Abdou Salam Kaboré, l'expérience révolutionnaire a été arrêtée
parce que « Les intellectuels africains aiment bien l'aura qui se rattache
au mot révolution mais ne sont pas prêts à accepter ses exigences” 9.»
b) Les causes indirectes internes
Les pesanteurs sociales (b-1), le rôle de l'Église catholique (b-2), l’action des
opportunistes (b-3) et la naïveté de Sankara (b-4) font partie de ces causes.
b-1) Les pesanteurs sociales dy X |
591- L’analphabétisme, la nature conservatrice et attentiste des paysans
et leur manque de poids politique effectif ne pouvaient en rien faire obs-
tacle à l’hostilité déclarée d’une partie des agents de l’État, des salariés et
des opérateurs économiques. Sankara n’était pas encore parvenu à intro-
duire la paysannerie et les couches populaires des villes dans les ins-
tances dirigeantes du C.N.R. et de l’État. Ainsi, pendant tout le cours de
la Révolution, la paysannerie et le prolétariat des villes - c’est-à-dire la
grande majorité de la population - n’auront fait, toute proportion gardée,
que de la figuration dans la direction du régime.
b-2) Le rôle de l'Église catholique
592- Il convient de souligner aussi l’opposition discrète de l'Église
catholique. On ne peut pas dire que Sankara fut anticlérical. Il était né de
parents chrétiens et il l’était lui-même. Alors qu’il était déjà chef de
l'État, Son épouse Mariam a été baptisée à Pâques en 1984 avec Thérèse
comme prénom chrétien. Les Sankara lisaient souvent en famille des pas-
sages de la Bible. Sankara lui-même lisait parfois aussi le Coran. Mais le
président du C.N.R. était contre une certaine lecture des écritures saintes
qui encourage la résignation et la collaboration des opprimés avec leurs
oppresseurs. Dans son discours de Bobo-Dioulasso du 11 février 1984 il
avertissait : « On nous a dit que nous sommes contre telle ou telle reli-
gion, nous disons non ! Nous invitons seulement chacun à prendre ses res-
ponsabilités vis-à-vis du peuple, à ne pas tromper le peuple, à ne pas

7 Cf. Le Pays, n° 3728, Ouagadougou, 13 octobre 2006, p. 14.


385
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autogentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

l'endormir. C'est pourquoi, pour la réalisation du barrage du Sourou, nous


inviterons également l’église catholique à désigner ses membres pour aller
creuser. Nous invitons également les musulmans de Haute-Volta à désigner
les membres des bureaux des communautés musulmanes pour aller creuser.
Nous en ferons de même pour les protestants et toutes les autres religions
parce que nous ne sommes contre aucune religion. Nous disons, celui qui
refusera à ce moment d'aller creuser le barrage du Sourou, il est contre le
peuple. À ce moment qu'il ne dise pas que nous sommes contre sa religion,
mais qu'il reconnaisse simplement que le peuple fera justice, c'est tout. »
Une telle attitude n’était pas pour plaire aux milieux religieux traditionnels
habitués à donner des instructions au nom de leur religion et à se faire servir,
obéir et respecter plutôt qu’à écouter et servir le peuple en toute humilité.
593- L’appartenance à une religion, quelle qu’elle soit, dépend avant
tout de la conversion du cœur ; ce qui exige de l’humilité qui est loin
d’être le point fort de la plupart des adeptes et des grands prêtres des reli-
gions. Or, la Révolution remettait en cause des systèmes de valeur
jusque-là établis dans le pays. Elle remettait en cause les privilèges mo-
raux et matériels de l’Église catholique qui était de loin la religion la plus
influente. Parfois, dans les petites villes et dans les villages, les prêtres et
les catéchistes étaient les seuls à savoir lire et écrire et à être à proximité
des populations. De ce fait, ils jouissaient d’un certain prestige et avaient
leur confiance. Conscients de cela, beaucoup ne se privaient pas, au dé-
tour d’une conversation, de faire comprendre à leurs fidèles que ce qu'il
fallait pour le Burkina n’était pas la Révolution qui selon eux, allait
contre l'esprit de la Ro convient cependant de ne pas perdre de vue
le fait que beaucoup de fidèles et de membres du clergé, parfois dans
l'anonymat, toujours dans la simplicité, ont toujours été proches des
préoccupations des populations,et l'Église catholique a toujours contri-
bué de manière significative à des projets de développement économique
et social au Burkina dès le début de la pénétration coloniale. C’est elle
qui a été à l’origine des premiers établissements d’enseignement, des
cantines scolaires, des centres de formation professionnelle et des centres
de santé. Entre autres, elle a contribué à la réalisation de nombreux bar-
rages et retenues d’eau et à l'amélioration des techniques culturales.
b-3) L’action des opportunistes
386
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBÈLA

594- Ceux qui avaient pris le train de la Révolution en cours de route


comme les militants de l’U.C.B., du G.C.B. et des officiers de l’armée,-
avaient tactiquement choisi de voler au secours de la victoire. Par des
manœuvres et des intrigues dont seuls les arrivistes ont l’art et le secret,
ils avaient réussi à évincer ou à marginaliser les artisans de la Révolution
et à prendre le contrôle des instances dirigeantes. Venus pour les hon-
neurs et les fastes du pouvoir 740 ils ignoraient tout des rigueurs des sacri-
fices consentis pour l” avènement de la Révolution et de ceux à consentir
pour la préserver. La Rigueur du train de vie de l’ État instaurée par San-
kara et le rythme des transformations avaient vite fait de les décourager.
Essoufflés et sans perspectives dans la Révolution, leur seule issue était
dans l'arrêt de la Révolution. Ce que Sankara n’aurait jamais accepté, du
moins à l’époque. Dès lors, tout était bon pour eux pour aboutir à
Pélimination de Sankara. C’est alors que, pour essayer de justifier leur
position logiquement indéfendable, ils seront à l’origine des interpréta-
tions des plus grotesques des écrits de Marx et de Lénine. De même ils
feront cireuler des tracts des plus orduriers contre Sankara dans le but de
porter atteinte à l’aura et à la crédibilité dont il jouissait à juste titre.
Beaucoup tombèrent dans leur piège.
b-4) La naïveté de Sankara
595- Le romantisme et la naïveté de Sankara ne lui ont pas toujours
permis d’établir, dans ses rapports avec les autres, une barrière entre
d’une part la politique et les affaires de l” État, d’autre part les relations
strictement privées. Blaise Compaoré par exemple qui était le deuxième
personnage du régime avait accès à tout moment au bureau et au domi-
cile de Sankara. Il avait tendance à surestimer les capacités de change-
ment et de transformation des hommes. 11 a souvent pensé que tous les
hommes étaient, ou pouvaient être comme lui ; qu’ils pouvaient se laisser
convaincre par des causes justes ou reconnues d’utilité publique. Il n’a
pas compris à temps qu’envers et contre tout, bien que conscients de la
réalité et de la vérité, certains choisiront toujours de servir le mensonge

#9 Fidèle Toé, qui fut ministre du Travail et de la Fonction publique, explique que
même des membres du C.NR., à l’insu de Sankara, aménageaient et exigeaient des
faveurs pour leurs parents ou leurs proches. Cf. L'Ouragan, n° 259, Orodara, 22 août
2012, p. 7.
387
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

pour aboutir à leurs fins. Ce trait de son caractère qui relève de la naïveté
l’a conduit à commettre, dans son comportement et dans le choix de son
entourage,
des erreurs qui se sont révélées fatales.

596- Depuis 1975, de jeunes officiers regroupés au sein du Roc (cf. n°


211),-préparaient ce qui allait devenir la Révolution burkinabè. ls étaient
pour la plupart issus du Prytanée militaire du Kadiogo (P.M.K.)“! qui est
Si

une école militaire préparatoire de la classe de sixième à la classe termi-


X nale. Après l'obtention du Baccalauréat, ceux qui le souhaitent et/ou qui
sont retenus par la hiérarchie, poursuivent leur formation militaire dans
des écoles d’officiers. Les autres retournent à la vie civile. Sankara par
exemple voulait retourner à la vie civile et ne souhaitait pas poursuivre la
formation militaire après son baccalauréat, C’est la hiérarchie qui l’y a
contraint. Ce qui avait suscité en lui une colère indescriptible. Il avait
alors passé toute la journée à protester dans la cour du P.M.K. Comme
quoi le destin a parfois des raisons qui lui sont propres. Sankara ira ainsi
faire sa formation d’officier à Antsirabé à Madagascar de 1969 à 1971.
597- Blaise Compaoré n’est pas passé par le P.M.K. Il a rejoint direc-
tement l’académie militaire de Yaoundé au Cameroun après le baccalau-
réat. Il ne faisait donc pas partie du petit cercle d’officiers qui se retrou-
vaient, autour de règles déterminées, pour discuter des projets d’avenir
pour le pays. C’est en 1978, lors d’un stage de formation au Maroc, que
Sankara y aurait rencontré Blaise Compaoré. Sankara aurait été tellement
satisfait de ses entretiens avec Compaoré qu’au retour au Burkina il
l’imposa au Roc sans que celui-ci passât par les étapes nécessaires pré-
vues pour en faire partie. Une erreur qui allait par la suite lui être fatale.

FUI a été créé en 1951 par l’armée française et s'appelait École des enfants de troupe
de Ouagadougou puis École militaire préparatoire africaine de Ouagadougou. Son ob-
jectif était de scolariser les enfants des militaires et anciens militaires de l’armée colo-
niale et pallier ainsi l’absence souvent prolongée de leur père. En 1963 l’établissement
fut ouvert à tous les enfants pour une formation aux carrières militaires et civiles. C’est
en 1969 que l'établissement prit le nom de Prytanée militaire de Kadiogo (P.M.K.) En
1985, sous la Révolution, il est dissous pour rouvrir en 1992 sur son site actuel à Kam-
boinsé à 15 km environ au nord de Ouagadougou. Son ancien site est actuellement oc-
cupé par un établissement d’enseignement secondaire classique : te lycée Marien
Ngouabi, du nom d’un ancien président du Congo Brazzaville.
388
Œ
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentté
ApollinaireJ. KVÉLEM de TAMBËLA

L’hebdomadaire satirique Journal du Jeudi a pu ainsi écrire que


«L'homme qui aura le plus œuvré à faire de Blaise ce qu'il est au-
jourd'hui est indéniablement Thomas Sankara, son alter ego. C'est Thom
Sank qui lui a servi de phares et, pendant longtemps, Compaoré a profité
de ses lumières» Le 3 octobre 1987, lors d’une réunion de
l'Organisation militaire révolutionnaire (O.M.R.}), Compaoré est mis en
minorité et contraint d'abandonner son rang de deuxième personnage du
régime. Sankara intervint au secours de Compaoré qui fut réhabilité. En-
core une grossière erreur. Une douzaine de jours après il tombait sous les
balles des hommes de Compaoré. Sankara avait été mis au courant des
projets funestes de Compaoré mais il se refusait à l’admettre arguant que
Compaoré qu’il avait pris sous son aile n’oserait pas attenter à sa vie et
que lui s’il attentait à la vie de Compaoré, il ne saurait pas comment
l'expliquer au peuple.
2- les causes directes
Il convient de distinguer les causes directes d’origine externe (a) des
causes directes d’origine interne (b).
a) Les causes directes externes
Des gouvernements et des éléments étrangers ont sans doute contribué à
la chute du C.N.R. Il s’agit de la Libye (a-1}, de la France (a-2), de la
Côte d’Ivoire (a-3) et des rebelles libériens (a-4).
a-1) Le rôle de la Libye
598- Un certain nombre de pays sont mis en cause dans l’assassinat de
Thomas Sankara. La Libye du colonel Kadhafi a ainsi été mise à l’index
par Georges Bush père, alors vice-président de Ronald Reagan, président
des États-Unis. Les relations entre Sankara et Kadhafi n’étaient pas tou-
jours sans nuage. Kadhafi avait une malheureuse tendance à exiger tou-
jours de ses partenaires, surtout quand ils étaient plus pauvres, une sou-
mission totale. Ce que le caractère libre et indépendant de Sankara ne
permettait pas. À plusieurs reprises Sankara avait manifesté son hostilité
à la politique de Kadhafi au Tchad dont il occupait le nord du territoire.
Sankara avait aussi poliment refusé la proposition de Kadhafi le nom-

#2 Journal du Jeudi, n° 307, Ouagadougou, 7-13 août 1997, p. 9.


389
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autoceniré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBËLA

mant au grade de colonel et celle visant à proclamer, comme en Libye,


une “Djamahiriva” au Burkina. Il n’est donc pas exclu que Kadhafi ait
voulu avoir un partenaire plus docile au Burkina. Après l’assassinat de
Sankara et malgré la fermeture de l’espace aérien, le premier avion à at-
terrir à Ouagadougou était libyen et ce, dès le soir du 16 octabre 1987.
a-2) Le rôle de la France
599. Il ne fait pas de doute que le gouvernement français souhaitait
également avoir un partenaire plus conciliant au Burkina. On se souvient
du discours prononcé par Sankara lors de la visite au Burkina du prési- .
Y dent français François Mitterrand en novembre 1986 (cf. n° 46.
D’aucuns estiment que c’est ce jour-là que le sort de Sankara fut définiti-
vement scellé. Non seulement Mitterrand, mais aussi son entourage était
furieux des propos non convenus de Sankara. Non seulement la Révolu-
tion burkinabè constituait un mauvais précédent, non seulement Sankara
se montrait peu accommodant dans ses relations avec la France, mais
encore il venait de faire preuve de son impertinence. Il n’y avait décidé-
ment pas d’espoir de changement de sa part. Un mois plus tard, soit en
décembre 1986, Mitterrand aurait donné son accord pour que Sankara fût
chassé du pouvoir?
a-3) Le rôle de la Côte d’Ivoire
600- Le premier président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, tombait
d’admiration devant les raffinements de la langue française. Quant au
président ivoirien, Houphouët-Boigny, il ne cachait pas son admiration
pour la France. On se rappelle que c’est à regret qu’il avait dû se résoudre
à accepter l’“indépendance” de son pays. Depuis, il ne manquait pas
d’occasion pour exprimer son allégeance à la France. Le gouvernement
français ayant pris la décision d’écarter Sankara du pouvoir, le soin fut
laissé à Houphouët-Boigny de la mettre à exécution. Il n’eut pas beau-
coup de difficulté à le faire, car l’homme de confiance de Sankara était

#3 Cf. -AfriquÉducation, n° 231-232, Paris, 1*-31 juillet 2007, p. 32. -L’Indépendant,


n° 737, Ouagadougou, 23 octobre 2007, p. 2.
Certains, en revanche, contestent l’implication de la France dans le coup
d’État, arguant que la France n'y avait aucun intérêt. C’est le cas de Frédéric Guirma.
À Cf. Le Pays, n° 6017, Ouagadougou, 14 janvier 2016, p. 10-11.
#4:24390 © 42
s Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

sous son influence. En 1985 Blaise Compaoré avait en effet, sous


l’instigation et avec la bénédiction des services secrets ivoiriens, épousé
Chantal Terrasson de Fougère qui faisait partie du protocole d’État de la
Côte d’Ivoire et qui aurait des liens avec la région d’origine de Hou-
phouët-Boigny. Avec Chantal, Houphouët n’avait plus de difficulté à
transmettre ses intentions à Compaoré, lequel ne pouvait pratiquement
rien lui refuser, ayant commencé à ployer sous le poids de ses cadeaux”.
Il ne restait plus qu’à planifier les choses.
a-4) Le rôle des rebelles libériens
601- Pour la réalisation de ses ambitions, Blaise Compaoré voulut
s’assurer de toutes les garanties nécessaires de succès. Pour renforcer ses
troupes et parer à d'éventuelles défections, il eut recours à des rebelles
libériens. À cette époque, Samuel Doe était président du Liberia. Son
pouvoir était contesté par un groupe de rebelles qui étaient en train de se
structurer. Le président ivoirien Houphouët-Boigny avait aussi quelque
chose à reprocher à Samuel Doe. Le président libérien William Tolbert
que le sergent-chef Samuel K. Doe avait renversé et exécuté en 1980 était
un ami de Houphouët-Boigny. Tolbert lui avait, semble-t-il, donné des
champs de plantation au Liberia. En 1985, le général Thomas Quiwonkpa
tente un coup d’État éontre Doe ; la tentative échoue et la répression est
féroce. Adolphus Tolbert, fils de l’ancien président, faisait partie des con-
jurés. I1 est aussi exécuté. Pourtant il avait réussi à se réfugier à
l'ambassade de France et Houphouët-Boigny croyait pouvoir négocier
pour qu'il eût la vie sauve. Il était non seulement le fils de l'ami
d’Houphouët, mais aussi son beau-fils, car Adolphus avait épousé Dési-
rée Delafosse, une filleule de Houphouët.
602- Charles Taylor, le chef du groupe de rebelles libériens, était déjà
fréquent au Burkina. Mais, Sankara s’opposait à ce que le Burkina servit
de base pour leurs opérations contre le gouvernement de Samuel Doe.
Saisissant cette opportunité, Blaise Compaoré leur proposa un marché :
l'aider à se débarrasser de Sankara pour bénéficier en contrepartie de son

4 Cf -B,. Jaffré, Biographie de Thomas Sankara, op. cit., p. 197-198. -L'Indépendant,


n° 373, Ouagadougou, 31 octobre 2000, p. 5. -AfriquÉducation, n° 230, Paris, 16-30
juin 2007, p. 27-29.
391
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J KYÉLEM de TAMBËLA

soutien à leur entreprise. Houphouët-Boigny leur apporta aussi volontiers


son soutien, car pour lui, cela lui permettait de se débarrasser à la fois de
Samuel Doe et de Thomas Sankara. Dans des déclarations fracassantes,
Prince Yormie Johnson qui était à l’époque un des fidèles lieutenants de
Charles Taylor a confirmé leur participation au coup d'État sanglant du
15 octobre 1987. Bien avant Prince Johnson, le général John S. Tar-
nue, ancien commandant des Forces armées du Liberia" et d’autres
sources? avaient déjà souligné la complicité entre Blaise Compaoré et
les rebelles libériens dans l’assassinat de Thomas Sankara. Des Togolais
auraient aussi participé au renversement de Sankara’.
b) Les causes directes internes
Un certain nombre d’éléments ont déterminé le passage à l’acte (b-5).
Parmi ces éléments, il y a la jalousie (b-1), la cupidité et l'ambition (b-2),
la création de la Commission du peuple chargée de la prévention de la
corruption {b-3) et l’effritement progressif de l’influence de Blaise Com-
paoré (b-4). Des observations aussi semblent nécessaires (b-6).
b-1} La jalousie
603- Les hommes étant ce qu'ils sont, la jalousie a été pour quelque
chose dans l’assassinat de Sankara. Parmi les quatre chefs historiques de
la Révolution, Sankara se détachait, et de loin, des autres. Achille Tapso-
ba, un des principaux cadres dirigeants du parti de Blaise Compaoré re-
connaît que Sankara « avaif une capacité de réaction et d'intégration des
phénomènes assez rapide ; il était d'une éloquence remarquable ; il était
d’une audace qui frisait souvent l'aventure mais il l'assumait avec cou-

#5 Cf. -San Finna, n° 478, Ouagadougou, 1°”-7 septembre 2008, p. 2. -L'Observateur


Paalga, n° 7209, Ouagadougou, 2 septembre 2008, p. 8. -L’Indépendant, n° 783, Oua-
gadougou, 9 septembre 2008, p. 7. -Afrique magazine, n° 277, Paris, octobre 2008, p.
13. -Bendré, n° 517, Ouagadougou, 13 octobre 2008, p. 6-7. -Libérateur, n° 66, Ouaga-
dougou, 20 octobre-9 novembre 2008, p. 8-9. -Jeune Afrique, n° 2495, Paris, 2-8 no-
vembre 2008. -Bendré, n° 520, Ouagadougou, 3 novembre 2008, p. 6-7. -L'événement,
n° 151, Ouagadougou 10 novembre 2008, p. 8-9.
76 Cf Bendré, n° 517, Ouagadougou, 13 octobre 2008, p. 7.
47 Cf. -Bendré, n° 520, Ouagadougou, 3 novembre 2008, p. 7. -L'événement, n° 151,
Ouagadougou, 10 novembre 2008, p. 9.
8 Cf. Bendré, n° 520, Ouagadougou, 3 novembre 2008, p. 7.
392
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

rage. » Boukary Kaboré dit qu’ « {{ disait sèchement la vérité et était à


l'aise. Les plus beaux souvenirs que je garde de Thomas Sankara, c'est
lorsqu'il devait représenter noire pays à des rencontres internationales.
On était alors très fier d’être Burkinabè. Thomas était disert. I n'avait
jamais de discours écrit, mais cela ne l'empêchait pas d'être méthodique
et très cohérent dans ses propos. Il était particulièrement persuasif" y
Les pouvoirs importants et le prestige dont jouissaient les trois autres
chefs historiques semblent n’avoir pas suffi à combler leurs frustrations.
Pendant les mois qui ont suivi la mort de Sankara, les déclarations des
nouveaux dirigeants et les écrits de leurs journalistes de service avaient
du mal à cacher une jalousie aiguë qui avait conduit à la haine. Faisant
allusion à Sankara, Blaise Compaoré déclarait dans un meeting le 10 jan-
vier 1988 que « les masses, aujourd'hui comme demain, vont démontrer
qu'elles n’ont besoin ni de tribun, ni de César dans leurs luttes contre
leurs ennemis”! » Dans le même temps, le quotidien gouvernemental
Sidwaya écrivait que «L'on ne saurai lier la luite d’un peuple à l’action
d'un seul homme"? » Quant à l’hebdomadaire gouvernemental Carre-
four africain il écrivait : «en 1987, le spécialiste “Jeune Afrique” du
Burkina, Senten Andriamirado publia son “Sankara le Rebelle” un véri-
table discours laudatif à l'endroit du Président du C.N.R. et du Faso au
détriment d’une analyse claire, cohérente et dialectique de la Révolution
Burkinabè. En somme une publication dont le souci aura été de soigner
l'image de marque de Thomas Sankara ces deux dernières années en lieu
et place de la critique des mots d'ordre lancés par le C.N.R. et plus exac-
tement par son président”. » L’hebdomadaire Jeune Afrique a ainsi pu
écrire que le drame du 15 octobre 1987 a été provoqué par une jalousie
maladive suscitée par le succès médiatique et la prééminence de Thomas
Sankara ; jalousie qui avait provoqué des rancœurs et exacerbé les con-
tradictions**, Le quotidien indépendant The Vanguard du Nigeria a aussi
mentionné que « Blaise Compaoré n'a encore convaincu personne que

# Cf. L'Observateur Paalga, n° 6985, Ouagadougou, 5-7 octobre 2007, p. 9.


750 Cf. Le pays, n° 3970, Ouagadougou, 8 octobre 2007, p. 40.
751 Cf. Sidwaya, n° 938, Ouagadougou, 12 janvier 1988, p. 3.
72 C£. Sidwaya, n° 938, op. cit. p. 4.
15 Cf. Carrefour africain, n° 1012, Ouagadougou, 13 novembre 1987, p. 14.
75 Cf. Jeune Afrique, n° 1417, Paris, 2 mars 1988, p. 25.
393
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

des considérations plus nobles que la vile gupiaté l'ambition et une ja-
lousie mesquine ont inspiré son coup d État

b-2) La cupidité et l’ambition

604- La cupidité et l'ambition ont également leur place dans


l'assassinat de Sankara. Plus que tout autre, ces facteurs ont, depuis le
début, miné la Révolution pour culminer dans la période précédant le 15
octobre 1987. Diderot avait prévenu : « Discourez tant qu'il vous plaira
sur la meilleure forme de gouvernement, vous n'aurez rien fait tant se
vous n'aurez point détruit les germes de la cupidité et de l'ambition”*
Le goût de Blaise Compaoré pour le luxe, la luxure et les mets fins n’était
pas un secret ; ce qui contrastait avec le train de vie très austère de San-
kara. V. Somé rapporte ces propos de Sankara : « J'ai toujours pensé que
Blaise et moi avions la même foi en la Révolution. Je me suis longtemps
trompé. Nous avons été entraînés par le même élan à la Révolution, mais
il ne souhaitait pas la Révolution, il voulait seulement jouir ef bénéficier
des signes extérieurs du pouvoir. Il en est de même pour la Plapare de mes
compagnons militaires. J'ai compris cette vérité trop tardivement”. » Le
président du C.N.R. avait aussi remarqué que, depuis le départ du P.A.I.-
LIPA.D. et la marginalisation de l’U.L.C.-R., les nouveaux arrivants, au
lieu de servir le peuple, avaient plutôt tendance à se servir. Des personnalités
du régime qui avaient eu des pratiques douteuses étaient couramment citées
en exemple : Abdoulaye Abdoul Kader Cissé, ancien président du Conseil
révolutionnaire économique et social (C.R.É.S.) ; Moïse Traoré, ancien di-
recteur de l’Union révolutionnaire des banques (URÉBA.) ; Watamou La-
mien, ancien ministre”, etc. Si la puissante personnalité de Sankara susci-
tait l’admiration générale, la rigueur qu’il imposait n’était pas partagée par
tous ceux qui grenouillaient autour de lui. En outre, les sommes d’argent que
Sankara recevait en cadeaux de l’étranger et qu’il reversait dans le budget de
l'État ont sans doute amené Blaise Compaoré à réaliser combien il pouvait
en tirer profit si jamais il devenait calife à la place du calife.

755 Cf. Marchés Tropicaux, n° 2218, Paris, 13 mai 1988, p. 1261.


756 Cf. Gracchus Babeuf, Le Manifeste des Plébéiens, Éditions Mille et une nuits, p. 85.
757 Cf. V. Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit. p. 70.
75 Cf B. Jaffré, Burkina Faso - Les années Sankara …, op. cit., p. 250-251.
394
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBÈLA

b-3) La création de la Commission du peuple chargée de la prévention de


la corruption (C.P.P.C.)

605- La création le 7 février 1987 de la Commission du peuple chargée


de la prévention de la corruption (C.P.P.C.) avait pour but de prévenir les
tendances à l’embourgeoisement et à la recherche de l’argent facile, et
éventuellement de réprimer. Si dès le 20 février Sankara présentait l’état
de ses biens à la Commission, celle-ci n’a jamais pu être opérationnelle
du fait des entraves dressées par ses adversaires. D’aucuns prétendent
que les vrais complots contre Sankara ont commencé avec la mise en
place de la C.P.P.C. Le quotidien gouvernemental Sidwaya reprochera
ainsi à Sankara d’avoir voulu réduire les travailleurs à la mendicité et au
dénuement””. Des années après l'assassinat de Sankara, Étienne Traoré
confessera : « J'ai effectivement participé au Front populaire même si
son avènement m'a surpris. J'y ai êté dans l'esprit de corriger les mé-
thodes négatives sous le C.N.R. tout en maintenant les justes idéaux et
pratiques patriotes. Mais, je me suis vite heurté à une autre volonté (celle
du président du Front populaire suivi par d'autres) qui voulait tourner le
dos à ces idéaux et pratiques révolutionnaires. Pour cette volonté, il
s'agissait beaucoup plus de jouir des avantages du pouvoir, jouissance
qui était quasi-inexistante sous le C.N.R. De plus, cette volonté tendaït à
prendre systématiquement le contre-pied du C.N.R. sur tous les plans :
politique, social et économique. Résultaïs : les enrichissements illicites,
de nouveaux partenariats avec des dictateurs et autres trafiquants d'or,
de diamants, de pétrole ; des rafistolages institutionnels pour garder le
pouvoir à vie, un pouvoir quasi mafieux ef une assurance-lout-risque
pour toutes sortes de criminels ®, » Pour P. Sawadogo, « Sankara est
mort pour avoir été un paquet de convictions patriotiques et progres-
sistes mais aussi pour avoir empêché de par la synergie entre sa théorie
et sa praxis, certains de ces camarades civils comme militaires de man-

75 Cf. Sidwaya, n° 932, Ouagadougou, 4 janvier 1988, p. 1.


%60 Cf. La Colombe, n° 08, Ouagadougou, spécial 15 octobre 2000, p. 19.
395
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

ger gouläment, de boire frais et pétillant, de roter gras, de dormir mou et


de se la couler royalement au détriment de leur peuple"

b-4) L'’effritement progressif de l’influence de Blaise Compaoré

606- Dans les instances dirigeantes, l’image de Blaise Compaoré s'était


dégradée et son rang de nurnéro deux du régime était de plus en plus contes-
té. De jeunes officiers émergeaient et s’opposaient de plus en plus ouverte-
ment à Compaoré. Lors de la réunion de l'O.M.R. du 3 septembre 1987, ils
avaient déclaré à son intention : « Qui s'attaque au président du C.N.R.
s'attaque à la révolution. [...] 1 n'y a pas de numéro deux. Il y a un prési-
dent et c'est le capitaine Thomas Sankara®, » Le crédit de l’'U.C.B. com-
mençait aussi à s’effriter. En outre, Sankara venait de prendre des décisions
dont la mise en pratique ne pouvait qu’annihiler les chances de Blaise
Compaoré et de l’U.C.B. de réaliser leurs ambitions. Il avait en effet déclaré
vouloir se libérer progressivement des tâches exécutives pour se consacrer
davantage à l’organisation et à la consolidation de la direction politique. Ce
qui constituait une menace pour l’U.C.B., car enfin Sankara semblait cher-
cher à mettre de l’ordre dans la maison.

607- Beaucoup de militaires avaient rejoint l’U.C.B. De ce fait, ils ap-


partenaient à la fois à l’O.M.R. et à l’U.C.B. Pour clarifier la situation, et
suivant en cela la position de l’U.L.C.-R, Sankara avait enfin accepté que
tous les militaires démissionnassent de l’U.C.B. pour ne plus appartenir
qu’à l’'O.MR. Or, l’'U.C.B. sans les militaires n’aurait plus été que
l'ombre d’elle-même. Sankara avait aussi en projet de faire élire les
membres du C.N.R., de porter leur nombre à cent vingt et d’y faire entrer
les mouvements de masse comme l’U.N.A.B. et l'U.N.P.B. Ce qui aurait
eu pour avantage d'élargir les bases du régime mais aussi de banaliser
davantage les autres chefs historiques de même que les groupes
d’opportunistes qui s'étaient emparés du C.NR. et des institutions de
l'État. Sankara avait aussi annoncé une pause dans les transformations et

761 Pabeba Sawadogo, “15 octobre 1987, une histoire de tubes digestifs ?”, Bendré, n°
257, Ouagadougou, 13 octobre 2003, p. 8.
7 Cf. Sennen Andriamirado, Il s'appelait Sankara, Paris, JAPRESS, 1989, p. 75.
396
]
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

les réalisations. En outre, une note du 21 août 1987 adressée aux mi-
nistres les invitait à reprendre les enseignants du primaire qui avaient été
licenciés et les agents sanctionnés pour leurs actes et propos contre la
Révolution. Une autre note les invitait à faire des propositions pour la
création de deux mille emplois en 1988. Il préparait aussi une augmenta-
tion des salaires de 20% environ. Ces mesures auraient beaucoup contri- |
bué à apaiser des mécontentements et à compliquer davantage l’action de
Compaoré et de ses partisans. Avec la création de la F.I.M.A.TSS. et la
réorganisation de la sécurité présidentielle qui était en vue, la puissance
militaire de Compaoré qui restait son dernier rempart était en voie de
banalisation. Pour Compaoré qui tenait à la réalisation de ses ambitions,
il n’y avait plus de temps à perdre. C'était le moment ou jamais de passer
à l’action.
b-5) Le passage à l’acte

608- Comme l’a fait remarquer S. Andriamirado, « En clair, deux ten-


dances, au sein de la révolution, se sont opposées, et l’une d’entre elles
ayant choisi de résister à son élimination politique imminente en interve-
nant les armes à la main, l'affaire s'est terminée dans le sang”, » Ainsi
se confirme l’analyse de Rousseau selon laquelle « Toute méchanceté
vient de faiblesse ; l'enfant n'est méchant que parce qu'il est faible ;
rendez-le fort, il sera bon : celui qui pourrait tout faire ne ferait jamais
de mal.»

609- Blaise Compaoré qui était politiquement et militairement minori-


taire était conscient que dans le cadre d’un coup d° État classique l’armée
ne le suivrait pas. La seule possibilité qui restait était l’attentat. Il lui fal-
lait cependant s’assurer de la disponibilité de l’aéroport de Ouagadougou
| pour pouvoir s'échapper en cas d’échec. Après s'être assuré de la colla-
boration de l’A.SÉ.C.N.A. (Agence de sécurité et de contrôle de la navi-
gation aérienne en Afrique) dont l’U.C.B. était parvenue à prendre le
contrôle du C.DR., Blaise Compaoré passait à l’acte avec le soutien et la
bénédiction de ses parrains. C’était le jeudi 15 octobre 1987. Ce jour-là,

ES! Andriamirado, ILs ’appelait Sankara, op. cit., p. 161.


7% J.-J. Rousseau, Émile ou de l’éducation, op. cit., p. 76-77.
397
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBÈLA

vers 16h 30, Sankara, des éléments de sa garde et six de ses collabora-
teurs dont un, Patrice Zagré, était un agent double de l’U.C.B. s’étaient
retrouvés au Conseil de l’Entente, siège du C.N.R., pour une réunion de
travail. Peu de temps après, un groupe de commandos de P6, après avoir
abattu les gardes, fit irruption dans la salle et massacra froidement tous
les occupants. Un seul, Alouna Traoré, ayant réussi à faire le mort, en
réchappa. Immédiatement après, dans les casernes, des partisans de San-
kara furent également massacrés par les hommes de main infiltrés de
Compaoré. Beaucoup d’amis politiques de Sankara furent arrêtés, déte-
nus pendant des mois sans jugement et torturés. Sa veuve et ses enfants
furent soumis aux pires humiliations et le Front populaire tenta en vain
de salir sa mémoire.

b-6) Observations

610- La rigueur et la transparence dans la gestion, la préservation des


ressources de l’État et le rythme des réalisations et des transformations
suscitaient des mécontentements. Ce qui est normal, car c’était la remise
en cause d’habitudes et de comportements bien ancrés. Mais les popula-
tions dans leur majorité n’étaient pas contre Sankara pas plus qu’elles ne
souhaitaient la fin de la Révolution. Elles percevaient les fruits de leurs
sacrifices et elles avaient conscience que la Révolution travaillait à la
construction du pays et à leur épanouissement. Obnubilés par leur nom-
brilisme, l’excès de confiance en eux et leurs ambitions démesurées,
Compaoré et ses partisans interprétèrent les mécontentements, que
d’ailleurs ils provoquaient ou contribuaient à amplifier, comme une op-
position radicale à Sankara. C’est ce qui explique les messages de haine
et les insanités qui ont été déversées sur Sankara juste après son assassi-
nat. Mais très vite ils réalisèrent qu’ils s’étaient lourdement trompés. Les
appels à manifester pour soutenir le nouveau régime restèrent sans effet.
Bien au contraire, les citoyens manifestèrent ouvertement leur indigna-
tion. Se sentant isolés, Blaise Compaoré et ses partisans adoptèrent une
stratégie de louvoiement et de mensonge”. Dès lors, et jusqu’à ce jour,

75 Mousbila Sankara, alors ambassadeur du Burkina en Libye, envoya à Blaise Com-


paoré un télex ainsi libellé : « Tu mens er tu sais que je sais que tu mens ! Considère-
398
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

personne ne voulut assumer la responsabilité dans l’assassinat de Sanka-


ra. Le 7 novembre 1988 à Syrte en Libye, lors d’une rencontre qui se
voulait de réconciliation entre Kadhafi, Compaoré, Rawlings et Museve-
ni, ce dernier demanda la constitution d’une commission d’enquête sur
les événements du 15 octobre 1987. Compaoré refusa. F. Soudan à ainsi
pu écrire que « jamais on n'avait vu une telle dérobade face aux respon-
sabilités, ni tant d'hésitations, de la part d'un homme qui fente
d'expliquer la mort de son prédécesseur tout en se refusant à la prendre
en charge, qui se dit innocent de l'acte frairicide tout en exemptant de la
moindre poursuite ceux qui l'ont commis, qui clame son amitié pour le
défunt au-delà de la vie, tout en assurant à qui veut l'entendre que c'était
en somme « lui ou nous %.» Le médecin-commandant Alidou Diébré
poussera le cynisme jusqu’à mentionner dans le certificat de décès déli-
vré le 17 janvier 1988, soit trois mois après, que Sankara est décédé de
mort naturelle/?,

NE Les turpitudes du Front populaire

Un prince qui veut se maintenir doit apprendre à pouvoir être


malhonnête, et à l'être pas suivant les circonstances.
Machiavel

Le comportement des acteurs de la tragédie du 15 octobre 1987 a été


marqué par une série de contradictions et de contrevérités, d’une part sur
les plans politique et économique (A), d’autre part sur le plan des droits
humains (B).

A) LES CONTRADICTIONS ET CONTRE VÉRITÉS SUR LES


PLANS POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE

{- Les contradictions du Front populaire

moi comme démissionnaire car je ne saurais servir mon pays sous un tel régime. » CF.
V, Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit., p. 94.
%6 Cf. Jeune Afrique, n° 1400, Paris, 4 novembre 1987, p. 20.
77 Cf. -Jeune Afrique, n° 1421, Paris, 30 mars 1988, p. 27. -S. Andriamirado, Il
S’appelait Sankara, op. cit., p. 135.
399
Thomas SANK ARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Les contradictions se relèvent sur les plans politique (a) et économique (b).
a) Les contradictions sur le plan politique
611- Dès les premières déclarations, il se dégageait une absence totale
d’un quelconque programme politique ou économique de la part du Front
populaire. En réalité, seules la soif de la jouissance du pouvoir et la haine
contre Sankara et la Révolution avaient pu réunir les putschistes. La Pro-
clamation dit : «aux plans économique et social, nous avons assisté à
l’écroulement continu de notre système productif et à la décadence so-
ciale. Ceci nous menait inexorablement au chaos total. » Le Front popu-
laire intervenait donc « Pour arrêter cette dégénérescence de notre pro-
cessus révolutionnaire et redonner espoir à notre peuple et à notre pa-
trie». Pourtant, le Front populaire proclamait urbi et orbi que la base
théorique de son régime restait le Discours d’orientation politique
(D.O.P.) alors même que ledit Discours a été rédigé par Sankara avec une
forte coloration des thèses de l’ex-U.L.C, alors en reconstruction, et à un
moment où l’U.C.B., l’épine dorsale du putsch, n'existait pas encore.
Pouvait-il prétendre mieux connaître et mieux appliquer le D.O.P. mieux
que son concepteur ?

612- Dans sa propre logique le Front populaire qualifia le régime du


C.NR. de « processus de restauration néo-coloniale » tout en déclarant
vouloir œuvrer dans le cadre et le respect du Plan quinquennal de déve-
loppement populaire (P.Q.D.P.) élaboré par le C.N.R. et qui était la base
de son programme économique et social. Le plan est fondamental dans
l'appréciation de la nature d’un régime. Il est donc illogique de condam-
ner la politique économique d’un régime et dans le même temps
s’approprier son plan de développement. Mais le Front populaire n'était
pas à une contradiction près.

613- Le Front populaire faisait croire qu’il était venu « poursuivre con-
séquemment la révolution d'août 1983 » en rectifiant ce qui à ses yeux
était des erreurs. La réalité fut autre chose. Très vite il opta pour un
changement d’alliance en choisissant de collaborer avec les agents de
l'État, les militaires et les opérateurs économiques et d’en faire la base de
son régime. Alors que Sankara opérait une redistribution progressive des
400
À
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
nce de développement autocentré
e J.KYÉLEM de TAMBËLA

richesses au profit des petites gens, des paysans et du monde rural, le


Front populaire inversa la tendance pour ne plus prendre en compte que
les salariés et le monde des affaires. Après avoir vilipendé sous le C.N.R. |
la chefferie traditionnelle comme étant une force rétrograde, dès la dispa- |
rition de Sankara, Compaoré faisait d’elle un allié objectif, teconnaissait
son autorité et lui rendait ses privilèges. En retour, celle-ci ne jurait plus |
que par Blaise Compaoré. Après avoir condamné sous le C.NR. la façon
dont les campagnes électorales étaient menées avant la Révolution |
comme étant la conséquence de la démocratie bourgeoise, un achat des
consciences et une débauche de moyens, Blaise Compaoré devenu chef
d’État surpassa tout le monde dans la débauche des moyens lors de ses |
campagnes. Dès sa première campagne pour l'élection présidentielle de
1991, il menait une campagne à l’américaine avec une profusion de
moyens matériels et financiers. Des mobylettes furent abondamment dis-
tribuées dans tout le pays et des voitures tout terrain sillonnèrent les vil-
lages et les campagnes pour promouvoir son image. Lui-même disposait
de deux hélicoptères pour ses tournées5, En 1998, en 2005 et en 2010,
la débauche de moyens fut encore plus éclatante avec chaque fois plus
d'innovation. Ce qui frise parfois le ridicule quand on sait que l’on se
trouve dans un pays où la majorité des habitants manque parfois de tout.
B. Jaffré a donc pu relever que « La vie politique burkinabè semble re-
prendre ses travers d'avant le C.M.R.P.N. à savoir les multiples revire-
ments d'alliance, les distributions d'argent pendant les campagnes élec-
torales, un Parlement dominé par un seul parti dont les débats
n'intéressent guère que les politiciens, alors que l'écrasante majorité de
la population s'en désintéresse totalement. » |

b) Les contradictions sur le plan économique

614- Dans le but d’obtenir une condamnation ferme de la politique du


C.NR. le Front populaire a réuni à Ouagadougou, du 8 au 10 janvier
1988, des délégués venus de tout le pays pour un “Bilan critique de
quatre années de révolution”. Malgré les pressions exercées de toute x

78 Cf, Le Nouvel Afrique Asie, n° 28, Paris, janvier 1992, p. 22.


7% B. Jaffré, Biographie de Thomas Sankara, op. cit., p. 215.
401
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

part, le Front populaire fut déçu dans ses attentes, car contrairement à ses
vœux, les délégués exprimèrent leur satisfaction pour les acquis et les
mérites du C.N.R. Croyant toujours naïvement à la bonne foi du Front
populaire, ils prirent une résolution d° « appliquer de façon effective et
consciente le mot d'ordre “produire et consommer burkinabè”. » Pour-
tant, Blaise Compaoré regardait déjà ailleurs. Le premier gouvernement
du Front populaire a été formé le 31 octobre 1987. Le premier conseil des
ministres qui se tint le 11 novembre 1987 décidait de la baisse des prix
des boissons alcoolisées produites au Burkina et de la levée de
l'interdiction d’importer des fruits et légumes. Par la suite, le 17 mars
1988, le Front populaire abrogeait les textes réglementant le port du faso
dan fani. La base du produire et consommer burkinabè était ainsi sapée
dès les premiers moments du Front populaire.

615- Cinq mois après son avènement, le 10 mars 1988, le Front popu-
laire parvenait enfin à rendre public son Programme d’action. Il contient
une litanie de bonnes intentions et de projets sans qu’à aucun moment il
ne soit indiqué les moyens et les forces à mettre en œuvre pour les réali-
ser. Il ne peut donc être comparé qu’au discours d’investiture de Issoufou
Joseph Conombo comme premier ministre, prononcé en 1978,et il est très
en-deçà du Discours programme du C.M.R.P.N. du 1% mai 1981. Dans
son message de présentation à la nation de son Programme d’action,
Blaise Compaoré en indiquait le fondement : « Nous développerons un
capitalisme d "État, seule voie qui peut nous permettre aujourd'hui de
rompre avec l'arriération ef de créer les bases matérielles d'une écono-
mie véritablement indépendante pour opérer la nécessaire transition vers
un système qualitativement supérieur. » le Programme d’action lui-même
dit : «.… la Révolution démocratique et populaire développera, pendant
une période donnée, le capitalisme d'État. »

616- L'option du Front populaire pour le capitalisme d’État était révé-


latrice de la nature même du régime. Elle démontre la mauvaise assimila-
tion par les idéologues du régime des textes politiques et économiques
des auteurs progressistes. Choisir de nos jours le capitalisme d’État
comme orientation économique est la preuve d’une absence de créativité
et d’originalité et traduit un manque de réflexion et de recherche. Comme
402
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYËLEM de TAMBËLA
|
l'a fait remarquer Che Guevara, « lorsque la direction de l'économie
passe aux mains de ! "État, la bureaucratie intervient dans la direction de
la production, dans le contrôle et la gestion des ressources matérielles et
humaines du pays. » Après avoir fait l'éloge du capitalisme d'État,
Lénine était revenu sur ses analyses en écrivant : «Le capitalisme d'État,
c'est le capitalisme auquel nous devons assigner certaines limites, ce que
nous n'avons pas su faire jusqu'à ce jour, voilà le hie!1. » IL pour-
suit : « Je pensais que par rapport à la situation économique qui était à
l'époque celle de la République soviétique, le capitalisme d "État était un
pas en avant. [...] Je répète : cela paraît fort étrange à tous de voir que
dans une République qui se proclame socialiste, l'élément non socialiste
soit considéré comme étant supérieur, comme étant placé au-dessus du
socialisme"? »

617- L'histoire du capitalisme d’État montre qu’il est presque toujours


le support du népotisme, de la bureaucratie, de l’immobilisme et de
l'inefficacité. Au moment où le Front populaire prétendait s’engager dans
le capitalisme d’État, en Afrique même, des pays qui s’y étaient déjà en-
gagés, procédaient à des révisions déchirantes. L'Algérie venait d’opérer
la restructuration des grandes entreprises d’État. L’Angola, le Ghana, la
Guinée, la Guinée-Bissau, Madagascar, le Mali et la Tanzanie étaient sur
la voie de la privatisation. Des pays qui avaient opté pour le libéralisme
mais dont le secteur d’État était néanmoins important s’étaient également
engagés dans des privatisations. C’était le cas du Cameroun, de la Côte
d'Ivoire, du Niger, du Nigeria, du Togo et du Zaïre (R.D.C.) D'ailleurs,
peu d’années après, en 1991, le régime de Blaise Compaoré optait pour la
libre entreprise et l’économie de marché et procédait à des privatisations
sauvages. Comme quoi l'option du Front populaire pour le capitalisme
d’État ne reposait pas sur une analyse responsable.

618- Dans la majorité des cas, les privatisations qui résultent de négo-
ciations difficiles se font au profit de repreneurs étrangers, car le capital
national est souvent en-deçà des exigences des reprises, L'État qui, dans

770 Cf O. Nunez, R. Burbach, Quand l'Amérique s’embrasera, op. cit., p. 146.


771 Lénine, Oeuvres choisies en deux volumes, Moscou, 1948, tome 2, p. 953.
772 Lénine, op.cit., p. 991.
403
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

un triomphalisme béat, se prétendait maître de son économie, se retrouve


quelques années après contraint de faire appel à l’étranger et de lui céder
ses entreprises pour limiter les pertes. Pour justifier les privatisations, le
premier ministre malien déclarait que « si les sociétés d "État ont pu être
qualifiéîées d'acquis du peuple, aujourd'hui se sont des fardeaux pour le
peuple"®. » En Chine en 1988, au moment où le Front populaire optait
pour le capitalisme d’État, le directeur d° une usine privée décla-
rait : « Nous voulons écraser les entreprises d "État. Nous sommes trois
fois plus compétitifs L'a‘elles. Pour la même production, elles ont trois
fois plus d'employés ?

619- Le problème fondamental du capitalisme d’État est celui de la ges-


tion, de la rigueur, de l’intéressement. On a beau recourir à toutes sortes de
stimulants, le responsable d’une entreprise d’État sera rarement aussi sou-
cieux de l’avenir de celle-ci que le responsable d’une entreprise privée. Il
sait qu’il n’en est pas le propriétaire. Il sait que même s’il profite de la pros-
périté de l’entreprise, personnellement il n’en supportera pas les pertes éven-
tuelles. Pour sortir de l’impasse qui se traduit par : nationalisation et capita-
lisme d’État : puis privatisation et libéralisme ; puis encore nationalisation,
etc., il convient de s’en remettre à l’initiative populaire, ce qui suppose au
préalable un pouvoir démocratique et populaire.

620- Il s’agit pour l’État d'intervenir dans les domaines vitaux de


l’économie nécessitant de gros investissements dont le retour sur inves-
tissement est lent et long : infrastructures routières et ferroviaires, ports et
aéroports, énergie, eau et assainissement, télécommunications, industries
lourdes ; d’en assurer la gestion, le temps que des initiatives locales y
soient intéressées par différents procédés d’encouragement à la participa-
tion ou à la reprise à travers des cahiers des charges bien définis. Il s’agit
d’encadrer l'initiative privée de sorte qu’elle puisse s”’épanouir et donner
le meilleur d’elle-même sans être une menace ni pour la société ni pour
les particuliers. Quand l’initiative privée est étouffée, la société se sclé-
rose, devient monolithique, insipide, et finit par se dissoudre. Quand elle

7 Cf. Marchés Tropicaux, n° 2215, Paris, 22 avril 1988, p. 993.


T4 C£ Libération, Paris, 17 mai 1988, p. 9.
404
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

n’est pas encadrée, les forts écrasent les faibles. Pour ne pas être écrasé,
tous les moyens pour émerger sont bons, y compris les plus répréhen-
sibles. L'intérêt de vivre ensemble se dissout dans les intérêts particuliers
et la société finit par se disloquer.

621- En aucun cas, une politique de développement harmonieux ne


peut être fondée sur la haine d’une fraction de la population, mais autant
que possible, sur la participation et la contribution de tous. On ne cons-
truit pas durablement un pays en appauvrissant les riches de façon délibé-
rée, mais en accroissant les revenus des pauvres. Cela est possible par
l'accroissement et la diversification de la production à travers différents
procédés d'incitation (fiscalité, primes à la liberté d’entreprendre, à la
production et à l'efficacité, subventions, distinction honorifique, sensibi-
lisation, etc.) et par une politique de protection, de redistribution et de
justice économique et sociale réconciliant le citoyen avec sa société. Le
tout sans passion et sans faiblesse. Une telle politique nécessite beaucoup
de discernement, de courage et de détermination. Le Front populaire qui
était tout sauf populaire et qui ne pouvait donc revendiquer une adhésion
réelle à son régime, ne pouvait recourir à ce choix. D’ailleurs à entendre
Blaise Compaoré on peut déduire que dès cette époque le régime avait
déjà choisi de s’installer dans la léthargie. À un journaliste qui lui de-
mandait la durée de validité de son Programme d’action il répon-
dait : « La durée de validité, c'est le temps qu'on va mettre pour réaliser
tout ce qui est inscrit dans le Programme. 20, 30 ans...” » En outre,
cette déclaration trahissait déjà sa volonté à peine dissimulée de
s’accrocher au pouvoir.

2- Les contrevérités du Front populaire

Pour justifier son action, le Front populaire était réduit à des contrevérités
sur les plans politique (a) et économiques (b).

a) Les contrevérités sur le plan politique

T5 Cf. Carrefour africain, n° 1031, Ouagadougou, 25 mars 1988, p. 18.


405
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

622- Sans doute par référence au Front populaire français de 1936 qui
était réellement populaire, le regroupement d'intérêts divers qui renversa
le C.NR. prit le nom de Front populaire, pour aussi se réclamer d’une
certaine popularité. Mais ce n’était là encore qu’une idée volée à Sanka-
ra. En juin 1987 quand Sankara proposait aux différents groupes poli-
tiques composant le C.N.R. de se dissoudre pour se retrouver dans une
seule et même organisation politique en vue de donner plus de cohésion à
l’action du C.NR., c'était dans un Front démocratique et populaire
(F.D.P.) qu’il leur proposait de se regrouper. Le manque d'imagination et
de créativité des putschistes ne leur a même pas permis de trouver eux-
mêmes le nom du régime qu’ils voulaient mettre en place.

623- Les putschistes prétendaient procéder à la rectification de la Ré-


volution qui aurait dévié sous Sankara. Là aussi ce n’était que pur men-
songe car ni le mot rectification ni l’idée ne sont de leur cru. Dans le
cadre de la Révolution, le mot rectification a été employé pour la pre-
mière fois par Sankara dans l’“4ppel de Gaoua sur la qualité de
l’enseignement au Burkina Faso” du 17 octobre 1986. Sankara y dé-
clare : « Comment ne pas comprendre que sans un sursaut de rectifica-
tion nous courons à notre ruine, car si l'école ne produit pas la vraie
société burkinabè, elle produira la société des hommes non dignes, non
intègres"", » Depuis, Sankara ne cessait d’appeler à la nécessaire rectifi-
cation - surtout de la direction de la Révolution - que refusaient ceux qui
l’ont assassiné parce qu’ils craignaient d’être marginalisés. Non satisfait
de s’attribuer les termes et les idées de Sankara, le Front populaire poussa
l’incurie jusqu’à répandre l’idée que c’est Sankara qui s’opposait à toute
réforme positive.

624- Dans ses manœuvres pour salir la mémoire de Sankara et noircir


l’action du C.NR, le Front populaire entreprit de dénigrer tout ce qui a
été fait sous le C.N.R. en recourant toujours au mensonge. C’est ainsi
qu’il se mit à vilipender l’action des T.P.R. qu’il qualifia d’arbitraire,
oubliant de ce fait que sous le C.N.R. le ministre de la Justice n’était

776 Cf. Carrefour africain, n° 958, Ouagadougou, 24 octobre 1986, p. 16. C’est l’auteur
qui souligne.
406
a |

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBÈLA

autre que Blaise Compaoré lui-même investi de tous les pouvoirs néces-
saires. De surcroît, sans aucun scrupule, le Front populaire
s’accommodera très bien avec les T.P.R. qui ne seront dissous que sous
la pression des bailleurs de fonds en 1993, soit six ans après l'assassinat
de Sankara. Le communiqué n° 5 du Front populaire annonce la reprise
dans leur corps d’origine des enseignants licenciés en 1984, la levée des
suspensions qui frappaient les agents de l” État et la libération des prison-
niers politiques. On se rappelle que dès ie lendemain du licenciement des |
enseignants, Sankara avait convoqué un conseil extraordinaire des mi-
nistres pour essayer de rapporter la décision mais qu’il fut confronté à |
une forte opposition. Les ministres du P.A.I.-LLPA.D. lui avaient rétor- |
qué que « Ce serait une faiblesse que de reculer sur une décision déjà
annoncée”, » De même en fut-il quand il voulut procéder à la levée des
sanctions de suspension d’agents de l'État.

625- Peu avant d’être assassiné, Sankara était encore revenu sur la né-
cessité de reprendre les enseignants licenciés pour fait de grève et de le-
ver les sanctions de suspension. Pourtant, à en croire Philippe Ouédraogo
alors membre du C.N.R. et du gouvernement pour le compte du P.A.I.-
LI.PA.D. le conseil des ministres qui a entériné la décision de licencier
les instituteurs était dirigé par Blaise Compaoré, car ce jour-là, Thomas
Sankara était absent”. D'ailleurs, peu de temps après ce licenciement
collectif, Blaise Compaoré présidait un meeting des L DR. où il insistait
sur la nécessité de licencier les enseignants grévistes’”?. Sankara n°a donc
pris aucune part dans ce licenciement dont, par malice et par calcul poli-
tique, le Front populaire lui a attribué la responsabilité alors même que,
contre l’opposition de Blaise Compaoré et ses amis, Sankara a tout tenté
pour réparer la situation. La libération des prisonniers politiques dont fait
état le communiqué n°5 concernait notamment Soumane Touré dont
l’arrestation et la détention étaient l’œuvre de Compaoré et de l’U.C.B.
Lors de son arrestation, Blaise Compaoré préconisait aussi l’arrestation
de ses camarades de parti d’alors, Philippe Ouédraogo et Adama Touré.
Lui et ses amis réclamèrent ensuite avec insistance et véhémence la tête

77 C£ V. Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit., p. 118.


T8 Cf L'Observateur Paalga, n° 6468, Ouagadougou, 4 septembre 2005, p. 3.
7 Cf A.A. Touré, Une vie de militant, op. cit., p. 144.
407
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

de Soumane Touré. Celui-ci n’eut la vie sauve - et il le sait - que grâce à


l'intervention décisive de Sankara. Voilà que Blaise Compaoré et ses
amis du Front populaire, sans aucune gêne, se présentaient maintenant
comme ses libérateurs !

626- Le Front populaire fit également croire à la responsabilité exclu-


sive de Sankara dans l’incendie des locaux du seul quotidien indépendant
d’alors L'Observateur. Pourtant, quand le 27 janvier 1989 le journal tenta
de reparaître, dès le 30 janvier 1989 les locaux du journal étaient mis
sous scellé et l'électricité coupée sur ordre des autorités ©. Sankara pour-
tant n’était plus là ! Il avait même eu à donner son accord pour la reprise
des activités du journal. Pour Philippe Ouédraogo, les responsables de
l’incendie des locaux de L'Observateur sont à chercher « du côté de ceux
qui s'exprimaient de façon brutale pendant les réunions du CNR »
Après avoir suscité et été la cause de la plupart des erreurs commises
sous le C.NR., Blaise Compaoré et ses amis de l’U.C.B. et du G.C.B.
cherchèrent à tout mettre sur le dos de Sankara qui n’était plus là pour
s’expliquer et dont les partisans étaient pourchassés et embastillés. À ce
sujet, la Convention des partis sankaristes (C.P.S.} que dirigeait E.N.
Ouédraogo écrivait : « Était-il possible humainement d'éviter ces erreurs
si l’on sait [...] que les révolutionnaires que nous étions, même si nous
étions couchés sur la même natte, nous ne nourrissions pas le même rêve.
Pendant que Thomas Sankara et certains de ses compagnons ne rêvaient
que du bonheur de notre peuple, Blaise Compaoré et les siens, eux,
n'ambitionnaient que de s'accaparer du pouvoir pour une jouissance
égoïste au mépris des intérêts fondamentaux de notre peuple. Dans la
poursuite de cette ambition, ces derniers ont œuvré à s: LAN les fonde-
ments de la révolution afin de pouvoir justifier leur forfait"

627- Après avoir usé en vain de tous les stratagèmes pour se donner le
beau rôle en dénigrant Sankara et le C.NR, le Front populaire tenta
d'amener l'opinion à remettre en cause l'intégrité de Sankara. À partir de
mars 1988 éclata l'affaire de la valise de Sankara. Sankara aurait détourné

780 Cf. Le Pays, n° 4122, Ouagadougou, 22 mai 2008, p. 15.


T1 Cf. L'Observateur, n° 7142, Ouagadougou, 28 mai 2008, p. 3.
78 Cf. Le Pays, n° 1949, Ouagadougou, 12 août 1999, p. 16.
408
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

de l'argent pour un total d'environ quatre-vingt-dix millions de francs CFA


qu’il aurait caché dans une valise dans son domicile présidentiel, laquelle
valise venait d’être découverte/®. Au Burkina comme à l'étranger, l'affaire
de la valise ébranla un moment quelques indécis. Mais très vite, là aussi, on
s’aperçut de la supercherie, Un chef d’État africain qui détourne seulement
une somme d’environ quatre-vingt-dix millions de francs CFA au bout de
quatre années de pouvoir, même dans un pays aussi pauvre que le Burkina
d’alors, cela paraissait difficilement crédible. En outre, pour donner
l'exemple, Sankara avait été le premier à déclarer publiquement ses biens à
la Commission du peuple chargée de la prévention contre la corruption. Jus-
qu'à ce jour, personne, pas même le Front populaire, n’a osé contester
l’exactitude de sa déclaration (cf. n° 311).

628- Sankara a été, avec le président Lamizana, un exemple rare


d’honnêteté et de rigueur dans la gestion des ressources de l’État. De
retour de Tripoli en février 1983, alors qu’il était premier ministre, il
avait reversé au Trésor public ses indemnités et frais de mission en décla-
rant que les Libyens avaient totalement pris son séjour en charge. V. So-
mé raconte : « un Émir arabe, ami de Thomas Sankara, lui avait signé un
chèque de trois cent cinquante millions de francs C.F.A. après avoir
constaté l'insuffisance de son service de sécurité personnelle. Au moment
où il acceptait ce chèque, ! ’État burkinabè était en difficulté pour payer
sa part du financement du barrage hydroélectrique de la Kompienga.
Thomas Sankara appela le ministre du Budget, Adèle Ouédraogo, et lui
remis le chèque... À deux reprises, plus de trois cents millions de francs
Jui furent donnés par Khadafi et servirent à payer le salaire des fonc-
tionnaires, en attendant la conclusion d'une rallonge budgétaire sollici-
tée auprès de la France. Etc. C'est de la mauvaise foi que de vouloir
accuser un tel homme de “détournement de biens publics "74, La vie
publique et privée de Sankara n’était un secret pour personne.

75 C£. Sidwaya, n° 994, Ouagadougou, 31 mars 1988, p. 4.


T4 Y, Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit, p. 77. Dans la déclaration
qu’il a faite devant la C-P.P.C., Sankara indiquait qu’il avait reçu en cadeaux des
sommes en C.F.A. de quatre cent mille (400 000), vingt millions (20 000 000), soixante-
quinze millions (75 000 000), trois cent cinquante millions (350 000 000), quatre cent
millions (400 000 000) et qu’il les avait toutes reversées dans le budget de l'État.
409
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

629- Le Front populaire prétendit qu'après la mort de Sankara, son


petit frère Pascal se serait servi d’une partie de la somme pour ouvrir un
magasin de commerce à Ouagadougou, dans le quartier populaire de Zo-
gona. Mais les habitants de Zogona ne virent rien de tel dans leur quartier
et personne dans tout Ouagadougou n’a pu indiquer le magasin en ques-
tion. La valise en question a peut-être existé. Dans ce cas, les autres chefs
historiques de la Révolution et les partisans de Compaoré devaient en
savoir le pourquoi et le comment. Certains estiment que l’argent dont il
était question avait été envoyé par Kadhafi et destiné à des rebelles tcha-
diens alors fréquents à Ouagadougou. Jonas Hien soutient que l’argent
avait été envoyé par un autre chef d’État à titre de don pour la sécurité
personnelle de Sankara. Mais celui-ci après réception, le présenta aux
autres chefs historiques de la Révolution, leur demanda d’en prélever
pour résoudre leurs éventuels problèmes, puis il leur demanda de réflé-
chir à des projets de développement auxquels pourrait servir le reli-
quat”®. Blaise Compaoré qui était donc au courant de l’existence de la
valise d’argent tenait à la récupérer, sans doute pour en jouir. Réalisant
encore que ce nouveau stratagème ne tournait pas non plus à son avan-
tage, le Front populaire étouffa lui-même l'affaire de la valise.

630- Par la suite, dans le cadre du vent de libéralisation qui, à partir de


1990, a soufflé particulièrement sur l’Afrique francophone en commen-
çant par le Bénin”%, et dont l’origine est sans doute à rechercher dans les
émeutes contre la cherté de la vie et les pénuries qui eurent lieu à
l'automne de 1988 en Algérie”, Blaise Compaoré fut contraint par la
société civile et les forces politiques de recourir à un verni démocratique
pour survivre politiquement en rendant son régime plus tolérable. Lors de
la célébration des “vingt ans de renaissance démocratique avec Blaise

#5 Cf. L'Observateur Paalga, n° 6438, Ouagadougou, 20 juillet 2005, p. 4.


7% La Conférence nationale du Bénin qui allait ouvrir la voie à la démocratisation du
pays et aux autres Conférences nationales qui se tinrent dans d’auires pays d'Afrique
francophone eut lieu du 19 au 28 février 1990.
77 Déjà, du 7 au 11 novembre 1986, la ville de Constantine avait connu de graves
émeutes contre le régime. Cf. L'Événement du Jeudi, n° 107, Paris, 20-26 novembre
1986, p. 33-34.
410
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBÈLA

Compaoré”, ses partisans prétendirent que Sankara n’aurait pas réussi à


construire un régime de démocratie libérale. Cette dernière tentative pour
valoriser Compaoré au détriment de Sankara fit long feu comme toutes
les autres. À ce sujet, Étienne Traoré déclare sèchement que « Thomas
Sankara aurait aussi réussi cette mutation à la démocratie libérale”, »
Le poète sud-africain Breyten Breytenbach qui a vu Sankara une semaine
avant son assassinat rapporte qu’à l’époque il parlait déà d’une nouvelle
Constitution et s’interrogeait sur de possibles élections” ”. Il était ainsi en
avance sur le mouvement de libéralisation en Afrique. On sait d’ailleurs
que le président Rawlings, chef d’État révolutionnaire du Ghana et ami
de Thomas Sankara, a fait de son pays l’un des plus beaux exemples de
démocratie en Afrique. De même en est-il, à un moindre degré certes, de
l’Ouganda de Yoweri Museveni. Il n’y avait donc pas de raison que San-
kara ne pût pas construire un bei exemple de démocratie au Burkina.

b) Les contrevérités sur le plan économique

631- La Proclamation du Front populaire dit: «… aux plans écono-


mique et social, nous avons assisté à l'écroulement continu de notre sys-
ième productif et à la décadence sociale. Ceci nous menait inexorable-
ment au chaos total. » Très vite cependant, il s’aperçut qu’il était difficile
d’être crédible en s’attaquant à la politique économique et sociale de
Sankara. D'ailleurs les Assises nationales des 8 et 10 janvier 1988 sur le
Bilan critique des quatre années de révolution, contre les vœux du Front
populaire, reconnurent les mérites de la politique économique et sociale
de Sankara. La politique économique de Sankara était orientée sur
l'initiative populaire et les investissements. Le Front populaire lui, avait
décidé de « relancer l’économie par la consommation. » Dans son mes-
sage à la nation du 31 décembre 1987, Blaise Compaoré déclarait : « … le
blocage des salaires depuis 1982, les différentes mesures budgétaires
prises ces trois dernières années, ont réduit le niveau de vie des salariés
et freiné par conséquent la consommation et créé la morosité écono-

788 Cf, L'Observateur Paalga, n° 7002, Ouagadougou, 31 octobre-1* novembre 2007, p.


10.
78 Cf. Libération, Paris, 17-18 octobre 1987, p. 3.
411
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

mique®. » Mais, ce qu’il a évité de révéler, c’est que pendant les trois
dernières années sous Sankara, le taux de l'inflation était négatif. Donc
non seulement il n’y avait pas de perte, mais plutôt gain de pouvoir
d’achat. En outre, la politique menée par Sankara permettait de jeter les
bases d’une politique de protection et de promotion sociale et d’une éco-
nomie de production.

632- Le choix du Front populaire était clair. Contrairement à ses décla-


rations de vouloir approfondir la Révolution, il cherchait les voies et
moyens pour l’étouffer progressivement. La consommation qu’il enten-
dait relancer était la consommation de produits importés. En levant la
mesure d’interdiction d’importer les fruits et légumes et en annulant le
port du faso dan fani, il avait déjà entamé la destruction de la base de
l’économie nationale. De quels produits alors voulait-il relancer la con-
sommation ? Le Front populaire s’attela à la revalorisation des salaires,
au rétablissement et à la revalorisation des diverses indemnités, à la
baisse du prix de la bière et des produits importés. Son principal objectif
était de contenter la minorité active constituée par les agents de l’État et
les salariés. À aucun moment le prolétariat des villes, les paysans et le
monde rural ne furent l’objet de ses préoccupations.

633- Malgré eux, Blaise Compaoré et le Front populaire durent recon-


naître les mérites de la gouvernance sous Sankara. En mars 1988, Com-
paoré déclarait : «… vous savez tous que la R.D.P., au titre des acquis,
compte quand même
? la meilleure organisation de la gestion des deniers
publies "1, » Dès janvier 1988, le Rapport général des Assises sur le Bi-
lan critique de quatre années de révolution relevait « les nombreuses
transformations révolutionnaires opérées dans les différents secteurs de
notre sociêté. » Il mentionnait les acquis dans le domaine de l’agriculture
et de l'élevage rendus possibles grâce à l'élaboration de la réforme
agraire et foncière. Il soulignait l'importance des réalisations comme les
aménagements hydroagricoles du Sourou, de Bagré, de Douna et de
Kompienga. Il reconnaissait l'amélioration de la couverture sanitaire,

0 Cf. Sidwaya, n° 932, Ouagadougou, 4 janvier 1988, p. 3.


1 Cf Carrefour africain, n° 1031, Ouagadougou, 25 mars 1988, p. 18.
ai
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Ni
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA

l'accroissement du taux de la scolarisation et la pertinence de la construc-


tion des cités. Il notait également que la politique culturelle avait permis
l'organisation de grandes manifestations comme la semaine culturelle?
Où se trouvent alors “l'écroulement continu de notre système productif”
et “la décadence sociale” qui menaient “inexorablement au chaos total”
comme a voulu le faire croire le Front populaire ?

634- À l'issue des Assises sur Je Bilan critique de quatre années de


révolution, le président de la Commission économique déclarait : « Les
mesures de restructuration et de redressement de la situation financière
d'un certain nombre d'établissements publics et sociétés d "État et de
sociétés d'économie mixte ont été d'un intérêt pour les militants.
L'opinion était répandue que la plupart des mesures qui ont été prises en
vue d'assainir la gestion de ces établissements sont des mesures anti-
travailleurs. Mais la preuve a été donnée que c'est grâce à ces diverses
mesures que beaucoup d'unités moribondes ont pu être réveillées, que
l'on a pu sauvegarder des milliers d'emplois. C'était des sacrifices in-
dispensables pour préparer des lendemains florissanus ” .» De la part
d'un cadre du Front populaire, quelques semaines seulement après x
l'assassinat de Sankara, cela est vraiment ahurissant. Il est difficile de lui |
rendre un meilleur hommage. Que deviennent les insanités qui ont été
déversées sur lui dans la Proclamation et les communiqués du Front po-
pulaire? Quelle est alors la raison d’être de son assassinat et de
l'avènement du Front populaire en dehors d’ambitions personnelles et de
projets égoïstes ?

635- Dès décembre 1987, l’hebdomadaire gouvernemental Carrefour


africain écrivait que lorsque l'interdiction d’importer des fruits était in-
tervenue, « certains planteurs avaient entrepris d'agrandir leurs planta-
tions. Le projet fruitier par exemple a remplacé ses plants de citrons
verts qui ne sont pas beaucoup demandés chez nous, par des orangers,
des tangello et des mandariniers”*, » Le directeur du projet fruitier dé-
clarait que la production de la banane était passée de cinq cent tonnes à

F2 Cf. Carrefour africain, n° 1021, Ouagadougou, 15 janvier 1988, p. 11-13.


73 Cf. Sidwaya, n° 938, Ouagadougou, 12 janvier 1988, p. 6.
4 Cf. Carrefour africain, n° 1016, Ouagadougou, 11 décembre 1987.
413
Thomas SANKARA et a Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBÈLA

deux mille tonnes. La demande en plants de bananier avait été tellement


forte après la prise de la mesure d’interdiction que le projet Jruitier
n’avait pas pu satisfaire les besoins des paysans qu’il encadrait”. Peut.
on construire autrement une économie nationale indépendante ? Salia
Sanou qui a été maire de la commune de Bobo-Dioulasso et cadre diri-
geant du parti de Blaise Compaoré déclare au sujet de la Révolution : «47
y a eu énormément d'acquis, il faut le reconnaïtre. Comme principaux
acquis, je peux citer la prise de conscience même de la population par
rapport aux biens publics ; les travaux d'intérêt commun qui ont, par
exemple, permis la construction de beaucoup d'écoles par la force phy-
sique des populations, etc. » Ainsi, ceux qui ont assassiné Sankara
Pont eux-mêmes placé sur la plus haute marche de l’histoire.

B) LES CONTREVÉRITÉS SUR LE PLAN


DES DROITS HUMAINS
636- La Proclamation dit que le Front populaire est venu pour mettre fin
au pouvoir autocratique de Thomas Sankara. À l'issue des Assises sur le
Bilan critique de quatre années de révolution, un meeting s’est tenu le 10
janvier 1988 à la Place de la présidence. Dans son discours, Blaise Com-
paoré traita encore Sankara de dictateur et d’autocrate. Comme toujours,
aucun élément de fait n’a été donné permettant d’apprécier. En revanche,
on sait que Sankara couvrait autant qu’il le pouvait l’aspect autocratique de
Compaoré et ce, au nom de la solidarité entre camarades et amis et au nom
de la cohésion de l’équipe dirigeante. C’est ainsi que beaucoup d’atteintes
aux droits humains commises sous le C.N.R. n'ont pas été élucidées. Après
l’assassinat de Sankara, avec cynisme, les acteurs du Front populaire ont
tout mis sur le dos de Sankara. Il l’aura aussi mérité pour avoir cherché à
couvrir des personnes sans scrupule au lieu de répondre à l’appel du
peuple qui réclamait chaque fois la vérité. Blaise Compaoré est ainsi accu-
sé d’avoir commandité l’attentat du 18 juillet 1984 qui a coûté la vie au
chef d’état-major adjoint de, rl'armée, le commandant Amadou Sawadogo,
qui était pourtant son ami”, Il est peu probable que Sankara ait eu

75 CE. Ibid. p. 19.


7% Cf. Le Pays, n° 3976, Ouagadougou, 17 octobre 2007, p. 28.
#7 Cf. V. Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit., p. 95.
414
e A
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autogentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

quelque chose à voir dans cet attentat puisque quelques jours auparavant,
en juin 1984, il venait de lui confier l’organisation des manifestations du
premier anniversaire de la Révolution””,.

637- La volonté de Blaise Compaoré de s’emparer du pouvoir était de


plus en plus évidente. Le capitaine Boukary Kaboré dit Le Lion du Bul-
kiemde qui commandait le B.L.A. de Koudougou proposa alors à Sankara
de lui permettre de procéder à l’arrestation de Compaoré mais Sankara
refusa, interdisant à qui que ce fut de toucher à Blaise Compaoré””. +
Quand finalement Sankara fut assassiné, il refusa de cautionner le putsch
sanglant de Blaise Compaoré. Pour gagner du temps et aussi pour trom- |
per Le Lion du Bulkiemde sur ses vraies intentions, Compaoré fit sem-
blant de négocier et Le Lion tomba dans le piège. Manquant de stratégie,
il permit à Compaoré de profiter de ses tergiversations pour préparer
l'offensive du 27 octobre 1987 qui se traduisit par l’encerclement et la
prise du B.LA. Bien que les hommes du B.I.A. se fussent rendus sans
combattre, les hommes de Blaise Compaoré firent preuve d’une cruauté
| telle que les habitants de Koudougou et des environs ne l’oublieront pas
de si tôt. Des officiers comme les lieutenants Daniel Kéré et Élysée Sa-
nogo furent massacrés et même une famille qui avait simplement offert
l’asile pour une nuit au lieutenant Sanogo fut massacrée. Il se dit qu'ils
furent avec d’autres arrosés d’essence et brûlés vifs®®. Le Lion fait lui-
même le bilan des victimes dans ses rangs : « ils sont onze (11) dont quatre
| officiers, à savoir deux officiers fitularisés et deux élèves-officiers. À Bobo,
| par la suite, on a tué sept de mes éléments, ce qui porte leur nombre à 18. |
Je ne compte pas les autres qu'on a abattus bien longtemps après le 27
octobre pour la simple raison qu'ils étaient des militaires du Lion oi»

F8 Cf. A.A. Touré, Une vie de militant, op. cit., p. 136.


79 Cf. Le Quotidien, n° 1302, Ouagadougou, 3 mars 2015, p. 7.
#0 Sur les massacres de Koudougou, cf. -V. Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassi-
né, op. cit. p. 59-60. -L’Indépendant, n° 218, Ouagadougou, 28 octobre 1997, p. 11-
12.-Bendré, n° 103, Ouagadougou, 30 octobre 2000, p. 4-5. -L’Indépendant, n° 373,
Ouagadougou, 31 octobre 2000, p. 3-5. -L'événement, n° 09, Ouagadougou, février
2002, p. 4. -Libérateur, n° 27, Ouagadougou, novembre 2006, p. 8-11.
#0 Cf. L'Observateur Paalga, n° 7498, Ouagadougou, 29 octobre 2009, p. 11.
415
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Certains évaluent à environ une centaine le nombre des victimes civiles et


militaires.

638- Mariam Sankara, un peu par nature, mais surtout par la volonté de
son mari, s’est tenue à l’écart du jeu politique et de ses intrigues. Elle
ignorait presque tout des affaires de l'État et des rivalités politiques qui
prévalaient. Pourtant, après avoir planifié l’assassinat du président San-
kara, Blaise Compaoré n’épargnera ni tracasseries ni humiliations à sa
veuve, Mariam ,et ses deux enfants, Philippe et Auguste qui n’eurent le
salut que grâce à l'intervention de chefs d’État étrangers dont Rawlings
du Ghana et Omar Bongo du Gabon? De leur côté, les plus heureux des
partisans de Sankara qui eurent la vie sauve, seront des familiers des
geôles du nouveau régime"®.
639- Après l’assassinat de Sankara, Blaise Compaoré pouvait enfin
réaliser son rêve de devenir président et surtout de jouir des délices du
pouvoir. Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo furent habilement instru-
mentalisés par Blaise Compaoré pour consolider son pouvoir. Bien qu’ils
aient été eux-mêmes surpris de la tournure des événements, c’est eux
pourtant qui furent principalement chargés, avec quelques uns,
d'expliquer et de justifier ce qui s'était passé le 15 octobre 1987. Du
coup, ils acceptaient aussi d’endosser la responsabilité de l'assassinat de
Sankara et ils furent d’office promus membres éminents du Front popu-
laire. Si les deux avaient pu faire preuve de courage pour se désolidariser
de Blaise Compaoré comme l’a fait Boukary Kaboré, il n’est pas certain
que le régime de Blaise Compaoré aurait survécu. Mais l’aspiration de
Compaoré à la monarchie absolue, au règne sans partage ne pouvait en-
core se réaliser car il fallait toujours, d’une façon ou d’une autre, tenir
compte des deux autres chefs historiques qu’étaient le commandant J.-B.
Lingani et le capitaine H. Zongo. Même si tout était mis en œuvre pour

#02 Sur le martyre de Mariam Sankara, ef. -V. Somé, Thomas Sankara - L'espoir assas-
siné, op. cit., p. 74 -77.-S. Andriamirado, Il s'appelait Sankara, op. cit., p. 136-142. -
Jeune Afrique, n° 1421, Paris, 30 mars 1988, p. 26-29.
F6 Cf. V. Somé, op. cit., p. 90-95, 132.
416
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBÈLA

vider leurs fonctions de tout contenu réel"”, il était difficile d’ignorer la


réputation dont ils bénéficiaient dans l'opinion comme anciens compa-
gnons de route de Sankara. Selon D.G. Lavroff, « L'homme machiavé-
lique est celui qui s’est fixé un objectif qu'il a la volonté d ‘atteindre en
utilisant tous les moyens, même ceux qui sont généralement considérés
comme étant condamnables, qui a une vue exacte de la stratégie qu'il lui
faut appliquer dans laquelle 1° insention de nuire, de tromper et de domi-
ner sont les forces pri incipales® .» Cette définition correspond bien à
Blaise Compaoré. Rien ne l’arrétant dans la poursuite de ses ambitions,
au bout de deux ans, Compaoré réussit à mettre en place le scénario lui
permettant de se débarrasser de Lingani et de Zongo. Accusés de tenta-
tive de coup d” État le 18 septembre 1989, ils furent rapidement passés
par les armes le 19 septembre 1989 avec deux autres militaires®%,

640- Depuis, plus rien n’arrêtait Blaise Compaoré dans sa quête du


pouvoir absolu jusqu’au 13 décembre 1998 où le régime, trop sûr de lui,
organisa l’assassinat du journaliste d’investigation Norbert Zongo*? 7 dont
les articles sur la bonne gouvernance, la nécessité de 1? État de droit et du
respect des droits humains mettaient en cause la famille présidentielle.
Pour l’accumulation des richesses et la conservation du pouvoir, Blaise
Compaoré et son clan ne reculaient devant rien. David Ouédraogo était
un des chauffeurs de François Compaoré, petit frère de Blaise le prési-
dent. Un jour, par surprise et malgré lui, il fut témoin d’un sacrifice rituel

80 Lingani avait conservé son portefeuille de ministre de la Défense et Zongo celui de la


Promotion économique. Sentant le vide qui était fait autour de lui, Lingani avait même
demandé à partir à la retraite mais en vain.
#5 D,G. Lavroff, Les grandes étapes de la pensée politique, op. cit., p. 145.
#6 Cf. -V. Somé, op. cit., p. 199-201. -Marchés Tropicaux, n° 2290, Paris, 29 septembre
1989, p. 2778-2779. -Jeune Afrique Économie, n° 124, Paris, octobre 1989, p. 42-51. -
Le Nouvel Afrique Asie, n° 1, Paris, 2 octobre 1989, p. 30-31. -Jeune Afrique, n° 1500,
Paris, 2 octobre 1989, p. 20-25. -L’Indépendant, n° 370, Ouagadougou, 10 octobre
2000, p. 7.-L’Indépendant, n° 419, Ouagadougou, 18 septembre 2001, p. 4.-
L’Indépendant, n° 628, Ouagadougou, 20 septembre 2005, p. 4. -L? Évènement, n° 196,
25 septembre 2010, p. 7 et 10.
#07 II a été tué dans sa voiture à Sapouy, à une centaine de km au sud de Ouagadougou,
avec les trois autres occupants du véhicule, alors qu’il se rendait dans son ranch dans la
province de la Sissili. Les assassins arrosèrent les corps d’essence et mirent le feu.
A7
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

sordide. Un jeune albinos qu’il avait été lui-même cherché un peu plus
tôt à la demande de son patron pour, soit disant, une aumône à lui faire,
venait d’être dépecé comme du gibier. Bouleversé par cette découverte, il
alla se confier à Norbert Zongo. Pour François Compaoré, il fallait empé-
cher une éventuelle propagation de la nouvelle.

641- David Ouédraogo sera torturé à mort par des éléments de la sécu-
tité présidentielle, pour qu’il révèle tous ceux à qui il avait porté
l'information. Tous ceux qui, à un moment ou l’autre, seront informés ou
soupçonnés d’être informés de l'affaire du sacrifice humain et de la cause de
la mort de David Ouédraogo, seront éliminés. C’est ce qui explique
lassassinat de Norbert Zongo mais aussi ceux du père Celestino di Giovam-
battista qui, en tant qu’aumônier des prisons, recueillait les confidences des
bourreaux de David Ouédraogo alors en prison ; du jeune journaliste Michel
Congo, ami du père Giovambattista, et des assassins de David Ouédraogo et
de Norbert Zongo qui seront eux-mêmes liquidés. L’assassinat de Norbert
Zongo déclencha pendant des années (1998-2003) des manifestations popu-
laires de protestation et de contestation qui contraignirent Compaoré à des
concessions et à revoir ses ambitions à la baisse.

642- Les manifestations consécutives à l’assassinat crapuleux de Norbert


Zongo manquèrent de peu de faire tomber le régime de Blaise Compaoré. Il
parvint néanmoins à se maintenir en s’appuyant sur les divisions de
l'opposition, en usant de ruses et de corruptions, et en faisant d'importantes
concessions politiques. Pour trouver une issue à la crise, suivant en cela une
recommandation du Collège de sages qui avait été mis en place le 1° juin 1
999% et dont le Rapport adopté le 30 juillet 1 999% avait été remis depuis
le 2 août 1 999, le conseil des ministres du 17 janvier 2 001 décida de
l’organisation d’une Journée nationale de pardon (J-N.P.) le 30 mars 2 001.
La famille la plus concernée, celle de Norbert Zongo, rejeta la décision au
motif que la J.N.P. a été décidée unilatéralement ; que, contrairement au
Collège de sages qui recommandait la vérité, la justice et la réconciliation,
elle se fait sans justice et est indécemment construite sur le mensonge. Pour

#8 Cf. décret n° 99-158/PRES du 1° juin 1 999 portant création d’un Collège de sages.
#% Pour le Rapport du Collège de sages, cf. : -Sidwaya, Édition spéciale, Ouagadougou,
4 août 1 999. -Le Journal du soir, n° 1438, Ouagadougou, 7-8 août 1 999.
418
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

elle, c’est une journée « où les bourreaux ef leurs victimes sont conviés à se
donner des baisers de Juda”, » Mariam Sankara rejeta aussi la J.N.P. au
motif que le pouvoir qui l’organise a les mains couvertes de sang de ses vic-
times et qu’il fallait rechercher la vérité, la justice, avant d’arriver au pardon
et à la réconciliation. Les familles des victimes les plus emblématiques du
régime de Blaise Compaoré (Paulin Bamouni, Jean-Baptiste Lingani, Guil-
Jaume Sessouma, Boukary Dabo, entre autres) rejetèrent la J.N.P. pour sa
duperie.

643- La Journée nationale de pardon a été accusée de cacher des desseins


inavoués d’absolution sans repentance et d’être une caution à l’impunité. Le
Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques
(C.O.D.M.P.P.), créé autour du 16 décembre 1 998 pour mener la lutte pour
la justice pour Norbert Zongo et ses infortunés compagnons, rejeta la J.N.P.
Il organisa au même moment des manifestations de recueillement dans les
cimetières de Günghê et de Dagnoë où reposent respectivement Norbert
Zongo et Thomas Sankara, afin de rendre hommage « à nos héros lâche-
ment poignardés dans le dos par des assassins, des bourreaux, des criminels
au service du régime Compaoré*", » Le Conseil supérieur de la chefferie
coutumière, dans un message du 28 mars 2 001, a souhaité « que ce pardon
ne soit pas un vain mof. Nous voudrions qu'il soit suivi d'un changement
fondamental de comportement.
Dans cette perspective, la Journée de pardon aurait dû ou pu être
précédée de la Journée de repentir. Cette occasion aurait été belle pour
clarifier tout ce qui constitue aujourd'hui la déchirure dans le débat na-
tional sur la question (victimes, auteurs, regrets, réparations, etc. } »

644- Malgré les réserves et les rejets, la J.N.P. eut lieu parce que le
régime de Compaoré y tenait afin d’extorquer à ses conditions un suppo-
sé pardon pour ses innombrables crimes. Pour remplir le stade du 4 août
où devait se tenir la cérémonie, une “commission mobilisation” fut mise
en place et des véhicules affrétés amenèrent des figurants des quatre

#10 C£. : -L'Indépendant, n° 392, Ouagadougou, 13 mars 2 001, p. 10. - L'Indépendant,


n° 393, Ouagadougou, 20 mars 2 001, p. 4-6.
$11 Cf. L'Observateur Paalga, n° 5371, Ouagadougou, 2 avril 2001, p. 25.
88 Cf Le Pays, n° 2354, Ouagadougou, 29 mars 2 001, p. 5.
419
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

coins du pays. Blaise Compaoré prit des engagements en sept points vi.
sant, entre autres, à la création d’un fonds d'indemnisation en faveur des
familles victimes de la violence en politique, à garantir les droits hu.
mains, à assurer le traitement diligent de l’ensemble des dossiers de
crimes économiques et de sang, à la moralisation de la vie publique et
sociale et à la lutte contre la délinquance économique et la corruption""?.
645- Le régime de Blaise Compaoré fut sérieusement ébranlé dans ses
fondements et dans ses certitudes. Le sacrifice consenti par Norbert Zon-
go permit d'opérer de profondes réformes politiques et de mettre fin aux
flagrants et sauvages assassinats politiques. À cette époque le nombre des
victimes des assassinats politiques du régime de Blaise Compaoré était
évalué à une centaine", Les assassinats politiques ne cessèrent pas pour
autant, mais ils se firent plus discrets et plus subtils. Si comme a voulu le
faire croire le Front populaire, les atteintes à la vie sous le C.NR. étaient
le fait de Sankara, elles auraient cessé après sa disparition. Bien au con-
traire, avec son assassinat sautait le verrou qui contenait les bras crimi-
nels et s’ouvrait pour les Burkinabè l’ère de la terreur.

#3 Cf. : -L’Observateur Paalga, n° 5371, Ouagadougou, 2 avril 2 001, p. 5-7. -Le Pays,
n° 2355, Ouagadougou, 2 avril 2 001, p. 6 et 19.
84 Cf -L'Indépendant, n° 286, Ouagadougou, 2 mars 1999, p. 6. -L'Indépendant, n°
338, Ouagadougou, 29 février 2000, p. 3-4. -Bendté, n° 100, Ouagadougou, 9 octobre
2000, p. 5 et 12.-Le Démocrate, n° 014, Ouagadougou, 26 mars 2001, p. 4 -$.-
L’Indépendant, n° 423, Ouagadougou, 16 octobre 2001, p. 8.
420
Chapitre III
La renaissance de Thomas Sankara

La peur de mourir est une pensée d'oisif.… Mieux on remplit sa vie,


moins on craint de la perdre.
Alain

Par son œuvre (I) et par son sacrifice (II) Sankara a défié le temps et fait
une entrée remarquable dans l’histoire. En témoignent les réactions susci-
tées par sa disparition (HET).

a La portée de l’œuvre de Sankara

646- Sankara avait conscience des risqués qu’il encourait même si,
pour se rassurer, il tentait de les évacuer en les minimisant ou en en fai-
sant un sujet de plaisanterie. Quand il lui fut demandé s’il connaissait la
peur de mourir il répondit : « Non, cette peur-là je ne la connais pas. Je
me suis fait une raison. Soit je finirai vieil homme quelque part, dans une
bibliothèque à lire des bouquins, soit ce sera une fin violente car nous
avons tellement d'ennemis. Une fois qu'on l'a accepté, ce n'est plus
qu'une question de temps. Cela viendra aujourd'hui ou demain®®, » Les
destins des grands hommes défient parfois le temps et l’espace pour se
recouper. C. Grimberg retrace brièvement le cheminement de Jules César
auquel se rapproche, mutatis mutandis, celui de Sankara : « César avait
conquis le pouvoir par la force des armes, mais il n'entrait pas dans ses
intentions de s'appuyer toujours sur l'armée. Il voulait créer un État où
la puissance militaire serait subordonnée à l'autorité civile. [...] César
ne se réserva même pas une garde du corps ; et pourtant, des hommes
comme les Gracques, Scipion l'Africain le Jeune et Pompée étaient tous
tombés sous le poignard des assassins. César fut assez optimiste pour
croire qu'un gouvernement équitable et soucieux du bonheur de toute la
communauté romaine serait une protection suffisante pour son pouvoir et
sa personne. Lorsqu'on découvrit plusieurs complots contre lui César se

#5 C£ J. Ziegler, J. Ph. Rapp, Thomas Sankara - Un nouveau pouvoir africain, op. cit. p. 102.
421
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA :

contenta d'annoncer la chose par voie d'affiches. Personne avant lui


n'avait fait un usage aussi généreux de la puissance acquise par les
armes. César ignorait les haines partisanes. Il voulait oublier les luttes
sanglantes d'autrefois. Aucun souverain de l'Antiquité n'était, autant que
César, en avance sur son temps, sur cette époque qui recommandaif la
destruction de l'ennemi vaincu. En cela comme dans beaucoup d'autres
domaines, César fit œuvre de pionnier dans l'évolution de
l'humanité", »

647- Sur la fin de Jules César, C. Grimberg écrit : « Nombre de têtes


chaudes complotaient la mort du tyran. Soixante hommes environ se con-
jurèrent contre César et parmi eux plusieurs de ses vieux amis. [..] Les
conjurés résolurent d'agir pendant la réunion du Sénat le 15 mars, donc
aux ides de mars de l’année 44, [..] César devait donc tomber pendant
les ides de mars. Un devin avait prévenu César de se méfier de ce jour et,
à ce que l'on dit, la nuit précédente fut remplie de présages funestes.
Mais César ne se laissa pas impressionner. N'avait-il pas pour principe
que la peur de la mort était beaucoup plus pénible qu'une mort sou-
daine PT » Ce qui devait arriver arriva. César fut bel et bien assassiné ce
jour-là. Thomas Sankara fut assassiné aussi un 15 du mois, soit le 15 oc-
tobre 1987. Le Lion du Bulkiemde dit : « Le 14 octobre j'ai fait appeler
Sankara en insistant pour qu'il vienne immédiatement sur Koudougou.
C'est la seule fois que je l'ai appelé et qu'il n'est pas venu. C'était son
destin®#, » C. Grimberg poursuit : « Les conjurés n'étaient que des com-
parses. Ils n'avaient pu jouer un rôle que parce que César avait fait
d'eux les outils de son génie. [..] Le jour où Antoine lui, devant
l'assemblée du peuple, le testament de César, fut un grand jour pour lui.
Par ce testament, le dictateur léguait ses jardins au peuple pour en faire
un parc et laissait à chacun des 250 000 Romains pauvres une somme
d'environ 100 francs**. Un testament qui fit du bruit ! Ainsi, ces méchants
conjurés avaient mis à mort ce bienfaiteur, ce père des Romains !

316 C, Grimberg, Rome, l’Antiquité en Asie orientale et les grandes invasions, op. cit., p.
99-100.
#17 C. Grimberg, op. cit., p. 101 et 102.
#18 C£ Libérateur, n° 27, Ouagadougou, novembre 2006, p. 5.
#19 1] s’agit de francs belges.
422
Thomas SANKARA et la Révolntion au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

L'indignation fut à son comble Jorsqu "il apparut que César léguait de fortes
sommes à plusieurs de ses assassins 2

648- L’avènement de Thomas Sankara a introduit un mot nouveau


dans le langage politique et une nouvelle conception de la politique : le
sankarisme. N'est-ce pas de la prétention ou de la démesure que de parler
de sankarisme ? L'histoire tranchera. Cependant, au vu de l'innovation
politique, des transformations matérielles et de l'impact international
suscité par son avènement et son action, on peut estimer qu’un apport
suffisamment original a été fait à l’humanité de sorte que parler de sanka-
risme c’est tout simplement traduire une réalité. Dans les limites de
l’espace territorial du Burkina, de la sous-région ouest-africaine et même
au-delà, Thomas Sankara aura profondément marqué son temps, tant
pour ce qui a été fait de positif que pour ce qui a été négatif et dont la
critique pourrait permettre d’aller plus loin dans la quête de solutions aux
problèmes du sous-développement, de liberté et de justice”.

649- L'action de Sankara a été une tentative originale de se servir des


théories, pensées et faits produits par l’histoire de l’humanité, comme
moyens d'analyse permettant de mieux cerner les aspirations d’un peuple
déterminé, pour les traduire en réalité, sans prétention et sans illusion.
Par ce fait même, il a produit et développé une pensée, réalisé des objec-
tifs, et tracé une voie. C’est surtout pour les pays non-développés que
l’œuvre de Sankara revêt toute son importance. Il a dégagé une démarche
optimiste pour cerner des problèmes comme le développement autocen-
tré, le “compter sur ses propres forces”, l’aide internationale, la dette,
l'unité africaine, le non-alignement. Sankara a fait de l’indépendance
politique et économique et du développement autocentré des réalités et a
ainsi offert des perspectives. Dans la nuit des confusions théoriques et
des actions hésitantes et maladroites, dans la difficile et périlleuse tenta-
tive des peuples pour se frayer des voies autonomes vers un mieux-être, le
sankarisme se présente comme une pensée illustrée par une action politique,

#20 C, Grimberg, op. cit., p. 104 et 105. Rappel : Jonas Hien écrit que « Thomas a tout
perdu pour avoir tout donné à Blaise. » Cf. -L'Observateur Paalga, n° 6688, Ouagadou-
gou, 25 juillet 2006, p. 4. -Le pays, n° 3673, Ouagadougou, 27 juillet 2006, p.15.
1 Cf. À. Kyélem, L’éventuel et le possible, op. cit., p. 75-88.
423
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

une orientation qui pourrait contribuer à dégager une voie propre à chaque
pays et à chaque peuple à tout moment de l’histoire.

650- Sur la dimension de Sankara, l’hebdomadaire satirique Journal du


Jeudi écrit : « À bien y voir, cette impossible union de ses fils spirituels
est simplement le signe que le capitaine Sankara a été un grand homme.
L'histoire retient, en effet, que pour les mêmes raisons, des disciples de
Karl Marx et de Lénine se sont livrés d'impitoyables guerres à l'échelle
mondiale. Seuls les grands hommes peuvent mériter de leurs successeurs
qu'ils se réclament de leur cause quitte à en payer le prix fort. Thomas
Sankara peut donc dormir tranquille, car le héros de la Révolution
d'août 1983 continue de mobiliser les foules aussi bien dans son Faso
natal que sur le reste du continent et partout dans le monde? » Pour B.
Jaffré, « Sa popularité réside dans les qualités qu'il a déployées au pou-
voir, dans l'énergie qu'il déployait, son intelligence, sa créativité, sa
résolution, l'ampleur du travail qu'il était capable d'accomplir, sa capa-
cité à entraîner son entourage et son peuple mais aussi dans son intégrité
et sa rigueur morale. Autant de qualités somme toute très humaines et
très réelles. Maïs elles sont rares chez le même homme et atteignent ra-
rement la même force. Son héroïsme réside surtout dans la valeur
d'exemple qu'il représentait, ce qui décuplait sa capacité à faire rêver, à
entraîner derrière lui son entourage mais aussi son peuple, tout en res-
tant toujours très proche des gens, par la proximité physique mais aussi
par son langage qu'il voulait accessible"®, »

651- L’assassinat de Sankara a apporté un éclairage nouveau dans la


scène politique burkinabè. Il aura révélé que si à un moment donné, des
officiers comme Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo
avaient pu apparaître comme des patriotes et de surcroît comme des révo-
lutionnaires, dans la réalité il n’en était rien, même si eux-mêmes avaient
pu se faire des illusions sur ce point. Combien de par le monde parlent de
révolution et l’invoquent sans pourtant savoir réellement ce qu’elle veut
dire, ce qu’elle implique et ce qu’elle comporte comme exigences ! Arri-

#2 Cf. Journal du Jeudi, n° 526, Ouagadougou, 18-24 octobre 2001, p. 3.


#2 Bruno Jaffré, Biographie de Thomas Sankara, op. cit., p. 237-238.
424
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
| Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

vés au pouvoir dans la foulée du mouvement révolutionnaire burkinabè,


du charisme et de l’envergure politique de Sankara, ils chantaient aussi la
Révolution sans certainement y comprendre grand chose; et surtout
b parce que ça leur permettait d’écarter ceux qui pouvaient les gêner et
d’assouvir leurs ambitions. Avec l’approfondissement progressif de la
Révolution, ils se sont sentis menacés dans leurs ambitions et dans leurs
intérêts. Le 15 octobre 1987 devait révéler leur vraie nature.

652- En tout état de cause, les faits révèlent que si Blaise Compaoré
s’est retrouvé embarqué dans le mouvement qui devait aboutir à la prise
| du pouvoir le 4 août 1983 (cf. n° 588), il n’a contribué en rien à la Révo- x
lution. Bien au contraire, tout au long du processus, il affinait ses calculs
et multipliait les intrigues. Tant qu’il ne pouvait pas faire autrement, il
jouait le jeu, faisant semblant d’œuvrer pour la Révolution. Dès qu'il
acquit suffisamment d’assurance, il se mit à saborder le processus de
| l'intérieur dans le but de faciliter et d’accélérer sa prise du pouvoir. Dès
le 15 octobre 1987, il rejeta en bloc tout ce qui a été fait pendant la Révo-
lution et en attribua la reponsabilité à Thomas Sankara (cf. n° 477). Mal-
gré tout, contraint par la réalité des faits, il devait par la suite reconnaître
les acquis de la Révolution. / n° { à ; *
|

Il- La portée du sacrifice de Sankara

Dans ce monde, il n'y a que deux puissances : le sabre et l'esprit.


| L'esprit finit toujours par vaincre le sabre.
Napoléon 1

653- L'engagement pour l’intérêt général doit être total et sans arrière-
pensée. Toute spéculation à ce niveau aura nécessairement un effet sur la
crédibilité de l’engagement, la pureté et la qualité de l’action. Dans la
Rome antique, Tiberius Gracchus avait déclaré : « Les animaux sauvages
de l'Italie ont des trous pour s'y reposer, mais les hommes qui luttent et
qui meurent pour l'Italie ne possèdent que l'air et la lumière. Ils errent
dans les campagnes, avec leur femme et leurs enfants, sans maison, sans
foyer. Les généraux mentent lorsqu'ils exhortent leurs soldats à défendre
leurs foyers et les tombeaux de leurs pères ; les légionnaires n'ont ni
425
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBÈLA

maison ni tombe où enterrer leurs pères, » Après avoir laissé tuer Ti.
berius Sempronius et Caius Sempronius Gracchus, les Romains - tout
comme les Burkinabè plus de deux mille ans plus tard pour ce qui con.
cerne Sankara - comprirent trop tard quelle perte ils avaient subie avec la
disparition des Gracchus. Plutarque raconte : « Le peuple leur éleva des
statues. Les endroits où les Gracques étaient tombés furent proclamés
lieux saints et l'on y sacrifia les primeurs de chaque saison » On éleva
aussi à Cornelia un monument commémoratif sur lequel on pouvait
lire : « Cornelia, fille de l'Africain, mère des Gracques”. »

654- L’ignorance peut conduire à prendre le vrai pour le faux et le faux


pour le vrai. Quand de surcroît l’ignorant est mû par l’orgueil, il devient
un obstiné dans son ignorance. Une telle personne a un ego surdimen-
sionné, est réfractaire au débat contradictoire et se croit dépositaire de la
vérité absolue. Vouloir le tirer de son ignorance peut devenir un casus
belli. Comme l’a écrit Jean-François Revel, « La peur de savoir conduit
au désir d'être trompé. » Ainsi, la peur d’une remise en cause conduit de
telles personnes à persévérer dans leur conviction et à voir en ennemi
toute personne qui ne les y conforterait pas. On peut dire avec Platon que
ces personnes « suivent plutôt la loi des troupeaux qui broutent : les yeux
vers le bas, penchés vers la terre, vers la table, ils broutent pour se rem-
plir et saillir, et c'est à qui l'emportera à force de ruades ou de coups de
boutoir, et chacun y va contre l'autre de ses cornes et sabots de fer, et ils
se tuent, faute d'arriver à la plénitude®%®. » Le penseur éclairé est donc
toujours en danger dans la patrie des ignorants. C’est pourquoi Socrate
estime qu’un homme qui a tant soit peu de valeur ne doit pas calculer les
chances qu'il a de vivre ou de mourir. « {{ ne doit, quoi qu'il fasse, con-
sidérer qu'une chose, s'il agit justement ou injustement, s'il se conduit en
homme de cœur ou en lâché. »

655- La recherche de l’intérêt général exige une certaine hardiesse, un


certain renoncement à soi-même et l’acceptation de beaucoup de risques.

84 C. Grimberg, Rome, l'Antiquité en Asie orientale et lesgrandes invasions op. cit. p. 13.
85 Cf. Ibid. p. 24.
8% Platon, La République, Paris, Librairie Générale Française, 1995, p. 423, & 586.
#77 Platon, Apologie de Socrate, Paris, GF-Flammarion, 1965, p. 40.
426
Thomas SANKARA et la Révolntion au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA

Comme l’a écrit Machiavel, « il faut considérer qu'il n'est rien de plus
difficile à traiter, de plus hasardeux à réussir, de plus dangereux à ma-
nier, que de décider d'introduire de nouvelles règles ; parce que celui
qui les introduit a pour ennemis tous ceux qui tirent avantage des règles
anciennes, et pour tièdes défenseurs tous ceux qui tireraient avantage des
règles nouvelles, » C’est pourquoi, écrit V. Somé, « Partout dans le
monde où de grands révolutionnaires ont été assassinés, c'est parce
qu'ils sont demeurés intransigeants dans la défense des intérêts de leur
peuple, et ont géré par conséquent, des intérêts de classe nationaux
et/ou étrangers % » Thomas Sankara est mort parce qu’il ne pouvait pas
échouer. Les grands hommes sont tels qu’ils créent toujours après eux un
vide. Mais, des contradictions qui naîtront à la suite de la disparition de
Sankara, une autre force se dégagera tôt ou tard pour reprendre et conti-
nuer la lutte engagée par Sankara®®. Comme a dit Napoléon 1”, « Les
hommes de génie sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur
siècle. » L'on peut dire que Sankara était venu pour semer l'espoir et
repartir. Thomas Sankara est mort ; des Sankara sont nés.

I- Les réactions

Les grands hommes ont la terre entière pour tombeau.


Thucydide

656- Rarement la mort d’un chef d’État d’un petit pays pauvre aura
suscité autant d’émois et de réactions dans le monde que celle de Thomas
Sankara. Cela traduit la dimension de l’homme. Les différents et mul-
tiples témoignages permettent de cerner sa personnalité, Ici sont repro-
duits certains d’entre eux pour permettre au lecteur de se faire sa propre
opinion. Comme l’a écrit $. Andriamirado en parlant de Thomas Sanka-
ra, « Mais il n'est pas mort. Ni pour ceux qui, à travers toute l'Afrique,

#% Machiavel, Le Prince, op. cit., p. 51.


3% 4, Somé, Thomas Sankara - L'espoir assassiné, op. cit. p. 187.
830 L’insurrection populaire survenue en fin octobre 2014, et qui a abouti à la fuite de
Blaise Compaoré, confirme ce passage écrit en 2011 et publié en 2012. Les manifestants
brandissaient des pancartes disant entre autres : « Regarde Sankara, tes enfants ont
grandi. » Ou encore : « Justice pour Sankara. »
427
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBELA

en font “un héros immortel”. Ni pour ceux qui craignent la seule évoca.
tion de son nom...»

1- On pleure le président défunt à travers le continent africain et pas


seulement les chefs d'État qui étaient ses amis, mais aussi tous ceux qui
voyaient en lui un porte-parole dans le défi africain à la pauvreté, à la
corruption et à la domination occidentale.
On peut établir un parallèle entre le meurtre du jeune capitaine et
celui de Maurice Bishop. premier ministre de Grenade qui trouva la mort
il y a quatre ans. Leur énorme popularité personnelle de leaders, ajoutée
à l'extrême sous-développement des pays respectifs, créait un ferment
propice au changement et devenait un symbole d'espoir.
The Guardian, Londres, 17 octobre 1987.

2- La mort tragique de Thomas Sankara met fin à une expérience


africaine originale dont les limites, trop évidentes, masquaient aussi les
mérites, peut-être trop dérangeants. Au moins Sankara aura-t-il un mo-
ment montré que la corruption et le népotisme, érigés en système, ne sont
pas les seules manières de gouverner...
Marc Kravetz, Libération, Paris, 17-18 octobre 1987, p. 3.

3- Déclaration du C.D.R. de Nice-Côte d’Azur


[...] Le 15 octobre 1987, un coup de force militaire, brutal et sanglant a
été perpétré, avec pour objectif affiché de mettre un terme [au processus
révolutionnaire].
Les auteurs de ce coup de force sont une partie de ceux-là même
qui, naguère, nantis de la confiance du peuple, ont siégé au Conseil na-
tional de la Révolution (C.N.R.), instance suprême de la Révolution dé-
mocratique et populaire qu'aujourd'hui ils ont dissous.
Dans leur volonté affichée de perpétrer cet acte, rien, ni personne
n'a êté épargné ou respecté : ni la dépouille de ceux qu'ils continuent

#1 Sennen Andriamirado, Il s’appelait Sankara, Paris, JAPRESS, 1989, p. 157-158.


Il convient)préciser qu'après l'assassinat de Sankara, pendant des années,
Compaoré et son régime avaient interdit toute évocation du nom de Sankara dans les
médias et les lieux publics. Leur objectif était d’effacer son nom de l’histoire.
428
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
M de TAMBELA

d'appeler leurs meilleurs amis, ni même le peuple lui-même, négligé ei


méprisé après ce putsch.
Sur le fond, force est de constater que Compaoré et ses complices
tentent de justifier leur coup de force par des allégations dont l'essentiel
tourne autour de conflit de personnes.
Face à cet état de choses, il appartient au peuple burkinabè de se
prononcer clairement. Le C.D.R. de Nice-Côte d'Azur pour sa part :
Y Considérant l'avènement, le 4 août 1983, de la Révolution démocra-
tique et populaire (R.D.P.) ;
Ÿ Considérant que l'avènement de la Révolution démocratique et popu-
laire (R.D.P.) est le fruit de la lutte du peuple burkinabè pour la liber-
té, la dignité et le progrès ; [...]
Ÿ Considérant que les Comités de défense de la Révolution {C.D.R)
sont une émanation du C.N.R.
Ÿ Considérant que les divergences au sein du Conseil national de la
Révolution (C.N.R.) pouvaient trouver des solutions efficaces et du-
rables par le débat démocratique à travers les structures de la Révo-
lution démocratique et populaire ; [...]
Ÿ Considérant l'assassinat du camarade Thomas Sankara et de plu-
sieurs autres camarades ayant pris fait et cause pour la Révolution
démocratique et populaire (R.D.P.) ;
Ÿ Considérant que ce crime qui a atteint le paroxysme de l'ignominie a
été organisé, planifié par Monsieur Blaise Compaoré ef ses copains
Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo ;
Ÿ Considérant le mépris cynique affiché par ces messieurs du 15 oc-
tobre à l'égard du peuple burkinabè ;
Ÿ Considérant que pour ce trio du 15 octobre, l'intérêt des masses se
résume en la seule phrase « c'était lui ou nous » ;
Ÿ Considérant que cet acte du 15 octobre, anti-populaire, anti-
démocratique, militariste, en dernière analyse contre-révolutionnaire,
témoigne de la volonté des putschistes d'assouvir leurs ambitions per-
sonnelles ;
Ÿ Considérant que les événements du 15 octobre relèvent de la plus
haute trahison : trahison du Discours d'orientation politique du 2 oc-
tobre 1983, trahison de l'amitié, de l'honneur et de la dignité ;

429
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈËLA
Ÿ Considérant que d'aussi monstrueux traîtres ne peuvent prétendre
diriger le Burkina ;
Ÿ Considérant que leur forfait accompli, Compaoré et ses complices
tentent de semer la confusion en dissolvant le Conseil national de la
Révolution (C.N.R.) tout en voulant s'approprier les Comités de dé.
Jense de la Révolution (C.D.R.) ;
Nous, militants du Comité de défense de la Révolution de Nice-Côte
d'Azur, face à cette situation, prenons nos responsabilités et décidons
solennellement, à l'issue de l’Assemblée générale extraordinaire tenue le
24 octobre 1987, ce qui suit :
1- Désapprouvons totalement et condamnons fermement avec la
dernière énergie le putsch du 15 octobre 1987.
2- Refusons catégoriquement une quelconque collaboration ou com-
promis avec cette “Révolution rectifiée”.
3- En conséquence et en conformité avec notre position susmention-
née, décidons et déclarons la dissolution du Comité de défense de la Ré-
volution de Nice-Côte d'Azur.
4- Décidons de la mise en place d’une autre forme d'organisation en
vue de poursuivre la lutte pour la liberté, la dignité et le progrès du Bur-
kina Faso.
5- Appelons tous les patriotes, les organisations démocratiques, les
révolutionnaires, à engager la lutte pour :
- Restaurer la mémoire du camarade Thomas Sankara ;
- Restaurer la Révolution démocratique et populaire (RD.P.) en ba-
layant le régime traître du 15 octobre 1987.
La Patrie ou la Mort, Nous Vaincrons.
Fait à Nice le 24 octobre 1987.

4- … un révolutionnaire sincère et brouillon, trop jeune et trop pur


pour trouver sa place en politique, y durer. Un jour ou l'autre, les cro-
codiles devaient l’avaler. [...] Ce n'est pas une querelle entre officiers
révolutionnaires qui divergeraient sur « la ligne ». Dès lors qu'on tue un
juste qui a su incarner l'espoir, tout le monde est concerné.
Béchir Ben Yahmed, Directeur de Jeune Afrique, Jeune Afrique, n° 1399,
Paris, 28 octobre 1987, p. 4.

430
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 2. KYÉLEM de TAMBËLA

5- En quatre ans de pouvoir, le président du Conseil national de la


révolution (CNR) avait su redéfinir la somme du possible et du pensable
par laquelle le développement d'un pays comptant parmi les plus dému-
nis du monde pouvait être envisagé. Au moment où s’essoufflaient les
idéologies de la « malédiction » et celles de la « négritude », où les re-
cettes du F.M.I. et les bonnes intentions du plan de Lagos s'érigeaient en
mythes de rechange, Thomas Sankara rappela à ! ‘ensemble du continent
africain - et singulièrement à sa jeunesse - que le déficit vivrier, le sous-
développement manufacturier et la dépendance ne pourraient trouver
d'’issue sans l'intégration des habituels exclus du jeu social : les paysans,
les femmes, les ruraux prolétarisés.
Pascal Labazée, “De la Révolution à la « Rectification » au Burkina Faso
- L'encombrant héritage de Thomas Sankara”, Le Monde diploma-
tique, n° 404, Paris, novembre 1987, p. 15.

6- … la révolution sociale et politique burkinabè est loin d'être uni-


quement verbale. Sans doute représente-t-elle l'expérience la plus origi-
nale et la plus novatrice de la seconde génération des indépendances
africaines. Le phénomène Sankara en effet fut en soi une véritable révo-
lution sociologique, un bouleversement de la typologie des prises de pou-
voir. Il a remis en cause radicalement le bicéphalisme élites civiles -
haute hiérarchie militaire sur lequel depuis plus de deux décennies
s'appuie la gérontocratie aux commandes de 1 "État néo-colonial... Il a
fondé son pouvoir sur une alliance totalement inédite entre la ville et la
campagne, balayant ce qui fut la base sociale de tous les régimes succes-
sifs au Burkina depuis l'indépendance : l'axe chefferie-fonction pu-
blique-hiérarchie religieuse. Il a enfin, ce qui est remarquable sur le con-
tinent, tenté d'appliquer son programme.
François Soudan, “Un mythe assassiné”, Jeune Afrique Magazine, n°
42, Paris, novembre 1987, p. 37.

7- Ce n'est pas un coup d "État qui a renversé le président du Burki-


na Faso mais une conspiration sordide montée par un groupe d'individus
pour l’assassiner. C'est une honte pour 1 ‘Afrique.
Yoweri Museveni, président de l’Ouganda, Jeune Afrique, n° 1400, Pa-
ris, 4 novembre 1987, p. 43.
431
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

{
8- Il est irremplaçable, autant pour sa gentillesse naturelle, son ou-
verture d'esprit et son exceptionnel charme africain que pour son dyna.
misme, son pragmatisme et son aptitude à épouser les espoirs des déshé.
rités. Peu de leaders de notre temps se seront autant identifiés aux
hommes et aux femmes ordinaires d'Afrique.
John Jerry Rawlings, président du Ghana, Jeune Afrique, n° 1401, Paris,
11 novembre 1987, p. 35.

9- Sous le ciel du labeur, tu arrives à bon port. Il y a quelques an-


nées, tu pris le pouvoir pour diminuer du pays tares et paresses. Et voir
chaque jour au lever du soleil le peuple avec toi se réveiller.
Les résultats ne se firent pas attendre. De ton indépendance, 6
frère, tu étais bien fier. Sans attendre l’aide d'un fiers, tu avançais vers
ton idéal. Les fruits furent positifs.
Lis ont jugé bon de te tuer. Ailleurs, pour le progrès, tu ressuscite-
ras. Tu seras, pour beaucoup en Afrique, engrais. De la terre sèche du
Burkina germeront beaucoup d'autres Sankara qui vers de nouveaux
horizons, avanceront.
PS. : Cette disparition me fend le cœur.
Kouba Dagou Zakahédé, étudiant ivoirien, Paris, France, Jeune Afrique,
n° 1401, Paris, 11 novembre 1987, p. 80.

10- Sankara est mort à cause de son courage, de son combat contre
l'injustice, contre la faim, contre l'exploitation. Je présente mes condoléances
aux Burkinabè victimes de ce coup d” ‘État qui a fait couler trop de sang.
Cissé Manding, électricien, Paris, France, Jeune Afrique, n° 1401, Paris,
11 novembre 1987, p. 80.

11- Quelques jours avant le drame, la télévision allemande faisait


l'éloge de Thomas Sankara, « un président ouvert, simple, dynamique et
patriote. » Puis la même télévision annonça... le coup d "État au Burkina.
La chute de celui qui disait aux Allemands « reprenez vos Mercedes et
donnez-nous des pelles et des pioches. Revenez dans quelques années,
vous verrez tout ce qu'aura produit ce matériel ».

432
Thomas SANKARA ei la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentté
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

Sidy G. Diop, étudiant sénégalais, Lübeck, R.F.A., Jeune Afrique, n°


1401, Paris, 11 novembre 1987, p. 80.
X
{ 7}
12- Tu sais, être libre c’est aussi mourir.
Sankara fils d'Afrique.
Ton sang rouge a tout simplement changé de couleur ; il s'est transformé
en eau douce, que chaque fils de ce continent boira. Ta chair s'est trans-
formée en rocher, sur lequel chaque fils de ce continent trouvera repos.
Ta mobilité d'esprit est un souffle, le souffle de la vie, de la liberté. Le
vert de ion uniforme, sur lequel a coulé ton sang, est la couleur de
l'espérance.
Ton silence ne sera jamais absence, ni plus qu'une fin dernière, mais
commencement du monde, commencement de la vie. L'Afrique pleure, car |
ton sang a rougi son sol fertile, parce que, être libre, c'est aussi mourir. |
Sankara ! qu'as-tu fait pour nous quitter si tôt? O! Fleuves |
d'Afrique, forêts d'Afrique, dieux d'Afrique, faites qu'il revienne et que
sa voix limpide retentisse de plus bel au rythme du tam-tam, le tam-tam |
d'Afrique.
Jean-Claude Jyssey Pambou, paysan à Diosso, Congo, Jeune Afrique, n°
1402, Paris, 18 novembre 1987, p. 84.

13- Thomas, mon premier fils s'appellera Thomas Sankara et, dès ce
jour, ma plantation en cours de création porte le nom de zone T homas
Sankara.
Belle Bell II, Yaoundé, Cameroun, Jeune Afrique, n° 1403, Paris, 25 no-
vembre 1987, p. 73.

14- Si la mort nous frappe à l'instant, je ne regrette pas, car la


flamme de la vraie révolution est allumée.
A. Garcia, Djibouti-Ville, Jeune Afrique, n° 1403, Paris, 25 novembre
1987, p. 73.
15- Il était trop bon dans un monde trop corrompu.
M.J. Salah, Abomey, Bénin, Jeune Afrique, n° 1403, Paris, 25 novembre
1987, p. 74.

433
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

16- I} était une fois un pays où les frères tuaient les frères. Il répon.
dait au nom de pays des hommes intègres. Ce pays n'existe plus, Com.
paoré n'est pas Sankara.
Hervé Mouleyre, La Mulatière, France, Jeune Afrique, n° 1403, 25 no-
vembre 1987, p. 74.
17- Il a su donner vie et âme à son pays, en commençant par démysti.
fier le pouvoir.
Noël Nonkan, étudiant ivoirien, Paris, France, Jeune Afrique, n° 1403, 25
novembre 1987, p. 75.

18- Burkina Faso ou Haute-Volta ? Comment appellerez-vous ce pays ?


Quant à moi, je ne l'appellerai plus le Burkina. Ce nom n'a duré que quatre
ans et ce pays n'a connu que quatre ans de progrès et de justice sociale.
A. Camara, Ziguinchor, Sénégal, Jeune Afrique, n° 1403, Paris, 25 no-
vembre 1987, p. 75.

19- Poème à mon frère burkinabè


Ouédraogo mon frère ne pleure pas
Prie plutôt pour lui
Il comparaîtra devant la justice de Dieu
L'amitié est un lien sacré
Ouédraogo mon frère ne pleure pas
Prie plutôt pour lui
Le soleil s'est couché, il ne se lèvera plus jamais
Tu pleures ! mon frère
Moi aussi, j'ai versé des larmes
Pour notre pauvre Afrique mère.
PS. Je suis tellement affecté que, des nuits entières, mille et une idées se
bousculent dans ma tête.
Abdoulaye Kamara, Dakar, Sénégal, Jeune Afrique, n° 1403, Paris, 25
novembre 1987, p 75.

20- Qu'est-ce que nous apportera Compaoré ? Je ne saurais le dire


exactement, mais sachant la valeur de celui dont il nous a privés, je peux
désormais dire que je serai de ceux qui ne l'applaudiront pas.
Faton Sall, Nouakchott, Mauritanie,
434
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

21- Vendredi 16 octobre. J'étais dans le mérro parisien, assis à côté


d'un homme au visage ridé et mal rasé qui pleurait doucement. Un vieux
clochard désabusé ai-je pensé. J'ai offert un mouchoir à ce vieux monsieur
qui m'a dit entre deux reniflements : « Il est mort ! Sankara est mort {» Voi-
là comment j'ai appris la disparition du chef de l'État burkinabè. |...
Sankara incarnait l'espoir d'une jeunesse qui en a assez des éti-
queites fabriquées, des concepts surannés et des idées vieillies, Pour ces
milliers d'être qui luttent, il représentait l'avenir. [...]
Ceux qui ont tué Sankara ont fait de lui un mythe. Ils lui ont don-
né un pouvoir durable : celui de susciter la foi !
Marie-José Oméro, Paris, France, Jeune Afrique Magazine, n° 43, Paris,
décembre 1987, p. 129.

22- Le 19 octobre, quatre jours après la mort de Thomas Sankara, un


énorme car parisien rempli de touristes japonais s'est arrêté au beau milieu
de l'avenue des Ternes. Derrière lui, les automobilistes ont déclenché un
concert d'avertisseurs. Imperturbable, le chauffeur du car est descendu et il
est entré au 51, tenant à la main une demi-douzaine de journaux soigneuse-
ment pliés. I a demandé au standard un des journalistes de JA. et lui a ten-
du le petit paquet en disant : « Tenez. Il y a quatre jours que Thomas Sanka-
ra est mort. Voilà tout ce qui a été écrit sur lui dans les journaux. C'est pour
vous aider. Il n’y a que Jeune Afrique qui puisse en parler, qui puisse trou-
ver qui l'a tué et pourquoi. On compte sur vous.
Christine Kerdellant, Jeune Afrique, n° 1405, Paris, 9 décembre 1987, p. 70.

23- Si Blaise a trahi son ami, il trahira son peuple.


Ahmed Ould Soulli, Nouakchott, Mauritanie, Jeune Afrique, n° 1405,
Paris, 9 décembre 1987, p. 75.

24- Le tyran meurt, son règne prend fin. Le martyr meurt, son règne
commence.
Ismaël Diallo, Kairouan, Tunisie, Jeune Afrique, n° 1405, Paris, 9 dé-
cembre 1987, p. 75.
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentté
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

25- Les peuples opprimés avaient encore besoin de ta « folie ». Ty


étais la voix des sans-voix.
Bizenga Malhounga, Brazzaville, Congo, Jeune Afrique, n° 1405, Paris,
9 décembre 1987, p. 75.

26- Une étoile s'est éteinte au Sahel, laissant l'Afrique dans de pro-
Jondes ténèbres.
Oumar Abdalla Wele, Nouakchott, Mauritanie, Jeune Afrique, n° 1405,
Paris, 9 décembre 1987, p. 75.

27- J'ai décidé de poursuivre en justice, dans toutes les instances


compétentes, les responsables de l'assassinat de Thomas Sankara et des
autres victimes burkinabè tuées avec lui.
Marco Pannella, député italien au Parlement européen, coprésident du
parti radical, Jeune Afrique, n° 1406, Paris, 16 décembre 1987, p. 63.

28- Pour foufe une génération, Thomas Sankara a symbolisé, en


quatre années seulement, un élan de dignité parmi son peuple oublié
dans la brousse. Il réinventait le développement. Mais sa révolution ga-
gnait trop de sympathies.
Gérard Baeriswyl, Genève, Suisse, Jeune Afrique, n° 1407-1408, Paris,
23 et 30 décembre 1987, p. 110.

29- Mes enfants nés en 1984 sont des jumeaux. Je leur avais donné
les prénoms de Thomas et Blaise. J'ai décidé de débaptiser Blaise ; quel
est le second prénom de Thomas ? Pat,
M. Boyamba, Paris, France, Jeune Afrique, n° 1407-1408 3 et 30 dé-
cembre 1987, p. 110.
30- J'aurais tant souhaité que ce soit un 1° avril, ce jour où j'ai ap-
pris l'assassinat de Sankara. Hélas, ce n'était qu'un 15 octobre et un
flambeau d'espoir pour l'Afrique venait d'être à jamais éteint.
Marcel Mbella, étudiant camerounais, Montréal, Canada, Jeune Afrique,
n° 1407-1408,23 et 30 décembre 1987, p. 112.
31- L'expérience de Sankara et des ses compagnons de lutte est unique
en Afrique et dans le tiers monde. L'assassinat de cet homme exceptionnel
est une tragédie pour l'Afrique entière. [..] Dans l'état de délabrement ex-
436
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

trême où se trouve aujourd’hui l'Afrique, ravagée par des satrapes corrom-


pus et des tyrans sanglants, les peuples cherchent dans la nuit une lumière
capable de les guider. Sankara était cette flamme.
Jean Ziegler, La victoire des vaincus, Paris, Seuil, janvier 1988, p. 158 et 162.

32- Chère Madame [Sankara],


L]
On ne dira jamais assez à quel point le Capitaine Sankara était dé-
sintéressé, que seule l'amélioration du sort des Africains comptait pour lui.
En France, beaucoup de ceux qui ne partageaient pas ses options
politiques ont été fortement peinés à la suite de cette mort, car fous sa-
vaient, aussi bien en Afrique qu'en Occident, que le seul combat du Ca-
pitaine Sankara était le combat pour la vérité et la justice. Il s'est vraï-
ment sacrifié sur l'autel de l'Afrique.
Pour une fois, un pays africain avait à sa tête un homme honnête.
C'était naturellement insupportable pour beaucoup.
Je vous renouvelle, Chère Madame, toute ma sympathie.
Si je peux faire quelque chose pour vous et vos enfants, n ‘hésitez
pas à m'écrire. Je suis à votre entière disposition.
Veuillez agréer, Chère Madame, l'assurance de mes sentiments
les meilleurs.
Nice le 8 janvier 1988
William Caruchet, avocat au Barreau de Nice.

33 C'est surtout en Europe, à travers l'homme de la rue, que j'avais


pu mesurer le crédit et la confiance que l'on accordait enfin à l’homme
noir grâce au régime de Thomas Sankara.
Bani Orougani, Cotonou, Bénin, Jeune Afrique, n° 1411, Paris, 20 jan-
vier 1988, p. 62.

34- Les hommes peuvent être remplacés. L'objectif « développement »


ne peut pas l'être. L'Afrique va battre un record: celui des occasions
perdues pour le développement.
Boss M'Em, Lille, France, Jeune Afrique, n° 1411, Paris, 20 janvier
1988, p. 62.

437
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentté
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

35- Platon fut l'élève de Socrate mais il ne l’a pas assassiné ; au con.
traire ce dernier a parlé par sa bouche après sa mort.
Aboubakary Hamady Bà, Mauritanien, Trentola Ducenta, Italie, Jeune
Afrique, n° 1411, Paris, 20 janvier 1988, p. 62.

36- Ils ont tué mon trait d'union avec l'Afrique noire.
Bradi Mohamed, Marocain, Belfort, France, Jeune Afrique, n° 1412, Pa-
ris, 27 janvier 1988, 59.

37- Avec le crime crapuleux commis sur la personne de Thomas Sanka-


ra, ce n'est pas seulement notre droit à l'espérance qu'on a voulu assassi.
ner, mais c'est aussi ef peut-être surtout notre droit au rêve qu'on a voulu
anéantir (comme disait Sankara) aujourd'hui, demain et pour toujours.
Notre peine est immense. Et elle est à la mesure du rêve gigantesque auquel
n'a cessé de nous convier cet homme tout entier fait de sincérité, de dé-
vouement et d'intégrité.
Chekh Tidiane Gadio, journaliste sénégalais, Sud Magazine, n° 8, Dakar, p.
10.
38- La révolution burkinabè marquera sans aucun doute l’histoire de
la région et de son continent par son caractère novateur. On n'a pas fini
d'en tirer toutes les leçons utiles pour l'avenir. Le Burkina Faso a subi
en peu de temps de profonds bouleversements et, malgré les contradic-
tions, a connu une avancée considérable. La contribution de Sankara y a
été de toute première importance. Gageons que tôt ou tard, à l'intérieur
de son pays, il recevra l'hommage qu'il mérite, un hommage à la mesure
de l'ambition qu'il avait pour son pays et de l'énergie qu'il a déployée
pour le faire avancer.
Bruno Jaffré, Burkina Faso - Les années Sankara - De la révolution à la
rectification, Paris, L'Harmattan, 1989, p. 282.
39- Sankara était un personnage d'une grande finesse, d'une grande
intelligence, beaucoup plus pragmatique que ne le laissait apparaître la
langue de bois de ses conférences de presse. Il essayait de trouver une
solution originale aux problèmes du pays. Sankara refusait tout type
d'alignement sur des forces extérieures [...] c'est de toutes les façons une
lueur d'espoir qui s'est éteinte en Afrique.

438
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYËLEM de TAMBËLA

Harlem Désir, président de S.O.S. Racisme - France, Africa Internatio-


nal, n° 231, Paris, octobre 1990, p. 90.
40- Le Président Sankara était un dirigeant intègre, dynamique et
entièrement dévoué à la cause de son peuple.
Denis Sassou N'Guesso, Président du Congo, Africa International, n°
231, octobre 1990, p. 90.
41- Le 15 octobre 1987 un homme porteur de l'espoir de tout un con-
finent a été assassiné. Son nom : Thomas Sankara. He was my friend. Je
vous demande de ne jamais l'oublier. En mourant le jour de mon anni-
versaire il m'a transmis le flambeau. '
Fela, musicien nigérian, Africa International, n° 231, Paris, octobre 1990, p. 90.

42- J'ai été et je serai toujours de ceux qui n'accepteront jamais qu'on
discrédite ou minimise l'apport de Sankara à l'Afrique et aux Africains de la
diaspora. Pour moi, un des traits importants de Sankara était sa profonde
conscience de l'importance de la culture dans l'émancipation du continent.
Haili Gerima, cinéaste éthiopien, Africa International, n° 231, Paris, oc-
tobre 1990, p. 90.

43- Malgré sa jeunesse, Thomas Sankara aura marqué l’histoire de


l'Afrique du XX° siècle. Ils peuvent essayer de le tuer maïs son esprit
restera vivant car il souffle dans des millions d'Africains debout contre
toutes les formes de domination.
Ngugi Wa Thiongo, écrivain kenyan, Africa International, n° 231, Paris,
octobre 1990, p. 90.

44- Thomas Sankara, instigateur de la « révolution » d'août 1983. Le


seul leader africain avec Patrice Lumumba à avoir donné des dirigeants
noirs une image autre que celle de potenfats corrompus...
Hubert Prolongeau, “Les malaises de Blaise”, Faim-Développement-
Magazine, n° 96, Paris, mai 1993, p. 10.

45- Lorsque le président Sankara reçoit des journalistes comme des


copains, en restant fidèle au principe connu chez les communistes selon
lequel « je dis ce que je fais, et je fais ce que je dis » ; lorsqu'on le voit
au four et au moulin avec la masse des ouvriers et des paysans dans les
439
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

plantations ou dans la construction du chemin de fer ; lorsqu'on le vois


toucher le salaire du fonctionnaire moyen de Côte-d'Ivoire, {...] lorsque
la révolution burkinabè opère des purges dans la Fonction publique pour
y déraciner la gangrène de la corruption, de l’absentéisme, du déficit de
patriotisme, du favoritisme ; lorsqu'elle construit chaque année comme
par miracle des routes et des cités, des barrages, des structures
d'irrigation des terres, etc., le public africain sent pour la première fois à
quel point l'expérience de Mahatma Gandhi en Inde ou de MaoTsé
Toung en Chine est réalisable sous d'autres formes en Afrique. Le Burki-
na Faso devient l'espoir de la libération populaire africaine, l'espoir de
l’équitable répartition sociale des ressources.
C'est ce degré élevé d'espoir ressenti par l'opinion africaine qui
explique aussi le choc et la consternation qu'aura suscités l'assassinat
de Thomas Sankara.
Journal du Jeudi, n° 307, Ouagadougou, 7-13 août 1997, p. 12.

46- Thomas Sankara était un idéaliste désintéressé, convaincu qu'il


avait raison ef n'agissant que pour ce qu'il considérait comme le bien du
peuple.
Jacques Foccart, L'Observateur Paalga, n° 4510, Ouagadougou, 14-15
octobre 1997, p. 9.

47- Thomas Sankara est de ces conquérants de “l'impossibilité” qui


ne s'est jamais trahi lui-même, ni trahi son peuple. Il croyait en ce qu'il
disait et faisait ce qu'il croyait. Il a voulu prendre tous les risques pour
que son peuple soit heureux. J'ai vu comment cet homme s'est sacrifié à
travers la rédaction de l'hymne national, le “Ditanye”, je l'ai vu expri-
mer toute l'aspiration à la dignité pour son peuple, peuple qui devenait
le berceau de la dignité pour tous les peuples, pour tous les laissés-pour-
compte de la terre. I croyait en son peuple et lui faisait confiance car il
pensait que nous pouvions ensemble affronter les défis et vaincre les ser-
vitudes de l'histoire ancienne et moderne.
Mariam Sankara, veuve de Thomas Sankara, Le Pays, n° 1499, Ouaga-
dougou, 17 octobre 1997, p. 3.

440
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

48- Le 4 août marque une date pour nous, ça ne veut pas nécessaire-
ment dire qu'on a êté heureux à cette date-là [...] Mais, elle marque
quand même quelque chose. C'est grâce au 4 août queje ne suis pas ce
que j'aurais dû être aujourd'hui. C'est à cause du 4 août que je n'ai pas
pu réaliser un certain nombre de choses, de projets. Ça c'est l'aspect
négatif. Mais, il faut reconnaître que le 4 août a apporté quelque chose
au Burkina Faso. On ne peut pas faire des omelettes sans casser des
œufs. Tout ce que je viens de citer, c'est ce que j'ai enduré personnelle-
ment. Mais il faut savoir faire la part des choses entre sa façon de voir et
ce que le pays a pu en tirer.
Dans beaucoup de domaines, le 4 août a été positif. Malheureu-
sement, l'esprit du 4 août n'a pa pu survivre, sinon les choses auraient
pu être changées. [...] 1 faut dire que Thomas Sankara avait déjà an-
noncé certains éléments de sa rectification : adoucir les T.P.R., recon-
naître que certains fonctionnaires avaient été licenciés injustement, et
qu'il fallait rectifier. [.….]
Donc, il y avait quand même quelque chose de bon dans l'esprit
du 4 août. Malheureusement, je regrette que cet esprit n'ait pas pu conti-
nuer. Puisqu'on avait déjà le dos labouré par le fouet, il restait à
s'adapter. On commençait d'ailleurs à s'adapter quand la rectification
est venue. pour avoir tous les fruits de l'esprit du 4 août, il aurait fallu
continuer. |.…]
Après la rectification, nous assistons à une transformation des
mentalités qui est une catastrophe. C'est cette transformation qui a dété-
rioré la notion de la justice. La notion de l'impunité, de la culture de
l'impunité est née après la rectification. [.….]
Aujourd'hui, le 4 août est supprimé ; l'esprit qu'il a insuflé a été
travesti, transformé en cours de route et a produit des effets absolument
négatifs.
Alfred Kaboré, président de la Convention nationale des démocrates pro-
gressistes (C.N.D.P.), Le Pays, n° 2194, Ouagadougou, 4 août 2000, p. 6.

49- Très sincèrement, c'est le dernier révolutionnaire africain. Pour


moi Sankara avait des défauts et beaucoup de qualité. [...] c'est la der-
nière expérience révolutionnaire positive et c'est la plus positive depuis
l'indépendance. [...] Pour moi c'est la dernière révolution authentique.
441
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré :
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Authentique ça ne veuf pas dire grand chose, mais c'est l'expérience


révolutionnaire la plus positive.
Bruno Jaffré, Bendré, n° 313, Ouagadougou, 8 novembre 2004, p. 6.

S0- Thomas Sankara le martyr

Thomas, tu as êté le président d’un monde que tu voulais digne,


Homme intègre, tu t'es porté porte-parole de tous les déshérités,
Orageux étaient tes discours qui courbaient l'échine des malhonnêtes,
Martyr, tu as appris à fon peuple à vivre africain, seule façon de vivre
digne,
Animé de bonne foi, tu ne craignais pas d'œuvrer pour l'autonomie dans
la liberté,
Sauveur et défenseur des faibles, ton esprit planera éternellement sur nos
têtes.

Sankara Thomas, comme le soleil, tu as brillé sur toutes les nationalités,


Artisan du changement, tu étais pour la révolution démocratique et po-
pulaire,
Noble serviteur du peuple, tu as accepté de vivre pauvre et de lutter
contre les voraces,
Kalachnikov des ennemis et des vendus de la République t'ont réduit en
poussière,
Aimé par fon vrai peuple, tu vivras, ef ce peuple restera toujours fier de
ton intégrité
Repère des assoiffés de l'honnêteté, un autre fils achèvera ton œuvre
révolutionnaire,
Amour éternel pour toi, homme de la révolution mal compris et mal aimé
des rapaces.
Goyang Guy Poda, L'Observateur Paalga, n° 6990, Ouagadougou, 15
octobre 2007, p. 12.

S1- Concernant mes impressions, je retiens de Thomas l’image d'un


véritable patriote qui croyait en ce qu'il faisait, qui avait un idéal de
développement pour son peuple, auquel il était très attaché.

442
Thomas SANKARA et La Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Étienne Traoré, ancien cadre dirigeant de l’U.C.B., ancien membre du


Front populaire et ancien proche collaborateur de Blaise Compaoré,
L'Observateur Paalga, n° 7002, Ouagadougou, 31 octobre-1° novembre
2007, p. 9.
QUATRIÈME PARTIE

La chute de Blaise Compaoré et la renaissance démo-


cratique au Burkina Faso

La désillusion (chapitre I) a précédé la chute de Blaise Compaoré (cha.


pitre ID), laquelle a été le point de départ d’une renaissance démocratique
au Burkina Faso (chapitre ET).

Chapitre I
Le temps des désillutions

Pour Blaise Compaoré, la jouissance du pouvoir (I) a fini par faire place
aux troubles sociaux et politiques (ID), à la peur de l’oubli (LIT) qui sus-
cite un besoin d’activisme (1V} et à la crainte de l’après-pouvoir (V).

IE La jouissance du pouvoir

657- Après le succès du coup d’État sanglant du 15 octobre 1987,


Blaise Compaoré était au sommet de ses aspirations et de ses ambitions,
et même au-delà. Depuis sa rencontre avec Sankara en 1978, il avait tou-
jours rêvé de ce pouvoir qu’il venait de conquerir sans jamais être sûr de
le posséder un jour (cf. n° 58$ * Les années qui suivirent furent des an-
nées de jouissance et de licence où tout était permis pour le bon plaisir du
nouveau prince : exécutions des opposants ou supposés tels, enrichisse-
ment fulgurant par tous les moyens, abandon aux plaisirs, soumission des
prétendus intellectuels et des politiciens par le bâton des intimidations et
des assassinats et la carotte des avantages gracieusement octroyés, des
postes de nomination et de la corruption. Le pouvoir pour les humains est
comme le miel pour les mouches. Il les attire et les dévie de leur trajec-
toire. Il est difficile d’apprécier la conviction d’un homme politique tant
qu’il n’a pas été éprouvé par l'attraction du pouvoir.

444
En ne

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

658- Plus rien ne résistait à Blaise Compaoré qui avait vite fait de trou-
ver le Burkina trop petit pour ses ambitions. Il s’était alors mis à rêver
d’empire. Commencèrent alors les intrusions dans les affaires intérieures
des pays d’Afrique de l'Ouest (Bénin, côte d’Ivoire, Guinée, Libéria,
Mali, Mauritanie, Niger, Sierra-Leone, Togo). L’un des thèmes de sa
campagne pour l'élection présidentielle de 1998 était: «Le rêve du
grand Burkina ! Avec Blaise Compaoré, c'est possible ! » Tout un pro-
gramme ! Les tendances monarchiques s’affirmaient de plus en plus,
jusque dans l’habillement. À cette époque il s’habillait en effet souvent
en chef traditionnel moaga, le luxe en plus.

II Les troubles sociaux et politiques

659- L’élan monarchique de Blaise Compaoré sera brutalement brisé


un jour. Tout semblant lui réussir, le régime se crut tout permis et au-
dessus de tout. Il orchestra alors l'assassinat de la seule personne qui, à
lépoque, lui tenait tête de façon ostentatoire et à la limite du défi : le
journaliste d’investigation Norbert Zongo alias Henri Sebgo (H.S.), fon-
dateur et directeur de publication de l’hebdomadaire L’Indépendant.
Cette imprudence allait mettre fin au rêve d’empire de Blaise Compaoré.
Norbert Zongo était seul à pouvoir tout dire sans concession. Il rassurait
ainsi la minorité activiste mais frileuse des centres urbains qui voyait en
lui son porte-parole et son potentiel et éventuel soutien et défenseur face
à la répression du régime.

660- Norbert Zongo jouait en fait le rôle de fou du roi. Avec son assas-
sinat, les citadins réalisèrent que leur seul rempart étant tombé, plus per-
sonne n’était à l'abri. Spontanément les populations descendirent dans
les rues de Ouagadougou pour protester contre l’abomination. Après la
mise sur pied d’un embryon d’organisation, le mouvement de protesta-
tion gagna tout le pays. Du 14 décembre 1998, le lendemain de son as-
sassinat, à 2003, le pays fut dans une instabilité déconcertante, parfois
même ingouvernable. Le peuple avait pris conscience de sa force et la
peur avait changé de camp. Blaise Compaoré fut contraint de faire des
concessions. Il savait qu’il n’était pas aimé, mais par la terreur qu’il ins-
pirait, il savait aussi qu’il était craint et il s’appuyait sur la crainte pour
445
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

gouverner. Maintenant que la crainte s’était évanouie, il était tout nu. I]


dut prendre conscience de la vanité du pouvoir pour le pouvoir.

661- Depuis la création de la colonie de Haute-Volta en 1919, devenue


Burkina Faso en 1984, aucun régime n’a connu autant de troubles et de
contestations que celui de Blaise Compaoré. Bien avant l’affaire Norbert
Zongo, le 4 septembre 1991, des partis politiques d’opposition s'étaient
regroupés dans une coordination des forces démocratiques (C.F.D.) pour
revendiquer la tenue d’une Conférence nationale souveraine (C.N.S$.) afin
de trouver des solutions aux questions non résolues par la Constitution du
2 juin 1991. Il s’agissait pour la C.N.S., entre autres, de fixer le calen-
drier électoral et d'examiner la question de la structure de contrôle des
élections, le bilan général de tous les régimes, la question de l’armée, de
la presse, du respect effectif des libertés et des droits humains, etc®%?.
Face au refus du pouvoir, la C.F.D. organisa le 30 septembre 1991 une
marche suivie d’un meeting à la Pace de la Révolution. Il en résulta des
débordements avec des destructions de biens publics et privés. La res-
ponsabilité des débordements fut largement attribuée à des éléments
proches du pouvoir qui ne pouvaient supporter un mouvement de contes-
tation. Blaise Compaoré qui avait tout à craindre d’une Conférence na-
tionale souveraine, usa de toutes les manœuvres pour la rejeter. En réac-
tion, l'opposition décida de ne pas présenter de candidat à l’élection pré-
sidentielle du 1° décembre 1991 et appela au boycott. Blaise Compaoré
fut élu en solitaire avec un taux de participation de 25, 28%.

662- Courant 2006, décision fut prise de sanctionner le non-port du


casque de protection pour les cyclomotoristes. Suspectant la famille pré-
sidentielle et ses proches d’être intéressés dans le commerce des casques,
le 1* septembre 2006 dans la matinée, des jeunes sortirent en masse de
tous les coins de Ouagadougou exprimer leur colère contre le port du
casque. Le mobilier urbain en fit les frais. Leur réaction fut si inattendue
et si violente que l'application de la mesure fut suspendue. Jusqu'à ce
jour personne ne parle encore de port du casque.

#2 Cf. L'Observateur Paalga, n° 3 000, Ouagadougou, 16 septembre 1991, p. 7-8, 11.


446
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

663- Dans la nuit du 20 au 21 décembre 2006, la mort d’un militaire à


la suite d’un affrontement avec des policiers donna l’occasion à des mili-
taires mécontents du régime de déverser leur colère sur la police censée
être la garante de l’ordre établi. Le commissariat central de police de
Ouagadougou fut saccagé et les murs criblés de balles. Des balles per-
dues laissèrent des traces sur des immeubles environnants. La Direction
générale de la police nationale ne fut pas épargnée. Le siège de la Com-
pagnie républicaine de sécurité (C.R.S.) fut saccagé. Des véhicules et
l'équipement moderne et coûteux que la police venait d’acquérir et qui y
étaient stockés furent incendiés. Le magasin où étaient stockées les
armes, les munitions, les pièces de rechange, les tenues professionnelles
partit en fumée. Pendant des jours, la police se fit invisible. Ce fut la
gendarmerie qui dut assurer la sécurité. Des sommets des chefs d’État de
la C.É.D.É.A.O. et de l’U.É.M.O.A. qui étaient prévus à Ouagadougou
furent reportés.

664 Le 15 mars 2007, au barrage de Bulmiugu, un quartier de Ouaga-


dougou, des pêcheurs découvraient, emballé dans un sac, un tronc hu-
main de sexe masculin sans tête ni membre. Les membres furent décou-
verts à part, emballés également dans un sac. La veille, 14 mars, un autre
corps également de sexe masculin, découpé et conditionné de la même
manière, avait été découvert dans un autre quartier de Ouagadougou”,
Ce n’est que le 17 mars en fin d’après-midi que les têtes furent retrouvées
au barrage de Tanghê, un autre quartier de Ouagadougou. Ce qui permit
d'identifier avec certitude les victimes qui étaient Oumarou Bambo Maré
et Sampané Vallé Bancé. Les crimes ainsi commis seraient liés à une
affaire d’achat et de vente d’un camion qui aurait mal tournée entre les
partenaires". Le partenaire principal des victimes, Ali Modibo Maïga,
un supposé responsable de la chaine des bars Kunde, fut indexé comme
faisant partie des commanditaires", N'ayant plus confiance dans la jus-

#5 Cf. Le Pays, n° 3830, Ouagadougou, 16-18 mars 2007, p. 33.


#4 Cf. L'Observateur Paalga, n° 6849, Ouagadougou, 20 mars 2007, p. 2-5.
#%$ Dans une conférence de presse, les responsables de la chaine des bars Kunde ont
affirmé ne pas connaître Ali Modibo Maïga. La méprise serait due à deux choses :
Maïga à été convoqué pour des explications par la famille d’une des victimes qui s’était
rendue chez lui et n’a plus donné signe de vie. Maïga répondit qu’il n’en savait rien et
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3, KYÉLEM de TAMBELA

tice du régime suspectée de servir et de protéger les riches et les puis.


sants, les parents et amis des victimes, vite rejoints par une foule im.
mense en colère que même l’armée ne pouvait contenir, décidèrent eux-
même de rendre la justice à leur manière. Le 16 mars, tout le stock et le
matériel des bars Kunde furent pillés et les bars incendiés. Les dégâts
étaient provisoirement évalués à cent cinquante millions de francs
CFAŸ%. Le domicile de Maïga fut également pillé et incendié. Les sa-
peurs-pompiers accourus accompagnés de la police municipale n°y pu-
rent rien car la foule s’opposait à leur intervention. En plus de Maïga, un
de ses supposés complices ou coauteurs, Sana Aboubacar, avait été arrêté
par la police, Un troisième, Amadou Zampaligré, avait réussi à prendre la
fuite. Le 17 mars, un groupe de personnes se rendit au commissariat cen-
tral de police de Ouagadougou où étaient gardés les suspects pour les
réclamer et leur couper aussi la tête". [1 fallut toute l’habileté des agents
de police pour les en dissuader.

665- Prenant prétexte de la hausse des prix des poduits de base sous les
effets conjugués de la pression fiscale et du monopole du commerce de
ces mêmes produits détenu par des proches du régime, les 20 et 21 fé-
vrier 2008, les populations de Bobo-Dioulasso, Banfora et Ouahigouya se
répandirent dans ces villes dans des mouvements de protestation. On an-
nonça aussi des manifestations à Ouagadougou pour le 28 février. Des
pressions furent exercées sur certains des animateurs pour les en dissua-
der. Le 28 février dans la matinée, prenant les devants, les forces de
l’ordre occupèrent des lieux stratégiques et se firent très voyants pour
amplifier l’effet de dissuation. En milieu de matinée, des jeunes, par pe-
tits groupes, commencçèrent à converger vers le centre-ville, détruisant au

qu’en tout état de cause, si on avait besoin de lui, à tout moment on pouvait le trouver
au Kunde. En outre, pendant fa Révolution, le père de Maïga avait eu à gérer un des bars
de la chaine, celui de la Cité An IL, avant son rachat par la chaine des Kunde. On en
déduisit que les Kunde étaient la propriété de Maïga.
Kunde en langue more veut dire guitare. À l’origine était Guitare bar, sis au
quartier Larl de Ouagadougou. Ce bar fut le premier à être racheté par les opérateurs
des bars Kunde. D’où le nom des bars de la chaine.
S% C£. Libérateur, n° 32, Ouagadougou, avril 2007, p. 10-11.
#7 c L'Observateur Paalga, n° 6848, Ouagadougou, 19 mars 2007, p. 1-4. —
Évènement, n° 112, Ouagadougou, 25 mars 2007, p. 8-9.
448
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

passage des biens publics et parfois aussi des biens privés. L'intervention
des forces de l’ordre sembla exciter davantage les manifestants qui, dans
une ambiance de courses-poursuites, multipliaient les casses et les incen-
dies de pneus au milieu des voies pour stopper ou ralentir la progression
de la police. La fumée noire enveloppa la ville qui présentait un aspect
apocalyptique"%. Le lendemain, Ouagadougou était une ville dévastée.
Beaucoup prirent réellement conscience que s’il est difficile de bâtir,
détruire est chose facile. Cireuler dans Ouagadougou devint un parcours
du combattant, car la quasi-totalité des feux tricolores avait été détruite. Il
fallut plusieurs mois à L'État et à la municipalité pour y remédier.

666- Depuis, regroupant des syndicats et des associations de la société


civile, la Coalition nationale de lutte contre la vie chère (C.C.V.C.} a vu
le jour et a régulièrement entrepris et animé des manifestations gigan-
tesques. Les 13, 14 et 15 mai 2008, elle faisait observer une grève pour
protester contre la “vie chère”. Le point culminant en fut la marche-
meeting du 14 mai. Une marée humaine envahit le centre de Ouagadou-
gou avec des assiettes, des cuillères, des casseroles, des sacs et des bi-
dons vides, dans un concert de protestation pour “réveiller” le gouverne-
ment. La même scène se produisit à Bobo-Dioulasso et dans l’ensemble
du territoire”.
667- À la suite du décès à Koudougou le 20 février 2011 de l’élève de
la classe de 3° Justin Zongo (cf. $ 562)*, les élèves entrèrent en ébulli
tion sur l’ensemble du territoire pour protester contre les violences poli-
cières. Les manifestations commençèrent à Koudougou le 22 février
2011%1, Le 23 février, le gouvernorat de Koudougou est incendié et les
affrontements avec les forces de l’ordre firent deux morts et de nombreux
blessés®?. Le 28 février, devant l’ampleur des manifestations, les établis-

88 Cf. L'Observateur Paalga, n° 7082, Ouagadougou, 29 février-2 mars 2008, p. 10-12.


59 Cf. Bendré, n° 496, Ouagadougou, 19 mai 2008, p. 6-7.
f. nement, n° 205, Ouagadougou, 10 mars 2011, p. 8.
1 Cf: -Le Pays, n° 4810, Ouagadougou, 23 février 2011, p. 1-2. -L'Observateur Paal-
, n° 7826, Ouagadougou, 23 février 2011, p. 9-10, 19.
2 Cf. : -L'Observateur Paalga, n° 7827, Ouagadougou, 24 février 2011, p. 1, 12-13. —
Le Pays, n° 4811, Ouagadougou, 24 février 2011, p. 1 et 28.
449
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

sements secondaires furent fermés jusqu’à nouvel ordre. Le 7 mars, Les


commissariats de police de Koupéla, Pouytenga, Boussé et Gourcy sont
incendiés par les élèves. Le 9 mars, le souvernorat de l’Est à Fada et le
commissariat de police de Diapaga sont incendiés. À Ouahigouya, des
édifices publics et privés sont saccagés et incendiés"#, À Ouagadougou,
le siège du Congrès pour la démocratie et le progrès (C.D.P.), le parti de
Blaise Compaoré, est incendié, des biens publics sont soit pillés soit brû-
lés. Le 14 mars, les universités publiques sont fermées". Du 22 au 23
août, les policiers accusés d’être responsables de la mort de Justin Zongo
sont jugés et condamnés*®.

668- À partir du 22 mars, les militaires vont supplanter les élèves dans
la contestation. À l’origine, ils entendaient protester contre un jugement
rendu le 22 mars 2011 par le tribunal de grande instance de Ouagadou-
gou dans un dossier de mœurs sentimentales opposant un sous-officier et
quatre hommes du rang à un civil. Les militaires avaient été condamnés
et immédiatement incarcérés à la maison d’arrêt militaire sise au camp
Sangoulé Lamizana. Certains militaires n’ont pas accepté cette situation
dans la mesure où, selon eux, des proches du régime coupables de faits
autrement plus répréhensibles jouissaient de l’impunité. Dans la nuit du
22 au 23 mars, des tirs d’armes de guerre déchirèrent le silence de la nuit
à Ouagadougou. Des commerces et des stations d’essence sont pillés et
saccagés et, vers 3h du matin, les militaires iront libérer leurs collègues
qui venaient d’être incarcérés dans la journéef#f,

% C£ L'Observateur Paalga, n° 7836, Ouagadougou, 10 mars 2011, p. 12, 21-22.


"4 À l'époque, il y avait quatre universités publiques : université de Ouagadougou,
université Quaga-IT, université polytechnique de Bobo-Dioulasso, université de Kou-
dougou. Trois autres s’y sont ajoutées depuis : Ouahigouya, Fada et Dédougou. En
projet : Dori et Gaoua.
$ Cf : -L'Observateur Paalga, n° 7949, Ouagadougou, 23 août 2011, p. 3-4, 7, 10-11. -
L'Observateur Paalga, n° 7950, Ouagadougou, 24 août 2011, p. 1-4, 6. -Le Pays, n°
4934, Ouagadougou, 24 août 2011, p. 1-4. -Le Reporter, n° 77, Ouagadougou, 1° -14
septembre 2011, p. 1, 3-6.
# C£ : -L'Observateur Paalga, n° 7846, Ouagadougou, 24 mars 2011, p. 1-4. -Le Pays,
n° 4830, Ouagadougou, 24 mars 2011, p. 1, 2, 4. -L'Évènement, n° 206, Ouagadougou,
25 mars 2011, p. 8-10.
450
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
ie loppement antocentré
EM de TAMBÉLA

669- Le mouvement tourna très vite à la contestation du régime. Le 29


mars, pour marquer leur mépris pour la Justice, une roquette est tirée sur
le palais de justice de Fada par des militaires du régiment blindé de Fada.
Les cours reprennent au secondaire et dans les universités publiques.
Dans la nuit du 29 au 30 mars à Ouagadougou, des militaires se mirent de
nouveau à tirer dans le désordre, à piller et à casser. Le domicile du maire
de Ouagadougou, Simon Compaoré, est violé, pillé et le maire torturé. Il
fut recueilli et soigné à l’infirmerie de la Présidence. Le domicile du chef
d'état-major général des armées, le général Dominique Djindjéré, est
saccagé et incendié?. Le 30 mars, dans un message à la nation, Blaise
Compaoré annonça sa « disponibilité à rencontrer toutes les catégories
sociales en vue d'échanger sur leurs préoccupations. » Le 31 mars à
Tenkodogo, des élèves saccagent et incendient des édifices publics et
privés dont les domiciles du responsable local du C.D.P et aussi ministre
des Affaires étrangères, Alain Bedouma Yoda et de la ministre de
l'Enseignement de base, Odile Bonkoungou, le siège local du C.D.P., le
gouvernorat et la maison de la femme,

670- Le 8 avril, la Coalition nationale de lutte contre la vie chère


(C.C.V.C.) organisa des marches de protestation sur toute l’étendue du
territoire. À Ouagadougou, une foule immense, jamais rassemblée
jusque-là, arpenta les artères du centre-ville en scandant des slogans hos-
tiles au pouvoir. Des femmes portaient qui une marmite vide, qui un sac
vide pour traduire le manque de vivre dû à la vie chère". Le succès des
manifestations à travers le pays fut tel que le gouvernement prit des me-
sures immédiates de fixation et de contrôle des prix des produits de base
(riz, mil, maïs, farine, huile, lait, sucre).

671- Dans la nuit du 14 au 15 avril 2011, des éléments du Régiment de


sécurité présidentielle (R.S.P.) à {eur tour, entrèrent dans la danse. La
| résidence de Blaise Compaoré fut attaquée par ceux-là même qui étaient
chargés de veiller sur sa sécurité. J1 ne dut son salut qu’à la fuite. Il réus-

#7 Cf. Le Pays, n° 4835, Ouagadougou, 31 mars 2011, p. 1-2.


#8 Cf. L'Observateur Paalga, n° 7852, Ouagadougou, 1° -3 avril 2011, p. 9.
% Cf: -Le Pays, n° 4842, 11 avril 2011, p. 1-2. L'Observateur Paalga, n° 7859, 12
avril 2011, p. 17.
451
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

sit en effet à quitter le palais présidentiel. Croyant qu’il s’était réfugié


dans son domicile privé de Ziniaré à une cinquantaine de kilomètres au
nord de Ouagadougou, des soldats s’y rendirent pour l°y cueillir. I n°;
était pas. Plus tard, certains soutiendront que c’est l’entourage du prési.
* dent qui, pour faire diversion, avaiofit fait courir le bruit qu’il était à Zi-
niaré. On prétendit aussi qu’il s’était réfugié à l'ambassade des États.
Unis située non loin de la Présidence. Pendant quelques heures il y eut la
vacance du pouvoir. Toujours est-il que dans la journée du 15 avril, en
milieu de matinée, Blaise Compaoré était de retour à la Présidence et,
l’air apparemment décontracté, recevait en audiences. Plus de deux ans
après, un ancien militaire qui, à l’époque des faits, servait au R.S.P. ré-
véla qu’il avait trouvé refuge dans un immeuble à Kärpäla, un nouveau
quartier jouxtant la zone de la Présidence".

672- Le 16 avril, des commerçants de Ouagadougou, en réaction contre


la destruction de leurs boutiques par des militaires, se mirent aussi à ma-
nifester. Les vitres de l’Assemblée nationale furent brisées, des bus in-
cendiés et de nouveau, le siège du C.D.P. qui avait été restauré, incen-
dié®!, Le 18 avril à Koudougou, à l’occasion d’une manifestation, le
siège local du C.D.P. fut saccagé et incendié. Les domiciles privés du
+ premier ministre Tertius Zongo et du responsable local du C.D.P par ail-
X leurs directeur général de la Société nationale burkinabè
d'hydrocarbures (SO.NA.B.HY.), Hubert Yaméogo, furent incendiés®®?,

673- Les mutineries gagnèrent d'autres garnisons. Les 14 et 15 mai à


Pô. Le 23 mai, c’est la Garde nationale qui entrait en action pour récla-
mer les mêmes avantages que ceux qui avaient été accordés quelques
semaines plus tôt aux militaires du R.S.P, pour les calmer. Puis, le 29 mai
à Kaya, les 29 et 30 mai à Tenkodogo et à Dori, le 30 mai à Dédougou.
Les 31 mai et 1° juin à Bobo-Dioulasso les mutins saccagèrent et pillè-
rent des boutiques, des biens publics et violentèrent des citoyens. Le 3
juin, une opération coordonnée entre le R.S.P., le Régiment para com-

#50 Cf. Courrier confidentiel, n° 39, Ouagadougou, 10 août 2013, p. 4.


SUCf Le Pays, n° 4847, Ouagadougou, 18 avril 2011, p. 9.
#2? C£ : L'Observateur Paalga, n° 7864, Ouagadougou, 19 avril 2011, p. 9.-Le Pays,
<. n° 4848, Ouagadougou, 19 avril 201 BF.
‘7 452
léveloppement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

mando (R.P.C.) de Dédougou et la gendarmerie nationale aboutit au dé-


sarmement des mutins de BoboŸ%. Cette opération mit un terme aux mu-
tineries. Elles avaient causé des morts, beaucoup de blessés et des dégâts
matériels importants. Le montant provisoire de l'indemnisation des vic-
times et ayants-droit était évalué à environ huit milliards de francs
CFA.
674- Les troubles eurent pour effet de faire tomber le premier ministre
Tertius Zongo dont le gouvernement a été dissous le 15 avril. Le même
jour, la hiérarchie militaire était décapitée et de nouveaux chefs nom-
mést®. Toutefois, le chef d'état-major particulier du président, Gilbert
Diendéré, conserva son poste qu’il occupait depuis le coup d'État du 15
octobre 1987. Le 18 avril, Luc Adolphe Tiao était nommé premier mi-
nistre. Le 21 avril, son gouvernement était constitué et Blaise Compaoré
y occupait lui-même le poste de ministre de la Défense. Il semblerait que
les personnes contactées pour le poste avaient décliné l'offre. Le 28 avril,
le nouveau premier ministre annonçait une batterie de mesures prises
pour résorbér la crise®, Les forces armées nationales furent entièrement
restructurées7.

675- Après l’accalmie, on s’empressa de prendre des sanctions. Le 7


juillet 2011, 566 militaires étaient radiés pour faute particulièrement
grave contre l’honneur, la morale, la probité, avec incitation au désordre.
217 autres furent incarcérés"®. Des fonctionnaires de police furent aussi
révoqués tandis que d’autres recevaient des blâmes®®. Des procès furent

33 Cf. L'Observateur Paalga, n° 7895, Ouagadougou, 6 juin 2011, p. 1, 3-7.


#4 Cf. Le Pays, n° 5083, Ouagadougou, 2 avril 2012, p. 19.
85 Cf. : L'Observateur Paalga, n° 7863, Ouagadougou, 18 avril 2011, p. 6-7. -Le Pays,
n° 4847, 18 avril 2011,p. 23.
856 Cf, L'Observateur Paalga, n° 7871, Ouagadougou, 29 avril-2 mai 2011, p. 10.
557 Cf. L'Observateur Paalga, n° 7962, Ouagadougou, 12 septembre 2011, p. 6-7, 9.
358 Cf. Arrêté n° 2011-160/MDNAC/CAB du 7 juillet 2011 portant résiliation de con-
trats de militaires des Forces Armées Nationales. L'Observateur Paalga, n° 7924, Oua-
gadougou, 15-17 juillet 2011, p. 32-35.
5 Cf. Arrêté n° 2012-053/MATDS/CAB du 7 mars 2012 portant révocation de fonc-
tionnaires de police, consécutivement aux mutineries d'avril et mai 2011. Le Pays, n°
5068, Ouagadougou, 12 mars 2012, p. 10-11, 31.
453
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA

annoncés. Ils se tinrent effectivement entre 2013 et 2014 au tribunal mili.


taire et les décisions ne furent pas particulièrement sévères.

Ill. La peur de l’oubli

676- Toute personne pense à sa place dans l’histoire, qu’elle soit per.
sonnelle, familiale, locale, nationale ou internationale. Ce sentiment
s’accroit souvent chez les détenteurs de pouvoirs publics. Très souvent
même, en dehors du souci de s’enrichir, c’est le souci de laisser son nom
dans l’histoire qui conduit au désir d’occuper de hautes fonctions et à
l’idée de conquérir le pouvoir. Or, les critères d’accès à l’histoire ont
évolué. Si pendant longtemps la clé de l’histoire a été à la pointe de
l’épée puis au bout du canon, elle a depuis commencé à glisser vers le
savoir et la sagesse. Le pouvoir politique ne préserve plus de l’oubli s’il
n’est pas marqué du sceau de l'intelligence et de la sagesse. D’ailleurs,
après avoir atteint son apogée dans l'Égypte antique où le pharaon pou-
vait être assimilé à un dieu, le pouvoir politique a depuis amorcé son dé-
clin, surtout avec l’avènement du christianisme qui a amplifié la cons-
cience que chaque personne est seule maître de son destin et que tous les
êtres humains sont égaux. Cette conception a été à la base du déclin pro-
gressif de l’empire romain. Pour les convertis en effet, autorité absolue
de l’empereur sur les corps et les esprits était contestée et l’empire cessait
d’être pour eux la seule référence et la seule raison d’exister. Il ne méri-
tait donc plus d’être défendu coûte que coûte. Il leur importait surtout
leur relation à Dieu. Ce n’est donc pas sans raison que les premiers chré-
tiens étaient jetés aux lions.

677- L'épée ayant cessé d’être la clef de l’histoire, il ne suffit plus


d’accéder au pouvoir pour y avoir une place. Dans la société de demain,
le prestige du pouvoir politique sera de plus en plus insignifiant. Seules la
connaissance et la sagesse mériteront l’attention de l’histoire. Les brutes,
les cupides, les intrigants et les usurpateurs en seront extirpés. Si Thomas
Sankara suscite toujours de l’intérêt, ce n’est pas seulement parce qu'il
avait conquis le pouvoir, mais surtout parce qu’il avait des idées origi-
nales, une conviction et a exercé le pouvoir avec une certaine intelli-
gence. Combien d’anciens chefs d’État de par le monde dont certains ont
454
es

fait des dizaines d’années au pouvoir sont tombés dans loubli parce
qu’ils n’avaient aucune originalité ? Sans compter les milliers de mi-
nistres de par le monde ! En revanche, après un seul mandat de cinq ans
au pouvoir, Mandela était vénéré dans le monde entier pour sa sagesse et
reste une référence dans l’histoire. Sans avoir jamais exercé le pouvoir,
Gandhi, Luther King jr, Mère Theresa de Calcutta, l’abbé Pierre, les lau-
réats des prix Nobels et bien d’autres sont entrés dans l’histoire pour leur
savoir ou leur sagesse.

678- Blaise Compaoré a toujours eu conscience de ses limites, mais


aussi de ses forces : l’intrigue, la ruse et la brutalité sans état d’âme. Il a
mis à profit sa proximité avec Thomas Sankara pour apprendre le néces-
saire, se tailler un costume d’homme d’État et passer à l’acte, Devenu
chef d’État, il restait maintenant à résoudre l’équation de l’histoire. Les
esprits supérieurs ont toujours été une énigme pour les esprits médiocres ;
tels étaient les rapports entre Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Sub-
mergé par le génie de Sankara, Blaise Compaoré a eu le vague dans
l’âme et s’est senti dans le vide malgré et peut-être même à cause des
pouvoirs et du prestige qui avaient été taillés pour lui. Pour exister il a dû
croire qu’il lui fallait se débarrasser de Sankara qui, conscient de son état,
ne craignait rien, surtout pas la mort. Les grands hommes n’ont jamais
tremblé devant la mort (Socrate, Gandhi, Mandela, Luther King jr.). Inu-
tile de citer ici la multitude de martyrs et de saints de toutes les religions.

679- Blaise Compaoré n’était pas en mesure de comprendre qu’on ne


peut pas vaincre un génie et que Sankara en était un. C’est plutôt en ac-
compagnant le génie qu’on peut bénéficier de son aura. Platon est entré
dans l’histoire en servant Socrate, Engels en servant Marx. Mais pour
reconnaître un maître, il faut un peu d’esprit ; ce qui manquait à Blaise
Compaoré. Sankara assassiné semble encore plus présent et Blaise Com-
paoré est apparu dans sa réalité. Ecrasé par l’omniprésence de Sankara
bien que mort, Compaoré tenta de l’extirper de l’histoire par la censure et
la diabolisation. Rien n’y fit. Ironie du sort, il fut même contraint
d'élever Sankara au rang de héros national dès juin 1991. N'ayant pas
réussi à le faire oublier, Compaoré entreprit de le surpasser pour mieux

455
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

mériter de l’histoire. Mais le génie ne s’improvise pas, il ne se force pas


non plus. Il est ou il n’est point.

IV L’activisme comme échappatoire

680- Conscient de ne pouvoir mériter de l’histoire par le savoir ou par


la sagesse, c’est dans l’activisme politique tous azimuts que Blaise Com.
paoré se lança pour trouver une réponse à sa raison d’être. Pendant
quelques années, la sous-région devint l’otage de ce nouveau fantasme de
Compaoré.

681- Le 5 février 2005, Éyadéma Gnassingbé, président du Togo, trou-


vait la mort dans l’avion qui le transportait pour des soins d’urgence à
Tel Aviv en Israël. Son décès ouvrit une crise de succession. Par des
acrobaties juridiques dont seules sont capables des républiques bana-
nières, et avec le soutien d’une armée presque exclusivement tribale, son
fils Faure Essozimna Gnassingbé réussit à s’imposer. Pour les élections
législatives, un conflit surgit avec l'opposition sur les modalités
d'organisation. Ayant des amis aussi bien dans le pouvoir que dans
l'opposition togolaise, Blaise Compaoré saisit l’occasion pour faire ac-
cepter sa médiation. Un Accord politique global (A.P.G.} fut ainsi négo-
cié et signé à Lomé le 20 août 2006. Il prévoyait la création des condi-
tions garantissant des élections libres, ouvertes et transparenteset garan-
tissant aussi le caractère national et républicain des forces de défense et
de sécurité, le respect des droits humains et la formation d’un gouverne-
ment d’union nationale®®?,
682- Après la crise militaro-politique déclenchée le 19 septembre 2002
par l’entrée en rébellion du nord de la Côte d’Ivoire, des pourparlers furent
entrepris ici et là en vue d’une issue politique et pacifique. Lomé, Linas-
Marcoussis en France, Accra, Pretoria®®? furent des lieux de négociations

#0 C£. Sidwaya, n° 5680, Ouagadougou, 21 août 2006, p. I-IV.


#1 Pour l'Accord de Linas-Marcoussis signé le 24 janvier 2003, cf. Bendré, n° 220,
Ouagadougou, 27 janvier 2003, p. 5-7.
#2 Pour l'Accord de Prétoria signé le 6 avril 2005, cf. Le Pays, n° 3351, Ouagadougou,
8 avril 2005, p. 25-27.
456
! : À

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

et d’accords mais en vain. De guerre las et sachant que Blaise Compaoré


était pour quelque chose dans le déclenchement de la rébellion, Laurent
Gbagbo, le président ivoirien, décida de s’adresser directement à Blaise
Compaoré pour une issue à la crise. Les négociations entreprises aboutirent
à l'Accord politique de Ouagadougou (A.P.O.)% qui permit la tenue de
l'élection présidentielle des 31 octobre et 28 novembre 2010.

683- Après la mort le 22 décembre 2008 de Lansana Conté, président de


la Guinée, une junte militaire avec à sa tête le capitaine Moussa Dadis Ca-
mara prit le pouvoir le lendemain 23 décembre sous le nom de Conseil na-
tional pour la démocratie et le développement (C.N.D.D.) Promesse fut faite
d’organiser dans un bref délai des élections libres et transparentes pour re-
mettre le pouvoir aux civils. L'appétit venant en mangeant, Dadis Camara
prit goût au pouvoir et prit toutes les dispositions pour s’y accrocher. Les
troubles qui en résultèrent provoquèrent des divergences au sein de la junte.
Grièvement blessé dans un attentat par le chef de sa propre garde rappro- X
chée, Dadis Camara fut contraint de se retirer. Encore une fois, Blaise Com-
paoré se retrouva médiateur de la crise guinéenne. La Déclaration de Oua-
gadougou du 15 janvier 20105 permit d’aboutir à l’organisation d’une élec-
tion présidentielle qui vit la victoire D’Alpha Condé. x

684- Le 22 mars 2012, sous la poussée des rebelles séparatistes du


Nord regroupés au sein du Mouvement national de libération de
l’Azawad (M.N.L.A.), du Mouvement pour L’unicité du jihad en Afrique |
de l'Ouest (M.U.J.A.O.) et d’Ansar Dine, un coup d’État militaire ren- |
versait le président du Mali, Amani Toumani Touré. Le capitaine Ama- |
dou Haya Sanogo à la tête du Comité national de redressement de la dé-
mocratie et de la restauration de l’État (C.NR.DRÉ) devint chef de
l'État. Sous la pression de la Communauté intemationale et surtout de la x
Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest
(C.É.D.É.A.O.), il dut se retirer dès le 10 avril 2012. Le 12 avril, Dion-
counda Traoré, président de l’Assemblée nationale, fut installé comme

53 Pour l'Accord politique de Ouagadougou signé le 4 mars 2007, cf. L'Observateur


Paalga, n° 6839, 5 mars 2007, p. 3-6.
1 Pour la Déclaration conjointe de Ouagadougou, cf. Bendré, n° 578, Ouagadougou,
18 janvier 2010, p.7.
457
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBÈLA

président par intérim. Dans les négociations qui s’ouvrirent en vue de


l’organisation de l’élection présidentielle et de fa recherche d’une solu.
tion consensuelle avec les séparatistes du Nord-Mali, Blaise Compaoré
devint le médiateur®®. Après l’élection présidentielle, le président élu,
Ibrahim Boubacar Kéita, méfiant à l'égard de Blaise Compaoré pour ses
relations troubles et suivies avec les rebelles séparatistes® , Pécarta de la
médiation pour s’en remettre à l'Algérie.

685- Pour Blaise Compaoré, les médiations avaient un triple objectif :


redorer son blason sur la scène internationale, soigner ses propres intérêts
dans les pays concemés"f? et promouvoir la carrière de ses amis en les
faisant nommer au gouvernement et dans les postes stratégiques de ces
pays. Elles lui ont ainsi permis d’accroître son influence dans la sous-
région et au-delà.

686- Blaise Compaoré s’est encore illustré dans un autre domaine. À


partir des années 2 000, des groupes terroristes ont commencé à essaimer
le Sahara et le Sahel. En guise de trésor de guerre, ils capturaient des
Occidentaux dont ils monnayaient ensuite la libération contre le paiement
de fortes rançons. Blaise Compaoré s’imposa dans les négociations pour
la libération des otages, empochant au passage des dividendes appré-
ciables tout en soignant son image sur le plan international.

687- Sur le plan interne, il y a eu certes quelques réalisations à l'actif


du régime Compaoré. Mais, elles ont été faites souvent dans un souci de
prestige et aussi dans le souci d’égaler, voire de surpasser Thomas San-
kara dans le secret espoir de le banaliser et le faire oublier. On peut ainsi
relever la construction de trois échangeurs à Ouagadougou (sud, est,

5 Cf. Accord-cadre de Bamako du 6 avril 2012, Le pays, n° 5090, Ouagadougou, 12


avril 2012, p. 10.
%5 Beaucoup d’entre eux résidaient à Ouagadougou d’où ils dirigeaient les activités sur
le terrain.
%7 À travers des prête-noms, la famille Compaoré était très active dans plusieurs sec-
teurs économiques :commerce, banque, transport, industrie, bâtiment et travaux pu-
K

blics. Elle contrôlait pratiquement l’économie burkinabè et saisissait toutes les opportu-
nités -notamment les appuis politiques - pour s’implanter dans les autres pays de la
Xe proies

sous-région. Les affaires se nouaient dans le sillage des médiations.


458
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

ouest}, du nouveau quartier “Ouaga-2000”, les projets de l’échangeur du


nord, du nouvel aéroport de Ouagadougou et les investissements dans les
capitales régionales à l’occasion des célébrations tournantes de la fête de
l'indépendance. Mais, ces réalisations ont été exécutées sur une très
longue période et avec beaucoup de financements étrangers. Alors que
Thomas Sankara avait construit le pays en quatre ans avec des apports
étrangers très limités. En outre, pendant longtemps, Blaise Compaoré
s’est appuyé sur les projets esquissés par Sankara dont il tentait vaine-
ment de réaliser certains aspects. Malgré une longévité inégalée au pou-
voir (27 ans), Blaise Compaoré n’a incarné aucune valeur positive. Les
seules valeurs que son régime a instaurées sont des valeurs négatives :
éliminations physiques des opposants et des adversaires, népotisme, af-
fairisme à outrance, corruption des élites, jouissance excessive des plai-
sirs de la vie, mœurs débridées, mépris du petit peuple, entretien d’une
classe de courtisans.
V- La crainte de l’après-pouvoir
688- Blaise Compaoré ne pouvait se résoudre à abandonner allègre-
ment le pouvoir, par crainte d’éventuelles poursuites judiciaires aux plans
national et international, compte tenu des conditions dans lesquelles il
avait accédé au pouvoir et l’a gérait,et de ses immixtions dans les affaires x
intérieures d’autres pays avec dans leur sillage des crimes économiques
et de sang. Certes, il avait fait voter une loi d’amnistie en sa faveur par
une Assemblée nationale aux ordres, mais cela ne valait que sur le plan
national. En outre, une loi peut être défaite à tout moment soit par la
même majorité, soit par une autre majorité. Dès lors, manœuvrer pour
rester au pouvoir et bénéficier toujours ainsi de {’immunité tout en soi-
gnant ses intérêts demeurait la meilleure issue possible. Malgré des
alertes et des mises en garde, Blaise Compaoré tentera d’y parvenir par
une démarche progressive pleine de ruses et de corruptions des militaires,
des élites et de la classe politique.

689- Le rapport du Collège de sages (cf. n° $ 641) recommandait le x


respect strict de la Constitution «fanf dans son esprit que dans sa
lettre. » Il proposait alors de « Revenir sur la modification de l’article 37
de la Constitution et y réintroduire le principe de la limitation à deux
459
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autoceniré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

mandats présidentiels consécutifs, » Ce, afin de favoriser « le principe


de l'alternance politique rendu obligatoire par le texte constitutionnel de
1991.» À cet effet, une Commission de concertation sur les réformes
politiques fut mise en place par le décret n° 99-417/PRES/PM du 11 no-
vembre 1999. Elle proposa la réduction de la durée du mandat présiden.
tiel de sept à cinq ans et sa limitation à deux comme c’était le cas avant la
révision constitutionnelle de 1997. La proposition fut aussitôt acceptée au
nom de la paix sociale. Mais, à défaut de pouvoir se faire remplacer au
pouvoir par son frère François afin que la sécurité et les intérêts de la
famille fussent préservés, Blaise Compaoré se décida à forcer le destin
pour tenter de régner à vie. Ce sera l’erreur de trop.

* #

%% Rappel : En 1997, Blaise Compaoré, avec la complicité d’une classe politique cor-
rompue, avait fait réviser la Constitution pour faire sauter la limittion du nombre de
mandats.
460
Chapitre IT
La chute de Blaise Compaoré

Pour la conservation du pouvoir, après avoir usé en vain de manœuvres


de diversion (1), Blaise Compaoré tenta un passage en force (II) qui a
précipité sa chute (HI).

E Les manœuvres de diversion

690- Se croyant de nouveau en position de force du fait de


l’autoritarisme qu’il exerçait dans son parti, le C.D.P., de la soumission
acquise de la hiérarchie militaire, de la corruption et de la mystification
du pouvoir exercée sur la population, Blaise Compaoré entreprit de dé-
manteler les garanties constitutionnelles de l’alternance. Avançant tou-
jours masqué, il proposa d’abord dans un discours à la nation le
31décembre 2009 de procéder à des réformes politiques pour consolider
la démocratie. En conséquence, le décret n° 2011-262/PRES/PM/MPRP/ ?
du 13 avril 2011 mettait en place un Conseil consultatif sur les réformes
politiques (C.C.R.P.) taillé sur mesure. Blaise Compaoré présenta cette
manœuvre comme un souci de renforcer la démocratie. Les partis poli-
tiques de l'opposition, tout en critiquant la composition et l’objet du
C.C.RP, se dirent prêts à participer aux travaux à condition que la modi-
fication de l’article 37 de la Constitution garantissant la limitation du
nombre de mandats ne fût pas au menu. Or, l'objectif de Blaise Com-
paoré était justement, à travers cette trouvaille, de procéder subtilement à
la modification dudit article afin qu’il pût se représenter aux élections
présidentielles de 2015. Pourtant, dès février 2010, à l’occasion de
l'assemblée plénière de la Conférence épiscopale Burkina-Niger, les
évêques mettaient en garde contre toute tentative de modification de
l'article 37*%, Les partis politiques de l'opposition refusèrent donc de
faire partie du C.C.R.P. et de participer à ses travaux. La Coalition des
organisations de la société civile pour les réformes politiques et institu-

% Cf. L'Observateur Paalga, n° 7885, Ouagadougou, 20-22 mai 2011, p. 30.


#70 Cf. Le Pays, n° 4562, Ouagadougou, 26 février 2010, p. 3.
46l
Thomas SANKARA et la Révolntion au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

tionnelles rejeta également le C.C.R.P. comme cadre de dialogue pour un


véritable enracinement de la démocratie au Burkina Faso. Pour elle je
C.C.R.P. avait vocation à initier un dialogue encadré et téléguidé, un dia-
logue escamoté et superficiel, un dialogue factice et spécieux"”. Le 15
juillet 2013, dans une lettre pastorale, les évêques du Burkina critiquaient
la gouvernance du régime et dénonçaient de nouveau les tentatives voi.
lées pour aboutir à la révision de l’article 37 de la Constitution*?2,

691- Au départ, il était entendu que seules les décisions consensuelles


du C.C.RP. seraient retenues, celles qui n’auraient pas fait l’objet de
consensus devaient être rejetées. Bien que taillé sur mesure, sans la parti-
cipation des partis politiques de l’opposition et de la Coalition des orga-
nisations de la société civile, le C.C.R.P. se prononça à une écrasante
majorité pour la non-révision de l’article 377. Ce point ne devait donc
plus faire l’objet de débat. Ce résultat déstabilisa Blaise Compaoré qui
pourtant ne s’avoua pas vaincu. Le 12 décembre 2013 à Dori, au lende-
main de la célébration de la fête nationale dans cette ville, il laissa en-
tendre dans une conférence de presse qu’il pourrait recourir au référen-
dum pour obtenir la révision de l’article 37°.

692- Blaise Compaoré semblait n'avoir pas pris conscience de


l’évolution de la situation sociopolitique nationale. Un nouveau parti
d’opposition, l’Union pour le Progrès et le Changement (U.P.C.) de Zé-
phirin Diabré était né. 1] disposait de plus de moyens que les anciens par-
tis d'opposition. Les organisations de la société civile étaient de plus en
plus nombreuses et de plus en plus dynamiques, contribuant ainsi à un
meilleur encadrement de la population et à l’éveil des consciences. La
population de plus en plus jeune était de plus en plus mieux formée et
informée, surtout avec l’avènement des nouvelles technologies de
l'information et de la communication. Le droit international et l’opinion

#1 Cf. L'Observateur Paalga, n° 7899, Ouagadougou, 10-12 juin 2011, p. 14.


#72 Cf. Le Quotidien, n° 823, Ouagdougou, 22 juillet 2013, p. 14-15.
3 Cf. : -L'Observateur Paalga, n° 7923, Ouagadougou, 14 juillet 2011, p. 9.
-L'Observateur Paalga, n° 7924, Ouagadougou, 15-17 juillet 2011, p. 4.
#4 Cf : Le Pays, n° 5503, Ouagadougou, 13 décembre 2013, p. 2. -Le Quotidien, n°
941, Ouagadougou, 13 décembre 2013, p. 10.
462
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBÈLA

internationale veillent de plus en plus sur le respect des droits humains dont
les violations sont maintenant sanctionnées. Le mécontentement social et
l'aspiration au changement s’étaient accrus, En outre, au cinquième congrès
du C.D.P. tenu les 2, 3 et 4 mars 2012 au palais des sports de Ouaga 2000,
pour favoriser la prise de contrôle du parti par son petit frère François Com-
paoré et ce, en vue de le préparer à la succession, les anciens compagnons qui
avaient été à l’origine du parti et qui constituaient un obstacle à la promotion
de François furent écartés de la direction du parti puis du gouvernement.
Comprenant qu’ils n’avaient plus grand-chose à perdre, ils décidèrent de réa-
gir, s'appuyant en cela sur l'opposition politique et la société civile devenues
mieux struturées et plus combatives. Le 4 janvier 2014, soixante-quinze
membres du bureau politique du C.D.P. démissionnèrent du parti. Ils furent
vite suivis par des militants de base et des responsables du parti à tous les
échelons et dans toutes les localités. En peu de temps le C.D.P. fut vidé de sa
moelle. Le 25 janvier 2014 les démissionnaires créèrent leur propre parti, le
Mouvement du peuple pour le progrès (M.P.P.) qui rejoignit l’opposition.
Ainsi renforcée, l'opposition organisa plusieurs manifestations monstres à
travers le pays et principalement à Ouagadougou pour signifier son désaccord
à toute tentative de modification de l’article 37 de la Constitution.

693- Traitant ces manifestations et les manifestants avec mépris, soit


par ignorance, soit par cynisme, sinon les deux à la fois, l'ivresse du
pouvoir aidant, Blaise Compaoré dira le 30 juillet 2013, lors d’une confé-
rence de presse donnée à Yamoussoukro en Côte d’Ivoire à l’issue de la
conférence au sommet sur le Traité d’amitié et de coopération entre la
Côte d'Ivoire et le Burkina Faso : « Qu'il y ait des manifestations, qu'il y
ait des avis contraires, ce n'est pas seulement au Burkina Faso qu'on
voit ça. Mais, jamais, même à Paris, même en Amérique, une marche n'a
changé une loi ni la Constitution, ça n'existe pas? .» Le droit est tou-
jours le résultat, l’aboutissement d’une lutte au sein des forces sociales.
Et quand enfin il est adopté, son statut n’est que provisoire. Son efficacité
et son espérance de vie seront fonction du résultat des luttes de la société
en perpétuelle mutation. Faut-il rappeler ici des lois ou des projets de lois
qui ont été soit modifiés soit retirés à la suite de manifestations

835 Cf. L'Observateur paalga, n° 8428, Ouagadougou, 31 juillet 2013, p. 4.


463
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

d’opposition ? Sans remonter loin dans l’histoire, il suffit de rappeler à la


mémoire de Blaise Compaoré qu’en 2008 l’Assemblée nationale du Bur.
kina avait voté une loi instaurant une Taxe de développement communale
(T.D.C.) La taxe qui s’appliquait aux engins roulants devaient contribuer
à renforcer les moyens d’action des collectivités territoriales décentrali.
sées. Les citoyens marquèrent leur opposition à la loi et firent com.
prendre qu’ils ne la paieraient pas. Vu la mauvaise gouvernance et le
népotisme du régime, les gens voyaient dans la taxe un autre moyen de
les rançonner au profit de la classe dirigeante. L'opposition fut telle que
non seulement l’État ne fut jamais en mesure d'exiger son application,
mais, à la suite des manifestations et mutineries de 2011 qui aboutirent à
la chute du gouvernement de Tertius Zongo, l’une des premières mesures
du nouveau gouvernement fut de décider du retrait de la loi. En l’espace
de quelques mois, la même Assemblée qui avait voté la loi et qui affir-
mait qu’elle devait être exécutée comme loin de l’État, votait son abroga-
tion. Au Mali, pendant le dernier mandat inachevé du président Amani
Toumani Touré, une manifestation de rue avait conduit au retrait et à
l'abandon du projet de loi sur le nouveau droit de la famille.

694- En France, l’école laïque faisait partie des “cent dix propositions”
du candidat François Mitterrand®”. Élu en 1981 à la présidence de Ja
République, en 1984 il tenta de réaliser sa promesse. Mais les Français ne
l’entendaient pas ainsi. Ils décidèrent de s’y opposer en organisant une
manifestation monstre de protestation à Paris le 24 juin 1984. Le succès
fut tel que le projet fut simplement retiré le 12 juillet par François Mitter-
rand. Le ministre de l'Éducation nationale, Alain Savary, dut démission-
ner, suivi cinq jours plus tard par le premier ministre Pierre Mauroy et
son gouvernement. En 1986(En-1986) le ministre français de de la Re-
cherche et de l’Enseignement supérieur, Alain Devaquet, dut aussi dé-
missionner et son projet d’autonomisation des universités abandonné face
à la mobilisation des élèves et étudiants sur toute l'étendue du territoire
national. En 2006, face à l’hostilité manifeste de la population, le premier
ministre français, Dominique de Villepin, dut aussi retirer son projet

#% Au départ il était question pour l'État de prendre le contrôle des établissements


privés confessionnels.
464
_dd
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

d'instaurer un Contrat première embauche (C.P.E.) qui avait été initié


l pour favoriser l’embauche des jeunes. En novembre 2014, le premier *
ministre hongrois, Victor Orban, fut contraint de retirer son projet de loi
sur la taxation de l’internet à la suite des manifestions monstres contre
ledit projet.
Il Le passage en force

695- Dans la logique de conservation du pouvoir, Blaise Compaoré


convoqua le 21 octobre 2014 un conseil extraordinaire des ministres qui
décida de transmettre à l’Assemblée nationale un projet de loi de modifi-
cation de l’article 37 de la Constitution, pour lui permettre de se repré-
senter en 2015 après 28 de pouvoir dont 4 ans de régime d'exception,
deux mandats de sept ans et deux mandats de cinq ans. À l’annonce de
cette nouvelle, dans la nuit même du 21 octobre, des manifestations spon-
tanées de protestation éclatèrent çà et là à Ouagadougou et à l’intérieur
du pays. Les 23 et 24 octobre, des jeunes, encadrés par des organisations
de la société civile, prirent d’assaut des quartiers de Ouagadougou, éri-
geant des barricades et affrontant les forces de police.

69%6- Le projet de loi prévoyait que le président est élu pour cinq ans,
rééligible deux fois. Selon le conseil constitutionnel qui était acquis à la ?

>
cause de Blaise Compaoré®?”, la loi de modification n’est pas rétroactive.
C'est ce qui lui avait permis de se représenter en 2005 et en 2010 après la
loi modificative du 11 avril 2000 limitant de nouveau le nombre de man-
dats à deux, alors qu’en 2005 il avait déjà accompli deux mandats de sept
ans chacun. Si le projet de révision était adopté, en vertu du principe de
la non-rétroactivité, en 2015 à la fin de son mandat alors en cours, Blaise
Compaoré redevenait un candidat potentiel comme tout autre, pouvant
prétendre encore à quinze autres années de pouvoir.

697- N'étant pas sûr de pouvoir organiser le référendum vu


l'opposition de la population, ou même de l’emporter si jamais il était

#7 Sur ce point, cf. A.J. Kyélem de Tambèla, "Réflexions sur les cours constitution-
nelles en Afrique", -Le Pays, n° 3474, Ouagadougou, 5 octobre 2005, p. 23-25. -
L'Observateur paalga, n° 6492, Ouagadougou, 6 octobre 2005, p. 6-7. -Mutations, n°
103, Ouagadougou, 15-30 juin 2016, p. 12-13.
465
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

organisé, pour contourner le référendum, Blaise Compaoré décida de


passer par un vote à l’Assemblée nationale. Selon Particle 164 de la
Constitution alors en vigueur, « … le projet de révision est adopté sans
recours au référendum s'il est approuvé à la majorité des trois quarts
(3/4) des membres de l’Assemblée nationale. » Le €.D.P. et la mouvance
présidentielle ne disposaient pas de cette majorité qualifiée. Il fallait donc
s’adjoindre d’autres députés.

698- L'Alliance pour la démocratie et la fédération/Rassemblement


démocratique africain (A.D.F./R.D.A.) de Gilbert Noël Ouédraogo avait
déjà publiquement pris position contre la modification de l’article 37.
Mais que valent les décisions prises sans conviction ? Que valent même
les convictions quand elles ne sont motivées que par de bas intérêts ?
Rousseau disait que « Dès qu'un intérêt fait promettre, un intérêt plus
grand peut faire violer la promesse. » Il se dit que Blaise Compaoré au-
rait débloqué des milliards, et des masses d’argent circulèrent pour con-
vaincre l’A.D.F./R.D.A. et ses députés de voter dans le sens de ses sou-
haits’®, Du coup, le 25 octobre 2014, à l’issue de la première session du
Bureau politique national tenue au stade du 4 août, ce parti, malgré la
décision contre la modification prise par les instances du parti et renouve-
lée le 23 octobre par son secrétariat exécutif national, se renia publique-
ment et se pronança pour la modification de l’article 37 afin de permettre
à Blaise Compaoré de se représenter en 2015 pour, dit-il, préserver la

#8 {| se raconte que sur la base d’un document émargé par le président du C.D.P., Assi-
mi Kouanda et le président de l’A.D.F/R.D.A., Gilbert Noël Ouédraogo, les sommes
suivantes auraient été remises au président de l’'AD.F./R.D.A. pour obtenir Le soutien de
ce parti au vote pour la modification de l’article 37 : -50 millions de francs avant le vote
pour chaque député du parti. Sachant qu’ils étaient 18 cela fait 900 millions. -300 mil-
lions pour l'ensemble des maires du parti. -500 millions pour l'organisation d’un con-
grès extraordinaire pour amener le parti à se renier et à prendre la décision de soutenir le
projet de modification. -2 milliards pour soutenir la campagne électorale du parti pour
les élections qui étaient prévues en fin 2015. Soit au total 3 milliards 700 millions. En
outre, il était prévu 50 millions en plus pour chaque député de ce parti à l’issue du vote,
soit 900 millions. Le vote n’ayant pas eu lieu, cette dernière tranche n'aurait pas pu être
perçue. Les protagonistes contestent et prétendent qu’il n’y a pas eu de circulation
d'argent.
466
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

paix sociale. Sans doute une paix au profit de ses dirigeants et de ses mi-
litants pour qu’ils pussent jouir tranquillement de leurs privilèges indus.

699- Dès l'annonce du processus de modification de la Constitution,


l'opposition politique décida de l’organisation d’une manifestation de
protestation le 28 octobre 2014 suivie de la désobéissance civile jusqu’au
retrait du projet de loi de révision. Ce jour-là, la Place de la nation qui
était le lieu de rencontre refusa du monde. Le surplus se déversa dans les
rues et les places alentours. Près d’un million de personnes étaient là pour
protester contre le projet de modification de l’article 37. Quand on sait
que Ouagadougou et ses environs comptait alors environ deux millions
d'habitants, si l’on exclut les personnes âgées, les invalides et les enfants
en bas âge, c’est pratiquement une grande partie de la population active
de Ouagadougou qui était sortie. À Bobo-Dioulasso ce fut également une
foule immense qui se retrouva à la Place de la gare pour entamer une
marche de protestation. La statue de Blaise Compaoré fut déboulonnée et
jetée à terre. À Koudougou, Ouahigouya, Fada N’Gourma, Gaoua, etc.
les populations sortirent en masse manifester leur hostilité à Blaise Com-
paoré et à ses ambitions de règne sans fin.

700- Après le meeting à la Place de la nation, la foule s’ébranla pour le


rond-point des Nations Unies sur une distance d’environ deux kilomètres.
C’est là que la manifestation prit fin. Mais, parmi les jeunes, certains
voulurent continuer jusqu’à l’Assemblée nationale située à environ cinq
cent mètres à l’Est, pour y camper et empêcher le vote de la loi de modi-
fication qui était prévu pour le 30 octobre 2014. Des échauffourées écla-
tèrent entre les manifestants et la police qui barrait la voie. D’autres,
malgré le harcèlement des forces de l’ordre, décidèrent de rester à la
Place de la nation pour y veiller. En guise de dissuasion, le 29 octobre, le
premier ministre Luc Adolphe Tiao prit une circulaire enjoignant les
“membres du gouvernement et les présidents d'institution de lui faire par-
venir, pour d’éventuelles sanctions à prendre, la liste de ceux qui répon-
draient au mot d’ordre de désobéissance civile de l’opposition. Le même
jour, il prenait une réquisition complémentaire spéciale enjoignant le chef
d'état-major général des forces armées « De prêter le concours des

467
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

troupes nécessaires pour empêcher par la force les troubles à l’ordre


public sur toute l'étendue du territoire national.
L'emploi de la force pour l'exécution de la présente réquisition
comporte l'usage des armes ; l'autorité militaire reste libre d'en régler
l'emploi » Dès le 24 octobre, pour priver les manifestants de l’apport
souvent décisif des élèves et étudiants, un communiqué conjoint des mi.
nistères en charge des Enseignements décidait de la fermeture, du 27 au
31 octobre 2014, de tous les établissements d’enseignement sur toute
l’étendue du territoire.
HI- La chute

701- Le vote de la loi était prévu pour le 30 octobre à 16h. Contre toute
attente, sans doute pour prendre de court les manifestants, la veille
l'heure du vote fut ramenée à 10h. Avant le lever du jour, l’armée, la
police et la gendarmerie encerclèrent le centre-ville, empêchant ainsi
l’accès aux lieux de rassemblement. Quand à partir de 7h, venant des
quatre coins de la ville et des quartiers périphériques, la population
commença à converger vers le centre-ville, c’est donc à près de trois ki-
lomètres de l’Assemblée nationale que la bataille s’engagea contre les
forces de l’ordre. Le bâtiment de l’Assemblée était directement protégé
par le Régiment de sécurité présidentielle (R.S..P.) L'objectif des mani-
festants était de se rendre à | Assemblée nationale pour empêcher le vote
de la loi. Malgré un dispositif militaire et paramilitaire impressionnant,
sous la poussée de la foule qui ne faisait que grossir, les barrages cédè-
rent progressivement l’un après l’autre et, peu avant 10h, le bâtiment de
l’Assemblée nationale était occupé, pillé, saccagé, incendié. Le bâtiment
n’était plus que ruine et désolation. Pratiquement irrécupérable. Les véhi-
cules qui y étaient en stationnement furent tous incendiés. Les manifes-
tants traduisaient ainsi leur dégoût pour une institution minée par la cor-
ruption et dont les animateurs avaient choisi de trahir la confiance du
peuple pour servir gt les ambitions insatiables d’une personne et de son
clan et aussi leurs propres intérêts.

702- La veille du vote, par précaution, les députés du pouvoir et leurs


alliés avaient été logés à l'Hôtel Indépendance du groupe Azalaï qui
jouxte le bâtiment de l’Assemblée et qui y conduit par un passage direct,
468
A ———
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

afin de pouvoir facilement s’y rendre le lendemain sans être empêchés


par les manifestants. La même nuit, de 23h à 1h du matin, Blaise Com-
paoré s’y serait rendu pour s’entretenir avec les députés, leur remonter le
moral, les rassurer et s'assurer aussi qu’ils voteront dans le bon sens. En
représailles, Les locaux de cet hôtel furent aussi saccagés immédiatement
après le bâtiment de l’Assemblée. Un peu plus loin à l’Est, face au pre- x
mier ministère, les locaux de la télévision nationale subirent le même
sort. Il lui était reproché sa partialité dans le traitement de l’information.
Le siège du C.D.P. le parti de Blaise Compaoré, fut incendié de même
que le siège de la Fédération associative pour la paix avec Blaise Com-
paoré (FÉD.A.P./B.C.), l'association montée par François Compaoré
dans sa stratégie de conquête du pouvoir. Des domiciles privés de per-
sonnalités du régime furent pillés, saccagés et incendiés”.

703- À Bobo-Dioulasso, les manifestants incendièrent la mairie et le


siège local du C.D.P. de même que le domicile du maire et ceux de cer-
taines personnalités proches du régime. Le palais de justice fut saccagé,
le matériel pillé ou incendié sur place. Les robes des magistrats furent
jetées à terre, piétinées et utilisées comme serpillières. Les manifestants
traduisaient ainsi leur mépris pour une justice au service d’un homme,
d’un clan et d’un régime et non au service du peuple. À Banfora, Dédou-
gou, Koudougou, Ouahigouya, Fada N’Gourma ce furent les mêmes
scènes de pillage, d’incendie et de désolation.

704- Face à la spontanéité et à la violence de la réaction, Blaise Com-


paoré qui disait que « jamais, même à Paris, même en Amérique, une
marche n'a changé une loi ni la Constitution, ça n'existe pas » (cf. n°
692ÿse vit contraint, dans la matinée même, de retirer le projet de loi sur
la modification de l’article 37. Mais c’était trop tard. Comme ce fut le cas
le 3 janvier 1966, le retrait du projet de loi n’était plus la revendication
principale des manifestants (cf. $ 52). Leur objectif était maintenant le
départ de Blaise Compaoré. Après la prise de contrôle du centre-ville, les
manifestants prirent la direction de Kosyam, le palais de la Présidence,

#% Pour un aperçu des dégâts, cf. L'Observateur Paalga, n° 8738, Ouagdougou, 31 oc-
tobre 2014, p. 1-3, 9-11, 30-32.
469
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

situé à une dizaine de kilomètres dans la partie sud de la capitale. Ils se.
ront stoppés dans leur élan au niveau du Centre international de confé.
rence de Ouagadougou (C.I.C.O.) à quelque trois kilomètres de la Prési.
dence par des éléments du régiment de sécurité présidentielle qui tirèrent
à balles réelles. Continuant à grignoter du terrain, ils parvinrent au der-
nier carrefour à un kilomètre environ de la Présidence. Le dispositif mili.
taire était autrement plus important. Après un long face à face, les mani.
festants finirent par replier.

705- Le lendemain 31 octobre, Ouagadougou ressemblait à une ville


abandonnée après des bombardements. Cependant, dès le matin, des
quatre coins, les jeunes commencèrent à regagner-le centre-ville à pied
ou en cyclomoteurs. Après la Place de la nation®®, certains partirent oc-
cuper l’entrée et l’espace de l'état-major général des armées pour exiger
de l’armée qu’elle prenne le pouvoir et éviter le massacre des civils,
D’autres prirent de nouveau le chemin de Kosyam pour en découdre une
bonne fois avec le régiment de la sécurité présidentielle. Vers 13h, alors
qu’ils étaient au niveau du centre international de conférence, la télévi-
sion privée BF1 rendu public un communiqué de Blaise Compaoré dans
lequel il annonçait sa démission. S’il voulait rester en vie, il n’avait plus
tellement de choix. Face au rouleau compresseur des manifestants, une
partie du régiment de sécurité présidentielle avait fait défection. La vic-
toire était totale et la joie indescriptible. La joie avait tout de même un
goût un peu amer. Certains avaient perdu la vie et beaucoup avaient été
blessésF®1,

706- Dans un long convoi de véhicules roulant à toute allure, Compao-


ré prit la direction du sud vers la ville de P6. Il comptait probablement se
rendre dans la garnison forteresse de cette ville. Prévenus, les populations
auraient barré la voie pour lui en interdire l'accès. Le convoi s’arrêta
alors dans la localité de Nobili à une cinquantaine de kilomètres de PÔ et

#0 Dès la fuite de Blaise Compaoré, la place fut spontanément rebaptisée Place de la


Révolution par les manifestants.
S1 Officiellement, il y eut 33 morts et 660 blessés. 16 biens publics et 416 biens privés
détruits. Cf. L'Observateur Paalga, n° 8789, Ouagadougou, 16-18 janvier 2015, p. 9.
Une Commission d'enquête indépendante (C.E.I.) dénombra 21 morts et 235 blessés.
470
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBELA

c’est là qu’il fut récupéré par un hélicoptère des forces spéciales fran-
çaises stationnées à Ouagadougou qui le déposa avec sa suite à
l’aérodrome de Fada N’Gourma d’où un Transvaal de l’armée française
les transporta à Yamoussoukro en Côte d’Ivoireioù était déjà son épouse
Chantal depuis 72h.)Le président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara
était redevable à Blaise Compaoré qui l’avait soutenu pendant sa longue
et difficile période d’opposition et dans la lutte décisive pour le pouvoir à
la suite de élection présidentielle contestée du 31 octobre et du 28 no-
vembre 2010. La fuite de Blaise Compaoré a ainsi été facilitée par la
France à la demande, semble-t-il, d’Alassane Ouattara. Ironie du sort,
c’est à Yamoussoukro même que, le 30 juillet 2013, Blaise Compaoré
disait que «jamais, même à Paris, même en Amérique, une marche n'a
changé une loi ni la Constitution, ça n'existe pas.» Quinze mois plus
tard, c’est une marche qui le forçait à s’y réfugier après lavoir contraint
à retirer un projet de loi et après avoir détruit son régime. Le 1 no-
vembre, premier jour après la fuite de Blaise Compaoré, à l’appel des
partis politiques et des organisations de la société civile, dès le matin, les
jeunes se répandirent de nouveau dans la ville de Ouagadougou, cette
fois pour enlever les barricades et nettoyer les gravats provenant des des-
tructions afin de lui rendre son éclat habituel.

707- Le chef d'état-major général des armées, le général de division


Nabéré Honoré Traoré se positionna pour la succession. Dès la démission
de Blaise Compaoré, il s’empressa d’annoncer dans un communiqué qu’il
assumait désormais les responsabilités de chef de l'État. À cause de sa
proximité avec Blaise Compaoré, les manifestants le récusèrent. Ils récla-
maient plutôt le général de division à la retraite Kwamé Lougué qui, à un
moment donné, s’était joint à la foule. Finalement ce fut le lieutenant-
colonel Yacouba Isaac Zida qui était le commandant adjoint du R.S.P.#?
qui s’imposa dès le 31 octobre dans la soirée grâce à la complicité et à
l’appui du général de brigade Gilbert Diendéré qui était le chef d’état-
major particulier de Blaise Compaoré et l’âme du R.S.P. Cela fut confirmé
le 1° novembre par un communiqué de l’armée signé du général Traoré

82 Le commandant en titre était le colonel-major Boureima Kéré.


471
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÉLA

lui-même disant qu’à l’unanimité des chefs militaires, le lieutenant-colone]


Zida avait été désigné pour conduire une période de transition.

708- Fort du soutien discret de Diendéré, le lieutenant-colonel Zida


qui avait été désigné par le comité d’état-major comme porte-parole de
l’armée pour s’adresser à la foule, avait su manœuvrer pour avoir la con-
fiance des manifestants à la Place de la nation. En outre, il relevait du
régiment le mieux doté et le mieux organisé et avait su profiter de la pé-
riode de flottement pour surprendre la vigilance de l’armée régulière et
positionner ses hommes dans des endroits stratégiques. Dans une déclara
tion, il promit aux manifestants que leurs aspirations au changement dé-
mocratique ne seront ni trahies ni déçues. Mais la prise du pouvoir par
l’armée ne fut pas acceptée par tous. Elle fut interprétée par une partie
des manifestants comme un coup d’État et une récupération opportuniste,
Elle fut aussi réprouvée par les Nations Unies, l’Union africaine et la
CÉDÉA. O. dont les textes interdisent de recormaître les régimes issus
de coup d’ État. Les partis politiques de l’opposition appelèrent à une
nouvelle manifestation de protestation le 2 novembre contre la prise de
pouvoir par l’armée, La pression de la rue et de la communauté interna-
tionale amena le lieutenant-colonel Zida à comprendre que l’armée devait
céder le pouvoir aux civils. À cet effet, les négociations commencèrent.

709- Les manifestations qui ont conduit à la chute de Blaise Compaoré


ont dépassé le cadre des partis politiques de l’opposition qui ont été eux-
mêmes submergés",3, Elles ont été l’œuvre des jjeunes, encadrés surtout
par des organisations de la société civile. De 1998 à 2003, pendant la
lutte pour la justice pour Norbert Zongo, le journaliste d’investigation
assassiné par le régime de Compaoré, beaucoup de jeunes en sont sortis
frustrés. Ils ont eu l’impression que leur lutte avait été récupérée et étouf-
fée par les partis politiques, les mouvements classiques des droits hu-
mains et de la société civile qui, en fonction de leurs intérêts d’appareil et

#3 Ce n’est que poussé et même menacé par la population que le chef de file de
l'opposition politique, Zéphirin Diabré, fut contraint de faire une déclaration demandant
la démission de Blaise Compaoré. Ce qui ne faisait pas partie de son agenda personnel.
Celui-ci, semble-t-il, prétendait au poste de premier ministre de Blaise Compaoré pour
DA

une période de transition aboutissant aux élections de 2015.


472
Thomas SANKARA et la Révalution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

du calendrier propre à chacun d’eux, ne souhaitaient pas nécessairement


la fin du régime, mais de simples aménagements à leur profit. Depuis,
beaucoup de jeunes avaient pris leur distance avec ces structures et
s'étaient organisés à travers de multiples mouvements, comités et asso-
ciations qui avaient évolué dans la contestation du régime. Ce sont leurs
militants qui ont surtout été en première ligne pendant l’insurrection po-
pulaire. Du 30 octobre à 8h au 31 octobre à 13h, soit en moins de trente
heures, vingt-sept ans de régime Compaoré s’écroulaient et son principal
animateur qui se prenait pour l“homme fort” du Burkina était en fuite,
en quête d’une terre d’exil. Blaise Compaoré est ainsi le premier chef
d’État du Burkina à prendre la fuite, chassé par le peuple. Il était arrivé
au pouvoir dans le sillage de la Révolution démocratique et populaire
d'août 1983 avec Thomas Sankara. Il en fut chassé par une insurrection,
celle des 30 et 31 octobre 2014, et principalement par des jeunes se ré-
clamant de Sankara.

710- Pressentant le danger, dans une lettre du 7 octobre 2014, le prési-


dent français, François Hollande, suggérait à Blaise Compaoré de ne pas
chercher à modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir. En con-
trepartie il se proposait de l’aider à trouver un poste international à la fin
de son mandat en 2015%%, Mais Compaoré comptait beaucoup plus sur la
police dont les moyens avaient été renforcés, avec en plus l’adoption
d’un statut particulier pour les agents ; sur la puissance de ses marabouts,
les sacrifices rituels, les intimidations, la ruse et la corruption, pour par-
venir toujours à ses fins. Il avait pris le Burkina et les Burkinabè en otage
pour la réalisation de ses fantasmes. Les manifestants lui ont donné la
plus grande leçon de sa vie.

711- Trois semaines après son arrivée à Yamoussoukro, le 20 no-


vembre 2014 Blaise Compaoré et son épouse, à bord d’un avion prési-
dentiel ivoirien, partait pour le Maroc, officiellement pour des raisons

84 Le mandat du secrétaire général de l'Organisation intemationale de la francophonie


(O.LF.), l’ancien président du Sénégal, Abdou Diouf, expirait en novembre 2014 au
sommet de Dakar. Il se dit que François Hollande était prêt à faire reculer le sommet
d’un an, le temps que Compaoré finisse son mandat de président du Faso, pour prendre *
la direction de l’O.LF. Compaoré qui semblait sûr de lui aurait décliné la proposition.
473
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

médicales. Il y résida successivement à Casablanca et à Marrakech sous


bonne escorte. Le 12 décembre 2014 il était de retour à Yamoussoukro,
Dans la nuit du 12 au 13 février 2015, il quitta Yamoussoukro pour
s'installer définitivement à Abidjan. Dès le 17 novembre 2014 un décret
présidentiel accordait la nationalité ivoirienne à Blaise Compaoré. Ce.
pendant, le décret ne sera publié au journal officiel ivoirien que le 18
janvier 2016. Cette autre manœuvre avait sans doute pour objectif de
tenter de le protéger contre des poursuites judiciaires.

æ #

474
Chapitre III
La renaissance démocratique

Le 5 novembre 2014, à la suite d’une rencontre entre une délégation de la


C.É.D.É.A.O., de l’Union africaine et des Nations Unies, les grandes
lignes de la période de transition furent arrêtées. Il convient donc
d’aborder la gestion politique (L), la gestion sociale et économique (IE), la
politique étrangère du régime de transition (HIL) et enfin la fin du régime
de transition (LV).

E la gestion politique de la Transition

712- Le 15 novembre 2014, la Constitution qui avait été suspendue le


31 octobre par le lieutenant-colonel Zida fut rétablie. La Charte de la
Transition fut adoptée le 13 novembre et la cérémonie de signature se
déroula le 16 novembre à la Maison du peuple*®. Une commission de 23
membres chargée de désigner le président de la Transition% se mit au
travail. Sur un lot de huit personnes, trois furent retenues pour la dernière
phase : Chériff Moumina Sy, directeur de publication de l'hebdomadaire
Bendré, Joséphine Ouédraogo, ancienne ministre de l’Essor familial et de
la Solidarité nationale du C.N.R. et Michel Kafando, ancien ministre des
Affaires étrangères du C.S.P. et surtout ancien représentant permanent du
Burkina Faso à l'O.N.U. de 1998 jusqu’à sa retraite en 2011 sous le ré-
gime de Blaise Compaoré"”. Dans les premières heures du 17 novembre,
peu avant 4h du matin, la commission rendit public le résultat de ses dé-
libérations. C’est Michel Kafando qui fut retenu. fi prêta serment dès le
18 novembre devant le conseil constitutionnel dans la salle des banquets

85 pour le contenu de la Charte, cf. L'Observateur Paalga, n° 8749, Ouagadougou, 17


novembre 2014, p. 6-7.
#86 Cinq membres représentant Les partis politiques, cinq membres représentant les orga-
nisations de la société civile, cinq membres représentant les forces de défense et de
sécurité et huit membres représentant les autorités religieuses et coutumières.
#%7 La candidature de Chériff M. Sy avait été présentée par des partis politiques et des
organisations de la société civile. Celles de Joséphine Ouédraogo et de Michel Kafando
par l’armée.
475
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

de Ouaga 2000. Le 19 novembre, le tout nouveau président nommait


«comme premier ministre le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida.

713- La candidature de Michel Kafando avait été présentée par


l’armée. Avec la nomination par ce dernier du lieutenant-colonel Zida
comme premier ministre, beaucoup n’ont vu en Michel Kafando qu'un
otage de l’armée. Ainsi, celle-ci donnait l’impression de céder le pouvoir
aux civils tout en en contrôlant les leviers. II convient cependant de ne
pas perdre de vue que Michel Kafando bénéficiait de la légitimité popu-
laire et pouvait compter sur les organes de la Transition. La cérémonie de
passation des charges entre l’ancien chef d’État autoproclamé devenu
premier ministre, Yacouba Zida, et le chef d’État entrant, Michel Kafan-
do, eut lieu le 21 novembre 2014 au Palais des sports de Ouaga 2000.
Dans le discours qu’il prononça, le nouveau chef d’État sembia marquer
une volonté de rupture avec le régime de Compaoré.

714- La Charte de la Transition prévoyait la mise en place d’un Conseil


national de la Transition (C.N.T.) de quatre-vingt-dix membres dont
trente des partis politiques de l’ancienne opposition devenue majoritaire,
vingt-cinq de l’armée, vingt-cinq de la société civile et dix de l’ancienne
majorité devenue minoritaire. Dans chaque groupe, des difficultés se pré-
sentèrent sur le choix des membres. Mais, c’est au sein des organisations
de la société civile (O.S.C.} qu’il y eut le plus de difficultés. Sur quels
critères fallait-il retenir les organisations admises à présenter des candi-
dats ? Comment fallait-il répartir les vingt-cinq membres. Si chaque parti
politique peut avoir une certaine idée sursa représentativité du fait des
élections locales, législatives et présidentielles, tel n’est pas le cas des
O.S.C. dont la représentativité est difficile à évaluer. Certaines d’entre
elles, sans compter beaucoup de membres, sont très visibles du fait de

#% Étaient présents à la cérémonie le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz


alors président en exercice de l'Union Africaine, le président John Dramani Mahama du
Ghana, président en exercice de la C.É.D.É.A.O., le président Thomas Boni Yayi du
Bénin, président en exercice de l’U.É.M.O.A., le président Macky Sall du Sénégal,
président du groupe de contact de la C.É.D.É.A.O. les présidents Mahamadou Issoufou
“du Niger, Ibrahim Boubakar Kéita du Mali, le premier ministre du Togo et les ministres
des Affaires étrangères de la Côte d’Ivoire et du Nigeria.
476
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

l’activisme débordant de leurs dirigeants. D’autres, en revanche, bien que


présentes sur toute l’étendue du territoire, sont moins visibles du fait de
la discrétion de leurs dirigeants. Ces difficultés retardèrent la mise en
place du gouvernement et du C.N.T. Toutefois, le 23 novembre, la com-
position du gouvernement était rendue publique.

715- Dès l’annonce de sa composition, une difficulté se posa. Le mi-


nistère de la Culture et du Tourisme avait été confié à Adama Sagnon,
ami de longue date du premier ministre Zida, magistrat de profession et
qui, au moment de sa nomination, était directeur général du Bureau bur-
kinabè du droit d’auteur (B.B.D.A.) Le 18 juillet 2006, quand intervenait
l'ordonnance de non-lieu du juge d’instruction Wenceslas Ifboudo dans
l'affaire Norbert Zongo, c’est Adama Sagnon qui était procureur du Faso
près le tribunal de grande instance de Ouagadougou. Comme tous les
magistrats qui ont eu à connaître du dossier, il était reproché à Sagnon
d’avoir fait le jeu du pouvoir de Blaise Compaoré et contribué à
l'enterrement du dossier. En conséquence, dès sa nomination connue, la
contre-attaque se mit en branle. Dès le lendemain 24 novembre au matin,
le personnel du ministère occupa les lieux en guise de protestation. Ils
furent vite rejoints par des artistes, des hommes de culture et des mili-
tants des organisations de la société civile. Pour les manifestants, il
n’était pas question qu’Adama Sagnon qu’ils accusaient de compromis-
sions flagrantes avec le régime Compaoré et aussi de gestion chaotique
du B.B.D.A. füt leur ministre. De surcroît, selon eux, il ne relevait pas du
milieu de la culture. Les négociations entreprises par les nouvelles autori-
tés n’y firent rien. Au matin du 25 novembre, les manifestations repri-
rent. Adama Sagnon qui, le 24 novembre avait exclu toute idée de démis-
sion fut pourtant contraint de le faire. Le 25 novembre en fin de matinée,
sa lettre de démission au premier ministre était rendue publique. La joie >
se répandit dans les rangs des manifestants. Jean-Claude Dioma qui était
le secrétaire général du ministère fut nommé en remplacement le 9 dé-
cembre 2014.

716- Le 26 novembre 2014, un communiqué du président de la Transi-


tion informait que la première session du Conseil national de la Transi-
tion était prévue pour le lendemain 27 novembre à partir de 16h. Sa com-
477
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBELA

position avait enfin pu être arrêtée. Le bâtiment de l’Assemblée nationale


ayant été brûlé dès le 30 octobre, la session se tint à l'Hôtel du Député sis
au quartier Bäoghé. Cette première session devait élire le président du
CNT. Trois candidats étaient en lice : Cheriff Moumina Sy, directeur de
publication de l’hebdomadaire Bendré qui faisait partie des trois per.
sonnes retenues pour la présidence de la Transition; Ibrahima Koné, ce-
La

lui-là même qui, alors qu’il était membre du P.A.I.:LI.PA.D. et ministre


de la Jeunesse et des Sports du C.N.R. avait défié le secrétariat général
national des C.D.R. à l’occasion de l’organisation en mai 1984 de la
Journée anti-impérialiste de la jeunesse (cf. $ 266);et Mamadou Ouinde-
pagnimdi Kabré, dirigeant d’un petit parti politique d’obédience sanka-.
riste, le Parti républicain pour l'indépendance totale (P.R.IT.-
Lannaya). Par la suite Mamadou Kabré se retira de la course pour ne lais-
ser que les deux premiers. Au vote, Cheriff Sy l’emporta par 71 voix
contre 14 pour Ibrahima Koné.

717- Après la démission d’Adama Sagnon, un autre ministre fut l’objet


de contestations. Il était reproché à Moumouni Dieguemdé, ministre des
Infrastructures, du Désenclavement et des Transports, d’avoir un passé
trouble, incompatible avec les exigences de transparence et d’intégrité de
la Charte de la Transition*®”. 11 lui était reproché d’avoir fait usage de
faux diplômes, d’être impliqué dans des affaires de corruption, et d’avoir
déjà été incarcéré aux États-Unis. Il se trouve aussi qu’il était un militant
de l'A.D.F.-R.D.A.%° Le personnel de son ministère, soutenu par des
syndicats et des organisations de la société civile, entreprit des manifesta-
tions pour réclamer son départ. Il s’y refusa, s’accrocha à son fauteuil.
Mais, le 8 janvier 2015, lassé par les harcèlements incessants des mani-
festants de son ministère, il fut contraint à la démission. Le 20 janvier
2015, Daouda Traoré été nommé à sa place.

#% L’article 1 de la Charte dit : « Outre les valeurs affirmées par la Constitution en son
préambule, la présente Charte consacre les valeurs suivantes pour guider la Transition, ses
organes et l'ensemble des personnalités appelées à la conduire : l'inclusion ; le sens de la
responsabilité ; la tolérance et le dialogue ; la probité ; la dignité ; la discipline et le ci-
visme ; la solidarité ; la fraternité ; l'esprit de consensus et de discernement. »
° Cf. -Le Reporter, n° 156-157, Ouagadougou, 15 décembre 2014-14 janvier 2015, p.
5-6 ; 8-9. -Le Quotidien, n° 1250, Ouagadougou, 29 décembre 2014, p. 4-6.
478
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBÈLA

Î }

‘718- Le 15 décembre 2014 le C.D.P., 'A.D.F.-R.D.A. et la FÉDAP.


/B.C. furent suspendus par des arrêtés ministériels pour « activités incompa-
tibles avec la loi”! ». Cette mesure de suspension qui avait suscité des dé-
bats fut levée par le président Kafando dans son message du nouvel an.

719- On se rappelle qu’à l'issue de la démission forcée de Blaise Com-


paoré, le lieutenant-colonel Yacouba Issac Zida avait coiffé au poteau
toute la hiérarchie militaire pour s’emparer du pouvoir. Cela avait provo-
qué des frustrations. En outre, la population réclamait la dissolution du
régiment de sécurité présidentielle (R.S.P.) qui avait été le bras armé de
Blaise Compaoré dans l'élimination physique des opposants et dans les
ingérences extérieures. Le premier ministre Zida tenta d'accéder à cette
requête. Ce qui exacerba davantage les tensions au sein du R.S.P. Le 30
décembre 2014, en plein conseil des ministres, le R.S.P. manifesta son
mécontentement en convoquant Zida sous la contrainte, pour une séance
d’explication et de revendications. Entre autres, il revendiquait le main-
tien des avantages dont le comblait Blaise Compaoré et il contestait les
nominations opérées en son sein par Zida. Il n’acceptait pas que certains
officiers très proches de Blaise Compaoré comme le général Gilbert
Diendéré, le colonel-major Boureima Kéré et le lieutenant-colonel Cé-
leste Joseph Moussa Coulibaly aient été écartés du commandement. Un
délai de deux semaines fut donné à Zida pour satisfaire leurs revendica-
tions. Le mercredi 4 février 2015 le conseil des ministres n’eut pas lieu.
Prévenu, Zida évita de se rendre à la Présidence, car le R.S.P. l’y atten-
dait de pied ferme pour une dernière et ultime séance d’explication entre
militaires. Pour non-satisfaction de leurs revendications, le R.S.P. exi-
geait tout simplement la démission de Zida de même que celle des autres
officiers de son gouvernement"? Dès le matin, pour sa propre protection,
Zida s’était rendu chez le môgh nâba. Il y fut rejoint par d’autres person-
nalités pour des négociations en vue de trouver une solution à la crise.

#1 Cf, L'Observteur Paalga, n° 8769, Ouagadougou, 16 décembre 2014, p. 1-2 ; 4.


82 1] s'agissait de : -Colonel Auguste Denise Barry, ministre de l'Administration territo-
riale, de la Décentralisation et de la Sécurité. Colonel Boubacar Ba, ministre des Mines
et de l'Énergie. -Colonel David Kabré, ministres des Sports et des Loisirs.
479
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

720- Le comportement du R.S.P. sonna de nouveau la mobilisation des


partis politiques et des organisations de la société civile dont l’action avait
provoqué la chute de Blaise Compaoré. À l’unanimité ils apportèrent leur
soutien à Zida et à la Transition et exigèrent la dissolution, la réforme ou la
délocalisation du R.S.P. Ils appelèrent à une manifestation de protestation
contre le R.S.P. à la Place de la nation le 7 février 2015. Mais dès le 5 fe
vrier des manifestations spontanées de protestation commençaient à Bobo-
Dioulasso pour réclamer la dissolution du R.S.P. Il en fut de même à Oua.
gadougou à la Place de la nation. Le lendemain 6 février à Ouagadougou,
des manifestants étaient à l’état-major général des armées pour exiger de son
nouveau chef, le général de brigade Pingrenoma Zagré, qu’il prenne ses
responsabilités face à l’inconduite du R.S.P.

721- Le 4 février même, dans la soirée, Jeffrey Feltman, secrétaire général


». adjoint de l'O.N.U. chargé des Affaires politiques fut reçu par le président
Kafando. À la sortie de l’audience, il déclara que « La Communauté interna-
tionale ne tolèrera aucune entrave à la Transition. Ceux qui menacent la
Transition doivent savoir que la Communauté internationale les observe et
les tiendra pour les responsables d'un éventuel blocage. » Les négociations
entreprises aboutirent le 5 février à un compromis. Le R.S.P fut contraint de
À renoncer à l'exigence de la démission du premier ministre. Celui-ci renonça
également à la dissolution du R.S.P. Une commission fut mise en place pour
réfléchir sur le rôle futur et le fonctionnement du R.S.P. Elle avait trois mois
pour transmettre au président un plan de réorientation de l’emploi du
R.S.P% Le 6 février, le R.S.P. fit une déclaration tentant de rassurer la po-
pulation et disant que le R.S.P. « n'est pas en marge de la Transition voulue
par le peuple burkinabè. » Le même jour, le président de la Transition, Mi-
chel Kafando, fit aussi une déclaration d’apaisement. Néanmoins, le com-

#3 Le rapport de la commission fut remis le 9 avril 2015. Il y est écrit que « Ja commis-
sion a estimé que le maintien du Régiment comportait beaucoup plus d'avantages au
plan militaire et politique que sa dissolution. » Pouvait-il en être autrement quand on
sait que la commission était présidée par le général de brigade Gilbert Diendéré qui a
toujours été au R.$.P. et qui était le chef d'état-major particulier de la présidence jus-
qu’à la chute de Blaise Compaoré ! Le rapporteur n’était autre que le colonel-major
Boureima Kéré, chef de corps du R.S.P. Le It-col. Céleste Coulibaly, chef de corps
adjoint en était aussi membre.
480
Thomas SANKARA etla Révolution au Burkina Faso
ppement autocentré
de TAMBËLA

mandement du R.S.P. fut renouvelé dans le sens que celui-ci souhaitait. Ain-
si, le colonel-major Boureima Kéré®* fut nommé chef d’état-major particu-
lier de la présidence en remplacement du lieutenant-colonel Théophile Ni-
kiéma, et le lieutenant-colonel Céleste Coulibaly*” $ fut nommé chef de corps
du R.S.P.

722- Mais, le mouvement d'humeur du R.S.P. tourna à son désavan-


tage. L'opinion se braqua contre lui. Les organisations de la société civile
exigèrent sa dissolution, car pour elles, ses éléments se comportaient
comme des voyous et étaient responsables des crimes commis sous le
régime de Blaise Compaoré. Cela eut pour mérite de conforter le premier :-
ministre Zida et le président de la Transition. Celui-ci d’ailleurs fit une
déclaration le 11 février pour remercier les citoyens de leur prise de posi-
tion qui traduit l’encrage de la démocratie populaire et le contrôle du
pouvoir politique par le peuple.

723- Le R.S.P. n’avait pas encore fini de faire parler de jui. On se rap-
pelle que Isaac Zida était arrivé au pouvoir par l'entremise de Gilbert
Diendéré alors chef d’état-major particulier et hommeà tout faire de
Blaise Compaoré. Mais Zida avait été séduit par les manifestations popu-
laires et avait sans doute découvert que les choses pouvaient se passer

autrement qu’elles ne l'avaient été jusque-là. Il tourna alors le dos au


R.S.P. dont il était pourtant un pur produit, pour épouser la cause des
organisations de la société civile. Pour Gilbert Diendéré habitué à com-
mander dans l’ombre et à être obéi comme son mentor Blaise Compaoré,
c'était là une trahison que Zida devait payer. À travers le R.S.P. il
s’évertua à rendre la vie impossible à Zida.

724- C’est ainsi qu’allait survenir une des crises les plus graves du ré-
gime de la Transition. Le 28 juin 2015, le premier ministre Isaac Zida re-
venait de Taïwan. Au lieu de stationner à l’aéroport international de Oua-
gadougou, son avion poursuivit son chemin jusqu’à la base aérienne de

8% Beaucoup ont indexé le colonel-major Boureima Kéré comme étant un de ceux qui or-
donnaient et supervisaient les scènes de tortures après le coup d” État du 15 octobre 1987.
5 1] avait suivi Blaise Compaoré dans son exil successivement à Yamoussoukro et au
Maroc avant de revenir au Burkina.
481
Thomas SANKARA et La Révolution an Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

l’armée située un peu plus loin. On apprit par la suite que c’était pour dé.
jouer une tentative d’arrestation de Zida ourdie par le R.S.P. Le chef de
corps du R.S.P., le lieutenant-colonel Céleste Coulibaly, et deux autres
capitaines du régiment furent convoqués et auditionnés à la gendarmerie le
29 juin. Cela fut ressenti comme une humiliation par le R.S.P. La même
nuit certains de ses éléments manifestèrent leur mécontentement par des
tirs en l’air dans leur camp situé dans l’enceinte même de la présidence.

725- Certains virent dans cette affaire une manipulation du premier


ministre et de ses proches pour discréditer davantage le R.S.P. et faciliter
sa dissolution. Il semble plutôt que la tentative de putsch était bien réelle
même s’il devait y avoir des pertes en vie humaine. Le R.S.P. n’était en
fait que le dernier moyen de pression entre les mains de Blaise Compaoré
et de ses partisans pour essayer de perturber le régime de la Transition, et
au besoin influer sur le cours des évènements dans le sens de leurs aspira-
tions. Ils n’excluaient pas un retour rapide aux affaires à la faveur de cir-
constances savamment suscitées.

726- Face à la situation ainsi créée, le R.S.P. réagit en réclamant de


nouveau, avec plus de détermination, la démission du premier ministre et
des ministres militaires. Des organisations de la société civile contre-
attaquèrent en exigeant aussi avec plus de fermeté la dissolution du
RS.P. La situation devint explosive. Le président Kafando tenta en vain
une solution de compromis. Le 10 juillet 2015, dans un message à [a na-
tion, il annonça la mise en place d’un Cadre de concertation de sages
pour contribuer à la recherche de solutions. Il en appela ensuite au sens
de responsabilité de tous puis termina son message sous forme de me-
nace : « Si malgré cet appel pressant, il se trouvait des aventuriers, mus
par les forces du mal, pour créer des troubles et le chaos, ils en répon-
dront devant l’histoire et évidemment, devant les juridictions internatio-
nales. » Nul doute que cette interpellation s’adressait aux militaires et
particulièrement au R.S.P.

727- S’inspirant des réflexions du Cadre de concertation de sages, et


tenant compte de l’état des forces en présence, le président Kafando dé-
cida de maintenir le premier ministre tout en le déchargeant du porte-
482
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYËLEM de TAMBÈLA

feuille de la Défense qu’il récupéra lui-même. Le ministre de


l'Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité
(M.AT.D.S.), Auguste Denise Barry, qui était considéré comme le bras
droit du premier ministre, fut remercié. Comme lot de consolation, il fut
nommé conseiller à la présidence. Les autres ministres militaires demeu- «
rèrent en place. La crise venait ainsi d’être résorbée.

728- Le 13 mars 2015 était installée la Commission de la réconciliation


nationale et des réformes (C.R.N.R.)** Elle était présidée par Mgr Paul
Ouédraogo, archevèque de Bobo-Dioulasso. Elle remit son rapport le 14
septembre 2015. Elle enregistra 5065 dossiers de crimes divers, proposa
des pistes de solution et élabora un certain nombre de documents pour
une meilleure gouvernance. Entre autres, elle proposait la dissolution du
R.S.P. et le redéploiement de ses éléments dans des missions autres que
celle d’assurer la sécurité du président du Faso.

729- Sous le régime de Blaise Compaoré, la justice était instrumentali-


sée au profit du régime. Un magistrat qui entendait briller dans sa carrière
et dans sa vie professionnelle ou tout simplement vivre tranquillement
n’avait pas intérêt à prendre position ou à rendre une décision susceptible
de porter atteinte aux intérêts de la famille et des proches de Blaise Com-
paoré et des membres influents de son régime. Très peu de magistrats ont
osé braver le régime en assumant leur indépendance. Pour essayer de
redonner confiance aux magistrats et de créer de nouveaux rapports de
confiance entre les citoyens et les magistrats, du 24 au 28 mars 2015 fu-
rent organisés les états généraux de la justice". Au cours de ces jour-

#% Elle comprenait cinq sous-commissions : 1- Vérité, justice et réconciliation ; 2- Ré-


formes constitutionnelles et institutionnelles ; 3- Réforme électorale ; 4- Gestion des
finances publiques et du respect du bien public; 5- Gestion des médias et de
l'information.
#7 Depuis des années, des débats étaient menés pour la transformation de la justice
burkinabè. Dans ce sens, voir les écrits d’Apollinaire J. Kyélem de Tambèla : 1- “Le
juge et le droit dans l'espace et dans le temps”, Le Pays, n° 2094, Ouagadougou, 9 mars
2000, p. 6, 15-16. 2- “Le chef d'État et la justice pénale”, Le Pays, n° 2262, Ouagadou-
gou, 10 novembre 2000, p. 4-5 ; L'Observateur Paalga, n° 5252, Ouagadougou, 16
novembre 2000, p. 14-15. 3- “La justice du juge statuant en dernier ressort”, Le Pays,
n° 2381, Ouagadougou, 10 mai 2001, p. 4. 4- “La justice au Burkina Faso”, Le pays, n°
483
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KYÉLEM de TAMBÈLA

nées, les problèmes de la justice furent décryptés et des résolutions furent


prises pour un meilleur fonctionnement de la justice. Un pacte pour le
renouveau de la justice fut signé à la cérémonie de clôture le 28 mars.

730- La mesure qui, pendant la Transition, suscita le plus de débats et


de controverses fut l'adoption le 7 avril 2015 d’une loi de modification
du code électoral. Aux termes de l’article 25 de la Charte africaine pour
la démocratie et les élections adoptée par l’Union africaine, « Les auteurs
de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent ni parti.
ciper aux élections organisées pour la restitution de l'ordre démocra-
tique, ni occuper des postes de responsabilité dans les institutions poli-
tiques de leur État. » Pour les dirigeants de la Transition, cette disposi-
tion devait s’appliquer aux dignitaires du régime de Blaise Compaoré qui
avaient soutenu le projet de modification de la Constitution. En consé-
quence, le code électoral fut modifié et aux termes de son article 135,
« Sont inéligibles : [...] toutes les personnes ayant soutenu un change-
ment anticonstitutionnel qui porte atteinte au principe de l'alternance
démocratique notamment au principe de la limitation du nombre de
mandats présidentiels ayant conduit à une insurrection ou à toute autre
forme de soulèvement. »

731- Les partisans du régime Compaoré crièrent aussitôt au scandale.


Pour eux, il y avait là une volonté d'exclusion de certains du jeu politique
contrairement à la Constitution qui garantit à tous le droit de participer à
l’action politique. Partisans et adversaires de la loi se répandirent en ma-
nifestations de rue. Puis, le 10 avril 2015, les anciens dignitaires saisirent
:_ le conseil constitutionnel pour le voir déclarer la loi anticonstitutionnelle.
Celui-ci rendit sa décision le 5 mai 2015. Il déclara la requête irrecevable
au motif que celle-ci n’était pas signée par les députés requérants comme

3224, Ouagadougou, 5 octobre 2004, p. 4-5 ; L'Observateur Paalga, n° 6244, Ouaga-


dougou, 8-10 octobre 2004, p. 32-33. 5- “Nature et effets du procès-verbal de constat
ou d'enquête”, Le Bulletin du Bâtonnier, n° V-001, Ouagadougou, 7 juin 2005, p. 11. 6-
“Réflexions sur la justice pénale au Burkina Faso”, Le Bulletin du Bâtonnier, n° V-002,
septembre 2005, p. 10-11. 7- “Pour une réforme du corps de la magistrature”, Le pays,
n° 3722, Ouagadougou, 5 octobre 2006, p. 5-6 ; L'Observateur Paalga, n° 6739, Ouaga-
dougou, 5 octobre 2006, p. 6-7.
484
ne A

Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso


Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

le voudraient les règles régissant sa saisine, mais par un avocat, alors que
l'avocat « ne figure pas au nombre des autorités habilitées par la Cons-
titution à saisir le Conseil constitutionnel pour le contrôle a priori de la
constitutionnalité d'une loi.» Ce qui effectivement se justifiait sur le
fondement de l’article 157 de la Constitution alors en vigueur.

732- Qu’à cela ne tienne ! Les requérants décidèrent de porter l'affaire


devant la cour de justice de la Communauté économique des États de x
PAfrique de l’Ouest (C.É.D.É.A.O.) siégeant à Abuja au Nigeria. Celle-
ci rendit sa décision le 13 juillet 2015. Elle reprocha à la loi modificative
d’instaurer un caractère ambigu des critères de l’exclusion et de procéder
à une application expéditive et massive de l'exclusion. Pour la cour, « /n-
terdire de candidature toute organisation ou personne ayant été politi-
quement proche du régime défait mais n'ayant commis aucune infraction
particulière, revient pour la Cour, à instituer une sorte de délit
d'opinion qui est évidemment inacceptable. » En conséquence, elle décla-
ra que la loi modificative du code électoral « est une violation du droit de
libre participation aux élections » et ordonna à l'État du Burkina « de
lever tous les obstacles à une participation aux élections consécutifs à
cette modification ». Les autorités de la Transition promirent de se con-
former à la décision de la cour.

733- Quand survint le dépôt des candidatures pour les élections cou-
plées, présidentielle et législatives dont la date était fixée au 11 octobre
2015, des partis politiques, des organisations de la société civile aussi
bien que de simples citoyens introduisirent des recours auprès du conseil
constitutionnel contre les candidatures de ceux qu’ils accusaient d’avoir
pris une part active dans la tentative de modification de la Constitution en
faveur d’une nouvelle candidature de Blaise Compaoré. Le 21 août 2015,
à la date limite de dépôt des dossiers, vingt-deux candidatures furent en-
registrées pour la présidentielle. À la suite des recours, huit candidatures
furent invalidées et quatorze retenues. Pour les législatives, des dizaines
de candidatures furent également invalidées. Ainsi, le conseil constitu- !
tionnel livrait son interprétation de la loi électorale et de l’arrêt de la cour 4
de justice de la C.É.D.A.O. Si des candidatures individuelles ont été in-
validées, aucun parti politique n’a été recalé. Il revenait donc aux partis
485
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

politiques de présenter des personnalités non compromises pour


l'élection présidentielle et de pourvoir au remplacement des recalés pour
les législatives.

734- Les radios de proximité avaient contribué à l’avènement de


l’insurrection populaire par l’éveil des consciences à travers des débats et
des émissions à thème. L’insurrection populaire libéra davantage la pa-
role et dans leurs interventions en direct dans des radios FM, des audi.
teurs n’hésitaient pas à faire des remontrances aux dirigeants de la Tran-
sition. En réaction, le 7 mai 2015, le Conseil supérieur de la communica-
tion {C.S.C.) décida de suspendre pour une durée de trois mois les émis-
sions d'expression directe des programmes des radiodiffusions sonores et
télévisuelles. Les organisations professionnelles des médias, soutenues
par des organisations de la société civile, des syndicats et des partis poli-
tiques protestèrent vivement contre cette mesure. Le 27 mai, un sit-in fut
organisé devant les locaux du C.S.C. Sous la pression, le C.S.C. dut pro-
céder à la levée de la suspension pour compter du 30 mai. En contrepar-
tie, il proposa une charte de bonne conduite à la signature des acteurs
politiques, des médias et des organisations de la société civile.

735- Le conseil des ministres du 13 mai 2015 adopta un décret portant


dissolution de la Fédération associative pour la paix et le progrès avec
Blaise Compaoré ŒÉD.A.P./B.C.) au motif que, « contrairement à son
statut apolitique, [elle] a pris des positions politiques qui ont contribué à
détériorer l'ordre public les 30 et 31 octobre 2014. » Parmi ceux qui sont
morts à la suite de l'insurrection populaire, 28 furent reconnus comme
étant des martyrs. Les autres seraient morts à la suite de pillages ou de
tentatives d'évasion des prisons. Le 30 mai, un hommage national fut
rendu à ces martyrs à la Place du monument des héros nationaux. Ils fu-
ren, à titre posthume, élevés au rang de chevaliers de l’Ordre national. À
cette occasion fut posée la première pierre d’une stèle en leur mémoire.

736- Le 16 juillet 2015, le Conseil national de la Transition vota une


loi de mise en accusation de Blaise Compaoré et des membres du gou-
vernement présents au conseil extraordinaire des ministres du 21 octobre
2014 qui décida de transmettre à l’Assemblée nationale le projet de loi de
486
À
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

modification de l’article 37 de la Constitution. Il était reproché à Blaise


Compaoré la haute trahison et l'attentat à la Constitution. À ses ministres
| il était reproché des faits de coups et blessures volontaires, complicité de
coups et blessures, assassinats et complicité d’assassinat. Certains an-
ciens ministres étaient en outre accusés de mauvaise gestion des fonds
publics.

737- Alors que l’on croyait le problème du R.S.P. résolu, c’est alors
qu'il allait susciter la crise la plus grave sous la Transition. Le mercredi
16 septembre 2015 aux environs de quatorze heures, pendant le conseil
des ministres, le président de la Transition, Michel Kafando, le premier

de
| ministre, Isaac Zida et deux autres ministres, Augustin Loada de la Fonc-
tion publique et René Bagoro de l’Habitat furent pris en otage par des
| éléments du R.S.P. Il convient aussi de reconnaître la naïveté des diri-
geants de la Transition. Vu l’hostilité du R.S.P. pour la Transition, et
alors même que le camp du R.S.P. était situé dans l’enceinte même de la
présidence, à seulement quelques mètres des bureaux du Président, LA
président aurait dû établir ses bureaux ailleurs, hors de portée du R.S.P.

738- Une fois la nouvelle connue vers 18h, des partisans de la Transi-
tion, ameutés par des militants d’organisations de la société civile, com- Il
mencèrent à se réunir à la Place de la nation. Puis ils entreprirent de
marcher sur la présidence à Kosyam pour libérer les otages. À quelques x
| mètres de la présidence ils furent dispersés par des tirs en Pair. I x
s’ensuivit une course-poursuite à travers les quartiers de la ville. Le pré-
sident du C.N.T.. Cheriff Sy, pour sa sécurité, fut placé dans un endroit
secret par la gendarmerie qui assurait sa sécurité.

739- Autour de 19h la radio et la télévision nationales furent occupées


par le R.S.P. et elles cessèrent d’émettre. Des radios FM d’information
générale comme Pulsar, Oméga, Savane FM et l’antenne locale de Radio
France international (RFI) virent leur signal coupé. Peu avant 20h, la
télévision BF1 qui continuait d’émettre, diffusa une note du président du
C.N.T. appelant la population à la résistance. Autour de 20h 15 mn, BF 1
à son tour fut brusquement interrompue pendant qu’une présentatrice
s’apprétait à donner des informations en langue nationale môre. À
487
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

740- La nuit apporta une accalmie dans les manifestations. Toutefois,


toute la nuit, des tirs sporadiques se faisaient entendre ici et là. Les plus
déterminés des manifestants décidèrent de passer la nuit à la Place de la
nation. Au matin du 17 septembre, des manifestants recommencèrent à
s'organiser pour rejoindre la Place de la nation. Vers 7h, la télévision et
la radio nationales se remirent à émettre. Et pour cause ! Une déclaration
était aussitôt annoncée. Elle eut lieu à 7h 18 mn. Le médecin lieutenant.
colonel Mamadou Bamba annonça laa prise du pouvoir par un Conseil
national pour la démocratie {C-N.D.)* avec la mise à l'écart du prési-
* dent et la dissolution du gouvernement et du Conseil national de Ia Tran-
sition (C.N.T.) Le 22 janVier 2015, le régime de la Transition avait fixé la
date des élections couplées, législatives et préssidentielle, au 11 octobre
2015. Le conseil des ministres du 9 septembre 2015 fixait le début des
campagnes électorales pour l’élection présidentielle au 20 septembre et
pour les élections législatives au 26 septembre. Le coup d’État intervenait
donc au mauvais moment.

741- À Oh 22 mn, le communiqué n°1 désignait le général Gilbert


Diendéré®” comme le président du C.N.D. Le communiqué n°2 instaurait
un couvre-feu de 19h à 6h. Le communiqué n°3 décidait de la fermeture
des frontières terrestres et aériennes. Le communiqué n°4 chargeait les
secrétaires généraux des ministères de l’expédition des affaires courantes
de leur ministère respectif. C'était pratiquement le même scénario que
celui du 15 octobre 1987 sauf que cette fois-ci, la société civile étant
mieux structurée et la communauté internationale ayant ses exigeances,
le président et le premier ministre n’ont pas été assassinés. Au journal de
12h 30 mn de RFI, Cheriff Sy, président du C.N.T., déclara qu’en atten-
dant la libération du président, il assumait le pouvoir d’État et la fonction
de chef suprême des armées. Il lança un appel aux officiers, sous-
officiers et hommes de rang à se joindre aux patriotes pour libérer le

#% Voir la Proclamation du Conseil national pour la démocratie (C.N.D.) en annexe n° 14. iA


# Gilbert Diendéré était l’adjoint de Blaise Compaoré depuis qu’à la suite de Sankara
celui-ci avait pris le commandement du C.N.E.C. de Pô au début des années 1980. De-
puis ils ne s'étaient plus quittés. Il était devenu le chef d’état-major particulier de Com-
paoré et chargé des renseignements et des missions secrètes.
488
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

pays. À Yako, ville d’origine de Diendéré, les manifestants incendièrent


son domicile. À Bobo-Dioulasso, des maisons de responsables du C.D.P.
furent incendiées de même qu’à Koudougou. À Ouagadougou, le siège
du C.D-P. en reconstruction fut de nouveau saccagé. Dans des quartiers
populaires, des militaires du R.S.P. furent tabassés par la foule en colère.

742- Une fois les intentions des putschistes connues, les syndicats lan-
cèrent un mot d’ordre de grève générale qui fut suivi dans toute l’étendue
du territoire. Les partis politiques qui avaient contribué à la chute de
Blaise Compaoré, et qui étaient maintenant en campagne pour l'élection
du 11 octobre 2015, se remirent précipitamment en concertation pour
adopter une position commune. Les organisations de la société civile
commencèrent à s'organiser et les mouvements de protestation
s’intensifièrent dès le 18 septembre. Malgré le quadrillage de la ville de
Ouagadougou, les jeunes érigèrent des barricades et brulèrent des pneus
sur les principaux axes. Une nouvelle radio émettant sur la fréquence 108
FM füt rapidement mise en place. Elle s’appela d'abord La voix de la
résistance puis La voix de la Transition. Elle appelait à la résistance pour
démanteler le groupe de terroristes qui avait pris en otage le président et
des membres du gouvernement. À cet effet, un communiqué de Cheriff x
Sy était régulièrement diffusé. Mais la radio connaissait de fréquentes
coupures dues sans doute à des problèmes techniques. Il fallait sans doute
se déplacer incessamment pour éviter qu’elle fût repérée. Le R.S.P. la
chercha en vain pour la détruire, s’attaquant au passage à d’autres radios
supossées susceptibles de l’héberger. Dans ce cadre, il s’attaqua même à
l'Office national des télécommunications (O.NA.TÉL.) où de nombreux
dégâts ont été causés.

743- Le coup d'État de Diendéré fut fermement condamné par la


Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest
(C.É.D.É.A.O.), l’Union africaine (U.A.), la France, les États-Unis et
l'ON.U. Quelles peuvent en être les raisons ? Pour les puischistes, il
fallait empêcher les élections de se tenir car le code électoral avait permis
lexclusion de certaines personnes. En outre, selon eux, le R.S.P. était
vilipendé, les fonds publics mal gérés et les journalistes baîllonnés. Pour-
tant, dès les premiers moments, les médias n’ont pas été épargnés par le
489
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

R.S.P. Certains ont été incendiés, d’autres saccagés. Ce fut le cas de radio
Oméga, Savane FM, radio laafi de Zorgho, la télévision BF1, le studio
Abazon, le quotidien Le Pays. Comme lors du coup d’État de 1987, Gil.
bert Diendéré essaya de rassembler tous les éléments pouvant faire
l’objet de mécontentement social pour rendre crédible sa déclaration de
prise de pouvoir et justifier son putsch. Ce qui semble lui avoir échappé,
cest que la société burkinabè n’était plus la même que celle de 1987,
Pourtant, le scénario de la chute de Blaise Compaoré suffisait à le lui
faire comprendre.

744- Comme en 1987, il est évident que les vraies raisons du coup
d’État se trouvent aussi ailleurs. Outre l’invalidation des candidatures de
certains ténors de l’ancien régime, la Commission de la réconciliation
nationale et des réformes (C.R.N.R.) venait de rendre son rapport le 14
septembre 2015 qui préconisait la dissolution du R.S.P. Ce que celui-ci
ne pouvait accepter. Le régime de la Transition avait aussi réactivé le
dossier de l’assassinat de Thomas Sankara et celui du journaliste Norbert
Zongo, et les enquêteurs se rapprochaient de plus en plus de Diendéré et
des éléments du RS.P. La lutte contre l’impunité avait conduit à
l'arrestation de certains barons du régime Compaoré. Ce qui n’était pas
non plus pour plaire à Diendéré et ses hommes. Contre vents et marées et
en violation de la Constitution de son pays, le président Pierre Nkurunzi-
za du Burundi venait de se faire réélire le 21 juillet 2015 pour un troi-
sième mandat consécutif et la réaction de la communauté internationale
avait été très timide. Les putschistes ont donc pu espérer rencontrer la
même compréhension.

745- Contre le coup d’État, la mobilisation de la population fut totale


dans les centres urbains du pays. À Bobo-Dioulasso, hors de portée du
R.S.P., les manifestants se redirent devant le camp Ouezzin Coulibaly
pour demander aux militaires de prendre leur responsabilité. Répondant
au mot d’ordre de grève générale lancé par l'Unité d’action syndicale
(U.A.S.), travailleurs, commerçants et artisans désertèrent les bureaux,
les ateliers et les commerces dès le jeudi 17 septembre. Les radios
d’information et d’animation cessèrent d’émettre et la presse de paraître.
La télévision nationale assurait le service minimum. Il devint de plus en
490
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. K EM de TAMBÈLA

plus difficile, même pour les éléments du R.S.P. de se ravitailler en car-


burant pour les patrouilles. Des patients décédèrent dans les hopitaux et
les centres de santé faute de personnel soignant. Désignés pour assurer
l'intérim des ministres, les secrétaires généraux, à l'exception de deux ou
trois, refusèrent catégoriquement. Plus rien ne fonctionnait et le pays était
paralysé.

746- Le 18 septembre, le président du Sénégal, Macky Sall, qui était


président en exercice de la C.É.D.É.A.O. et le président du Bénin, Tho-
mas Boni Yayi, désigné comme médiateur de la C-É.D.É.A.O. pour le
Burkina, arrivèrent à Ouagadougou pour entreprendre des négociations
avec les différentes parties, Dans l'après-midi du 19 septembre, alors que
les putschistes ne contrôlaient déjà plus rien, le général de brigade Pin-
grenoma Zagré, chef d’état-major général des armées, publia un conrmu-
niqué invitant l’armée à être républicaine, à protéger la population et à
éviter toute violence à son encontre. Si ce communiqué était intervenu
plus tôt, le R.S.P. aurait peut-être commis moins de dégats sachant que
l’armée ne le soutiendrait pas.

747- Se rendant compte qu’il avait perdu la partie, Gilbert Diendéré


insista auprès de Macky Sall et de Boni Yayi pour qu’une amnistie lui fût
accordée. Il apparait ainsi que lune des motivations principales de son
putsch était d’échapper à la justice pour son implication dans les divers
crimes du régime Compaoré. Chef d’État, il aurait sans doute fait adopter
une loi d’amistie en sa faveur tout comme l'avait fait Blaise Compaoré
en 2012.

748- Dans la nuit du 20 septembre, après de difficiles tractations, Mac-


ky Sall communiqua ses propositions de sortie de crise dont les points
essentiels étaient : -le rétablissement du régime de la Transition ; -le re-
trait des militairedu gouvernement ; -la participation aux élections de
ceux qui en avaient été exclus parce qu’ils avaient ouvertement soutenu
le processus de modification de Particle 37 ; -le report des élections du
11 octobre au 22 novembre au plus tard ; -une amnistie pour les put-
schistes. Si les putschistes accueillirent favorablement ces propositions,
elles furent vigoureusement rejetées par les organisations de la société
491
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

civile et l’'UNILR/P.S. Les autres partis politiques s’y opposèrent très


timidement. Leurs dirigeants avaient surtout peur pour eux-mêmes et
évitaient soigneusement de se prononcer clairement sur le R.S.P. par
crainte de représailles. Pour les organisations de la société civile, accor-
der une amnistie aux putschistes revenait à encourager les putschs et à
accorder une prime à l'impunité. Un sommet extraordinaire de la
CÉ.D.É.A.O. fut convoqué à Abuja au Nigeria le 22 septembre pour
examiner les propositions de Macky Sail.

749- Le 21 septembre, aux environs de 13h, l'état-major général des


armées informait que des unités militaires des garnisons de province
étaient en route pour Ouagadougou”, En milieu d'après-midi on appre-
nait que Gilbert Diendéré était chez le môgh näba. Aussitôt des centaines
de manifestants se retrouvèrent autour du palais pour protester et exiger
que Diendéré leur fût livré. Il réussit cependant à quitter le palais par une
issue de secours et à rejoindre précipitamment la Présidence où des coups
de feu se firent entendre aux environs de 21h 30 mn.

750- Tôt le 22 septembre, la nouvelle se répandit que les soldats loya-


listes qui campaient maintenant autour de Ouagadougou, avaient donné
aux putschistes un ultimatum expirant à 10h T.U. pour déposer les armes
et se rendre au camp Sangoulé Lamizana”!, Des jeunes se pressèrent
devant le camp Guillaume Ouédraogo pour, dirent-ils, accompagner les
soldats à l’assaut du R.S.P. Gilbert Diendéré, qui jouait maintenant le
tout pour le tout, déclara qu’avant toute négociation sérieuse, les unités
venues de l’intérieur devaient se replier à cinquante kilomètres de Oua-
gadougou. Selon lui elles avaient été négativement influencées. Dans la
soirée, l'état-major publia un communiqué disant que si l’assaut navait
pas encore été donné contre le R.S.P.. c’était dans le souci de préserver la
sécurité et la vie des populations civiles, et qu’en tout état de cause, les

%% 11 s'agissait surtout d'éléments des garnisons de Fada N’Gourma et de Tenkodogo à


PEst, de Kaya et de Ouahigouya au nord, de Dédougou et de Bobo-Dioulasso à l’ouest.
Dans les localités traversées, les soldats étaient acclamés. Des coups de main leur
étaient donnés spontanément et gratuitement quand c’était nécessaire. Un véhicule mili-
taire en panne fut ainsi réparé gratuitement à Koupéla.
#1 La hiérarchie militaire, sans trop convaincre, démentira cette information.
492
À
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

décisions qui seront prises seront à la satisfaction des populations. Dans


la nuit on apprit qu’au cours de l’après-midi, des négociations avaient eu
lieu chez le môgh näba entre les protagonistes militaires et qu'un accord
provisoire avait été trouvé. Il consistait à cantonner les troupes venues de
l’intérieur à cinquante kilomètres de Ouagadougou et le R.S.P. dans sa
caserne, et de poursuivre les pourparlers. Dans un délai de soixante-
douze heures le R.S.P. devait livrer l’inventaire de son matériel.

751- Après de longues et difficiles tractations, le sommet d’Abuja de la


C.É.D.É.A.O. aboutit à un compromis minimal. Six chefs d’État se pro-
posèrent de venir à Ouagadougou dès le lendemain pour procéder à la
réinstallation de Michel Kafando dans ses fonctions de président de la
Transition et du Faso. Ainsi, le 23 septembre en fin de matinée, lors
d’une cérémonie dans la salle des banquets de Ouaga 2000, Michel Ka-
fando était rétabli dans ses fonctions”®?. Dans son discours il marqua sa
détermination à poursuivre sa mission jusqu’à son terme. Dans la soirée,
l'état-major général annonça une modification du temps du couvre-feu
qui courait maintenant de 23h à 5h.

752- Le 24 septembre dans la matinée, à l’appel de Simon Compaoré,


ancien maire de Ouagadougou, des jeunes sortirent nettoyer les rues et
places de la capitale, la débarrassant ainsi des barricades, des pierres et
autres obstacles. Il en avait été ainsi le 1* novembre 2014 après la fuite
de Blaise Compaoré. Le vendredi 25 septembre se tenait un conseil ex-
traordinaire des ministres, le premier depuis la réinstallation du président
Kafando. Les principales décisions furent la dissolution du R.S.P. et la
création d’une Commission d'enquête sur les évènements du 16 sep-
tembre 2015.

753- Le RS.P. ayant été dissous, dès le 26 septembre commença


Popération de désarmement. Mais dès le 27 septembre elle était inter-

92 Étaient présents non pas six chefs d’État comme prévu, mais trois : Thomas Boni
Yayi du Bénin, Mahamadou Issoufou du Niger et John Dramani Mahama du Ghana.
Étaient aussi présents Yemi Osibajo, vice-président du Nigeria, Mohamed Ibn Cham-
bas, représentant de l’O.N.U. pour l’Afrique de l'Ouest et Kadré Désiré Ouédraogo,
président de la Commission de la C.E.D.E.A.O.
493
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

rompue. Les caciques du R.S.P. ne voulaient pas céder certaines armes,


En outre, ils manifestaient de l’agressivité à l’encontre de ceux qui
étaient en charge du désarmement. Le 28 septembre, l’état-major général
publia un communiqué pour en informer le public et inviter les popula-
tions à la vigilance et à la coopération. La journée du 29 septembre fut
assez tendue dans certains quartiers de Ouagadougou. La zone du pre.
mier ministère et de la radio-télévision située à proximité fut encerclée |
par la gendarmerie et l’armée régulière pour en assurer la sécurité. La
zone de la présidence du Faso fut également quadrillée et le R.S.P. se
retrouva encerclé dans sa propre caserne appelée näba kôm IL. Un com-
muniqué invitait les résidents de Ouaga 2000 à rester chez eux et à éviter
tout déplacement. Des affrontements pouvant survenir à tout moment.

754- Face à la pression qui s’exerçait sur eux, des officiers et des sol-
dats du R.S.P. commencèrent à se rendre. Le 29 septembre en fin
d’après-midi, des bruits sourds d’armes lourdes se firent entendre suivis
de crépitements d’armes légères. On apprit par la suite que Gilbert Dien-
déré avait demandé à ses hommes de baisser les armes pour éviter un
bain de sang. Lui-même le confirmera quelques instants après dans une
interview, alors qu’il avait déjà quitté la caserne näba kôm I1 du R.S.P.
Après avoir vainement tenté de se réfugier à l'ambassade des États-Unis,
c’est finalement dans la nonciature apostolique qu’il fut acceuilli. Les
deux chancelleries étant situéess non loin de la Présidence. Après des
négociations, il se rendit aux autorités le 1” octobre dans l’après-midi
aux environs de 14h 30 mn après avoir obtenu la garantie de sa sécurité.
Quelques jours après, la justice militaire retiendra contre lui plusieurs
chefs d’accusation : atteinte à la sûreté de l’État, collusion avec des
forces étrangères, meurtres, coups et blessures volontaires, destructions
volontaires de biens, blanchiment de capitaux, enlèvement et séquestration,
haute trahison, crime contre l'humanité. Ainsi prenait fin la plus que brève
histoire du Conseil national pour la démocratie (C.N.D.) C’était aussi la fin
du R.S.P. au grand bonheur des Burkinabè qui avaient trop souffert des
exactions de ce régiment. L’armée a ainsi réussi la prouesse de faire échec
à la tentative de coup d’État sans effusion de sang.

494
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autoceniré
Apollinaire J. KYÉ de TAMBËLA

755- Sur la route du retour, les soldats rencontrèrent la même ferveur


populaire. Dans les villes qu’ils traversaient, les jeunes les attendaient,
parfois à plusieurs kilomètres avant l'entrée de la ville, et les escortaient
jusqu’à plusieurs kilomètres après la sortie. L’évènement fut une occa-
sion de fraternisation entre les populations et les soldats. Le 2 octobre, le
temps du couvre-feu fut de nouveau modifié. Il fut fixé de 1h à 4h”. Le
même jour, Michel Kafando était à la tribune de l’Assemblée générale
des Nations Unies. Il saisit l’opportunité pour remercier la communauté
intemationale qui a soutenu le peuple burkinabè dans sa lutte contre le
coup d’État et exalter la vaillance de l’armée et du peuple burkinabè.

756- Le 6 octobre 2015, à la Place de la nation, eut lieu la cérémonie


marquant la fin du désarmement du R.S.P. Un échantillon de l’armement du
R.S.P. y fut exposé et ce fut avec un réel plaisir que les jeunes se ruèrent
dessus pour les essayer. Le 9 octobre, à la Place de la nation, avant leur en-
terrement, un hommage national était rendu aux martyrs de la résistance au
coup d’État. Le 13 octobre, une rencontre entre Le président Kafando et
les acteurs sociaux et politiques aboutit à la fixation de la date des élections
couplées législatives et présidentielle au 29 novembre 2015. Ce qui fut con-
firmé par le conseil des ministres du mercredi 14 octobre 2015.

757- Le jeudi 15 octobre 1987, Thomas Sankara tombait sous les balles
des soldats à la solde de Blaise Compaoré et, pendant longtemps, la
simple évocation de son nom fut interdit. Le jeudi 15 octobre 2015, 28 :
ans après, les sankaristes, pour la première fois, commémoraient le triste
évènement dans un pays débarrassé de Blaise Compaoré et de son ré-
gime. Ils appelèrent les Ouagalais à sortir nombreux pour balayer la ville
et nettoyer ainsi symboliquement le pays du système Compaoré. La télé-
vision nationale pour sa part célébra l'évènement en diffusant pour la
première fois des émissions spéciales sur Thomas Sankara.

903 Le couvre-feu sera définitivement levé le 25 janvier 2016.


94 Le bilan définitif fait ressortir LS décès et 251 blessés.
495
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

758- Le 26 novembre 2015, une Commission d’enquête indépendante


(C-E.L) fut mise en place ®.5. Elle avait pour mission « de mener toutes les
investigations permettant de déterminer les causes des morts et des bles.
sures enregistrées au cours de l'insurrection populaire des 30 et 31 oc-
tobre et des manifestations des 1° et 2 novembre 2014. De déterminer les
auteurs, les complices et les commanditaires. De recueillir ou d'évaluer
les préjudices physiques subis. De recueillir les attentes des victimes ou
de leurs ayants-droit. De faire toutes propositions ou recommandations à
l’attention du gouvernement. »

759- Un décret du 27 novembre 2015 du président de la Transision


nomma le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, premier ministre, au
grade de général de division à titre exceptionnel à compter du 26 no-
vembre 2015. Cette nomination fut rendue possible grâce à une nouvelle
loi sur l’armée votée le 5 juin 2015 et qui permet, à titre exceptionnel,
à un lieutenant-colonel d’être élevé au grade de général. Le vote de cette
loi avait suscité beaucoup de polémiques et surtout l'hostilité du R.S.P.
qui estimait qu’elle visait principalement à récompenser Zida et ses amis.
Entre autres, les putschistes des 16 et 17 septembre 2015 motivaient leur
action par les griefs qu’ils portaient contre ladite loi.

760- Le 29 novembre 2015, les élections couplées législatives et prési-


dentielle se déroulèrent sans incident. Quatorze candidats étaient en lice
pour l’élection présidentielle. Dès le lendemain 30 novembre, la Com-
mission électorale nationale indépendante (C.É.N.I.) donnait le résultat
provisoire de l’élection présidentielle et ce fut Rock Marc Christian Ka-
boré qui la remporta dès le premier tour avec 53,49% des voix contre
29,65% pour Zéphirin Diabré. Le résultat définitif qui diffère très peu de
celui de la C.É.N.I. fut proclamé le 15 décembre par le conseil constitu-
tionnel. Rock Kaboré obtenait ainsi 53,46% et Zéphirin Diabré

5 Cf. Décret n° 2015-1196 PRES-TRANS/PM/MIDHPC/MEF/MATD portant création,


composition et attribution d’une commission d’enquête indépendante en date du 28 oc-
tobre 2015. L'auteur de cet ouvrage faisait partie des membres de la Commission. Pour le
rapport de la CELL, cf. Courrier Confidentiel, n° 112, Ouagadougou, 25 juillet 2016.
% Loi n° 020-2015/CNT du 5 juin 201$ portant conditions d'avancement des person-
nels d’active des forces armées nationales.
496
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

29,62%°7. Les résultats provisoires des législatives furent donné le 2


décembre par la C.É.N.I et les résultats définitifs proclamés le 22 dé-
cembre par le conseil constitutionnel”, Aucune contestation ne s’éleva
contre les résultats. Bien au contraire, le gouvernement de la Transition
reçut des félicitations de partout pour les conditions dans lesquelles les
campagnes et les élections se sont déroulées. Le Burkina fut cité en
exemple par la communauté internationale.

761- Rock Mark Christian Kaboré a ainsi profité de l’insurrection popu-


laire contre la volonté de Blaise Compaoré de faire modifier la Constitution
pour faire sauter la limitation du nombre de mandats présidentiels. Pourtant
c'est le même, alors qu’il était au sommet du pouvair et occupait les fonc-
tions de président du Congrès pour la démocratie et le progrès (C.D.P.), le
parti de Blaise Compaoré et de président de l” Assemblée nationale, avait en
2010, à l’issue du congrès du C.D.P., déclaré : « La limitation du mandat,
dans son principe est antidémoratique. Il va contre le droit du citoyen à
désigner qui il veut. » Comme on le dit : « Les prophètes imaginent les révo-
lutions, les héros les font et les zéros en profitent. » À la fin des années
1950, c’est Maurice Yaméogo qui ne croyait pas à l'indépendance qui réus-
sira néanmoins à récupérer le pouvoir pour devenir le premier président de
la Haute-Volta indépendante et qui, sans aucune modestie, cherchera à
s’imposer comme le père de l’indépendance.

762- Comment peut-on expliquer les résultats des élections remportées


par l’un des plus fidèles collaborateurs de Blaise Compaoré,et son parti, *
le Mouvement du peuple pour le progrès (M.P.P.), alors même que
l'insurrection populaire qui avait abouti au régime de la Transition avait
pour cibles Blaise Compaoré et son régime? Il convient de retenir
qu'ayant toujours partagé le pouvoir avec Blaise Compaoré pendant près
de trente ans, les dirigeants du M.P.P. ont eu toute latitude pour se consti-
tuer des obligés et des courtisans sur toute l’étendue du territoire. Il con-
vient aussi de retenir que le Burkina comprenait alors trois catégories de

%7 Cf. L'Observateur Paalga, n° 9016, Ouagadougou, 16 décembre 2015, p. 4. -Le


Pays, n° 6 000, Ouagadougou, 16 décembre 2015, p. 7. -Le Quotidien, n° 1531, Ouaga-
dougou, 16 décembre 2015, p. 3.
%E Cf, Le Quotidien, n° 1537, Ouagadougou, 23-27 décembre 2015, p. 12.
497
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA

citoyens : les élèves et les salariés généralement alphabétisés et très mi.


noritaires, les citadins pour la plupart semi-alphabétisés et peu nombreux
et les ruraux analphabètes qui constituaient la grande majorité.

763- Les élèves et les salariés étaient disséminés à travers le pays mais
résidaient surtout dans les grands centres urbains et les villes secondaires.
Ils avaient généralement une vision nationale des problèmes de société et
une capacité plus ou moins grande de compréhension et d'analyse des
phénomènes sociaux. Les citadins comprenaient principalement les habi-
tants des deux plus grandes villes que sont Ouagadougou et Bobo-
Dioulasso et accessoirement ceux des villes secondaires, une dizaine en-
viron. Ils venaient pour la plupart de l’intérieur du pays et résidaient en
majorité dans les quartiers périphériques, exerçaient dans le commerce
ou les activités informelles et étaient peu formés. Le contact avec la vie
citadine et les institutions de l’État les amenait à une conception moins
traditionnaliste de la vie. Leur attention était plus portée sur les questions
relatives à leur localité de résidence et à leurs besoins immédiats. Leur
idée de la nation n’était qu'évasive et lointaine.

764- Les ruraux habitaient les villages et Les campagnes, souvent loin
et sans contact réel avec les structures de l’État. Leurs préoccupations se
limitaient au souci du quotidien et leur vision allait rarement au-delà des
limites de leur localité. Du fait de leurs limites objectives, ils ne se sen-
taient pas concernés par les affaires de l’État d’autant plus que pratique-
ment rien ne les y attachait. Ils n’ont pris aucune part ni à l’insurrection
populaire d’octobre 2014, ni à la résistance contre la tentative de coup
d’État de septembre 2015 dont les fondamentaux échappaient à leurs
préoccupations. Dans une élection, leur choix ne se fixait pas sur un pro-
gramme qui leur parrait lointain et abstrait mais sur une personne qu’ils
connaissaient ou qui leur avait été indiquée ou suggérée.

765- Les citadins, du fait aussi des limites qui leur étaient propres, ne
pouvaient appréhender toutes les subtilités de la vie politique et des pro-
jets de société qui, d’ailleurs se déclinaient en français, une langue qu’ils
étaient loin de maîtriser. Les élèves et les salariés qui étaient pratique-
ment les seuls à pouvoir éventuellement faire un choix politique cons-
498
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

cient étaient extrèmement minoritaires. Au regard de ces éléments,


l'élection de Rock Kaboré n’est pas très surprenant. À l’époque de Blaise
Compaoré, les ruraux avaient été acquis au C.D.P. à coup de nominations
de parents, de petits cadeaux et de petits avantages conjoncturèls, indivi-
duels ou collectifs. Beaucoup d’entre eux avaient rejoint le M.P.P., sui-
vant en cela ceux des ex-militants du C.D.P. qu’ils connaissaient ou qui
leur avaient été indiqués ou suggérés.

766- Il convient encore de retenir que le système des élections, depuis


ses débuts dans l’antiquité grecque, est marqué d’un péché originel qui
est la flatterie. Raison pour laquelle Socrate ne cachait pas le dédain que
lui inspirait le régime de flatterie et d’incompétence de la démocratie
athénienne (cf 6179). Dès cette époque, les élections étaient viciées
parce que les candidats usaient de moyens divers pour convaincre les
électeurs. Dès lors que les moyens employés ne sont pas sincères, les
objectifs poursuivis ne peuvent non plus l’être. Ils fluctueront plutôt en
fonction des ambitions et des stratégies des acteurs.

767- Dans le contexte burkinabè de l’époque, Thomas Sankara ne ca-


chait pas non plus son dédain pour ce genre de démocratie qu’il qualifiait
de « démocratie bourgeoise réservée à une minorité qui s'en servait
contre le peuple. » À l’éléction présidentielle du 29 novembre 2015, Zé-
phirin Diabré est arrivé en deuxième position avec 29,62% des voix.
Quand on lui a demandé ce qui, selon lui, n’a pas marché, il a répon-
du : « D'abord, la question des moyens financiers. Regardez un peu le
score des autres candidats et vous verrez que l'argent a malheureuse-
ment été un facteur très important. (….) Dans les derniers jours de la
campagne, on a vu dans les provinces, dans les villages un déploiement
de ressources financières qui étaient sans commune mesure avec nos
moyens. On s'est rendu à l'évidence qu’en dépit de l'insurrection et des
efforts de sensibilisation pour tenter de changer les mentalités, il y a une
constante qui persiste et qui laisse croire que le rapport à l'argent n'a
pas évolué dans le bons sens. À cause de la pauvreté, les gens sont tou-
jours corruptibles. (….) L'argent est devenu un facteur très important
parce que si c'était uniquement les projets de société et les programmes
qui devaient faire la différence, les résultats auraient été différents. (..)
499
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

La politique coûte de plus en plus che: ®, 5 Le Réseau national de lutte anti.


corruption (REN-LAC), dans le bilan qu’il fit des élections couplées du 29
novembre 2015, a déclaré que « l'argent reste le moyen le plus important
pour remporter les élections au Burkina Faso”, » Contrairement donc à une
opinion largement partagée, les élections classiques, du fait des limites qui
leur sont inhérentes, ne sont pas un moyen de régler les problèmes fondamen-
taux d’une société, Elles permettent certes une gouvernance apaisée. Mais,
dans le fond, elles apparaissent comme un moyen de défoulement permettant
à la société de survoler ses divergences pendant un temps, pour une période
d’insouciance plus ou moins longue.

768- Les élections classiques ressemblent plus à un jeu au cours duquel


les citoyens, consciemment ou inconsciemment, se rassemblent autour du
plus petit commun dénominateur, en reléguant les vrais problèmes de
société, les vraies batailles à d’autres occasions. Ainsi, le candidat le plus
consensuel ou qui correspond le plus à l’opinion et aux émotions du mo-
ment — soit par le style, soit par le verbe, soit par les effets de démonstra-
tion — sera élu, donnant ainsi corps à l’enthousiasme du moment. Des
faits historiques montrent à suffisance que l’élection classique n’est pas
un moyen de transformation de la société. Ce sont simplement des con-
cours de circonstances qui, dans un contexte donné, peuvent amener à la
percevoir ainsi.

769- En 1860, Abraham Lincoln était élu président des États-Unis. Les
citoyens américains étaient censés avoir élu leur président pour des ob-
jectifs déterminés et pour une période déterminée. Aucune divergence
fondamentale ne pouvait donc miner la société américaine avant le terme
du mandat de Lincoln. Pourtant, dès 1861, éclatait la guerre de sécession
autour des problèmes fondamentaux de la société américaine d’alors : la
liberté du commerce avec l’Angleterre, la protection de l’industrie nais-
sante du nord, le statut des esclaves. Ces problèmes étaient 1à avant
l’élection de Lincoln. Si les Américains avaient compté sur son élection
pour les résoudre, ils auraient attendu la fin de son mandat, s’en faire une

9% Cf. Mutations, n° 93, Ouagadougou, 15-31 janvier 2016, p. 12.


910 Cf -Notre Temps, n° 491, Ouagadougou, 13 janvier 2016, p. 2. -L'Observateur
Paalga, n° 9032, Ouagadougou, 13 janvier 2016, p. 4.
500
[x
Thomas SANKARA ei la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

idée, et éventuellement susciter d’autres candidatures à la hauteur de


leurs aspirations pour le mandat suivant. Si les-sudistes en sont arrivés à
prendre les armes dès 1861 et vouloir la sécession, c’est qu’ils ne fai-
saient pas confiance au système électoral pour la résolution des pro-
blèmes fondamentaux de leur existence. Le système électoral classique
ne permet donc pas de prendre toujours en compte certaines aspirations
fondamentales.

770- Dans les années 1960, toujours aux Etats-Unis, le problème des
droits civiques n’a pas été résolu par une élection mais par l'ampleur et la
diversité des mouvements d’émancipation et de protestation. La détention
des armes par les particuliers est un problème sérieux de la société amé-
ricaine. Régulièrement des homicides sont perpétrés du fait de
l'abondance des armes en circulation et de Pabsence de contrôle réel.
Aucune élection n’a jamais pu régler ce problème qui demeure une
préoccupation réelle de la société américaine.

771- En 1981, le candidat socialiste François Mitterrand était élu prési-


dent de la République française avec un programme de gouvernement.
En 1984, quand il a voulu remettre en cause le statut des écoles privées et
instituer l’école laïque pour tous, conformément au programme pour le-
quel il avait été élu, les Français s’y opposèrent en venant de toutes les
régions de France pour manifester à Paris. Mitterrand dû abandonner le
projet. Malgré leur vote, les Français ne s’aîtendaient donc pas à ce qu’un
problème fondamental de leur société fût résolu par une élection. Malgré
l'engagement de Mitterrand pour l’école laïque, ils l’avaient élu tout en
sachant qu’ils n’accepteraient pas qu’il remette en cause le statut de
l’école privée qu’ils estimaient fondamental pour leur société. Son élec-
tion n’était donc pas pour eux un moyen de trancher les vrais problèmes
de la société française.

772- Dès 1924, Hitler avait fait connaître sa vision dans son ouvrage
Mein Kampf. À la suite d’un score honorable aux élections, il accéda en
1933 au poste de chancelier puis devint président et führer en 1934 après
la mort du président Hindenburg. Ceux qui avaient voté pour Hitler et
son parti ne pouvaient prétendre ignorer son projet de société : la supré-
501
na gun Pre lit 4
À jante 2ede BE( : ; 758 dt
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

matie de la race aryenne, l’extermination des faibles et des communistes,


l'élimination des Juifs, des Slaves et des Noirs, la soumission des autres
peuples. Mais ils ne s’attendaient sans doute pas à ce qu’il le mît en exe.
cution. La rapidité dans l’action et la brutalité du régime n’ont sans doute
pas permis l’organisation d’une résistance citoyenne, et le monde devait
sombrer dans les affres de la deuxième guerre mondiale. Les Allemands
et le monde ont ainsi payé un lourd tribut au système électoral.

773- En 2012, le candidat socialiste François Hollande a été élu prési-


dent de la République française avec dans son programme le mariage
pour tous. C’est-à-dire y compris entre personnes de même sexe (enga-
gement n° 31 du candidat Hollande). Quand il a voulu mettre en applica-
tion ce point de son programme, les oppositions se multiplièrent jusque
dans les rangs des socialistes. Il a fallu toute la détermination de François
Hollande et la combativité de son ministre de la Justice, Christiane Tau-
bira, pour que soit votée la loi autorisant le mariage pour tous. Pourquoi
avoir élu un président et ne pas vouloir qu’il applique son programme ?
Ne voulant plus de l’ancien président, Nicolas Sarkozy, les Français
avaient élu François Hollande, mais pas pour qu’il légifère sur un point
qu’ils estiment fondamental dans leur conception de la vie en société.
a
se Au Burkina Faso, Blaise Compaoré a été réélu président le 21
novembre 2010 dès le premier tour avec un score de plus de 80,15% des
voix. Pourtant, dès février 2011, au prétexte qu’un élève était décédé
dans un commissariat de police pendant la garde-à-vue, les élèves se sou-
levèrent successivement dans toutes les villes du pays, vite rejoints par
les militaires, les paramilitaires et d’autres couches de la société civile.
La crise emporta le premier ministre et son gouvernement de même que
la haute hiérarchie militaire. Le régime manqua de peu de tomber. Com-
:: ment comprendre une telle crise de confiance trois mois après la soit bril-
lante réélection du président ? Il apparaît sans doute que les critères qui
ont prévalu à sa réélection ne correspondaient pas aux aspirations pro-
fondes d’une catégorie importante de Burkinabé qui n’y ont vu qu’un
moyen de divertissement et d'expression de leurs émotions.
rad i 5 ni dE pa k COS

2 De
RE
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÊLA

775- C’est la prise de conscience de plus en plus grandissante qu’une


élection classique ne résout pas les problèmes fondamentaux de la socié-
té, qui est à l’origine de la désaffection de plus en plus grande des élec-
teurs qui boudent les urnes, même dans les pays occidentaux coutumiers
des élections démocratiques. Les citoyens semblent de plus en plus croire
à des insurrections, des manifestations de rue, des opérations coup de
poing pour trouver des solutions à leurs aspirations profondes. Ce furent
les cas aux Etats-Unis pour les droits civiques et pour l’arrêt de la guerre
au Vietnam. En France pour la transformation de la société en 1968 et
contre l’école laïque en 1984. C’est ce qui peut expliquer aussi le succès
relatif des O.N.G. à partir des années 1970 et des mouvements écolo-
gistes. C’est par des mouvements insurrectionnels qu’en 2011, en
Afrique du nord, les populations ont obtenu le départ du pouvoir de Ben
Ali en Tunisie, de Hosni Moubarak en Égypte et de Mouammar Kadhafi
en Libye. Le conflit qui se poursuit en Syrie a commencé aussi par un
mouvement insurrectionnel en 2011. Au Burkina Faso, les manifestations
de rue qui ont suivi l’assassinat du journaliste Norbert Zongo ont abouti à
de profondes réformes institutionnelles en 2000. Il en fut de même en
2011. Et c’est par un mouvement insurrectionnel que le président Blaise
Compaoré a été chassé du pouvoir le 31 octobre 2014.

776- Peut-on alors se passer des élections classiques ? Peut-être que dans
le futur, un moment viendra où des personnalités consensuelles émergeront
et feront l'unanimité pour gouverner ou administrer comme c’était sans
doute le cas des chefs de bande à l’aube de l’humanité, des patriarches au
niveau des clans, ou comme dans des tribus amérindiennes où le plus géné-
reux est vite accepté comme le chef. Peut-être en arrivera-t-on aussi à choisir
les gouvernants par tirage au sort comme le font les amish aux Etats-Unis
dans le choix de leurs évêques, prédicateurs et ministres du culte. Pour le
moment, malgré des limites évidentes, les élections classiques demeurent,
dans les sociétés complexes, le moyen le plus adéquat de choisir les gouver-
mants sans conflit majeur. C’est peut-être une plus grande prise de cons-
cience des citoyens qui pourra les amener à faire de l’élection classique un
réel moment de vérité dans la vie de la nation.

503
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
ApollinaireJ. KVÉLEM de TAMBËLA

777-. Une fois le président élu, le régime de la Transition vivait ses der-
niers moments. Mais, il tenait à poser certains actes avant de s’effacer,
Ainsi, le 21 décembre 2015, jour anniversaire de la naissance de Thomas
Sankara, on apprenait que la justice militaire avait lancé un mandat
d’arrêt international contre Blaise Compaoré dans le cadre du dossier de
l'assassinat de Thomas Sankara. Il lui était reproché les infractions
d’assassinat, d’attentat et de recel de cadavre. Dans le même temps on
apprenait que le test ADN ne permettait pas de certifier que les restes
exhumés sont ceux de Thomas Sankara parce que la dépouille serait trop
dégradée. Dans le dossier Sankara, Gilbert Diendéré a aussi été inculpé
d’attentat, de complicité d’assassinat et de recel de cadavre.

778- Le 26 décembre 2015, la première université de Ouagadougou


(Ouaga-T[) fut baptisée Université Joseph Ki-Zerbo. L'idée de donner le
nom de cet illustre personnage à cette université fut émise pour la pre-
mière fois par l’auteur de cet ouvrage”!!. Il avait alors été soutenu par
quelques intellectuels”!?. Joseph Ki-Zerbo fut un historien de renommée
internationale, un expert en sciences sociales et un homme politique
d’une intégrité redoutable. Il traversa des moments difficiles sous la Ré-
volution de Thomas Sankara (cf. $ 259 et 260) et resta, jusqu’à sa mort le
4 décembre 2006, un opposant au régime de Blaise Compaoré. De ce fait,
la proposition pouvait difficilement prospérer sous son régime. Avant de
partir, le régime de la Transition voulait ainsi réparer une injustice. Ce
d'autant plus que sa veuve, Jacqueline Coulibaly, venait aussi de décéder
le 15 décembre 2015.

Ile La gestion sociale et économique de la Transition

779- Les dirigeants de la Transition étaient arrivés au pouvoir par le


hasard des circonstances. Ils n’avaient donc pas un projet de société à
réaliser. Il est donc difficile de parier réellement de politique économique

°1 Cf. Apollinaire Kyélem, “Joseph Ki-Zerbo, patriarche de la nation”, Le Pays, n°


3065, Ouagadougou, 17 février 2004, p. 18.
#2 Cf. -Le Pays, n° 3071, Ouagadougou, 25 février 2004, p. 3-4. -Le Pays, n° 3365,
Ouagadougou, 29 avril 2005, p. 16. -L'Observateur Paalga, n° 6392, Ouagadougou, 17
mai 2005, p. 7.
504
Thomas SANKARA ct Ia Révolution au Burkina Faso
Une expér ience de développement autocent
Apollinaire 4. KYÉLEM de TAMBËLA

de la Transition. Comme il a déjà été écrit : « L'être humain a toujours


tendance à s'octroyer le beau rôle : celui de la critique facile et des con-
damnations à l'emporte-pièce alors même que parfois il n'a même pas
une connaissance même vague et imprécise de l'objet de ses critiques et
de ses condamnations. Il est rare qu'il se donne la peine de s ‘interroger
sur son propre rôle, sa part de responsabilité ou sur ce qu ‘il aurait pu
faire à la place de l’autre”®.» Ainsi, Blaise Compaoré parti, les nou-
veaux dirigeants voulurent s’installer confortablement à la place des an-
ciens avec tout le confort qui va avec. En toute discrétion, Les membres
du Conseil national de la Transition s’octroyèrent les mêmes avantages
que les anciens députés. Ce sont les contradictions en leur sein qui ébrui-
tèrent l’affaire. On apprit ainsi que pendant que les autorités de la Transi-
tion criaient urbi et orbi que les caisses de l’État étaient vides, les dépu-
tés, non pas élus, mais désignés à la suite de l’insurrection, avaient arrêté
leur traitement mensuel à près de un million huit cent mille francs”'#, Ce
qui constituait une belle fortune à l’époque quand on sait que le salaire
minimum tournait autour de trente mille francs. Les organisations de la
société civile crièrent au scandale et l'opinion s’en émut. Pour apaiser
l'opinion, les députés de la Transition déclarèrent que ieur traitement
mensuel a été ramené à huit cent quatre-vingt mille (880 000) francs. Ce
qui malgré tout restait très au-dessus du salaire le plus élevé de la Fonc-
tion publique. Quand la Commission de réconciliation nationale et des
réformes politiques (C.R.N.R.) fut mise sur pied, celle-ci, tirant les le-
çons nécessaires, eut la sagesse d’arrêter le traitement mensuel de ses
membres à deux cent cinquante mille (250 000) francs. Il est vrai aussi
qu’elle était présidée par Mgr Paul Ouédraogo, archevêque de Bobo-
Dioulasso dont l’intégrité ne souffre pas de doute.

780- Sous la pression de l'opinion et des organisations de la société


civile, le président de la Transition et les membres du gouvernement fu-
rent contraints de rendre publique leur déclaration de biens’. Puis le

° Apollinaire Kyélem, “La justice au Burkina Faso”Le Pays, n° 3224, Ouagadougou, 5 X


octobre 2004, p. 4.-L'Observateur Paalga, n° 6244, Ouagadougou, 8-10 octobre 2004, p.32. x
9 Exactement un million sept cent soixante-dix-huit mille (1778 000) francs. Cf.
L'Observateur Paalga, n° 8785, Ouagadougou, 12 janvier 2015, p. 2.
95 C£. Courrier confidentiel, n° 81, Ouagadougou, 16 avril 2015, p. 1-20
505
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentté
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

gouvernement prit des mesures de restriction du train de vie de l'État. Le


‘conseil des ministres du 4 mars 2015 adopta un certain nombre de me-
sures dont la réduction des véhicules de service, la suppression des pré.
sentations des vœux de nouvel an à l'épouse du président du Faso finan-
cées par le budget de l° État, la meilleure gestion des baux de l” État avec
ouverture à la concurrence. La gestion rigoureue des fonds publics a ainsi
permis d’épargner près de quarante milliards de francs CFA°'$ en une
année,

781- Comme programme économique, le conseil des ministres du 16


mars 2015 adopta un décret portant création d’un Programme socioéco-
nomique d’urgence de la Transition (P.S.U.T.) Le coût du Programme
était évalué à vingt-cinq milliards de francs et était financé par la réduc-
tion du train de vie de l’État. Son objectif était de contribuer au bien-être
général des populations par la création de richesses au niveau des
couches vulnérables. 11 visait entre autres la création de dix mille unités
économiques au profit des jeunes et des femmes qui devaient générer
près de trente mille emplois, la construction de soixante-quinze com-
plexes scolaires, la réalisation d’infrastructures universitaires, la cons-
truction de quatre-vingt centres de santé et de promotion sociale
(C.S.P.S.)

782- Le 3 décembre 2015 le gouvernement procédait au lancement des


travaux de construction de l’échangeur du Nord d’un coût prévisionnel
de soixante-dix milliards de francs CFA, avec un délai d'exécution de
trente-huit mois. Toutefois, le projet avait été conçu et monté sous le ré-
gime de Blaise Compaoré. Le 8 décembre 2015 étaient lançés les travaux
du projet Ziga-II d’un montant de cent cinq milliards de francs et destiné
à améliorer }’ approvisionnement en eau potable de la ville de Ouagadou-
gou à partir de juin 2017. Ce projet aussi avait été conçu et monté par le
: régime de Compaoré. Le 14 décembre (c'était la pose de la première
pierre d’un centre de cancérologie d’un coût prévisionnel de trente mil-
liards de francs. Il est prévu pour comporter les services adaptés à une
prise en charge complète du cancer.

516 Cf. Bendré, n° 865, Ouagadougou, 11 janvier 2016, p. 2.


506
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apallinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

Ile La politique étrangère de la Transition

783- En matière de politique étrangère, le seul fait vraiment marquant


fut je rappel le 20 mars 2015 de dix ambassadeurs. Pour le gouvernement :
il y avait trois raisons à cela. Certains d’entre eux avaient atteint l’âge de
la retraite. D’autres avaient excédé la durée de leur mandat. Certains en-
fin ont été rappelés pour activisme politique. Tous ces ambassadeurs
avaient été nommés par Blaise Compaoré et faisaient partie de ses fi-
dèles. Beaucoup n’hésitaient pas à faire usage de leur qualité et influence
pour aller au secours de l’ancien président. Le conseil des ministres du 9
juin 2015 décida de l’ouverture de trois nouvelles ambassades au Saint-
Siège au Vatican, à Doha au Qatar et à Nairobi au Kenya. Ii décida aussi
de l'élévation en Représentations permanentes du consulat général du
Burkina à Libreville au Gabon et des ambassades du Burkina à Paris et à
Bruxelles. Le 14 août, un conseil des ministres décidait de l’ouverture de
trois consulats généraux à New-York aux États-Unis, à Ségou au Mali et
à Cotonou au Bénin.
IV- La fin de la Transition

784- Le 28 décembre 2015, un décret du président de la Transition


mettait fin aux fonctions du premier ministre. Les ministres étaient char- *
gés de l’expédition des affaires courantes en attendant la formation du
nouveau gouvernement.

785- Le 29 décembre 2015, un mois jour pour jour après l'élection


présidentielle, au Palais des sports de Ouaga 2000, Rock Marc Christian
Kaboré prêtait serment et était officiellement investi président du Faso.
De nombreux chefs d’État africains et délégations étrangères étaient pré-
sents à la cérémonie”!?, Dans son discours d’investiture, le nouveau chef
d’État s’engagea pour un retour à l'intégrité, à réaliser un meilleur par-
tage des fruits de la croissance à travers un nouveau contrat social, et à

917 ftaient présents les présidents du Bénin, Thomas Boni Yayi ; de Côte d'Ivoire, Alas-
sane Dramane Ouattara ; du Gabon, Ali Bongo Ondimba ; du Ghana, John Dramani
Mahama ; de Guinée, Alpha Condé ; du Mali, Ibrahim Boubacar Kéita ; du Niger, Ma-
hamadou Issoufou ; du Sénégal, Macky Sall et du Togo, Faure Gnassingbé,.
507
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KVÉLEM de TAMBËLA

entreprendre les démarches pour un passage à la V® République. Le dis-


cours prenait ainsi en compte un certain nombre de points ayant sous-
tendu le mouvement insurrectionnel des 30 et 31 octobre 2014. L’avenir
dira si c’était un simple effet d’annonce ou si c’était l’amorce d’une autre
vision politique de celui qui, selon ses propres termes, a « servi Blaise
Compaoré avec loyauté » pendant près de trente ans.

786- Le 30 décembre, Salif Diallo était élu président de l’Assemblée


nationale. Sur 125$ votants, il a obtenu 78 voix contre 43 voix pour le
candidat adverse de l’U.P.C. Adama Sosso. Dans son discours, le nou-
veau président de l’Assemblée nationale invita ses collègues à travailler
en se collant aux aspirations de l’insurrection populaire « Nous devons
rester collés à l'intérêt supérieur de notre pays et être intransigeants
contre les contre-valeurs que sont la corruption, le népotisme, la patri-
monialisation du pouvoir. » Salif Diallo a été de toutes les intrigues du
régime Compaoré avec d’autres comme Gilbert Diendéré et François
Compaoré. Peut-on, après avoir servi Blaise Compaoré avec tant de ser-
vilité, entreprendre réellement une nouvelle politique respectueuse des
citoyens et des droits humains ? L'histoire tranchera.

787- Le 31 décembre 2015, au palais présidentiel de Kosyam, avait


lieu la passation de charges entre Michel Kafando et le nouveau président
Rock Kaboré. Le 6 janvier 2016, il nommait Paul Kaba Thieba au poste
de premier ministre. Le 13 janvier 2016, le premier gouvernement du
nouveau régime était formé.

508
ANNEXES

1- Proclamation de l'indépendance de la Haute-Volta

Aujourd'hui, 5 août 1960, à 0 heure, au nom du droit naturel de l'homme


à la liberté, à l'égalité, à la fraternité, je proclame solennellement
l'indépendance de la République de Haute-Volta.
Neuf siècles d'histoire ont révélé au monde la valeur morale de l'homme
voltaïque. Au nom de cette morale à partir de laquelle nous voulons bâtir
notre nation, j'exprime ma profonde reconnaissance à tous les artisans
de notre indépendance nationale. À la France, au Général de Gaulle
dont le courage et la magnifique lucidité lui valent l'immortalité devant
l'histoire, à toutes les nations qui nous assistent, au clergé qui fournit à
ce pays sa première élite avec les moyens du bord, aux professeurs fran-
çais qui, patiemment ont façonné les responsables de ce pays, à nos chefs
traditionnels qui ont su sauvegarder l'intégrité de notre État contre les
atteintes de l'extérieur, aux anciens combattants et anciens militaires,
toujours fidèles à l'honneur, à fous nos parlementaires, aux militants
politiques de tous les échelons, aux vaillants combattants qui sont morts
pour le triomphe de notre liberté, j'adresse, au nom du Gouvernement,
l'hommage de ma profonde gratitude.
Vive la Haute-Volta indépendante, vive la France, vive la fraternité des
peuples de la terre.
Maurice Yaméogo

2 Proclamation du 3 janvier 1966

Chers compatriotes,
Considérant la gravité de la situation,
Considérant que les intérêts supérieurs de la nation sont compromis,
Considérant que la paix sociale est gravement menacée,
Pour sauvegarder les institutions démocratiques et républicaines,
Pour éviter toute effusion de sang,
Je décide d'assumer les charges dévolues au chef de 1 "État jusqu'à nou-
vel ordre.
L'ordre public sera assuré par tous les moyens.
509
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBÈLA

En conséquence :
L'état d'urgence reste en vigueur.
Tout acte de vandalisme sera sévèrement sanctionné.
Je ne tolérerai aucune ingérence d’où qu'elle vienne dans les affaires
intérieures de la République.
En ce qui concerne les relations extérieures, tous les accords internatio-
naux seront respectés.
Je réaffirme solennellement l'appartenance de la République de la
Haute-Volta au Conseil de l’Entente, à l'O.CA.M, à l'O.U.A. et à
l'ONU.
J'invite tous les travailleurs à reprendre leurs activités pour le plus
grand bien de la nation dès demain matin à 7 heures.
Je demande instamment au peuple de garder son calme et de faire con-
fiance à son Armée.
Vive la République !
Vive la Haute-Volta.
Fait à Ouagadougou le 3 janvier 1966
Le lieutenant-colonel Sangoulé Lamizana.

3- Proclamation du 8 février 1974

Considérant la situation catastrophique dans laquelle se trouve la vie


nationale consécutive à la crise qui couve depuis plusieurs mois et révé-
lée publiquement le 22 janvier 1974,
Considérant que cette crise confirmée à l’Assemblée nationale par le
rejet de projets de loi le 30 janvier 1974 entraîne la paralysie de
l'appareil de l'État et le blocage des institutions,
Considérant que le crédit de l'État voltaïque à l'intérieur comme à
l'extérieur risque de subir des dommages pouvant porter un grave préju-
dice aux efforts engagés pour le développement économique et social de
notre pays.
Considérant surtout les dangers d'affrontement des factions rivales pou-
vant déboucher sur une division irrémédiable du peuple voltaïque à un
moment où la mobilisation de toutes les énergies nationales est de ri-
gueur pour affronter les difficultés liées à la détérioration des relations
économiques internationales.
510
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Nous, général Sangoulé Lamizana chef des armées et des Jorces de


l'ordre proclamons :
1 La Constitution du 29 juin 1970 est suspendue.
2- L'Assemblée nationale est dissoute. Une institution pour le re-
nouveau sera mise en place dans laquelle toutes les forces vives concou-
rant au développement du pays seront représentées.
3- Les activités politiques sont formellement interdites.
4- La liberté de presse, les libertés syndicales, les libertés de
croyance et de pratique de la religion sont garanties dans le cadre de la
loi sous réserve du respect de l'ordre public.
5- Un gouvernement de Renouveau national qui comprendra des
militaires et des civils sera formé dans les heures qui suivent pour secon-
der l'action du chef de l’État, président de la République, président du
Conseil des ministres.
6- Le gouvernement de Renouveau national orientera son action
vers la recherche du mieux-être du plus grand nombre de nos popula-
tions et pratiquera la politique de nos propres moyens tendant à la jus-
tice sociale pour tous.
7- Les forces armées, les forces de sécurité et de la sûreté nationale
assurent le maintien de l'ordre et la sécurité publique sur toute l'étendue
du territoire.
8- Aucune ingérence, d'où qu'elle vienne, dans les affaires de la
République ne sera tolérée.
9- Tous les accords et engagements internationaux seront respectés.
10- Il est fait appel à la discipline et au sens patriotique de tous pour
aider les forces armées dans l'action de Renouveau national.

El Hadj Aboubacar Sangoulé Lamizana


Général de Corps d'armée.

4- Proclamation du 25 novembre 1980

Peuple voltaïque,
Nous, Comité militaire de redressement pour le progrès national ;

sii
=
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KVÉLEM de TAMBÈLA

Considérant la situation politique et économique de la nation, caractéri-


sée par la dégradation du climat social dans tous les secteurs de la vie
nationale ;
Considérant nos populations rurales et urbaines affamées, assoiffées et
atteintes par les effets négatifs des prix anarchiques et incontrôlés, alors
que s'effrite l'autorité de l'État, mettant dangereusement en péril la sé-
curité nationale ;
Considérant les menaces graves qui pèsent sur les libertés individuelles
et collectives ;
Après les nombreuses convulsions socio-économiques qui n'ont pas trouvé
de solutions appropriées et devant la crise que vit l’école voltaïque.
PROCLAMONS
1- La Constitution du 13 décembre 1977 est suspendue ;
2- L'Assemblée nationale est dissoute, les structures de progrès so-
cial et pour l'instauration d’une démocratie véritable, associant toutes
les forces vives de la nation seront mises en place.
3- En attendant la mise en place du gouvernement, le Comité mili-
taire de redressement pour le progrès national assumera les responsabi-
lités du pouvoir exécutif et légiférera par voie d'ordonnance et décrets
réglementaires.
4- Les libertés individuelles et collectives, autres que politiques, sont
garanties.
5- Les accords internationaux seront respectés.

Peuple voltaïque,
L'heure est grave, par ton calme, ta sérénité et ta confiance mise dans les
forces militaires et paramilitaires, tu participeras à l'œuvre de redresse-
ment national et de progrès social entreprise ce jour.
Populations laborieuses,
Travailleurs des villes et des campagnes, le Comité militaire de redres-
sement pour le progrès national t'invite au travail dans la dignité et le
sacrifice, pour que vive la Haute-Volta.

Colonel Saye Zerbo


Président du Comité militaire de redressement
pour le progrès national (C.M.R.P.N.)
512
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

5- Proclamation du 7 novembre 1982

Depuis le 25 novembre 1980, un pouvoir dénommé Comité mili-


taire de redressement pour le progrès national (C.M.R.P.N.) s'est instal-
lé en Haute-Volta.
Après l'enthousiasme des premiers jours qui a salué la chute du
régime antipopulaire de la Troisième République, l'indifférence, la dé-
ception, l'hostilité, puis le rejet total ont pris place dans les rangs des
masses voltaïques.
Le colonel Saye Zerbo, ses comités militaires et son gouverne-
ment n'ont reçu que la juste sanction du peuple pour leur politique aven-
turiste et de trahison dont les traits principaux sont : la gabegie, la cor-
ruption et l'enrichissement illicite et spectaculaire des dignitaires aggra-
vant ainsi le marasme économique, la répression injustifiée des travail-
leurs, élèves, étudiants par des déportations, des mandats d'arrêt et la
suppression des libertés fondamentales, aussi bien individuelles que col-
lectives.
Cette politique était savamment couverte de démagogie, de men-
songes et d'intoxication de toutes sortes.
En conséquence, nous, sous-officiers et hommes du rang, regrou-
pés au sein du Mouvement de salut du peuple,
Considérant que le C.MR.P.N. a trahi la confiance du peuple ;
Considérant que le C.MR.P.N. a abusé de la cohésion des mili-
taires pour assouvir des fins inavouables ;
Considérant que par ses manœuvres répressives, le C.MR.P.N. a
fait de chaque militaire, de chaque élément des forces paramilitaires un
agent de terreur contre les masses voltaïques.

Décidons :
La suppression du C.M.R.P.N. et de toutes ses instances.
Nous proclamons,
Premièrement : la création d'un Conseil provisoire de salut du
peuple qui gouvernera et légiférera par voies d'ordonnances et de dé-
crets réglementaires. Ce Conseil provisoire de salut du peuple est com-
posé de l'organisation des sous-officiers et des hommes du rang d'une
513
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÉËLA

part et d'autre part des officiers. Il sera dissous dès que les militaires de
tout rang, de toutes les unités, par voix de leurs représentants se seront
prononcés sur la nature, l'orientation et la structuration d'un pouvoir
d'État.
Deuxièmement : les libertés individuelles et collectives autres que
politiques seront garanties.
Troisièmement : les accords et engagements extérieurs seront respec-
tés.
Vive la Haute-Volia !
Capitaine Thomas Sankara

6- Déclaration du 17 mai 1983

Dans sa Proclamation du 7 novembre 1982, le Conseil de salut du peuple


se fixait comme objectifs, entre autres, l'instauration d'une vraie démo-
cratie et d'une vraie justice sociale, la réorganisation de l’armée et de
l'appareil étatique. Il ressort de ce dernier objectif qu'un appareil éta-
tique bien structuré ne va pas sans restauration du crédit de ! ‘État et de
l'autorité de l'État tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.
Depuis un certain temps, des divergences se sont fait jour au sein
du Conseil de salut du peuple qui menaçait de se cristalliser en des op-
positions de clans minant dangereusement l'autorité de 1 "État.
Notre objectif maintes fois proclamé est de redonner confiance au
peuple voltaïque afin qu'il se donne par lui-même et librement les struc-
tures de sa vie intérieure dans un délai de deux ans en dehors des que-
relles partisanes et de choix idéologiques imposés.
Ainsi donc, le Conseil de salut du peuple a décidé d'écarter de
son sein fous ceux qui œuvraient à le faire dévier de sa voie initiale par
des comportements, déclarations et agissements tout aussi démagogiques
qu'irresponsables.
Le Conseil de salut du peuple reste fermement attaché à ses ob-
Jjectifs et œuvre à une plus grande unité autour de son programme
d'action. Nos engagements seront tenus et respectés. Le Conseil de salut
du peuple en appelle au calme et à la vigilance des populations de nos
villes et de nos campagnes, de nos forces armées, militaires et paramili-
taires.
514
A
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBÈLA à

Médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo x

7- Proclamation du 4 août 1983

Peuple de Haute-Volta !
Aujourd'hui encore, les soldais, sous-officiers et officiers de
l’armée nationale et des forces paramilitaires se sont vus obligés
d'intervenir dans la conduite des affaires de l’État pour rendre à notre
pays son indépendance et sa liberté et à notre peuple sa dignité.
En effet, ces objectifs patriotiques et progressistes qui ont justifié
l'avènement du Conseil de salut du peuple le 7 novembre 1982 ont été trahis
par le 17 mai 1983, soit seulement six mois après, par des individus farou-
chement hostiles aux intérêts du peuple voltaïque et à ses aspirations à la
démocratie et à la liberté. Ces individus, vous les connaissez, car ils se sont
frauduleusement introduits dans l'histoire de notre peuple. Ils s y sont tris-
tement illustrés, d'abord par leur politique à double face, ensuite par leur
alliance ouverte avec toutes les forces conservatrices, réactionnaires qui ne
savent rien faire d'autre que de servir les intérêts des ennemis du peuple, les
intérêts de la domination étrangère, du néocolonialisme.
Aujourd’hui 4 août 1983, des soldats, sous-officiers et officiers de
toutes les armes et de toutes les unités dans un élan patriotique ont déci-
dé de balayer le régime impopulaire, le régime de soumission et
d'aplatissement mis en place depuis le 17 mai 1983 par le médecin-
commandant Jean-Baptiste Ouédraogo sous la houlette du colonel Yo-
rian Gabriel Somé ef de ses hommes de main.
Aujourd'hui 4 août 1983, des soldats, sous-officiers et officiers
patriotes et progressistes ont ainsi lavé l'honneur de notre peuple et de
son armée et rendu leur dignité, leur permettant de retrouver le respect
et la considération que chacun, en Haute-Volta comme à l'étranger, leur
portait du 7 novembre 1982 au 17 mai 1983. Pour réaliser ces objectifs
d'honneur, de dignité, d'indépendance véritable et de progrès, pour la
Haute-Volta et pour son peuple, le mouvement actuel des forces armées
voltaïques tirant les amères expériences du C.S.P., a constitué ce jour 4
août 1983, le Conseil national de la Révolution (C.N.R.) qui assume dé-
sormais le pouvoir d "État, en même temps qu'il met fin au fantomatique

515
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une @ ce de développement autogentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

régime du C.S.P. du médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo qui


l'avait du reste arbitrairement dissous.
Peuple de Haute-Volta, le Conseil national de la Révolution ap-
pelle chaque Voltaïque, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, à se mobili-
ser dans la vigilance pour lui apporter son soutien actif. Le Conseil na-
tional de la Révolution invite le peuple voltaïque à constituer partout des
comités de défense de la Révolution pour participer à la grande lutte
patriotique du Conseil national de la Révolution et pour empêcher les
ennemis intérieurs et extérieurs de nuire à notre peuple. Il va sans dire
que les partis politiques sont dissous.
Sur le plan international, le Conseil national de la Révolution
proclame son engagement à respecter les Accords qui lient notre peuple
aux autres États. Il maintient également l'adhésion de notre pays aux
organisations régionales, continentales et internationales. Le Conseil
national de la Révolution n'est dirigé contre aucun pays, aucun État ou
peuple. I proclame sa solidarité avec tous les peuples, sa volonté de
vivre en paix et en bonne amitié avec tous les pays et notamment avec
tous les pays voisins de la Haute-Volta. La raison fondamentale et
l'objectif du Conseil national de la Révolution c'est la défense des inté-
rêts du peuple voltaïque, la réalisation de ses profondes aspirations à la
liberté, à l'indépendance véritable et aux progrès économique et social.
Peuple de Haute-Volta, tous en avant avec le Conseil national de
la Révolution pour le grand combat patriotique pour l'avenir radieux de
notre pays.
La Patrie ou la Mort, Nous Vaincrons.
Vive le peuple voltaïque !
Vive le Conseil national de la Révolution !
Capitaine Thomas Sankara

8- Proclamation du Front populaire

Peuple burkinabè, militantes et militants de la Révolution démo-


cratique et populaire, amis du Burkina Faso, jeunesse militante
d'Afrique.
Le Front populaire, regroupant les forces patriotiques, décide de
mettre fin en ce jour 15 octobre au pouvoir autocratique de Thomas San-
516
CO
Thomas SANKARA et ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Kara, d'arrêter le processus de restauration néocoloniale entreprise par


ce traître à la Révolution d'août.
Souvenons-nous que déjà dans la nuit du 4 août 1983, le renégat
Sankara avait dépêché un émissaire auprès des forces révolutionnaires
en marche triomphale sur Ouagadougou pour les dissuader d'engager
l'assaut final contre les forces réactionnaires sous prétexte que Jean-
Baptiste Ouédraogo et lui étaient parvenus à un accord.
À la faveur des méandres de l'histoire, cet autocrate s'est hissé à
la tête de notre Révolution pour mieux l'étouffer de l’intérieur. Cette
haute trahison s'est illustrée par le bafouement de tous les principes or-
ganisationnels, les reniements divers aux nobles objectifs de la R.D.P., la
personnalisation du pouvoir, la vision mystique quant aux solutions à
apporter aux problèmes concrets des masses, toutes choses qui ont en-
gendré la démobilisation au sein du peuple militant.
C'est pourquoi, aux plans économique et social, nous avons as-
sisté à l'écroulement continu de notre système productif et à la déca-
dence sociale. Ceci nous menait inexorablement au chaos total.
Pour arrêter cette dégénérescence de notre processus révolution-
naire et redonner espoir à notre peuple et à notre patrie, le Front popu-
laire proclame :
- Le Conseil national de la Révolution est dissous ;
- Le gouvernement est dissous ;
- L'Organisation militaire révolutionnaire est dissoute ;
- Le président du Faso et le secrétaire général national des comités de
défense de la Révolution et les commissaires politiques sont démis de
leurs fonctions.
Les pouvoirs révolutionnaires provinciaux sont invités à désigner
démocratiquement en leur sein un nouveau président qui aura la charge
d'assumer les responsabilités généralement dévolues au haut-
commissaire.
Le Front populaire lance un appel à toutes les organisations pa-
triotiques et révolutionnaires (C.D.R., syndicats, organisations de jeu-
nesse, organisations de femmes) pour qu'elles prennent part au proces-
sus de rectification entrepris en ce jour.
Ouvriers, paysans, soldats, paramilitaires, intellectuels révolu-
tionnaires, démocrates et patriotes du Burkina Faso, le Front populaire
517
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autacentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

vous invite tous à soutenir fermement l'action de rectification tant atten-


due par tous les révolutionnaires démocrates sincères.
Le Mouvement populaire du 15 octobre qui entend poursuivre
conséquemment la Révolution d'août 1983 s'engage à respecter les en-
gagements pris vis-à-vis des autres peuples, États et organisations inter-
nationales. Le peuple militant est invité au calme et les forces de défense
populaire (militaires, paramilitaires et C.D.R.) à la vigilance.
La Patrie ou la Mort, Nous Vaincrons.

Pour le Front populaire, le capitaine Blaise Compaoré.


9-Extraits du discours que Thomas Sankara devait prononcer lors de
la réunion du C.N.R. du jeudi 15 octobre 1987 à 20h.

Chers camarades,

Le prestige de la Révolution et la confiance que les masses lui vouent ont


subi un grand choc. Les conséquences en sont une remarquable perte
d'enthousiasme révolutionnaire chez les militants, une sérieuse diminu-
tion de l'engagement, de la détermination et de la mobilisation à la base,
enfin, la méfiance, la suspicion et partout, le fractionnisme au sommet.
L..l
Dans le cas des questions fondamentales, organisationnelles et idéolo-
giques, nous avons bénéficié du fait que chaque fois que nous avons es-
timé devoir émettre un point de vue différent du mien, défendre une po-
sition contraire à la mienne, vous l'avez fait en toute liberté et en toute
confiance. Je l'aï adopté et appliqué, de même que les conseils, sugges-
tions et recommandations. Du reste, et en règle générale, la résolution
des questions entre les hommes est toujours aisée dès lors que règne la
confiance. En effet, l'objectivité s'impose dès que vit la confiance. [...]

les intrigues de certains éléments de nos rangs ont fait plus de torts,
plus de ravages en quelques mois, que les années des plus farouches af
frontements politiques et idéologiques entre le C.NR. et des organisa-
tions adversaires de gauche.

518
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈEA

Prenant leur appartenance au C.N.R. comme la garantie inattaquable de


leur label de révolutionnaire, ces éléments se sont crus la voie royale
ouverte pour la réalisation de leur vision de la société, de la place qu'ils
entendent y jouer, du rôle qu'ils s'y assignent. D'un côté, la surenchère
verbale de gauche, de l’autre une pratique de voyou. Tout cela dans la
tranquille assurance que le C.N.R. les prémunit contre toute aftaque et
que le parlementarisme de ce même C.N.R. leur a ouvert des droits de
minorité de blocage.

Ces droits, ils les utiliseront abusivement pour couvrir tous ces Compor-
tements licencieux indignes de militants révolutionnaires, mais que per-
sonne ne leur opposera sous peine d'être soupçonné de vouloir s'opposer
au C.N.R. C'est de l'opportunisme ! À l'intérieur, le souci de ne perdre
aucun militant, surtout les nouveaux venus, a plutôt nui à la fermeté et
annihilé toute rigueur contre ce que chacun constatait comme étant de
l'indiscipline et un discrédit préjudiciable à terme à l'autorité du CNR.
L.1
Le titre de membre du C.N.R. a été utilisé par eux pour influencer les
masses à des fins personnelles contraires aux intérêts de la Révolution.
Mais le plan criminel de leurs attitudes, c'est la paralysie de la Direction
qu'ils ont provoquée en travaillant sans relâche à créer l'impression
qu'ils se sont identifiés à certains dirigeants éminents, incontestés, parce
que respectables et respectés. [..]

Leurs positions élevées dans les structures du CNR. aidant, positions


tirées non d'un mérite établi mais d’une répartition arithmétique entre
groupes au C.N.R, ils ont de fait maquillé de vraisemblance leurs in-
trigues.

La Révolution a beaucoup souffert de ces éléments-là. Incapables


d'élever le niveau des débats, ils l'ont tiré en arrière. Ils l'ont rabaissé.
Redoutant l'unité comme étant la fin de leurs “droits princiers de nais-
sance” ils ont démobilisé partout où il y avait ne serait-ce qu'une cer-
taine adhésion, et ailleurs, ils ont jeté de l'huile sur le feu de la divi-
sion. [...]

519
Thomas SANKARA et In Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Camarades, nous ne pouvons pas permettre à quelques individus de se


jouer de tout le peuple, [...] Nous ne pouvons pas et ne devons pas lais-
ser quelques éléments irresponsables faire planer sur notre Révolution le
spectre des déchirements tels ceux du Yémen. [...] Je comprends que
nous soyons choqués d'être qualifiés de ce que nous ne sommes pas,
d'être accusés de ce que nous n'avons pas fait. Je propose :
Que nous allions aux masses pour leur démontrer notre cohésion par des
meetings de dénonciation et de condamnation des courants division-
nistes, en ridiculisant comme ils le méritent, ceux qui jusque-là ont pré-
ché avec plus ou moins de bonheur dans les eaux de la Révolution trou-
blées par eux. [...]

Je proposeraïi des sanctions.


Dans les meilleurs délais, il nous faudra mettre en place :
-Les statuts du C.NR, corrigés au regard de ce que nous enseignent nos
difficultés présentes ef prévisibles. [...]
-Le code d'éthique révolutionnaire qui décrira la conduite sociale la plus
exemplaire vers laquelle chacun de nous devra s'efforcer de tendre. |.
La Patrie ou la mort, nous vaincrons !

Thomas Sankara

10- Déclaration de Blaise Compaoré du 30 octobre 2014 appelant


au calme

Peuple du Burkina Faso, chers compatriotes

Il y a des instants dans la vie des peuples et des nations où le silence est
plus expressif que la prise de parole. Ces moments de grande douleur
que nous vivons en font partie.

Les manifestations violentes qui ont endeuillé et plongé notre peuple


dans la stupeur n'honorent pas le pays des Hommes intègres. Mais, j'ai
entendu le message, je vous ai compris et j'ai pris la juste mesure de vos
aspirations au changement. Aussi voudrais-je présenter mes condo-

520
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
_ Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

léances les plus attristées aux familles éplorées et souhaiter un prompt


rétablissement aux nombreux blessés.

En ce tournant décisifde la marche de notre peuple, j'appelle toutes les


parties à mettre en avant l'intérêt supérieur de la nation. J'appelle les
forces de l'ordre et l'ensemble des manifestants au respect de l'intégrité
physique de tous les citoyens, ainsi qu'au respect des biens publics et
privés. Je demeure convaincu que seul le dialogue constructif pourra
permettre à notre peuple de retrouver sa quiétude d'antan et de regarder
l'avenir avec assurance.

En ce qui me concerne, je reste disponible à ouvrir avec vous des pour-


parlers pour une période de transition à l'issue de laquelle je transmet-
trai le pouvoir au président démocratiquement élu. En vue du rétablisse-
ment de ce dialogue, j'ai décidé de retirer le projet de loi contesté et de
procéder à son annulation.

Pour permettre à chacune des parties, à l'opposition politique, à la so-


ciété civile et à la majorité de renouer les fils du dialogue dans la séréni-
té, je décide ce qui suit :
-Le gouvernement est dissous à compter de ce jour 30 octobre.
_Je déclare annuler l'état de siège sur toute l'étendue du territoire.

J'exprime ma reconnaissance à fous ceux qui ont cru en moi et qui ont
sacrifié de leurs biens et quiétude. Ma reconnaissance va aussi à
l'opposition pour l'attitude républicaine de ses dirigeants. Ensemble
nous devons tous œuvrer à éviter un approfondissement de la fracture
sociale et un délitement de notre tissu économique. Chacun doit jouer sa
partition afin que nous parvenions à un retour définitif de la paix sociale.

Je salue les forces de l'ordre pour leur professionnalisme et leur sacri-


fice qui nous ont évité une catastrophe qui aurait été irrémédiable.
Que Dieu bénisse le Burkina Faso.
Je vous remercie.
Blaise Compaoré
Président du Faso
521
Thomas SANKARA et La Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

11- Déclaration de Blaise Compaoré du 31 octobre 2014 annon-


çant sa démission

Peuple du Burkina Faso

Au regard de la situation socio-politique fortement dégradée et caracté-


risée par la persistance des troubles à l'ordre publie, les pillages des
biens publics et privés, les menaces de division de notre Armée nationale
et dans le souci de préserver les acquis démocratiques ainsi que la paix
sociale dans notre pays. J'ai décidé de mettre en œuvre l’article 43 de
notre Constitution, je déclare la vacance du pouvoir en vue de permettre
la mise en place immédiate d’une transition devant aboutir à des élec-
tions libres et transparentes dans le délai légal maximal de 90 jours.
J'appelle l'ensemble des citoyens au calme, les acteurs politiques et la
société civile à plus de responsabilité pour l'arrêt des troubles qui ne
peuvent que retarder notre marche vers le développement.

Pour ma part, je pense avoir accompli mon devoir, en ayant pour seul
souci, l'intérêt supérieur de la nation.
Dieu bénisse le Burkina

Blaise Compaoré
Président du Faso

12- Déclaration du général Nabéré Honoré Traoré, chef d’état-


major général des armées, après l’annonce de la démission de
Blaise Compaoré

Peuple du Burkina Faso


Aujourd'hui 31 octobre 2014, les forces armées nationales, prenant acte
de la démission du président du Faso, chef de 1 "État, en date du 31 oc-
tobre 2014, conformément aux dispositions constitutionnelles, constatant
la vacance du pouvoir ainsi créée, considérant l'urgence de sauvegarder
la vie de la nation et à la suite du communiqué délivré le 30 octobre

522
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

2014, décident que j'assumerai pour compter de ce jour les responsabili-


tés de chef de l'État.
L'engagement est pris de procéder sans délai à des consultations avec
toutes les forces vives et les composantes de la nation en vue du proces-
sus devant aboutir au retour à une vie constitutionnelle normale.
Un appel est lancé à toutes les citoyennes et à tous les citoyens organisés
dans les différentes sphères de la vie nationale à répondre aux sollicita-
tions qui leur seront adressées.
Les forces de défense et de sécurité prendront toutes les dispositions né-
cessaires qui s'imposent pour assurer la sécurité des personnes et des
biens sur toute l'étendue du territoire national.

Cette déclaration annule toute disposition contraire.

Ouagadougou le 31 octobre 2014.


Général de division Nabéré Honoré Traoré
13- Déclaration du lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida

Déclaration M1
La Constitution du 2 juin 1991 est suspendue.
Un organe de transition sera mis en place en accord avec toutes les
forces vives de la nation en vue d'organiser une transition encadrée pour
un retour à une vie constitutionnelle normale. La composition de cet or-
gane consensuel de transition ainsi que sa durée - que nous souhaitons la
plus brève possible - seront déterminées dans les délais les plus brefs
possibles.

Appelons l'ensemble des forces vives à rester calmes, à nous Jaire con-
fiance et à préserver l'intégrité des personnes et des biens.

Appelons l'ensemble des forces de défense et de sécurité à prendre toutes


les dispositions pour assurer la sécurité des biens et des personnes sur
toute l'étendue du territoire national.

Rassurons la communauté internationale du respect des engagements


pris par l'État burkinabè.
523
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire 3. KYÉLEM de TAMBËLA

Sollicitons son accompagnement pour un retour rapide à une vie consti-


tutionnelle normale.

14- Déclaration du général Nabéré Honoré Traoré, chef d’état-


major général des armées, reconnaissant le lieutenant-colonel
Isaac Zida comme chef d’une période de transition

Depuis le 30 octobre 2014, le peuple burkinabè vit des moments particu-


lièrement difficiles et historiques. En effet, l'accélération des évènements
a conduit à ce qui est apparu tantôt comme une confusion, tantôt comme
une contradiction au sein des forces armées nationales, source
d'inquiétude pour le peuple burkinabè.

Aujourd'hui, 1° novembre 2014, 54° anniversaire des forces armées na-


tionales, la haute hiérarchie militaire, après concertations à l'état-major
général des armées, informe l'opinion nationale et internationale que le
lieutenant-colonel Zida Isaac a été retenu à l'unanimité pour conduire la
période de transition ouverte après le départ du pouvoir du président
Blaise Compaoré, Cette période de transition dont la forme et la durée
seront déterminées ultérieurement de concert avec toutes les compo-
santes de la vie nationale interpelle l'accompagnement de tous les ci-
toyens de notre pays et de la communauté internationale. Par consé-
quent, l’ensemble des officiers, sous-afficiers, militaires du rang et per-
sonnel civil de la défense nationale se réjouissent de cette unité et de
cette cohésion réaffirmées au sein des forces armées nationales.

Tout en déplorant les pertes en vie humaine, les blessés, les préjudices
matériels et moraux, ils promettent au peuple burkinabè tout entier de
tenir leur engagement de relever le défi qui vient de leur être soumis
dans ces circonstances exceptionnelles.

Ouagadougou le 1° novembre 2014.


Pour l’ensemble des forces armées nationales
Général de division Nabéré Honoré Traoré
Chef d'état-major général des armées

524
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

15- Message du président du Conseil national de Transition


Concitoyennes, concitoyens
Patriotes épris de paix et de justice
Peuple du Burkina Faso
Le devoir nous appelle, car la nation burkinabè est en danger.
Des éléments du R.S.P. ont fait irruption dans la salle du Conseil des
ministres aux environs de 14h 30 et ont pris en otage le Président du
Faso, chef de l'État, président de la Transition, S.E.M. Michel Kafando,
le Premier ministre Yacouba Isaac Zida, le ministre de la Fonction pu-
blique, du Travail et de la Sécurité sociale, Pr Augustin Loada et le mi-
nistre de l'Habitat et de l'Urbanisme, René Bagoro.
Cette énième irruption d'éléments du R.S.P. est une atteinte grave à la
République et à ses institutions.
J'appelle tous les patriotes à se mobiliser pour défendre la mère patrie.
Des tentatives de dialogue sont en cours entre la Haute hiérarchie mili-
taire et les éléments du R.S.P.
Le devoir de mémoire et le souvenir des fils et filles tombés pour que
naisse une nation burkinabè réconciliée avec l’histoire, commande que
chacun de nous se mobilise pour la libération immédiate du chef de
l'État, du Premier ministre ef des ministres arrêtés.
Nous en appelons au devoir de solidarité des forces vives, des forces po-
litiques et de la société civile, et de la communauté internationale avec
tout le peuple burkinabè pour faire échec à cette opération.

Ouagadougou, 16 septembre 2015.


Moumina Cheriff Sy, Président du C.N.T.

16- Proclamation du Conseil national pour la démocratie


Aujourd'hui 17 septembre 2015, les forces patriotiques et démocratiques
alliant toutes les composantes de la nation et réunies au sein du Conseil
National pour la Démocratie (C.N.D.), ont décidé de mettre un ferme au
régime déviant de la transition.

525
Thomas SANKARA et la Révolntion au Burkina Faso
L
Une expérience de développement autacentré
Apallinaire J. KYÉLEM de TAMBÉLA

Instauré à la suite de l'insurrection victorieuse du peuple des 30 et 31


octobre 2014, le régime de transition s'est progressivement écarté des
objectifs de refondation d'une démocratie consensuelle.
La loi électorale taillée sur mesure pour des individus et décriée par les
instances et les hommes de droit, se dresse alors, comme un outil de né-
gafion des valeurs de notre peuple fondées sur l'esprit de justice,
d'équité et de tolérance.
Cette loi a créé une division et une grave frustration au sein du peuple,
érigeant deux catégories de citoyens.
Malgré les recommandations fortes des chefs d "État de la C.É.D.É.A.0.,
malgré une condanation ferme de la Cour de justice de la CÉ.D.É.A.0.
enjoignant au Burkina Faso de lever tous les obstacles à la libre partici-
pation des candidats aux élections, le Conseil constitutionnel va être ins-
trumentalisé pour violer cette décision internationale.
La démocratie c'est le droit de tout citoyen d'être électeur et d'être éligible !
La loi portant statut général des personnels des Forces armées natio-
nales et celle portant code de l'information ont été promulguées à des
fins personnelles et pour museler la presse.
Cette transition s’est également illustrée par des arrestations arbitraires
en négation des règles de droit faisant le lit d'une justice sélective au
service des vainqueurs.
Dans un contexte sécuritaire sous-régional caractérisé par le terrorisme
et le grand banditisme, la question militaire a été politisée et instrumen-
talisée. Les propositions de l'armée visant un traitement adéquat des
questions en suspens ont fait l'objet d'engagements solennels au plus
haut niveau qui n'ont pas été respectés : le but ultime étant de créer une
crise factice permanente au sein des forces de défense et de sécurité.
Nombre d'acteurs de cette transition se sont illustrés par des comporte-
ments aux antipodes des règles de bonne gestion de la chose publique.
Peuple du Burkina patriotes et démocrates amis du Burkina,
l'intervention du C.N.D. a pour but principal d'enclencher un processus

526
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

cohérent, juste et équilibré devant conduire à la mise en place d'un sys-


tème institutionnel robuste.
Ancré sur les principes cardinaux de la démocratie comme l'égalité poli-
tique devant la loi, la libre expression politique et l'alternance, ce sys-
ième institutionnel sera le socle du développement socioéconomique par-
tagé du Burkina Faso.
Pour faire face à cette exigence, les mesures immédiates suivantes sont
prises :
L Le président de la transition est démis de ses fonctions ;
2. Le gouvernement de transition est dissous ;
3. Le Conseil national de transition est dissous ;
4. Une large concertation est engagée pour former un gouvernement
qui se dévouera à la remise en ordre politique du pays et à la
restauration de la cohésion nationale pour aboutir à des élections
inclusives et apaisées.
Le C.N.D. voudrait également rassurer la communauté régionale et in-
ternationale, les partenaires au développement de sa détermination à
respecter les accords qui engagent le Burkina Faso.
Peuple du Burkina, le Conseil national pour la démocratie appelle tous
les Burkinabè à soutenir activement ef massivement, dans un esprit de
tolérance et de solidarité, le processus de reconstruction politique enga-
gé dans le calme, la discipline et le travail.
Que Dieu protège le Burkina Faso.
Ouagadougou, 17 septembre 2015
Le Conseil National pour la Démocratie (C.N.D.)
* *

527
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

Ouvrages

Amin Samir, Impérialisme et sous-développement en Afrique,


Paris, Éditions Anthropos, 1976.
Amin Samir, La déconnexion — Pour sortir du système mondial,
Paris, La Découverte, 1986.
Andriamirado Sennen, Sankara le rebelle, Paris, Groupe
Jeune Afrique, 1987.
Andriamirado Sennen, Il_s’appelait Sankara, Paris, JA-
PRESS, 1989.
Attali Jacques, Karl Marx - ou l’esprit du monde, Paris,
Fayard, 2005.

Babeuf Gracchus, Le Manifeste des Plébéiens, Éditions Mille et


une nuits, 2010.
Bairoch Paul, Diagnostic de l’évolution économique du Tiers-
Monde 1900-1968, 3° édition revue et augmentée, Paris, Gau-
thier-Villars Éditeur, 1969.
Bakounine Mikhaïl Alexandrovitch, Dieu et l’État, Paris, Éditions
Mille et une nuits, 1996.
Balima Salfo-Albert, Légendes et histoire des peuples du Burkina
Faso, Paris, J.A. Conseil, 1996.
Bamouni Babou Paulin, Burkina Faso - Processus de la Ré-
volution, Paris, L'Harmattan, 1986.
Bassolet François Djoby, Évolution de la Haute-Volta de 1898
au 3 janvier 1966, Ouagadougou, Imprimerie nationale, 1968.
Baum Warren C., Tolbert Stokes M. Investir dans le déve-
loppement - Les leçons de l’expérience de la Banque mondiale,
Paris, Economica, 1987.
Benchikh Madjid, Droit international du sous-développement -
Nouvel ordre dans la dépendance, Paris, Berger-Levrault, 1983.
Berthelot Yves, Giulio Fossi, Pour une nouvelle coopération, Pa-
ris, Presses Universitaires de France, 1975.

528
AN
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

e Bettati Mario, Le conflit sino-soviétique, Paris, A. Colin, coll.


U2, t.1, 1971. ë
X : E=" 1 :
e Carles Philippe, Comolli Jean-Louis, Free jazz / Black po-
wer, Paris, Éditions champ libre, coll. 10/18, 1971.
e Carrère d’Encausse Hélène, L'empire éclaté, Paris, Flammarion,
1978.
e Chirac Jacques, Chaque pas doit être un but, Paris, NiL éditions,
2009, Mémoires, t.1.
e CMRPN, Discours programme, Ouagadougou, Imprimerie
nationale, s.d. |
e CNR, Discours d'orientation politique, Ouagadougou, 2
octobre 1983, Imprimé en République populaire démocratique de |
Corée.
e C.NR, La justice populaire au Burkina Faso, Ouagadou-
gou, Ministère de la Justice, 1985.
e Cohen Francisetal., Socialisme (s), Paris, Messidor / Éditions
sociales, 1986.
e Collectif, Administration et développement au Burkina Faso
Presses de l’Institut d’études politiques de Toulouse, 1987.
e Collectif, Grands procès de l’Afrique contemporaine, Paris,
JAPRES, 1990.
e Collectif, La pauvreté, une fatalité ?, Paris, UNESCO / Karthala,
2002.
e Conombo Joseph Issoufou, Acteur de mon temps - Un _Vol-
taïque dans le XX° siècle, Paris, L'Harmattan, 2005.
e Cornevin Robert, Histoire des peuples de l’Afrique noire, Pa-
ris, Éd. Berger-Levrault, 1963.
e Cot Jean-Pierre, À l'épreuve du pouvoir - Le tiers-
mondisme, pourquoi faire ?, Paris, Seuil, 1984.

e Diamond Jared, De l'inégalité parmi les sociétés - Essai sur


l’homme et l’environnement dans l’histoire, Paris, Gallimard,
2000.

529
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentté
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

Diop Cheikh Anta, Nations nègres et culture, 3° édition, Paris,


Présence Africaine, 1979, t.2.
Dumont René, L'Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1966.
Dumont René, Terres vivantes, Paris, Plon, 1982.
Dumont René et Mottin Marie-France, Le mal développe-
ment en Amérique latine, Paris, Seuil, 1981.

Engels Friedrich, Socialisme utopique et socialisme scienti-


fique, Paris, Éditions sociales, 1977.
Englebert Pierre, La Révolution burkinabè, Paris,
L'Harmattan, 1986.
Erny P., Histoire de l’Afrique occidentale, Issy-les-
Moulineaux, Éditions Saint-Paul, 1961.

Fanon Frantz, Les damnés de la terre, Paris, La Découverte, 1985.


Freund Julien, L’essence du politique, Paris, Éditions Sirey, 1965.
Furet François, Le passé d’une illusion - Essai sur l’idée
communiste au XX° siècle, Paris, Robert Laffont, coll. “Le livre
de poche”, 1906.

Galeano Eduardo, Les veines ouvertes de l’ Amérique latine -


Une contre histoire, Paris, Plon, 1981.
Gandhi, Tous les hommes sont frères, Paris, Gallimard,
1969.
Garango Tiemoko Marc, Devoir de mémoire, Ouagadougou,
Édipap international, 2007.
Genet L. et al., Le monde contemporain, Paris, Hatier,
1962.
Gonidec Pierre-François, Droit du travail des territoires
d'outre-mer, Paris, L.G.D.J., 1958.
Gourou Pierre, Terres de bonne espérance - Le monde tro-
pical, Paris, Plon, 1982.
Grimberg Carl, Rome, l’Antiquité en Asie orientale et les
grandes invasions, Verviers, Éditions Gérard & C°, coll. “Mara-
bout université”, 1963.
530
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de T. AMBÈLA |

Grjebine André, La nouvelle économie internationale, 3°


édition entièrement révisée, Paris, Presses Universitaires de
France, 1986.
Guirma Frédéric, Comment perdre le pouvoir ? - Le cas de
Maurice Yameogo, Paris, Éditions Chaka, 1991.
Guissou Basile Laetare, Burkina Faso - Un espoir en
Afrique, Paris, L'Harmattan, 1995.

Hallé Francis, Un monde sans hiver — Les tropiques, nature et so-


ciétés, Paris, Seuil, 1993.
Hitler Adolf, Mon _ combat, Paris, Nouvelles Éditions Latines,
1934.

Jaffré Bruno, Burkina Faso - Les années Sankara - De la Révolu-


tion à la Rectification, Paris, L'Harmattan, 1989.
Jaffré Bruno, Biographie de Thomas Sankara - La patrie ou la
mort... Paris, L'Harmattan, 1997.

Kaboré Roger Bila, Histoire politique du Burkina Faso — 1919-2


000, Paris, L'Harmattan, 2 002.
Kabou Axelle!Et si l'Afrique refusait le développement ?, Paris,

X
L'Harmattan, 1991.
Ki-Zerbo Joseph, Histoire de l’Afrique noire - D'Hier
à Demain, Paris, Hatier, 1978.
Ki-Zerbo Joseph, À quand_l’Afrique?, Éditions de
l’Aube, 2004.
Ki-Zerbo Joseph, Repères pour l’Afrique, Dakar, Pa-
nafrika, 2007.
Komaf Simon, La révolution permanente et l’Afrique, Pa-
ris, Imprimerie Abexpress, 1979.
Kyélem Apollinaire, L’Éventuel et le possible, Presses Universi-
taires de Ouagadougou, 2002.

Lamizana Sangoulé, Sous les drapeaux, Paris, Jaguar Conseil,


1999.
531
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J, KYÉLEM de TAMBËLA

Lamizana Sangoulé, Sur la brèche trente années durant, Paris,


Jaguar Conseil, 1999.
Lavigne Marie, Les économies socialistes soviétiques et eu-
ropéennes, Paris, A. Colin, 1970.
Lavroff Dmitri Georges, Les grandes étapes de la pen-
sée politique, 2° édition, Paris, Dalloz, 1999.
Lénine (Vladimir Illitch Oulianov dit -), Oeuvres choisies _en
deux volumes, Moscou, Éditions en langues étrangères, 1948, t.2.
Lénine, Oeuvres choisies en deux volumes, Moscou, Édi-
tions en langues étrangères, 1954, t.2.
Lénine, Oeuvres, Paris, Éditions sociales ; Moscou, Édi-
tions en langues étrangères, 1962, t.25.
Lévi-Strauss Claude, Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955.
Loba Aké, Kocoumbo l'étudiant noir, Paris, Flamma-
rion, 1960.
Lowy Michael, La pensée de Che Guevara, Paris, François
Maspéro, 1970.

Machiavel, Le Prince, Arles, Actes Sud, 2001.


Madiéga Yénouyaba Georges, Nao Oumarou (sous la direction de
-), Burkina Faso — Cent ans d’histoire, 1895-1995, Paris, Kartha-
la, 2003, t.1.
Marx Karl, Révolution et socialisme - Pages choisies, Paris,
Payot, 1970.
Mende Tibor, De l’aide à la recolonisation, Paris, Seuil, 1979.
Miaille Michel, Une introduction critique au droit, Paris,
François Maspéro, 1982.

Nunez Orlando, Burbach Roger, Quand l’Amérique


s’embrasera, Montreuil, La Brèche-PEC, 1989.

Ouologuem Yambo, Le devoir de violence, Paris, Le Serpent à


Plumes, 2003.

532
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Pacéré Titinga Frédéric, Ainsi on a assassiné tous les


Mossé — Essai-témoignage, Ouagadougou, Fondation Pacéré,
1994.
Padmore George, Panafricanisme ou communisme ? — La pro-
chaine lutte pour l’Afrique, Paris, Présence Africaine, 1960.
Pisani Edgar, La main et l’outil - Le développement du Tiers
Monde et l’Europe, Paris, Robert Laffont, 1984.
Platon, Apologie de Socrate, Paris, GF-Flammarion, 1965.
Platon, La République, Paris, Librairie Générale Française, 1995.
Poulantzas Nicos, L'État, le Pouvoir, le Socialisme, Paris,
Presses Universitaires de France, 1978.

Quartana Pino et al., Pour une économie de communion 2° édi-


tion, Paris, Nouvelle Cité, 1994.

Renan Ernest, Qu'est-ce qu’une nation ?, Paris, Éditions Mille et


une nuits, 1997.
Rist Gilbert, Le développement - Histoire d’une croyance occi-
dentale, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences poli-
tiques, 1996.
Rostow Whalt Whitman, Les étapes de la croissance écono-
mique, Paris, Seuil, 1963.
Rousseau Jean-Jacques, Émile ou de l’éducation, Paris, Gar-
nier-Flammarion, 1966,

Sânwiidi Kombange-Ligliba Cyprien, Kupèela — De Kürita


le fondateur à Albert Tilado dit Zâare, s.L., s.d.
Savonnet-Guyot Claudette, État et sociétés au Burkina - Essai
sur le politique africain, Paris, Karthala, 1986.
Secrétariat général national des C.DR., Première conférence
nationale des comités de défense de la Révolution - Documents
finaux, Ouagadougou, Imprimerie Presses Africaines, 1986.
Secrétariat général national des C.D.R., Résultat des travaux
de la deuxième conférence nationale des comités de défense de la
Révolution du Burkina Faso, juin, 1987.
533
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Siriex Paul-Henri, Félix Houphouet-Boigny - L'homme de la


paix, Éditions Seghers ; Dakar-Abidjan, Nouvelles Éditions Afri-
caines, 1975.
Société Française pour le Droit International, Colloque de Dijon
(1,2 et 3 juin 1989} sur le thème Révolution et droit international
Éditions A. Pedone, Paris, 1990.
Somé D. Valère, Thomas Sankara - L'espoir assassi-
né, Paris, L'Harmattan, 1990.
Somé D. Valère, Les nuits froides de décembre (L’exil ou... la
mort), Ouagadougou, Les éditions du millénium, 2015.

Touré Adama Abdoulaye, Une vie de militant - Ma lutte. du


collège à la révolution de Thomas Sankara, Ouagadougou, Édi-
tions Hamaria, 2001.

Weyl Monique et Roland, La part du droit - dans la réalité et


dans l’action, Paris, Éditions sociales, 1968.

Zagré Pascal, Les politiques économiques du Burkina Faso - Une


tradition d’ajustement structurel, Paris, Karthala, 1994.
Ziegler Jean, Main basse sur l'Afrique - La recolonisation, Paris,
Seuil, 1980.
Ziegler Jean, La victoire des vaincus, Paris, Seuil, janvier 1988.
Ziegler Jean, Rapp Jean Philippe, Thomas Sankara - Un nou-
veau pouvoir africain, Lausanne, Éditions Pierre-Marcel Favre,
Paris, Éditions ABC, 1986.

Thèses

Kyélem Apollinaire, Coopération et développement autocentré —


Le cas du Burkina Faso, Thèse de doctorat en droit, Nice, dé-
cembre 1987 ; Refondue en 1994.
Ouraga Obou, L'État et les libertés publiques en Côte d’Ivoire -
Essai de théorie générale, Thèse de doctorat d” État en droit, Nice,
décembre 1986.
534
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBÈLA

Piquemal Alain, L'influence des inégalités de développement


sur le statut juridique des États, Thèse de doctorat d’État en droit,
Nice, 1976.
Articles

Alvares Claude, “Le refus du développement”, Problèmes


économiques, n° 1854, Paris, 28 décembre 1983.
Andriamirado Sennen, “Justice du peuple chez Sankara ?, in
Grands procès de l’Afrique contemporaine, Paris, JAPRES, 1990.

Barry Newton Ahmed, “Blaise Compaoré: Le vide com-


pler”, L'événement, n° 137, Ouagadougou, 10 avril 2008.
Benoist Joseph Roger (de -), “La Haute-Volta, la Communauté
française et l'Afrique occidentale française du référendum (28
septembre 1958) à l'indépendance”, in Yénouyaga Georges Ma-
diéga et Oumarou Nao (sous la direction de-), Burkina Faso —
Cent ans d’histoire, 1895-1995, Paris, Éditions Karthala, 2003,
til
Brittain Victoria, “Introduction to Sankara & Burkina Faso”,
Review of African Political Economy, n° 32, Baltimore, avril
1985.
Burdeau Geneviève, “La situation internationale de l'État révolu-
tionnaire et la réaction des États tiers”, mn Société Française pour
le Droit International, Colloque de Dijon (1, 2 et 3 juin 1989) sur
le thème Révolution et droit international, Éditions A. Pedone,
Paris, 1990.
Butterfield Fox; La Chine; Paris; France-Loisirs, 1983.

Céleste Marie-Claude, “Quand le tiers-monde exporte ses


“cerveaux”, Le Monde diplomatique, mars 1981.

Dabiré Bernardin, “Entre le glaive de la justice et la baion-


nette du canon”, L'Observateur, n° 2637, Ouagadougou, 21 juillet
1983.

535
Thomas SANKARA et In Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Dabiré Ferdinand, “L'expérience des caisses populaires de la


Bougouriba”, Carrefour africain, n° 1052, Ouagadougou, 9 sep-
tembre 1988.
Diabaté Moustapha, “Du sous-développement au blocage du dé-
veloppement”, Présence Africaine, n° 79, Paris, 1971.
Dulucq Sophie, “Émile Dussaulx. Entre conquête et “pacifica-
tion” (janvier-juillet 1898) : un éclairage inédit sur l'histoire des
pays voltaïques”, in Yénouyaba Georges Madiéga et Oumarou
Nao (sous la direction de -), Burkina Faso — Cent ans d’histoire
1895-1995, Paris, Karthala, 2003, t.1.

Gadio Cheikh Tidiane, “La patrie ou la mort, Sankara


Vaincra..”, Sud Magazine, n° 8, Dakar.
Gaillard Philippe, “Les bons placements de Mohamed Diawara”,
in Grands procès de l’Afrique contemporaine, Paris, JAPRES,
1990.
Grosser Alfred, “L'Afrique, continent méprisé ?”, La Croix,
n° 34365, Paris, 22 mars 1996.

HS. “Le 15 octobre 1987 - Pourquoi Sankara s'est-il laissé


tuer ?”, L’Indépendant, n° 216, Ouagadougou, 14 octobre 1997.

Tiboudo Patrick, « Le parti de Salomon », L'Observateur, n°


2631, Ouagadougou, 13 juillet 1983.

Kambou-Ferrand Jeanne-Marie, “La conquête du royaume mossi


de Ouagadougou par la France”, in Yénouyaga Georges Madié-
ga et Oumarou Nao (sous la direction de-), Burkina Faso — Cent
ans d’histoire, 1895-1995, Paris, Éditions Karthala, 2003, t.1.
Kambou-Ferrand Jeanne-Marie, “Les traités coloniaux en pays
voltaïques”, in Yénouyaga Georges Madiéga et Oumarou Nao
(sous la direction de-), Burkina Faso — Cent ans d’histoire, 1895-
1995, Paris, Éditions Karthala, 2003, t.1.
Kende Pierre, “Mythes er réalités de la “société de consomma-
tion”, Esprit, n° 387, Paris, décembre 1969.

536
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Ki-Zerbo Joseph, “Dynamiter la sémantique”, Afrique Asie,


n° 240, Paris, 25 mai 1981.
Kyélem Apollinaire, “Aide, commerce et développement de
l'Afrique”, Nord-Sud XXE, n° 7, Genève, 1995.
Kyélem Apollinaire, “Transfert de technologie, industrialisation
et développement”, Annales de l’université de Ouagadougou, Sé-
rie À, Vol. XII, 2000.
Kyélem Apollinaire, “Le juge et le droit dans l’espace et dans le
temps”, Le Pays, n° 2094, Ouagadougou, 9 mars 2000, p. 6, 15-
16.
Kyélem Apollinaire, “Le chef d "État et la justice pénale”, -Le
Pays, n° 2262, Ouagadougou, 19 novembre 2000. -L'Observateur
Paalga, n° 5252, Ouagadougou, 16 novembre 2000.
Kyélem Apollinaire, “La justice du juge statuant en dernier res-
sorf”, Le Pays, n° 2381, Ouagadougou, 10 mai 2001.
Kyélem Apollinaire, “La dernière bataille de Boukary Koutou”,
L'Observateur Paalga, n° 5822, Ouagadougou, 30 janvier 2003.
Kyélem Apollinaire, “Joseph Ki-Zerbo, patriarche de la nation”,
Le Pays, n° 3065, Ouagadougou, 17 février 2004.
Kyélem Apollinaire, “La justice au Burkina Faso”, -Le Pays, n°
3224, Ouagadougou, 5 octobre 2004. -L'Observateur Paalga, n°
6244, Ouagadougou, 8-10 octobre 2004.
Kyélem Apollinaire, “Nature et effets du procès-verbal de constat
ou d'enquête”, Le Bulletin du Bâtonnier, n° V-001, Ouagadou-
gou, 7 juin 2005.
Kyélem Apollinaire, “Réflexions sur la justice pénale au Burkina
Faso”, Le Bulletin du Bâtonnier, n° V-002, septembre 2005.
Kyélem Apollinaire, "Réflexions sur les cours constitutionnelles
en Afrique", -Le Pays, n° 3474, Ouagadougou, 5 octobre 2005. -
L'Observateur paalga, n° 6492, Ouagadougou, 6 octobre 2005.
Mutations, n° 103, Ouagadougou, 15-30 juin 2016.
Kyélem Apollinaire, “Pour une réforme du corps de la magistra-
ture”, Le pays, n° 3722, Ouagadougou, 5 octobre 2006. -
L'Observateur Paalga, n° 6739, Ouagadougou, 5 octobre 2006.

537
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KVÉLEM de TAMBËLA

Kyélem Apollinaire, “Critique de la conception matérialiste de


l'histoire”, -Le Pays, n° 3853, Ouagadougou, 20 avril 2007. -Le
Pays, n° 3857, Ouagadougou, 26 avril 2007, Mutations, n° 124,
Ouagadougou, 1° -14 mai 2017.
Kyélem Apollinaire, “Mythe et réalité des indépendances en
Afrique noire francophone”, Le Pays, n° 4758, Ouagadougou, 9
décembre 2010, -Mutations, n° 116, Ouagadougou, 1° -14 janvier
2017.

Labazée Pascal, “De la Révolution à la « Rectification » au


Burkina Faso - L'encombrant héritage de Thomas Sankara”, Le
Monde diplomatique, n° 404, Paris, novembre 1987.
Lenoir René, “Le développement hier et aujourd'hui”, Projet, n°
219, Paris, septembre 1980.

Marc Gabriel, “L'éveil des sociétés civiles”, Projet, n°


219, Paris, septembre 1989.
Marchal Jean-Yves, Wilhelm L., “L'expansion industrielle de
Boussac et l'exploitation coloniale”, Le Monde diplomatique, Pa-
ris, novembre 1978.
Marx Karl, “Lettre à Kugelmann, 12 avril 1871.
Méda Yirzaola, “L'LP.N. un “symbole réunificateur”, Car-
refour africain, n° 933, Ouagadougou, 2 mai 1986.
Mukamabano Madeleine, “Les fers de lance de la Révolution”,
Actuel développement, n° 67, Paris, juillet-août 1985.

N’krumah Kwamé, “Class struggle in Africa”, Review of African


Political Economy, n° 32, Baltimore, avril 1985

Odou René, “Haute-Volta - Un rêve se brise”, Afrique Nou-


velle, n° 1642, Dakar, 24-30 décembre 1980.
Otayek René, “Le changement politique et constitutionnel en
Haute-Volta”, Année Africaine 1983, Paris, Pédone, 1985.
Otayek René, “Burkina Faso : Les raisons d'une victoire”, Mar-
chés Tropicaux, n° 2438, Paris, 31 juillet 1992.
538
A
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire . KYÉLEM de TAMBËLA

e Ouédraogo Jean-Baptiste, “Contribution à propos de trois dates


historiques”, in Yénouyaba Georges Madiéga et Oumarou Nao
(sous la direction de -), Burkina Faso — Cent ans d’histoire, 1895-
1995, Paris, Karthala, 2003, t.1.

e Pineye Daniel, “Les relations économiques de l'URSS.


avec l'Afrique septentrionale”, Problèmes économiques, n° 1701,
Paris, 10 décembre 1980.

e Rouge Jean-François, “Ouaga, la star de son festival”, Libéra-


tion, Paris, 5 mars 1987.
e Rubel Maximilien, “Avant-propos” in Karl Marx, Révolution et
socialisme, pages choisies, Paris, Payot, 1970.

e Sanou Fernand, “Politiques éducatives du primaire du Burkina


Faso de 1900 à 1990” in Yénouyaga Georges Madiéga et Ouma- |
rou Nao (sous la direction de-), Burkina Faso — Cent ans |
d'histoire, 1895-1995, Paris, Éditions Karthala, 2003, t.2. {|
e Sanou Fernand, “Colonialisme, éducation et langues : hier et au- |
jourd'hui”, in Yénouyaga Georges Madiéga et Oumarou Nao |
{sous la direction de-), Burkina Faso — Cent ans d’histoire, 1895-
1995; Paris, Éditions Karthala, 2003, t.2.
e Satter David, “Les carcans de l'économie soviétique”, Problèmes |
économiques, n° 1657, Paris, 23 janvier 1980. |
e Saul Mahir, “Les maisons de guerre des Watara dans l'ouest bur- f
kinabè précolonial”, in Yénouyaga Georges Madiéga et Oumarou
Nao (sous la direction de-), Burkina Faso — Cent ans d’histoire, |
1895-1995, Paris, Éditions Karthala, 2003, t.1. |
e Sawadogo L., “Réponses à Senghor”, Sidwaya, Ouagadougou, 2 |
septembre 1985. |
e Sawadogo Pabeba, “15 octobre 1987, une histoire de tubes di-
gestifs ?, Bendré, n° 257, Ouagadougou, 13 octobre 2003.
e Schwartz Alfred, “La politique cotonnière du gouverneur Hesling
et la dislocation de la colonie de Haute-Volta en 1932. Et si
l'inspecteur Sol s'était trompé ?” in Yénouyaba Georges Madiéga
539
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
te J. KVÉLEM de TAMBÈLA

et Oumarou Nao (sous la direction de -), Burkina Faso — Cent ans


d'histoire, 1895-1995, Paris, Karthala, 2003, t.2.
Senghor Léopold Sedar, “Négritude et Vaugelas”, Le Monde,
Paris, 19 août 1985.
Somda Claude Nurukyor, “Les critères du choix des chefs indi-
gènes dans les sociétés sans organisation politique centralisée du
sud-ouest du Burkina Faso 1897-1917" in Yénouyaga Georges
Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de-), Burkina Faso —
Cent ans d'histoire, 1895-1995, Paris, Éditions Karthala, 2003,
ti.
Soudan François, “Comment Reagan voulait supprimer Kad-
haf}”, Jeune Afrique, n° 1365, Paris, 4 mars 1987.
Soudan François, “Un mythe assassiné”, Jeune Afrique Ma-
gazine, n° 42, Paris, novembre 1987.

Tapsoba Clément, “Histoire du cinéma au Burkina Faso”, in Yé-


nouyaga Georges Madiéga et Oumarou Nao (sous la direction de-
), Burkina Faso — Cent ans d’histoire, 1895-1995, Paris, Éditions
“Karthala, 2003, t.2.
Tiendrebéogo Norbert Michel, “Négritude et. Senghor”,
Sidwaya, Ouagadougou, 2 septembre 1985.
Traoré Issaka Herman, “Comme dans la Sourate Al-
Ma'idah”, L'Observateur Paalga, n° 6998, Ouagadougou, 25 oc-
tobre 2007.

Yarga Larba, “Les prémices à l'avènement du Conseil national


de la révolution en Haute-Volta”, Le Moïs en Afrique, n° 213-
214, Paris, octobre-novembre 1983.

Zanzucchi Michelle, “Bilan et perspectives - 10 ans d'économie


de communion”, Nouvelle Cité, n° 448, Paris, octobre 2001.
Zongo Norbert, “Une seule candidature. et de trop”, Car-
refour africain, n° 997, Ouagadougou, 17juillet 1987.
Zoungrana Guy Évariste André, “La politique de développement
agricole au Burkina Faso : orientations et manifestations de 1954

540
Thomas SANKARA et la Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autoceniré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

à nos jours”, in Yénouyaga Georges Madiéga et Oumarou Nao


(sous la direction de-}, Burkina Faso — Cent ans d’histoire, 1895-
1995, Paris, Éditions Karthala, 2003, t.1.

Revues et périodiques

Annales de l’université de Ouagadougou.


Année Africaine, Paris.

Esprit, Paris

Journal du droit international, Paris.

Nord-Sud XXI, Genève.

Présence Africaine, Paris.


Problèmes économiques, Paris.
Projet, Paris.

Recueil Lebon, Paris.


Review of African Political Economy (R.O.A.P.E.), Baltimore.

Journaux et magazines

Actuel développement, Paris.


o

Africa Confidential, Londres.


©

Africa International, Dakar/Paris.


©

Afrique Asie, Paris.


e

AfriquÉducation, Montrouge.
e

Afrique Magazine, Paris.


©

Afrique Nouvelle, Dakar.


©

Agence Voltaïque de Presse, Ouagadougou.


©

Armée du peuple, Ouagadougou.


©

Bendré, Ouagadougou.
e

541
Thomas SANKARA o1 Eu Révolution au Burtdua Fase
de développement ant
dKYÉLEM de FAMBÉ

Carrefour africain, Ouagadougou.


Courrier confidentiel, Ouagadougou

Faim-Développement-Magazine, Parts.

Haute-Volta “Ouindiga”, Ouagadougou

Jeune Afrique, Paris,


Jeune Afrique Économie, Paris,
Jeune Afrique Magazine, Paris,
Journal du Jeudi, Guagadeugou.
Journal Officiel de la République de Haute-Volta, Guagadougou,
Journal Officiel de la République Française, Paris,

La Colombe, Ouagadougon.
a Croix, Paris.
Le Canard enchaîné, Paris.
Le Démocrate, Ouagadougou.
Le Démocrate, Organe central du parti de fa démocratie sociale,
sk
Le Monde, Paris,
Le Monde diplomatique, Paris.
Le Nouvel Afrique Asie, Paris.
+: Le Quotidien, Cuagadougou.
Le Patriote, Duagadougou.
Le Pays, Ouagadougou.
Le Paysan, Ouagadougou.
. Le Prolétaire, Cuagadougou.
Le Reporter, Ouagadougou.
Le Révolutionnaire Burkinabè à Dakar.
L'Étalon Enchaîné, Ouagadougou.
L'Étudiant d’Afrique noire, Paris.
. L'Événement, Duagadougon.
x L'Evénement du Jeudi, Paris.

542
Thomas SANKARA #t le Révelufion au Burkina Faso
Uné expérience emnene anocntné
Apollinaire e FAMBÈLA

Libéraieur, Ouagadougc
Libération, Paris.
L'Ilustration, Paris.
L'Indépendant, Ouagadougou,
L'Observateur, go.
L'Observateur Dimanche, Cuagadougou.
L'Observateur Paalga, Ouagadougou.
L'Ouragen, Orodara.

Marchés Tropicaux et Méditerranéens, Paris


Mutations, Ouagadougou.
Noire Temps, Ouagadougou.
Mouvelle Cité, Paris.

Paris Match, Paris.

San Finna, Ouagadougou


Sidwaya, Ouagadougou.
Sud Magazine, Dakar.

The Guardian, Londres.


TABLE DES MATIÈRES

Du même auteur 4
Dédicace 5
Avant-propos 6
Avant-propos de fa troisième édition 7
Principales abréviations 8
Introduction 11

PREMIÈRE PARIE :
De ta Haute-Volta au Burkina Faso 14

Chapitre L:
De la période précolaniale à indépendance 15
ë É La période précoloniaie 35
À : Au centre 16
B : À l'ouest 28
€ : À Vest 28
XF: Lu période coloniale 24
&: La conquête du territoire 2t
B: La constitution du teritoire 25
C: Les motivations et les justifications de 13 colonisation 27
HE: La période de l'indépendance 25
A: Les conditions d’accession à l'indépend 28
B: La vie politique de fa période des indénendances 33
C: Les divergences politiques 36
E: La mauvaise gouvemance el ses conséquences 38

544
“Thomas SANRARA rt ta Révolsssion au Pariine Faso
Une ience de développern
Ag ed KYÉLEM de

Chapitre I:
La période du doute et du questionnement 48

Chapitre KE :
La période de prise de conscience : la marche
progressive vess la révolution 53
Le régime du CMRPN, 83
Favénement du C'MLER.PAN. 83
Owur

La gestion du C 55
Le chute du C M. 63
Le régime du € SP. é4
Le coup d” État du 7 novembre 1982 64
COTE

Le Conseil provisoire de sabut du peuple 66


Le C.S.P.-I 67
Le C.S-P-H 89

Chapitre IV :
L'avènement de la Révolution &
Les causes de l'avènement de ia Révolution 86
07 iques de la Révolution 86
Dur

onomiques de la Révolution 38
Les causes politiques 199
Les cirronstances de l’avémement de La Révolution LUE
Les conditions objectives 19t
ur

Les conditions subjectives 102


Phonras SANKARA ei la Révolniion au Burkina Fase
L spérience ement mocentré
de TAMBÈLA

DEUXIÈME PARTIE :
Le temps de la Révolution 105

Chapitre L:
La notion de révolution et le cas
de la Révolution burkinabè ié

De la mature du mouvement du d août 1983 ef du


régime de Thomas Sankara 186
La nature du mouvement du 4 août 1983 166
La nature du régime du CAUR. fit

La ph Pidéoiogie du C.NR. 115


L'orie ique du C.N.R. its
Les conséquences politiques et sociales 125

Chapitre :
La notion de développement 134
Notions générales 134
Le développement autocentré 138

Chapitre I :
Les mécanismes de mise en œuvre
de la politique du CNR. 145

Les ets R. 145


}, Les nses on 147
CREER

Les êl CER) 148


Les autres structures d'encadrement 450
£ES
a
Thomas SSNKSRA et fa Révolution au Burkisa Fase
7 e de onponent autocentré
ApollinaireJ KVÉLEM de TAMBÈLA

Chapitre IV:
Les difficultés politiques du C.NA.
Les difficultés politiques extermes
LH Les difficuftés politiques intermes
À Les contradiction S5 internes

Chapitre V :
La politique de développement du CN.
La politique judiciaire du CN,
La politique économique du CR,
La planification du développement
La rigueur et la transparence dans la gestion
des ressources de P'État
La maîtrise de laide extérieure
Compter sur ses propres forces
La mafrise de la production
La consommation de à production nationale
La protection de la production nationale
Le secteur des transports
Conclusion
La politique sociale du CR.
Le culture
L'éducation
La sanié
L'urbanisme et fe logement
La prorotion de la femme
La promotion de l'emploi
La lutte contre la mendicité
La promotion du sport
La politique étrangère du €.N.R.
La politique sous-régionale du CCR
Le politique régionale du C.N.R.
La politique intemationale du CLR.
547
Thomas SANK. RA et ta Révolution au Burton Faso

EM de TAMBÉLA

TROISIÈME PARTIE:
Les mérites etles limites de la gouvernance Sanka-
ra et l'émergence de la contre-révolution Hg!

Chapitre 1:
Mérites et Hnites de la gouvernance Sankara
Li d Les mérites de l’action du CN.R.
À : Sur Les plans politique et suhiectif
B S Sur le plan objectif

BE Bes lhmites de l'action du CNR.


À Des limites subjectives
& De ls conception et de k gestion
des affaires politiques
€ Du respect des droits humains
D De la place de Pécanomie dans le processus
de développement 338

Chapitre IE:
L'émergence de la contre-révolution 348 ©
El Le déroulement des Faits etleurs réperenssions 348 ê
EN Le déroulement des faits 3485
B Les répercussions 252
pi Les causes de l'assassinat de Sankara 385 ë
À Les explications et les justifications du
Front populaire
B Les vrais mobiles de l’assassinat de Sankara

HE Les turpitudes du Front popuinire 394 ©


À Les coniradictions et contrevérités
sur les plans politique ét économique
B Les contrevérités sur Le plan des droits humains

548
Thomas SANKARA et Ia Révolution au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Apollinaire J. KYÉLEM de TAMBËLA

Chapitre III :
La renaissance de Thomas Sankara 49 +

I ; La portée de l’œuvre de Sankara 4204


Il d La portée du sacrifice de Sankara 44 à
I: Les réactions ET 2+
QUATRIÈME PARTIE :
La chute de Blaise Compaoré et la renaissance
démocratique au Burkina Faso 4434

Chapitre I :
Le temps des désillusions 44Y
I ; La jouissance du pouvoir 44Y
Il : Les troubles sociaux et politiques 44#
I : La peur de Poubli 445
IV: L’activisme comme échappatoire 455
V G La crainte de l’après-pouvoir 458

Chapitre II : h
La chute de Blaise Compaoré 460

I : Les manœuvres de diversion 469/<.


Il ë Le passage en force 44 =
I : La chute 467 5

Chapitre III :
La renaissance démocratique A4 €
I ; La gestion politique de la Transition AA SE
Il ; La gestion socioéconomique de la Transition 503 Fe
IH ; La politique étrangère de la Transition 506!
IV: La fin de la Transition 506 +

549
Ehomas SANICARA er 13 Révuin on au mriise Fasc
ne se de dés
Apallinaire FRE

ABROKES
Bibliographie sommaire
KO i ps
Î

» LA,
BAR:

imprimés sur des papiers fabelli


rantissont une gestion durable de la forêt -
Fabriqué en France
ur proisr Mairefontoles tabric: More les ges.

Achevé di
Centre Livré

ve imprinertectp.&
Thomas SANKARA et la Révolution
au Burkina Faso
Une expérience de développement autocentré
Le discours que Sankara prononça le 1er février 1983, jour de son investiture
comme premier ministre, était d'un ton nouveau. Le mot peuple est revenu
soixante-quatre fois dans le discours. On retrouve dans ce bref discours l'essentiel
de ce qui devait lui servir de programme quand plus tard il sera chef de l'État. «
le mouvement de salut du peuple - avait-il déclaré - est décidé à contribue:
faire avancer la Haute-Voita dans la voie du progrès, … afin de permettre, aussi
rapidement que la force et le génie créateur du peuple voltaïque lui en donneront les
moyens, de nourrir le peuple, de lui donner une eau saine à boire, de le vêtir, de
l'abriter, de l'instruire et de le soigner. » C'était là tout un programme qu'il a tenté
de réaliser pendant le temps qu'il lui restait à vivre. Ce qu'il demandait aux
ministres sortait de l'ordinaire. « Nous ne devons pas craindre les masses, et nous
barricader dans des bureaux climatisés pour penser lourdement à sa place, avec les
pesanteurs petites-bourgeoises, sans tenir compte de lui et de ses conditions
concrètes de vie et de travail. En un mot, je voudrais vous dire que nous ne devons pas
tenir le peuple en respect, maïs réserver tout le respect au peuple. [...]
Messieurs les ministres, avec de tels objectifs, ce n'est certainement pas à un banquet
de copains ou à une partie de plaisir que le Conseil de Salut du Peuple vous a conviés
en vous investissant de sa confiance. Mais c'est à un gigantesque chantier de travail
auquel participera avec ardeur tout le peuple voltaïque, qu'il vous demande de
prendre part, comme chefs de brigades de travail dans ce chantier.»
Pour susciter le débat au sein de l’armée et soutenir une forme de démocratie
interne, l'aile progressiste du C.S.P créa un journal mensuel dénommé Armée du
peuple qui se voulait un « organe de lutte et d'information du Conseil de salut du
peuple ». Le journal dont le numéro 00 parut le 13 février 1983 avait pour devise :
« s'intégrer et s'identifierà son peuple.»

Apollinaire J. Kyélen de Tambèla est titulaire des


Diplômes d'études approfondies {D.EA. en droit des
affaires et droit économique et en droit international
public et privé de l'université de Nice ; du Certificat
d'aptitude à la profession d'avocat (C.A.PA.) du Centre de
formation des Barreaux du sud-est (France) et est
docteur en droit.
H} a enseigné dans plusieurs universités et écoles
supérieures. il est avocat au Barreau du Burkina Faso et
directeur du Centre de recherches internationales et
stratégiques (CRIS).

Vous aimerez peut-être aussi